Professional Documents
Culture Documents
Odette M a in v ille
À Maria, en Gaspésie, les parents de Jérôme nourrissent de
grands projets pour ce fils aîné, doué, rangé et sérieux. Ils
Le grand cahier
rêvent surtout de le voir poursuivre ses études et un jour, devenir
prêtre. Le jeune garçon avancera confiant sur cette voie toute
tracée, franchissant une à une les étapes qui le mèneront vers
de Jérôme
l’ultime objectif.
Ordonné prêtre au terme de ses études au Grand Séminaire
de Montréal, Jérôme reviendra exercer son ministère dans sa
Gaspésie natale, pour la plus grande fierté de ses parents et de
tout son village également.
L e g r a n d ca h i e r d e J é rô m e
Avec la fougue de sa jeunesse et l’ardeur de sa foi, Jérôme
s’investira pleinement dans les fonctions qui lui seront attribuées
en paroisse. Mais le chemin pour atteindre ses ambitions sera
plus sinueux que prévu. Jérôme se heurtera à de cuisants échecs
et à de douloureuses humiliations. Il se verra alors contraint de
réorienter sa vocation, ce qui l’entraînera sur des sentiers impré-
vus, lesquels occasionneront de tumultueux bouleversements.
Intrigues, confidences et même liaisons amoureuses, Jérôme
les confie à son grand cahier. Chaque page tournée ouvrira
alors sur de nouvelles avenues et suscitera de nouvelles prises
de conscience.
i s b n 978-2-7621-4 4 02-4
www.groupefides.com
F Licence enqc-13-114289-LIQ435583 accordée le 10 novembre 2020
à sebastien-cote
Le grand cahier
de Jérôme
11
***
12
***
Les succès scolaires de Jérôme gonflaient ses parents d’or-
gueil, alimentant surtout leur grand rêve de l’inscrire au cours
classique. Ils avaient beau être de modestes paysans, ils avaient
vu dans leur entourage, et plus précisément dans leur propre
village de Maria, quelques jeunes garçons franchir les portes
du séminaire de Gaspé et s’y distinguer. Certains avaient même
« pris la soutane » ! Ils pouvaient donc, eux aussi, viser haut
pour leur Jérôme. D’autant plus que l’enfant, sans cesse stimulé
par les encouragements de sa mère – plus particulièrement, car
c’était elle qui l’accompagnait dans ses devoirs et ses leçons –,
remportait régulièrement la palme du premier de classe.
Mais alors que Jérôme n’en était encore qu’à sa cinquième
année, une rumeur circulait au sein de la communauté au sujet
d’une réforme de l’éducation. On entendait parler d’une com-
mission royale d’enquête sur l’enseignement, la Commission
Parent, qui annonçait rien de moins qu’une restructuration
globale de l’éducation. Malgré la difficulté, pour la plupart,
d’en déchiffrer le jargon, d’en anticiper les tenants et aboutis-
sants, la nouvelle faisait néanmoins jaser. Si elle semait espoir et
optimisme chez les uns, elle suscitait crainte et appréhension
chez les autres.
Ce qui inquiétait surtout Omer et Cécile, c’était cette rumeur
particulièrement tenace relativement à l’abolition du cours
classique. Ils refusèrent d’abord d’y prêter foi.
13
***
14
15
17
***
Quatre années couronnées de succès, certes ! Mais au terme,
les défis avaient-ils été trop facilement relevés ? En tout cas,
Jérôme entreprenait cette dernière année avec assurance, comme
une étape à franchir tout simplement, plus ou moins stimulante
cependant. Il n’éprouvait plus cet impérieux besoin de l’effort à
l’étude, il allait réussir de toute façon.
En fait, une sorte de métamorphose s’opérait maintenant dans
l’âme et dans le corps de l’adolescent ; métamorphose que lui-
même ne comprenait pas réellement, mais qui le chamboulait
néanmoins. Inopinément submergé par la morosité, ou animé
d’une soif de revendication, ou aiguillonné par un désir de
changer le monde, autant d’énergies qui l’inondaient sans qu’il
sache vraiment les canaliser. Il avait quelques amis avec lesquels
il échangeait assez facilement, mais limitait ses contacts avec les
autres, qu’il considérait avec une certaine condescendance. À la
maison, il devenait impatient, bousculait autour de lui, répli-
quait sèchement, sans toutefois jamais faire preuve d’impolitesse
à l’égard de ses parents.
Mais surtout, des pulsions nouvelles s’attisaient en lui. Des
pulsions qu’il avait peut-être plus ou moins consciemment
refoulées jusque-là et qui, maintenant, frayaient tenacement leur
chemin. Des vibrations de plus en plus envahissantes, qu’il par-
venait mal à contrôler, se faufilaient même à travers ses prières.
Le soir, alors qu’il aurait voulu s’endormir sur les derniers mots
adressés au Seigneur, des images sulfureuses se profilaient à
travers les images sacrées ; cela à son grand désarroi, car, malgré
tous les changements opérés en lui, Jérôme conservait sa foi et
18
***
À travers les péripéties de l’adolescence, Jérôme gardait le
cap vers la vocation sacerdotale. C’était pour lui un engagement
immuable, une destination future qu’il ne songeait même pas
à remettre en question. Un besoin de se consacrer à Dieu ? De
servir ses semblables ? D’atteindre un statut hautement prisé ? De
complaire aux attentes de ses parents ? Ou tout cela à la fois ? En
tout cas, Jérôme savait que son accomplissement professionnel
ne pourrait emprunter d’autre voie que celle de la prêtrise.
Cette vocation, qui semblait si bien inscrite dans ses gènes, ne
faisait quand même pas écran à la vie qui se déroulait autour de
lui. Car le cheminement à la polyvalente ne consistait pas seule-
ment en des contenus de cours à intégrer et des examens à réus-
sir ; il présupposait également le vivre ensemble dans l’harmonie.
Et inéluctablement, en raison de sa mixité, il favorisait l’éveil aux
attraits de l’autre sexe. Des couples se formaient alors plus ou
moins timidement ; des garçons et des filles se faufilaient main
dans la main ; d’autres s’affichaient avec ostentation ; des baisers
furtifs étaient même échangés par certains qui se croyaient, ou
non, à l’abri des regards. Jérôme, qui évoluait dans ce décor,
sentait monter l’ardent désir de goûter, lui aussi, à cet élixir des
caresses partagées.
Oui, Jérôme vibrait du désir de nouer des liens avec des
compagnes de classe. Mais comment concilier une éventuelle
19
***
Sylvie avait trépigné de joie quand Jérôme avait amorcé des
rapprochements. Elle se gonflait d’orgueil à la seule pensée
d’être l’élue, sachant pertinemment que d’autres compagnes le
convoitaient déjà. Que de fois, en effet, les avait-elle entendues, à
mi-voix, rougissant un peu, vanter les mérites de ce garçon ? Sans
20
21
22
23
25
26
27
***
Ce soir-là, Jérôme n’avait pu se concentrer sur ses travaux
scolaires. Il était tout simplement déchiré par les propos de
l’abbé Campeau. Renfermé entre les murs de sa chambre,
encore une fois, il était en proie à une tempête intérieure qui le
secouait d’intenses bourrasques. Comment démêler l’écheveau
des recommandations et des conseils qui lui avaient été adressés ?
Conseils et recommandations, mais reproches aussi. Reproches
non explicitement formulés, qui se profilaient néanmoins à
travers les exhortations du prêtre. Du moins, ainsi Jérôme les
ressentait-il vivement.
Les pensées se bousculaient et s’entremêlaient dans son esprit
à un tel rythme que le pauvre garçon parvenait mal à y mettre de
28
Bien sûr, je veux devenir prêtre. Je le sais que c’est ma vocation. Je veux
faire du bien. Je veux aider les autres... Être prêtre, c’est la meilleure
façon.
Non, je ne pourrai jamais me marier. C’est bien correct... Mais je ne
peux pas laisser Sylvie maintenant. Je l’aime. Et si le démon... Non,
Sylvie est une bonne fille. Elle ne comprendra pas si je la laisse... Pis,
je ne veux pas la laisser. Mais quand on est ensemble, j’ai tellement
de désirs... impurs. Pardonnez-moi, Seigneur ! Ça n’empêche pas que
je serai prêtre quand même. C’est juste dans plusieurs années encore...
30
31
32
***
Une fois familiarisé avec son milieu d’étude, Jérôme n’avait
pas tardé à se joindre aux activités offertes par le service de pas-
torale du collège. Car, parallèlement à leur formation scolaire, les
élèves pouvaient aussi bénéficier de ressources religieuses et spi-
rituelles. D’ailleurs, l’abbé Roland Campeau avait déjà informé
l’aumônier du collège, son collègue et ami, l’abbé Normand
Malo, des ambitions de son jeune protégé. À vrai dire, il lui
avait brossé un portrait suffisamment détaillé de la personnalité
du garçon pour que l’aumônier sache déjà comment l’aborder
efficacement, ce qui lui permit d’amorcer rapidement une bonne
collaboration avec lui.
Mais aussi, avant même qu’il entre au cégep, l’abbé Campeau
lui avait encore réitéré ses sempiternelles recommandations,
ajoutant cette fois, dans un élan d
’enthousiasme :
— Seulement deux années encore et tu entres au s éminaire !
— Oui, j’ai hâte.
— Mais je te le répète, fais attention à tes fréquentations.
Je sais que tu es un bon garçon et que tu es sérieux, mais rap-
pelle-toi que le diable est astucieux. Il aime les défis et ce sont
souvent les bons gars comme toi qui deviennent ses cibles de
prédilection.
***
Effectivement, le diable veillait au grain.
Une fois adapté à son nouvel environnement, alors que
les cours étaient devenus routine et que les résultats scolaires
33
Licence enqc-13-114289-LIQ435583 accordée le 10 novembre 2020
à sebastien-cote
***
N’empêche, Jérôme occupait une grande partie de ses loi-
sirs aux activités pastorales du cégep. Activités qui s’avéraient
justement favorables au regroupement de jeunes chrétiens, qui
parlaient allègrement de leur foi, qui partageaient aussi leur
désir de propager le bien dans le monde, tout en explorant les
lieux propices pour y arriver, en groupe ou chacun dans son
milieu respectif. Un terreau fertile où les attentes de Jérôme se
trouvaient comblées.
34
***
Le parcours collégial de Jérôme fut encore parsemé de
quelques flirts. Ce qui, au lieu de calmer ses appétits, les exa-
cerba, évidemment. Cela, cependant, ne le détourna jamais de
sa détermination à devenir prêtre.
36
37
38
39
40
***
Jérôme avait franchi les étapes de l’enfance et de l’adolescence.
Il avait couronné chaque stade de son parcours scolaire d’excel-
lents résultats. Il entrait désormais dans sa vie de jeune adulte.
Il avait été admis au Grand Séminaire de Montréal.
42
***
La formation générale allait s’étaler sur une période de quatre
ans. L’ensemble du programme, quant à sa structure et ses conte-
nus de cours, devait habiliter le futur prêtre à toutes les tâches
inhérentes au prestigieux rôle auquel il se destinait.
Mais, alors que la société québécoise s’ouvrait à la modernité,
le Grand Séminaire de Montréal ne semblait pas avoir emboîté
le pas. Il s’accrochait, au contraire, à la formation traditionnelle
qui avait ponctué son histoire, se méfiant du cursus théologique
offert en contexte universitaire.
Car la Révolution tranquille commençait effectivement à faire
ressentir ses effets dans les facultés de théologie. Les facultés
avaient cru à propos de ventiler quelque peu leurs programmes,
de manière à s’ajuster à ce vent de changement qui secouait un
Québec déterminé à s’émanciper du joug de l’Église. De nom-
breux diocèses, ainsi désireux de se mettre au diapason, permet-
taient désormais à leurs candidats au sacerdoce de s’inscrire dans
les facultés de théologie. Ils avaient compris que leurs futurs
43
44
***
45
47
48
49
50
***
Il y avait pourtant eu cette fois où le diable y était allé de son
plus puissant arsenal, alors que Jérôme s’apprêtait justement
à franchir le seuil d’un resto très prisé par la jeunesse pour y
siroter un café. Cette fois où le diable lui avait même suggéré de
retirer ce fameux col romain. Juste pour voir ce que ça donnerait.
Oui, il avait dû se colleter durement avec le Malin afin de résister
à cette tentation de tester – simplement tester – la nature des
regards qui se porteraient vers lui sans ce col. Car avec le col, il
avait déjà une bonne idée de la nature de ces regards. Des regards
indifférents, certes ; d’autres, admiratifs ou méprisants, peut-
être ; d’autres, sûrement interrogateurs ou teintés d’incompré-
hension – Comment ce beau jeune homme pouvait-il se laisser
embrigader dans une voie de plus en plus marginalisée ? – Mais
surtout, et c’était bien là le nœud de la tentation, Jérôme aurait
voulu vérifier une fois, une seule fois encore, le regard des jeunes
filles sur lui. Il avait beau se refuser de l’admettre, il avait envie
de ce frisson que lui avait toujours causé l’attention des filles.
Et pourtant, un jour, malgré ce col, il avait osé :
— Euh... c’est plein partout. Vous permettez que je prenne
place à votre table ?
51
52
53
***
Ce fameux col romain... ça dresse quand même une barrière...
Cette remarque taraudait l’esprit de Jérôme depuis qu’il avait
quitté Laurence. Le soir, il s’était rendu à la chapelle pour médi-
ter devant le tabernacle. Il avait besoin de faire le point avec le
Seigneur.
Seigneur, j’ai plus que jamais besoin de ton soutien. Ce n’est certai-
nement pas à Toi que je pourrais le cacher, mais aujourd’hui, j’ai été
soumis à une grande tentation. Oui, une grande tentation comme
j’ai été prévenu que cela arriverait, d’ailleurs. Satan ! Maudit Satan !
Mais Seigneur, je crois fermement que ton secours ne me fera jamais
défaut, et qu’avec ton secours, je marcherai dans le droit chemin, ce
chemin que tu as tracé pour moi. Je sais, Seigneur, qu’il se dressera
bien d’autres tentations dans ma vie de prêtre. Après tout, je ne vivrai
pas en vase clos. Toute ma vie à venir, tout au long de mon ministère, je
serai en contact avec des femmes. Mais je crois fermement que chaque
tentation vaincue me rendra plus fort.
55
***
Jérôme n’avait effectivement pas tardé à s’impliquer dans
les activités paroissiales. Il aimait particulièrement participer
à la préparation des liturgies. Il aimait accueillir les paroissiens
à l’entrée de l’église, se prêtant ainsi aux regards admiratifs
souvent assortis de paroles flatteuses. Tout sourire, il recevait les
éloges, par ailleurs anticipés, feignant néanmoins de minimiser
ses propres mérites par des répliques de circonstance, songées
d’avance.
Mais Jérôme prenait plus particulièrement plaisir à s’activer
dans le chœur. Vêtu de la soutane et de l’aube, il se faisait un
point d’honneur d’assister le célébrant à l’autel, de faire les
lectures et même, à l’occasion, de prononcer l’homélie. Com-
municateur d’une éloquence notable, il manifestait un talent
assuré pour la proclamation de la Parole.
Toujours animé d’une grande piété, il participait à la messe
matinale presque tous les jours. En même temps, c’était pour lui
une occasion d’entraîner de jeunes enfants de chœur à servir la
messe. Il avait pris la responsabilité de gérer la liste des volon-
taires et de les accompagner dans le service. Il ne manquait pas
de les encourager, de vanter leurs mérites. Il faisait si bien que
les petits ne rechignaient jamais quand venait leur tour de servir.
Ainsi, Jérôme aimait prêter main-forte au curé, s’affairant à
différentes tâches dans le presbytère et à diverses activités parois-
siales. Mais il aimait notamment passer du temps en compagnie
des jeunes et s’en faire le grand frère. Dans la cour de l’école
56
57
58
***
Mais les vacances comportaient aussi leurs risques...
Outre ses nombreuses implications bénévoles, Jérôme avait
aussi inscrit à son horaire estival de joyeuses retrouvailles avec
les copains de son village. Certains lui avaient rendu visite à
domicile ou l’avaient reçu chez eux, mais l’avaient également
invité à participer à quelques activités récréatives. Ensemble, ils
avaient fait du vélo, escaladé la montagne, marché sur le rivage,
joué à la balle ou s’étaient simplement engagés dans de joviales
discussions, tout en dégustant une bière à l’occasion.
Mais la cloche allait bientôt sonner la fin de la récréation et
Jérôme devrait rentrer au séminaire. Quelques-uns de ses plus
proches amis avaient donc voulu célébrer une dernière fois sa
présence parmi eux. Martin en avait pris l’initiative.
59
60
61
63
65
66
***
L’évêque Rinfret avait été édifié par le désir manifesté par
Jérôme de servir auprès des plus déshérités du diocèse. Le prélat
n’avait donc pas hésité à combler ses aspirations en le nommant
vicaire dans une paroisse très pauvre de la côte gaspésienne.
Et pourtant !
***
Durant sa dernière année de formation au Grand Séminaire de
Montréal, un professeur, le père Blondin, qui avait bien remar-
qué ses aptitudes intellectuelles, ne manquait pas d’encourager
le jeune séminariste par des annotations élogieuses sur les pages
de ses travaux académiques. Il aimait aussi s’entretenir avec lui.
— Tu es sur le point de quitter le séminaire. Dans quel type
de ministère espères-tu œuvrer ?
— Je souhaite être mandaté dans un milieu pauvre où je
pourrai travailler avec les plus démunis.
— Travailler avec les plus démunis, toi ! Pour faire quoi ?
— Je ne sais pas... pour les aider à s’en sortir... Je verrai bien
le travail à faire quand je serai rendu là.
Le père Blondin lui avait jeté un regard sceptique, désolé.
— Jérôme, je me permets de te dire... tu n’es pas fait pour ça.
Oui, travailler auprès des plus démunis est une noble mission ;
il en faut, des personnes dévouées pour s’y prêter et il y en a
beaucoup, heureusement. Mais toi, je ne te vois pas là.
Jérôme avait été offusqué des propos de son professeur. Com-
ment osait-il minimiser la valeur de ses aspirations à se donner
aux plus petits de ce monde ? Le père Blondin avait lu sur son
visage le sentiment de dépit suscité par ses propos.
67
***
Animé de la flamme de jeune apôtre, Jérôme avait été investi
dans ses nouvelles fonctions de vicaire dans la paroisse Saint-
Léonce. Il avait été accueilli au presbytère par le curé Labrie, qui
lui avait assigné ses locaux, chambre et bureau.
68
69
***
Il n’avait cependant pas été prévu que Jérôme occupe la fonc-
tion de vicaire bien longtemps. Au contraire, son évêque avait
des vues bien précises quant à son avenir.
En fait, l’accession de Jérôme au sacerdoce coïncidait avec
une période extrêmement difficile au sein de l’Église, en l’occur-
rence l’abandon du clergé par de nombreux prêtres qui avaient
choisi de se laïciser, la plupart en vue de se marier. Des prêtres
qui avaient pourtant nourri de grands espoirs dans la foulée
des ouvertures annoncées par le concile Vatican II. On leur
laissait entendre, en effet, que ce n’était désormais plus qu’une
question de temps avant que le célibat sacerdotal soit aboli.
Plusieurs prêtres, qui entretenaient déjà une relation amoureuse
avec une femme, attendaient ce moment pour enfin normaliser
leur union clandestine. Mais, au cours de la décennie suivant
la clôture des travaux conciliaires, alors que rien ne bougeait à
cet égard, la déception se substitua à l’espérance, la morosité
s’installa au cœur d’un grand nombre. La flamme vacillait, le
temps de l’indécision; un temps pendant lequel ces prêtres se
sentaient ballotés entre la volonté de respecter leur vœu initial
et la menace de voir les années défiler jusqu’à ce qu’il soit trop
tard. La perspective d’une vieillesse asséchée par la solitude, par
la frustration d’une soif inassouvie, avait finalement eu raison
de leur vocation. De nombreux prêtres décidèrent finalement
de quitter le navire.
C’était l’hémorragie !
Une hémorragie qui désarçonnait les autorités ecclésiales,
qui imposait des défis colossaux à ceux qui devaient néanmoins
continuer à rassembler les troupeaux et à assurer tous les services
pastoraux inhérents à la vie chrétienne tels qu’édictés par la
70
72
***
La pauvreté du village et l’indigence de sa population s’affi-
chaient de tant de façons. Jérôme, qui n’en avait pas soupçonné
l’ampleur, était quelque peu abasourdi.
Il y avait toutes ces maisons qui se dressaient sur des terrains
parsemés d’ordures, de débris, de détritus, quand ce n’était de
carcasses de vieilles bagnoles éventrées. Des chaumières aux
façades délabrées, au recouvrement extérieur inachevé, ou qui
n’avaient jamais été peintes ; d’autres, abandonnées, aux carreaux
brisés, aux portes enfoncées. Au fond des terrains, des granges
aux toits écroulés, des instruments aratoires abandonnés, des
cuvettes rouillées...
Mais avant tout, il y avait des hommes, des femmes, des enfants
qui habitaient ce village. Il fallait entendre leur langage ! Des
hommes aux propos émaillés de jurons ; des femmes v ociférant
73
***
Dès le départ, Jérôme avait compris que le curé lui remettait
les rênes, qu’il se retirait de la scène et qu’il n’attendait plus que
l’assentiment de son évêque pour enfin quitter la demeure. Ce
pauvre curé Labrie avait même résisté, tant il était las et épuisé,
à la tentation d’intercéder auprès du prélat pour devancer le
moment de son départ. Il s’en était abstenu par scrupule, n’osant
tromper la confiance de son supérieur, qui comptait sur lui pour
entraîner le jeune vicaire aux tâches ministérielles.
Il n’allait pourtant pas tarder à partir, et ce, de façon définitive.
Un matin, le curé Labrie ne s’était pas présenté au déjeuner.
Mademoiselle Gertrude, habituée à sa ponctualité, s’en était
inquiétée. Mais n’étant pas autorisée à traverser le cloître, elle
avait attendu le retour de Jérôme, qui s’était absenté pour sa
messe matinale. Dès qu’il avait posé le pied dans le presbytère,
elle l’avait interpellé :
— Monsieur le curé n’est pas encore venu déjeuner. Ce n’est
pas normal. Pouvez-vous aller voir si tout est correct ?
Jérôme s’était aussitôt dirigé vers la chambre du curé, pressen-
tant le pire. Il l’avait trouvé semi-conscient, encore allongé sous
74
***
Mademoiselle Gertrude n’était cependant pas dupe.
— Monsieur le curé...
Jérôme avait sursauté. Gertrude avait souri.
— Oui, je sais, tout est si brusque, si nouveau, mais il faudra
bien vous habituer à ce titre, n’est-ce pas ?
Il avait simplement baissé la tête, à court de mots. Ce titre son-
nait faux à ses oreilles. Ce titre si lourd de responsabilités. Il lui
faudrait du temps pour s’y faire, mais surtout pour en assumer
les obligations inhérentes.
75
76
78
79
80
J’ai donné à manger à cette femme, mais qu’est-ce je sais d’elle ? J’étais
tellement mal à l’aise de la voir pleurer. Je n’ai pas su l’accueillir. Je n’ai
pas su l’écouter. Elle pleurait et je n’ai même pas essayé de savoir ce qui
81
***
Le lendemain en matinée, Jérôme s’était dirigé vers le couvent,
qui se trouvait sur le terrain face au presbytère. Elles étaient trois
religieuses : la supérieure et enseignante, sœur Marie-Émilie, une
autre enseignante, sœur Sainte-Luce, et la cuisinière, ou femme à
tout faire, sœur Claude-de-Jésus. Il fut accueilli par la supérieure
avec toute la déférence due à son statut. Elle le fit passer au parloir.
Après les propos de circonstance, Jérôme fit part à la religieuse
de son expérience de la veille.
— Pauvre vous ! Ce que vous avez vu hier, c’est juste un échan-
tillon de ce que vous allez apprendre à connaître avec le temps.
— Oui, je sais qu’il y a beaucoup de pauvreté dans le village,
mais je me demandais s’il n’y aurait pas moyen de mettre en
œuvre quelque chose, des activités, des services pour venir en
aide à ces gens.
82
83
85
86
87
***
Sœur Claude-de-Jésus, Anne Dubé de son identité civile, était
elle-même native de Saint-Léonce. Une femme fort intelligente
qui n’avait malheureusement pas dépassé le stade de l’école
primaire. Aînée d’une famille nombreuse, elle avait dû rester à
la maison pour venir en aide à sa mère, de santé fragile, qui en
avait plein les bras. Durant son enfance, elle avait été victime
d’inceste de la part de son père. Dès qu’il était en état d’ébriété,
il trouvait moyen de prendre l’enfant à l’écart et d’abuser d’elle.
Ce qu’il regrettait après coup, mais il recommençait toujours
néanmoins. Il disait à la fillette qu’il l’aimait beaucoup, qu’il
aimait la caresser et se faire caresser par elle, que tout cela était
correct, mais qu’il ne fallait pas en parler à sa maman – ni à
personne d’autre, d’ailleurs –, car elle serait fâchée et la punirait.
Des propos qui s’entremêlaient dans la tête de la petite Anne,
semant la confusion. Confusion qui se transforma bientôt en
culpabilité à mesure qu’elle grandissait et comprenait que ces
intimités avec son père étaient « péché ».
L’enfant avait l’âme d’autant plus troublée que la piété incul-
quée par sa mère la mettait en garde contre tous les manque-
ments « qui faisaient de la peine à Jésus ». Anne, alors toujours
soucieuse de purifier son âme, multipliait les confessions,
88
89
***
Comme convenu, sœur Claude-de-Jésus s’était présentée au
bureau du curé le lendemain après-midi.
— Merci de m’accueillir, monsieur l’abbé.
— Soyez la bienvenue. Si je peux vous être utile...
— C’est que, l’autre jour, quand vous parliez avec sœur
Marie-Émilie, je travaillais dans la pièce d’à côté. Ce n’est pas
que je veux écouter les conversations des autres, mais j’ai quand
même entendu des choses qu’elle vous a dites... des choses qui
me font mal à entendre.
— Comme ?
— Bien, la façon dont elle parle des gens de Saint-Léonce. Vous
savez, je suis née et j’ai été élevée ici. Je sais qu’il y a beaucoup de
pauvreté, qu’il y a des choses qui se passent... Mais il me semble
qu’on pourrait essayer de faire quelque chose pour ces gens-là
au lieu de simplement les mépriser.
— Avez-vous parlé de cela avec vos consœurs ?
— Elles enseignent et elles trouvent qu’elles ont déjà assez à
faire comme ça.
— Et vous, vous avez des suggestions pour leur venir en aide ?
— Bien, c’est justement en entendant ce que vous proposiez à
sœur Marie-Émilie quand vous êtes venu au couvent la semaine
dernière que ça m’a donné l’audace de venir vous voir. Vous
avez dit qu’on pourrait peut-être mettre sur pied une sorte de
comptoir où les gens pourraient se procurer des choses à bon
marché. C’est exactement dans ce sens-là que j’aimerais faire
90
91
93
***
94
95
96
Licence enqc-13-114289-LIQ435583 accordée le 10 novembre 2020
à sebastien-cote
***
Était-ce l’implantation rassembleuse du comptoir ? Était-ce le
dévouement contagieux d’une humble religieuse ? Était-ce la jeu-
nesse charismatique du curé ? Les citoyens du petit village snobé
se découvraient lentement un autre visage. Certains s’étaient
rapprochés de l’église, allant jusqu’à participer plus régulière-
ment à ses célébrations. Jérôme se réjouissait de cette évolution.
Oui, Jérôme se réjouissait de ce que sa paroisse se tire lentement
de son dénuement. Il cherchait à multiplier les contacts avec les
paroissiens, à les visiter, les encourager ; mais quand il se retrouvait
97
***
99
100
101
102
***
Jérôme le savait maintenant : il voulait quitter cet état de
vie. Mais tant d’obstacles se dressaient devant lui. Simplement
la douleur que sa laïcisation infligerait à sa mère ne serait-elle
pas un obstacle incontournable ? Et le sentiment d’échec, d’em-
barras... Lui, Jérôme Boutin, qui avait scandé, tout au long de
son enfance et de sa jeunesse, qu’il allait devenir prêtre, devrait
103
105
106
***
Une fois de plus, le flair de Gertrude avait eu raison. Jérôme
avait rencontré son évêque, qui lui avait effectivement proposé
une nouvelle cure.
— En fait, vous auriez la responsabilité de deux paroisses. Mais
soyez rassuré, vous seriez assisté dans chacune d’elles par une
très bonne équipe pastorale. Vous savez, les temps ont changé,
on dispose maintenant d’agentes de pastorale qui détiennent de
bons diplômes universitaires. Et croyez-moi, elles sont fières de
leurs responsabilités ; elles accomplissent un excellent boulot.
Elles savent créer des équipes de bénévoles pour les seconder,
des équipes qui en ratissent large, à part ça. Finalement, le prêtre
coordonne ces équipes et, bien entendu, il supervise leur travail
de manière qu’il n’y ait pas de dérives. En ce sens, son autorité
bien assumée est essentielle. Évidemment, le prêtre demeure le
seul responsable de la pratique sacramentelle ; mais encore là,
les équipes pastorales en assurent la majeure partie de la pré-
paration. Ce qui importe par-dessus tout, et j’insiste là-dessus,
c’est de voir à maintenir les équipes dans l’orthodoxie. C’est la
prérogative du prêtre que de s’en assurer.
Le discours de l’évêque se prolongea encore, étalant l’éventail
des responsabilités qu’il offrait à Jérôme, ne manquant surtout
pas de souligner les aspects gratifiants liés à l’exercice d’une telle
fonction. Ainsi avait-il conclu :
— Vous allez ressentir avec encore plus d’acuité la grandeur
et l’importance de votre sacerdoce. Je pense sincèrement que
vous le méritez bien après vos dix ans à Saint-Léonce. Oui, vous
méritez bien mieux que ça.
107
***
Jérôme allait demeurer dans sa Gaspésie natale. Il serait désor-
mais à la tête des paroisses de Saint-David et Sainte-Sophie.
Il avait été investi dans ses nouvelles fonctions au milieu de
grandes réjouissances. Les équipes paroissiales, dynamiques et
créatives, avaient effectivement organisé une belle fête en son
honneur. Elles avaient mis à profit des talents du milieu, dont
ceux des chœurs de chant, entre autres. Les enfants avaient aussi
participé. Dans les écoles, les élèves avaient offert des chants et
des mises en scène tout à fait candides et savoureuses. Bien sûr,
des discours de bienvenue avaient été adressés à Jérôme, par des
adultes et par des enfants. De quoi gonfler l’ego du prêtre, qui
se sentait maintenant porté par la ferveur de l’accueil, porté par
la foi que ses nouvelles ouailles projetaient sur lui.
Car paradoxalement, une renommée de pasteur créatif et
rassembleur l’avait précédé auprès de ses futurs paroissiens.
Comment cela s’expliquait-il ?
En fait, la réputation peu enviable qui, de tout temps, avait
stigmatisé le village de Saint-Léonce était légendaire dans toute
108
109
***
Dans chacune des deux paroisses, Saint-David et Sainte-So-
phie, les agentes de pastorale étaient en poste depuis quelques
années déjà et elles faisaient preuve d’un dynamisme remar-
quable. Mais surtout, elles jouissaient d’une grande autonomie.
Leur curé, au bord de la retraite, n’avait pas éprouvé la moindre
frustration à l’égard du leadership de ces femmes et des façons
innovantes qu’elles introduisaient. Au contraire, il s’était senti
délesté de lourds fardeaux qu’il ne pouvait plus guère assumer.
Mais Jérôme, lui, était jeune, vigoureux et fort orgueilleux
de son statut. Aussi était-il désireux de se prévaloir de l’auto-
rité inhérente à ses prérogatives sacerdotales. S’il s’était d’abord
réjoui d’être assisté d’équipes pastorales qualifiées, il n’avait
cependant pas anticipé tous les défis qu’il rencontrerait. Des
défis qui allaient parfois même remettre en cause les bases de
sa formation théologique acquise au Grand Séminaire, une
formation déphasée, semblait-il, par rapport à celle toujours en
111
112
113
***
Quand les deux femmes s’étaient retrouvées seules elles
avaient poursuivi la discussion :
— Jocelyne, je suis déçue. On avait pourtant mis beaucoup
d’espoir dans la venue de ce jeune prêtre dans nos communautés.
Finalement, on constate que plus ça change, plus c’est pareil.
114
***
Jérôme, quant à lui, avait eu du mal à se ressaisir. Mais il
n’était pas question de se laisser abattre. Il avait « rechoisi » son
115
***
— Bonjour, Jérôme. Content de te voir.
— Merci de m’accueillir, Frédéric.
— Viens t’asseoir, qu’on jase un peu.
116
117
119
***
Jérôme habitait seul dans sa maison-presbytère. Au Québec,
à cette époque-là, il devenait de plus en plus fréquent que les
120
121
122
***
Trop tard ! Jérôme se retrouvait maintenant sous l’emprise
d’insoutenables tourments. Il avait combattu durant toutes ces
années les affres de la chasteté. Il avait tenu ferme, convaincu
que le choix du sacerdoce imposait aussi le choix de l’abstinence.
Oh ! Il avait certes connu la tentation, mais au désir brûlant de la
copulation, il avait tant de fois substitué l’autoérotisme.
Cette fois, il le sentait bien, plus rien n’était pareil. Si ! Il dési-
rait sexuellement cette femme. Mais le désir sexuel s’inscrivait
dans une soif de pleine communion à la personne de Laurence.
La consommation en serait alors le couronnement.
Jérôme ne pouvait plus, ne voulait plus résister à cette pulsion
naturelle de l’amour.
***
Jérôme avait connu la tempête. Sa conscience avait été vive-
ment secouée par de tumultueuses bourrasques. Cependant inca-
pable de faire marche arrière, il était désormais sous le joug de
la passion amoureuse.
Jérôme et Laurence avaient maintes fois discuté de la com-
plexité de leur relation ; avaient abordé les difficultés inhérentes à
sa poursuite ; l’avaient considérée sous toutes ses coutures, mais
sans jamais envisager la rupture comme issue probable.
Jérôme incarnait habituellement le rôle d’éveilleur
de conscience, qui étalait les obstacles à la poursuite de cette
relation clandestine ; Laurence incarnait le rôle de la modéra-
trice, qui y trouvait légitimation et suscitait apaisement. Comme
si Jérôme s’assurait de soumettre tout obstacle au tribunal de
124
***
— Frédéric, j’aime les échanges que nous avons depuis notre
première rencontre, j’aime surtout la complicité que nous avons
développée. C’est intéressant de pouvoir confronter ses idées
avec quelqu’un qui a reçu la même formation de base et qui a les
mêmes référents. Pourtant, quand nous étions au Grand Sémi-
naire, rien ne laissait présager que nous pourrions éventuellement
être à ce point sur la même longueur d’onde.
— Ouf ! Heureusement, on a fait du chemin depuis le Grand
Séminaire. La vraie vie s’est chargée de nous remettre sur les rails.
— En tout cas, elle a bouffé bon nombre de nos illusions.
— Elle nous a surtout fait découvrir que nous avons plus de
connivences que de différences.
— Ça devient de plus en plus important pour moi. Ça me fait
tellement de bien de pouvoir parler de ce que nous vivons dans
notre état de vie, notre fameuse « vie consacrée ».
— Ça relativise et ça favorise le discernement, mais surtout,
ça permet de prendre des distances.
125
126
127
128
129
131
132
***
Quand elles s’étaient retrouvées seules , les deux femmes
avaient poursuivi l’échange :
— Pauvre Jérôme ! Un si bon gars, plein de bonne volonté, mais
c’est quand même difficile pour lui de prendre le virage.
— J’ai l’impression qu’il est dépassé par toutes ces nouveautés
en pastorale. Pour le dire franchement, Rachel, je suis d’avis
qu’il n’est tout simplement pas fait pour être pasteur. Je ne sais
pas trop comment l’expliquer, mais on dirait qu’il plane dans
d’autres sphères.
— Heureusement qu’il n’est pas au courant de l’expérience
que j’ai vécue auprès d’un malade en phase terminale, la semaine
dernière. Il serait aux abois.
— Raconte-moi donc !
— Comme tu le sais, je consacre une journée par semaine au
Centre Sacré-Cœur pour les personnes en perte d’autonomie.
Or, il y avait là un homme âgé du nom de Réginald, qui n’était
vraiment pas commode. En fait, il avait le don d’horripiler tout
le personnel autant par ses remarques mesquines que par ses
133
134
135
Alors là, j’ai senti que c’était le temps d’intervenir, de dire ce que
j’avais d’ailleurs préparé depuis un bon moment.
136
138
139
Licence enqc-13-114289-LIQ435583 accordée le 10 novembre 2020
à sebastien-cote
***
Les moments en compagnie de Laurence étaient une autre
oasis dans la vie de Jérôme. Ces moments faisaient maintenant
partie de sa vie comme une nourriture dont il ne pouvait ni ne
voulait plus se passer. C’était dans la plus harmonieuse récipro-
cité que les deux amoureux vivaient leur passion. Ils trouvaient
toujours moyen, chacun de leur côté, de subtiliser à leur horaire
respectif quelque espace, afin de se gaver ensemble des sulfureux
plaisirs de l’amour.
Ni l’un ni l’autre n’éprouvait remords ou culpabilité. Pour
Jérôme, c’était cette grâce qui lui permettait de s’évader des
préoccupations quotidiennes et d’assumer les responsabilités
ministérielles auxquelles il ne comptait d’ailleurs pas se dérober.
Pour Laurence, c’était une compensation pour l’absence de
passion au sein de son couple, compensation qui lui permettait
de rester dans le giron familial afin d’assurer à ses deux jeunes
enfants une stabilité propice à leur croissance. Leur relation
amoureuse ainsi rationalisée évoluait d’autant plus aisément
qu’ils étaient également complices quant à leurs goûts et fan-
tasmes dans l’assouvissement érotique. Ils aimaient se conforter
en se disant, avec un brin d’humour, que c’était pour eux une
vitamine pour une meilleure hygiène mentale à long terme, ou
un palliatif aux tribulations p
onctuelles.
Ce jour-là, dans un élan de tendresse, Jérôme lui avait dit :
— Je ne peux plus m’imaginer la vie sans cet amour que nous
partageons. Je trouve simplement très difficile de ne pas t’avoir
140
141
***
Après que Laurence l’eut quitté, Jérôme était monté dans son
auto et avait roulé un peu au hasard. C’était sa journée de congé
et il avait éprouvé le besoin d’aller réfléchir ailleurs qu’entre les
murs de son presbytère. Il avait finalement emprunté une route
longeant un boisé qui menait à un lac tout à fait splendide.
C’était une journée ensoleillée d’octobre, enjolivée du cha-
toyant coloris des arbres, agrémentée du chant des oiseaux. Les
enfants étaient encore à l’école, les adultes, encore au boulot. À
part une dame âgée qui promenait son chien à bonne distance,
Jérôme se retrouvait seul dans le silence de la nature. Il s’assit
directement par terre, les genoux repliés encerclés de ses bras.
Il s’abandonna au calme ambiant. Pendant un long moment,
il n’engagea aucune réflexion particulière, laissant son esprit
vagabonder, libre de tout contrôle. Puis, les paroles de Laurence
s’insinuèrent tranquillement. Son sacerdoce ! Qu’en était-il ?
Il avait beau essayer d’y réfléchir, ses pensées s’entremêlaient
sans déboucher sur aucune avenue. Ou était-ce que Jérôme ne
voulait pas qu’elles s’alignent dans une orientation précise ?
Qu’elles le dirigent prématurément dans une voie qui déciderait
déjà de son avenir ? Comme s’il ne voulait pas d’un choix qui le
fixerait irrévocablement dans un état plutôt que dans un autre.
Il balaya alors de son esprit ces paroles de Laurence.
D’ailleurs, ses pensées revenaient immanquablement vers
ses parents, vers sa mère surtout. Il ne pouvait ignorer la fierté
qu’il lisait sur son visage chaque fois qu’elle le voyait affairé à ses
occupations ministérielles. Chaque fois alors, pour ses parents,
142
145
J’ai eu beau essayer... j’ai fait semblant... je me suis fait accroire que
ça allait, que ça irait... Je ne suis pas heureux.
Jocelyne est partie, elle s’est engagée ailleurs. Elle s’est peut-être dit
qu’elle pourrait travailler avec un curé plus stimulant. Raymonde,
qui la remplace, fait un bon travail avec Rachel. Oui, Rachel, une
force de la nature. Une perle ! Ça fait longtemps qu’elle a pris l’initiative
de faire son travail sans trop compter sur moi. J’allais écrire « sans
perdre son temps à me demander mon avis ». Elle le fait sans arrogance,
147
***
Frédéric avait déjà flairé la détresse de son ami au moment de
l’appel téléphonique. Il avait alors décidé de lui accorder tout
l’espace requis, en toute intimité, là où ils ne seraient dérangés
par personne. Il l’avait donc convié, ce dimanche après-midi,
au chalet de ses parents. Il avait allumé un feu dans l’âtre. Les
flammes crépitaient, c’était chaleureux, ça sentait bon. Puis il
avait débouché une bouteille de vin blanc. – Ça stimule la verve,
s’était-il dit.
— Viens t’asseoir confortablement. J’ai tout le temps voulu.
— Merci, Frédéric. Quel beau décor !
Prendre le temps de se fondre dans la chaleur ambiante, de
s’imprégner du climat propice à la confidence, Frédéric ne vou-
lait rien précipiter. D’emblée, Jérôme sentit descendre en lui une
paix qu’il n’avait pas éprouvée depuis un bon moment. Il était
content, rassuré.
148
149
150
Licence enqc-13-114289-LIQ435583 accordée le 10 novembre 2020
à sebastien-cote
151
152
***
Il avait avisé son équipe pastorale qu’en raison d’une fatigue
accrue et sur recommandation de son médecin (petit mensonge
pieux), il devait s’accorder une semaine de repos. Il s’était alors
retiré dans le silence d’un cloître, celui de l’abbaye cistercienne
d’Oka. Il aurait là toute latitude pour organiser son emploi du
154
155
Licence enqc-13-114289-LIQ435583 accordée le 10 novembre 2020
à sebastien-cote
156
157
158
159
161
***
En début d’après-midi, Jérôme s’était rendu au bureau du père
Damien, avec en main les feuilles griffonnées de ses réflexions
de la matinée.
— Vous avez l’air en forme, frère Jérôme.
— Après notre rencontre d’hier, je me suis accordé plein repos,
physique et mental. Ce matin, je me suis réveillé, léger, l’esprit libre,
prêt à me soumettre à l’exercice que vous m’avez recommandé.
162
163
164
***
Quand, pour la troisième fois, Jérôme se présenta au bureau
du sage moine, il affichait un sourire satisfait. Le moine lui rendit
son sourire et, sans prononcer une parole, lui indiqua d’un geste
de la main le fauteuil où il l’invitait à prendre place.
— Merci, Père. Je crois pouvoir dire que, cette fois, vous
m’avez amené à franchir le seuil.
— S’il y a un seuil franchi, le mérite vous en revient. Je n’y
pourrais rien si vous n’aviez d’abord manifesté des dispositions
favorables et, surtout, fait montre de la volonté requise.
— C’est clair et net, je ne veux pas poursuivre dans la voie du
ministère paroissial. Je ne veux plus être curé. Je veux réorienter
mon avenir.
— Et comment ?
— J’aimerais m’inscrire à un programme en théologie. De
quelle envergure, je ne saurais encore le dire ; mais je veux aller
là où on aborde les questions religieuses, les données de la foi,
de l’histoire de l’Église, où on aborde tous ces sujets sous l’angle
de la science.
— Et cet endroit se trouve... ?
165
166
168
169
***
Un grand pas venait d’être franchi. Jérôme était rentré au
presbytère soulagé, satisfait. Il respirait d’aise, avec le sentiment
qu’à ce moment même, l’horizon s’ouvrait clair et lumineux
devant lui. Au mitan de sa vie, il avait la possibilité de rompre
avec un passé jonché de doutes et d’insatisfactions et de poser
le pied sur un sol qui lui permettrait de redessiner son avenir en
harmonie avec son être profond. Ou n’était-ce pas surtout que,
fort de ce passé, il pouvait désormais s’aligner aguerri et éclairé
vers un futur à sa mesure ? Il jubilait à la pensée de se retrouver
bientôt à l’université, ce lieu de haut savoir où il pourrait enfin
épancher cette soif intellectuelle jusque-là trop souvent sacrifiée
aux exigences d’un service pastoral qui lui convenait si peu.
« Pourvu que vous ne choisissiez pas la Faculté de théologie de
l’Université de Montréal, où l’on véhicule toutes ces idées et hypo-
thèses plus loufoques les unes que les autres. Un véritable endroit
pour perdre la foi. » Cette remarque de son évêque tintait encore
à ses oreilles et le faisait sourire. N’était-il pas justement en
train de feuilleter le syllabus de ladite Faculté ? Il s’était, en effet,
170
***
Le dimanche après-midi, Jérôme s’était rendu chez ses
parents. Omer et Cécile vivaient seuls dans la maison familiale
que leurs enfants avaient quittée l’un après l’autre, depuis un
bon moment déjà. C’était toujours, pour eux, une grande joie
d’accueillir Jérôme, ce fils prêtre dont ils se faisaient gloire dans
leur entourage. Bien sûr, Jérôme ne les avait jamais entretenus
de ses difficultés en paroisse. Il ne voulait surtout pas les attrister,
pas plus d’ailleurs qu’il ne souhaitait exposer à leurs yeux cette
faiblesse personnelle qui le rongeait intérieurement.
Jérôme avait simplement avisé ses parents qu’il voulait leur
faire part d’un nouveau projet. Sa sœur, Micheline, serait à la
maison et il s’en réjouissait. Il aimait particulièrement cette
femme brillante, ouverte et cultivée, avec laquelle il avait de
belles conversations chaque fois qu’il en avait l’occasion. Elle
171
172
173
175
177
178
***
À l’université, si Jérôme se mettait volontiers à l’écoute de
quiconque requérait son aide ou simplement son attention, il
aimait aussi se retirer seul à la grande bibliothèque des sciences
humaines de l’institution. Dès que les travaux étaient assignés
par les professeurs, il s’y rendait afin de se procurer les ouvrages
recommandés avant que d’autres ne les retirent des rayons. Il
aimait, de toute façon, se retrouver dans le silence de ce lieu, dans
cette ambiance si propice à la cogitation. Il lui arrivait même, le
midi, d’y manger son sandwich et d’y siroter son café en atten-
dant le retour en classe, en début d’après-midi.
Jérôme aimait la solitude, mais il se délectait aussi d’échanges
privés avec quelques étudiants avec lesquels il se reconnaissait
des affinités. Parmi eux, il y avait cet aspirant à la prêtrise, Ray-
mond, qui, dès les premiers jours, s’était tourné vers lui et le
rejoignait immanquablement au signal de la pause. Ce jeune
homme au rire franc, qui fumait cigarette sur cigarette et qui
travaillait comme serveur dans un bar gai, adorait discuter avec
Jérôme des contenus de cours, des compétences et de la péda-
gogie des professeurs. Assis sur les larges rebords des fenêtres
qui longeaient un long couloir du pavillon, ils n’en finissaient
de ressasser et de refaire ensemble la matière acquise en classe.
Raymond s’étonnait de voir Jérôme, ce prêtre déjà doté d’une
longue formation théologique, reprendre le parcours du début.
179
180
181
Licence enqc-13-114289-LIQ435583 accordée le 10 novembre 2020
à sebastien-cote
182
184
185
186
***
187
188
189
Licence enqc-13-114289-LIQ435583 accordée le 10 novembre 2020
à sebastien-cote
***
Cette rencontre entre Jérôme et le professeur Mayrand n’avait
été que la première d’une très longue série. Elle ne serait effec-
tivement que le début d’un long cheminement qu’ils feraient
ensemble dans les méandres de la science, certes, mais sur les
voies de l’amitié, surtout.
191
***
192
193
***
194
195
***
Petit à petit, les lignes de son avenir professionnel se dessi-
naient. Jérôme n’aurait encore su préciser exactement le cadre
dans lequel il évoluerait, mais il se voyait de plus en plus net-
tement transmettre ses nouvelles connaissances et, surtout, les
mettre à profit pour un plus large public.
197
***
L’étudiant voguait sur la lancée des encouragements de ses
professeurs. Il entrait cependant dans un régime tout à fait
différent de ce qu’il avait connu au cours de ses deux premiers
cycles d’études. Un parcours qui faisait appel à l’autonomie du
candidat ; un parcours qui, hormis les séminaires de recherche
obligatoires, lui laissait pleine initiative quant à l’organisation
de son horaire.
Jérôme bénéficiait d’un bureau dans les locaux mêmes de la
Faculté, ce qui le rendait particulièrement heureux. Il était en effet
coutume à l’université de mettre des bureaux à la disposition
des doctorants. Non seulement cela favorisait-il la rencontre
des doctorants entre eux, mais cela permettait également une
certaine cohabitation avec les professeurs.
Jérôme croyait rêver. Tout de cet environnement lui plaisait.
Plus il le fréquentait, plus il réalisait qu’il avait enfin atterri dans
son véritable domaine, dans ce milieu auquel il appartenait véri-
tablement. Il se rendait à son bureau tôt le matin, pour souvent
198
***
Il avait fallu bien peu de temps avant que la Faculté recon
naisse les aptitudes de Jérôme à l’enseignement. Bien que les
offres de charges de cours fussent soumises aux procédures d’ap-
pel de candidatures, il avait sans trop de mal obtenu son premier
cours d’été sur le campus. Un cours qui devait évidemment être
connexe à son champ d’études.
Jérôme avait travaillé pendant des mois à la préparation de ce
cours. Il le découvrait maintenant, la mise en œuvre d’un cours
universitaire nécessitait effectivement des mois de recherche et
de labeur. Mais chaque étape préparatoire lui confirmait qu’il
avançait pas à pas dans ce monde où il se sentait vraiment heu-
reux. Et pourtant, il avait encore peine à croire que lui, Jérôme,
allait offrir un cours dans cette prestigieuse Faculté. Ce serait en
plein cœur du mois de juillet. Un cours intensif qui se donnait à
raison de trois heures par jour, pendant trois semaines.
199
***
Au moment où Jérôme était devenu doctorant à la Faculté
de théologie, son ami Raymond, quant à lui, entrait au Grand
Séminaire afin de parachever sa formation en vue d’accéder au
sacerdoce. Bien qu’il ait déjà terminé avec succès ses études de
baccalauréat et de maîtrise à la Faculté de théologie, l’évêque de
son diocèse posait comme condition à son ordination qu’il fasse
une année supplémentaire au Grand Séminaire. Une exigence qui
reflétait bien la méfiance que nourrissaient les autorités ecclésiales
à l’égard de la formation offerte à la Faculté. Raymond s’y était
conformé, tout simplement parce qu’il tenait à accéder à la prê-
trise. N’eût été que cette formalité lui faisait perdre une année,
200
201
203
***
204
205
206
207
Licence enqc-13-114289-LIQ435583 accordée le 10 novembre 2020
à sebastien-cote
208
210
***
L’intervalle entre les deux rencontres ne fut certes pas le plus
favorable aux cogitations académiques. Les efforts de concen-
tration de l’un et de l’autre sur leurs travaux respectifs étaient
sans cesse entrecoupés de flashs de la veille ou tissés de propos
qu’ils anticipaient en vue de leur rencontre du lendemain. Cet
intervalle leur avait, en tout cas, permis à tous les deux de mettre
de l’ordre dans leurs idées et de bien se préparer à un échange
qu’ils voulaient fructueux.
Le lendemain soir, Jérôme se présenta à l’heure convenue.
211
212
213
214
216
217
218
219
220
221
222
225
***
Il y était arrivé quelque peu tardivement ; y avait néanmoins
fait une brillante carrière. Il avait connu un vif succès dans ses
salles de cours ; il avait contribué à l’avancement de l’exégèse
biblique, tant par ses écrits que par ses prises de parole, sur la
scène nationale et internationale. Il avait noué de valeureux liens
avec les ténors de sa d iscipline.
Était-ce la joie ? Était-ce la nostalgie ? Ou était-ce la joie teintée
de nostalgie qui l’animait en ce moment ? Jérôme avait désiré
cette retraite ; il n’en ressentait pas moins une douloureuse
déchirure à la pensée de quitter la scène. Une scène où il avait
connu des moments de gloire les plus gratifiants. Une scène
qui l’avait propulsé dans les sphères du haut savoir. Une scène
227
228
229
***
Ces quinze années de vie professionnelle avaient été fort
gratifiantes, mais elles avaient aussi été ponctuées d’épreuves. Son
grand ami Raymond était décédé d’un cancer du poumon. « Je
ne l’ai pas volé, disait-il dans les derniers moments de sa vie, j’ai
tellement fumé. » Un décès qui avait beaucoup affecté Jérôme, car
les deux comparses avaient une grande complicité intellectuelle,
qui s’affirmait tant dans leur pratique que dans leurs croyances.
Il y avait aussi sa relation avec Catherine, qui s’était quelque
peu effritée, ou simplement transformée. Elle avait vieilli, ses
intérêts avaient évolué... et sa libido aussi. Tous les deux se
rencontraient encore à l’occasion, mais la fréquence de leurs
intimités avait progressivement décliné, jusqu’à se tarir tout à
fait. Une situation dont Jérôme s’était d’ailleurs bien accommodé.
Chaque année, au cours de ses vacances, il revenait à Maria,
son village natal. Mais là encore, les choses avaient bien changé.
Ses parents étaient décédés depuis quelques années déjà, tan-
dis que ses sœurs Francine et Suzanne ainsi que son frère Alain
avaient quitté le village. Il n’y restait que Micheline, toujours à la
direction du musée de la région.
Micheline et Jérôme avaient toujours entretenu de belles
connivences. Elle s’était toujours intéressée au parcours de son
frère. Trop intuitive pour que celui-ci puisse lui dissimuler ses
états d’âme, elle s’était faite sa complice depuis leur jeunesse.
Jérôme valorisait son ouverture d’esprit et sa grande discrétion.
Il ne manquait donc pas de partager avec elle ses expériences, ses
questionnements, ses secrets. Elle l’accueillait avec joie lors de ses
retours au village. Et précisément au cours de l’été où il avait pris
sa retraite, Jérôme était revenu refaire le plein d’énergie, et de
souvenirs aussi, sur le bord de la magnifique Baie-des Chaleurs.
230
231
***
Depuis son séjour dans son village natal, Jérôme ne cessait de
ressasser cette longue conversation qu’il avait eue avec sa sœur,
Micheline. Tout refaisait surface avec acuité et ténacité, braquant
résolument les projecteurs sur tant de pensées qu’il avait souvent
mijotées, d’opinions qu’il avait exprimées. Des pensées et des
opinions qui prenaient maintenant un nouveau relief.
Un bagage de réflexions qu’il avait effectivement développées
au fil de ses années en théologie et qui avait fait de lui un chré-
tien critique à l’égard de la religion, certes, mais sans pour autant
remettre en cause sa pertinence. Il avait dénoncé, lutté, mené ses
combats à l’intérieur même de son appartenance religieuse. Mais
voilà que maintenant, c’était précisément la pertinence même
de cette appartenance qu’il remettait en cause, ce qui le troublait
profondément. Banaliser la question, la refouler, rien n’y faisait.
Au contraire, elle s’imposait obstinément.
233
234
***
235
236
237
239
***
240
241
242
243
***
Jérôme avait glissé entre les pages de son grand cahier noir
une synthèse de la discussion qu’il avait eue avec son ami Gilles.
Ces dernières entrées lui apparaissaient désormais comme un
vis-à-vis qu’il pouvait regarder, scruter, juger.
Une ahurissante conclusion s’imposait effectivement à la
conscience de Jérôme. Une douloureuse brisure lui déchirait
l’âme. Jérôme contemplait son grand cahier noir et malgré la
souffrance qu’il éprouvait à cet instant même, il lui reconnaissait
tout le mérite de l’avoir entraîné dans la lumière. Ce cahier avait
une vie, il lui insufflait le courage de réacheminer son avenir dans
la cohérence de ses convictions.
Jérôme aurait-il pu seulement deviner que le grand cahier noir
allait devenir le médium responsable de ce revirement radical ?
***
Ce fut le jour où Jérôme renonça à la soutane, à son appar
tenance à l’Église. C’était, à ses yeux, l’incontournable condition
pour devenir disciple de Jésus. Il avait quitté le grand Montréal et
était revenu s’établir dans sa Gaspésie natale. Dans sa demeure,
qui lui offrait une vue imprenable sur la Baie-des-Chaleurs, il
allait enfin entamer cette nouvelle carrière à laquelle il avait tant
rêvé. Alors que s’estompaient les douceurs de l’été, il honorerait
la promesse d’écrire son premier roman.
Odette M a in v ille
À Maria, en Gaspésie, les parents de Jérôme nourrissent de
grands projets pour ce fils aîné, doué, rangé et sérieux. Ils
Le grand cahier
rêvent surtout de le voir poursuivre ses études et un jour, devenir
prêtre. Le jeune garçon avancera confiant sur cette voie toute
tracée, franchissant une à une les étapes qui le mèneront vers
de Jérôme
l’ultime objectif.
Ordonné prêtre au terme de ses études au Grand Séminaire
de Montréal, Jérôme reviendra exercer son ministère dans sa
Gaspésie natale, pour la plus grande fierté de ses parents et de
tout son village également.
L e g r a n d ca h i e r d e J é rô m e
Avec la fougue de sa jeunesse et l’ardeur de sa foi, Jérôme
s’investira pleinement dans les fonctions qui lui seront attribuées
en paroisse. Mais le chemin pour atteindre ses ambitions sera
plus sinueux que prévu. Jérôme se heurtera à de cuisants échecs
et à de douloureuses humiliations. Il se verra alors contraint de
réorienter sa vocation, ce qui l’entraînera sur des sentiers impré-
vus, lesquels occasionneront de tumultueux bouleversements.
Intrigues, confidences et même liaisons amoureuses, Jérôme
les confie à son grand cahier. Chaque page tournée ouvrira
alors sur de nouvelles avenues et suscitera de nouvelles prises
de conscience.
www.groupefides.com
F
Licence enqc-13-114289-LIQ435583 accordée le 10 novembre 2020
à sebastien-cote