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M O N D E Bienvenue à Goma

D A N S L A M Ê M E C O L L E C T I O N

Rachel CORENBLIT
SHALOM SALAM MAINTENANT / 2007

Unni NIELSEN
RITA , N EW YORK , 1964 /2007

Marita DE STERCK
AVALER TOUT CRU / 2007

Isabelle COLLOMBAT

Illustration de couverture : Valérie Gutton


Crédits photographiques :
Enfants Rwanda © Jean François LEFEVRE - Fotolia.com
Appareil photo © Psop Photo - Fotolia.com
Graphisme : Frank Secka

© Éditions du Rouergue, 2008


Parc Saint-Joseph - BP 3522 - 12035 Rodez CEDEX 9
Tél. : 05 65 77 73 70 - Fax : 05 65 77 73 71 - www.lerouergue.com ÉDITIONS DU ROUERGUE
à Benoît

Si le mensonge, ou le silence, est insupportable,


la vérité l’est tout autant.
Jean Hatzfeld
Été 2006

On dit peu de choses à la radio, ce 3 juillet 2006,


de la nouvelle. Pourtant, la cour d’appel de Paris
vient de rendre une décision essentielle, fonda-
mentale.
Les magistrats de cette juridiction ont confirmé
que le travail mené au Rwanda dix mois plus tôt
par la juge d’instruction était valable, qu’elle avait
respecté les lois et les procédures en allant
recueillir les plaintes de six rescapés rwandais dans
leur pays. Bien sûr, on est encore loin du procès.
Au moins ces six hommes et femmes qui, début
2005, ont déposé plainte contre X devant le tri-
bunal aux armées de Paris pour complicité de
crime contre l’humanité et/ou complicité de géno-
cide sont-ils, pour le moment, assurés que la
Justice continue d’enquêter, et c’est déjà énorme.
La télé se tait aussi et il n’y a presque rien dans
les journaux. Les médias qui abordent vraiment le

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sujet se comptent sur une main. Moins qu’une depuis huit ans déjà. J’y suis entrée, à l’époque,
main. Le Monde, Libération, Radio France juste pour ce combat-là, et d’autres sont venus
Internationale. C’est à peu près tout. s’agréger depuis.
On respire, on souffle, on reprend de l’air. Six rescapés rwandais.
Encore que, dans ce « on », c’est surtout la Six, ils ont entre vingt-cinq et quarante-neuf
Justice qui respire, qui souffle, qui reprend de l’air. ans.
Je n’oublie pas les millions de morts, les paquets L’un d’eux avait quatorze ans à l’époque, il
de victimes, les survivants et toutes leurs familles, raconte que les militaires français assistaient aux
et tous leurs proches. faits sans bouger, six qui affirment que l’armée
Mais la Justice quand même, les joues rouges, française a été complice du génocide. Viols, assas-
essoufflée, honteuse, mal à l’aise, qui aspire à dire sinats.
le droit, rien que le droit, et qui saute à cloche- – C’est grave, un génocide, Elsa ! C’est grave si
pied, à cause de tous les bâtons qu’on lui jette dans notre pays a versé là-dedans ! me chuchotait
les pattes, la Justice peut continuer son travail. Ce Lucie.
n’est pas rien, ça ne suffit pas, mais c’est déjà ça Les mots quasi inaudibles s’étranglaient dans sa
d’avoir le droit de chercher à savoir. gorge.
– Je suis fier de toi, souffle Seán, mon mari, dans Je ne disais rien, c’était il y a douze ans.
le téléphone. Tout ça, c’est grâce à ton cabinet – Tu te rends compte ?
d’avocats, à ton patron qui t’a écoutée, à vos Elle continuait :
efforts, aux tiens, surtout, depuis toutes ces – Si notre pays a participé à ça, de près ou de
années. loin, je veux le savoir. Pourvu que tout cela soit
La bataille a été longue, âpre. Elle est loin d’être faux… Mais, si c’est vrai, la seule façon de ne
finie, et encore moins gagnée. Le sera-t-elle pas mourir de honte, c’est d’enquêter et de le
jamais ? dénoncer.
La Justice est autorisée à instruire les plaintes Je ne disais rien, ce jour-là, à Lucie, je ne com-
des clients du cabinet pour lequel je suis employée prenais pas encore, je captais le sens des mots, mais

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ce qu’ils signifiaient vraiment, ça, je ne le savais instant-là, je ne l’ai su que plus tard, longtemps
pas. Il faut parfois vivre les mots pour les com- après, Lucie faisait de moi une combattante, une
prendre, les vivre et les laisser infuser en nous. guerrière, celle que je suis aujourd’hui. Mes armes
Saisir le sens du mot « génocide », rien de plus sont en papier, des kilomètres de lois, et les cahiers
difficile, l’intelligence le peut dans une certaine de Lucie que j’ai gardés depuis douze ans. Là,
mesure, mais quand même, il faut s’y reprendre à maintenant, je la sens avec moi, plus que jamais,
plusieurs fois, lire des livres, voir des films, tout près de moi, avec son regard aigu, ses doigts
entendre les témoignages, regarder les photos. osseux.
– Je ne te dis pas que les militaires français ont Je pleure enfin Lucie.
été des génocidaires, murmurait Lucie. Mais ima-
gine qu’ils les aient aidés, armés ?
Je n’imaginais pas, je n’y croyais pas vraiment,
il y a douze ans.
Mais, ce 3 juillet 2006, les paroles de Lucie me
hantent. Il y a douze ans, je ne disais rien, je
l’écoutais, la vie me paraissait immense et exal-
tante, je ne voulais rien faire comme tout le
monde, je désirais sentir mon cœur battre comme
au grand huit, mais plus fort, mais sans cesse, rien
n’était grave, nous étions éternels.
– Complice d’un génocide ? articulait Lucie. Tu
te rends compte ? Je ne cherche pas à faire un
scoop. Je veux savoir ce qui s’est vraiment passé.
Je secouais la tête. Son insistance m’avait aga-
cée. Lucie était trop grave, trop sérieuse. Elle pre-
nait la vie excessivement à cœur. Pourtant, à cet

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