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GOMA, PRISE DANS DES

TENDANCES PROTÉIFORMES
ANALYSE SYSTÉMIQUE DES CONFLITS

1
À propos du Consortium

Le Consortium constitué de MSI, International Alert et International Rescue


Committee (IRC) œuvre dans le domaine de la consolidation de la paix et du
développement. Il travaille directement avec les populations locales affectées par des
conflits violents afin d’améliorer leurs perspectives de paix, de stabilité et de
développement à travers la promotion d’une approche participative. Il cherche
également à influencer les politiques et les méthodes de travail des gouvernements,
des organisations internationales, des entreprises multinationales et des initiatives
locales afin de réduire les risques de conflit et de renforcer les démarches de paix.
Ce Consortium aide les populations à trouver des solutions pacifiques aux conflits en
se focalisant sur les questions relatives à la paix dans les régions à haut risque. Cette
approche, qui vise la transformation des conflits et cherche à apporter des réponses
dans des situations fragiles, repose sur une compréhension et une appréciation
profondes du contexte du pays et de la dynamique des conflits.

Pour plus d’information, veuillez visiter le site www.international-alert.org ou


www.msiwordwide.com

À propos du Projet SPR-AKM

Le Projet « Solution pour la paix et le Relèvement - Amani Kwa Maendeleo (SPR –


AKM) » est initié et financé par USAID et mené par un Consortium formé par les
organisations Management Systems International (MSI), International Alert et
International Rescue Committee (IRC). Ce projet vise à renforcer l’influence des
institutions et structures communautaires locales de consolidation de la paix et ainsi
accroître la cohésion sociale dans l’Est de la République Démocratique du Congo. Ceci
n’est possible que par la mise en œuvre des solutions issues des analyses
participatives, les recherches sur les conflits, l’inclusion et l’autonomisation des
femmes et des autres groupes marginalisés. Pour le moment, le projet se focalise plus
particulièrement sur six territoires à savoir, au Sud –Kivu, Walungu, Kabare, Kalehe et
la ville de Bukavu, et au Nord-Kivu, Masisi et la ville de Goma. À travers un processus
de recherche-action participative, le Projet SPR-AKM vise à renforcer les structures de
recherche et d’analyse des conflits ainsi que le gouvernement local afin de soutenir les
processus communautaires inclusifs qui permettront de trouver des solutions aux
conflits dans les zones ciblées.

2
Remerciements

Cette étude a bénéficié de la contribution de plusieurs expertises. Nous tenons à


remercier les organisations et leurs équipes de recherche qui, au sein des
communautés vivant dans différents quartiers de la ville de Goma, y ont pris part. La
collecte des données a été essentiellement prise en charge par l’équipe de recherche
de Pole Institute. Monsieur Emmanuel Sebujangwe a piloté le projet en collaboration
avec une équipe dévouée de consultants et de membres qui ont contribué à la
conception et à l’avancement du projet SPR-AKM. Nous les en remercions.

3
Sigles et abréviations
AKM Amani Kwa Maendeleo
ANR Agence Nationale de Renseignement
Asbl Association sans but lucratif
AVEC Association Villageoise d’Épargne et Crédit
CIMNOKI Compagnie Immobilière du Nord-Kivu
CIRGL Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs
CPDQ Cellule de Paix et de Développement du Quartier
FARDC Forces Armées de la République Démocratique du
Congo
FGD Focus Group Discussion
IRC International Rescue Committee
ISSSS Stratégie Internationale de Soutien à la Sécurité et à la
Stabilisation
M23 Mouvement du 23 mars
MESORE Meilleure Solution de Rechange
MSI Management System International
ONG Organisation Non Gouvernementale
OPAK Office des Produits Agricoles du Kivu
OTRACO Office des Transports au Congo
PAPS Plans d’Action Provinciaux de Stabilisation
PLU Plan Local d’Urbanisation
PNC Police Nationale Congolaise
PNVI Parc National des Virunga
RAP Recherche-Action Participative
RDC République Démocratique du Congo
SOCOPA Société Coopérative de la Production Agricole
SPR Solution pour la Paix et le Relèvement
SPS Stratégies Provinciales de Stabilisation
STAREC Stabilisation et Reconstruction de l’Est du Congo
TDR Termes de Référence
TRAPAK Transformation du Pyrèthre au Kivu
USAID United States Aid for International Development

1
Sommaire
Sigles et abréviations ................................................................................................................. 1
RÉSUMÉ OPÉRATIONNEL ...................................................................................................... 3
INTRODUCTION ........................................................................................................................ 7
1. Contextualisation de la recherche .................................................................................. 7
2. Objectifs de l’étude .......................................................................................................... 8
3. Structure du rapport ........................................................................................................ 9
PREMIÈRE PARTIE Approche méthodologique : regards brassés ....................................... 10
DEUXIÈME PARTIE Goma, un espace qui a toujours attisé les convoitises ......................... 15
2.0. Introduction .................................................................................................................... 15
2.1. Goma, Ngoma ou Mboma : un toponyme conflictogène .............................................. 16
2.1.1. « Goma » comme dérivé de « Ngoma » ................................................................ 16
2.2. Cependant, Goma n’est jamais perçue comme « une ville » ....................................... 17
2.3. Goma, un héritage vicié mais bien préservé ................................................................ 17
2.4. Goma ou le vêtement qui bâille..................................................................................... 18
2.5. Goma, une ville intelligente mais victime de son intelligence....................................... 19
2.6. Goma, une ville audacieuse et politiquement ambitieuse ............................................ 20
TROISIÈME PARTIE Coup de projecteur sur Goma, minée par les conflits.......................... 21
1. Contexte de la ville de Goma ........................................................................................ 21
2. Contextualisation des communes de Karisimbi et de Goma ....................................... 23
2.1. Pour la Commune de Karisimbi ................................................................................ 23
2.2. Pour la Commune de Goma...................................................................................... 26
QUATRIÈME PARTIE Lecture des résultats des données RAP pour la ville de Goma......... 28
1. Regards sur les fils conducteurs des conflits ............................................................... 28
2. Les parties prenantes dans les conflits......................................................................... 32
3. Les conflits de Goma et la dollarisation de la vie ......................................................... 33
4. Les mécanismes de transformations de conflits .............................................................. 34
5. Les risques auxquels la ville de Goma est confrontée .................................................... 38
CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS .......................................................................... 43
Recommandations................................................................................................................ 45
BIBLIOGRAPHIE .................................................................................................................. 49
ANNEXES ................................................................................................................................ 53
Annexe A : Types de conflits priorisés par quartier des communes de la ville de Goma ...... 53
Annexe B : Questions écrites ou orales posées par les députés du Nord-Kivu (2009-2014) 54
Annexe C : « Les questions d’actualité en province du Nord-Kivu entre 2007 et 2014 » ...... 56
Annexe D : « Interpellations / Nord-Kivu » .............................................................................. 57

2
RÉSUMÉ OPÉRATIONNEL

Il suffit d’un postulat pour résumer la situation de la ville de Goma et justifier une
intervention, comme celle annoncée par le projet « Solution pour la Paix et le Relèvement /Amani
kwa Maendeleo SPR/AMK » : dans cette ville, les conflits sont devenus une partie du paysage,
si bien que les communautés locales les ont acceptés comme des institutions normales. Pour
les habitants, les conflits sont un mode de vie ; l’armée, de plus en plus oisive et mêlée à la
population, se tourne désormais vers les civils non armés. Certains agents administratifs
semblent désorientés et ne trouvent pas leur place. Tout bouge, change et avance, dans une
confusion telle que personne ne semble savoir dans quel système il se trouve embarqué. La
grande question que soulève ce sombre tableau consiste à savoir comment on en est arrivé
là, et comment en sortir.

C’est dans ce sens que le projet « Solution pour la Paix et le Relèvement / Amani kwa
Maendeleo SPR /AMK » a été conçu et initié par un Consortium de trois organisations avec
l’appui de l’USAID.

Deux éléments capitaux sous-tendent le bien-fondé du projet. Il s’agit d’abord des conflits
persistants et rampants dans la ville, avec toutes les conséquences qu’ils impliquent. Ensuite,
une question fondamentale se pose : comment appréhender un espace géographique et/ou
historique aussi mouvant que la ville de Goma ? La deuxième interrogation, et non des
moindres, consiste à savoir, d’une part, qui bénéficie de ces conflits : dans quelle mesure,
où, quand et comment ? Et d’autre part, qui y perd, où, quand et comment ? La troisième
question consiste à envisager comment sortir de la crise multiforme qui gangrène la société
de Goma.

En tant que structure organisationnelle, et étant donnée l’immense étendue du travail, une
équipe a été mise en place, composée de membres et de consultants qui connaissent non
seulement le milieu en question, mais sont aussi dotés d’une expertise en matière de
recherche et d’analyse des conflits. L’objectif du Projet SPR /AKM était de documenter,
d’évaluer et d’analyser les conflits afin de mobiliser les organisations ou les structures locales
et renforcer leur capacité d’agir dans la recherche de solutions aux conflits qui prévalent à
Goma. Aussi le projet visait-il à interpeller les décideurs afin qu’ils soutiennent les processus
communautaires inclusifs qui stimuleront ces solutions. Dès le départ, les équipes ont été
constituées, informées et formées au sujet de ce projet.

Les recherches amorcées se basaient sur plusieurs postulats : tout d’abord, la situation
conflictuelle dans la ville de Goma a tellement perduré, et avec une capacité de nuisance et
de métamorphose telle, qu’elle a handicapé les secteurs socioéconomique, politique,
sécuritaire et environnemental. Ensuite, il était crucial de rappeler que la paix, la sécurité, la
stabilité et le développement étant interdépendants, on ne peut pas concevoir l’un sans les
autres. Le troisième postulat est qu’il convient de disposer d’un espace public de dialogue

3
entre les acteurs à tous les niveaux, pour échanger autour de problématiques aussi cruciales
que l’identification des leviers d’action sur lesquels s’appuyer pour promouvoir une
cohabitation pacifique et un développement durable. Il s’est avéré que la cohabitation entre
les groupes communautaires dans la ville de Goma a toujours été sujette à de constantes
mésententes et frictions. Plusieurs raisons justifient ces frictions, parmi lesquelles :

- Une ville qui a du mal à se détacher de son histoire polémique ;

- Les enjeux de la mondialisation et d’un monde de plus en plus marchandisé et


hostile ;

- Une ville prise en étau entre son ancien statut de « centre extra-coutumier » et de
siège urbain du chef-lieu de la province du Nord-Kivu ;

- Un laboratoire des effets des nouvelles technologies, des outils électroniques à


l’industrie des armes, aussi bien qu’un laboratoire de la révision de la configuration
de la carte géographique, à commencer par la révision des démarcations internes et
externes ;

- Une forte pression démographique, l’essaimage ethnique par quartier et les clivages
sociaux ;

- Des discours provocateurs et parfois incendiaires qui exploitent les stéréotypes et


les préjugés ;

- Des recrutements et/ou créations des confessions religieuses sur base ethnique.

Toutes ces situations s’ajoutent à l’apathie, sinon au déclin, des institutions étatiques ou à
l’absence du pouvoir de l’État. Le tout est accompagné d’une forte dose de manipulation
politique. Cette situation de faiblesse due à la démission ou à l’absence de l’État et au
remaniement de la famille renforce l’enkystement identitaire tribal, religieux, politique et/ou
économique, créant ainsi un espace ouvert à divers conflits. Ces raisons ont motivé l’analyse
systémique des conflits, en vue des solutions qui favoriseraient un développement durable.

Trois parties constituent l’ossature de cette étude. La première porte sur l’approche
méthodologique à la fois diachronique, synchronique et croisée qui a été adoptée pour
réunir les données, les outils, les acteurs et les étapes parcourus pour en arriver à
l’élaboration du rapport.

La deuxième partie revient sur le lieu géographique dit « Goma ». Administrativement,


cet espace est reconnu comme « la ville de Goma ». Cependant le langage courant prouve que
« tout Goma » n’a jamais été perçue comme « une ville ». Ainsi, cette partie de la recherche
démontre les implications psychologiques de cet aspect en se basant sur les images suivantes
: « Goma ou un héritage vicié mais bien préservé » ; « Goma ou un vêtement qui bâille »

4
laissant ainsi entrevoir où peuvent s’immiscer des dynamiques positives ou négatives1 ;
« Goma, une ville intelligente mais victime de son intelligence » ; « Goma, confrontée à la
Bombe P » ; enfin, « Goma, une ville audacieuse et politiquement ambitieuse », champ
d’expérimentation des conflits.

La troisième partie présente un aperçu sur les conflits à Goma dans l’Est de la RD
Congo. Cette partie s’articule sur le fait que dans ce cas, l’histoire dicte la compréhension
de ce qui s’y passe aujourd’hui, et qu’il faut donc que l’on s’arrête sur certains faits
conflictuels identifiés. Ces faits et ce qui les motive, bien qu’il s’agisse d’une réalité
mouvante, nécessitent une compréhension profonde pour que, si possible, différents
intervenants proposent des solutions.

La quatrième partie reprend les résultats de la recherche-action participative qui a été


réalisée dans les deux communes de la ville. Une trentaine de conflits ont été identifiés et
un conflit a été priorisé par les informateurs dans chaque quartier. Il ressort des opinions
exprimées que les conflits autour de la terre et les conflits sécuritaires sont prédominants,
sur un terrain en même temps politique et psychologique.

Dans la recherche d’une première voie vers les solutions s’est affirmée la nécessité de
mener une recherche-action participative2 afin de promouvoir la cohésion sociale et la
consolidation de la paix dans la ville. Le travail consistait à faire ensuite de bons diagnostics
et à établir les facteurs de vulnérabilité et les risques de tomber dans des conflits latents et
meurtriers. Enfin, il s’agissait de faire une analyse participative des conflits à partir de la
base. S’il est vrai que certains analystes évoquent les effets de la mondialisation pour justifier
certaines défaillances qui sont plutôt de l’ordre du leadership et de la bonne gestion des
humains et de leurs biens, il convient également de reconnaître que la situation actuelle
compromet la cohésion sociale et le développement et que si personne n’y veille, l’avenir
des générations futures se trouvera sans nul doute hypothéqué et compromis.

Parmi les activités qui ont été organisées, on peut citer les réunions préparatoires pour
la planification et la mobilisation des parties prenantes. Parmi les participants aux divers
travaux en atelier, on pouvait trouver des membres de la coordination et des chercheurs de
Pole Institute, des agents des services administratifs et financiers, les bourgmestres des
communes de Goma et de Karisimbi, ainsi que les chefs de quartiers, d’avenues et de
cellules.

Les activités des réunions ainsi que des recherches étaient essentiellement participatives.
Les données étaient récoltées suivant les variables sécuritaires, sociales, politiques,
économiques et environnementales. Les participants ainsi que les chercheurs devaient
identifier et établir la part de chaque partie prenante dans les conflits ; établir les

1
BUCYALIMWE Mararo Stanislas (dir.), Cycle du mal et refus. Hommage au Prof Dr Ruriho Munanira Kibambasi, s.l., Isoko-Kivu, 2009.
2
IDS BULLETIN, Transforming Security and Development in an Unequal World, Vol. 40, n° 2, Oxford, Blackwell Publishing Ltd, mars
2009.
5
conséquences directes et indirectes des leurs actes ; envisager des voies de sortie et formuler
des recommandations aux différents décideurs. En effet, on déplore souvent une faiblesse
des institutions étatiques et un déficit de données fiables ou un dysfonctionnement d’un
mode de suivi des phénomènes comme l’urbanisation et la gestion des ressources humaines
et naturelles dans la ville de Goma. Néanmoins, s’est-on demandé quelle était la part de
chacun, de ceux qui agissent et ceux qui les poussent à agir tout comme la part de ceux qui
les observent en train d’agir ?

Que dire du « remaniement ou de la démission de la famille »3, dans laquelle on observe


actuellement des transformations au niveau du statut de la femme, de la fonction du père
et de la place de l’enfant ou de la jeunesse ?

Cinq quartiers ont été ciblés pour mener cette étude : Ndosho, Mugunga, Katoyi,
Majengo et Mabanga-Nord. C’est un fait indéniable : les solutions aux problèmes qui
frappent ces quartiers peuvent être locales, nationales, régionales, et peut-être même
internationales.

Pour ce qui est des voies de sortie, les recommandations suivantes ont été formulées :

• Il convient d’impliquer toutes les couches de la population dans la consolidation de


la paix et d’en faire le suivi. Dans ce sens, les parties prenantes ont signé un acte
d’engagement à respecter pour une paix effective.

• Il faudrait également promouvoir la construction d’un État de droit, opérer une


réforme de l’armée et de la police, et engager une sensibilisation des militaires à la
culture de la paix, en leur rappelant que leur mission est de veiller à la sécurité de la
population et de ses biens et à l’intégrité du territoire national.

• Il est également urgent de veiller à une gestion transparente de la chose publique,


ainsi qu’au renforcement et à l’amélioration de l’appareil judiciaire, en assurant son
indépendance.

• Il importe également de combattre la corruption et le trafic d’influence, de


promouvoir les valeurs de tolérance, d’acceptation mutuelle, d’intégrité et des droits
de l’homme, tout en encourageant et en appuyant la culture de dialogue et les
initiatives féminines.

• Il convient de protéger la propriété terrienne tout en renforçant la cohésion


communautaire.

3
David Pierre, Psychanalyse et famille, Préface de Françoise Dolto, Paris, Armand Colin, 1976, p. 20.
6
INTRODUCTION

1. Contextualisation de la recherche

Si les conflits dans la ville de Goma sont de vrais systèmes, de quel type de systèmes
s’agit-il ? Et s’il peut être admis que ces conflits visibles ont des effets à la fois domestiques
et extérieurs au lieu où ils s’opèrent, comment apparaissent-ils en définitive, et d’où tirent-
ils leurs forces humaines et matérielles ? Aujourd’hui, à quel plan local d’urbanisation ou
d’occupation répond la ville, si même il y en a un ? Et si les acteurs n’ont pas su faire face
adéquatement à ces conflits, comment procéder pour remédier à la situation, faire place à
une réelle cohésion sociale et promouvoir un développement durable conforme aux
objectifs mis en place à l’horizon 2030 et après ? Voila autant de questions qui condensent
le bien-fondé du projet « Solution pour la Paix et le Relèvement /Amani kwa Maendeleo ».

Cette étude s’inscrit dans le cadre des activités initiées par l’USAID en collaboration
avec un consortium constitué de trois organisations intervenant dans la transformation et
la consolidation de la paix en RD Congo et dans la province du Nord-Kivu en particulier.
En substance, ce rapport vise à présenter l’identification, le classement des priorités et
l’analyse de la dynamique des conflits dans différents quartiers de la ville de Goma, en
établissant comme buts la paix et le développement durable.

Trois grandes étapes ont marqué les activités du Projet SPR-AKM. La première était la
mobilisation des partenaires et l’information au sujet du Projet. Ensuite est venu le moment
de l’action sur le terrain, en suivant les consignes fournies pour la collecte des données,
nécessaires pour permettre aux intervenants et aux décideurs de prendre des dispositions
quant aux situations conflictuelles réelles qui prévalent dans la ville de Goma. Enfin, la
troisième étape consistait à compiler les informations recueillies et à les présenter devant
des équipes chargées de l’évaluation du travail effectué ou du rôle des parties prenantes. À
l’issue de ces trois étapes, le rapport final ci-présent a été élaboré.

Les données ont été récoltées par les chercheurs du Pole Institute dans les quartiers qui
forment les deux communes de la ville de Goma, à savoir la commune de Goma et la
commune de Karisimbi. Les premiers pas consistaient à identifier les informateurs clés qui
pouvaient leur fournir tout ce dont ils avaient besoin dans leurs recherches, afin de proposer
des solutions adéquates aux problèmes ainsi identifiés. Plusieurs types de conflits ont été
relevés dans chaque quartier. Néanmoins, étant donné que, dans le cadre de ce Projet SPR-
AKM, il ne fallait pas s’appesantir sur tous les quartiers, et encore moins sur tous les conflits
inventoriés, dix (10) quartiers ont été ciblés. Il a été demandé également aux informateurs
réunis en focus group de prioriser le conflit le plus saillant dans leur quartier respectif. Les
quartiers retenus dans la commune de Karisimbi sont Ndosho, Mugunga, Katoyi, Majengo
et Mabanga-Nord. Dans la commune de Goma, il s’agit de Lac Vert, Kyeshero, Himbi,
Mapendo et Mikeno.

Parmi les conflits qui ont retenu l’attention figurent :


- Les conflits fonciers dans les quartiers Mugunga, Lac-Vert, Kyeshero et Himbi ;

7
- Les conflits entre les forces de l’ordre, les jeunes délinquants et la population dans
les quartiers Ndosho, Katoyi et Mikeno ;
- Les conflits entre les membres de la communauté suite au non-respect des normes
urbanistiques dans les quartiers de Majengo et Mapendo ;
- Les conflits entre les instances judiciaires et la population suite à la libération des
malfaiteurs dans le quartier Mabanga-Nord.

Ces conflits ont causé plusieurs morts, ainsi que la perte de biens de grande valeur.
D’autres biens continuent d’être exposés au danger ou d’être détruits, dans l’attente qu’une
solution durable soit trouvée. Une telle situation ne peut faciliter la cohabitation des
populations.

Plusieurs acteurs ont été impliqués dans ces conflits selon leurs positions, leurs intérêts,
leurs besoins ou tout simplement les stratégies qu’ils mettent en jeu pour satisfaire ces
besoins, intérêts ou positions. Parmi ces acteurs, certains sont visibles, connus et donc
directs et d’autres sont invisibles car agissant de manière souterraine, et donc indirectement.
Une première lecture indique que parmi les acteurs figurent les forces de l’ordre (police,
militaires, renseignements), les jeunes délinquants, la population en général et les agents du
cadastre urbain. Entre les lignes, on peut déceler ce que les informateurs ont appelé une
manipulation politicienne dans certains conflits. Les politiciens font donc aussi partie des
acteurs dans les conflits qui frappent la ville de Goma. Ainsi est-on arrivé au constat que
les types de conflits prédominants à Goma sont les conflits politiques (conflits fonciers) et
économiques (conflits sécuritaires).

2. Objectifs de l’étude

Globalement, cette étude visait à analyser et à expliquer les conflits et leurs dynamiques
dans la ville de Goma, afin de suggérer des réponses appropriées. Elle consistait à faire une
analyse profonde des conflits, en identifiant leur histoire, leurs moteurs, les acteurs qui y
sont directement ou indirectement impliqués et leur capacité d’influencer les conflits ou d’y
trouver des solutions. Spécifiquement, la recherche visait à :
- Documenter les conflits qui prévalent dans la ville de Goma ;
- Renforcer les capacités des structures locales de paix et de développement au sein
des quartiers afin de les rendre plus opérationnelles, plus actives et plus utiles à la
communauté ;
- Percevoir les contextes globaux et spécifiques des conflits en analysant les facteurs
favorisants et défavorisants des conflits, et en établissant les parties prenantes, les
diviseurs et les connecteurs ;
- Formuler des recommandations en proposant des solutions susceptibles de rétablir
la paix, la confiance et la cohésion sociale, afin de promouvoir un développement
durable. ;
- Contribuer à l’intégration de la « sensibilité aux conflits et au genre » dans les
activités d’analyses et de recherche tout en insistant sur les aspects sexospécifiques.

8
3. Structure du rapport

La première partie de ce rapport porte sur l’approche méthodologique qui a été adoptée
pour réunir les données, les outils, les acteurs et les étapes parcourues pour en arriver à
l’élaboration du travail final. La tâche principale consistait d’abord à identifier les parties
prenantes, à les mobiliser et à étudier leurs actions ainsi que leurs relations avec les temps,
le lieu et les événements. Enfin, le travail devait amener les parties impliquées à une forme
d’introspection ou d’autocritique pour formuler un « pacte », dans lequel chacun s’engage à
contribuer à la cohésion sociale et à la promotion de la paix.

La deuxième partie revient sur l’espace géographique dit « Goma ». Administrativement,


cet espace est reconnu comme « la ville de Goma ». Cependant le langage courant prouve
que « tout Goma », de sa création à nos jours, n’a jamais été perçue comme « une ville ».
Cette partie de la recherche démontre cet aspect en se fondant sur les images suivantes :
« Goma ou un héritage vicié mais bien préservé » ; « Goma ou un vêtement qui bâille »
laissant ainsi s’immiscer des dynamiques positives et négatives4 ; « Goma, une ville
intelligente mais victime de son intelligence » ; « Goma, confrontée à la Bombe P » ; et
enfin, « Goma, une ville audacieuse et politiquement ambitieuse », laboratoire et/ou champ
d’expérimentation des conflits.

La troisième partie porte sur les recherches faites dans la « ville de Goma », qui font se
croiser deux approches, l’une diachronique, car l’histoire de Goma dicte la compréhension
de ce qui s’y passe aujourd’hui, et l’autre synchronique, qui demande que l’on s’arrête sur
certains faits conflictuels identifiés dans différents quartiers. Ces faits et ce qui les motive,
bien qu’il s’agisse d’une réalité mouvante, nécessitent une compréhension profonde pour
que si possible, différents intervenants proposent des solutions. Il s’agit de faire une
évaluation des facteurs sous-jacents de ces conflits et de trouver les thérapies préventives
ou curatives pour les combattre. Cependant, compte tenu des multiples interprétations que
chacun fait des conflits dans la ville, il a été nécessaire d’établir des analyses préalables du
contexte conflictuel.

La quatrième partie reprend les résultats de la recherche-action participative qui a été


réalisée dans les deux communes de la ville ainsi qu’une interprétation de ces résultats. Une
trentaine de conflits ont été identifiés et un conflit a été priorisé par les informateurs dans
chaque quartier. Il ressort des opinions exprimées que les conflits fonciers, ceux entre la
population et ceux entre la population et les forces de l’ordre et les agents cadastraux et
judiciaires ont été jugés comme prépondérants au sein des communautés. Une lecture
approfondie permet de classer tous les conflits identifiés et/ou priorisés dans deux
catégories, les conflits politiques et les conflits économiques.

4
Bucyalimwe Mararo Stanislas, Cycle du mal et refus, s.l., Isoko-Kivu, mars 2009.
9
Enfin, une conclusion fait la synthèse de tous les points clés qui fondent la recherche
SPR/AKM et émet des recommandations aux différents acteurs engagés dans les
dynamiques globales de la ville de Goma. Il ressort des différents ateliers que les participants
ont proposé les pistes de solutions suivantes :

• Élaborer des stratégies de manière collégiale afin de tenir compte de la perspective


de toutes les parties prenantes et en particulier des parties interviewées ;

• Fonder les stratégies de changement pour une cohésion effective et efficace sur des
éléments solides recueillis auprès de la base ;

• Faire un suivi permanent de l’élaboration des décisions et stratégies prises de la


conception à la clôture du programme SPR-AKM ;

• Promouvoir l’égalité dans une perspective sexospécifique, dans le cas où des


décisions ou des stratégies distinctes n’y seraient pas dédiées ;

• Aider les parties prenantes à se focaliser davantage sur des domaines jugés
prioritaires ou sur des conflits priorisés, pour leur apporter plus d’attention et
trouver des solutions plus efficaces.

• Apporter plus de clarté et de qualité au processus de conception et de mise en œuvre


du programme SPR/AKM en suivant des voies simples et participatives.

Concrètement, il a été convenu d’organiser des rencontres de réflexion et de mettre en


place un cadre de concertation visant à faire le suivi et l’évaluation de l’efficacité de l’action
des autorités en ce qui concerne la gouvernance et la sécurité. Il a été aussi convenu de
planifier des activités de plaidoyer, en tenant des réunions de partage d’information avec les
autorités locales, sécuritaires, religieuses et les leaders communautaires. Enfin, la mise en
œuvre du plan d’action a été pensée à travers l’élaboration du document de plaidoyer, ainsi
que lors de la prise de contact pour des rendez-vous et entretiens avec les autorités cibles et
les décideurs. Dans ce processus, il était aussi prévu d’organiser des réunions de restitution
des résolutions prises par tous les participants (autorités locales et sécuritaires, décideurs,
leaders religieux et communautaires), le suivi et évaluation des activités, l’élaboration du
document de plaidoyer et autre cahiers des charges. Pour ce faire, des contacts ont été ciblés
pour identifier et inviter les parties prenantes à participer aux réunions préparatoires de
plaidoyers et à l’élaboration et la validation des TDR et argumentaires.

PREMIÈRE PARTIE

Approche méthodologique : regards brassés

10
Cette étude résulte de la triangulation ou du croisement des méthodes, des données,
des sources et des théories : en premier lieu, les méthodes de recherche autour de la
recherche-action participative, puis le croisement des données.5 Il existe une abondante
littérature écrite et/ou orale sur la « ville de Goma », qui fournit des informations capitales
et qu’il fallait donc aussi interroger.

La collecte des données s’est donc faite à travers une recherche documentaire et à
travers des entretiens. La documentation ou les données secondaires ont permis d’établir
l’historique de la ville avec tous les enjeux économiques, sociopolitiques et culturels à
travers lesquels la ville s’est façonnée, tandis que les entretiens ont permis de recueillir des
informations primaires auprès de ceux qui ont vu la ville évoluer. Pour ce faire, un
questionnaire a été conçu et des discussions en face à face ou en groupe ont été organisées.
Plusieurs approches théoriques ont été croisées, à savoir la théorie du déracinement et de
l’enracinement, ainsi que la théorie du changement et de la transformation des conflits. La
recherche a été conçue dès le départ comme une étude à caractère qualitatif. Elle visait à
exploiter les idées, les opinions et les positions des habitants de la ville de Goma, qui
constituaient un échantillon.

Un premier défi remarquable consistait à harmoniser la façon de mener la collecte


des données. L’objectif n’était pas seulement de recueillir les idées et/ou opinions des
habitants ou parties prenantes au sujet des différents conflits : la tâche consistait davantage
à évaluer les modalités de la socialisation qui consciemment ou inconsciemment régissent
la vie en commun dans les différents quartiers. Dès lors, comment amener les gens à
s’exprimer sur ce dont ils ont peu ou pas conscience, comme les conflits ? Ce défi a été
posé pour être relevé à travers les différents dialogues communautaires.

Toutes les théories utilisées se fondent particulièrement sur les postulats de la


Banque Mondiale, selon lesquels d’une part « la construction de la paix est un processus en trois
phases : faire la paix, la maintenir et la faire durer », et d’autre part, tout conflit est un
développement à reculons ou à l’envers6.

La théorie du changement aide à expliquer comment une intervention donnée ou un


ensemble d’interventions sont censées produire un changement précis sur le plan du
développement, grâce à une analyse des liens de cause à effet fondée sur des éléments
concrets. Dans le contexte du PNUAD, la théorie du changement aide à guider l’élaboration
de stratégies de programme fondées sur des éléments tangibles, des hypothèses et des
risques clairement énoncés et analysés, en faisant intervenir toutes les parties concernées
par une situation qui nécessite un changement. Cette théorie permet ainsi d’identifier des
solutions pour s’attaquer efficacement aux causes des problèmes qui entravent les progrès,
et ainsi orienter les décisions à prendre, en tenant compte des intérêts de tout un chacun.

5
La métaphore “brassée” est ici en rapport avec la tactique ou le phénomène dit de “brassage” qui a été adopté par le Gouvernement central
de la RD Congo pour former une armée républicaine en unissant des Forces Armées reconnues avec les éléments de certains groupes rebelles
qui « ont accepté » de rejoindre le côté gouvernemental.
6
World Bank, Reshapping the Future. Education and Postconflict Reconstruction, Washington DC, The International Bank for
Reconstruction and Development, 2005, p. 7.
11
Elle permet aussi de prédire si les postulats et questions de départ produiront les résultats
escomptés. Elle constitue donc une boussole pour tous les intervenants dans un programme
de développement, puisqu’elle permet :
- D’apporter plus de clarté et de consistance au processus de conception et de mise
en œuvre des divers projets, ici le programme SPR-AKM, en appliquant une
approche orientée de la base vers le sommet ;
- D’expliquer et gérer les résultats jugés prioritaires. Dans ce cas il s’agit de se
concentrer sur les conflits priorisés par quartiers dans la ville et sur les
recommandations formulées à l’issue des tables rondes ;
- De promouvoir l’égalité des sexes. Dans le cadre de cette recherche, les
considérations sexospécifiques ont été jugées indispensables dans la transformation
des conflits.

Pour l’élaboration ou la bonne application de la théorie du changement, il convient


d’évoquer les éléments suivants qui ont été observés dans le cadre de cette étude :

- D’abord, la discussion consultative au sujet des enjeux et de la dynamique des


conflits, afin que chaque partie prenante comprenne les circuits dans lesquels elle
est impliquée. C’est là la première tâche à laquelle se sont attelés les chercheurs qui
ont pris part à cette étude, en considérant les acteurs de la base et ceux de la classe
dirigeante ;
- Ensuite, la collecte des éléments de preuve confirmés par une équipe ad hoc pour
confirmer leur cohérence par rapport à l’objet d’étude et au processus de prise de
décision ;
- Enfin, former une équipe de suivi et d’évaluation, de la conception à la clôture du
programme SPR/AKM.

Les plans stratégiques qui sont ressortis des divers ateliers et de la RAP étaient basés sur
les contributions des différents acteurs qui ont pris part aux tables-rondes. Ils résumaient
donc l’impact que le projet SPR/AKM espère avoir sur la vie de la communauté. Mais la
théorie du changement aidera également, lors de la mise en œuvre du programme, à établir
ses facteurs de réussite. Ceux-ci feront l’objet d’un suivi et d’une évaluation afin de rendre
compte à tous les acteurs de la façon dont le projet SPR/AKM avance et leur faire ainsi
prendre conscience des défis existants et des autres points à renforcer.

La théorie du changement appliquée par le projet SPR/AKM a des liens avec la théorie
des contacts ou des comportements sociaux basés sur l’interaction avec les autres 7. Nous
pensons aux autres et nous interagissons avec les autres de manières variées, et c’est
évidemment là l’aspect le plus fondamental de la vie en société. Robert A. Baron parle à ce
sujet de « contact hypothesis » : il reconnaît que le contact croissant entre les membres
communautaires de groupes variés, comme par exemple ceux vivant dans la ville de Goma,
peut être efficace dans le combat contre les préjudices ou les conflits en général. Le cas
contraire produit des effets indésirables et engendre des conflits. À la base de cette
hypothèse, on retrouve le phénomène de la catégorisation sociale. Celui-ci réside dans la
tendance inhérente à la nature humaine de subdiviser la société en deux catégories
7
Robert A Baron, Psychology, New Delhi (Prentice Hall), Ally & Bacon, 1995.
12
distinctes, désignées par le « nous » d’un côté contre le « eux » de l’autre. Les conditions
suivantes doivent être remplies pour que le contact soit efficace :

• Les groupes en contact doivent être égaux dans leur statut social, économique,
professionnel ou dans toute autre tâche qu’ils exécutent ensemble. Dans le cadre de
cette étude, nous observons des acteurs différents qui doivent agir dans une même
direction, c’est-à-dire le changement et le développement communautaire dans la
ville de Goma.
• L’interaction doit impliquer la coopération et l’interdépendance, pour que les
membres des groupes en contact œuvrent réellement pour un même et seul but.
• L’interaction doit se passer dans un environnement au sein duquel les normes
régissant les groupes en contact favorisent l’égalité. Ces normes doivent être
équitables pour tous, les hommes comme les femmes, les garçons comme les filles,
les lettrés comme les analphabètes, sans aucune marginalisation ni exclusion.
• Les membres des groupes en contact doivent se considérer comme des membres
effectifs et typiques de leurs groupes respectifs, et seulement comme tels.

Dans ces cas, les dimensions suivantes sont souvent impliquées dans la catégorisation
sociale : la race, la religion, le sexe, l’âge, le patrimoine, le passé ethnique, l’occupation, le
lieu ou la ville de résidence, le voisinage…

Dans cette étude, on a également effectué un croisement des données primaires et


secondaires et des méthodes pour aboutir à une approche systémique, qui permet une
meilleure compréhension des dynamiques des conflits et permet en même temps de
proposer des solutions. L’approche était essentiellement qualitative et interdisciplinaire,
pour bien appréhender les conflits et les analyser selon les exigences et les contextes sous-
jacents qui caractérisent la ville de Goma.

Parmi les outils d’analyse de conflits, on a eu recours aux images de l’oignon et de la


pyramide. L’oignon sert à déterminer ou à évaluer les positions, les intérêts et les besoins
des acteurs impliqués dans les conflits de Goma, tout en soulignant que les sources de
conflits résident davantage dans les stratégies appliquées que dans les besoins. Quant à la
pyramide, elle aide à évaluer l’équilibre des forces des acteurs et à déterminer leur capacité
d’influencer les conflits ou leurs conséquences. Ensuite, le modèle triangulaire proposé par
Johan Galtung part du postulat que tout conflit se distingue par trois axes indispensables,
qu’il faut comprendre avant d’y faire face. Il s’agit d’une contradiction de départ reflétée par
la situation conflictuelle-même. La contradiction relève de l’incompatibilité d’intérêts entre
les parties prenantes. Le deuxième sommet du triangle concerne les attitudes des acteurs.
Celles-ci sont illustrées par les perceptions que les parties ont les unes à l’égard des autres.
Ces attitudes, qui engendrent discriminations et stéréotypes, sont illustrées par des traits
émotifs comme la peur, la colère, la haine, l’amertume, etc. Enfin, le troisième élément
désigne les comportements des parties prenantes. Ceux-ci comprennent des facteurs
comme les gestes ou les actes, qui signifient soit la conciliation, l’hostilité, la coopération
et/ou l’interdépendance. Ainsi, selon Galtung, résoudre un conflit implique un changement
des dynamiques entre ces trois pôles. Ceci implique l’apaisement des comportements
13
conflictuels, le changement des attitudes et la transformation des relations ou des intérêts
incompatibles.
Un autre outil utilisé pour cette étude est le triangle de construction de la paix proposé
par Michael Doyle et Nicholas Sambanis8. Cet outil analyse le degré d’hostilité face aux
capacités locales des parties prenantes ainsi que la capacité des parties tierces à influencer
le conflit ou ses conséquences. Évidemment, ces spécialistes indiquent à juste titre que les
éléments clés de la construction de la paix sont la qualité et l’importance d’un leadership
responsable. Dans le cas de Goma, il s’agit du leadership de la base jusqu’au sommet et à
tous les niveaux. Parmi les autres éléments cruciaux, on trouve un environnement sain et
épanouissant, le bien-être social et un État de droit auxquels s’ajoutent la restauration de
l’harmonie et de la cohésion sociale, un climat de confiance et de compréhension, une
réforme du système éducatif, l’institution d’un appareil judiciaire indépendant, un soutien
continu aux parties prenantes dans leurs luttes pour une paix durable et un temps
suffisamment long pour l’apaisement des tensions entre les acteurs.

Enfin, parmi les instruments de recherche qui ont été exploités se trouvent la grille de
lecture, les guides de questions et/ou les questionnaires. Ainsi, 1500 copies de
questionnaires ont été distribuées. La grille de lecture reprenait les points essentiels comme
l’aperçu méthodologique sur les théories ou paradigmes à appliquer, l’historique ainsi que
les situations conflictuelles qui règnent dans la ville de Goma. Quant aux guides de
questions, ils reprenaient des points au sujet des relations interdépendantes, leurs
résultantes ainsi que les solutions aux failles constatées dans ces relations. La méthode
appliquée étant exclusivement qualitative, elle a le mérite de faciliter l’examen détaillé et
approfondi du sujet de recherche et la collecte des données à travers un questionnement
élargi et flexible. Néanmoins, le volume des données ainsi récoltées a exigé beaucoup de
temps pour effectuer la compilation.

8Doyle Michael W et Nicholas Sambanis, Making War and Building Peace: United Nations Peace Operations. Princeton, Princeton University
Press, 2006.
14
DEUXIÈME PARTIE

Goma, un espace qui a toujours attisé les convoitises

2.0. Introduction
Goma, chef-lieu de la province du Nord-Kivu, est située à environ 1500 mètres
d’altitude dans la vallée du Rift. Elle est bâtie au nord du lac Kivu sur les coulées de lave
issues de la chaîne volcanique des Virunga. La ville couvre une superficie de 75,72 km² et
abrite une population estimée à 1 100 000 habitants, ce qui donne une densité de 14 527
hab/km² 9. Les langues qui y sont parlées sont le Kiswahili, une des langues nationales, et
le français en tant que langue officielle, ainsi que d’autres langues congolaises. C’est en
vigueur de l’article 1 de l’ordonnance n° 89-127 du 22 mai 1989, fixant le nombre, la
dénomination et la délimitation des communes ainsi que des quartiers, que la ville de Goma
a été subdivisée en deux communes, elles-mêmes subdivisées en 18 quartiers administratifs.
Il s’agit de :

a) La commune de Goma subdivisée en : Himbi, Katindo, Kyeshero, Les


Volcans, Mapendo, Mikeno et Lac Vert ;
b) La commune de Karisimbi subdivisée en : Kahembe, Katoyi, Majengo,
Mabanga-Nord, Mabanga-Sud, Kasika, Murara, Ndosho, Mugunga, Virunga et
Bujovu.

Historiquement, la ville de Goma a toujours joué un rôle très particulier dans la


région, si bien que toutes les dynamiques qui l’affectent ont toujours eu des effets
retentissants au-delà de la ville elle-même, tant au niveau national que régional. C’est dans
ce sens que le facteur « paix et développement » de cette ville a attiré l’attention de plus
d’un10.

Cette partie du rapport présente d’abord l’espace géographique administrativement


appelé « Goma » et reconnu comme « la ville de Goma ». Cependant, le langage courant
prouve que « tout Goma », de sa création à aujourd’hui, n’a jamais été perçue comme une
« ville ». Après une brève discussion des origines polémiques du toponyme « Goma », cette
partie de la recherche démontrera pourquoi il est fallacieux de parler de « tout Goma
comme d’une ville », en se basant sur les images suivantes : « Goma, un héritage vicié mais
bien préservé » ; « Goma ou un vêtement qui bâille » laissant ainsi s’immiscer des
dynamiques positives et négativesl11 ; « Goma, une ville intelligente mais victime de son
intelligence » ; « Goma, confrontée à la Bombe P » ; et enfin « Goma, une ville audacieuse
et politiquement ambitieuse », laboratoire et/ou champ d’expérimentation des conflits.

9 Cfr Plan provincial de Contingence 2014- 2020.


10
Bucyalimwe Mararo Stanislas, Cycle du mal et refus, s.l., Isoko-Kivu, mars 2009.
11
Ibid.
15
2.1. Goma, Ngoma ou Mboma : un toponyme conflictogène

Plusieurs sources tant orales qu’écrites s’accordent à dire que le lieu qu’on appelle
« Goma » prend son nom de « Ngoma », quand d’autres parlent de « Mboma ». Ces deux
mythes microtoponymiques méritent que l’on s’y arrête dans le cadre de cette étude, car
quelque part, ils cachent quelque chose du conflit.

2.1.1. « Goma » comme dérivé de « Ngoma »

« Ngoma » est un vocable swahili qui signifie « tambour ». On retrouve cette


étymologie dans différents rapports de la Mairie de Goma12, dans plusieurs travaux et
mémoires de fin d’études et même dans des publications de certains auteurs. Il en va de
même de certaines sources orales. Pourquoi donc « Ngoma », et comment ce mot accoucha-
t-il de « Goma » ? Les différents informateurs assimilent le nom « Goma » aux bruits
semblables à ceux des tambours qui se faisaient entendre dans l’espace encore vide qui
deviendra plus tard la ville. Certains disent que ces bruits provenaient des volcans, quand
d’autres disent que les bruits provenaient des vagues du lac Kivu, qui se faisaient entendre
à travers une falaise située du côté du « cercle sportif », et qui servait de passage aux femmes
et jeunes filles qui allaient chercher de l’eau au lac. Mais tous ces bruits se rejoignaient sur
la petite colline au sud de la ville, qui porte le nom de « Mont Goma ».
Une autre version parle des tambours que l’on jouait réellement sur le « Mont Goma »
à chaque arrivée du Roi qui, d’après certains informateurs, venait du Rwanda, tandis que
pour d’autres, il venait de Gishari, un pays « Hunde » dans le fin fond de la province13.

Traditionnellement parlant, le premier village qui y était implanté fut surnommé « mu


Ngoma », l’actuelle Goma. A la question de savoir d’où vient ce nom « Goma », le vieux N.
I.14 dira tout simplement que le nom vient de la colline qui aujourd’hui porte le nom « Mont
Goma », mais pour son sens ? Il n’en sait rien. Et de « Mboma » à Goma ? Certains
informateurs affirment qu’un Roi Hunde originaire du Gishari s’appelait « Hangi wa Mboma »,
qui se traduit par « Hangi fils de Mboma ». Ce dernier aurait visité plusieurs fois la région, et
lors de chacun de ses séjours il se reposait sur la colline dite « Mont Goma ». Il y aurait même
érigé son trône, dont les traces étaient encore visibles vers les années 1970. C’est donc par
déformation de ce nom « Mboma » par le premier Blanc qui l’aurait transcrit que d’abord la
colline puis toute la ville portera le nom de « Goma ».

2.1.2. Les conflits symboliques autour du toponyme « Goma »

12
Voir les rapports de la Mairie de Goma (2014, 2015, etc.).
13
Entretien avec RNM, mai 2019.
14
Le nom n’est pas dévoilé pour des raisons éthiques de recherche.
16
Les différentes étymologies du toponyme « Goma » reflètent des tendances
conflictuelles, chacun cherchant à s’approprier la paternité du nom. Les Hunde autant que
les Hutu (Bagoyi) tiennent à ce que l’origine du toponyme, et donc de la ville, leur
appartienne. Les Bakumu ne sont pas en reste, puisqu’ils revendiquent cet espace,
particulièrement pour ce qui est de la terre, du foncier. Graphiquement, ces considérations
donnent à lire un schéma ainsi représenté :

HUTU/TUTSI : Ngoma =
SWAHILI : Ngoma = Tambour, Pouvoir,
Tambour Époque, Règne

GOMA
HUNDE : Ngoma = KUMU: Ngoma =
Tambour Tambour / Terre

« Mboma » = Chef
Hunde de Gishari DOCUMENTATION
Goma = Ngoma
(instrument)

Toute la polémique autour de ce toponyme reflète en effet un discours belliqueux, une


appropriation du lieu qui commence par une question linguistique, qui semble n’être qu’un
détail mais prend une vraie importance symbolique, puisque cette réclamation, d’abord
linguistique, conduit à terme à la réclamation de la terre.

2.2. Cependant, Goma n’est jamais perçue « une ville »


Administrativement, ce qui s’appelle aujourd’hui « Ville de Goma », subdivisée en
deux communes, n’a jamais été une ville unie dans l’esprit de ses habitants. Cette lapalissade
un peu singulière cache quelque chose de psychologiquement profond, soit une division
sociogéographique – lieu et habitants – des peuples, qui se considèrent comme un
conglomérat d’individus et non comme un seul peuple congolais vivant à Goma. Cette
division géographique renforce donc une division humaine ou ethnique.

2.3 Goma ou un héritage vicié mais bien préservé


Où se situe exactement Goma comme « ville » dans le langage des habitants ? Cette
question, selon qu’on la pose à quelqu’un qui vient de Mugunga, de Kanyamabuye, de Rwasama,
de Ndosho, de Himbi, de « Majengo mapya ou Kinyanguge», de Virunga (anciennement Brazza),
de Mabanga, de Kabutembo ou Bujovu, etc., donne lieu à une réponse un peu surprenante,
aujourd’hui en 2019. En effet, si l’on demande à quelqu’un de ces lieux d’où il vient ou où
il va, il vous répond sans rechigner : « Je vais en ville » ou « je viens de la ville ». Il peut donc
arriver de rencontrer à Katindo quelqu’un qui vous dit qu’il revient « de la ville » ! Cela suffit

17
à montrer que dans l’esprit des habitants, l’espace dit « Goma » est subdivisé en « ville » et
« ailleurs ». Tout part de la période coloniale, quand Goma fut construite. Un ensemble
d’éléments annonçaient déjà une situation qui un jour serait trouble : l’occupation de Goma,
d’une part, et la construction, ou même la répartition des classes sociopolitiques ou
professionnelles de la ville même.

Au sujet de l’occupation, la tradition orale nous donne une version intéressante de


la formation de ce qui s’appellera par la suite « Goma » : « Les gens venaient du Bugoyi en groupes
familiaux et disaient se rendre vers le Gishari kya Nyiramulisi ! Puis, ils se choisissaient une place
convenable, d’abord pour le transit, et ensuite pour y habiter »15. Au départ donc, il n’y avait aucune
loi en matière d’occupation des terres dans l’espace géographique dit « Goma » qui, du reste,
était non seulement vide d’habitants mais aussi dénué de chef connu.

Quand Goma est construite par la CIMNOKI16, deux parties se distinguent : la


première couvrait l’espace connu comme « Brazza » (l’actuelle « Virunga ») et la partie dite
« Office », dont une grande partie était connue comme « Camps ya leta » ou « résidence des
agents de l’État ». La seconde partie couvrait la partie sud de la ville, à partir du rond point
« Signers » jusqu’au lac (Mu Karo ou Ku Mwaro)17. C’est la place qui était réservée aux colons,
et qui concentrait les infrastructures importantes de la ville. Cet héritage perdure aujourd’hui
dans l’esprit des habitants. La désignation de « ville » est restée mais est vécue
psychologiquement comme un regroupement « des gens selon leur appartenance
ethnique », ce qui gangrène Goma tout entière. Les gens ont jalousement préservé cette
subdivision dans leurs esprits, ce qui est au fondement de la catégorisation sociale.

D’autre part, le milieu dit « Goma » garde encore simultanément des images
contradictoires de « ville » comme centre urbain et d’entité rurale, si bien qu’on ne perçoit
pas clairement l’écart entre les deux, du moins dans certains endroits. Il est vrai qu’avant
l’éruption volcanique de 2002, ce « conflit » toponymique s’affirmait au sein même de la
ville : une place à l’office en plein centre de Goma a même longtemps porté le nom de
« cité » … Le marché dit de Kahembe est à la fois dans la ville de Goma et fait référence au
territoire extra-urbain de Nyiragongo.

2.4. Goma ou le vêtement qui bâille


Il est reconnu que depuis ses origines, Goma a toujours été un carrefour ou lieu de
passage du Sud (Sud-Kivu) vers le Nord de la Province du Kivu ou vers d’autres pays
frontaliers, notamment la ville voisine de Gisenyi au Rwanda. Goma a accueilli une grande
variété de gens d’origines différentes pour constituer une communauté, qui les
envelopperait tous comme « tissu social », formé d’habitants d’une même ville : même

15
Entretien avec le Vieux N.I. à Goma, mai 2019.
16
La « Compagnie immobilière du Nord Kivu », une Compagnie ou société belge qui n’avait son siège qu’à Goma et à Bruxelles en Belgique.
C’est cette compagnie qui construira notamment les quartiers dits « Brazza », qui deviendront « Virunga » et le quartier « Office ».
17
Ku mwaro : similarité avec le luganda qui signifie le lieu d’embarcation ou d’accostage au bord du lac.
18
province et même République.18 Hélas ! Comme souligné ci-dessus, les tendances ou
l’instinct grégaire ou plutôt d’essaimage selon les ethnies a gangréné et corrompt toujours
la cohésion sociale. Le tissu social est réellement et profondément déchiré et laisse voir les
parties vulnérables et les faiblesses de la ville, soit l’absence d’harmonie sociale.

2.5. Goma, une ville intelligente mais victime de son intelligence


Quels facteurs ont contribué à la construction de la ville de Goma ? Il semble qu’une
motivation avant tout économique a été à la base de la construction de Goma. À l’origine,
la ville était destinée à accueillir des personnes de différentes régions de la République
Démocratique du Congo d’abord, et d’ailleurs ensuite. C’était donc une ville ouverte aux
autres19.

L’histoire dit qu’à ses débuts, la ville ne comptait que 70 habitants, qui travaillaient
pour les Blancs. Plus tard, surtout entre 1945 et 1960, beaucoup d’activités économiques
s’y développèrent, comme la construction du port de l’OTRACO, l’ouverture des usines
qui traitaient des produits agricoles, comme SOCOPA et TRAPAK qui étaient chargées de
traiter du pyrèthre, Thé Lipton pour le thé, etc. On trouvait également des magasins
spécialisés comme « Kibabi » et SEDEC. Des banques s’installèrent également. Toutes ces
infrastructures ont fait appel à beaucoup d’ouvriers. Aujourd’hui que ces infrastructures
n’existent plus, tous ces ouvriers et leurs familles ne sont pas rentrés d’où ils venaient, et ils
ne sont pas non plus partis ailleurs. On a parfois l’impression à Goma d’être face à une ville
hantée, parcourue par des habitants nostalgiques, leurs progénitures se bousculant dans les
rues pierreuses et fantomatiques20.

D’après les historiens, « Goma » a toujours été l’épicentre des conflits qui ont miné
le Congo21. Elle et sa voisine, Gisenyi, constituent comme une seule ville22.

En 1951, la ville de Goma a été élevée à la fois au rang de Territoire et de Chef-lieu


du District du Nord-Kivu. Le fait de reconnaître le Nord-Kivu comme District était justifié
par le rôle économique très important que jouait Goma en 1950. Il faut ajouter à cela

18
Lire Roland Barthes, Le Plaisir du texte, dans lequel l’auteur s’interroge : « L’endroit le plus érotique d’un corps, n’est-il pas là où le
vêtement bâille ? », rappelant que cet endroit est source de désirs, de convoitises et de luttes.
19
Bucyalimwe Mararo Stanislas, « Goma (Nord-Kivu,RD Congo). Point de mire et de paradoxe » in Cycle du mal et refus, s.l., Isoko-Kivu,
2009, pp. 64-120.
20
Ibid.
21
Turner Thomas, The Congo Wars. Myth or Reality, 2007, p. 126.
22
Le Rapport de la mairie de Goma, 2015, brosse le tableau suivant de la ville et de ses origines : « Traditionnellement parlant, « Goma » serait
la déformation de « NGOMA » qui signifie en swahili « tambour ». Ce mot serait une référence au bruit du tambour qui résonne. La résonance
dont il est ici question était le grand bruit, similaire au son du tambour, provoqué par l’éruption volcanique. C’est ainsi que, en mémoire de ce
grand bruit, après l’éruption volcanique primitive, le premier village qui était implanté fut surnommé « MU NGOMA », l’actuelle GOMA.
Vers 1900, Goma a eu des contacts avec les colonisateurs. En 1906 fut fondé le poste de Goma, en face du poste allemand de Gisenyi. Il devait
jouer un rôle militaire, puis plus tard devenir un office de l’état civil. Dans les mêmes perspectives, vers les années 1930, son site actuel
correspondait aux camps des travailleurs du chemin de fer de l’État (CFE). Ce camp aurait été initialement établi au bord du lac Kivu vers l’Est
du site. A l’époque, Goma était le point d’aboutissement du réseau du VICI-CONGO et servait de port d’étape pour le transbordement des
produits agricoles et du matériel de construction provenant de Bukavu ou à destination de Bukavu. En 1945, Goma fonctionnait comme un
poste d’État en dépendance du Territoire de Rutshuru. Après cette période, ce poste fut une entité autonome, détachée de la juridiction de
Rutshuru. Par la suite, Goma grandit rapidement : avec une population de 1000 habitants en 1948, il est déjà identifié comme un petit centre
actif, en mesure d’abriter les services d’un Parquet de grande instance et d’autres éléments marquants. C’est le décret du 8 septembre 1954 qui
donne à la ville de Goma le statut de centre extra-coutumier, avec une population estimée à 8600 habitants. »
19
l’arrivée massive des colons blancs autour des années 1945 à 1950 dans l’ex-Kivu, ainsi que
l’extension de l’exploitation minière.
Deux autres faits historiques marquent les années 1959 et 1994 : Goma accueille
coup sur coup les réfugiés rwandais, d’abord les Tutsis, puis les Hutus. La ville avait
également accueilli des refugiés ougandais vers 1985, dans une perspective humanitaire.
Aujourd’hui, la ville apparaît parfois comme saturée, avec une population qui se partage
péniblement l’espace, parfois pour des questions de survie et de sécurité, souvent de bien-
être en général. Les trente dernières années, Goma a accueilli des milliers de déplacés
internes fuyant les conflits dans leurs territoires et villages. Toutes ces personnes ne sont
pas retournées dans leur région d’origine. Il faut ajouter à cela les milliers de touristes qui
sont passés à Goma, dans le parc de Virunga et les autres lieux touristiques de la zone. Ces
changements ont eu des conséquences néfastes sur la ville.

Pour ce qui est des défis posés par la population de Goma en général, le Plan
provincial de contingence (2014-2020) dresse un tableau très rapide : « La Ville de Goma est
caractérisée par une forte démographie, suite à l’exode rural dû aux problèmes socioéconomiques et aux
mouvements de population occasionnés par l’insécurité constante en province du Nord-Kivu ». Ceci
confirme que Goma a toujours été une ville d’accueil et de refuge.

2.6. Goma, une ville audacieuse et politiquement ambitieuse

Si le Nord-Kivu a un jour été qualifié de grenier du Zaïre et des pays limitrophes,


Goma constituait une interface de redistribution des grains et autres produits vivriers vers
d’autres destinations. La ville a prouvé qu’elle pouvait rivaliser avec la capitale sur de
nombreux plans, par exemple en accueillant des dignitaires et politiciens comme le roi
Baudouin de Belgique, et bien d’autres. Une fois libéré, Nelson Mandela est descendu à
Goma. Après sa prise de pouvoir, le Président de l’Ouganda Yoweri Museveni a fait son
premier voyage à Goma. Goma a accueilli les présidents de la Communauté Économique
des Pays des Grands Lacs (CEPGL) et abrite actuellement une Banque (la BDGL) qui
s’inscrit dans le cadre de cette organisation régionale. Les anciens présidents Benjamin
Mkapa de la Tanzanie et Olusegun Obasanjo du Nigeria ont voyagé à Goma. La ville a
produit des politiciens qui ont pris part à la Table ronde de Bruxelles avant l’indépendance,
ainsi que des ministres des premiers gouvernements de la République Démocratique du
Congo.

La ville de Goma a été créée par la compagnie belge CIMNOKI, qui n’avait son
siège qu’à Goma et à Bruxelles. Elle a abrité le siège de la Coopération Zaire-Canada, qui
n’opérait qu’au Nord-Kivu, avec son siège dans la ville même de Goma.

Alors que Goma n’était que le siège d’une « sous-région » dépendant de la Région du
Kivu, elle a été dotée d’un aéroport international qui pouvait accueillir de gros appareils,

20
avant même l’aéroport de Bukavu, chef-lieu de la région. Tout ceci suffit à montrer combien
la ville a été convoitée, et elle le reste aujourd’hui23.

Au niveau politique, un coup d’État a été proclamé à Goma le 2 août 1998 contre le
Président congolais de l’époque24. Goma a ainsi eu pendant quelque temps le statut de
« capitale » d’un État à l’Est de la RDC. Un mouvement sociopolitique qualifié de
« Rwandophone » a été aussi proclamé à Goma25.

Ces quelques exemples prouvent que Goma a toujours été une ville ambitieuse, que
ce soit politiquement, économiquement ou au niveau humanitaire.

TROISIÈME PARTIE

Coup de projecteur sur Goma, minée par les conflits

1. Contexte de la ville de Goma


Quel portrait de la ville de Goma ressort de la méthode RAP et des informateurs qui
ont pris part à cette étude ? Les résultats de la RAP ne font pas mention des menaces
meurtrières causées par le volcan qui se dresse au-dessus de la ville. Ils ne rendent pas
compte non plus de l’entassement ou de l’étouffement observé dans le système de

23
Bucyalimwe Mararo Stanislas, op. cit.
24
Un certain Sylvain Buki a ainsi déclaré ce jour-là à Goma : « Tunamuondowa Kabila madarakani », qui se traduit : « Nous destituons le
Président Kabila de ses fonctions ».
25
Thomas Turner, The Congo Wars. Conflict, Myth & Reality, Londres et New York, Zed Books, 2007, p. 143.
21
construction, qui découle probablement du plan local d’urbanisation ou du plan
d’occupation du sol.

Plusieurs cas de conflits, 39 au total, ont été identifiés dans les deux communes de la
ville. Cependant, dans le cadre de cette recherche, il fallait prioriser un seul conflit par
quartier, celui que les informateurs jugeaient le plus remarquable. Ainsi, les conflits suivants
ont été identifiés et priorisés : les conflits fonciers dans la Commune de Goma et les conflits
sécuritaires dans la Commune de Karisimbi.

D’après les groupes de discussion organisés dans le cadre de la collecte des données, ces
conflits ont pour acteurs directs les habitants eux-mêmes, leurs dirigeants locaux, c’est-à-
dire ceux de la base, les forces de l’ordre, les agents de l’État œuvrant dans certains secteurs
comme celui de l’eau, de l’électricité ou alors celui des services cadastraux, des titres fonciers
et de l’urbanisme. A ces groupes s’ajoutent les « gardes-chiourmes » ou geôliers, à la suite
de tout l’appareil judiciaire. Les uns et les autres, en complicité avec la hiérarchie, libèrent
les malfaiteurs sans rendre de jugements équitables au préalable, ou rendent des jugements
arbitraires sous l’influence de responsables haut placés coupables de trafic d’influence et de
corruption.

Les constats tirés de ces entretiens ont donné lieu à des tables rondes conclusives, qui
avaient principalement pour objectif d’organiser des dialogues entre les différents acteurs
et élaborer des plans de cohésion sociale. Spécifiquement, ces forums visaient à :

- Amener les structures locales et les parties prenantes à une compréhension


commune des défis liés à la recrudescence de l’insécurité et aux questions foncières ;
- Définir des pistes de solutions et formuler des recommandations pertinentes pour
relever les défis sécuritaires et fonciers dans ces deux communes ;
- Mettre en place un plan de cohésion sociale axé sur les résultats des analyses des
dynamiques de conflits et de la RAP ;
- Définir les mécanismes de mise en œuvre et de suivi du plan de cohésion sociale et
du plan d’action élaborés et adoptés de commun accord.

Sur le plan méthodologique, la démarche consistait dans un premier temps, à contacter


les structures de paix et leur présenter le projet « Solution pour la paix et le Relèvement /Amani
kwa Maendeleo », ainsi que le processus de recherche. La suite du travail consistait à mener
une recherche participative dans cinq quartiers-pilotes dans chaque commune. La validation
du rapport final a abouti à la formulation de cahiers des charges au cours des mini-dialogues
ayant réuni les membres des différents groupes. Le schéma adopté lors du mini-dialogue
consistait à « s’accuser d’abord, puis accuser les autres pour finalement formuler des recommandations »
par rapport aux faiblesses constatées et aux éléments qui facilitent la recrudescence de
l’insécurité ou les problèmes fonciers.

22
2. Contextualisation des communes de Karisimbi et de Goma
Les études menées au niveau des deux communes ont indiqué que l’insécurité constitue
un problème capital dans la Commune de Karisimbi, alors que le foncier constitue la
pomme de discorde dans la Commune de Goma. Pour ce faire, il a été nécessaire de faire
appel aux groupes indexés et d’organiser des mini-dialogues. Les sujets identifiés au cours
de ceux-ci feraient l’objet d’une table ronde, au cours de laquelle les représentants de ces
groupes discuteraient et élaboreraient un plan de cohésion sociale à mettre en œuvre
ensemble. Les parties impliquées étaient les agents de l’ordre (ANR, PNC, FARDC), les
animateurs des structures locales de paix, les brocanteurs, les jeunes de la rue, les motards
et autres anti-gangs, les autorités et cadres de base, les propriétaires de maisons de tolérance
et de débits de boissons, etc. En plus de ces catégories, des élus du peuple ont aussi participé
aux tables rondes.

Pour chaque commune, quatre groupes de travail à caractère hétérogène ont été formés
afin de traduire les recommandations formulées en actions à entreprendre à court, moyen
et long terme afin de lutter contre l’insécurité ou les problèmes fonciers. Les plans adoptés
étaient basés sur les recommandations initialement formulées. Les participants devaient
ainsi les transformer en actions tout en prenant soin d’indiquer les stratégies de réussite, les
résultats attendus, les indicateurs objectivement vérifiables, les responsables, ainsi que la
période de mise en œuvre. Les résultats des échanges ont fait l’objet de présentations en
plénière à l’issue desquelles des actes d’engagement visant à traduire en faits concrets les
plans de cohésion ont été signés par tous les participants.

Il ressort du processus d’identification, de priorisation et d’analyse des dynamiques des


conflits dans les deux communes, mené avec le consentement de toutes les couches de la
communauté, que l’acte d’engagement doit nécessairement s’articuler avec la
reconnaissance des effets néfastes de l’insécurité et des conflits fonciers. Ces effets sont par
exemple une peur constante et des dissensions sans fin, ainsi qu’un impact négatif sur le
développement socio-économique des habitants de ces espaces.

2.1. Pour la Commune de Karisimbi

Une table ronde pour la Commune de Karisimbi a eu lieu les mercredi 13 et jeudi 14
mars 2019 à l’Hôtel La Joie Plazza de Goma. Elle a réuni 85 participants dont 28 femmes
habitant ou œuvrant dans la commune. Des échanges et des commentaires ont permis de
formuler une observation. Selon les participants, la situation dans la commune de Karisimbi
semble avoir empiré, au vu des cas d’assassinats qui y sont observés. Par ailleurs, il s’avère
que les résultats de ces assises constituaient un point de départ pour les législateurs, qui
doivent les traduire en lois pour lutter contre l’insécurité. En outre, il a été rappelé que les
services de renseignements et la police disent abusivement se servir de « PERCI (personnel
civil) », alors que cette catégorie d’agents relève exclusivement du domaine militaire, et qu’il
conviendrait plutôt de parler de « collaborateurs » dans ces deux catégories de services.
23
Plusieurs causes sous-jacentes de l’insécurité ont été épinglées : la prolifération des
maisons de tolérance ainsi que des débits de boissons fortement alcoolisées, la prolifération
des marchés pirates et la vente de cannabis, les taxes illégales perçues par les délinquants, le
manque d’eau potable et d’énergie électrique, la multiplication des églises de réveil, le taux
élevé de chômage et de salaires payés irrégulièrement, les déguerpissements désordonnés et
intempestifs des petits vendeurs informels des marchés pirates. Les parties prenantes ont
ajouté à cette liste le manque de collaboration entre la population et les forces de l’ordre, la
mauvaise approche des certains agents face à la population, l’association de malfaiteurs
entre certains agents de l’ordre et des jeunes délinquants, la multiplication des groupes de
délinquants et la libération des malfaiteurs par les instances judiciaires et les forces de
l’ordre. Tout ceci est accompagné de diverses violations des droits de l’homme.

D’autres facteurs de causalité évoqués sont la nomination des chefs locaux sur la base
de critères politiques, la manipulation de la population par les politiciens et la crise de
confiance entre la population et les chefs de quartiers d’une part et entre la population et
les instances judicaires d’autre part. Tous ces éléments sont liés à la pauvreté qui frappe le
gros de la population.

En outre, il s’est avéré qu’il ne fallait pas oublier le phénomène des « colonels sans
fonction » et des travailleurs de « fin d’heure », ravisseurs de biens de valeur se servant de
motos sous couvert des autorités militaires. À ces groupes s’ajoutent les jeunes démobilisés
qui errent dans certaines zones sans encadrement ni occupation.

Parmi les résultats qui ont été atteints, les discussions ont permis d’identifier les
différentes manifestations de l’insécurité ainsi que les acteurs (directs ou dans l’ombre) : la
population a pu reconnaître le rôle joué par les agents de l’ordre, les axes les plus dangereux
ont été identifiés, les faits historiques ayant renforcé l’insécurité ont été rappelés, et des
pistes de solutions ont été proposées par la population. Le plan de cohésion sociale a été
élaboré et un Comité de suivi composé de 11 membres a été constitué. Enfin, un acte
d’engagement a été signé par tous les 85 participants.

Ainsi, pour ce qui est des conflits sécuritaires, les participants à la table ronde ont
formulé entre autres ces recommandations :

• Que soit stoppée la pratique de certains militaires qui entrent dans les débits des
boissons avec leur tenue militaire et leur escorte ;

• Que les conditions sociales des forces de l’ordre soient améliorées ;

• Qu’une étroite collaboration soit établie entre la population, les cadres de base et les
agents de l’ordre, et que ces derniers opèrent selon la loi régissant leur statut ;

• Que ces agents et ceux des services de sécurité soient dotés des moyens matériels
nécessaires pour leurs interventions ;
24
• Que les normes et statuts des associations de brocanteurs soient strictement
respectés ;

• Que l’administration publique soit dépolitisée ;

• Que les personnes qui collaborent financièrement avec les groupes armés soient
identifiées et dénoncées pour être punies ;

• Il faudrait déloger les civils des camps militaires et policiers et caserner les militaires
et policiers habitant la cité ;

• Il faudrait aussi éradiquer les groupes dit « anti-gangs ».

Ainsi, les signataires des actes d’engagement se sont décidés à accompagner ces
recommandations en les traduisant en faits concrets, tout en y adjoignant les actions
suivantes :

1. Dénoncer les malfaiteurs et leurs collaborateurs ; appliquer sévèrement la


loi tout en mettant en place des mécanismes de protection des informateurs
et témoins ;
2. Créer un mécanisme de suivi des dossiers ayant trait à l’insécurité, en
collaboration avec les autorités judiciaires et politico-administratives, les élus
du peuple et la population ;
3. Mettre en place un mécanisme de dénonciation anonyme et secrète des
agents qui se rendent coupables d’actes prohibés, et exiger que tous les cadres
de base résident dans les espaces qui sont sous leur responsabilité ;
4. Organiser des activités de rapprochement entre la population et les agents de
l’ordre et renforcer les cadres d’échanges permanents entre les cadres de base
et la population ;
5. Règlementer les marchés dits « noirs » par un édit provincial ou une loi
nationale et créer d’autres marchés publics ;
6. Mener un plaidoyer pour la dotation des services spécialisés de sécurité en
équipement et en moyens et auditer sur l’utilisation de ces moyens et
équipements ;
7. Organiser des ateliers de renforcement des capacités des agents de l’ordre et
des services spécialisés de sécurité ;
8. Mener des actions de plaidoyer auprès des élus nationaux pour voter une loi
obligeant les opérateurs du secteur de la télécommunication à installer dans
chaque bureau des services de sécurité des équipements de géolocalisation et
de contrôle de leurs abonnés, de fournir les informations complètes et
correctes de leurs abonnés dans un délai de 24 heures dès leur saisie par les
services de sécurité ;

25
9. Mener des plaidoyers auprès du gouvernement pour que les autorités locales
soient élues et pour que soit organisé le recrutement en fonction du mérite
au lieu de la nomination dans les fonctions publiques ;
10. Mener un plaidoyer pour que l’autorité municipale reporte l’arrêté créant le
service « anti-gangs » et renforcer le système judiciaire et pénitencier
congolais ;
11. Organiser les activités de renforcement des capacités des autorités, cadres de
base et agents de l’ordre, portant sur leur rôle et leurs responsabilités ;

2.2. Pour la Commune de Goma

Les groupes de discussion ont révélé que les voisins se querellent parfois à cause des
parcelles. D’autres fois, des lopins de terre sont vendus et revendus par un même vendeur
à plus d’un acheteur. On relève même des cas où un seul lopin de terre dispose de plus de
deux documents ou titres qui confondent les acheteurs d’un même et seul produit à des
prix et moments différents.

Les autres causes des conflits fonciers qui ont été établies sont : l’utilisation des
inciviques par les propriétaires des parcelles litigieuses pour exécuter des actes
d’enlèvement, assassinats et kidnapping contre l’autre partie ; la présence de constructions
anarchiques rendant la cohabitation sociale difficile quant à la gestion des servitudes et des
murs mitoyens ; le non-respect des normes urbanistiques et cadastrales ; des parcelles non
mises en valeur et qui hébergent des hors-la-loi ; la promiscuité due à la surpopulation ; la
prolifération des marchés pirates ; l’absence de démarcations claires entre le Quartier Lac-
Vert et le PNVI ; la spoliation des espaces verts et autres terrains d’intérêt public (rues,
terrains de déboisement dans les quartiers) ; les superpositions des titres et des signatures
et une nomenclature imprécise des frais administratifs pour l’obtention des titres fonciers ;
la lenteur des cours et tribunaux pour des litiges fonciers et autres formalités
administratives ; le trafic d’influence et autres manipulations de la population par les
politiciens, ou l’ingérence des politiciens et militaires dans le foncier ; la signature des arrêtés
de lotissement sans enquête préalable et sans consultation des cadres de base ; les conditions
de vie précaires des agents de l’administration foncière.

Pour faire face à ce problème, une table ronde a eu lieu les vendredi 15 et samedi 16
mars 2019, à l’Hôtel La Joie Plazza. 84 participants (dont 14 femmes) y ont participé. On
comptait dans ce groupe des résidents de la commune, des agents de service du cadastre,
de l’urbanisme et des titres immobiliers, des agents de l’ordre, des représentants des
autochtones, des commissionnaires, des cadres de base et d’autres membres de la
communauté ainsi que des élus du peuple.

Les résultats suivants ont été atteints : les manifestations des conflits fonciers ainsi que
les acteurs ont été identifiés, le rôle joué par les agents de l’ordre a été reconnu, et des pistes

26
de solutions ont été proposées par la population. Un plan de cohésion sociale a été élaboré
et un Comité de suivi composé de 11 membres a été constitué. Enfin, un acte d’engagement
a été signé par les 84 participants. Ceux-ci ont formulé les vœux suivants :
• Que les services cadastraux et des titres immobiliers affichent les tarifs d’obtention
des documents fonciers et qu’ils déterminent le délai des démarches d’obtention
desdits documents. Que l’autorité compétente réduise le coût des titres et
documents parcellaires et que les cadres de base qui apposent des signatures pour
des raisons de témoignage soient sanctionnés conformément à la loi ;

• Que soit opérée une réforme de l’administration foncière et qu’une franche


collaboration s’établisse entre les services de gestion foncière et la population ;

• Que les commissionnaires soient identifiés, immatriculés et recyclés pour leur


permettre de bien mener leurs activités et que les autochtones respectent les contrats
qu’ils signent avec leurs clients ;

• Que les cadres de base signent les actes de vente après enquête sur terrain et que la
population soit informée que seuls les services d’urbanisme sont habilités à mener à
bien le morcellement, selon le plan d’urbanisation de la ville ;

• Que soient identifiés les titres immobiliers délivrés frauduleusement afin de


poursuivre les coupables selon la loi ;

• Que soient améliorées les conditions sociales des chefs des quartiers et cadres de
base ;

• Que soit effectuée une vulgarisation de la loi foncière et du code pénal dans toutes
les langues locales, et que le Gouvernement et ses partenaires mobilisent des moyens
pour la formation de la population en matière de résolution des conflits fonciers et
de loi foncière et que soient adaptés les textes concernant la reconnaissance des
droits de jouissance des autochtones (articles 387 à 389 de la loi foncière) ;

• Qu’il y ait régulièrement permutation des agents présents dans une zone ;

• Que les autochtones privilégient la paix sociale avec les nouveaux acquéreurs.

C’est dans cet ordre d’idée que les participants des différents groupes se sont engagés à
mener et accompagner les actions suivantes :

1. Mener des plaidoyers auprès du ministère des affaires foncières pour que
l’administration foncière affiche la nomenclature en matière foncière et que les
services de cette administration procèdent à l’identification et la numérotation
informatique des parcelles.
27
2. Créer une structure mixte (société civile et ministère public) et permanente au sein
du parquet afin d’identifier les titres immobiliers délivrés frauduleusement et ainsi
poursuivre les coupables en justice selon la loi.
3. Mener un plaidoyer auprès du gouvernement afin que les conditions sociales des
agents de l’administration foncière et des cadres de base soient améliorées.
4. Instaurer des mécanismes de dénonciation des abus commis par les cadres de base,
commissionnaires, agents de l’ordre, avocats et magistrats, et procéder au
recensement des commissionnaires matriculés et habilités à mener leurs activités.
5. Que le gouvernement procède à la réforme et à la traduction de la loi foncière dans
les langues nationales et la mette à la disposition de la population.
6. Procéder à une mobilisation des fonds par le gouvernement et ses partenaires afin
de former la population en matière de résolution des conflits fonciers.
7. Organiser les ateliers de renforcement des capacités des membres des structures
locales de paix en matière de résolution et médiation des conflits fonciers
8. Organiser des séances d’animation communautaire et des émissions de radio et de
télévision pour la vulgarisation de la loi foncière, diffusées dans les langues officielles
et locales.

QUATRIÈME PARTIE
Lecture des résultats des données RAP pour la ville de Goma

1. Regards sur les fils conducteurs des conflits

Que dire des différents conflits identifiés dans les quartiers de la ville de Goma en
général ? D’une part, ce sont des conflits ancrés dans les sociétés locales même si, d’autre
part, une lecture profonde y voit une suite de « conflits de style moderne » qui s’inscrivent
dans la vague de la mondialisation. Ce sont « des conflits de très fortes tensions entre différentes
composantes de la société, donc plutôt des guerres civiles »26.

26Fréderic LASSERRE cité par Mutuishayi Mutinga Modeste, Le fleuve Congo et ses effluents : un château d’eau convoité. La guerre de l’eau aux
portes de la RDC., s.l., Éditions « Le Potentiel », p. 47. En effet, Modeste Mutuishayi Mutinga dit ceci au sujet des conflits du XXIème siècle :
« Par contre, pour le géopoliticien Fréderic Lasserre, directeur de l’observatoire de recherches internationales sur l’eau à l’université de
Laval (Québec, Canada) et auteur du livre « Les guerres de l’eau », la guerre de l’eau n’a pas encore commencé. Tout en craignant que l’eau
ne devienne l’une des principales sources de conflit pendant ce siècle, il soutient que la guerre de l’eau n’a pas commencé dans la mesure où
28
Un regard minutieux sur ce qui précède permet de catégoriser les conflits identifiés et
priorisés en trois grands types qu’il faudrait transformer. Il s’agit des conflits
psychologiques, politiques et économiques, la politique prenant le dessus. Un schéma
sommaire de lecture se présenterait donc ainsi (nous n’avons pas inséré dans ce schéma la
branche des solutions comme réaction aux causes relevées) :

BRANCHE CAUSES DES CONFLITS IDENTIFIÉS ET/OU PRIORISÉS DANS LA VILLE DE


DE GOMA
CONFLITS

Conflits Déracinement Enracinement Entassement Envahissement


fonciers incomplet et incomplet / Pas Pas de et étouffement
involontaire de sentiment respect des
d’appartenance normes
urbanistiques

Conflits entre Mouvements


Manque Concurrence Manque d’espace
population incontrôlés
si guerre de l’eau il y a, elle ne sera pas une guerre classique opposant
d’information deux États
déloyale / ou plus mais des communautés de la société civile : « Il y a
d’épanouissement
deuxpour non-
types de guerre de l’eau qui circulent dans la littérature, que j’ai abordés dans mon ouvrage. des On parle souvent des guerres de l’eau
comme des conflits
respect despossibles entre des etÉtats.
de Ce type de guerre deActivités
l’eau n’est illicites
jamais arrivé pour le populations
moment, ou en et ourarement.
tout cas très de loisirs
Ce qui me semble plus vraisemblable au XXIe siècle, ce serait plutôt des conflits de très fortes tensions entre différentes composantes de la
société,
sensibilisation
donc plutôt des guerres civiles ». des frontières
normes
urbanistiques 29
agents de
l’ordre
Conflits entre Banditisme hérité des Militaires /
Maisons de
Chômage et
population et conflits antérieurs policiers / tolérance et
mauvaises
agents de (1996) jeunes absence des lieux
conditions de
l’ordre incontrôlés de loisirs
vie

Conflits entre Complicité ou Pas de climat Détention Construction


population et manque de d’entente illégale anarchique /
instances professionnalis entre d’armes pauvreté
judiciaires à cause
me / Mépris des population et
de la remise en
textes légaux PNC / FARDC
liberté des
malfaiteurs

Corruption et
Conflits Nomination des Politique de
promotion de la
politiques autorités locales “diviser pour
bien manipuler” politique du
et trafic ventre (intérêts
personnels)
d’influence
Conflits psycho- Héritage des
sociaux attitudes /
comportements
/ perceptions /
opinions

Psychologiquement, plusieurs phénomènes entrent en ligne de compte comme le


déracinement incomplet (déplacement) puis l’enracinement (ou l’installation) aussi
incomplet des communautés qui doivent se retrouver sur un espace dont les dimensions
s’amenuisent au fur des années. De ce dernier aspect résultent l’entassement, l’étouffement
et les frictions avec tout ce que ces phénomènes impliquent de conflictuel.

Le déracinement ou déplacement massif ou individuel qui pendant longtemps a


arraché plusieurs millions de gens de leur milieu et de leur vie passée s’ajoute au traumatisme
causé par la nouveauté et la grandeur de la ville, le manque de travail, de vêtements et de

30
nourriture. Dans le cadre de la ville de Goma, la séparation d’avec leur milieu d’origine est
restée incomplète, dans le sens où les habitants de Goma se pensent encore pour la plupart
d’entre eux comme appartenant à leur milieu d’origine. Ils se définissent comme des
« banyamasisi, banyarutshuru, banyabwito, de Butembo, de Beni, de Jomba, de Rugari, de Walikale,
etc ».27 Cette façon de se catégoriser rend la cohabitation difficile, élargit le fossé qui s’est
créé entre les habitants tout en ouvrant la voie à la corruption et la manipulation. Une autre
illustration de ces divisions est clairement donnée par les « mutualités tribales » qui
s’organisent dans la ville de Goma et dont le pendant est le « Barza la Wazee
intercommunautaire ». Ce dernier est-il le forum indiqué pour arbitrer les différends ?

Une autre résultante du déracinement incomplet est que les individus se sentent
abandonnés par les leurs ou isolés dans un environnement peu hospitalier, sans aucune
affectation sociale. Les habitants se perçoivent comme réduits à l’état d’objets ou d’êtres
sans valeur ni intérêt pour leurs familles ou leurs communautés. Dans ce cas, ils cherchent
un moyen d’affirmer leur présence à travers les réactions si fréquentes de « rejet », ou à
travers la violence ou les drogues. C’est le cas des jeunes gens qui finissent dans les rues ou
des jeunes étudiants qui ont recours à la violence dans des cas que la négociation aurait pu
résoudre.

Dans le contexte de la ville de Goma, on observe également une sorte de faillite


sociale et/ou familiale très prononcée vis-à-vis de la nouvelle génération. À cette faillite
s’ajoute un enseignement scolaire trop abstrait qui donc n’intègre ou ne réintègre pas
l’étudiant ou l’élève dans sa vie sociale. Tous ces jeunes qui s’opposent à leurs parents, aux
agents de l’ordre ou à leurs collègues expriment le sentiment de rejet qu’ils subissent de la
part de leur famille et de leur entourage, et même d’une ville qui leur tourne le dos. C’est
leur réaction à la dégradation très poussée du cadre social et environnemental, toujours
conforme à la métaphore du vêtement qui bâille : une réaction face aux monstres créés par
la société dans une ville qui a englouti les gens, sans pouvoir les soutenir ou les héberger.

Au-delà du déracinement se pose aussi la question de l’enracinement ou de


l’installation dans un nouveau milieu, dans un milieu que l’on considère comme un « chez-
soi ». Ce phénomène a également échoué, car la plupart de la communauté, du moins ceux
qui disposent d’un espace de décision, se comportent comme étrangers au bien-être de la
ville.

Un troisième élément psychologique important pour la question des conflits est le


problème de l’entassement. Ce dernier multiplie les dangers de tous les autres fléaux.
L’entassement déclenche des séries de comportements et de réactions chez les jeunes et
même chez des adultes. Ainsi s’observent l’agressivité, le repli sur soi-même dans une forme
d’égoïsme, d’indifférence et d’isolement imposé et quelque fois volontaire.

27
Originaires de Masisi, Rutshuru, Bwito, Butembo, Beni, Jomba, Rugari, Walikale.
31
Physiquement, l’entassement ou le surpeuplement est source de fatigue, d’épuisement
et de nervosité, en particulier dans les transports en commun, dans ces minibus
communément appelés « Ketch » où les habitants s’amassent pour se rendre à Afya Bora,
Katoyi, Kibwe, Mabanga Nord, Majengo, Ndosho… L’entassement des hommes dans des
espaces dépourvus d’accès à des loisirs libres et gratuits, ou bien où les seuls lieux de loisirs
sont les lupanars et l’unique règle du jeu est le sexe et la drogue, débouche sur des conflits
de tous types, qui s’ajoutent aux méfaits de la pollution. Cette dernière affecte l’activité
intellectuelle, surtout pour tous les jeunes gens fréquentant les nombreuses universités et
écoles secondaires de la ville de Goma, tout en produisant d’autres conséquences, comme
la révolte contre la communauté. C’est ainsi que sont apparus beaucoup de comportements,
tels que les désirs effrénés de richesse, le moi-sauvage, criminel et assoiffé de sang, prêt à
tuer, violer et voler, mais aussi la passivité massive… C’est ce qui explique aussi des
phénomènes comme les vols en masse, où les voleurs viennent opérer en groupe (qu’on se
réfère aux coalition de malfaiteurs ou aux conflits de libération des malfaiteurs), ou les
addictions à l’alcool et aux drogues dures.

Et la « politique » dans tout ça ? Goma est une ville profondément « politisée », où la


politique fait partie de la vie quotidienne de la société. La politique permet (comme partout
ailleurs peut-être) de contrôler le pouvoir, qui est une denrée très rare et précieuse, de
s’approprier des ressources humaines, matérielles ou terrestres. Les différentes mutualités
présentes dans la Ville de Goma fonctionnent selon des logiques essentiellement politiques.
Imaginons par exemple qu’une communauté veut élire un « président » communautaire à
Goma. Kinshasa en est alors saisie et dépêche un député national, quatre députés
provinciaux se mobilisent, la mairie dépêche des militaires, tout le monde ayant reçu des
consignes différentes au sujet des élections communautaires28.

2. Les parties prenantes dans les conflits

Différents types de sociétés se sont déjà créées et opèrent à Goma. C’est là que réside
la « catégorisation » sociale que l’on peut observer aujourd’hui et qui est à la base des
conflits. Des types divers de sociétés changeantes s’y côtoient.

Il existe d’abord une véritable société de pouvoir politique. C’est celle formée par les autorités
politiques, administratives et par tous les fonctionnaires travaillant dans un bureau ou un
poste de responsabilité. On y trouve également la PNC et les FARDC, les agents de l’ANR,
du cadastre, de la Régie de distribution d’eau et de la Société nationale d’électricité. Ils
détiennent le pouvoir et peuvent être corrompus et rendre des services en échange d’argent.
En outre, ils connaissent la loi et disposent d’une force dissuasive. Ils utilisent cette force
pour peser sur la population. Ils sont donc complices dans les situations conflictuelles qui
gangrènent la ville de Goma. Cette société a d’autres complices, qui sont des agents
subalternes éparpillés dans les différents quartiers, en collaboration avec les dirigeants

28
Il s’agit ici d’un exemple qui a eu lieu en 2017 à Goma, à l’occasion de l’élection d’un Président d’une communauté.
32
locaux, les chefs de quartiers, chefs d’avenues et chefs de cellules, qui pour la plupart ont
été nommés et non élus par les populations qu’ils sont censés servir. Ce phénomène est
donc justifié par le fait que la distance verticale entre cette classe et le commun de la
population est trop grande.

Ensuite, une société matérialiste. C’est celle formée par les opérateurs économiques, les
« élites économiques », ou élites de l’avoir, élites de l’argent. Ils visent une « économie
productiviste », veulent accroître leurs possessions par tous les moyens. Ce groupe
recherche les biens matériels et rien de plus. Il s’agit ici des opérateurs économiques se
mouvant dans le monde des affaires : les détenteurs de boutiques ou les commerçants en
général, les échangeurs communément appelés les Cambistes, les commissionnaires, etc.
On retrouve également dans cette classe des personnes qui exercent des activités douteuses,
et cherchent à s’enrichir par des moyens répréhensibles, comme les kidnappings.

Enfin, on retrouve une société humaniste, formée par une élite du savoir, qui vise
« l’amélioration du cadre de vie des hommes pour contribuer au progrès social ». Ils
proclament et réclament « l’amélioration des conditions de vie des habitants ». Il s’agit des
religieux et autres pasteurs « dispersés de façon incoordonnée » dans une multitudes
d’églises et sectes, des intellectuels ou des universitaires dans les universités et instituts
supérieurs, de membres de la société civile, de jeunes gens et de femmes réunis dans de
petites organisations au sein de la population. Cette catégorie regroupe la majeure partie de
la société désarmée résidant dans la ville de Goma.

Cependant, ces trois couches de la société ne sont pas clairement séparées, car l’esprit
de la ville est profondément hanté par « la recherche des dollars » pour se sortir de la
pauvreté, pour préserver un pouvoir quelconque ou pour se positionner.

3. Les conflits de Goma et la dollarisation de la vie


La ville de Goma a connu des expériences économiques et/ou financières qui hantent
l’esprit de nombreux habitants.

Tout d’abord, l’expérience de la « démonétisation », dans les années 1970, a fait perdre
aux habitants beaucoup d’argent. Cette démonétisation consistait en un changement des
billets. Ceux qui avaient une souplesse d’esprit suffisante pour coopérer avec les agents de
la Banque ont pu sauver leurs trésors, mais beaucoup de gens ont perdu leur argent.

L’expérience suivante fut celle du fameux « Dutch », qui prétendait rapporter aux gens
des bénéfices faramineux pour toute somme déposée. Au bout de quelque temps,
l’organisation s’est volatilisée avec tout l’argent de ceux qui lui avaient fait confiance. Cette
expérience reste un souvenir très douloureux pour de nombreux habitants.

33
Goma a aussi connu l’expérience de « Pentagona », qui promettait aux gens monts et
merveilles pour l’achat de cartons imprimés, qui devaient leur rapporter des sommes
astronomiques. Encore une fois, beaucoup y ont perdu leur argent.

On se rappelle aussi une fameuse « Coopec » (coopérative d’épargne et de crédits de triste


mémoire), dans laquelle les gens ont vu disparaître leur patrimoine.

De nombreux cas d’abus et d’escroquerie ont marqué la ville, et la population n’a pu


compter sur aucune réelle réaction des autorités, ni sur des poursuites judiciaires, encore
moins sur des sanctions. La population en a donc conclu que l’escroquerie, avec la
complicité des autorités ou d’un officier militaire, est la meilleure façon de s’enrichir. La
corruption devient donc un objectif, et tous les moyens sont jugés bons et sont mis en
œuvre pour y parvenir. C’est ainsi que naissent des phénomènes comme les kidnappings,
les vols en tous genres, la complicité avec les grands criminels qui enrichissent les autorités
qui les couvrent, l’organisation des maisons de tolérance et l’exploitation des mineurs, les
fraudes et autres ventes de produits illicites comme le cannabis et l’alcool frelaté, la
profanation de tombes, etc. Les autorités politiques, les instances judiciaires et l’armée sont
ainsi mises en cause.

4. Les mécanismes de transformation des conflits


Généralement, il y a plusieurs voies de sortie d’un conflit29. Ces voies peuvent être
passives, par compromis, par la victoire d’une partie et l’échec d’une autre (gagnant-
perdant), ou bien par le partage entre les parties prenantes (gagnant-gagnant). Parmi les
processus pour faire face aux conflits, les experts en résolution de conflit proposent des
stratégies comme la prévention, le règlement, la gestion, la résolution et la transformation
des conflits30.

D’autre part, les travaux du colloque sur la paix et la résolution pacifique des conflits
durant la transition démocratique au Zaïre identifient les modes de prévention, de
résolution et de gestion des conflits que les experts classifient en deux grandes catégories.
D’une part les modes de prévention regroupent la conscientisation, la dénonciation, la
session de formation, d’éducation et d’information, les pactes et les alliances, l’information
et la diffusion des messages de paix au sein de la société civile. D’autre part, les modes de
gestion et de résolution des conflits rassemblent les négociations, les concertations, les
médiations et l’arbitrage inspiré de la palabre africaine.

Toutes ces stratégies s’appliquent à différents types de conflits selon les objectifs, les
moments et les parties impliquées dans tel ou tel autre type de conflits. Les mécanismes ou
voies adoptées pour la transformation des conflits en général dans la ville de Goma sont
multiples. Parmi ces voies figurent les mutualités communautaires. Chaque groupe ethnique
dispose d’une organisation mutuelle, selon leurs origines ou leur appartenance ethnique. À

29
Joseph Nye et al., Understanding Global Conflict, 2013, p. 193.
30
Fisher Simon et al., Working with Conflict. Skills and Strategies for Action, New York, Zed Books, 2005.
34
ce niveau, les parties en conflit se référent aux Sages de leur groupe ethnique, aux
intellectuels ou à « ceux qui disposent de moyens financiers ». Dans ce cas, l’expérience de
l’arbitre est déterminée en fonction de son âge, de son niveau d’étude ou de son poids
financier. Cette voie est le plus souvent inefficace, car les critères de l’âge et du niveau
d’étude sont aujourd’hui en désuétude, et l’opinion publique n’y accorde plus de crédit. En
revanche, « l’avoir » dicte résolument le jugement, la dollarisation de la vie aidant. Le verdict
est rendu selon le bon vouloir de l’arbitre, qui ne se laisse pas contredire. Un autre aspect
négatif de cette méthode est que les gens de mêmes groupes ethniques ne sont pas
nécessairement originaires des mêmes territoires, communes, ou collines. Or, un réel
déséquilibre des forces s’observe entre les différents groupes de la société. La société de
puissance et la société matérialiste s’opposent à la société humaniste.

Le Barza intercommunautaire est un autre forum de règlement des différends.


Cependant, ce forum se heurte aux mêmes problèmes de subdivision au sein des groupes
ethniques. Le Barza n’a pas l’assentiment de tous, surtout que les uns le considèrent comme
un simple instrument de la politique en place, quand les autres ne lui font pas confiance. Le
manque de cohésion communautaire ne facilite pas une quelconque activité pacifique de
groupe. Ce manque de cohésion et/ou d’unité est renforcé par le sentiment de
discrimination, d’exclusion et de manque de confiance entre les différentes communautés.
Les gens sont animés par des sentiments d’individualisme et/ou de régionalisme, si bien
que même au sein d’une même communauté, les membres ne parviennent pas à
s’entendre31. Dans ces cas, il est difficile, sinon impossible, de les ramener à certaines
initiatives d’intérêt commun.

La « Commission justice et paix » serait une autre voie ; c’est une commission
ecclésiale (catholique). Cette qualification fait qu’elle est très limitée, et que les non-
catholiques considèrent que ce cadre ne leur convient pas. Cela est aussi lié au fait que les
différentes communautés religieuses, vivant en compétition et/ou en concurrence et
n’ayant souvent pas de cadres pour se rencontrer, limitent la possibilité pour leurs fidèles
de rechercher des solutions à leurs problèmes dans une institution qui ne relève pas de leur
foi.

Les Comités locaux de paix et de développement constituent aussi des forums de


discussion et de transformation des conflits.

Un constat d’échec des instances citées se justifierait par la persistance des conflits,
qui changent de forme et d’impact. Les facteurs saillants suivants renforcent la justification
de l’échec des mécanismes. D’abord, l’éducation familiale de base dans une société
patriarcale constitue un frein à l’épanouissement, à l’expression et/ou à la participation de
la femme ou de la jeune fille dans les activités communautaires.

31 Par exemple, les membres de la communauté Hutu se divisent en Hutu de Masisi et Hutu de Rutshuru. Ils élisent le représentant de leur
communauté par alternance, une année un originaire de Masisi et une autre un originaire de Rutshuru. Chez les Hunde aussi, on raisonne
toujours en Hunde de Masisi, de Minova, de Bashali, etc
35
Cependant, un coup d’œil sur certaines stratégies au niveau global, international,
régional, national et local permet de comprendre comment les conflits dans la ville de Goma
s’inscrivent dans un panorama plus large.

Au niveau international, la Déclaration d’Istanbul et le Programme pour l’habitat


résultèrent d’une conférence des Nations Unies sur les établissements humains, nommée
« Habitat II », tenue à Istanbul du 3 au 14 juin 1996. On peut aussi citer les résolutions du
Conseil de Sécurité des Nations Unies, en particulier la résolution 1325 (31 octobre 2000),
invitant les pays membres à impliquer les femmes et les jeunes filles dans la reconstruction
post-conflit, et à augmenter le nombre de femmes participant dans les sphères de prise de
décision, ainsi que dans les mécanismes de transformation des conflits à tous les niveaux.
La résolution 1820 (19 juin 2008) invite les pays membres des Nations Unies à lutter contre
l’usage du viol comme arme ou tactique de guerre. Ces outils s’ajoutent aux Déclarations
Universelles des Droits de l’Homme, à la Déclaration solennelle sur l’égalité de genre en
Afrique, adoptée par l’Assemblée générale des Chefs d’État et de Gouvernement à Addis
Abeba en juillet 2004, et à la Charte Africaine sur la jeunesse (Banjul, Gambie, 8 août 2009)
dont l’article 17 porte sur la paix et la sécurité et l’article 23 sur « les filles et les femmes ».
On peut encore évoquer la Convention de l’Union Africaine sur la prévention et le
combat contre la corruption (Maputo, août 2006). Tous ces outils s’ajoutent aux rapports
de la Banque Mondiale, du GRIP et d’autres instances de recherche comme par exemple la
Stratégie Internationale de Soutien à la Sécurité et à la Stabilisation (ISSSS, aussi connue comme
I4S) de la partie est de la RDC.
Au niveau régional, on peut rappeler des déclarations et résolutions comme la
Déclaration des Chefs d’État et des Gouvernements membres de la Conférence
Internationale sur la Région des Grands Lacs (Addis Abeba , 15 juillet 2012), le « Rapport
de la Réunion des Ministres de la Défense de la CIRGL sur le problème des forces négatives
dans la Région des Grands Lacs » (Kigali, 9 septembre 2011), suivi du « Rapport des
Ministres de la Défense de la CIRGL portant sur l’éradication des forces négatives dans la
Région des Grands Lacs » (Khartoum, 1 août 2012). Il est regrettable que les prescriptions
apportées par tous ces organismes ne soient pas suivies.
Au niveau national et provincial, il faut mentionner le « Document de la stratégie de
croissance et de réduction de la pauvreté, DSCRP » de juillet 2006 et les résultats des
Concertations nationales de septembre 2013. À ces documents s’ajoutent d’autres rapports,
comme le document final de la Stratégie ISSSS. En effet, faisant suite à la demande du
Conseil de Sécurité des Nations Unies dans sa résolution 2153 (2012), divers ateliers de
révision stratégique ont permis aux parties prenantes impliquées dans le programme de
stabilisation et à l’équipe Stabilisation et Reconstruction de l’Est du Congo/Unité d’Appui
à la Stabilisation (UAS) d’échanger sur les nouvelles orientations d’une éventuelle révision
stratégique. Les rencontres effectuées dans ce cadre devaient permettre de réviser la
Stratégie Provinciale de Stabilisation (SPS) et le Plan d’Action Provincial (PAP) pour le
Nord-Kivu. Parmi les prévisions de l’ISSSS (I4S) révisée figuraient les dialogues
communautaires, les programmes de renforcement de la sécurité, de restauration de
l’autorité de l’Etat, de relance économique et de lutte contre les violences sexistes et
sexospécifiques… Il convient de reconnaître encore, au niveau local, toutes les initiatives
des institutions locales comme la PNC, les FARDC, les Églises et les ONG. Un autre
36
exemple est le « Guide du Code de bonne conduite contre les violences sexuelles et celles basées sur le genre
en milieu scolaire », vulgarisé par l’ONG PAIF en collaboration avec Mercy Corps, Fund for
Global Human Rights, et avec l’appui de l’USAID. L’échec de ces outils, initiatives et/ou
déclarations est dû au manque de suivi des décisions prises, ainsi qu’à l’absence d’une force
dissuasive (police ou armée) pour les faire appliquer. On peut aussi déplorer le déficit de
volonté de certaines autorités, et regretter l’absence de mesures contraignantes à l’endroit
de ceux qui les outrepassent. Par exemple, malgré le louable « Code de bonne conduite contre les
violences sexuelles », on parle de toujours de « points sexuellement transmissibles » dans beaucoup
d’institutions d’éducation, pour désigner les meilleures notes que les enseignants donnent
aux élèves ou aux étudiantes en échange de rapports sexuels !
Dans un système conflictuel complexe comme celui qui règne à Goma, de nombreux
acteurs indépendants, chacun ayant ses objectifs et son propre processus de prise de
décision, cherchent à faire prévaloir leurs propres intérêts, selon l’image qu’ils se font de
leur environnement. Les acteurs, ainsi que les relations entre eux et leurs attitudes, sont
moins clairs, et imprévisibles. Les points centraux de contrôle sont donc faibles et le respect
de la hiérarchie est mis en cause. Par conséquent, il suffit d’une action dans une partie du
système pour affecter les autres composantes du système de façon indéterminée. En
l’absence d’un état de droit, le système devient donc de plus en plus complexe.

Selon les données recueillies sur le terrain, les conflits dans la ville de Goma doivent
être envisagés comme des systèmes complexes, tentaculaires mêmes. Des conflits latents
perdurent, font tache d’huile en se métamorphosant et en se répandant au-delà de leur point
de déclenchement.

D’après William Kegley, un conflit peut avoir des facteurs internes ou domestiques
et des facteurs externes ou internationaux, d’où l’adjectif « intermestic », qu’il crée pour
qualifier ces conflits qui sont à la fois domestiques et internationaux. Dans ce cas, les
conflits sont considérés à l’échelle internationale ou inter-états. Néanmoins, l’aspect
« intermestic » peut également s’appliquer aux dimensions locales, intra-étatiques et, pourquoi
pas, régionales. Quels seraient les aspects « intermestic », c’est-à-dire externes et domestiques,
des conflits identifiés dans la ville de Goma ? On peut en effet lire dans ces conflits les
effets de la mondialisation. Celle-ci se définit, d’après Joseph Nye, comme un réseau
mondial d’interdépendance économique, politique, sociale, environnementale, etc. Au sein
de cette interdépendance, Joseph Nye aussi bien que Hans Küng estiment qu’on a observé
un accroissement des marchés mondiaux au moment où les coûts de communication et de
transport ont diminué par rapport aux dernières décennies du 20e siècle. Les échanges
commerciaux et l’apport des nouvelles technologies à Goma démontrent cette tendance
d’ouverture au monde, tout en attisant les convoitises.

Hans Küng considère la mondialisation comme un processus ambivalent, aux effets


imprévisibles et inévitables. Certains analystes libéraux pensent qu’à mesure que la
mondialisation rend le monde plus interdépendant, la coopération remplacera la
concurrence. Leur raisonnement est que l’interdépendance crée des avantages communs

37
qui encouragent la compétition et la concurrence32. Que dire de la situation de
Goma, tiraillée entre compétition et coopération ?

5. Les risques auxquels la ville de Goma est confrontée

Des éléments méritent que les décideurs ou les intervenants s’y penchent, dans le
cadre de leur approche des conflits identifiés et priorisés dans la ville de Goma. Il s’agit
d’abord de la politique, et de sa place fondamentale dans la vie publique. Si on dit que « la
politique est l’art de se servir des hommes en leur faisant croire qu’on les sert »33, ou que « la politique,
c’est l’art de traire la vache populaire »34, on peut commencer à envisager objectivement la
situation telle qu’elle est vécue à Goma, et les risques imminents qu’elle présente.

D’abord, les risques liés à l’environnement. La ville de Goma est une ville intelligente,
ouverte au reste du monde par sa position géographique et par ses infrastructures. Elle est
connectée à l’extérieur par la ville voisine de Gisenyi, par voie terrestre ou par voie lacustre.
Par voie lacustre, elle est également connectée à la ville de Bukavu au Sud-Kivu. Mais grâce
à son aéroport international, elle est ouverte non seulement aux autres villes de la RD
Congo mais aussi à l’extérieur du pays. Mais il faut malheureusement remarquer que ces
points d’entrée ne sont pas gardés avec suffisamment de précautions. De par leur position
géographique, ils permettent à ceux qui peuvent nuire à la ville d’entrer facilement, et à ceux
qui viennent d’y commettre des actes illégaux de la quitter tout aussi facilement. Il en résulte
également que les convoitises sont grandes et pèsent sur la ville d’une façon ou d’une autre.
On pourrait dire donc que la ville de Goma est victime de son intelligence. Ceci s’ajoute au
fait que les normes urbanistiques ne sont pas respectées : les maisons sont construites dans
le désordre et une forte congestion urbaine crée un climat physiquement étouffant, qui peut
pousser les habitants à la violence35. Cette surpopulation rend également plus facile pour
les criminels de trouver des lieux où opérer et se cacher.

L’absence d’aires de jeux pour une jeunesse très nombreuse, suite à la spoliation des
terrains publics initialement prévus à cette fin, constitue aussi un autre danger, et une source
de conflits à laquelle la ville doit faire face.

Socioéconomiquement, la ville est exposée aux risques d’une forte pression de la


population, au sein de laquelle se trouve une grande masse de sans-emplois et de
démobilisés. Leurs besoins vitaux n’étant pas satisfaits, ils sont poussés à la violence et à
tous types d’actes de nature à perturber l’ordre sécuritaire dans la ville. Celle-ci court le
risque de ne pas être connectée à son intérieur, c’est-à-dire à Masisi, Rutshuru, Lubero voire

32
Nye Joseph et al., Understanding Global Conflicts. New York, 2013, p. 263.
33
Louis Dumur in Dubreuil Richard, Dictionnaire du Pouvoir, Paris, Les Editions d’organisation, 1995, p. 118.
34
Anatole Leroy-Beaulieu in Dubreuil Richard, op. cit., p. 118.
35
Objectif du Développement Durable 3 : « Permettre à tous de vivre en bonne santé et promouvoir le bien-être de tous à tout âge » ; Objectif
du Développement Durable 10 « Réduire les inégalités dans les pays et d’un pays à l’autre » ; Objectif du Développement Durable 11 : « Faire
en sorte que les villes et les établissements humains soient ouverts à tous, sûrs, résilients et durables » ; Objectif du Développement Durable
16 sur la paix, justice et institutions efficaces : « Promouvoir l’avènement de sociétés pacifiques et ouvertes aux fins du développement durable,
assurer l’accès de tous à la justice et mettre en place, à tous les niveaux, des institutions efficaces, responsables et ouvertes. »
38
Butembo. La situation de la population dans beaucoup de quartiers est simplement
déplorable, en raison du taux de chômage et de pauvreté36, et de salaires payés
irrégulièrement pour ceux qui sont employés. On observe également une prolifération des
maisons closes, des débits de boissons alcoolisées, et de la vente illicite de cannabis. Tout
ceci alimente la délinquance juvénile dans la ville. Certains quartiers manquent cruellement
de structures sanitaires et souffrent de la prolifération d’écoles non viables, ne répondant à
aucune norme d’enseignement en RDC, du non-encadrement des personnes vivant avec
un handicap, de la prolifération des marchés pirates, etc.

Que dire des sociétés patriarcales dans la ville de Goma ? Le système patriarcal est
non seulement une limite à l’implication de la femme ou de la jeune fille dans certains
forums communautaires dans lesquels elle aurait à contribuer, mais il constitue aussi une
source de mésentente dans certains ménages, troublant ainsi la quiétude de
l’environnement. La majorité des communautés ou des cultures considère qu’une femme
ou une fille qui prend position ou lève la voix dans un cadre masculin est impolie, voire
indigne : elle sera considérée comme difficile, acariâtre, une mégère à tenir à l’écart.

Politiquement, la ville est exposée à la fragilité. Une forte concentration des acteurs
désireux de se positionner politiquement, au milieu de gens pauvres et facilement
corruptibles, fait courir un danger permanent de manipulation, de concurrence dangereuse
et de crimes politiques. Il convient également de souligner le fait que les cadres de base
travaillent dans des conditions précaires, sans équipement adéquat et sans que leur rôle ne
soit clairement défini, ce qui cause un mécontentement considérable.

Il faut également revenir sur la dollarisation de la vie et les risques qu’elle implique. Dans la lutte
pour la survie et la recherche effrénée d’argent, tous les moyens sont bons pour répondre
aux besoins de chacun. La dollarisation de la vie est liée au fait que l’économie repose
davantage sur la monnaie américaine que sur la monnaie locale. Beaucoup de gens estiment
que pour vivre bien, il faut posséder un maximum de dollars.

Historiquement, la RDC a été marquée par des événements qui ont lourdement influé
sur la vie des peuples. Parmi ces faits, on peut citer d’une part l’arrivée massive de réfugiés
rwandais en 1959 et en 1994, les guerres de l’Est qui ont renversé le régime du maréchal
Mobutu en 1997, et la fin de la guerre froide. Ces facteurs ont causé une kyrielle de maux :
le changement des mentalités, l’insécurité, les violations des droits de l’homme,
l’appauvrissement de la population, l’activisme des groupes armés37, l’affaiblissement ou
l’absence d’autorité de l’État, les déplacement réguliers de populations civiles, les conflits
multiformes et latents (conflits dits de Masisi, de l’AFDL, du RCD, la guerre du CNDP, la
guerre du M23), les kidnappings, etc. Le Nord-Kivu a toujours été victime d’atrocités,
causées par des groupes armés, nationaux ou étrangers. Même si le programme de

36
Malheureusement, les données quantitatives ou statistiques à ce sujet ne sont pas disponibles.
37
Les analystes dénombrent plus de 70 groupes armés dans la seule partie est de la République Démocratique du Congo.
39
désarmement et de démobilisation mené par le gouvernement avec l’appui des Nations
Unies semble avoir porté ses fruits dans certaines régions du Nord-Est de la RDC, dans la
Province du Nord-Kivu des affrontements sporadiques opposent encore les troupes
gouvernementales aux milices et autres rebelles, provoquant ainsi des déplacements massifs
de populations civiles.

Les quartiers de la ville de Goma ne produisent rien de ce que la population


consomme. Ils doivent donc se tourner vers l’extérieur pour importer des produits
alimentaires et manufacturés. On remarque un manque flagrant d’entrepreneuriat dans cette
partie de la République, ce qui plonge une grande partie de la population dans la
paupérisation, le chômage et la mendicité. La grande majorité de la population survit grâce
au « système D » et à l’économie informelle.

La superposition des titres fonciers est un autre défi. Celle-ci s’enracine dans la
désaffectation des biens publics, immeubles ou autres, qui sont vendus, cédés et/ou acquis
de façon irrégulière, sans suivre les procédures légales requises. Un chercheur de Goma a
fait le constat malheureux qu’en 1988, la ville de Goma comptait 140 immeubles du
domaine privé de l’État qui étaient répartis de manière suivante : dans le centre urbain
(centre ville) se trouvaient 38 maisons, tandis qu’au camp administratif Office se trouvaient
74 maisons. Au camp administratif « Birere », on comptait 28 maisons. Toutes ces maisons
sont bien documentées et bien identifiées. Le comble est que, comme le note le chercheur,
dans le rapport du 4 juin 2005 sur l’état des lieux du patrimoine immobilier du domaine
privé de l’État après l’éruption volcanique du 17 janvier 2002, le chef de division provincial
de l’urbanisme et de l’habitat déclare que 67 maisons ont été détruites par l’éruption
volcanique dans la commune de Karisimbi et 44 autres maisons dans la commune de
Goma38. Pourtant les observateurs voient encore certaines de ces maisons occupées
aujourd’hui. Cet exemple est amplement suffisant pour illustrer la prédation des biens
publics.

Au niveau sécuritaire, cette recherche a retenu l’insuffisance numérique des agents de


l’ordre, la présence des militaires et policiers non contrôlés qui sont à la base de problèmes
de tous types pour la population, la présence de jeunes délinquants et inciviques dans les
rues, entre autres les groupes « 40.000 gangs », Al-Qaida, les Orphelins de Mamadou, les
anti-gangs, Kizito, les groupes Nyasho Nyasho, Taïchi, Afazali, Kalioto, Jefte, Sema Tena,
DAU DAU, etc., opérant dans le seul quartier de Ndosho.

Ce qui est mentionné ci-dessus est aggravé par l’étouffement et la pression qui ont
été exercés sur les camps des agents de l’ordre. Le camp communément appelé « Munzenze »,
initialement réservé à la PNC, et celui connu comme le « camp Katindo », initialement réservé
aux FARDC, ont été engloutis par les habitations des civils, si bien que les agents de l’ordre
(PNC et FARDC) se sont retrouvés en plein milieu de populations civiles, avec ce que cela

38
ULPGL, L’Analyste Topique. Revue Interdisciplinaire des Facultés de l’ULPGL, Goma, ULPGL, février 2018, p. 38.
40
implique comme relations et/ou échanges dangereux, par exemple le partage d’alcool, de
cigarettes, de cannabis, etc. Or, on ne peut qu’admettre que dans la ville de Goma, l’usage
de l’alcool et des drogues est un lourd facteur d’inconduite, d’indiscipline et de conflits. Si
le facteur ethnique s’immisce dans ce système, il devient alors facile pour les civils et les
militaires d’entrer en contact, de fraterniser et de s’associer à des fins répréhensibles.

À cet élément s’ajoutent deux phénomènes qui ont été observés au sein de la
FARDC et des groupes armés. Il s’agit du phénomène dit de « brassage », qui aurait
introduit des relations d’indiscipline, accompagnées d’un système de castes au sein de
l’armée. Ceci représente une source de conflits dans la communauté qui doit vivre avec une
armée sous ce système. Le phénomène de démobilisation (surtout s’il se fait sans suivi)
aurait largué ces jeunes au sein de la communauté, sans les préparer à leur réintégration ou
réadaptation, ce qui constitue un risque pour la communauté.

À tous ces facteurs, il convient d’ajouter la corruption, la course après l’argent facile
et la démotivation des agents dans beaucoup de catégories professionnelles, dans un
contexte socioéconomique de plus en plus difficile.

Il existe en effet une variété de pratiques adoptées par les différentes cultures en vue
de transformer les conflits. Cependant, il convient toujours de partir des forces disponibles
et traditionnelles au sein des sociétés en conflit, ici les communautés vivant dans la ville de
Goma. La capacité d’éviter les conflits dépend le plus souvent de la façon dont les
institutions locales fournissent des modèles adéquats et appropriés de transformation de
ces conflits et permettent le développement par des voies acceptées localement. Même si
l’on pense globalement, il convient donc d’agir localement39.

Avant que le Projet SPR/AKM ne soit annoncé, les agents des ONG partenaires
chargées de collecter les données ont été informées du projet, des grands axes à exploiter,
des objectifs ainsi que des résultats envisagés. Les différents participants ou contributeurs
au projet ont été formés en matière de transformation des conflits et de collecte des
données.

Cependant, on a pu constater que jusque là, la population était soit indifférente, soit
ignorante. Il est vrai qu’après quelques étapes du processus RAP, nombreux sont ceux qui
peuvent affronter les conflits dans leurs quartiers, avenues ou cellules avec succès. Il faut
désormais espérer que chacun s’engage à son échelle contre les situations conflictuelles.
Mais pour conclure avec une métaphore, il ne faudrait pas utiliser les règles du basket-ball

39
En effet, on a déjà montré que les communautés de Goma sont malheureusement très divisées. Il est donc extrêmement difficile de les réunir
dans une structure communautaire qui soit acceptée et reconnue par tous. Le monde de la politique s’approprie toutes les structures, même les
plus communautaires, et leur confère ainsi une image politique. Par exemple, les Hutu et les Tutsi se définissent comme « rwandophones »,
mais dans presque toutes les instances, chaque groupe s’isole de l’autre. Ceux de Masisi se distancent de ceux de Rutshuru, etc. Le recours au
Barza la wazee intercommunautaire, constitué des « bashamuka ou vieux » serait la première instance de transformation des conflits, même si
dans une société aussi divisée que celle de Goma, convaincre les différentes communautés qu’elle représente est une tâche bien difficile.
41
pour arbitrer un match de football : chaque jeu a sa règle propre, et il en va de même pour
les conflits qui prévalent dans la ville de Goma.

42
CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS

Cette étude a révélé à quel point les conflits détruisent le tissu social, dégradent la
gouvernance, corrompent les institutions et handicapent le développement à Goma. Mais
il est fondamental de rappeler que les tensions et les clivages que les conflits ont causés
entre les populations, les agents de l’Etat et les forces de l’ordre ou les services de
renseignement, bref, entre « nous » et « eux », ne sont ni fixes ni immuables. Ce sont des
limites dynamiques, qui peuvent changer positivement, de façon à inclure toutes les couches
sociales. La persistance des barrières fait que les préjudices aussi persistent, affectant ainsi
la cohésion sociale. On a pu comprendre que la cohésion sociale qui doit être promue dans
la ville de Goma dépend d’un certain nombre de facteurs, qui permettront de viser une paix
et un développement durables. Un objectif crucial est la restauration de l’harmonie sociale.
Tant que persiste la distance entre les communautés, à quelque niveau que ce soit, on ne
pourra aspirer ni à la paix ni au développement souhaités par tous, car on ne peut évoluer
en ordre dispersé.
La cohésion sociale requiert également l’implication de tous dans les activités
socioéconomiques, politiques et culturelles de la communauté, sans discrimination ni
exclusion. Elle implique en outre la reconnaissance d’une égalité de chance et d’accès aux
opportunités de développement, en dépassant les facteurs sexospécifiques ou ceux liés aux
origines géographiques, ethniques, religieuses et socioprofessionnelles.
L’harmonie sociale implique enfin la construction et le renforcement d’une
confiance mutuelle entre les membres communautaires, la population, ses dirigeants et les
forces de l’ordre. Une confiance réelle et solide est la condition sine qua non d’une ouverture
et d’un dialogue franc.
À travers la RAP, cette étude a révélé d’autres points forts dans les relations
interpersonnelles, qui devraient guider l’approche transformationnelle dans le milieu. Parmi
ces points figure la mobilisation communautaire autour des problèmes qui affectent toute
la société et son développement. Cette approche a prouvé qu’il est possible, même quand
ce n’est pas facile, de réduire les distances, d’abord la distance horizontale qui s’établit entre
les gens de mêmes couches sociales, puis la distance verticale entre les gens de couches
différentes. Les tables rondes, qui ont rassemblé les députés, le président de l’Assemblée
provinciale, les officiers militaires et ceux de la police, les chefs de quartiers, d’avenues et
les « Nyumba kumi » (dix maisons), aux côtés des motards, des brocanteurs et des agents de
cadastre, ont prouvé l’apport positif de la méthode RAP et des initiateurs du projet
SPR/AKM.

Un autre élément appréciable est la prise de conscience de la responsabilité de tout


un chacun dans les maux qui handicapent la ville de Goma. La méthode consistant à
« s’accuser, puis accuser les autres pour finalement recommander », en reconnaissant le positif et le
négatif de part et d’autre, est une voie qui incite à la franchise, à une sorte d’auto-analyse, à
un début de rapprochement avant de pointer le doigt vers les autres, de critiquer ou de
proposer une alternative. Ces éléments constituent la base des cahiers des charges issus des
tables rondes. Ils constituent donc le moment fort du processus RAP et du projet
SPR/AKM.
L’organisation des espaces de dialogues sociaux est un autre moment fort du projet.
Ce moment aura permis un rapprochement qui incite à se parler face à face, à apaiser les

43
tensions existantes tout en jouant sur les attitudes et les comportements des parties
prenantes. L’hostilité qui régnait de la part de la population de Goma à l’égard des hommes
en uniforme ou des agents des titres fonciers ou de cadastre a baissé d’un cran à l’issue de
la table ronde ou du dialogue social.

L’implication des « sans-voix » ou de ceux qui n’en ont presque pas – ici, les femmes
et les groupes marginalisés – est une réponse que la RAP donne aux prescriptions
patriarcales et aux croyances qui en résultent. Ceci est d’autant plus important qu’en ce
moment, de nombreuses initiatives, telles que la résolution 1325 ou le Code de bonne
conduite, invitent la communauté à essayer la troisième voie, celle de la participation et de
l’implication de tous dans la reconstruction post-conflit.

Le projet SPR/AKM, à travers la RAP, aura enfin inscrit à son actif la stratégie
d’outiller les parties prenantes, à commencer par les chercheurs, ceux de la base et ceux de
la société en général. Le processus de capacitation et de restitution évaluative constitue un
aspect pivot, qui permet aux acteurs du processus de bien évoluer avec celui-ci, tout en en
tirant le maximum d’avantages.

Il est également reconnu que les violations des droits humains constituent un
indicateur, sinon un déclencheur, des conflits. Ces violations sont les signes avant-coureurs
d’un conflit imminent. Le respect des droits de l’homme, accompagné d’autres facteurs de
paix comme la cohésion sociale et les opportunités pour la communauté de se développer
économiquement et culturellement sans entraves, constitue un important tremplin de
développement et de paix, comme le montre le projet SPR/AKM.

L’effort de résoudre un conflit quand il est encore au niveau embryonnaire se trouve


au cœur même du mécanisme de prévention. Cette volonté implique l’identification des
moteurs ou éléments clés de contentieux, la dissipation des craintes, suspicions et
incompréhensions et l’exploration des voies possibles qui constitueraient un pont entre les
positions opposées des parties prenantes.

Et au niveau des perspectives ou pistes de solutions, comment mettre au point une


“MESORE”40 (MEilleure SOlution de REchange) ? Les experts en stratégies offrent ces
considérations, qui cadrent bien avec le projet SPR/AKM : « À quoi sert de parler d’intérêts, de
choix et de critères si la partie adverse a une position manifestement plus puissante ? Que faire si ceux d’en
face sont plus riches ou plus influents, s’ils ont plus de personnel ou des armes plus redoutables ? Aucune
stratégie ne peut garantir le succès si la balance penche trop du côté de la partie adverse. (…) Il y a des
réalités difficiles à modifier dans toute négociation. Face à la puissance, ce que l’on peut espérer de mieux
d’une méthode de négociation, c’est qu’elle permette d’atteindre deux buts : premièrement, qu’elle nous
empêche de conclure un accord que l’on devrait refuser ; deuxièmement, qu’elle aide à tirer le meilleur parti
des atouts que l’on a en main afin, si l’on obtient un accord, que nos intérêts soient pris en compte autant
que faire se peut »41. En effet, sans solution de rechange, on n’a aucune sécurité ni garantie

40
MESORE : Meilleure Solution de Rechange, en anglais BATNA (Best Alternative to a Negotiated Agreement), mise en place par le CMG
de Harvard.
41
Montbrial Thierry (de) et Klein Jean (dir),, Dictionnaire de stratégie, PUF, Paris, 2000
44
d’aller jusqu’au bout. Pour élaborer des solutions acceptables, il faut se livrer à trois
opérations différentes : d’abord, proposer une série de solutions auxquelles on pourrait
raisonnablement se résoudre, au cas où le cahier des charges ne serait pas élaboré ; ensuite,
valider et creuser à fond les idées les plus convaincantes et mettre tout en œuvre pour
envisager leur mise en application ; enfin, identifier la meilleure voie possible. Pour que le
processus SPR/AKM soit efficace et productif dans le cadre des conflits dans la ville de
Goma, il importe de considérer les acteurs, traiter séparément les questions et les différends
de chacun, puis se concentrer sur les intérêts en jeu et non sur les positions. En somme,
avant d’essayer de conclure un accord, il faut imaginer des solutions pour un bénéfice
mutuel, comme l’ont révélé les ateliers organisés à la Joie Plazza.

Selon Oliver Ramsbotham, étant donnée la complexité de la plupart des conflits


actuels et des conflits dans la ville de Goma en particulier, toutes les tentatives de résolution
devraient également être inclusives. Ces tentatives impliqueraient probablement des
changements profonds au niveau régional, national et local à travers des arrangements plus
équitables et plus responsables. Un changement structurel serait également nécessaire, à
travers des adaptations constitutionnelles appropriées, la promotion de la bonne
gouvernance et le renforcement de l'État. Il est impératif de protéger et de respecter les
droits de l’homme. Un changement relationnel au niveau des parties prenantes du conflit
s’impose, à travers les relations communautaires, le travail de réconciliation et le
renforcement des organisations de la société civile… Enfin, un changement culturel à tous
les niveaux est essentiel, par exemple à travers la transformation des discours et des
institutions qui soutiennent ou reproduisent la violence.

En parallèle à ces changements, on peut également évoquer les mesures préventives


contre les conflits internes, même si en général, une bonne gouvernance, un développement
économique et le respect des droits de l’homme sont déjà parmi les éléments clés pour les
empêcher.

Recommandations
Ces recommandations sont soumises pour alléger les souffrances et les tensions dans la ville
de Goma :

À la population locale et aux familles

• Il convient de responsabiliser les parents au sujet de l’éducation de leurs enfants. La


population doit s’imprégner de la culture des échanges et des dialogues sociaux.

• Elle doit établir une collaboration solide avec les cadres de base, tout en créant des
groupes de dialogue entre les membres de différentes communautés, sans tenir
compte des tribus ou du rang social.

45
• Les autochtones doivent toujours privilégier la paix sociale avec les nouveaux
acquéreurs. La population doit s’assurer que les commissionnaires avec lesquels elle
travaille sont réellement membres d’une association officiellement reconnue.

Aux autorités administratives locales :

• Elles doivent d’abord bien séparer interventions politiques et affaires publiques et


ne pas les mêler.

• Elles devraient ensuite renforcer les centres d’encadrements des jeunes pour
l’apprentissage des métiers, tout en les incitant à intégrer la PNC et l’armée.

• Elles devraient en outre sensibiliser la population aux notions essentielles des droits
de l’homme et à l’éducation civique et politique, tout en initiant des dialogues
communautaires et en invitant la population à faire confiance aux instances
judiciaires et à dénoncer les bandits et malfaiteurs.

• Les cadres de base doivent être apolitiques, pour ne pas prendre en otage la
population en faveur du parti politique dont ils font partie, et pour que la loi
régissant le fonctionnement des partis politiques soit respectée.

• Les services du cadastre et des titres immobiliers doivent afficher les tarifs
d’obtention des titres fonciers et autres documents relatifs, et il doit y avoir une
réelle collaboration entre tous les services intervenant dans la gestion foncière.

• Il convient de penser à la réforme de l’administration foncière et de s’assurer que les


commissionnaires sont bien formés sur leur activité et sur la loi foncière du pays.

• Les “autochtones” doivent respecter les contrats qu’ils signent avec leurs clients et,
le cas contraire, ils doivent être poursuivis en justice. Les cadres de base ne doivent
signer les actes de vente qu’après une enquête sur le terrain. Il faut aussi rappeler
que seuls les services d’urbanisme sont habilités à effectuer le morcellement selon le
plan d’urbanisation de la ville.

• Il convient d’étudier et d’élaborer les plans d’aménagement de la ville par


l’urbanisme, et également de créer une structure mixte entre société civile et
ministère public au sein du parquet, afin d’identifier les titres immobiliers délivrés
frauduleusement et poursuivre les coupables en justice.

• L’État doit s’engager à sanctionner toutes les bavures des agents responsables des
griefs signalés plus haut.

46
• La loi foncière et le code pénal doivent être vulgarisés dans les langues locales. Le
gouvernement et ses partenaires doivent mobiliser des moyens pour la formation de
la population en matière de résolution des conflits fonciers.

• Une stricte collaboration doit être établie entre les agents de l’administration
foncière et les cadres de base, en tenant toujours compte des documents de base
dans la délivrance des titres fonciers.

• La population doit être sensibilisée à la loi du pays et à la loi foncière, selon


l’adaptation des textes pour la reconnaissance des droits de jouissance des
autochtones (articles 387 à 389 de la loi foncière).

• Les services de l’administration foncière doivent identifier les parcelles et effectuer


leur numérotation informatique dans un bref délai.

• Des campagnes d’information doivent être organisées pour faire comprendre aux
autochtones l’importance de privilégier la paix sociale avec les nouveaux acquéreurs,
afin de privilégier la cohésion sociale dans la communauté.

• Des séances d’animation communautaires doivent être organisées et des émissions


de radio et de télévision doivent être diffusées pour la vulgarisation de la loi foncière
dans les langues officielles et locales.

Aux agents de l’ordre, de la police et des FARDC

• La collaboration et la proximité entre les agents de l’ordre, les instances judiciaires


et la population doit être renforcée afin de protéger ceux qui ont le courage de
dénoncer les malfaiteurs dans leur commune.

Aux organisations non gouvernementales internationales

• Elles doivent soutenir les parties prenantes, surtout les Comités de suivi qui ont été
élus à l’issu des tables rondes, pour qu’ils soient plus actifs et plus performants dans
l’accompagnement des résolutions prises par les participants.
• Elles doivent faciliter les espaces d’échange entre les citoyens et les décideurs, dans
tous les domaines, aussi bien sécuritaires que fonciers.
• Un plaidoyer doit être mené pour parvenir à réglementer les marchés et à en créer
de nouveaux.

Au gouvernement central

• Il convient de promouvoir la construction d’un État de droit et d’opérer une réforme


de l’armée et de la police.

47
• Les militaires doivent être sensibilisés à la culture de la paix, en leur rappelant que
leur rôle est de veiller à la sécurité de la population et de ses biens tout en assurant
l’intégrité territoriale du pays. Il est donc urgent d’organiser une armée vraiment
républicaine, bien entraînée et dissuasive.

• Toutes les mesures doivent être prises pour arriver à une sécurité collective régionale
et une coopération régionale en matière de projets d’intérêt commun.

• Le gouvernement doit œuvrer à « une gestion transparente des affaires publiques, à


l’amélioration de l’appareil judiciaire et au renforcement de son indépendance en
cultivant le respect du principe selon lequel « tous les citoyens sont égaux devant la loi » ».

• En ce qui concerne le secteur de l’économie, le gouvernement doit mettre en place


des structures fiables et transparentes pour gérer l’économie du pays.

• Il convient de revaloriser la morale et l’éducation civique et de renforcer le domaine


de l’éducation à la citoyenneté dans les programmes scolaires, en insistant
particulièrement sur les valeurs de tolérance, de laïcité, d’intégrité, de paix et de
droits de l’homme.

• Du point de vue socioculturel, il est urgent de renforcer le tissu social et l’acceptation


de la culture de l’autre, et dans le domaine religieux, d’organiser des rencontres
régulières et un dialogue interconfessionnel permanent.

• Le gouvernement, tant provincial que central, doit faire tout ce qui est possible pour
davantage impliquer les femmes dans les différents secteurs de la vie publique, de
l’entrepreneuriat et de la reconstruction post-conflit.

• Le gouvernement doit fournir encore plus d’efforts pour éradiquer la corruption et


toute autre forme de trafic d’influence, tout en veillant à renforcer le secteur de
l’entrepreneuriat, en protégeant la propriété privée et en entretenant la cohésion tant
provinciale que nationale.

• Il est urgent de réformer et de renforcer l’appareil judiciaire, tout en prenant en


compte les questions sexospécifiques. Les décideurs à tous les niveaux gagneraient
aussi à élaborer des émissions éducatives pour la paix.

Ces stratégies ne doivent pas être vues comme une panacée, mais comme des pistes pour
résoudre les conflits qui minent la ville de Goma.

48
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https://www.unicef-irc.org/publications/pdf/MB2FR.pdf (visité le 18 mars 2019)

52
ANNEXES

Annexe A : Types de conflits priorisés par quartier des communes de la ville de Goma
Commune Quartier Nombre de conflits Conflits priorisés
identifiés

GOMA LAC VERT 7 Conflits fonciers

KYESHERO 9 Conflits fonciers

HIMBI 7 Conflit foncier (conflit entre


les services du cadastre, les
anciens occupants des
parcelles et les nouveaux
suite à des documents
illégaux)
MAPENDO 9 Conflits entre les membres
de la communauté suite au
non-respect des normes
urbanistiques
MIKENO 7 Conflit entre les agents de
l’ordre, les jeunes
délinquants et la population
KARISIMBI NDOSHO 4 Conflit entre les agents de
l’ordre, les jeunes
délinquants et la population
de Ndosho
MUGUNGA 13 Conflits fonciers

KATOYI 9 Conflit entre les agents de


l’ordre, les jeunes
délinquants et la population
de Katoyi
MAJENGO 8 Conflit entre les membres
de la communauté
(population) suite au non-
respect des normes
urbanistiques
MABANGA 9 Conflit entre les instances
NORD judiciaires et la population
suite à la libération de
malfaiteurs
53
Annexe B : Questions écrites ou orales posées par les députés du Nord-Kivu
(2009-2014)42
Auteur de la Type de Date Objet Destinataires
question question

Mizerero écrite 03/05/2013 Immeubles Ministre provincial


Sebirande de l’État des Affaires
foncières, urbanisme,
Habitat, transport et
communication
Muteule orale 05/06/2014 Transports, Ministre provincial
Moromoro Mutuel urbanisme, des Affaires
Habitat foncières, Urbanisme,
Habitat, Transports
et communication
Muteule orale 10/04/2013 Sécurité, Ministre provincial
Moromoro Mutuel conflits, de l’Administration
routes du Territoire, ordre
public, Affaires
coutumières et
Reconstruction
Jaribu Muliwavyo orale 03/10/2012 Sécurité Gouverneur de
Jean-Bosco Province

Jaribu Muliwavyo orale 04/10/2012 Sécurité Gouverneur de


Jean-Bosco Province

Jaribu Muliwavyo orale 10/05/2012 Spoliation du Ministre provincial


Jean-Bosco Stade public des Travaux publics,
SOTRAKI Infrastructures,
Affaires foncières,
Transports et Com.
Jaribu Muliwavyo orale 10/09/2011 Terrains des - Chef de division des
Jean-Bosco institutions Titres immobiliers
supérieures et
universitaires - Chef de division du
de Goma Cadastre, Goma

42
Adapté de Mughedi Nzereka Nisse et Namegabe Paul-Robain,, Gouvernance provinciale au Nord-Kivu et au Sud-Kivu entre 2007 et 2014.
Rapports entre Institutions provinciales, réformes de la justice et de la police, Goma, Pole Institute, avril 2015, pp. 78-81.
54
Jaribu Muliwavyo orale 11/08/2011 Sécurité Ministre provincial
Jean-Bosco de l’Administration
du Territoire, affaires
coutumières et
sécurité
Jaribu Muliwavyo orale 07/02/2011 Insécurité en M.P. de
Jean-Bosco territoire de l’Administration du
Beni et ses Territoire, Affaires
environs coutumières et
Sécurité

Jaribu Muliwavyo orale 11/08/2010 Stade public Ministre provincial


Jean-Bosco SOTRAKI des Travaux Publics,
Infrastructures,
affaires foncières,
Transports et
communication
Kakule Saa-Sita orale 08/05/2014 Situation Ministre provincial
Kakule sécuritaire de l’Administration
du Territoire, Ordre
public, Affaires
coutumières et
Reconstruction
Kasereka Giza orale 10/04/2013 Insécurité, Gouverneur de
Jean de Dieu conflits, Province
désagréments

Lukumbuka orale 11/04/2013 Lotissement Chef de division du


Kyambi Désiré Cadastre / ville et
territoire de Beni
N’zchanzchu orale 14/04/2012 Spoliation Ministre provincial
Kenda-Kenda des domaines des Affaires
Valérien public et Foncières,
privé de urbanisme, habitat,
l’Etat transport et
communication

Ministère provincial
de l’Administration
de la justice, DHO et
Réinsertion
communautaire
55
Mukosasenge orale 15/03/2011 Exécution du Gouverneur de
Fataki budget, Province
justice,
bavures
policières,
conflits
coutumiers

Annexe C : « Les questions d’actualité en province du Nord-Kivu entre 2007


et 2014 »43

Auteur Date Objet Destinataire

Jaribu Muliwavyo 23/05/2008 Situation sécuritaire Gouverneur de


J.B. Province
Muhindo Nzangi 27/07/2009 Situation sécuritaire Gouverneur de
Butondo en Territoire de Province
Lubero
Mayombo Omari 16/02/2009 Vente des parcelles Chef de Division de
sur le terrain de l’Urbanisme et
l’Etat habitat
Kunemutumba 17/02/2009 Conflits du pouvoir Ministre provincial
Mbakwa Samuel coutumier en charge de
l’Intérieur,
Administration et
Affaires
coutumières
Kunemutumba 30/03/2009 Octroi de titres Conservateur des
Mbakwa Samuel immobiliers Titres Immobiliers,
Chef de Division du
Cadastre de
Rutshuru

43
Idem, p. 83.
56
Annexe D : « Interpellations / Nord-Kivu »
Auteur Date Problème Personne visée
(destinataire)
Kayisavera Mbake 06/05/2008 Dysfonctionnement MP de l’Administration
Wighong de l’administration de du Terr., Affaires
la justice coutumières, sécurité et
Administration de la
justice
Muhayirwa 24/02/2009 Gestion du domaine CTI Butembo, CDC
Kazungu Simon foncier à Butembo Butembo, CB de
l’urbanisme et habitat,
CB de la voirie urbaine
de Butembo
Kunemutumba 16/01/2011 Gestion des conflits MP intérieur,
Mbakwa Samuel du pouvoir coutumier Administration, Sécurité
et Affaires coutumières
Kunemutumba 15/02/2011 Gestion des conflits MP Intérieur,
du pouvoir coutumier Administration, Sécurité
et Affaires coutumières
Jaribu Muliwavyo 10/09/2011 Administration et MP Administration du
JB sécurité terr., Ordre public et
Affaires coutumières
Sebishimbo Rubuga 07/10/2013 Défaillances dans MP affaires foncières,
JB l’urbanisation de la Urbanisme, Habitat,
province et de Goma Transports et
Communications

57

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