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PA00XJ2W
PA00XJ2W
TENDANCES PROTÉIFORMES
ANALYSE SYSTÉMIQUE DES CONFLITS
1
À propos du Consortium
2
Remerciements
3
Sigles et abréviations
AKM Amani Kwa Maendeleo
ANR Agence Nationale de Renseignement
Asbl Association sans but lucratif
AVEC Association Villageoise d’Épargne et Crédit
CIMNOKI Compagnie Immobilière du Nord-Kivu
CIRGL Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs
CPDQ Cellule de Paix et de Développement du Quartier
FARDC Forces Armées de la République Démocratique du
Congo
FGD Focus Group Discussion
IRC International Rescue Committee
ISSSS Stratégie Internationale de Soutien à la Sécurité et à la
Stabilisation
M23 Mouvement du 23 mars
MESORE Meilleure Solution de Rechange
MSI Management System International
ONG Organisation Non Gouvernementale
OPAK Office des Produits Agricoles du Kivu
OTRACO Office des Transports au Congo
PAPS Plans d’Action Provinciaux de Stabilisation
PLU Plan Local d’Urbanisation
PNC Police Nationale Congolaise
PNVI Parc National des Virunga
RAP Recherche-Action Participative
RDC République Démocratique du Congo
SOCOPA Société Coopérative de la Production Agricole
SPR Solution pour la Paix et le Relèvement
SPS Stratégies Provinciales de Stabilisation
STAREC Stabilisation et Reconstruction de l’Est du Congo
TDR Termes de Référence
TRAPAK Transformation du Pyrèthre au Kivu
USAID United States Aid for International Development
1
Sommaire
Sigles et abréviations ................................................................................................................. 1
RÉSUMÉ OPÉRATIONNEL ...................................................................................................... 3
INTRODUCTION ........................................................................................................................ 7
1. Contextualisation de la recherche .................................................................................. 7
2. Objectifs de l’étude .......................................................................................................... 8
3. Structure du rapport ........................................................................................................ 9
PREMIÈRE PARTIE Approche méthodologique : regards brassés ....................................... 10
DEUXIÈME PARTIE Goma, un espace qui a toujours attisé les convoitises ......................... 15
2.0. Introduction .................................................................................................................... 15
2.1. Goma, Ngoma ou Mboma : un toponyme conflictogène .............................................. 16
2.1.1. « Goma » comme dérivé de « Ngoma » ................................................................ 16
2.2. Cependant, Goma n’est jamais perçue comme « une ville » ....................................... 17
2.3. Goma, un héritage vicié mais bien préservé ................................................................ 17
2.4. Goma ou le vêtement qui bâille..................................................................................... 18
2.5. Goma, une ville intelligente mais victime de son intelligence....................................... 19
2.6. Goma, une ville audacieuse et politiquement ambitieuse ............................................ 20
TROISIÈME PARTIE Coup de projecteur sur Goma, minée par les conflits.......................... 21
1. Contexte de la ville de Goma ........................................................................................ 21
2. Contextualisation des communes de Karisimbi et de Goma ....................................... 23
2.1. Pour la Commune de Karisimbi ................................................................................ 23
2.2. Pour la Commune de Goma...................................................................................... 26
QUATRIÈME PARTIE Lecture des résultats des données RAP pour la ville de Goma......... 28
1. Regards sur les fils conducteurs des conflits ............................................................... 28
2. Les parties prenantes dans les conflits......................................................................... 32
3. Les conflits de Goma et la dollarisation de la vie ......................................................... 33
4. Les mécanismes de transformations de conflits .............................................................. 34
5. Les risques auxquels la ville de Goma est confrontée .................................................... 38
CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS .......................................................................... 43
Recommandations................................................................................................................ 45
BIBLIOGRAPHIE .................................................................................................................. 49
ANNEXES ................................................................................................................................ 53
Annexe A : Types de conflits priorisés par quartier des communes de la ville de Goma ...... 53
Annexe B : Questions écrites ou orales posées par les députés du Nord-Kivu (2009-2014) 54
Annexe C : « Les questions d’actualité en province du Nord-Kivu entre 2007 et 2014 » ...... 56
Annexe D : « Interpellations / Nord-Kivu » .............................................................................. 57
2
RÉSUMÉ OPÉRATIONNEL
Il suffit d’un postulat pour résumer la situation de la ville de Goma et justifier une
intervention, comme celle annoncée par le projet « Solution pour la Paix et le Relèvement /Amani
kwa Maendeleo SPR/AMK » : dans cette ville, les conflits sont devenus une partie du paysage,
si bien que les communautés locales les ont acceptés comme des institutions normales. Pour
les habitants, les conflits sont un mode de vie ; l’armée, de plus en plus oisive et mêlée à la
population, se tourne désormais vers les civils non armés. Certains agents administratifs
semblent désorientés et ne trouvent pas leur place. Tout bouge, change et avance, dans une
confusion telle que personne ne semble savoir dans quel système il se trouve embarqué. La
grande question que soulève ce sombre tableau consiste à savoir comment on en est arrivé
là, et comment en sortir.
C’est dans ce sens que le projet « Solution pour la Paix et le Relèvement / Amani kwa
Maendeleo SPR /AMK » a été conçu et initié par un Consortium de trois organisations avec
l’appui de l’USAID.
Deux éléments capitaux sous-tendent le bien-fondé du projet. Il s’agit d’abord des conflits
persistants et rampants dans la ville, avec toutes les conséquences qu’ils impliquent. Ensuite,
une question fondamentale se pose : comment appréhender un espace géographique et/ou
historique aussi mouvant que la ville de Goma ? La deuxième interrogation, et non des
moindres, consiste à savoir, d’une part, qui bénéficie de ces conflits : dans quelle mesure,
où, quand et comment ? Et d’autre part, qui y perd, où, quand et comment ? La troisième
question consiste à envisager comment sortir de la crise multiforme qui gangrène la société
de Goma.
En tant que structure organisationnelle, et étant donnée l’immense étendue du travail, une
équipe a été mise en place, composée de membres et de consultants qui connaissent non
seulement le milieu en question, mais sont aussi dotés d’une expertise en matière de
recherche et d’analyse des conflits. L’objectif du Projet SPR /AKM était de documenter,
d’évaluer et d’analyser les conflits afin de mobiliser les organisations ou les structures locales
et renforcer leur capacité d’agir dans la recherche de solutions aux conflits qui prévalent à
Goma. Aussi le projet visait-il à interpeller les décideurs afin qu’ils soutiennent les processus
communautaires inclusifs qui stimuleront ces solutions. Dès le départ, les équipes ont été
constituées, informées et formées au sujet de ce projet.
Les recherches amorcées se basaient sur plusieurs postulats : tout d’abord, la situation
conflictuelle dans la ville de Goma a tellement perduré, et avec une capacité de nuisance et
de métamorphose telle, qu’elle a handicapé les secteurs socioéconomique, politique,
sécuritaire et environnemental. Ensuite, il était crucial de rappeler que la paix, la sécurité, la
stabilité et le développement étant interdépendants, on ne peut pas concevoir l’un sans les
autres. Le troisième postulat est qu’il convient de disposer d’un espace public de dialogue
3
entre les acteurs à tous les niveaux, pour échanger autour de problématiques aussi cruciales
que l’identification des leviers d’action sur lesquels s’appuyer pour promouvoir une
cohabitation pacifique et un développement durable. Il s’est avéré que la cohabitation entre
les groupes communautaires dans la ville de Goma a toujours été sujette à de constantes
mésententes et frictions. Plusieurs raisons justifient ces frictions, parmi lesquelles :
- Une ville prise en étau entre son ancien statut de « centre extra-coutumier » et de
siège urbain du chef-lieu de la province du Nord-Kivu ;
- Une forte pression démographique, l’essaimage ethnique par quartier et les clivages
sociaux ;
- Des recrutements et/ou créations des confessions religieuses sur base ethnique.
Toutes ces situations s’ajoutent à l’apathie, sinon au déclin, des institutions étatiques ou à
l’absence du pouvoir de l’État. Le tout est accompagné d’une forte dose de manipulation
politique. Cette situation de faiblesse due à la démission ou à l’absence de l’État et au
remaniement de la famille renforce l’enkystement identitaire tribal, religieux, politique et/ou
économique, créant ainsi un espace ouvert à divers conflits. Ces raisons ont motivé l’analyse
systémique des conflits, en vue des solutions qui favoriseraient un développement durable.
Trois parties constituent l’ossature de cette étude. La première porte sur l’approche
méthodologique à la fois diachronique, synchronique et croisée qui a été adoptée pour
réunir les données, les outils, les acteurs et les étapes parcourus pour en arriver à
l’élaboration du rapport.
4
laissant ainsi entrevoir où peuvent s’immiscer des dynamiques positives ou négatives1 ;
« Goma, une ville intelligente mais victime de son intelligence » ; « Goma, confrontée à la
Bombe P » ; enfin, « Goma, une ville audacieuse et politiquement ambitieuse », champ
d’expérimentation des conflits.
La troisième partie présente un aperçu sur les conflits à Goma dans l’Est de la RD
Congo. Cette partie s’articule sur le fait que dans ce cas, l’histoire dicte la compréhension
de ce qui s’y passe aujourd’hui, et qu’il faut donc que l’on s’arrête sur certains faits
conflictuels identifiés. Ces faits et ce qui les motive, bien qu’il s’agisse d’une réalité
mouvante, nécessitent une compréhension profonde pour que, si possible, différents
intervenants proposent des solutions.
Dans la recherche d’une première voie vers les solutions s’est affirmée la nécessité de
mener une recherche-action participative2 afin de promouvoir la cohésion sociale et la
consolidation de la paix dans la ville. Le travail consistait à faire ensuite de bons diagnostics
et à établir les facteurs de vulnérabilité et les risques de tomber dans des conflits latents et
meurtriers. Enfin, il s’agissait de faire une analyse participative des conflits à partir de la
base. S’il est vrai que certains analystes évoquent les effets de la mondialisation pour justifier
certaines défaillances qui sont plutôt de l’ordre du leadership et de la bonne gestion des
humains et de leurs biens, il convient également de reconnaître que la situation actuelle
compromet la cohésion sociale et le développement et que si personne n’y veille, l’avenir
des générations futures se trouvera sans nul doute hypothéqué et compromis.
Parmi les activités qui ont été organisées, on peut citer les réunions préparatoires pour
la planification et la mobilisation des parties prenantes. Parmi les participants aux divers
travaux en atelier, on pouvait trouver des membres de la coordination et des chercheurs de
Pole Institute, des agents des services administratifs et financiers, les bourgmestres des
communes de Goma et de Karisimbi, ainsi que les chefs de quartiers, d’avenues et de
cellules.
Les activités des réunions ainsi que des recherches étaient essentiellement participatives.
Les données étaient récoltées suivant les variables sécuritaires, sociales, politiques,
économiques et environnementales. Les participants ainsi que les chercheurs devaient
identifier et établir la part de chaque partie prenante dans les conflits ; établir les
1
BUCYALIMWE Mararo Stanislas (dir.), Cycle du mal et refus. Hommage au Prof Dr Ruriho Munanira Kibambasi, s.l., Isoko-Kivu, 2009.
2
IDS BULLETIN, Transforming Security and Development in an Unequal World, Vol. 40, n° 2, Oxford, Blackwell Publishing Ltd, mars
2009.
5
conséquences directes et indirectes des leurs actes ; envisager des voies de sortie et formuler
des recommandations aux différents décideurs. En effet, on déplore souvent une faiblesse
des institutions étatiques et un déficit de données fiables ou un dysfonctionnement d’un
mode de suivi des phénomènes comme l’urbanisation et la gestion des ressources humaines
et naturelles dans la ville de Goma. Néanmoins, s’est-on demandé quelle était la part de
chacun, de ceux qui agissent et ceux qui les poussent à agir tout comme la part de ceux qui
les observent en train d’agir ?
Cinq quartiers ont été ciblés pour mener cette étude : Ndosho, Mugunga, Katoyi,
Majengo et Mabanga-Nord. C’est un fait indéniable : les solutions aux problèmes qui
frappent ces quartiers peuvent être locales, nationales, régionales, et peut-être même
internationales.
Pour ce qui est des voies de sortie, les recommandations suivantes ont été formulées :
3
David Pierre, Psychanalyse et famille, Préface de Françoise Dolto, Paris, Armand Colin, 1976, p. 20.
6
INTRODUCTION
1. Contextualisation de la recherche
Si les conflits dans la ville de Goma sont de vrais systèmes, de quel type de systèmes
s’agit-il ? Et s’il peut être admis que ces conflits visibles ont des effets à la fois domestiques
et extérieurs au lieu où ils s’opèrent, comment apparaissent-ils en définitive, et d’où tirent-
ils leurs forces humaines et matérielles ? Aujourd’hui, à quel plan local d’urbanisation ou
d’occupation répond la ville, si même il y en a un ? Et si les acteurs n’ont pas su faire face
adéquatement à ces conflits, comment procéder pour remédier à la situation, faire place à
une réelle cohésion sociale et promouvoir un développement durable conforme aux
objectifs mis en place à l’horizon 2030 et après ? Voila autant de questions qui condensent
le bien-fondé du projet « Solution pour la Paix et le Relèvement /Amani kwa Maendeleo ».
Cette étude s’inscrit dans le cadre des activités initiées par l’USAID en collaboration
avec un consortium constitué de trois organisations intervenant dans la transformation et
la consolidation de la paix en RD Congo et dans la province du Nord-Kivu en particulier.
En substance, ce rapport vise à présenter l’identification, le classement des priorités et
l’analyse de la dynamique des conflits dans différents quartiers de la ville de Goma, en
établissant comme buts la paix et le développement durable.
Trois grandes étapes ont marqué les activités du Projet SPR-AKM. La première était la
mobilisation des partenaires et l’information au sujet du Projet. Ensuite est venu le moment
de l’action sur le terrain, en suivant les consignes fournies pour la collecte des données,
nécessaires pour permettre aux intervenants et aux décideurs de prendre des dispositions
quant aux situations conflictuelles réelles qui prévalent dans la ville de Goma. Enfin, la
troisième étape consistait à compiler les informations recueillies et à les présenter devant
des équipes chargées de l’évaluation du travail effectué ou du rôle des parties prenantes. À
l’issue de ces trois étapes, le rapport final ci-présent a été élaboré.
Les données ont été récoltées par les chercheurs du Pole Institute dans les quartiers qui
forment les deux communes de la ville de Goma, à savoir la commune de Goma et la
commune de Karisimbi. Les premiers pas consistaient à identifier les informateurs clés qui
pouvaient leur fournir tout ce dont ils avaient besoin dans leurs recherches, afin de proposer
des solutions adéquates aux problèmes ainsi identifiés. Plusieurs types de conflits ont été
relevés dans chaque quartier. Néanmoins, étant donné que, dans le cadre de ce Projet SPR-
AKM, il ne fallait pas s’appesantir sur tous les quartiers, et encore moins sur tous les conflits
inventoriés, dix (10) quartiers ont été ciblés. Il a été demandé également aux informateurs
réunis en focus group de prioriser le conflit le plus saillant dans leur quartier respectif. Les
quartiers retenus dans la commune de Karisimbi sont Ndosho, Mugunga, Katoyi, Majengo
et Mabanga-Nord. Dans la commune de Goma, il s’agit de Lac Vert, Kyeshero, Himbi,
Mapendo et Mikeno.
7
- Les conflits entre les forces de l’ordre, les jeunes délinquants et la population dans
les quartiers Ndosho, Katoyi et Mikeno ;
- Les conflits entre les membres de la communauté suite au non-respect des normes
urbanistiques dans les quartiers de Majengo et Mapendo ;
- Les conflits entre les instances judiciaires et la population suite à la libération des
malfaiteurs dans le quartier Mabanga-Nord.
Ces conflits ont causé plusieurs morts, ainsi que la perte de biens de grande valeur.
D’autres biens continuent d’être exposés au danger ou d’être détruits, dans l’attente qu’une
solution durable soit trouvée. Une telle situation ne peut faciliter la cohabitation des
populations.
Plusieurs acteurs ont été impliqués dans ces conflits selon leurs positions, leurs intérêts,
leurs besoins ou tout simplement les stratégies qu’ils mettent en jeu pour satisfaire ces
besoins, intérêts ou positions. Parmi ces acteurs, certains sont visibles, connus et donc
directs et d’autres sont invisibles car agissant de manière souterraine, et donc indirectement.
Une première lecture indique que parmi les acteurs figurent les forces de l’ordre (police,
militaires, renseignements), les jeunes délinquants, la population en général et les agents du
cadastre urbain. Entre les lignes, on peut déceler ce que les informateurs ont appelé une
manipulation politicienne dans certains conflits. Les politiciens font donc aussi partie des
acteurs dans les conflits qui frappent la ville de Goma. Ainsi est-on arrivé au constat que
les types de conflits prédominants à Goma sont les conflits politiques (conflits fonciers) et
économiques (conflits sécuritaires).
2. Objectifs de l’étude
Globalement, cette étude visait à analyser et à expliquer les conflits et leurs dynamiques
dans la ville de Goma, afin de suggérer des réponses appropriées. Elle consistait à faire une
analyse profonde des conflits, en identifiant leur histoire, leurs moteurs, les acteurs qui y
sont directement ou indirectement impliqués et leur capacité d’influencer les conflits ou d’y
trouver des solutions. Spécifiquement, la recherche visait à :
- Documenter les conflits qui prévalent dans la ville de Goma ;
- Renforcer les capacités des structures locales de paix et de développement au sein
des quartiers afin de les rendre plus opérationnelles, plus actives et plus utiles à la
communauté ;
- Percevoir les contextes globaux et spécifiques des conflits en analysant les facteurs
favorisants et défavorisants des conflits, et en établissant les parties prenantes, les
diviseurs et les connecteurs ;
- Formuler des recommandations en proposant des solutions susceptibles de rétablir
la paix, la confiance et la cohésion sociale, afin de promouvoir un développement
durable. ;
- Contribuer à l’intégration de la « sensibilité aux conflits et au genre » dans les
activités d’analyses et de recherche tout en insistant sur les aspects sexospécifiques.
8
3. Structure du rapport
La première partie de ce rapport porte sur l’approche méthodologique qui a été adoptée
pour réunir les données, les outils, les acteurs et les étapes parcourues pour en arriver à
l’élaboration du travail final. La tâche principale consistait d’abord à identifier les parties
prenantes, à les mobiliser et à étudier leurs actions ainsi que leurs relations avec les temps,
le lieu et les événements. Enfin, le travail devait amener les parties impliquées à une forme
d’introspection ou d’autocritique pour formuler un « pacte », dans lequel chacun s’engage à
contribuer à la cohésion sociale et à la promotion de la paix.
La troisième partie porte sur les recherches faites dans la « ville de Goma », qui font se
croiser deux approches, l’une diachronique, car l’histoire de Goma dicte la compréhension
de ce qui s’y passe aujourd’hui, et l’autre synchronique, qui demande que l’on s’arrête sur
certains faits conflictuels identifiés dans différents quartiers. Ces faits et ce qui les motive,
bien qu’il s’agisse d’une réalité mouvante, nécessitent une compréhension profonde pour
que si possible, différents intervenants proposent des solutions. Il s’agit de faire une
évaluation des facteurs sous-jacents de ces conflits et de trouver les thérapies préventives
ou curatives pour les combattre. Cependant, compte tenu des multiples interprétations que
chacun fait des conflits dans la ville, il a été nécessaire d’établir des analyses préalables du
contexte conflictuel.
4
Bucyalimwe Mararo Stanislas, Cycle du mal et refus, s.l., Isoko-Kivu, mars 2009.
9
Enfin, une conclusion fait la synthèse de tous les points clés qui fondent la recherche
SPR/AKM et émet des recommandations aux différents acteurs engagés dans les
dynamiques globales de la ville de Goma. Il ressort des différents ateliers que les participants
ont proposé les pistes de solutions suivantes :
• Fonder les stratégies de changement pour une cohésion effective et efficace sur des
éléments solides recueillis auprès de la base ;
• Aider les parties prenantes à se focaliser davantage sur des domaines jugés
prioritaires ou sur des conflits priorisés, pour leur apporter plus d’attention et
trouver des solutions plus efficaces.
PREMIÈRE PARTIE
10
Cette étude résulte de la triangulation ou du croisement des méthodes, des données,
des sources et des théories : en premier lieu, les méthodes de recherche autour de la
recherche-action participative, puis le croisement des données.5 Il existe une abondante
littérature écrite et/ou orale sur la « ville de Goma », qui fournit des informations capitales
et qu’il fallait donc aussi interroger.
La collecte des données s’est donc faite à travers une recherche documentaire et à
travers des entretiens. La documentation ou les données secondaires ont permis d’établir
l’historique de la ville avec tous les enjeux économiques, sociopolitiques et culturels à
travers lesquels la ville s’est façonnée, tandis que les entretiens ont permis de recueillir des
informations primaires auprès de ceux qui ont vu la ville évoluer. Pour ce faire, un
questionnaire a été conçu et des discussions en face à face ou en groupe ont été organisées.
Plusieurs approches théoriques ont été croisées, à savoir la théorie du déracinement et de
l’enracinement, ainsi que la théorie du changement et de la transformation des conflits. La
recherche a été conçue dès le départ comme une étude à caractère qualitatif. Elle visait à
exploiter les idées, les opinions et les positions des habitants de la ville de Goma, qui
constituaient un échantillon.
5
La métaphore “brassée” est ici en rapport avec la tactique ou le phénomène dit de “brassage” qui a été adopté par le Gouvernement central
de la RD Congo pour former une armée républicaine en unissant des Forces Armées reconnues avec les éléments de certains groupes rebelles
qui « ont accepté » de rejoindre le côté gouvernemental.
6
World Bank, Reshapping the Future. Education and Postconflict Reconstruction, Washington DC, The International Bank for
Reconstruction and Development, 2005, p. 7.
11
Elle permet aussi de prédire si les postulats et questions de départ produiront les résultats
escomptés. Elle constitue donc une boussole pour tous les intervenants dans un programme
de développement, puisqu’elle permet :
- D’apporter plus de clarté et de consistance au processus de conception et de mise
en œuvre des divers projets, ici le programme SPR-AKM, en appliquant une
approche orientée de la base vers le sommet ;
- D’expliquer et gérer les résultats jugés prioritaires. Dans ce cas il s’agit de se
concentrer sur les conflits priorisés par quartiers dans la ville et sur les
recommandations formulées à l’issue des tables rondes ;
- De promouvoir l’égalité des sexes. Dans le cadre de cette recherche, les
considérations sexospécifiques ont été jugées indispensables dans la transformation
des conflits.
Les plans stratégiques qui sont ressortis des divers ateliers et de la RAP étaient basés sur
les contributions des différents acteurs qui ont pris part aux tables-rondes. Ils résumaient
donc l’impact que le projet SPR/AKM espère avoir sur la vie de la communauté. Mais la
théorie du changement aidera également, lors de la mise en œuvre du programme, à établir
ses facteurs de réussite. Ceux-ci feront l’objet d’un suivi et d’une évaluation afin de rendre
compte à tous les acteurs de la façon dont le projet SPR/AKM avance et leur faire ainsi
prendre conscience des défis existants et des autres points à renforcer.
La théorie du changement appliquée par le projet SPR/AKM a des liens avec la théorie
des contacts ou des comportements sociaux basés sur l’interaction avec les autres 7. Nous
pensons aux autres et nous interagissons avec les autres de manières variées, et c’est
évidemment là l’aspect le plus fondamental de la vie en société. Robert A. Baron parle à ce
sujet de « contact hypothesis » : il reconnaît que le contact croissant entre les membres
communautaires de groupes variés, comme par exemple ceux vivant dans la ville de Goma,
peut être efficace dans le combat contre les préjudices ou les conflits en général. Le cas
contraire produit des effets indésirables et engendre des conflits. À la base de cette
hypothèse, on retrouve le phénomène de la catégorisation sociale. Celui-ci réside dans la
tendance inhérente à la nature humaine de subdiviser la société en deux catégories
7
Robert A Baron, Psychology, New Delhi (Prentice Hall), Ally & Bacon, 1995.
12
distinctes, désignées par le « nous » d’un côté contre le « eux » de l’autre. Les conditions
suivantes doivent être remplies pour que le contact soit efficace :
• Les groupes en contact doivent être égaux dans leur statut social, économique,
professionnel ou dans toute autre tâche qu’ils exécutent ensemble. Dans le cadre de
cette étude, nous observons des acteurs différents qui doivent agir dans une même
direction, c’est-à-dire le changement et le développement communautaire dans la
ville de Goma.
• L’interaction doit impliquer la coopération et l’interdépendance, pour que les
membres des groupes en contact œuvrent réellement pour un même et seul but.
• L’interaction doit se passer dans un environnement au sein duquel les normes
régissant les groupes en contact favorisent l’égalité. Ces normes doivent être
équitables pour tous, les hommes comme les femmes, les garçons comme les filles,
les lettrés comme les analphabètes, sans aucune marginalisation ni exclusion.
• Les membres des groupes en contact doivent se considérer comme des membres
effectifs et typiques de leurs groupes respectifs, et seulement comme tels.
Dans ces cas, les dimensions suivantes sont souvent impliquées dans la catégorisation
sociale : la race, la religion, le sexe, l’âge, le patrimoine, le passé ethnique, l’occupation, le
lieu ou la ville de résidence, le voisinage…
Enfin, parmi les instruments de recherche qui ont été exploités se trouvent la grille de
lecture, les guides de questions et/ou les questionnaires. Ainsi, 1500 copies de
questionnaires ont été distribuées. La grille de lecture reprenait les points essentiels comme
l’aperçu méthodologique sur les théories ou paradigmes à appliquer, l’historique ainsi que
les situations conflictuelles qui règnent dans la ville de Goma. Quant aux guides de
questions, ils reprenaient des points au sujet des relations interdépendantes, leurs
résultantes ainsi que les solutions aux failles constatées dans ces relations. La méthode
appliquée étant exclusivement qualitative, elle a le mérite de faciliter l’examen détaillé et
approfondi du sujet de recherche et la collecte des données à travers un questionnement
élargi et flexible. Néanmoins, le volume des données ainsi récoltées a exigé beaucoup de
temps pour effectuer la compilation.
8Doyle Michael W et Nicholas Sambanis, Making War and Building Peace: United Nations Peace Operations. Princeton, Princeton University
Press, 2006.
14
DEUXIÈME PARTIE
2.0. Introduction
Goma, chef-lieu de la province du Nord-Kivu, est située à environ 1500 mètres
d’altitude dans la vallée du Rift. Elle est bâtie au nord du lac Kivu sur les coulées de lave
issues de la chaîne volcanique des Virunga. La ville couvre une superficie de 75,72 km² et
abrite une population estimée à 1 100 000 habitants, ce qui donne une densité de 14 527
hab/km² 9. Les langues qui y sont parlées sont le Kiswahili, une des langues nationales, et
le français en tant que langue officielle, ainsi que d’autres langues congolaises. C’est en
vigueur de l’article 1 de l’ordonnance n° 89-127 du 22 mai 1989, fixant le nombre, la
dénomination et la délimitation des communes ainsi que des quartiers, que la ville de Goma
a été subdivisée en deux communes, elles-mêmes subdivisées en 18 quartiers administratifs.
Il s’agit de :
Plusieurs sources tant orales qu’écrites s’accordent à dire que le lieu qu’on appelle
« Goma » prend son nom de « Ngoma », quand d’autres parlent de « Mboma ». Ces deux
mythes microtoponymiques méritent que l’on s’y arrête dans le cadre de cette étude, car
quelque part, ils cachent quelque chose du conflit.
12
Voir les rapports de la Mairie de Goma (2014, 2015, etc.).
13
Entretien avec RNM, mai 2019.
14
Le nom n’est pas dévoilé pour des raisons éthiques de recherche.
16
Les différentes étymologies du toponyme « Goma » reflètent des tendances
conflictuelles, chacun cherchant à s’approprier la paternité du nom. Les Hunde autant que
les Hutu (Bagoyi) tiennent à ce que l’origine du toponyme, et donc de la ville, leur
appartienne. Les Bakumu ne sont pas en reste, puisqu’ils revendiquent cet espace,
particulièrement pour ce qui est de la terre, du foncier. Graphiquement, ces considérations
donnent à lire un schéma ainsi représenté :
HUTU/TUTSI : Ngoma =
SWAHILI : Ngoma = Tambour, Pouvoir,
Tambour Époque, Règne
GOMA
HUNDE : Ngoma = KUMU: Ngoma =
Tambour Tambour / Terre
« Mboma » = Chef
Hunde de Gishari DOCUMENTATION
Goma = Ngoma
(instrument)
17
à montrer que dans l’esprit des habitants, l’espace dit « Goma » est subdivisé en « ville » et
« ailleurs ». Tout part de la période coloniale, quand Goma fut construite. Un ensemble
d’éléments annonçaient déjà une situation qui un jour serait trouble : l’occupation de Goma,
d’une part, et la construction, ou même la répartition des classes sociopolitiques ou
professionnelles de la ville même.
D’autre part, le milieu dit « Goma » garde encore simultanément des images
contradictoires de « ville » comme centre urbain et d’entité rurale, si bien qu’on ne perçoit
pas clairement l’écart entre les deux, du moins dans certains endroits. Il est vrai qu’avant
l’éruption volcanique de 2002, ce « conflit » toponymique s’affirmait au sein même de la
ville : une place à l’office en plein centre de Goma a même longtemps porté le nom de
« cité » … Le marché dit de Kahembe est à la fois dans la ville de Goma et fait référence au
territoire extra-urbain de Nyiragongo.
15
Entretien avec le Vieux N.I. à Goma, mai 2019.
16
La « Compagnie immobilière du Nord Kivu », une Compagnie ou société belge qui n’avait son siège qu’à Goma et à Bruxelles en Belgique.
C’est cette compagnie qui construira notamment les quartiers dits « Brazza », qui deviendront « Virunga » et le quartier « Office ».
17
Ku mwaro : similarité avec le luganda qui signifie le lieu d’embarcation ou d’accostage au bord du lac.
18
province et même République.18 Hélas ! Comme souligné ci-dessus, les tendances ou
l’instinct grégaire ou plutôt d’essaimage selon les ethnies a gangréné et corrompt toujours
la cohésion sociale. Le tissu social est réellement et profondément déchiré et laisse voir les
parties vulnérables et les faiblesses de la ville, soit l’absence d’harmonie sociale.
L’histoire dit qu’à ses débuts, la ville ne comptait que 70 habitants, qui travaillaient
pour les Blancs. Plus tard, surtout entre 1945 et 1960, beaucoup d’activités économiques
s’y développèrent, comme la construction du port de l’OTRACO, l’ouverture des usines
qui traitaient des produits agricoles, comme SOCOPA et TRAPAK qui étaient chargées de
traiter du pyrèthre, Thé Lipton pour le thé, etc. On trouvait également des magasins
spécialisés comme « Kibabi » et SEDEC. Des banques s’installèrent également. Toutes ces
infrastructures ont fait appel à beaucoup d’ouvriers. Aujourd’hui que ces infrastructures
n’existent plus, tous ces ouvriers et leurs familles ne sont pas rentrés d’où ils venaient, et ils
ne sont pas non plus partis ailleurs. On a parfois l’impression à Goma d’être face à une ville
hantée, parcourue par des habitants nostalgiques, leurs progénitures se bousculant dans les
rues pierreuses et fantomatiques20.
D’après les historiens, « Goma » a toujours été l’épicentre des conflits qui ont miné
le Congo21. Elle et sa voisine, Gisenyi, constituent comme une seule ville22.
18
Lire Roland Barthes, Le Plaisir du texte, dans lequel l’auteur s’interroge : « L’endroit le plus érotique d’un corps, n’est-il pas là où le
vêtement bâille ? », rappelant que cet endroit est source de désirs, de convoitises et de luttes.
19
Bucyalimwe Mararo Stanislas, « Goma (Nord-Kivu,RD Congo). Point de mire et de paradoxe » in Cycle du mal et refus, s.l., Isoko-Kivu,
2009, pp. 64-120.
20
Ibid.
21
Turner Thomas, The Congo Wars. Myth or Reality, 2007, p. 126.
22
Le Rapport de la mairie de Goma, 2015, brosse le tableau suivant de la ville et de ses origines : « Traditionnellement parlant, « Goma » serait
la déformation de « NGOMA » qui signifie en swahili « tambour ». Ce mot serait une référence au bruit du tambour qui résonne. La résonance
dont il est ici question était le grand bruit, similaire au son du tambour, provoqué par l’éruption volcanique. C’est ainsi que, en mémoire de ce
grand bruit, après l’éruption volcanique primitive, le premier village qui était implanté fut surnommé « MU NGOMA », l’actuelle GOMA.
Vers 1900, Goma a eu des contacts avec les colonisateurs. En 1906 fut fondé le poste de Goma, en face du poste allemand de Gisenyi. Il devait
jouer un rôle militaire, puis plus tard devenir un office de l’état civil. Dans les mêmes perspectives, vers les années 1930, son site actuel
correspondait aux camps des travailleurs du chemin de fer de l’État (CFE). Ce camp aurait été initialement établi au bord du lac Kivu vers l’Est
du site. A l’époque, Goma était le point d’aboutissement du réseau du VICI-CONGO et servait de port d’étape pour le transbordement des
produits agricoles et du matériel de construction provenant de Bukavu ou à destination de Bukavu. En 1945, Goma fonctionnait comme un
poste d’État en dépendance du Territoire de Rutshuru. Après cette période, ce poste fut une entité autonome, détachée de la juridiction de
Rutshuru. Par la suite, Goma grandit rapidement : avec une population de 1000 habitants en 1948, il est déjà identifié comme un petit centre
actif, en mesure d’abriter les services d’un Parquet de grande instance et d’autres éléments marquants. C’est le décret du 8 septembre 1954 qui
donne à la ville de Goma le statut de centre extra-coutumier, avec une population estimée à 8600 habitants. »
19
l’arrivée massive des colons blancs autour des années 1945 à 1950 dans l’ex-Kivu, ainsi que
l’extension de l’exploitation minière.
Deux autres faits historiques marquent les années 1959 et 1994 : Goma accueille
coup sur coup les réfugiés rwandais, d’abord les Tutsis, puis les Hutus. La ville avait
également accueilli des refugiés ougandais vers 1985, dans une perspective humanitaire.
Aujourd’hui, la ville apparaît parfois comme saturée, avec une population qui se partage
péniblement l’espace, parfois pour des questions de survie et de sécurité, souvent de bien-
être en général. Les trente dernières années, Goma a accueilli des milliers de déplacés
internes fuyant les conflits dans leurs territoires et villages. Toutes ces personnes ne sont
pas retournées dans leur région d’origine. Il faut ajouter à cela les milliers de touristes qui
sont passés à Goma, dans le parc de Virunga et les autres lieux touristiques de la zone. Ces
changements ont eu des conséquences néfastes sur la ville.
Pour ce qui est des défis posés par la population de Goma en général, le Plan
provincial de contingence (2014-2020) dresse un tableau très rapide : « La Ville de Goma est
caractérisée par une forte démographie, suite à l’exode rural dû aux problèmes socioéconomiques et aux
mouvements de population occasionnés par l’insécurité constante en province du Nord-Kivu ». Ceci
confirme que Goma a toujours été une ville d’accueil et de refuge.
La ville de Goma a été créée par la compagnie belge CIMNOKI, qui n’avait son
siège qu’à Goma et à Bruxelles. Elle a abrité le siège de la Coopération Zaire-Canada, qui
n’opérait qu’au Nord-Kivu, avec son siège dans la ville même de Goma.
Alors que Goma n’était que le siège d’une « sous-région » dépendant de la Région du
Kivu, elle a été dotée d’un aéroport international qui pouvait accueillir de gros appareils,
20
avant même l’aéroport de Bukavu, chef-lieu de la région. Tout ceci suffit à montrer combien
la ville a été convoitée, et elle le reste aujourd’hui23.
Au niveau politique, un coup d’État a été proclamé à Goma le 2 août 1998 contre le
Président congolais de l’époque24. Goma a ainsi eu pendant quelque temps le statut de
« capitale » d’un État à l’Est de la RDC. Un mouvement sociopolitique qualifié de
« Rwandophone » a été aussi proclamé à Goma25.
Ces quelques exemples prouvent que Goma a toujours été une ville ambitieuse, que
ce soit politiquement, économiquement ou au niveau humanitaire.
TROISIÈME PARTIE
23
Bucyalimwe Mararo Stanislas, op. cit.
24
Un certain Sylvain Buki a ainsi déclaré ce jour-là à Goma : « Tunamuondowa Kabila madarakani », qui se traduit : « Nous destituons le
Président Kabila de ses fonctions ».
25
Thomas Turner, The Congo Wars. Conflict, Myth & Reality, Londres et New York, Zed Books, 2007, p. 143.
21
construction, qui découle probablement du plan local d’urbanisation ou du plan
d’occupation du sol.
Plusieurs cas de conflits, 39 au total, ont été identifiés dans les deux communes de la
ville. Cependant, dans le cadre de cette recherche, il fallait prioriser un seul conflit par
quartier, celui que les informateurs jugeaient le plus remarquable. Ainsi, les conflits suivants
ont été identifiés et priorisés : les conflits fonciers dans la Commune de Goma et les conflits
sécuritaires dans la Commune de Karisimbi.
D’après les groupes de discussion organisés dans le cadre de la collecte des données, ces
conflits ont pour acteurs directs les habitants eux-mêmes, leurs dirigeants locaux, c’est-à-
dire ceux de la base, les forces de l’ordre, les agents de l’État œuvrant dans certains secteurs
comme celui de l’eau, de l’électricité ou alors celui des services cadastraux, des titres fonciers
et de l’urbanisme. A ces groupes s’ajoutent les « gardes-chiourmes » ou geôliers, à la suite
de tout l’appareil judiciaire. Les uns et les autres, en complicité avec la hiérarchie, libèrent
les malfaiteurs sans rendre de jugements équitables au préalable, ou rendent des jugements
arbitraires sous l’influence de responsables haut placés coupables de trafic d’influence et de
corruption.
Les constats tirés de ces entretiens ont donné lieu à des tables rondes conclusives, qui
avaient principalement pour objectif d’organiser des dialogues entre les différents acteurs
et élaborer des plans de cohésion sociale. Spécifiquement, ces forums visaient à :
22
2. Contextualisation des communes de Karisimbi et de Goma
Les études menées au niveau des deux communes ont indiqué que l’insécurité constitue
un problème capital dans la Commune de Karisimbi, alors que le foncier constitue la
pomme de discorde dans la Commune de Goma. Pour ce faire, il a été nécessaire de faire
appel aux groupes indexés et d’organiser des mini-dialogues. Les sujets identifiés au cours
de ceux-ci feraient l’objet d’une table ronde, au cours de laquelle les représentants de ces
groupes discuteraient et élaboreraient un plan de cohésion sociale à mettre en œuvre
ensemble. Les parties impliquées étaient les agents de l’ordre (ANR, PNC, FARDC), les
animateurs des structures locales de paix, les brocanteurs, les jeunes de la rue, les motards
et autres anti-gangs, les autorités et cadres de base, les propriétaires de maisons de tolérance
et de débits de boissons, etc. En plus de ces catégories, des élus du peuple ont aussi participé
aux tables rondes.
Pour chaque commune, quatre groupes de travail à caractère hétérogène ont été formés
afin de traduire les recommandations formulées en actions à entreprendre à court, moyen
et long terme afin de lutter contre l’insécurité ou les problèmes fonciers. Les plans adoptés
étaient basés sur les recommandations initialement formulées. Les participants devaient
ainsi les transformer en actions tout en prenant soin d’indiquer les stratégies de réussite, les
résultats attendus, les indicateurs objectivement vérifiables, les responsables, ainsi que la
période de mise en œuvre. Les résultats des échanges ont fait l’objet de présentations en
plénière à l’issue desquelles des actes d’engagement visant à traduire en faits concrets les
plans de cohésion ont été signés par tous les participants.
Une table ronde pour la Commune de Karisimbi a eu lieu les mercredi 13 et jeudi 14
mars 2019 à l’Hôtel La Joie Plazza de Goma. Elle a réuni 85 participants dont 28 femmes
habitant ou œuvrant dans la commune. Des échanges et des commentaires ont permis de
formuler une observation. Selon les participants, la situation dans la commune de Karisimbi
semble avoir empiré, au vu des cas d’assassinats qui y sont observés. Par ailleurs, il s’avère
que les résultats de ces assises constituaient un point de départ pour les législateurs, qui
doivent les traduire en lois pour lutter contre l’insécurité. En outre, il a été rappelé que les
services de renseignements et la police disent abusivement se servir de « PERCI (personnel
civil) », alors que cette catégorie d’agents relève exclusivement du domaine militaire, et qu’il
conviendrait plutôt de parler de « collaborateurs » dans ces deux catégories de services.
23
Plusieurs causes sous-jacentes de l’insécurité ont été épinglées : la prolifération des
maisons de tolérance ainsi que des débits de boissons fortement alcoolisées, la prolifération
des marchés pirates et la vente de cannabis, les taxes illégales perçues par les délinquants, le
manque d’eau potable et d’énergie électrique, la multiplication des églises de réveil, le taux
élevé de chômage et de salaires payés irrégulièrement, les déguerpissements désordonnés et
intempestifs des petits vendeurs informels des marchés pirates. Les parties prenantes ont
ajouté à cette liste le manque de collaboration entre la population et les forces de l’ordre, la
mauvaise approche des certains agents face à la population, l’association de malfaiteurs
entre certains agents de l’ordre et des jeunes délinquants, la multiplication des groupes de
délinquants et la libération des malfaiteurs par les instances judiciaires et les forces de
l’ordre. Tout ceci est accompagné de diverses violations des droits de l’homme.
D’autres facteurs de causalité évoqués sont la nomination des chefs locaux sur la base
de critères politiques, la manipulation de la population par les politiciens et la crise de
confiance entre la population et les chefs de quartiers d’une part et entre la population et
les instances judicaires d’autre part. Tous ces éléments sont liés à la pauvreté qui frappe le
gros de la population.
En outre, il s’est avéré qu’il ne fallait pas oublier le phénomène des « colonels sans
fonction » et des travailleurs de « fin d’heure », ravisseurs de biens de valeur se servant de
motos sous couvert des autorités militaires. À ces groupes s’ajoutent les jeunes démobilisés
qui errent dans certaines zones sans encadrement ni occupation.
Parmi les résultats qui ont été atteints, les discussions ont permis d’identifier les
différentes manifestations de l’insécurité ainsi que les acteurs (directs ou dans l’ombre) : la
population a pu reconnaître le rôle joué par les agents de l’ordre, les axes les plus dangereux
ont été identifiés, les faits historiques ayant renforcé l’insécurité ont été rappelés, et des
pistes de solutions ont été proposées par la population. Le plan de cohésion sociale a été
élaboré et un Comité de suivi composé de 11 membres a été constitué. Enfin, un acte
d’engagement a été signé par tous les 85 participants.
Ainsi, pour ce qui est des conflits sécuritaires, les participants à la table ronde ont
formulé entre autres ces recommandations :
• Que soit stoppée la pratique de certains militaires qui entrent dans les débits des
boissons avec leur tenue militaire et leur escorte ;
• Qu’une étroite collaboration soit établie entre la population, les cadres de base et les
agents de l’ordre, et que ces derniers opèrent selon la loi régissant leur statut ;
• Que ces agents et ceux des services de sécurité soient dotés des moyens matériels
nécessaires pour leurs interventions ;
24
• Que les normes et statuts des associations de brocanteurs soient strictement
respectés ;
• Que les personnes qui collaborent financièrement avec les groupes armés soient
identifiées et dénoncées pour être punies ;
• Il faudrait déloger les civils des camps militaires et policiers et caserner les militaires
et policiers habitant la cité ;
Ainsi, les signataires des actes d’engagement se sont décidés à accompagner ces
recommandations en les traduisant en faits concrets, tout en y adjoignant les actions
suivantes :
25
9. Mener des plaidoyers auprès du gouvernement pour que les autorités locales
soient élues et pour que soit organisé le recrutement en fonction du mérite
au lieu de la nomination dans les fonctions publiques ;
10. Mener un plaidoyer pour que l’autorité municipale reporte l’arrêté créant le
service « anti-gangs » et renforcer le système judiciaire et pénitencier
congolais ;
11. Organiser les activités de renforcement des capacités des autorités, cadres de
base et agents de l’ordre, portant sur leur rôle et leurs responsabilités ;
Les groupes de discussion ont révélé que les voisins se querellent parfois à cause des
parcelles. D’autres fois, des lopins de terre sont vendus et revendus par un même vendeur
à plus d’un acheteur. On relève même des cas où un seul lopin de terre dispose de plus de
deux documents ou titres qui confondent les acheteurs d’un même et seul produit à des
prix et moments différents.
Les autres causes des conflits fonciers qui ont été établies sont : l’utilisation des
inciviques par les propriétaires des parcelles litigieuses pour exécuter des actes
d’enlèvement, assassinats et kidnapping contre l’autre partie ; la présence de constructions
anarchiques rendant la cohabitation sociale difficile quant à la gestion des servitudes et des
murs mitoyens ; le non-respect des normes urbanistiques et cadastrales ; des parcelles non
mises en valeur et qui hébergent des hors-la-loi ; la promiscuité due à la surpopulation ; la
prolifération des marchés pirates ; l’absence de démarcations claires entre le Quartier Lac-
Vert et le PNVI ; la spoliation des espaces verts et autres terrains d’intérêt public (rues,
terrains de déboisement dans les quartiers) ; les superpositions des titres et des signatures
et une nomenclature imprécise des frais administratifs pour l’obtention des titres fonciers ;
la lenteur des cours et tribunaux pour des litiges fonciers et autres formalités
administratives ; le trafic d’influence et autres manipulations de la population par les
politiciens, ou l’ingérence des politiciens et militaires dans le foncier ; la signature des arrêtés
de lotissement sans enquête préalable et sans consultation des cadres de base ; les conditions
de vie précaires des agents de l’administration foncière.
Pour faire face à ce problème, une table ronde a eu lieu les vendredi 15 et samedi 16
mars 2019, à l’Hôtel La Joie Plazza. 84 participants (dont 14 femmes) y ont participé. On
comptait dans ce groupe des résidents de la commune, des agents de service du cadastre,
de l’urbanisme et des titres immobiliers, des agents de l’ordre, des représentants des
autochtones, des commissionnaires, des cadres de base et d’autres membres de la
communauté ainsi que des élus du peuple.
Les résultats suivants ont été atteints : les manifestations des conflits fonciers ainsi que
les acteurs ont été identifiés, le rôle joué par les agents de l’ordre a été reconnu, et des pistes
26
de solutions ont été proposées par la population. Un plan de cohésion sociale a été élaboré
et un Comité de suivi composé de 11 membres a été constitué. Enfin, un acte d’engagement
a été signé par les 84 participants. Ceux-ci ont formulé les vœux suivants :
• Que les services cadastraux et des titres immobiliers affichent les tarifs d’obtention
des documents fonciers et qu’ils déterminent le délai des démarches d’obtention
desdits documents. Que l’autorité compétente réduise le coût des titres et
documents parcellaires et que les cadres de base qui apposent des signatures pour
des raisons de témoignage soient sanctionnés conformément à la loi ;
• Que les cadres de base signent les actes de vente après enquête sur terrain et que la
population soit informée que seuls les services d’urbanisme sont habilités à mener à
bien le morcellement, selon le plan d’urbanisation de la ville ;
• Que soient améliorées les conditions sociales des chefs des quartiers et cadres de
base ;
• Que soit effectuée une vulgarisation de la loi foncière et du code pénal dans toutes
les langues locales, et que le Gouvernement et ses partenaires mobilisent des moyens
pour la formation de la population en matière de résolution des conflits fonciers et
de loi foncière et que soient adaptés les textes concernant la reconnaissance des
droits de jouissance des autochtones (articles 387 à 389 de la loi foncière) ;
• Qu’il y ait régulièrement permutation des agents présents dans une zone ;
• Que les autochtones privilégient la paix sociale avec les nouveaux acquéreurs.
C’est dans cet ordre d’idée que les participants des différents groupes se sont engagés à
mener et accompagner les actions suivantes :
1. Mener des plaidoyers auprès du ministère des affaires foncières pour que
l’administration foncière affiche la nomenclature en matière foncière et que les
services de cette administration procèdent à l’identification et la numérotation
informatique des parcelles.
27
2. Créer une structure mixte (société civile et ministère public) et permanente au sein
du parquet afin d’identifier les titres immobiliers délivrés frauduleusement et ainsi
poursuivre les coupables en justice selon la loi.
3. Mener un plaidoyer auprès du gouvernement afin que les conditions sociales des
agents de l’administration foncière et des cadres de base soient améliorées.
4. Instaurer des mécanismes de dénonciation des abus commis par les cadres de base,
commissionnaires, agents de l’ordre, avocats et magistrats, et procéder au
recensement des commissionnaires matriculés et habilités à mener leurs activités.
5. Que le gouvernement procède à la réforme et à la traduction de la loi foncière dans
les langues nationales et la mette à la disposition de la population.
6. Procéder à une mobilisation des fonds par le gouvernement et ses partenaires afin
de former la population en matière de résolution des conflits fonciers.
7. Organiser les ateliers de renforcement des capacités des membres des structures
locales de paix en matière de résolution et médiation des conflits fonciers
8. Organiser des séances d’animation communautaire et des émissions de radio et de
télévision pour la vulgarisation de la loi foncière, diffusées dans les langues officielles
et locales.
QUATRIÈME PARTIE
Lecture des résultats des données RAP pour la ville de Goma
Que dire des différents conflits identifiés dans les quartiers de la ville de Goma en
général ? D’une part, ce sont des conflits ancrés dans les sociétés locales même si, d’autre
part, une lecture profonde y voit une suite de « conflits de style moderne » qui s’inscrivent
dans la vague de la mondialisation. Ce sont « des conflits de très fortes tensions entre différentes
composantes de la société, donc plutôt des guerres civiles »26.
26Fréderic LASSERRE cité par Mutuishayi Mutinga Modeste, Le fleuve Congo et ses effluents : un château d’eau convoité. La guerre de l’eau aux
portes de la RDC., s.l., Éditions « Le Potentiel », p. 47. En effet, Modeste Mutuishayi Mutinga dit ceci au sujet des conflits du XXIème siècle :
« Par contre, pour le géopoliticien Fréderic Lasserre, directeur de l’observatoire de recherches internationales sur l’eau à l’université de
Laval (Québec, Canada) et auteur du livre « Les guerres de l’eau », la guerre de l’eau n’a pas encore commencé. Tout en craignant que l’eau
ne devienne l’une des principales sources de conflit pendant ce siècle, il soutient que la guerre de l’eau n’a pas commencé dans la mesure où
28
Un regard minutieux sur ce qui précède permet de catégoriser les conflits identifiés et
priorisés en trois grands types qu’il faudrait transformer. Il s’agit des conflits
psychologiques, politiques et économiques, la politique prenant le dessus. Un schéma
sommaire de lecture se présenterait donc ainsi (nous n’avons pas inséré dans ce schéma la
branche des solutions comme réaction aux causes relevées) :
Corruption et
Conflits Nomination des Politique de
promotion de la
politiques autorités locales “diviser pour
bien manipuler” politique du
et trafic ventre (intérêts
personnels)
d’influence
Conflits psycho- Héritage des
sociaux attitudes /
comportements
/ perceptions /
opinions
30
nourriture. Dans le cadre de la ville de Goma, la séparation d’avec leur milieu d’origine est
restée incomplète, dans le sens où les habitants de Goma se pensent encore pour la plupart
d’entre eux comme appartenant à leur milieu d’origine. Ils se définissent comme des
« banyamasisi, banyarutshuru, banyabwito, de Butembo, de Beni, de Jomba, de Rugari, de Walikale,
etc ».27 Cette façon de se catégoriser rend la cohabitation difficile, élargit le fossé qui s’est
créé entre les habitants tout en ouvrant la voie à la corruption et la manipulation. Une autre
illustration de ces divisions est clairement donnée par les « mutualités tribales » qui
s’organisent dans la ville de Goma et dont le pendant est le « Barza la Wazee
intercommunautaire ». Ce dernier est-il le forum indiqué pour arbitrer les différends ?
Une autre résultante du déracinement incomplet est que les individus se sentent
abandonnés par les leurs ou isolés dans un environnement peu hospitalier, sans aucune
affectation sociale. Les habitants se perçoivent comme réduits à l’état d’objets ou d’êtres
sans valeur ni intérêt pour leurs familles ou leurs communautés. Dans ce cas, ils cherchent
un moyen d’affirmer leur présence à travers les réactions si fréquentes de « rejet », ou à
travers la violence ou les drogues. C’est le cas des jeunes gens qui finissent dans les rues ou
des jeunes étudiants qui ont recours à la violence dans des cas que la négociation aurait pu
résoudre.
27
Originaires de Masisi, Rutshuru, Bwito, Butembo, Beni, Jomba, Rugari, Walikale.
31
Physiquement, l’entassement ou le surpeuplement est source de fatigue, d’épuisement
et de nervosité, en particulier dans les transports en commun, dans ces minibus
communément appelés « Ketch » où les habitants s’amassent pour se rendre à Afya Bora,
Katoyi, Kibwe, Mabanga Nord, Majengo, Ndosho… L’entassement des hommes dans des
espaces dépourvus d’accès à des loisirs libres et gratuits, ou bien où les seuls lieux de loisirs
sont les lupanars et l’unique règle du jeu est le sexe et la drogue, débouche sur des conflits
de tous types, qui s’ajoutent aux méfaits de la pollution. Cette dernière affecte l’activité
intellectuelle, surtout pour tous les jeunes gens fréquentant les nombreuses universités et
écoles secondaires de la ville de Goma, tout en produisant d’autres conséquences, comme
la révolte contre la communauté. C’est ainsi que sont apparus beaucoup de comportements,
tels que les désirs effrénés de richesse, le moi-sauvage, criminel et assoiffé de sang, prêt à
tuer, violer et voler, mais aussi la passivité massive… C’est ce qui explique aussi des
phénomènes comme les vols en masse, où les voleurs viennent opérer en groupe (qu’on se
réfère aux coalition de malfaiteurs ou aux conflits de libération des malfaiteurs), ou les
addictions à l’alcool et aux drogues dures.
Différents types de sociétés se sont déjà créées et opèrent à Goma. C’est là que réside
la « catégorisation » sociale que l’on peut observer aujourd’hui et qui est à la base des
conflits. Des types divers de sociétés changeantes s’y côtoient.
Il existe d’abord une véritable société de pouvoir politique. C’est celle formée par les autorités
politiques, administratives et par tous les fonctionnaires travaillant dans un bureau ou un
poste de responsabilité. On y trouve également la PNC et les FARDC, les agents de l’ANR,
du cadastre, de la Régie de distribution d’eau et de la Société nationale d’électricité. Ils
détiennent le pouvoir et peuvent être corrompus et rendre des services en échange d’argent.
En outre, ils connaissent la loi et disposent d’une force dissuasive. Ils utilisent cette force
pour peser sur la population. Ils sont donc complices dans les situations conflictuelles qui
gangrènent la ville de Goma. Cette société a d’autres complices, qui sont des agents
subalternes éparpillés dans les différents quartiers, en collaboration avec les dirigeants
28
Il s’agit ici d’un exemple qui a eu lieu en 2017 à Goma, à l’occasion de l’élection d’un Président d’une communauté.
32
locaux, les chefs de quartiers, chefs d’avenues et chefs de cellules, qui pour la plupart ont
été nommés et non élus par les populations qu’ils sont censés servir. Ce phénomène est
donc justifié par le fait que la distance verticale entre cette classe et le commun de la
population est trop grande.
Ensuite, une société matérialiste. C’est celle formée par les opérateurs économiques, les
« élites économiques », ou élites de l’avoir, élites de l’argent. Ils visent une « économie
productiviste », veulent accroître leurs possessions par tous les moyens. Ce groupe
recherche les biens matériels et rien de plus. Il s’agit ici des opérateurs économiques se
mouvant dans le monde des affaires : les détenteurs de boutiques ou les commerçants en
général, les échangeurs communément appelés les Cambistes, les commissionnaires, etc.
On retrouve également dans cette classe des personnes qui exercent des activités douteuses,
et cherchent à s’enrichir par des moyens répréhensibles, comme les kidnappings.
Enfin, on retrouve une société humaniste, formée par une élite du savoir, qui vise
« l’amélioration du cadre de vie des hommes pour contribuer au progrès social ». Ils
proclament et réclament « l’amélioration des conditions de vie des habitants ». Il s’agit des
religieux et autres pasteurs « dispersés de façon incoordonnée » dans une multitudes
d’églises et sectes, des intellectuels ou des universitaires dans les universités et instituts
supérieurs, de membres de la société civile, de jeunes gens et de femmes réunis dans de
petites organisations au sein de la population. Cette catégorie regroupe la majeure partie de
la société désarmée résidant dans la ville de Goma.
Cependant, ces trois couches de la société ne sont pas clairement séparées, car l’esprit
de la ville est profondément hanté par « la recherche des dollars » pour se sortir de la
pauvreté, pour préserver un pouvoir quelconque ou pour se positionner.
Tout d’abord, l’expérience de la « démonétisation », dans les années 1970, a fait perdre
aux habitants beaucoup d’argent. Cette démonétisation consistait en un changement des
billets. Ceux qui avaient une souplesse d’esprit suffisante pour coopérer avec les agents de
la Banque ont pu sauver leurs trésors, mais beaucoup de gens ont perdu leur argent.
L’expérience suivante fut celle du fameux « Dutch », qui prétendait rapporter aux gens
des bénéfices faramineux pour toute somme déposée. Au bout de quelque temps,
l’organisation s’est volatilisée avec tout l’argent de ceux qui lui avaient fait confiance. Cette
expérience reste un souvenir très douloureux pour de nombreux habitants.
33
Goma a aussi connu l’expérience de « Pentagona », qui promettait aux gens monts et
merveilles pour l’achat de cartons imprimés, qui devaient leur rapporter des sommes
astronomiques. Encore une fois, beaucoup y ont perdu leur argent.
D’autre part, les travaux du colloque sur la paix et la résolution pacifique des conflits
durant la transition démocratique au Zaïre identifient les modes de prévention, de
résolution et de gestion des conflits que les experts classifient en deux grandes catégories.
D’une part les modes de prévention regroupent la conscientisation, la dénonciation, la
session de formation, d’éducation et d’information, les pactes et les alliances, l’information
et la diffusion des messages de paix au sein de la société civile. D’autre part, les modes de
gestion et de résolution des conflits rassemblent les négociations, les concertations, les
médiations et l’arbitrage inspiré de la palabre africaine.
Toutes ces stratégies s’appliquent à différents types de conflits selon les objectifs, les
moments et les parties impliquées dans tel ou tel autre type de conflits. Les mécanismes ou
voies adoptées pour la transformation des conflits en général dans la ville de Goma sont
multiples. Parmi ces voies figurent les mutualités communautaires. Chaque groupe ethnique
dispose d’une organisation mutuelle, selon leurs origines ou leur appartenance ethnique. À
29
Joseph Nye et al., Understanding Global Conflict, 2013, p. 193.
30
Fisher Simon et al., Working with Conflict. Skills and Strategies for Action, New York, Zed Books, 2005.
34
ce niveau, les parties en conflit se référent aux Sages de leur groupe ethnique, aux
intellectuels ou à « ceux qui disposent de moyens financiers ». Dans ce cas, l’expérience de
l’arbitre est déterminée en fonction de son âge, de son niveau d’étude ou de son poids
financier. Cette voie est le plus souvent inefficace, car les critères de l’âge et du niveau
d’étude sont aujourd’hui en désuétude, et l’opinion publique n’y accorde plus de crédit. En
revanche, « l’avoir » dicte résolument le jugement, la dollarisation de la vie aidant. Le verdict
est rendu selon le bon vouloir de l’arbitre, qui ne se laisse pas contredire. Un autre aspect
négatif de cette méthode est que les gens de mêmes groupes ethniques ne sont pas
nécessairement originaires des mêmes territoires, communes, ou collines. Or, un réel
déséquilibre des forces s’observe entre les différents groupes de la société. La société de
puissance et la société matérialiste s’opposent à la société humaniste.
La « Commission justice et paix » serait une autre voie ; c’est une commission
ecclésiale (catholique). Cette qualification fait qu’elle est très limitée, et que les non-
catholiques considèrent que ce cadre ne leur convient pas. Cela est aussi lié au fait que les
différentes communautés religieuses, vivant en compétition et/ou en concurrence et
n’ayant souvent pas de cadres pour se rencontrer, limitent la possibilité pour leurs fidèles
de rechercher des solutions à leurs problèmes dans une institution qui ne relève pas de leur
foi.
Un constat d’échec des instances citées se justifierait par la persistance des conflits,
qui changent de forme et d’impact. Les facteurs saillants suivants renforcent la justification
de l’échec des mécanismes. D’abord, l’éducation familiale de base dans une société
patriarcale constitue un frein à l’épanouissement, à l’expression et/ou à la participation de
la femme ou de la jeune fille dans les activités communautaires.
31 Par exemple, les membres de la communauté Hutu se divisent en Hutu de Masisi et Hutu de Rutshuru. Ils élisent le représentant de leur
communauté par alternance, une année un originaire de Masisi et une autre un originaire de Rutshuru. Chez les Hunde aussi, on raisonne
toujours en Hunde de Masisi, de Minova, de Bashali, etc
35
Cependant, un coup d’œil sur certaines stratégies au niveau global, international,
régional, national et local permet de comprendre comment les conflits dans la ville de Goma
s’inscrivent dans un panorama plus large.
Selon les données recueillies sur le terrain, les conflits dans la ville de Goma doivent
être envisagés comme des systèmes complexes, tentaculaires mêmes. Des conflits latents
perdurent, font tache d’huile en se métamorphosant et en se répandant au-delà de leur point
de déclenchement.
D’après William Kegley, un conflit peut avoir des facteurs internes ou domestiques
et des facteurs externes ou internationaux, d’où l’adjectif « intermestic », qu’il crée pour
qualifier ces conflits qui sont à la fois domestiques et internationaux. Dans ce cas, les
conflits sont considérés à l’échelle internationale ou inter-états. Néanmoins, l’aspect
« intermestic » peut également s’appliquer aux dimensions locales, intra-étatiques et, pourquoi
pas, régionales. Quels seraient les aspects « intermestic », c’est-à-dire externes et domestiques,
des conflits identifiés dans la ville de Goma ? On peut en effet lire dans ces conflits les
effets de la mondialisation. Celle-ci se définit, d’après Joseph Nye, comme un réseau
mondial d’interdépendance économique, politique, sociale, environnementale, etc. Au sein
de cette interdépendance, Joseph Nye aussi bien que Hans Küng estiment qu’on a observé
un accroissement des marchés mondiaux au moment où les coûts de communication et de
transport ont diminué par rapport aux dernières décennies du 20e siècle. Les échanges
commerciaux et l’apport des nouvelles technologies à Goma démontrent cette tendance
d’ouverture au monde, tout en attisant les convoitises.
37
qui encouragent la compétition et la concurrence32. Que dire de la situation de
Goma, tiraillée entre compétition et coopération ?
Des éléments méritent que les décideurs ou les intervenants s’y penchent, dans le
cadre de leur approche des conflits identifiés et priorisés dans la ville de Goma. Il s’agit
d’abord de la politique, et de sa place fondamentale dans la vie publique. Si on dit que « la
politique est l’art de se servir des hommes en leur faisant croire qu’on les sert »33, ou que « la politique,
c’est l’art de traire la vache populaire »34, on peut commencer à envisager objectivement la
situation telle qu’elle est vécue à Goma, et les risques imminents qu’elle présente.
D’abord, les risques liés à l’environnement. La ville de Goma est une ville intelligente,
ouverte au reste du monde par sa position géographique et par ses infrastructures. Elle est
connectée à l’extérieur par la ville voisine de Gisenyi, par voie terrestre ou par voie lacustre.
Par voie lacustre, elle est également connectée à la ville de Bukavu au Sud-Kivu. Mais grâce
à son aéroport international, elle est ouverte non seulement aux autres villes de la RD
Congo mais aussi à l’extérieur du pays. Mais il faut malheureusement remarquer que ces
points d’entrée ne sont pas gardés avec suffisamment de précautions. De par leur position
géographique, ils permettent à ceux qui peuvent nuire à la ville d’entrer facilement, et à ceux
qui viennent d’y commettre des actes illégaux de la quitter tout aussi facilement. Il en résulte
également que les convoitises sont grandes et pèsent sur la ville d’une façon ou d’une autre.
On pourrait dire donc que la ville de Goma est victime de son intelligence. Ceci s’ajoute au
fait que les normes urbanistiques ne sont pas respectées : les maisons sont construites dans
le désordre et une forte congestion urbaine crée un climat physiquement étouffant, qui peut
pousser les habitants à la violence35. Cette surpopulation rend également plus facile pour
les criminels de trouver des lieux où opérer et se cacher.
L’absence d’aires de jeux pour une jeunesse très nombreuse, suite à la spoliation des
terrains publics initialement prévus à cette fin, constitue aussi un autre danger, et une source
de conflits à laquelle la ville doit faire face.
32
Nye Joseph et al., Understanding Global Conflicts. New York, 2013, p. 263.
33
Louis Dumur in Dubreuil Richard, Dictionnaire du Pouvoir, Paris, Les Editions d’organisation, 1995, p. 118.
34
Anatole Leroy-Beaulieu in Dubreuil Richard, op. cit., p. 118.
35
Objectif du Développement Durable 3 : « Permettre à tous de vivre en bonne santé et promouvoir le bien-être de tous à tout âge » ; Objectif
du Développement Durable 10 « Réduire les inégalités dans les pays et d’un pays à l’autre » ; Objectif du Développement Durable 11 : « Faire
en sorte que les villes et les établissements humains soient ouverts à tous, sûrs, résilients et durables » ; Objectif du Développement Durable
16 sur la paix, justice et institutions efficaces : « Promouvoir l’avènement de sociétés pacifiques et ouvertes aux fins du développement durable,
assurer l’accès de tous à la justice et mettre en place, à tous les niveaux, des institutions efficaces, responsables et ouvertes. »
38
Butembo. La situation de la population dans beaucoup de quartiers est simplement
déplorable, en raison du taux de chômage et de pauvreté36, et de salaires payés
irrégulièrement pour ceux qui sont employés. On observe également une prolifération des
maisons closes, des débits de boissons alcoolisées, et de la vente illicite de cannabis. Tout
ceci alimente la délinquance juvénile dans la ville. Certains quartiers manquent cruellement
de structures sanitaires et souffrent de la prolifération d’écoles non viables, ne répondant à
aucune norme d’enseignement en RDC, du non-encadrement des personnes vivant avec
un handicap, de la prolifération des marchés pirates, etc.
Que dire des sociétés patriarcales dans la ville de Goma ? Le système patriarcal est
non seulement une limite à l’implication de la femme ou de la jeune fille dans certains
forums communautaires dans lesquels elle aurait à contribuer, mais il constitue aussi une
source de mésentente dans certains ménages, troublant ainsi la quiétude de
l’environnement. La majorité des communautés ou des cultures considère qu’une femme
ou une fille qui prend position ou lève la voix dans un cadre masculin est impolie, voire
indigne : elle sera considérée comme difficile, acariâtre, une mégère à tenir à l’écart.
Politiquement, la ville est exposée à la fragilité. Une forte concentration des acteurs
désireux de se positionner politiquement, au milieu de gens pauvres et facilement
corruptibles, fait courir un danger permanent de manipulation, de concurrence dangereuse
et de crimes politiques. Il convient également de souligner le fait que les cadres de base
travaillent dans des conditions précaires, sans équipement adéquat et sans que leur rôle ne
soit clairement défini, ce qui cause un mécontentement considérable.
Il faut également revenir sur la dollarisation de la vie et les risques qu’elle implique. Dans la lutte
pour la survie et la recherche effrénée d’argent, tous les moyens sont bons pour répondre
aux besoins de chacun. La dollarisation de la vie est liée au fait que l’économie repose
davantage sur la monnaie américaine que sur la monnaie locale. Beaucoup de gens estiment
que pour vivre bien, il faut posséder un maximum de dollars.
Historiquement, la RDC a été marquée par des événements qui ont lourdement influé
sur la vie des peuples. Parmi ces faits, on peut citer d’une part l’arrivée massive de réfugiés
rwandais en 1959 et en 1994, les guerres de l’Est qui ont renversé le régime du maréchal
Mobutu en 1997, et la fin de la guerre froide. Ces facteurs ont causé une kyrielle de maux :
le changement des mentalités, l’insécurité, les violations des droits de l’homme,
l’appauvrissement de la population, l’activisme des groupes armés37, l’affaiblissement ou
l’absence d’autorité de l’État, les déplacement réguliers de populations civiles, les conflits
multiformes et latents (conflits dits de Masisi, de l’AFDL, du RCD, la guerre du CNDP, la
guerre du M23), les kidnappings, etc. Le Nord-Kivu a toujours été victime d’atrocités,
causées par des groupes armés, nationaux ou étrangers. Même si le programme de
36
Malheureusement, les données quantitatives ou statistiques à ce sujet ne sont pas disponibles.
37
Les analystes dénombrent plus de 70 groupes armés dans la seule partie est de la République Démocratique du Congo.
39
désarmement et de démobilisation mené par le gouvernement avec l’appui des Nations
Unies semble avoir porté ses fruits dans certaines régions du Nord-Est de la RDC, dans la
Province du Nord-Kivu des affrontements sporadiques opposent encore les troupes
gouvernementales aux milices et autres rebelles, provoquant ainsi des déplacements massifs
de populations civiles.
La superposition des titres fonciers est un autre défi. Celle-ci s’enracine dans la
désaffectation des biens publics, immeubles ou autres, qui sont vendus, cédés et/ou acquis
de façon irrégulière, sans suivre les procédures légales requises. Un chercheur de Goma a
fait le constat malheureux qu’en 1988, la ville de Goma comptait 140 immeubles du
domaine privé de l’État qui étaient répartis de manière suivante : dans le centre urbain
(centre ville) se trouvaient 38 maisons, tandis qu’au camp administratif Office se trouvaient
74 maisons. Au camp administratif « Birere », on comptait 28 maisons. Toutes ces maisons
sont bien documentées et bien identifiées. Le comble est que, comme le note le chercheur,
dans le rapport du 4 juin 2005 sur l’état des lieux du patrimoine immobilier du domaine
privé de l’État après l’éruption volcanique du 17 janvier 2002, le chef de division provincial
de l’urbanisme et de l’habitat déclare que 67 maisons ont été détruites par l’éruption
volcanique dans la commune de Karisimbi et 44 autres maisons dans la commune de
Goma38. Pourtant les observateurs voient encore certaines de ces maisons occupées
aujourd’hui. Cet exemple est amplement suffisant pour illustrer la prédation des biens
publics.
Ce qui est mentionné ci-dessus est aggravé par l’étouffement et la pression qui ont
été exercés sur les camps des agents de l’ordre. Le camp communément appelé « Munzenze »,
initialement réservé à la PNC, et celui connu comme le « camp Katindo », initialement réservé
aux FARDC, ont été engloutis par les habitations des civils, si bien que les agents de l’ordre
(PNC et FARDC) se sont retrouvés en plein milieu de populations civiles, avec ce que cela
38
ULPGL, L’Analyste Topique. Revue Interdisciplinaire des Facultés de l’ULPGL, Goma, ULPGL, février 2018, p. 38.
40
implique comme relations et/ou échanges dangereux, par exemple le partage d’alcool, de
cigarettes, de cannabis, etc. Or, on ne peut qu’admettre que dans la ville de Goma, l’usage
de l’alcool et des drogues est un lourd facteur d’inconduite, d’indiscipline et de conflits. Si
le facteur ethnique s’immisce dans ce système, il devient alors facile pour les civils et les
militaires d’entrer en contact, de fraterniser et de s’associer à des fins répréhensibles.
À cet élément s’ajoutent deux phénomènes qui ont été observés au sein de la
FARDC et des groupes armés. Il s’agit du phénomène dit de « brassage », qui aurait
introduit des relations d’indiscipline, accompagnées d’un système de castes au sein de
l’armée. Ceci représente une source de conflits dans la communauté qui doit vivre avec une
armée sous ce système. Le phénomène de démobilisation (surtout s’il se fait sans suivi)
aurait largué ces jeunes au sein de la communauté, sans les préparer à leur réintégration ou
réadaptation, ce qui constitue un risque pour la communauté.
À tous ces facteurs, il convient d’ajouter la corruption, la course après l’argent facile
et la démotivation des agents dans beaucoup de catégories professionnelles, dans un
contexte socioéconomique de plus en plus difficile.
Il existe en effet une variété de pratiques adoptées par les différentes cultures en vue
de transformer les conflits. Cependant, il convient toujours de partir des forces disponibles
et traditionnelles au sein des sociétés en conflit, ici les communautés vivant dans la ville de
Goma. La capacité d’éviter les conflits dépend le plus souvent de la façon dont les
institutions locales fournissent des modèles adéquats et appropriés de transformation de
ces conflits et permettent le développement par des voies acceptées localement. Même si
l’on pense globalement, il convient donc d’agir localement39.
Avant que le Projet SPR/AKM ne soit annoncé, les agents des ONG partenaires
chargées de collecter les données ont été informées du projet, des grands axes à exploiter,
des objectifs ainsi que des résultats envisagés. Les différents participants ou contributeurs
au projet ont été formés en matière de transformation des conflits et de collecte des
données.
Cependant, on a pu constater que jusque là, la population était soit indifférente, soit
ignorante. Il est vrai qu’après quelques étapes du processus RAP, nombreux sont ceux qui
peuvent affronter les conflits dans leurs quartiers, avenues ou cellules avec succès. Il faut
désormais espérer que chacun s’engage à son échelle contre les situations conflictuelles.
Mais pour conclure avec une métaphore, il ne faudrait pas utiliser les règles du basket-ball
39
En effet, on a déjà montré que les communautés de Goma sont malheureusement très divisées. Il est donc extrêmement difficile de les réunir
dans une structure communautaire qui soit acceptée et reconnue par tous. Le monde de la politique s’approprie toutes les structures, même les
plus communautaires, et leur confère ainsi une image politique. Par exemple, les Hutu et les Tutsi se définissent comme « rwandophones »,
mais dans presque toutes les instances, chaque groupe s’isole de l’autre. Ceux de Masisi se distancent de ceux de Rutshuru, etc. Le recours au
Barza la wazee intercommunautaire, constitué des « bashamuka ou vieux » serait la première instance de transformation des conflits, même si
dans une société aussi divisée que celle de Goma, convaincre les différentes communautés qu’elle représente est une tâche bien difficile.
41
pour arbitrer un match de football : chaque jeu a sa règle propre, et il en va de même pour
les conflits qui prévalent dans la ville de Goma.
42
CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS
Cette étude a révélé à quel point les conflits détruisent le tissu social, dégradent la
gouvernance, corrompent les institutions et handicapent le développement à Goma. Mais
il est fondamental de rappeler que les tensions et les clivages que les conflits ont causés
entre les populations, les agents de l’Etat et les forces de l’ordre ou les services de
renseignement, bref, entre « nous » et « eux », ne sont ni fixes ni immuables. Ce sont des
limites dynamiques, qui peuvent changer positivement, de façon à inclure toutes les couches
sociales. La persistance des barrières fait que les préjudices aussi persistent, affectant ainsi
la cohésion sociale. On a pu comprendre que la cohésion sociale qui doit être promue dans
la ville de Goma dépend d’un certain nombre de facteurs, qui permettront de viser une paix
et un développement durables. Un objectif crucial est la restauration de l’harmonie sociale.
Tant que persiste la distance entre les communautés, à quelque niveau que ce soit, on ne
pourra aspirer ni à la paix ni au développement souhaités par tous, car on ne peut évoluer
en ordre dispersé.
La cohésion sociale requiert également l’implication de tous dans les activités
socioéconomiques, politiques et culturelles de la communauté, sans discrimination ni
exclusion. Elle implique en outre la reconnaissance d’une égalité de chance et d’accès aux
opportunités de développement, en dépassant les facteurs sexospécifiques ou ceux liés aux
origines géographiques, ethniques, religieuses et socioprofessionnelles.
L’harmonie sociale implique enfin la construction et le renforcement d’une
confiance mutuelle entre les membres communautaires, la population, ses dirigeants et les
forces de l’ordre. Une confiance réelle et solide est la condition sine qua non d’une ouverture
et d’un dialogue franc.
À travers la RAP, cette étude a révélé d’autres points forts dans les relations
interpersonnelles, qui devraient guider l’approche transformationnelle dans le milieu. Parmi
ces points figure la mobilisation communautaire autour des problèmes qui affectent toute
la société et son développement. Cette approche a prouvé qu’il est possible, même quand
ce n’est pas facile, de réduire les distances, d’abord la distance horizontale qui s’établit entre
les gens de mêmes couches sociales, puis la distance verticale entre les gens de couches
différentes. Les tables rondes, qui ont rassemblé les députés, le président de l’Assemblée
provinciale, les officiers militaires et ceux de la police, les chefs de quartiers, d’avenues et
les « Nyumba kumi » (dix maisons), aux côtés des motards, des brocanteurs et des agents de
cadastre, ont prouvé l’apport positif de la méthode RAP et des initiateurs du projet
SPR/AKM.
43
tensions existantes tout en jouant sur les attitudes et les comportements des parties
prenantes. L’hostilité qui régnait de la part de la population de Goma à l’égard des hommes
en uniforme ou des agents des titres fonciers ou de cadastre a baissé d’un cran à l’issue de
la table ronde ou du dialogue social.
L’implication des « sans-voix » ou de ceux qui n’en ont presque pas – ici, les femmes
et les groupes marginalisés – est une réponse que la RAP donne aux prescriptions
patriarcales et aux croyances qui en résultent. Ceci est d’autant plus important qu’en ce
moment, de nombreuses initiatives, telles que la résolution 1325 ou le Code de bonne
conduite, invitent la communauté à essayer la troisième voie, celle de la participation et de
l’implication de tous dans la reconstruction post-conflit.
Le projet SPR/AKM, à travers la RAP, aura enfin inscrit à son actif la stratégie
d’outiller les parties prenantes, à commencer par les chercheurs, ceux de la base et ceux de
la société en général. Le processus de capacitation et de restitution évaluative constitue un
aspect pivot, qui permet aux acteurs du processus de bien évoluer avec celui-ci, tout en en
tirant le maximum d’avantages.
Il est également reconnu que les violations des droits humains constituent un
indicateur, sinon un déclencheur, des conflits. Ces violations sont les signes avant-coureurs
d’un conflit imminent. Le respect des droits de l’homme, accompagné d’autres facteurs de
paix comme la cohésion sociale et les opportunités pour la communauté de se développer
économiquement et culturellement sans entraves, constitue un important tremplin de
développement et de paix, comme le montre le projet SPR/AKM.
40
MESORE : Meilleure Solution de Rechange, en anglais BATNA (Best Alternative to a Negotiated Agreement), mise en place par le CMG
de Harvard.
41
Montbrial Thierry (de) et Klein Jean (dir),, Dictionnaire de stratégie, PUF, Paris, 2000
44
d’aller jusqu’au bout. Pour élaborer des solutions acceptables, il faut se livrer à trois
opérations différentes : d’abord, proposer une série de solutions auxquelles on pourrait
raisonnablement se résoudre, au cas où le cahier des charges ne serait pas élaboré ; ensuite,
valider et creuser à fond les idées les plus convaincantes et mettre tout en œuvre pour
envisager leur mise en application ; enfin, identifier la meilleure voie possible. Pour que le
processus SPR/AKM soit efficace et productif dans le cadre des conflits dans la ville de
Goma, il importe de considérer les acteurs, traiter séparément les questions et les différends
de chacun, puis se concentrer sur les intérêts en jeu et non sur les positions. En somme,
avant d’essayer de conclure un accord, il faut imaginer des solutions pour un bénéfice
mutuel, comme l’ont révélé les ateliers organisés à la Joie Plazza.
Recommandations
Ces recommandations sont soumises pour alléger les souffrances et les tensions dans la ville
de Goma :
• Elle doit établir une collaboration solide avec les cadres de base, tout en créant des
groupes de dialogue entre les membres de différentes communautés, sans tenir
compte des tribus ou du rang social.
45
• Les autochtones doivent toujours privilégier la paix sociale avec les nouveaux
acquéreurs. La population doit s’assurer que les commissionnaires avec lesquels elle
travaille sont réellement membres d’une association officiellement reconnue.
• Elles devraient ensuite renforcer les centres d’encadrements des jeunes pour
l’apprentissage des métiers, tout en les incitant à intégrer la PNC et l’armée.
• Elles devraient en outre sensibiliser la population aux notions essentielles des droits
de l’homme et à l’éducation civique et politique, tout en initiant des dialogues
communautaires et en invitant la population à faire confiance aux instances
judiciaires et à dénoncer les bandits et malfaiteurs.
• Les cadres de base doivent être apolitiques, pour ne pas prendre en otage la
population en faveur du parti politique dont ils font partie, et pour que la loi
régissant le fonctionnement des partis politiques soit respectée.
• Les services du cadastre et des titres immobiliers doivent afficher les tarifs
d’obtention des titres fonciers et autres documents relatifs, et il doit y avoir une
réelle collaboration entre tous les services intervenant dans la gestion foncière.
• Les “autochtones” doivent respecter les contrats qu’ils signent avec leurs clients et,
le cas contraire, ils doivent être poursuivis en justice. Les cadres de base ne doivent
signer les actes de vente qu’après une enquête sur le terrain. Il faut aussi rappeler
que seuls les services d’urbanisme sont habilités à effectuer le morcellement selon le
plan d’urbanisation de la ville.
• L’État doit s’engager à sanctionner toutes les bavures des agents responsables des
griefs signalés plus haut.
46
• La loi foncière et le code pénal doivent être vulgarisés dans les langues locales. Le
gouvernement et ses partenaires doivent mobiliser des moyens pour la formation de
la population en matière de résolution des conflits fonciers.
• Une stricte collaboration doit être établie entre les agents de l’administration
foncière et les cadres de base, en tenant toujours compte des documents de base
dans la délivrance des titres fonciers.
• Des campagnes d’information doivent être organisées pour faire comprendre aux
autochtones l’importance de privilégier la paix sociale avec les nouveaux acquéreurs,
afin de privilégier la cohésion sociale dans la communauté.
• Elles doivent soutenir les parties prenantes, surtout les Comités de suivi qui ont été
élus à l’issu des tables rondes, pour qu’ils soient plus actifs et plus performants dans
l’accompagnement des résolutions prises par les participants.
• Elles doivent faciliter les espaces d’échange entre les citoyens et les décideurs, dans
tous les domaines, aussi bien sécuritaires que fonciers.
• Un plaidoyer doit être mené pour parvenir à réglementer les marchés et à en créer
de nouveaux.
Au gouvernement central
47
• Les militaires doivent être sensibilisés à la culture de la paix, en leur rappelant que
leur rôle est de veiller à la sécurité de la population et de ses biens tout en assurant
l’intégrité territoriale du pays. Il est donc urgent d’organiser une armée vraiment
républicaine, bien entraînée et dissuasive.
• Toutes les mesures doivent être prises pour arriver à une sécurité collective régionale
et une coopération régionale en matière de projets d’intérêt commun.
• Le gouvernement, tant provincial que central, doit faire tout ce qui est possible pour
davantage impliquer les femmes dans les différents secteurs de la vie publique, de
l’entrepreneuriat et de la reconstruction post-conflit.
Ces stratégies ne doivent pas être vues comme une panacée, mais comme des pistes pour
résoudre les conflits qui minent la ville de Goma.
48
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52
ANNEXES
Annexe A : Types de conflits priorisés par quartier des communes de la ville de Goma
Commune Quartier Nombre de conflits Conflits priorisés
identifiés
42
Adapté de Mughedi Nzereka Nisse et Namegabe Paul-Robain,, Gouvernance provinciale au Nord-Kivu et au Sud-Kivu entre 2007 et 2014.
Rapports entre Institutions provinciales, réformes de la justice et de la police, Goma, Pole Institute, avril 2015, pp. 78-81.
54
Jaribu Muliwavyo orale 11/08/2011 Sécurité Ministre provincial
Jean-Bosco de l’Administration
du Territoire, affaires
coutumières et
sécurité
Jaribu Muliwavyo orale 07/02/2011 Insécurité en M.P. de
Jean-Bosco territoire de l’Administration du
Beni et ses Territoire, Affaires
environs coutumières et
Sécurité
Ministère provincial
de l’Administration
de la justice, DHO et
Réinsertion
communautaire
55
Mukosasenge orale 15/03/2011 Exécution du Gouverneur de
Fataki budget, Province
justice,
bavures
policières,
conflits
coutumiers
43
Idem, p. 83.
56
Annexe D : « Interpellations / Nord-Kivu »
Auteur Date Problème Personne visée
(destinataire)
Kayisavera Mbake 06/05/2008 Dysfonctionnement MP de l’Administration
Wighong de l’administration de du Terr., Affaires
la justice coutumières, sécurité et
Administration de la
justice
Muhayirwa 24/02/2009 Gestion du domaine CTI Butembo, CDC
Kazungu Simon foncier à Butembo Butembo, CB de
l’urbanisme et habitat,
CB de la voirie urbaine
de Butembo
Kunemutumba 16/01/2011 Gestion des conflits MP intérieur,
Mbakwa Samuel du pouvoir coutumier Administration, Sécurité
et Affaires coutumières
Kunemutumba 15/02/2011 Gestion des conflits MP Intérieur,
du pouvoir coutumier Administration, Sécurité
et Affaires coutumières
Jaribu Muliwavyo 10/09/2011 Administration et MP Administration du
JB sécurité terr., Ordre public et
Affaires coutumières
Sebishimbo Rubuga 07/10/2013 Défaillances dans MP affaires foncières,
JB l’urbanisation de la Urbanisme, Habitat,
province et de Goma Transports et
Communications
57