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Les Bacchanales : du scandale domestique à l'affaire d'État

et au modèle pour les temps à venir (Rome, 186 av. J.-C.)


Jean-Marie Pailler
Dans Politix 2005/3 (n° 71 ), pages 39 à 59
Éditions De Boeck Supérieur
ISSN 0295-2319
ISBN 9782200920685
DOI 10.3917/pox.071.0039
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Les Bacchanales :
du scandale domestique
à l’affaire d’État et au modèle
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pour les temps à venir
(Rome, 186 av. J.-C.)
Jean-Marie PAILLER

Résumé - Quinze ans après sa victoire sur Hannibal, Rome est bouleversée par ce qu’on a appelé
« l’affaire des Bacchanales ». Tirant parti d’informations privées concernant un scandale familial, le
consul Postumius parvint à convaincre le Sénat de consacrer toute une année (186 av. J.-C.) à la lutte
contre ce « fléau ». Accusés de constituer « un second peuple dans Rome », de se livrer à des comporte-
ments contre nature, sous la conduite de « mères » initiatrices, et par-dessus tout d’organiser des asso-
ciations échappant au contrôle de l’État romain, les adeptes des Bacchanales furent impitoyablement
pourchassés à Rome et dans toute l’Italie. Cet article discute la vraie nature du mouvement et le degré
réel des fantasmes qui ont nourri une persécution conduite pour des motifs aussi bien privés que publics,
et qui visait à restaurer l’ordre traditionnel au sein de l’État comme de la famille.

Volume 18 - n° 71/2005, p. 39-60


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L
es faits, ou plutôt les données. Quinze ans après la conclusion victorieuse,
sur le sol africain, de la guerre contre la Carthage d’Hannibal (Zama,
202 av. J.-C.), un scandale familial éclate à Rome1, alors en passe de domi-
ner toute l’Italie, puis la Méditerranée. Le consul Postumius met au jour, au sein
d’une famille romaine honorablement connue, une affaire de captation d’héritage
au profit d’une secte bachique (Bacchanalia : des « Bacchanales », dit-il) prati-
quant des initiations sauvages. En accord avec le Sénat, il dénonce aux yeux de
tous et réprime à Rome et en Italie un « autre peuple dans Rome », concurrent du
système civique, familial, militaire et religieux : version officielle fidèlement trans-
mise par Tite-Live au bout de deux siècles. Au nom de quels principes, de quels
recoupements et de quels précédents l’autorité romaine a-t-elle transformé un fait
divers en affaire nationale ? Sous quelles formes la révélation progressive de
l’ampleur du scandale se déploie-t-elle progressivement à partir d’aveux
singuliers ? Quelle signification accorder à des châtiments qui articulent subtile-
ment le public et le familial ? Pourquoi et comment le récit de l’épisode a-t-il servi
de modèle à d’autres persécutions ?

Telles sont les questions que l’on est tenté de poser et qui ont en général été
mises en débat à propos de cette séquence d’événements reçus et transmis à Rome,
société traditionnelle s’il en fut, comme à la fois produits et producteurs d’impor-
tantes innovations, elles-mêmes suivies de restaurations proclamées. On retrou-
vera ci-dessous ces interrogations, mais abordées de manière en quelque sorte
transversale, et à partir du point de vue proposé par le présent ensemble : que nous
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révèle cette affaire en ce qui concerne la situation régnant à Rome au moment où
elle éclate ? Que traduisent de la réalité romaine en évolution apparemment accé-
lérée les procédures et les résultats de l’action destinée à mettre fin au scandale ?
Quelles nouveautés l’affaire et son règlement ont-ils engendrées à court et moyen
terme, voire instituées ou contribué à instituer de manière durable ?

Pour clarifier les choses aux yeux du lecteur supposé en général non spécia-
liste de la période et de la civilisation concernées, on trouvera en encadré quel-
ques documents traduits du latin. Ce sont des morceaux choisis de nos deux
principales sources : d’une part, le long récit présenté au livre XXXIX de l’his-
toire « Depuis la fondation de Rome » de Tite-Live (fin du Ier s. av. J.-C., un siè-
cle et demi après les événements), d’autre part l’inscription sur plaque de
bronze portant le « sénatus-consulte des Bacchanales », inscription datant de
l’épisode lui-même et retrouvée au XVIe siècle à Tiriolo de Calabre (antique Ager
Teuranus). Les extraits de Tite-Live suivent délibérément l’ordre d’un texte très
finement « monté » par l’historien latin. Les mots et expressions les plus signifi-
catifs pour le présent propos ont été signalés en caractères gras.

1. Sur le sens à donner à ce mot dans un tel contexte, cf. ci-dessous.


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Les Bacchanales : du scandale domestique à l’affaire d’État 41

Tite-Live, XXXIX

8, 1-3. « L’année suivante [186 av. J.-C.] jadis initiée aux rites bachiques, et l’en
détourna les consuls Spurius Postumius détourne avec terreur.]
Albinus et Quintus Marcius Philippus
d’organiser leur armée et de mener la 10, 6. Elle savait que c’était une école de
guerre dans leurs provinces, pour les dépravations de toute sorte ; et il était
consacrer au châtiment d’une conspira- bien connu que depuis deux ans on n’y
tion intérieure (intestinae coniurationis). avait plus initié personne au-dessus de
[…] C’est aux deux consuls que l’on confia, l’âge de vingt ans…
par décret, l’enquête sur les associations 11-12. [Le jeune homme, chassé de chez
secrètes (de clandestinis coniurationibus)… lui pour avoir refusé l’initiation (l’« entrée
De l’affaire domestique à la dénonciation chez les Bacchant(e)s »), se réfugie chez sa
tante paternelle Aebutia, qui l’envoie se
9, 1-3. La souillure de ce fléau s’étendit de confier au consul Postumius.
l’Étrurie jusqu’à Rome comme une peste
contagieuse (ueluti contagione morbi). De proche en proche, le consul, après avoir
Tout d’abord, l’étendue de la ville, plus convoqué l’affranchie chez sa belle-mère,
apte à accueillir et à tolérer de tels confesse Hispala, qui révèle tout.]
maux, le dissimula ; jusqu’au jour enfin
13, 8-12. […] Alors Hispala expose l’ori-
où l’information parvint au consul
gine des mystères. Cela avait d’abord été
Postumius, et plus précisément de la façon
un sanctuaire de femmes […] ; habituelle-
suivante. Publius Aebutius, ayant perdu
ment, des matrones étaient choisies à tour
son père […] avait été élevé sous la tutelle
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de rôle comme prêtresses. C’est Paculla
de sa mère Duronia et du second mari de
Annia, de Campanie, qui, pendant son
celle-ci, Titus Sempronius Rutilius. Or sa
sacerdoce, a tout changé, comme sur
mère était toute dévouée à son mari ;
l’injonction des dieux : en effet, la pre-
quant au beau-père, ayant géré la tutelle
mière, elle a initié même des hommes, en
de telle sorte qu’il lui était impossible d’en
commençant par ses fils, Minius et
rendre compte, il aspirait ou bien à se
Herennius Cerrinius. […] Dès lors que les
défaire de son pupille, ou bien à le tenir
rites sacrés se sont déroulés dans une con-
sous sa coupe par quelque lien puissant. Le
fusion où les hommes étaient mêlés aux
seul moyen de le corrompre, c’étaient
femmes, et que la licence de la nuit s’y est
les Bacchanales (Via una corruptelae Bac-
ajoutée, il n’est pas de crime, il n’est pas de
chanalia erant). […]
forfait qui n’ait été commis. […] Ne rien
9, 7. [L’affranchie et courtisane Hispala tenir pour impie, telle est pour eux la plus
Faecenia est la maîtresse du jeune haute marque de dévotion (nihil nefas
homme.] L’attachement qu’elle éprouvait ducere, hanc summam inter eos religio-
pour lui l’avait conduite, après la mort de nem esse). […] Ils sont une multitude
son patron, comme elle n’était plus sous la immense, déjà presque aux dimensions
dépendance de quiconque, à demander un d’un second peuple (alterum iam prope
tuteur aux tribuns et aux préteurs, et à faire populum esse) ; dans le nombre, on trouve
un testament où elle instituait Aebutius des hommes et des femmes de famille
son légataire universel. [Elle-même a été noble.

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De la dénonciation au scandale public Les Bacchanales depuis longtemps sont


répandues dans toute l’Italie et même, à
14, 3-9. […] Lorsque les deux dénoncia- présent, en de nombreux points de la ville.
teurs furent en son pouvoir, Postumius […] Vous ignorez de quoi il retourne réel-
porte l’affaire devant le Sénat, exposant lement. […] La conjuration [coniuratio]
dans l’ordre tous les éléments qu’il avait n’a eu jusqu’à présent qu’une force insi-
obtenus d’abord par la dénonciation puis gnifiante, mais cette force n’arrête pas de
par sa propre enquête. Une immense grandir, car de jour en jour ils sont plus
épouvante s’empara des sénateurs […] nombreux. […] Quelle idée vous faites-
avec la crainte qu’un membre de leur vous de réunions à la fois nocturnes, et qui
famille ne fût impliqué dans ce scan- mêlent hommes et femmes ? […] Croyez-
dale […]. vous, Quirites, que l’on doive faire des sol-
Puis les sénateurs chargent les consuls dats de jeunes initiés enrôlés sous une telle
d’une enquête extraordinaire (quaestio- bannière ? […].
nem… extra ordinem mandant) sur les Bac-
chanales […] ; ils ordonnent […] de 16, 2-4. Jamais l’État n’a connu un si
rechercher les prêtres de ces cultes, qu’ils grand mal s’étendant à plus d’hommes
soient hommes ou femmes, non seulement et sur plus de terrains. Tous les délits
à Rome, mais dans toutes les places […], commis ces dernières années, que ce soit
afin de les mettre à disposition des consuls ; en matière de débauche, de trahison ou
en outre de faire proclamer dans Rome et de crime, sachez qu’ils provenaient de
d’envoyer dans toute l’Italie des édits ce sanctuaire et de lui seul. […] Si
interdisant à tous ceux qui avaient été initiés vous n’y prenez pas garde, citoyens,
aux mystères bachiques de se réunir ou de vous allez voir que cette assemblée noc-
se rassembler pour célébrer ce culte […]. turne sera en mesure de s’égaler à celle-
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ci, diurne, et convoquée légalement par
Tel fut le décret du Sénat. Les consuls le consul.
ordonnèrent aux édiles curules de recher-
cher tous les prêtres de ce culte et, après les 16, 8-11. Que de fois, au temps de vos
avoir arrêtés, de les garder en résidence sur- pères et de vos aïeux, on a chargé les
veillée pour les besoins de l’enquête […]. magistrats d’empêcher l’introduction des
15, 1-3. Les magistrats ayant été dépêchés rites étrangers, d’interdire le Forum, le
pour remplir ces différents offices, les Cirque et la Ville aux sacrificateurs et aux
consuls montèrent aux Rostres et lorsque, devins, de rechercher et de brûler les
en présence de l’assemblée du peuple livres de prophétie, de faire disparaître
(contione aduocata), le consul eut pro- toute méthode de sacrifice différente de
noncé la formule solennelle de prière que celle des Romains ! […]
les magistrats prononcent toujours avant
Voilà ce que j’ai estimé de mon devoir de
de s’adresser au peuple, il commença en
vous apprendre, afin qu’aucune crainte
ces termes :
religieuse ne vienne troubler vos
“[…] Quoi que je puisse dire, sachez que esprits, lorsque vous nous verrez abattre
ce qui est dit reste en dessous de l’abomi- les Bacchanales et dissoudre leurs assem-
nation et de l’importance de l’affaire : blées impies. Tout cela, nous le ferons
nous aurons soin d’en dire assez pour que avec l’accord et la protection des
vous vous teniez en alerte.” dieux. […]
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Les Bacchanales : du scandale domestique à l’affaire d’État 43

De la propagande à la répression l’achèvement des enquêtes menées par les


consuls. […]
17, 4-6. […] L’assemblée congédiée, une
terrible panique gagna toute la ville ; elle Les femmes condamnées étaient remi-
ses à leurs parents ou à ceux sous la
ne s’arrêta ni aux remparts de Rome ni
dépendance de qui elles se trouvaient,
aux frontières de son territoire, mais peu
pour qu’ils leur infligent eux-mêmes en
à peu c’est à travers toute l’Italie que l’on
privé (in priuato) le châtiment qu’elles
commença à trembler. […]
encouraient ; si personne ne remplissait
On disait que les conjurés, hommes et les conditions pour se charger du sup-
femmes, étaient plus de sept mille. Mais plice, le châtiment avait lieu publique-
on savait que les chefs de la conjuration ment (in publico).
étaient Marcus et Caius Atinius, plé-
Puis on confia aux consuls la tâche de
béiens de Rome, le Falisque Lucius
détruire tous les Bacchanals, d’abord à
Opiternius et le Campanien Minius Cer-
Rome, ensuite dans toute l’Italie, sauf là
rinius. C’est d’eux qu’étaient venus tous
où se trouvaient un autel ou une statue
les crimes, tous les forfaits, c’étaient eux
consacrés par le temps. Un sénatus-
les grands prêtres et les fondateurs de ce
consulte disposa qu’à l’avenir il n’y aurait
culte. On fit en sorte de s’emparer d’eux
plus de Bacchanals à Rome et en Italie…
le plus vite possible. […]
19, 3. Au bout d’un certain temps, Spu-
18, 1-8. Mais tant de gens avaient fui la
rius Postumius revint à Rome. Il saisit le
ville que, comme beaucoup de procès et
Sénat de la récompense à accorder à
d’actions judiciaires menaçaient de
Publius et à Hispala Faecenia pour le
s’éteindre, les préteurs Titus Maenius et
concours qu’ils avaient apporté à la
Marcus Licinius furent contraints, avec
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dénonciation des Bacchanales… »
l’autorisation du Sénat, d’ajourner les
affaires à trente jours, en attendant

Extraits du sénatus-consulte de Bacchanalibus


(inscription de Tiriolo de Calabre, dans l’Ager Teuranus)
« Délibération du Sénat, à la demande des parmi eux n’ait de Bacchanal. S’il y en
consuls (Quintus) Marcius fils de Lucius avait pour prétendre être dans l’obliga-
et Spurius Postumius fils de Lucius, aux tion d’avoir un Bacchanal, qu’ils viennent
nones d’octobre, dans le temple de trouver le préteur urbain à Rome.
Bellone. Participaient à la rédaction Qu’après leur audition sur ce sujet notre
Marcus Claudius fils de Marcus, Lucius Sénat décide. […] Chez les Bacchantes
Valérius fils de Publius, Quintus qu’aucun homme ne se présente, ni
Minucius fils de Caius. citoyen romain ni citoyen de droit latin
Au sujet des Bacchanales des alliés on a ni allié, à moins de s’être présenté au
voté de proclamer ce qui suit : que nul préteur urbain. […]

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Que nul ne détienne ni caisse commune S’il existait des contrevenants aux résolu-
ni magistrature. […] Qu’après cela nul ne tions stipulées plus haut, les sénateurs ont
prenne d’engagement collectif par ser- décidé qu’ils seraient passibles de la peine
ment mutuel ni par vœu ni par obligation de mort ; et de même le sénat a jugé bon
ni par promesses civiles, que nul que vous graviez ces prescriptions sur
n’échange sa parole avec quiconque une table de bronze ; ordre vous est
(neue post hac inter sed coniourase neue donné de l’afficher là où on pourra le
neue comuouise neue conspondise neue plus facilement en prendre connais-
conpromesise uelet neue quisquam sance ; ces Bacchanales, s’il en existe en
fidem inter sed dedise uelet). dehors des lieux reconnus consacrés
conformément à ce qui a été stipulé plus
Les actes de culte, que nul ne les accom- haut, ordre vous est donné, dans les dix
plisse en secret, ni en public ni en privé jours de la réception de ces tables, de les
(neue in poplicod neue in preiuatod) ; que faire disparaître. »
nul n’accomplisse d’actes de culte en
dehors de Rome, à moins de s’être pré-
senté au préteur urbain. […]

L’arrière-plan
Ce qui se dessine à l’arrière-plan de l’affaire et que celle-ci met en pleine
lumière, c’est la situation, inédite dans l’histoire de Rome, d’une cité restée
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profondément traditionnelle, mais non moins profondément transformée,
voire jetée dans la crise, par les événements des décennies précédentes.
L’ambivalence de cette situation sera présentée à grands traits avant d’être
mise à l’épreuve des faits, non sans qu’ait été noté au passage le climat favora-
ble qu’un tel ensemble de circonstances fournit au développement d’affaires
de ce genre.
La tradition, que les Romains nommaient avec vénération mos maiorum
(« coutume des anciens »), est celle d’une Rome à la fois aristocratique, patriar-
cale, moniste, ancrée dans l’Urbs, conservatrice et d’essence civico-religieuse.

Républicaine et aristocratique, Rome l’est autant que jamais au début du IIe siè-
cle av. J.-C. Tout s’y décide au Sénat, Conseil des Pères représentant les grandes
familles romaines. Les plus hauts magistrats, consuls et préteurs, appartiennent à
ce milieu ; soumis à élection annuelle, devant laisser passer un délai qu’un règle-
ment ultérieur fixera à deux ans avant d’accéder chaque fois à une fonction supé-
rieure (suivant le cursus questeur-édile-préteur-consul), ils sont dépendants de
cette assemblée aristocratique dont la grande force est la permanence et qui exerce
l’essentiel des pouvoirs en matière de finances, de justice, de politique extérieure,
de religion. Le peuple (c’est-à-dire le peuple des citoyens, de ceux qui détiennent
la civitas) a certes le droit de vote, et c’est lui qui élit les magistrats, mais selon des
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Les Bacchanales : du scandale domestique à l’affaire d’État 45

modalités telles que son infériorité et son assujettissement sont patents. Le mot de
patres, les « Pères », est significatif : de même que les « Pères conscrits » siègent au
Sénat, de même le père de famille a pleine et entière autorité (qui va théorique-
ment jusqu’au droit de vie et de mort) au sein de la familia sur sa femme, ses
enfants, ses dépendants et ses esclaves. La femme, qui transmet la citoyenneté
mais n’est jamais citoyenne, est entièrement subordonnée à son père, puis à son
mari et, si celui-ci vient à disparaître, à son tuteur. Juridiquement, elle n’a pas de
personnalité véritable et doit, par exemple, se faire représenter en justice, précisé-
ment par son tuteur. Elle est en somme traitée comme un mineur, comme un être
d’esprit faible ou dérangé. Le mot de « Pères », toujours, nous donne à entendre
ce qu’on a appelé, d’une expression heureuse, le monisme de la société romaine2 :
la vie familiale, la vie civique et, on va le voir, la vie religieuse, forment un même
ensemble indissociable. Le religieux, en particulier, est embedded, pour reprendre
le mot anglais mis naguère en vigueur à propos de l’économie par M. I. Finley3. Il
est intimement mêlé à tous les moments de la vie familiale et politique ; l’idée
même d’une quelconque organisation autonome en la matière, comme d’une
capacité de choix exercée par des individus ou des groupes, est ce qu’il y a de plus
étranger à la mentalité romaine. Le ciment de cette unité profonde est à la fois de
l’ordre du temps et de l’espace : je veux parler du double ancrage de la ville de
Rome, ancrage incarné par la figure de Camille, héros semi-légendaire des
années 390, dans son site et dans sa tradition. L’un et l’autre sont en quelque sorte
sacralisés par des succès qui prouvent que l’on a les dieux avec soi. L’ennemi de ce
civisme moniste et conservateur, c’est tout germe de désintégration pouvant venir
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du déplacement et de la nouveauté. Rome, avant Baudelaire, hait « le mouvement
qui déplace les lignes ».
Or, précisément, bon nombre de ces traits caractéristiques, à l’époque où nous
nous plaçons, viennent d’être soumis à rude épreuve. Rome n’est plus simple-
ment une ville d’Italie, certes de plus en plus puissante, influente et « fédératrice »,
au sens dominateur de ce terme, à partir de la fin du IVe siècle, mais restée arc-
boutée sur son statut de cité qui n’avait jamais fait, pensait-elle, que se défendre
de ses voisins et porter secours à ses alliés. Elle est devenue volens nolens4 une puis-
sance dominante à l’échelle de l’Italie et du bassin occidental de la Méditerranée.
Victorieuse d’Hannibal, mais saignée à blanc par la deuxième guerre punique5,
elle doit encore éliminer en Italie péninsulaire, du Bruttium à l’Étrurie, les nostal-
giques de l’alliance avec Carthage. Ouverte, par ses conquêtes même, aux influences

2. Cf. Gallini (C.), Protesta e integrazione nella Roma antica, Bari, Laterza, 1970.
3. Cf. Finley (M. I.), L’économie antique, Paris, Minuit, 1975.
4. Puissance de la formulation latine, qui donne au fameux problème de « l’impérialisme romain » la
réponse la plus adéquate qui soit – verbale certes, mais pas plus que la question.
5. Le livre de Toynbee (A. J.), Hannibal’s Legacy. The Hannibalic War’s Effects on Roman Life, II. Rome and her
Neighbours after Hannibal’s Exit, London, Oxford University Press, 1965, reste fondamental.

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et aux présences étrangères, aux nouveautés, aux courants d’idées et aux


croyances (notamment orphico-dionysiaques) de l’Italie du Sud, les uns et les
autres marqués par l’hellénisme, elle doit affronter quelques-unes des conséquen-
ces les plus lourdes d’une guerre terrible de seize ans, dont la majeure partie s’est
déroulée sur le sol italien. Beaucoup d’hommes, de pères de famille, y ont disparu
prématurément, laissant derrière eux veuves et orphelins. En pleine guerre,
n’avait-il pas fallu nommer spécialement un « dictateur » chargé de renouveler un
Sénat décimé ? Les femmes demeurées seules, comme en bien d’autres guerres
antérieures et postérieures à celle-ci, y ont gagné une capacité d’initiative inédite,
cependant que leurs fils manquent souvent de repères, des repères qu’ils peuvent
être tentés de chercher auprès des plus entreprenantes d’entre elles. Quant aux
institutions, elles ont certes survécu au conflit, et demeurent très solides. Mais la
personnalité et les actes d’un Scipion – l’Africain, le vainqueur d’Hannibal –, sa
forte relation avec les officiers et les troupes qu’il a menés à la victoire, tout cela,
qui conduira à sa querelle avec Caton le futur censeur (184), témoigne, entre
autres, du début d’un lent mouvement d’ascension politique des individus.
Tel est à peu près le tableau que l’on peut dresser de la situation de Rome à la
veille du scandale des Bacchanales. Comment celui-ci est-il venu au jour ? En
quoi reflète-t-il à la fois la tradition et les nouveautés de cette situation6 ?

Crime (?) et châtiment. La procédure


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Celui qui soulève l’affaire est l’un des deux consuls de l’année, tous deux se
consacrant entièrement (c’est exceptionnel, et indiqué d’emblée comme tel par
Tite-Live) à l’enquête et à la répression (cf. ci-dessus 8, 1-3 ; 14, 3-9). Le cours
ordinaire de l’année politique et militaire est ainsi suspendu, de même que plus
loin celui des contentieux judiciaires (18, 1). « L’affaire » mérite bien son nom,
y compris l’article défini. On remarque au passage que le mot latin qui peut se
rendre par « affaire » est res, « la chose » : ce mot, qui peut désigner simplement
l’objet d’un segment du récit, fait signe d’un côté vers l’entité res publica, enjeu
de l’épisode selon ses promoteurs, de l’autre vers la signification judiciaire cou-
rante de « cause ». Tout cela, mutatis mutandis, caractérise globalement à la
perfection ce que nous appelons une « affaire d’État ». À situation exception-
nelle, réponse inédite mais, on va le voir, très largement conforme à une tradi-
tion qu’il s’agit justement de restaurer.
Pourquoi le promoteur de l’affaire est-il crédible ? Parce qu’il est magistrat
supérieur (dans magistratus, « magistrat », il y a magis, « plus ») et s’adresse

6. Pour ce qui suit, je me permets de renvoyer à mes deux ouvrages : Bacchanalia. La répression de 186 av.
J.-C. à Rome et en Italie, Rome, École Française de Rome, 1988 (ci-dessous cité Bacchanalia), et Bacchus.
Figures et pouvoirs, Paris, Belles Lettres, 1995 (ci-dessous : Bacchus).
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Les Bacchanales : du scandale domestique à l’affaire d’État 47

comme tel au peuple, avec l’accord du Sénat : il est assis sur sa chaise curule,
dominant sur son estrade les citoyens debout, qui n’ont pas la parole sinon
pour applaudir. Également parce que son discours (cf. 15-16) prend appui sur
une affaire familiale et sur le « montage » qu’il a réalisé, en exploitant la
rumeur7 et en jouant sur le « monisme » analysé plus haut, pour la transformer
en scandale d’État ; enfin parce que les premières lignes du sénatus-consulte
épigraphique (cf. encadré) apportent la preuve que tous les courants d’un Sénat
souvent très divisé à cette époque ont fait cause commune à ce sujet8. L’autorité
du pouvoir dénonciateur repose donc sur une puissante mise en scène, œuvre
du consul soutenu et mandaté par le Sénat. Cette mise en scène est redoublée
pour nous (« biaisée » aussi, mais dans quelle mesure ? Sans doute pas aussi
considérable qu’on a longtemps pu la croire ; cf. encadré), par la version de
Tite-Live, laquelle est aussi dépourvue de nuances que d’états d’âme.
Qui sont les victimes ? La « victime » : que voilà, ici, une notion moderne et
difficile à définir ! Le jeune fils de famille Aebutius et ses démêlés familiaux,
finalement fidèle à la res publica et pour cela récompensé ? Sa maîtresse la cour-
tisane au grand cœur Hispala, qui à la fin prend place, non sans paradoxe, dans
la galerie des héroïnes de Rome (19, 3) ? Derrière eux, l’État romain qu’on nous
présente en butte à des conjurations maléfiques… De l’autre côté, les bac-
chant(e)s accusé(e)s, qui seront au bout du compte les vraies victimes, mais à
qui on ne donne pas la parole – en tout cas, celle-ci ne nous a pas été transmise.
Accusés de mille maux, l’ont-ils été à tort ou à raison ? La question, primor-
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diale au regard de l’histoire, demande à être tranchée. Faute d’informations
indépendantes et recoupées, comme on dit en journalisme, faute de connaître
si peu que ce soit la « vision des vaincus », l’exégète a aujourd’hui le choix dans
une gamme de grilles de lecture qui vont de la secte maléfique (et justement
châtiée) au procès stalinien infligé à des innocents. Il n’est sans doute pas sans
intérêt de comparer la perspective que j’ai assez spontanément adoptée (la
seconde) et celle d’un historien suisse, A. Giovannini, plus sensible à la pre-
mière9. Là où je m’attache à mettre au jour le contexte et le sens religieux de ces
épisodes, tout en tenant compte de leurs aspects juridico-policiers, A. Giovan-
nini, bien conscient des arrière-plans religieux, met au premier plan de sa
recherche la dimension criminelle, telle qu’elle apparaissait selon lui à l’autorité
romaine. En simplifiant, A. Giovannini croit à la culpabilité des bacchants en
général, tandis que, sans exclure celle-ci en particulier – par exemple, dans le

7. Cf. en dernier lieu Dubourdieu (A.), Lemirre (E.), « La rumeur dans l’affaire des Bacchanales », Latomus,
56, 1997.
8. Cf. Bacchanalia, p. 147-149. J’ai étudié ce point en détail dans « Caton et les Bacchanales », Papers of the
British School at Rome, 54, 1986, p. 29-39.
9. Giovannini (A.), « L’interdit contre les chrétiens : raison d’État ou mesure de police ? », Cahiers du Cen-
tre G. Glotz, VII, 1996.

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48 Jean-Marie PAILLER

cas de la famille du dénonciateur Aebutius –, je suis et reste globalement réservé


à cet égard, tant il m’est apparu que le consul et le Sénat ont exploité un scan-
dale privé pour « monter » une affaire publique. On pourrait en conclure que
nous nous appuyons sur deux maximes difficilement conciliables de la sagesse
des peuples : pour lui, « pas de fumée sans feu » ; pour moi, « qui veut noyer
son chien l’accuse de la rage ». À cet égard, le plus révélateur réside sans doute
dans nos anachronismes respectifs. A. Giovannini se réfère, in fine, à la secte
Aum et à l’Ordre du Temple Solaire, donnant même (comme le faisait Momm-
sen il y a un siècle et demi) le comportement de l’autorité romaine en exemple à
notre temps, un temps légitimement avide de protéger les familles tout en res-
pectant les libertés. Pour ma part, non sans admirer techniquement les talents
de mise en scène déployés par Postumius et par Tite-Live, j’avais surtout songé
aux procès de Moscou, pour ne pas parler des sorcières du moyen âge euro-
péen, des Noirs lynchés dans le sud des États-Unis au milieu du XIXe siècle, de
Dreyfus ou de quelques autres10.
Parmi les arguments qui plaident en faveur d’une option qui fait des bac-
chants les « victimes essentielles », trois méritent d’être spécialement retenus :
– chacune ou presque des accusations particulières lancées contre eux paraît
procéder d’une incompréhension et d’une déformation de leurs pratiques
cultuelles et de leurs références mythiques bien connues par ailleurs : dispari-
tion dans des grottes, menaces de dépècement de l’adepte qui trahirait… ;
autant de griefs qui font penser à ceux qui seront lancés sous l’Empire contre les
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chrétiens (cannibalisme de l’eucharistie, inceste entre « frères » et « sœurs ») ou
au Moyen Âge contre les juifs (empoisonnement de cours d’eau, etc.) ; en
d’autres termes, le récit se range de manière caractéristique au nombre des
« textes de persécution » analysés par R. Girard11 ;

10. S. Reinach, pour expliquer le sort fait aux bacchants, se référait aux manichéens, aux juifs du moyen
âge, aux Templiers… et, au moins implicitement, à Dreyfus (cf. Pailler, Bacchus, p. 129-130). D’une cer-
taine façon, ce qui nous oppose, A. Giovannini et moi, est également le degré de confiance admirative que
nous faisons au système politico-juridique romain ; c’est cette confiance qui m’apparaît peut-être excessive
chez l’historien suisse, tandis que je dois lui sembler abusivement méfiant. Je rappellerai cependant, et pour
me limiter à un exemple, que le fait d’être, incontestablement, un « État de droit », comme l’était la puis-
sance romaine selon A. Giovannini, n’a pas empêché les États-Unis (parmi d’autres) de se livrer au XXe siè-
cle à quelques dérapages, notamment en matière de boucs émissaires : les victimes d’un certain McCarthy
en ont subi les conséquences. Quoi qu’il en soit, qu’après un examen aussi attentif de données remarqua-
blement abondantes pour l’époque, nous en venions l’un et l’autre, pour décrypter la vérité de l’épisode, à
nous appuyer sur des comparaisons aussi lointaines, fait partie de ces frustrations inhérentes à la recherche
en histoire ancienne, spécialement lorsqu’il s’agit d’une obsession bien contemporaine : celle de nommer
les bourreaux et d’« accompagner » les victimes (cf. inter alios Ricœur (P.), La mémoire, l’histoire, l’oubli,
Paris, Le Seuil, 2000, p. 104, 108, 205, 382, 420-421).
11. Cet auteur dénombre les « stéréotypes de la persécution » dans Le bouc émissaire, Paris, Grasset, 1982,
p. 23-36.
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Les Bacchanales : du scandale domestique à l’affaire d’État 49

– l’accusation assurément majeure, celle que retient le sénatus-consulte épigra-


phique cité plus haut, est d’avoir fondé une association indépendante du système
civique, scellée par le serment entre adeptes ; il s’agit là, de la part de l’autorité,
plus d’une méfiance de principe que de l’incrimination d’un délit concret ;
– étroitement associée à ce chef d’accusation se trouve l’inquiétude suscitée
par les connivences italiennes des « conjurés », sans qu’on puisse déterminer
avec précision la part de préoccupation réelle et l’usage de celle-ci comme pré-
texte pour confirmer la mainmise de Rome sur la péninsule.
La décision finale, indiquée par Tite-Live comme par l’inscription, implique
cependant que certains adeptes des cultes de Bacchus, à Rome et en Italie, pour-
ront argumenter (et se disculper ?) en se réclamant auprès du préteur urbain de
l’ancienneté des rites qu’ils pratiquent et du sanctuaire qu’ils fréquentent. Le
pouvoir sait jusqu’où ne pas aller trop loin : il respecte une forme non moins
contraignante de tradition, en ne portant atteinte ni à un dieu reconnu ni à des
pratiques consacrées par le temps, c’est-à-dire le mos maiorum.
Entre temps, l’affaire n’a donné lieu à aucune formalisation judiciaire au sens
précis, moderne, de ce mot. Aucune répression non plus d’un délit
« proprement religieux », notion qui ne pouvait guère exister à Rome12. On
reste, de ce point de vue encore, immergé dans l’ordre traditionnel. La procé-
dure de déclenchement est, elle ne peut être que politique. Tous les mécanismes
susceptibles d’intervenir sont mis en branle : consul, sénat, assemblée, préteur
urbain, magistrats inférieurs. La « mobilisation de l’opinion » se fait par les
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mêmes voies et culmine avec le discours du consul à la contio, l’assemblée infor-
melle du peuple romain. La seule exception au déroulement habituel d’un cas
judiciaire tient à la nature de l’enquête (quaestio). Celle-ci est explicitement
désignée comme une enquête exceptionnelle (quaestio extra ordinem : 14, 3-9),
qui, comme on l’a vu, reçoit une priorité absolue sur toute autre affaire (8, 1-3 ;
18, 8) et qui est confiée aux consuls par le Sénat (14, 3-9), lequel décharge ces
magistrats de toute autre fonction. La sentence – une répression sans merci –
est l’œuvre du même Sénat : chose logique pour un épisode où l’intérêt de la res
publica a été déclaré en danger. Le préteur urbain se voit, très classiquement,
déférer les cas singuliers, et sa ligne de conduite lui est tracée à l’avance. L’affaire
est exceptionnelle et proclamée telle, mais la « grammaire » régnante est à peu
de chose près parfaitement respectée. De cette nature des choses découle aussi,
on l’aura compris, le silence total des accusés.
Nous ne possédons en effet de l’épisode que la version officielle : directe, et limi-
tée à l’exposé de la solution, à travers l’inscription de Calabre ; indirecte, par la voie

12. Cf. Scheid (J.), dir., Le délit religieux dans la cité antique, Rome, École française de Rome, 1981, en parti-
culier p. 157-159, où il est montré que les manquements « religieux » sont essentiellement sanctionnés
comme des atteintes à l’intérêt de la cité considérée comme un tout.

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du récit livien, qui justifie de bout en bout la démarche suivie et les décisions prises
par l’autorité. Dans ce bloc sans fissure, les accusés sont pour nous muets, enfer-
més dans l’image que donnent d’eux et de leur comportement des sources unilaté-
ralement répressives. En un mot, s’il faut parler à propos de ces événements de
dévoilement, c’est en établissant de nettes distinctions : dévoilement prétendu d’un
complot monté sinon de toutes pièces, du moins avec beaucoup de soin, mais à
partir d’éléments (statut des personnages, noms de famille, aspects juridiques…)
dont le réalisme saisissant ne laisse pas de doute sur leur authenticité13 ; dévoile-
ment assuré et très révélateur d’une réaction unanime de la classe dirigeante : cette
réaction est d’inquiétude, voire de désarroi, puisque le consul finit par enjoindre
aux citoyens bien nés que sont ses auditeurs de se débarrasser impitoyablement de
ceux de leurs proches qui se sont laissé entraîner par et « chez » les bacchant(e)s14.
En somme, la dénonciation de l’action déstabilisatrice d’« étrangers » à Rome
s’accompagne de ce terrible constat : le ver est dans le fruit.
L’espace de déploiement de l’affaire est caractéristique d’une cité aristocratique
de l’Antiquité. Ni Cour, ni Parlement, ni tribunal, ni Église constituée, ni expres-
sion de la rue, ni aucun des éléments du décor d’une « affaire » moderne – cela va
sans dire. Mais l’équivalent : Sénat, Assemblée (« informelle » : la contio convo-
quée ad hoc : 15, 1), mos maiorum, opinion concordante des grands et de la masse
du peuple. Le véritable espace, en fait, n’est autre que celui de la cité. Le leitmotiv
du consul, s’exprimant au nom de la tradition, c’est eux ou nous. Il dénonce « un
second peuple » (alter populus) agissant en secret (13, 12 ; 16, 4). Il exclut de la
simple humanité ceux « pour qui, par principe, rien n’est sacré » (13, 11 : nihil
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nefas… hanc summam religionem…). Ces voleurs, violeurs, invertis, etc. ne sont
pas dignes d’être Romains, étant indignes d’être hommes. Mais le pire est ailleurs.
Il nous est révélé plus crûment encore par le document épigraphique que par le
discours reconstitué du consul : peut-être ivres d’orgies et perdus de vices, ces
hommes et ces femmes ont surtout eu l’audace de se prêter serment entre eux,
jetant les bases d’une contre-société dressée face à la seule communauté qui vaille.
Relations codifiées, en marge du système civique, entre hommes et femmes, entre
jeunes et vieux, entre Romains et Italiens, entre hommes libres et esclaves15…

13. Cf. Bacchanalia, p. 355-385.


14. « Entrer chez les Bacchantes » (Bacas adire) : c’est en ces termes frappants que le sénatus-consulte arti-
cule le grief fait à ceux qui se sont fait « initier » (initiari, écrit Tite-Live dans un vocabulaire plus
« moderne »). S’agissant de jeunes hommes, c’est un comportement contre nature qui est ici fustigé.
15. « Il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni libre, il n’y a plus ni homme ni femme… » (Gal. 3,
28). En se gardant là encore de toute confusion entre des réalités religieuses bien différentes, l’expression
fameuse (et spécifiquement christique) de Paul peut être placée à l’horizon de ces événements. Ce qui a
paru se dessiner en 186 av. J.-C. annonce bien, d’une certaine façon, la montée de formes religieuses nou-
velles, marquées par la tendance à l’autonomie à l’égard du système civique, de ses contraintes et de ses bar-
rières. Seul cet arrière-plan rend compte de la constitution progressive du mouvement et de la répression
des Bacchanales en exemplum digne d’inspirer la réaction des temps futurs, disons en prototype à la fois
d’un péril et de l’attitude à adopter à son égard (cf. ci-dessous).
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Les Bacchanales : du scandale domestique à l’affaire d’État 51

Derrière la série d’accusations capitales censées mettre au jour les secrets et les
dangers dont la secte serait porteuse, c’est en fait le vrai ciment de la cité romaine
qui se révèle. On reconnaît en creux la réaction de défense d’une communauté
soudée autour de l’unique serment public toléré : le sacramentum prêté au consul
par le jeune Romain lors de son recrutement dans la légion.

D’un dévoilement à l’autre :


la « religion » en question, la cité en danger
N’hésitons pas à le dire, quitte à user d’un anachronisme : ces événements
portent la marque d’un véritable holisme civique16. C’est à tort, et en commet-
tant un anachronisme autrement plus grave, que l’on prête souvent de nos
jours au « paganisme » antique les vertus de tolérance prônées en nos contrées
depuis Voltaire et les Lumières. Les religions17 civiques de l’Antiquité sont dans
leur principe ouvertes au contact et à la nouveauté, parce que, tout en reposant,
comme tout réseau de prescriptions pratiques, sur un corpus de croyances
implicites, elles ne s’enferment dans aucune limite ni frontière d’ordre doctri-
nal, et que d’autre part elles reconnaissent chaque fois « du divin » chez les
dieux et dans des pratiques d’autres peuples, prêtes à les intégrer à un patri-
moine en voie d’enrichissement constant. Mais il s’agit d’une ouverture étroite-
ment surveillée, comme le prouve le fonctionnement ordinaire d’un système
religieux soumis aux décisions du Sénat et des grands aristocrates que sont les
pontifes. Ici encore, l’extraordinaire confirme l’ordinaire, la pratique délic-
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tueuse, ou présentée comme telle, corrobore et enrichit ce que nous savons de
l’exercice en tout point « conforme » d’une religion tatillonne à l’extrême.
Lisons le sénatus-consulte : le règlement de l’affaire ne comporte de
« tolérance » qu’envers ceux qui auront fourni au préteur urbain toutes les

16. Emprunté au vocabulaire de Dumont (L.), Homo hierarchicus. Le système des castes et ses implications,
Paris, Gallimard, 1979 [1966], le mot « holisme » permet d’éviter les connotations trop contemporaines de
« totalitarisme ». Mais c’est bien de la subordination de l’individu au « tout » social qu’il est question en fin de
compte avec ces deux mots.
17. Je continue à utiliser le mot « religion(s) », malgré les critiques dont cet emploi a fait récemment l’objet
de la part de Dubuisson (D.), L’Occident et la religion, Paris, Complexe, 1998, qui lui préfère « formation
cosmographique » et de Borgeaud (P.), Aux origines de l’histoire des religions, Paris, Le Seuil, 2004, qui choi-
sit (p. 206) : « histoire des relectures et des choix (élections), histoire des scrupules, des hésitations, histoire
des rites et des discours tâtonnants qui les accompagnent ». Face à de telles propositions, « religion » a le
mérite de la lisibilité ainsi que d’un emploi assez large et lâche pour convenir à toutes sortes de contextes ;
enfin, le mot dérive de l’antique religio, vocable latin dont j’explore ailleurs le sens et l’évolution (Ce que vous
lierez…, Presses Universitaires de Toronto, à paraître) – une évolution elle-même révélatrice de la signification
« lieuse » de ce vocable, riche d’infinies virtualités, et que nous n’avons sans doute pas fini d’explorer. Que
l’on estime ou non que « Dieu est mort », ne tuons pas la « religion » ! Cet appel rationnel et raisonnable se
heurte à ce qui devient une mode médiatique, voire médiologique ; le nouveau livre de Debray (R.) (Paris,
Fayard, 2005) a pour titre : Les communions humaines. Pour en finir avec « la religion »… Un centenaire,
doit-on penser dans les milieux de l’édition, vaut bien une « messe ».

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preuves que leurs pratiques se soumettent à son contrôle et s’inscrivent dans le


cadre civique. Les Anciens ne pouvaient respecter de « liberté religieuse », parce
que cette notion même leur était aussi étrangère que le téléphone ou l’ordina-
teur. L’affaire des Bacchanales ne nous l’apprend nullement, mais elle le
confirme amplement.
Plus précisément, le règlement décidé et imposé par l’autorité traduit de plu-
sieurs façons des réalités que nous n’aurions fait au maximum que soupçonner.
– L’unité du groupe dirigeant s’affirme par-delà ses divisions ; sans le séna-
tus-consulte qui règle l’affaire, on ignorerait ce fait majeur et, comme nous
l’avons vu, on prêterait sans doute toujours à Caton, homme de « la réaction »,
une initiative qui revient au génial manipulateur Postumius, moins présent que
son grand contemporain à la mémoire des générations ultérieures.
– L’autorité, source quasi directe de Tite-Live18, démontre sa capacité à met-
tre en œuvre de bout en bout une logique du dévoilement. Il s’est agi pour la
mère du jeune homme (une femme remariée, ce qui n’est pas bon signe…) et
son indigne beau-père de contraindre Aebutius à en passer par les exigences, y
compris financières, de la secte bachique (cf. 9, 3). Par son aspect à la fois fami-
lial, religieux, financier, et par ses connotations politiques (un jeune citoyen
qu’on tente littéralement de soustraire à la cité), l’ensemble annonce de
manière assez étonnante tel procès fait à des « sectes » modernes. La révélation
d’identités cachées est au cœur du montage dénonciateur, un montage d’autant
plus virulent et efficace qu’il tend à mettre en lumière, peu à peu, une secte « de
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l’ombre », dans tous les sens du terme.
– Des données dont l’existence aurait sans doute été jugée peu vraisemblable
à date aussi haute sont mises au jour, comme la distinction nette entre
« public » et « privé », ou comme la référence implicite à l’organisation de
« collèges » organisés autour d’une caisse commune sous l’autorité de magistri
et de promagistri (cf. le sénatus-consulte).
– Plus particulièrement, on remarque la mise en avant de « documents »
censés être démonstratifs, et qui peuvent l’être sur deux plans différents, selon
qu’on les considère au premier ou au second degré. Certes, aucun indice maté-
riel n’est exhibé au cours de la procédure. Mais toute la consistance du scandale
familial qui sert de point de départ à tout le reste est d’ordre juridique, et solide-
ment ficelé, du moins si l’on s’en tient aux témoignages rapportés. Les lieux
évoqués (sanctuaire de « Stimula », grottes bachiques, bords du Tibre) jouent

18. On a cru pouvoir établir (Bacchanalia, p. 597-612) que la source principale de l’historien était le chro-
niqueur (« l’annaliste ») Aulus Postumius, cousin du consul de 186, qui a dû s’inspirer de près des archives
familiales, dans une œuvre écrite vers les années 160-150.
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Les Bacchanales : du scandale domestique à l’affaire d’État 53

également un rôle à la fois concret et emblématique, puisqu’ils mettent en scène


une part de Rome menaçant, disait-on, d’échapper à tout contrôle.
– Dans le même temps, à travers la caricature que le texte fournit des prati-
ques bachiques, on discerne plus d’un trait qui rapproche ces pratiques et leurs
références mythico-rituelles de celles qu’attestaient, plus de deux siècles aupara-
vant, les Bacchantes d’Euripide – restées pour nous la Bible du dionysisme.
– Bon nombre des individus cités sont « suivis jusqu’au bout », qu’il s’agisse
des dénonciateurs finalement récompensés ou des chefs de la secte impitoya-
blement châtiés, ce qui crée, là encore, tout à la fois un effet « romanesque », un
effet « moral » et un « effet de réel ».
– Le « discours de la tradition » prouve toute sa capacité à monter et exploi-
ter une affaire. Discours d’expérience : comme bien souvent à Rome, une des
accusations les plus fortes est celle de rupture avec la tradition. L’exposé officiel
s’appuie donc sur la défense du mos maiorum, moins face au culte bachique
qu’en réplique à des « dévoiements » récents de celui-ci. Le consul rappelle en
effet des précédents, que Tite-Live a mis en scène à plusieurs reprises, notam-
ment durant la deuxième guerre punique, vingt à trente ans auparavant 19. On se
situe donc dans une durée « moyenne », avec mise en exergue des nouvelles
conditions de vie et de diffusion de nouveautés inacceptables à Rome ; mais,
conformément à la tradition et à la conviction romaines (Cicéron : « l’Antiquité
est voisine des dieux »), des allusions sont faites également à des épisodes beau-
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coup plus anciens, proches de la légende des premiers temps.
– En contrepoint, nous l’avons vu, se manifeste la faiblesse apparente des
« coupables-victimes » : ces redoutables ennemis de l’intérieur semblent avoir
été rapidement éliminés – sans doute plus difficilement en Italie du Sud et en
Étrurie, d’où provenait le mouvement, qu’à Rome même20.
Au bout du compte, de dévoilement en dévoilement, partis de l’essence des
persécutés telle qu’elle est dénoncée par les persécuteurs pour aboutir à une
meilleure connaissance historique de l’essence des persécuteurs, serions-nous
subrepticement conduits sur la voie de quelque interprétation freudienne des
profondeurs du « psychisme romain » ? En quête d’une référence, il faut plutôt,
me semble-t-il, nous tourner du côté de René Girard21. Quels que soient les
débats que suscite auprès du sociologue et de l’historien cette pensée théorique,
englobante et exclusive, force est de reconnaître que, par la vertu heuristique de

19. Cf. Bacchanalia, p. 335-355.


20. La liquidation définitive des groupes de bacchants dans la péninsule a pris au moins cinq ans ; cf. Bac-
chanalia, p. 275-332.
21. Cf. parmi d’autres titres parus pour l’essentiel à Paris chez Grasset : La violence et le sacré (1972), Des choses
cachées depuis la fondation du monde (1978), Le bouc émissaire (1982), Les origines de la culture (2004).

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certaines de ses intuitions, elle jette un jour nouveau sur des pratiques de la reli-
gion de Rome et sur plusieurs épisodes importants de son histoire22. Dans le cas
présent, on retrouve, martelé jusqu’à l’obsession, le thème de « l’autre peuple »,
agent de désagrégation de la communauté familiale, militaire et religieuse cons-
tituée en cité. Désagrégation opérée par la sorte de mimétisme exacerbé que
symbolise la récupération insidieuse par le groupe déviant du serment norma-
lement prêté par les recrues au consul-chef de guerre lors de la levée annuelle
des légions. L’exaspération de cette rivalité mimétique aboutit à la mise en
scène et en œuvre de la liquidation totale des bacchant(e)s. Il n’est pas jusqu’à
l’ultime phase repérée par R. Girard dans ce qu’il appelle la « crise sacrificielle »
dont on ne retrouve en 186 av. J.-C. un écho affaibli. En accordant in fine une
dérogation permettant d’échapper à la terreur à ceux qui auront prouvé que
leur piété envers Bacchus est d’observance traditionnelle, on ne « divinise » cer-
tes pas la victime, comme dans le schéma girardien, mais on reconnaît, purifiée
de ses travestissements contre nature, la vérité de son aspiration religieuse.
Cette fidélité réaffirmée aux dieux de la cité est une des conditions du salut de
celle-ci.
Disons les choses en termes plus traditionnels, en tout cas moins marqués au
sceau d’une théorie à la fois particulière dans son inspiration et généralisante
quant à son objet – en termes plus « idéologiques », si l’on veut, au sens de
C. Geertz et de P. Ricœur23. La violence de la réaction romaine en 186 av. J.-C.
est aussi au premier chef aveu de fragilité devant des évolutions ressenties
comme échappant à tout contrôle. De cette prise de conscience est né le besoin
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de reconstruire, en la proclamant, une puissante identité symbolique. Prenant
appui sur la mémoire collective et fondatrice, cette identité reconquise se trans-
met par la force de son auto-affirmation comme une mémoire léguée à l’avenir
pour l’orienter sur la juste voie : celle de la « tradition ».
Au moment d’envisager les traces que cette crise aura laissées dans la
mémoire active de la cité24, il est bon de garder à l’esprit les principaux acquis de
l’analyse qui précède. Remontant le cours implacablement orienté des événe-

22. Cf. Pailler (J.-M.), « Girardiana. Rome, textes et tests », à paraître. L’exemple sans doute le plus frappant
est celui du sacrifice de la Vestale pour le salut de Rome.
23. Cf. Ricœur (P.), L’idéologie et l’utopie, Paris, Le Seuil, 1997, p. 335-351 (« Geertz »).
24. Par « mémoire active », expression plus pragmatique, me semble-t-il, que celle de « mémoire vive »,
j’entends celle qui informe et modèle pour la suite des temps aussi bien les institutions de la cité, prises au sens
large, que sa psyché collective et les comportements que celle-ci induit. Peu d’épisodes de l’histoire de Rome,
une histoire pourtant axée, au cours de sa constitution même, sur la puissance de figures déterminantes,
auront produit autant de mémoire active que l’affaire qui nous retient. Pour la mise en place des concepts et
des cadres de réflexion, Ricœur (P.), La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Le Seuil, 2000, ouvre des perspectives
éclairantes ; cf. en particulier p. 112 et s., 512 et s. et surtout les p. 97-105 (« La mémoire manipulée »), impor-
tantes pour notre propos, en ce qu’elles montrent – s’appuyant sur M. Weber et C. Geertz – que « l’idéologie
(fondée sur une “mémoire obligée”) peut être obtenue comme gardienne de l’identité, dans la mesure où elle
offre une réplique symbolique aux causes de fragilité de cette identité » (p. 100).
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Les Bacchanales : du scandale domestique à l’affaire d’État 55

ments, on restitue l’élimination finale de la victime émissaire comme consé-


quence et solution de la crise de la cité, une fois celle-ci exacerbée et colorée
d’horreur sacrée par une représentation accusatoire « en miroir » de l’état de la
communauté romaine. C’est bien à cette crise, ressentie comme potentielle-
ment destructrice de l’essence même de la cité, qu’il faut en définitive se référer
comme à l’origine de tout le processus. Si « les Bacchanales » étaient destinées à
occuper dans les siècles suivants la place de modèle et de grille de lecture d’épi-
sodes ultérieurs, cela tient à une de ces improbables rencontres dont l’histoire
n’est pas tout à fait avare : d’une part, la netteté d’épure d’événements qui se
prêtaient éminemment à une présentation « figurale25 », d’autre part l’extraor-
dinaire pouvoir multiplicateur de « l’histoire », entendue cette fois au sens de la
version du consul Postumius, (re)mise en scène à la fin de la République par le
génie de Tite-Live et transmise par ce dernier à une postérité qui allait en faire
l’usage sur lequel il nous faut brièvement revenir.
C’est par ces considérations que je compléterais et nuancerais aujourd’hui la
longue analyse que je proposais en 1988 des « suites de l’affaire ». Considérons
celles-ci de plus près.

L’affaire et ses suites : l’avenir d’un stéréotype


La première conséquence du règlement apporté au scandale fut un retour affi-
ché et triomphant aux valeurs et aux relations de pouvoir dans la famille et la
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cité : l’issue de cette série d’événements, c’est, en même temps que l’élimination
du « bouc émissaire », la proclamation en acte d’une restauration. Les femmes
reconnues coupables devront être déférées à l’archaïque tribunal domestique, qui
peut prononcer et exécuter la peine de mort dans le cercle familial (18, 6-7). Le
geste est emblématique d’un « retour à l’ordre » du monisme civico-familial
(plutôt que d’un « retour au privé »), monisme sur lequel s’est construite la
Rome traditionnelle et que les Bacchanales, selon l’autorité civique, avaient mis
en danger. C’est sans doute cette mesure qui justifie le mieux le recours un peu
convenu au mot « scandale » pour qualifier tout l’épisode. Le « scandale » (grec
biblique skandalon : cf. Mt 16, 23 ; 18, 5-9 ; Jn 16, 1 ; 1 Jn 2, 10-11… et déjà Lv 19,
14), c’est « le piège », « l’obstacle », « l’occasion de chute » (étymologie rappro-
chée du latin cadere, « tomber » et parfois du grec skazein, « boiter »). Au-delà de
l’emploi aujourd’hui courant du terme, on retiendra l’idée de « l’occasion de
scandale », de ce qui « fait scandale » – en un mot, un acte ou un comportement
qui, par sa valeur de contre-exemple, peut entraîner les autres, par contagion

25. Sur le sens de ce mot, on peut aussi bien se référer à Auerbach (E.), Figura, Paris, Belin, 1993, et Mimé-
sis, Paris, Gallimard, 1992, qu’à la tradition chrétienne d’interprétation des prophéties et figures de l’Ancien
Testament (à titre d’exemple, Grelot (P.), Sens chrétien de l’Ancien Testament, Paris, Desclée, 3e éd., 1962,
p. 23-27, 209-247, 286-326).

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mimétique26, sur la mauvaise voie et les faire tomber dans le piège : les enfants de
Mt 18, 6 (= Mc, 9, 42 ; Lc 17, 1) ; les jeunes initiés des Bacchanales. À cet exem-
plum négatif, la décision du Sénat oppose la valeur exemplaire du châtiment.
Implicitement, mais sans équivoque, le deuxième résultat, lui, prolonge une
évolution récente qui, pour n’être pas remise en question, va produire bien
d’autres motifs de crise dans la société romaine. Je veux parler de la mainmise
définitive sur l’Italie. En un temps où la ville de Rome est en voie d’expansion
considérable, notamment par l’afflux de ruraux et d’« étrangers », le théâtre des
opérations ne peut que s’élargir de Rome à la péninsule27. Ce dernier point est
un enjeu fondamental pour les sources anciennes (le sénatus-consulte épigra-
phique, Polybe – dont il ne reste sur cette affaire que de maigres fragments –,
Tite-Live, qui a dû s’inspirer en partie de l’œuvre du précédent) et représente
un apport historique essentiel. L’inscription retrouvée en Calabre illustre par-
faitement cet aspect, en confirmant que toute l’Italie était concernée : un consul
a sévi au Nord, l’autre (Postumius) au Sud. Le récit donne même l’impression
d’être construit, pour ce qui touche à ces sujets, selon une composition
embrassée : à l’évocation initiale d’un point de départ du mouvement néo-
bachique situé en Étrurie et dû à un « prêtre grec » évidemment charlatanesque,
mouvement amplifié par les réformes introduites dans le culte par une prêtresse
campanienne, fait pendant, au terme du récit, le déchaînement de la répression
dans toute l’Italie – moment décisif dans l’histoire de la péninsule. Un des objec-
tifs du pouvoir romain, en mettant en avant un « scandale » d’ampleur italienne,
était très précisément de justifier l’achèvement de sa main mise sur tota Italia.
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L’exhibition des inscriptions portant, en langue latine, le sénatus-consulte, et
dont la valeur performative est évidente, n’a pas d’autre sens : « le sénat a jugé
bon que vous graviez ces prescriptions sur une table de bronze ; ordre vous est
donné de l’afficher là où on pourra le plus facilement en prendre connaissance ».
Parmi les héritages de l’affaire, il faut encore noter une inflexion des institu-
tions proprement romaines : la quaestio extra ordinem, les mesures de salut
public annoncent le « sénatus-consulte ultime » dont on usera plus d’une fois, à
partir des Gracques (133-123 av. J.-C.), dans la crise annonciatrice de la fin de
la République. Ainsi sont jetées les bases matérielles et jurisprudentielles d’une
réponse aux temps de crise. Cela est particulièrement sensible à qui prend
connaissance des tenants et aboutissants de la « conjuration de Catilina »
(63 av. J.-C.) : à lire Salluste ou Cicéron, on perçoit bien le jeu d’échos d’un épi-
sode à l’autre, si bien qu’il est quelquefois difficile de savoir dans quel sens joue
la transposition : est-ce l’expérience de 63 qui colore la perception des faits sur-

26. On ne s’étonnera pas que R. Girard ait plusieurs fois réfléchi à la notion biblique de « scandale » : cf.,
par exemple, Des choses cachées depuis la fondation du monde, op. cit., p. 438-453.
27. Cf. Bacchanalia, p. 745-816 (« Un capital impérissable »).
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Les Bacchanales : du scandale domestique à l’affaire d’État 57

venus en 186, ou l’ambiance du récit des Bacchanales, une ambiance de


« conjuration » (de con-iuratio : « jurer ensemble ») qui est projetée sur le com-
plot de la fin de la République ?
Plus largement, enfin, ce que l’année 186 lègue à l’histoire ultérieure, c’est
un nouveau modèle d’attitude, un stéréotype toujours prêt à reprendre vie.
La chaîne est continue qui mène de Postumius le consul (186 av. J.-C.) à
Postumius l’annaliste (vers 155), puis à Tite-Live (vers 30 av. J.-C.). Mais
elle ne s’interrompt pas par la suite, puisque, de manière le plus souvent
implicite, voire subconsciente, Pline le Jeune s’y réfère au moment de traiter
les chrétiens présents dans sa province d’Asie Mineure et son ami Tacite,
vers le même temps (peu après 100 ap. J.-C.), agit de même lorsqu’il rend
compte de la persécution romaine de 64 28. J’ai naguère particulièrement
insisté sur le cas de Pline le Jeune, lecteur affirmé de Tite-Live, cherchant
dans les Bacchanales une grille de lecture susceptible de lui fournir une
appréhension plus adaptée de ces groupes religieux énigmatiques dont le cas
lui était soumis29. Je rangerai aujourd’hui dans une catégorie voisine 30 bon
nombre d’éléments du portrait infamant que Tacite brosse des Juifs (Histoi-
res, V, 1-5). Relisons :
« Moïse, cherchant par là à s’assurer à jamais l’empire sur cette nation, lui donna
des rites nouveaux en contraste complet avec ceux des autres hommes. Là, est
profane tout ce qui chez nous est sacré ; en revanche est permis chez eux tout ce
qui chez nous est abomination » (V, 1, 1-2).
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Plus loin :
« Les rites, de quelque façon qu’ils aient été introduits, peuvent se justifier par
leur antiquité ; les autres observances sont sinistres, infâmes, et la dépravation
les a fait prévaloir. […] Entre eux, tout est permis. […] Les premiers principes
qu’on leur inculque sont le mépris des dieux, le reniement de leur patrie et l’idée
que parents, enfants, frères et sœurs sont des choses sans valeur » (V, 5, 1-5).
De manière significative, Tacite conclut sur cette distinction entre vrais et
faux dévots de Bacchus :
« Comme leurs prêtres [du Temple de Jérusalem] chantaient en s’accompagnant
de flûtes et de tambourins, qu’ils ceignaient leurs tempes de lierre et qu’une
vigne d’or a été trouvée dans leur temple, quelques-uns ont pensé qu’ils ado-
raient Bacchus, le vainqueur de l’Orient ; mais les rites n’ont aucun rapport.

28. Sur la persécution de 64 et l’incendie de Rome présenté comme « prodige », cf. Pailler, art. à paraître.
29. Bacchanalia, p. 759-770.
30. Voisine, mais non identique. Voisine, en ce qu’elle se réfère elle aussi au stéréotype des Bacchanales. Et
en même temps très différente, puisque Pline mène une enquête sérieuse et matter of fact, là où Tacite uti-
lise un impressionnant bricolage de sources au profit d’une description mortifère.

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En effet, ceux que Liber [incarnation italienne de Bacchus] a institués sont riants
et joyeux ; les pratiques des Juifs sont bizarres et sordides » (V, 5, 10)31.
En fin de compte, à la relecture de tels textes, je serais plus enclin qu’autre-
fois32 à reconnaître une part de vérité dans le rapprochement, en lui-même
excessif, opéré par Salomon Reinach entre le sort des bacchants et celui connu
par des Juifs en maintes circonstances dans les âges suivants.
Quoi qu’il en soit, le modèle ainsi constitué a traversé les siècles et servi de
modèle à d’innombrables « persécutions » avec lesquelles il n’a d’affinités
qu’imaginaires, du moins aux yeux d’une histoire « positive » : après la conjura-
tion de Catilina, les poursuites de chrétiens en 64 et vers 110, d’autres persécu-
tions anti-chrétiennes, puis retournées contre les païens au IVe et au Ve s., les
chasses aux sorcières médiévales et modernes… Les Bacchanales, par l’image de
« secte de conjurés » qui s’en est imposée, sont bien, pour reprendre l’expres-
sion jadis employée par Thucydide à propos de son propre travail d’historien,
un ktèma eis aei, une assez sinistre « acquisition pour toujours ».
Ainsi l’affaire des Bacchanales s’inscrit-elle en tant que cause, au sens multi-
forme de ce terme, au sein d’une trame historique fort longue. Elle s’y inscrit en
amont comme en aval. L’affaire, typique « héritage d’Hannibal », selon la for-
mule d’Arnold Toynbee, c’est-à-dire de la deuxième guerre punique, prend
place, nous l’avons vu, dans une série inaugurée durant cette guerre et marque
l’élargissement définitif de l’horizon romain à l’échelle de la péninsule. Elle met
en avant la « contagion » (contagio) d’un mal irrésistible, porté par des cultes
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aussi étrangers qu’étranges, vecteurs de nouveautés traumatisantes introduites
par des initiatives féminines, par le mélange des âges, des conditions et des sexes,
par la pénétration de tous ces miasmes à la fois dans la Ville jusque-là protégée.
Cet héritage, comme il arrive, est à la fois réel et en grande partie imaginaire.
L’imaginaire occupant également une bonne place dans la conscience des
historiens modernes, il est, parmi les « dévoilements » que l’on a voulu discer-
ner au travers de ces événements, une piste d’interprétation longuement fré-
quentée et qu’il faut délibérément écarter. Le scandale de 186 ne révèle à aucun
degré l’« irruption orientale » qu’on a trop souvent voulu y voir33. Cette conta-

31. L’étude récemment consacrée aux sources et composantes plurielles de ce portrait par Borgeaud (Ph.),
Aux origines…, op. cit., p. 155-180, laisse doublement perplexe. D’une part, elle se désintéresse avec érudi-
tion du stéréotype du bouc émissaire à la constitution duquel Tacite apporte une si redoutable contribu-
tion. D’autre part, cette étude ne tient aucun compte de la qualité de quindécemvir de Tacite. Une des
fonctions de ce collège officiel de quinze prêtres était précisément d’observer les « religions étrangères » et
de déterminer à l’occasion d’événements graves, souvent marqués de prodiges, ce qui, dans ces religions,
pouvait être admis dans le corpus romain – et ce qui, par symétrie, était promis à l’expulsion.
32. Cf. Bacchus, p. 129-130.
33. Pas plus qu’il ne manifeste ou ne dissimule une insurrection des femmes, des jeunes ou de milieux plé-
béiens marginalisés, comme le voulait l’exégèse stimulante mais trop anachroniquement « marcusienne »
de l’ethnologue C. Gallini (1970…) citée plus haut, n. 2. Cf. Bacchanalia, p. 101-113.
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gion lointaine des mœurs et des idées, conséquence des conquêtes, aura bien
lieu à Rome, mais nettement plus tard, à partir de la fin du IIe s. av. J.-C., puis
tout au long de l’Empire. En 186, les premières grandes victoires de Rome en
Orient (Asie Mineure) sont encore trop récentes pour avoir produit un tel effet.
Le ferment bachique italien enraciné depuis plus de deux siècles en Grande
Grèce et en Étrurie, associé aux conséquences de la guerre, a largement suffi à
nourrir les terreurs essentiellement imaginaires qui ont été dénombrées plus
haut34.
De la même façon, les Bacchanales elles-mêmes allaient suffire, par la puis-
sance de choc de l’événement et la vigueur de l’interprétation qui en fut don-
née, à alimenter les fantasmes de la fin de la République, puis du temps de
l’Église souffrante et finalement triomphante. L’enchaînement de ces consé-
quences, bien au-delà des premières mesures institutionnelles prises après 186,
démontre, s’il en était besoin, que l’imaginaire facilement démonisant et le
désir destructeur des hommes ont souvent plus de poids sur le cours des événe-
ments que ce que nous nous obstinons à appeler la réalité des faits.
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Jean-Marie PAILLER est professeur d’his- Il est notamment l’auteur de Bacchanalia © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 02/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 191.96.150.212)
toire ancienne à l’Université de Toulouse II (École Française de Rome, 1988) ; Bacchus.
Le Mirail, membre de l’Institut universitaire Figures et pouvoirs (Paris, Belles Lettres,
de France et de l’Unité toulousaine d’archéo- 1995) ; Tolosa. Nouvelles recherches sur
logie et d’histoire (UTAH). Il est par ailleurs Toulouse Antique et son territoire, (dir.),
directeur de l’axe Patrimoine de la Maison École Française de Rome, 2002 ; Les mots
des sciences humaines et sociales de de la Rome antique (Toulouse, PUM, 2002) ;
Toulouse. Ce que vous lierez…, Toronto, Presses Uni-
pailler@univ-tlse2.fr versitaires, coll. « Athéna », sous presse
(2005).

34. Cf. Bacchus, p. 109-126 (« Sépulture interdite aux non bachisés : dissidence orphique et vêture
dionysiaque »).

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