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Fellin1-Satyricon sQrti-

ra à Paris dans la pre-


mière quinzaine de dé-
cembre. Nous revien-
drons la s e m a i n e
prochaine sur ce film
énorme qui a été l' évé-
nement du dernier
Festival de Venise
(TRA 1027, p. 55). Les
avis seront certaine-
m e n t partagés : ce
film ne ressemble à
aucun autre. Mais il
ressemble à son au-
teur. Avant que nous
parlions de son film,
Gilbert Salachas parle
de l'auteur Fellini. Fellini masqué (à cause des bombes fwmigènes) tourne Le Satyricon.

■ Ne cherchez pas dans son com- nulle trace d 'angoisse ni de sur- Et farceur, et malin. Désarmant.
portement, dans sa silhouette ou tension. Cet artiste ne porte pas Il aime tout le monde et tout le
sur son visage le signe indien du les stigmates aveuglants de la monde l'aime. Sa vie est une lon-
génie. Vous ne le trouverez pas. · création. gue série d'aventures incongrues,
Fellini est un homme ordinaire, drôlatiques et pittoresques. Sa vie,
corpulent, massif, enveloppé. Mais L'ŒIL NO,R il l'a racontée à travers une dou-
l'embonpoint n 'empêche pas lâ Le cheveu est noir, un peu gri- zaine de films plus ou moins auto-
souplesse des mouvements : un sonnant du côté des tempes et biographiques. Il l'a racontée,
gros chat. Observez-le déambuler, des favoris, rare du côté de la aussi, à des tas de gens, journalis-
il semble qu'il ait tout son temps, tonsure. L'œil aussi est noir, mais tes, chroniqueurs ou simples ano-
il se promène, il s'arrête, détendu, infiniment doux, tranquHle, repo- nymes de rencontre. Il parle vo-
curieux, un peu badaud. Italien. sé, reposant. lontiers, il plaisante, il invente, il
Son visage aussi est ordinaire : Il est ayenant, amical, Fellini. affabule.

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Les mauvais lieux d'une Rome décadente.

Je l'ai vu pour la première fois, La gloire ne lui a pas enflé la deste figurant rencontré sur n'im-
à Paris, en 1954 et comme tous tête. A Venise, l'été dernier, mê- porte quel plateau de n'importe
ceux qui l'ont approché, j'ai été mes effusions. Il a délaissé, tel un quel film vous le confimera.
séauit par sa simplicité naturelle, garnement buissonnier, les bac-
chanales officielles afin de réser- Disons, pour simplifier, qu'il a
ce que l'on nomme sa « chaleur une passion pour les gens. C'est
humaine». Depuis, à deux repri- ver quelques heures à une vieille
connaissance, pour le plaisir. peut-être pour cela qu'il fait les
ses, au hasard de tribulations fes- films qu'il fait. Quand il tourne,
tivalières, je l'ai rencontré et ce UN GRAND J·EU c'est comme une fête permanente.
furent, à chaque fois, de grandes Acteurs et techniciens participent
démonstrations méridionales, bras Je n'écris pas cela pour me van- à un grand jeu collectif dont le
ouverts, tapes dans le dos et ter ; d'ailleurs, il n'y a là pas
joyeuses manifestations d'amitié de quoi se vanter, car le trait de TOURNEZ LA PAGE S.V.P.
Il est comme ça, il n'oublie pas. caractère est célèbre. Le plus mo-

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L'imoerator Fellini

C'est au cœur de la décadence,


de la déchéance, de la misère la
plus noire, des monstruosités les
plus effrayantes que Fellini trou-
ve ses raisons d'espérer. Cet hom-
me, si siml)le et si détendu « ~ans
le civil • , a gravé sur la pell-lcule
les mythes essentiels à l'humanité.
Son œuvre, chamelle infiniment,
impitoyablement, nous conduit
toujours, par de surprenants dé-
tours, au seuil de la plus déchi-
rante méditation spirituelle : « Ma
fascination pour la décadence
n'est pas une fascination mortuai-
re ou alors dans la seule mes-u re
oü la mort porte en elle le germe
titre d'exemple, parce que c'est un d'une renaissance. Ce n'est pas la
SUITE film exemplaire. On y voit une fascination de la mort en tant
pauvre fille un peu simplette, un qu' extinction, silence absolu, nau-
clown rigolo et une grosse brute, frage, écroulement, désastre. L'at-
cinéaste serait l'organisateur. Il ne trois vagaibonds qui cheminent sur
règne pas sur sa troupe, il l'ani • traction que j'éprouve pour les
le sentier de la vie et dont les tri- stuctures décadentes et crépuscu-
me. Le monde du spectacle est bulations pittoresques nous boule-
son affaire. Le bonheur de tour- laires est une attraction tout im-
versent (enfin, me bouleversent) prégnée d'une excitation tendue
ner se confond, chez lui, avec le parce qu'elles expriment, pompeu-
bonheur de vivre. Vivre dans ve r s ce qui va arriver : l'aube qui
sement dit, le mystère des âmes . est sur le point de se lever, la nou-
l'ivresse de la création ininter- Ce besoin d'aJbsolu, ce chemin de
rompue. Vivre l'instant. velle rencontre qui, naturellement,
la grâce Cau sens profane comme aura lieu. Je suis stimulé par l'ago-
au sens mystique), je le retrouve nie lorsqu' elle est porteuse d'une
dans tous les films de Fellini. renaissance intérieure • Cl).
UN PUZZLrE
C'est. une œuvre monumentale,
peuplée de voyous, de marginaux,
Toute son œuvre est ainsi nour- de magbs et d 'histrions. Une œu- DUR ET TENDR1E
rie de moments privilégiés, inten- vre terriblement incarnée, surréa-
ses tristes ou gais. C'est un im- liste à force - de réalisme. Un
me~se puzzle, une fresque, si l'on Voilà ce qu'il m'a dit à propos de
concert dissonant qui fait mal aux Satyricon. Mais la formule s'ap-
priéfère, constituée de mille anec- oreilles, mais qui enchante les
dotes incongrues qui ne s'orga plique à tous ses f.Hms. Cet im-
oreilles. mense espoir, au sein du chaos,
msent qu'au bout de la route.
Au début, Fellini se contentait cela peut s'appeler !'Espérance.
Pour nous, la première grande de raconter, à sa manière, une
surprise le premier émoi, ce fut Les films de Fellini sont durs et
suite de souvenirs transposés qui tendres et beaux, éprouvants à
ia Strada le film qui a révélé aux étaient autant de chroniques pro-
Français Îe nom de Fellini et celui force de dureté, de tendresse et de
vinciales ou romaines : Courrier beauté. Et plus je les vois, plus
de Giuletta Masina, son épouse et du cœur ( Le Sheik blanc) , Les
sa muse. Aujourd'hui, pour des je les revois, plus ma sympathie
Feux du music-haU, La Strada, Il grandit pour l'homme et pour l'ar-
raisons qui m 'échappent, La S~r~- Bidane, Les Nuits de Cabiria, La
da œuvre lumineuse, est cons1de- tiste, je n'en dis pas plus, on . cne-
Douceur de vivre . Et puis, ce fut rait au parti pris.
ré~ avec condescendance par beau- l'explosion et le délire des grandes
coup de mes confrères . . I?écidé- compositions fantastiques (8 112,
men t, je ne CO'l'IlJPrendra1 1ama 1_s Qilbert SALACHAS ■
Juliette des Esprits, le sketch
les humeurs capricieuses de la cri- d' Histoires extraordinaires). Enfin
tique. Mais laissons cela, ce n 'est Satyricon, qui est une exploratio!1
pas très intéressant. démentielle du monde de la de- (ll Entretien avec Federico Fel-
Si je parle de &a Strada, c'est à cadence. lini. Télé-Ciné n • 156.

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