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PDC 007 0151
PDC 007 0151
© Presses universitaires de Grenoble | Téléchargé le 20/09/2023 sur www.cairn.info via Université de Liège (IP: 139.165.31.14)
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en France (1995-2015)
●
Renaud Crespin
CNRS, CSO, Science Po Paris
Benjamin Ferron
UPEC, Céditec (EA 3119)
P
« our éviter la pollution intérieure, ouvrez les fenêtres ! » titrait il y a
quelques années un article d’un quotidien régional du nord de la France
(Courrier Picard, 18/4/2009)1. Rappelant que nous passons l’essentiel de
notre existence à l’intérieur du domicile, son auteur dresse la liste des
multiples sources de pollution du logement identifiées dans un Guide de
la pollution de l’air intérieur publié par l’Inpes2 : tabagisme, moisissures,
matériaux de construction, meubles, acariens, produits d’entretien, appareils
de chauffage, moquettes, etc. Ces éléments qui s’accumulent dans l’air,
apprend-on, provoquent allergies, irritations ou maux de tête. Des symp-
tômes qui seraient un effet direct de nos activités domestiques : bricoler,
cuisiner, faire sécher du linge, se doucher, fumer, etc. Conformément aux
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invite chacun à adopter les « bons gestes » au quotidien.
Une telle publication pourrait sembler anecdotique si elle ne révélait pas
en creux une tendance plus générale qui, identifiée par différents travaux
sociologiques sur les enjeux de santé et d’environnement (Gilbert, Henry,
2009, Comby 2015), pointent l’émergence contemporaine de « problè-
mes publics/privés ». En forme d’oxymore, cette catégorie renvoie à des
problèmes publics dont les solutions, élaborées par les pouvoirs publics,
seraient entièrement contenues dans des mesures symboliques. À l’instar des
politiques de lutte contre le tabac et plus généralement de santé publique,
la dimension symbolique se donne à voir comme une action « par et sur
les signes » (Padioleau, 1977) faisant prévaloir une communication insti-
tutionnelle qui tend à renvoyer la gestion du problème à la responsabilité
individuelle (Berlivet, 1997 ; Bergeron, 2010 ; Ollivier-Yaniv, 2010) plutôt
qu’aux pouvoirs publics ou aux firmes industrielles. Ce type de problème
risque alors de se trouver moins résolu que dissolu car, comme l’observe
Erik Neveu, la dissolution des problèmes publics peut s’opérer dans « le
mouvement même de leur reconnaissance solennelle et de l’affichage de
leur prise en charge par des politiques publiques dont la réalité première est
d’adresser le signal “qu’on s’en occupe” » (2015, p. 229). Comme souhaite
le montrer cette contribution, l’article de journal cité plus haut apparaît
exemplaire du traitement journalistique dominant du problème public de
la « pollution de l’air intérieur », lui-même révélateur du rôle ambivalent
des médias d’information dans l’exposition contrôlée des citoyens aux
multiples alertes sanitaires et environnementales qui s’accumulent depuis
plusieurs décennies dans les sociétés industrielles avancées (Cicollela, 2013 ;
Robin, 2013).
Le problème de la pollution de l’air intérieur n’est certes pas nouveau
(Sundel, 2004 ; Corbin, 1986 ; Guilleux, 2011) mais il se trouve pris
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depuis le milieu des années 1990 dans des luttes définitionnelles dont un
des enjeux centraux porte sur son autonomie par rapport à d’autres pro-
blèmes publics. Si différentes mesures législatives et réglementaires ont
fortement contribué à mieux circonscrire le traitement du problème de la
pollution de l’air intérieur (Jamay in Le Bourhis, 2015), l’ensemble de ces
mesures ne parvient pas à lever le flou qui entoure encore la définition du
problème dans l’espace public médiatique. Les pollutions de l’air intérieur
relèvent de définitions plurielles voire concurrentes. Ainsi par exemple, un
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premier cadrage fait de la pollution de l’air intérieur un simple appendice
de la pollution de l’air en général ; un second l’aborde comme relevant
des pollutions chimiques touchant non seulement l’air mais aussi l’eau ou
la terre ; un troisième l’associe en priorité à un type de polluants (tabac,
monoxyde de carbone, moisissures, formaldéhyde, etc.) ; un quatrième s’en
saisit pour justifier l’adoption d’un mode de vie plus écologique, etc. Loin
de vouloir trancher sur la validité de ces différents cadrages, notre approche
vise à savoir si cette superposition ne constitue pas un des obstacles majeurs
à la reconnaissance et à l’inscription de la pollution de l’air intérieur comme
problème prioritaire sur les agendas médiatique et politique.
Depuis quelques années, les travaux de sciences sociales ont en effet démon-
tré que l’intervention normative des acteurs politiques et administratifs
(loi, règlement) était fortement liée à une réduction de la définition des
problèmes sanitaires et environnementaux en termes de « scandale » ou
de « crise » (Champagne, Marchetti, 1994 ; Henry, 2007). Or, à première
vue, il apparaît qu’en matière de pollution de l’air intérieur, cette forme de
publicisation n’est pas dominante, malgré certaines formes de « dramati-
sation ». L’encastrement du problème dans l’ensemble des facteurs qui en
favorisent l’apparition (mal-logement, précarité énergétique, insalubrité de
l’habitat, pollutions industrielles, pauvreté et exclusion) peut avoir des effets
paradoxaux sur sa reconnaissance et son traitement médiatique (Dourlens in
Gilbert, Henry 2009). En effet, ces multiples facteurs contribuent à étendre
la portée du problème et devraient ainsi lui conférer une dimension globale
susceptible d’élargir son audience et sa notoriété. Mais cet enchâssement
peut aussi atténuer la spécificité du problème : encastrés au sein d’autres
problèmes souvent plus médiatisés, les dangers sanitaires associés à la pollu-
tion de l’air intérieur se trouvent ainsi occultés par la concurrence d’autres
types d’enjeux et de risques. C’est à partir de cette tension entre « dispersion »
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sanitaires et environnementales, d’associations, d’organismes scientifiques
et de professionnels du bâtiment.
Afin de recueillir les données, deux méthodes principales ont été employées.
La première est la constitution et l’analyse d’un corpus de documents d’ar-
chives, à partir de la base Europresse.com, du fonds de l’INAthèque et de
sites Web (mot-clé : <air intérieur>). Ce corpus (n=746) a fait l’objet d’une
analyse quantitative et qualitative réalisée à partir d’une grille thématique,
élaborée après une phase de test. La seconde méthode est l’entretien sociolo-
gique semi-directif en face-à-face (n=16). Nous avons interrogé des journa-
listes généralistes et spécialisés de médias nationaux d’information générale
et politique (Le Monde, Le Figaro, Libération, La Croix, France 2, France 5)
et de revues et magazines spécialisés sur les questions de consommation, de
santé ou d’environnement (Que Choisir, Allo Docteur, Magazine de la santé,
Pollution atmosphérique). Nous avons également interrogé des personnes
responsables de la communication de différents organismes qui participent
à la construction de l’information et des débats publics médiatiques sur
l’air intérieur : Observatoire de la qualité de l’air intérieur (OQAI), Agence
nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement du
travail des aliments (Anses), Agence nationale de la maîtrise de l’énergie
(Ademe), association France-nature environnement (FNE), Confédération
de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb).
Interroger le flou de la définition publique du problème de l’air intérieur
nous a amené à l’envisager comme un objet-frontière (Star et Griesemer,
1989) et à formuler l’hypothèse d’une forme de plasticité de sa défini-
tion favorisée par une série de facteurs structuraux. L’heuristique de cette
hypothèse est qu’elle permet d’éviter le biais du « médiacentrisme » (Sch-
lesinger, 1992) en analysant les ajustements entre des définitions concur-
rentielles portées non seulement par les journalistes mais également par des
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production d’information (Marchetti, 2010). Il s’agit alors d’analyser le
journalisme comme un espace social intermédiaire, non pas neutre ou trans-
parent, mais bien qui sélectionne et transforme selon des intérêts propres les
différentes sources qui servent à la fabrique de l’information. Il s’agit donc
également de rappeler que ce traitement médiatique ne peut pleinement
se saisir qu’en prenant en compte les multiples relations externes que les
professionnels de l’information entretiennent avec un ensemble d’acteurs
et de « sources ». Quels éventuels effets de domination et d’imposition le
cadrage étatique de l’enjeu de la pollution de l’air intérieur peut-il exercer,
par l’intermédiaire des dispositifs de communication, sur le travail de défi-
nition du problème opéré par le champ journalistique sachant que, comme
le souligne Dominique Marchetti : « La publicisation de l’État n’est jamais
aussi efficace, s’agissant des retombées médiatiques, qu’elle n’apparaît pas
comme trop visible. » (2008, p. 5). Ainsi, tenter de rendre intelligible une
forme paradoxale de problème public que serait celle d’un scandale contenu,
dépolitisé, et en quelque sorte « privatisé » par une communication publique
elle-même soumise à la contrainte médiatique, revient à poser et discuter
la question plus générale de l’autonomie relative du champ journalistique
(Champagne, 2016).
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Le traitement journalistique du problème de la pollution de l’air inté-
rieur présente plusieurs caractéristiques : il est relativement discret, distribue
le problème dans des rubriques éclatées et de nombreux journalistes s’en
saisissent, en général à une seule reprise, au cours de la période considérée.
Lorsqu’ils ou elles se souviennent de cette thématique, ce qui n’est pas
toujours le cas, les journalistes interrogés témoignent de la place secondaire
qu’elle occupe dans leur travail quotidien. Qualifiée de « petit sujet »3, « un
peu marginalisé et relativement ignoré »4, la thématique est considérée
comme ayant été traitée « insuffisamment » et « tardivement »5. La faiblesse
de ce traitement éditorial peut être objectivée par la fréquence limitée des
publications sur le sujet (2,5 documents par an tous supports confondus).
Les journalistes évaluent cette position périphérique par comparaison avec
d’autres problèmes environnementaux ou sanitaires proches, comme les
pollutions de l’eau, de l’air extérieur ou l’exposition aux polluants profes-
sionnels. Une comparaison statistique du traitement journalistique de la
pollution de l’air intérieur avec des problèmes voisins permet de mesurer
l’intérêt relativement faible porté à cette question. Entre 1995 et 2015, le
journal Le Monde publie par exemple 1 681 articles sur l’amiante et 1 425
sur la pollution de l’air en général, contre 55 spécifiquement sur la pollution
de l’air intérieur (figure 1). Sur un plan chronologique, on n’observe aucune
corrélation significative entre le traitement de ces problèmes connexes et
celui de l’air intérieur. L’amiante par exemple, qui est paradoxalement
l’un des polluants de l’air intérieur, semble suivre une carrière médiatique
indépendante (étudiée in Henry, 2007).
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Air intérieur (n = 55) Amiante (n = 1 681) Pollution de l’air (n = 1 425)
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à la réduction d’une phrase (<l’air intérieur est pollué>) à un groupe de
mots. Elle présente un double intérêt stylistique (réduire une phrase ou une
proposition à un groupe de mots) et argumentatif (empêcher que l’on nie
la proposition verbale en la faisant disparaître) (Guilbert, 2011). Nommer
ainsi le problème n’est donc pas neutre – a fortiori lorsque les pouvoirs
publics privilégient l’expression de « qualité de l’air intérieur » qui évacue
l’idée même de pollution. On formule implicitement une opinion (<l’air
intérieur est pollué>) tout en énonçant une « problématisation » particu-
lière : « l’air intérieur » est posé comme ontologiquement distinct de « l’air
extérieur », et cet air « est » pollué, mais l’on ne sait par quoi ou par qui, et
avec quels effets. On peut donc se demander si la formulation même du
problème ne favorise pas, non seulement le « figement » du discours public
dont il est l’objet (Krieg-Planque, 2009), mais aussi indirectement la mar-
ginalisation de cadrages alternatifs mettant l’accent sur la responsabilité
des industriels ou des pouvoirs publics, cadrages pourtant présents à la fois
dans le champ scientifique (Blanc, 2009 ; Cicollela, 2013) et journalistique
(Que Choisir, 2009 ; Robin, 2013). Répondre à cette question nécessite
d’éviter deux écueils. Le premier, de sens commun, serait de considérer les
journalistes comme de simples relais d’information. Le second d’en faire
les complices plus ou moins objectifs d’une stratégie volontaire et organisée
d’étouffement du potentiel scandaleux du problème de l’air intérieur. Afin
de nous déprendre de ces deux approches, notre analyse souhaite insister
sur les contraintes sociales et professionnelles qui pèsent sur le traitement
journalistique de cet enjeu environnemental et sanitaire.
Les journalistes ayant le plus écrit sur la pollution de l’air intérieur peinent
à l’envisager comme un problème constitué, consistant et autonome. Cette
difficulté tient au fait qu’il est cognitivement imbriqué dans d’autres théma-
tiques (air extérieur, amiante, climat), ce qui contribue à son occultation.
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outre, les journalistes interrogent la pertinence même du sujet de la pollution
de l’air intérieur : d’un point de vue politique, certains le soupçonnent de
jouer un rôle de « contre-feu » visant à détourner l’attention du public du
problème de la pollution atmosphérique, tandis que d’autres s’interrogent
sur son intérêt notamment pour les lecteurs. La pollution de l’air intérieur
peine aussi à faire l’objet d’un investissement spécifique par les journalistes
« environnement », en raison de la morphologie de ce groupe professionnel et
de sa position dominée dans les hiérarchies internes des rédactions (Comby,
2015) : « tu ne peux pas devenir expert de la qualité de l’air intérieur quand
tu es journaliste environnement, on est tellement peu nombreux. Alors tu
te dis que le climat c’est “plus important” »6.
Si l’on se place « du côté du public » (Le Grignou, 2003), sans pour autant
préjuger du type de réception dont les informations sur l’air intérieur peu-
vent faire l’objet, le travail statistique sur notre corpus permet d’objectiver
le « flou » du cadrage médiatique sur le sujet en montrant qu’il résulte d’une
dispersion du problème entre de multiples sources, causes et solutions.
Les articles ou émissions de notre corpus ne citent en moyenne pas plus
d’une ou deux sources d’information, généralement issues des univers
bureaucratiques et du champ scientifique. Dans certains cas, aucune cause
de pollution de l’air intérieur n’est mentionnée (10 % du total) et dans les
autres, les polluants incriminés sont ceux les plus faciles à substituer dans
les actes d’achats des consommateurs (produits de bricolage et d’entretien,
éléments d’ameublement et de décoration intérieure, colles, etc.). Le plus
fréquemment, aucune population spécifique n’est désignée comme victime
de la pollution de l’air intérieur (30 % du total). Lorsque c’est le cas, il s’agit
le plus souvent de la population en général, sans discrimination (27 %).
Seul le groupe des enfants et des nourrissons bénéficie d’un statut de victime
6. C. Schaub-Delesalle, Libération, entretien, 18/06/2015.
bien identifié. Un constat similaire peut être établi concernant les symp-
tômes : bien souvent (35 % du total), aucun symptôme particulier n’est
mentionné. Lorsque c’est le cas, les journalistes citent en priorité les problè-
mes respiratoires, les allergies, les cancers, les troubles de la reproduction et
les problèmes neurologiques. Ensuite, lorsque les documents évoquent les
bâtiments concernés, dans un tiers des cas le domicile privé est cité puis,
dans une moindre mesure, les écoles et les crèches, les lieux de travail et les
transports en commun ou privatifs. Parfois, l’ensemble des bâtiments est
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évoqué mais sans plus de précision. Enfin, la principale solution envisagée
pour résoudre le problème est l’action individuelle consistant à assurer une
bonne aération des bâtiments en ouvrant quotidiennement les fenêtres chez
soi (17 % des cas), plutôt qu’une action des pouvoirs publics essentiellement
réduite à des mesures « symboliques », comme l’étiquetage des produits les
plus nocifs. Les actions plus « substantielles » visant notamment à contraindre
l’industrie chimique ou les professionnels du bâtiment sont très rarement
envisagées, comme celles visant à interdire la commercialisation et l’usage
de certaines substances (5 %) ou à en reconnaître le caractère toxique ou
cancérigène (2 %). Finalement, c’est une logique d’inventaire plus éclectique
qu’exhaustif qui permet de composer le tableau médiatique de la pollution
de l’air intérieur. Seules les solutions font l’objet d’un traitement moins
impressionniste puisqu’elles sont essentiellement envisagées sous l’angle de
la responsabilité individuelle des occupants des lieux concernés.
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Le Monde Le Figaro Libération La Croix L’Humanité
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non anxiogène vers le public, et l’ouverture du premier « Grenelle de l’en-
vironnement » en 2007. Cette phase d’institutionnalisation est d’abord
marquée par une augmentation significative du nombre de documents
consacrés à l’air intérieur (0 à 7 art./an dans la PQN). Le format moyen
des articles en presse écrite se raccourcit (315 mots). Le sujet est donc
plus traité, mais de façon moins précise, tout en étant réparti dans trois
rubriques principales : société, pages locales et vie pratique/maison. Ce
sont désormais moins des journalistes spécialisés que généralistes qui se
saisissent de l’air intérieur, ce qui favorise sa légitimité auprès des chaînes
de télévision nationale. Dans cette période, les sources administratives
remplacent souvent les sources scientifiques. L’accent est davantage mis sur
les produits de consommation que sur la structure déficiente des bâtiments.
Si le problème peine toujours à trouver ses victimes, on repère cependant
que la référence aux enfants augmente comme population plus exposée
aux polluants intérieurs, en particulier dans les écoles et les crèches. Un
changement s’opère également dans l’identification des pathologies : les
problèmes respiratoires et les allergies prennent le dessus sur les cancers.
Enfin, les contours des mesures publiques destinées à résoudre le problème
se dessinent. La première solution repose sur la responsabilité individuelle
(« aérez chez vous ! »). De fait, les acteurs collectifs publics et/ou privés du
bâtiment et de l’industrie tendent à disparaître de la scène publique du
problème et des solutions envisageables.
La troisième séquence de la carrière médiatique du problème est comprise
entre les deux « Grenelles de l’environnement » (2007-2010). Si ces deux
événements favorisent l’intervention d’acteurs politiques, on n’observe pas
pour autant de véritable mise en scandale. Certes le traitement médiatique,
notamment à la télévision, peut user d’un registre dramatisant, mais sur
un mode ordinaire où il s’agit moins de révéler que de traiter l’inaction
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cocktails » (exposition des habitants à une pluralité de produits toxiques)
ou l’inadéquation des systèmes d’évaluation des effets de substances pour
lesquels « la dose ne fait pas le poison » (perturbateurs endocriniens). Par
ailleurs, la distribution des documents tend à se déplacer des pages « science »
et « santé » vers celles consacrées à l’environnement. Le nombre d’interviews
augmente, laissant apparaître des porte-paroles attitrés, comme Séverine
Kirchner, coordinatrice de l’OQAI et intervenante régulière dans les médias,
ou plus exceptionnellement la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot dont
la parole « autorisée » renforce l’importance du sujet. De façon générale, les
acteurs politiques mais aussi associatifs, gagnent, dans cette période, une
position privilégiée comme source d’information. Enfin, cette période favo-
rise l’évocation plus fréquente de solutions pouvant être jugées davantage
contraignantes pour l’industrie et/ou les pouvoirs publics. C’est notamment
le cas de la limitation ou de l’interdiction de produire et commercialiser
des substances qui, comme le formaldéhyde, sont reconnues comme des
« cancérigènes certains » par plusieurs organismes internationaux.
La quatrième phase (2010-2015) se caractérise par une normalisation du
traitement politique et médiatique du problème. Elle débute avec la mise en
place réglementaire du second « Grenelle de l’environnement » et se distingue
par une couverture médiatique moins forte que la précédente, mais plus
importante que lors de la phase 2. La taille moyenne des articles en presse
écrite diminue sensiblement (191 mots) et le rubriquage se fait pour moitié
dans les pages locales de la PQR et dans une moindre mesure dans les pages
« société ». Le positionnement régulier dans les pages « environnement »
témoigne d’une stabilisation des catégories de classement du problème par
les journalistes spécialisés. Par ailleurs, la proportion de brèves et de filets
est en augmentation significative : les pages locales de la PQR privilégiant
des annonces d’événements, comme de nombreux ateliers d’information
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nalistes ne ressentaient plus le besoin d’en expliquer les origines. L’opacité
qui entoure l’évocation des symptômes liés à l’exposition aux polluants
de l’air intérieur est également renforcée et les problèmes respiratoires et
allergiques reprennent le dessus sur les effets cancérigènes.
Ainsi, contrairement à ce que montre un certain nombre de travaux consa-
crés à l’émergence des « scandales » de santé publique (Henry, 2007 ; Gilbert,
Henry, 2009 ; Marchetti, 2010 ; Nollet, 2010), il apparaît que la phase de
politisation-médiatisation intervient ici après une phase de prise en charge
administrative du problème de l’air intérieur notamment par un organisme
public dédié, l’Observatoire de la qualité de l’air intérieur (OQAI). Le
problème est ainsi, relativement tôt dans sa carrière, sous un contrôle relatif
des pouvoirs publics qui, depuis 2001, « enrôlent » des scientifiques dans
un dispositif public produisant un véritable travail « d’intelligence scienti-
fique » sur la pollution de l’air intérieur (Buton, 2006). Une des questions
qui se pose est donc de comprendre comment cette pensée d’État sur la
pollution de l’air intérieur peut jouer un rôle dans les formes d’expression
publique d’un problème dont l’exposition médiatique semble fonctionner,
pour reprendre l’expression consacrée des autorités sanitaires, au principe
de la « dose journalière acceptable ».
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leur travail. Or, paradoxalement cette autonomie n’exclut pas une contri-
bution active des médias à la production d’une doxa qui freine voire fait
obstacle à l’émergence du problème sous une « forme scandale » (Boltanski,
Claverie, 2007).
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de mesurer ce capital médiatique. Chaque année entre 40 et 60 demandes
d’interview sont adressées à l’OQAI. Pour maximiser la visibilité médiatique
de « gros » événements, l’OQAI en diffuse l’annonce à une liste d’environ
300 journalistes distingués en deux principales catégories : un « noyau dur »
qui s’intéresse ou suit régulièrement le sujet de la qualité de l’air intérieur
(« cœur de cible ») et une périphérie mouvante dont l’intérêt est plus occa-
sionnel. Afin d’assurer et de pérenniser les échanges avec les médias, un
aspect central du travail des relations presse est alors l’ajustement du rythme
professionnel des journalistes (qui demande parfois des interviews « pour le
soir ou le lendemain ») avec celui des membres de l’OQAI, en particulier des
chercheurs dont l’agenda répond à une temporalité plus longue ponctuée
de multiples déplacements.
L’OQAI doit ainsi une partie de son succès médiatique, attesté par la fré-
quence des citations le concernant dans notre corpus, au travail d’une
équipe qui a su progressivement nouer des relations professionnelles étroites,
voire développer une certaine familiarité, avec une fraction de journalistes
n’ayant pas de raison de ne pas être confiants dans les communiqués qu’ils
reçoivent. Un autre facteur du succès est que les principales représentantes
de l’OQAI (C. Mandin et S. Kirchner notamment) sont perçues comme
de « bons clients » et de « bons communicants » par les médias, car elles sont
capables de « s’expliquer simplement, efficacement, rapidement, avec un
ton agréable, de la sympathie », compétences qui permettent de s’adresser
au grand public. Dès lors, se féliciter du caractère relativement consensuel
du problème de la pollution de l’air, comme le fait la responsable de la
communication en estimant qu’il n’est pas « un sujet polémique pour les
journalistes », relève de la prophétie autoréalisatrice, tant son travail de
communicante contribue à produire la situation ainsi décrite. Contribu-
tion qui est contrainte par la mission que lui a confiée l’OQAI puisque
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la crainte de voir un point de vue critique sur le sujet publié dans la presse,
situation jugée « dangereuse », l’oblige à « faire attention à l’information
qu’[elle] donne ».
Impliqué dans les politiques de lutte contre la pollution de l’air intérieur,
l’ANSES contribue également à la production et à la diffusion d’informa-
tions « contrôlées » sur ce sujet auprès des journalistes. Le modèle adopté
est celui d’une « communication de routine » hérité de l’Afsset8. Car comme
l’explique en entretien une responsable de l’Unité Risque et société spé-
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cialisée dans les questions de santé environnementale, qui organise des
ateliers sur l’air intérieur auprès de publics professionnels et associatifs
(sages-femmes, directrices de crèches, baby planners, préventrices pour
la mutualité agricole, consultants en développement durable, etc.) : « On
est davantage sur le long terme. » En outre, classé comme sous-catégorie
des enjeux de « santé-environnement », l’air intérieur occupe une position
marginale dans la communication de l’Anses. Si cette agence reçoit environ
1500 « demandes presse » par an (la moitié concernant les questions d’ali-
mentation), l’air intérieur ne fait l’objet que de huit demandes en 2010, onze
en 2011 et seize en 2012. Selon la responsable de l’unité Risque et Société
« l’air intérieur n’est pas un sujet en soi. Il est multiforme, il est protéiforme »
ce qui empêche, selon elle, que cet enjeu fasse l’objet d’une mobilisation
sociale. De fait, la communication de l’Anses sur l’air intérieur auprès des
médias est une communication de routine « à bas bruit » qui présente peu
de risques de se voir transformée en communication « de crise ».
On trouve des logiques relativement similaires à l’Ademe. Cette agence
joue en effet un rôle clé non seulement dans les politiques de lutte contre
la pollution de l’air en général, et de l’air intérieur en particulier, mais
également dans le cadrage médiatique de ce problème puisqu’elle constitue
l’une des sources d’information privilégiée des journalistes sur ce sujet. Ce
travail auprès des médias concerne l’ensemble des activités de l’agence. À
partir du début des années 2000, l’Ademe consacre une part plus importante
qu’auparavant de son budget à la communication (Comby, 2015). Florence
Clément, la responsable de l’information auprès du grand public au moment
8. L’Anses est né en 2010 d’une fusion de l’Afssa (Agence française pour la sécurité
sanitaire des aliments) et de l’Afsset (Agence française de sécurité sanitaire de
l’environnement et du travail).
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donner [au public] l’impression que l’on est en train de traiter un thème
global. La qualité de l’air est un bon exemple. Quand cela s’appelait comme
ça, pratiquement personne ne prenait le guide. Depuis que cela s’appelle
“un air sain chez soi”, le guide est très demandé. On le voit bien, quand
on répond à une problématique individuelle, ça marche ».
Dans cette logique, la question de l’air intérieur dans les brochures d’in-
formation grand public de l’Ademe, d’abord axées sur sa dimension envi-
ronnementale (les polluants de l’air intérieur des maisons) ont été réorientées
vers la dimension sanitaire du problème. C’est, selon Florence Clément,
une réponse aux attentes du public car elle a le sentiment que « les gens » se
préoccupent davantage de leur santé que de la qualité de l’air. Pour autant,
selon elle, les médias d’information ont un rôle important à jouer dans
la construction de la thématique santé-environnement dont relève l’air
intérieur. Le recours aux médias est également un moyen de réduire les
coûts élevés de production de supports d’information pour grand public
qui sont régulièrement diffusés à deux ou trois millions d’exemplaires.
En contrepartie de cette semi-délégation de mission de service public à la
presse, l’agence doit s’adapter aux contraintes des médias, en répondant
aux sollicitations des journalistes ou de leurs publics. Or cela implique un
travail d’ajustement permanent pour trouver un équilibre dans les messa-
ges délivrés. En effet, d’un côté, du fait de sa position d’agence d’expertise
l’Ademe doit rester « neutre » en s’appuyant uniquement sur des réponses
en termes d’« impacts avérés » de la pollution de l’air intérieur mais, d’un
autre côté, l’agence doit fréquemment apporter des réponses simples à
des questions auxquelles elle ne peut pas répondre, en toute rigueur, sans
introduire un minimum de complexité.
9. Elle a notamment travaillé auprès de la Commission européenne et dans une société
privée spécialisée dans les domaines du génie électrique, mécanique et climatique,
de l’énergie, des réseaux de communication.
168
un scandale à la recherche de son public
Ainsi, quels que soient les organismes publics depuis lesquels ils sont ame-
nés à produire leurs messages et supports d’information, les acteurs de la
communication institutionnelle qui participent directement au cadrage
médiatique du problème de la pollution de l’air intérieur convergent dans
leur vision d’un problème à la fois peu autonome, dominé par d’autres car
classé comme un sous-problème, relativement consensuel et ne suscitant
qu’un intérêt limité des journalistes et du « public ». Ces schèmes de per-
ception parviennent d’autant mieux à circuler que les mobilisations collec-
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tives sur le sujet sont pratiquement inexistantes10. Autant d’éléments qui
expliquent en partie, mais en partie seulement, le traitement plutôt discret
du problème. En effet, si on peut comprendre que les préoccupations des
pouvoirs publics trouvent un écho favorable dans la communication des
agences, comment expliquer que les journalistes participent également à
maintenir le problème dans une forme de discrétion ?
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blème dans les médias généralistes nationaux par des journalistes spécialisés
en environnement et des journalistes généralistes. C’est à la faveur d’une
période propice aux sujets environnementaux, dans les années 2000, que
les journalistes interrogés lors de l’enquête se souviennent avoir abordé le
problème de l’air intérieur. Ce dernier apparaît alors comme d’autant plus
pertinent qu’il peut être relié à des enjeux politiques et des enjeux de santé
permettant de lui assurer un intérêt en interne (la hiérarchie) et en externe,
c’est-à-dire d’intéresser les lecteurs.
Ces nouveaux-entrants sur les thématiques environnementales le sont
notamment parce qu’au cours de leur formation dans des écoles de jour-
nalisme, ils ou elles ont appris des techniques spécifiques les dotant de
ressources pour traiter toutes sortes de sujet. Les journalistes interrogés sur
l’air intérieur sont, au cours de leur carrière, passés par d’autres rubriques
(économie, politique, sport, agriculture, etc.) avant de travailler sur les ques-
tions environnementales. Cette approche généraliste répond de façon plus
ou moins explicite aux exigences internes de certaines rédactions quant à la
gestion des carrières professionnelles. Ainsi, se démarquer du militantisme
est un moyen d’apparaître comme des professionnels dotés d’une expertise
« objective » et cela tout en pouvant reconnaître un intérêt préalable pour
les enjeux environnementaux11. Or, dans le discours de ces journalistes, se
distinguer des militants passe notamment par un intérêt plus grand et un
recours plus systématique aux données et aux études issues de la science,
celles précisément que fournissent, sur l’air intérieur, les agences et orga-
nismes cités précédemment.
Cependant, la conversion d’une information longtemps marginalisée
dans les rédactions en une information plus légitime conduit à ce que
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un scandale à la recherche de son public
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international, société, médecine, nature, etc. Cette complexité est accrue
par l’instabilité de la rubrique environnement dans les rédactions. En effet,
à la faveur de l’évolution des « formules » des journaux, cette rubrique peut
disparaître et/ou réapparaître avec d’autres périmètres de compétences,
ce qui peut conduire à une multiplication des approches et des angles de
traitement des questions environnementales. Or, cette multiplication peut
s’avérer un obstacle pour faire nombre et peser de manière cohérente dans
les arbitrages sur les espaces rédactionnels alloués à cette rubrique face à des
services « politique », « international » ou « économique » qui, plus structurés,
occupent des positions dominantes dans les quotidiens.
Cette position à la fois dispersée et dominée des sujets environnementaux
les rend étroitement dépendants de l’actualité. Si pendant longtemps ils
étaient des sujets « de vacances » (B. Hopquin), l’intérêt croissant porté aux
questions environnementales dans les années 2000 s’explique notamment
par une actualité politique plus forte sur ces questions. Pour les journalistes,
le positionnement des partis politiques sur les enjeux environnementaux est
d’ailleurs explicitement perçu comme un indicateur de la légitimité et de la
crédibilité des informations portant sur la thématique environnementale,
comme l’indique le pic de traitement observé dans le cas de l’air intérieur
au moment des « Grenelle de l’environnement ».
Certaines spécificités du problème de l’air intérieur ne facilitent pas son
traitement par les journalistes. D’abord, il est inclus dans des sujets envi-
ronnementaux plus légitimes, en particulier la pollution de l’air qui est
lui-même souvent abordé comme un des aspects du problème plus glo-
bal du réchauffement climatique. Selon cette logique de « poupée russe »
déjà observée dans les catégories de classement mobilisées par les agences
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journalistique, mais pour la pollution de l’air intérieur c’est aussi un obstacle
à son traitement. En effet, un tel travail a un coût qui est professionnelle-
ment plus rentable sur d’autres sujets plus porteurs car plus susceptibles
d’intéresser les rédactions. De fait, tout concourt à ce que la pollution
de l’air intérieur doive s’écrire et se dire sur un mode conditionnel qui le
cantonne dans le registre des sujets émergents.
Pour autant, à l’instar d’autres problèmes sanitaires ou environnementaux,
la pollution de l’air intérieur n’échappe pas à un traitement sur le registre de
la peur. Pour les journalistes, ce registre est ainsi un instrument rhétorique
de légitimation de la rubrique « environnement » dans l’espace de la pro-
duction journalistique et ceci de façon encore plus marquée à la télévision.
Mais s’il est un moyen de « vendre » en interne le sujet de la pollution de
l’air intérieur, le registre de la peur est aussi un moyen de maintenir une
position dans l’espace de la production journalistique sur ce type de sujet.
Ainsi, dans un journal comme Le Monde, envisager, formuler et présenter
des solutions permet à la fois de sortir d’un discours empreint de catas-
trophisme susceptible de faire fuir « le grand public » et, d’autre part, de
maintenir l’identité d’un journal dont la vocation est de s’intéresser et
d’intéresser les élites politiques et économiques. Mais l’approche par les
solutions répond également à une croyance forte en ce que ce sont davantage
les choix individuels notamment de consommation des lecteurs-citoyens
qui sont les plus à même de faire avancer les questions environnementales
que des décisions politiques.
On repère ainsi des rapprochements entre l’information produite par la
presse écrite et celle produite par la télévision où les choix individuels de
consommation sont le plus souvent présentés comme le meilleur moyen
de conjurer une peur largement mise en scène. Mettre l’accent sur les solu-
tions offertes par le marché est ainsi un indice du poids des mécanismes
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un scandale à la recherche de son public
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émission de télévision sur des sujets environnementaux qui, comme celui de
la pollution de l’air intérieur, sont majoritairement abordés sous un angle
« santé-bien-être-consommation » :
« C’est vrai que, plus proche de la conso, choisir ses peintures, c’est
moins anxiogène. […] Une émission sur l’air intérieur, c’est ouvrir
les fenêtres, c’est plus facile de dire aux gens ouvrez vos fenêtres
que déménagez ! […] c’est une émission de service public, c’est
du début d’après-midi, et les gens sont bien, ils boivent leur café
[…] on ne peut pas faire un angle politique sur il faut interdire
tel ou tel type de produits, c’est trop pointu, notre émission est
une émission de santé13 »
L’analyse des logiques de rubriquage et de construction de la « valeur d’in-
formation » de l’air intérieur dans les médias ne saurait à elle seule rendre
compte de l’intérêt même limité qu’il suscite chez certains journalistes.
Leurs propriétés sociales et professionnelles permettent ainsi de saisir cer-
taines prédispositions à se saisir de l’enjeu. Sans prétendre à l’exhaustivité
de l’analyse des trajectoires professionnelles et personnelles des journalistes
interrogés, et tout en rappelant que les trois quarts des journalistes de notre
corpus ne sont signataires que d’un seul article sur l’air intérieur, on peut
noter que se distingue nettement, chez les auteurs de plusieurs contributions
sur le sujet, un « profil » social et professionnel dont les spécificités sont
les suivantes : plus de femmes que d’hommes, une surreprésentation de la
tranche d’âge 40 et 50 ans, une origine sociale qui est très majoritairement
celle des classes moyennes supérieures, le passage par une école de journa-
lisme, l’environnement ne constituant qu’une des étapes de leur carrière.
Dans la mesure où ces journalistes constituent des « publics » spécifiques,
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l’hypothèse que les journalistes peuvent d’autant plus se faire le relais de la
communication « rassurante » des autorités sur l’air intérieur qu’ils relèvent
eux-mêmes de cette opinion « apaisée » dont se réjouit l’étude de l’Anses.
Deux modes d’investissement de l’air intérieur sont en effet repérables
chez les journalistes interrogés. D’abord, un investissement professionnel,
qui, comme nous l’avons vu, se manifeste à travers un engagement mesuré
pour installer l’environnement comme rubrique légitime et crédible au
sein des rédactions et dans l’espace rédactionnel des journaux. Mais à cette
première forme, s’ajoute une seconde plus « personnelle ». Cette dernière
n’est pas strictement « militante » au sens où, à notre connaissance, aucun
des journalistes interrogés n’est membre d’une association environnemen-
tale. L’engagement personnel dont nous parlons se situe sur un registre
plus domestique et privé. Se disant très, voire surinformés, les journalistes
interrogés indiquent, par exemple, avoir changé certaines de leurs pra-
tiques de vie et de consommation au cours de leur travail sur la théma-
tique environnementale (ce qui est également le cas de la communicante
de l’OQAI). Si certains disent s’être, au moins en partie, convertis à une
alimentation « bio » et se déplacent, le plus possible, en vélo, cette conver-
sion concerne également les comportements visant à maintenir la qualité
de l’air intérieur dans leurs habitats privés. Ne pas repeindre une chambre
juste avant la naissance d’un enfant, préférer les peintures « bio », éviter
les meubles neufs notamment en bois aggloméré, préférer des détergents
naturels ou labellisés « verts », aérer tous les jours (matin et soir) sont ainsi
des comportements largement partagés dont l’efficacité et la pertinence sont
faiblement interrogées. Finalement, tout se passe comme si ces journalistes
avaient intériorisé dans leurs conduites privées les éléments des messages
de prévention formulés au sein des agences de santé publique et relayés
par des communicants avec lesquelles ils partagent, par-delà une défiance
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un scandale à la recherche de son public
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qui seraient plus structurelles et systématiques » (Comby, 2015, pp. 16-17).
On trouve là un ressort sociologique puissant de ces « problèmes publics
privés » qui réussissent l’exploit de ne plus être pensés comme publics ni,
à la limite, comme problématiques. À travers l’exemple de la pollution de
l’air intérieur, on voit que la médiatisation peut constituer un relais de
politiques publiques d’autant plus puissant qu’il repose sur une orchestra-
tion non planifiée des habitus et peut ainsi légitimement être tenue par les
journalistes pour un produit autonome de leur travail.
Cette contribution, rappelons-le, propose une analyse sur la façon dont les
médias se sont intéressés à la question de la « pollution de l’air intérieur »
afin d’éclairer les mécanismes à l’œuvre dans l’émergence et la carrière de
problèmes publics/privés. Au cours des vingt dernières années (1995-2015),
ce problème s’est installé avec discrétion mais régularité dans le traitement
journalistique de l’actualité. Les résultats des recherches scientifiques et les
messages de prévention destinés à limiter l’ampleur du problème ont été
relayés par les rédactions de la presse écrite et audiovisuelle, tant à l’échelle
nationale que locale. L’air intérieur est ainsi devenu une petite musique,
un refrain entonné à bas bruit et en ordre dispersé, repris dans des rubri-
ques diverses (société ; pages locales ; consommation ; environnement ; vie
domestique ; santé ; science) sur des registres différents (communication,
information, promotion, action publique) par des acteurs variés du débat
public (journalistes généralistes et/ou spécialisés ; élus ; professionnels de
la santé ou du bâtiment). Parfois, un journaliste politique, un éditorialiste
ou un chercheur « engagé » a pu entamer une partition audacieuse, dénon-
çant les effets sanitaires ou économiques potentiellement désastreux de
l’exposition prolongée des populations – en particulier les enfants – à des
doses légales de produits toxiques dans leurs propres lieux d’habitation.
Mais ce cas reste l’exception. L’air intérieur demeure confiné en périphérie
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repose généralement sur le schème de la « révélation », par des médias d’in-
vestigation en quête de scoops, d’une situation problématique qui serait
demeurée inconnue de l’opinion publique en raison de son occultation voire
de sa manipulation par les pouvoirs publics, les experts et/ou des intérêts
privés. Dans le cas de l’air intérieur, nous sommes dans le cas d’un récit
médiatique pour ainsi dire sans histoire, dans lequel un sujet problématique,
disposant de nombreux atouts pour se transformer en scandale, bénéficie
d’une attention médiatique a minima. Le second enseignement peut aider
à poursuivre l’analyse de ce type de phénomène. En effet, la construction
médiatique du problème de l’air intérieur vient illustrer, en France, les effets
d’une évolution en ciseau de la production contemporaine d’information
qui contribue à l’émergence d’une sorte de journalisme de communication
sanitaire (Charron, De Bonville, 1996) érigé en dispositif à part entière
de l’action publique (Boutaric, 2005). Les recherches en sociologie des
médias convergent ainsi pour souligner, d’un côté, le renforcement des
services de communication dans de nombreux organismes publics, privés
ou associatifs qui tendent de ce fait à acquérir sur la définition publique de
nombreux problèmes sociaux un degré d’autonomie sans précédent (Aldrin,
2013) et, d’un autre, la fragilisation de l’autonomie professionnelle des
journalistes, dans un contexte de « crise » économique, de transformation
des hiérarchies de la légitimité dans le champ journalistique au profit de
logiques plus commerciales et de précarisation croissante des métiers de
l’information (Frisque, Saitta, 2011). S’ouvre ainsi, peut-être, une piste pour
mieux comprendre comment l’espace médiatique participe non seulement
à la « mise en politique publique » mais également à la « mise en économie »
des problématiques environnementales.
176
un scandale à la recherche de son public
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l’essentiel du registre didactique ou pédagogique. Pris en charge par
des journalistes non spécialisés et occasionnels, le problème échoue
généralement dans des rubriques qui, d’un point de vue journalistique,
occupent des places secondaires (santé, environnement, bien-être,
maison). Le présent article s’attache à rendre compte des conditions
sociales du confinement médiatique de cet enjeu, pourtant décrit par
certains comme un « fléau sanitaire » participant d’une inquiétante
épidémie de maladies chroniques. Cette enquête sur la carrière du
problème de l’air intérieur dans la presse française entre 1995 et 2015
repose sur l’analyse d’un corpus de publications écrites et audiovi-
suelles (n=746) et une campagne d’entretiens auprès de journalistes
et de « communicants » ayant travaillé à publiciser cet enjeu (n=16).
L’analyse des données permet de saisir quelques-uns des mécanis-
mes qui assurent l’exposition médiatique contrôlée des publics à
ce problème : d’une part, les rapports inégaux entre les journalis-
tes et leurs sources (scientifiques, institutionnelles, administratives,
politiques, etc.), qui contribuent à les entretenir dans un rôle de
relais des politiques sanitaires ; d’autre part, des tendances propres au
champ journalistique, telles que les transformations des conditions
de production de l’information et de travail des journalistes dans un
contexte de renforcement des logiques économiques et de montée en
puissance d’une communication institutionnelle elle-même soumise
à la contrainte médiatique.
Mots-clés : problème public, médias, communication, politiques
publiques, santé environnementale.
180
un scandale à la recherche de son public
Abstract: Since the mid-1990s, the issue of indoor air pollution dis-
creetly broke into the French political and media agendas. Confined
to the periphery of the highly competitive market of public health
problems, dominated by « scandals » such as the asbestos one, the
problem of the long-term exposure of inhabitants to household
pollutants is the subject of a relatively weak media coverage dominated
with a didactic and pedagogical tone. Covered by non-specialist and
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occasional journalists, the problem generally appears in second-row
sections from a journalistic point of view (health, environment, well-
being, house issues). The current article analyses the social conditions
of the media confinement of this problem, paradoxically described
by some analysts as a « sanitary scourge » which may participate
to a worrying epidemic of chronic diseases. This inquiry on the
career of indoor air problem in French media between 1995 and
2015 is based on the analysis of a corpus of written and audiovisual
publications (n=746) and a campaign of interviews with journalists
and communicators who worked to publicize this issue (n=16). Data
allows a better understanding of the mechanisms which ensure a
controlled media exposure of the public to this problem: on the one
hand, the unequal relationships between the journalists and their
sources (scientists, institutions, agencies, political decision-makers)
which contribute to keep them in the role of mere relays of the
sanitary public policies ; on the other hand, specific dynamics within
the journalistic field, such as the transformations in the conditions of
production of information and the work of journalists in a context
of reinforcement of economic pressures and the increasing influence
of public communication, itself under media coercion.
Keywords: public problem, media, communication, public
politics(policies), environmental health.