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15/09/2023 15:31 Analyse de la contribution de l’État Burkinabé et de la coopération culturelle à la structuration de la filière cinéma au Burkina …

Analyse de la contribution de l’État Burkinabé et de la


coopération culturelle à la structuration de la filière
cinéma au Burkina Faso
Évariste Dakouré Y

g Résumés / Notes / Texte / Bibliographie / Index / Table des matières / Citation


a Résumés
Résumé
Le Cinéma africain connait des périodes difficiles depuis deux décennies et plusieurs facteurs
expliquent cette situation : baisse de la production de films par manque de moyens financiers,
piratage d’œuvres cinématographiques, manque de structuration de la filière cinéma, fermeture
en masse de salles de cinéma dans la majorité des pays africains, entres autres. Seuls quelques
rares pays comme le Nigéria, l’Afrique du Sud et quelques pays d’Afrique du Nord continuent de
faire preuve d’un dynamisme remarquable dans la filière cinéma. Le Burkina Faso dont la
capitale Ouagadougou est qualifiée de capitale du cinéma africain, fait partie des pays où il y a
eu des fermetures massives de salles de cinéma et où les différents maillons de la filière
souffrent de la rareté des subventions étrangères qui soutiennent la production. En effet,
beaucoup de films tournés au Burkina l’ont été grâce à la coopération culturelle d’institutions
comme l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), le ministère français des Affaires
étrangères ou l’Union européenne. Cette situation a créé une dépendance à l’égard de ces
bailleurs qui soutiennent le cinéma burkinabé dans le cadre de la diplomatie culturelle, mais qui
diminuent progressivement les fonds qu’ils consacrent au financement de films africains. Même
le Festival Panafricain du Cinéma et de la Télévision de Ouagadougou (Fespaco) dépend
largement de subventions extérieures pour pouvoir se tenir tous les deux ans. Cet article
analyse les dysfonctionnements de la filière cinéma au Burkina, en mettant en relief le rôle
majeur que les pouvoirs publics doivent jouer pour accompagner la filière à s’organiser et à
mieux se structurer pour produire des films à même de poser les bases d’une industrie du
cinéma au Burkina Faso.
Abstract
African cinema has been going through difficult times for two decades and several factors
explain this situation: a decline in the production of films due to a lack of financial means, the
piracy of cinematographic works, a lack of structuring of the cinema sector, and mass closure of
cinemas in the majority of African countries. Only a few countries such as Nigeria, South Africa
and some North African countries continue to show remarkable dynamism in the film industry.
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Burkina Faso, which capital Ouagadougou is described as the capital of African cinema, is one
of the countries where there have been particularly massive cinema closures and where the
various links in the sector suffer from the scarcity of foreign subsidies that support the
production. Indeed, many films shot in Burkina have been produced through cultural
cooperation led by institutions such as the International Organization of Francophonie (OIF), the
French Ministry of Foreign Affairs or the European Union. This situation has triggered
dependency situation where these donors’ support to the Burkina cinema has progressively
diminished. Even the biennial Panafrican Festival of Cinema and Television of Ouagadougou
(Fespaco) depends largely on external subsidies. This article analyzes the dysfunctions of the
cinema sector in Burkina, by highlighting the major role that the public authorities must play to
support the sector to organize lay the foundations of a film industry in Burkina Faso.

Mots-clés : diplomatie culturelle, Filière cinéma, industries culturelles, numérique, Télévision


Keywords : cultural diplomacy, cultural industries, digital, Film sector, Television

Table des matières


1. Introduction
2. Précisions d’ordre méthodologique
3. Analyse de la situation du cinéma burkinabé
4. Du rôle de l’État dans l’accompagnement à la structuration et professionnalisation de la
filière cinéma au Burkina Faso
5. Le Fespaco : un maillon de la diplomatie culturelle burkinabé
6. Analyse des apports de la coopération culturelle dans la filière cinéma au Burkina Faso
7. Les stratégies de relance de la filière cinéma en Afrique
8. Conclusion

Introduction
Ouagadougou au Burkina Faso est souvent appelée capitale du cinéma africain du fait
de l’organisation périodique dans cette ville depuis 1969, du Festival Panafricain du
Cinéma et de la Télévision de Ouagadougou (Fespaco). 2019 marquera le
cinquantenaire de ce festival. Le dossier de presse de l’édition 2019 du Fespaco résume
bien les ambitions qu’il s’est données : « biennale qui rassemble les années impaires,
pendant une semaine, des professionnels ou non, africains et du reste du monde,
autour d’un facteur commun : le cinéma africain et celui de la diaspora africaine. Cette
rencontre est un cadre d’épanouissement, de promotion, d’émulation, de distribution et
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de perfectionnement du cinéma africain. » Le but du Fespaco en plus de la visibilité


internationale apportée au pays organisateur, est de contribuer aussi au
développement des industries culturelles dont nous connaissons le fort potentiel
économique. À l’échelle du monde, « les industries de la culture et les industries de la
communication se sont vues, au fil du temps, conférer une importance croissante dans
les mutations en cours […] Dans le même temps, par leur dimension économique, qui
n’aurait cessé de croître ces dernières décennies, ces industries seraient désormais
parmi les principales activités économiques. » Bouquillion, 2008, 5-6) Il convient aussi
d’évoquer le fait que le Fespaco, à l’image du cinéma africain sous une forme
comparable, s’est aussi donné pour ambition de promouvoir les valeurs culturelles
africaines face à l’influence des contenus cinématographiques et télévisuels étrangers
auxquels les publics africains sont exposés. Les films qui ont privilégié cette démarche
ont été réalisés pendant les années 1970 et 1980, période où à l’UNESCO l’équilibre des
flux globaux d’informations et de l’influence culturelle devenait un objet d’études et de
discussions. Faisant un diagnostic de la communication internationale de l’époque, la
commission MacBride mise en place par l’UNESCO pour réfléchir sur les incidences des
déséquilibres d’informations mondiales indiquait :
« Un autre danger, qui a pris des proportions considérables, est celui de la domination
culturelle, sous la forme d’une dépendance par rapport aux modèles importés reflétant
des valeurs et des modes de vie étrangers. L’identité culturelle est menacée par
l’influence qu’exercent certaines cultures nationales sur les autres, même lorsque ces
nations sont les héritières de cultures plus riches et plus anciennes. » MacBride, 1980,
38)
Une quarantaine d’années plus tard, ce problème ne se pose plus avec autant d’acuité,
mais demeure sous des formes diverses. Du reste, l’adoption au sein de l’UNESCO en
2005 de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions
culturelles est une initiative ayant pour but, entre autres, d’accompagner des pays
ayant une faible visibilité culturelle comme ceux d’Afrique à avoir davantage
d’opportunités d’expression culturelle.
Toutefois, selon Forest (2012) les cinémas africains sont caractérisés depuis plusieurs
années (depuis le milieu des années 1990) par une forte baisse des productions
(exception faite du Nigéria), même si depuis le milieu des années 2000 avec l’entrée du
numérique dans le processus de production de films en Afrique, le nombre de films
sortis annuellement est de nouveau sur une pente ascendante. Les facteurs
contribuant à expliquer cette situation sont multiples : la baisse des subventions

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nationales et internationales pour la production des films en Afrique, la fermeture


massive des salles de cinéma et une faible structuration de la filière cinéma dans la
plupart des pays africains, le Burkina Faso ne faisant pas exception.
Pour une analyse de l’évolution de la filière et des soutiens dont elle bénéficie, nous
avons opté pour une approche transversale. Nous ne nous focalisons pas uniquement
sur une branche de la filière, elles rencontrent toutes des difficultés. Qu’il s’agisse de la
production, de la distribution, de la diffusion, de l’exploitation en salle, pour ne citer que
ces cas, toutes les branches de la filière cinéma nécessitent une réorganisation, une
structuration au Burkina Faso.
Ainsi pour cet article, nous avons choisi le soutien institutionnel et réglementaire,
comme fil conducteur d’analyse de l’aide à la structuration de la filière cinéma au
Burkina Faso. À l’image de Nollywood, il revient aux professionnels de la filière de
s’organiser pour lancer une dynamique positive, mais l’État devrait jouer un rôle
important pour réglementer le secteur et apporter les dispositifs juridiques et
institutionnels nécessaires pour aider ces professionnels à développer une filière
cinématographique nationale et sous régionale.
Après une analyse du contexte actuel du cinéma burkinabé, nous étudierons les
soutiens institutionnels de l’État burkinabé et ce qui est fait dans le cadre de la
coopération culturelle pour accompagner la filière cinéma. Cette coopération est
analysée sous l’angle de l’aide aux professionnels de la filière cinéma et du soutien au
Fespaco. Le Fespaco quant à lui est ici étudié comme un espace de communication
concret qui constitue un cadre de réseautage, de médiation pour la promotion de films
africains.
Précisions d’ordre méthodologique
Nous avons conduit une enquête de terrain avec une approche qualitative, pendant la
période allant du 25 janvier 2019 au 8 février 2019. Lors de ces enquêtes de terrain,
quinze entretiens individuels ont été réalisés en plus d’un focus groupe avec quatre
responsables de la salle de cinéma appelée ciné Neerwaya, une des rares salles de
cinéma qui fonctionne convenablement au Burkina Faso. Ces entretiens dans leur
ensemble ont été réalisés avec divers acteurs de la filière cinéma au Burkina Faso.
L’enquête de terrain a été complétée par une recherche documentaire portant
notamment sur des textes régissant le secteur du cinéma et de l’audiovisuel au Burkina,
sur des rapports et études diagnostiques menées par des institutions publiques de
l’État ou des organismes de coopération comme l’Union européenne. Des articles et
ouvrages scientifiques ont également servi pour la revue de littérature.
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Les données de terrain sous forme de verbatim utilisés dans cet article sont issues de
l’exploitation d’une partie de ces éléments d’enquête. Il est question d’extraits de propos
de personnes interrogées qui viennent appuyer nos analyses. Les propos des enquêtés
sont parfois mis en tension avec des points de vue d’auteurs ayant produit des travaux
sur la filière cinéma en Afrique de manière générale. Des documents collectés pendant
l’enquête ont aussi été exploités à l’instar d’un extrait du dossier de presse élaboré pour
la 26e édition du Fespaco qui a eu lieu du 23 février au 02 mars 2019.
Analyse de la situation du cinéma burkinabé
Selon Yssouf Saré[1] , spécialiste des industries culturelles rencontré en entretien, la
situation du cinéma burkinabé s’est dégradée ces dernières années du fait, entre
autres, de la baisse des subventions publiques nationales et internationales. De l’avis
de M. Saré, en dépit de plusieurs aspects positifs: potentialités socioéconomiques
qu’on lui reconnait ; accompagnement de l’Etat par le biais de la construction
d’infrastructures ; acquisition d’équipements ; soutien à la formation, à la création, à la
production, à l’exploitation/diffusion et à la promotion, la filière cinéma et audiovisuelle
au Burkina Faso traverse depuis quelques années une crise. « Cette crise est
accentuée par la raréfaction du financement due à la fermeture des guichets extérieurs
qui rend précaire la production, mais aussi la faible capacité financière des sociétés de
production, limitant ainsi les possibilités de production, de commercialisation et
consommation. » Selon M. Saré (entretien du 07 février 2019), cette crise dans la filière
cinéma va au-delà du Burkina et touche durement certaines branches comme
l’exploitation de films africains en salles.
Du reste, beaucoup de salles de cinéma ont fermé en Afrique. À ce sujet, selon Claude
Forest (2012), pendant que la fréquentation en salles a augmenté, ensuite s’est
stabilisée dans tous les pays du Nord depuis le milieu des années quatre-vingt-dix,
l’Afrique quant à elle vit depuis deux décennies une évolution contraire du fait de
facteurs d’ordres politique, social et économique qui affectent les populations.
Parallèlement à cette situation, on constate sur la même période une baisse
significative de la production cinématographique des pays africains. Cette baisse
accompagne la fermeture des salles de cinéma dans beaucoup de pays. Au Burkina
Faso, il n’y a pratiquement plus de salles de cinéma. Cet état de fait n’est pas
spécifique au Burkina Faso, mais est une réalité pour la grande majorité des pays
d’Afrique. À ce propos, Claude Forest laisse savoir que : « il n’y a toutefois pas de
marché sans marchand, et la crise de la production s’est opérée parallèlement à la
fermeture des salles de cinéma, de nombreux pays n’en recensant désormais plus
aucune sur ce continent. Mais il ne peut y avoir de salles sans spectateurs, et la
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question se pose d’abord de l’attente et du comportement du public en ces pays »


(Forest, 2012) Les professionnels africains du cinéma reconnaissent cette réalité qu’ils
évoquent publiquement. À ce sujet, le réalisateur Souleymane Cissé indique que le
cinéma africain francophone subit de plein fouet ce qu’il qualifie d’effets pervers de la
mondialisation. Selon lui, la dégradation des conditions d’existence du cinéma
accompagne un appauvrissement de tous ceux qui en vivent et les causes de cette
situation seraient à son avis entre autres :
« le désengagement des États de l’espace francophone de l’Afrique de l’Ouest du
secteur cinématographique et audiovisuel, sans solution palliative durable, – la faible
rentabilité des films au regard des coûts exorbitants de production entraînant la faible
production intérieure, – le manque de collaboration entre la télévision et le cinéma
national émergent, – le dysfonctionnement des différents maillons de la chaîne :
production, distribution, diffusion» (Cissé, 2008, 82)
Concernant les coûts exorbitants de production que M. Cissé évoque, il convient de
noter que depuis 2008, les cinéastes africains ont progressivement adopté le
numérique dont un des avantages est d’avoir considérablement contribué à faire
baisser ces coûts.
Au vu du soutien important de la francophonie que M. Cissé perçoit comme étant une
réelle opportunité pour un cinéma africain francophone en difficulté, il souligne que :
« face à cette situation en dégradation du cinéma francophone ouest-africain, la
francophonie est une opportunité de sauvetage du cinéma africain de demain.» Cet
avis d’un acteur majeur du cinéma africain francophone montre l’importance de la
coopération culturelle pour ces professionnels du cinéma. Sans certaines subventions,
plusieurs réalisateurs africains francophones arrêteraient leurs projets de films.
Dans la filière cinéma, les recettes des projections de films en salles servent à
rémunérer le personnel ainsi que le distributeur du film ; celui-ci en reverse une part au
producteur, qui à son tour paiera l’équipe du film (souvent payée avant la sortie du film)
et réinvestira dans la production d’un autre film. Mais comme le mentionne Forest, il
suffit « que la source se tarisse, ou que cette remontée soit interrompue, et c’est
l’ensemble de la filière qui se voit menacée. Or, au contraire des autres continents, ces
deux phénomènes s’observent conjointement en Afrique depuis deux décennies,
aboutissant à une anomie quasi généralisée pour le cinéma en ce début de deuxième
décennie du XXIe siècle. » (Forest, 2012) Et nous avons de multiples exemples au
Burkina où un des enquêtés nous a résumé la situation ayant conduit à la fermeture de
salles dans plusieurs localités où il a servi comme agent de la SONACIB (Société
nationale de distribution et d’exploitation cinématographique du Burkina), notamment.
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M. Kabré Yacouba, actuellement projectionniste au ciné Neerwaya à Ouagadougou, a


d’abord servi pendant plusieurs années comme agent de la SONACIB. Il a servi à Yako,
une ville secondaire du pays où les multiples difficultés de fonctionnement ont conduit
à la fermeture de la salle de cinéma. Il mentionne l’une des principales raisons que fut
l’arrivée des vidéoclubs. Il s’agit de promoteurs privés qui, à l’aide d’une télévision et
d’un lecteur de DVD, offrent des services de visionnage de films (généralement
américains, indiens et chinois) dans des cours ou sous des hangars où les publics
s’assoient sur des bancs. Et les prix d’entrée étaient de 100 F CFA contre 300 à 500 F
CFA dans la salle de cinéma qu’il gérait. La SONACIB a dû fermer la salle de cinéma face
à la concurrence des vidéoclubs. Après Yako il est rentré à Ouagadougou en 1999 pour
travailler au cinéma Kadiogo, une salle du réseau de la SONACIB. M. Kabré a été le
dernier responsable en 2006 du ciné Kadiogo, une salle populaire à l’image des salles
de province. M. Kabré évoque à propos de son parcours :
« N’ayant plus d’activité professionnelle, je m’étais relancé à Koudougou (3e ville du
Burkina) avec le ciné Sibiri. Un an et 6 mois plus tard on a fermé, il y avait des arriérés
de factures d’électricité qu’on devait payer au fur et à mesure qu’on exploitait la salle.
Ces factures s’ajoutaient à la prise en charge du personnel. Et comme à partir de 2006
on était en transition vers le numérique, on consommait moins d’électricité. Par contre,
il y avait des films africains qui venaient en force (production numérique). On a acheté
un petit appareil qu’on a mis dans la salle pour les projections. Et les publics ont
assimilé cela à des vidéos clubs où ils paient 100 F CFA. Or il fallait payer 300 ou 500
au ciné Sibiri. Nous avons baissé nos prix à 200 F CFA, mais même avec cela nous
n’avons pas tenu. On était obligé de fermer puis je suis revenu à Ouagadougou ».
Yacouba Kabré (entretien du 05 février 2019)
Les difficultés de la filière cinéma à chaque maillon de la chaîne impactent durement les
professionnels qui y exercent.
Au Burkina Faso, les dysfonctionnements sont multiples dans la filière cinéma et la
mauvaise gestion est l’une des raisons de la fermeture des salles de cinéma quand ces
salles étaient sous la tutelle de l’administration publique avec la SONACIB. Aux baisses
de fréquentation entrainant des recettes insuffisantes pour supporter les charges de
fonctionnement des salles dans les villes secondaires principalement, il faut ajouter la
mauvaise gestion comme cela se constate dans d’autres pays africains.
« Mais les causes de ces fermetures ne sont pas toutes liées au fonctionnement du
marché et peuvent posséder d’autres causes : absence de professionnalisme, manque
de compétence et de savoir-faire, affairisme peu éclairé, auxquels se surajoutent un

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manque de rigueur de gestion, mais aussi, évidemment, fraude, corruption, démission


de l’État, absence de réglementation et de moyens de son application» (Forest, 2012)
Dans la quasi-totalité des pays d’Afrique subsaharienne, la filière est à repenser dans sa
globalité, en appréhendant le cinéma en termes industriels à tous ses stades :
production, distribution, exploitation.
« Au niveau de la création, partie la plus visible et la plus reconnue symboliquement, la
nécessité s’est fait jour depuis longtemps de créer des réseaux, des structures
communes, des lieux de rencontre, dans lesquels les rapports ne se pensent pas en
termes d’opposition, mais sous forme de coopération. En ce sens, des organisations
comme la FEPACI (Fédération Panafricaine des Cinéastes) œuvrent utilement même si
lorsqu’elle souhaite proposer une réglementation culturelle, elle doit composer avec 54
pays, ce qui n’est pas sans poser des soucis politiques et d’harmonisation. » (Forest,
2012)
Selon Claude Forest, l’organisation de la filière cinéma est donc complexifiée par les
difficultés que les professionnels de la filière ont pour s’organiser et ce, même au
niveau panafricain. Exemple significatif : pour contribuer à pallier le manque de
financement pour la production de films, l’idée d’un fonds panafricain chargé de
financer des productions cinématographiques africaines a pris corps en 2003 lors
d’une session ordinaire des chefs d’État de l’Union africaine (UA) à Maputo au
Mozambique. Selon Koné (2015), c’est sur proposition du Bénin que le conseil exécutif
de l’UA a validé la création d’une commission africaine de l’audiovisuel et du cinéma et
d’un fonds de promotion de l’industrie du cinéma et des programmes de télévision en
Afrique. Au sommet du film africain, en avril 2006, la Fédération panafricaine des
cinéastes (FEPACI) est désignée maître d’œuvre du Fonds. En 2008, Charles Mensah,
président de la FEPACI, sollicite un partenariat avec l’OIF qui a financé deux ans plus
tard une étude de faisabilité. Puis :
« En octobre 2012, la FEPACI met en place un comité d’orientation transitoire dirigé par
Férid Boughedir avec pour mission de conduire dans une démarche entrepreneuriale la
création du Fonds panafricain. Depuis, calme plat jusqu’à ce 2 mars 2015. Lors d’une
conférence de presse à Ouagadougou au Burkina Faso, Férid Boughedir et son équipe
sont désavoués publiquement par la FEPACI. « Le mandat confié aux membres de la
FEPACI au niveau du comité d’orientation transitoire prend fin à compter de la tenue de
la réunion de Nairobi », explique Cheick Oumar Sissoko, le secrétaire général. » (Koné,
2015).
Parmi les défis que les cinéastes africains doivent relever dans les années à venir,
figure leur capacité à harmoniser leur vision et volonté pour des actions communes.
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Du rôle de l’État dans l’accompagnement à la
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structuration et professionnalisation de la filière


cinéma au Burkina Faso
Selon M. Saré, en 1970, à la suite du retrait de la gestion des salles de cinéma aux
sociétés françaises en charge de la distribution, l’État burkinabè crée la société
nationale voltaïque du cinéma (SONAVOCI) qui deviendra quelques années plus tard la
SONACIB. La SONACIB est liquidée en 2004. Actuellement au Burkina, la distribution
des films burkinabé est essentiellement assurée par les producteurs eux-mêmes et
parfois par certains distributeurs internationaux et cette branche constitue de ce fait
l’une des faiblesses de toute la filière. Il note que : « les exploitants de salles, au nombre
de sept, rentrent directement en contact avec les producteurs pour l’acquisition et
l’exploitation des films. Il y a très peu de salles à l’intérieur du pays. Quand il y en a, le
matériel est vétuste et le cadre n’est pas agréable ». Cette situation qui conduit à un
recul de la production interpelle les pouvoirs publics, aussi bien au Burkina Faso que
dans d’autres pays africains. Claude Forest indique que la filière peut s’organiser pour
mieux fonctionner :
« Mais pour pouvoir passer à une phase supérieure, les pouvoirs publics ont un rôle
majeur à tenir, sur la formation bien sûr, mais surtout d’intervention contre le piratage,
sur l’encadrement de l’économie informelle, sur l’établissement et le respect d’une
réglementation idoine, dans la lutte contre une corruption qui rend vaine toute politique
de redistribution, tant bien même des moyens financiers seraient alloués en amont. »
(Forest, 2012)
Sur ce sujet notre rencontre avec le Directeur général du Cinéma et de l’Audiovisuel
(DGCA), M. Hien Armel, a montré que l’État Burkinabé pendant un certain nombre
d’années a soutenu la filière cinéma suivant le modèle qu’évoque M. Forest. En effet,
selon le DGCA, en termes de soutien à la filière,
« Il y avait un fonds de promotion et d’extension de l’activité cinématographique, logé
au trésor national. Il était alimenté par 15% du prix du ticket d’entrée en salles de
cinéma. Ce dispositif appelé fonds 30115 a permis de produire des films et d’acheter
des matériels de production qui soutenaient toute la production cinéma. Et le Burkina
avait la chance d’abriter Inafec, un institut de formation de professionnels du cinéma.
Ce fonds a donc permis à beaucoup de diplômés de l’Inafec de faire des films. Depuis
les années 1990, les sources de financements extérieurs ont commencé à tarir, et on

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est tombé dans une période où on privatisait des sociétés. Puis la SONACIB a été
liquidée au milieu des années 2000, donc le fond 30115 a cessé de fonctionner à partir
de cette liquidation ». Hien Armel (entretien du 07 février 2019)
L’État Burkinabé a aussi entrepris des actions pour aider la filière cinéma à se structurer
pour mieux se professionnaliser.
Pour cela, il a adopté en 2013, un ensemble de textes intitulés « textes réglementaires
sur le cinéma et l’audiovisuel ». En préface de ce recueil de textes réglementaires, le
ministre de la Culture et du Tourisme à l’époque, M. Baba Hama, affirme : « pour espérer
redynamiser l’ensemble des activités de notre cinéma et de notre audiovisuel, il nous
faut les doter certes de moyens financiers plus conséquents, mais surtout d’un cadre
réglementaire plus adapté ». Plusieurs acteurs, professionnels et scientifiques,
évoquent la mise en place d’un cadre juridique approprié comme étant une priorité que
les États africains devraient mettre en place pour aider la filière cinéma à s’organiser.
Mais selon le Directeur général du Cinéma et de l’Audiovisuel (DGCA) du Burkina, M.
Armel Hien que nous avons rencontré, cette règlementation de la filière cinéma au
Burkina Faso a du mal à se mettre en œuvre faute de moyens financiers pour assurer
par exemple le suivi sur le terrain de certaines exigences d’exercice des différents
métiers de la filière.
C’est en 2016 que la mise en œuvre des arrêtés concernant la règlementation de la
filière cinéma a commencé. À ce propos, le DGCA, M. Hien Armel indique :
« Et là on a un manque de moyens financiers pour la mise en œuvre de ces arrêtés. Par
exemple s’il y a un tournage de film, et nous voulons un véhicule pour aller contrôler
sur le plateau de tournage. Comme nous devons le faire afin de nous assurer que tous
ceux qui sont sur les plateaux ont leur carte professionnelle pour exercer, on n’a pas les
moyens pour aller à chaque fois qu’il est nécessaire sur le terrain. Cela est dû au fait
que le statut de la DGCA ne donne pas une autonomie de fonctionnement favorable aux
actions concrètes sur le terrain. Il y a toute une procédure administrative complexe qui
diminue l’efficacité de cette institution ». M. Hien Armel (entretien du 07 février 2019)
En outre, la réglementation actuelle ne couvre pas tous les corps de métiers de la filière
cinéma, par exemple les scénaristes ne sont pas pris en compte. De plus les textes pris
ne sont pas contraignants en cas de non-respect, ce qui diminue leur efficacité. Il s’agit
là d’une illustration des limites des textes actuels et du statut de la structure chargée
de veiller au respect de ces textes.

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Le Fespaco : un maillon de la diplomatie culturelle
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burkinabé
Le Fespaco a officiellement pour but de promouvoir le Burkina Faso sur le plan culturel
à l’international. À ce propos, M. Philippe Savadogo[2] que nous avons interviewé (le 11
février 2019), nous indiquait : « lorsque j’ai pris la direction du Fespaco au milieu des
années 1980, j’ai vite été persuadé que la survie du festival passait par une promotion
vigoureuse qui devait le hisser comme un festival de son temps, un vecteur essentiel de
la diplomatie culturelle. » Pendant ce festival, cette promotion est assurée en diffusant
des films, en créant des lieux de rencontre entre acheteurs potentiels de films et
producteurs et en initiant des débats sur l’avenir du cinéma africain. Comme l’indique
Amanda Reda : « en tant que fait de communication, le festival a par ailleurs été assez
peu étudié, du moins en France, alors même qu’il constitue un objet complexe :
dispositif de communication, machine médiatique, espace mettant en jeu plusieurs
dimensions de la médiation, lieu où s’exerce un regard sur l’Autre, sans parler des
dimensions socio-économiques et politiques. » (Rueda, 2009, 150) Ici, nous nous
intéressons moins au volet médiatique du Fespaco et à l’aspect économique du cinéma
africain et de l’audiovisuel (MICA), nous nous concentrons plutôt sur les missions de
promotion du cinéma africain par le Fespaco, lequel est une institution publique
rattachée au ministère burkinabé de la culture.
Le Fespaco joue un rôle important pour les professionnels du secteur, notamment en
leur fournissant un canal de promotion et de diffusion de leurs productions, dans un
contexte où le cinéma africain traverse une conjoncture difficile. En évoquant
l’importance des festivals de cinéma pour les professionnels, Samuel Lelièvre indique
que :
« L’un des obstacles à la constitution d’une économie viable des cinémas africains est la
quasi-absence de réseaux de distribution ou de diffusion suffisamment importants
pour engendrer des revenus réinjectables dans le circuit de production. Les festivals
comblent la fragilité de cette économie globale du cinéma. […] Dans les pays où les
télévisions ne s’impliquent pas dans le processus de production, les festivals
deviennent très logiquement des acteurs incontournables pour la diffusion des
œuvres[3]. » (Lelièvre, 2011b, 126)
En tenant compte de ces aspects, on appréhende mieux le rôle important que le
Fespaco joue pour le cinéma africain.

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En outre, le Burkina entend développer travers le Fespaco une vitrine culturelle et un


soft power de manière à promouvoir la culture burkinabé à l’international. À ce propos
M. Saré affirme :
« Le Burkina Faso fait partie du peloton de tête des pays dont les productions ont été le
plus diffusées sur les écrans des autres pays de l’Afrique francophone. Si on fait un
sondage auprès des téléspectateurs de ces différents pays, il ne sera pas étonnant que
les noms de nombreux acteurs et films burkinabè soient cités parmi les plus appréciés.
Ouagadougou a la réputation d’être la capitale du cinéma africain. Même si de plus en
plus, cette position lui est contestée par d’autres » M. Saré Yssouf (entretien du 07
février 2019
Mais du fait de ses ambitions, les autorités burkinabé élargissent les missions du
Fespaco parfois au-delà de ce sur quoi ce festival devrait se concentrer comme nous l’a
signalé pendant notre entretien M. Baba Hama, un ancien délégué général du Fespaco.
M. Hamadou Sondé, un des responsables actuellement au Fespaco, se pose également
des questions sur les incidences de l’élargissement des missions du Fespaco alors que
ce festival dispose de peu de moyens financiers :
« Je me pose des questions sur les priorités du Fespaco. Normalement, la priorité c’est
l’organisation de la biennale du Fespaco. Même quand on nomme un Délégué général,
sa mission principale c’est l’organisation du Fespaco. Puis on a ajouté la valorisation du
cinéma africain et la conservation du patrimoine filmique africain. Et tout cela sans
accompagnement en moyens humains, financiers, logistiques pour suivre cet
élargissement des missions du Fespaco.» Sondé Hamadou (entretien du 06 février
2019)
La volonté des pouvoirs publics de faire du Fespaco un outil de diplomatie culturelle est
forte, mais les moyens mis à disposition pour atteindre cet objectif sont insuffisants,
bien que toutes les personnes interrogées nous affirment que le Fespaco existe de par
la volonté des autorités burkinabé. Depuis la création du festival, l’État finance
principalement le budget du Fespaco qui est du reste une institution publique rattachée
au ministère de la Culture et donc une structure qui a un budget de fonctionnement
annuel. En année de biennale, un budget spécial est alloué par l’État pour l’organisation
de l’édition concernée. Comme ce budget ne couvre pas tous les besoins
d’organisations, des soutiens importants viennent entre autres, de l’Union européenne,
de l’OIF, et de certains États partenaires.
Analyse des apports de la coopération culturelle
dans la filière cinéma au Burkina Faso
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15/09/2023 15:31 Analyse de la contribution de l’État Burkinabé et de la coopération culturelle à la structuration de la filière cinéma au Burkina …

Étudier les questions de coopération culturelle entre pays, c’est faire cas de la
diplomatie culturelle. Cette pratique diplomatique est ancienne et a commencé à la fin
du XIXe siècle en France. C’est à cette « époque que la IIIe République invente la
diplomatie culturelle et encourage la création, en 1883 de l’Alliance française »
(Gazeau-Secret, 2010, 39). Les soutiens que la France, la Belgique, l’Union
européenne, la Chine et d’autres pays apportent à l’organisation du Fespaco et à la
production de films au Burkina s’inscrivent dans la logique de cette diplomatie culturelle
qui est une action d’influence comme nous le montrerons dans la suite de cet article.
D’ores et déjà, nous pouvons dire que les soutiens apportés par la francophonie à la
filière cinéma dans plusieurs pays francophones d’Afrique est une diplomatie d’influence
et fait partie des attributions de cette institution de coopération internationale. La
question de cette mission de la francophonie est notamment posée dans les
termes suivants par certains diplomates français :
« N’est-il pas évident que la Francophonie est un atout considérable pour la diplomatie
d’influence renouvelée que le Livre blanc sur la politique étrangère et européenne de la
France (2008-2020) appelle de ses vœux ? L’une des cinq priorités qu’il retient pour
notre action extérieure est bien d’assurer la présence des idées, de la langue et de la
culture françaises tout en servant la diversité culturelle » (Gazeau-Secret, 2010, 41).
La francophonie est un atout considérable de la diplomatie culturelle française qui a
pour zone d’action privilégiée l’Afrique francophone à travers un soutien à la filière
cinéma notamment.
Mais la francophonie n’est pas la seule institution active pour la diplomatie culturelle
française. On peut y ajouter le Centre national de la cinématographie (CNC) qui
soutient aussi des films africains. En matière de coopération culturelle, Samuel Lelièvre
indique :
« Une large partie de la production cinématographique africaine est soutenue par le
Fonds européen de développement, le ministère français des Affaires étrangères (MAE)
– la première institution occidentale à avoir aidé au développement des cinémas
africains –, le Centre national de la cinématographie (CNC) pour les films d’expression
française, le fonds Sud (dépendant à la fois du MAE et du CNC) qui est l’un des
soutiens importants pour les cinémas africains, l’Organisation internationale de la
francophonie, ou divers fonds privés tels que le Hubert Bals Fund. » (Lelièvre, 2011a,
130)
En plus des subventions pour la production de films en Afrique, la coopération culturelle
de certains pays européens aide des chaines de télévision africaines à couvrir leurs
grilles de programmes à l’année, avec des films et autres contenus culturels. À ce
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propos, le chef des programmes de la Radio-Télévision du Burkina (RTB Télé) nous


indique lors d’un entretien :
« Par le biais de la coopération, on a actuellement des programmes japonais, chinois.
Avant on avait des programmes de CFI (Canal France International). CFI achetait des
programmes de producteurs africains et européens qu’il diffusait sur son réseau et
après diffusion il redistribuait gratuitement les programmes qu’il a fini d’utiliser à des
pays africains membres de la francophonie. C’était de la diplomatie culturelle.
Actuellement il y a la coopération japonaise qui nous donne des programmes, mais on
fait attention à la colonisation culturelle. Depuis quelques mois, ce sont les chinois qui
sont à la page. Comme on a repris les relations diplomatiques avec la République
populaire de Chine, ils sont là avec des programmes télé. » Max Alain Roland Yago
(entretien du 06 février 2019)
Cette offensive de la diplomatie culturelle de pays asiatiques au Burkina n’est pas
unique sur le continent africain. En plus des Européens, il est connu que d’autres
parties du monde envoient des contenus culturels en Afrique. C’est ce que Samuel
Lelièvre évoque en ces termes :
« On peut mentionner les aides venues de chaines de télévisions européennes (telles
que la ZDF, la Télévision Suisse romande, Channel Four, Arte, TV5, Canal Plus, Canal
France International et, dans une moindre mesure, France Télévisions). Si les soutiens
ont d’abord été français, on assiste, à partir des années 1980, à une européanisation
puis à une mondialisation de l’aide » (Lelièvre, 2011a, 130).
Mais depuis quelques années, même si la France continue d’être un des principaux
soutiens des pays africains dans le domaine du cinéma, il faut noter que ces soutiens
français baissent, aussi bien pour le cinéma que pour l’audiovisuel. Ce qui amène Anne
Gazeau-Secret à signaler que « l’audiovisuel extérieur de la France n’a pas non plus été
à la hauteur du défi linguistique, faute de moyens et, là aussi, d’une approche
coordonnée et intégrée. TV5 aurait mérité davantage de soutien de la part des pouvoirs
publics pour consolider sa politique de sous-titrage et développer ses productions
propres, notamment dans le domaine de l’information » (Gazeau-Secret, 2010, 44). La
coopération culturelle en soutien au cinéma est guidée pour certaines institutions ou
pays par l’importance qu’ils accordent au cinéma en termes de levier de développement
économique, en plus du volet culturel du cinéma. À ce sujet, Gilbert Gagné écrit :
« Le cinéma n’aide pas seulement à combattre la pauvreté économique, il contribue
aussi à mettre en valeur la richesse et la diversité des identités culturelles des
populations ACP. Dans le cadre d’ACPCultures+, une enveloppe de 17 millions d’euros
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est disponible pour l’audiovisuel et le cinéma, ce qui en fait le plus important Fonds de
financement du cinéma ACP (Afrique‐Caraibes‐Pacifique) ». (Gagné, 2014, 2)
Lors de notre entretien avec une responsable – Madame Sawadogo Nathalie – du
volet culture de la délégation de l’Union européenne à Ouagadougou cet aspect a
également été évoqué. Certes la coopération culturelle apporte un soutien important
aux filières cinématographiques dans plusieurs pays africains, mais comme : « les
innombrables plans d’aide des anciennes métropoles (Allemagne, Belgique et France
essentiellement) vis-à-vis de toute ou partie de la filière cinéma d’un pays ou de zones
géographiques se sont heurtés aux mêmes difficultés et ont dressé un même constat
de l’insuffisance, voire l’inutilité, de simplement apporter des capitaux ou des savoir-
faire » (Forest, 2012). Et les limites de la coopération culturelle ne s’arrêtent pas à ce
niveau, on peut y ajouter l’impact de la coopération culturelle en termes de restrictions
des droits de producteurs. Pour bénéficier de subventions étrangères, certains
producteurs ont dû se soumettre à des critères de sélection qui ont fini par les éloigner
des attentes des publics africains en matière de contenus filmiques. À ce sujet, M.
Baba Hama affirmait lors de notre entrevue :
« Des producteurs de films africains sont allez chercher des fonds auprès d’institutions
internationales qui font des dons pour l’aide à la production de films. Sans cela, il y
aurait eu nettement moins de films africains. L’inconvénient est que cela nous a
enfermés dans un type de cinéma, qui promeut des valeurs sociétales, culturelles, mais
qui est parfois peu vendable. Ces institutions ne sont pas des maisons de production
donc ils ont leurs critères sociétales (sic) et donc il s’agissait d’aide liée pour ces
cinéastes africains. Une sorte de camisole de force qui n’a pas permis au cinéma
africain d’évoluer vers une industrie. On produisait des œuvres monumentales pour l’art,
puisque les bénéficiaires de subventions n’avaient de remboursements à faire. Ils ont
ainsi contribué à la sauvegarde de la culture africaine. » Baba Hama (Entretien du 04
février 2019)
Analysant les incidences de la coopération culturelle, M. Philippe Savadogo, indique
que lorsqu’un réalisateur propose son œuvre à une production étrangère auprès de
bailleurs de fonds, il y a nécessairement une soumission à des clauses juridiques et
morales et à un devoir de résultat. Pour lui :
« Les clauses juridiques sont les tenants et aboutissants que le producteur souhaite
voir inclus. C’est déjà la clause la plus insupportable parce qu’il est question de la
possession des droits des films coproduits. Lorsque le réalisateur n’a plus les droits sur
son film, cela constitue une menace pour lui. Parce que si une personne ou institution a

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les droits sur un film, il peut les diffuser comme il veut et ce film peut être voué à un
échec économique en termes de vente. » Philippe Savadogo (Entretien du 11 février
2019)
À titre d’illustration, M. Savadogo nous informe que le CNC français dispose de plus de
400 films de réalisateurs africains qui, à une époque, ont produit des films grâce au
soutien financier de la coopération française. Et la direction en charge du cinéma au
niveau de l’OIF, qui a beaucoup aidé à la production de films africains, dispose aussi de
droits sur la plupart des films qu’ils ont coproduits depuis une quarantaine d’années.
Les stratégies de relance de la filière cinéma en
Afrique
Comme décrit supra, la filière cinéma au Burkina Faso, et en Afrique de manière
générale, rencontre actuellement des difficultés de divers ordres. Pour mieux
comprendre cette situation, il faudrait aussi étudier l’adéquation des films africains avec
les attentes des publics et les contextes sociopolitiques de certains pays africains qui
connaissent souvent de l’instabilité politique (Forest, 2012). Cette situation n’est pas
favorable à une structuration pérenne d’une industrie du cinéma.
Des perspectives de relance du cinéma africain sont cependant présentes et connues.
Comme solution, un auteur comme Francisco Ayi d’Almeida propose de se baser sur les
institutions régionales de coopération comme l’Union Economique et Monétaire Ouest
Africaine (UEMOA) ou la Communauté Economique des États d’Afrique de l’Ouest
(CEDEAO) pour lancer les bases solides d’une future industrie du cinéma. Selon lui,
plusieurs raisons justifient la pertinence d’accorder la priorité à une approche
d’intégration régionale : l’étroitesse des marchés nationaux, le sous-équipement et
l’insuffisance d’infrastructures de base, la perte de l’importance des frontières
nationales sous l’effet de l’internationalisation des échanges et des mutations des
processus de distribution numérique qui fait fi des frontières. De plus, l’étroitesse des
marchés locaux soutiendrait difficilement des productions filmiques diversifiées : la
plupart des productions cinématographiques des pays africains sont déjà orientées
vers les marchés intérieurs et ont du mal à se placer sur les marchés internationaux
même à l’échelle africaine. De ce fait, M. Ayi d’Almeida pense qu’orienter la production
culturelle africaine vers l’exportation sur des marchés internationaux ne semble pas être
une priorité malgré les atouts connus de certaines filières.
« En revanche, la coopération intra et inter – régionale est un objectif stratégique
prioritaire à prendre en considération, en procédant par étapes allant du sous-régional
au régional puis à l’inter-régional. Pour autant, cela n’exclut pas la possibilité de
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combiner une stratégie intra- africaine orientée vers les marchés régionaux, et une
autre tournée vers les marchés internationaux » (Ayi d’Almeida, 2006).
Ainsi, en se positionnant sur un plan sous régional, les économies d’échelle permettront
de faire baisser par exemple les coûts de production de films et de rendre l’offre plus
compétitive sur un marché mieux ciblé. Cela nécessite une coopération au niveau
institutionnel et juridique entre organes sous régionaux.
Les coproductions entre pays africains sont aussi des pistes à envisager pour favoriser
l’ouverture à de nouveaux marchés pour des films africains. En effet, lors de notre
rencontre avec le directeur général du cinéma et de l’audiovisuel au Burkina, celui-ci
nous a informé que parmi les types de soutien que son institution apporte aux
producteurs, il y a la volonté de les accompagner en termes de coproduction entre
pays. Il a mentionné plusieurs exemples, dont la signature il y a un an d’une convention
de coopération culturelle entre le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire facilitant entre autres
les coproductions de films entre ces deux pays. Le principe est que deux
professionnels burkinabé et ivoirien peuvent coproduire une œuvre cinématographique
et demander à leurs structures de tutelle institutionnelles respectives de les
accompagner dans l’obtention d’une autorisation officielle qui ferait que leur film
profiterait d’avantages pour conquérir à la fois les marchés burkinabé et ivoirien. La
Direction générale du Cinéma et de l’Audiovisuel burkinabé et son équivalent ivoirien
devront alors donner leur aval pour que cette coproduction ivoiro-burkinabé puisse se
concrétiser et bénéficier de ces avantages. Les coproductions entre pays africains sont
donc à encourager fortement.
Comme nous l’avons mentionné plus haut, la plupart des salles de cinéma ont fermé en
Afrique. Dans les perspectives de relance du cinéma africain, certains auteurs et
professionnels du secteur suggèrent de rendre les films plus accessibles aux publics
africains en passant par le cinéma numérique ambulant (CNA) : « on sait que la plupart
des films africains sont accueillis très favorablement par les spectateurs africains, ce
point constituant généralement ce qui pousse les cinéastes africains à faire des films et
à souhaiter que ces films soient vus par leurs compatriotes. Le problème, on l’a dit, c’est
que les populations n’ont que très peu accès à ces films. » (Lelièvre, 2010) Ce constat
est corroboré par plusieurs professionnels du cinéma (réalisateurs, producteurs,
exploitants de salles, responsables d’institutions en charge du cinéma) que nous avons
rencontrés au Burkina. Une des caractéristiques du CNA est que, dès le départ, il
s’agissait d’une initiative qui concernait les villages.

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« Alors que les pratiques cinématographiques africaines sont, essentiellement pour des
raisons techniques et politiques, nées dans les villes et n’ont pu aller dans les villages
que relativement tardivement, le CNA ne commence à investir les villes que récemment,
et le plus souvent, à l’occasion des festivals ou de manifestations tels que le FESPACO
ou les rencontres photographiques de Bamako. Autrement dit, dans des grandes villes
d’Afrique de l’Ouest». (Lelièvre, 2010)
Dans le contexte difficile actuel du cinéma burkinabé, certains réalisateurs ont adopté
le CNA comme stratégie de lancement et de diffusion de films. Le réalisateur Dao
Soungalo que nous avons interrogé a affirmé :
« Quand le Fespaco s’approche, je prépare un film que je fais sortir pendant le festival.
Je le fais passer par le canal du cinéma ambulant, le film a une grande audience et je le
fais connaitre. Après le Fespaco je fais des tournées dans plusieurs villes du Burkina,
pour le diffuser sous forme de cinéma ambulant. Après j’ai un partenaire français qui me
permet de mettre mon film en ligne pour des visionnages payants. Voici une des
stratégies que j’utilise pour rentabiliser mes films ». Dao Soungalo (Entretien du 04
février 2019)
Comme on peut le constater, certains réalisateurs/producteurs africains comme M. Dao
cherchent des alternatives pour pallier le manque de salles de cinéma et la baisse des
subventions pour la production de films. En outre, M. Dao nous a aussi indiqué que
cette stratégie qu’il utilise a aussi pour but de « couper l’herbe aux pieds » des pirates
en diffusant massivement son film pendant une période courte, puis en le mettant en
ligne pour des visionnages payants. Cela lui permet de tirer le maximum de revenus de
son film avant qu’il ne soit piraté.
Dans le cadre de la relance de la filière cinéma et pour aider les professionnels, la
DGCA a en projet d’installer bientôt un système de billetterie. Les avantages d’un tel
système sont connus comme le mentionne Forest (2012) qui indique que ce dispositif
permet, entre autres, le contrôle des recettes en salles, l’imposition d’une comptabilité
hebdomadaire et des tickets à double souche, la création d’un corps d’inspecteurs
assermentés et d’un organisme d’État adapté (Type CNC en France ou DGCA au
Burkina Faso). Il est question de mettre en place un arsenal juridique de contrôle et de
coercition qui permettra de réduire les fraudes et d’assurer une bonne santé financière
à toute la filière.
Conclusion
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Ouagadougou au Burkina Faso est qualifiée de capitale du cinéma africain, et cela est
fièrement revendiqué par les Burkinabés, qui savent que plusieurs tentatives de
récupération du Fespaco ont eu lieu. De nombreux professionnels du secteur affirment
qu’il y a une alchimie du Fespaco qui a pris au Burkina et que des pays ayant bien plus
de moyens financiers pour organiser des festivals panafricains s’interrogent sur les
raisons pour lesquelles ils n’arrivent pas à avoir autant de succès que le Fespaco.
Mais cette fierté, utilisée comme moyen de diplomatie culturelle, a un coût que le
Burkina a du mal à assumer seul, créant une dépendance extérieure pour l’organisation
du festival chaque deux ans. De plus, en tant que pays abritant la capitale du cinéma
africain, le Burkina Faso s’est vu progressivement déclassé par plusieurs de ses pays
voisins en matière de production de films. Ces dernières années, les films burkinabés
étaient sous représentés au Fespaco au point où pour l’édition 2019, la Présidence de la
république du Burkina a consacré un budget considérable pour soutenir des
producteurs qui concourront pendant le cinquantenaire du festival et où trois longs
métrages burkinabés sont en compétition.
Cependant, cela est insuffisant pour accompagner le potentiel du cinéma burkinabé,
dont la filière a besoin de structuration, de professionnalisation et l’Etat est interpellé
pour accompagner les cinéastes burkinabés à mieux organiser leur filière.

a
Références
1 M. Yssouf Saré est le Directeur Général de la chaine de télévision privée burkinabé BF1 et président de
l’union burkinabé des éditeurs privés de services de télévision (UBESTV). Il est un des experts nationaux
qui ont conduit l’étude diagnostique commanditée par la délégation de l’Union européenne à
Ouagadougou, en vue de lancer un programme de financement des industries culturelles.
2 M. Philippe Savadogo est un ancien Délégué Général du Fespaco, ancien ambassadeur du Burkina Faso à
Paris, et ancien Représentant Permanent de la Francophonie auprès des Nations Unies.

a Références bibliographiques
AYI D’ALMEIDA Francisco, « L’enjeu de l’intégration régionale pour les industries culturelles africaines »
Africultures 2006/4 n° 69, pp.149 à 151.
BOUQUILLION Philippe, Les industries de la culture et de la communication. Les stratégies du
capitalisme, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 2008.
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CISSE Souleymane, « Le 7e art et la francophonie », Paris, Armand Colin, Revue internationale et


stratégique 2008/3 n° 71 | pp. 81 à 82.
FOREST Claude, « L’industrie du cinéma en Afrique. Introduction thématique ». De Boeck Supérieur,
Afrique contemporaine, 2011/2 n° 238, pp. 59 à 73
FOREST Claude, « Le cinéma en Afrique : l’impossible industrie » Tribulations numériques du Cinéma et
de l’Audiovisuel à l’amorce du 21e siècle. 2012, URL : https://journals.openedition.org/map/800
GAGNE Gilbert (dir.), Le numérique dans l’aide multilatérale en matière de culture. OIF, Culture,
commerce, numérique. Volume 9, numéro 9, 2014
http://www.ieim.uqam.ca/IMG/pdf/chroniquenovembre2014.pdf
GAZEAU-SECRET Anne, « Francophonie et diplomatie d’influence », Géoéconomie, n° 55, 2010, 39 à 56.

a Pour citer cet article


Évariste Dakouré (http://www.refsicom.org/author/evariste-dakoure), "Analyse de la contribution de l’État
Burkinabé et de la coopération culturelle à la structuration de la filière cinéma au Burkina Faso", REFSICOM
[en ligne], Communication, changement et mondialisation. Quels objets, quelles dynamiques, quels enjeux
nouveaux dans les Suds ?, mis en ligne le 07 mai 2019, consulté le vendredi 15 septembre 2023. URL:
http://www.refsicom.org/610 

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