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Céleste KOENIG 28 Septembre 2022

Groupe 6
Dissertation : « Le droit administratif, une nécessité ? »

En 2000, Gustave Peiser dans son ouvrage Mélanges Borella, se questionnait sur la possible
mort ou transfiguration du droit administratif. Ce questionnement est toujours d’actualité : de
nombreux auteurs émettent en effet un discours négatif vis à vis de ce droit, affirmant que le droit
administratif est entré en période de crise et remettant son exorbitance en question (F.Melleray,
L’exorbitance du droit administratif en question(s)).
Exorbitant du droit commun, le droit administratif régit l'organisation et le fonctionnement
de l’activité administrative. Il encadre à travers un ensemble de règles juridiques, l’activité
matérielle et normative des personnes publiques, et règle les rapports entre les administrations ainsi
que les relations de ces dernières avec les administrés.
La genèse du droit administratif en France porte aujourd’hui encore à débat. Certains auteurs
affirment en effet que le droit administratif aurait pris naissance au Moyen-âge, tandis que d’autres
affirment qu’il serait le fruit de la Révolution de 1789. Pendant longtemps, l’activité administrative
n’était soumise à aucun contrôle. Toutefois, à partir de 1641 et de l’Édit de Saint-Germain, le
Parlement n’est plus autorisé à connaître les affaires de l’État, de l’administration et du
gouvernement. Les lois du 16 et 24 Août 1790 affirment la dualité des ordres juridiques qui se
traduit par une séparation des autorités judiciaires et des autorités administratives. Par la suite, et en
conséquence de la Révolution, le Conseil d’État, juge administratif, est crée par l’article 52 de la
Constitution du 22 frimaire an VIII. Progressivement, le droit administratif, droit prétorien, acquiert
une autonomie, avec l’arrêt Cadot de 1889, qui reconnait explicitement une autonomie aux
juridictions administratives, mais également avec l’arrêt Blanco de 1873 qui reconnait l’existence
de règles spécifiques applicables lors des litiges opposant l’administration aux particuliers. Par
l’existence de ce droit, l’activité de l’administration peut alors être controlée et échappe donc à
l’arbitraire. Cette « autolimitation de l’État » (G.Bigot, Introduction historique au droit
administratif depuis 1789) relève du « miracle » selon P.Weil. Le miracle réside en effet dans le fait
que l’administration ait progressivement accepté de se soumettre au droit dans un premier temps,
ensuite qu’elle ait accepté de se soumettre à un juge qui ne soit pas lui-même issu de
l’administration, et enfin que l’on reconnaisse à ce juge une compétence spécifique, celle de juger
des litiges opposant l’administration aux administrés en leur appliquant un droit spécifique.

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Pourtant, le droit administratif tel qu’on le connait en France ne se rencontre pas dans
certains pays qui connaissent des traditions juridiques différentes. Par exemple, dans le Common
Law, l’Administration n’est pas soumise à un régime exorbitant du droit commun et il n’existe
qu’un seul ordre juridique.
Sachant que d’autres systèmes se passent du droit administratif, mais aussi prenant compte
des critiques émises envers le droit administratif par des auteurs tels que Gustave Peiser ou
F.Melleray, il semble dès lors légitime de se questionner sur la pertinence de cette branche du droit.
Il s’agira de montrer que l’apparente nécessité du droit administratif peut être contestée. Si
conceptuellement, le droit administratif apparaît nécessaire par les principes essentiels qu’il
sert (I), les récentes transformations et mutations qu’il subit compromettent son caractère
indispensable (II).

I/ Conceptuellement, le droit administratif apparaît nécessaire par les principes essentiels qu’il sert

Si par le biais de sa construction historique, le droit administratif s’est positionné comme


garant de la séparation des pouvoirs (A), ce droit est également fondé sur la poursuite de l’intérêt
général (B), le rendant ainsi vraisemblablement nécessaire.

A) Le droit administratif : garant d’une séparation des pouvoirs

Durant la période révolutionnaire s’est développée l’idée d’une séparation des pouvoirs,
dont l’objectif était de séparer les différentes fonctions de l'État, afin de limiter l'arbitraire et
d'empêcher les abus liés à l'exercice du pouvoir. Si pendant longtemps l’activité de l’État n’était pas
controlée, la naissance du droit administratif a paru nécessaire pour protéger les administrés d’un
arbitraire. Fruit de la Révolution, le principe de la séparation des autorités administratives et
judiciaires est proclamé par la loi des 16 et 24 août 1790 et réaffirmé par la loi du 16 fructidor an
III, interdisant toute compétence des tribunaux judiciaires pour juger l'action administrative. Par la
suite, la Constitution de l'an VIII crée le Conseil d’État, mettant fin au système de
l’ « administrateur-juge » : l’Administration accepte alors de se soumettre à un juge externe. Par la
décision de 1987, le Conseil de la Concurrence consacre le principe de dualité des ordres juridiques
en lui accordant une valeur constitutionnelle. Avec l’arrêt Cadot de 1889, le droit administratif se
voit accorder une autonomie. L’activité administrative est dès lors encadrée par des règles
spécifiques, exorbitantes du droit commun. Ce droit prétorien, élaboré par le juge administratif,
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encadre la puissance publique, faisant de l’État une personne morale responsable, pouvant être
attaquée en justice depuis l’arrêt Blanco en 1873. L’objet principal du droit administratif, est donc
bien, comme le dit G.Bigot dans son ouvrage Introduction historique au droit administratif depuis
1789, d’ « encadrer la domination du pouvoir », à ce, à travers la limitation de l’État par le droit,
ainsi qu’à sa soumission au contrôle juridictionnel. L’élaboration de ce droit a ainsi permis une
sécurité juridique aux administrés, mais permet également de se diriger vers un État de droit,
servant l’intérêt général.

B) Un droit au service de la poursuite de l’intérêt général

Le droit administratif est fondé sur des notions jouant le rôle structurant de principes
directeurs. L’intérêt général constitue le but et le fondement de l’activité administrative. Les
personnes publiques doivent en ce sens agir dans l’intérêt général, c’est-à-dire ce qui concerne le
plus grand nombre. Le juge administratif occupe ainsi un poste important dans la protection des
libertés fondamentales. La décision du Tribunal des conflits du 17 Juin 2013 à propos du conflit
entre M. Bergoend et la société ERDF, a notamment renforcé le rôle du juge administratif dans la
protection des libertés en lui accordant la compétence de la voie de fait. Le droit administratif
assure également le principe de légalité. Le « miracle » décrit par P.Weil réside en effet dans
l’acceptation de l’Administration de se soumettre au droit, entrainant ainsi une modification de la
perception du pouvoir. L’ensemble des activités prises en charge par les personnes publiques doit en
effet se développer dans le respect d’un ensemble de règles juridiques, qui fondent, facilitent, et
limitent l’action administrative. Ce principe de légalité, permet ainsi le passage d’un régime d’État
de police, dans lequel l’État s’impose à un groupe sans se soumettre aux mêmes règles, à un État de
droit, c’est-à-dire un régime dans lequel l’ordre juridique est respecté par tous, gouvernants et
gouvernés. Le droit administratif repose d’autre part sur le service public, dont l’objectif principal
est d’assurer l’intérêt général en répondant aux besoins de la population et en s’assurant de leur
bien-être. Le droit administratif permet ainsi de concilier les exigences de l’action administrative et
les droits des administrés dans un équilibre bénéfique au plus grand nombre, servant ainsi l’intérêt
général.

Les fondements du droit administratif servant ainsi l’intérêt général, et assurant une
séparation des pouvoirs, font vraisemblablement apparaitre le droit administratif comme une
branche du droit nécessaire. Toutefois, depuis les trente dernières années, le droit administratif
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connait un certains nombre de mutations et évolutions remettant en question cette apparente
nécessité.

II/ Les récentes mutations du droit administratif compromettent son caractère indispensable

D’une part, le droit administratif subit une concurrence accrue du droit privé, lui faisant
ainsi perdre en partie sa spécificité (A). D’autre part, le droit administratif connait un
bouleversement dans son ordre normatif, altérant par conséquent sa cohérence (B).

A) Le droit administratif mis à mal par l’influence du droit privé

Bien que s’inscrivant toujours dans une problématique générale, le droit administratif
semble aujourd’hui se rapprocher, dans sa forme, du droit privé, rendant de ce fait difficile la
définition des compétences. Certains auteurs, tels que Jean-Bernard Auby, dénoncent en effet une
« banalisation » du droit administratif. Depuis sa genèse, l’action administrative a subi un certains
nombre de mutations qui ont rendu difficile la définition d’une frontière précise entre droit
administratif et droit privé. D’une part, les intérêts particuliers tendent à l’emporter sur l’intérêt
général, notamment depuis le « développement de thèses libérales individualistes », (F.Melleray,
« l’exorbitance du droit administratif en question(s) »), amoindrissant de ce fait le particularisme du
droit administratif par rapport au droit privé. Désormais, sous l’influence idéologique individualiste
et libérale, l’intérêt individuel est privilégié par rapport à l’intérêt collectif. D’autre part,
l’avènement de l’économie de Marché a entraîné un changement de logique au sein de l’action
administrative, engendrant une recherche d’efficacité ainsi qu’une exigence performative : « les
usagers des services publics devenant progressivement des clients et des consommateurs »
(F.Melleray). Parallèlement, de nouvelles techniques juridiques apparaissent, le droit administratif a
en effet de plus en plus recours au contrat au détriment de l’acte administratif unilatéral. En
empruntant des techniques du droit privé, le droit administratif perd ainsi de sa spécificité, rendant
poreuse sa frontière avec le droit privé, et remettant par conséquent en cause sa pertinence et sa
nécessité.

B) Un bouleversement de l’ordre normatif du droit administratif

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En plus de subir la concurrence du droit privé, le droit administratif se voit déstabilisé par
l’apparition de nouveaux acteurs ainsi que par la prolifération des sources du droit venant ainsi
bouleverser son ordre normatif. Le droit administratif subit notamment une influence accrue du
droit européen, qui joue un rôle d’ « accélérateur » selon Yves Madiot dans De l’évolution social à
l’évolution individualiste du droit contemporain. En effet, des dispositions normatives provenant de
l’extérieur sont progressivement incorporées au droit administratif, qu’elles soient d’origine
européenne, avec les principes dégagés par la Cour de justice de l’Union Européenne ou par le Cour
européenne des droits de l’homme, ou bien encore d’origine internationale. La jurisprudence du
Conseil Constitutionnel doit également être prise en compte par le juge administratif. Face à cet
accroissement des sources externes du droit administratif, l’unité et la cohérence de ce droit s’en
retrouvent dégradées, posant à nouveau la question de la pertinence et de la nécessité de cette
branche du droit. Malgré les mutations qu’il connait et bien que critiqué depuis ces dernières années
par des auteurs se questionnant sur sa prochaine « mort » comme Gustave Peiser, le droit
administratif semble toutefois perdurer dans la société grâce aux valeurs fondamentales qu’il suit,
ainsi que par sa capacité d’adaptation face aux évolutions juridiques. Par sa capacité à traverser les
époques, le droit administratif semble ainsi réaffirmer sa nécessité.

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