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Sciences 1ps « Un demi-siécle de pérégrinations entre les sciences m’a conduit & réaliser une certaine image de Phomme dont la mise & Pépreuve exige la ressaisie sur des matiéres et sous des angles différents... La recherche des premiers hommes et, dans ces hommes, celle du capital intellectuel, m’ont vu emprunter les différentes voies qui se sont offertes, aboutis~ sant chaque fois 4 une vision différente de homme en question... » Ce volume d’études menées au fil du temps — et dont cette édition de poche retient les principales, choisies par auteur lui-méme — refiéte les multiples aspects de la démarche scientifique d’André Leroi-Gourhan, Ses premiers textes traitent dart et d’esthétique et se référent en particulier & YExtréme-Orient. Puis Pauteur cherche & mieux définir Pethnologie et 1a place qu’elle tient dans les sciences de Phomme. Les études suivantes sont consacrées 4 la pré- histoire, & ses méthodes ainsi qu’aux principales fouilles opérées par André Leroi-Gourhan : s’en dégagent une vision ethnologique du passé et une archéologie du geste. Enfin, les derniers essais rassemblés ici abordent art préhistorique comme moyen d’approche le plus sensible de la pensée de Vhomme paléolithique. André Leroi-Gourhan Titulaire depuis plus de dix ans de la chaire de préhistoire au Collége de France. Ml Le fil-du‘temps Seull, 27 . Jacob, Pacis 6 ISBN 2.02.009104.6 | imp. en France 2.86 9"82020"091046' André Leroi-Gourhan Le fil du temps Ethnologie et préhistoire Du méme auteur Evolution et Techniques 1. L’homme et la matigre ; UL. Milieu et technicues - ‘Albin Mickel, 1943-1945 Archéologie du Pacifique nord Institut @ethnologie, 1946 5 Les Religions de la Préhistoire Presses universitaires de France, 1964 Le Geste et la Parole 1. Technique et langage nl. La mémoire et les rythmes ‘Albin Michel, 1965-1955 Préhistoire de l'art occidental Mazenod, 1965 Fouilles de Pincevent. Essai d’analyse ethnographique un habitat magdalénien, la section 36 {en collaboration avee M. Brézillon) Gallia Préhistoire, 1972 Les Racines du monde (Entretiens avec Cl.-H. Recquet) Belford, 1982 Mécanique vivanie Fayard, 1983 Les Chasseurs de Ia Préhistoire Bd, AM, Métailé, 1983 André Leroi-Gourhan Le fil du temps Ethnologie et Préhistoire Fayard La premitre édition de cet ouvrage 4 paru & la Librairie Arthéme Fayard en 1983. Le texte original a été légerement abrégé par les soins de l'auteur pour la présente édition de poche. EN COUVERTURE: Grotte de Gargas. Photo Jean-Dominique Lajoux. t 1s0N 2-02-009104-6, © Liprarnie aerate FAYARD, 1983 Lae 1 murs 1957 ned es copes repoducins dens 8 ure lian Sits, Tae pension ov sine gs ope ep ge rosie ir esos an fsconscncen deanery de ses ayantscause, et itt stn ons conten sanctions parler ato 29 er tulens du Cale pa Avant-propos Lorsque descend déjé le crépuscule, faire une pause pour jeter un coup d'qil sur les perspectives d'un passé qu'on a vécu intensément, reparcourir les allées du labyrinthe dans lequel ont longtemps floté les fantasmes du chercheur par vocation, éprouver la stabilité de I’ empilage des boites qu’on a accumulées pour tenter de cueillir une vision d'un instant sur univers de l'autre coté du mur. En un mot, s’asseoir au bord de la route et se regarder passer. Saisir le lien qui court entre les parties les plus divergentes et contradictoires de ses actes et de ses pensées, et s'apercevoir que les allées du dédale conduisent toutes au méme point qui ne coincide pas exactement avec la sortie. Un demi-siécle de pérégrinations entre les sciences m'a conduit & réaliser une certaine image de l'homme dont la mise a I'épreuve exige'la ressaisie sur des matiéres et sous des angles différents. La premiére image de l'homme est plutot déconcertante: un primate d'un métre de haut qu'on est contraint de placer sur ses pieds pour le voir quelques millions d'années aprés, outillé d'un cerveau qui, au figuré, floue encore dans ses locaux. La longue aventure des hommes se développe au cours du dernier million d'années dans des formes qui intraduisent les premiéres manifestations de ce qui {fait clairement homme. Nous ne savons pas encore trés bien 4 partir de quoi se sont développées ses activités esthétiques, religieuses, ludiques, car les témoins ne sont pasen état d' étre interprétés. En effet, on est loin encore d’avoir une prise solide sur la musique, la décoration corporelle, la magie, le Jjeu, ‘toutes formes activité qui relévent du méme ensemble étroitement lié au développement du langage. La recherche des premiers hommes et, dans ces hommes, celle du capital Le fil du temps intellectuel, m'a vu emprunter les différentes voies qui se sont offertes, aboutissant chaque fois @ une vision différente de Phomme en question. Ce livre doit beaucoup a la sollicitude amicale de Mme Na- dia Kossiakov. Je lui dis mes plus vifs remerciements pour le soin.qu’elle a ménagé au choix des textes et dl’ ordonnance de cet ouvrage. A. LG. Documents pour I’ art comparé d’Eurasie septentrionale (extraits des conclusions) Les débuts de I’étude ont été modestes, mais les motifs de la broderie traditionnelle de Carélie ont entrainé le recours & d'autres broderies traditionnelies des régions avoisinantes, puis ce fut le départ vers un horizon encore trés diffus, en ‘mettant & profit toutes les formes qui paraissaient conduire quelque part. Il est apparu rapidement que les figures se partageaient un nombre trés restreint de formules: theme de Parbre aux oiseaux, theme des orants, théme du cavalier, théme du colosse brandissant deux animaux ou deux person- nages, theme des trois animaux (oiseau rapace, carnassier, herbivore), théme de l’oiseau et du serpent. En considérant plusieurs centaines de représentations, on découvre que de trés, nombreux sujets appartiennent aux thémes ci-dessus énumérés et que le fonds est extraordinairement limité; quelquefois le théme est isolé, mais souvent et surtout sur les broderies sur tissu. Le décor sur, tissu (vétement, mobilier) entraine les sujets A se géométriser. Une autre propriété des images est la tendance des thémes & s’additionner. L’arbre aux oiseaux peut agréger le théme des trois animaux, ou le‘colosse aux taureaux se muer en un arbre anthropomorphe’ duquel sont liés deux chevaux. Les thémes présentés ont voyagé loin et duré long- temps, modelant leur image au gré de I'iconographie, porteurs de symboles différents... Cette longue suite de documents a été donnée pour une double expérience : évaluer I’aide que l'art populaire actuel ou récent peut apporter a I’histoire de l'art des grands peuples, et rechercher si des séries actuelles sur un méme théme éclairent les variations morphologiques des documents isolés qu’étudie 12 Le fil du temps Varchéologie. Juger de la mesure dans laquelle ce double but est rempli appartient au lecteur, les résultats sont encore tres incomplets et j'espére, par plusieurs expériences orientées dans des directions différentes, serrer progressivement le sujet que je me suis fixé. ‘Sans engager de théories sur I’évolution historique des théimes, i reste a souligner quelques notions générales. L’art graphique semble suivre des tendances réduites en nombre, simples comme la superposition d’un rapace armé & un herbi- vore inerme; ces clichés sont riches des symboles que leur Epoque y applique et quoique le théme fondamental se trans- mette invariable, quoique son sens initial d’association de la force a la faiblesse reste intact, chaque peuple, sur chaque point du temps, le charge d’un symbole. nouveau, comme si cette tendance se brisait contre le milieu social en un éparpil- Jement de formules toutes distinctes, personnelles, neuves, par Tragencement imprévisible des éléments permanents. Ainsi stexplique & la fois le peu d’originalité des themes que nous avons considérés, leur permanence dans le temps et I'espace, et leur perpétuelle variation. Ainsi s’explique aussi la facilité avec laquelle ils se transmettent d'un sigele a autre, d'un point du globe & son antipode:: éveillant une tendance fonda- mentale, ils sont compréhensibles a tous et adoptés d’emblée. Leur.simplicité méme doit réserver le doute, une image comme «le chef est semblable & l’aigie qui terrasse un animal puissant » peut naitre sans emprunt et tous ces groupes d’ani ‘maux terrassés ont pu apparaitre spontanément un peu partout. Is ne seraient pas transmissibles s'ils n'avaient justement cette propriété de renaitre perpétellement, et il faut s'accommoder de leur double nature, transmissible et renaissante. Nous avons pour les controler la continuité historique: il n'est pas douteux qu’entre le bouquetin sumérien et les groupes du bronze asiatique, les rapports soient continus; entre ces ani- maux et Ie théme eskimo, la continuité historique reste démontrer, il suffit de constater provisoirement la continuité graphique. Les trois grands themes que nous avons dégagés sont des symboles:: les animaux combattants, le colosse, les adorants ont été pris assez souvent comme valeurs symboliques pour que le doute soit impossible. Ce n’est pas dire qu'on y sente Art comparé d’ Eurasie septentrionale 3 Fic, 1. —91. La figure entre les chevaux est & Ia fois le colosse et I'arbre aux. oiseaux; un gros oiseau est posé sur le dos du cheval; deux des chevaux sont attachés a Iarbre-personnage; la broderie est une combinaison de trois the- ‘mes: arbre aux oiseaux, colosse aux deux animaux, rapace-herbivore; Caré- 102. Chevaux a Iarbre; peigne autrichien. 230. Rapace-arnassi ore; Mésopotamie, 3000 avant notre ere, 239, Rapace-licorne-aigle bicé- phale; trone d'Ivan IIT de Russie. 246. Symboles des quatre évangiles, France : rapace-carnassier-herbivore. 14 Le fil du temps ' toujours des symboles, car la brodeuse carélienne n’attache i gueére de sens profond aux personnages qui décorent sa blouse, t mais ces thémes sont toujours préts 4 rebondir et & passer de Tart paysan sur les armoiries. Leur valeur qui reste celle méme de la tendance qui les a suscités s’est fixée en Europe dans le christianisme et le blason. Aigle, lion ct taurcau, symboles des Evangiles, Daniel ou Samson aux lions, Adam et Eve au pied | deT'arbre de la Science, les armes de Russie ou d’ Angleterre sont aussi puissants, aussi lourds de signification symbolique que les emblémes de Toutankhamon, le colosse d’Hiérakon- | polis ou les adorants assyriens. | 97000 figurations réalistes (2000 pour les Finnois, 7000 pour l'ensemble eurasiatique) m'ont fourni par sélection les | 366 figures de cette étude. J’ai da renoncer, au moins provi- soirement, & utiliser les figurations géométriques: un seul essai (le Décor géométrique des Finnois orientaux) prouve qu'on y peut trouver une aide appréciable, Une longue mission en Extréme-Orient, puis la guerre, ont interrompu deux fois la i publication des séries, et comme j'ai tenu & suivre les docu- ‘| ments au lieu de les précéder, c’est-2-dire & travailler avec une direction d’ensemble mais sans plan de détail, j'ai souhaité plusieurs fois revenir en arriére et modifier ce qui était déja entre les mains du public; c’est le risque d’un tel procédé, la compensation sy trouve dans la certitude d'avoir laissé les documents & peu prés libres d’imposer leur conclusion. Mener un travail sans objectif précis, avec le seul réflexe de suivre le déroulement des faits parce que l'unité d'un mouve- ment y est sensible, ne peut conduire qu’a une vue générale un peu confuse. Parti d’un point qui n’est que le plus ancienne- ‘ment attesté, on aboutit & une série de carrefours dont chaque issue est ouverte sur de nouvelles possibilités. La coupure est aussi arbitraire quc le départ, elle intervient chaque fois qu’un théme risque de dépasser le cadre typographique, seule raison de fixer un terme & la recherche. Le désir de découvrir des tenants et aboutissants généraux doit étre décu, parce que seules quelques hypothses gratuites sauraient le satisfaire pour un bref moment. Mais la fécondité est propre au détai une infinité d’orbites s’inscrivent complétement dans le champ restreint d’une surface arbitrairement limitée, Dans le champ finnois, le colosse et I'arbre du soleil sont | Art comparé d Eurasie septentrionale 15 Fic. 2. — 277. Arbre aux oiseaux, Scandinavie; note les deur gros oiseaux aus sommet qui seraient susceptibles de composer un oiseau bicéphale; en bas, une variante du theme du cavalier. 285. Loiseau et Ie serpent, France. 269. Camassier-herbivore; chimére, Etrurie. 308. Chasse-poursite, chevalier au lion, Byzance; ensemble combine de haut en bas P'arbre aux olseaun, le thdme du cavalier, le carnivore et herbivore ente ses pattes. 318. Colosse saisissant deux taureaux; Our, Sumer. 336. Colosse aux lions, Perse. 352. Le Aisposiif est assez confus; on y reconait arbre aux oisetux dans quate versions différentes, le théme des orants (Adam et Eve), les certs; broderie ‘Allemagne du Nord, 16 Le fil du temps bien une réalité simple aux aspects multiples. La cuillére lapone est bien, dans ensemble eurasiatique de cuilléres & antennes, & décor d'oiseaux et de végétaux, une figuration de arbre du soleil et elle s’insére dans des valeurs simultanées de temps, d'espace, de religion et de contraintes figuratives qui la dépassent indéfiniment. ‘Si les origines du théme rapace-carassier-herbivore sont confuses, l'application emblématique est précise et complete- ment dégagée. Si l’imprécision rgne sur les rapports de temps et d’espace entre le bronze chinois, la céramique grecque et la tapisserie espagnole, il est clair que tous trois ont bien pour stock figuratif le combat de trois animaux dont I'un est un oiseau & huppe, Ie second un mammifére carnivore et le troisigme un mammifére cornu. L’assemblage historique peut étre un jeu plus ou moins solide, la réalité graphique reste inébranlable. ‘On peut pousser a plaisir les dissertations sur l’origine mythique des monstres, il restera que P’oiseau bicéphale est plongé dans une masse d’oiseaux monocéphales rassemblés par paires au sommet d'un motif, que le sphinx se dégage & peine d'une foule de lions et d’aigles rapprochés dans leur combat, que le phénix n’est attesté qu’auprés de cogs dont il posstde et ergot et les plumes de la queue, que la chimére surgit entre un lion et un bouc, que le griffon apparait sur les mémes champs décorés que l’aigle et le lion, que le taureau ailé nait dans une contrée oi Ie rapace saisit depuis longtemps le garrot d'un mammifére. Si la genése mythique de ces monstres reste obscure, leur genése par fusion graphique ne laisse guére de doute. Produits tardifs de I"imagination ver- bale, ils sont pour I’archéologie des accidents figuratifs. L’en- ‘chainement du mythe et de la figuration est peut-étre riche de variantes, le monstre est peut-Gtre un éue différent des ani- ‘maux qui se sont confondus pour le susciter, historiquement il restera la rencontre expliquée d’une tite d’aigle, d'un corps de lion et des pieds dun taureau. ‘Comme tentative sur l’évolution, notre travail se réduit & deux coupes pratiquées l'une sur le temps, l'autre sur l'espace. Ces deux coupes reflétent exactement les mémes traits, on y voit les mémes themes procédant indifféremment du composé au simple, du simple au composé, du réaliste au géométrique Lo MR oo Art comparé d’ Eurasie septentrionale "7 et Al’inverse. Une telle vue est rassurante parce que identique celle que fournit !a biologie: la progression chronologique d’un groupe d’animaux apparentés, depuis les temps primaires jusqu’A nos jours, est superposable a la mise en série logique du méme groupe choisi dans les espéces vivantes. En nos termes, cette formule se traduit: la progression chronologique * d'un theme est superposable @ la mise en série logique des témoins actuels de ce theme. Explicitement ou implicitement, trop d’arguments ont déja été livrés au cours de cette étude pour développer longuement cet aspect. Il y a des phases inévitables d’évolution par lesquelles passe le theme: dans un méme groupe de peuples, il traduit de si8cle en sicle son vieillissement par un enrichissement ou un appauvrissement progressif du détail; dans des groupes humains trés différents, au méme instant, il traduit sa diversité par les mémes caracté- ristiques morphologiques de richesse ou de pauvreté du détail. Pour I’histoire de l'art comme pour celle des religions ou toute autre discipline qui utilise les figurations, il importe avant tout de donner au sujet et aux objets figurés leur déno- mination exacte, d’oi les discussions innombrables sur le personnage figuré, sur l'attribut figuré, sur l'animal ou la plante figurés sur tel monument antique. Hormis la dégrada- tion accidentelle, 1a facilité de dénomination est proportion- nelle au réalisme de la figuration. Les conditions de dévelop- pement et de perte du réalisme sont done un des problémes importants de histoire de l'art, Important parce que "étude mécanique des lois de la figuration présente assez dintérét pour se justifier, important parce que ces lois permettent de déchiffrer des figurations illisibles au premier abord. Quoiqu’on puisse trouver dans les écrits les plus divers des considérations parfois précieuses sur les lois de-la figit- ration, aucun cffort d’cnsemble ne s’est manifesté jusqu’a pré- sent et il reste & créer une branche de histoire de l'art avec tout ce qu’on peut apporter de systématique, dosable et me- surable A I’étude des documents. Les exemples qui ont été présentés offrent plusieurs vues sur ce phénomene général d’évoluition qui conduit du réalisme! & la géométrisation la 1. La définition méme de réalisme devrait‘nous retenir: réalisme complet qui est la figuration correcte des formes, des proportions et duu mouvement; 18 Le fil du temps plus poussée, et nous pouvons en dégager quelques aspects. IL est 6vident que lorsqu’on qualifie l'art animalier des Eskimo, des Magdaléniens, du bronze sibérien et des vases grecs de réaliste, le terme se révéle insuffisant. Toutes ces formes sont d’un réalisme complet en ce sens que les meilleu- res oeuvres respectent ala fois le mouvement, les formes et les proportions des modéles. Mais les animaux des cavernes de T’Age du Renne et ceux des vases grecs sont des chevilles juxtaposées, il n’y a pas plus d'action sensible dans la fresque des bisons, tous remarquablement vivants, de la caverne d’ Altamira que dans les suites alternantes de taureaux, de lions et d’oiseaux des vases grecs: le réalisme d’action fait défaut. Lorsque le cavalier sassanide porte dans la main un lion de la taille d’un écureuil, le réalisme des proportions est absent. Ainsi pourrait-on multiplier les exemples. Les causes déterminantes de Iévolution ne sont pas moins attachantes. II est certain que les formes les plus anciennes ou les plus rustiques connues de I’art sont déja le fruit d'une Iongue tradition et qu’on ne peut, & aucun degré, admettre que Tes Afticains ou les Polynésiens représentent l'état de naiveté d'un début. On peut admettre pourtant, comme une donnée de bon sens, que le réalisme ou intention de réalisme soient Porigineméme de la figuration, leur conservation. étant constamment compromise par la simplification, la recherche dgcorative ou les contraintes matérielles. Ainsi, considérant le réalisme comme naturel, nous admettons immédiatement existence d’une réalité non moins puissante: Ja stylisation, Réalisme et stylisation apparaissent alors comme deux aspects dune seule source : la tendance figurative, et c’est par un effet rétrospectif que nous dissocions dans une aeuvre ce qu’elle a de réaliste ou de stylisé comme si, par un effort conscient, Tépoque imposait aux doigts humains le dosage. L’histoire de art est peut-étre une des disciplines qui ont le plus échappé aux procédés dichotomiques par lesquels les sciences assurent réalismes partiels de formes, de proportions, de détail, de mouvement. Le réalisme partel présente tous les degrés depuis identification sans équivoque de lobjet jusqu'aux figurations indéchiffrables sans commentaires. Le réa- lisme n’implique pas la figuration intégrale etexclusive de la réalité, un sujet peut étre schématique ou fabuleux sans étre privé des caractéres fondamen- taux du réalisme graphique, Art comparé d'Eurasie septentrionale 19 leur prise sur les faits. L’cuvre d'art, oi l'unité de création est, plus sensible que partout ailleurs, se laisse difficilement em- prisonner et tronconner dans l'appareil scientifique, elle reste tun peu rebelle aux expériences, aux formules et aux classifi- cations. Lorsqu’on parle d'art, il est précieux de conserver cette sensation d’unité, mais lorsqu’il s’agit de servir I’his- toire, I'analyse et la dissection sont les procédés naturels. Dans chaque travail historique sur I’Art, on trouve le reflet de cette exigence et l’analyse minutieuse du détail conduit a de magistrales vues d’ensemble, mais il est curieux de voir cha- que chercheur repartir de la base et de ne pas posséder encore le réseau classificatoire qui permettrait non de saisir le style ou Ia facture des ceuvres, mais simplement leurs éléments morphologiques. On peut dire que tout est figurable ou figuré, c’est vrai lorsque l’artiste se dégage du milieu (cette évasion n'est pas & toutes les époques aussi aisée), mais il y a des fréquences singuligres, des clichés dont la liste seule éclairerait bien des cétés de I’Histoire: il est curieux que, dans tout le domaine que nous avons parcouru, 40 % des figurations (ce chiffre de 40 % n’a rien de définitif, puisqu’il n'y a pas de recherches antérieures et que je n’ai pu I’établir que sur 9000 figurations environ) soient & partager entre les trois themes des animaux, du colosse et des adorants. Il est intéressant de constater que partout les figures en ronde bosse sont moins évoluées que les témoins graphiques. Nous avons I'exemple des bronzes chinois archaiques od les, motifs gravés sur la panse sont indéchiffrables de prime abord, alors que les anses et les parties en haut-relief gardent explici tement l’aspect de buffles, de dragons ou d’oiseaux. C'est parce que la troisitme dimension impose au sculpteur des contraintes séricuses, elle entrave sa fantaisie et géne la proli- fération du détail; or, c'est par le détail que les formes se perdent. Sur un méme objet, une stéle A personnages en relief par exemple, on saisit le double mouvement du plastique et du graphique, on voit les personages garder leurs formes en les simplifiant progressivement alors que le fond prolifére a plat, s'enrichit de détails toujours plus abondants et ‘compliqués. L'appauvrissement plastique et l’enrichissement. graphique 20 Le fil du temps apparaissent alors comme les voies normales de la stylisation. Le sculpteut, prisonnier dun solide, ne peut en détacher des appendices qu’au prix de la fragilité, et rarement ses moyens techniques Iui permettent-ils de le faire. Le graveur n'est retenu par rien, il est au contraire attiré par les vides et il pousse toujours sa composition vers la périphéric. “A trois dimensions, le théme des chevaux est d’une sobriét frappante; a deux dimensions, il s’enrichit des détails les plus variés et tend a remplir son cadre avec la plus grande densité possible, On peut d’ailleurs remarquer qu’ici le plastique perd des éléments précieux et que c'est le graphique qui conserve par’exemple l’arbre et les oiseaux, etc. La géométrisation est un phénoméne non moins singulier. Simplification plastique ou prolifération graphique sont des faits d’évolution, la g6ométrisation est au contraire une muta- ble, Aussit6t transposé a certain tissage, certaine broderie, certaine poterie, par contrainte matérielle, le décor change de nature sans retours-possibles, il passe A un nouveau stade d’évolution, reste explicite aussi longtemps qu’il est expliqué et disparait, avec la mémoire des exécutants, dans un jeu de lignes, de triangles et de points. En cet état, il se trouve Equivalent du décor qui n’a pas eu de source réaliste: motifs nés de l’alternance des fils dans le tissage, de la technique dans la poterie ou le métal. Le travail sur un. ensemble ts vaste, puisqu’il couvre presque toute I’Eurasie, et sur des séries trés étroites, puisque quelques blouses brodées ont fourni tous les éléments géomé- triques, conduit donc a des résultats comparables : les lois de la diffusion et du choix des themes sont impératives, celles de Vévolution morphologique ne sont pas moins exigeantes. Ces lois ne sont pas dégagées avec clarté puisqu’il manque encore une construction générale qui aurait soutenu les quelques sur- faces qui ont été mises au jour. Qu’il reste seulement I’impres- sion qu'il y a dans Part qu’on nomme « populaire», « primi- tif», quelque contribution A histoire de l'art des grandes civilisations, c’est ce qu’on peut demander & une recherche encore superficielle et incompléte. Symbolique du vétement japonais Aux yeux d'un observateur de bon sens, le vétement peut passer pour protéger le corps contre le froid ou les contacts. Assez rationnel, le vétement masculin européen couvre de pres le trone et les membres, ne laissant & I'air libre que le visage et les mains. En cela il suit les principes vestimentaires des régions fraiches du globe : rien ne différencie fonctionnel- ement Ie costume lapon ou eskimo du notre. Le vétement féminin est déja moins strictement logique, et lorsqu’on aborde I’Afrique et les régions chaudes de I’Asie, on perd partiellement la notion du vétement rigoureusement protec- teur. On trouve pourtant le plus souvent des raisons & la forme, ou aux dimensions. Pour Ie Japon, on peut se demander si nos définitions sont réellement valables. Les parties strictement couvrantes n’évo- quent gure Ia commodité : le trone est relativement protégé contre le froid, mais le long kimono rend les mouvements malaisés; lorsqu’il faut se fendre largement il s’ouvre, laissant les jambes & nu, et, dans les travaux un peu violents, on est obligé de remonter les pans dans la ceinture. Le col baille largement, ménageant des entrées d’air froid vers le dos et la poitrine, les manches sont courtes, ne dépassant guére le coude, elles sont béantes et lair arrive jusqu’au corps a peu prés librement. Sous langle banalement utilitaire, le kimono est un paradoxe. La fonction de ses différentes parties correspond mal & la notion de vétement. Ces manches, protégeant si peu les bras, se prolongent vers le sol en longues ailes qui ne servent que tres accessoirement de poches. Cette ceinture énorme des femmes jouerait aussi bien son réle si elle était réduite 4 un i { 2 Le fil du temps simple cordon. En fait, le Japonais s'accommode volontaire- ment du kimono qui ne Iui assure qu'une protection assez précaire; en plein hiver, il lui faut travailler découvert jusqu’aux biceps ou retirer ses bras momentanément & l'abri au fond de ses manches trop courtes; en été, l’ouvrier laisse retomber tout le haut sur la ceinture pour ne pas s’empetrer dans les manches volantes; sous la pluie fraiche d'autornne, il rettousse le bas dans sa ‘ceinture, découvert & mi-cuisses. L’ethnographie établirait difficilement un cas plus clair de désaccord entre la fonction et l’organe. Il serait bien aisé d’en dire autant de la maison et de beaticoup d’outils: le Japonais excelle A tirer parti de choses relativement inadéquates, fragiles, perce qu’il a le sentiment profond du caractére transitoire des biens terrestres et parce que ses valeurs sont dans d’autres demaines. Pour compren- dre, il faut renoncer & appliquer notre raisonnement & des. objets qui sont nés d’autres raisons. Le vétement japonais s‘explique peut-étre de deux maniéres: historiquement dans son évolution, esthétiquement dans ses symboles. Mais l’ex- plication technique, rationnelle, fonctionnelle est en défaut. Sauf peut-étre au cours de sa protohistoire, le Japon a toujours donné au vétement une valeur figurative. Pour saisir le sens de cette valeur, il faut faire appel & plusieurs domaines de la pensée extréme-orientale. Les dix mille étres de la nature, dans un panthéisme qui exigerait d’ailleurs d’étre nuancé, ont tous une valeur équivalente, et l'homme n’est foncitrement rien de plus que l’arbre ou le daim qui erre dans la montagne. L’arbre, parmi les dix mille étres, est arbre par son feuillage, le daim existe par sa peau et ses bois : dépoui Iés, «déshabillés», ce sont des étres pratiquement interchan- geables. L*homme est homme sous son vétement. Les Japo- nais n’ont plus trés explicite cette notion, mais leurs légendes rejoignent encore celles des Sibériens oi l’ours, rentré dans sa taniére, range sa peau dans un coffre et vit sous J’aspect d’un homme. Le vétement est par conséquent avant tout un sym- bole. Un autre aspect concourt & soutenir explication. Les mots, pour nous, s’analysent en lettres: pour I’Extréme-Orient, le mot est un symbole complet, ob I’idée et l'image s’immobi- lisent dans des traits beaucoup plus solidement cimentés que Symbolique du vétement japonais 23 Fic. 1, — Paralélisme entre le décor des statuettes jomon et celui du kimono sinou! Deux figurines de terre cuite datant des débuts dé notre &re sont figurées en clair, A gauche, les motifs en relief des figurines sont reportés sur les contours des kimonos de forme ainou. A droite, kimonos réels des Ainous actuels m4 Le fil du temps nos lettres. La phrase est une suite de petits tableaux juxtapo- és, chacun peut vivre seul et porter encore toute la poésie de son graphisme pour soutenir sa signification isolée. Peinture et écriture se joignent dans toute cuvre peinte, se fondent dans bien des chefs-d’ceuvre qui ne sont qu’un seul mot calligraphié sur Ja feuille blanche. Avant de chercher sa fonction protec- trice, le vétement est un jeu de lignes et de couleurs composé en tableau. Enfin "homme n’est qu'un élément du vaste univers, il passe avec lui dans le cycle des mois et des années. Rien ne vaut, sinon dans la mesure od il s‘intégre & univers qui toume, et le vétement humain, symbole esthétique, suit le courant du monde; du printemps a Phiver, son décor change; de la jeunesse a la mort, il s*assombrit pour se muer finale- ment dans le blanc pur du kimono de lincinération. Les plus vieux vétements japonais sont connus par les statuettes de la proto-histoire. Les plus primitives montrent les Japonais vétus de blouses décorées de grands motifs en cercles, ou en spirales. La situation du décor est extrémement intéres- sante, il semble souligner les parties essentielles du corps humain : les bras, la poitrine, les omoplates, la colonne verté- brale sont localisés sur les statuettes par les bourrelets du décor modelé qui rappelle trés fortement les motifs découpés sur fond noir du kimono des Ainous actuels. Il est assez difficile d’interpréter evec sécurité des docu- ments vieux de 1500 ou 2.000 ans, mais on peut se faire une idée de leur signification lorsqu’on retrouve le méme souci de marquer les mémes points du corps, en particulier les omo- plates et la poitrine, chez plusieurs peuples sibériens, chez les Giliak, chez certains Eskimo, chez les Indiens de la Colombie britannique. Le sens des motifs varie, mais dans des limites assez étroites. Chez les Toungouz, le manteau porte des pla- ques de fer découpées figurant les os du bras, les cétes, les, omoplates, le bassin. Le sorcier qui endosse le vétement revét la peau d'un personnage mythique, reane ou oiseau. Chez les Ainous, il parait assez clairement que le décor du vétement figurait soit la peau de l’ours, symbole du clan, soit peut-étre simplement les organes de homme; endossé aux fetes, cha- que village portant ses dessins, le kimono brodé avait la valeur d'un blason. Chez les Indiens, la chose était encore plus st Symbolique du vétement japonais 25 claire: brodé trés explicitement, le symbole du clan ours, castor ou aigle, figurait sur le vétement, clair sur sombre, les pattes de devant sur les manches, les autres organes & leur place & peu prés normale. L’Indien du clan de l’ours revétait done un véritable uniforme. Sans aller jusqu’a dire qu’il se sentait ours, il était un peu dans état du Poitevin mobilisé dans les spahis qui, sous le burnous, sent fourmiller en lui Pépopée des cavaliers sahariens. Les statuettes anciennes du Japon sont I’écho de sentiments analogues, il est peu douteux qu’elles aient représenté déja un uniforme, symbole de homme ou symbole du protecteur du clan. Une telle opinion est largement confirmée par la réalité, dans les kimonos bla- sonnés dont il sera question plus loin. Vers le i11*-V° siécle de notre ére, d'autres statuettes nous renseignent sur des costumes bien différents. Ces statuettes étaient disposées en cercle autour des tumuli, expression atté- nuée des cavaliers et des chevaux véritables, empaillés autour des tombeaux des chefs sibériens. Le Japon est alors sous influence continentale, coréenne et chinoise; son costume semble avoir été simple et sans décor, constitué par des braies liges au genou, sur lesquelles retombait une longue blouse flottante serrée par une ceinture. Costume qui n'est pas sans rappeler celui des Celtes et qui reste sans rapports précis avec celui des statuettes précédentes ou celui que révélent les siécles suivants. Le Japon entre ensuite dans "Histoire, Aux vu'-vin® sié- cles, pendant la période de Nara, les textes, les peintures, les sculptures, les trésors impériaux ou ceux des temples livrent une documentation compléte et abondante sur le costume. Avec le recul du temps, qui atténue les nuances, les costumes de cette période nous semblent se rattacher & deux sources : le costume populaire parait coréen, le costume aristocratique parait chinois. La marque japonaise est assez forte pour rendre cette assimilation supeficielle, maison peut se justifier aisé- ment dans de tels rapprochements. Le costume populaite est, au fond, resté le méme qu’au cours de la proto-histoire, lorsque le Japon du Sud empruntait ses armes et ses-objets de luxe a 1a Corée sinisée. Ce sont les braies bouffantes, 1a longue tunique-flottante, blanc pur, les bottes basses a bout retroussé et méme le chapeau de vannerie 26 Le fil du temps ou de crin de cheval si étrangement semblable & une réduction de chapeau de forme. Ce costume, les Coréens Iavaient em- prunté aux Chinois vers le I** siécle de notre ére, ils l’ont conservé a peu prés intact jusqu’a nos jours. Les Japonais, qui Vavaient recu un peu plus tard, I’ont progressivement aban- donné dans lusage ordinaire. Aujourd’hui, on ne le rencontre: plus que sur les serviteurs subalternes du Shinto. Le costume aristocratique de la période de Nara est direc- tement .inspiré par la Chine; sobre de forme et de décor, le costume masculin est & dominante sombre, constitué par des braies moins bouffantes, sur lesquelles se porte une ongite tunique noire croisée et serrée & la taille. Les manches sont longues et modérément tombantes. C’est & partir de ce type, qui était alors laique, que se constituera le costume du Shinto. Les porportions suivront !’évolution de la période suivante, mais les formes et les couleurs sont A jamais fixées. Le costume féminin est clair, il évoque déja par ses lignes verticales et son croisé ample le kimono véritable, Les tissus brochés y sont utilisés modérément encore et, dans leur silhouette, hommes et femmes évoquent clairement la mode contemporaine de la cour chinoise de ta dynastie Trang. Du Ix? au xiI° sigcle, pendant les périodes de Heian et de Fujiwara, le kimono apparait. Pour comprendre les variations du kimono, il est nécessaire de connaitre les principes tres simples de sa confection. La piéce de tissu a environ un pied de large; sauf pour les pans croisés, on ignore les coupés en biais et ni les pinces ni les pointes ne sont utilisées. Le kimono est fait par conséquent de bandes cousues par les lisiéres: avec une bande pour la manche, on dépasse & peine le coude; avec deux bandes, Ia main disparait. Avec quatre bandes et le croisé, on enveloppe le corps en fourreau; avec une bande de plus, le kimono est bouffant. D’autre part, il suffit d’allonger les bandes des manches pour qu’une aile flottante descende vers le sol; il suffit d’allonger les bandes du corps pour que les pans trainent & terre. Toutes les fluctuations de Phistoire du kimono tournent autour de ces principes. Si le costume est riche, solennel, il s’élargit & V'extréme et devient bouffant, c’est le cas pour le costume masculin de tout, Ie Moyen Age. Le costume féminin suit la méme évolution; le Symbolique du vétement japonais 2 Fu. 2, — Dame de ta cour, période de Helin (ix"sI¢ele); sept kimonos superposés et une jupe & traine forment cercle & ses pieds. brocart précieux s*étire en manches énormes et les pans s’al- Iongent, s*étalent sur le sol. Mais, dés que les nécessités de la marche, du travail ou les restrictions économiques apparaissent, le kimono subit un retrait et revient aux proportions nécessaires. Les kimonos 28 Le fill du temps courts et ajustés des classes populaires sont l’extréme conces- sion que le Japon a fait au besoin trivial de mouvements. Son idéal est un idéal de calme et de dignité et le costume doit créer des lignes amples et harmonieuses. On dégage ici un trait important de la perception esthétique du Japonais. Dans le mouvement, son ceil voit une suite de tableaux fixes reli¢s par des transitions aussi discrétes que possible. Dans la danse, ce nest pas tant le geste qui compte que la pose qui stabilise un instant de,belles lignes. De 14 I’équilibre si savant des plis de ces kimonos qu’on ne peut imaginer dars le mouvement sans créer le désordre. Avec ses six ou huit kimonos superposés et s'arrondissant par couches successives A un métre autour d’elle, la grande dame de la cour glisse imperceptiblement le long des galeries de bois ciré, s’accroupit au centre de son cercle de brocart et s'immobilise longuement, I n'est pas jusqu'aux duellistes, qui, suspendus dans leur élan, n’arrétent espace d'une seconde la ligne de leurs corps bandés pour le coup de sabre. Si l’on veut se représenter le Japonais ordinaire et son costume avant le xx" siécle, il faut songer 4 un empe- eur occidental en grand costume de sacre, marchant vers son tréne avec le triple souci de libérer toute sa majesté sur assistance, de ne pas s’empétrer dans les plis du manteau royal et d’assurer l’équilibre de sa couronne: il glisse lente- ment, avec de nobles gestes et prend des arréts pour donner & sa traine le temps de le rejoindre. Le vétement est l’instrument de la dignité de l'homme et le symbole de sa fonction humaine. On a va pour I’Ainou que la seule distinction profonde entre I’homme et l’ours, c’est que le premier porte une peau de toile brodée et le second une peau de fourrure. Lorsque la peau de I’homme est brodée des signes de lancétre du groupe auquel il appartient, c’est un blason Ainsi était-il chez. nous de la livrée des Inquais, ainsi en est-il encore de I'uniforme du livreur. La notion de protection vestimentaire est étrangere & ce cdté du vétement; si l'homme était nu, le blason serait peint sur la peau, Le Japonais a poussé cet aspect symbolique a l’extréme. Le blason revét la forme d’un cercle l'intérieur duquel s"inscrit un motif, généralement emprunté a la botanique, qui est I'em- bléme du clan: le chrysanthéme pour le clan’ impérial, les — Symbolique du vétement japonais 29 Fic. 3. — Costume du xvit siécle. La forme du kimono et la taille des dessins n'a pas varié depuis. Grands motifs et- manches longues caracteristi~ ques des jeunes filles, 30 Le fil du temps feuilles et fleurs de paulownia pour Hideyoshi, les trois feuil- les d’aoi pour les Tokugawa par exemple. A certaines épo- ques, ces cercles armoriés s'étalent sur tout le vétement, ils finissent par se concentrer sur le haori, le kimono ample de cérémonie, actuellement noir. Il n’est pas de réunion un peu solennelle sans haori et pas de haori sans blason. Celui qui posséde un blason authentique le porte, celui qui n’en a pas choisit; dans le catalogue du teinturier, un symbole a son goat, ‘obtenu en altérant Iégerement un blason classique, en ajoutant une feuille, un pétale, en copiant le dessin du paulownia avec la vigne ou le cerisier. Ce besoin d’embléme ne souffre pas d’exception. Le blason apparait en blanc sur le kimono noir, et il est trés | curieux de constater que, comme chez les Ainous, les Toun- gouz ou les Indiens du Pacifique nord, ces cercles symboli- ques sont placés en des points bien déterminés. Il y en a sept: deux sur Ia poitrine, un dans le dos et deux sur chaque bras. | Bffet qui ne tient pas du hasard puisque, du Japon aux Eskimo, | les vétements de solennité & décor localisé de cette maniére constituent une carte trés homogéne. Ce besoin de faire du vétement un embléme qui prime sur la fonction vestimentaire est peut-étre encore plus sensible dans | les vétements de travail. Sur les kimonos des équipes de pompiers bénévoles, les cercles blasonnés s*étalent, larges comme des soucoupes. Les kimonos courts des ouvriers sont ij teints en bleu marine avec des réserves blanches oi éclatent en caracttres de deux centimetres des sentences qui ne laissent pas de doute sur la fonction du porteur. Sur le dos:: « vétement neuf», sur les revers «un tel, entrepreneur de charpenterie», | sur le tablier «téléphone 2693». Combinaison tardive du é blason et du placard publicitaire. Tout finit, avec le vétement occidental, par se résoudre en insignes. Dans la vie ordinaire, le Japonais ne porte pas les insignes des multiples groupes auxquels il appartient. Mais, dés qu’il se trouve dans des circonstances od le port du haori commence a s'imposer, on voit sa bottonniére fleurie de plaques et de rubans, des banderoles lui passent en bandou- litre et la solennité se glisse sur ses traits, fi Symbolique du vétement japonais 31 Il reste le plus poétique des aspects de la symbolique du vétement japonais, celui qui tient & ce sentiment trés délicat de la place de l'homme dans le cycle de la vie de l’univers. Lattitude du Japonais & I'égard du temps est extrémement intéressante; nul peuple n’a plus précise la notion du courant qui entraine les choses vers leur fin, Tout ce qu’il posséde est empreint de fragilité et d’instabilité, tout s"use trés vite et bien des choses parmi ces objets de bambou et de papier ne servent qu'une fois. De 18 son respect pour les choses anciennes, les Pierres surtout, qui traversent les générations sans autre marque que la mousse qui les recouvre peu & peu. L’homme passe aussi, et a chaque age le vétement marque des étapes. Le kimono masculin n’accuse pas trop cette ten- dance: il est stabilisé définitivement dans les couleurs et le décor les plus dignes. Mais le kimono féminin est merveilleu- sement rythmé. De lenfance a la vieillesse, une double évo- lution se produit: les motifs du décor, d’abord volumineux, s’amenuisent lentement et disparaissent, le rouge et le jaune éclatants des années de jeunesse s’effacent, passent aux tons cendrés de la trentaine et se perdent dans le gris de plus en plus sombre. Aussi, peu A peu, voit-on se faner et séteindre les pivoines écarlates de I’adolescence, les liserons des vingt ans, les fleurettes des vingt-cing; vers trente ans, c'est déja le gris perle; & quarante, les ailes du ramier et le cycle se ferment dans le noir que percent des dessins géométriques de plus en plus petits Dans le grand courant de la vie entiére tournent les cercles des années. Quel sentiment de ridicule agite le Japonais qui pénétre dans un intérieur européen pour voir, accroché au mur, en plein novembre, un tableau de primevéres qui ont traversé, inertes, toute l'année. Au début, on suspend une peinturc du solcil rouge qui monte A I'horizon de l'année nouvelle; plus tard, le prunier qui fleurit dans la dernitre neige, le cerisier du printemps, les volubilis de juin et chaque Gtape est’ marquée dans la maison par un tableau qui entraine toute ta piéce dans le mouvement du temps. ‘Le vétement tourne dans le méme rythme. Qui oserait sortir en mai avec un kimono, si luxueux soit-il, décoré des chry- santhémes de I’automrie? Chacun occupe sa place. L’homme est homme puisqu’il 32 Le fil du temps porte un vétement humain, Il est un certain homme parce que son vétement marque son origine et sa fonction. Il n'est qu'un homme, & sa place exacte, entre la naissance et a mort, au tournant de telle saison. Ainsi se trouvent réduits les paradoxes du vétement japo- nais. L’envisager comme procédé pour envelopper Ie corps humain-avec le maximum de confort, c'est seulement céder des raisons hitives. Sous cet angle, il a certains avantages qu’un Japonais pourrait défendre., Le faire serait aussi céder. Il est plus juste sans doute de le considérer comme un moyen accessoive de protection : un tapis roulé, de vieux rideaux, un sac 4 farine auraient les mémes mérites. Tout son sens est ailleurs, dans sa fonction figurative, il fait naitre de larges courbes et des angles bien nefs, il est digne, il assure une belle image de l'homme. i | |. Notes pour une histoire des aciers Le probléme des aciers anciens reste encore largement ou- vert, mais une découverte récente, due aux travaux de Salin et France-Lanord ', est venue & point pour donner a I’étude de Vévolution du fer un aspect nouveau : la mise en évidence du damassage des épées mérovingiennes. Avant d’aborder des faits qui montrent I’ampleur de certai nes des questions qui se posent A I’historien des techniques, il est utile de tracer briévement ce qu’on peut considérer comme Pévolution théorique des aciers. Le métal obtenu dans les fourneaux les plus simples est un fer trés chargé en oxyde et en scories, & teneur trés faible en carbone; lorsqu’il a &té forgé, il est par conséquent relative- ment mou, inapte a la trempe et peu élastique. La proportion croissante du carbone sous forme de carbure de fer conduit aux aciers doux, hypoeutectoides, puis aux aciers durs, hypereu- tectoides qui, pour les meilleurs damas anciens, approchent de Ja teneur de 1,9 %. Du fer non carburé des premiers forge- rons, on passe donc progressivement aux aciers modernes* La distinction entre le fer, I'acier et la fonte ressort du di Fe-eibone, Le passage du fer aux aciery ext progressif: dans Corde des {eneurs croissantes en carbone, on rencontre tout d’abord le fer (sans carbone) et I'acier extra-doux (C = 0,05 %). On passe ensuite aux aciers doux, demi doux, demi-durs, durs et extra-durs jusqu’d 1,2 % C et au-deld. A partir de 2,5 % C on a affaire aux fontes dans lesquelles le carbone est a l'état de carbone graphitique. ‘On distingue-deux grandes catégories d'aciers: IP Les aciers hypoeutectoides dont la teneur en carbone est inférieure & 0,8 % et qui, du point de vue micrographique, sont formés de ferrite et de perlite, (La perlite est un agrégat lamellaire de ferrite et de cémentte.) 2 Les aciers Iypereutectoides dont Ia teneur en carbone est comprise entre 34 Le fil du temps Cette évolution, claire dans l'ensemble, est théorique en ce sens que, d'une part, les étapes en sont mal connues et que, d'autre part, & Pheure actuelle, toutes les formules se rencon- trent encore en différents points de I’ancien continent. Pour suivre lévolution de la métallurgie du fer, il faut se représenter que le développement de Pasigrage a été en ma- jeure partie empirique, que les inventeurs successifs n’ont pas ‘compris les raisons exactes de la qualité du métal, qu’il n'y a jamais eu, jusqu’a une époque récente, de «probleme du carbure de fer» et que la seule question nette était de trouver le moyen de rendre les armes plus efficaces. Le probléme posé au forgéron était donc celui d’un métal 4 la fois dur, élastique, tranchant, peu déformable et résistant. Les réponses une préoccupation de dosage du carbone sont de ce fait incoliérentes alors que celles posées par la recherche d’un métal idéal ne sont pas toutes logiques, mais sont toutes évidentes. Pour augmenter les qualités des lames, deux voies ont é6 suivies : le corroyage et ’aciérage. Ces deux procédés int ressent la structure du métal, une troisiéme voie étant tracée par Ja forme méme de la lame qui tend & donner, par un gaufrage, une cbte médiane ou des gouttiéres, la section la plus résistante la flexion Le corroyage consiste a souder, au cours du forgeage, des brins ou des bandes de métal. C’est donner a la lame une grossiére structure fibreuse ou, plus exactement, assembler des lames de ressort, faire un faisceau selon les principes ‘mémes qui ont conduit & la technique du bambou refendu des ares japonais et des cannes a péche, ou a celle des arcs composites des Mongols. Fait important, les grands centres du corroyage ont connu les deux types d’arcs composites 0,8 % et 1,7 % et qui sont formés de cémentte et de perlite, La cémentite (Carbure de fer FesC), constituant dur et fragile, n'apparait done qu’ partir de 0,8 % C, sous forme d'un réseau isolant les plages de perlite. ‘On obtenu le fer d’abord — ts impur — au bas-foyer, puis plus tard par puddlage et corroyage, puis I'acier par cémentation du fer en le chauffant dans des caisses en présence de céments carburants. L'évolution des procédés a conduit au haut fourneau au moyen duquel on obtient de la fonte, Les aciers actuels s"élaborent par décarburation de la fonte soit au convertisseur Besse- ‘mer ou Thomas, soit au four & sole Martin, ou au four électrique. Notes pour une histoire des aciers 35 Fic. 1. — 1. Epée mérovingienne de Strasbourg (d'aprés France-Lanord, 1). 2. Glaive ou épée courte, Caucase-Khevsoure, xvit-xix* sidele, Arme de amor, bords de corroyé fin. 3. Lame de poignard tchetchéne, .Caucase, XIX" sitcle. Acier doux superfciellement carburé sur les tranchants. 4. Lame de poignard d'origine ethnique indéterminée, Cauease, xix" sidcle, Fer gravé AT'acide pour imiter grossitrement le ype du n? 2. 5. ‘Dague pour percer les cottes de mailles, Perse, xvit-xix* sidcle. Manche d'ivoire de morse, lame de poulad, acier de Damas. On a représenté pour chaque figure: Iarme, ‘une portion de la lame agrandie, une coupe au méme niveau et une échelle de 1 em, L'aciérage est I'augmentation empirique de la teneur en car- bone. Ces principes posés, force est de se rendre compte que les documents anciens sont rares, que les études métallographi- ques le sont encore plus, et que les faits connus sont le reflet d'une notable complication, C'est pourquoi nous nous refu- sons & écrire une histoire de I’acier. Nous nous bornerons & marquer les points acquis et & poser les questions qu’ils sus- citent. De prime abord, il faut souligner que le probléme du fer est unique pour tout I’ancien monde et que les études locales ne peuvent pas, a priori, faire supposer des solutions strictement locales. Lorsque le fer apparait en Afrique, & Java, au Japon, il témoigne de l’extension progressive d’une seule technique. On peut s'imaginer l’invention du fer se répétant plusieurs reprises aul cours de Histoire, mais, jusqu’a présent, tout parait démontrer le contraire. I! semble normal d’étudier en- 36 Le fil du temps semble les épées de La Tene, les kriss malais, les sabres du Japon, lorsqu’on s’apergoit que les Romains commergaient avec |’Inde du Sud et l’Indochine, que Haroun-el-Rachid échangeait des cadeaux avec Charlemagne et qu’en 752, Tempereur du Japon possédait un mobilier persan et de la yerterie méditerranéenne. Dilaté a cctte échelle qui est stric- tement célle de la réalité, ie probléme historique devient pres- que ridicule: il n’y a pas suffisamment de documents pour cemplir les vides immenses de la carte. Nous procéderons par conséquent a la simple énumération de quelques points géo- graphiques connus. EUROPE Jusqu’A la découverte de Salin et France-Lanord, on connaissait les armes de damas corroyé danoises et norvégien- nes? de la période des Vikings, en tous points semblables aux lames mérovingiennes de nos régions (fig. 1, n° 1). A Pheure présente, on est conduit & envisager la diffusion des épées corroyées le long des différentes routes des invasions germa- niques. Ces lames sont constituées de trois mises de métal soudées. Les bords sont en fer trés peu carburé et homogene, l’ame est composite, faite de bandes de métal doux et de métal carburé, pliées en accordéon et soudées. II en résulte un dessin que le forgeron pouvait faire varier par l’étirage, Cette formule, qui a duré chez nous jusqu’au xI° sigcle, met en cause & la fois le corroyage et la carburation, laquelle semble jouer un role en majeure partie esthétique puisqu’on n’en a pas tiré parti pour les tranchants qui étaient homogénéisés par martelage. CAUCASE Certaines lames récentes. (xVHI-xIX* siécle) semblent di- rectement apparentées aux précédentes. L’armement des Khevsoures représente une survivance notable puisqu’a Ia fin du xIx° siécle les guerriers portaient encore heaume, cotte de mailles, braconnire et cuissard?, Le poignard khevsoure Notes pour une histoire des aciers 31. (fig. 1, n® 2 et fig. 2) a la forme classique du «kindjal » cauca- sien qui est elle-méme une longue survivance de types qu'on peut tracer depuis l’Age du Bronze en Méditerranée et en Occident *. Fio. 2, — Cauease. Lame de corroyé fin. Lame de pamor (cf. fig. 1, n® 2), La lame est faite de: trois mises distinctes, exactement comme les épées mérovingiennes. Le centre est en «damas soudé», fer corroyé «en accordéon », constitué. par des zones. carburées alternant avec des zones dacier doux. Les bords, & la différence des lames mérovingiennes, sont en corroyé fin, imitant le poulad (acier hypereutectoide, dit de Damas). Cette lame, presque identique a celle des Mérovingiens, présente en’ somme deux «styles» du corroyé: le «style large» des épées de notre haut Moyen Age et des kri: de caractére A la fois pratique et esthétique, susceptible d’étre dégagé en relief par une attaque profonde aux acides, que nous nommérons pamor, du. mot javanais qui le désigne couramment, et le «corroyé fin», qui a un réle essentiellement pratique, tend souvent & imiter I'aspect et les propriétés du poulad et n°est as normalement visible sur la lame polie. Les lames des autres régions du.Caucase montrent une grande variété de texture: lames ordinaires d'acier trés doux 38 Le fil du temps présentant souvent une gravure par une attaque d’acide suivant un dessin qui imite grossi@rement la bande centrale du type précédent (fig. 1, n® 4), lames carburées superficiellement aux tranchants (fig. 1, n° 3), lames de poulad authentiques. IRAN ~ L'article du colonel Belaiew* sur le damas oriental est suffisamment précis pour que nous nous bornions & dégager Pessentiel. Le poulad est un acier hypereutectoide de teneur variable én carbone (1 % 1,84 %) fondu au creuset, prove- nant en majorité de "Inde sous forme de lingots travaillés au rouge par les forgerons d’Orient (de Syrie en Afghanistan) Les carbures ne sont pas répartis dans la masse de maniére homogéne, comme dans les aciers actuels, mais groupés en trainées qui dessinent des ondes. L'aspect des dendrites de carbure varie & la fois avec la teneur et le processus de refroidissement. Le forgeron pouvait, dans une certaine me- sure, orienter I'étirage du métal sans obtenir pourtant les aspects trés variés du métal corroyé ‘Les propriétés du damas ont été vantées depuis le xit* siécle a travers I'Orient et I'Occident. Elles correspondent a celles des meilleurs aciers, élastiques sans étre fragiles, avec un tranchant auquel les microscopiques carbures contenus dans la cémentite donnent un mordant que les métaux corroyés n’at- teignent jamais. L'Tran, plus que le Proche-Orient méditerra- néen, a été jusqu’d nos jours le centre du damas, les armuriers persans fagonnant les précieuses lames qui étaient emman- cchées en ivoire de morse. II suffit, pour avoir une juste mesure des possibilités d’échange, de penser & ces armes persanes ig. 1, n° 5) dont acicr venait du fone des Indes et dont Pivoire de morse de l’océan Glacial traversait toute la Russie. L’origine historique du poulad est inccnnue, il est certain qu'il résout, par la dendritisation des particules de carbure, le rmeétal fibreux qui était senti comme I’idéal par les forgerons du haut Moyen Age, mais il y parvient par une véritable mutation technique, par la substitution d'un processus physico-chimi- que & un procédé d’assemblage manuel. On pourrait dire qu'il complique sérieusement la recherche historique car, & partir de Notes pour une histoire des aciers 39 son apparition, on voit reparaitre (ou s’intensifier), un peu tout autour, le corroyage qui chercher a I’imiter. De sorte qu'il devient presque impossible de distinguer les survivances de la période initiale du corroyé et les résurgences secondaires. En Europe, par exemple du xvil° au xIX° siécle, les imitations du damas en «damas soudé» font resurgir les vieux procédés des Mérovingiens. MALAISIE. Les célébres kriss javanais posent justement le méme pro- bléme. On ne sait rien de leur passé, et i] est impossible de dire sls ont survécu & une tradition antérieure au poulad ou subi sof influence. La seconde hypothése aurait quelques raisons de prévaloir. Le métal des kriss, qui s’applique & toutes les lames de Sumatra aux Célébes, est le pamor, produit du corroyage de deux fers de teneur différente en carbone, I’un doux, |’autre carburé. Le métal doux, & Java du moins, est fréquemment un alliage naturel (météorique) de fer et de nickel. On rencontre d'ailleurs toutes les transitions possibles, depuis le pamor entigrement fait de métal doux jusqu’aux lames trés carburées de Java et des Célébes par exemple. Le pamor est indiscutablement le sommet du métal corroyé. Le forgeron y faisait naitre des bandes droites, onduleuses, Giroites ou larges & volonté, des vagues, des «yeux », des «arétes de poisson». Les trés belles lames évoquent l'image d'un flot a la fois tourmenté et nonchalant, les remous-d’une eau a la fois lourde et tourbillonnante. Supérieur au forgeron mérovingien, le forgeron malais conduisait les bandes carbu- rées vers les bords, réalisant une formule presque idéale d’Ame. fibreuse et incassable et de tranchant microscopiquement dentelé et extraordinairement mordant. Le probléme du pamor est trés complexe: les forgerons malais ont joué avec toutes les possibilités du corroyé et du carburé. A Sumatra, les Adjeh ont des couteaux de tradition indienne, en acier homogéne moyennement carburé; plus & Pest, de Java aux Célébes, on rencontre en fait trois styles principaux : 40 Le fil du temps 1° Le corroyé simple, en lamelles d’ur. seul métal (fig. 3, n° 6), soudées sans intrication, comme le «bambou refendu> des arcs. C’est exactement du «fer refendu», avec les pro- priétés inhérentes & tous les faisceaux de fibres rectilignes. 2° Le pamor proprement dit, qui donne aux lamelles des dessins variés, mais toujours assez larges et ressortant par un effet de:gravure ou de soudure. Ce style se subdivise en pamor simple (fig. 3, n° 7 et fig. 4) o& les éléments sont tous du méme meétal et oii l’effet décoratif est tiré d’une incorporation imparfaite, les lignes de soudure restant apparentes, et en pamor 4 deux métaux (fig. 3, n° 8 et fig. 5), avec et sans carbure qui donnent par conséquent un dessin noir et blanc, Ce dernier style est susceptible de deux traitements: I’attaque profonde aux acides qui rehausse les contrastes par un Iéger relief du métal doux et le traitement & plat, des plus belles lames, od seule, la pureté des deux métavx révéle le dessin. 3° Lecorroyé fin, sans but esthétique, qui est surtout attesté dans les ‘les orientales (fig. 3, n° 9 et fig. 6). Les bandes carburées sont minces, continues et peu ondulées, elles se groupent nettement vers le tranchant. Nous retrouverons cette formule dans I’Extréme-Asie oi elle aboutira aux sabres. du Japon. Fio. 3. ~6. Indonésie. Lame de poignard. Corroyé simple, soudures rectili- ‘gnes. 7. Indonésie, Sabre de pamor d'un seul métal. Le dessin est obtenu par les lignes de soudute. 8. Indonésie. Poignard (kriss)& lame de pamor. Acier ‘carburé et fer météorique. 9. Indonésie. Sabre. Lame de corroyé fin, les bandes carburées sont groupées vers le tranchant. 10. Tibet. Sabre, Lame diacier corroyé, Notes pour une histoire des aciers 41 TIBET L’Inde est en partie influencée par le poulad dont elle semble étre le pays d'origine. L’étude des armes indiennes est encore trés incompléte. Il serait normal de rencontrer a la fois le poulad et le pamor, ce qui assurerait des transitions satisfai- santes entre la Perse et Java. En fait, les armes que nous avons pu étudier sont en métal homogéne, moyennement ou trés carburé dans la masse. C’est, dans l’ensemble, le méme acier que celui que fabrique l’Occident du Moyen Age au Xix° sid- cle. Tl est possible que Inde ait franchi, il y a plusieurs sigcles, une étape majeure dans la fabrication des aciers. Cette Stape, que nous avons atteinte depuis le Moyen Age, ne correspond pas forcément A des propriétés supérieures au poulad et au pamor, mais elle représente une économie de fabrication considérable. Le Tibet pose un probléme curieux. Le sabre tibétain (fig. 3, n° 10) a conservé exactement la forme des épées chinoises des premiers siécles de notre ére (fig. 7, n° 14). Ces épées étaient en «corroyé simple» et-le sabre tibétain est en | corroyé simple, trés simple méme puisqu’il est constitué par deux ou trois bandes rectilignes soudées. On pourrait suppo- Ec 42 Le fil du temps Fae. 5. Lame de pamor d’acier carburé et de fer météorique (cf. fig. 3, n° 8). Fic.-6. — Indonésic, Lame de sabre. Corroyé fin, Les zones de carburation sont groupées vers le tranchant (ef. fig. 3, n° 9) ser, comme nous le verrons plus loin, qu'il appartient soit au type chinois a un seul métal doux, soit au type mongol-japo- nais.& deux métaux. En fait, il est constitué par un seul métal de carburation élevée : c’est une lourde lame composite d’acier sec. ‘On peut voir dans cette lame Je confluent des courants chinois et indien, comme en bien d’auties techniques tibé- Notes pour une histoire des aciers 43 taines, et une heureuse adaptation locale qui permet, grice au corroyage, de compenser les fragilités du métal carburé. IL n’en reste pas moins que la technique révéle un tour de main remarquable dont il serait intéressant de connaitre le détail (CHINE La métallurgie chinoise nous repoite aux premiers siécles de notre ere, Fondeuts de bronze émérites, les Chinois ont été de médiocres forgerons de fer. Sous la dynastie des Han (— 200 + 200 de notre ére), ils ont su réaliser des fontes de fer remarquables, précisément parce qu’il s’agissait d’une techni- que proche de celle du bronze, mais leur métal forgé est peu carburé et sans qualités notables. Il n'est peut-étre pas impos- sible que ce soient eux, pourtant, qui aient introduit au Japon le corroyage, Mais la question ne sera tranchée que lorsqu’on saura mieux définir I’état ancien de la métallurgie du fer en Sibérie et en Asie centrale, chez. les anciens peuples tures en particulier. ASIE CENTRALE ET SIBERIE Beaucoup de problémes seront résolus le jour od ces régions auront été suffisamment étudiées. On devine peu a peu lim- portance de la métallurgie du fer en Eurasie centrale ®. Les grandes invasions orientales, depuis l"Age du Bronze, sem- blent apporter en Europe une métallurgie déja tres évoluée. L'Iran est depuis longtemps le centre du poulad et les pouplés tures anciens se révélent, dans les travaux-récents de Denis Sinor, comme des forgerons de premidre importance. On sait que les Yakoutes de Sibérie, Turcs émigrés en plein milieu aretique, ont, pendant plusieurs siécles, été fournisseurs de couteaux et de fers d’épicux de tous les groupes de Sibérie orientale, On sait méme que les Eskimo d’Alaska, tour au début de notre ére7, recevaient du fer a travers le détroit de Béring et qu’au xvill" siécle, les Indiens de la Colombie britannique § usaient de lames de fabrication yakoute. 44 Le fil du temps Fic.7.— 11, Couteau kirghiz. Lame & tranchant d’a:ier soudé. 12. Couteau mongol Sin-Kiang. Le tranchant d'acier est soudé 1 un corps de fer de Ia méme manigre que pour le sabre japonais. 13, Couteau de cuisine, Japon. La lame est constituge par une plaque d'acier soudée sur un comps de fer 14: Lame de sabre, Japon, v"-vi sigcle, Collection du Shi-tenno-j, Osaka, Corroyé fin. 15, Lame de sabre, Japon, Xvi siécle. Tranchant @'acier soudé A un corps de fer Les caractéristiques de cette métallurgie ancienne sont en- core mal connues, mais on sait que, jusqu’au xx" siécle, les peuples sibériens trouvaient les lames yakoutes de bien meil- leure qualité que la coutellerie russe. Si l'on manque de matériaux anciens; on peut, en quelque sorte, saisir le carac- tre de ces fers centre-asiatiques par leurs témoins. périphé- riques, exactement comme on voit pamor et poulad encadrer le centre indien ot ces techniques sembleat révolues. Les lames kirghizes (fig. 7, n° 11) et mongoles (fig. 7, n 12) sont des lames corroyées du type 8 «tranchant d’acier soudé», La lame comporte deux mises : un dos de fer doux et un tranchant hautement carburé, de qualité remarquable. Un couteau mongol du Sin-Kiang (fig. 7, n® 12), que nous avons étudié, présente une teneur au tranchant presque équivalente & celle des meilleurs aciers de lames de rasoirs. Les propriétés de ces lames sont presque idéales, égales & celles du poulad dans la pratique puisque le corps d’acier doux compense la fragilité du tranchant, Du point de vue technique, elles mar- FP Notes pour une histoire des aciers 45 quent un avantage net a la fois sur le poulad, de préparation délicate et de forgeage difficile, et sur les aciers homogenes: plus cofteux et nécessitant un appareillage technique indus- triel. Une petite quantité d’acier au creuset suffit pour un nombre considérable de couteaux ou de haches. JAPON Les aciers d’Asie centrale permettent de comprendre "his- toire presque inconnue du sabre japonais. Les sabres japonais les plus anciens remontent au v* vut siécle de notre ére (fig. 7, n° 14). Ils sont alors rectili- gnes, de méme forme que les sabres chinois de Age du Bronze et que les sabres tibétains actuels. Leur lame est en corroyé fin: de longues bandes droites et minces soudées groupent le métal moyennement carburé vers le tranchant. L’aspect est trés proche, dans la forme générale (manche dit «en crosse de fougére») et dans la texture de la lame, des sabres actuels en corroyé fin de Ia Sonde orientale, ce qui crée des interférences possibles avec le domaine méridional du pamor. Il serait trés intéressant de savoir quelle était la texture des lames centre-asiatiques de la méme époque. A partir du vu sigcle, le sabre se courbe légerement, peut-étre par une lointaine influence iranienne qui a laissé des traces au Japon dans d'autres domaines (objets iraniens du trésor de Nara). La lame prend sa texture définitive: dos de métal doux et tranchant soudé d’acier trés carburé. La virtuo- sité des forgerons de sabres jouera pendant plus de mille ans sur cette formule, conduisant les deux métaux vers une pureté idéale, soignant la soudure qui prend des aspects infiniment variés, allant de la ligne droite aux vagnes furiensement dé- chainées tout le long du tranchant, Peut-on conclure?-II est impossible de dresser, un tableau absolument cohérent. On pergoit trés bien les diverses formu- les et une partie de leur évolution locale. Il existe un fonds, & la fois eurasiatique et afticain des fers primitifs, homogenes et peu ou pas carburés. Ce fonds, qui débute dés l’apparition du fer, persiste par places jusqu’a nos jours. On le rencontre en 46 Le fil du temps bien qu’en Europe ou en Afrique oi il reste prédominant, aus Chine. Le corroyage semble résoudre une premidre recherche de Vélasticité, Quand apparait le corroyage simple, le «fer re- fendu»? Une étude des lames anciennes (Hallstatt, La Téne) livrerait peut-étre des indications. II serait utile, surtout, de se retourner vers Orient et I'Eurasie centrale. L'aciérage marque une route différente. Technique relati- vement récente, il évolue d'une part vers la recherche d'un acier homogane, & notre maniére actuelle, d’autre part vers le corroyé & deux métaux dont les aciers du type poulad semblent étre une ‘mutation. Le corroyé & deux métaux pourrait étre le domaine le plus intéressant, du fait des interférences esthétiques. Il dessine trois nappes sur la carte (du moins provisoirement). La pre~ mitre est occidentale: épées mérovingiennes et poignards caucasiens, il devrait, pour I’Europe, étre facile d’enrichir la documentation encore dérisoire. La seconde couvre I'Indoné- sie, c'est le domaine du pamor avec ses deux divergences Tune d’allure régressive (corroyé simple), l'autre progressive (corroyé fin & tranchant carburé). La troisitme nappe est immense et mal définie géographiquement, elle va des Kirghiz au Japon et intéresse le corroyé & tranchant soudé d’acier carburé. Il semble que, dans I’état actuel de la documentation, il soit ifficile de dépasser les termes de cette esquisse. [NOTES BIBLIOGRAPHIQUES 1. FRANce-LaNonn (A.), «La fabrication des épées damassées aux épo- ques mérovingienne et carolingienne », Le Pays gaunois, 10° année, n® 1, 2, 3, 1949. 2. GUSTAFSON (G.), Norges Olktid Mindesmaerker of Oldsager, Oslo (Kristiania), 1906. 3. CHANIRE(E.), Recherches anthropologiques dans le Caucase, ¢. 4, Paris, 1887, 44, LEROKGOURHAN(A.), Miliew et Teciniques, Patis, Albin Michel, 1943, p. 39 et suivantes, fig. 646 2 657. | chee ce ihe i Notes pour une histoire des aciers 47 5. BLEW (N.), «Sule "dams oe ees lames ames, tba Caio, Tae 18 "Saon() la Blogrphe gor de heron, wl ate | one See 88, 5: son) Raney, Init and he Arte wile Care, nom Yor 0, atop pope he mee. ie 9 Mae, 4. acoso, Pehle oplchat rah laden amerite, | , sePtanbourgy 1847, ef A, Loko-Gouninss ardor Pefiane | ponds Pare 94s, fe 33. Tramuy at Mom de flnnte drehwolos, | vol XVI, | II Ou en est I’ ethnologie ? Depuis quelques années il est devenu de tradition, chez. les ethnologues, comme d'ailleurs chez d’autres spécialistes, de définir le champ, les limites et l’esprit de l’ethnologie. A cette préoccupation répondent deux besoins, d’importance diffé- rente: expliquer au monde extérieur, qui ne semble pas bien saisir les contours de notre discipline, ce qu’est I’ethnologie et tenter, vis-a-vis des spécialistes, de délimiter une ethnologie «d’appellation contrélée», catégoriquement distincte d’une sociologie, d'une anthropologie sociale, d'une géographie humaine, d'une histoire non événementieile. La valeur des efforts qui ont été faits dans ce sens et, il faut le dire, leur caractére a demi convaincant, m’étent tout désir de définir I’ethnologie, discipline dont je pergois pourtant tres clairement I'existence et & laquelle je suis convaincu de consa- crer mes efforts. Les raisons de I'imprécision trés réelle des contours de Iethnologie, pour l’ethnologie francaise en parti- culier, tiennent & la fois 3 son histoire et & sa constitution. Le destin de l'ethnologie parait étre de dégager la structure intime du fait humain, par des procédés variés mais conjoints ou confrontés. Elle a été édifiée par des sociologues, des anato- mistes, des préhistoriens, des linguistes, mais elle n'est ni toute sociologie, ni toute anthropologic, ni toute préhistoire; elle est équilibre, provisoire et personnel & chaque ethnologue, entre deux ou plusieurs des sciences humaines. Cette situation explique le caractére mouvant et individuel des ‘définitions qu’on peut donner de la plus humaine des sciences humaines, elle explique également pourquoi des ethnologues se détachent périodiquement du noyau idéal, portés par leur spécialisation dans une voie de recherche qui rallie l'une des disciplines convergeant a l'étude des faits humains. A l’inversé, I’ethno- 52 Le fil du temps logue a parfois tendance a resserrer son champ de recherche et a pratiquer une sorte d’ «humanisme primitif» dont il ne ressort finalement que les aspects curieux. Les mots mémes expriment ce jeu dont on verra plus loin qu'il n'est pas uniquement le fait d’une dispersion, d’un man- que de choix cfficacc. Dans toutes les langues de civilisation les mots anthropologie, ethnologie, ethnographie existent et s’appliquent & I’étude de I'homme, mais, dans toutes les langues, lorsqu’on parcourt histoire de ces trois mots, on s'apergoit que leurs acceptions se sont constamment croisées et recouvertes : il serait vain de donner (méme en francais et pour le ‘moment présent) une signification étroite 4 chacun deux: lanthropologie est fréquemmen: comprise comme étude de ’homme dans son physique et ses races, l'ethnolo- gie est considérée par la majorité comme la synthése des sciences de I’homme (c’est dans ce sens que nous en usons ici), 'ethnographie comme l'ensemble des techniques de des- cription des faits culturels, mais les exemples sont nombreux parmi les chercheurs contemporains d'une répartition diffé- rente des définitions. Le mot «ethnologie» mérite peut-étre quelque préférence par ce qu'il fait état de la réalité ethnique, du groupement des hommes en sociétés. Le fait humain individuel est en effet insaisissable pour l’ethnologie: sur le plan racial, technique, social ou linguistique, l'homme apparait vivant parmi d'autres hommes et il est incompréhensible si I’on ne fait pas intervenir 4i la base cette valeur essentielle. EVOLUTION DU CONTENU DE L’ETHNOLOGIE L'ethnologie est un complexe scientifique plus qu’une science et I’histoire de son contenu actuel est sans doute la meilleure définition qu’on en puisse donner. Ce contenu a évolué de manitre & peu prés équivalente dans les différents pays, mais I’évolution de I’ethnologie francaise offre des traits renforcés par la personnalité éminente de plusieurs fondateurs d’écoles ou d’institutions. Ii serait vain de chercher des précurseurs : les Sumériens ont Ow en est l'ethnologie? 353 déja parlé des peuples et des institutions, et rien n’interdit de considérer César comme un distingué spécialiste de l’ethno- graphic des Gaules. Le xvmi® siécle a connu de véritables ethnographes en nombre respectable, mais toujours doublés par une autre fonction, celle de géographe, de naturaliste, de missionnaire ou parfois de négociant. Les philosophes ont employé les matériaux que leur fournissaient les voyageurs pour tenter une premiére synthése sur l'homme. C’est entre 1830 et 1866 que la situation actuelle commence a prendre forme : la sociologie nait entre les mains d’ Auguste Comte, la préhistoire entre celles de Boucher de Perthes, l’anthropolo- sie physique entre celles de Broca, le mot pour toutes les vues «orientales», voire extréme-orientales, dans le style «tam-tam » chaque fois que la peau des figurants s*obscurcit. Ils aiment un commentaire spirituel et léger, avec une pointe d'ironie et quelques exotismes de langage, un peu dans le genre des meilleurs morceaux radiophoniques. Pour le reste, on ne saurait dire quels sont leurs désirs ; si les cinéastes ne proposaient que de bons films et si le public avait une’ voix pour réclamer de bons montages, ils accepteraient certaine- ment d’améliorer la production. Le public n’a pratiquement pas d’influence sur le plan Cinéma et sciences humaines 61 ethnologique. II ne passe qu’en dernier, quand tout est terminé et que des sommes importantes ont fait du film un produit qu'il faut écouler. Tl est mal situé pour juger, puisque c'est pour subir qu’il entre dans la salle et il absorbe généralement assez passivement le documentaire. Ce qui ne veut pas dire qu'il soit indifférent a la qualité: il sait trés bin distinguer entre une demi-heure de bon spectacle et vingt francs qu’on subtilise en Jui tuant médiocrement trente minutes, LE FILM DE RECHERCHES Le film de recherches doit ignorer complétement les fins ‘commerciales. Cela serait évident si presque toutes les mis- sions qui partent ne songeaient au remboursement d’une partie de leurs frais par un documentaire. Il ne faut pas méler les genres. On peut en revanche superposer les exigences lors-

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