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Menard 20070000 - L'avenir de La PA
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Augustin Menard
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Augustin Menard
L’avenir de la psychanalyse 1
La psychanalyse est avant tout une pratique issue d’une rencontre avec
le symptôme. C’est une pratique qui a des effets, et souvent plus rapides
qu’on ne le croit. C’est aussi une théorie qui découle de la pratique et qui est
d’autant plus rigoureuse qu’elle se heurte en retour à ses effets sur la pra-
tique qui la vérifie ou l’invalide (en ce sens elle est évaluable).
Ma thèse est simple : l’avenir de la psychanalyse c’est le symptôme, car
le symptôme est le témoin chez l’individu, comme dans les sociétés, d’un
irréductible qui fait objection, grain de sable, à toute approche qui se vou-
drait totalisante, exhaustive. Encore faut-il qu’il y ait des analystes à la hau-
teur de leur acte.
Freud a inventé la psychanalyse parce qu’il s’est soumis au réel du
au fait que le langage ne peut rien dire de la vie, du sexe et de la mort. La rup-
ture effectuée par le langage entre la condition animale et la condition
humaine impose à l’homme des énigmes. Si Heidegger peut formuler : « Seul
l’homme meurt, l’animal périt », c’est qu’il y a pour l’homme le langage.
À l’inverse, ce manque est source d’un désir indestructible et recherche
d’une jouissance, véritable sel de la vie qui va bien au-delà de la satisfaction
du plaisir. D’emblée Freud a repéré dans le symptôme un contenu lié aux
questions concernant la vie, la mort, la différence des sexes, et que la vérité
du sujet se référait au sens des désirs refoulés. Les symptômes les expriment
d’une manière déguisée. Mais en outre, et on l’oublie souvent, ils réalisent
une satisfaction substitutive à ces désirs. Les symptômes sont porteurs d’une
jouissance vitale, c’est là que s’expriment les pulsions.
Du fait du langage, la pulsion n’est pas l’instinct, le désir n’est pas le
besoin, la demande n’est pas simple communication. Il y a une rupture radi-
cale non entre le corps et l’esprit, mais entre le savoir, l’épistême, le signifiant
et le psychosomatique. La coupure est épistémo somatique. Il convient de
délimiter sévèrement d’un côté le champ d’action de la psychanalyse et des
psychothérapies orientées par elle, de l’autre celui du cognitivisme, des TCC
et de toute psychologie fondée sur l’éthologie animale. Ce deuxième champ
est non moins respectable que le premier car l’homme est soumis aux lois de
l’éthologie animale, mais pas seulement à elles, je me réfère ici à Derrida 3.
la liberté du sujet.
Il convient de préciser cette place par rapport aux autres disciplines pour
en démontrer la spécificité, et démontrer que loin d’être en rivalité, elles ne
peuvent que s’enrichir mutuellement.
Freud a découvert un nouveau discours qui révèle l’échec, les impasses
des autres discours. Le discours psychanalytique n’a pas pourtant un privi-
lège sur les autres puisqu’il est lui-même soumis à un ratage de structure.
Son seul avantage, c’est qu’à le repérer il est possible de l’utiliser pour lui
trouver une autre issue.
Psychanalyse et philosophie
jouir). C’est une vérité qui demeure et qui est même renforcée par l’échec de
sa mise en pratique dans le communisme. À vouloir combler la faille que
révèle le symptôme, un autre symptôme se substitue au précédent : c’est le
totalitarisme bureaucratique qui fait retour dans nos sociétés capitalistes.
C’est là que gît le risque du « tout évaluation », car l’utopie est de vouloir
supprimer cette faille. C’est la thèse que soutient Freud dans « Malaise dans
la civilisation ». Mais, la psychanalyse a un avantage sur la philosophie sou-
mise à la seule logique, à la seule cohérence de son raisonnement, car elle a à
s’affronter quotidiennement à la réalité de la clinique. Cela pourrait se
démontrer à partir de ce texte superbe de Michel Foucault « Maladie mentale
et personnalité 5 ».
L’important pour le psychanalyste est de se régler sur une éthique des
conséquences, non sur celle des intentions, et c’est par ce biais que la psy-
Psychanalyse et science
mum vers elle, mais qui s’en sépare. La science vise l’objectif, la psychanalyse
le subjectif, la science l’universel, la psychanalyse le singulier, le un par un.
La science le mesurable, le quantitatif, les statistiques, la psychanalyse le qua-
litatif, le non-mesurable. La science vise le savoir dans le réel, « Dieu ne joue
pas aux dés », nous dit Einstein, la psychanalyse relève d’un réel sans loi,
celui qu’Einstein refusait à Niels Bohr. Malgré ces oppositions de principe, la
psychanalyse tend vers la science, nous l’avons vu au sujet du transfert et
pour autant qu’elle ne soit pas mesurable elle ne doit pas se refuser à une
évaluation comme le souligne le professeur Widlöcher tant dans son livre Les
nouvelles cartes de la psychanalyse 6, que dans son entretien avec J.A. Miller 7, si
elle ne veut pas être rejetée, mais sous la réserve expresse que cette évalua-
tion spécifique, tienne compte du facteur qualitatif, du sujet, et du cas par cas
(ce qui ne saurait relever que de chaque école et en aucun cas de l’État). Et,
d’ailleurs un réel se dégage de la série des uns par un, comme le démontrent
les mathématiques (séries convergentes ou divergentes).
Psychanalyse et médecine
Psychanalyse et religion
l’aider à faire quelque chose d’autre de son symptôme. Il doit intervenir dans
le malaise de la cité.
C’est ainsi qu’au CPCT de Montpellier nous accueillons gratuitement qui-
conque souhaite venir exposer ses difficultés et s’informer sur les possibilités
que la psychanalyse lui offre. Dans certains cas, des traitements de courte
durée y sont proposés, dans d’autres une orientation adéquate, fonction du
discours et du choix de chaque sujet.
Dans d’autres expériences, des psychanalystes vont ainsi auprès des
enfants, dans les quartiers difficiles faire une offre qui n’est pas celle d’une
cure classique, mais d’une écoute différente qui infléchira parfois de façon
décisive le parcours de vie d’un sujet, lui permettra de faire un pas de côté.
C’est ce que vise le CIEN lorsqu’il met au travail des acteurs issus de diverses
disciplines mais ayant tous affaire à des enfants.
Fidèle à l’axe choisi, je prélèverai parmi ce qu’il est convenu d’appeler
les nouveaux symptômes, et sans aucun souci d’exhaustivité trois exemples
démontrant avec Hölderlin que « là où le danger croit, croit aussi ce qui
sauve ».
Je choisirai l’anorexie, les nouvelles formes de psychose, la violence.
L’anorexie
La violence
Ici, le problème est beaucoup plus complexe. Bien sûr, la pulsion de mort
freudienne (la discorde a précédé l’harmonie) est à l’œuvre mais cela ne suf-
fit pas. Le refus de la différence, de la singularité est une autre forme de la
négation du manque radical que préserve le langage. Le langage permet d’in-
terposer un tiers dans la relation mortifère (en miroir) avec le semblable.
Cliniques Méd 75 18/03/07 11:35 Page 189
Lorsque ce tiers manque c’est la lutte entre le moi et son semblable. C’est la
lutte à mort du maître et de l’esclave qu’analyse Hegel.
Ce refus de la différence, c’est ce qui fonde le racisme, qui modifie la
structure de la famille avec l’invention de la « parentalité », qui a remplacé le
binaire père/mère. Il est important de repérer que ce refus de la différence est
en germe dans l’idéal démocratique, du tous pareils. Marcel Gauchet dans La
démocratie contre elle-même 12, Jean-Claude Milner dans Les penchants criminels
de l’Europe démocratique 13 l’ont bien démontré. Ce n’est pas la démocratie qui
est en cause, c’est de ne pas reconnaître l’impossible en cause dans le « tous
pareils ». Le fondement du racisme, c’est le refus de la singularité de la jouis-
sance de l’autre. Le « tous pareils » veut dire qu’est gommée la différence
sexuelle, la différence entre père et mère, c’est un monde de miroirs où
l’image de l’un renvoie à l’image de l’autre et où la seule issue est mortifère
La clé (ou du moins une des clés), ce sont les jeunes des banlieues qui
nous la donnent : le respect. Ils n’ont pas lu Kant. Ils ne respectent à l’occa-
sion ni rien, ni personne sauf peut-être la force du petit chef. Ils ont pourtant
raison car notre société ne respecte pas ce qu’est l’intime de l’être de chacun
qui le différencie de tous les autres. L’idéal du même conduit au piège du
communitarisme, qui est un nouveau refus de la différence. Le respect
s’adresse à l’être humain qu’il soit voyou ou criminel, le refuser c’est le pous-
ser à s’adjoindre à d’autres pour exprimer par la violence ce qui lui est refusé
dans le discours.
Lorsque nous regroupons sous un seul vocable, une seule nomination
imaginaire les anorexiques, les drogués, les déprimés, les psychotiques, les
adolescents, les vieillards, etc., nous abolissons ce qui fait leurs différences,
nous nourrissons le symptôme qui est refus, révolte, précisément contre cela.
Le respect réintroduit le tiers entre semblables, disjoignant ce qui n’est pas du
pareil au même.
POUR CONCLURE
J’ai pris le parti d’être optimiste du moins à long terme, car, nous dit
Lacan : « Ce n’est pas moi qui vaincrais, c’est le discours que je sers. » Cet
optimisme ne doit pas nous empêcher d’être vigilant et de continuer à lutter
pour les apports de la psychanalyse à notre civilisation car sinon bien des
dégâts sont possibles qu’il vaudrait mieux éviter. J’espère avec Lacan que la
psychanalyse permettra « une issue du discours capitaliste 14. » Je me refuse
à penser que l’homme puisse opter un jour pour l’adaptation contre la créa-
tion, préférer l’exactitude à la vérité, la servitude à la liberté. L’homme futur
acceptera-t-il de se soumettre à un nouveau totalitarisme bureaucratique qui
le réduirait à une marchandise, à une unité comptable, à un chien de Pavlov ?
À l’inverse et pour tempérer cet optimisme, Annah Arendt 15 a montré com-
Résumé
L’avenir de la psychanalyse c’est le symptôme. Elle seule y reconnaît non un trouble
(qui n’en est que la surface) à éradiquer, mais une réponse à un défaut structurel, une
faille, tant du sujet (castration) que de la société (malaise dans la civilisation). Le
symptôme est contingent dans sa forme, mais nécessaire dans sa fonction, il comporte
un noyau réel, indestructible et il revient à la psychanalyse de conduire chacun à
« savoir y faire avec ».
Discipline autonome, elle révèle l’impasse des autres discours et spécialement celui
Mots clés
Symptôme, réel, faille, sujet, inconscient, désir, jouissance, anorexie, psychose, violence.
Summary
The future of psychoanalysis is the symptom. Only psychoanalysis recognises within
it not a trouble to be eradicated (which is mearly superficial), but an answer to a struc-
tural defect, a flaw, as much for the subject (castration) as for society (civilisation and
its discontents). The symptom is contingent in its form, but necessary in its function.
It includes a real core, indestructable, and it is up to psychoanalysis to lead each one
to a way of « making do with it ».
An autonomous discipline, it reveals the impasse of other discourses and especially
the CBTs. Psychoanalysis does not exclude the inevitable failure, but uses it as a lever.
In being docile to the discourse of the subject of the unconscious, in allowing desire
to express itself and in respecting the particular modes of jouissance, psychoanalysis
extends the field of its application to new symptoms. Anorexia nervosa and the new
forms of psychosis are its paradigm. In return, it receives the keys for broaching cur-
rent societal phenomena : violence, sexual or family identity…
Keywords
Symptom, real, flaw, subject, unconscious, desire, jouissance, anorexia, psychosis, violence.