Chapitre 2
Renouveau du monde
des réguliers et avénement
des ordres mendiants
les cOURAWrS Avosrouiques ot évangéiques qui, depuis le milieu du
AP siécle, constituent un puissant ferment régénérateur de la vie religieuse en
Occident, se sont montrés particuligrement influents dans le monde des
éguliers. Fondé sur la seule régle de TEvangile, qui appelle& « suivre nu, le
Christ nu », selon la formule de saint Jérdme (+420) frequemmenteitée dans
Festextes de Tépoque, leur idéalrésde en une vie de pauvreté, de fraterité et
He service du prochain. Signe de sa fécondité,cete souche commune a ins
ir de nombreux mouvements qui frappent par leur diversite: formes des
Boies traditionnelies du monachisme ou de lérémitisme, mais aussi formes
Aouvelles de vie réguliére qui tentent de conclir vie active et vie contempla-
= Marthe et Marie, pour reprendre les deux figures évangéliques sur les
les on a beaucoup médité-, au service tant des malades et des pauvres
des causes de la fi, sur le terran militaire ou pastoral. En sont issues des
‘originales de « vie sous une régle », sans équivalent dans les Egises
ales et IE glise byzantine
per la conviction que chacun doit exuvrer& son salut, le mouvement
pas uniquement dans le milieu des gens d'Eglise Il affecte égale
Bet ces une nouveauté notable ~ le monde des lacs ot émanent des
Originals de vie religious, face auxquelles le magistére na pas
feuune réaction de refus Fait plus singulier encore, au sein des las,
Hes femmes qui ont été les plus présentes, tant au Nord de la chré-
tes pays flamands, qu'au Sud, dans la péninsule italienne, preuve
Sspiations étaient largement partagées. Crest dans un tel contexte
ent de situer la naissance des ordres mendiants dont la grande
lique sans doute parla synthése achevée que leurs fondateurs
Berier sur le terreau quia vu sépanouir ces divers courants.34 A Eglise ex socieé en Occident
Mais avant de se stabiliser et détre intégrées dans Finsttution eccésiale,
parfois au prix dimportantes adaptations, de telles nouveautés ne se sont pas
frayé un chemin sans rencontrer des dificulés et susciter de vives réactions de
la part de ceux que bousculat la transformation de Tancien ordre des choses,
Ordres anciens et expériences nouvelles
Avant méme Vavénement des ordees mendiants, le paysage des réguliers
stait déja beaucoup diversfé en Occident, Ce constat, auquel sajoute celui
de la floraison spectaculaire et simultanée des Béguines en Flandres et des
Pénitents en Italie, manifeste la forte attractvité de la vie réguliére sur un
nombre important de fdéles, qui ne se contentent plus dadmiter cette voie
de perfection et de soliciter la pre de ceux qui font adoptée, mais enten-
dent aussi en vivee& leur maniére,
Diversité des ordres religieux a la fin du xi" si¢cle
Ala fin du xt'sile, le monachisme ancien, msjoitairement de tradition
bénédictine en Occident, ext encore puissant et bien vivant. Il continue &jouir
«un prestige dont témoignent les dons gui viennent toujours grossir les patr-
moines des divers établissements, en échange des prigres de la communauté,
De méme, les demandes dinhumation entre leurs mues se poursuivent. Li
moines nois, appelés ainsi en raison dela couleur de leur vétement en étoffe
sgrossire, la bur, sont principalement représentés parle vaste réseau des mai
sons clunisiennes,unies par des lens de nature spirtuelle dans ce que ls his
joviens nomment Ecclesia cluniacensis (Dominique logna-Prat) partir de
rabatiat de Hugues V (1199-1207), cell-ci sorganise en un ordre institution
nelsolidement charpenté et régisur le modele itercien parla reunion annuelle
du chapitre général. Quils soientrattachés & Cluny ou non, es monastézes
Dénédictins ne connaissent pas létat de déeadence que Ton a pu décrire leur
sujet, du moins jusqu’ la Peste noire (1348): Fexemple de Seint-Albans en
Angleterre bien documenté pa le célébre chroniqueur Matthieu Paris (1259)
quiya vécu, prouve le contaire, comme bien d'autres su le continent.
Egalement membres de la famille bénédictine, les établissements cster:
ciens, unis entre eux par des liens de flation, forment un ordre trésstructuré
dont le fonctionnement repose su
‘Charité: les abbés des maisons « méres » visitent tous les ans les maisons
«filles» et tous les abbés se retrouvent lors des chapitres généraux annuels,
‘Au début du Xit" site, les Cisterciens apparaissent encore comme les fers
de lance de lise, auréolés de la rigueur avec laquelle ils ont voulu « reve
nir» la juste observance de la régle de sant Benoit, fasant en réalité de ce
texte une relecture inspieée par les courants évangéliques, Cette relecture
‘met au cteur de la vie monastique le retrait du monde, la pauvreté et lascése
Renouveau du monde des rgulirs etavénement des ordres mendiants ¥ 35
par le travail Leurs maisons irriguent toute la chrétienté y compris dans ses
partes les plus lointaines, en Ecosse, en Europe centrale, et dans les actuclles
Pologne et Livonie. Comptés au nombre des moines dts blanes, puisque leur
robe de bure est de ine brute, non teinte,etparoisimproprement appels « fis
de saint Bernard (+1253) », dont la forte personnalité a profondément marqué
tun ordre fondé par Robert de Molesme (+1111), les Cisterciens commencent &
late victimes de leur succts, Un succts qui est dabord économique, dans la
mesure oi leurs monastéres ont parfaitement su sadapter aux activités de leurs
diverse régions implantation, produsant dela laine en Angleterre, du vin etd
miétal en Bourgogne ou des céréales ailleurs; sects qui est aussi instittionnel
Jeu haute image t leurs compétences attirent les solicitations dela papauté qui
Jes envoie su tous les front dffiiles, comme en pays abigeois. Cet enrichisse-
‘ment et ces faveus du pouvoir en arziventterir leur image aux yeux des fidales
atuxquelsnéchappe pas cete contradiction avec Fidel primi.
engouerment pour le mode de vie érémitique, qui a été & Torigine de
rombreuses fondations dordres nouveaux des le XI siécle eta cours dt Xi
se tarit quelque peu. Les ordres le mieux implantés, les Chartreux ou, en
Italie, les Camaldules, fen poursuivent pas moins une croissance réguliéreet
accueillent de bells figures spirtuelles, si Ton en juge par Terre laissée par
Hugues de Miramar, chartreux & Montrieux (Var) au miliew du Xu sce, le
Liber de miseria hominis,
Le xar*siécle a aussi connu Tessor d'un mode de vie emblématique des
courants apostoliques, que les Carolingiens sétaient deja efforcés de pro
mouvoir désle 1 sigcle les chanoinesréguliers. Tout en se pliant aux enon
‘cements imposés parla vie commune (prigre au cheeut, pauvreté personnelle,
ortoir et réfectoire) que leur impose la régle de saint Augustin, ils consa
rent aussi une part de Jeu temps Faction pastoral, & 'éducation dans leurs
coles, étude et & accueil des malades. En matiére encadrement des fid?
les il faut donc compter avec leur réseau, particuliérement dense, & suivre
exemple des Prémontrés fondés par saint Norbert en 1121 et implantés en
Allemagne, Pologne, Hong, Angleterre et dans le nord dela France. Autre
maison de chanoines réguliers, labbaye de Saint-Victor, Pari, set affirmée
comme un trés brillant centre intellectuel dont la réputation sessouffle
cependant au xt siécle
Lintérét porté aux formes de vi néguliére qui combinent action et contem
Plation sobserve également dans la loraison des ordres hosptaliers. Régis
par la régle de saint Augustin, comme les chanoines réguliers dont ls sont en
parti issus, le frres et sceurs soignants, organisés en communauté sépa
‘es, accueillent pauvres et malades dans les hospices qui sont alors créés en
nombre, non plus seulement par les cles, mais aussi la suite dintitives,
laiques. A Texception des Antonins et des Hospitaliers de Saint-Jean de
Jérusalem, ce dernier devenu militaire aprés une premiere phase hospitaligre
quil retrouve 4 lépoque contemporaine, ces ordres se difusent rarement36
Else et société en Occident
dans fensemble de 'Occident. Is resten: des unitésdiocésaines ou, au mieux,
régionales, comme lordre du Saint-Esprit, fondé a Montpellier ila fin dt
XI stele et dont la maison-mére se transplante & Rome ; mais il convient de
ne pas lulrattacher abusivement tous les hospices placés sous Finvocation de
la troisiéme personne de la Trinite
Le cas le plus singulier d'union entze action et pritre reste sans aucun
doute celui des otdres militaires, dont les Templiers et les Hosptaliers sont
les plus importants et qui combattaient pour les causes de la fi, formant la
nouvelle militia Christ, tant louée par saint Bernard, Leurs membres, fres
chevaliers, fetes sergents darmes et frzes de métiers qui administrent les
‘commanderies, sont tous des lais, i Iexeeption des freres chapelains chargés
de les encadter et de leur administrer les sacrements. Ce mode de vie, qui
offre 4 ceux dont la fonction sociale est le maniement des armes une voie de
salut qui leur est propre satire plus autant de vocations au xitt siete qu'il
ne fa fait au cours du xi A cela deux exceptions; la péninsule Ibérique ot
les combats contre les musulmans se poursuivent avec Tappui des ordres
nationaux de Calatrava, Alcantara e¢ Santiago, pour ne citer que les print
aux; les pays baltes oi Fordre des Chevaliers Teutoniques absorbe de petits
‘ordres eréés au XI siécle, les Porte-Gleive en Livonie et lordse de Dobrin
(du nom d'une forteresse) en Prusse
Dans leur recherche de vies de salut adaptées aux dilérents états de vie,
les nouveaux courants spirituels ont provoqué lavenement de formes part
callers de vie réguliére qui toutes, cependant, se sont rattachées tant bien
‘que mal a des régles préexstantes, celles de saint Benoit ou celle de saint
Augustin. Les experiences évangéliques les plus originales et les plus désar
{gonnantes pour le magistére sont venues du monde des lales, notamment des
Les voies évangéliques septentrionales : les Béguines
Das afin du xt siéte,apparaissent dans le diocése de Lidge des groupes de
femmes nommées Béguines; elles ménent une vie « semi-religieuse » qui
niest ni celle de Fétatlaic ni celle des rdligieuses, De Liege, Huy, Niveles,
Cignies, elles essaiment rapidement par les vallées de la Sambre et de la
Meuse, vers le Brabant, e Hainaut, UArtis et la Flandre, puis en Rhénanie
‘notamment autour du lac de Constance, en Thuringe et en Saxe, de méme
4uien Hollande et Zélande. Des villes comme Gand, Bruges, Cambrai oa
Valenciennes en concentrent un nombre qui a frappé les contemporains
elles auraient été « aussi nombreuses que les gouttes deau de la mer», dt le
chroniqueur anglais Matthieu Paris, fort bien informé. Cologne aurait compte
plus d'une centaine de maisons de Béguines ; celles-ci auraient pu représen-
fer jusqula 6 % de Ia population féminine au Xillsidele dans le terrtoire de
Factuelle Belgique. Encore ne connait-on que partiellement ce mouvement,
Renouveau du monde des réguliers et avanement des ordres mendia
assez circonscrit,puisqil est absent de VAngleterre, d'une grande parti de
|a France et de la péninsuleIbérique : es histotiens limaginent plus précoce
{ue son émergence dans la documentation ne le laisse penser et cifes dans
les campagnes. Les Béguines ont rapidement regu le soutien des puissants
tels la comtesse Jeanne de Flandre, partie de 1233, et le rot Louis IX qu
fonda vers 1260 le béguinage de Paris sur le territoite de la paroisse Saist,
Paul dans le Marais,
‘Les textes sont embatrassés pour désigner ces femmes dont le mouve
ment a surgi spontanément, sans fondateur teconnu, Dans la mesure ot
celles-civivent selon des principes religieux, sans étre pour tant des monialee
elles sont nommées muleresreliiosae femmes menant une vie religieuse)
Lorigine du nom de « béguine » est plus controversée:ellepourrat proven
de Lambert le Bégue, prétre du diocése de Liege qui, le premier, encadra le
nouvement, i moins que ce ne soit de Fadjectf qui qualifi la couleur beige
teme, de leur vétement. Le volet masculin du mouvement, les Be
connut un développement bien moindre
Uenracinement des Béguines a été durable, pulsque leur existence se
ppowrsult aux époques moderne et contemporaine, et profond. Comment ex
Pliquer ? Le fait que ce mouvement ait été principalement féminin » conduit
les historiens allemands a forger& cet égard Vexpression de Inauenfrges el
issant a perspective la question de insertion des femmes dans lac of
lire, Afin de rendre compte de cet engouementféminin pour lengagerment
Wx, certains ont avancé un premier argument dordre démographique,
faisant valoie le deficit de population masculine que pouvaient entralaes les
"isques de la vie quotidienne et la participation des hommes de laristocratie
aux guerres, croisades et rournois, Cet élément a pu jouer son rOle, mais se
‘évée insuffisant. I faut plus sdrement en venir aux dfcultés que soulevaient
'a gestion du patrimoine des établissements féminins et, plus encore, lence
Arement des moniales, la cura monialium. Rappelons tout dabord que lad
mission dans un monastére de femmes supposat la constitution d'une dot, ce
‘gui nftait pas ala portée de toutes ls familles. De plus, Iencadrement eee
‘mente et spirituel des communautes féminines n'a pas été sans réticence de
‘a part des ordres masculins qui voyaient fi un surcrot de charge et
ouverte ides tentations pour ceux qui Tassuraient. I ne faut cependant pes
exagéret fampleur de ces freins, Lordre des Prémontrés a eu demblée un
voletféminin, tout comme celui des Cisterciens quia pourtant été amené a
limiter lagrégation de maisons de fondation plus ancienne, tr’s nombreuses
‘en faire la demande dans la premigre moitié du xitrsigcl. Il état done
Pas facile dentrer dans une communauté rligieuse feminine, surtout pour
les membres de la bourgeoisie urbaine, car quelques monastéres poseient
aussi des conditions de noblesse. Les Béguines ont ainsi forgé un mode de vie
Sriginale qui répondait& dauthentiques attentes de le part des files issues
les rangsinférieurs de Faristocratie ou des couches aisces dela population38 A Eglise ex société en Occident
Ainsi la matresse du béguinage de Pais, Agnés dOrchies (+1264), est-lle
qualifige de « demoiselle» sur son épitaphe et la béguine de Valenciennes,
Marguerite Poréte (t 1310), disposaitels d'une manifest asance financiére.
‘Autant que les sourees permettent de le savoir, les Béguines ont vécu soit
seules, soit en communauté, Les Béguines islées se trouvaient dispersées
dans la campagne ; en vill, elles rsidaient dans de petites maisons parfois
situées le long des mémes rues, voire rassemblées sur le tetritoire dune
paroisse dont le curé assumait leur ercadrement, comme & Cambrai et &
oual, Mieux connus, ca ils ont laisé des archives, les grands béguinages
comportaient, outre les maisons individuelles des Béguines, une église, des
bitiments communautaires et parfois un hospice. Lensemble était disposé
autour d'un espace central: est pourquoi fon parle de « cour des Béguines »
Leur aspect ne devait pas etre trés different des béguinages reconstruits att
Xvlt sléle et que fon observe encore de nos jours en Flandre
Bien que mal connu, carina pas conné liew & la rédaction dune régle
commune, le mode de vie des Béguines sinscrit sans aucun doute dans le
courant apostolique.Hlassocie vie de pritre, travail manuel et activités carita
tives, dans un esprit de renoncement au monde, de conversion et de péni
tence. Les obligations religieuses devaientreposer sur la prigre des Heures,
peut-étre une messe quotidienne et, quand laccasion sen présentat, audi
tion de sermons. Les Béguines vivaient de menus travaux, tout en se vouant
au soin des malades et des lépreux, ou 2ouvaient aussi entretenir de petites
écoles. Nombre de béguines donnent e» effet la preuve d'une haute culture
religleuse qut leur permet de nourrir lor spirituaité,tr8s marquée par la
pidté eucharistique et mariale, et de contribuer & leur édification mutuele
Ansi la maltresse du béguinage de Parisappelée par Saint Louis et qui vena
sans doute de celui de Douai, éaitelle réputée pour la qualité de ses ser
mons, preuve que le droit de se iver & ce type dactivité,pourtant de plus en
plus monopolisée par les clercs, lui a é reconnu, Une diffrence majeure
séparait cependant le mode de vie des Béguines des autzes formes de vie rel
sieuse féminine; absence de veeux perpétuels; autrement dit, la béguine
Pouvait quitter le béguinage quand elle le voulait.
(Quo que puss dire une Beguine,
Prenezle tous en bonne par
Tout est rligion
De ce qu'on trouve dans sa vie.
Sa parole ext prophet,
Si lle it, c'est pour ere sociable
Siclle pure, c'est par déotion,
Si lle dor, elle exten exase,
Si lle songe, c'est une vision,
Sill mene, nen eroyee en.
Renouveau du monde des réguliers et avenement des ordres mendiants
Si ume Beguine se marie
Cresta son genre deve 8 el
Ses vou, s8 profession
Ne sone pas pour zouela vie,
Collec plere celles pre,
Et elec prendra un ép
Tant elle est Marthe, cantot Mari
Tantde elle se garde, tantde se mari
Mais nen dies rien que du bien
Sinon le roi ne le surat pas
239-241: Le Di des Beguine, le)
Sion en croit le Dit des Béguines du podte Rutebeuf, qui exprime une
lourde charge contre ces femmes, cest cette incapacité& sengager dans tn
choix déinitif de vie, et done linstabilité consécutive, qui a choqué certains
contemporains. Les Béguines ne rolévent daucune des categories tradition,
nelle def socité elles sont inclassabes.Ilest ensuite facile un clere, non
exempt de misogynie, 'sjonter des critiques relatives aux moeurs de ces
femmes qui restent largement dans le monde. Il sest néanmoins trouvé
autres cleres pour apprécier exemple donne par les Béguines, els Yéveque
de Cambrai, Guiard de Laon (+ 1248) et le cardinal Jacques de Vitry (F 1240)
et Maitre Eckhart (F 1328). Ce dernier a méme fait de leur mode de vie un
modéle & proposer aux femmes séduites par le discours des prédicateurs
albigeois, en écrivant la Vie de Tune dilles, Marie d Oignies. Née & Nivelles
en 1178 et marige a 'ige de quatorze ans, celle-c se etira avec son mat dans
lune léproserie pour servir les malades, avant de sétablie comme béguine
suprés du prieuré de chanoines augustins d Oignies-sur Sambreoielle cut
dans la pauvreté et la mendicité, unie au Christ parle sucrement de Tech
Fistie, Mais il faut reconnaitre que les critiques de Rutebeut se font lécho
dune attitude largement partagée par le magistire ecclésiastique, lequel
Poussa & forganisation du mouvement dans le cadre de ces « cours des
Béguines » qui, au fil du xi sigcle, ressemblérent de plus en plus & des
‘monastétes et furent placées sous la direction spirtuelle dardres recon,
dont les ordres mendiants,en raison des affinités qui existaient entre ces
eux Familles rel
En ce quil a donné a celles qui lerejoignaient la possbilté de choise un
‘mode de vie en rupture avec le modéle socal dominant de la femme mariée
et mére de famille, le mouvement des Béguines constitue un signe de Fen-
leée en scene des femmes dans la ve religieuse qui caractérise la période et
plus largement, d'une soif dapprofondissement spirituel de la part des
Iaics,
>40 A Eglise et société en Occident
Les voies évangéliques méridionales : Umiliati et Pénitents
A Tautre extrémité de TEurope, en Italle, surgissent dla méme époque des
expériences religieuses dinspiration ttés proche, olt les femmes accupent
également une place importante, quoiqae moins dominan
Durant a seconde moitié duxtr sigcle, dans ls villes de Lombardie, notam
ment a Milan, se développent des communautés de lais connus sols ke nom
loquent Uimiliati (Humiliés) qui, tout en conservant activités professionne
les et famille, e cas échéant, entendent mener une vie de priére et de renonce-
ment. lls adoptent un vétement simple e: une noutriture modest, se tiennent
A Fécart des divertssements ou des confit, sinterdisent de préter serment et
les Ecritures et méditer par eux
mémes sur leur contenu, au point que certains en sont venus & précher. Cette
initiative leur valut de subir une excommunication en 1186, avant que le pape
Innocent Ill ne les organise en 1201 en une structure complexe: un premier
ordre religieux pour des leres ou des seeurs, un deuxiéme pour des laies cont
rents, vivant en maisons doubles, qui est absorbé par le premier au milieu du
Xu site, tun trisiéme pour les lacs marigs. La vie menée par les Umi
faite de simplicité et de diserétion, aux antipodes de celle du clergé riche et
puissant de ces grandes cits prospéres, etira vers eux des esprits séduts par
les critiques anticlricales qui étaient alors proférées dans des mieux vaudois
ou proches des courantsalbigeos,tés actfs dans la région, a poque. Leurs
sommunautés devinrent en conséquence des centres actifs de résorption de
‘Vhérése, du fait méme quielles en connaisaient bien les adeptes.
Les compagnies de Pénitents, qui naissent simultanément en Italie du
Nord et du Centre, adoptent un mode de vie comparable, bien que plas mat
«qué par Iascése. Il sagit lade groupes de lacs qui, soucieux de perfe
mals désireux de conserver leur propre tat de vie, vont se lasser guid
le statur que IEglise antique avait défini pour les Pénitents, En effet, ia suite
de graves manquements publics, qui avaient troublé fordre et les conscien:
ces, les évéques pouvaient imposer& leurs auteurs de vivre sous un régime
Particuligrement rude, proche du renoncement monastique: le statut de
Pénitent, Celui-ci se caractérisait par Vinterdiction de manier les armes et
sfexercer des fonctions publiques honoriéques, de participer aux réjouissan-
ces collectives, jeux, théatre, Banquets, avoir des relations sexuells, de po
ter de riches vétements et de manger des plats raffinés. Ce régime txts
contraignant avait été abandonné, sau pour quelques cas particulers, et
Renowveau du monde des rguliers et avenement des ordres mendiants
remplac par le systime dela pénitence dite « tarifée », laborée par les mis
sionnaires venus évangéliser le continent depuis Vrlande et !Angleterre
durant le haut Moyen Age. Animés par une profonde volonté de conversion,
des hommes et des femmes, mariés ou edibataires, qui ne voulaient pas entrer
dans des ordres ou sen voyaientécartés pout les raisons évoqueées e-dessus 8
propos des Béguines, choisirent dadapter volontairement cet état devi.
Aprés une phase expérimentale, le mouvement fut approuvé par 'Eglise
en 1221 parle pape Honorius II qui reconnut son propositum, sorte de pro
gramme de vie qui nexigeait pas dengagement par des voeux. Le document
écrit ce quiétat la «vie de pénitence » adopter un vétement de médiocre
«qualité, jedner plus souvent et longuement que Ia moyenne, limiter les rela
tions sexuelles pour les époux,réciter chaque jour les Heures de a prigre ou,
A défaut, pour ceux qui ne connaissaient pas le latin, des Paternoster et des
Ave le Credo et un des sept psaumes de la pénitence, le Mserere, se
confesser et communier trois fos Fan, sabstenir de préter serment et de por
ter les armes, ceuvrer la paix dans la sockété, Les Pénitents italiens recurent
mime le droit de sédifier mutuellement par de courtes monitions, lors de
leurs réunions mensuelles, du moment que le propos n'abordait pas le dogme
(les profunda) mais sen tenait & la morale (les aperta). On a conserve des
traces de ces prédications dues & certains membres des dites urbaines for
imées aux lettres et au droit dans les écoles et les universités, beaucoup
plus nombreuses dans la péninsule italienne quiilleurs en Occident
Majoritairement présents en Italie, auss bien en Lombardie quien Ombrie ou
Toscane, les Pénitents se repérent ausi en Languedoc et en Catalogne
Bien des points communs unissent ls Lmiliati aux Pénitents, Pars rigueur
et ses exigences morales, leur mode de ve leur attire un profond respect de la
part des populations. Dans a société urbaineitalienne déchirée par ls luttes
entre factions rivales, qui opposaient les partisans de Tempereur (Gibelins)&
ceux du pape (Guelfes), leur attitude au-dessus des partis leur valu de se vo
confier des responsabilités municipales aux enjeux financiers etstratégiques
la garde du trésor et celle des clés des portes des mutailles, par exemple, sans
parler de missions diplomatiques en faveur dela paix. ATinverse leur refus de
Porter les armes et donc de sengager dans a défense collective, ra pas été aussi
favorablement recu :en compensation, is se sont vt atribuer des ches comme
la distribution de subsides aux religieux, aux pauvres et aux prisonniers.
Aen juger par la variété des mouvements qui sen réclament, on com
prend que inspiration apostolique a constitué une véritable lame de fond,
dont la dimension critique ne doit pas étre sous-estimée. Fondée sur le pres
tige qui entoure la premiére communauté des disciples du Christ, dont
exemple décrit par les Evangiles et les Actes des apétres est amplement
‘médité, elle traduit la profonde insatisfaction des dlites cultivées des grands
centres urbains devant les voies de salut jusqualors en vigueur. Le mouve
ment atteint son apogée avec la création des ordres mendiants42 A Elise et sociee en Occident
Les ordres mendiants
Les ordres mendiants ont réalisé de la maniére la plus aboutie et la plus du
ble Hexigence évangélique de la prédication verbo et exemplo: parla parole et
exemple
Les Franciscains ou Fréres mineurs
fe fondateur des Franciscains, ou Fréres mineurs, est un laie, Frangois
Bernardone 1182-1226) fils un riche marchand drapier dela citéombrienne
«Assise. Aprés une jeunesse dorée passée dans les divertisements avec les
jeunes aristocrates de son age, il se convertit pour vivre selon I'Evangile
auprés des plus déshérités, manifestant ce retournement, entre autres, par le
baiser quil donna un jour un Iépreux, malgré la vive répulsion que celui-ct
lui inspirait labandonne ses biens, les distribue aux pauivres et vit de menus
travaux en préchant la bonne nouvelle éu Christ. Exprimant sa quéte dans le
langage de laculture chevaleresque quila acquise dans sa jeunesse, Francols
dit vouloir épouser Dame Pauvreté, pour se faire petit parmi les petit, les
‘minores. Son exceptionnel charisme lu: attire rapidement des compagnons
issus des milieux les plus divers dela société, Profoncdément respectuewx de
Tautorité de Elise, il part en 1209 4 Rome avec ses premiers frees deman
der au pape Innocent III son approbation: le petit groupe devient la frater
nité des Pénitents Assise, que rien ne distinguait des autres mouvements
évangeliques qui fourmilaient alors en Ialie
Frangois concevait cependant s vie et celle de ses compagnons selon des
perspectives en totale rupture avec les institutions de son temps. La pauvreté
des frees, qui qualifie de « mineurs» tminores) pour signifier leur extrem
faiblesse sociale, était pas uniquement individulle, mais auss collective: is ne
devaient rien posséder et vivre de leur travail, avant méme de recouri la men
dicité en cas de nécessté, de maniére 4 ne pas rejoindee le monde des possé
dlants, des seigneurs, maltres dela terre ox détenteurs de rentes ls entendeient
se démarquer ainsi des autres ordres qui étaient devenus, & titre collectif, de
Fiches proprigaires fonciers, uel que sot par ailleurs le dépouillement indivi
duel que pouvaient vivre leurs membres. Autre upture, peut-ére encore plus
inédite et hors norme:
Frangoislui-méme ne recutla tonsure qu’
indedu papeen 1209 etrefusa
toujours de devenie prétre. Chacun récitat Fffice & sa maniére: es clers qui
connaissaient le latin en lisant le psautier et les lacs, en hl substituant Per et
Ave, Se méfiant de tout ce qui était susceptible de créer entre les étres une rela
tion de domination, Frangos mettait également ses frees en garde contre les
pitges du savoir, signe dune richesse matériel (les lives manuscrits sont cod
eux) et source dune supériortéintellecuelle contaite& lesprt quil voulait
insturer entre eux. Enfin, il se montralt tre réticent face aux privileges que
Renouveau du monde des réguliers et avénement des ordres mendiants 43
Fautortéeccésiastique était susceptible daccorder son ordre. Alain de sa vie
dans son Testament (1226), enraciné dans les souvenirs des debuts de afater
nité Assise et qu on constitue Fultime rappel de son projet, Frangois renou
velle avec vigueur Fexpression de ces trois renoncements fondamentauix: &
avoir par la pauvreté, au savoir par Fhurnlité et au pouvoir par labéissance
La mise au point simposait €autant plus que a fraternité AAssise avait ees
vite connu une croissance spectaculaire qui en bouleversait Forgansatior
Comment adapter ces principes a des centaines puis des millers de frre, sans
en tahielesprit? Comment passer « de lintuition a Finstitution » (Théophile
Desbonnets)? En la personne dHugolin, cardinal protecteur de Fordre, qui
devint en 1227 le pape Grégoire IX, la papauté poussait Ala mise en ordre du
mouvement, consciente de Finfluence profonde que les Freres mineurs exer
‘aient su les fides et de fappui quils étaient susceptibles dapporter Faction
pastoral. Mais Francois nétait pas an homme dinstitation ! Aprés tne pre
mie tentative de mise au point dun texte normatfen 1221, Taccord se fit sur
la regle de 1223, concession exceptionnelle de la part du magistére qui avait
interdit au concile de Latran IV en 1215 (Canon 13) la eréation de toute nou
velle forme de vie réguliee. Lordre des Fréres mineurs devat ére gouverné
par un ministre général; les provinces, elles-mémes divisées en custodies,
ialent placées sous la responsabilité de ministres provinciaux et les couvents,
de gardiens le vocabulaire employ diffrent de celui des ordres monastiques,
enditlong surla perspective de service (tel estlesens étymologiquede « minis:
‘ae ») fraternel qui devalt guider Iexercice de ces fonctions. Chaque année us
chapitre général était censéréunir tous les fréres pour approuver les décisions
relatives la vie de Fordre: ils avaent été pra de 5 000, en 1217, & Asse, au
chapitre dit « des nates» (sur lesquelles ils étaient assis)!
‘Tout au long de sa vie, Francois a éprouvé avec une intensitéextréme les
tensions qui traversent son projet, entte les exigences d'un évangélisme radi
cal et sa déférente oblissance institution ecclésiastique, entre ses ardeurs
‘missionnaires qui visalent 2 évangéliser univers (lest allé en 1219 rencon
ter le sultan Malik al-Kamil, en Egypte, dans un esprit opposé 8 celui de li
croisade) et ses aspirations ascétiques et érémitiques. I se consacra plus
régulibrement a ces dernigres vers a fin de sa vie, alors quil était ronge pat
la maladie. Lun de ses séjours dans le massif montagneux de La Verna, en
1224, fut, autant que on puisse le savoir, marqué par une expérience myst
que particuliérement intense: vision d'un séraphin, révélations sur lavenir
de son orde, impression sur son corps des cing plaies dela Passion du Christ,
aux mains, aux pieds et au cété. La maniére dont Frangois @ constamment
tendu & se conformer au Charis, ce dont ces stigmates, restés cachés jusqu’a
Sa mort, apportaient la confirmation dans sa chai, en a fat aux yeux de ses
fréres un alter Christus, un « autre Christ», dant la saintetéa été reconnue
ds son vivant etofiialisée par Egise en 1228, tout juste deux ans aprés saEglise et société en Occident
Toutes ces tensions, Francois les a léguées & son ordre elles sont & For:
gine des conflts qui vont déchirer les Freres mineurs au long dela période et
‘opposer une fraction entre eux la papauté. Deja durant la ve de Francois,
mais plus encore aprés sa mort, plusieurs éléments vont contribuer &inflé
chir le projet initial Le premier réside dans lentrée massive de cleres dans
ordre, ce qui en modifi la tonaité et limite les affintes qui étaient les sien
nes avec la culture laique, Texemple deson fondateur quia laissé une eure
de poésiereligieuse en langue vulgare dont le Cantique des eréatures ou de
frére Soleil constitue la piéce emblématique. Un second tient a la manitre
‘dont les Fréres mineurs vont se trouver de plus en pls étroitement associé
{intense action pastorale que a papauté entend promouvoir des le début da
Xillsidcle, en vue diéradiquer Uhérésie et de répondre aux aspirations des
fidéles. Or eur rayonnement et leur parfite orthodoxie en font des auxili
res précieux dont il nest pas question de se priver: Francois nia jamais déve
Joppé, hormis par lexemple de sa vie, de critique envers Finstitution et sest
tenu dloigné de toute forme de dualisme par sa louange vibrante de la
Création, euvre divine. Les oscillations qui marquent les premiers temps dt
gouvernement de lordre se font Fécho des affrontements qui le déchirent. Ils
‘opposent un groupe qui souhaite conserver lesprit du fondateur et un autre
‘ui, Vimage de frére Elie de Cortone, accepte de sengager sur la voie dune
intégration dans les structures ecclésiastiques traditionnelles. En consé-
quence, fordre en vient & recevoit les prviléges prodigués parla papauté,&
posséder des biens,fOt-ce par le truchement d'un ters, ot procureus, et &
Detmettre aux fréres dese liver aux études par lesquels ils se forment & la
prédication. Le symbole de cette voie se trouve dans la somptueuse basilique