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Frédéric-Auguste Bartholdi, Apitre de la Liberté LA LIBERTE éclairant le Monde, la célébre statue de Bartholdi, érigée sur I’lle de Bedloe dans la baie de New York — devenue depuis Liberty Island — Depuis deux ans, épisodiquement, la presse nous apprend qu’elle est malade, rongée par le temps, inexorable destructeur. It faudra plus qu’un “lifting” pour redonner a fa vieille dame franco-américaine une seconde jeunesse, mais déja les ingé- nieurs s’emploient a effacer “des ans l'irréparable outrage”. Frédéric-Auguste Bartholdi fit partie de cette génération frap- pée par la guerre de 1870 si lourde de conséquences pour la France et qui développa chez nos Grands-Aieuls l'image de la Liberté. II vit |e jour le 2 aodt 1834 a Colmar. Issu d’une famille protestante trés aisée dont on retrouve trace en Alsace et a Paris, le jeune Frédéric-Auguste perd son pére en 1836. Madame Bartholdi, qui a un autre fils, Charles, vient alors s’installer 4 Paris. Bartholdi y par- tage son enfance entre I'école évangélique des Billettes et la mai- son familiale de Colmar qui l’accueille pendant les vacances. Puis c'est le lycée Louis-le-Grand. Sa mére le destine au Barreau. Mais Bartholdi fréquente le lycée avec irrégularité, préférant le dessin — pour lequel il est doué — et l’architecture aux autres travaux scolaires. Précoce d’esprit, intel- ligent, ayant du caractére, il suit bient6t sur le conseil de sa mére qui a compris sa vocation, des cours de dessin et de peinture. II devient l’éléve du sculpteur Antoine Etex. Puis il fréquente l’atelier du peintre Ary Scheffer qui lui recon- naitra une vocation de sculpteur. 1! est aussi l’éléve de Soitoux, le disciple de David d’Angers, et il fera de brefs passages chez les architectes Labrouste et Viollet-le-Duc. C’est ce dernier qui tui apprendra a définir dans l'espace le cadre de ses sculptures. Trés vite, Bartholdi abandonne les pinceaux et le crayon pour le maillet et le ciseau et, aprés quelques essais i] exécute a 19 ans sa premiére ceuvre : un “bon Samaritain” qu’i! présente au Salon... sans succés... la critique et le jury l’ignorent. 51 Désireux de faire un pélerinage au Pays de la Cannaissance, i! part pour I'Egypte en compagnie de plusieurs peintres, découvre les Pyramides, le Sphynx, remonte le fleuve jusqu’éa Assouan. De juillet & octobre 1856, il parcourt tous les sites, admirant ce qu'il nommera ‘‘ces 6tres de granit dans leur majesté imperturbable, dont te regard bienveillant et impassible semble mépriser le présent et tre fixé sur l’avenir illimité”’. Ce voyage en Egypte avait 6té rendu possible par sa premiére commande, regue de sa ville natale : Colmar, et relative 4 un monu- ment a élever au Général Rapp, le héros de Dantzig, un enfant de Colmar comme Bartholdi. La statue, haute de 7,70 métres, sera expo- sée aux Champs Elysées lors de l"Exposition Universelle de 1855. Ainsi commence la longue lignée de ses ceuvres, dont ta ptus con- nue des parisiens est le Lion de Denfert-Rochereau, réplique de son célébre Lion de Belfort ; mais la plus célébre étant la statue de la Liberté a l’entrée du port de New York. L’énumération des personnages historiques qui ont été sculp- tés par l’artiste est évocatrice. Parmi eux, Lafayette, Rouget-de-Lisle, Paul Bert, Gambetta, Washington étaient Francs-Magons, de méme que Viollet-le-Duc, Yun de ses Maitres en Architecture. A la déclaration de guerre le 19 juillet 1870, Bartholdi qui va sur ses 36 ans, est encore célibataire. Il ast a Clermont-Ferrand, tra- vaillant & son ‘Vercingétorix”, Ardent patriote il rejoint Paris et, comme Capitaine de |'Etat- Major général de la Garde Nationale de la Seine ou il s’est enrélé, il demande & son général d'étre muté pour trois mois a la Garde Nationale du Haut-Rhin. || rejoint alors Colmar ol, avec une cen- taine d’hommes de troupe, il défendra le pont de Horbourg devant Vattaque prussienne. Mais toute résistance est inutile... Aprés la proclamation de ta IHl* République le 4 septembre 1870, Bartholdi rejoint le gouvernement de la Défense Nationale a Tours. C'est la qu’il est nommé aide de camp du Général italien (et du Franc-Magon) Giuseppe Garibaldi sorti de sa retraite pour aider la République Fran- gaise. Ensemble, ils reforment une armée des Vosges qui, hélas, connaitra ta défaite, Aprés l'Année Terrible, Paris se rend fe 29 janvier 1871 et Bel- fort, aprés un siége de 104 jours tenu par Denfert-Rochereau, est invasti. C’était la derniére terre d’Alsace ou flottait encore le Dra- peau Frangais. Le 10 mai 1871, le Traité de Versailles donne a |'Al- lemagne l’Alsace et la Lorraine. Bartholdi dira que cette guerre, cette défaite, l'annexion de sa “petite patrie” ont eu pour iui une conséquence: l’amour de la diberté. Cette notion de liberté va orienter sa vie, son ceuvre et sa démarche philosophique. Mais revenons quelques années en arriére. A Paris vers 1865, Bartholdi était regu chez Edouard de Labou- laye, professeur de législation au Collage de France. Membre de l'Institut, député puis sénateur, admirateur du “Nouveau Monde” et historien de la Jeune Nation des Etats-Unis qui s’appréte a féter ie centenaire de son Indépendance, Edouard de Laboulaye réve de voir la France offrir un mémorial pour consacrer |’amitié franco- américaine a l'occasion du futur anniversaire de la création de la Nation américaine. En 1869, Bartholdi exécute & Colmar une pre- miére maquette. En 1870, il exécutera un autre modéle, réduit quant aux dimensions par rapport a la statue finale. En 1871, aprés le Traité de Versailles, il s'embarqua pour les Etats-Unis et choisit avec les Américains te site sur lequel sera érigée la Statue de la Liberté. C’est le 6 septembre 1872 que sont allumés les feux de la Loge “Alsace-Lorraine” a |’Orient de Paris. Cette loge fut fondée par Gustave Dalsace pour accueillir des écrivains, des hommes politiques et des idéologues d’un patrio- tisme ardent, désireux d’entretenir parmi les Ames le culte de la région perdue. Cette loge se voulait aussi I’héritiére des huit loges d'Alsace et de Lorraine entrées en sommeil a la suite de |’annexion des deux provinces par l’Allemagne. Parmi ies membres d’“‘Alsace-Lorraine", figurent aux cétés de Gustave Dalsace, Maurice Véran, Charles Lauth, Charles Risler et Louis Dusacq qui furent vénérables ; les Fréres Massel, Edmond Valentin, Adolphe Crémieux, Vial-Naquet, Jules Ferry, Théodore Rei- nach, Henri Thulié, Eugene Sée, Edouard Siebecker, Félix Roy, Henry Deloncle, Charles Bigot, Chartes Reguier. En firent également partie : Adolphe Koechlin, Bastien-Lepage, le peintre et illustrateur Félix Régamey, Savorgnan de Brazza, Benoit-Lévy, Hector Depasse et un certain Capitaine du génie Joseph Joffre dont on connait I'll- lustre carriére. Jean Macé et ses fidéles de la Ligue de l’Enseigne- ment : Coblentz, Hubert, Zopff, Vanchez et Risler, déja nommé, figu: rérent aussi sur le tableau de la Loge “Alsace-Lorraine” qui a été, écrit ’historien Pierre Chevallier, “le principal centre de diffusion des idées patriotiques”. Bartholdi y fut initié le 14 octobre 1875 en méme temps qu’Alexandre Chatrian dont le nom est inséparable de celui d’Emile Erckmann qui était déj&é membre de la Loge. Bartholdi passera ensuite Compagnon, puis Maitre. Dés lors il associera tous les Fréres de I’Atelier & ses travaux et notamment ala “Statue de ia Liberté”. Le 19 juin 1884, tous viennent voir ta sta- tue achevée avant sa remise au représentant des Etats-Unis. Le 13 novembre 1884, il fait une conférence sur les procédés d’exécution de la “Liberté éclairant le Monde”. En 1887, retour d'Amérique, sa loge est la confidente de |’accueil fait 4 la statue et au statuaire. Lorsque t’on visite le musée Bartholdi 4 Colmar, on peut voir toutes les étapes de I'étude, des différentes maquettes, des pro- jets relatifs & la Statue de la Liberté. Le visiteur fait une remarque particuliére : te diadéme de Ia téte de la statue ne comporte que cing fléches directionnelles sur les premiéres ébauches et sur {a pre- miére maquette alors que la version définitive en comporte sept !... Entre le projet et !a réalisation finale, Bartholdi avait été initié aux premiers mystéres de |'Art Royal. On s'est souvent demandé ou l’artiste avait puisé ses inspira- tions pour personnifier la Liberté par une jeune femme portant un flambeau. Bartholdi aurait trouvé son sujet le 3 décembre 1851, au lendemain du coup d’Etat, sur une barricade. Ii raconte en effet avoir vu ce jour-ta une jeune fille, une torche a la main, qui, au milieu de la fusillade, crie “en avant”. Quant au modéle de la statue, la légende nous dit que Bartholdi, au cours d’un mariage a Nancy, fait la connaissance d’une jeune et belle modiste, Jeanne-Emilie Baheux de Puysieux, qui posera pour le sculpteur et... deviendra son épouse au cours d'un voyage aux Etats-Unis en 1876. Mais d’aucuns nous expliquent que, pour le visage, Bartholdi a repris les traits de sa mére qui assistera a la remise officielle de la Statue de la Liberté en 1884. Bartholdi est un sculpteur monumental. Bien avant de lancer son ceuvre, il la “voit” la ou elle sera érigée. Avec ses quelque cent métres du sol a la torche, elle n'a pas une masse énorme. En 1885, Bartholdi écrit dans un opuscule destiné a en appeler au public amé- ticain pour collecter les fonds nécessaires au parachévement du piédestal : “... Il ne faut pas s’attendre a ce que la statue soit d’ap- 54 parence colossale, lorsqu’elle sera en place. Dans .e cadre immense qui l’entourera, elle semblera tout simplement en harmonie avec l'ensemble et aura |’aspect normal d’une statue sur une place publi- que”. Or, c’est bien ainsi que l’on pergoit la “Liberté éclairant le monde” lorsqu’on approche de I'lle en bateau. La statue est vétue d’une longue robe a l’Antique. Elle se dresse portant le flambeau de la main droite et tenant de la main gauche un livre ouvert ou est inscrite la date de l'indépendance américaine. Bartholdi congoit une statue démontable, délaissant !e bronze fondu pour une armature en fer sur laquelle seront fixées, par des rivets, les formes en cuivre repoussé-et martelé. C’est a Viollet-le- Duc qu’il demande de réaliser |’armature, mais c’est Gustave Eiffel - qui la réalisera aprés 1a mort de Viollet-le-Duc en 1879. C'est a la société Gaget, Gauthier et Compagnie qu’est con- fiée la réalisation de la statue, piéce par piéce. On utilise des modé- les en platre avec une armature en bois, ceci pour faire ensuite des gabarits de forme qui serviront au martelage des plaques de cui- vre. La main et la torche sont terminées en 1876 et figureront a lEx- position Universelle de Philadelphie la méme année. En 1878, c'est la téte de la statue qui est terminée avec les sept fléches directionnelles souhaitées par les Fréres de laloge “Alsace Lorraine”. Elle sera présentée dans les jardins de {Exposition Uni- verselle de Paris. Pendant le montage de la Statue, rue de Chazetles, Bartholdi invite souvent ses Fréres d’Alsace-Lorraine pour leur montrer l’avan- cement des travaux. En 1882, il réunit 25 couverts dans la rotule en installant les convives sur un plancher aménagé a 12 métres du sol, la statue étant réalisée jusqu’a la ceinture. Une autre fois, il instal- lera un banquet de 50 couverts a mi-corps de la Statue. Pendant ce temps, grace a des dons importants, le plus sou- vent émanant des Loges américaines et sous l’impulsion de Joseph Pulitzer et d’Emma Lazarus, le piédestal est érigé et s’élévera bien- tét 450 métres du sol. La cérémonie de la pose de la premiére pierre est présidée par le Grand-Maitre suppléant Lawrence avec une délé- gation des Loges de !’Etat de New York. A Paris, la statue terminée est remise fe 4 juillet 1884, pour la féte nationale américaine, par le Président de la République Jules Grévy, membre de la loge “la Constante Amitié” a |’Orient d’Arras, 65 au ministre plénipotentiaire américain M. Morton. Elle sera ensuite démontée, puis emballée, pour &tre expédiée, puis remontée aux Etats-Unis. Le 13 décembre 1884, dans une tenue sojennelle, !a Loge “Alsace-Lorraine” rend hommage & Bartholdi qui y prononce une conférence sur la Statue. Le 22 mal 1885, les 200 caisses sont char- gées sur I’lsére qui viendra mouiller 4 New York en face de I'lle. Bar- toldi s’embarque le 24 octobre 1885 , pour aider au remontage de la statue sous les ordres du Général Stone. Aprés un bref retour en France il rejoindra New York pour, fe 28 octobre 1886, inaugurer la “Liberté éclairant le Monde”. | est alors fait “‘citoyen d’honneur” de la Nation américaine, ce qui est une distinction rarissime faite a un étranger. Une réplique au dixiéme de la statue de la Liberté, aprés avoir été placée 4 l’angle des avenues Kléber et léna, a été érigée dans Vlle des Cygnes, prés du Pont de Greneile 4 Paris. Fondue te 7 mai 1885, elle a été offerte au peuple de Paris par la colonie américaine et inaugurée le 4 juillet 1887. Autres répliques célébres — mais hélas maintenant introuva- bles —, les modéles réduits de 10 centimetres réalisés par M. Gaget, V'entrepreneur chez qui la statue fut construite et offerts aux Amé- ricains lors de l'inauguration en 1886, Américains qui s'arrachérent les: statuettes de M. Gaget, pronongant son nom avec l’accent d’Outre-Atlantique “Gadget” ; de nom propre, Gadget est devenu nom commun. Bartholdi est passé a |’Orient Eternel le 3 octobre 1904 alors qu’il travaillait encore — et bien que malade — & son Monument des 3 siéges dont l'inauguration aura lieu a Belfort le 15 septembre 1912. Sa mort ne fit pas “la une’ des journaux. C’est une plume anonyme qui traga dans le journal les “Débats” son éloge funébre. “Si la gloire était la méme chose que Ia notoriété, Barthoidi eut 6té le premier des artistes frangais. D’un bout a l'autre de l’univers, dans l’ancien monde et fe nouveau, son nom était célébre, son asuvre populaire, car il eut le mérite de voir grand, ce qui est une originalité en cet Age de bibelot, et ia bonne fortune d’attacher son nom aux causes et aux idées qui passionnérent son temps”. Quant a la statue de la Liberté éclairant le Monde, elle est et reste le symbole attaché a l'universalité de pensée des hommes de bonne volonté ! 56

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