You are on page 1of 28
LES MARTYRS BOURGUIGNONS DE LA PERSECUTION D’AURELIEN pris avoir rappelé les mesures favorables a l’église A catholique qu’avait prises Pempercur Aurélien, dans Vaffaire de Paul de Samosate, Eusé¢be ajoute : «Telles étaient, & ce moment, les dispositions d’Aurélien 4 notre égard ; mais dans la suite de son régne, ses sentiments envers nous devinrent hostiles; il était alors excité par certains conseils 4 soulever contre nous une persécution et tout le monde en parlait; il allait lentreprendre et, pour ainsi dire, mettre sa signature aux édits préparés contre nous, quand la justice divine Vatteignit et le retient presque par le bras d’entreprendre celat». Ainsi, selon I’historien de Léglise ancienne, Aurélien serait mort avant méme d’avoir lancé Védit de persécution, qui n’était de sa part qu’un simple projet, inspiré par de mauvais conseillers. Lactance, qui écrivait peu apres Eustbe, mais qui pour- suivait manifestement dans son De mortibus persecutorum un but apologétique, assure de son cété que l’édit de persé- cution fut signé et expédié aux gouverneurs des provinces, mais que l’empereur fut tué avant que ses ordres pussent recevoir un commencement d’exécution *. 1, Eusdbe, Histor. eccles., VII, xxx, 20. 2. Laetance, De mortib. persecul., VI: « Aurelianus, qui esset natura vesanus et praeceps, quamvis captivitatem Valeriani meminisset, tamen oblitus sceleris elus et poenae, iram Dei crudelibus factis lacessivit. Verum illi ne perficere LES ANNALES DE BOURGOGNE Il fut admis, plus tard, comme un fait assuré, qu’ Aurélien avait réellement persécuté le christianisme. Orose + et saint Augustin * comptent la persécution d’Aurélien comme la neuvigme ; il leur est de la sorte possible (atteindre le chiffre symbolique de dix et d’expliquer comment, apres avoir souffert dix fois, Péglise a dQ, naturellement, trouver la paix définitive que lui a assurée Constantin. Nous n'avons pas, pour l'instant, a nous demander si Aurélien a ou n’a pas publié un édit général contre les chré- tiens. Comme le dit Tillemont, «il suffisait, pour faire une persécution, qwii n’aimast plus les chrétiens, La haine dun prince et surtout d’un prince absolu d’une part, et de Vautre fort violent et fort cruel, comme Testait Aurélien, ne pouvait guére manquer de faire des martyrs * ». De fait, nous possédons un certain nombre d’actes qui attribuent & cet empereur la condamnation et la mise a mort de plu- sieurs martyrs A Rome et en plusieurs localités de I’ Italie ; en Cappadoce, dans le Pont, en Lycaonie et en Palestine ; finalement en Gaule, ot Aurélien séjourna a deux reprises, en 273 et 274. Les actes des martyrs gaulois nous intéressent particu- ligrement. Selon les vraisemblances, ils rapporteraient des faits qui seraient contemporains des derniers mois du régne d’Aurélien. Or, aprés la défaite de Tétricus, en 273, 'empe- reur dut revenir en Gaule vers la fin de 274; il y était rappelé par des troubles qui avaient leur centre a Lyon et qui, d’ail- leurs, ne paraissent pas avoir pris une trés grande extension. Aprés avoir durement chatié les rebelles, il prolongea quelque quidem quae cogitaverat licuit, sed protinus inter initia sui furoris extinetus est. Nondum ad provincias ulteriores cruenta eius seripta pervenerant, et fam jofrurio, qui locus est Thraeiae, cruentus ipse humi jacebat quadam sus- picione ab amicis suis interemptus », Sur la mort d’Aurélien cf. L. Homo, Essai sur le régne de Vempereur Aurélien, Paris, 1904, p. 322-328. 1. Orose, Histor. advers. pagan, VII, 23; Vil, 27. 2. Augustin, De civit. Dei, XVIII, 52. 3. THLEMONT, Mémoires pour servir a Uhistoire ecelésiastique des six premiers sideles, Paris, 1696, t. IV, p. 346. LES MARTYRS BOURGUIGNONS: 323, peu son séjour, il dut passer par Autun, qui, aprés révolté contre ‘Tétricus, avait été repris par lui et durement chatié, par Dijon ot il fit achever I’enceinte fortifiée com~ mencée sans doute par Tétricus, et aller jusqu’d Genabum, qui parait avoir pris son nom (Aureliani, Orléans). Il est assez curieux de remarquer que la tradition ne place des martyrs qu’a Autun, Sens, Auxerre et Troyes : «Autun se trouvait sur la route de Lyon 4 Genabum. Sens (Agedincum) et Troyes étaient situés sur la route Genabum-Andematunnum (Langres) et Dijon; Auxerre, au sud et au voisinage de cette route. Le souvenir d’Aurélien était probablement resté trés vif dans cette partie de la Gaule ot il avait séjourné, ce qui expliquerait A la fois pourquoi son nom apparait dans les actes des martyrs de ces quatre villes et pourquoi il ne se trouve que la? », A vrai dire, presque tous nos martyrs bourguignons, si- non tous sont censés étre des victimes de la persécution d’Au- rélien ; la plus ancienne rédaction de la passion de saint Symphorien d’Autun place au temps de cet empereur la mort du jeune chrétien. La mort de saint Bénigne est de la méme Spoque, et les Actes des saints Sanctien, Augustin et Béate donnent un long récit de la persécution d’Aurélien, au cours de laquelle non seulement saint Symphorien et saint Bé- nigne, mais encore les trijumeaux de Langres, Speusippe, Eléosippe et Meleusippe avec leur aieule Léonille, les martyrs de Saulieu, Andoche et Thyrse, Patrocle et Savinien de Troyes, Prisque d’Auxerre, Sidronius de Sens, auraient donné leur vie pour le Christ. Nous n’avons pas 4 nous occuper de tous ces martyrs. Le nom d’Aurélien, dans la mesure tout au moins oi il est possible de déméler un fond traditionnel sans ces récits légendaires, sert 4 couvrir des personnages différents : A qui fera-t-on croire que des chrétiens que Pon présente, par ail- 1. L. Homo, op. eil., p. 377. 324 LES ANNALES DE BOURGOGNE leurs, comme des disciples de saint Polycarpe de Smyrne aient encore été en vie quelque cent vingt-cing ans aprés la mort de leur mattre ? Il est vrai que nos hagiographes ne s’embarrassent pas de pareilles questions, Puisqu’il leur faut des noms propres, ils prennent naturellement celui qu'une tradition plus ou moins sire désigne comme ayant été por par le persécuteur le plus redoutable. Mais nous savons que plusieurs des actes de nos martyrs bourguignons constituent un eyele littéraire et se rattachent étroitement les uns aux autres : ce sont ceux dans lesquels parait saint Bénigne, Nous avons eu déja Poccasion de les étudier, et nous n’y reviendrons pa Seuls nous intéresseront, aujourd’hui, les actes qui ne font pas partie de ce cycle. Ceux que nous avons done a lire et a expliquer, ce sont ceux des saints Révérien (Riran) et Paul A Autun (1¢F juin); de saint Sanctien (4 septembre) et de sainte Colombe (31 décembre) a Sens; des saints Pris- cus (Bris), Cottus et leurs compagnons (26 mai) & Auxerre ; des saints Patrocle (21 janvier), Savinien (29 janvier 2), Julia, Claudius, Justus, Jucundinus et cing autres (21 juillet), Sabine (29 aodt), Venerandus ou Veneranda (14 novembre) A Troyes; nous indiquerons, chemin faisant, les problémes que pose pour nous cette lecture, et nous verrons ce qu’il est permis d’en conclure ?. Les premiers a retenir notre attention sont les martyrs d’Autun, Révérien et Paul. Leurs noms figurent, au 1x° sié- cle (vers 875), dans le martyrologue d’Usuard : Augustoduni, sanctorum Reveriani episcopi et Pauli presbyteri, cum aliis decem, qui sub Aureliano principe martyrio coronati sunt; et cette notice a passé telle quelle dans le martyrologe romain. On trouve l’office de saint Révérien joint tantét 4 saint Paul, 1. Gos actes ont été étudiés par F. Gornnes, Die Marlyrer der aurelianischen Verfolgung dans Jahrbuch far protestantische Theologte, t. TV, 1880, p. 449-494 ; B. Aunt, L’Eglise et UEtat au mt® siécle, Paris, 1885, p. 473-485 ; P. Autann, Les derniéres persécutions du m° sidele, Paris, 1887, p. 230-261. LES MARTYRS BOURGUIGNGNS: 325 tantot A saint Nicoméde, a la date du 1¢* juin dans des bré- viaires d’Autun +, de Nevers, d’Auxerre? et de Mar chiennes 4. Son nom figure également dans un missel de Saint-Amand de la seconde moitié du xi siéele & dans un sacramentaire de l'abbaye de Souvigny, du dernier quart du xu sigcle *, dans un missel de Saint-Remi de Reims, de la fin du xu sidcle 7, dans un mi 1 d’Auxerre du xiv sit- cle *. Ces indications nous permettent de juger de extension du culte de saint Kiran. Les Actes, cux-mémes, sont purement légendaires *. Nous y apprenons que, lorsque I'impie Aurélien fut venu de F'Orient en Gaule, en dévastant Véglise de Dieu, le bienheureux évéque Révérien et ses compagnons, avides de combattre pour la foi du Christ, quittérent Rome et se rendirent en Gaule, 4 l’endroit oi résidait l’empereur, c’est-a-dire A Autun. Révérien commenga A y annoncer I'Evangile ; et, naturel lement, il ne tarda pas a recevoir linterdiction de précher. Bientot arrété, conduit devant Aurélien, il persévéra dans la foi; dix de ses compagnons, le prétre Paul et lui-eméme, furent alors battus de verges, exposés a toutes sortes de supplices et enfin eurent la téte coupée. Une pieuse femme, du nom de Maxima, ensevelit les corps des martyrs. Pendant longtemps, ces corps furent oubliés et ignorés. Mais un jour, sept moines venus de Rome eux aussi, arri- vérent au lieu ot gisaient les restes précieux des saints, 1. V. Lenoguais, Les bréviaires manuserits des bibliotheques publiques de France, Paris, 1934, t. I, p. 76 (xv® sitcle), 81 (xtve siéele) ; t. TV, p. 2 (miliou 452). ibid., t. TI, ps 38 (xve sivcle). 3. Ib. ibid., t. TIT, p. 8 (fin xtv° sidcle ou début du xve). 4, Ip, ibid., t. TI, p. 51 (miliew ou 2¢ mojtié du xm siécle). 5. V. Lenoguars, Les sacramentaires et les missels manuscrits des bibliothéques publiques de France, Paris, 1924, t. 1, p. 259. 6. In, ibid, t. T, p. 322. 7. Ip. ibid., t. I, p. 362. 8. Ip,, ibid, t. II, p. 264. 9. Acta sanctoram iunii, Paris 1867, t. 1, p. 39. 326 LES ANNALES DE BOURGOGNE Une vision terrifiante les empécha d’en partir jusqu’a ce quills eussent fait construire une chapelle dont la garde fut confige au prétre Abolenus. Aprés quoi seulement on fouilla la terre; on y découvrit intacts les corps des saints et une grande église fut batie en leur honneur. Du corps de Révérien commenca, dés lors, 4 couler une huile miraculeuse qui guérit les malades, Naturellement les prodiges ne cessent pas auprés du tombeau des saints : les aveugles voient, les sourds en- tendent, les paralytiques marchent, les possédés sont déli- vrés 3, Ce sont-la, on le voit, lieux communs de la littérature hagiographique de basse é¢poque. Notons seulement que Révérien, bien qu’évéque, n'a pas de sidge fixé, et c’est, en quelque sorte le hasard qui le conduit 4 Autun. Il n’a jamais été question d’en faire un évéque de cette ville : le premier qui, 4 notre connaissance, ait occupé le siége d’Autun est Réticius qui assista, en 313, au concile de Rome et l'année suivante au concile d’Arles *, Pourquoi la légende fait-elle venir saint Révérien de Rome ? Y a-t-il la une vague rémi- niscence de la mission des sept évéques dont parle saint Grégoire de Tours ? On ne saurait le dire, et il est parfaite- ment inutile de chercher la moindre parcelle d’histoire dans Je récit que nous venons de lire. Au temps d’Aunachaire, qui fut évéque d’Auxerre de 561 4 605 ® et qui semble s’étre beaucoup intéressé au passé de son église, on possédait, semble-t-il, une passion de saint Bris (Priscus) et de ses compagnons. Ceux-ci sont déja men- tionnés, A la date du 26 mai, dans le martyrologe hiérony- mien : Autissiodoro, loco Cociaco, passio sancti Prisci cum rt de ent érien, 1, Le chef de saint Révérien est aujourd’hui vénéré A Villy-le-Mouti puis quand y est-il ? La reconnaissance de 1a relique a ¢té faite officiell par Mgr Rivet. Dans la Niévre un village porte le nom de Saint-Rév: Saint Révérien est encore le patron de Lignerolies. 2. L. Ducuzsne, Fastes épiscopaux de Vancienne Gaule 2° édit., Paris, 1910, t. IL, p. 176-177. 3. L, Ducusne, op. cit., p. 440. LES MARTYRS BOURGUIGNONS 7 sociis suis, innumera martyrum multitadine +, Les marty- rologes postérieurs ont repris cette notice, en la corrigeant plus ou moins, ainsi le martyrologe de Florus# et celui @’Adon *; finalement elle figure également dans le marty- rologe romain. Aucun indice chronologique, on l’'a remarqué, ne permet dindiquer Pépoque de la passion de saint Bris Celui-ci ne parait (ailleurs pas avoir cu un culte liturgique trés étendu. Sa fete n’est marquée que dans un_bréviaire d’Auxerre de la fin du xrve siécle ou du début du xve# ct dans un bréviaire de Pabbaye Saint-Picrre-le-Vif de la fin du xm ou du commencement du xtv° siécle *. Voici, d’aprés les Actes que des juges aussi bien inform que le P. Delehaye et dom Quentin déclarent fabuleux §, ce que nous apprenons sur Je martyre de saint Prisque. Au temps d’Aurélien sévissait une terrible perséeution contre Véglise, et Yempereur luiméme avait quitté Rome pour veiller en Gaule a l'accomplissement de ses dessins impies. Il s’était établi & Sens, de 1a il transmettait ses instructions a ses officiers. Un de ceux-ci, Alexandre, sacri lateris pro- tector 7, fut chargé de rechercher les chrétiens d’Auxerre et 1. Martyrol. higronymien, édit. Delehaye-Quentin dans les Acta sanelorum novembris, t. II, 2, Bruxelles, 1931, p. 274. 2. H. Quentin, Les martyrologes historiques du moyen age. Paris, 1908, p. 334, Le Parvum romanum, qui doit tant & Florus n’a pas reproduit sa notice sur Priscus ; H. QuaNtIN, op. cit. p. 428. 3. H. Quentin, op. cil., p. 482. 4, V. Lenoguats, Les bréviaires manuscrits, t. III, p. 8. 5. V. Lenoquats, op. cit., t. Ill, p. 34. Un missel d’Auxerre, du xrve sidcle, signale également la mémoire de saint Bris et de ses compagnons ; V. Lenoguats, Les sacramentaires, t. I, p. 264. 6, Martyrol. hieronym., dans AA, SS. novembris t. II, 2, p. 274. Cf. Biblio theca hagiographica latina, n° 6930. Les actes de saint Prisque sont reproduits dans les Acta sanclorum maii, t. VI, p. 362-365. Cl, Dunu, Bibliotheque histo- rique de UYonne, t. I, p. 319. 7. P. Autanp, Les derniéres perséculions du une siécle, Paris, 1887, p. 236, n. 2, remarque que Vexpression sacrum lalus se trouve déja dans Martial, VI, 76. Une inscription de Nicomédie nomme un protector divini lateris sous Auré~ lien, C. I.L., t. III, 327; une autre en Italie sous Magnence. 11 conclut que cette expression ne permet pas de faire descendre une des rédactions ow déja Pun des remaniements de ces actes plus bas que Ie 1v¢ ow le v° sidcle. C'est faire preuve de beaucoup @optimisme. Plus raisonnable était Je jugement de Ti- Lemont, Mémoires, t. IV, p. 349 : « Ces actes sont visiblemeut nouveanx, quand 328 LES ANNALES DE BOURGOGNE de la région. A Couey (Cociacum), Alexandre découvrit un chrétien, du nom de Priscus, qui, avec une immense multi- tude de fréres, chantait les louanges de Dieu. Inutile d’in- sister sur Vinterrogatoire de Priscus qui blasphéme Jupiter, sur le refus de tous de sacrifier. Finalement Alexandre fait décapiter Priscus ct ses compagnons et jeter leurs corps dans un puits. Un des survivants, Cottus, parvient cependant & s'emparer de la téte de Priscus, mais il est bientot rejoint par les persécuteurs qui le tuenta son tour, non loin d’Auxerre ; apres quoi il est religieusement enseveli par des chrétiens — il y en avait done encore —— avec la téte de saint Prisque '. Les Actes ujoutent que les restes des saints furent décou- verts par Pévéque saint Germain, qui construisit deux églises, Pune au lieu méme du supplice ott tous les ossements avaient été entassés dans un puits, l'autre a trente stades de la, a Yendroit ot avait été retrouvée la téte de saint Bris *. Aprés cela, les invasions vandales — lesquelles? — dévastérent la Gaule et la premiére église fut détruite, les martyrs oubliés, le culte suspendu. Un riche chrétien, du nom de Porchaire, retrouva, au cours d’une chasse au sanglicr, les ruines de Véglise en question *, mais lorsqu’il voulut prendre les tuiles, encore bonnes, pour recouvrir sa propre demeure, il tomba gravement malade; une vision lui révéla son sacrilége ; comme on le pense, Porchaire se hata de rapporter les tuiles enlevées et de reconstruire l’église, oti un pélerinage des on men jugerait que par lour style enflé et barbare. Il y a des expressions qui sentent fe 1x° sidcle ». 1, Saint Prisque et ses compagnons n’étalent pas indigénes : ¢’étaient des gens de Besangon qui fuyaient la persécution déchainée dans leur pays. Le lieu du martyr de saint Pris qu’on dit également Tociacum est sans doute le bourg de Toussi-en-Puisaye dans le Gatinais, A moins que ce ne soit Toussi entre Mailly et Crevant. Selon M. Chaume, Cociacum doit étre identi dans le canton de Saint-Sauveur (Yonne) ; cf. Les origines du duché de Bourgogne, t. If, 3, p. 1200. 2. L. Prunen, Saint Germain d’ Auxerre, Paris, 1929, p. 36-37. 3. Une histoire analogue est rapportée au sujet de V'invention des saints Ferriol et Ferjeux de Besancon. C’est aussi au cours d’une chasse que Jeurs corps, longtemps oubliés, furent découverts. I] est curiewx que, dans un si grand nombre de cas, on délaisse complétement les plus glorieux martyrs. LES MARTYRS BOURGUIGNONS 329 plus fréquentés rendit désormais & saint Prisque les hon- neurs qui lui étaient dus +. On le voit, le culte de saint Bris est relativement ancien, puisqu’il est attesté par le martyrologe hiéronymien. Nous savons, d’autre part, que, sous lépiscopat d’Aunachaire, il y avait, & huit kilometres vers le sud-est d’Auxerre, un monastére qui, dans un réglement contempor évéque, portait le nom de monasterium été édifié, di ‘in de cet. roctacense : il avait ait-on, au lieu méme ot les martyrs avaient rendu témoignage. L’indice topographique est intéressant : peut-ttre etre est-ce la seule chose qu'il faille retenir dans la légende des saints auxerrois. Beaucoup plus connue que saint Bris, est sainte Colombe de Sens. Celle-ci, bien que Grégoire de Tours ne la mentionne pas plus que les martyrs d’Auxerre, figure, comme cux, dans la recension auxerroise du marlyrologe hiéronymien, c'est-a-dire vers 595, avec la notice : Senona, passio sanctae Columbae (martyris ef) virginis *. Cette bréve notice parait bient6t insuffisante ; et les martyrologes postérieurs tiennent cour de la compléter en s‘inspirant des passions de la sainte. Ainsi fait déja le martyrologe de Bade ®; puis, aprés lui, les martyrologes d’Adon et d’Usuard ‘4, En méme temps, 1, Acta sanctorum maii, t. VI, p. 364. Le corps de saint Cottus, qui était con- servé & Saint-Brix, avec la téte de saint Bris, fut relevé et transféré dans une chasse neuve par Jean Baillet, évéque a’Auxerre, le 19 novembre 1480, Le récit. de cette relevation se trouve dans les Acta sanetorum mail, t. VI, p. 364-365. Le village de Saint-Brix, au canton d’Auxerre-Est, est mentionné en 847 dans un document du cartulaire de Saint-Julien d’Auxerre ; ef. M. Cuaume, op. cil., p. 1202-1208. 2. Martyrol. hi¢ronym., édit. Delehaye-Quentin, p. 16; les mots martyris ef ne figurent que dans le ms. B. Ils semblent done postérieurs. 3. Cf. H. Quentin, Les martyrologes historiques, p. 69. La notice de Bede est ainsi congue : «Passio sanctae Columbae virginis, Senonis sub Aureliano imperatore quae, superato igne, caesa est ». Toutes les passions de la sainte ont pu fournir un texte aussi court. 4. Adon introduit, avant 1a mention de sainte Colombe, la notice des saints Savinien et Potentien : c’est le premier témoin connu de la mission apostolique ct du martyre de ces deux saints. Usuard, qui vers 875 compose un nouveau martyrologe, emprunte la notice d’Adon, mais remplace les mots « bealis apos- tolis par a pontifice romano, cv qui est important & signaler. 3 330, LES ANNALES DE BOURGOGNE le culte liturgique de sainte Colombe se répand; tous les livres mozarabes mentionnent sa mémoire a la date du 31 dé- cembre!; parmi les ouvrages qui renferment son office ou du moins sa commémoraison, M. Leroquais signale des bréviaires de Fontevrault (xive siécle), d’Amiens, (dans les litanies, au x1e sidcle), de Sens, de Bordeaux (xive sidcle), de Montier-la-( San-Petro de ardena (1496-1498), de Saint-Pére de Chartres (xive siécle), de Pibrac (xve siécle), au di Flour ; de Saint-Maur de Verdun (xu siécle), de Marmou- tier (xine siécle), de Vienne (xve le), de Beaulieu-les- Loches, au diocese de Tours (xve sidcle) ; de l'abbaye Saint- Pierre de la Couture, au diocése du Ma (xim® siécle), de Saint-Faron au diocése de Meaux (xrvé siécle) ; du monastere de Herdt au diocése de Spire (x1ve siécle) ; de Bellelay (2) au diocése de Bale (xrve siecle) ; d’Arles-sur-Tech (dans les litanies, xrv° siécle), au diocese d’Elne ; de Saint-Benoit- sur-Loire (xuexuie siécle) ; d’Orléans (xiv® siécle), de Va- lence en Espagne (xv° si¢cle), du Puy en Velay (xve siécle), de Paris (1417); de Séville (1462), etc. Nous ne pouvons épuiser la longue liste qu'il donne. Sans doute, plusieurs des églises qui honorent ainsi sainte Colombe sont des églises monastiques, et on le comprend sans peine, si I’on se rappelle que, autour de la basilique de sainte Colombe, auprés de Sens, s’était élevé un monastére, lequel en était encore, semble-t-il, 4 son premier abbé, lorsque l’évéque Emmo lui délivra, en 660, un privilége dont nous possédons le texte. Les attestations du culte de sainte Colombe remontent dailleurs beaucoup plus haut. Saint Ouen nous apprend que, du temps de Dagobert Ier, il y avait 4 Paris une chapelle de sainte Colombe et il raconte un miracle qui s’y opéra. L’évéque saint Loup, au temps de Clotaire II, voulut étre se de Saint- ns 1. Cf. Dom L. Fésnorin, Le liber ordinum de U'Eglise mozarabe, Paris, 1904, p. 494-495 ; Le liber mozarabicus sacramentorum, Paris, 1912, p. 75 et 812. LES MARTYRS BOURGUIGNONS, 331 enterré dans Ia basilique de sainte Colombe. Il se pourrait enfin que la premiere rédaction de ses Actes remontit jusqu’au temps de Childebert. Ces actes, dont nous possédons plusieurs recensions ? sont, en tout cas, des plus invraisemblabl comme ceux de saint Révérien, par nous montrer Pempereur Aurélien arrivant Ori s’appuyer sur cette indication b Ils commencent, nt en Gaule; on ne saurait guére vague et trés imprécis pour nous faire croire qu'il y a 14 une indication historique La-dessus arrivent aux environs de Sens de jeunes Espagnols, de noble famille, Colombe, Sanctien, Béate, Augustin, qui ont quitté leur pays pour fuir la persécution. Tls tombent mal a propos, puisque justement Aurélien traque impitoya- blement les chrétiens. Colombe, une fois arrétée, est sommée d’adorer les divinités paiennes et spécialement le soleil. Si elle accepte, les plus grands honneurs lui sont promis, ’'em- pereur lui offre méme de devenir I'épouse de son fils... bien que Vhistoire ne connaisse d’autre enfant A Aurélien qu'une fille, Naturellement, Colombe refuse avec indignation une pareille proposition, et on Yenferme dans un mauvais lieu, situé sous amphithéatre : nous retrouyons 14 un des themes les plus connus de la légende hagiographique, et il nous est facile de deviner la suite de histoire. Un infame débauché, nommé Baruchas, vient a 'amphithéatre et pénétre auprés de Colombe. Celle-ci l’accueille en disant : « Pourquoi entrer avec tant de violence ? ai-je la force de te résister ? Demeure en repos si tu ne veux pas que mon Seigneur le Christ s‘irrite et te frappe de mort », Effrayé par ces paroles, Baruchas n’ose approcher; mais tandis que Colombe demande a Dieu de 1. Bibliotheca hagiographica latina, n. 1892-1895, 1896. 2. Une chronique de Vabbaye de Sainte-Colombe place en 287 le martyre de la saint : «Anno 1087, Hic complentur anni 800 a quo beata Columba martyrio coronata est ». D’apres cette indication, Colombe aurait été martyrisée au commencement du régne de Diociétien. Il n’est pas assuré qu’a pareille date il y ait eu des martyrs en Gaule, Cf. cependant P. Attanp, La persécution de Dioclétien, Paris, 1890, p. 34 et suiv. 332 LES ANNALES DE BOURGOGNE la préserver, une ourse, échappée de sa cage, entre dans la chambre et se jette sur lui. Un tel miracle ne suffit d’ailleurs pas a sauver Colombe. Bien au contraire ; elle est condamnée A mort et le bourreau lui coupe la téte. I] est a peine besoin Wajouter que nous ne pouvons pas faire confiance a ce récit tardif +. Le nom de sainte Colombe reparait dans les actes des saints Sanctien, Augustin et Béate 2, mais la eélébre martyre wy joue qu'un role effacé. Ses compagnons sont peu connus ; ils ne figurent méme pas dans le martyrologe d’Usuard, pourtant bien renseigné sur les choses de Sens, puisque son auteur était Sénonais de naissance et avait été longtemps moine A Ferrigres. Seule prend place, dans ce martyrologe, a la date du 29 juin, une sainte Béate ou Bénédicte que nous retrouverons tout a Vheure*. On s'est demandé, et l'on peut Loujours se demander a vrai dire s'il y a lieu de distin- guer les deux saintes : la notre est fatée le 6 septembre, d'aprés Je bréviaire de Sens de 1625, dont les Acta sanctorum reproduisent les legons ‘historiques 4, mais un bréviaire de Saint-Pierre-le-Vif, daté de la fin du x1m¢ ou du commen- cement du xive siéele — le seul, parmi tous les bréviaires catalogués par M. Leroquais, qui fasse mention de la sainte —- marque au mois de juin la féte des saints Sanctien, Augustin et Béate 5. Les actes des trois martyrs doivent dater de la seconde moitié du 1x¢ siécle ; il parlent, en effet, de la mission confiée 1, Deux communes de la Cdte-d’Or portent le nom de Sainte-Colombe Sainte-Colombe-sur-Seine et. Sainte-Colombe-lez-Vitteaux. 2. Acta sanclorum seplembris, t. 11, p. 668-672. 3. Voir plus bas, p. 334. 4, Acta sanctorum seplembris, t. II, p. 668-669. 5. V. Lunoguars, Les bréviaires manuscrits, t. III, p. 33-34. Le nom de Béate figure déja dans Jes litanies. Sa fete est marquée aprés celle des saints Cyr et Julitte, fetés le 16 juin, mais avant celle de saint Thibault. Aucune date pré- cise n'est indiquée pour les fétes de ce bréviaire ; mais nous connaissons sul samment ces dates grice au Livre des religues de Pabbaye de Saint-Pierre-le-Vif de Sens, rédigé par Geoflroy de Courlon et publié par G. Julliot ct M. Prou, Sens, 1887 LES MARTYRS BOURGUIGNONS 333 par saint Pierre lui-méme aux saints Savinien et Potentien, et nous sayons déja qu’Adon est le premier témoin de l’a- postolicité de Téglise de Sens. Ils rapportent, (autre part, la translation du corps des saints, faite du lieu appelé Ad martyres & un endroit désigné par le nom de Sanceias. Cette translation peut avoir eu lieu au vine siécle, a la suite de linvasion sarrasine qui dévasta toute Ia contrée. Enfin nos actes connaissent déja et citent les légendes des autres martyrs attribués a Ja persécution d’Aurélien ; Symphorien d’Autun, Speusippe, Eleusippe et Meléosippe de Langres, avec leur aicule Léonille, Bénigne de Dijon, Andoche et Thyrse de Saulieu, Patrocle de Troyes, Priscus d’Auxerre, Sidronius du pagus Senonicus *. A la suite d’une longue introduction, consacrée précisément A rappeler tous ces glorieux martyrs, les Actes nous appren- nent comment Sanctien, sa sceur Béate, Augustin et Colombe quittérent Espagne et vinrent jusqu’a Sens «qui est la métropole des Gaules ». La, ils fréquentérent assiduement les trois petites églises construites par les saints Savinien et Potentien et dédiées l'une a la trés Sainte Vierge, l'autre 4 saint Jean-Baptiste et la troisiéme a saint Etienne *. Naturellement, le féroce empereur Aurélien entend parler de leur piété ; il les fait aussitét arréter et interroger. Nous n’ayons pas a insister sur le récit qui suit ; il ne nous appren- drait rien de nouveau, car ce sont toujours les mémes invi- tations & sacrifier, les mémes refus des chrétiens, les mémes insultes 4 l’'adresse des faux dieux et finalement le méme supplice. Colombe disparatt avant Tinterrogatoire; l’em- pereur ordonne, on ne sait pourquoi, de la mettre a part. 1. Acta sancta seplembr., t. II, p. 670. L’auteur des actes ne sait dailleurs pas un mot d'histoire. 11 fait d’Aurélien le successeur de Sévére, sous le régne de qui il place le martyre de saint Andéol. 2. Les sanetuaires dédiés A saint Etienne ne doivent pas étre antérieurs & Vinyention des reliques du protomartyr et a expansion de son cule en Oc- cident. Cf. H. Denenave, Les origines du culle des martyrs, Paris, 1912, p. 389 et suiv. 334 LES ANNALES DE BOURG: GNE Les trois fidéles restants sont finalement décapités, 4 deux milles environ de la cité, et le lieu de leur marty reprend, en souvenir de l’événement, le nom de Ad martyres. Tout de suite, ou un peu aprés, un sancluaire fut édifié A cet endroit et devint un lieu de pélerinage fréquenté. Nous avons déja signalé la premiere translation des martyrs, celle que racontent les Actes et qui dut avoir lieu aux en- virons de 731. Le premier des chroniqueurs de Saint-Pierre- le-Vif, Odoranne, qui écrivait vers 1032, rapporte qu’au 1xe sidcle, lévéque Anségése, redoutant les invasions des Normands, résolut de mettre 4 l’abri des profanations les reliques des saints sénonais. « L’an 877, il vint & Sanceias recueillir les ossements des martyrs et en fit une translation solennelle dans léglise de l'abbaye de Saint-Pierre-le-Vif, le 24 juin pour saint Sanctien et saint Augustin, le 29, pour sainte Béate. Plus tard, sans doute au xi siécle, les corps de Sanctien et Béate furent placés dans une méme chasse argent. L’époque révolutionnaire dépouilla les églises de leurs reliquaires d’orfévrerie et profana le sanctuaire qui les avait abrités. Les ossements de Sanctien, Béate et Augustin furent apportés dans l’église cathédrale de Sens, qui les con- serve encore religicusement. Sur emplacement de léglise ruinée subsista, jusqu’au milieu du x1x° siécle, une modeste chapelle connue sous le nom de Sainte-Béate. Il n’en reste plus aucun vestige » 4, Le martyrologe d’Usuard, suivi par le martyrologe romain, annonce au 11 juillet la féte de saint Sidronius (Sidroine ou 1. E. Canrnams, art. Béale (sainte), dans Je Dictionnaire histoire et de géographie ecctésiastiques, t. VII, 1934, ¢. 92. On a parfois identifié sainte Béate et sainte Colombe. De fait la brusque disparition de cette derniére, dans le récit des Actes a quelque chose d’assez surprenant, et Ie nom méme de Béate est fait pour suggérer quelques inquié- tudes. Mais on ne saurait apporter d’arguments décisifs en faveur de 'unité de personnage, et les traditions cultuelles témoignent. beaucoup plutot de leur distinction. On peut ajouter que sainte Colombe n’est pas présentée comme la sceur de saint Sanction. Cf. Buonpst, Vie des saints du diocése de Sens, Sens, 1885; J. Perrin, Le martyrium de saint Sanetien, de sainte Béate et de saint Augustin, Sens, 1929. LES MARLYRS BOURGUIGNONS 335 Sidroin) in pago Senonico ; et le missel de Saint-Pierre-le-Vit que nous avons déja signalé & propos de sainte Béate marque la solennité du méme saint au début de juillet, sans doute le 3 de ce mois. Nous possédons, en effet, les actes de at Sidroine : ils dépassent, et de beaucoup, en imagination, tout ce que nous avons rencontré jusqu’d présent. La scene se passe naturellement sous l'empereur Aurélien, en Yan 252, ce qui est un anachronisme formidable, puisque Aurélien ne commenga a régner qu’en 270. Sidronius, origi- naire de Samos %, fils de Serenus et de Beatia, se trouvait aux environs de Sens, lorsqu’il fut’ merveilleusement informé de son prochain martyre *. A ce moment, il n’était pas encore baptisé : une pluie providentielle vient & tomber sur lui, tandis qu’une voix céleste disait : Maintenant tu es baptisé, au nom du Pére, du Fils et du Saint-Esprit. Les miracles qu'il fait, les conversions qu’il opére, attirent sur lui l’attention. d’Aurélien qui envoie 190 soldats pour s’emparer de lui et pour le conduire 4 Vienne ov il résidait alors. Suit ’in- terrogatoire traditionnel, devant un tribunal de 72 juges, aprés lequel Sidronius, mené en prison, convertit ses gardiens. Comme de juste, on le raméne en face de l’empereur qui, aprés lui avoir infligé divers supplices, ordonne de le jeter au feu. Le feu ne fait aucun mal au martyr qui est condamné 4 étre percé de fléches. Mais les fléches s'arrétent dans leur course, avant de toucher son corps, sauf une qui retourne en arriére et frappe Aurélien lui-méme a l’ceil qu’elle transperce. Fureur de l'empereur qui remet Sidronius & la garde de 1. Acta sanctorum iulii, Paris, 1868, t. III, p. 172-176. Le monastére de moniales bénédictines de Messines en Belgique possédait des reliques d’un saint. Sidronius, reliques qui lui auraient été apportées de Rome en 1062 par Adéle, Spouse dui comte de Flandre, Beaudoin. Tl ne saurait s'agir de notre saint. 2, Les Bollandistes expliquent qu’il s'agit de Pile de Samos. Tout est possible de la part de notre romancier. 3. Le lieu du baptéme de Sidronius est le vicus qut dicitur Hebrola, super flu~ vium qui dicitur Orbanus ; traduisons Avrolles-sur-VOuevre. Ce ruisseau porte aujourd’hui le nom de Gréanton on de Breumance ; c’est un affluent de l’Ar- mangon, rive droite. Le lieu méme du martyre est appelé dans les Actes Calo- senagus. C’est le village de Saint-Cydroine. Cf. M. Cuaue, op. cil., p. 1190. 336 LES ANNALES DE BOURGOGNE quatre-vingt-dix soldats ; pendant la nuit les soldats devien- nent tout a coup aveugles et Sidronius est débarrassé de chaines, si bien qu'il peut se rendre Calosenagus, sur I’'Yonne, A huit milles du lieu oi il avait recu le baptéme, Il faut ce- pendant qu'il meure a lendroit précis of il a été baptisé ; qu’a cela ne tienne, les eaux de la riviére durcissent et le mar- tyr peut la traverser a pied sec, & Ja stupeur des ennemis qui le poursuivaient. Une fois arrivé, il se laisse enfin déca- piter, non sans avoir recommandé & ses bourreaux de tremper- un linge dans son sang et de le porter & Aurél afin que celui-ci sen lave les yeux ot recouvre la vue. Sa mort ne met pas fin A ses miracles, car if ramasse sa téte et la porte Pes- pace de quarante-neuf pieds *. On le voit, nous avons ici un exemple achevé du roman fabuleux : Phagiographe ne sait plus quel supplice inventer, quel prodige imaginer. Rien n’est trop beau, rien n'est trop extraordinaire lorsqu’il s'agit de glorifier le bienheureux martyr. Nous n’avons pas les mémes raisons que lui pour admirer ces merveilles et nous nous contenterons de rappeler qu'il existe dans le département de l’'Yonne, dans Je canton de Joigny, non loin du confluent de I’ Yonne et de ?Armancon, un village qui porte encore le nom de Saint-Sidroine *. Une tradition que nous sommes loin de pouvoir contréler donne & saint Sidroine une sceur du nom de Béate ou de Bénédicte. Sans doute est-ce elle qui figure dans le marty- rologe romain au 29 juin : Jn territorio Senonensi, sanctae Benedictae virginis. L’église paroissiale d’Avrolles (canton de Saint-Florentin, dans ’Yonne) posséde des reliques et un tombeau de pierre qui ont toujours été regardés comme les siens, et ce fait ne permet guére de confondre la sainte Béate 1. Le nom de Sidrontus ne figure pas dans la liste, pourtant trés longue, des saints céphalophores, que publie P. Samryves, En marge de la légende dorée, Paris, 1931, p. 521-527. 2. Le vicus de Saint-Cydroine est mentionné vers 833 dans la charte par laquelle Varchevéque Audri de Sens transfére a Vareilles le monastere de Saint- Remi; Quantin, Cartulaire de ? Yonne, t. I, p. 41; M. CHAUME, Les origines du duché de Bourgogne, Dijon, 1931, t. 11, 3, p. 1185. LES MARTYRS BOURGUIGNONS 337 de Sens et celle d'Avrolles. « Une chapelle él distance du bourg d’Avrolles était dédiée a sainte Béate et a sainte Martine sa compagne. En 1570, une armée protes- tante, conduite par Gaspard de Coligny, Uraversa le pays et Je ravagea. La chapelle fut profanée puis détruite. A Vapproche des Huguenots, la chasse contenant les reliques avail été cachée sur la vote; les soldats I'y découvrirent, Ja brisérent et jelérent sements sur des tas de pierre. Ce qui restait fut willi pieusement et renfermé dans une chasse de bois, placée dans léglise paroissiale sur un autel, au pied duquel a été Uéposé, en 1810, le sarcophage de pierre qui avait primitivement abrité les aints » t, Nous quittons maintenant la région de Sens pour celle de Troyes, eb nous y trouvons de nouvelles victimes de la persécution d’Aurélien. Le premier, ct sans doute le plus célébre de ces martyrs, est saint Patrocle (ou Parre), que connait déja saint Grégoire de Tours. Tl est vrai que ce que raconte au sujet de ses actes le vieil évéque de Tours n’est pas fait pour nous inspirer une confiance illimitée. En ce temps-Ia, nous dit-il, il y avait prés de Troyes une petite chapelle desservie par un seul clere et dédiée a saint Patrocle. Le peuple, cependant, ne témoignait pas une trés grande dévotion envers un martyr dont il ignorait complétement Lhistoire, car les paysans vénérent avec plus de zéle les saints dont ils peuvent relire les combats et les triomphes. Un jour cependant, quelqu’un qui revenait des pays lointains rap- porta le récit de la passion de Patrocle et le donna au clere. Celui-ci, tout joyeux, rapporta la chose a l’évéque. Mais l'évéque, bien Join de manifester aucun contentement, sup- posa une supercherie en tout cela, fit battre le clerc et le renvoya honteusement. Bien plus tard seulement, des soldats qui étaient allés guerroyer en Italie, y trouvérent les actes du saint et les rapportérent 4 leur tour dans le pays ; ces ée A quelque 1. E. Cuanraame, art. cil., ¢. 92-93. 338 LES ANNALES DE BOURGOGNE actes étaient en tout conformes & ceux que possédait le clere. L’évéque dut s’avoucr vaincu, et, sur le tombeau de Patrocle fut construite une basilique '. Ce récit nous laisse assez songeurs : on wéchappe guére a impression que Péveque avail raison de se montrer défiant et que les actes ont été fabriqués aprés coup pour légitimer un culte Naturellement, saint Patrocle figure dans le martyrologe hiéronymien ; il y figure méme deux fois, a la date du 21 jan- vier qui est la vraie * ct & celle du 21 juillet ot il a été trans- porté par erreur 4. De 1a, il a passé dans le martyrologe de Florus *, dans celui d’Adon ® et dans les martyrologes pos- térieurs. Nous retrouvons sa féte marquée dans des bré- viaires de Saint-Loup de Troyes, en 1517; de Montier-la- Celle (deuxiéme moitié du xr si¢cle); puis dans d'autres bréviaires de Troyes aux x1°, xtv®, xv siécles. C'est dire que, malgré tout, son culte est resté trés localisé et n'est jamais parvenu a se répandre en dehors de la région ot il avait pris naissance. D’aprés la légende, Patrocle était une personne de condi- tion de la ville de Troyes 7. II se livrait continuellement, dans une maison qu'il avait a deux cents pas de la ville aux pra- 1. Grégoire de Tours, De gloria martyr., 64, P..L., LXXI, 702-703. 2. On peut comparer ce récit avec celui de la découverte des Actes de saint Bénigne, Grégoire de Tours, De gloria martyr., 51, P. L., LXX, 752-753. Dans un cas comme dans Vautre, on rend un culte a un martyr inconnu; et c'est Italie qu’en.arrivent les actes. Comme si en Italie on était mieux renseigné sur les faits et gestes de tel ou tel martyr local que les gens du pays. L’éveque suit les entrainements du peuple. Ainsi «saint Genés d’Auvergne, au territoire qui avoisine le chateau de ‘Thiers était complétement inconnu. Il se montra en songe a un paysan et lui indiqua Ie lieu de sa sépulture au bas du chemin, Tui ordonnant de la couvrir dune table de marbre qu'il trouyerait dans la forét. Ainsi fut fait- Des malades s’y rendirent et furent guéris. L’évéque Avit, Yayant appris, construisit sur ce tombeau une vaste basilique et ordonna d’y célébrer Ia féte du saint ». H. Diaenave, Sanctus. Essai sur le culte des saints dans Vantiquité, Bruxelles, 1927, p. 183. 3. Martyrot. higronym., édit. Quentin-Delehaye, dans Acta sanctor, novembr., t. 1, 2 p. 52. 4. Ip., ibid, p. 388. 5. H. Quentin, Les martyrologes historiques du moyen age, p. 327. 6. H. Quentin, op. cit., p. 481. 7. Cf. Tiuemont, Mémoires, t. IV, p. 203-206. LES MARTYRS BOURGUIGNONS, 339 tiques de la piété et de la mortification ; et sa vertu était prouvée par les nombreux miracles qu'il opérait. L’empe- reur Aurélien, étant venu de Sens & Troyes, entendit parler de lui et de sa piété. II le fit aussitét arréter, comparaitre, interroger. Aprés quoi, mécontent de ses réponses, il ordonna qu’on lui mit des chaines aux mains et aux pieds et qu’on Ie ramendt dans sa prison. Un nouvel interrogatoire eut lieu trois jours plus tard, a la suite duquel Patrocle fut con- damné a avoir la téte tranchée. On le conduisit pour cela sur les bords de la Seine, mais le saint, échappant des mains de ses bourreaux, traversa le fleuve sans enfoncer jusqu’au genou, malgré la profondeur des eaux et se mit en pridre sur une montagne voisine. Les bourréaux ne tardérent d’ail- leurs pas a le rejoindre et lui coupérent la téte, selon l’ordre quils avaient regu. On était alors le 21 janvier et un ven- dredi *. Lette date a beaucoup intrigué les historiens, car pendant le régne d’Aurélien, le 21 janvier n’est jamais tombé un vendredi. Par contre, cette coincidence s’est produite en 259 au plus fort de la persécution de Valérien, et c’est ce jour méme, le 21 janvier 259 qu’est mort un des plus glorieux martyrs de ce temps, saint Fructueux de Tarragone. Il est d’ailleurs A remarquer qu’en 253, le 21 janvier était également un vendredi. Comme d’ailleurs, au début des actes de Pa- trocle, Aurélien est simplement qualifié de praeses on a pensé quill avait pu étre gouverneur de la Gaule en 253 ct ordonner a ce titre des poursuites contre les chrétiens. De telles ques- tions semblent, a vrai dire, assez vaines, et je ne crois pas 1. Les Acta sanctorum ianuarii, Paris, 1863, t. 111, p. 706-713, publient deux recensions différentes des actes de saint Patrocle ; ef. Bibliotheca hagio- graphica latina, n. 6520-6521. La seule question que I’on puisse se poser est de savoir sila plus ancienne de ces recensions, probablement. celle que les Bol- landistes ont trouvée dans les manuscrits de Tréves et de Sainte-Marie de Ripatorium, est celle dont parle saint Grégoire de Tours. La chose est possible, inais elle est loin d’étre assurée, tant cette recension méme est remplie @invrai- semblances. 340 LES ANNALES DE BOURGOGNE, que le rédacteur tardif des act Aurélien est celui qui figur ssions du cycle que vous éLudions, et c’est bien & lui, comme empereur, quest attribuée la mort de Patrocle '. Le corps de saint Patrocle fut cnlevé p vieillards qui deme s se les soit posées, Le nom » dans toutes les pa ar deux pauvres ndaient 'aumdne et enterré la nuit sui- yanite, avee peu de cérémonies, par larchiprétre Eusebe et le diacre Libére. Lorsque la paix eat été rendue a Véglise, Eusébe éleva une petite chapelle sur le tombeau du saint; sans doute est-ce de cette chapelle que parle saint Grégoire de Tours dans le récit que nous avons rappelé. Ajoutons que vers 960 ou 963, 'archevéque de Cologne, Bruno, étant venu en France et ayant rétabli sur son siége 'éveque de Troyes, Anségise, qui en avait été chassé, celui-ci lui donna, pour le remercier de ce service, les reliques de saint Patrocle. Ces reliques furent transportées 4 Cologne, et de 1a, 4 Soest en Westphalie ; on les déposa dans Véglise que Bruno venait de faire construire et qui perit le titre de Saint-Patrocle : cette translation est marquée au 9 décembre *. Certaines traditions sans consistance font de saint Pa- trocle un céphalophore *, mais il faut bien avouer que ses . On peut remarquer que la perséeution est censée avoir pris fin tres peu de temps aprés la mort de Patrocle. La seconde recension des Actes ajoute méme qu’Aurélion mourut A Ia méme époque, frappé par les sien: 2. Selon A. SaUSSAY, les reliques de saint Patrocle auraient été transférées A Périgueux. C’est peut-etre de quelque antre saint du méme nom, comme le dit ‘Tillemont. 3. P. des Gurnrors, La sainteté chrétienne, 9 33-34, eité par P. SAINTYvES, bn marge de la légende dorée, p. 253. Chose curieuse, trois saints du diocése de ‘royes, Patrocle, Savinien et Vénérand, tous trois victimes de la persécution WAurélien, auraient été eéphalophores. On saisit iel la contagion de exemple. Dans le méme diocese sainte Tanche et saint Balstme ’Arcis-sur-Aube auraiont également accompli le meme prodige. P. Sarnryves fait remarquer que, trés souvent, les saints eéphalophores sont en rapport avee des rivieres : saint Lucien de Beauvais passe le Thérain on portant sa téte ; sainte Bologne, au diocdse de Langres, franchit une riviére avec sa téte dans ses mains ; saint Savinien, nous allons le voir, passe la Seine & pied soe avant son martyre et saint Sidronius fait de méme pour I"Yonne. On peut ajouter que certains monastéres ne furent pas étrangers a la création et a la diffusion des légendes des céphalophores ; les peuple avait naturellement Je godt des miracles et les moines travaillérent avec ardeur & satisfaire ses MARTYRS BOURGUIG! (ONS: 341 actes, pour Iégendaires qu'ils soient, ne racontent pas ce prodige. Par contre, saint Savinien de Troyes, qui est £eté le 29 janvier}, est dit avoir porté sa téte pendant lespace de quarante pas, au licu ott il devait etre enseveli, afin de prouver la vérité de cette parole du Christ : «Celui qui eroit en moi vivra aprés sa mort >. La précision de ¢ dernie: s détails n'est pas sans nous intriguer, car nous les avons déja rencontrés ; ils figurent, en effet, tels quels dans les actes de saint Sidronius. Il y a plus, toute la passion de saint Savinien de Troyes est litté- ralement la reproduction de celle de que saint Sidronius, & moins e ne soit le contraire ; ct, dans l'état actuel de la tra- dition, il semble bien impossible de décider lequel de ces deux martyrs est le doublet de Pautre ®. A vrai dire, nous serions tentés d’avoir beaucoup d’hési- tations en parlant de Savinien de Troyes comme d'un per- sonnage historique, car son nom a lui seul éveille déja des soupcons. Nous savons que l’église de Sens se glorifie d’avoir été fondée par saint Savinien et saint Potentien. «On pourrait douter, note Tillemont, si ce saint n’est pas le méme que saint Savinien de Sens, qui peut avoir préché a Troyes #». Tl est vrai que le prudent historien ajoute aussitdt : «Mais dans Aésirs, « On est embarrassé, écrit P. Saintyves, pour indiquer Vorigine précise de Ia céphalophorie de saint Savinien & Troyes, car on n'y rencontrait pas moins de trois maisons de Saint-Benoit : ’abbaye de Saint-Loup, le moutier de La Gelle-lez-Troyes et le monastére de Notre-Dame de ‘Troyes. Et comme les abbayes de cet ordre, telle Maintenay-Saint-Lié A deux lieues de ‘Troyes, sont nombreuses dans In région troyenne, on ne s’étonnera pas quelle ait encore fourni quatre ou cinq céphalophories ». Op cit., p. 276-277. 1. On peut remarquer que le méme jour (29 janvier), on célébre la fete de saint Savinien de Troyes et celle de saint Savinien de Saint-Paul-Trois-Chateaux en Dauphiné. Tous deux sont céphalophores. Nous avons 1a un cas évident de dédoublement, 2. Le cas est relativement fréquent dans la littérature hagiographique. «La passion de sainte Martine est littéralement celle de sainte Tatiana ; sainte Castissima a les mémes Actes que sainte Euphrosyne ; ceux de saint Caprais sont les Actes mémes de saint Symphorien ; le groupe Florentius ct Julianus a une histoire identique A celle du groupe Seeundianus, Marcellianus et Veranus ; et ainsi de suite », H. Deceuaye, Les légendes hagiographiques, 3° édit., Bruxelles, 1927, p. 96. 3. "TILLEMONT, Mémoires, t. IV, p. 348. 342, LES ANNALES DE BOURGOGNE le doute, la présomption est pour la possession qui le dis- lingue ». D’autres fails nous inquiétent davantage. La date festale de Savinien est loin d’¢tre assurée : certains marty- rologes le placent au 24 janvier, d'autres au 25, d'autres au 29. Dans quelques exemplaires d’Usuard, ce que nous appremnent les Bollandisles, Sabinien est appeld Sabien et méme Fabien ; ce qui a méme poussé Pierre des Noéls a dis- tinguer, sans autre raison, un saint Sabinien et un saint Sabien. Ailleurs on trouve le nom de notre martyr men- tionné le 8 juin, le 29 aoat, le 5 septembre. Or Ie marty- rologe hiéronymien donne au 25 janvier les noms de Fa- biani Sabiniani et ses commentateurs nous expliquent que Fabien n’est autre que le pape honoré le 20 janvier avec saint Sébastien, de sorte que Savinien n’est pas autre chose qwune mauvaise graphic pour Sébastien *. Une faute toute semblable explique le passage de Fabien a Sabien; et il est au moins trés probable que c’est la mention du hiéro- nymien au 25 janvier, répétée de celle du 20, qui a donné naissance 4 notre saint. De méme que saint Sidronius avait une scour, saint Savi- nien est censé avoir eu une sceur, qui, d’ailleurs, ne porte pas d’autre nom que celui de Sabine. L’histoire de cette derniére est assez compliquée *, Sabine et Savinien appar- tenaient done a une noble famille de Samos qui était paienne. Mais Savinien, qui avait fait des études trés completes, semble-t-il, ne cessait de penser A la parole du psalmiste : Asperge moi, Seigneur, avec l'hysope et je serai purifié, et il désirait en comprendre le sens. Pendant la nuit, un ange du Seigneur lui apparut et Iui découvrit la portée des mys- térieuses paroles avec l'application qui devait lui en étre 1. Cf. Acta Sanctorum ianuarii, t. II, p. 553-554, 2. Martyrol. hiéronym., édit. Delehaye-Quentin, p. 64 : «Fabiani Sabiniani Fabianus est ille romanus pontifex. Nam pro Sabiniani, al. Saviniani, n. 26, procul dubio legendum est Sebastian!» 3. Cette légende est repromuite dans les Acta sanctorum tanuarit, édit. de Paris, t. IT, p. 559-561. LES MARTYRS BOURGUIGNONS: 343 faite. Intéricurement converti, Savinien quitta alors la mai- son familiale. Désespéré, son pére essaya de retenir dans le culte des idoles Sabine qui, elle aussi, éprouvait des inquié- tudes et des doutes. Ge fut en vain. A son tour Sabine recut en songe la visite d’un ange qui lui ordonna de partir et lui promit qu’elle retrouverait son frére. Avec une servante, Maximinola, elle se mit donc en route. Lorsqu’elle fut arrivée a Rome, elle y recut le baptéme des mains du pape Eusébe * ; et aussitot elle obtint le pouvoir des miracles en guérissant deux aveugles, deux infirmes et un homme a la fois aveugle et infirme. Elle fit ensuite & Rome un assez long séjour ; puis elle gagna Ravenne oit elle accomplit encore des pro- diges ; elle se rendit enfin a Troyes, mais elle n'y arriva que pour apprendre la mort de son frére qui venait justement de subir le martyre. A cette nouvelle inattendue, Sabine demanda au Seigneur de l’enlever 4 son tour de ce monde : sa priére fut exaucée et elle mourut incontinent. On dut Yenterrer 4 l’endroit méme ott elle était tombée et de nom- breux miracles attestérent sa sainteté. Son corps fut long- temps conservé 4 Montier-la-Celle, aux environs de Troyes *. Une telle histoire est si manifestement romanesque qu'elle n’a pas besoin d’étre discutée ; encore un résumé, comme celui qui vient d’en étre donné, supprime-t-il bien des pué- 1, Tl faut rappeler qu’Eusébe ne monta sur le trone pontifical qu’en 310. Quelques-uns supposent que Sabine aurait pu étre baptisée par lui avant qu'il fit pape. L’explication ne vaut rien, puisque les Actes parlent expressivement du pape. Ils n’en sont d’ailleurs pas é une faute prés. Sabine et Sabinien sont originaire de Samos ; leur mere est une chaldéenne, de Pelopia civitate ; il parait que Pelopia est la méme ville que Thyatire. Le manuscrit a d’ailleurs le nom de Philosophia et. Pelopia est une correction. Inutile de chercher a s'y reconnaitre dans ces détails légendaires. 2. Iya dans les taubourgs de ‘Troyes une église dédiée a sainte Sabine. L’ori- gine de cette église nous est connue par la vie de saint Frodobert, abbé de Mon- tier-ta-Cille (Acta sanctor, au 8 janvier) : « Ragnegisilus, natione Aqui septimus decimus iam dietae eivitatis (Tricassinae) episcopus, de quo fertur inter cetera quod basilicam sanetae Savinae virginis in fundo sui iuris construxerit, ceclesiam cui praesidebat haeredem instituens, in quaque honorifice sepultus iacet ». Ragnegesilus devait siéger vers le milieu du vrt® siéclo. Le privilege de Rebais (607-608) mentionne un évéque de ce nom. L’église de Sainte-Sabine est encore mentionnée dans un Acte de 1107, publié dans le cartulaire de Mon- tier-la-Celle ; M. Cuaume, op. cit., p. 1235. 344 LBS ANNALES DE BOURGOGNE ilités ou des incohérences qui rendent insupportable la lec- ture du récit détaillé. Il est vraisemblable que son auteur n’a pas eu beaucoup «autres raisons en Pécrivant, que le désir de compléter la vie de saint Sabinien et de lui donner un paralléle + Cependant, la vie de sainte Julie est plus extraordinaire encore, s'il est possible. Le nom de cette martyre figure au 21 juillet dans le martyrologe romain : Trecis, sanclae Juliae, virginis et martyris * I provient sans aucun doute du martyrologe d’Usuard ; mais, selon les probabilités, Usuard ne conuaissait lui-méme que Je nom de Julie, A ce qu'il semble par des traditions de culte, et il n’en avait pas vu les actes. Ces actes ont été pour la premigre fois mis au jour par Nicolas Camuzat en 1612% O& Camuzat les avait-il découvert ? Cela est ume autre question. Leur langue est assurément trop mauvaise pour qu’il les ait rédigés Iui-méme. En tout cas, comme le dit Tillemont, il n'y a rien de plus pitoyable 4, En ce temps-a, racontent done les Actes ®, Julie, citoyenne 1, Les Bollandistes déclarent publier la vie de sainte Sabine d’aprés un ancien manuscrit de Tréves. Mais on peut se demander & quelle époque remonte ce manuserit, Les anciens martyrologes, méme Usuard, ne connaissent pas notre sainte. 2. A sainte Julie, le martyrologe romain ajoute encore ses compagnons : Ibidem, passio sanclorum Claudit, Justi, Jucundini et sociorum quingue sub Aureliano imperatore. Ceux-ei ne sont pas connus d’Usuard. 3. Promptuarium antiquitatum Tricassinae dioecesis, per Nicolaum Camuzatum ; Augustal Trecarum, 1610. 4, Tuemont, Mémoires, t. IV, p. 348. Par contre, P. Attanp, Les derniéres persécutions du m¢ siécle, p. 239-240, essaie de sauver quelque chose de ce pi- toyable roman : «Bien que rédigés tardivement, ces actes peuvent avoir un fondement historique, Au milieu du troisiéme siécle, Ja Gaule eut souvent a soufirir des Barbares... Sans doute, en ces temps troublés, bien des Gallo- romaines tombérent comme Julie au. pouvoir de quelque chef ou de quelque petit roi germain. Pourquoi le christianisme n’aurait-il pas pénétré par cette voie aux bords du Rhin, comme il pénétra grace & d’autres captifs sur ceux du Danube ? Au milieu de sa rudesse, I’ame du Germain recelait un coin de vague et impérieuse poésie, avec le respect instinctif de la femme ; il put croire a la parole de chrétiennes lui promettant un paradis plus pur et plus doux que le Walhalla des ancétres, Des exemples famoux nous montrent, aux siécles s -vants, des filles de Dieu remportant de ces pacifiques vietoires sur le paganisme barbare », Contentons-nous de rappeler qu’on ne fait pas histoire avec des pout-étre, mais avec des faits. 5, Acta sanctorum iulii, t. V, Paris, 1868, p. 133. LES MARTYRS BOURGUIGNONS 345, de Troyes, fut prise par un chef barbare du nom de Claude, qui 'emmena dans sa patrie. Frappé de sa beauté, il voulut Vépouser. Mais Julie lui déclara que sa pureté était gardée par un ange et que celui-ci frapperait tous raient de la toucher'; elle ajouta que son époux était le Christ. Claude crut sa captive ct la fit installer dans un appartement ott elle pouvait servir Dieu a sa guise et oi des esclaves étaient sans cesse A sa disposition. Désormais, lors- qu'il partit pour la guerre, il se recommanda toujours aux priéres de sa captive, et toujours aussi il revint, grace a elle, ceux qui essaie~ vainqueur de ses ennemis. Cela dura vingt-huit ans, au bout desquels Julie eut une vision : le Christ lui apparut et lui ordouna de revenir a Troyes afin d’y subir le martyre. Naturellement, Claude fut averti de la chose, mais lorsque sa captive lui edt exprimé le désir de revoir sa patrie et d’y mourir pour la foi, il décida de l'ac- compagner ; il abandonna done sa femme, ses enfants, tous ses biens, et, avec Julie, il prit le chemin de Troyes. Tous deux y arrivérent tandis que la perséeution battait son plein. Julie fut d’abord interrogée par le préfet Elidius qui, aprés une premiére comparution, la fit brdler par des char- bons ardents; mais ses bourreaux devinrent aussitét aveu- gles; dautres voulurent la battre de verges; ils ne purent pas y arriver. Finalement, l’empereur Aurélien la mit en demeure de sacrifier ; sur son refus, elle cut la téte coupée. Claude se présenta alors 4 I'empereur, lui raconta son his- toire et lui demanda de le condamner également. « Mais tu n’es pas chrétien, objecta Aurélien, — Je le deviendrai si je meurs pourle Christ ». Il fut aussitot satisfait : on lui trancha la téte. Lorsque l'empereur fut revenu son tribunal, on lui présenta vingt autres chrétien : Justa, Jucunda, Ternus, Antonius, Herenus, Theodorus, Dionysius, Apollonius, Appamia, Pio- 1. On trouve quelque chose de tout & fait semblable dans l'histoire de sainte Cécile, 4 346 LES ANNALES DE BOURGOGNE nicus, Custion, Papyras. Saturius, et leurs compagnons dont les noms sont écrits dans le livre du Christ et de lAgneau. Ils furent 4 leur tour décapités au lieu méme ou sainte Julie avait trouvé la mort. Le corps de sainte Julie et le chef de saint Claude furent ensuite, parait-il, transférés a l'abbaye de Jouarre au diocése de Meaux. Nous n’avons pas de renseignements sur cette translation. Le nom de saint Vénérand figure au martyrologe romain le 14 novembre. «Baronius ne cite pour cela que lautorité de Pierre des Noéls qui en fait une histoire pitoyable. Je ne trouve point que Camuzat parle de ce saint. On trouve aussi dans le martyrologe romain le 14 de novembre une sainte Vénérande, martyre dans les Gaules, dont Pierre des Noéls rapporte une histoire aussi méchante que celle de saint Vénérand et semblable dans quelques circonstances de sorte qu'il y a assez d’apparences que ce n’est qu'une méme per- sonne, quoiqu’on mette sainte Vénérande sous Mare-Auréle Antonin 1 », Vénérand serait, d’aprés la légende, né a Troyes, dans le sein de Vidolatrie, de l'un des plus nobles et des plus riches citoyens de Ja ville. Un jour qu'il lisait, sans le comprendre le psaume x, un ange lui apparut qui lui expliqua que le verset : Asperges me hyssopo ef mundabor signifiait la grace du baptéme. Nous pouvons nous arréter ici, car nous con- naissons déja cette histoire ; ne venons-nous pas de la lire dans les actes de sainte Sabine ? Le récit s'achéve & peu pres, comme pour saint Savinien : Vénérand, converti de coeur se promenait un jour sur les bords de la Seine, lorsque le Seigneur lui apparut et le baptisa. Il commenga dés lors a précher l’évangile et A opérer de nombreux miracles. En ce temps-ld, Aurélien, en allant porter la guerre chez les Germains, passa par la ville de Troyes. Il entendit parler 1. TuLemonr, Mémoires, t. IV, p. 348-349. LES MARTYRS BOURGUIGNONS 347 de Vénérand et voulut le contraindre a V’apostasie. Ni le feu ni les fléches ne purent vaincre la constance du martyr. 11 fallut enfin le décapiter. La patrie de sainte Vénérande n'est pas indiquée : la notice du martyrologe romain reste d’ailleurs trés imprécise au sujet de cette nouvelle martyre ; Item in Gallia, sanctae Venerandae virginis, quae sub Antonino imperatore et As- clepiade praeside, marlyrii coronam accepit. Son histoire w’ offre rien de trés saillant, en dehors d’un voyage & Rome qui res- semble trés sullisamment celui de sainte Sabine. Il faut remarquer pourtant que son martyre est censément commencé & Rome méme ot elle cut la joie de convertir le préfet per sécuteur. Avec sainte Véné cheve notre longue exploration a travers les actes des martyrs de la persécution d’Aurélien. Faut-il avouer que la lecture que nous venons d’en faire a quelque chose d’un peu décourageant, ou tout au moins de déconcertant ? C’est toujours, au fond, la méme histoire qui se répéte, et les narrateurs ne prennent méme pas toujours le temps d’en changer le moindre détail. Sidronius est iden- tique 4 Sabinien et celui-ci se retrouve encore sous les traits de Vénérand. Sabine double Sabinien comme Vénérande double Vénérand, et comme déja Bénédicte double Sidro- nius. L’hagiographe, pour nous émouvoir davantage, trouve bon de placer la sceur auprés du frére et de lui accorder la gloire d’un semblable martyre. Peut-étre ne réussit-il qu’a nous ennuyer. De tous les saints dont nous venons de parler, Patrocle est le seul qui soit mentionné par saint Grégoire de Tours. Encore celui-ci raconte-t-il, touchant la découverte de ses actes, une histoire qui nous met en défiance quant a leur valeur historique. Avant la fin du vie sidele, le martyrologe hiéronymien contient les noms de saint Prisque d’Auxerre et de ses compagnons, de sainte Colombe de Sens, de saint Patrocle de Troyes : il y a la un témoignage qui n’est pas rande 348 LES ANNALES DE BOURGOGNE négligeable, puisque nous apprenons ainsi que les saints dont il s'agit étaient vénérés lorsque fut composé le dit mar- tyrologe. Pour les autres saints, tous les documents anciens nous font défaut : il faut généralement attendre le marty- rologe d’Usuard pour en trouver la mention, et Pon sait les raisons qu’on a de se défier de ce personnage. Cela ne veut pas dire sans doute qu’il a inventé les saints dont il parle; il a pu trouver des traditions de culte, des églises ou des chapelles consacrées 2 tel ou tel d’entre eux, des reliques. On ne saurait rien négliger de cela. Quant aux récits que nous avons analysés, mieux vaut ne pas leur attacher trop d'importance. Il est remarquable, sans doute, que l’activité persécutrice d’Auré- lien en Gaule soit limitée a la région comprise entre Autun et Orléans, entre Auxerre et Troyes, c’est-d-dire a celle ott nous savons que st réellement exercée son autorité. Dans cette région, le souvenir d’Aurélien avait pu se conserver plus précis que celui d’aucun autre empereur, et c'est autour de lui que se sont cristallisées les Iégendes, un peu comme autres récits se sont cristallisés autour du personage plus ou moins mythique de Crocus. Il n’est pas impossible, loin de 1a, qu’en effet plusieurs des martyrs dont nous avons parlé aient été mis & mort par ordre d’Aurélien. Il serait difficile de dire au juste lesquels et plus encore de préciser les circonstances exactes de leur confession. Gustave Barpy.

You might also like