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. r . .·l.
Révolte dans la brousse
Roman d'avellt/lres inédit
par PAUL TOSSE L

,
I~
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CHAPITRE PREMIER

Pas un souffle d'air n'agita it .Je feuillag e touffu de


la grande forêt. La chaleur était accabla nte, des
myriad es d'insec tes bourdo nnaien t dans l'atmos phère
surchau lIée : les dernier s rayons du soleil au terme
de sa course embras aient la terre africain e avant de
dispara ître. C'était l'heure trouble qui précèd e le cré-
puscule , le momen t où l'air ne posséd ant plus la
légèreté des heures ,chaude s devient plus lourd, où
chaque parcell e de terre exhale sous forme de buée
incolor e ct floue le surcroî t de tempér ature emma·
gasiné durant le jour.
Georges Raynal suivait avec peine son guic!e noir
qui portait allègre ment sa charge de bagage s, évo-
luant sans difficul té à travers cette fournai se .
..... Damba ra!. .., Arrêton s-nous quelqu es instant s, je
suis exténué .
Sont résel'vés tous droits de traductio
mise au théâtre et au cinématogr:lpbe. n. d'adapta tion, dQ
;p. R~ A. HiS
2 RÉVOLT E DANS LA BROUSS E -

Le nègre examin a les arbres et les plantes crois-


sant autour de lu~ pour en tirer une conclu sion ré-
confort ante.
- Nous a~rivons près d'une rivière, dit-il. En-
core un dermer effort et nous pourro ns nous repose~
sur la rive. Il n'y a rien de tel pour réconfo rter un,
homme qu'un bain dans l'cau tiède d'un cours d'eau ...
à conditi on que les crocod iles le lui permet tent. 1

Damba ra découv rit dans un large sourire sa denti-


tion éclatan te et saine, puis chargea sur ses propre s
épaules le bagage de son maître en plus:» du sien. La
marche reprit à travers l'enche vêtrem elit des lianes
et des plantes grimpa ntes sous lequel la piste dispa-
raissait complè tement .
Raynal prospe ctait la partie orienta le de l'Ouban -
gui pour le compte d'une exploit ation forestiè re de
Brazzav ille. Depuis plusieu rs années , il parcou rait
l'Afriqu e Equato riale, reconn aissant la richess e dest
terrain s boisés acquis par sa Compa gnie, étudian
les possibi lités de leur mise en valeur. Il connai ssait
donc la brousse , ses pièges, ses danger s naturel s.
Pour vaincre ces dernier s, Damba ra lui était d'un
grand secours . Le nègre, origina ire des forêts du
Congo, compre nait à mervei lle les idiome s ctavait les
mœurs des tribus de l'intéri eur. 'Maintes fois, il
sauvé son maître de situatio ns périlleu ses, faisant
preuve d'une intellig ence et d'un sang-fr oid rares
chez les homme s, de sa race.
Depuis trois ans il n'avait jamais quitté Raynal ;
en échang e de son dévoue ment sans bomes, le Jeune
França is lui accord ait une amitié sincère ct ulle con-
sidérat ion aussi grande que s'il s'était agi <l'un eOIl1-
l)agnon de race blanch e. .
Damba ra était un colosse d'une force hercule cnne,
d'une résistan ce physiq ue sans Iill1~le. Ses yeux Il.oirs
brillaie nt avec vivacit é dans son VIsage sympat hIque
sUI'lTlonté de chevell x courts ct c!'êpl!S. Une bOll ne
humeu r perpétu elle le faisait SOUl'lr~ a c~cune soli-des
phrase s qu'il pronon çait: après des Journee s de
n~voLTE DANS LA BROUSSE 3
\ude déprimante, Raynal trouvait un puissant r'é con-
fort dans la gaieté de son ami.
Georges Raynal était un homme d'une trentaine
d'années environ. D'une t aille supérieure à la
moyenne ct bien découplée, il était doué d'une
gl'ande robustesse, qualité essentielle des coureurs de
brousse. Son visage, bruni par le soleil et les intem-
péries, aux traits l'Udes et accusés, n'était pas dé-
pOUl'VU ù'attraits ; ~es yeux gris et r êveurs possé-
daient le charme nostalgique et prenant des immen-
sités vel'doyantes et des contrées inconnues qu'ils
étaient accoutumés à contempler.
Ce soir-là, lorsqu'ils aLteignirent le cours d'eau
dont Dambara avait éventé la proche présence, il y
avait deux semaines qu'ils avaient quitté Bangassou,
la dernière agg1oméJ'ation qui méritait encore le
n{)m de ville avant la brousse de l'intérieur. '
Le soleil n'était plus maintenant qu'un disque
flamboyant sur les bords de l'horizon. Raynal, exté-
nué, se laissa tomber sur le rivage à l'ombre d'un
palétuvier gigantesque ùont les énormes racines s'en-
fonçaient dans l'cau limpide de la rivière. Dambara
grimpa lestement sur les branches basses pour. exami-
ner les alentours.
L'aspect du paysage l'intrigua par son étrangeté.
La forêt que les deux hommes venaient de traverser
s'arrêtait brusquement devant la rivière large d'une
trentaine de pas, La rive opposée n'était c'Ünstituée
que par de vastes étendues rocailleuses et déserti-
ques sur lesquelles, de place en place, poussaient
des buissons ép ineux pauvres et rabougl'Îs. Des rocs
isolés, sculptés par l'érosion, se teintaient de lueurs
sanglnntes sous les feux du couchant: çà et là de
gigantesques éboulis masquaient la majeure partie
du tel'l'ain. Aucun cri d'oiseau aucun rugissement de
fauve en chasse ne troublait le silence lourd planant
sur ce désert. Dans le lointain, une ligne s'Ombre et
irrégulière indiquait que la grande forêt équatoriale
RÉVOLTE DAN§ ~ ~ROVSSE

reprenait ses droits sur le sol après quelques kilo-


mètres d'interruption.
Dambara rejoi~nit SOIl maître afin de lui faire part
ile ses 'constatatIOns, :puis s'occupa de préparer un
feu de camp destiné a écarter les fauves durant la
nuit et à chasser ~es nuées d'insectes qui tœurnoyaient
au ras du cours d'eau.
Raynal n'accorda ,qu'une médiocre attention au
paysage et s'étant dévêtu, se laissa glisser avcc dé-
lices dans l'onde tiède et transparenle. Lorsqu'il en
sortit pour se rhabiller ct prendre le repas ,préparé
par Dambara, le crépuscule assombrissait le ciel ct
l'atmosphère fraîchissait agréablement.
Soudain le noir tendit l'oreille et jeta rapidement
des poignées de sable sur le. foyer.
- Qu'y a-t-il, Dambara?... Pourquoi éteindre le
feu?
- Ecoute! chuchota-t-il en tendant le bras en di-
rection du désert.
Un bourd'o nnement lointain leur parvenait. C'était
des séries régulières de coups sourds et cadencés qui
s'amplifiaient ou s'éleignaient graduellement selon les
mouvements de la brise du soir.
- Un lam-taml.:. ..1 Il doit y avoit, une tribu nOll
loin de nous.
Un pli soucieux barra le front du nègre.
- C'est le lam-tam de guerre, lança-t-il en écou-
tant àltenlivement.
Raynal partagea son inquiétude. JI ne comprcnai t
pas la signification du mystérieux télégraphe de la
brousse, mais son compagnon était expert. dans cet
art et savait en Înterpreter les sons.
- Que dit-il? demanda le jeune homme impatient
- JI convie toutes les tribus riveraines du Mbari
à veuil' con templer le 'Cadavre d'un blanc oppresseur
des Kénourgous.
Quelques minutes de silence suivirent au cours
desquelles Dambara continua de suivre le sens des
élranges envolées de sons.
RÉVOLTE DANS lA nnOUSSE 5
Est-cc tout?
--' Il ajoute que les Kénourgous aideront leurs frè-
res de raco à exterminel' les hommes blancs qui
vivent dans la région. Les noirs veulent vivre en paix
sur leur territoirc.
- A en croire ce tam-tam, nous tombons en pleine
révolte!
- En effet! II serait plus sage dQ retarder notrc
voyage.
- hnpossihle, Dambara! Nous continuerons à aIlel'
de l'avant. Il y a dans ces parages des hommes de
ma race qui sont menacés, je dois leur prêter main
forte. .
- Dambara te suivra n'importe où!
- POlll' commencer nous allons (>ousser une re·
connaissance à travers cette rocaille Jusqu'à l'endroit
où résonne le tam-tam.
- Allons!

CHAPlTfiE II

Le disque argenté de la lune se dégageait lente-


ment de la nappe sombre que formait le moutonne-
ment des grands arbres lorsque Raynal ct son ser-
viteur atteignirent le cœur du désert. Devant eux,
une déprcssion nalureHe fOl'mait une sorte de cirqne
étroit et profond, bordé pal' des falaises rocheuses.
Au centre de cette cuvette une centaine de nègres
entouraient une Lahle de granit sur laquelle un corps
humain était étendu. La lIorde gesticulait et hurlait
avec frénésie tandis qu'auprès du cadavre, un vieil-
lard au corps squeleltique, vêtu d'un simple pagne,
plantait des lances dalls cet amas de chair morte
et pnntelant·c en prononçant d'étranges et barbares
incantations.
. TIaynal frissonna en constatant à la clarté pâla
de l'astre, que la victime etait UI1 EUI'opécn. SOI1.
RÉVOLTE DAN~ LA BROUSSE

index caressa la détente de sa carabine, mais Dam-


bara intervint à temps.
- Maître, ce serait une folie d'attirer l'attention
SUl' nous pal' un coup de feu. Les Kénourgous nous
auraient rapidement découverts et nous serions mas-
sacrés sans pitié ... En ou Ire, même si noire inter-
vention effrayait la tribu, elle s.erait inutile car
l'homme étendu sur le roc, n'est plus qu'un lamen-
table corps déchiré par de nombreux coups de
lances.
- Nous ne pouvons cependant pas demeurer inac-
lifs devant un pareil spectacle ... Il me serait doux
de fracasser le crâne de ce vieux sorcier qui con-
duit cette danse macabre. -
- Ce vieux sorcier est très puissant. C'est un
demi-Blanc; la teinte de son épiderme l'apparente
aux mulâtres et le différencie nettement de ceux de
ta race et de ceux de la mienne ... Ngouéllé est le
maître incontesté de toutes les tl'ibus de la région
du 'M bari : il est le chef des secles les plus sangui-
naires et chacun lui obéit aveuglément. .
- Comment sais-tu cela?
- Il Y a quelques années, avant d'entrer à ton
service, j'ai traversé les territoires de l'Oubangui et
j'ai entendu parler de lui comme un homme féroce
baïssant profondément les Européens. Les légendes
circulant sur SOIl compte sont si étranges que je
mis en doute l'existence même de ce personnage.
Aujourd'hui, je me suis brusqu~mellt souvenu qu'il
régnait sur les J{énourgolls en entendant le tam-tam
lancer le nom de cette tribu aux échos.
- Ainsi tu es persuadé que le démon qui s'agite
atlprès de cc cadavre est Ngouéllé.
- Je le suis!
-- Dans ce cas, il m'est impossible de résister all
désir de lui envoyer une balle qui mellra un terme
à ses sinistres exploits ...
- II serait plus utile d'aller meUre cn garde
contre Ngouéllé les. autres ~OlQllS de la région. ' .
RÉVOLTE DANS LA DROUSSn 7
La logique de cette simple phrase produisit son
effet. Raynal passa à r.cgret sa carabine en ban-
doulière ct entraîna Dambara vers le cours d'eau,
tandis que dans le cirque l'horrible cérémonie des
sauvages se poursuivait dans un délire sanguinaire
croissant.
Ce fut avec un véritable soulagement que le Fran-
çais retrouva le silence de la forêt que troublaient
seuls le murmure argentin de la forêt et le conc-ert
no'cturne des animaux en chasse. -
- Dambara, sais-tu où s-e trouvent les exploita-
tions de cette part je de l'Oubangui dirigées par des
Européens?
- Non, mais il sera facile de les trouver.
- De quelle façon?
- De part et d'autre du Mbari, il n'y a pas de
points d'eau assez importants pour alimenter une
exploitation: les colons ont donc établi leurs rési-
dences et fait construire les cases de leur person-
nel sur les rives même de la rivière. En en remon-
tant le cours, nous sommes certains de découvrir
ces établissements les uns après les autres.

Après trois jours de marche relativement aisée


le long du Mbari, Raynal décoUVl'it une piste qui
semblait fréquentée en raison de son bon état. En
outre, les coupes de ' bois récentes prouvaient qU(t
l'on atLeignait une région où s'exerçait l'activité d'un
Blanc.
. Le soir, les deux hommes pénétrèrent dans une
vaste clairière dont le centre était occupé par une
vingtaine de cases indigènes. D-evant les feux allu-
més, des silhouettes de Noirs allaient et venaient
sans cesse, se livrant à des occupations variées, mais
toutes pacifiques. Des négrillons entièrement nus
s'ébattaient à grands cris non loin du village, sou-
levant des nuages de poussière sous leurs pieds agi-
les. Des fe~es accroupies devant les 2ases, pilaient
8 nËVOLTE DANS LA BROUSSE

'des graines ent~c des pierres creuses et polies. Les


hommes demeuraient étendus paresseusement sur
des· tapis d'herbe drue ou s'affairaient à réparer des
outils rudimentaires avec une attention soutenue ct
des gestes précis.
Raynal et son compagnon - s'av:lI1cèrent ct furent
aussitôt l'objet d'une curiosité intense. Dambara de-
manda à voir le chef de l'exploitation. On lui dési-
gna une construction faile avec ùes rondins de bois
s'élevant i:t une cinquantaine Je mètres du village,
non loin du Mbari.
Le Français nola avec surprise que si on répondait
aux questions de Dambara avec unc certaine indiÏ-
férence, on le dévisageait, lui, sans aucune sympa-
thie. Parmi 1-2 grollpc qui l'entourait, il devinait
sans les comprendre des llropos haineux. Un négril-
lon se baissa pour ramasser une poignée de sable
et la lancer sur lui avec une horrible grimace. Un
rire général secoua l'assistance: on se moquait ou-
vertement de cet étranger.
Raynal demeura impassible. Damhara s'approcha
de lui ct l'enlraîna vers la case de l'Européen.
- Tu diras au maître de <:cs terrains de partir
au plus tôt, lui souffia-t-il il l'oreille. Les nègres d'ici
n'alment pas les étrangers, la révolte paraît proche.
Haynal s'approcha de la porle d'cntrée et frappa
à plusieurs reprises. Une voix féminine et douce
qUi tremblait de frayeur lui répondit :
- Que voulez-vous? demanda-t-elle.
- Entrer chez vous, Nous sommes des voyageurs
qui travcrsons votre domaine: vous n'av-cz rien à
redouter.
- Dcs Franç.ais! s'exclama la même voix avec un
accent joyeux.
- En effet!
Les visiteurs cntendirent les bruits caractéristi-
ques de v-crrous tirés et de meubles déplacés.
- Ces gens )'cdoutent quclquc chosc, conclul
Pambara, ils Qnt barricadé l'issue dc la maison.
lŒVOLTE DANS LA BROUSSE

La porte s'ouvrit. Une jeune fille d'une vIngtaine


'd'annees )larut. Raynal demeura interdit; il ne s'at-
tendait pas à découvrir au fond de la brousse une
créature d'une tclle beaulé, ù'une fraîche.ur si ex-
quise et si délicate.
Il recouvra rapidement son sang-froid cn aper-
cevant dans le fond de la pièce un homme étendu
sur une couchette, le visage exsangue, un bras en-
touré de pansements.
- Georges Haynal! murmura-t-il, abrégeant les
présentaLions .. , Mon servitem' Dambara en q~li j'ai
toute confiance!
- Simone Langeac, répondit la voix douce ct
harmonieuse de la j·eune fille." Mon père, Robert
Langeac qui est blessé et en proie à une crise de
paluùisme.
Il marcha jusqu'à la couche sur laquelle gisait ]~
blessé.
- Vous tomooz bien mali murmura ce dernier en
faisant un effort pour s'accouder SUl' son bras va-
lide, .. Je suis presque un invaJjde et la révolte
gronde parmi les travailleurs noirs. .
- J'ai pu le constater. En dépit du pacifisme
apparent de vos nègres, le mecontenteluent semble
régner.
- C'esl exact! .. . Etes-vous ici pour longtem)lS '1
~ Je demeurerai le temps nécessaire' il vous pro-
téger.
Un éclair de joie illumina les traits du robuste
quadragén3ire que la fièvre et la souffrance terras-
saient.
- Merci! Votre arrivée est pour moi un heureux
événement... Je craignais de n-e pouvoir assurer
seul la }lrotection de ma fille . Vos paroles me lai's-
sent présager qu'elle trouvera en vous un défenseu~
dévoué ...
- J.e suis à sa disposition et à la vôtre .
..-- Quelle circonstance vous a conduit ici '1
.,....., J'ai appris par hasard que la tribu d.es Rénour.
lO ~ÉVOLTn DANS LA BROUSSe
go us qui occupe un territoire sur le bord du Mbari
avait tué le Français qui la dirigeait et s'apprêtait
à exterminer tous les étrangers de la région. J'ai
donc décidé avec Dambara de prévenir ceux-ci.
-.- Ainsi, Landier est mort!
- J'ignore le nom de la victime des Kénourgous.
- Elle s'appelait Landier; c'était un homme
loyal qui nous faisait de fréquentes visiles d'amitié ...
Maintes fois il m'avait confié ses craintes et s'atten·
dait à un coup d'audace monté par Ngouéllé le
mulâtre.
- C'est en effellui le meurtrier: je l'ai vu auprès
au cadavre mutilé de notre compatriote.
-- Cet homme est un démon 1 Il parut il y a dix
ans sur les bords du ,Mbari et, depuis ce jour, les
nè~res ne cessent de se rebeller sous les plus futiles
pretextes ... Il les domine par la terreur ~t par ses
ruses de magicien. Il est le maHre de la redoutable
secte des Hommes-Panthères. On raconte que polir
entrer dans cette association d'assassins, il choisit
de son propre gré les plus répugnantes épreuves:
il se lit lier au fond d'une fosse entre deux cadavres
et y demeura un jour et une nuit entiers, mangeant
les entrailles d'une panthère qu'un lépreux lui pré-
sentait au bout d'une lance.
- Vos nègres subissent aussi la tutelle de
Ngouéllél
- Naturellement! Depuis un mois ils ne travail-
lent plus. Ils opposent à mes menaces ou à' mes
remontrances une indifférence haineuse. Ces der-
niers jours, cet état de choses s'aggrava. Le tam·
tam de guerre ne cessa de résonner et un gl'and
nombre de noirs partirent vers le Sud. Je suppose
qu'ils sont allés chez les Kénourgous demander des
ordres à Ngouéllé. L'existence de la tribu continue
à s'écouler dans un calme de faux aloi mais je l'e-
douto le pire lorsque les messagers seront de retour.
CL J'ai voulu réagir, reconquérir mes travailleurs:
,l'ai été insulté, fl'app.é, Ull coup de lance m'ouyr~t
l\ÉVPLTE ' DAN$ 1..\ "JlROUSSE Il
le bras. Comprenant que tout était inutile, j'ai tenté
de fuir avec ma. fille. 'M alheureusement une surveil-
lance étroite nous entourait et nous dClmes nous bar·
ricader dans cette maison. Le résultat immédiat de
ma blessure fut une poussée de fièvre et une crise .
de paludisme ... Aujourd'hui, grâce aux soins de Si.
mone, je vais beaucoup mieux et votre arrivée m'a ,
restitué ]e courage dont je manquais.
-. Quel but poursuit donc Ngouéllé?
- Je l'ignore 1 Certains prétendent que c'est un
ambitieux qui invoque le prétext.e de libérer les
noirs pour mieux les asservir et demeurer le maître
du pays. Landier m'assurait <lue le sorcier était un
criminel dangereux, échappe des bagn.es de la
Guyane française et venu en Afrique pour se ven-
ger d'une façon éclatante de celte race civilisée qui ~
l'a rejeté et condamné. D'autres enfin conjecturent
qu'il peut être à la solde d'une puissance étrangère
pour fomenter des révoltes dans nos colonies,..., Peut-
être est-il tout cela à la fois l ' ,-
- C'est fort possible!.!.!. Pourquo.i n'a-t-on jamais
alerté les autorités?
- On l'a faitl ... Malheur.eusement nous sommeS
très loin des centres importants et les communie:;t.
tions sont difficiles. Un jour, une escouade de sol·
dats coloniaux nous fut cependant envoyée. Elle se
mit à la recherche de Ngouéllé qui avait mystérieu-
sement di'sparu à son arrivée. Elle s'enfonça dans
les montagnes et depuis, personne n'entendit parler
d'elle. L'enquête qui sui vit eeLte disparition fut su-
perficiellement menée et nos plaintes ne furent plus
prises au sérieux. Les colons du Mbari comprirent
qu'ils n'avaient à ,compter que sur eux-mêmes.
AÈVOtTE DANS LA BROUSSE

CHAPITRE III .

Ce ne fut qu'un peu plus tard, après avoir pris un


repas sommaire, que Raynal exposa les projets qu'il
avait conçus. . '
--< Langeac, demanda-t-I1, vous sentez-vous suffi-
samment de forces, pour accomplir un voyage assez
long?
- Certes! Je suis prêt à n'importe quel effort pour
arracher ma fille à la cruauté de ces sauvages!
- Y a-t-il des pirogues ainarrées sur le Mhari?
- Oui! .
- J'IIi décidé que nous fuirions à la favcur des
ténèbres.
- Nous sommes surveiHés de près r
. - Peut-être 1 Mais trois hommes résolus et armés
d'excellentes carabines peuvent enfoncer cette ligne
de surve"i!ance. S'il faut nous battre, il est préféra-
ble de le faire maintenant avant l'arrivée des mes-
sagers envoyés à Ngouéllé et des Kénourgous qu'ils
ne manqueront pas d'amener en renfort. A l'heure
actuelle, ct d'après m-es constatations, il ne resle
dans le village, noir qu'une qui nzaine d'hommes, le
reste des effectifs n'est consLitué que par les fem-
mes et les enfants ... Ce serait une lourde faute de
ne pas mettre à pro11t cette carence de combattants.
- Vous avez raison! Nous partirons quand il vous
plairaI
- Ir est inutile d'attendre davantage. Préparons
nos armes et gagnons une des pirogu·cs ... N'hésitez
pas à abattre sans pitié ceux qui ten teraient de s'op~
poser à notre fuite .
Raynal se tourna ensuite vers la jeune fille:
-- Mademoiselle Langeac, VOliS marcherez à mes
côtés tout le temps que va durer cette progression
yers la rivière.
EIl~ lui répondit pa.r un sourire exquis et conti.
~ÉVOLTE DANS LA BROUSS» 113
)lua d'introduire dans t111 chargeur les cartouclles de
pistolet automatique qu'elle avait disposées devant
elle. Elle ne semblait nullement effrayée et s'apprê-
tait à eomb~ltre comme ses compagnons. Le jeune
homme aùmlra son calme et regretta d'exposer la vie
de cette frêle créature au visage séduisant qu'au-
réolait une masse de cheveux bruns et ondulés.
- Depuis combien de temps habitez-vous l'Afri-
que? ùemanùa HaYllal à son hôte.
- Il Y a quinze ans que j'ai quitté la FratJ.Ce pour
m'établir avec ma femme et ma fille d'abord au Ga-
bOll, puis dans l 'Oubangui. Ma "femme mourut cinq
ans plus tard, mais Simone s'acclimata parfaitement
et devint pour moi une auxiliaire précieuse.
Daml)lH'a interrompit ce dialogue, indiquant qu'jl
ne fa .!lait pas perdre de temps .
Langeac prit un pistolet automatique, tandis qtfe
ses deux vi siteurs approvisionnaient leurs fusils. La
jeuné fille se tint p r ête à les suivre.
Jls se glissèrent clans la nuit limpide et bleue, pro-
gre ssan t en silence vers le 'M bari qui coulait non
loin de là. Aucune silhouette ennemie ne parut pour
s'opposer à celle avance. La tribu entière semblait
reposer, tout était calme et endormi. Le groupe, qui
s'altendait à comballre, fut surpris de cette facilité.
La berge du l\Ibul'i allcinte sans incident, Langeac
dirigea ses amis vers le point où les pirogues se
trouvaient amarrées.
11 l'atteignit rapid ement, mais laissa échapper une
exclamntion de fureur. Devant lui, les quinze .e mbar-
cations de la tribu gisaient sur le sable, éventrées à
coups de hache, inutilisables.
Les fugitifs compriren t pourquoi les nègres négli-
geaient maintenant de les surveiller. En détruisant
les pirogues, ils avaient coupé tout moyen de fuite
par le lIeuve; il ne restait que la forêt où les mar~
clles épuisantes laissent derrière elles ùes lraces vi-
sibles. Si les blancs commellaient l'imprudence de
s'engager dans la brousse, ils seraient rapidemellt
14 RÉVOLTE DANS LA BROUSSE
rejoints, forcés à livrer un 'c ombat inégal et maSS1"
crés.
Raynal réagit ]e premier, après qu'ull décourage-
ment général se fût emparé de ses amis.
- Il nous reste encore un moyen, dit-il;' cons-
truire un radeau. Retournons dans la case pour pren-
dre les matériaux nécessaires et mettons-nous au
travail ... At l'aube, nous pouvons être prêts.
- Nos préparatifs éveilleront les noirs! .. (
- Nous les écarterons à coups de fusil!
Ils prit'elll le chemin du retour, animés d'nn espoir
nouveau. Soudain, le battement monotone d'un Lam-
tam éloigné fl'appa leurs QI'eilles. []s s'immobiiisè-
rent; Dambara concentra son attention sur le ùruit.
- Eh bien! chuchota Raynal. ". Que signifie ce
message nocturne?
- Les Kénoul'gous préviennent ceux de l'exploi-
tation de leur arrivée ... Ils ne sont plus loin, dans
une heure ils apparaîtront.
Une angoisse indicible étreignit les Français. Il
nc fallait même plus songer à construire lin radeau,
tant le danger était proche.
Langeac prit une tlécision désespérée:
- Il ne reste plus qu'à regagner l'h abitation, à
nous barricadel' et à accepter le combat... Je ])1·é.
fère lutter jusqu'à mon dernier souffle plutôt que de
tomber vivant entre les mains de ces snuvages.
Il n'existait aucune autre solution. Ils gagnèrcnt
en Ioule hâte la case et accumulèrent des objets
pesants contre les issues, aménageant clans les cloi·
sons d'étroites meurtrières pour le passage des ca·
nons de fusils.
Lorsque cc travail fut achcvé, l'aube blancltissait
d'Orient et une clarté indécise baignait les rangées de
cases indigènes. Une animation anormale régnait
parmi ces dernières. Des nègres armés d·c lances ou
d'arcs se massaient, fnce aux Européens, poussant
des cris hostiles, traduisant IcUl' haine par des ges- '
ticulations démoniaques. Letlt' nombre croissait de
RÉVOLTE DANS LA DROUSSE 15
luinute en minute; outre les noirs de l'exploitation,
une vingtaine de Kénourgous venus du sud prenaient
part au combal.
Soudain, les vociférations cessèrent, et les assail·
lants avancèrent lentement jusqu'à trente pas de la
cnse. Une volée de flèches vint frapper les cloisons,
puis le signal de l'assaut suivit aussitôt et la horde
se rua en avant.
Raynal et ses compagnons ouvrirent le feu. Des
nègres s'elIondrèrellt eIl hurlant, les, autres passèrent
sur lems corps ct parvinrent vers la case dont Ils
attaquèrent la porte il coups de hache et de lance.
A l'intérieur, les assiégés concentrèrent le feu des
carabines et des pistolets sur celle-ci: ks balles tra-
vcrsan t le bois vinrcnt frapper la masse compacte
des Africai 11S. Les premiers s'effondrèrent, d'autres
qui prirent leur place subirent le même sort; durant
quelques minutes, ce fut un véritable carnage.
Brusquement, les nègres abandonnèrent la lutte et
'l'enfuirent pour se regrouper ù l'intérieur du village.
Devant la case, une quinzaine de cadavres jonchaient
le sol, des blessés se traînaient en gémissant vers
leurs congénères qui les abandonnaient lâchement.
- J~a première attaque a échoué, conclut Raynal
en approvisionnant lc magasin de sa carabine .. , Je
ne crois pas Cju'ils reviendront de si tôt.
- Peut-arc ne livreront-ils pIns d'assaut, mais
ils emploieront la ruse pour nous forcer à capituler,
remarqua Langeac.
- NOLIS dcjouerons leurs projets par notre vigi-
lance.
Sur la fin de la matince, une nouvelle attaque fut
cependant tentée. L'éc,h.e c de la prcmièr~ avait rendu
l es assaillants plus cll'cQn spects et mOlllS confiants
en leur force. Langeac et ses amis n'eurent pas ùe
pei ne il la repOllsser. Ils poursni virent leur avantage
cn liraul S.lUS arrêt sur les nègres qu'ils aperce-
vaient, les contraignant il sc tcnol' pOlll' ~chappcl'
aux balles meurtrières.
16 RÉVOLTE DANS LA BROUSSB
L'après-midi s'écoula sans incident. Le soir tomba,
des feux de camp s'allumèrent çà et là. Dambara
ayant examiné leur situation devint soucieux et fit
part de ses craintes à Raynal .
......... Nous sommes encerclés, dit-il en désignant l'im-
mense ligne de foyers en tourant la case à une cen-
taiac de mètres de distance. Les Kénourgous renon-
cent à nous capturer p a r la force, ils attendront que
la faim et la soif nous obligent à sortil'.
Une angoisse mortelle étreignit les Fl·ançais. Si
Dambara voyait juste, ils étaient irrémédiablement
perdus.
- Combien de temps pourrons-nous tenir? de-
manda Raynal au colon.
- Les ·provisions alimentaires dureront trois
jours, de même que l'eau potable. Quant aux muni.
tions, nous en possédons plus qu'il nous en faut.
- Eh bien, nous résisterons trois jours ... ensuite,
nous réglerons notre altitude sur ks circonstances.
Dambara ne s'était pas trompé. Au cune allaque ne
fut lancée durant la nuit et la journée qui suivirent.
Les nègres demeuraient invisibles, mais on les devi-
nait embusqués dans les hautes hel'hes, épiant sans
arrêt la case ct ses alentours i m médials.
Le soir du deuxième jour de siège, le ciel s'assom-
brit subitement. Des nuages noirs et compacts s'ac-
cumulèrent à l'horizon; une nuit d'ellcr·e s'abaltit
sur la forêt
- Une tornade sc prépare 1 conclut Langeac qui
observait l'extérieur par une des meurlrières ... Lo
~1bari va d cborder et le séjol1r dans la forêt devicn-
dm iJnpossible: je me demande ee que vont faire
les nègres.
Ce soir-là les feux ne s'allumèrent pas dans 10
camp ennemi. Tout demeura silencieux.
Un coup de tonnerre éclata, anéantissant le calme
lourd précllrseul' de la tourmente; les nuées se d6-
r.hil'èl'ent. précipitant sur 1:1, terre des tromlJes d'ealt
RtVOLTE DANS ~À bROUSSm 17
dans le fracas ininterrompu de la foudre et les sil-
lons fulguranls des éclairs.
Raynal, qui s'était placé en surveillance auprès
d'un orifice de la cloison pendant que ses compa-
gnons se rest.auraient, quitta son poste ct rejoigni t
ccux-ci.
- Je ne vois plus ce qu'il se passe à un mètre do
la case, dit-il. Toute surveillance est inulile.
L'intensité des rafales redoublait. De temps à au-
tre, l'habitation de bois, quoique construite solide-
ment. était ébranlée sur les madriers formant son
sol. Un mugissement continu se mêla bientôt :lUX
bruits de la lempête, Langeac en expliqua la cause.
- Le Mbari grossit et déborde, dit-il: bientôt, les
flots bourbeux viendront lécher le pied des murs
de celte case.
- Ne risque-t-elle pas d'être emportée?
- Non, car clle est légèrement surélevée sur d·es
pilotis solides, profondément enfoncés dans le sol.
Les inondations ne l'ont jamais endommagée.
Une demi-heure plus tard, le bruissement caracté-
ristique de l'eau contre \\n obslacle les prévint que
la rivière passait maintenant sous la case.
- Ql~clle est la hauteur des pilotis? demanda
Raynal.
- Environ 50 centimètres!
-.., Si la pluie dure encore une heure, celte hall-
tCltl' sera allcinte ct peut-être dépassée 1
- Jamais lIne tornade n'a attcint ulle aussi longue
'durée 1
naynal haussa les épaules avec scepticisme.
Dehors, les élémenLs déchaînés livraient à la na-
tme UIlC bataille titanesque avec une furie toujours
l-gale. Trois quarts d'heure s'écoulèl'ent : les flots du
Mbari, ft hauleul' du plancher, heurtaient mainte-
nant les piliers avec force, imprimant à la case une
vihralion ininterrompue.
Langeac, qui avait cependant conflanC6 dans 51\
~onstl'llction, cOl11menç~\It à manifeslcL: de~ signes
RÉVOLTE DANS LA BROUSSE

d'inquietude. Raynal et la jeune fille se taisaient"


concentrant leur attention sur le grondement sourd
qui se produisait sous leurs pieds.
Dambara demeurait impassible. Soudain, les mus·
cles de sa face se crispèrent, révélant une tension
d'esprit anormale. Il sc jeta à terre ct colla SOIl
oreille au plancher. •
Les Français suivaient anxieusement ses gestes
sans les comprendre. Le noir se redressa d'un bond,
saisit un outil d'acier à portée de sa main el se mit
à attaquer vigoureusement l'assemblage des rondins
formant le sol.
- Que fais-tu, DamlJara?... Tu es fou 1 l'cau va
pénétrer dans la case ...
- Il Y a des hommes en train de scier les piliers
qui nous supporlent! interrompiL brutalemcnt }' Afri-
cain.
Hayoa} pâlit: empoignant un pic, il sc mil à aidel~
fébrilement son servitcur.
Un orifice large fut bientôt ouvert. Le niveau de
l'cau Cn atteignait presque les bords. Dambara n'hé-
sita qu'une fraction de seconde. Plaçant son poi-
gnard cntre les dents, il sc laissa glisser dans le J10.
bourbeux.
Ses pieds touchèrcnt le sol et s'y arc-bou lèrent. Il
s'accroupit et plongea délibérémcnt.
Les minutes qui suivirent parurent dessièclcs aux
trois Européens. Soudain, un corps noir émergea
vers l'orifice, une face grimaçante aux yeux révulsés
parut, puis le courant emporta le corps.
- Cc n'cst pas Dnmhnra r s' exclama Rayonl en es-
suyant lu suenl' qui perlait il ses tcmpes.
te nègre ne larda d~ailleul's pas il paraître. Ses bras
vigoureux accrochèrent le rcbord du plancher ct il
se hissa dans la cnse .
....... J'en ai tué lInl baleta-t-n... mais il y en a
d'autres ... un il chaque pil.ier : je ne pcux plus rien
fail'e contre <lm,. Dans quelques secondes nous serons
emportés ..•
RÉVOLTE DANS LA BROUSSg

Comme il acheva it sa phrase, un craque ment si-


nistre se fit entend re: la hutte oscilla sur ses sup-
ports puis, brusqu ement, elle s'inclin a et fut empor-
té·e par le torrent comme un fetu de paille.
Ses occupa nts furent précipi tés les uns sur les
autres, La lampe à huile qui les éclaira it chut à terre
et s'éteign it. L'cau pénétra nt par toutes les issues
submer gea rapidem ent l'intérie ul'. Un cri désespé ré
jaillit des lèvres de Simone Langea c. Raynal tenta
de la rejoind re, A cet instant il reçut sur la tête un
choc terrible et perdit toute notion du réel.
La case venait de se fracass er contre un groupe
de troncs d'arbre s renvers és par la tempête .
Damba ra, roulé en tous sens, parvin t ceRend ant il
se dé~agel' rapidem ent. En un clin d'œil li jugeaent la
situatio n, Des débris de la constru ction se trouvai
entraîn és vers le couran t central du Mbari, mais le
pl.anch er auquel tenaien t encor·e deux cloison s de-e
meurai t coincé entre deux arbres par la violenc
des eaux.
Un corps passa près de lui: c'était Raynal . Il le
saisil et le jeta SUI' la partie émerge ante de l'épave .
A quelque distanc e, il disting ua à la lueur d'un celair
Robert Langea c el sa fille crampo nnés à une énorme
branch e, luttant désesp érémen t contre le couran t.
Utilisa nt tous les obstac].Bs solides qu'il rencon trait,
Damba ra se dirigea vers eux.
Au momen t ou il allait les atteind re, des formes
noires surgire nt des eaux aux côtés des deux blancs.
Les Kénour gous, nageul' s intrépi des, n'hésita ient pas
à bra ver la fureur des élémen ts pour acheve r leur
œuvre crimine lle.
Dnmùnru, impllis snnt li les secouri r, vit à la luem'
jntermi llcllte des coups de foudre, la jeune fille ell-
levée par des bras puissan ts dispara ître d'ms les lesté·
nèhres, Son père, qui luttail farouch emenl contre
agresse urs, reçut un coup de poigna rd qui lui sec·
tionna la gorge : sou cadavre disparu t dans un tout'-
billon.
1
;/
~ËVOLTE DANS LA nROUSSn

L'Africain, jugeant alors que tout était perdu de


ce côté, revint vers son maître toujours inanimé. Un
rapide examen lui permit de constater qu'il était
vivant et que cet etat d'inconscience avait été pro·
voqué par le heurt ùe sa tête contre un madrier au
moment où la hutte s'étnit brisée.
11 atlachn solidement Raynal à la branche mai·
tresse d'un arhre et s'occupa ensuitc de sa propre
sécurité.
La tempêl.e s'apaisait ~radnellell1ent: le gronde-
ment du tonnerre se faisa]t plus lointain ct de temps
à autre un pan de ciel étoilé apparaissait dans la
déchirure d'une nuée.

CHAPITRE IV

Lorsque Georges Haynal reprit ses sens, le soleil


était déjà haut SUl' l'horizon. L'nstre éclatant brûlait
la terre, ]JénéLrait les feui1lagcs touffus sous Jesqucl:;
il se trouvait. A ses côtés; il vit Damhara profonùé-
ment endormi.
Sa tête endolorie lui rapp()l:l la terri hIe scène ayant
précédé son évanouissement. Il appela L:lIlgeac ct I)a
fille. Nulle voix ne répondit, mais la sienne éveilla
lion serviteur.
- 11 ne faut pas chercher Langeac, dit-il. .. Les
Rénoul'gous )'on t tué.
- El Simond ...
- EJ1e n'est p:lS morte, mais jls l'ont cnlcvée,
sans doute ponl' l'emporter dans la lribu ct la sup-
plicier ... Je n'ni rien pu fairc pour les sauycr.
JI narra ensuite l'horrible dramc qui s'étnit dé-
roulé au plus fort rie la t-::!mpête el la façon donl
avaient dispnru Ics ùeux blancs.
- A l'nube, acheva-t-il, lors<ll1e les coux du Mbal'Ï
se retirèrent, je l'ai ùétaché )JOllI' te conduil'c dans
RÉVOLTE DANS LA Bnoussg 21.
la forêt ... Maintenant, nous pouvons retourner sur
le bord de la rivière.
- Qu'y f.erons-nous? .
- Nous chercherons nos armes, les caisses à mu·
hitions et les vivres de conserve que possédait Lan-
geac ... Dans peu de temps nous en allrons besoin
pour délivrer la jeune fill-e.
~ Est-elle encore vivante maintenant?
- Ol1i! sinon les Kénollrgous l'auraicnt tuée celte
nuit comme ils ont égorgé SOIl père.
Ils sc dirigerent vers le fleuv-e, traversant l'agglo-
mération des cases indigènes que l'ouragan avait
enticremenl détruite. Les nègres avaient fui au cœur
de la forêt, mais ils allaient revenir d'un instant Il
l'autre. Le Mbari roulait encoro des flots tumul·
Illeux et grondanls, cep·endant l'cau s'était en grande
partie relin:'e dcs rives.
A quclques mètres de la berge, parmi dcs arbres
renversés, ilr; découvrircnt les débris de la cas.e de
Langeac. Sous lIne couche de limon et de terre que
le soleil séchait rapidement, sc trouvaient deux
caisses de carlouches ct un-c de conserves alimen-
taires.
Dambara, qui suivait le sens du courant, ramassa
parmi un amas d'herhes et de plant-cs déracinées la
carabine ùc Raynal ct la siennc. A la place qu'avait
occupée Langeac avant de disparaître, il trollva un
pistolet ct un poignard.
- 11 faut nOLIs presser, dit-il ù son maîtrc lors-
qu'il l'eût rejoint. Les noirs ne tarderont pas à repa-
raître ct il est préfl'rahle de mettre le maximum dc
distance cntre eux et nOlis.
- Quelle pisle suivrons-nolis?
- Nous descendrons le long du fleuve jusqu'au
déscrt où nOLlS avons vu les Kénourgous pour la
première fois. Ensuile, nous nous mettrons ù la re-
chcrche de Ngouéllé.
_, t
,
~
22 REVOLTE DANS LA ER OUSSE
Apr~s trois jours de marche ils atteignirent rem""
placement où s'était déroulée la scène sauvage au~11
tour. du cadavre de Landier. Le cirque naturel était
vide, mais une piste battue s'en éloignait. 1
- Elle nous conduira droit à la tribu des Ké-
nourgous, remarqua Dambara. 1
Ils avancèrent alors avec plus de circonspection
duranL tout le Lemps nécessaire pour 1raverser le dé-
sert rocailleux. Leur l?rogression en forêt s'exécuta
rapidement sur le sentlcr entretenu par de fréquents
passages et quelques heures avant le coucher du
soleil ils parvinrent dans la tribu des Kénour gous. 1
Elle s'elevait au centre d'un vaste espace sans
arbres. Contrairement à cc que supposait Raynal, les
Kénourgous nc paraissaient pas très nombreux et
occupaient une vingtaine de cases au plus.
Les deux hommes tinrent conseil llll long moment
sous le couvert des arbres, à une centaine de mètres
de l'agglomération.
- Déduction faite des vieillards, des femmes ct
des enfants, évalua le jeune homme, Ngouéllé doit
disposer au maximum de quarante guerriers.
Dambara approuva.
- En dépIt de 110S at'mes à feu, il nous est im-
possible de luLter victorieusement contre un tel
nombre d'hommes... D'ailleurs, avant d'entamer
n'i mporte quelle action contre eux, il faut que nous
soyons certains que Simone Langeac est ici.
- Si nous révélons notre présence ou en trolls
imprudemment dans la tribll, je Ile donue pas cher
de nos vies.
Raynal réfléchit un moment.
- Ngouéllé et les KénolU'gous ignorent qui nous
sommes! Les seuls nègres de la région qui nous con-
naissent sont ceux qui habitent sur le domaine ùe
Langeac. 01', ici, il n'yen a pas.
- C'est exact, mais je ne comprends pas l'impor-
tance de cc dél<lil. . -
....., Je :viens d'imaginer un plan dans lequel le fait
l\HVOLTn DANS LÀ BnOUSSR 23
de ne pas être reconnus comme amis de Langeao
1l0US permettra d'approcher le mulâtre sans danger.
Il se mit à développer ses projets que Dambara
approuva.
- De ceUe façon, conclut-il, il nous sera facile
de contrôler si la fille ùe notre défunt ami se trouve
dans ceUe tribu -ct quel sort lui est réservé.
Ils décidèrent ensuite de passer immédiatement à
l'action et se dirigèrent sans manifester la moindre
frayeur vers la tribu.
Dès qu'ils panu'ent, un tam-taro bruyant signala
leur arrivée ct de toutes parts des guerriers indi-
gènes surgirent avec leurs armes.
Cet accueil ne troubla pas les visiteurs Qui conti-
nuèrent d'avancer jusqu'aux premiers groupes.
Un Africain de haute taille, au visage féroce, se
dressa devant Raynal la lance haute.
- Où vas-tu? demanda-t-il dans l'idiome des tri-
bus de l'Oubangui.
- Je veux voir Ngouéllél
- Ngouéllé ne reçoit pas les premiers venus sans
s'(:tre assuré de leurs intentions. Pourquoi veux-tu
le voir?
- Pour des motifs que je lui exposerai person-
nellement ... Va le chercherl
Le ton n'admettait pas de réplique. L'homme jeta
un coup ù'œil sur ses congénères et leur adressa un
signe. Aussitôt un cercle menaçant se forma autour
des visiteurs. Satisfait de cette mesure de précau-
tion, il s'éloigna ell direction d'une case isolée et
plus vaste quc les autres.
Il se prosterna devant l'entrée ct murmura quel-
ques paroles brèves. Ngouéllé sortit de sa case et
s'avança vers les intrus.
C'élait un vieillard ridé, de petite taille, à la mine
fausse, aux traits cruels. Son épiderme de mulâtre
çoulcur d'ambre avec de larges taches olivâtres lui
prêtait un aspect repoussant. Ses yeux noirs et petits
se fixèrent avec intensité Sl!r les nouveaux venus. Son
24 ~ÉVOLTE DANS LA BROUSSE

attention se détourna vite de Dambara pour "Se con·


centrer sur l'Européen.
- Qui cs-tu? demanda-HI.
- Un étrangerl
- Je lc vois! .. . Les }{énourgous sont un peu pIc
de gucrriers indépendants qui détestent les étran-
gers de race blanche.
- C'est pour cettc raison quc je suis là 1
Un étonnement sincère sc peignit sur lcs traits du
sorcier.
- Explique-toi 1
- Je traversnis Jc continent africain lorsque la
réputation de Ngouéllé parvint jusqu'à moi. J'cntcn-
dis parler d'un hommc qui lullalt farouchemcnt con-
tre la domination blanche ]) OU1' la hberté des siens.
J 'nppris aussi que cet homme pourrl\i t fai re de
grandes choses si des moyens au ssi pui ssants que
ceux dont disposent ses adversaircs lui étaient don-
nés. J'ai songa que je pourrais lui être (le quelque
utilité et je suis venu à lui en ami, certain qu'il
m'accueillerait aussi en ami .
- Brefl Que viens-tu me proposer?
- Des armes, des munitions, de la poudre!
Un temps de silencc suivit. Lc coup portnit.
Ngouéllé n'avait pu dissimu]cr le plai sir que lui
causait une telle offrc. Cependant il redevint aussi-
tôt détlant.
- J'ai cru, continua Raynal, que tu jugerais sage
de dolcr tes guerriers de carabines et de pistolets
en rcmplacement des lances et des arcs inoffensifs
qu'ils _possèdcnt.
- Que demandcs-tu cn échan~e?
- })rcsque ricn 1 Seulement 1 ivoire que tu pos-
sèdes sur tes territoires et C)ueh]lles coupes de bois
précieux que les Européens apprécient fort.
- Où se trouvent ces armes'}
l~aynaJ, qui avait tout prévu, réponùit sans hési-
ter:
- .Quelque part dans lu cale d'un navire qui
nÉvOLTE DANS LA nROUSSE 25
croise au large du Gabon. Je me chargc de leur
transport jusqu'au confluent de l'Oubangui et du
MbarL Lorsqu'elles seront en cet endroit, lu n'auras
qu'à les faire enlcver \)a1' tes pirogues.
Lc mulâtre pamissalt ébranlé.
- Nous parlerons de cela ce soir dans ma case,
trancha-t-il. Jusque-là tu es libre avec ton serviteur
de circuler ù travers la tribu: tu es l'hôte des Ré-
nourgous ... Cependant, si ta langue a menti, ma ven·
geance sera tcrrible.
Ngouéllé s'cloigna après avoir lancé quelques or·
dres brcfs. Le cercle des guerriers se rompit et les
ùeux hommes ùemeurèrent seuls avec une entière
liberié de mOI1Velllen ls.
C'élait le but poursèlivi par Raynal. La première
partie de son plan s'était reulisée avec succes.
Il enll'aÎna Dambal'a ft travers l'agglomération des
cases, fnisnnl minc dc s'inléJ'esscl' à la vie intime de
ln tri bll. Souùai 11, il tressailli 1. A qùelqucs mètres
dcvant Illi s'élevait un groupe dc Irais p:dmiel's. Au
Il'onc dc l'un d'eux, UIlC silhouellc féminine était
liée ... Haynal la reconnut aussitôt.
- Si mOllc Langeac 1 s'exclamll-t-il.
Damhara lc retint à gl'and'peÏne de se précipiter
vers clIc.
- Uu c:llme, maîtrel Si nous nous trahiss-ons, nous
sommes perdus.
Ils marchèJ'cnt alors avec un naturel nfTecté vers
ln pdsonnièrc.
Simone Langeac semblait être dans un état
d'épuisemenL cxlrêl1lc. Affaisséc dans ses liens, le
visage exsanguc, les ycux clos, on l'eut prise pour
une morte salis la rCllpil'olion lenle et irrégulière
soulevill1t sa poitrine.
ülJéi:,s:1nt n Dilmbara, Haynal ne s'llpprocha que
ùe quelques Fas.
- Si mOlle chuchota·t-i 1.
Au bruit de SOIl n01l1, elle ouvrit les yeux ct vit
26 ~~VOLTE DANS tA DROUSSE
Raynal et Dambara debout devant elle. Un immense
espoir l'envahit.
- Monsieur Raynal! ... Sauvez-moi 1.... Ils ont tué
mon père et veulent me torturer ...
Le jeune homme esquissa impérieusement un geste
de silence, mais il était trop tard. Ngouéll6 venait
de surgir à ses côtés.
- Vous connaissez cette jeune fille?
- Nullement! répondit-il avec indifférence.
- C'est donc elle qui vous connaît?
- Je crois plutôt que votre prisonnière délire ct
me confond avec une autre personne.
- C'est possible 1 murmura le mulâtre en fixant
sur lui un regard où se lisait une ironie cruelle.
Le jeune homme pressentit que si la partie n'était
pas entièrement perdue, elle se trouvait fort com-
promise.
- Comment se fait-il qu'une femme blanche s-e
trouve en votre pouvoir? interrogea-t-il d'un ton
dégagé,
- C'est la fille d'un colon qui nous a causé beat1~
coup de mal.
- Qu'allez-vous en faire?
_ S-on père nOliS a échappé par une mort promple
un jour de tempête. Elle va payer ses actes tyran-
niques sur notre peuple par un long supplice que
terminera la mort. Dans deux jours, elle sera con-
duite dans l'enceinte des sacrifices qui s'élève au
mi lieu du désert ct couchée snI' la dalle sacrée. Tous
les blancs don t les Kénourgous s'cmparent meurent
de cette façon: chaque guerrier vient plonger sa
lance dans le cor\)s de la victime en prenant soin
de ne toucher aucun organe essentiel pOUl' que celle-
ci souffre le plus longtemps possible,
Raynal dut accomplir un efi"ol't prodigieux pOUl'
se contenir.
- Celle femme est de ma race 1 murmurA-t-il .. L
puis-je racheter sa vie cL à quel prix?
-.. Impossiblel La colère de mon peuple el la
RÉVOLTE' DANS LA BnOUS~B 27
mienne se tourneraient contre vous ... D'ailleurs, vous
êtes là pour traiter un marché d'armes: m;! prison-
nière doit vous laisser indifférent •
. - C'est justel
Le rire ironique de Ngouéllé résonna sinistr~­
ment.
- Indifférent! appuya-t-iI.. ..
Il sc dirigea vers Simone Langeac, tIra son poi-
gnard et lui en appliqua la pointe sur la poitrine.
Un cri déchirant ponctua cet acte barbare. Raynal,
incapable de se maîtriser, bondit SUl' NgouélJé et
l'en voya rouler à terre d'un coup de poing au visage.
Ce qui suivit se déroula avec une rapidité fou-
droyante. Des nègres surgirent de tous côlés pour se
ruer sur le Français. En un clin d'œil, celui-ci, à
demi assommé, fut dressé contre le tronc d'un des
palmiers et solidemen t ligoté à cinq pas de la pri-
sonnière.
Dans un sursaut de désespoir, il appela Dambara ~
le nègre avait disparu.
Cependant NgouéJlé, qui s'était redressé, s'appro-
cha de lui en titubant, la face ensanglantée, ivre de
fureur.
- Tu t'es trahi 1 glapit-il... Tu n'cs pas un mar- '
chand d'armes ... Les Kénourgous qui prirent part
à la lutte conlre Langeac tne rapportèrent qu'un
homme hlanc et llU Africain avaient défendu le
colon jusqu'au bout. L'obscurité, la tempête kur
empêchèrent de voir leurs visages ct de lcs capturer.
Quand je le vis avec ton esclave, je vous soupçonnai
d'être ces dcux hommes. Cependant, ton assurance
m'a ébranlé; pOUl' me convaincre, je t'ai lnissé libre
d'allel" où il te plairnit. .Je savais que tu rencontre-
rais celle femme et que ton attitude m'éclairerait sur
tes intelltions. Je t'ai épié sans CJue tu t'en aperçoives,
j-e l'ai vu: j'ai complété la ruse Cil simulant un
coup cIe poignard ...
« Tu es découvert!. .. Tu subiras ]e sort que je
réserve il tous lCs bommes de ln race 1 Celte IDa!!dite
~ÉVOLTE DANS LA nROUSS~
race blanche qui m'a humilié jadis, qui m'a con-
damné, ct dont je me venge actuellement. Dans les
pénitenciers de la Guyane j'étais maltraité et consi-
déré comme un inférieur même pal' les prisonniers.
Je me suis échappé pour venir ici exterminer les
colons. Bientôt 1 Afrique Equatoriale sera interdite
aux blancs et le nom de Ngouéllé deviendra un
objet de terl'eur pour les Européens ct leurs amis.
(/. Dans deux. jours, tu seras conlluit avec cette
maudite flUe dans l'enceinte sacrée pour y subir le
supplice. Jusque-là, nos femmes t'insulteront ct tc
crachel'ont au visage chaque fois qu'clics passeront
devant toi. »

CHAPITRE V

La lune baignait )e désert Il'une lueur blafarde et


sinistre, Les rocs déch iquetés par l'érosion profi.
laienl Sut· .Ie sol des multitudes d'ombres fanta~li·
ques. A lravers les rocailles, une longue file de guer-
ricl's kénollrgolls, de femmes ct d'enfants marchait
en cl;lmallt des chants barhares ct des cris de mort.
En tête, Ngouéllé avait peine h dissimuler le rictu,'l
de joie mauvllise déformant son visalle IOl'squc sc'>
yeux se portaient sur les corps cnchulIlés des deux.
prisonniers.
Simone Langeac, épui sée par des journées d'an-
goisse ct d'horreur, mUl'clwiL comme une uutomate,
inconsciente du terrible supplice qui l'nltcndait.
Raynal, cstimant que rien ne pouvait maintcnant le
sauver, s'e[orçail ùe garder unc nttitude calme et
méprisante. Au début il avait compté sur une inter-
vention de Damhara, mais cet espoir s'évanouit lors-
que la date fatale arriva, Son servilcur avait disparu,
l'abandol1nant il son triste sorl : les recherches des
!{énourgous dans la brousse environnante n'avaient
même donné aucun résultat.
i\tVOLTE DANS
. LA 1iRouss~
-- ~. ~9.
La 'c olonne pénétra toute entière dans le Cirqué"--
naturel par l'unique issue de cel IIi-ci. Ra~nal cons-
tata que la falaise rocheuse qui l'entouraIt était en
totalité inrranchissable et que le seul moyen d'accès
avec l'extérieur consistait en celle sorte de brèche
par où il était passé.
Simone Langeac fut étendne SUl' la table de granit
occupant le centre, tandis que Raynal demeurait
debout à côté d'elle. 11 prononça son nom avec une
tendre ferveur: elle toul'lla la tête vers lui, et sourit
Irh;lement ...
Ngouéllé s'avança, traçant dans' l'air des signe~
mystéricux de ses longs bras maigl'<ls, 11urlant
(J'étrangcs prières avec une frénésie démoniaque.
Haynal, cxaspéré, força désespérément sur les liens
qtli sel'l'aient ses poignets. .
S01ldain, il s'immobilis:1, sidéré. Un coup de feu
venait de retentir: Ngouéllé, qui se tenait près de
lui, portn les muins à sa face hidcuse et ensanglan-
tée, puis s'abattit à ses pieds avec un cri rauque.
Les j{enOlll'golls, incrédlllcs, demeurèrent d'abord
interdits. Au moment où ils allaient réagir, un cylin-
dre blanc traversa l'air, pour tomber au milieu d'eux.
UI'le détonation fOl'lnidable ébranla les échos, suivie
d'une gerbe de Jhllnmes énorme. Ilenverscs par le
souffle pllissant de la déflagration, les plus proches
s'effondrèrcnt en hurlant. Un autre cylindre suivit,
pnis un autre, et durant quelqucs secondes ce fut
ulle serie ù'explosions incxplicables, creusant des
llI'èchcs sanglantes dons le troupeau affolé des noirs.
POlir mcttre le comble à cette terreur, unc flamme
h:1ule de plnsicul's mètrcs jaillit près de l'enh'ce du
cirQllc, obslruant entièrement celle-ci. Les Kénour-
go us lJui se ruaient en désordre vers l'issue, frappés
de terreur ]Hll' ce nouveau phénomène, refluèrent
pêl-c-mêle vers les falaises formant le fond du cil'-
tlue. Aucun d'eux ne songea aux prisonniers.
Ce fnt :llors qu'un homme se laissa glisser du haut
de la fnlaise et d~ns un bond prodigieux vi.nt tomber.
30 ~ÉVOLTB DANS LA BROUSSB
j.

à quelques mètres de Raynal et de Simone Lang-eac.


- Dambara! s'exclama celui-ci.
Pour toute réponse, le nègre trancha ses liens d'un
coup de poignard puis, jetant la jeune fille sur ses
robust-es épaules, s'enfuit vers l'issue du cirque. Il
franchit d'un bond Je rideau de feu qui la masquait :
Raynal l'imita ct bientôt tous trois se trouvèrent
sai ilS et saufs à l'extérieur.
Dambara, remettant la jeune mIe aux soins de son
maître, revint vers la brèche pour enflammer une
mèche de fibre saillant d'une anfractuosité de la
roche. Cinq secondes plus tard, il entraînait les deux
Européens loin du cirque.
Ils parcoururcnt cinq cents mètres en courant
avant qu'un fracas de tonnel're ne retentisse. Raynal
se retourna et vit une flamme fulgurante jaillir de la
terre vers le ciel en soulevant un g-eyser de rocs bri-
sés.
L'Africain s'arrêta alors de courir.
- Maintenant, dit-il en souriant, nous pouvons
marcher tranquillement. L'entrée de l'arène des sa-
crifices est obstruée par l'éboulement et les Kénour-
go liS sont prisonniers. Le temps qu'ils emploieront
pour s'échapper nous permettra de gagner le radeau
sur le M'bari.
- Le radeau 1. .. Nous :{lossédons un radeau 1.. <
- Oui! je l'ai construit afin que nOlis puissions
gagner l'exploitation la plus proche dans le plus
bref délai. .. C'est indispensable si nous ne voulons
pas mourir de faiml
- Mourir de faim! Cependant, lorsque tu t'es en-
fui, tu portais 1111 sac bourré de boîtes de corned·
bcef et de munitions!
- Je n'ai plus de boîtes de comed-bcefl
- Eh bien 1 avec les cartouches ct la carabine
nous tuerons du gibier.
- Je n'ai plus de cartouches 1 La seule quo{) j'avai.g
gardée, m'a servi à tuer Ngouéllé.
;ru',;VOLTE DANS LA DROU§§B 31

CHAPITRE VI

- Dambara 1 m'expliqueras-tu enfin cc qui s'es!


passé?
- Oui, maître 1... Quand Ngouéllé appuya son
poignard sur certe jeune fille, je devinai immédia.
temen t cc qui allait, sc passer. Le sorcier avait an·
110l1cé devant moi que dans deux jours il y aurait
Un sacrifice dans le désert: par conséquent on allait
te capturer et le supplicier aussi. Sans allendre quo
les J(éllourgous interviennent, je m'enfuis dans la
fOl·êt.,. Je réIlécbis longtemps sur les moyens à cm·
ployel' pour VOllS ôlre ullle. J'emportais dans mon
sac de loi le environ huit cenis cartouches: je pen.
sa i 'que si elles m'étaient inutiles pour lu Uer contre
llne armée de sauvages, la poudre qu'elles con le·
naient me servirait beaucoup. Je me rendis donc
Vers le cirque et me mis à séparer les balles des
douilles aOn d'en recueillir le contenu. Huit cents
cartoucbes font une énobne quantité d'explosifs:
je pus en remplir les boîtes de corned-beef préala.
blement vidées de leur contellu, introduire une
chargc importante sous les rocs de l'entrée ùu cir.
qu,e et l'épandre le resle sur le sol aulour de l'issue
elle-même.
« .Tc conscl'vni lIne seule carlouche pOlir abattre
NgonélJé, le seul homme capable d'entraver mOIl
plan en éventant la ruse et Cil ralliant les }<énour.
gOllS qui ne manqueraient pas d'être affolés par les
détonations. .
I( J'employai ensuite les quelques heures de Ji.
herlé qu i me r.cstaient à gagner la rive du cours
d'cali pour conslruire un radeau.
Il Ce soir-Ill, lorsque je vis arri vel' les Kénollr~
gous, je me dissimulai a u sommet de la falaise pOUl'
nllClldl'C le momcnt J'avoralJJe à unc intervcnlion,
J'cnIlammai d'abord lcs mèches de Jlbr.cs placées
32 ~ÉVOLTE DANS LA nROUSSE
1
'dans les boites bourrées de poudre et lançai ces der-
nières au milieu des noirs après avoir tué Ngouéllé.
La panique s'empara de la tribu: un dernier engin,
envoyé près de l'entrée, mit le feu à la poudre ré-
pandue sur le sol et une barrière de flamme fit r-ecu-
1er vos bourreaux. Je savais qu'elle serait d'une "du-
rée suffisante pour, permettre votre fuite, car la
poudre enflammée à l'air libre n'explose pas, mais
se consume." Tu sais le reste, maîtrel je suis inter-
venu, je vous ai délivrés et, afin d'immobiliser les
hommes de Ngouéllé, j'ai ' fait sauter l'enlrée du cir-
que. ". Maintenant, nous n'avons plus qu'à gagner
notre embarcation de fortune ct à nous éloigner le
plus rapidement possible. »
"
, .;

Deux heures plus tard, le radeau consLruit par le


fidèle Dambara glissait sur les eaux du Mbari en
direction des exploitations du Sud
1 A l'arrière, Simone Langeac, les yeux noyés d-e
lat'mes, songeait à la triste fin de son père mort en
la défendant. A ses côtés, Haynal, silencieux, imagi-
nait un proche avenir de bonheur après la cruelle
périod<: de deuil qui s'ouvrait devant clic.
FIN

POlir paraitre mercredi prochain:

La Tortue Matamata
Roman d'auenll/res inédit
par MAURICE LIMAT

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