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Alternatives... théatrales des arts de la scene Lécriture théatrale réaffirme le plateau comme espace symbolique NANCY Dans Phistoire du théttre occidental, e rapport entre le cexte ct la représentation a souvent Geé problématique et la place des auteurs dans Te processus de fabrication du spectacle sans cesse mise en question. Du moins quand ces auteurs étaient pas eux-mémes les artisans» da spectacle, comédiens ou chefs de troupe. Quels ne furent pas, par exemple, Jes combats de Beaumarchais ou les deboizes de Masset quant 3 la défense de leuss textes face aux conditions de la représentation? Cette Jurte cependant a maintes fois conduit & des ‘eansformations importantes et elle semble bien ‘organiser unte dynamique bénéfique 8 la vie theitrale. Si Mécriture de Tehekhov interroge la fagon de représenter le monde tel quil se transforme sous les yeux de auteur, Stanislavsld ne renouvelle-til pas le avail de mise en sone cet le jeu de V'acteut notamment i parti des défi Tancés par les pices de Tchekhov? Plus tard, dans les années 1970, & une tradition chéaerale Jargement centrée sur le texte et dominés par le modile francais, a r€pondu la grande remise ‘en question du statut du texte et par dela, le questionnement de toute parole érigge en discours. La relation entse écriture et plateau, jusque la ers hiésarchisée (la mise en scéne comme illustration ou comme transposition du texte dans un code different, far pensée de fagon plus dynamique. Et lorsque fa mise en scene dest imposée comme lélément majeur de Iélaboration da langage chéderal, la conception de lautonomie des deux écrieures rendic se diffuser sans toutefois récllement Yemporter sur Pomnipotence dis metteur cen scéne le plus souvent porteur du projet de spectacle sinon directeur de la structsre Gui allaic Vaccueili. Les érudes de l'écriture ddramatique ont alors cocxisté avec celles de Técricure soénique et ont intégré un nouveau champ de recherche lig une nouvelle fonction: Ja deamarurgic. Ecriture et institution éerinarethédtrale (Vécriture pour le théétre) se renouvelle considécableraent & patti des années 1980, indubitablement sous influence des expérimentations de la mise en scéne. Mais elle se transforme aussi en lien avec Ia critique da texte et du discours générée par les sciences sociales dés les années 1950. Cette pensée critique contribus & déconstruize les instances communes de la fable, du personnage, vvoire méme de espace et du temps, et mit en avant de fagon problématique le schérne de la ‘communication faisant ainstvacillr le dialogue théitral. De nouveaux auteurs émergent alors (Goltts, Piemme..) mais sls se situent souvent dans une grande proximité avec kc travail du plateau, ils ont néanmoins & luster pour se forger une place dans le monde théarral. On se souvient de la formule de Bernard-Maarie Koltés ‘Personne et surtout pas les metteurs en scéne, wa le droit de dire qu'il nly a pas d'auteur. Bien sir qufon nen connatt pas, puisquon ae les ‘monte pas..t». L¥époque bruisse alors des débats autour de la place et du statue de Paureur dans le théAtre. Or, un cercle vicicux semblait contenir oute la problématique: les responsables des structures hésitaient & programmer des auteurs ‘contemporains sous prétexte qu’inconnus, ceux-cl pattiraiont pas le public. Les auteurs révorquaient que, si on ne leur donnait pas Vopportunité de rencontret le public, ils resteraient évidemment méconnus de lui et aoraient dés lors aucune chance de lattirer dans les slles. Pendant ce temps, les metteurs en scéne trOnaient au sommet dela higrarchie thédtrale t rivaisaient de crdatvité sur les textes de répertoire, TLargement lié aux contextes frargais et belge francophone, cet état de choses conduist, en dépit des remédiations et des actions qui furent tentées, A une situation erés aporétique. En effet, fon constate alors un nouveau développement de f écricure théatrale. apparition de nouveaux auteurs ainsi que la multiplicté de leurs textes constituent une pression en faveur d'un changement de la configuration du monde théitral. Ces éexiures devaient cicules, ces auteurs érre lus ct montés sur les scbnes car ils éaient un factor de renouvellernent des contenus et des formes dont une certaine dérive spectaculae trahissait le besoin urgent. Mais silfon vie quelques partenariats mémorables #¢ rouer entre un auteur et un mecteus en scéne (Koltés-Chéreau; Piemme-Sireuil..) si Fon vit des maisons &’édition se créer (les Editions ‘Thélncales en 1981 ; Lansman en 1989; Les Soliaitesintempestifs en 1992..), [a mise ten scéne de tous ces nouveaux textes fat loin aller de soi. Sinventérent alors des formes akernatives: les textes furent «mis en voix en electures-spectacles», ils circulérent via des «tapuscrits». institution se donna ainsi bonne conscience ne sachant trop comment intégrer des artistes e revendiquane parfois de la Hteérature (Olivier Py) avec laquelle le théitre prenait toujours plus de distance. Cortes, les auteurs se eebifferent, René Kalisky déclara eje refuse d’étre mis plas longeemps 2 Vessai x. En France, une revue fut lancée, Les Cahiers de Prospero, par laquelle des auteurs se donnaient de la visiblité un poids dans a profession en prenant position sur Jes questions touchant Pauteur et I'érieure. Les pouvoirs publics se saisirent du «probleme». Michel Vinaver publia sous le titre Le compte- rendu d’Avignon. Des mille mance dont souffre edition thédarale et des trenteseps rembdes pour Ven soulager®, le rapport qui lui avait éé commande. Des politiques de soutien, de promotion et de diffusion, furent mises en place, Des batailles de chiffres Furent engagées. Ces ucts one certes eu pour effet une meilleure ‘promotion et une meilleure diffusion des critures mais elles n'ont guire engendsé beaucoup de résultats sur le plan politique. Dans ensemble, les politiques touchant & Pécriture ont maintenu les auteurs dans un ‘le institurionnel relativernene pass. Ce sont toujours les mettears en scéne qui réunissent kes conditions de production et qui sont identifiés comme les porteurs de projet; Pargent de ka subvention publique ese misé sur unc réalisation concrtte, un spectacle & venir. Le texte, st «st pris ca consideration, 'est surtout en tant ‘que choix du metteur en scéne ou support du spectacle. Immanquablement, Pauteur reste pergu comme sieué dans une position peu définie, woire de seconde zone. Ea somme, le nouveat ‘pecioire ne fait pas son unité en tant que force de ‘enowvellemenc de Var theta ‘equi semble finalement manquer & Meevcue tha, ee sot encore et oujous des instances de Iégitimation et de reconnaissance. : édieurs ont beau multiplier les lettres informations ec les alertes sur internet, la rencontre avec les textes auteurs vivants semble tester aldatoire. Si certains supplements alivrese dans la presse quotidienne générent un désir chez les lecteurs qui se traduit par une visite 2 la librairie, on n'y trouve guére de comptes- rendus de textes écits pour le thédtre et quand bien méme ceux-ci y seraient chroniqués, les libraires pénralistes seraient sans doute assez démunis face 4 ce type d’édition. Peut-étre aussi estil difficile d’évoquer cette écriture en dehors des spectacles, peut-étre les fagons d’en parler nrontelles pas été assez explorées? Les politiques de soutien ou de promotion n'ont en ous cas pas réussi& construire une place aux écritures theatrales tandis que le chéftre sest coupé de plus en plus nettement de la littérature. Ecriture et écritures de plateau ‘Aujourd’ ui, le développement de ce que Bruno Tackels désigne comme les «critures de plateau» semble quelque peu occult la problématique dela relation entre texte et mis cen scéne, Plus largement, de nombreux spectacles sont le fruit de projets qui intégrent de la parole voire une hétérogénéité de matériaux textuels mais qui ne relévent plus de la mise en scéne une écriture. Dans le premier cas si les artistes sont bien des auteurs, leurs textes sont générés par le processus de création du spectacte et liés 8 la situation de production de celui-ci, ils n’ont existence autonome qulapres leur eréation ‘et une fois publiés. La visiblité du texte est demblée assurée et la question de son passage sure plateau ne se pose pas. Méme si dans certains cas, et Yon pense ici notamment a Joél Pomerat, Iécriture peut faire objet d'autres mises en scéne par d'autres artistes, le texte se construit en lien éroit avec le plateau et écritire textuelle et éeriture seénique sont le fait d'un méme ciéateur. La tension entre écriture et travail de plateau tend ici A sestomper au profit d'un projet plus «oralisants ‘Mais un autre cas de figure apparalt de plus en plus feéquemment, celui d’s éléments textuels» totalement difués dans le projet. Le texte, 1, n'a pas de vie autonome, il constitue un élément du spectacle dont il ne peut étre extrait Siilya bien de la langue et de la parole, on ne postulera gudre d’écriture. Les essais de Roland Barthes peuvent aider A penser cette difference. Selon le sfmiologue, la langue est un «corps de 2 dane Atanas thadtales 131-92, ma 988, 3B. Bate eu, 1887 4 Relend BARTHES, 4972, p11 8 ie 7 Opeite.18. Eesen comenent? preseriptions et d’babitudess, elle est «un sflexe ans choi» ec tout, dans la parole, est «offee, destiné A une usure immédiatey, Langue ct parole sont de Pordee d'une immeédiateté, d'un fux informationnel ou peeceptif qui peut, en ce second cas, parfaitement jouer sur les émotions. Beaucoup de spectacles travaillent de fa sorte la scnsibilité de leur public. Leeffet de présence», done jouent aujourd'hui de ts nombreux artistes, peut également produire cette impression immeédiate, une expérience vécue ou consommée dans le hic er munc de la epeésentation, Parole ec présence visene & accomplir un moment cexpérientiel par lequel le théftre tend aujourd’ hui 1 se redéfinir. Elles focalisent attention, en accentuant leur visbilté, sur le réseau humain ‘que constituent le monde des artistes et le monde des spectareurs, Cette « usure immédiate» évoquée pat Barthes est alors affirmation du caractére sttictement éphémére qui distinguerait cet identificrait le chédtre comme are vivant et du vivant. Lécriture relive d'un autre ordre. Elle est, pour Barthes, le choix d’un ébos qui va done bien aucdela d'un acte de communication. [’citure est davamtage une fonction en ce quelle relie la cadation et la socigeé mais 3 travers une intention ‘Lécriture lie la parole «2 la vaste Histoire autrui’, elle exe un cacte de solidacité historique’ Elle est une production sociale mais ‘ravaillée en sa forme par sa destination sociale. Bile ese, pour Vauteur, le Liew d'une séflexion sur le fagonnage des formes d'articulation au soctal. C'est donc Fespace d'une conscience et un engagement. Le liew aussi, A nos yeux, d'une responsabilité assumée par Prtiste qui ne la délégue pas & Ia salle. ['écrture est une proposition adressée a 'agora, oi elle pourra étre discuiée, mise en question ou critique. Postulons quéle tisse moins du réseau quille ne erge de Paltérité. L'geriture crée du tiers terme, elle suscite une eréativie qui nest, & strictement parle, ni celle du mecteur en seéne ni celle de Pauteus. Comme altéit, elle peut alors jouer ‘en contrepoint des autses éléments du travail théétral ct surcout produire de la friction voire tun mouvement dialectique 8 contre-courant de la tendance consensuelle largement & Focuvre aujourd'hui, y compris dans les postures les plus provocatrices, Mais elle est aussi ce qui peut perducer au-dela de 'éphémére dt spectacle Elle appartient & une temporalité auere. Or, sans doute les techniques denregistrement des spectacles oblitxentlles désormais "intérét dune tele forme de pérenaité, La difficulté len fest que plus grande pour les critures décliges au thédire de rencontrer un public, de se faire connaitre et reconnaitre, En s éloigaant de la lieeératute, le chédere a pu déployer 8 un niveau inédit la recherche esthétique et 'expériments- tion. Cependant, peur-étre les écritures ont-clles &é coupées d'un monde, d'un public et de reais. ‘A Pheure oit a liteéeature explore de plus en plus les formes d’oralité, peut-étre, pou I'écriture chéftrale, faut recréer plus largement des liens ct des lw & la croise d'aueres arts? Engin, pour Barthes encore, «l'écriture paratt toujours symboliques” et cest peut-tere en ce sens quelle est adressée, par-dela le spectateur présent ici et maintenant dans la salle, & espace public et qu'elle peuty étre remise en jeu, relue, Minterprétée, recréée. Quels que soient sa forme exses codes, dramatique ou fragmentaire, elle actualise sans cesse, dans son modelage dune articilation au social, e lieu d'une opacité. La dimension visuelle du spectacle provogue souvent tun flux de commentaires venant juxtaposce une édiztion aincellectuelle» sur les perceptions ddu public et visant & complexifier ces derniares. ‘Stengage alors une dynamique entre un sil ny rien & comprendre» parfois martelé par Vartisee ct le «ce qu'il faut comprendre» encore large- iment presctie par 'insticution. Lécritute, quant A.elle, expose voire exprime cette lutte, elle est le licu méme de son déploiement tant, comme le souligne Barches, le comment écrire suscite une interrogation du monde. Sans doute aussi est-ce pour cela que 'on peut souvent mieux cerner wn positionnement idéologique & travers 'éerivure, Mais cecte opacité, celle des modalités da nowe- ‘ment au monde et & ’Histoire en travail au sein, méme de Pécriture, engendre précisément une force d’évocation et Callusion, un mouvement ot peut sinscrre le récepteut, ot il devient actif. S'l prend alors unc part eréatrce, le spectateur-audi- reurlecreur sfest cependant pas laissé & Iui-méme ni plongé dans illusion quiil serait le démiurge, fe véritable autcur du spectacle. Un cadre partage demeure, une forme de contrat qui abl un tee ritoire commun ob peut naire le débat,I'échange de vues. Or, niest-ce pas cette dimension symbo- lique, celle qui guide sans figer, qui oriente sans zefermer, qui propose sans imposer, qui fascine les éeres sociaux ec culturels que nous sommes?

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