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Bukanga Lonzo
Bukanga Lonzo
© Jean-Louis Brocart
1. Élements de contexte L’agriculture dans les Dans le DSCRP 2 (2011-2015), le gou-
politiques publiques nationales vernement confirme ces orientations
stratégiques et réaffirme sa vision pour
Selon le rapport de la FAO-UNF- Pour le gouvernement congolais, l'agri- relancer l’agriculture et assurer la sécu-
PA-IIASA sur les potentialités de culture a souvent été nommée comme rité alimentaire. L’État congolais veut
production agricole dans le monde¹, « priorité des priorités » mais n'a jamais redynamiser la structure productive du
la RDC dispose d’un potentiel agricole été sujette à la mise en place concrète monde rural axée sur le développement
suffisant pour nourrir 2,9 milliards de de politiques publiques ou budgétaires. d’une production agroindustrielle mo-
personnes. Entre 2007 et 2013, maximum 3% du derne et sur le renforcement des petits
budget national est alloué à l’agricul- exploitants, tout en assurant la protec-
Pourtant, le pays est incapable de cou- ture alors que la RDC s’était engagée, tion des ressources naturelles du pays.
vrir les besoins alimentaires de toute en signant la déclaration de Maputo
sa population et doit recourir à des en 2003, à consacrer au moins 10% de Fin 2011, la RDC se dote d’une loi por-
importations conséquentes de maïs, son budget national au secteur agri-
tant principes fondamentaux relatifs
blé, riz, sucre, viande… pour près d’$1,5 cole (agriculture, élevage et pêche).
au secteur de l’agriculture qui vient
milliard annuellement². La croissance combler un vide en apportant une
de la production agricole (1,4% par Ce n'est qu'à partir de 2009 qu'une
assise juridique à la politique agricole
an entre 2007 et 2012 selon l’IFPRI) Note de Politique Agricole est publiée,
congolaise⁶. Cette loi crée un cadre
est plus faible que la croissance de la reprenant l'ensemble des projets
pensés depuis 1966. Cette note est propice au développement de l’agricul-
population (2,4% par an), ce qui place ture familiale qui y est reconnue comme
suivie en 2010 par un document de
la RDC dans une situation précaire. la pierre angulaire de l’économie
Stratégie sectorielle de l'agriculture
77% de la population congolaise vit congolaise, mais elle reste succincte et
et du développement rural (SSADR).
sous le seuil de pauvreté (1,90$ par vague sur de nombreux points et, cinq
Cette stratégie propose entre autres
jour)³ et près de 70% des ménages se ans plus tard, sa mise en œuvre se fait
l'attribution de budgets, l'investisse-
trouvent en insécurité alimentaire⁴. encore attendre. Toujours en 2011, le
ment dans la recherche agricole ou
encore la relance du secteur par la pro- gouvernement congolais adopte le Pro-
L’Indice Global de Sécurité Alimentaire motion d'une agriculture familiale et gramme Détaillé de Développement de
place la RDC à la 105ème place sur 109 industrielle. l’Agriculture en Afrique (PDDAA) initié
de son classement en 2015⁵. Le pays se par l’Union africaine. L’objectif est de
trouve aussi en queue de peloton au Ces orientations sont en cohérence avec consacrer au moins 10% du budget na-
niveau de l’indice de développement le Document de Stratégie de Croissance tional au secteur agricole et d’imprimer
humain (176èᵐᵉ sur 188). et de Réduction de la Pauvreté (DSCRP). un taux de croissance à la production
agricole d’au moins 6% par an sur la Importance du secteur agricole dans 3. Le projet des Parcs agro-
période 2011-2015. Pour y parvenir, le la stratégie industriels (PAI)
gouvernement congolais met en place
un Plan national d’investissement agri- La BM s’est toujours dite prête à accom-
cole (PNIA) pour la période 2013-2020 pagner le gouvernement congolais dans L’initiative des PAI
qui constitue un cadre fédérateur et la mise en œuvre de sa politique agri-
de planification de fonds nationaux et cole, tant financièrement que via l'ap-
Le Plan national d’investissement agri-
extérieurs pour toutes les actions de port d'une expertise scientifique et tech-
cole lancé en septembre 2012 par le
développement agricole et rural. nologique, et a soutenu de nombreux
gouvernement congolais ($5,7 milliards)
projets de développement agricole.
prévoyait pour la période 2013-2020 le
En 2010, la BM accepte de financer à
développement de Zones d’aménage-
2. L’engagement de la BM hauteur de $120 millions le Projet d’ap-
ments agricoles planifiés. Ce plan visait
en RDC pui à la réhabilitation et à la relance du
surtout à inciter les investisseurs tant
secteur agricole (PARRSA), une initia-
nationaux qu’internationaux à se mobili-
tive du gouvernement congolais dont
ser dans la relance d’une agriculture très
Historique et développement actuel l’objectif est d’augmenter la producti-
productive et de précision, fondée sur
vité agricole et d’améliorer la commer-
les nouvelles technologies. Dans ce but,
La RDC compte la Banque mondiale cialisation de la production végétale et
une vingtaine de zones allant de 1.000
(BM) comme partenaire depuis son animale des petits producteurs agri-
à 150.000 hectares ont été identifiées
indépendance en 1960 et ce jusqu’au culteurs. Plus précisément, ce projet se
dans les différentes provinces pour de-
début des années 1990. À cette époque, focalise sur les composantes agricul-
venir des parcs agro-industriels (PAI)¹¹.
sous le régime de Mobutu, la corruption ture, réhabilitation des infrastructures
est endémique, la RDC est incapable de des marchés et des routes de desserte
Une agence congolaise de transforma-
faire face aux échéances de paiement agricole ainsi que sur le renforcement
tion agricole a été créée pour superviser
de la dette et la plupart des interven- des capacités du personnel administra-
le développement des PAI. Le projet tel
tions bilatérales sont arrêtées. La BM tif du Ministère de l’Agriculture, Pêche
et Élevage et du Ministère du dévelop- que voulu par les autorités congolaises
suspend également son aide, dans un vise à soutenir une mixité d’opérateurs
pays où l’insécurité est croissante. Elle pement rural⁹. La durée d’exécution du
PARRSA avait été fixée à cinq ans (2011- agricoles dont des coopératives. Dans
reprend progressivement ses activités les faits, les modalités d’implémenta-
en RDC au début des années 2000 et ini- 2015) et le programme se concentrait
sur trois anciens districts de la Province tion donnent clairement la priorité à
tie une stratégie de « réengagement ra-
de l’Équateur ainsi que sur Kinshasa. l’agrobusiness qui seul pourra mettre
pide » qui met fin à la suspension de son
Satisfaite des résultats atteints, la BM en œuvre de très larges zones de pro-
assistance à ce pays, avec des « prêts
a décidé de prolonger son financement duction. Des déductions fiscales pour
d’urgence » ou des prêts d’ajustement
pour ce projet jusqu’au 31 janvier 2017 l’importation des intrants et les expor-
pour les réformes politiques et l’appui
en accordant un financement addi- tations sont prévues, ouvrant large-
au budget. La BM affirme alors que ses
tionnel dont le montant n’est pas en- ment la porte aux investisseurs tour-
prêts contribuent à la stabilité en RDC
core déterminé¹⁰. Parmi les initiatives nés vers les marchés internationaux.
et à l’accroissement de la capacité du
gouvernement à fournir les services de du PARRSA amenées à se développer Il est prévu que les PAI encadrent et sou-
base à travers tout le pays⁷. dans les années à venir se trouve le tiennent les exploitants agricoles dans
projet de parcs agro-industriels, large- la périphérie des parcs, mais les moda-
Depuis, la BM a participé financiè- ment soutenu et encouragé par la BM. lités restent vagues.
rement ou scientifiquement à des
dizaines de projets en RDC dans des
domaines très variés. La stratégie
d’assistance pays pour la période 2013-
2016 a pour objectif (i) d’accroître l’effi-
cacité de l’État au niveau central et de
décentraliser et d’améliorer la bonne
gouvernance, (ii) de renforcer la com-
pétitivité de l’économie en accélérant
la croissance tirée par le secteur privé
créateur d’emplois, (iii) d’améliorer la
prestation des services sociaux afin de
relever les indicateurs de développe-
ment humain (IDH) et (iv) d’apporter
une réponse aux problèmes de fragilité
et de conflits dans les provinces de l’est
© Agence Ecofin
© Jean-Louis Brocart
plus généralement assurer le déve-
loppement économique. La directrice
générale du Groupe de la BM, Mme Sri
Mulyani, en visite à Kinshasa en mai
2015, a réaffirmé le rôle crucial que
l’agriculture peut jouer dans la réduc-
tion de la pauvreté et l’amélioration
du bien être des populations : « Si vous teurs, des coopératives, des groupe- crée le flou sur certaines questions
regardez dans le potentiel du pays, vous ments de producteurs dans la crois- importantes, particulièrement en lien
remarquerez qu’il y a d’énormes possi- sance économique et agricole »²¹ Pour avec le foncier. Sur quoi sont basés
bilités pour que ce pays se développe. Séverin Kodderitzsch, « il n’y a pas in- les critères de localisation des PAI ?
Mais le projet de parc agro-industriel compatibilité entre gros producteurs et Qu’en est-il de l’indemnisation et la
représente un immense potentiel parce petits producteurs, les deux sont plutôt relocalisation des paysans déplacés ?
qu’il aborde un autre secteur : l’agricul- complémentaires ». Quel sort est réservé au statut foncier des
ture dont dépend la grande majorité de parcelles octroyées aux investisseurs ?
la population ». Après une présentation
des PAI par le Premier Ministre, Mme 4. La position des organisa- Dans le cas de Bukanga Lonzo, l’essen-
Sri Mulyani a annoncé que « la Banque tions paysannes congolaises²² tiel de l’information provient du gouver-
mondiale et la SFI (Société Financière nement, peu loquace sur ces questions.
International) sont prêtes à apporter Les OP estiment que 11 000 villages
leur appui en fonction des besoins du vont être déplacés lorsque les 80 000ha
Même s’il est encore trop tôt pour dres-
gouvernement et apporter l’expertise du parc seront exploités. Que vont
ser un bilan objectif du parc de Bukanga
nécessaire pour développer ce sec- devenir les paysans qui vont perdre
Lonzo, le développement de PAI sou-
teur important ». Elle a, par ailleurs, leurs terres, leurs élevages, leur accès
lève de nombreuses questions dans le
invité le secteur privé à participer à cet à l’eau ? Il y a, aujourd’hui, un manque
chef des organisations paysannes (OP).
effort du développement agricole¹⁹. de transparence total sur le projet.
Le parc est fermé et la visite à laquelle
Tel que conçu actuellement, le projet les OP ont été conviées était très en-
Le directeur sectoriel de la BM chargé des PAI favorise nettement les grands
de l’agriculture en Afrique Centrale et cadrée. Une personne présente lors
exploitants agricoles et la production de cette visite en 2015 nous a relaté
Australe, Séverin Kodderitzsch, estime de cultures destinées à l’exportation,
que le projet des PAI est une approche que les premières récoltes auraient
ce qui alimente les craintes des OP de été très mauvaises : le champ visité
intéressante qui amène des collabora- voir l’agriculture familiale marginali-
tions entre des investisseurs publics et n’aurait rien donné sur 70% de sa
sée, voire même disparaitre au sein de superficie, le maïs était si petit (25
privés. ces espaces. Selon les OP, la coexis- cm) qu’il ne pouvait même pas être
tence entre l’agriculture familiale et arraché par les tracteurs et il était,
Même s’il affirme que son institu- l’agrobusiness est possible ; celles-ci par ailleurs, bouffé par les insectes.
tion ne privilégie pas un modèle peuvent même s’enrichir l’une l’autre
agricole précis, l’approche préconi- et se développer de façon complé- Depuis un an et demi, le parc emploie
sée par la BM avantage clairement mentaire. Mais cette ouverture et cette des ouvriers agricoles dans des condi-
une agriculture « de nature privée, tolérance par rapport à l’agrobusi- tions précaires, avec un statut de jour-
qui aspire à être beaucoup plus ness supposent la réunion d’un cer- nalier : « Nous avons une année et six
productive en prenant en compte tain nombre de conditions qui, dans mois depuis la coupure du ruban sym-
des éléments nouveaux comme le cadre du premier PAI, n’ont pas été bolique, ils n’ont engagé personne, alors
la mécanisation, l’utilisation des réunies. La principale condition réside que nous faisons des lourds travaux.
semences performantes et de nou- dans la concertation franche et directe Il y a même des gens qui manipulent
velles techniques agricoles »²¹. avec les OP ; ce qui n’a pas du tout été les produits chimiques sans aucune
le cas dans le cadre de la mise en place protection. Nous sommes payés régu-
des PAI. Les OP soulignent le manque lièrement, mais ce salaire ne nous
Il ajoute cependant que « le défi est de de clarté et de transparence du projet permet pas de nouer les deux bouts
veiller à ce que cette approche qui a le ainsi que le manque de consultation des du mois », a indiqué l’un d’eux à Radio
potentiel s’inclut dans une croissance coopératives et populations locales. Okapi²³. De plus, ils n’auraient pas accès
inclusive, elle inclut les petits agricul- Or, le manque de dialogue et d’échange à l’eau potable, réservée aux expatriés.
À l’avenir, les emplois dans le parc béné- portées par les paysans et leurs orga-
ficieront très peu aux petits agriculteurs nisations et qui visent également à La reconnaissance des exploi-
locaux car il s’agira d’emplois spécia- transformer et relancer l’agriculture²⁵. tants et des organisations pay-
lisés. Sur les 300 personnes engagées, sannes en tant que acteurs socio-
140 ont d’ailleurs été licenciées mi- Pour les OP, au lieu de se concentrer professionnels du métier agricole ;
février car elles ne sont plus compéti- sur les PAI, le gouvernement congo- L’implication de toutes les parties
tives pour la seconde phase du projet²⁴. lais devrait plutôt mettre en place une prenantes ;
Les OP soulignent également qu’au- politique agricole favorable à toutes les La mise en œuvre des politiques
cune étude d’impact environnemental, catégories de producteurs agricoles, actives dynamiques innovantes en
sociétal, ni foncier n’a été réalisée avant petits et grands, et qui devra tenir faveur de l’agriculture familiale.
la mise en œuvre du projet. compte des éléments suivants :
Revendications