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'L E, BRIS-MARIE-OSMONT-SINOIJ

avec la collaboration de
ADRIEN - GIBBAL - LECARME -POITOU

ANTHROPOLOGIE DE L'ESPACE HABITE


DANS LES VILLES AFRICAINES

DAKAR-SAINT LOUIS-BAMAKO-LOME'-NIAMEY- ILE IFE - BANGUI

MINISTERE DE LA RECHERCHE ET DE LA TECHNOLOGIE PARIS 1984


AGENCE COOPERATION ET AMENAGEMENT -
LAB 94 DE SOCIOLOGIE ET GEOGRAPHIE AfRICAINE [HESS
Agence Coopération et Aménagement
98, rue de l'Université - 75007 Paris
Groupe de Recherche Urbaine en Afrique
Laboratoire Associé, 94-54, Boulevard Raspail - 75006 Paris

Emile LE BRIS, Alain MARIE, Annick OSMONT, Alain SINOU


avec la collaboration de
Marie-France ADRIEN-RONGIER, Jean-Marie GIBBAL, Mireille LECARME,
Danièle POITOU et de Patrick ECOUTIN pour les plans.

A NT HR 0 POL 0 G 1 EDE L' E SPA C E HA 8 l T E

DAN S LES VIL LES A F RIe AIN E S

Rapport de recherche
Financement du Ministère
de la Recherche et de la
Technologie.
Décision d'aide nO :
N. Dif/PVD/80-7-0366.
Paris, octobre 1984.

AVANT-PROPOS

Les études menées sur le terrain ont été rassemblées en huit


monographies que nous avons regroupées selon leur localisation
géographique.

Cet ensemble est précédé d'une introduction situant la recherche


et SU1Vl d'un texte de synthèse présentant les bilans théoriques et
les perspectives.
SOMMAIRE

1 - INTRODUCTION: OBJET, PROBLEMATIQUE ET METHODE .....•..... 1 à XIV

A) Historique du projet
B) Objectif de l'étude
C) Inflexions de la problématique initiale
D) Situation du sujet de recherche
E) A propos de la méthode anthropologique
F) Retombées prévisibles
G)Contacts de l'équipe de recherche avec les institutions des
pays concernés.

II - MONOGRAPHIES

Annik OSMONT : Stratégies familiales, stratégies résidentielles


en milieu urbain: un système résidentiel dans
l'agglomération dakaroise ••••••••••••••••••••••••••••• l

Mireille LECARME : Femmes dakaroises d'un quartier uflottant" •••••.• 71

Alain SINOU Pratiques d'espaces à Bamako et à Saint-Louis •••••••• l07

J.M. GIBBAL Fadjiguila, quartier périphérique à Bamako, Mali ••••• l71

E. LE BRIS Usages d'espaces et dynamique du front d'urbanisation


dans les quartiers périphériques de Lomé •••••••••••••• 189

A. MARIE Espaces, structures et pratiques sociales dans les quar-


tiers centraux de Lomé .......••••.••......••..•.•..••..• 269
D.POITOU : Organisation et pratique de l'espace à Ile-Ifé (Nigéria)
et Nyamey (Ni ger) ..••..•••.••..•.......•.•..•..•....•.•. 387

M.F.ADRIEN : La constitution de l'espace habité chez les Gbaya de


Bangui: un processus d'installation résidentielle et
d'intégration urbaine sans improvisation .••••.•..•••••• 439
III - CONCLUSION: BILANS THEORIQUES ET PERSPECTIVES .....•........ 467
A) L'espace urbain: politiques et stratégies .
B) Redéfinition d'une catégorie spatiale: le quartier
C) Logement, famille et système résidentiel
D) Fécondité et perspectives de l'approche anthropologique

IV - BIBLIOGRAPHIE GENERALE •..••...•.•••.••...••••.•••.•••••••••••. 517


l - INTRODUCTION
----------------

OBJET, PROBLEMATIQUE ET METHODES

E. LE BRIS
A. MARIE
A. OSMONT
A. SINOU
- 1 -

A - HISTORIQUE DU PRO~IET

Le groupe de recherches urbaines en Afrique rassemble des


chercheurs du Laboratoire de Sociologie et Géographie africaines
(Laboratoire associé au C.N.R.S., n094) dirigé par G. Balandier et G.
Sautter. L'équipe sIest constituée à l'occasion d'un appel d'offre
lancé par la Mission de la Recherche Urbaine du Ministère de
l'Environnement en 1976, dans le but d'assurer une meilleure liaison
entre enseignement et recherche. Les crédits incitatifs ainsi obtenus
nous aidé à mettre sur pied un programme de travail, qui siest
organisé en 1977-78 et 1978-79 autour d'un séminaire de D.E.A. à
l'LH.E.S.S. dans le cadre de la formation "Etudes Africaines", et de
recherches menées sur le terrain en Afrique (à Dakar, Lomé, Bamako
notamment). Ces deux types d'activités portaient sur les thèmes
suivants: "s tructurations et déstructuration des familles dans les
villes africaines, et formation de groupes".
A l'occasion d'un programme de relance de la recherche urbaine
dans les pays en voie de développement défini par le comité
interministériel consulté en 1979 par la D.G.R.S.T., notre équipe a
bénéficié de nouveaux crédits incitatifs, sur proposition d'un
programme intitulé: "Pour une approche anthropologique de l'espace
hab i té dans l es vill es des pay s en v 0 i e de dé ve l 0 ppe men t Il (déc i s i on
d'aide N. DIF/PVD/80.7.0366). Ce contrat est géré par l'Agence Coopé-
ration et Aménagement.
Au terme de ce programme de recherche, nous nous proposons dans
le présent rapport scientifique de faire le po"int sur les résultats
des recherches menées par l'équipe et les chercheurs qui ont bénéficié
d'aides financières partielles dans le cadre de ce programme.

B- OB~IECTIFS DE II mlDE

L'LU.P. de Paris XII a, dans un document publié en 1980, mis en


lumière les points forts mais aussi les faiblesses et les lacunes de
la recherche urbaine française dans les pays en voie de développement.
Parallèlement, on peut constater que des politiques de l'habitat et
des programmes d'aménagement urbain échouent, tant sur le plan du
nombre (on n'arrive pas à suivre l'accélération de l'exode rural) que
sur celui de la qualité (choix technologiques et architecturaux).
Ces insuffisances et ces échecs sont, selon nous, imputables à
trois séries de causes d'ailleurs étroitement liées entre elles:
- Les investigations sont menées selon des axes trop spécialisés de
telle sorte que les solutions adoptées négligent certaines réalités
géographiques et sociales essentielles.
- 1l -

(Accumulation d'études de caractère technologique' qui


représentent souvent davantage une fuite en avant qu'une réflexion
approfondie sur la conception de l'habitat). .
- Un em pi ri's me aveug le prés i ge à ,1 "év'a l uat i on de s .conséquences
sociales des projets, l'argument financier l'emportant sur toute autre
considération. 1:. . 1

-On procède par transfert pur et simple de concepts et de modèles.


européens sans prendre la peine de vérifier leur caractère opératoire
là où l'on doit agir. Nous avons été particulièrement sensibles à
l'i nadéqu at ion enAfri que de .catégori es couramment ut il i sées comme
ce11 es de" ogeinent, de f amiJ l ~ où, de rés i derice •
Un vaste domaine exploré existait donc en amont de la conception
et de l'évaluation. Certaines études pouvaient sans doute servir de
référence sur les sites çnoisis .(Bamako, Dakar, Lomé) mais leur
caractère macro-économique ou inacro-soèial 'en limitait l'intérêt. Il
n'était pas question, dans ces conditions, de fonctionner comme le
noyau central d'un réseau centralisant des acquis de recherche sur la
base la plus ,large. Notre objectif principal a été d'emblée ~
roduction de connaissances originales sur un nombre limité de sites
observons ace propos que les sites choisis permettentd'explprer des
mécanismes identiques à différents stades de la croissance urbaine
mais aussi de mettre en évidence certaines spécificités importantes
cf. point -3.)., '. :, _ :".1"'; : " . • , _

.. 'S'ur- cÎes":sites notre but étai(de sys~émati~er'.le~ étude's d'e"cas


pri vil ég i ant l'observat i on di recte et approfond i e, synchron i que et
diachronique de petites unités sociales. Ces études devaient
s'appliquer à des opérations volontaires ou en cours de ,.éa,lj~ation
mais aussi à des zones d'habitat précaire.
Ces études ne doivent pas constituer un but en soi;· elJ~s ,deyront
nourrir une recherche d'ensemble .sur les p~atiques de l'espace' habité.
Cette recherche, conçue comme l'étape ultime de çe travail'
contractuel, devra en particulier s'efforcer d'articuler le f1iv-eau
micro-so~ial {dans lequel il y 'aurait quelque danger à s'enfermer) aux
théories génér~les sur le :so.us~çléveloppelTleJl.t.
• • •• ) : 1 .' ; j . •• , ~ ,,

le caractère indissociabl~ de ces deux démarches (ét~des et


recherche) devrait conférer à notre travail un caractère particulier
et nous mettre en position de collaborer efficacement avec les •
praticiens. Cette collaboration est envisageable à deux niveaux:
- ,Celui de la programmation de l'habitat (liens avec les spécialistes
de l'aménagement et avec les pouvoirs publics).
- Celui de la conception architecturale et technologique (liens avec
les techniciens du bâtiment)


- 1Il -

Il faut rappeler ici. que le Groupe de Recherche Urbaine en


Afrique préexistait à la signature du contrat avec la D.G.R.S.T. (cf.
point 1). Les géographes et les sociologues qui le composent ont
depuis cinq ans l'ambition de construire un projet commune en essayant
d'éviter les démarches étroitement disciplinaires. Il s'agit, en
l'occurence, de qualifier l'espace autrement que comme objet fini,
mesurable, codifiable; l'accent devra être mis sur la production
sociale de l'espace, sur des propriétés qualitatives, sur ses usages.
Cette ambition peut paraître banale; elle n'en a pas moins un enjeu
essentiel : faire en sorte que les différents spécialistes s'occupant
d'espace (et en particulier d'espace urbain) aient un langage commun
minimum ..•
Cet objectif ne situe pas seulement au niveau de la synthèse
finale; il est très pratiquement mis en. oeuvre dans les études de cas
elles-mêmes, en particulier à Dakar (A. OS MONT) et à Lomé (E. LE BRIS
et A. MARIE).
Depuis cinq ans, notre groupe de recherches est également
r es po ns ab l e d' un s é min air e de D. LA. dan s l e ca dr e de l' Eco l e des
Hautes Etudes en Sciences Sociales. Dans ce cadre, nous assurons le
suivi des travaux d'un certain nombre de jeunes chercheurs français et
étrnagers (pour la plupart africains). Certains d'entre eux avaient
des préoccupations très voisines des nôtres; d'autres ont accepté
d'infléchir leur programme de travail vers l'étude des pratiques de
l'espace habité. Nous nous sommes efforcés (et nous continuerons de le
faire) d'associer le plus grand nombre d'entre eux d'une manière très
concrète (aides financi"ères) à la réalisation du contrat. Ce faisant
nous visons trois objectifs :
- Elargir le champ discipl-inaire de l'équipe (recrutement
d'urbanistes, d'architectes, de médecins, etc .•. )
- Elargir le champ géographique de la recherche (République de
Centrafrique, Niger, pays anglophones d'Afrique de l'Ouest ••• )
- Déboucher à terme sur de nouveaux programmes pris en charge par
les organismes locaux (dans le cas des étudiants africains en
particulier).ou des initiés· dans.. l~ cadre d'accords bilatéraux. On se
réf é r e r a po ur de plu s am pl.e sin for mat i on s au .p 0 i nt G de. cet t e
introduction.
C - INFLEXIONS DE LA PROBLEMATIQUE INITIALE ;
- Pour éviter de sous-estimer les contraintes de niveau macro-
sociologique et politique qui pèsent sur les pratiques citadines et
pour montrer que beaucoup d'entre elles engagent une analyse du rap-
port à l'appareil d'Etat, nous avons pris contact avec les instances
officilles (Directions de L'Urbanisme, Agences, Sociétés immobilières
para-publiques, Ecoles d'architecture, etc ••• ) pour y recueillir les
éléments d'une réflexion sur l'action des pouvoirs publics, de manière
à mieux faire apparaître le caractère de stratégie réactive, défensive
ou même de résistance de certaines pratiques à la base.
- 1V -'

- Cette perspective pourra être complétée par une approche


d'orientation historique: généalogique de l'espace urbanisé en
Afrique, avec deux axes de réflexion :
- les textes et plans d'aménagement et d'urbanisme
- les images et représentations de la ville,
l'interférence de ces deux champs d'investigation pouvant déboucher
sur des réflexions concernant l'imaginaire urbain.

o- SITUATION DU SUJET DE RECHERCHE.


Liés à une explosion urbaine sans précédent, les problèmes de
l'habitat dans les villes africaines sont quantitativement énormes et
qualitativement négligés.
Dans le domaine opérationnel cependant, de nombreuses recherches
ont déjà été effectuées sur les problèmes de l'habitat dans les pays
en voie de développement : .
- par des ingénieurs et économistes abordant les aspects
scientifiques de la production du logement: économie du bâtiment,
transferts de techno l ogi e de l a cons truct ion ;.-demande 'so l vab le,
prob l èmes fonc i ers, fi nancement du logement. En France, ces études
sont menées jusqu'à présent par des bureaux d'études ou par des
Organismes non gouvernementaux (BCEOM, OTUI, SCET, ACA, GRET, CEBTP,
ACT, etc.), ou encore par des consultants généralement appelés par des
organismes opérationnels publics; 'et plus rarement par des organismes
d'enseignement et 'de recherche' (UER D'aménagement de Grenoble, UER
d'Urbanisme, UP d'Architecture).
- par des programmateurs et aménageurs abordant l'évaluation des
besoins et les mécanismes d'élaboration des politiques de logement. On
peut citer ici les études faites pour et par les pouvoirs publics
(Plans de Développement) ou par les organismes financiers d'aide multi
ou bi-latérale au développement (notamment la Banque Mondiale).
- dans le domaine de la conception de l'habitat, les études sont
beaucoup plus rares, si l'on met à part les études empiriques' menées
par un certain nombres d'architectes (par exemple à Dakar les études
menées par l'Ecole d'Architecture ou l'équipe hollandaise de Bijl
Bill). La Banque Mondiale a également entrepris ou suscité des études
d'évaluation sur des opérati'ons de 1"arcetles 'ass"ainies{'à"Dakar,
Bamako, Ouagadougou notamment).
Cependant ces études, outre leur orientation strictement opéra-
tionnelle et donc empirique, 'ont 'pciurinconvénient de privilé~ier la
dimension économique, voire seulement financière, des problemes de
l'habitat. La prise en considération des aspects sociaux, lorsqu'elle
intervient, c'est le plus souvent à une échelle'macro-'sociétale. L


- v-

plus souvent l'analyse des modes de vie spécifiques des populations


urbaines africaines est absente des études menées sur l'habitat, ou
font tout au plus l'objet d'enquêtes exhaustives du type social-
survey.
Il existe donc un vaste domaine d'investigation qualitative,
située en amont de la conception, de la programmation et de
l'évaluation, don~ les résultats peuvent permettre d'éclairer les
décideurs et les concepteurs sur les mécanismes sociaux à l'oeuvre
dans ces gigantesques laboratoires sociaux que sont les villes
africaines actuelles, à travers une observation fine des modes de vie
et d'habitat des citadins. Cette démarche de type anthropologique
apparaît d'autant plus nécessaire qu'on s'oriente de plus en plus vers
une politique de "parcelles assainies" pour le logement du grand
nombre, laissant aux habitants futurs la construction des logements ou
d'amélioration de quartiers existants, ce qui dans l'un et l'autre cas
implique une connaissance plus approfondie des modes de vie et
d'habitat en milieu urbain, débouchant sur une possible
restructuration de la petite production artisanale de l'habitat.
Dans cette perspective, rappelons que trois thèmes de recherche
retiennent notre attention :
- l'application de la démarche anthropologique à la recherche
urbaine africaine: cf., entre autres, les travaux de G. Balandier, A.
Southall, K. Little, Gutkind, W. Mangin, etc; et les études de cas
menées dans le cadre du Centre d'Etudes africaines sousla direction de
G. Balandier, P. Mercier et G. Sautter).
- L1habitat en Afrique: études le plus souvent "ethnologiques"
que sociologiques, dans la mesure où la question du changement social
-y est rarement abordée (G. Diéterlin, M. Griaule, P. Lebeuf, P.
Bourdieu, ou, plus récemment, M. Fassassi).
- L'habitat, les modèles culturels et les changements socio-
économiques: sur ce thème, la recherche jusqu'à présent a surtout été
développée dans les pays industriels (cf. les travaux de P.H. Chombart
de Lauwe, A. Touraine, H. Raymond et N. Haumont).
Plus récemment, un certaln nombre d'études ont retenu notre
attention pour leur caractère exemplaire. Citons notamment M. Vernière
Dakar et son double; J.F.C. Turner, ~ logement est votre affaire; H.
Fathy, Construire avec ~ Peuple; B. Granotier, La planète des bidon-
vi 11 es; C. Petonnet, On est tous dans ~ Broui 11 ard, Ethnol ogi e des
banlieues, et Espaces habites;-Ch. Bene et P. Dujarric, Habitat et
société, Essai sur les ralrorts entre l'organisation sociale et l'or-
ganisation de l"'eSpace ha îtable ~Afrîgue de l'Ouest; P. Canel, Ph.
Delis, Ch. Girard Construire la ville africaine.
- VI -

Parmi les travaux en cours, proches de nos préoccupations,


mentionnons: ceux de Ph. Haeringer (ORSTOM) sur les déplacements dans
la ville et l'écologie urbaine (Abidjan, San Pédro), ceux de Cl.
Vidal, M. Le Pape et P. Casamayor sur les modes de vie urbains
(Abidjan), ceux de l'équipe de R. Jaulin sur la Tunisie, et de Ch.
Depaule sur la ville arabe.

E - A PROPOS DE LA METHODE ANTHROPOLOGIQUE

Notre méthode d'investigation s'est directement inspirée de


l'anthropologie sociale: l'étude intensive et de longue durée
d'unités sociales de petite taille (pour ce qui nous concerne, la
longue durée n'est pas contradictoire avec l'obligation de missions
courtes, puisque celles-ci sont menées auprès des mêmes unités
d1enquête, selon le principe de l'enquête à passages répétés).
L'avantage de la méthode, on le sait, est de permettre une
observation fine et directe des pratiques en tendant à l'exhaustivité
et, ai nsi, de gagner en profondeur ce qu i est perdu en extens i on. De
ce fait, elle met en évidence la complexité des phénomènes sans les
réduire arbitrairement au jeu de quelques variables isolées de leur
contexte concret.
Le principal problème est bien entendu celui du choix des unités
d1enquête, car l a représentativité de l'échanti 11 on ainsi étroitement
délimité en découle. Pour notre part, en l'absence de données
quantitatives suffisamment précises ainsi qu'en raison de la modestie
de nos moyens, il n'était pas question de prétendre à la
représentativité statistique. Du moins pouvait-on viser à une certaine
représentativité significative.
Dans ce but, étant donné l'objet de notre ~tude qui était de
mettre en valeur des pratiques relativement autonomes de l'espace,
nous avons écarté 2. priori deux catégories de citadins: la grande
bourgeoisie, dont le mode consommation est à première vue (mais il
conviendrait cependant d'y regarder de plus près) calqué sur le modèle
occidental, ce qui se traduit généralement, au plan de l'habitat, par
la grande villa bétonnée et climatisée ostentatoirement posée au
milieu d'un jardin ornemental; et, à l'autre extrémité, la population
plus ou moins flottante des citadins récents, installés en squatters
dans les zones d'habitat précaire ou bien en locataires chez les
citadins de plus ancienne date.
Entre ces deux extrèmes, notre étude a couvert un champ assez
large de citadins, tous propriétaires (en termes de droit moderne
et/ou coutumier), mais de conditions sociales variées: moyenne ou
petite bourgeoisie de fonctionnaires, commerçants ou petits
entrepreneurs; employés et ouvriers du secteur moderne; artisans,
petits commerçants et salariés du secteur informel.


- VII -

Nous avons pu de la sorte mettre en évidence un fond de pratiques


de l'espace (pratiques foncières, immobilières, architecturales, pra-
tiques quotidiennes ou cérémonielles) commun à l'ensemble de ces
catégories et assurément significativement représentatif d'un mode
d'habiter et d'investire l'espace spécifique des citadins africains,
quand, d'une part ils échappent au mime des modèles étrangers impli-
qué par l'occidentalisation des modes de vie, et quand, d'autre part,
ils s'affranchissent des contraintes trop rigides imposées par l'ex-
trême pauvreté et / ou l'absence de toute sécurité foncière.
Mais la prise en considération de la diversité grandissante des
conditions sociales dans ces catégorïes intermédiaires nous a égale-
ment permis de ne pas tomber dans le piège d'un culturalisme simplifi-
cateur et de montrer que les déterminants économiques produisaient des
effets de différenciation au sein des pratiques de l'espace,. par
ailleurs similaires d'une catégorie sociale à l'autre et d'un pays à
l'autre.
Le choix de l'unité d'enquête se pose également en termes
spati aux. Dans une étude sur l'habitat, l a tendance spontanée du
chercheur est d'isoler des unités spatiales, quartiers, sous~quartiers
ou unités d'habitation, sélectionnées en foncion de critères d'ordre
physionomique. Cette démarche parait recouper la précédente, dans la
mesure où l'habitat peut être considéré comme un signe extérieur
pertinent de la condition sociale. Cependant, la pratique de l'enquête
nous a confirmés dans notre méfiance sociologique vis-à-vis des
critères purement géographiques ou urbanistiques. A l'exception
(d'ailleurs tempérée) des quartiers les plus univoquement marqués
(quartiers résidentiels de luxe, quartiers administratifs, quartiers
taudifiés ou bidonvilles), les villes africaines sont encore largement
des melting pots sans ségrégation spatiale rigide. Dans le même
quartier, moyenne et petite bourgeoisie, prolétariat et sous
prolétariat, actifs du secteur moderne et actifs du secteur informel,
coexistent et même s'interpénètrent. Quant à prendre comme unité
d'enquête l'unité d'habitation,· délimitation apparemment plus précise
et.mieux individualisée socialement et économiquement~ c'est une
démarche qui ne serait guère plus rigoureuse •
. Nous avons pu constater en effet, d'une part qu'au sein d'une
même unité d'habitation voisinaient des gens de conditions et de
statuts fort divers, et d'autre part que l'unité d'habitation coïnci-
dait rarement avec une unité familiale autonome et séparée: la famil-
le étendue. est en fait répartie entre· plusieurs unités d'habitation
plus ou moins dispersées mais entre lesquelles des liens étroits sont
le plus souvent maintenus (définissant ce que nous avons appelé un
système résidentiel), et, dans chacune d'elles, le segment qui est à
sa tête (généralement une famille élémentaire) cohabite avec d'autres
éléments de la parentèle (constituant ce que nous avons appelé la
famille élargie), ainsi qu'avec des locataires non-parents.
- VIII -

Ainsi, les pratiques spatiales, notamment les stratégies


foncières et immobilières, mais aussi les pratiques de sociabilité, ne
sont donc pas circoncrites à l'unité d'habitation, mais se développent
au contraire au sein d'un réseau beaucoup plus vaste, principalement,
mais non exclusivement (car il y a aussi les rapports de voisinage, la
vie de quartier, et les différents usages de la ville ~ans son
ensemble) inscrit dans l'espace, - donné et en cours de modification,
permanente -, des systèmes résidentiels. Dans ces conditions,
s'enfermer dans l'unité d'habitation arbitrairement posée comme unité
d'enquête autonome serait certes compatible avec l'observation des
pratiques quotidiennes de l'espace, mais ferait passer à côté de la
plupart des autres pratiques; lesquelles se déploient dans un espace
plus large, plus diversifié et mettent en oeuvre des formes de
sociabilité (de solidarité et/ ou de rivalité) débordant de beaucoup
le cercle des co-résidents.
En prati que, une manière commode d'échapper au caractère réduc-
teur de tout découpage 2. priori de l'objet d'enquête en fonction de
critères exclusivement sociologiques ou géographiques, est de combiner •
les deux approches: un premier repérage phénoménographique du paysage
urbain permet d'esquisser une typologie de l'habitat suffisante pour
faire un choix raisonné sur cette base; ensuite le relevé d'un certain
nombre d'unités d'habitation, puis le recensement de l'ensemble de
leurs occupants font intervenir a osteriori des critères socio-
économiques précis et concrets. Dès ors, ceux-ci passent au premier
pl an, dans l a mesure où ce n'est pl us l'espace habité en tant que tel
qui est l'objet d'étude, mais le groupe' soci al analysé dans sa struc-
ture, son fonctionnement, et dans ses pratiques de différents regis-
tres (spatial, foncier, économique, sociologique, rituel, etc.~
De ce point de vue, la méthode de la monographie familiale,
appuyée sur la technique du relevé généalogique, est particulièrement
féconde: à partir du segment familial localisé dans l'unité d'habita-
tion, elle permet de reconstituer l'ensemble du réseau de parenté-dont-,
il fait partie, de circonscrire le réseau spatial au sein duquel ,il
fonctionne comme llun de ses composants (en y incluant les parents
vivant ailleurs, y compris ceux restés au village et les émigrés) et
ainsi, de suivre, tout au long de ses diverses ramifications, les
pratiques de gestion de ce réseau spatial et familial (p. ex. :
tr~nsferts de résidence à l'intérieur du système résidentiel; straté-
giescollectives d'accumulation du .capital foncier; stratégies commu-
nautaires de mobilité sociale et spatiale; articulation, au sein du
grolipe familial, des activités de type moderne et des activités de •
type informel; réaffirmation périodiqu!=! des formes élargies de soli-
darité à l'occasion des concentrations cérémonielles dans la -"grande
maison-mère" etc.).


- IX -

En outre cette méthode permet une approche diachronique, laquelle


échappe généralement à l'investigation sociologique ou géographique
classique opérant par coupes stratigraphiques dans le champ de la
synchronie. En effet, la généalogie familiale, utilement complétée et
précisée par le recueil de biographies individuelles, peut donner à
l'enquête une profondeur historique de plusieurs générations
successives, ce qui rend possible la reconstitution des trajectoires
sociales, professionnelles et résidentielles des individus (notamment
les chefs de ménage) membres du groupe familial étudié: on peut dès
lors concrétiser des processus (p. ex. les étapes de l'intégration
dans la ville et dans son système économique; l'évolution, sur plu-
sieurs générations, des stratégies résidentielles et de mobilité so-
ciale; les changements intervenus dans les structures familiales en
corrélation avec les chan~ements dans les pratiques foncières, immobi-
lières, économiques, etc.). On mesure mieux de la sorte le jeu dialec-
tique des changements et des permanences, des innovations et des
conservatismes, de la reproduction et de la réinterprétation des
modèles traditionnels.
A terme, et pour peu que ces études de cas soient suffisamment
nombreuses et diversifiées selon les situations urbaines et selon les
milieux sociaux, une telle approche peut fort bien rencontrer des
préoccupations plus macro-sociologiques et plus théoriques: à partir
d'une analyse inductive du concret, donc en évitant le piège de la
déduction souvent dogmatique quand elle procède de découpage ~ priori,
elle peut apporter en effet des éléments de réponses fiables aux
grandes questions de la sociologie urbaine. Ainsi, nous avons pu
montrer que :
- le modèle familial qui tend à se généraliser en milieu urbain n'est
pas la famille conjugale, mais la famille élargie, compromis de fait
entre la famille étendue localisée du milieu rural et la structure
cellulaire de type occidental;
- cette famille élargie s'élargit surtout en ligne utérine, par
adjonction de cellules matri-centriques relativement autonomes et que
ceci est autant lié au maintien de la polygamie (mais de plus en plus
avec résidence séparée des conjoints) qu'à l'instabilité croissante du
lien conjugal;
- la ville moderne, en situation de sous-emploi générateur de
précarité des conditions d'existence, n'induit pas la privatisation
des modes de vie, mais, au contraire, rend nécessaire le maintien de
larges solidarités qui se traduisent dans la permanence des réseaux de
parenté extensifs (le lignage dans certains cas; la famille étendue et
la parenté par alliance en général);
- la structure de l'emploi est telle que les activités de type moderne
et les activités de type informel sont associées pour la reproduction
du groupe familial;
- x-

- dans ces conditions, la détention d'un capital foncier et immobilier


devient l'un des éléments principaux de la reproduction sociale (et
dans les cas les plus favorables, de la mobilité ascendante) et repré-
sente dans tous les cas, un enjeu de stratégies concurrentielles, dont
les différents couches sociales et l'Etat sont les principaux acteurs;
- tout ceci se traduit, au plan de l'espace habité, par le maintien de
structures collectives matérialisées par la concession, modèle antino-
mique à celui du logement monofamilial de type cellulaire, et au plan
de la stratification sociale, par un paysage beaucoup plus complexe et
brouillé que ne le représentent généralement les analyses en termes
de classes, le système capitaliste urbain des pays dépendants favori-
sant et nécessitant à la fois des solidarités verticales entre indivi-
dus de statut et de conditions très hétérogènes, et instituant de fait
la propriété foncière comme l'un des enjeux principaux de la compéti-
tion sociale.

Bien entendu de telles généralisations, à partir des données


anthropologiques, sont d'autant plus sûres que l'on peut confronter
celles-ci aux diverses sources documentaires (recensements, enquêtes
socio-économiques, production juridique, réglementation urbaine,
cad as tre, photos aéri ennes, arch ives, etc.). Et cette confrontat ion
sera d'autant plus féconde que l'approche anthropologique est le fait
d'équipes pluridisciplinaires soucieuses de rendre compte de la
multidimensionnalité d'une réalité sociale multi-déterminée, donc
d'articuler constamment les points de vue micro et macro-
sociologiques. C'est cette double préoccupation qui commande notre
démarche et nos objectifs.

F - RETOMBEES PREVISIBLES

Il n'est pas possible au stade d'un rapport de recherche dans un


domaine encore peu exploré, qui s'attache à produire des
connaissances, d'en énoncer avec certitude les retombées prévisibles.
Celles-ci ne pourront émerger avec quelque chance de crédibilité que
lorsque les résultats de cette recherche auront été diffusés, comparés
avec d'autres, er discutés, notamment avec des professionnels chargés
de la conception, de la programmation, du financement de projets
d'habitat dans les PVD.
Ce qui suit garde donc un caractère hypothétique et provisoire,
et demande à être considérablement nuancé. Des propositions plus
approfondies pourront surgir à l'occasion d'un colloque international
- XI -

que notre équipe est chargée d'organiser conjointement avec l'Institut


de ,l'Habitat (CNRS) et d'autres chercheurs, et qui se tiendra a Paris
en'septembre 1985. Le thème retenu est le suivant: Poliiiquèsde
développement et pratiques sociales en matière d'urbanisme 'et
d'habitat. Ce colloque devrait notamment donner lieu à des échanges
avec des équipes étrangères, et à un dialogue avec des techniciens et
professionnels de l'urbanisme. La publication des actes de ce CQlloque
pourront conso li der et prolonger les résul tats de la 'présente
recherche. . . 1..

Dans les limites définies ci-dessus, les retombées peuvent à


notre sens être envisagées s~r deux plans essentiels :
. - 1. La pr,oduction de connaissances: il paraît de plus en plus
évident que les mécanismes de structuration de l'espace en ville sont
largement méconnus d'une manière générale ce qui est déjà lourd de
conséquences; mais ils sont tout particulièrement mal connus, 'à moins
qu'ils ne soient volontairement ignorés, de ceux qui ont la tâche
d'intervenir dessus, ce qui est plus grave encore sur le plan des
conséquences pratiques.
Approfondir les connaissances dans le domaine des pratiques de
l'espace habité .paraît donc une tâche prioritaire, en .l'élargissant à
l'analyse des mécanismes d~ production de cet ~space et de ces
prat i que s. Ace t i t r e, il po Ûrra î t ê t r e' env i s agé lac réa t ion .d' un 0 u
deux observatoires permanents dans des formes prises par l'habitat en
ville africaine, en prenant. par exemple une grande agglomération
côtière et une capitale de ]~intérieur qui serait litté~alement
paisé~~ ~u peigne fin, et en'obier~ant'les phénomènes.dan~ l~~r
extensi.on actuelle mais aussi dans leur dynamique d'évolulion,;donc
dans l ~ durée. , '. . '. . .
Il serait esentiel que/de'tels observatoires s'appuient sur de
petites équipes de chercheurs locaux, soutenus pendant' quelqu~temps
par des équipes confirmées~ et dotées au besoin d'un firianc~m~nt.
Ad mis es dan sun e p0 s i t ion .d e sui vide s pro jet sen cou r set
d'évaluation de projets achevés, ces équipes pourraient contrjbuer à
capitaliser et analyser la quantité importante d'informations
recherchées à l'occasion du montage de ces projets, et qui demeurent
le plus souvent inutilisées au-delà du projet lui-même.
- 2. Les pratiques opérationnelles
'Sur un pl~n plus opérationnel, il est possible dès maintenant
d'attirer l'attention sur quelques points qui fournissent à notre sens
des sujets de réflexion immédiats:
... . ~ dans"le 'domaine' de la planification urbaine, on co'nstate
que dans le secteur de l'habitat, la programmation est" établie 'surla
ba~e de rés~lt~ts d'enquêtes statistiques du type.asocial survey",
donnant une 'photographie momentanée de ~a population identifiée comme
des ménages dont l'enquête ne peut ,dire s'ils sont ou non isolés,
hab i tant des logements cons i ~ér~s eux- al,JS s i comm e ~des un i tés
stat i sti ques. Les données a 1nS1 recuèi 11 i es permettent d'éval uer le
nombre moyen de personnes par ménage, par logement, et la taille
- XII -

moyenne de ceux-ci. Ainsi sont déterminés les besoins en logement,


leur taille, leur densité d'occupation, qui détermine à son tour le
niveau d'équipements collectifs à fournir. Mais, ce faisant, de quelle
unité sociale satisfait-on les besoins? Au-delà de sa consistance
statistique, quelle est sa consistance sociale? N'y-a-t-il pas un
présupposé hasardeux à considérer qu'une unité spatiale, le lieu de
résidence, enferme en ses limites une unité sociale? S'il apparaît
que tel n'est pas le cas général, on peut s'interroger sur le rôle
destructurant que joue le système d'attribution des logements ou des
parcelles dans les grandes opérations d'habitat programmé, notamment
celles qui sont destinées aux couches de population à faible revenu.
Dans ce dernier cas tout particulièrement, la taille très réduite des
surfaces attribuées ne va-t-elle pas contraindre les groupes familiaux
à la délocalisation et à n'être plus, éventuellement, que des réseaux
de parenté en voie d'atomisation, au risque de voir disparaître des
réseaux de solidarité indispensables dans le contexte actuel.
- Un autre axe de réflexion concernerait la conception même
de l'habitat: lorsque l'on constate, dans les formes prises par
l'habitat des couches populaires mais aussi moyennes, qu'il soit ou
non planifié, des phénomènes de très forte densification sur place, il
paraît évident qu'il faille nécessairement la prévoir, la prendre en
compte dès l'élaboration de l'habitat, même s'il ne s'agit que de
trames d'accueil. Il paraît aussi indispensable de tenir compte de la
longueur du processus de construction (parfois sur plus d'une
génération), qui impliquerait d'éviter par exemple de fournir un
produit fini, d'autant plus lourd financièrement que les occupants
sont souvent conduits à le modifier, et donc à déconstruire pour
reconstruire. Dans un ordre d'idée voisin, il serait souhaitable de
tenir compte du fait que les tâcherons ou les très petits artisans
sont les agents les mieux adaptés à ce mode de construction, mais que
ce secteur du bâtiment, un des plus actifs et gros pourvoyeurs
d'emplois, souffre de toutes les difficultés rencontrées par la
"petite production marchande".
- Une autre série de résultats concerne la réglementation
urba i ne et fonc i ère, qu i se révè le à peu près tota l ement inadaptée,
quelle que soit la catégorie de l'habitat: il existe actuellement un
véritable secteur informel de la production de llespace urbanisé, qui
concerne le secteur privé populaire à peu près totalement mais atteint
largement l es couches moyennes et supéri eures, et qu i concerne
également, en partie du moins, le secteur public ou para-public, et là
aussi, à quelques nuances près, les différentes catégories d'habitat.
En outre on peut répérer ce phénomène dès la production du sol à
bâtir, et on le voit se manifester tout au long de la filière de
producti on de l'habitat. Les rapports soci aux se structurent tout au
long de ces processus, de même que les rapports de pouvoir entre les
individus et les groupes, selon qu'une filière sera considérée comme
égale dans un cas, illégale dans un autre.
- XIII -

Dans cette situation où risquent d'émerger des luttes urbaines


d'une certaine envergure dans les années à venir, une des priorités
devrait être une profonde réforme de réglementations urbaines qui sont
avant tout sources d'inégalités flagrantes, alors qu'elles devraient
les corriger en prenant en compte la réalité des phénomènes
d'urbanisation.

Ces différents points méritent discussions et confrontations.


Parallèlement ou dans le prolongement du colloque annoncé plus haut,
un groupe de travail pluri-disciplinaire, associant chercheurs et
praticiens, pourrait travailler à la formulation de recommandations
plus précises et largement diffusées.

G : CONTACTS DE L'EQUIPE DE RECHERCHE AVEC LES INSTITUTIONS DES PAYS


CONCERNES

CENTRAFRIQUE
Bangui
- Direction de l'urbanisme
- Direction des services cadastraux
- Université
- Faculté des Sciences de la Santé FACSS
- Bureau d'étude du Ministère "des "affaires sociales

- MALI :
Bamako :
- Direction de l'urbanisme et de l'habitat
- Ministère de la culture
- Archives du Mali

- NIGER :
Niamey:
- Institut de recherche en Sciences Humaines IRSH
- Ministère des travaux publics et de l'urbanisme
- Service Topographique
- Institut Géographique National

- NIGERIA :
Nigéria :
- Nigerian Institute of Social and Economic Research (N.I.S.LR.)
de l'Université d'Ibadan (Dyo State).
- Département de Sociologie de l'Université de Ilé-Ifé (Dyo
State)
- Département de Géographie de l'Université de Ilé-Ifé (Dyo
State)
- XIV -

- Town Planning Authority, Ilé-Ifé (Oyo State).

- TOGO :
Lomé :
DGUH : Direction générale de l'urbanisme et de l'habitat
AGETU : Agence de gestion des terrains urbains
UB : Université du Bénin - Département de géographie et de
sociologie
SITO : Société immobilière du Togo
EAMAU: Ecole africaine et mauricienne d'architecture et
d'urban isille
Direction de la statistique du Togo
Centre'ORSTOM

- SENEGAL :
Dakar :
Institut de l'environnement (Université de Dakar)
OHLM (Office d'HLM), notamment direction des parcelles assainies
Service régional d'urbanisme du Cap Vert
Centre ORSTOM •
ENDA - Environnement et' développement africains
Ecole d'architecture et d'urbanisme
Direction de l'Urbanisme et de l'Architecture
Direction de l'Habitat et de la Construction
Archives nationales
Saint-Louis :
Direction de l'urbanisme
BAMH : Bureau d'architecture des monuments historiques
Centre culturel français.
- 0 -

II - MONOGRAPHIES
=================

A. OSMONT
M. LECARME
A. SINOU
J.M. GIBBAL
E. LE BRIS
A. MARIE
D. POITOU
M.f. ADRIEN
- 1 -

STRATEGIES FAMILIALES, STRATEGIES RESIDENTIELLES


EN MILIEU URBAIN : UN SYSTEME RESIDENTIEL
DANS l'AGGLOMERATION DAKAROISE

Annik OSMONT

Dans l'analyse des processus d'urbanisation en Afrique, les


transformations des structures familiales ont fréquemment attiré l'at-
tenti on des chercheurs. Toutefoi s, on constate que l a pl upart des
enquêtes sociologiques ont eu pour objet de mettre au jour des
mécanismes de destructuration de la famille en ville, ou encore de
montrer l'émergence d'une famille nucléaire se rapprochant du modèle
européen contemporain de l'industrialisation.
Lors d'une recherche dont l'objectif général était de faire
apparaître, à travers l'analyse des transformations familiales notam-
ment, les stratégies à l'oeuvre dans une situation de transition du
rural à l'urbain, du traditionnel au moderne, j'avais rencontré à
Dakar des familles anciennement urbanisées, fortement structurées, et
regroupant un nombre importànt d'individus apparentés (Osmont
1978).Mes observations m'avaient suggéré que l'évolution de la famille
africaine urbaine vers le modèle européen n'était pas inéluctable, et
que celui-ci n'était peut être pas pertinent dans cette situation. En
effet deux erreurs méthodologiques au moins sont à l'origine des
analyses existantes :
L'une est à mettre au. compte d'un courant de l'anthropologié qui,
raisonnant en termes d'acculturation, classe les individus et les
pratiques sociales par référence à des modèles culturels statiques et
stéréotypés, donc forcément réducteurs, et qui envisage les transfor-
mations sociales dans l'optique dl,un continuum rural-urbain dans le-
quel on postule une progression linéaire de la société rurale à la
société urbaine, du traditionnel au moderne.Dans ce cadre d'analyse,
les relations entre les individus évoluent du système lignager aux
relations "face-to-face", la famille "biologique" étant le modèle:
"Dans la plupart des quartiers situés autour de Kampala on commence à
voir se déveloRper le système de la famille "naturelle", qui constitue
le groupement le mieux adapté à la vie urbaine. Réduite aux deux époux
et à leurs enfants, cette famille fait contraste avec les vastes
9roupes familiaux que l'on trouve si communément dans les campagnes"
(Gutkind 1962 : 107). Les rapports sociaux étant ainsi naturalisés, la
famille conjugale est utilisée comme une catégorie allant de soi dans
les enquêtes urbaines.
- 2 -

Un autre à priori lourd de conséquences préside aux choix des


unités d'enquête. Il a son origine dans une définition préalable et
abstraite tant de la famille urbaine que de la résidence en
ville.C'est le plus souvent dans les études socio-démographiques qu'on
trouve cette définition croisée: "la famille est comprise comme
l'ensemble des personnes habitant dans une même et unique parcelle (ou
carré) et ayant un lien de parenté entre elles. On y inclut les amis
(généralement originaires du même village). Les membres de la famille
se reconnai ssent comme dépendants d'un homme qui est en généra l le
plus âgé de la plus ancienne génération: le chef de famille. Ainsi
définie, la famille africaine, de vaste ensemble difficile à cerner,
devient alors repérable, grâce à l'unité d'habitation, inscrite dans
l'espace" (Boiquillon-Vaugelade & Vignac-Buttin 1972 : 361). L'erreur
méthodologique, ici, est de considérer que l'unité d'enquête, la
famille, coïncide avec une résidence unique en ville. Il s'agit
typi quement d'un objet préconstruit.
Dans le cadre du présent programme de recherche, ainsi que dans
une étude menée parallèlement sur les modèles culturels et l'habitat
dans les villes africaines (Osmont et al., 1980), j'ai été amenée à
formuler des hypothèses remettant en cause les catégories couramment
adoptées de famille nucléaire et de logement pris comme unité de
résidence de la famille. Il m'est apparu, en effet, que le groupe
familial étendu, constitué par un groupe de filiation, unilatéral ou
bilatéral, pourrait bien représenter un des lieux stratégiques oD les
individus s'efforceraient de résoudre les contradictions globales -au
niveau des pratiques économiques;:'sociales et idéologiques - engen-
drées par le processus d'urbanisation spécifique aux f~rmations so-
ciales sous-développées et dominées de l'extérieur. Ce lieu central
assurant l'intégration à la société urbaine serait alors une catégorie
de la réalité sociale à identifier.
Une première question surgit ici : est-il légitime de parler de
stratégies familiales à l'oeuvre dans le processus de développement
économique et de mobilité sociale des individus en ville? Compte tenu
de l'absence quasi totale d'investigations dans ce domaine de la
recherche africaniste, il convenait d'entreprendre une enquête de
caractère exploratoire afin de mieux cerner cette question. Par
a"illeurs, il était plausible qu'au cas oD de telles stratégies
existeraient, elles n'apparaitraient que sur une profondeur de temps
assez importante, sans doute plusieurs générations. Enfin, il fallait
situer les informations réunies dans le processus global
d'urbanisation, ce qui -impliquerait d'insérer l'histoire familiale
dans une histoire plus générale.
Une autre question suit alors: dans l'hypothèse d'une mise au
jour de stratégies familiales d'urbanisation, celles-ci sont-elles
sous-tendues par des stratégies de résidence? Il s'agissait donc
d'observer la manière dont elles s'inscrivent dans l'espace, et d'ana-
lyser les pratiques familiales dans le domaine de l'habitat, celui-ci
étant un des modes de lecture privilégiés des phénomènes sociaux
concernant la famille.
- 3 -

Dans l'étude évoquée ci-dessus, j'ai pu effectivement montrer sur


une vingtaine de cas observés à Dakar, qu'il y avait une corrélation
entre la persistance ou la reconstitution de véritables systèmes
résidentiels représentés chacun par un ensemble articulé de lieux de
résidence (unités d'habitation) des membres d'un groupe familial
étroitement liés entre eux par des réseaux de solidarité qui dépassent
largement les seules relations de parenté.
La monographie exposée ici approfondit l'étude d'un de ces sys-
tèmes résidentiels.
Aj 0 uton s que sur lep 1and e l a méth 0 de, l' ide ntif i ca t ion et
l'analyse d'unités sociales non préconstruites impliquaient le recours
aux méthodes de l'observation directe. L'objectif de cette recherche a
donc été tout autant méthodologique que scientifique: tester les
méthodes empruntées à l'anthropologie sociale dans leur application à
des phénomènes urbains et, plus particulièrement ici, trouver une
démarche appropriée pour saisir la réalité familiale africaine et sa
projection dans l'espace urbanisé.
- 4 -

FIG 1 PRINCIPAUX LI~UX DE RESIDENCE DANS LE CAP VERT DE LA FAMILLE ETUDIEE

NURIl

• mamadou
grande concession
santhiaba

DAKAR
- 5 -

UN SYSTEME RESIDENTIEL ECLATE DANS L'AGGLOMERATION DAKAROISE

Cette étude ~onographique co~porte la présentation conjointe de


trois observations de cas, correspondant à un systè~e résidentiel
situé à Rufisque et à Dakar, c'est à dire à l'échelle de la presqu'ne
du Cap Vert (Sénégal). (cf.figure 1).
C'est en construisant la généalogie d'une fa~ille connue déjà
depuis plusieurs années que j'ai pu ~ettre au jour les liens étroits
existant entre plusieurs lieux d'habitation entre lesquels circulent
les ~e~bres du groupe.
A partir des données recueillies auprès d'un infor~ateur privilé-
gié, l'actuel chef de fa~ille, petit-fils du fondateur du seg~ent
urbanisé du lignage, infor~ations co~plétées de proche en proche par
celles fournies par d'autres parents, j'ai pu recenser de ~anière
assez exhaustive les ~e~bres du groupe et leur place dans la parenté.
Ce seg~ent de lignage regroupe environ 200 personnes sur quatre géné-
rations (partielle~ent cinq), et habitant pour la plupart Rufisque et
Dakar. Le recueil de la généalogie a été l'occasion de faire raconter
par différents interlocuteurs (une quinzaine, interrogés de no~breuses
fois) des frag~ents de leur vie personnelle, et de l'histoire de la
fa~ille. Cette dé~arche a égale~ent été l'occasion de repérer la
localisation des ~e~bres du groupe fa~ilial en différents lieux de
résidence, d'en analyser la logique dyna~ique à travers les no~breux
change~ents intervenus et de vérifier si elle correspond à une straté-
gie fa~iliale d'intégration à la société urbaine. Lors de ces passages
répétés ont été observées si~ultané~ent les pratiques quotidiennes de
l'espace habité, ~i ses en rel at i on avec l'envi ronne~ent i~~édi at, et
avec les conditions d'urbanisation vécues par l'ense~ble du groupe.
Bien sûr, les 200 ~e~bres de ce groupe fa~ilial (plus étendu
encore sion y ajouta it l a parenté directe d'un certa in no~bre d'é-
pouses choisies elles-~ê~es dans la parenté du seg~ent de lignage
identifié), ne sont pas liés consta~~ent au niveau de la vie
quotidienne. J'ai pu repérer un "noyau dur" de 50 à 70 personnes,
selon les cas, unies par des liens d'intérêts étroits, qui ont vécu ou
vivent encore sur plusieurs lieux d'habitation, et autour duquel
gravitent les autres ~e~bres du groupe. Cependant, les 200 personnes,
au ~ini~u~, sont concernées par la plupart des céré~onies fa~iliales,
el les enfants circulent essentielle~nt dans les li~ites de ce groupe
fa~ilial. (cf. figure 2).

Au coeur du systè~e résidentiel (1), il Y a la Grande concession


dans le quartier Santhiaba (qui signifie "le nouveau quartier") ~
Rufisque.(cf.figure 3) C'est là qu'habitait au début de l'enquête le
fondateur de la concession, Is~aîl, décédé fin 1979. Un autre point
fort est la Maison Castor du fils aîné Ibrahi~a, à Dakar. Le troisiè~e
point fort est raMaison de Ma~adou, frère cadet du précédent, à
Rufisque, habitée depuls-ïa-fin de 1979.

rrr-ëf~plan de repérage pour Rufisque nota~ent.


FIG 2 DIAGRAMME DE PARENTE N°} DESCENDANT DE L ,ANCETRE WASSOUR J

r
r--------\
, ISMAIL
la::;::;;:=.JA ===,
. WASSOUR 2
A 2
Clt;:::::==C'J::f:=U;::==I==:0:;::tê:t=====;:eEl=:::::::;:DF=::;:G03, rtJ4H/ici.:n:MARAME'#rA ~
1

t
l
 DECEDE
MAURITANIE ----• .1'

RUFISQUE CHERIF DrOR

RUFISQUE 'lAN" JfAISGIl 11- 1

PIUNE

, '.
CHAllTUS

~1
RUFISQUE G1WfD1t MAISON

DAIUJl PlUNit

RUFISQUE GlANDE .MAISON

RU1ISQUE

Il
1

lO.OLAClC.
DAtAR

ZICUINCHOR

ItAOLAa

CASTOIl!l
D
CASTORS
CAS TORS
c:
CASTORS

RIJ1ISQU! CRAlfD! MAISOIf

CA !ITOIIS
-
~
1-.

CA STOU

I!S
TAMB ACOUM'DA

H' !lAO

IAROY!

CA STOIlS
CA STORS
TI!l't UlIL
MtAR GRAIfD Ton
1
c::::J r i
DAtAR l't.AT!AU 1 1~I 1
RlIrISQU! GRA~! XAISON . .
PRINCIPAUX LIEUX DE RESIDENCE

WASSOUR 1
o

8 c

1A 82

MAMADOU

,...-,----+--,.--,
1
1
1

(~ OQ::6ÂÂÂÂÂÂOOt::..

1.2.3.4. rang des coépouses


A.B.C. ordre de mariage
FIG 3 CONCESSIONS DES PARENTS Et ALLIES DE LA FAMILLE ETUDIEE

ISARREN 3]

"-[SENEEN 1

-'-'-N'DIAYE

" - M'BAYE
"-'- • - . -TABARA
. - . - •- mosqu~e

'- '-
'- '--.
. - . - DIAGNE

'- ...... RDKHAWA

RUFI SQUE CENTRE

NURD

SARREN 1 CONCESSION DE LA FAMILLE ETUDIEE ET SON HOTE JUSQU'EN 1913


SARREN 2 CONCESSION DE LA FAMILLE ETUDIEE ET SON HOTE JUSQU'EN 1945 t
SARREN 3 LA CONCESSION DE SARREN 2 SE SEGMENTE EN DEUX CONCESSIONS EN 1945
SENEEN
- 9 -

D'autres concessions gravitent autour de ces principaux éléments


- A Rufi sque :
. La concession de Rokhaya, troisième épouse d'Ismaîl,
construite par celui-ci, où habitent quelques-uns de ses descendants,
y compris ceux des autres épouses d'Ismaîl.
La concession de Tabara, fille ainée d'Ismaîl ,veuve, qui y
habite avec quelques-uns de ses descendants. C'est la doyenne des
enfants d'Ismaîl, elle a donc un rang de Grande femme à qui tous
do ive nt 1e r es pec t. El l e est con su lt ée l 0 r s des gr and s évè ne men t s
familiaux. A la mort de son mari, son frère Ibrahima a racheté sa
concession aux héritiers, pour la maintenir au sein du groupe fami-
1 i aL

La concession des descendants de Mandire, soeur d'Ismaîl.


La concession de M'Bayame, soeur de la première épouse
d'Ismaîl, Sawlou.

- A Dakar :
La maison d'Ousmane, qui succédera à l'actuel chef de
famille, Ibrahima, à la mort de celui-ci.
L'appartement de M'Backé, neveu utérin d'Ibrah-ima, et dont
la réussite matérielle est la plus prometteuse.

D'autres lieux d'habitation m'ont été signalés à Dakar, à Pikine,


à Thiès, Kaolack, etc .•• (l). Les limites actuelles de l'extension du
groupe familial sont à Chartres (France), où réside Moustapha, le fils
aîné d'Ismaîl et de sa deuxième épouse. Pour des raisons de temps, et
par choix raisonné, j'ai retenu dans ce vaste système les trois lieux
mentionnés ci-dessus, parce qu'ils sont exemplaires du point de vue du
type d'habitat, des pratiques qui s'y instaurent, de l'étroitesse des
liens entre leurs habitants, et de l'évolution du tout selon un
processus d'intégration urbaine. En effet, ce groupe illustre bien une
situation de transition du rural à l'urbain, mais où l'urbanisation
est déjà réalisée depuis plusieurs générations. Il était donc intéres-
sant d'observer sur une longue durée l'évolution des pratiques de
l'habitat d'un groupe historiquement et socialement situé.
Avant d'approfondir l'étude des trois lieux retenus plus parti-
culièrement, il convient de présenter l'ensemble de la famille, en
faisant apparaitre quelques-unes des caractéristiques ,qui justifient
qu'on parle à son propos de système résidentiel.

(Ir Cf. le diagramme de parenté


- 10 -

UNE FAMILLE QUI S·URBANISE


J'ai reconstitué dans ses grandes lignes l'histoire de la famille
S. sur quatre générations, en retenant les champs de préoccupation
suivants :
- la structure et l'évolution des relations de parenté entre les
membres;
- Leur statut socio-économique, dans sa dimension dynamique;
- Les pratiques sociales d'un certain nombre des membres du
groupe;
- Les représentations qu'ils se font de ces pratiques et de leur
évolution comme individus au sein du groupe.
Ces principaux niveaux de la réalité explorée permettront de
repérer quelques-unes des références culturelles sous-jacentes
propres à ce groupe social, l'ensemble étant à son tour constitutif
des pratiques résidentielles analysées ensuite. Mais tout d'abord
voyons trè s br iè vement comment, générat i on aprè s générat i on, cette
famille s'est installée et a vécu en ville.
La première génération :
C'est celle des grands parents d'Ego, essentiellement composée de
cultivateurs et de guérisseurs animistes du pays Serer venus habiter
près de Rufisque, puis à Rufisque, au cours du dernier quart du
XIXème siècle. Notables en leur village d'origine, ils sont considérés
à l'époque comme des savants, des "intellectuels ll , dit un arrière
pet it-f il s du fondateur du 1 i gnage paterne 1 à Rufi sque. En tant que
tels ils seront accueillis dans une concession rufisquoise de pêcheurs
Lebou, située près de la mer, et qui de ce fait bénéficie du prestige
de Wassour (l).Les gens qui venaient se faire soigner par lui res-
taient quelques temps dans la concession et travaillaient sur son
champ situé dans· le quartier Santhiaba. De même il pratiquait la
circonc"ision dans le quartier et "il y avait jusqu'à 100 enfants qui
restaient chez lui de 1 à 3 mois" (récit d'un peit-fils)."
Cet ascendant a bénéficié en 1880 du privilège qui donna la
citoyenneté française aux notables (et à leurs descendants) des com-
munes de plein exercice, au nombre desquelles Rufisque. Cette mesure a
provoqué une première cassure au sein de la famille, renforçant le
processus de segmentation amorcé par l'arrivée à Rufi sque : ceux qu i,
restés à la campagne, n'y ont pas eu droit ont été marginalisés par le
segment rufisquois, comme l'admet volontiers Ego. Ils se sont trouvés
en position de solliciteurs permanents auprès de celui qui était
devenu un protégé des colons. La logique de l'administration coloniale
était d'ailleurs claire: Rufisque, principal comptoir de traite et
d'exportation de l'arachide entre 1850 et 1900, était alors une ville

(1) Le cas fut fréquent à Rufisque à l'époque. Les Serer seront ainsi
peu à peu assimilés aux Lebou (eux aussi société matrilinéaire), comme
c'est la coutume dans cette ethnie de pêcheurs et de cultivateurs plus
anciennement installés dans le Cap Vert.
- 11 -

prospère accueillant de nombreuses maisons de commerce. Celles-ci


avaient besoin d'employés subalternes: les écoles françaises ont donc
accepté quelques garçons africains, embauchés ensuite dans la traite
de l'arachide. Le décret de 1880, en créant une zone de paix, assurait
un cadre efficace pour l'assimilation d'éléments utiles à l'activité
commerc l al e d'alors.
Dans cette génération, les femmes ont un rôle social non négli-
geable, puisqu'elles cultivent le champ familial, ou sont guérisseuses
elles-mêmes. . 1 .

La deuxièJlle génération :

C'est la première à connaître la scolarisation, du moins en ce


qui concerne quelques-uns des garçons, et le salariat. Ainsi le 1Ère
d'Ego, scolarisé, sera-t-il employé d'une maison de commerce à Rufis-
que. A cause de cela semble-t-il il refusera d'exercer ses talents de
guérisseur, bien qu'il ait été initié, cependant que ses soeurs conti-
nueront à assumer la tradition familiale, et poursuivent par ailleurs
leurs activités agricoles.

C'est aussi l'époque de la conversion à l'Islam, qui représente


une perturbation considérable dans la famille puisque la religion
musulmane entre en conflit avec le fonctionnement du système matrili-
néaire, en privilégiant la filiation paternelle par rapport à la
filiation maternelle (1). Elle oblige aussi à remettre en cause la
tradition bien ancrée qui transmet de génération en génération le
statut de guerisseur que ne reconnait pas l'Islam.
Autre é'knement qui perturbe la vie du 1Ère d'Ego: il participe
en France à la guerre de 1914-1918, et prend ainsi contact avec le
monde europeen.
C'est à la deuxième génération que la famille s'installe dans le
quartier Santhiaba, après avoir été chassée du quartier français de
liE s cal e, e n b0 r dur e de mer. Co mm e ce fut l' usa ge .à l' é po que à Rufis -
que, des familles entières se sont ainsi déplacées en même temps et en
restant groupées, de la mer vers.l'intérieur, s'installant sur des
champs cultiVés par elles, ët dû -elles disposaient donc depuis
longtemps des droits de culture attribués par les propriétaires coutu-
miers, et devenus par extension des droits d'installation. Dans le cas
qui nous intéresse, les deux familles, celle qui avait été accueillie
et celle qui avait hebergé, se sont installées sur la même grande
parcelle (Cf.f,igure 3). C'est là que les retrouva le père d'Ego à son
retour d'Europe en 1919.

La troisièJlle génération :

C'est celle d'Ego. Elle est totalement urbanisée, à la fois dans


ses pratiques sociales, ses activités, son mode de vie, son cadre de
vie. Les femmes, islamisées elles aussi, n'exercent plus d'activités
de production et vont passer peu à peu du jardinage à la pratique de
petits commerces quasi-clandestins, généralement limités au quartier.

Tff On reviendra de façon plus détaillée sur ce point à propos de


l'héritage.
- 12 -

Quelques unes gardent encore la tradition de guerisseuse, mais elles


n'exercent pas volontiers. Seules les plus jeunes iront un peu à
l' éco le.
Les hommes, citoyens français, accèdent largement à la scolarisa-
tion, et dans une moindre mesure aux emplois du secteur moderne. C'est
ainsi qu'Ego, né en 1928, titulaire d'un brevet de dessinateur, sera
embauché à la Direction des Travaux Publics. Un de ses frères a tra-
vaillé à la Mairie de Rufisque. Les hommes de cette génération accè-
dent également à la vie politique publique de type europeen, particu-
lièrement développée à Rufisque à cause de la proxi~ité, non seulement
de Dakar, mais de l'école Normale William Ponty (dans la banlieue de
Rufisque), qui fut une pépinière des grands leaders de la période de
décolonisation (not-amment Houphouêt-Boigny, Modibo Keita, Sekou-Tou-
ré). Certains des hommes de cette génération ont fait la guerre de
1939-1945.

La troisième génération est marquée par de nouveaux déplacements


dans l'espace, qui traduisent plusieurs processus de segmentation:
d'une part le chef de famille, Ismaîl, se sépare de la famille qui
l'hébergeait·lui et les siens, pour fonder en 1945 sa propre conces-
sion dans un autre secteur de Santhiaba, un des descendants de la
famille alliée s'installant d'ailleurs presque en face (Cf.figure 3)
C'est là, dans la grande maison, que .gr-andit cette troisième généra-
tion et que vivent encore certains de ses membres. D'autre part, on
voit apparaitre un éclatement des lieux de résidence: certains des
me mbr e s de cet t e gé né rat ion von t s' i nst a l 1er ail leu r s .à Ru fis que, à
Dakar~ à Kaolack, dans d'autres pays d'Afrique (migrations de tra-
vail), enfin à Paris plus récemment. C'est l'époque où les jeunes
adultes de cette génération, apres 1945, acœtent une parcelle pour y
construire "en dur" (Cf. ci-dessous la Maison Castor de Ego,
construite en 1956).

La quatrième génération :
. Cette génération, celle des enfants et des neveux d'Ego, est
celle de l'Indé·pendance. Marquée par la perte du statut de citoyen
français, elle bénéficie tout de même des acquis familiaux: relations
religieuses, politiques, administratives. Elle est en totalité scola-
risée, filles et garçons, certains garçons ont fait ou font des études
supérieures - dont un en architeèture. Les filles déclarent vouloir
accéder à des emplois salariés. Aucune n'y est encore parvenue de
manière durable, mais plusieurs hommes ont épousé une femme qui exerce
une profess ion sa l ar i ée.
Le processus de segmentation commencé précédemment se poursuit,
en même temps que se multiplient les lieux d'habitation "modernes".
les membres de cette génération, dont beaucoup partagent ou ont parta-
gé leur temps entre la Grande Maison de Rufisque et les différentes
maisons ~i-dessus, sont ainsi confrontés à deux modèles d'organisation
spatiale, dont l'un se réclame de la tradition, l'autre de la moderni-
té.
- 13 -

Cependant, même si cette génération a évolué entre plusieurs


lieux de résidence sur une période de vingt à vingt-cinq ans, deux
po i nt s for t sap par ais sen t, for man t de ux sou s - sys tè mes ma r qués : l a
Maison familiale de Rufisque, et la maison Castor de Dakar. En ces
deux endroits et entre eux sont entretenus en effet les liens de
parenté les plus étroits. Les séjours effectués par ailleurs ont été
généralement sporadiques, ou déterminés par la fréquentation d'un
établissement scolaire; même dans ce dernier cas, les enfants résident
chez un parent privilégié: oncle utérin le plus souvent.
Un autre mode de segmentation familiale est repérable œs la ~me
génération, et continue d'exister à la 4ème génération: dans les
ménages polygames du groupe familial, il peut arriver qu'une partie
seulement des co-épouses réside dans la maison du chef de ménage, la
ou les autres ayant un domicile séparé: ainsi la troisième épouse
d'Ismaîl (Cf. diagramme de parenté n01) n'a jamais habité dans la
Grande Maison de Rufisque. Dans la Maison Castor, Ego a installé trois
de ses épouses, dont deux récemment; la quatrième habite dans la
grande banl ieue de Dakar. Ce type de segmentation n'est pas propre à
la famille étudiée: le système des domiciles séparés pour chaque co-
épouse, devient t~s fréquent; le chef de famille devenant quelque peu
nomade se déplace d'un domicile à l'autre, consacrant en principe une
période de temps identique à chaque épouse.
De ce tableau historique t~s grossièrement brossé, on retiendra
que le groupe familial étudié a été pris dans des processus de change-
ments très profonds, très diversifiés et souvent contradictoires, dont
les plus marquants ont été: .
- le passage du rural à l'urbain, accompagné à peu p~s simulta-
némént de la conversion à l'Islam, et de l'entrée dans une économie
monétarisée. L'ensemble de ces trois facteurs, selon le chef de famil-
le lui-même, a constitué la perturbation la plus profonde qui n'est
pas encore vraiment résorbée maintenant, bien qu'elle date de la fin
du 19ème siècle. L'atteinte portée au système matri-l inéaire est en
effet la résultante de ces trois facteurs, et remonte à cetteépoque:
auparavant, lors des alliances matrimoniales, la dot réunie par la
famille de l'époux, était constituée le plus souvent de bétail remis
au frère de l'épouse qui devait en prendre soin et faire fructifier ce
bien. Les enfants de l'épouse allaient rejoindre leur oncle utérin
afin de participer à la mise en valeur de leur futur héritage, tandis
que leur propre Père accueillait ses neveux utérins •
. L'urbanisation et l'islamisation ont rompu ce système de rela-
tions de parenté: l'accès à des activités économiques en principe
individuelles et monétarisées (en particulier l'introduction du tra-
vail salarié) n'implique pas de mise en valeur commune. Avec l'appari-
tion de l'argent et des marchandises importées, donc prestigieuses, la
dot est désormais payée en argent et cadeaux somptuaires, rapidement
con som méset r end an t ca du que l a pré sen ce des ne veux au prè s de leu r
oncle utérin. L'islam privilégiant la filiation patri-linéaire, les
- 14 -

biens accuJTIulés par le père durant sa vie seront transJTIis à ses é-


pouses et à ses enfants, à l'exclusion de ses neveux. Lorsque ces
biens sont durables, constitués par exeJTIple de biens iJTIJTIobiliers
(parcelles de terrain, JTlaisons) et ont été achetés ou réalisés par le
père, les enfants ont alors intérêt à participer à la JTlise en valeur
de ces biens, et à JTlanifester une future appropriation par leur
présence auprè s de leur l:è re.
Cependant, si le changeJTIent de systèJTIe de filiation apparait
bien, notaJTIJTIent en ville, à l'occasion des héritages, le JTlodèle n'est
pas devenu totaleJTIent de type européen: la dot continue d'être versée
à la faJTIille de l'épouse, et JTlêJTIe si elle est sYJTIbolique, elle perJTIet
de JTlaintenir au plan culturel et affectif des liens privilégiés entre
oncle et neveux utérins. Ainsi, dans la faJTIille étudiée, Ego déclare
se sentir plus proche de ses neveux que de ses fils: il les consulte,
les associe à ses projets, les a hébergés de longues périodes, et les
représente dans les circonstances iJTIportantes de leur vie (vie profes-
sionnelle, JTlariage, etc.• ). InverseJTIent, ses propres enfants font des
séjours, parfois longs, chez des oncles utérins, chez qui ils viennent
chercher aide et affection. Les liens du sang continuent à exister de
JTlanière privilégiée avec les parents du côté de la JTlère, JTlais
l'intérêt cOJTIJTIande d'avoir de bonnes relations avec la lignée
paternelle. Ce phénoJTIène explique en grande partie la très forte
JTlobilité résidentielle des enfants jusqu'à leur JTlariage.
De JTlêJTIe, j'ai pu constater que le systèJTIe JTlatri-l inéaire garde
encore une forte influence, à travers le choix des conjoints, à propos
duquel le lignage JTlaternel se JTlanifeste tout autant que le lignage
paternel.
- Le passage d'une éconoJTIie traditionnelleJTIent dOJTIestique à une
éconoJTIie JTlarchande introduite par la puissance coloniale et dOJTIinée
par elle, conjugué à une croissance urbaine d'abord JTlodérée puis très
forte, et à un faible développeJTIent éconoJTIique, tel est le cadre
général dans lequel le groupe faJTIililal étudié a effectué son parcours
social dans la ville depuis un siècle. Ces facteurs ont bouleversé les
relations traditionnelles de parenté: le statut social conféré par la
place dans la parenté se double d'un statut socio-éconoJTIique acquis
par chaque individu en fonction de sa forJTIation, de ses .coJTIpétences
notaJTIJTIent. Peu à peu, des hiérarchies traditionnelles se trouvent
reJTIises en question: ainsi par exeJTIple, la référence au systèJTIe
patri-linéaire fait que les fils du frère sont hiérarchiqueJTIent avant
les fils de la soeur. Ils sont "boroJTI (chef). Or, dans la faJTIil1e
étudiée, les fils de la soeur, tous deux diploJTIés de l'enseigneJTIent
supérieur (ils sont les preJTIiers et les seuls dans ce cas), supportent
JTlal d'être en position subalterne par rapport à leurs cousins. La
réciproque est égaleJTIent vraie. Dans la génération des enfants d'Is-
JTlaîl, si Ego, l'aîné des enfants vivants et l'actuel chef de faJTIille,
peut se targuer d'une bonne réussite JTlatérielle et·sociale (il est
cadre supérieur d'une grosse entreprise de Travaux Publics), son
- 15 -

prestige à l'intérieur de la falPille est néanlPoins concurrencé par


celui du fils aîné de la seconde épouse, qui vit en France depuis de
longues années, venu d'abord en qual ité de délégué du Sénégal auprès
du COIP Hé des Jeux 01 YlPp i ques, pour la lutte afr i ca i ne. Ma i s c'est
entre la génération d'Ego et celle de leurs enfants que le renverse-
lPent est le plus lParqué : entre les enfants et les neveux qui travail-
lent dans le secteur 1P0derne, public ou privé, et les ~res et oncles
qui sont dans le secteur inforlPel, la distance est grande. Ainsi quand
l'architecte prend à son service un de ses oncles à qui il apprend le
dessin, il s'agit là d'un renverselPent notable des structures hiérar-
chiques de parenté.
Le diagralPlPe n02 (figure n04) donne la lPesure de ces changelPents
: sur les 24 actifs r ece ns és de l a 3è IP e (c e l l e d' Ego) et de l a 4è IP e
génération, on en cOlPpte 15 dans la 4èlPe génération, dont 11 dans le
secteur 1P0derne et 4 dans le secteur inforlPel, contre respectivelPent 4
et 6 dans la 3èlPe génération. Encore faut-il ajouter que tous les
enfants de la 4èIPe génération ne sont pas à l'âge de la lPise au
travail.
Cependant, en dépit de ces facteurs de changelPent qui auraient dû
conduire à une atolPisation des structures falPiliales cOlPplétées par
une dispersion des lieux de résidence, j'ai pu constater à lPaintes
reprises que les liens de parenté fortelPent structurés sont lPaintenus -
et le sont volontairelPent, en prelPier lieu par le chef de falPille, ses
épouses, lPais aussi par les autres lPelPbres de la falPille, lPêlPe
lorsque des contradictions apparaissent. Ces liens sont lPis en éviden-
ce en de nOlPbreuses occasions:
• Lors des cérélPonies falPil iales, au cours desquelles, pour les
plus ilPportantes du 1P0ins, circulent environ 800 000 F. CFA (16 000
F.français) en cadeaux et prestations codifiés selon les liens de
parenté, les f elPlPes ayant lares pons ab il i té de l a coll ecte et de la
distribution (Cf. photo baptèlPe ). Ainsi, en lPaitrisant ces flux
1P0nétaires, les felPlPes, qui ont encore jusqu'à maintenant un rôle
économique réduit, peuvent à un autre niveau, plus sYlPbolique, affir-
mer et lPaintenir leur statut et les liens de parenté hiérarchisés dans
le groupe familial. Ces cérélPonies, encore lPaintenant, réunissent
aisélPent 250 à 300 personnes, parents et alliés.
• Vattribution des prénoms aux nouveaux-nés vise à consolider
les liens de parenté et ceux engendrés par la polygalPie pratiquée
jusqu'aujourd'hui. La circulation des prénolPs se fait d'oncle maternel
à neveu, de tante paternelle à nièce, de grands parents à petits-
enfants, mais aussi entre les enfants des co-épouses (ainsi le prénolP
d'une demi-soeur est donné par le delPi-frère à sa fille). Vattribu-
tion du prénolP signifiant pour le baptisé une identification étroite
avec cel ui 0u cel l e don t i l hé rit e , ces ys tè me perIPe t de co IP Pl éter
efficacelPent, voire mêlPe de corriger, les relations statutaires de
parenté, en créant une relation d'intimité spécifique entre les deux
homonymes. Ce sont les homlPes qui attribuent les prénolPs.
• Les mariages restent étroitelPent contrôlés par la parenté, le
plus souvent par l'interlPédiaire d'un frère aîné, d'une soeur, d'une
tante,ou d'une co-épouse de la lPè re. C'est encore maintenant un des
moyens de maintenir la filiation matri-linéaire, les IPères s'efforçant
de placer auprès de leurs fils des descendants de leur lignée. Ce peut
être aussi un 1P0yen pour un cadet de faire revenir au sein de la
famille une descendante d'une tante paternelle.
_ _ _ _ _ 0

,.......,,.......,"""-'....--,...-, r--.--n..-----,

~
'*,.
~ EMPLOYES DANS LE -SECTEUR INFORMEL
EMPLOYES DANS LE SECTEUR FORMEL
.. O~ASSOCIATION A BUT ECONOMIQUE - FONCIER
IMMOBILIER CONSTRUCTION SECTEUR FORMEL DE
L'URBANISME TAXI CLANDESTIN -
SliOISV:l
MAMADOU

GRANDE MArSO" GIWIDI MArSO" RUFISQUE


FIG 4 DIAGRAMME DE PARENTE N°3 ACTIVITES ECONOMIQUES

sur 113 personnes recencées :


15 emplois dans secteur formel
10 emplois dans secteur informel
- 18 -

. Les enfants circulent constawwent à l'intérieur du groupe


fawilial, à l'occasion de leur scolarité, ou bien pour un séjour plus
ou woins long chez des parents, le plus souvent du côté waternel, wais
aussi chez de~ grands parents, oncles, co-épouses du Père ou du grand-
Père. Les enfants ont ainsi très tôt une iwage extensive de la fawil-
le.
- 19 -

UNE STRATEGIE FAMILIALE


On pourrait multiplier les exemples qui attestent la force des
liens de parenté dans le groupe familial étudié mais il convient
surtout de se demander pourquoi ces relations perdurent alors même
que, nous l'avons vu plus haut, on pourrait penser que seules vont
jouer des tendances centrifuges. 1l n'en est rien.
Notons d'abord que la cohésion de ce groupe familial rend
possible le maintien d'une solidarité immédiate: aucune femme, veuve
ou divorcée, ne reste seule; les hommes ayant des difficultés -
professionnelles notamment - sont soutenus par leurs frères ou leurs
oncles; les enfants scolarisés sont accueillis à l'endroit le plus
proche de leur établissement scolaire. Ainsi les enfants du frère ainé
d' Ego, déc éd é t rè s jeu ne (e n 1959) 0 nt été pris en cha r ge i nt égr ale-
ment par la famille et surtout par ~go, chez qui ils ont résidé durant
de longues pér iodes jusqu'à l'âge adulte.
D'un strict point de vue fonctionnel, les liens de parenté, en
maintenant éroitement uni un groupe d'environ 70 à 80 personnes dans
la famille étudiée, permettent de créer une organisation qui tient de
la caisse de sécurité sociale et de la caisse de crédit mutuel - ce
qui est vital dans un contexte où une très faible partie du groupe
accède à des emplois réguliers, salariés. On constate, en effet,
d'après le diagramme nO 2, que sur 113 personnes rescensées dépendant
directement de ceux qui travaillent, 24 ont un emploi dont 15 seule-
ment dans le secteur moderne, ce qui représente 1 emploi pour 7,5
personnes. Dans une telle situation, on comprend que le maintien des
prestations de solidarité demeure une nécessité dans le groupe fami-
lial. Et pour qu'existent ces liens de solidarité matérielle, il est
nécessaire que soit lTIaintenue fortement, au niveau institutionnel,
sYlTlbolique et affectif, la cohésion falTliliale. Cependant, cOlTlpte tenu
d'une dispersion géographique plus ou moins grande, c'est le groupe
plus restreint de 70 à 80 lTIentionné plus haut qui est uni par des
liens de solidarité lTIatérielle quasi-permanents, qui vont de la prise
en charge complète à la fourniture régulière de nourriture (sac de riz
par exelTlple) ou de prestations(paiement de l'eau, de llélectricité) ou
même d'une aide en numéraire. Sur le diagramme n03 (figure 5) ont été
portés les donateurs, ainsi que la destination de leur don, qu'il
s'agisse d'un chef de ménage, ou d'une maisonnée. On peut ainsi
constater qu'Ego reçoit pas mal, et donne auss i beaucoup.
Ce système révèle des mécanismes d'adaptation à un contexte
urbain qui se sont mis en place sur plusieurs générations et qui vont
vraisemblablement continuer à jouer tant que dureront les difficultés
économiques. Les obligations assumées par les ainés sont d'ailleurs
reprises, à la tlème génération, par ceux qui parviennent à un emploi
stable; ceux qui essaient d'échapper à leurs obl igations sont soumis à
de fortes pressions pour les inciter à remplir leur devoir.
Cependant, au-delà de ce système de solidarité qui se manifeste
surtout dans les activités de reproduction du groupe, j'ai pu identi-
fi er llél aborat i on d'une véritable stratégi e de développement, vi sant
A
ISMAIL

WASSOUR 2 MARAME
A E 2F G34H

EGO (IBRAHIMA)

t.. ".

~ donneur
--t bénéficiaire
FIG 5 PRINCIPAUX ECHANGES ECONOMIQUES OBLIGES AU SEIN DU SYSTEME RESIDENTIEL

WASSOUR 1

_7 ----.
1A 82

MA11ADOU

l
1
c.~
- 22 -

à la pro~otion sociale de l'ense~ble fa~ilial et nécessaire~ent fondée


sur le regroupe~ent des parents sur trois ou quatre générations d'ur-
banisés. Le projet s'est concrétisé peu à peu dans le secteur de la
construction, associant plusieurs ~e~bres de la fa~ille appartenant au
patrilignage. On peut souligner ici quelques caractéristiques de la
stratégie à l'oeuvre dans ce projet: elle est le fait d'Ego, dont
l'autorité est incontestable et incontestée, et qui est soutenu dans
son action par certains de ses frères et de ses neveux. Or en apparen-
ce, Ego aurait intérêt à acquérir le plus d'indépendance possible et à
adopter un ~ode de vie occidental: dessinateur dîplo~é, il est
actuelle~ent cadre ~oyen supérieur dans une entreprise de construc-
tion, avec un salaire suffisant pour entretenir les quelques trentes
personnes (épouses et enfants) que co~pte sa fa~ille restreinte.
Curieuse~ent, c'est celui qui a le plus de possibilités d'autono~ie
qui ~aintient le plus solide~ent le groupe fa~ilial. En réalité, Ego
~et à profit au ~axi~u~ tout ce que représente son lignage paternel:
une tradition de guérisseurs qui subsiste jusqu'aux générations
actuelles, le statut de notable de son ~re, les liens étroits tissés
avec un grand ~arabout, la position politique en vue, à une époque,
d'un de ses frères. Les relations de clientèle, en particulier, nouées
entre la fa~ille et le ~arabout obligent ses ~e~bres à garder une
i~age de ~arque confor~e à la tradition. Tout cela fait que cette
fa~ille doit rester unie car, ~ê~e dans la recherche d'un e~ploi
salarié, l'ense~ble de ce "background" intervient encore aujourd'hui.
Certains ~e~bres de la fa~ille ont une conscience assez nette de
l'investisse~ent à faire d'une génération à l'autre: les oncles, soit
ense~ble, soit à tour de rôle, aident leurs neveux à poursuivre leurs
études (jusqu'à ~aintenant les filles qui, sauf quelques exceptions,
en sont à la pre~ière génération de scolarisation, ne sont pas concer-
nées). Cet investisse~ent n'étant pas désintéressé, ces études sont
assez nette~ent orientées en fonction des activités de construction du
chef de fa~ille : un des frères cadets fait de la sous-traitance pour
le patron d'Ego et a donc lancé une petite entreprise de bâti~ent,
dont fait partie au ~oins un autre frère dessinateur. Le neveu dîplo~é
architecte depuis peu travaille déjà pour les deux entreprises; il a
pris en apprentissage (non rétribué) un de ses cousins puis un de ses
oncles. Un autre neveu, diplo~é en sciences écono~iques, est attendu
pour la gestion de l'affaire, ainsi qu'un jeune capacitaire en droit
de la fa~ille. Oncles et neveux, de plus, sont unis pour acheter des
terrains à construire dans un but spéculatif.
Certaines de ces activités, nota~~ent la sous-traitance et
l'achat de terrains, s'acco~plissent de ~anière peu confor~e au cadre
légal - législation du travail ou droit foncier. Leur ~eilleure chance
de se développer réside donc dans un cli~at de confiance étroite entre
les individus qui les exercent, ce qui explique qu'on y retrouve les
frères et les neveux du seg~ent de patril ignage. A l'intérieur de ce
groupe s'est for~é un noyau dur, deux frères et un neveu ayant encore
renforcé leurs liens et leurs possibilités financières en s'associant
- 23 -

dans une entreprise de taxis clandestins. Sur le diagrawwe n02 , on a


watérialisé les différentes associations à caractère éconowique liant
plusieurs wewbres de la fawille. On peut voir à cette occasion le rôle
iwportant joué par Ego et son neveu utérin, architecte.
Ce réseau dense de liens et d'intérêts watériels, wettant à
profit à la fois un patriwoine fawilial de relations et une iwage de
warque de la fawille, repose sur un systèwe où l'autorité est conférée
par le statut des personnes dans la parenté, soutenu par la volonté de
waintenir parfaitewent soudé le groupe fawil ial et cowpensé par un
efficace systèwe de solidarité tout ausi volontariste (ainsi, un frère
au passé d'aventurier est recueilli, protégé wais aussi wenacé de
sanctions lorsqu'il cowprowet l'iwage de warque de la fawille).(1)
Mêwe les fewwes, qui dans un prewier tewps we paraissaient absen-
tes du systèwe, jouent un rôle non négligeable: les épouses des
howwes actifs, apparawwent cantonnées à la fonct i on de reproduct i 011
biologique et aux activités dowestiques, sont en fait le ciwent de
l'unité fawiliale puisqu'elles organisent la consowwation quotidienne
d'un segwent de lignage cowptant en perwanence entre cinquante et
soixante-dix personnes, et qu'elles réunissent un ensewble beaucoup
plus vaste à l'occasion des céréwonies fawiliales. En lui restituant
son extension diachronique et synchronique, elles sont aussi par là la
wéwoire du groupe. Elles exercent un controle social, hiérarchisé
selon leur rang parwi les co-épouses et renforcé par la présence de
frères de wêwe Jllère. Ce controle se wanifeste notawwent à l'égard des
jeunes, et le prestige social des fewwes au sein de la fawille se
wesurera à l'effi cac ité des résul tats obtenus. NI ayant ni autonow i e
financière, ni statut social hors du cercle fawilial, elles sont
contraintes, puisque c'est le seul woyen d'acquérir prestige et
dis tin c t ion, d' as sur e r l are pro duc t ion dus y s tè we selon les no r we s
préétablies. Dans ce wouvewent en spirale, il leur faut égalewent
avoir de nowbreux enfants (surtout des garçons) pour wettre le plus de
chances possibles de leur côté - ce qui ne contribue pas à une réduc-
tion des naissances: ainsi, Ego est-il en 1982 ~re de 25 enfants
vivants, la plus âgée de ses épouses actuelles n'ayant que 38 ans. Sa
prewière épouse, ITère à 32 ans de 9 enfants, w'a souvent parlé de son
souhait de pratiquer la contraception; wais elle sait aussi que sa
position dans le systèwe polygawe sera d'autant plus forte qu'elle
aura davantage d'enfants qui représentent autant de parts d'héritage
et l'espérance d'une aide watérielle dans l'avenir.
Au-delà de liens de solidarité usuels, on peut donc voir à l'oeu-
vre toute une stratégie fawiliale visant une wobilité sociale
ascendante et tenant cowpte des conditions générales du développewent.
Il convient waintenant d'observer de quelle wanière ces pratiques
sociales s'inscrivent dans l'espace urbanisé et donc dans les lieux de
résidence passés et présents du groupe fawilial. Un certain nowbre
d'entre eux ont été identifiés et analysés.

[1) A son retour au pays, après de nowbreuses années d'aventures à


travers l'Afrique, il a été assigné à résidence dans la "gran de
concession", et warié. Quelques années plus tard, ayant voulu de lui-
wêwe prendre une seconde épouse, il en a été ewpêché puisqu'il avait
"trop de wal, déjà, à assurer l'entretien de la prewière"
FIG 6 TITRE FONCIER 808 ET VILLAGE DE SANTHIABA A RUFISQUE


- 25 -

UN SYSTEME RESIDENTIEL
Par~i les lieux de résidence de la fa~ille, trois ont retenu
particulière~ent ~on attention car ils sont forte~ent articulés entre
eux etc 0 ns t it uent l' ar ~ at ure es sen t ie l l e d 1 uns ys tè ~ e rés i den t i e l
plus large. Chacun d'entre eux sera étudié dans son environre~ent
urbain, dans son fonctionne~ent pro,pre et dans ses relations avec les
autres lieux de résidence.
La grande ~aison de Rufisque
- Processus d'urbanisation
Jusqu'à la ~ort du chef de fa~ille Is~aîl, fin 1979, elle a été
le pôle ~ajeur de cet ense~ble. Elle est en effet le berceau du
seg~cnt de lignage représenté dans le diagra~~e nOl.
Lorsqu'Is~aîl est venu s'installer dans l'actuelle concession en
1945, il n'a pas payé la pa~celle, car il considérait qu'il avait
toujours dans ce quartier les anciens droits de culture.
Sans aborder en détail l'historique de ce quartier Santhiaba,
traité par ailleurs (1), il convient de souligner qu'il est considéré
par ses habitants, ~ais aussi à l'extérieur par les autorités locales
et les services techniques (urbanis~e) com~e un quartier traditionnel.
Co~~e dans la plupart des autres quartiers, les terrains appartenaient
à une f a~ i 11 e, cons i dérée co~~e ayant l a pre~ iè re défr i ché l a zone.
Elle a ensuite distribué des droits de culture (~oyennant redevances
en nature) à des familles de pêcheurs de Rufisque et à leurs alliés,
parmi lesquels se trouve la famille étudiée. Ces fa~illes sont donc
considérées comme premiers occupants des terrains, qui furent d'abord
des champs puis des concessions où peu à peu ils s'installèrent, à la
suite des déguerpissements de la fin du XIXème siècle et du début du
XX'emc siècle. Cependant, à la différence d'autres secteurs de Rufis-
que, la famille propriétaire de Santhiaba ne fit pas immatriculer son
terrain, et donc ne procéda pas à un morcellement en bonne et due
forme, auquel aurait pu succéder un lotissement assorti de per~is de
construire. Lorsque le descendant des propriétaires a voulu faire
cette opération d'immatriculation, il y eut une telle opposition des
occupants que le juge des domaines, après s'être déplacé sur le ter-
rain, laissa en réquisition toute la portion habitée, pour n'accorder
l'immatriculation qu'à la partie non occupée à l'époque, s'agissant
d' un th a l we gin 0 ndab1e : c' est 1e t it r e f 0 ncie r 8a8 (CF. Fig.6 ). Le
reste est encore maintenant indiqué au cadastre comme "village de
Santhiaba, titre foncier en réquisition".
Ce processus d'urbanisation explique donc largement l'aspect
conservé par ce quartier jusqu'à maintenant (fig. 7). Le chemin cen-
tral n'est autre que l'ancien sentier empruntant la ligne de crête,
utilisé par les pêcheurs pour se rendre à leurs champs. L'espace s'est
organisé en dehors des normes d'urbanismes actuelles. Il est cependant
fortement structuré sur la base d'alliances ou d'exclusions entre
fa~illes.En effet les pêcheurs -agriculteurs, premiers bénéficiaires

(I) dans le cadre d'une communication au colloque sur les pratiques


foncières locales en Afrique du 5 au 9 décembre 1983 à Abevîlle (orga-
nisé par le laboratoire d'Anthropologie juridique de Parisl, le centre
de l a recherche scientifique de Haute-Volta, et l'AFIRD).
T. f t 2

+ +

- ;--- .-
1 1

T. f. '0
FIG 8 PLAN D'URBANISME DE DETAIL DU QUARTIER SANTHLABA A RUFISQUE 1971
- 28 -

des droits de culture, se considèrent comme les occupants les plus


authentiques, les plus qualifiés de ce quartier. Les autres, des
paysans de l'intérieur venus directement s'installer en ce lieu,
titulaires eux aussi de droits de culture, ont été considérés œs le
début, et jusqu'à maintenant, comme des étrangers. Cette dist inct ion,
qui hiérarchise socialement deux catégories d'habitants, a abouti très
vite à la création de deux véritables clans, celui des Thiarène,
auquel appartient la famille étudiée ici, et celui des Diobène.
Chacun a sa mosquée, son école coranique, so~ pintch (lieu de
réunion des notables), plus récemment son Dahira (association reli-
gieuse musulmane), et son comité PS (le parti socialiste, largement
dominant). S'il y a mariage entre les deux clans, il a lieu à la
Mosquée du garçon, et le changement de clan se fait selon le lieu de
résidence dans l'un ou l'autre camp. Il y a des cheminements internes
au quartier, allant d'une parcelle à l'autre en dehors des sentiers
visibles sur le plan (1), qui permettent soit d'éviter de longer une
concession de l'autre clan, soit au contraire de narguer ses occupants
en la traversant systématiquement (le droit de passage n'est pas
refusé à ceux du quartier) pour aller à sa "Mosquée".
Le seul équipement commun est le cimetière musulman de Belefane,
où sont enterrées, notamment, toutes les familles de ce quartier.
En dehors de ce contexte historique propre aux habitants du
quartier et qui a constitué le cadre de l'apprentissage culturel et de
la socialisation des membres de la famille jusqu'à la 4ème génération
actuelle (pour l'anniversaire de la mort du Grand-père Ismaïl, une
f!te réunit chaque année depuis 1979 non seulement l'ensemble des
descendants mais aussi toutes les familles alliées du quartier), il
faut souligner qu'en raison du processus d'urbanisation décrit plus
haut, le quartier Santhiaba a échappé jusqu'à maintenant, de ce fait,
à la réglementation et à la planification urbaines. L'Etat moderne y
est peu présent, les tentatives fa ites pour réorganiser le quart ier
sont restées à l'état de doss i ers et documents d'étude: 1a fi gure 8
donne le plan d'urbanisme de détail qui date de 1971 et qui n'a jamais
été appl iqué. Un "état des 1 ieux" a été commandé par les services de
l'urbanisme en 1981, en vue de l'élaboration d'un nouveau plan qui n'a
pas encore vu le jour. Ces habitants du quartier, habitués depuis le
début à traiter avec les autorités coutumières pour aménager l'espace,
continuent jusqu'à maintenant à le gérer directement, sans passer par
les services de l'urbanisme.
C'est dans cet environnement soci al et culturel qu'ont vécu tous
les membres du segment de lignage. C'est lui qui constitue encore
maintenant leurs principales références aussi bien dans leurs compor-
tements les uns avec les autres dans les relations de parenté, que
dans leur attitude vis à vis de l'administration; et tout cela se
reflète dans les pratiques de l'espace. La Grande Maison (ou la grande
concession) comme l'appellent eux-mêmes les descendants d'Ismaîl, est
la maison IJ'lère, la référence commune, culturelle et sociale, c'est

(1) et commodes parait-il pour égarer les visiteurs importuns.


- 29 -

donc le sy~bole du groupe fa~ilial car elle représente l'enracine~ent


de la fa~ille, donc son histoire. Elle est le lieu où, dans un
environne~ent précis, se sont forgés au jour le jour des liens de
citadinité avec la co~~unauté i~~édiate, et des liens d'urbanité avec
la société urbaine dans son ense~ble.
C'est toute cette histoire qu'on retrouve dans le processus
d'édification des différents élé~ents constitutifs de la Maison, et
dans l'évolution de l'occupation.
Historique de la ~aison et évolution de l'occupation
Dans la concession (cf.figure 9) , le 1er bâti~ent installé en
1945 est celui du fond (fig. la, bât. 1). C'est une baraque en bois,
du style Nar~ée française", réalisée avec du bois de récupération, par
Is~aîl, fondateur de la concession, selon les uns, par ses fils, selon
les autres. Construite pour la concession précédente, elle fut
transférée là par Is~aîl. Y ont habité:
Wassour II, fils aîné de la pre~ière épouse d'Is~aïl, qui
habite au début avec sa pre~ière épouse le salon du ~ilieu.Der­
rière il réalise pour lui une cha~bre, une douche/salle de
bains équipé d'un butagaz, ce qui apparait co~~e un acte de
~odern i s~e i ~portant.

- Moustapha, fils de la deuxiè~e épouse Astou, dans la Npende-


rie", petite cha~bre de droite.
- Astou, la deuxiè~e épouse, M'Backé, neveu d'ls~aîl, et Is~aîl
lorsqu'il est là. Mais à l'époque il habite surtout Dakar.
Quand il i ra à l a Mecque, en 1962, il trouve à son retour une
no uvell e cha ~ br e , der r iè rel' an cienne, et c'est l à qu'il
s'installe avec Astou, tandis que leurs filles s'installent
dans les deux cha~bres libérées (Moustapha, lui, est parti en
France) •
-Ibrahi~a(Ego), fils de la pre~ière épouse, dans la ·penderie",
petite cha~bre de gauche. Mais lors de son pre~ier ~ariage, en
1962, sa rrere, Sawlou, l'a poussé à s'installer ailleurs avec
son épouse, car elle ne souhaitait pas avoir trop de brus
autour d'elle. Il est alors allé habiter à Yof, dans un loge-
~ent appartenant aux Travaux Publics, puis a participé à l'opé-
ration Castors, et n'est revenu dans la grande ~aison qu'à la
~ort de son frère Wassour (sa mère étant ~orte égale~ent), en
1959. Il repartira aux Castors en 1965. Puis ce fut Mara~e,
fille de Sawlou, et son fils M'Backé, qui habitèrent cette
petite cha~bre.
- Sawlou, pre~ière épouse, dans la cha~bre derrière.
D'autres enfants, nota~~ent Daouda, ont vécu à ce ~o~ent là, chez
Rokhaya, la troisiè~e épouse d'Islllaîl.(cf. figure 11).
1 ......

FIG 10 CONCESSION MERE A RUFISQUE GRANDE MAISON

ORDRE DE CONSTRUCTION DES BArIMENTS


6z batiment annexe non datê

espa:e deuxième êpouse


~1I0uu~s:e~ _ _~::::'::-Tlr--r--1
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espace revendi9uê.
il existe une ligne de dêmarçatfon ~-) symbolique et fonctionnelle
entre l'espace de la première ~pouse et celui d~ la deuxième ~pouse.
les enfants de celle-ci revendiquent certains b.stiments (---) •
FIG9 CONCESSION MERE A RUFISQUE GRANDE MAISON

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O.S CI par liBre


FIG Il GRANDE MAISON DE RUFISQUE EVOLUTION DU PEUPLEMENT
ISMAIL

IBRÀHIHA
MAMADOU

AVRIL 1979
ISHAIL

\.)

ISMAIL SEPTEMBRE 1979

\.)

~ CHEr DE FAMIllE 1982


• DECEDE
o@ ABSENT
ABSENT TEMPORAIRE
SEXE INDETERMINE
- 33 -

Le deuxièfTIe bâtifTIent, construit en 1957, fut réalisé à l'initia-


tive de Wassour II, fils aîné d'IsfTIaîl et de Sawlou, à gauche de
l'entrée. IbrahifTIa ,son frère, dessine le plan et ce fut "un petit
entrepreneur blanc, qui faisait aussi des prêts" qui réalisa ce bâti-
fTIent en dur. Ma i s Wassour II n'eut pas le tefTIps prat i quefTIent de s'y
installer, et IbrahifTIa vint y habiter en 1959, pour refTIplacer ce frere
ainé décédé, à la tête de la concession. Lorsqu'lbrahifTIa rejoignit sa
fTIaison castor en 1965, il laissa là une épouse et son frere MafTIadou et
ses deux épouses. .
A droite de l'entrée fut construit presque en fTIêfTIe tefTIps le bâti-
fTIent 3, avec les bois de coffrage récupérés notafTIfTIent du chantier de
la fTIaison de Wassour II. On en fit d'abord une boutique, louée par le
frere d'un afTIi de MafTIadou. Celui-ci ayant fait faillite, MarafTIe vint y
installer sa chafTIbre, et IbrahifTIa cOfTIpléta le bâtifTIent en faisant
constuire un garage. Ici habite égalefTIent une petite fille de MarafTIe
(de sa fille qui vit à Nouakchott), et une petite cousine, du côté de
la rrè re de MarafTIe, et qui porte le fTIêfTIe nOfTI, MarafTIe.
Enfin, le bâtifTIent 4 a été réalisé lors du retour de la Mecque de
Astou, deuxièfTIe épouse d'isfTIaîl. C'est là qu'IsfTIaîl s'était installé
égalefTIent, laissant sa chafTIbre du bâtifTIent 1 à sa fille Maguette et
aux filles de celle-ci. Daouda, fils d'Astou égalefTIent, s'installe
dans la "penderie" (1), et MassefTIba, le plus jeune fils de la prefTIière
épouse, dans l'autre "penderie". Le bâtifTIent a été financé par Mousta-
pha, le fil s aîné i nsta 11 é à Chartres.
En dépit des nOfTIbreux changefTIents intervenus dans l'occupation
des chafTIbres des différents bâtifTIents de la concession, et de la
longueur du processus de construction (plus de 20 ans), on constate
une certaine sYfTlétrie dans la répartition des espaces, entre les deux
épouses d'IsfTIaîl et leur descendance, de part et d'autre d'un axe
coupant l a concession (Cf.fi g.10) ; d'un côté on trouve Sawl ou et ses
enfants: Wassour II, IbrahifTIa, MarafTIe, MafTIadou,MassefTIba, et de
l'autre Astou et ses enfants: Moustapha, Daouda, Maguette. En outre
Wassour II a financé un bâtifTIent à gauche, Moustapha un à droite.
EnsefTIble, les fils ont financé et construit le bâtifTIent du fond. Deux
discordances toutefois dans cette sYfTlétrie : Wassour II, dans ce
bâtifTIent, s'était attribué toute la partie centrale, ce qui favorisait
grandefTIent sa position d'aîné, et MarafTIe occupe une chafTIbre dans la
fTIoitié de la concession où sont Astou et ses enfants.
Depuis la fTIort du fondateur, ISfTIaîl, en décefTIbre 1979, il sefTIble
qu'il y ait quelques problèfTIes concernant l'héritage: certains du
côté d'Astou, voudraient faire partir MarafTIe, qui refuse, et ont
égal efTIent defTIandé le départ de Maguette et de ses fi 11 es, sous le
prétexte qu'il y ava it trop de fefTIfTIes dans cette concess i on. Toute-
fois, il a été décidé de ne pas la vendre, seuls les objets personnels
du ~ re et grand-~ re ont été partagés.
ParfTIi les garçons, il ne reste plus que Daouda et MassefTIba, chacun
d'un côté du bâtifTIent 1. Ce sont les deux "ratés", nous dit-on.
MassefTIba envisage d'agrandir derrière sa chafTIbre,pour s'aligner sur le
reste du bâtifTIent.

11T Ce terfTIe désigne, en français dakarois, la petite pièce qu'on


trouve de part et d'autre de la véranda en façade des fTIaisons (ou
baraques) de trois pièces qui constituent le fTIodèle le plus répandu
dans les quartiers populaires.
- 34 -

L'utilisation du bâtiment 2 est incertaine dans l'avenir immédiat,


Mamadou l'ayant quitté pour habiter sa propre maison (Cf. la maison de
Mamadou), et Ibrahima ayant fait venir sa deuxième épouse dans sa
maison Castor avant même la mort du rère. Le fils aîné de Wassour II,
Ousmane, sollicité par les autres, n'envisageait pas de s'y installer,
car il travaille à Dakar, et ne veut pas résider à Rufisque. Il a mis
en location cette maison pendant un temps pour, dit-il, participer à
l'entretien de l'ensemble de la concession.
Enfin, plus récemment, la position de Marame a encore été confor-
tée puisque son fils, l'architecte, a transformé l'ancien garage du
bâtiment 3 en chambre-salon, où elle habite.
De cet historique sommaire, on peut retenir cette caractéristique
très spécifique, à notre sens fondatrice des pratiques de l'habitat·
dans une ville africaine telle que Rufisque: la constitution et
l'évolutin de l'espace habité suit assez rigoureusement l'évolution du
groupe familial qui à un moment donné s'y est installé. A ce titre la
Grande Maison représente l'évolution de la famille sur près de 40 ans
(et bien plus lorsqU'on la replace dans son environnement). La charge
symbolique est donc suffisamment forte pour expliquer qu'on renonce à
la vendre. D'autre part, le système presque symétrique d'organisation
de l'espace auquel on se réfère encore maintenant, et qui exprime dans
la durée la co-existence des deux descendances, de la première et de
la seconde épouse du chef de famille (la troisième n'ayant jamais
trouvé sa place dans cet ensemble), traduit un mode d'appropriation de
l'espace socialement codifié et respecté, alors qu'un examen succint
du plan pourrait faire penser qu'il s'agit d'un mode d'installation
"spontané". C'est qu'ici l'organisation de l'espace correspond à une
logique sociale s'exprimant d'autant mieux qu'il n'y a gœre d'inter-
férence avec la logique des normes d'urbanisme et de construction,
largement absente.
Notons encore que sur un plan fonctionnel, la grande concession
dans la période actuelle a.acquis une spécialisation au sein du sys-
tème résidentiel, dont on peut corl1prendre là encore la logique écono-
mique et sociale. C'est en effet dans ce lieu qu'on trouve les membres
de la famille qui ont le plus de difficultés matérielles et morales,
et qui sont en grande partie à la charge de ceux qui sont mieux
nantis. Or les frais de consommation sont de manière notable moins
élevés ici que dans une maison moderne; les constructions sont som-
maires, plusieurs étant des baraques partie "en dur", partie en bois;
l'a meubl emen t et l' é qui pe men t· s on t t rè s ré du it s (i ln' y a pas d' eau
courante). L'environnement, pauvre, n'offre pas de tentations; le mode
de vie est "traditionnel"; la cuisine est faite dehors, au charbon de
bois, pour l'ensemble de la maisonnée, à tour de rôle par chaque
femme, et les repas sont pris soit en groupe (les hommes d'un côté,
les femmes de l'autre), soit par unité domestique (le ménage). Mais,
il y a plus: dans ce quartier traditionnel, de peuplement ancien, où
les réseaux de solidarité sont d'une grande efficacité puisqu'ils sont
fondés sur des relations stabilisées de parenté, d'alliance et de
voisinage entre familles, il y a certes une sécurité plus grande pour
- 35 -

ceux qui ont des difficultés d'insertion, lTlais il est certain aussi
que le controle social y pèse plus fortelTlent sur ceux qui n'ont pas
réussi dans la vie ou bien qui se sont écartés des norlTles adlTlises :
ont été "assignés" à résidence ici, par exelTlple, un des freres du chef
de falTlille actuel, considéré cOlTllTle un aventurier, et deux jeunes
filles rrères-cél'ibataires. La Grande Maison est un refuge, lTlais c'est
auss i un purgatoi re.
Pour l'enselTlble du groupe, la grande concession est donc sa
lTlélTloire, le sYlTlbole de son unité et de sa cohésion, le télTloin aussi de
son dynalTlislTle et de ses échecs. Elle est le support d'un statut social
dont la notabilité a été reconnue dans le quartier, étape nécessaire
avant sa reconnaissance à une échelle plus large, à Rufisque puis à
Dakar. Pour ces différentes raisons, personne n'envisage la vente de
ce berceau de la falTlille, ni lTlêlTle sa lTlodernisation dont l'idée avait
effleuré le jeune architecte, neveu d'Ego. Refuge pour les uns, sYITl-
bole pour tous, elle delTleure en l'état, cOlTllTle télTloin historique.
la maison Castor
Les deux autres résidences lTlentionnées dans la présente étude,
celle d'Ego et celle de MalTladou, sont désignées par la falTlille cOlTllTle
II lTla isons" alors que celle de Rufisque l'est cOlTllTle IIl a Grande Maison",
ou IIl a grande concession". Pourtant, il s'agit toujours de construc-
tions sur parcelle lTlais - c'est là toute la différence - inspirées du
1Tl0dèle européen. Elles représentent, ou devraient représenter, la
réalité d'une intégration à la ville et au lTlonde lTloderne. En fait, on
va le voir, il n'y a pas de rupture entre les deux types d'habitat
traditionnel et lTloderne, et les deux lTlaisons analysées ci-dessous sont
bicn des élélTlents du systèlTle résidentiel étudié.
Processus d'urbanisation
La Maison Castor a été réalisée en auto-construction par Ego,
l'actuel chef de falTlille. Celui-ci né en 1927, dîplolTlé dessinateur en
1945, était jeune elTlployé à la Direction des Travaux Publics, lorsque
fut lancé en 1954 une expérience de cité coopérative en auto-construc-
tion, pour laquelle il s'enthousiaslTla et dont il fut un des lTlelTlbres
les plus actifs. .
L'expérience fut ilTlpulsée et soutenue par l'adlTlinistration colo-
niale: un terrain viabilisé, découpé en 90 parcelles, fut donné à la
coopérat ive, une ass i stance techn i que fut apportée tout au long du
chantier, et un prêt fut accordé pour l'achat des lTlatériaux et outils
nécessaires. Il s'agissait, dans cette période de décolonisation, de
perlTlettre à une couche défavorisée de la population, qui n'aurait pu
accéder aux 10gcITlents éconolTliques de l'époque, de devenir propriétaire
d'une maison très lTlodeste, lTlais fl\oderne.
- - EAUX POTABLES
_ . -EAUX USAGEES
- 37 -

La cité, conçue selon un plan de lotissement platement orthogo-


nal, s'est trouvée à l'origine dans la situation d'un quartier neuf
dans une zone périphérique nouvellement urbanisée (1). Toute la réali-
sation a été faite conformément à la réglementation urbaine, depuis la
conception, le montage opérationnel, jusqu'au chantier, et cela avec
d'autant plus de soins qu'il fallait donner une valeur exemplaire à
l'opération (Cf.fig.12, plans de la cité). Le moœle de la réglementa-
tion urbaine venait directement de la métropole: il s'agissait en
l'occurence du réglement de lotissement et du cahier des charge~ qui
l'accompagne habituellement. Le moœle architectural, pour la maison,
était d'inspiration européenne, mais comportait des adaptations pour
répondre à un mode de vie africain en ville: ainsi en était-il de la
cuisine et de la douche ouvrant sur une cour de service, et de la
véranda prolongeant le salon. Le montage financier lui même a été
conforme au modè le frança i s : le prêt i mmobi lier fut accordé par le
Crédit Foncier Français, à un taux très bonnifié, et géré par la
S.LC.A.P. (Société immobilière du Cap Vert, elle même subventionnée
par la Caisse Centrale de Coopération économique française). Les
remboursements par les coopérateurs se faisaient par mensualités.
Ainsi l'ensemble de l'opération a-t-il été entièrement placé sous
tutelle administrative, financière et technique, française. Le con-
trôle siest exercé très fortement pendant toute la période de sélec-
tion des candidats, mais aussi pendant le chantier. Ensuite, de 1958,
date d'acœvement des travaux des constructions, jusqu'à 1968, qui a
marqué la fin du remboursement du prêt, le contrôle a été essentielle-
ment financier sans qu'il y ait d'ailleurs de rupture au moment de
l'Indépendance du pays, la S.LC.A.P. ayant été confirmée dans son
statut et ses activités.
Toutes les conditions semblaient donc réunies ici pour que s'ac-
compl i sse un transfert des moœ l es européens d'organi sati on de l'es-
pace et des usages qui pouvaient en être faits, dans les limites bien
comprises œs ce moment - là du respect d'un mode de vie dit africain,
fait de prédilection pour les activités domestiques localisées dans la
cour (2) et d'esprit de convivi al ité.
Si la cour a été imaginée comme ce lieu de convivialité familiale
africaine, la placette au centre de la cité fut pensée comme un lieu
d'accueil d'une future vie de quartier dans une grande ville en voie
de modernisation, privilégiant des relations de voisinage par rapport
à celles de parenté.
Dans l'élaboration et la réalisation physique de ce modèle a
prévalu constamment l'idée d'un passage obligé, inéluctable, du type
de famille étendue, polygame, à la famille nucléaire et monogame, vue
comme la seule forme d'organisation possible des relations de parenté
dans le monde moderne, allant de pair avec une individualisation des

(1) L' hi s to i re et les modalités de cette expér i ence ont été re l atés
par ailleurs. Cf. A. OSMONT : "une communauté en ville africaine - les
castors de Dakar". PUG 1978.
(2) On a d'ailleurs fait beaucoup de place aux raisons climatiques
pour expliquer ce besoin d'être dehors, dans la cour, ce qui atteste
bien la référence fonctionnnaliste de ce type d'explication.
MAISON CASTOR D'ORIGINE

MAISON TRANSFORMEE
FERMETURE DE LA VERANDA

MAISON CASTOR TRANSFORMEE


DEUX NIVEAUX SUR REZ DE CHAUSSEE
- 39 -

rapports sociaux.Même si les discours ne sont pas totalement expl i-


cites sur ce point, il n'est pas douteux qu'un européo-centrisme hygié-
niste et progressiste a en profondeur sous-tendu cette expérience.
A l'usage, le moœle imaginé ne s'est pas concrétisé exactement
en ces termes. Ainsi que je liai longuement analysé dans la recherche
menée sur cette cité, un modèle de sociabilité très composite, très
hybride,s'est peu à peu mis en place, empruntant à plusieurs cultures:
la traditionnelle et la moderne, la rurale et l'urbaine, la musulmane
et l'animiste. Ces différents adjectifs se référant eux-mêmes à diffé-
rents niveaux de la réalité, économique, politique, idéologique, reli-
gi eux, etc •••
Parmi les facteurs qui ont contribué à structurer ce moœle, ceux
qui renvoient aux conditions mêmes de l'urbanisation dans un contexte
de sous-développement sont probablement les plus aisés à saisir, car
ils ont été largement mesurés et étudiés. La présence endémique du
chômage, du sous-emploi et le développement constant du secteur infor-
mel de l'économie en ville africaine, ont des répercussions immédiates
dans l'organisation de l'espace habité, et cela quel que soit le type
d'espace concerné. En effet, deux conséquences de cette situation sont
immédiatement décelables: le poids de la solidarité familiale ne
diminue pas, bien au contraire, obligeant ceux qui ont une maison à
eux à accueillir ceux qui sont à la recherche d'un emploi, ou en
apprentissage, leur offrant ainsi, bon gré mal gré, le gite et le
couvert (1).
La densification des parcelles est donc un phénolTlène général que
j'ai pu constater dans la cité (il sera décrit plus en détail dans le
cas de la Maison Castor de la famille étudiée ici). D'autre part, la
volonté d'améliorer leur situation matérielle conduit aussi beaucoup
de gens à créer sur leur lieu de l'habitat des activités appartenant
au secteur de la petite production marchande, et qui sont pour la
plupart liées à une clientèle très localisée. Le fait qu'il s'agisse
pour beaucoup d'entre elles d'activités à caractère précaire ou extra-
légal joue également en faveur de leur installation sur le lieu d'ha-
bitation de ceux qui les exercent. Dans la cité des Castors, j'ai
ainsi pu observer de nombreuses transformations apportées au bâti par
les propriétaires résidents pour développer une activité économique,
et qui toutes vont dans le sens d'une densification importante:
- construction de locaux commerciaux lorsque la parcelle est en
bordure d'une rue passante, ou à un carrefour (photo).
- parfois même le rez de chaussée de la maison est transformé
totalement ou partiellement en entrepôt, boutique ou local artisanal.
L'habitat est alors transféré vers un premier étage dont la
réalisation représente un petit exploit technique, puisqu'il a fallu
débarrasser la maison de son toit d'origine à double pente, et faire
supporter aux fondations le double du poids prévu au départ ( planche
de photos).

(1) C'est une des raisons qui ont fait qu'entre 1958 et 1969 j'ai pu
constater que le revenu disponible par tête avait diminué chez les
Castors, en dépit du fait que la situation économique des chefs de
famille s'était entre temps plutôt stabilisée et avait dans beaucoup
de cas progressé.
MAISON CASTOR

CONSTRUCTION DE CHAMBRES MEUBLEES EN FOND DE PARCELLE


- 41 -

- construction, généralement en fonds de parcelle, de chambres


meublées sommairement pour être louées à des commerçants du marché
situé à proximité (planche de photos). Et si la surface au sol ne
suffit pas, si le premier étage est habité par la famille, on réalise
un second étage de chambres, le tout évoquant l'ancien caravansérail
des marchands itinérants (planche de photos).
Cette intense activité de construction est encore accentuée par
le fait que, compte-tenu de la faiblesse des revenus et de l'épargne,
ces investissements sont nécessairement étalés dans le temps, renfor-
çant l'impression de perpétuel chantier.
Au-delà des conditions objectives liées au mode d'urbanisation,
il est certain que les références à des modèles plus anciens, plus
traditionnels de sociabilité, sont également venus bousculer les pré-
vis ion sin i t i ale s : co mm entex pli que r au t rem ent les ph én0 mè ne s de
compétition que j'ai pu constater fréquemment (encore maintenant)
entre les membres du groupe Castor, représentant de la modernité
urbaine dans l'imaginaire des gens, et les membres des familles éten-
dues, lors des cérémonies familiales ou religieuses? Comment expli-
quer aussi que se soit généralisée la polygamie parmi les chefs de
famille de la cité, œs que fut terminé le remboursement du prêt
immobilier, et que des ressources étaient donc disponibles pour payer
la dot pour une seconde, une troisième, voire une quatrième épouse?
Chacun de ces deux phénolJlè nes a eu éga l ement des conséquences
dans le domaine de l'organisation de l'espace: l'organisation des
fêtes familiales a, par exemple, bousculé largement le modèle occiden-
tal de la dichotomie privé/public; en effet, ces fêtes impliquant à la
fois la présence de la famille étendue et de la lIfamille" Castor, ne
sont jamais déployées sur une seule parcelle, mais plusieurs maisons
sont annexées, comme c'est l'usage dans des quartiers très tradition-
nels. Les trottoirs et autres espaces libres environnants sont égale-
ment intégrés dans les limites de l'espace de la fête.
Quant à la polygamie, non seulement elle se traduit par un besoin
d'espace évident lié à l'augmentation rapide de la taille de la famil-
le, mais sur un plan plus symbolique et culturel, elle contribue par
la multiplication des liens de parenté, au maintien du modèle de
famille étendue, avec son cortège de visites plus ou moins longues,
plus ou moins nombreuses, qui accentuent en tout cas le degré de
surpopulation, et donnent une impression de grande mobilité dans
l'occupati on des piè ces.
Sans approfondir ces différents points étudiés par ailleurs, il
convient de souligner que dans le cas envisagé ici, le processus
d'urbanisation dans lequel s'est trouvée prise la Maison Castor, bien
qu'il soit très différent de celui dans lequel s'est constitué la
grande maison de Rufisque, n'a pas provoqué une rupture radicale dans
le mode de gestion de l'espace habité: même si les interessés ont été
contraints de demander des autorisations (du type permis de
construire), pour modifier le cadre bâti existant, il est certain que
beaucoup de ces autorisations ont été accordées par complaisance. En
tout état de cause, la réglementation urbaine a été contournée ou
MAISON n'IBRAHlMA (CASTORS)
- 43 -

détournée, JTlais là n'est peut être pas le plusiJTlportant: c'est sur-


tout au niveau sYJTlbolique et des représentations que l'espace habité a
été géré de JTlanière originale par les habitants.
Pour avoir une idée plus précise de ce phénoJTlène il convient
d'évoquer l'évolution de l'occupation de l'espace dans la Maison
Castor, et la JTlanière dont les usages de l'espace habité s'y articu-
lent avec ceux de la Grande Maison de Rufisque.
Historique de la ~aison et évolution de l'occupation
Ego, fils d'IslJlaîl, était au début de l'enquête, le chef de
falJlille de fait, son pè re étant trop âgé pour pouvoir aSSUJTler ses
fonctions. Il l'est devenu officiellelJlent depuis le décès de ce
dernier en déceJTlbre 1979. Il est d'ailleurs effectiveJTlent reconnu
COJTlJTle tel depuis le déces de son frère aîné en 1959, et personne ne
songerait à contester gravelJlent son autorité.
Né en 1927, dessinateur, c'est un bâtisseur efficace. Il s'était
enthousiasJTlé pour l'expérience de coopérative de Castors à laquelle il
fut un des preJTliers candidats, alors qu'il travaillait COJTlJTle jeune
fonctionnaire au Service de l'Habitat. Il s'était telleJTlent pris au
jeu, qu'il voulut à la suite de cette expérience devenir quelques
années plus tard entrepreneur à son tour. C'était aprè s 1'1 ndépendance
en 1960, à un lJlOJTlent où les fonctionnaires sénégalais avaient perdu
beaucoup des avantages qu'ils avaient auparavant, et où il voulut
tenter sa chance.
L'entreprise avait alors son siège social dans la JTlaison de la
Cité Castor, une des chaJTlbres servant de bureau de dessin. A la suite
de l'échec de cette expérience Ego a réintégré une entreprise de
bâtiJTlent et travaux publics, dans laquelle il avait déjà travaillé,
qui s'est beaucoup développée, et dont il dirige JTlaintenant le bureau
d'études, avec un grade et un salaire de cadre supérieur (à peu près
425 000 F CFA par JTlois, en juillet 1983).
Très proche d'un grand lJlarabout, ne négligeant pas le JTlilitantis~
JTle politique, IbrahilJla est très soucieux de l'ilJlage de sa faJTlille, et
attache beaucoup de prix au JTlode de vie traditionnel, pour tout ce qui
concerne les liens faJTliliaux et sociaux. Il s'est JTlarié de nOJTlbreuses
fois, et toujours pour reJTlplir des obligations faJTliliale~, ou sur les
conseils du JTlarabout. Il respecte scrupuleuseJTlent ses obligations lors
des céréJTlonies faJTliliales religieuses (il offre 5 JTloutons au JTloJTlent de
la Tabaski, la grande fête lJlusulJTlane), il s'efforce de faciliter au
JTlaxiJTluJTl la proJTlotion professionnelle et sociale de ses frères, neveux
et fils. Son rêve aurait été de fonder une grande entreprise de bâti-
JTlent, dont le noyau aurait été ses frères, neveux et fils. COlJllJle nous
l'avons vu par ailleurs, un eJTlbryon existe, JTlais qui ne satisfait pas
en t iè r e JTl e nt l e chef de fa lJl i 11 e , pu i s que lui - JTl ê lJl e a du se ré sig ner à
rester salarié jusqu'à JTlaintenant. Un de ses fils a refusé d'apprendre
le dessin pour devenir JTlusicien, un neveu licencié en sciences écono-
JTliques, dont il espérait faire un gestionnaire a failli devenir JTlara-
bout et est JTlaintenant fonctionnaire au Ministère des Finances. Néan-
JTloins, le rêve continue, JTlais il se déplace de plus en plus vers son
- 44 -

neveu archi tecte, en lia i son avec son demi -frè re de Chartres et une
éventuelle collaboration de Mamadou, le frere cadet de Rufisque (Cf.
la maison de Mamadou). Un autre de ses fils s'est lui mis au dessin et
pourrait devenir maquettiste. -
Toute cette stratégie et cette conception de la structure fami-
liale fait que Ibrahima abrite constamment des neveux, nièces, que son
frère Mamadou a établi à une époque le siège social de sa petite
entreprise dans la Maison Castor, dans une pièce construite en prenant
sur la cour, et que son neveu M'Backé a utilisée aussi pour étudier
quelques projets lorsqu'il était encore étudiant architecte.
Tout cela n'empêche pas Ibrahima d'apprécier quelques signes de
la modernité, soutenu en cela par sa première épouse Am-ineta : télévi-
sion, voiture, ameublement moderne, dans l'extension de la maison
récemment achevée,"
Pendant très longtemps également, Ibrahima a opté pour le domi-
cile séparé des différentes épouses, tout en disant qu'il souhaitait
les réunir le plus vite possible. A cet effet, il avait commencé la
construction d'un bâtiment à étage, séparé du bâtiment d'origine, en
bordure de rue, dans l'idée d'y loger ses deux-autres épouses. Mais la
construction, comlTTencée en 1969, nia été terminée qulen 1979, ce qui
atteste -bien d'une longue hésitation ete sa part, -et des réticences
incontestables que nous a confiées la première épouse Amineta. Mais il
est possible que les deux autres épouses, nées à Rufisque et ayant
toujours habité Rufisque, l'une dans la Grande Maison, et l'autre chez
la troisième femme d'lsmaîl, aient également été récalcitrantes.Aminé-
ta en tous cas a essayé de maintenir le plus possible sa position
privilégiée. En effet, elle apprécie beaucoup d'être s€ule dans la
maison; elle profitait le plus des éléments de modernité qui €xis-
taient seulement là : eau courante, télévision, poste de radio avec
cassettes, et sorties en ville (peu fréquentes il est vrai). En outre,
elle régnait sur toute une troupe de jeunes,la chambre des garçons
ayant été de nombreuses années un véritable club de jeunes du quar-
tier.
Lorsqu'Amineta comprit que la situation allait changer, elle
avait exigé d'habiter dans la partie neuve, avec des meubles neufs,
dessinés par son mari diapres des catalogues français et exécutés par
un menuisier. Depuis, son mari l'appelle "1 a Princesse", car elle a
maintenant la partie la plus moderne de la parcelle.
Mais le rassemblement des trois épouses et de leurs enfants pose
de nombreux problèmes de fonctionnement (Cf. le paragraphe sur l'orga-
nisation de l'espace) et économiques: en bonne logique, dit Amineta,
"c haque épouse devrait avoir son frigidaire, sa télévision, sa cui-
sine, et les mêmes meubles", ce qui représente beaucoup d'investisse-
ments,- même pour un cadre dont le salaire est élevé, mais qui a 25
enfants dont ceux qui sont en âge de l'être sont tous scolarisés,
garçons et filles, et qui entretient à peu pres 30 personnes journel-
lement, sans compter les nombreux cadeaux faits aux parents et alliés,
sa part des charges que-représente- la Grande Maison de Rufisque, et la
charge de la maison de la quatrième épouse.
- 45 -

On comprend cres lors que le style de vie, pour la nourriture et


le vêtement, reste très traditionnel. Depuis que les trois épouses
sont rassemblées là, et pour la seule Maison Castor, le chef de famil-
le achète par mois pour 150 kgs de riz, 30 li~res d'huile, 15 à 20 kgs
de sucre, 7 barres de savon. Il donne en outre 2500 F. CFA par jour
pour la confection des repas (28 à 30 rations par jour pour chacun des
trois repas). L'électricité et l'eau coûtent à peu près 15 000 F. cfa
par mois. Il est évident que seule une nourriture africaine tradition-
nelle à base de riz au poisson et de couscous peut permettre de
nourrir tout ce lTIonde. Ce mode de consommation alimentaire permet en
effet de se contenter de ressources locales, et n'a que très peu
recours à des produits importés chers. Seuls ceux qui travaillent
parmi les enfants d'Ego apportent une contribution aux dépenses de la
maison. J'ai pu l'évaluer globalement à un peu moins de 25000 F.cfa
par mois en juillet 1983.
A travers cette analyse nous voyons là encore les limites très
nettes dans les possibilités d'accès à un autre mode de vie, qui
serait fondée sur une famille plus réduite: en effet nous avons vu
par ailleurs que Ibrahima ne peut se passer de la solidarité fami-
liale, support essentiel d'une stratégie de promotion, qui s'étale sur
plusieurs générations, et qui permet de mobiliser les possibilités
économiques sur des chapitres précis, en réduisant au maximum les
autres dépenses. Tout cela représente bien des contradictions, vécues
comme telles par les protagonistes; ainsi Amineta nous a souvent parlé
de la contraception, elle a lTIême fait une "tentative d'utilisation,
lTIais elle sait que sa position dans le système polygame est d'autant
plus forte qu'elle aura davantage d'enfants, qui représentent autant
de parts d'héritage. Ibrahima, de son côté, essaie de secouer le joug
familial, en investissant notamment dans la terre et la construction.
Un jour où il essayait d'obtenir une parcelle dans un nouveau lotisse-
lTIent créé à Rufisque, il me confiait: "s i je peux faire construire
là, c'est la seule manière pour lTIoi d'épargner, car pendant ce telTlps
je peux refuser tout ce qu'on lTIe demande en plus, je pourrai restrein-
dre la dépense". "" "
Tous ces problèlTles, qui se traduisent par un gonflement continu
et lTIassif de la famille (au sens strict) d'Ibrahima, se traduisent
ilTlmédiatement sur le plan de l'occupation de l'espace par un processus
de densification continu lui aussi de la parcelle, et la recherche
parfois acrobatique, de solutions pour augmenter la surface construite
et le nombr:e de piè ces. " "
La lTIaison d'origine a été réalisée en lTIême temps que toute la
cité Castor, entre 1954 et 1956 (voir fig.13). Il s'agit de trois
pièces, deux chambres et un "séjour" ouvrant sur une véranda, les
pièces de service donnant sur la cour derrière. Il y a la possibilité
de faire un petit jardin sur le devant.
En 1966, une premiè re transformation est intervenue : l a véranda
est supprimée, et le salon est prolongé jusqu'à la rue, tandis qu'une
chambre est réalisée dans une partie de l'ancien salon. La chambre 2
sert alors de bureau pour le chef de famille devenu entrepreneur. En
1969, un début de construction à étage existe, comprenant deux cham-
bres au rez de chaussée, dont une est occupée par les garçons et
neveux, l'autre servant de garage ou de débarras. Au premier, deux
chambres en construction, au stade de gros oeuvre (plan).

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FIG 13 LA MAISON n'IBRAHIMA TRANSFORMATIONS

1956 1966 et 1969

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FIG 14 LA MAISON D'IBRAHIMA TRANSFORMATIONS.

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PROJET ETABLI EN 1981 CU CUll'1IR

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- 49 -

En 1979, (Cf. fig.14), la chambre prise sur le salon a été


supprimée, et le plan de la maison annexe a été modifié par le neveu
architecte: au RDC y est installé, outre les deux chambres déjà
existantes et occupées toutes deux par les garçons et les neveux, une
pièce servant pour préparer la cuisine, et de passage vers la cour de
service. Au premier étage, il y a donc ainsi une chambre supplémen-
taire. Le chantier de cette construction aura duré dix ans.
En 1982, un fils et une fille, mariés tous deux, ont annexé
chacun une chambre au rez-de-chaussée: il a donc fallu réaménager le
salon du bas pour créer une challlbre pour les autres filles.
Un nouveau projet de transformation a été élaboré depuis par
l'architecte (cf. fig.15), qui consisterait en un étage complet
sur la maison d'origine, mais qui serait trop coûteux aux yeux du
chef de famille. En effet, il nécessiterait un bouleversement trop
important du bâti existant. En outre, le chef de famille déclare le
trouver trop moderne, et consi~re que cette maison projetée ne cor-
respond pas au stade d'évolution de la famille.Pour l'-instant, d'une
maison de trois pièces, on est donc arrivé à un ensemble de 11 pièces.
Lad ens i fic at ion est don c t rè s for te, et 1e ra ppo rte nt r e surfa ce
bâtie et non bâtie n'est déjà plus respecté. Cependant cette densifi-
cation correspond à l'augmentation du nombre des résidents. Le proces-
sus a duré plus de 20 ans, depuis le début même de la construction de
1a maison. Et il n'est probablement pas terminé (1).
Ainsi d'un modè le européen pour l'essentiel au départ, avec
quelques adaptations au mode de vie africain, notamment en ce qui
concerne la localisation du bloc cuisine/douche/WC, on est parvenu à
un ensemble qui allie la vision d'une grande maison familiale (nom-
breuses chambres, deux salons, deux cuisines couvertes, cour de récep-
t i on, cour de serv i ce), avec 1a modern i té européenne: ai ns i au pre-
mi er étage de 1a con struct ion nouvelle, on trouve une cu i sine et une
salle de bains. Une concession a été faite au style soudano-sahé1ien,
référence officielle et en vogue au Sénégal à la négritude chère au
Président Senghor: la clôture de la parcelle a en effet été surmontée
de claustra en losange, le mur ayant reçu une projection de sable pour
lui donner la couleur voulue. Mais la cour de service a presque com-
plètement disparu, seule demeure intacte la cour de devant, où on
reço i t 1es vis iteurs 1e so i r, où on prend 1e thé sou s l'arbre. Cepen-
dant elle sert aussi de garage pour la voiture du maître de maison.
C'est aussi là qu'il fait la prière du crépuscule. L'arbre sauvegardé
au milieu, entouré de sable alors que le reste de la cour a été
cimenté, permet au chef de famille de sacrifier le mouton selon .1e
rite, les jours de fête.
Il est également intéressant, dans cet exemple, de retracer les
étapes de l'occupat i on de l'ensemble de 1a maison.
Ibrahima a participé à la coopérative des Castors, un peu par
hasard. Il avait toujours véçu à Rufisque, dans la grande maison
familiale, et n'aurait pas songé à la quitter, sans cette opportunité
ni la volonté de sa ITère.
(1) On trouve dans la même cité plusieurs maisons entièrement
transformées, et qui comportent de 13 à 17 piè ces (Cf. photo).
- 50 -

Il a donc habité lA ~e 1956 A 1959, avec sa pre~ière épouse,


Ada~a, et leurs enfants.
En 1959, à la ~ort de Wassour II, Ibrahi~a, devenu le fils aîné,
est obligé de le re~p1acer dans la concession de Rufisque, qu'il
réintè gre avec les siens. Il filet alors en location sa ~aison Castor,
ce qui l'aide à payer les re~bourse~ents du prêt i~~obi1ier.
En 1965, à la ~ort de sa pre~ière épouse, Ada~a, Ibrahi~a répudie
ses deux autres épouses, car il a beaucoup de chagrin et vient se
réinstaller à Dakar. En 1966, il épouse A~ineta, actuelle pre~ière
épouse, parente de la ~éfunte Ada~a, "ce qui est ~ieux pour élever les
enfants du pre~ier 1it". Effective~ent, ses fils Abdou1aye et Wassour
III vivent là, à partir de ce ~o~ent, les filles Saw10u et Rokhaya
étant élevées· par des tantes A Rufisque.
Lors d'une visite en 1969, je trouve les fTlê~es personnes, plus
les enfants d'A~ineta : Fatou et Seynabou. L'ex-deu~iè~e épouse,
Khady, vit à Rufisque, ses enfants sont chez la troisiè~e épouse
d'I s~aî1; 1a troi s iè ~e épouse, Fatou vit A Dakar avec son fil s Mousta-
pha. Les enfants viennent passer des vacances chez leur Père.
Puis une autre épouse, AffY Kandji (~ariage en 1969, divorce
quelques années après), reste installée dans sa propre fa~i11e A
Thiaroye (entre Dakar et Rufisque) avec ses deux enfants. Un autre
~ariage est contracté en 1971 avec Fatou (c'est l'actuelle deuxiè~e
épouse), qui est installée dans la grande ~aison fa~i1ia1e à Rufisque
avec ses deux enfants. Enfin, en 1977, Ibrahi~a se re~arie avec son
ex-deuxiè~e épouse, Khady (l'actuelle troisiè~e 'épouse), qui rejoint
ses filles, dans la ~aison de Rokhaya, troisiè~e épouse d'Is~aî1, A
Rufisque.
Lors d'une visite en 1978, on trouve dans la ~aison CastDr, outre
Ibrahi~a qui en réal Hé partage son te~ps entre ses trois épouses, à
raison de deux jours A la fois:
- A~ineta, la pre~ière épouse, avec certains de ses enfants:
Seynabou, Tabara, Kha1 ifa, N'Gone. Les deux autres, Fatou et Khady,
résident à Thiès chez leur grand-rrère ~aterne11e, et viennent pour les
vacances.
- Abou1aye et Wassour III, les deux fils aînés d'Ibrahi~a et
Ada~a, qui sont en week-end et en vacances dans 1a grande ~aison à
Rufisque.
- Ous~ane Sène et son frere·Abdou1aye, les neveux d'Ibrahi~a (les
fil s de Wassour II).
- N' Diass'é, qui rés ide plu sou fl1 0i ns 1à (il est par foi s che z un
a~i avec qui il prépare le concours d'une grande école). C'est un
neveu d'lbrahi~a (fils de Mara~e),dont le frere, M'Backé, étudiant à
Paris, réside égale~ent là durant les vacances.
- Une fillette, de~i-soeur d'A~ineta que celle-ci considère co~~e
son propre enfant. Elle va à l'école à Dakar.
- 51 -

En visite de longue durée, on trouve aussi à ce ~o~ent-là :


- Deux frè res d'A~i neta, venus de Th iè s l'un pour chercher du
travail , et l'autre pour suivre des cours de for~ation
professionnelle.
- Une soeur d'A~ineta, Maguette, qui vient de perdre un bébé.
- En outre, un cousin d'A~ineta, qui réside à Grand Dakar, prend
la plupart des ses repas chez sa cousine. De ~ê~e Ma~adou, le frère
d'Ibrahima, prend également là son déjeuner et rentre à Rufisque le
soir.

Co~~e on le constate "la Maison çastor abrite théoriquement une


fa~ille conjugale: époux et enfants. Mais en réalité, l'époux n'est
présent que deux jours sur six, et les enfants du couple n'habitent
qu'en partie là. En revanche la maison est le lieu de résidence per~a­
nent des fils d'un pre~ier lit, et surtout des neveux, utérins ou non,
du chef de fami lle. Il y a en outre des parents de l'épouse A~ineta,
en visite de longue durée, ce qui est un signe de sa forte position
personnelle.
A ce moment-là, il y a donc 12 résidents permanents et 4 tempo-
raires s dans la maison. C'est beaucoup plus qu'en 1969, où j'avais
co~pté 6 résidents permanents.
Lorsque je reviens en 1979, la situation est à peu près la ~ê~e
au ~ois d'avril-mai, elle aura co~plète~ent changé au ~ois de décem-
bre, car Ibrahi~a a décidé du transfert de ses deux autres épouses
dans la maison Castor à Dakar, ce qui pose de nombreux problè~es.
(cf. fig. 16, évolution du .peuple~ent).
J'ai alors relevé la répartition suivante des résidents:
- Au 1er étage, extension nouvelle: dans sa chambre A~ineta, son
dernier fils Mawdo, et, dans la chambre d'enfants: Khalife, N'Gone,
Seynabou quand elle est là, et la "petite soeur" d'A~ineta , de Thiès,
déjà là en 78. En revanche, Tabara est partie rejoindre les autres
filles d'Amineta à Thiès.
- Au rez-de-chaussée de l'extension : Ousmane occupe toujours sa
chambre, bien qu'il soit marié, son épouse habitant Rufisque chez ses
parents. Il partage cette chambre avec l'étudiant M'Backé quand il est
là (quatre mois en 79).
- Dans l'autre chambre de cette extension à droite de l'entrée:
Wassour III, fils d'Ibrahima, Is~aîl le frère d'Ousmane, Yakhaya, fils
de Maguette, soeur d'Ibrahima, étudiant en capacité à Dakar, et un
frère d'Amineta.
- Dans la ~aison d'origine, on trouve dans l'ancie.n bureau .la
deuxième épouse d'lbrahima, Fatou, et son jeune fils, ses deux autres
enfants étant chez leur grand-ITère à Rufisque.
- Dans l'ancienne chambre d'AlTlÎneta, la troisième épouse, Khady,
et sa petite-fille Amineta.
- Dans la chambre à côté et dans la chambre qui prolonge le
salon: : Sawlou et son bébé Amineta (elle n'a pas épousé le père), sa
jeune soeur Rokhaya, une fille de Khady, MadjigUène, une a~ie d'A~ine­
ta, venue de Kaolack suivre des cours de secrétariat à Dakar, et une
nièce d'Ibrahi~a, également de Kaolack venue pour le mê~es raisons.
FIG]6 MAISON CASTOR EVOLUTION DU PEUPLEMENT

~ CHEF DE FAMILLE
• DECEDE
'~'~I ABSENl
ABSENl lEMPORAIRE

[~
SEXE l'mE1ERMINE

IBRTMA

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AVRIL 1979

[~ . '(

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iBR~IMA
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SEI'TEMBRE 1979

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IBRAHIMA

••=:=~ l.\==~== ~F======:002 ====::;0c;

uu 1982
- 53 -

Le chef de falTlille continue à observer la lTlêlTlc alternance dans


les visites à ses épouses, il n'a donc pas plus qu'avant sa chalTlbre,
lTlais il est lTlaintenant résident à part entière.
J'ai ainsi cOlTlpté 21 résidents perlTlanents et un certains nOlTlbres
de résidents telTlporaires : Abdou1aye, fils d'IbrahilTla, M'Backé, son
neveu, Seybanou, fille d'AlTlineta. On prépare au lTlinilTlulTl 25 repas lTlidi
et soir, et on prévoit trois portions de plus pour les visiteurs de
passage.
Ainsi le nOlTlbre de résidents a encore auglTlenté, du fait de la
présence des deuxièlTle et troisièlTle épouses, et lTla1gré le départ de
quelques jeunes. Des enfants sont nés éga1elTlent. En terlTles de densité,
on arrive lTlaintenant à plus de deux personnes par pièces (2,3), contre
deux par pièces en 1978. Si on songe que chacune des trois épouses à
entre 28 et 36 ans, le chef de falTli11e en ayant 52, on voit que ce
prob1èlTle risque de delTleurer longtelTlps.
On observe éga1elTlent que la fonction d'accueil delTleure, à l'égard
des neveux et nièces, lTlais que la position d'AlTlineta, la prelTlière
épouse, s'est trouvée réduite dans ce dOlTlaine, ce qui peut s'expliquer
par le fait qu'elle dispose de lTloins de place, et qu'elle est surveil-
lée par les deux autres.
Entre 1979 et 1982-83, quelques changelTlents notables sont encore
intervenus :
- Le chef de falTli11e, à l'occasion du départ de son neveu Ous-
lTlane, qui a délTlénagé avec son épouse dans une petite lTlaison HLM à
Dakar, s'est installé pendant un telTlps dans la pièce du rez-de-chaus-
sée: c'était la prelTlière fois qulil avait sa chalTlbre privée. Mais il
a du la céder peu de telTlps ap~s à son fils aîné Abdou1aye qui réside
là avec son épouse depuis son lTlariage. Le chef de falTli11e est donc de
nouveau à la recherche d'une chalTlbre privée.
- La fille aîné du chef de falTlille, Saw1ou, s'est lTlariée, et a
revendiqué pour elle seule et son lTlari la chalTlbre qu'elle partageait
jusque là avec d'autres filles de la lTlaison.
- Le chef de falTlille a pris une 4èlTle épouse, qu'il n'a pu instal-
ler dans la Maison Castor, faute de place. Elle réside dans une bara-
que en bois dans une banlieue populaire de Dakar (YelTlbeul), dans sa
propre falTli11e. Son époux lui rend visite le week-end.
Depuis plusieurs années, il selTlb1e qu'on ait atteint un plafond
quant au nOlTlbre de rés i dents perlTlanents et selTli -perlTlanents, à savoir
plus ou lTloins 25. L'absence de création de nouvelles surfaces disponi-
bles, et le sentilTlent qu'on a atteint le seuil lTlaxilTlulTl de tolérance,
about i ssent au lTlaint ien d'un équi 1i bre tre s fragile, lourd cependant
de conflits potentiels visibles à l'observation. Quelques relTlarques
sont à faire pour rendre cOlTlpte de la nature de cet équilibre:
- Il est rendu possible par le départ de jeunes lTlénages ou lTlêlTle
de célibataires, qui ont trouvé une résidence ailleurs. Le processus
d'éc1atelTlent résidentiel se poursuit, des liens étroits étant lTlainte-
nus avec la Maison Castor et secondairelTlent avec la Grande Maison de
Rufisque. Un sous-enselTlb1e résidentiel est en train d'apparaitre à
- 54 -

SITUATION DE LA MAISON DE MAMADOU

QUAR1IER DIOR-CHERIf A RUfISQUE

vers Santhiaba

~. U
B Ff mosqulie .

I~ ...

FIG 17
- 55 -

Dakar, ayant pour pôle la Maison Castor, et des satellites: la maison


d'Ousmane, l'appartement de M'Backé et l'habitation de N'Diasse. Les
jours de fête religieuse par exemple, tous se retrouvent à la Maison
Castor, puis éventuellement à Rufisque.
- Autre facteur d'équil ibre relatif: un certain nombre d'enfants
du chef de fami lle vivent au pre s d'autres noyaux fami l i aux. C'est donc
le système de la famille étendue qui permet de réduire les difficultés
qu'entra i nera it un trop fort peuplement. En outre, ce systè me permet
au chef de famille de continuer à accueillir ceux des membres du
groupe familial large qui sont à ses yeux les plus performants
économiquement, ou le plus proches d'une intégration dans le secteur
urba in moderne.
S'appuyant sur des bases restées traditionnelles dans le domaine
des rel at i ons de parenté, un sous-ensemble rés i dent i el à connotation
beaucoup plus "moderne" est en train d'apparaitre et va incontestable-
ment, par contre-coup, renforcer le rôle plus traditionnel et plus
symbolique du pôle rufisquois.
- Un autre trait d'évolution apparait très nettement,qui joue
dans le sens du maintien d'un équilibre, mais pour un temps très
court: la segmentation résidentielle, ces dernières années, a concerné
exclusivement les neveux d'Ibrahima, et a donc permis à ses deux
enfants aTnés, un fils et une fille, d'affirmer leurs prérogatives sur
la Maison Castor et donc sur un bien dont ils hériteront (avec 23
autres). Cela ne s'est pas fait sans froissements, et il est évident
que ce processus ne peut continuer longtemps ainsi, car il va déclen-
cher des conflits avec les épouses (la 3ème Khady, a déjà voulu repar-
tir à Rufisque), et entre les enfants. De nouveaux processus de
segmentation sont donc prévisibles, qui cette fois vont toucher les
enfants. Il est possible également qu'à terme ne puisse être maintenu
le rassemblement des trois épouses dans la même maison.
Quelles que soient les éventualités prévisibles, il est certain
que la maison Castor de Dakar, et le sous-système résidentiel qu'elle
constitue et qui va encore se ramifier, a besoin du pôle rufisquois et
du sous-système 'qu'il représente pour continuer d'exister et d'assurer
le rôle intégrateur qu'il joue officiellement pour les membres du
groupe familial élargi.
LA MAISON DE MAHAOOU
Cie s t l a mai son qu'a en t iè rem ent con ç ue et réa lis ée l e f rè r e
cadet d'Ibrahima (l'actuel chef de famille).
Processus d'urbanisation
La maison de Mamadou est le produit normal d'un des processus de
segmentation ayant affecté le groupe familial étudié au long des
générations. Mamadou, ne pouvant édifier sa propre habitation sur la
grande concession, a pu acquérir un terrain dans le quartier Dior/Che-
rif (Cf.fig.17 ), qui est lui-même la zone d'extension du quartier de
Santhiaba. Les terrains de cette zone appartiennent à la même famille
de propriétaires coutumiers que Santhiaba.
Non immatriculés, ils sont réputés faisant partie du Domaine
National, en vertu de la loi de 1964. Ils ont donc été morcelés et
- 56 -

vendus de lJ1anière illégale. Les lotisselJ1ents irréguliers s·ont l'oeuvre


de II géorrètres ll non agréés qui le plus souvent sont des dessinateurs.
Ils con na i ssen t bi en les propr i éta ires et se font payer en terra in.
Dans cette zone le "tarif est connu: le "géorrètre" reçoit une parcelle
sur huit. Une parcelle de 300 1J12 environ étant vendue 300 000 f. CfA
en 1982, soit 100 000 f. CfA de lJ10ins qu'une parcelle d'un lotisselJ1ent
officiel de la lJ1êlJ1e zone. Puis les possesseurs de parcelles, au bout
d'un certain telJ1ps, déposent une delJ1ande de certificat adlJ1inistratif,
qui est une pre lJ1 iè r e é t ape dan s l a ré gul aris a t ion de lat e nu r e f 0 n -
cière. En principe ce certificat adlJ1inistratif ne devrait être obtenu
qu'au bout de 20 ans d'occupation de la parcelle. TJlais il est généra-
leTJlent possible d'obtenir un arrangelJ1ent si on peut payer. Le certifi-
cat adTJlinistratif délivré, il est alor~ possible de déposer un dossier
de perlJ1is de construire. Ces procédures sont longues, coûteuses et au
delJ1eurant toujours incertaines, car souTJlises à des aléas parfois
difficiles à lJ1aitriser. "
Un tel processus d'urbanisation continue et se développe actuel-
leTJlent d'autant plus vite que les contrôles effectués par les services
de l'urbanislJ1e, si tant est qu'ils existent, s'avèr-ent à l'évidence
inefficaces. Le quartier étant rëlativeTJlent à l'écart de la route,
l'adlJ1inistration y est peu ·présente.
En raison des facteurs qui déterlJ1inent ce processus d'urba-
nisation, le quartier Dior/Chérif a beaucoup des caractéristiques d'un
quartier périphérique IIs pon tané ll : la viabilisation est sOTJllJ1aire, non
asphaltée; le cheTJlinelJ1ent principal prolonge celui de Santhiaba sur la
crête du Thalweg. De nOTJlbreuses constructions sont encore des cases,
signes que les propriétaires n'ont pas encore pu ou voulu faire régu-
lariser leur situation. Ceux qui l'on fait ont pu égalelJ1ent installer
l'électricité et l'eau courante, TJlais en payant cher les infrastruc-
tures qu'il faut faire venir de Santhiaba.
Ainsi ce qui apparait COTJllJ1e urbanisation anarchique ou spontanée
ne l'est qu'au regard d'une réglelJ1entation urbaine qui n'arrive ni à
interdire ni à soutenir un processus d'urbanisation où le proprié-
taire, de tradition, distribue lui-lJ1êTJle ùn droit, lJ10nnayé à l'époque
actuelle, d'installation sur une parcelle de terrain, l'acheteur pou-
vant alors lui-lJ1êlJ1e revendre ce droit d'installation. Les uns et les
autres ne se souéient guère de la logique et de la rational ité d'une
planification urbaine sur lesquelles d'ailleurs ils sont peu inforlJ1és,
en apparence du lJ1oins, et qui de toute façon leur apparait ·étran~re.
En revanche, ils consiœrent le lJ10de d'installation actuel cOlJ1lJ1e une
version woderne et logique âu lJ10de d'occupation et d'installation
qu'"ils ont" connu à Santhiaba. "Il n'y a pas de rupture dans leur
esprit, il faut seulelJ1ent introduire en plus la ruse et la dissilJ1u-
lation, puis la prévarication, pour obtenir une reconnaissance offi-
cielle de cette installation.
- 57 -

Historique de la ~aison et occupation

Mamadou, comme beaucoup de ses voisins, se consiœ re donc parfai-


tement chez lui puisqu'il est enfant d'un quartier dont il habite
maintenant l'extension naturelle. Il a même tellement intégré cette
logique qu'il a depuis quelques années fait converger ses activités
économiques vers une occupation aux multiples facettes concentrées
dan s cet t e z0 ne, où i les t lui - mê me Il gé 0 rnè t r e", "lot i s se ur", ma nda-
ta ire des propr i éta ires coutUlTiÏ ers , "architecte ll et "entrepreneürll •
Dessinateur initié au métier par son frere Ibrahima, puis petit entre-
preneur sous-traitant de l'entr.eprise où travaille ce même frere, il
est actuellement à peu près complètement dans le secteur informel de
la production foncière et immobilière. "
Sa maison, qu'il a entièrement pensée et exécutée lui-même, est
un r ef let t rè s f i dè l e des 0 n st atut et des e seo nt rad i ct ion s . Le
"lotissement ll a été fait vers 1970, et il a obtenu le permis de
construire en 1977, alors que la construction était presque achevée.
Il a emmenagé, avec ses deux épouses et ses enfants en 1979. Et depuis
la structure familiale n'a pas changé en profondeur (Cf. fig.1B)
Contrairement à son frère aîné, il s'efforce de limiter les
visites familiales sans cependant y parvenir complètement: en effet,
il garde des liens avec le village d'origine de la famille, et il lui
arrive d'héberger des membres de ce lignage.(cf.fig.19).
Qu'on se réfère au plan de la parcelle et de la maison (fig.19)
ou aux discours tenus par Mamadou, il apparait de la manière la plus
limpide qu'un double modè le d'organisation de l'espace, européen et
africain, a guidé le projet et son éxécution et cela dans le souci
d'en faire un outil pédagogique, et aussi parce que II c'est une oeuvre
de pionnier ll (selon ses propres termes). La maison est à cet effet œs
le départ séparée par un mur en deux moitiés volontairement différen-
tes et fonctionnellement clairés :
- une mo i t i é de type européen, qui correspond au modè le assumé
par le chef de famille en ces termes: "qu oi qu 1 0n dise, je tends vers
une certaine évolution, qui va vers le côté occidental, par le fait
que je n'ai connu que la colonnisation française donc occidentale et
j'ai grandi là-dedans; c'est çà"que je connais, et quand j'évolue,
j'évolue"dans ce sens là ll • En même temps cette moitié, lieu de pres-
tige, doit aussi constituer"un exemple de son savoir-faire pour de
futurs clients. Dans cette moitié se trouvent donc le salon, et un
bu r eau, é qui Pé mai nt e nan t d' une ta bl e à des sin" : "P 0 ur quo i j 1 ai fait
un bureau ? Parce que depuis que j'étais jeune, que j'allais à l'é-
cole, je disais à mon frère que moi je véux être affairiste. Après
l'école, çà m'a poursuivi et maintenant je suis devenu un petit entre-
preneur de bât i ment, et quand on est affa i r i ste, nécessa i rement il
faut un petit bureau. Affairiste : bureau". "
De la porte d'entrée les visiteurs emprunteront de manière obli-
gée les "pas japonais" menant au salon: "les gens qui viennent nous
voir ••••• quand ils ouvrent la porte automatiquement le gazon est là.
Sur le gazon on a des pas japonais, comme on dit, qui vous permettent
- 58 -

FIG 19 MAISON DE MAMADOU RESIDENTS

1979

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MAMADOU ~1L'i:~t=;:=f"IU1 =====-=ç

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Ùl:1i~O.ÙÙ.ù.ù
fILLETTE .ADOPTEE
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•DECEDE
ABSENT
.f.,
~ ABSENT TEMPORfllRE
o SEXE INDETERMINE
FIG 18 LA MAISON DE MAMADQU

terrain v.gue

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COUR AFRICAINE
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COUR EUROPEENNE
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plan ayant obtenu le permis de construire en ]979 .

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0.5 CIl plr .etre


RELEVE DE 1982
évolution des espaces extérieurs
MAISON DE MAMADOU 1979

COUR DE DERRIERE 1982

JARDIN DE DEVANT 1982


- 61 -

de lJlarcher sur des dalles sans pour autant lJlarcher sur le gazon ....ce
sont de grandes personnalités très certainelJlent qui viendront avec
leur argent. ... Le gazon est là, c'est en quelque sorte une garantie
pour lJloi parce que lorsqu'ils verront que je suis assez organisé et
que j'ai une lJlaison qui présente proprelJlent çà leur donnera confiance.
AutrelJlent ce sont les affaires qui filent".
Cette lJlise en scène un peu sèche d'un fonctionnalislJle d'inspira-
tion occidentale sera très vite agrélJlentée et cOTJlplétée par la
construction d'une case à toit de chaulJle et sans lJlurs, installée à
droite de l'entrée noble et baptisée "salon de thé". A ce titre, elle
est considérée au début cOlJllJle le signe sYlJlbolique, très en vogue à
Dakar ces dernières années, d'une "identité négro-africaine".
Il était prévu - autre signe de lJlodernité occidentale - que
l'accè s à l a cour d'honneur soit cOlJllJlandé par une sonnette, dont
l'usage est encore peu répandu en ville, surtout dans les quartiers
périphériques ou traditionnels.
- l'autre lJloitié a sa propre entrée de l'extérieur. La cour,
sablée, avec accès direct à la cuisine, est l'élélJlent essentiel,
dOlJlaine des felJllJles et de la vie dOlJlestique africaine. MalJladou lui-lJlêlJle
s'en explique: "je lJle suis arrangé pour l'alJlénagelJlent de la cour à
la diviser en deux, parce que cOlJlpte tenu de lJles activités j'ai à
rencontrer deux catégories d'individus: des gens qui sont plus évo-
lués, qui ont l'habitude justelJlent de voir la grande cour avec son
gazon, ses arbustes, ses fleurs, et j'ai une catégorie d'individus qui
n'ont pas l'habitude de voir çà lJlais qui, ceux que j'appelle conserva-
teurs, se contenteraient d'une silJlple cour sans arbuste, donc du
sable, alors je l'ai justelJlent conservée pour le côté extérieur {près
du puits)". FelJllJles et enfants sont, à l'évidence, parlJli les "non
évolués" : "la deuxièlJle cour ce sera la grande cour falJliliale où je
réserve le sable, çà perlJlettra à lJles enfants de jouer". Il n'est pas
prévu qu'ils viennent dans la prelJlière cour, ils doivent d'abord
"s'adapter, s'organiser", et "quand ils seront grands justelJlent ce
sera le lJlolJlent d'affronter le grand salon". De lJlêlJle les felJllJles pour-
ront se cantonner dans la cour falJliliale, et elles pourront aussi de
cette lJlanïere garder l'usage de la cuisine sénégalaise: "la cuisine
aussi est un peu isolée, pas tout à fait détachée, elle est accolée
lJlais on la sent un peu à l'extérieur. Pourquoi? parce que la felJllJle
sénégalaise ayant l'habitude de cuisiner au dehors, il faut nécessai-
relJlent lui donner cette chance de pouvoir cOlJllJluniquer avec son dehors,
donc de sa cuisine elle aura toute la 9rande cour, elle pourra appeler
chacun de ses enfants, cOlJllJlissionner (envoyer faire les cOlJllJlissions),
faire ce qu'elle voudra dans la cour et avoir aussi sa cuisine à côté.
Mais il ne faut pas trop l'isoler, parce que quand vous la détachez du
bâtilJlent çà suppose que pendant l'hivernage, la cusinière a des
problèlJles parce qu'il pleut. Donc, il faut un couloir avec une petite
véranda qui relie la cuisine au bâtilJlent".
La lJlaison a donc été voulue cOlJllJle une oeuvre effectivelJlent pion-
o nière dans un quartier considéré cOlJllJle traditionnel, cOlJllJle un outil
pédagogique destiné à enseigner aux felJllJles, aux enfants, aux non-
évolués, les usages lJlodernes de l'habiter tout en lJlénageant les tradi-
tions, et cOlJllJle l'expression prolJlotionnelle des capacités du proprié-
taire à réaliser des villas de type européen.
- 62 -

Il convient de noter toutefois que si un itinéraire dynamique a


été prévu dans son principe, l'organisation de la parcelle"a été
conçue selon un schéma dichotomique rigide qui nia pas résisté au
temps. En effet, deux ans après la première enquête, réalisée en 1980
au moment de l'aménagement, j'ai pu faire un cetain nombre de consta-
tations : la moitié "européenne" était passablement délaissée: le
salon ne comportait pas de meubles, le gazon anglais n'avait pas
résisté au climat et venait d'être remplacé par du "gazon" sénégalais,
les pas japonais avaient disparu, et la case semblait quelque peu
oubliée, cachée par une haie épaisse appelée "la forêt" par Mamadou.
En revanche, l a cour arrière s'était métamorphosée, devenue presque
une pièce à vivre. C'est là que se tenait le plus souvent le chef de
famille, sous l'auvent, près des siens et de son entourage familier.
Le bureau était provisoirement abandonné à un neveu dessinateur. Cette
cour arrière était redevenue le véritable centre de la maison, et cour
africaine: la partie la plus proche de l'entrée permet de recevoir les
visiteurs, de prendre des repas, de faire la prière. C'est le "champ
de la co-présence" (1) retrouvée. Côté rue elle ouvrait sur une porte
d'accès pour une future voiture, et sur deux pièces en construction
destinées à devenir une boutique. Au fonds demeurait la cour réservée
aux usages domestiques, aux femmes et aux jeunes enfants. Elle avait
été cimentée pour permettre un entretien plus aisé. Un escalièr vers
la terrasse préfigurait une surélévation.
En 1983, l a cour d'honneur a retrouvé de son lustre. Le jard i n
est bien entretenu, les pas japonais ont refait leur apparition,
bal isés en outre par des arbustes, sinon, me dit Mamadou, "les gens
pensaient qu'il fallait marcher à côté des dalles et non dessus", et
surtout, la hutte ronde a été agrandie, prolongée par une case rectan-
gulaire aux parois végétales et où le chef de famille fait la prière
ou se repose. C'est là aussi qu'il prend ses repas avec des invités.
Le salon a été enfin meublé et pourvu d'une télévision. Depuis ce
moment-l à, les enfants, grands et petits, sont autorisés à l'occuper.
Mamadou, lui, déclare passer très souvent ses soirées sur le toit
terrasse d'où il voit les allées et venues des siens sans être vu, et
d'où il a plaisir à contempler les traditionnels baobabs, à la limite
de l'urbanisation du quartier.
Ainsi, même si la lecture du mode d'utilisation de l'espace
habité à cette date permet de dire qu'une division en deux moitiés
existe toujours, il devient manifeste qu'elle est plutôt d'ordre
idéologique, les pratiques de l'espace étant plus que nuancées par
rapport à cette dichotomie, voulue et imaginée au départ comme une
sorte de dualisme culturel. Dans l'esprit de Mamadou en effet, sa
maison, conçue comme une adaptation originale du modèle européen,
représente la coexistence provisoire de deux modes de vie. Au terme de
l'évolution imaginée, le modèle européen viendrait se substituer à
l'africain.Mais à l'observation des pratiques, on constate que la
structure des espaces traduit beaucoup plus une aspiration à la moder-
nité qu'une pratique moderniste. Cela tient à différents facteurs, et
notamment, pour l'essentiel, au fait que Mamadou dans son projet de

(1) LECOUR - GRANDMAI SON "La natte et la mangui er", Ed. Mercure de
rance, Paris, 1978.
- 63 -

~obilité sociale a rencontré rapide~ent des li~ites sérieuses dans sa


volonté ~',intégration du seçt~ur ~oderne.: ses activités étant fprte-
~erit intégrées à un environne~eÎ1t qu'i reste traditionnel, fondé sur
des réseaux très anciens, il était nécessaire et logique que ses
pratiques sociales soient confor~es à la réalité sociologique de
l'ense~ble du quartier Santhiaba.Connu co~~e fils d'ls~aîl, le fonda-
teur de la Grande Maison, il ne peut lui aussi que rester en relation
très étroite avec l'ense~ble résidentiel auquel il appartient .

.. ,
1
- 64 -

CONCLUSION

A la lu~ière des observations ~enées dans cette étude


~onographique, on co~prend ~ieux co~~ent s'articulent les lieux de
résidencè, pour for~er un véritable systè~e résidentiel:
- La Grande Concession de Rufisque a un rôle fonctionnel évident
de refuge pour les plus ~al nantis de la fa~ille, légiti~é par le fait
que les frais de conso~~ation y sont ~oins élevés qu'à Dakar :
constructions assez so~~aires, environne~ent pauvre, ~ode de vie tra-
ditionnel dans un quartier où se ~aintiennent de forts réseaux de
solidarité. Elle est aussi le sy~bole pour tous, un té~oin historique
d'une notabilité reconnue dans le quartier.
- Les deux autres résidences retenues, celle d'Ego et de Ma~adou,
sont désignées par la fa~ille co~~e lI~aisonsll, alors que celle de
Rufi sque l'est co~~e II gran de Mai son ll ou III a grande concess i on ll • Pour-
tant il s'agit toujours de constructions sur parcelle, ~ais inspirées
du ~odè le européen. E11 es représentent ou devra i ent représenter la
~odern ité et l a réalité d'une i ntégrat i on urbaine. On peut y repérer
des'signes qui té~oighent d'ml sou<:i -de confor~ité aux règles du
~odernis~e : disposition des pièces, a~euble~ent, équipe~ent ménager"
réa~énage~ent fonctionnel de la cour qui abrite la voiture dans un
cas, ou qui localise dans deux ~oitiés de cour les activités
traditionnelles do~estiques d'un côté,' et les activités publiques et
~odernes de l'autre.
On pourrait effective~ent être tenté, dans une perspective cultu-
raliste superficielle, d'interpréter ces phénorrènes en ter~es de dua-
lis~e, s'expri~ant logique~ent dans une période de transition par la
coexistence de deux ~odes de vie inspirés de ~odèles européens et
africains auxquels correspondraient deux ~odèles d'organisation de
l'espace.
, En fait, on constate que les pratiques'de l'espace englobent dans
une logique spécifique (y co~pris dans ses contradictions internes)
les différents élé~ents du systè~e, et qû'en conséquence l'intégration
à la ville ne se joue pas au niveau d'individus ni de lieux d'habita-
tion isolés, ~ais au niveau d'un groupe fa~ililal constitué en vérita-
ble organisation sociale, qui s'e déploie sur un te~ps long et sur un
espace vaste, dépassant ce qu'on entend par loge~ent dans les pays
industriels développés.
Ainsi pourrait-on expliquer que, s'il existe des spécialisations
sociales èntre les différents lieux de résidence, il y ait de no~breux
caractères co~~uns dans les usages de l'e'space qui, résu~és ci-des-
sous, apparaissent de ~anière convergente co~~e très co~posites, ~ar­
qués par la rJlobilité, la fluidité, et concourrent à la constitution
d'un anti-~oœle culturel:
- Il Y a une grande ~obilité des résidents à l'intérieur de la
~aison : aucune ·pièce' t1'estaffectéé 'de ~aniè'redéfinitive'à 'un indi-
vidu. Le ~ê~e type de ~obilité apparait entre les différentes unités
du systè~e résidentiel, surtout pour les plus jeunes du groupe fa~i­
lial .
- 65 -

- il ya une lTlulti-fonctionnalité des pièces d'habitation, qui


abritent chacune une diversité de pratiques: préparation, consolTllTla-
tion des repas, repos, accuei 1 des visiteurs, activités de loisirs,
etc •••
- On constate par endroits, ou par lTlolTlents, et de lTlanière non
définitive, un sur-investisselTlent décoratif de certains espaces, de
caractère fortelTlent sYlTlbolique : par exelTlple dans le salon, ou à
propos de la clôture. Ces usages apparaissent le plus souvent cOlTllTle
une volonté d'adhésion à un lTloœle ·européen d'utilisation de l'espace,
qui toutefois n'engage gUère les pratiques quotidiennes, et pas forcé-
lTlent pour une longue période.
- On observe à d'autres lTlolTlents, ou ailleurs, une déqualification
de certains espaces: par exelTlple la cour, à cause d'une densification
du bâti, le salon, qui devient souvent une pièce à dorlTlir, la cuisine
et la salle de bains construites à l'européenne qui perdent leur
desti~ation prelTlière ou sont peu utilisées. .
- on constate une très grande progressivité de la réalisation des
espaces construits, soit, cOlTllTle c'est le cas de la Grande Maison, par
un relTlplissage graduel de la concession, ou bien, lorsque la lTlaison
est réal i sée d'un seul coup, par des opérati ons de déconstructi on/re-
construction~ cOlTllTle c'est le cas pour la Maison Castor et, diins une
lTloindre lTlesure, celle de MalTlàdo·u. ..
Sans doute de telles pratiques sont-elles conditionnées par des
contraintes liées au lTlode de consolTllTlation dOlTlestique, à l'insuffisance
de l'espace construit par rapport à la taille de la falTlille. Mais
ell es tradui sent auss i 1a grande 1i berté que prenneritl es habitants
vis à vis d'une désignation fonctionnelle des ·lieux, qu'ils ne s'ap-
proprient jalTlais définitivelTlent, ou lTlêlTle qu'ils déconstruisent et
reconstruisent de lTlanière continue"en fonction de leurs besoins. Un
tel lTlode de traitelTlent des espaces habités lTlontre en outre que la
lTlaison ne se présente jalTlais comlTle un objet fini, qu'on prenne le lieu
d'habitation comlTle un tout (parcelle + construction (s)), ou que l'on
consiœre llorg.anisation interne de cet espace.
"Au regard de ces pratiques spatiales cOlTlposites et peu locali-
sées, c'est au niveau de l'articulation entre les différents sous-
enselTlbles du systèlTle résidentiel que se situe la réalité sociologique
falTliliale. On l'a vu tout au long de cette étude: si l'espace a été
ilTlaginé par référence à une organisation falTliliale plus proche du
lTloœle urbain européen, la réalité est plus conforlTle au fonctionnelTlent
de l'ancienne structure lignagère, lTlêlTle si les rapports lTlonétarisés et
le salariat ont introduit de notables transforlTlations. En effet, dans
le cas présenté ici, on ne peut parler de la disparition de la falTlille
étendue au profit de la falTlille nucléaire. On ne peut pas davantage
considérer les relations de solidarité constatées entre les lTlelTlbres du
group·e cOlTllTle les résidus des obligations réciproques d'un systèlTle
traditionnel. Il lTl'est apparu, en effet, que le lTlaitien - ou plutôt la
réinterprétation - de structures sociales anciennes visait, selon une
logique repérable dans l'articulation originale des secteurs urbains
IlTlo derne" et "traditionnel", à favoriser la prolTlotion sociale et
éconolTlique de l'enselTlble de la falTlille, dans une situation historique
lTlarquée par la colonisation d'abord, puis par la dOlTlination capitalis-
te extéri eure.
- 66 -

Nous sommes renvoyés alors à une analyse plus large des modes de
vie engendrés par le processus spécifique d'urbanisation de l'Afrique,
dont la brutalité constitue un des faits marquants des indépendances.
Il s'agit donc d'abandonner l'approche culturaliste pour aborder les
problèmes en termes de stratification sociale dans ce contexte urbain.
La séparation des spœres de la production et de la consommation,
la nouvelle division sociale du travail ont profondément bouleversé
les modes de vie. Des individus appartenant à des groupes sociaux
différents se sont installés en ville sans que jamais le rythme de
création d'emplois suive celu5 des arrivées. Pour survivre, ces
groupes 'ont transplanté, en 'les réinterprétant, des règles de solida-
rité villageoise, créé de multiples formes non institutionnelles
çl'"as~uranc.e spcial.e" fondées sur des activi.:tés économiques plus ou
mo ins précaires.
Ces efforts d'intégration à la ville sont repérables dans les
modalités de distribution des revenus, dans la mise en place de ré-
seaux professionnels, d'une écnomie de débrouillardise, etc....Ils le
sont également dans les usages de l'espace habité: la maison est en
effet au centre des stratégies familiales. Elle en constitue en quel-
que sorte le théâtre, mais aussi la base matérielle. L'habitat est
ainsi organisé, et pensé selon ces stratégies, puis constamment
transformé pour s'adapter aux changements commandés par leur dévelop-
pement dans le temps. Dans cette perspective, la conception fonction-
naliste, attribuant de manière durable une fonction à un espace est
assez unanimement absente des pratiques observées. Au contraire, on
note une grande fluidité dans l'organisation de l'espace habité et
dans l'affectation des habitants et des fonctions aux différentes
pièces de la maison, et aux différents lieux de résidence. Enfin,
seule la multiplicité de lieux de résidence liés les uns aux autres en
un système identifiable peut apporter au mil ieu urbain un début de
solution au problème aigu de densification qu'implique le maintien ou
la constitution de groupes familiaux de grande taille, destinés à
assurer à leurs membres la meilleure place possible dans un processus
nouveau de stratification sociale.
A ce stade de l'étude, l'hypothèse de départ peut être ainsi
reformulée: la structure familiale élargie, lieu privilégié d'une
articulation entre les deux pôles de la réalité urbaine africaine, le
traditionnel et le moderne, constitue de ce fait le lieu central
assurant l'intégration de ses membres à la société urbaine. Dans cette
perspective d'intégration, les stratégies familiales, économiques et
résidentielles ont pour objet la gestion de cette articulation, ou
visent à résoudre les contradictions qu'elle engendre, cela dans des
situations sociales et spatiales concrètes.
Pour éclairer ces différentes stratégies il était donc nécessaire
d'analyser les pratiques sociales et spatiales aussi bien en elles-
mêmes et pour elles-mêmes, que dans leur environnement réciproque. On
a pu voir en effet que le contrôle social global, dont la règlementa-
tion urbaine est un des aspects, ne joue pas avec l a même force dans
les différents secteurs de la ville, et qu'en conséquence, les modali-
tés d'installation et donc l'accès au sol urbain, de même que les
mécanismes de production de l'espace habité, ne permettent pas un
déploiement équivalent des stratégies familiales de développement
économique et social.
- 67 -

Il était donc nécessaire d'analyser les interactions possibles


entre la dimension locale et globale des pratiques sociales et spa-
tiales, pour mieux situer les stratégies à l'oeuvre.
Une question demeure posée, qui intéresse aussi bien les sociolo-
gues que les urbanistes: s'il ne s'agit pas là de phénorrenes purement
conservatoires, sont-ils pourtant représentatifs d'une étape de tran-
sition - et donc appelés à disparaitre lorsqu'elle sera franchie?
L'ampleur et la permanence de la crise urbaine que traverse
l'Afrique, due à la situation de dépendance économique généralisée et
à la précarité des institutions politiques et sociales modernes,
fait penser que ce type de structure familiale sera majoritaire dans
les villes africaines, et ce pour une longue période; que le nombre
de ceux qui appartiennent·au monde moderne sera pendant longtemps
encore marginal, qu'il s'agisse de la bourgeoisie ou du prolétariat,
pris llun comme l'autre dans un sens occidental.
Cette hypothè se, vér i fiée, démontrera it 11 i nut il ité, sinon le
danger, de la transposition mécànique de concepts ou de catégories
considérées comme modèles, dans le domaine social, aussi bien que
spati.al.

. .
- 68 -

BIBLIOGRAPHIE

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Post-face de Ph Ariès.
Encre - Paris - 1980.
lA PRESQU 1 ILE DU CAP VERT

Ile de Gorée t>

Document nO l
- 71 -

FEMMES DAKAROISES D'UN QUARTIER -FLOTTANT-

Mireille LECARME
L'étude qui suit voudrait apporter une première réponse à deux
questions simples: comment les femmes vivent-elles l'espace urbain et
péri-urbain. et de quoi vivent-elles dans cette espace 7 - Formulé
autrement. en choisissant de prendre comme centre d'observation privi-
légié la périphérie urbaine et en entrant dans le regard que ses
acteurs portent sur la ville, nous poserons au préalable ces questions
: à travers l'histoire d'un quartier. quelles stratégies mettent en
oeuvre ses habitants pour l'appropration d'un espace d'habitation -
mais aussi quels choix politiques fait le pouvoir d'Etat à travers ses
interventions ponctuelles? Et à quel modèle se réfère cette politique
: modèle importé ? Modèle autochtone ? Sans conteste cette première
partie: stratégies populaires et politique urbaine. s'intéresse à des
acteurs masculins. essentiellement, constructeurs d'un espace partagé
par hommes et femmes. Dans une deuxième partie nous verrons en suivant
un groupe de femmes du quartier choisi quelles stratégies se laissent
lire à travers leurs pratiques dans cet espace périphérique. celui de
la ville? Comment interfèrent en ces différents espaces pratiques
sociales et activités de type économique. autant de signes à décryp-
ter d'autres modalités de la socialité, de l'économique, d'autres
découpages du privé et du public. En bref: appropriation et pratiques
de l'espace seraient si marquées historiquement et culturellement- la
proxémique (cf Hall, 1966) montre que les distances interpersonnelles
publique, sociale, personnelle. intime diffèrent d'une aire culturelle
à une autre entrai nant d'autres rapports à l'espace. par exemp le au
voisinage, à la cohabitation. à la densité humaine - que politique
urbaine comme planification économique ne sauraient se satisfaire de
modèles importés. ignorant tout de la spécificité des acteurs sociaux.
(document 1 - Plan de Dakar)
Notre terrain de travail est un quartier -flottant" de 6000
habitants environ situé à 10 km à l'Est du centre de Dakar. Nous avons
privilégié l'approche ethnologique, c'est-à-dire l'observation active
quotidienne - après un bref essai d'enquête avec questionnaire. Le
discours des acteurs sociaux est venu en complément: entretiens à
bâtons rompus. entretiens dirigés ou semi-dirigés, dialogues entre
femmes du quartier, éléments d'histoires de vie. L'enquête économique
a consisté en un relevé quotidien des pertes et bénéfices du groupe de
femmes choisi. suivi de nombreux discussions avec elles. Dix huit
heures d'échanges entre marchandes et clientes ont été enregistrées et
traduites. Nous avons pu habiter, à proximité du terrain d'enquête à
Hann-Montagne , quartier, illégal lui aussi, mais bâti -en dur- et non
-en baraques·, ce qui a perm i s à l a foi s de préserver notre repos et
de partager le mode de vie de la population observée.
- 72 -

...-
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~ .. ',~

.::'

HISTOIRE DE DALIFORT
Nous considèrerons les lieux non -comme des formes ayant une vie
propre- mais -comme des objets sociaux chargés d'une parcelle du
dynamisme social total- (Santos, 1978 :70)
De février 1984 au début des années 30, ce sont, au microscope,
les mutations de l'espace urbain périphérique dakarois que nous donne
à lire ce Quartier. D'abord, des dunes avec palmiers et cocotiers,
puis des jardins floraux et maraichers progressivement remplacés par
des baraques. Au début, en 1932, un émigré malien, dogon venu des
falaises de Bandiagara, entre comme jardinier au service d'un Italien
: Ernest Crestan i, propr i éta 1 re de jard i ns maraî chers et floraux à
l'emplacement du Centre hospitalier actuel de Fann, puis sous le pont
de Colobane et dans le bas-fond de Dalifort, occupé alors par un
lIarigot. Cet émigré. Demba Diop (Traoré. au Mali) a voyagé d'abord 3
ans avec son marabout Tiekhoro Diawara au sud du Sénégal : Casamance.
Siné-Saloum. En 1942 Demba s'installe près du jardin de Dalifort dans
une baraque; Ernest a contruit plus haut une maison -en dur- d'un
étage pour sa famille. Elle tranche encore sur ce quartier de bara-
ques. ses pièces ouvertes à tous les vents abritant l'atelier d'un
menuisier. En 1943, Altine Sy, femme de Demba, le rejoint à Dalifort.
quittant la baraque de Colobane après la naissance du fils aYné Abdou-
laye, informateur privilégié dans cette histoire. Altiné aurait été la
première fleuriste sénégalaise. elle vendait à Kermel, au centre-
ville. l'histoire de Demba est très m~lée à celle de la culture ma-
:- 73 -

raîchère dans les Niayes~ (frange atlantique de 25 kms environ très


fertile)~ et à l'exportation vers les marchés européens de fruits et
légumes~ particulièrement les haricots verts~ dans les années 50. En
1948 Demba s'installe à distance du bas-fond dans une baraque habitée
maintenant par son fils aîné exportateur de fruits et légumes de
contre-saison. Trois parents rejoindront Demba~ depuis le Mali~ vers
1946~ presqu'en même temps qu'un frère et un cousin d'Altiné ; la
population de la concession augmente~ et reste homogène ethniquement"
côté masculin Le gourverneur général français aurait~ selon le fils
aîné de Demba~ donné l'autorisation à son père d'utiliser le terrain
qu'i l voul ait à Dal ifort~ au début des années 40 ; il nlen reste pas
de preuve écrite.
Au début des années 60~ un Serer~ travaillant chez un éleveur de
poulets et de lapins~ de l'autre côté de la route goudronnée menant à
Cambérène~ demande l'hospitalité à Altiné en l'absence de Demba~ en
voyage~ et à la suite d'un licenciement. Ses deux femmes et lui seront
à l'origine du peuplement serer de Dalifort. Il se nomme Abou Diop et
nia aucun lien de parenté avec Demba. Il vivra de la culture d'un
jardin partagé avec un parent d'Altiné et de son travail d'ouvrier
agricole de ce dernier. Ses femmes sont toujours fleuristes à Kermel~
il est jardinier à l'Ecole Nationale Supérieure~ après avoir "appr is
comme ouvrier" chez Demba. C'est l'un des deux chefs de quartier
attendant leur reconnaissance officielle~ à Dalifort~ la suite du
texte l'exp li quera.
En 1971 un Toucouleur venait de Grand Yoff vendre sa marchandise
à Dalifort; il la laissait en dépot chez Demba. Ex-iman~ il parlait
religion avec ce dernier et a finalement obtenu de lui une parcelle
(de même qu'Abou Diop). Vers 1972 il a fait venir deux cousins~ loca-
taires à Dakar et~ par contiguité~ de proche en proche~ siest consti-
tué un peuplement toucouleur~ lui-même Tidiane Agne assurant la dis-
tribution de parcelles habitables~ d'abord derrière sa concession en
accord avec Demba. Cette homogéneité géographique du peuplement tou-
couleur subsiste~ dans le quartier. Ce serait en 1975-76 que seraient
apparues les clôtures de tôle autour de la concession de Demba Diop
jusqu'alors ouverte - et dans d'autres concessions - signes d'une
évolution vers la privatisation de l'espace habité~ la population
augmentant (document 2 - plan Etat des lieux de 1976)
Axe ro a.- -- ~- -_ ..
~v-' p, Ro..Je..Io . 01ue.fi:. C q
\.4 1 e.
RIf Ir WI h e..'v re.l ne- -'>

mosquée

JARDINS
- 75 -

Les problèmes de pouvoir, dans l'histoire de Dalifort

De l'avis unaniJTIe, DeJTIba a été Le Fondateur du quartier, son


chef charisJTIatique : il veillait chaque JTlatin à ce qu'il y ait à
JTlanger dans toutes les concessions, sinon aidait à la dépense, n'a
jaJTIais échangé une parcelle contre de l'argent, sur le JTlode JTlercantile
; il échangeait des services, sans évaluation JTlonétaire. Certains le
reJTIerciaient avec 5.000 F CFA, d'autres, 10.000. Depuis 1958, il avait
la certitude que Dalifort serait loti un jour: en effet, alors qu'il
s'apprêtait à déJTIenager dans sa JTlaison de Pikine, son JTlarabout T.Dia-
wara, survenu par hasard, lui avait affirJTIé, apres avoir consulté "1 es
forces JTlystiques" (téJTIoignage d'A.Traoré), la nuit, : "Tout ce qui se
fait à Dakar vous l'aurez ici: l'eau, l'électricité, les JTlaisons. Ce
qui est sûr, clest que Dalifort sera un grand village; je ne sais
quand. Je te conse-ille de rester sur place. "Cette JTlêJTIe révélation,
transJTIise au fils aîné en 1972 l'a convaincu de rester au Sénégal.

Le début de spéculation foncière, discrète, daterait de 1972


ainsi que l'extension du quartier· au-delà des trois concessions des
preJTIiers occupants. La parcelle était payée 10.000, 15.000 CFA. Dix
ans plus tard, les prix avaient décuplé. De 1982 à 1984 les prix de la
parcelle 12x12 sont passés -de 100.000 à 250.000, si ce nlest le" double
: le Ministère de l'UrbanisJTIe ayant interdit toute extension du quar-
tier au-delà des liJTIites qulil a fixées, l'espace siest fait rare.

A en juger par cette preJTIière description, le pouvoir appartient


au preJTIier occupant de la terre - resterait à étudier le rapport de
DeJTIba au pouvoir colonial -. Et ce JTlêJTIe pouvoir augJTIente avec le
nOJTIbre de personnes à qui lion autorise llaccés au sol et à la
construction. Sans titre de propriété, ni perJTIis d'habiter, cette
population est vulnérable et le chef, exposé au conflit direct avec le
pouvoir d'Etat: en 1973, DeJTIba siest affronté violernJTIent au gouver-
neur du Cap Vert venu suivre sur le terrain les opérations de déguer-
pisseJTIent JTlenées à l'aide d'un bulldozer, qui a détruit la partie nord
du quartier. Les habitants ont reconstruit à Dalifort sur d'autres
eJTIplaceJTIents. Il n'est pas interdit de penser que la force etle
prestige de DeJTIba Diop tenaient de plus à un certain pouvoir JTlagico-
rel igieux qulon lui prêtait. Et ceci renvoie à des forJTIes de pouvoir
traditionnelles.

Les problèJTIes de pouvoir à Dalifort, en 1984, découlent de la


succession de DeJTIba.Mort en1974, il s'était entouré de notables,
conseillers qulil consultait avant tou~e ~écision,dont un Toucouleur
: SaJTIba Dieye. Le fils a1né de DeJTIba s'estiJTIant trop jeune et trop
pris par sa profession a décliné la proposition faite par les notables
de succéder à son rère et a proposé qulAbdou Diop, le jardinier serer,
le fasse. C'est de cette époque que date le clivage du quartier en
deux groupes: la plupart des Toucouleurs tenaient à ce que la succes-
sion se fasse dans la faJTIille de UeJTIba;sinon; ils proposaient SaJTIba
- 76 -

Dieye, ce qu'ont refusé les autres habitants. Actuellement une partie


du quartier, serer, ouolof, bambara, joo1a, quelques toucou1eurs,
reconnaît comme chef de quartier: Abou Diop, l'autre, un majorité de
Toucouleurs: Amadou Ly qui a succédé à S.Dieye. Et depuis 1974 ces
divisions s'accompagnent d'une rivalité politique: le nombre de
cartes du P.S. vendues et de comités dépendant de chaque chef permet-
tent au pouvoir préfectoral et politique de mesurer l'audience de ces
deux chefs de quartier leur assise locale le poids de leurs partisans.
Les comités sont homogènes ethniquement, ce qui n'est pas ·le cas
ailleurs à Dakar. Un comité regroupe les Ouolofs, un autre les Bamba-
ras etc•.•De plus l'association d'une "responsabilité dans le P.S. avec
des charges de gestion gouvernementale et locale est vivement encoura-
gée, à tous les niveaux du pouvoir, celui du quartier, celui national.
Ainsi de hauts responsables du gouvernement sénégalais sont tenus
d'avoir en plus de leur fonction la charge de telle ou telle coordina-
tion P.S. c'est-à-dire de tout un secteur géographique.·
Est-ce-que le pouvoir· magico-re1 igieux, charismatique, de Demba
Diop aurait fait place après 1974 à une compétition pour 11 accés au
pouvoir fondée sur les spécu1 attons immobil ières et pol itiques ? La
réalité est plus complexe: que penser de ces chiffres: en 1976 la
population de Da1ifort ne devait pas atteindre 1000 habitants (extra-
polation à partir d'un Etat des lieux ci-joint) ; un recensement
effectué en 1981 p~r la population fait état de 3400 personnes et
c'est 6000 habitants environ que recense l'Urbanisme en 1983. La
compétition pour l'appropriation d'une parcelle où construire sa bara-
que n'a pu qu'exacerber spécu1 ations immobi1 ières et pol itiques a-insi
que 1a ri val ité entre ces deux chefs. Cependant ils se sont toujours
entendus pour se partager équitablement les parcelles à distribuer et
il n'est pas interdit de penser que l'Etat a su utiliser leur rivalité
pour limiter l'extension du quartier - chacun ou chaque groupe exer-
çant un contrôle discret sur l'autre. Nous allons voir de plus que le
quartier a su faire la preuve de ses capacités à s'organiser sous la
responsabilité de ses chefs et celle des notables.
L'investissement humain à Dalifort et l Etat.
l

1976 : ouverture de la premlêre classe primaire dans un local privé, à


11 initiative des habitants. 1977-1983 : construction de 7 classes,
d'abord en "baraques", puis en briques (non cuites) - selon le même
processus dit "d'investissement "humain". 1981 : construction du
dispensaire et du logement du médecin. Tout ceci aux frais des habi-
tants et avec leur travail, ainsi que la première mosquée, la chapelle
et une borne-fontaine. La stratégie des habitants ·est celle-ci: ils
construisent d'abord en demandant 11 autorisation d'occuper un parcel-
1e, offi ci e11 ement, pui sil s informent l'autorité compétente que 1es
locaux sont prêts à être visités; ultérieurement ils recevront le
personnel requis payé par l'Etat: instituteurs, infirmiers, par
exemple - ce qui ressemble à une reconnaissance officielle du quartier
comme telle. Qu'est-ce que l'Etat a fourni comme équipements, locaux,
- 77 -

dans ce quartier? Il a construit une classe avec un finance~ent exté-


rieur et, à la suite d'un ~eeting politique du P.S. à Dalifort, un
ho~~e ayant soul evé le problè ~e du te~ps passé par l es fe~~es aux
pu it s , vu leu ras sè che ~ en t dû à lac roi san ce de l a pop ulat ion, 4
bornes-fontaines ont été constr~ites aux frais de la ~unicipalité de
Dakar. Cet ho~~e a joué sur la compétition politique entre deux ho~~es
responsables gouverne~entaux et cadres du P.S., égale~ent soucieux
d'étayer locale~ent leur base électorale pour a~éliorer leur position
dans le gouverne~ent.
Dans la plupart de leurs rapports écrits ou oraux avec l'Etat les
chefs de quartiers et notables ne ~anquent pas de rappeler que leur
quart i er a su se doter l ui -~ê~e d'équi pe~ents (coOteux) prouvant par
là sa cohésion et son aptitude à gérer par lui-~ê~e ses propres
problè~es. (docu~ent 3 = lettre des habitants de Dalifort)

Messieurs, le Délégué et Notables Dakar, le 13 Février 1984


du Quartier Dalifort.
DAKAR
A Monsieur, Le Gouverneur de la
Région du Cap-Vert.
DAKAR
sic de ~onsieur Le Préfet de la
Pre~ière Circonscristion du
Cap-Vert.
DAKAR

objet: REALISATIONS ET DOLEANCES.


Monsieur Le Gouverneur,
Notre principal honneur consiste à ~ettre à votre appréciation,
le contenu du présent texte relatant des réalisations et des doléances
les plus ardentes.
Chaque éVène~ent national susciste des principes et des a~bitions
qu'il s'aVère nécessaire effective~ent de ~ettre à la disposition des
Personnalités co~pétentes que vous êtes.
Les principes de Dalifort, c'est de réaliser personnelle~ent ce
qui est indispensable à la Société hu~aine, sans attendre les bien-
faits d'un Gouverne~ent qui a besoin i~~uable~ent d'être secondé. Ses
a~bitions se ~anifestent par l'exposé de ses doléances, quand il le
faut, sur des faits bien déter~inés dépassant ses co~pétences.
- 78 -

En effet, le quartier Da1 ifort a un demi siècle d'existence et


au cours de ces dernières années, il a pu se construire personnelle-
ment une Ecole Publique de Sept classes auxquelles le Gourvernement
avait ajouté une huitième.
Les populations de cette localité n'ont pas omis de construire
même un dispensaire plus un logement de médecin, une cinquième borne
fontaine après les quatre qu'avait implantés l'Administration Publique
Sénégalaise. .
A partir de ces réalisations typiques, le Gouvernement du Séné-
gal, de son ministère d'Urbanisme et d'Habitat, avait érigé du Dos-
sier, au compte de Da1ifort, qu i1 présenta à la Conférence de Mani1-
l

1e, au cou r s de ce s der niè r es an née s ; ce c i no usa men.a it à des en -


quêtes de lotissement, effectuées par les Nations Unies et à un recen-
sement de la Population de cette localité qui compte sept mille habi-
tants (7000) environ, ayant un même Parti Politique, le P.S. et les
mêmes options sociales, civiques consistant à souten~r les actions du
Gouvernement Socialiste, derrière le Président de la République Abdou
DIOUF, Le Ministre de la Santé, Mamadou DIOP pour que le Sénégal aille
de l'avant.
Notre Préfet, l'honorable Adama THIAM, devant toutes les situa-
tions relatives à la portée de notre citoyenneté, a toujours voulu
être notre lanterne dans la légalité des faits relevant de ses compé-
tences de Chef préfectura1.
Il s'agit donc maintenant, de vous demander d accé1érer les opéra-
l

tions de notre lotissement, de remettre aux différents propriètaires


du quartier, des titres de propriété, d'organiser une visite: parti-
culière à Da1ifort car, politiquement, nous sommes considérés un
quartier unique avec HANN/MER mais, Da1ifort est un quartier indivi-
duel se trouvant séparément à cinq cent (5000) mètres de HANN.
L'Administrateur Municipal, Monsieur Oumar CISSE est remercié et
félicité de ses premières impressions d'efficacités, par toute·notre
Population.
Nous affirmons avec fermeté que l'oeuvre que nous avons
entreprise à l'aide de nos premiers Responsables Administratifs,
aurait sa continuité sans entrave, avec votre présence de Responsable
ambitieux d'actions.positives et de bienveillance humanitaire, vis-à-
vis des citoyens qu'il vous est toujours fréquent d'administrer.
Selon votre esprit de bon père de famille que nous savons, le
collectif a toujours pu utiliser son superlatif sur le particulier en
général.
C'est cette raison qui nous amène à mieux compter sur vous, €t de
façon absolue puis immaculée, pour la résolution favorable de nos
problèmes d'urgence, prédi1ectionne1s.
- 79 -

Veuillez agréer, Monsieur Le Gouverneur, nos doléances, les


plu s ardentes.

LA POPULATION.
Amadou LV Abdou DIOP

Il faut avouer que cela attire le respect aussi bien de l'observateur


étranger que de l'Etat sénégalais un dernier exemple: l'incendie de
Fass-Paillotte;-"bidonville intra-urbain survivant aux vagues de dé-
guerpissement- en février 1984, a incité les habitants de Dalifort à
faire des rondes de nuit, par équipes, de une heure à 4 h du matin,
tout en demandant à la gendarmerie d'aider à cette surveillance.
On note cette stratégie première d'autoorganisàtion locale suivie
de la démarche appropriée auprés des autorités concernées. Parler ici
de "spontanéisme populaire" c'est signifier une propension à compter
d'abord sur l'association entre habitants. En effet l'occupation
précaire de cet espace habité donne à tous le sentiment qigu des
ambiguités de la situation face au pouvoir d'Etat et aux ambitions des
promoteurs. Il faut ajouter que l'obtenti on de l'eau courante (5
bornes-fontaines - 6 000 habitants) constitue un enjeu si crucial
qu'elle suscite une compétition immédiate pour le pouvoir entre hommes
politiques en lice. Le pouvoir politique appartient à qui procure
l'eau à la collectivité, pourrait-on dire. Curieusement, les femmes, à
l'écart, sauf rare exception, du débat politique et électoral, se sont
transformées, à l'occasion de ce problème quotidien vital, en groupes
de pression efficace - l'entremise des hommes permettant de donner à
leur parole une audience officielle. Si- objectivement - la place des
femmes dans la gestion du quartier est inexistante - une femme notable
n'est pas pensable - elles peuvent ponctuellement depuis leur
pratique quotidienne de cet espace affirmer parfois leur poids •.•grâce
à un ou des intermédiaires masculins. Quant à l'Etat et à ses divers
rouages, toutes les fois qu'il dote ce type de quartier d'équipement,
de personnel (infirmiers, instituteurs) - volens nolens- il leur
reconnaTt de fait une part de légitimité, comme un droit d'exister et
d'accéder à certains privilèges de l'urbain.
En conclusion, cette population occupant soit des parcelles du
Domaine national, soit celles de privés disposant de titres de
propriété a-t-elle l'espoir de voir peut-être aboutir sa demande de
lotissement, (cf document joint) si grand est son acharnement à se
faire reconnatre. Mais il est à craindre que les normes des urbanistes
détruisent les formes de soci al ité que permettent ce type d'habitat
léger, ces ruelles ne dépassant pas 2 à 4 m maximum et que l'on
voudrait porter à 8 m au moins sur tout le lotissement. Il est à
craindre aussi que de nombreux locataires soient expulsés à 15,20 kms
de Dakar-centre, que les litiges fonciers durent.
- 80 -

DES FEMMES. UNE VILLE. ESPACES DE SOCIALITE. ESPACES D'ECHANGES


ECONOMIQUES

Le quotidien au ~icroscope.

Que dire des femmes dans cet espace urbain que l'Etat tolère,
reconnaît partiellement, équipe quelque peu, mais aussi menace de
déguerpi ssement ou promet à des opérations de lotissement, c'est-à-
dire de restructuration spatiale accompagnée d'équipements de base, de
servi ces, par ex. la voi rie permettant le rammassage des ordures ména-
~res.

Une part importante de leur travail domestique consiste à supléer


les équipements ou services absents. Pas d'adduction d'eau à domicile,
e 11 es pOl" t ent 15 à 20 l die au par j bu r par habitant, c'est à di r e 200
1- 150 l pour la famille type de 10 personnes. Pas d'évacuation des
eaux sales, elles portent les eaux de vaisselle et de lessive à la
périphérie du quartier plusieurs fois par jour. Pas de ramassage des
ordures, sinon sur la partie longeant la route de Cambéréne, elles
portent donc les ordures au~delà de l'espace habité du quartier.
Celui-ci est d'abord un lieu parcouru avec des 'charges portées sur la
tête, pour les femmes comme pour les filles dés l'âge de 5-6 ans.

1
- 81 -

Nous avons choisi, au départ, de travailler·sur deux groupes de


femmes de ce quartier ayant une activité économique régul ière : les
marchandes de fleurs allant à Kermel vendre aux Européens et les
marchandes de poissons frais assurant l'approvisionnement du quartier;
notre travail porte pour l'instant essentiellement sur le deuxième
groupe.
Nous avons privilégié l'approche ethnologique parce que la plu-
part de ces femmes n'ont pas de discours personnel sur leur vie,
surtout pas en réponse aux questions d'une étran~re. Le quotidien est
ce qui va de soi: liOn a toujours fait comme ça ll • liCe que tu es
obligée de faire, tu le fais; c'est tout! liCe qu'avouent parfois les
femmes, c'est: "Au Sénégal, les femmes sont fatiguées ll • Cela résume
de longs discours. Devant cette absence de discours réflexif des
femmes sur elles, non par impossibilité absolue mais par réticence
apprise, conduites ritualisées devenues une seconde nature amnésique
de ses conditionnements premiers, la méthode inductive nous a semblé
préférable.
Plutôt que de procéder par la juxtaposition de plusieurs études
de cas, nous avons préféré, ici, décrire par le menu le parcours
moyen, d'une marchande de poissons fictive réunissant les traits
dominants de ce que nous a semblé être une marchande de poissons à
Dalifort, de type moyen. Voici son parcours de l'espace urbain, le
temps d'une journée, de l'espace domestique au marché de gros du
poisson et au quartier, puis à la maison.
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B - PLAN DU MARCHE DE LA OUEUL~"


TAPEE
- 83 -

6h15-6h30- Lever; ablutions, prière du matin.


A l'arrêt du bus (1) et des car rapides à 500 m de son domicile,
avec sa bassine plastique de 251itres, son seau de 10 1 au cas où il
y aurait abondance de poisson bon marché, un carré de toile de jute.
7h30 Arrivée au marché de gros de poissons :Gueu1e Tapée ; camionnet-
tes, camions sont garés le long des trottoirs, propriété des mareyeurs
OU-10ués au coup par coup. A l'arrière des véhicules les marchandes se
pressent pour voir le poisson'et s'informer des prix. Du fond des
camions les videurs poussent le poisson dans la rangée de caisses de
p1astiqu~posées sur le goudron, d'une contenance de 40 kgs. Les
porteurs employés par le mareyeur ou son commissionnaire déplacent les
caisses au fur et à mesure de leur remplissage, ou les vident sur le
sol, ou les bassines ou paniers de fibres de ronier des marchandes,
une fois l'affaire conc1 ue ; d'autres porteurs à l'affût se proposent
aussitôt à celles-ci, la tête couverte d'un sac de plastique ou d'un
bonnet de laine, un bout de carton à la main en guise de coussin de
tête: "Je te porte le poisson; 50 F - Non, 25 - C'est une caisse
entière! - 25! "Résigné, le jeune garçon charge le panier dégouli-
nant sur sa tête avec l'aide de la femme. Fatoumata a fait le tour du
marché, croisé des marchandes de son quartier, elles se sont
rensei gnées mutuell ement. Ell e va acheter des yaboi tass (sardinell e
plates), comme presque tous les jours. "La caisse, combien? - Donne
ton prix! - 2500 - 5000 ! Je n'ai que 2500 ; "Elle montre les billets
; quelquefois cela convainc. "-5000 f ; c'est le prix! Hier, on
aurait pu discuter." Elle demande à la cantonnade : "Qui veut partager
une caisse avec moi ?"Aussitôt une femme qu'elle ne connaît pas se
propose, e11 e rassernb 1e 1es bi 11 ets ; un porteur verse 1a ca i sse à
même le goudron luisant de boue et détritus; les balayeurs de la
SOADIP éviterait-ils ce marché, ainsi que quelques autres? ("Le
Soleil" 24/4/84). Il était temps d'acheter; à cette heure on falt
dégager la chaussée - revendeurs de têtes de gros poissons, ou de deux
ou trois thiofs-fausses morues, doi-mérous, beur-courbine, ou commis-
si onnaires, .mareyeurs exposent 1eurs gros poi ssons sur des carton ou
toiles plastiques, au sol; non loin de là un mareyeur veille, recon-
naissable à sa sacoche de cuir sur l'estomac et aux liasses de bil-
lets qui lui sont remis au fur à mesure.
Fatoumata et l'inconnue partagent le poisson en deux tas: elles
trient d'abord les plus gros poissons, deux par deux en les soupesant
et comparant leurs longueurs, puis de la même façon elles répartissent
les autres poissons. Alors, l'une prend son bracelet, l'autre une
écorce d'orange qui traînait ; un passant arrêté au hasard va déposer
chaque objet sur un tas, évitant toute discussion sur l'attribution du
poisson. Les porteurs qui veillaient les aident à remplir prestement
leur bass1ne tapissée de la toile de jute qui nouée aux quatre coins
retiendra le poisson; la bassine sur la tête ils partent en courant
(l) Nous soulignons tout ce qui fait apparaitre la division des
emplois dans la filière du poisson et les stratégies.
- 84 -

dans la direction indiquée, se frayant un chemin à travers la foule


par quelques apostrophes, suivis de loin par la marchande qui craint
d'être trop distancée et s'essouffle à les rattraper. "Tiens! 25 F JI'
(Tous les prix sont en F. C.F.A.)
8h20 Fatoumata retrouve les habituées de ce lieu de départ des cars
rapides et échange les salutations rituelles. Puis elle vide son
poisson dans le premier récipient venu et le transvase dans sa bas-
sine en le comptant; puis elle calcule. En Ouolof. le calcul des prix
se fait toujours à partir de la base de 5 F. Tout un chacun est
entraîné à la multiplication par 5. "120 poissons; si je vends l'un à
25 j'aurai 3000 F. Donc je vais vendre les gros à 30 au début, après à
25 et le lot de trois, deux petits dessous, un moyen au-dessus, à 50
F."
8h30 Marie-Angélique l'interpelle et lui raconte: arrivée avec 1500 F
elle ne pouvait acheter que des lots de 3 poissons à des revendeurs,
hommes ou femmes: des ouass ou des guiss, carpes et mulets, comme
les aiment les Joola, - mais en si petite quantité! Alors elle a
emprunté à un trêteur clandestin qu'on lui avait montré un jour, il
circule à moby ette. 5000 F. Elle a intérêt à le rembourser vite, car
elle lui paie 250 F d'intérêt par jour tant qu'elle ne lui a pars
remboursé l'intégralité de la somme. Elle a pu acheter une caisse de
diaï noirs (chinchards) ; il lui reste 500 F. Fatoumata les lui
emprunte aussitôt et achète, après avoir marchandé, plusieurs lots de
petits sompat (carpes blanches) et pageots-peut-être réalisera-t-elle
un bénéfice plus substantiel avec ces poissons très prisés qu'avec ses
très ordinaires yaboï tass, poissons de "pauvres", dont il est à peu
près impossible d'augmenter le prix de gros. 5000, la caisse ou 10.000
CFA ce sera toujours : le gros, l'un a 35,40, le moyen à 25,30 et le
tas de 3 à 50 F CFA - sauf rare exception - en début de matinée, puis
vers 10h30 ce sera la vente ~ lots de trois, au détriment de la
vendeuse et pour plus-Qrande bénéfice du-riep bu dien (riz au poisson)
familial quotidien ou bi-quotidien; le soir la vente se fera même ~
4 à 50 s'il y a concommitance entre l'abondance du poisson et des
marchandes. A ranger du côté des pertes financières et du bénéfice
moral symbolique ~ yaboï-cadeau, par lot de 3 "non-yaboï" achetés,
plus coûteux.

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- 85 -

8h40 Elle commande rapidement à sa "dibiterie" habituelle un café au


lait (eau chaude, Nescafé, lait Nestlé sucré, sucre), transvasé dans
une boîte Nestlé vide, pour le boire pendant le transport à Dalifort,
et 25 F de pain plus du beurre ou de la mayonnaise; au total, 150,
175 F. D'autres fois ce sera des pâtes et viande en sauce ou du
couscous de mil à la viande. Elle rejoint son car rapide et s'entasse
avec ses collègues parmi les paniers et baSSTnes-au sac de jute noué
très serré au-dessus du poisson pour en camoufler la quantité et payer
moins cher le transport. Marchandes de la périphérie, comme elle,
chauffeur, orteurs, bavardent, seplalsantent entre "cousins"
d1ethnie diff rente orme de parenté à plaisanterie codée), enton-
nent des chants religieux; les querelles finissent dans le rire.
Déposée au carrefour le plus proche de son marché (500m) Fatoumata ne
portera aujourd'hui que 30,35kgs, sur 500m. Il lui arrive d'en porter
60.
9h Sa fille de 10 ans Astou l'attend à la lisière du quartier; elle
la <M'"charge de quelques kgs transvasés dans le seau, comme tous les
jours sans école. Astou a avec sa soeur aînée fait déjeuner auparavant
ses frères et soeurs, fait la vaiselle de la veille et du matin,
balayé et tamisé le sable de la cour familiale comme celui autour de
la table de sa mère au marché, porté un seau de 101 d'eau pour laver
le poisson, aspergé d'eau l'étal maternel et disposé dessus toile
plastique, toile de jute, toile plastifiée, déposé le couteau, la
brosse à écailler, la planche à couper et mis en place le tabouret,
voire le verre et l'ampoule de produit vitaminé.
Une cliente aïde la mère à déposer sa bassine et à sortir le gros
poisson,'à le laver. Fatoumata met d'un côté les gros yab01, de
l'autre les tas de sompats, de pageots, et enfin près d'elle les lots
de yaboT - du plus cher, côté cliente, au moins cher, côte marchande;
à sa droite, en vrac les yabo·':cadeau sacrifiés au commerce. Silen-
cieuses, les clientes assistent à l'opération, prennent délicatement
par la queue le poisson ou le tas de leur choix, le déposent dans leur
"bol", leur calebasse ou leur seau de plastique - on entend juste:
"Ca, combien 1", un signe de l'index à l'appui. "Diminue! "- Je ne
peux pas la caisse était à 5000 " - Le ton est ferme, la cliente
hésite, prend le poisson, le soupèse, puis le met dans sa calebasse.
L'étal bien rempli, Fatoumata va écailler, vider le poisson de cha-
cune. L'hivervage précédent, les "grosses" marchandes refusaient d'é-
cailler les yaboT, comme le font les "petites" ; la concurrence les a
rendues moins intransigeantes sur le service accompagnant la vente.
Tout poisson jeté devant la planche de Fatou est considéré comme
acheté, le marchandage, terminé. Elle écaille, vide, encaisse,
rembourse, envoie sa fille chercher la monnaie, va déposer des yaboT
sur l'étal d'une vendeuse qui n'en a pas et a déposé chez elle et les
voisines une espèce différente; elles se rembourseront mutuellement
en fin de marché. Une accalmie. Elle s'assied enfin; son fils d'un an
l'a rej oi nte porté au dos par 1a ieu,ne soeur de Fatou ;lf"ans, de même
père qu'elle. Il pleurniche; el e ui donnele sein; il continue à
- 86 -

pleurnicher: il lui faut 5 F pour une gourmandise. Pendant un temps


elle fera la sourde oreille; une voisine donnera satisfaction à
l'enfant. La fille de la marchancreële beignets a distribué aux "abon-
nées" les 3 beignets habituels ou 5 ; Fatou commence à en grignoter,
partage avec les enfants, la voisine.

10h15 Arrivée de l'employé municipal : son père contrôleur du marché


voisin s'est déchargé sur son fils de ce petit marché. Il échange un
ticket contre une taxe de 25 F pour les marchandes de 1égumes et 50
pour les marchandes de poissons, au lieu de 50 et 75 ; ce marché,
squat tant pro v i so i rement un terra in pri vé, n'est pas nettoyé par 1a
SOADIP ; les mar·chandes se cotisent pour payer des jeunes à creuser
une fosse où sont enfouis les détritus, périodiquement. Peu de clien-
tes, aujourd'hui; le mois, pourtant, n'est pas ·creux" ! (après le 15
beaucoup s'endettent) ; ce n'est pas la fin du mois: on trouve huile
et riz dans le quartier et au prix normal. Ce doit être à cause des
vendeuses de poissons d'ici et d'ailleurs qui sillonnent le quartier -
sans payer la taxe; "e11es nous volent nos c1ientes."
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- 88 -

Elle met tous les yaboï par lots, les redistribuant tous: gros,
moyens, petits, mêlés équitablement. Elle va perdre, elle ~ sait.
Elle s'active à faire et refaire les lots, guette c ientes, amlE!s
parents; rarement elle les appellera pour les inviter à acheter, elle
les saluera et attendra. liA chacun sa chance. C'est Dieu qui décide
Sa fi 11 e va chercher l es ln gr êcl i en"fS pour 1e repas, e 11 e pa i er a en
Il

fin de marché ou, ayant IIfait crédit" à une marchande légumes improvi-
sera ce jour le troc: poisson contre légumes et ingrédients divers.
Aïssata, sa fille de 14 ans, arrive, le ménage terminé; elle ira
préparer Te repas :3yaboï, 1 kg 500 de riz, 3/4 de litre d'huile,
etc
11h15 Inutile d'attendre midi pour ~ tirage de ~ tontine vu la
rareté des clientes. Soda passe rammasser les cotisations: 50 F, par
part; on peut prendre plus i eurs parts, let i rage a lieu chaque jour
sur le marché. IITu as deux parts; tant que tu ne l es a pas touchées,
tu mets ta paire de chaussure, un enfant tire au hasard une chaussure.
Tu auras 3000 F. Il y aura un tour de plus pour la responsable, ce
sera son bénéfice Marie qui a acheté pour 3 500 et vendu pour 1500
ll

traverse le marché en dansant et chantant: IITu vends! tu perds!


•• tu vends! tu perds!" Toutes l'accompagnent en battant des mains,
certai nes lare lai ent en dansant un instant, les battements s' accél è-
rent alors. Marie: IIJe farce; je sabote (en français c'est-à-dire:
Je provoque). Mes yeux pleurent mais on ne voit pas mes larmes ll

11h30 Calme plat; bavardage entre marchandes; on fait ses comptes.


Demain et peut-être tout le mois Fatou se lèvera à 5 h du matin pour,
profitant de la camionnette de son parent livreur de pain, se rendre
gratuitement à Gueule-Tapée. Ellëlfolt 15.000 F de loyer: 2500 F pour
sa chambre chaque mois - 2 parents, 4 enfants; 2 autres sont au
village avec sa mère: là-bas pas besoin de payer 2500 F pour partici-
per à la construction de l'école! Son premier mari lui verse comme
pension alimentaire pour 3 enfants 5000 F. Il va falloir atteindre la
fi n du mo i s pour l es toucher • ~.su!i emprunter? E11 e a déj à touché
les 45.000 F de ~ grande tont i ne ; tout esta 11 é au mar i age de son
frère-elle se doit de l'aider comme soeur aînée et il demande encore
de l'argent pour conclure le mariage. Alors une prêteuse du quartier?
5000 F d'emprunt, 250 F d'intért par jour en 20 jours celTe et aura un
intérêt de 100 %. Voici plusieurs mois que Fatou a perdu le sommeil ;
son mari, licencié de la Conserverie de poissons, travaille comme
journal ier, dans un entrepôt de matériau' de construction un jour tous
les 7 ou 8 jours et lui donne,à l'occasion, 1000 ou 1500, au grand
maximum. Il est vrai qu'elle n'a qu'un enfant de lui, le dernier;
trois sont morts-nés prématurés quand elle travaillait à la
Conserverie de poissons.
12 h passées: elle rentre chez elle et s'affaire: faire la sauce,
finir la petite lessive quotidienne laissé inachevée par sa fille
aînée, donner un coup de balai à la cour; sa fille aînée, élevée par
la grand-mère, ne met pas beaucoup d'enthousiasme à effectuer la
ménage, contrairement à la seconde élevée par elle. Le repas est cuit
- 89 -

dans l'espace CU1Slne, baraque rudimentaire, partie au bois pour le


riz au poisson, partie au charbon de bois sur un fourneau malgache,
pour l a sauce; il est pri s dans l a chambre, sur une natte, l'ouver-
ture de la porte étant protégée contre la malignité des regards étran-
gers par un rideau de cotonnade, la fenêtre de même.
14h Elle fait une grosse lessive, la troisième de la semaine. Cela
fait deux bassines supplémentaires de 251 au minimum à apporter
propres et aller vi der à la lis i ère du quart i er. Après, elle i ra au
jardin braiser ses yaboï avec de la paille pour en faire du ketiakh,
poisson braisé entier et séché au soleil (photos 10) ; elle y gagnera,
plutôt que de chercher à l'écouler en fin d'après-midi sur le marché
ou dans la rue principale, à perte, vu l'abondance et la concurrence.
Elle le vendra à une marchande de légumes, au kilo. Son jardin, sur un
terrain squatté, est vide à la saison sèche; à l'hivernage elle y
récolte du bissap (oseille) des tomates-cerises pour la consommation
fam il i al e-l e temps pendant l eque l on lui lai ssera occuper l a terre
librement. Dès qu'elle aura un bénéfice de 1000 F avec le poisson elle
ira acheter des oranges au marché Syndicat de Pikine ou des tomates, à
Thiaroye-se joignant à plusieurs vendeuses pour acheter le même sac à
se partager. Elle les revendra à l'unité ou par trois, avec l'aide de
sa fille aînée, devant l'école ou aux angles des ruelles.

17h30 Elle rapporte le ketiakh chez elle; comme toutes les femmes, le
ménage terminé, elle prend sa douche, derrière l'abri de tôles rouil-
lées-un seau de 10 l d'eau. Après elle bavardera avec des voisines et
réchauffera le riz au poisson de midi et la sauce, pour manger vers 20
h après la prière. Se levant tôt elle se couchera peu après 21 h.
- 90 -

Elle n'emmène jamais de bébé au dos à Gueule-tapée, certaines le


. fon't mais sont obligées de diminuer leur charge de poissons, surtout
s i e l les von t ven d r.e ,d e p 0 rte e n p 0 rte dan s les
lotissements de type SICAP ou au marche Castor, éloigné. Si elle
n'avait pas transformé s.on poisson elle aurait pu le faire vendre, le
soir, par sa fille; beaucoup le font et rejoignent leur fille sur le
marché ou la grand rue, une heure après, le temps de finir un travail
domestique, ou le thé partagé avec des amies ou parents.
Cette journée très ordinaire dans la vie de Fatoumata est marquée
par l'absence de temps d'inactivité, il s'agit, au mieux de pauses
dans une activité. Les qual ités principales attendues d'une femme,
dans ce milieu qui reste très marqué par les valeurs traditionnelles,
'sont, en effet: le courage et la patience dans l'adversité,
l'endurance (et l'éducation des petites filles vise à les aguerrir
contre la fatigue en les mettant tôt au travail), le respect des
hommes voisin de la crainte silencieuse. Une femme ne sera justifiée
d'exister que si elle ne ménage pas sa peine pour son mari et ses
enfants, et plus largement la famille élargie.
"Si un enfant réussit bien dans la vie, les gens diront: "Sa
mère a bien travaillé." (Fa D.) Cette petite phrase rituelle signifie
une conviction profonde: la mère est directement responsable, dans le
moindre de ses comportements, de la réussite ou de l'échec présents et
à venir de ses enfants. Toutes les qual ités mentionnées ci-dessus se
résument dans la valeur-clef: le travail, condensé de fécondité,
prodlJct i vité économi1que, product i vi té marchande.
- 91 -

PARCOURS URBAINS QUOTIDIENS ET STRATEGIES COMMERCIALES


Pour l'achat de leurs poissons, deux stratégies s'offrent aux marchan-
des de Hann-Dalifort : se fournir au marché de gros de Gueule-Tapée, ou
sur la plage Hann où est débarquée des pirogues la pêche artisanale.

L'accés à Gueule-Tapée se fait en bus, ou car-rapide (privé). Les


-intermédiaires sont des mareyeurs, leurs commissionnaires, des reven-
deurs, ou des femmes lébou dont les maris sont pêcheurs, à Yofff
essentiellement. Le poisson provient du port de Dakar, de St louis,
de la Petite Côte, du Siné-Saloum, à raison de 72 % assuré par la
pêche artisanale et 28 % par la pêche industrielle (Cormier, 1981). On
y trouve du poisson pêché la veille ou datant de 1 à 3 jours conservé
dans la glace pilée, du poisson congelé. L'espace des rues est occupé
de 5 h jusque vers 8h30 par les camions et camionnettes, le matin et
une foule dense de marchandes en quête de poissons, leurs interlocu-
teurs sont des hommes. Sur les trottoirs, jusqu'à cette heure le
marché de gros appartient encore aux hommes, à l'angle de la rue 55 et
du Boulevard de la Gueule-Tapée, supplantés peu à peu par des femmes
revendeuses de poissons au détail et de légumes, après 8h30. Le trot-
toir des femmes lébou, à l'angle des 55 et 58, rapelle le rôle tou-
jours actif de ces femmes assurant traditionnellement la commerciali-
sation de la pêche familiale, sans autres intermédiaire. M.C Cormier a
dénombré 5 femmes sur 62 mareyeurs interrogés; elles le sont par
"tradition famil iale. 4 sont lébou, une ouolof. "(Cormier, 1981 : 22).
Ainsi, le poucentage des femmes mareyeurs est infime, sur ce marché,
alors que les' revendeuses de détail représentent environ 70 % des
détaillants dont 17 % de femmes de pêcheurs lébou et au total 25 %de
femmes de pêcheurs prises dans un circuit de distribution distinct, de
type familial.
L'espàce du marché aux poissons de Gueule-Tapée donne à voir, en
partie, la hiérarchie socio-économique de la filière du poisson et sa
division sexuelle, quotidiennement, dans l'unité de temps d'une mati-
née: en simplifiant, de 5 h du matin à 8h30, le marché de gros, les
hommes à la vente, les femmes à l'achat pour revente (beaucoup ne
quittent plus leur quartier avant le dernier appel à la prière, vers
6h45, par crainte des "brigands" - l'insécurité urbaine est un fait) ;
aprés, les rues se vident des camionnettes et des mareyeurs et les
trottoirs voient se substituer aux derniers revendeurs ou commission-
naires, debout près de leurs paniers et gros tas de poissons, les
détaillantes assises sur leurs talons auprès des alignements de lots
de trois poissons bien rangés ou de tas de poisson plus gros, en vrac,
revendant aussi bien aux détaillantes d'autres marchés qu'aux ména-
~res, femmes à la vente au détail, femmes à l'achat. Subsisteront
que l ques revendeurs mascu lins et surtout les porteurs, présents tout
au long du marché. L'ordre d'arrivée dans le temps est proportionnel
au capital investi dans l'achat et le transport du poisson, les hommes
d'abord, l es femmes ensuite.
- 92 -

Quelle stratégie pousse les ~archandes de Da1ifort à aller à


Gueule-Tapée plutôt qu'à Hann-P1age ? D'abord ce ~arché de gros du
poisson offre une plus grande variété de poissons grâce à l'apport de
la pêche industrielle cherchant le poisson en eau plus profonde.
Ensuite, au dire des fe~~es, le poisson, vendu dans la glace pilée se
conserve ~ieux ; on a vu qu'il peut avoir été pêché jusqu'à trois
jours avant de trouver acquéreur .•. Slil est plus cher qu'à Hann,
souvent, ce serait co~pensé par ces avantages. En fait, il se~b1erait
que les ~archandes trouvent sur ce ~arché un supp1é~ent de citadinité,
de professionna1ité renforcés par les réseaux de socia1ité en elles.
Elles s'approvisionnent de la périphérie vers le centre au plus
gros ~arché de la capitale, à quelques kno~ètres seu1e~ent du Pla-
teau, centre politique, ad~inistratif, financier, culturel. Une fleu-
riste de Da1ifort vendeuses au ~arché Ker~e1, au centre-ville, disait
: "Je ~e sens plus de valeur ~ans ce que je fais que dans ce que
faisaient ~es parents parce que les Européens pré~rent les fleurs et
cela rejaillit sur ~oi" (Nogoye). le centre est un espace ~arqué
encore actuelle~ent par les Européens; il est plus valorisant d'en
approcher que de rester à Hann. Le circuit de distribution du poisson
par ~areyeurs interposés, de plus, con~re un supp1è~ent de ~odernité
professionnelle: on est pris dans un réseau de co~~ercia1isation qui
va de Saint-Louis au Siné-Sa10un et à Ta~bacounda en passant par
Dakar. Cependant les cartons de surgelés forcent les habitudes de
conso~~ation, côté clientes et rencontrent des réticences: la ~oder­
nité a ses 1i~ites. Il n'en reste pas ~oins que ce ~arché, consta~~ent
boueux et fort peu nettoyé~ situé le long d'un égout à ciel ouvert,
offre une ~odernité toute sy~bo1ique, distincte du cadre concret de
son fonctionne~ènt.
De plus ce qui "attire à Gueule-Tapée régu1ière~ent une partie du
groupe de ~archandes suivies disposant de plus de liquidités, c'est le
réseau qulelles ont constitué. A elles cinq, dont trois ont été par~i
les premières poissonnières à approvisionner Da1ifort, elles se sont
associées avec des détaillantes de poissons de Ca~bérene déjà "abon-
nées" avec un chauffeur de car rapi de pour 1e trajet de retour: 3 F
pour chacune et son poisson, qu'elles soient 5 ou 15 et ceci tous les
jours. On lès dépose â 200~ du ~arché de Da1 ifort. La fréquentation
prèsque quotidienne de ce car rapide en a fait un espace de soci~lité
qu'elles se sont appropriées ainsi que l'espace proche du départ habi-
tuel, banc de ci~ent où s'asseoir, devant lequel déposer les bassines
de 40 kgs et davantage, et èo~pter le poi sson pour l a revente; cet
espace siest étendu à la ndibiterie" voisirie, en "dur", attenante à
une ~aison, où une fe~~e sert dû café au lait, du pain, beurre,
~ayonnaise sur une table haute,- à l'européenne, bordée de" deux bancs,
et grâce à une bouteille de gaz, ce qu'aucune ne posSède. Cette stra-
tégie d'association aboutit à l'appropriation quotidienne et provi-
soire d'une part d'espace urbain, cu~ulant les fonctions "de lieu de
pause, de repli pour fixer ses prix de vente, de rêstauration et
d'échange. Le car rapide reprendra" ces fonctions sauf la seconde,
ajoutant la possibilité du chant collectif c'est-à-dire la conscience
- 93 -

pratique d'une unanimité, dans le champ de la croyance religieuse. Les


invitations aux cérémonies entre les femmes de Dalifort et celles de
Cambérène prouvent la force de ce réseau relationnel, de même que par
exemple telle photo montrant deux amies vendeuses en grand boubou avec
le chauffeur du car rapi de fa ite par 1e photographe voi sin, de Hann,
un jour de fête. Ainsi, les relations se poursuivent au-delà du temps
et de llespace obligés des interactions quotidiennes liées à des-
contraintes spatiales et économiques.
A noter aussi: l'adoption du petit-déjeûner à la française, à la
"dibiterie", signe, comme la table oD lion y déjeOne, de la prégnance
du moœle importé, alimentaire et mobilier associée. Arrivées à jeûn
(1) à Gueule-Tapée ces femmes s~offrent par ce type de consommation un
supplément de distinction à laquelle le beurre ajoute une marque
superlative. A la maison le petit déjeûner est à base de quinquiliba
(tisane) sucré, de pain, de lait en petite quantité, mais aussi des
restes du repas du soir. Cette distinction est d'autant plus apréciée
qu'elle contraste avec le marché de Gueule-Tapée: sa boue et ses
détritus, le poisson et ses odeurs fortes, la cohue anonyme, le "cha-
cun-pour-soi de la relation marchande d'une part et la maison: le
ll

cadre domestique quotidien lieu des obligations, des services domesti-


ques à exécuter, particulièrement celui de la nourriture à servir à la
maisonnée. Se faire servir est un luxe-dérobé aux astreintes de la
quotidienneté domestique. La "dibiterie comme -le car rapide constitue
Ji

un espace oD s'affirme un sous-groupe socio-professionnel non- dans un


discours explicite "mais par des pratiques, groupe constitué de femmes
autonomes dans leur travail et la gestion de leur argent de tradition
dans cette"société. Le temps passé là préserve un espace de luxe
relatif entre le marché de gros et le marché de détail du quartier oD
sont provisoirement suspendues les fonctions de marchandes et de rrère-
épouse, bref laps de temps oD se sentir peut-être un individu, dis-
tinct du réseau familial et des obligations domestiques et marchandes
-un moment celui-vital- de reconstituer sa force de travail.
S'approvisionner en poisson à Hann-Plage signifie une autre stra-
tégie. Le trajet de 4 kms se fait le plus souvent à pied, économie de
75 ou 85 F. Sur la plage les pirogues motorisées débarquent grâce à
des porteurs, le poisson frais auprès de femmes, de la famille ou non
du propriétaire de -la pirogue, assurant quotidiennement la vente. De
1a route goudronnée a11 ant vers Pufisque à· 1a mer l'espace se di vi se
en bandes"parallèles : les cars rapides allant et venant entre Gueule-
Tapée et Hann, le centre, les quartiers périphériques - les maisons
précaires et villas ou conserveries de poissons - un chemin de terre -
les charrettes à cheval et les camionnettes bâchées au haut de la
plage et à même hauteur les marchand(e)s de petits déjeûners à la
française, ou bouillie et couscous de "mil, cacahœtes - la foule dense
des acheteuses en cercle autour de caisses vidées sur le sable une à
une, attendant que les prix se forment au vu du contenu de la
pirogue et des prix en cours sur la plage - ça et là veille un capi-
taine ou un seconu en ciré jaune, tous sont payés au jour le jour
aprè s 1a vente.

(1) La plupart des travailleurs partent le matin à jeûn-allumer le


charbon de bois prend trop de temps- et se restaure près de son lieu
de travail.
- 94 -

Les prix de Hann sont souvent nettement moins élevés que ceux de
Gueule-Tapée, ce qui explique sa fréquentation - mais ceci est absolu-
ment ilJlprévisible. Les jours de vent, de pleine lune, de froid, les
pirogues ne sortent pas ou tard ou rev i ennent peu ch argées. Il faut
alors compter sur ses relations et son intuition du lJlarché pour
évaluer à l'avance ce que sera la pêche et choisir entre aller à la
Plage de Hann ou à Gueule-Tapée. Le réseau familial ou relationnel
incitera telle vendeuse à se fournir à Hann : ses frères-ou des alJlis
pêcheurs lui donnent selon la pêche un seau de poisson ou 3 ou 4
poissons. Beaucoup de femmes vont à Hann simplement à cause de l'éco-
nomie de transport, de la proximité géog~aphique , ~t du peu d'inter-
médiaires entre elles et les pêcheurs, autant de marques d'un
fonctionnement plus artisanal, plus proche de ce qu1elles ont connu au
village, laissant espérer plus de latitude pour marchander les prix.
Tout ceci fait qu'on trouvera en plus des citadines (ménagères et
marchandes), des rurales émigrées depuis peu à Dakar, des femlJles
disposant d1un capital réduit: 500, 1000 F, des filles de 12,14 ans
remplaçant leur mère malade récelJlment acouchée ou désireuses de tenter
leur chance comme marchandes, des parentes de pêcheurs - ceci pour les
marchand~s de Dalifort. La contiguité ilJlmédiate entre producteurs et
commerçants dans un lieu qù l~ cadre naturel ~st préservé: la plage
de sable blanc, la mer, contrjbuent aussi à la fréquentation de ce
marché dakarois de la pêche artisanale. Il conserve sur place un mpde
de commercialisation traditionnel, en continuité avec le passé et
proche des pratiqlJes villageaoises : les hommes pêchent, les femmes
commercialisent.Loin de procurer. à qui le fréql!ente un.supplément de
distinction urbaine, il offre "image d'une continuité du village à la
ville. De plus les esPèces de poissons les plus fréqu~mment proposées
à la vente sont ~ussi les plus consommées en milieu populaire, v~ leur
prix peu élevé, donc les plus accessibles à la populatio~ d~ Dalifort.
L1espace du quartier: une aire de ~arché 1

Un simple parcours de quartler suffit à faire apparaitre le


caractère multifonctionnel de son espacé. On y vend dans les rues,
devant les maisons, dans les cours. Les .rues 'Sont un espace de jeu, de
bavardages, de vente. Cependant un bref aperçu historique du marché
montrera la sourde compétition que se livrent sur ·ces lieux, "objets
sociaux chargés d'une parcelle de dynamisme social total" (Santos,
19(8), ~eux types de rationnalités, fondées sur deux approches de
l'espace urbain, dODt dlu~e tient.à en spécialiser les fonctions.
Au départ Dalifort était un lieu habité dépourvu de tout commer-
ce; puis un épicier toucouleur est venu y installer sa "cantine", et
enfin y habiter. Les femmes devaient aller faire leur marché à Hann, 4
kms aller-retour. Une, puis plusieurs ont comlJlencé à assurer la reven-
te des légumes puis, d'autres, du poisson, à Dalifort mêlJle, conscien-
tes comlJle ménagères du service rendu à leurs homologues. Elles se sOQt
d'abord installées dans la rue centrale, près du "goudron", de la
concession du fondateur et de la boutique de l'épicier-appropriation
de l'espace reconna i ss ant i mp 1 ici tement l' importance d' assoc i er
commerce, centre historique et viabilité d'accés.
- 95 -

Le quartier se développant et, parallèllement, l'importance du


marché, la rue principale a été abandonnée au profit de l'espace
libéré, au nord, par les déguerpissements. Des emplacements ont été
répartis entre demandeurs, hommes et femmes, par deux responsables
représentant les deux tendances du quartier. Des tables munies d'un
pare-soleil ont été installées. Curieusement, en août 1983, nous
n'avons trouvé aucun vendeur masculin à une table. Le marché était
fém-inisé à 100%.Des marchands ambulants y circulaient: vendeurs de
bonbons, piles, tissu, draps, bijoux de pacotille, parfums et crème de
beauté, bassines en plastique, verres, noix de cola, sorbets, et/ou
restaient en bordure du marché.
En janvier et février 1984 un relevé des parcelles a été établi à
1a demande de l'Urbani sme, aprè s une enquête l'été 1983, pour préparer
un éventuel IIl otissement ll , une réhabilitation du quartier ou un
déguerpissement. Les adultes avouent combien cela les a troublés:
tous souffraient de maux de ventre. L'ordre spatial du quartier s'en
est lui-même ressenti: initiative conjointe du conseil des notables
et de certaines marchandes, la vente de denrées périssables telles que
le poisson a été interdite dans les rues, le matin - par mesure d'hy-
giène (les mouches sont nombreuses) mais aussi pensons-nous pour
valoriser un espace spécifique: le marché et le voir inscrit dans les
projets d'aménagement. Le griot a annoncé publiquement que le poisson
serait confisqué jusqu'à midi en cas d'infraction; en fait on obli-
geait la marchande à rejoindre le marché, ce que nous analyserons plus
loin. Cette tentative, peu efficace, d'imposer d'autres normes de
fonctionnement de l'espace a classé du même côté les notables soucieux
de doter le quartier d'une espace spécifique de vente: le marché, et
les marchandes désireuses de briser la concurrence des vendeuses
ambulantes qui, elles, ne paient pas de taxe municipale et cassent les
prix. Un même objectif, deux motivations différentes. Quelques chif-
fres : le nombre de tables occupées sur le marché était de 32 en aoOt
1983, 50 en février 1984, 79 en mars 1984. Cette mise en ordre volon-
tariste de l'espace sous l'effet des normes présidant à un IIl otisse-
ment ll est-elle porteuse d'une dynamique sociale et économique?
Qu'on nous permette d'en douter. Le trop grand nombre de
vendeuses concernées concentré sur cet espace entraine une stagnation
du marché; pourtant certa i nes femmes s'entêtent, parm i 1es marchandes
de poissons: fin mars 1984 elles étaient prêtes à se cotiser pour
payer des jeunes à faire le guet et chasser du quartier les
poissonnières ambulantes, ou les amener au marché, lieu de concurrence
légale autorisée.
Le marché pourrait apparaître comme un miroir du quartier' atteint
comme lui avant même l'intervention des urbanistes, du souci de norma-
liser, de créer des espaces spécifiques caractérisés par un tracé
rigoureux: on a vu le délégué d'un chef de quartier reprendre
l'al ignement antérieur des tables et chacun(e) a dû -déplacer son
installation au nom de la ligne droite et du regroupement des légumes
et condiments d'une part, poissons de l'autre. L'ordre (masculin? )
n'avait pas été discuté.
- 96 -

En définitive on trouve à toute heure du jour des ~archandes


(ad u lt e s ou f i 11 e t tes ) de cac ah uè te s , rn an gÙes, or ange s , etc .•• des
~archands de cigarettes, noix de co1a'éga1e~ent, à des angles de
ruelles ou sur les deux rues principales - et devant quelques ~aisons
des ~archandes de to~ates et condi~ents. Cependant le ~arché reste un
lieu central - le ~atin, avec pourtant en bordure une frange d'llirré-
gu1i e r (e )s Il et leur étal au sol : f r i pe s ,0 r a nges, couscous de rn il,'
sorbets. L'après-~idi les ~archandes peu no~breuses quittent les
tables pour vendre, en bordure à leur tour, selon les zones d'o~bre,
et au sol. A ce ~0~ent-1à, la tolérance s'étend à llense~b1e du quar-
tier : on vend devant chez soi, dans les rues, TfIê~e le poisson ~ais à
des e~p1ace~ents usités. Une rationalité prévaut le ~atin, une autre,
le soir!

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-_'~r .... _

'-~

L1espace du ~arché : des

Depuis la saison sèche 83-84 quelques ho~rnes vendent sur le


~arché : l'un dieux est un ~arabout venu du Siné-Sa10u~ rejoint par
trois anciens écoliers de son école coranique devenus ses ta1ibés;le
jour ils vendent, la nuit ils apprennent le Coran; ils sont nourris et
logés, non ré~unérés~ Occupant trois tables dispersées ils ont une
stratégie différente de celle des fe~~es : offrir une i~age d'abondan-
ce (gros sacs d'oignons, de po~~es de terre), couvrir la variété des
condi~ents recherchés - utiliser l'espace vertical for~é par les rnon-
tants du toit pour y suspendre des sachets, y fixer des éta~res­
autre stratégie dans l'utilisation du te~ps : arriver les pre~iers;,
œ s 8 h et s'affairer aux opérations de nettoyage et de présentation
de la ~archandise. Autant d'atouts pro~pts à séduire les ~éna~res.
Deux données essentielles: un capital de départ supérieur à celui de
toutes les ~archandes de 1égu~es, et le systèfJIe d'échange de service
- 97 -

entre talibés et marabout. Les autres hommes: le marchand de viande -


chômeur ex-employé d'une grande surface, ses économies lui ont assuré
un capital de départ, - un vendeur de légumes secs et condiments, ex-
cultivateur ayant reçu un prêt de 15 000 F de son oncle maternel.
Outre la supériorité de leur capital de départ ils ont introduit sur
le marché un instrument, signe d'une autre stratégie de vente: la
balance et ses connotations modernes, européennes, de précision en
opposition avec la vente par lots ou à l'unité, traditionnelle en
Afrique de l'Ouest. Double perturbation donc, de type économique et
technologique apportée par les hommes, jouant à coup sûr contre les
femmes du marché.
Les marchandes de poisson outre les stratégies quant à leur lieu
d'achat louvoient entre celles de la concurrence de type
individualiste et celles de la socialité plus communautaire. Chaque
marchande calcule son prix de vente, seule, en secret pourrait-on dire
: il s'agit d'abord de compter le poisson, au choix, par trois ou par
un, ensuite, par approximations successives c'est-à-dire par multipli-
cation de ce nombre de poissons ou de lots par un premier prix, un
deuxième, etc ••• d'arriver en fonction du bénéfice brut escompté, à
fixer le prix de vente qui sera proposé au début du marché, la marge
dans laquelle on acceptera de marchander et le prix minimum sur lequel
on restera intransigeant •.• le matin, jusque vers 11 h selon l'affluen-
ce et l'approvisionnement du jour. L'après-midi la fermeté ne rapporte
guère ••. L'apprentissage de cette stratégie ne va pas de soi comme le
souligne cet extrait de dialogue sur le marché adressé, comme tou-
jours, ici à la cantonnade: "Dione est folle. Elle achète 50 à
Geule-Tapée et revend 50. Elle devrait vendre l'un à 25 comme ça quand
elle a récupéré son argent (achat) elle pourra mettre le tas à 50".
Dione : "- En tout cas j'ai tout vendu. Tu as vu, j'ai tout fini. Je
ne suis pas folle. Et s'il restait du poisson, qu'est-ce que j'allais
faire?" Dione a sa stratégie: arriver le plutôt possible au marché
de quartier, vendre vite et s'en aller sans payer la taxe municipale,
le contrôleur arrivant vers 10 h et ne commençant à faire payer qu'en
fin de marché après 11 h quand les éventuels bénéfices commencent à
rentrer. Il ne fera pas payer quelqu'un qui n'a rien sur sa table
comme ça quand elle a récupéré son argent (achat) elle pourra mettre
le tas à 50". Dione : liEn tout cas j'ai tout vendu. Tu as vu, j'ai
tout fini. Je ne suis pas folle. Et s'il restait du poisson, qu'est-ce
que j'allais faire? Dione a sa stratégie: arriver le plutôt possible
au marché de quartier, vendre vite et s'en aller sans payer la taxe
municipale, le contrôleur arrivant vers 10 h et ne commençant à fair
payer qu'en fin de marché après 11 h quand les éventuels bénéfices
commencent à rentrer. Il ne fera pas payer quelqu'un qui n'a rien sur
sa table comme s'il n'y avait pas eu de vente - connivence tacite. Une
marchande au contrôleur: "Si Dione S. te voit elle plie bagage et
elle court. Si elle t'aperçoit elle met ce qui lui reste de poisson
sur la table de Marie •• Moi je ne fuis pas pour éviter de payer!".
Qu'une vieille marchande de légumes, manifestement en difficulté dans
son commerce, ne se voie pas réclamer tous les jours le prix du
ticket, ne surprendra pas, vu le respect dû à son âge. Mais, dans une
classe d'âge plus jeune cela ne sera pas accepté.
- 98 -

Cette stratégie de débrouillardise individuelle discrète va, sur


la place même du délit: le marché, faire l'objet d'une mise en scène
publique dont les acteurs principaux seront la voisine dénonciatrice -
et de la même ethnie - Dione et le contrôleur de tickets, et le public
sera l'ensemble des marchandes et clientes, qui interviendront
verbalement comme arbitres ou juges, mais aussi improviseront des
mimes dénouant dans le rire la tension dramatique. Marie, par exemple
prendra le panier de Dione et·l'imitera fuyant dans les allées et se
retournant sans cesse pour vérifier si son stratège réussit,
n'oubliant pas sa démarche précipitée et inquiète. Si l'échange verbal
est rude: l'accusation de fuite est grave: "Moi, je suis la fille de
Sambou. Je ne fuis jamais" et si la fille même de l'accusatrice
intervient: liMa maman ne fuit jamais", le mime de plaisanterie
réintégrant la fautive dans le tissu social, comme le trait moqueur:
uPas pas honte? Tu es courte comme une graine à l'adresse de Dione,
qui déplace l'accusation et annonce la clôture du débat. Autre exemple
: une nouvelle vendeuse de poissons, arrivée un mois auparavant à
Dakar à cause d'une récolte très mauvaise, fin 83, étale le matin
son poisson sur du jute, au sol, dans l'espace réservé aux
poissionnières. Très vite elle est prise à partie par deux marchandes
: ses prix sont trop bas. Elle ripostera fermement qu'elle pratique
les prix qu'elle veut et qu'elle peut même donner son poisson si elle
veut. Tout cela est échangé sur le mode de la plaisanterie,mais il est
clair qu'il se joue là par la parole les rapports de pouvoir entre les
anciennes et la nouvelle sous le regard de tous. Sur le marché tout
est public - rendu public. Cela laisse peu de place à une stratégie
individuelle contraire aux règles respectées par tous.

Les stratégies ~ ~ parole ménagent un passage subtil de la


plaisanterie â la taquinerie puis à l'insulte voire au défi de se
battre. "Mes poissons coutent 60; tu paies 50 (dernier prix à ce
moment de la matinée- pas de discussion). Qu'un gourdin s'abatte sur
toi!" Intimidation verbale sur le mode plaisant visant à couper court
à toute tentative de marchandage. Autre séquence: une cliente: "Fais
moi plaisir! Diminue le prix. - La marchande: "C'est à ton mari de
te faire plaisir! "Rires de toute part.Les plaisanteries entre pre-
mière et deuxième épouse, rituelles, ont toujours beaucoup de succès.
Une marchande, première depuis le divorce de son mari, à une cliente:
IIVOUS les deuxième vous n'achetez que du ya~oye et du ketiakh. Nous
les premières nous mangeons les tiofs, les gros poissons, les kafans ll !
La femme: "non, c'est le contraire - Tu mens. L'autre jour tu es
venue chercher du ketiakh chez moi. Je t'ai donné du poisson. Si je ne
t'avais pas arrangée ce jour là tu allais manger de la bouillie.
IIL'auditoire ne saura où commence où finit la plaisanterie - mieux
vaut éviter de se trouver en position de demandeur cela pourrait
ressortir publiquement, ainsi. Les plaisanteries sexuelles reviennent
fréquemment. Une cliente, à l'annonce d'un prix par une Joola: IITu
prends du poivre, du piment, tu piles; tu le mets dans ton sexe. - Je
le mets dans le sexe des Toucouleurs! lI ethnie de la cliente. Rires
- 99 -

alentour: il s'agit de plaisanter entre cousins d'ethnie voisine, il


ne saurait y avoir offense dans ce cadre là. Dans le même registre et
entre Toucouleur, qui pratiquent l'excision, la marchande: "J'ai fait
mon devoir. Je t'ai donné deux poissons. Tu as refusé. Tu veux des
gros; les gens ont choisi avant toi. Tout ce que tu désires tu l'as.
Moi si j'avais ce que je veux je ne serais pas ici. Avec ton sexe qui
n'est pas coupé, fille de pute! La femme: "C'est toi qui es ma maman.
Si on ne m'avait pas coupée mon mari ne m'aurait pas aimée~Le système
de plaisanterie codé inter-ethnique ou sur le rang des épouses ainsi
que l a référence à l a cl asse d'âge et au respect empêchent l'échange
de dégénérer. Quant à la lutte, elle n'est le plus souvent qu'esquis-
sée, entre amies ou co-épouses qui s'entendent bien, pour "farcer",
sinon tout le monde s'entremet pour séparer les adversaires.
Ainsi, sur l'aire du marché le poids social se mesure non
seulement à l'argent et au poisson brassés mais aussi à la puissance
du verbe que l'on peut déployer publiquement. Sens de l'à propos,
plaisanterie, taquinerie, insultes rituelles, défi à la lutte sont
autant d'éléments tactiques dans une stratégie globale du verbe qui
dans cette aire culturelle de l'Afrique de l'Ouest semble propre aux
femmes, leur arme privilégiée dans la lutte quotidienne.
Mais il faut noter aussi des contradictions. Ainsi plusieurs
jours de suite un homme vendra des poissons sur le marché; son oncle
les apporte depuis Hann en charrette et continue sur Cambérène. Ses
prix de vente désespèrent les marchandes - de plus il n'hésite pas à
appeler les cl ientes, vanter haut et fort son poisson, ce qu'aucune
marchande ne fait, sauf par dérision ou colère quand elle est assurée
de perdre. Cela ne se fait pas d'appeler, disent-elles; chaque cliente
est libre, il ne faut pas détourner vers soi une cliente d'une voi-
sine. IIJ'attends ma chance. Mieux vaut que la cliente vienne d'elle-
même; Di eu ne veut pas 1e contrai re. 1I (Son a) Cette stratégi e du verbe
qui porte à la connaissance publique tout évènement, sur le marché,
maintient dans la discrétion propre au domaine privé le choix de la
personne chez qui acheter. Il semblerait que le respect de soi, comme
femme dotée d'amour propre - on fait du commerce, on ne quémande pas,
tout comme la conviction religieuse profonde, chez les musulmans, que
tout est entre les mains de Dieu, concourent à cette retenue des
marchandes dans cette séquence-ci du rapport marchand. Cette stratégie
du silence moins spectaculaire que celle du verbe souffrira exception
a l 'encontre de parent(e)s, voisin(e)s et amies que la marchande
saluera de confiance, quand ils passent à proximité, la salutation
n'apparaissant pas prioritairement comme une invite à acheter, sans
pour autant l'exclure; en effet des relations pré-existantes au rap-
port marchand sont basées sur des échanges de servi ces quoti di ens-
gratuits, certes, mais il n'est pas rare que la marchànde introduise
du jeu dans les rapports marchands et fasse un prix inférieur à un
parent ou à une amie et leur choisisse le plus beau poisson, le
gardant parfois à l'abri des envieux, l'échange monétaire étant dépas-
sé ou supprimé par l'arrangement qui agrée à la vendeuse compte tenu
du marché ce jour là, rabais, don d'un yaboye, cadeau de la marchan-
dise, particulièrement pour un parent de passage; ce serait impossible
- 100 -

pour un parent habitant le quartier vu la contrainte quotidienne que


cela représenterait. Mais il peut arriver qu'une parente du quartier
force la main de la vendeuse, créant un incident qui aussitôt tombe
dans le IIdomaine public Une marchande: IISi cette dispute s'est
ll

produite c'est parce que tu es ma tante. Sans cela je pourrais te


vendre comme je vends aux autres. La femme : IIJe ne compte pas sur ce
1I

lien de parenté, je te mets sur un pied d'égalité avec les autres, car
je sais bien que tu n'as pas une entreprise de poissons; tu l'achètes
comme les autres. 1I Et pourtant•••! persistent des rapports tradition-
nels en conflit avec le rapport marchand et ses contraintes économi-
ques. De fait dans cet exemple, la parente sera gagnante, en défini-
tive, le litige devenant public, et la marchande se lassant: -Je ne
sais pas comment m'en sortir de ces discussions. Il faut tout le temps
discuter!". Sa voisine: IIToi, elles te tombent dessus parce que tu ne
les insultes pas Stratégie du silence- stratégie de la parole - cela
ll

est affaire d'opportunité, de caractère, de conditionnement ethnique.


Le métissage culturel que présente un tel quartier suppose chez
les adultes une extrême attention à tout le non-dit, les signes
imperceptibles de la désapprobation, de la mise à l'écart, du rejet -
Ainsi parmi les règles du marché il faut distinguer celles explicites
: vente sur le marché, paiement de la taxe municipale, de celles
implicites tout aussi contraignantes. Par exemple il importe, si lIon
réussit, en bref si on s'enrichit, de le faire avec modération, sinon
l'envie, les mauvaises langues pourraient vous frapper de malchance,
saper votre réussite. Par exemple, telle femme se fait aider pour la
vente du poisson par sa fille aînée, 14 ans qu'elle envoie dans le
quart i er et par l a bonne de 13 ans q'e 11 e a engagée au 7ème moi s de
sa grossesse, pour l a vente des tomates ou des oranges, à des éta les
vides. Cette volonté de gagner plus ouvertement affichée est
désapprouvée plus ou moins expl icitement sur le marché, comme une
concurrence directe mais aussi comme une infraction à une conception
musulmane - ou populaire - du bénéfice: dépassé un certain seuil, on
tombe dans le péché; il faut alors opérer une redistribution
salvatrice. C'est ce que fera cette femme à l'occasion du baptême de
son enfant grâce à une amie intime plus au courant qu'elle des cou-
tumes ouolofs, elle-même est Joola. Mais sans doute murmure -t-on dans
le quartier qu'elle s'est montrée pingre. Un matin, elle fait le tour
du marché, alors qu'elle a arrêté la vente après la naissance de son
bébé, et confie ouvertement une somme à une griotte pour qu'elle la
répartisse entre les femmes en droit de quémander: Laobés, hoodés,
griottes, esclaves. Ainsi les mauvaises langues seront-elles apaisées,
sa chance préservée! Cette volonté de capitaliser au détriment
d'autrui, stratégie on ne peut plus individualiste, rencontre une
animosité sourde et peut susciter le recours à des pratiques occultes.
Si l'espace du marché est un miroir de l'espace du quartier, de
ses avatars, de sa dynamique sociale, il l'est aussi de ses croyances.
On a vu la persistance de ses rapports par classe d'âge, à l'occasion
des plaisanteries, les contraintes du don à l'occasion des cérémonies,
en fonction d'un ordre social ancestral, la nécessité de préserver sa
- 101 -

réussite par une façade de modération et un respect des règles de


redistribution; on a vu aussi s'afffronter relations de parenté et
rapport commercial, socialité traditionnelle et rationnalité économi-
que fondée sur la poursuite du bénéfice. On ne saurait passer sous
silence les pratiques occultées du maraboutage, qui sont aussi des
stratégies pour parvenir à ses fins, individuelles s'entend au détri-
ment d'autrui, traditionnelles, elles aussi, et qui devraient suffir à
ébranler le mythe d'un passé rural ancestral où aurait dominé exclusi-
vement le sens communautaire. Un simple geste quotidien: l'aspersion
d'eau fraîche sur la table et le sol, avant toute activité, donne à
lire le souci de se protéger de la malveillance et renvoie à la
crainte d'être marabouté. Il importe aussi d'inaugurer toute activité
par nBi smi 11 ah" uAu nom de Di euP'. Un matin, une marchande trouve des
traces d'eau dans le sable, à son emplacement habituel de vente.
Aussitôt de crier: ·On m'a maraboutée. Si je savais qui a fait ça je
couperais le sexe de sa mère. Moi je parle à tout le monde. Je ne veux
que la paix. Ceux qui me veulent du mal que Dieu les départage. "Elle
se tait sur les conseils d'une vieille femme, balaie le sable mouillé
puis après aspersion d'eau commence la mise en place de son poisson.
Il aura suffi d'une querelle à propos de la fraîcheur du poisson, de
l'utilisation ou non de glace pour la conservation, enjeux très impor-
tants pour la vente et l'offensée aura recours au marabout: des
formules sur un papier qui trempé dans l'eau communiquera son efficace
à celle-ci.
Il importe de souligner le double aspect conflictuel des rapports
sur le marché: des relations de solidarité, d'aide mutuelle constante
mais aussi une compétition des marchandes entre elles, pour la survie
quotidienne, et des clientes à l'égard des marchandes. Et cette con-
tradiction peut trouver un dépassement dans une forme d'association:
la tontine. Dans le contexte urbain elle permet, nous le verrons de
tisser un réseau social féminin qui dans ses formes variées (ethnie,
voisinage, même activité commerciale, classe d'âge, etc.) aide aussi
bien financièrement, selon des règles admises par toutes, qu'il permet
la naissance d'amitiés durables au-delà du fonctionnement de l'asso-
ciation.
Stratégies dans l'épargne et espace de quartier
Les tontines, associations à la base visant à épargner, sont très
pratiquées par les femmes; si elles le peuvent elles cotisent à deux
types de tontines: celles dont le tirage se fait quotidiennement ou
tous les deux ou cinq jours, et celles dont le tirage se fait à
l'occasion d'une cérémonie. Pour les premières la part quotidienne est
de 50 F ou 100F; pour les autres de 1000F. Les premières urapportent"
de 2000 à 5000 F à la gagnante; les autres, de 30 à 40.000 F, à
Dalifort. Intéressante formule quand on a des revenus permettant des
versements réguliers, la tontine seule façon d'épargner populaire en
Afri que de l'Ouest, peut auss i entraî ner .un fort endettement en cas
d'arrêt de travail, de pertes dans la vente, de dépense imprévue après
- 102 -

que lion à déjà reçu le versement de son épargne. Alors comme dit une
femme II s i tu n'as pas d'argent, pour II cotiser ll
tu prends tes
,

chaussures c'est-à-dire tu parcours le quartier ou la ville pour


ll

trouver à qui emprunter.


Les stratégies diffèrent du premier type de tontine au second :
le premier permet par exemple d'accroître son commerce ou, si le
tirage se fait non hasard mais 'à la demande, de parer à un besoin
d'argent pressant. Le deuxième assure les frais de baptême ou d'autres
cérémonies, très couteux vu le sens de la convivialité et le souci de
garder la face aux yeux d'autrui. Si la cérémonie a lieu dans le
quartier, la réunion des cotisantes et le versement auront lieu chez
la femme qui perçoit et durant la fête, généralement en fin d'après
midi, après les activités commerciales et ménagères, après la douche.
La présidente lettrée marque dans son cahier le nom des cotisantes.
Cette forme d'épargne est si souple qu'elle investit l'espace
domestique et prend ordinairement la forme d'une rencontre entre
amies. Si la cérémonie a lieu hors du quartier, la collecte et le
versement se font chez la présidente assez rapidement, la veille de la
cérémonie. .
Parmi les tontines du marché celle où le tirage se fait à l'aide
d'une chaussure occupe le centre de cet espace, devant l'étal de la
présidente qui crie à la cantonnade : IIDiop Dollard! Venez si vous
voulez gagner beaucoup d'argent ! IIDu fait de cette femme, très
extravertie sur le marché mais non à la maison, selon l'opportunité
des rôles à tenir dans des espaces différents, cette tontine se donne
à voir comme un jeu théatra1 avec l'attente, le suspense du tirage au
sort, les acclamations de la gagnante, sa danse suivie de celle de ses
voisines ou amies.
Ainsi le marché s'avère-t-il un lieu d'échange commercial, de
collecte et de distribution de l'épargne certes, et simultanément et
indissociab1ement un lieu d'interaction sociale; les divers acteurs
sociaux tiennent des rôles fixes et changeants sur cette aire de jeu
social.
En bref, à travers les stratégies du silence et du verbe, la
marché apparaît comme un lieu qui à travers le rapport marchand met en
scène des rapports sociaux conflictuels - partie émergée de l'iceberg
complexe fformé de ce qui se fait et se défait en milieu 4rbain dans
l'ordre des interactions sociales, l'économique et 11'échange verbal
servant de révélateurs au social, sans pour autant s'y réduire, et le
social ne se réduisant pas non plus à la somme des interactions
visibles.
Espace d'un quartier, espace urbain, leurs formes, structures,
fonctions, ne prennent sens que comme partie prenante d'une dynamique
sociale globale. Aussi importe-t-i1 de passer de l'espace du paysage
qui intègre mieux le social. La paysage urbain ce n'est pas seulement
du béton, du macadam, des trottoi rs vides d'"encombrement hum ai n"
(euphémisme officiel désignant au Sénégal les acitivtés dites
linforme11es" occupant largement les interstices vides en ville).
C'est également, aussi bien dans le centre-ville de Dakar qu'à la
périphérie, une présence massive des femmes occupées à vendre fleurs,
cacahuètes, oranges, mangues, tomates, salades : le dernier enfant au
sein. Ces femmes assurent la reproduction sociale comme mères mais
aussi dans de très nombreux cas la nourriture quotidienne de leur
- 103 -

famille, partiellement ou totalement, et leur activité n'est possible


que par une organisation domestique qui utilise la force de travail
des fillettes, conditionnées tôt à assurer la garde des enfants, port
au dos et les tâches domestiques à leur mesure. La reproduction
sociale ne peut-elle se faire,sans l'exploitation du travail des
femmes, des fillettes? Espace urbain - espace de quartier -
l'urbanisation des femmes est à analyser aussi depuis l'espace
domestique, au coeur des contradictions des rapports entre hommes et
femmes.

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- 104 -

BIBLIOGRAPHIE

CORMIER M.C. :
Le marché au poisson de la Gueule-Tapée ~ Dakar - Document n085-
Juin 1981 - CRODT - Dakar.
HALL E. 1. :
La dimension cachée- Seuil, Gallimard, 1971, (1ère édition 1966 -
U.S.A.)
SANTOS M. :
"De l a soc i été au paysage". Hérodote n09 - Janvi er-mars 1978,
(p.66-73).
- 105 -

Les études de A. SINOU et J.M. GIBBAL se réfèrent pour l'essentiel à


la ville de Ba~ako, capitale du Mali.
A. Sinou, en se basant sur l'étude de for~es d'habitat et de pratiques
d'habiter dans deux quartiers de cette ville et dans un ilôt de la
ville de Saint-Louis du Sénégal, a analysé leurs ~odes de développe-
~ent, rapportés au contexte urbanistique et politique, défini pri~iti­
ve~ent par l'ad~inistration coloniale.
Ce texte, centré sur l'analyse de l'espace, tente de discerner les
enjeux socio-écono~iques que recouvrent sa ~aitrise et son organisa-
tion, et pose la question de l'efficacité sociale des politiques
d'a~énage~ent.
J.M. Gibbal a centré son étude sur un quartier spontané de la ville;
il a reconstitué son histoire sociale et a analysé les causes et les
for~es de son développe~ent et les ~odes de vie de ses habitants. Son
approche pose les l i~ites socio-écono~iques et urbanistiques de ce
type de quartier et re~et en question les discours qui accornpagnent la
notion de quartier spontané.
, SITUATION DES QUARTIERS ETUDIES DANS LA VILLE DE BAMAKO

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- 107 -

PRATIQUES D'ESPACES A BAMAKO ET A SAINT-LOUIS


ALAIN SINOU

INTRODUCTION

Nombreux sont les discours sociologiques qui, s'ils se posent


comme outil de compréhension objective du wonde, sont aussi des
oeuvres de réhabilitation de l'objet étudié. En abordant l'habitat
urbain en Afrique, je n'échappe pas à ce projet et cherche à évoquer,
de..J11anière positive, .des .for.mes spatiales et des modes d'habiter peu
connus et soùvent dénigres. Ce"lI no ble projet" p'résente néanmoins un
dariger, celui d'aboutir à l'effet 1nverse de celui recherché. En
valorisant un habitat, une pratique sociale, il est possible de
renforcer un discours raciste et ségrationniste comme le suggèrent
impl i citement de nombreux travaux sur l'arch itecture IItrad it i onne 11 e
ou primitive". Ceux-ci, à force de vanter la différence IIfondamentale"
de certains groupes sociaux et culturels laissent à penser que toute
coexistence entre plusieurs communautés s'avère impossible, et justi-
fient de ce fait la création de ghetto urbain.
Ces études ne se sont cependant pas développées dans cette optique ;
elles sont apparues comme une réaction vis-à-vis d'un discours univer-
saliste et fonctionnaliste en architecture, et ont permis au moins la
connaissance d'autres modes d'habiter auparavant totalement ignorés.
En étudiant des modes de construction et de gestion de l'espace,
il m'importe de souligner que les solutions rencontrées, si elles
diffèrent des nôtres, ne sont que le fruit de situations socio-écono-
miques particulières et qu'elles ne constituent en rien des traits de
caractère. Quelques soient le lieu et l'époque, chacun se trouve
confronté en matière d'habitat à un certain nombre de questions telles
que, comment s'installer en un lieu et s'accorder avec les pratiques
et le pouvoir de la population déjà résidente, comment concilier ses
désirs avec ses moyens financiers et avec les contraintes sociales que
sont les rapports au sol, les modes de construction, les réglementa-
tians etc... Les réponses apportées dépendent des interlocuteurs ren-
contrés et ne sont en aucun cas définitives. En outre, le caractère
ponctuel de l'observation ne doit pas être oublié mais plutôt replacé
dans des dynamiques sociales qui ne permettent pas toujours l'utilisa-
tion de la figure du modèle, dont on oublie souvent qu'il n'est pas la
transcription de la réalité mais n'est qu'un outil de travail, néces-
sairement réducteur.
Cette étude a pour cadre principal la ville de Bamako au Mali. Un
certain type d'habitat a été en outre analysé dans la ville de St-
Louis du Sénagal. Dans ces deux villes, mon travail s'est centré sur
l'observation des pratiques de l'espace et sur l'analyse de ses repré-
- 108 -

sentrations. A partir .de mon, interprétation ,de discours institution-


nel s et de paroles d'habitants,j'ai reconstitué des modes d'habiter et
proposé des dynamiques et des 1iens entre les différents éléments
constitutifs de l'espace habité. A travers ces traits dits culturels,
caractérisés par des figures spatiales, j'essaie de montrer quels
enjeux peuvent se fi xer sur l'espace. Enfin, je tente de discerner
que 11 es i nc i dences peuvent a voi r certain s modes de product i'o,n. de
l'espace sur la structuration de la population urbaine et sur ses
pratiques.
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'I~ n'~st :pas dans monihtention dé définir des loi~ générales


explicatives du développement etl·de 1'0rganiSatio'n ce l'espace ur"bain.
A travers ~es quelques 'exempJes étudiés, je.n'analyse que certains
rapports sociaux·en ville etle'urs .rencontres avec .le'champ dé repré-
sentations que constitue': T'espace habité•. Si, tette étude se base ,Sur
quelques' tas spécifiques,; il "JJl'ïJJlporte de relativiser 'lesl.situatwns
-rencontt.é'esJ et· dl ilJTÏag.:inèr i qu'.au~de 1à , de ces conjonotures 1 parti eùl iè res 1

qui fondent la 'différence .sociale, il .est' possible dé se reconnaitre


'dans cèrfai nes préoccupat ions 'd 'un: habitant récemment installé' dans
'une'cOncession d'un qu'artier 'périphérique de la ville de Ba'mëiko" ou
d'un citadin':installé depuis' longtemps dans une'villa coloniale de
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- 109 -

1- BAMAKO: CONSTITUTION ET REPRESENTATION DE L'ESPACE URBAIN


Si Bamako est une ville, capitale politique et économique du Mali,
il est difficile de définir préciselJ1ent à quelle catégorie de ville
elle appartient, tant les catégories sont nOlJ1breuses et discutables.
Sa population, plus de 600 000 habitants .en 1983, en fait géographi-
quelJ1ent une grande ville, lJ1ais elle n'est gUère cOlJ1parable, au-delà de
ce c hif f r e, à une vi 11 e diA lJ1 ér i que 1atin e de lJ1 ê lJ1 e t a il 1e , s il •0n se
situe dans le tiers lJ1on.de., ou lJ1êlJ1e à une ville portuaire de la côte
COlJ1lJ1e LOlJ1é, si l'on se restreint à l'Afrique occidentale subsaharien-
ne. . .
Fondée il ya un siècle p'ar"h~s 'lJ1ilitaires français à proxilJ1ité
d'un pet it vi 11 age Bambara qui porta it ce nom, BalJ1ako fut d'abord un
poste. militaire lors de la conquête coloniale, puis un centre éconolJ1i-
que et politique secondaire dans le systèlJ1e territorial de l'A.O.F. Ce
n'est ~qulen .196D, avec l'.in~épl:!ndance de cette colonie ,que cette ville
passe 'du statut de préfecture tropicaleâ celui d~une capitale' politi-
que indépendante. . .
Si.l'industrialisation fut en Europe.un lJ10teur du développelJ1ent
des villes, il n'en est pas de lJ1êlJ1e en Afrique où le secteur secon-
daire reste elJ1bryonnaire quand il n'est pas inexistant, notalJ1lJ1ent dans
les lJ1étropoles de l'intérieur du continent, COlJ1me BalJ1ako. Le dévelop-
pelJ1ent de cette ville se fonde plut.ôt sur le centralislJ1e colonial,
conservé par les nouvelles autorités, qui fait de cette place le
centre décisionnel du pays et un centre d'échange éconolJ1ique obl igé
(et donc un lieu privilégié.de circulation de l'argent). Ces qualités
ont provoqué dès sa fondation une élJ1igration vers .cette ville renfor-
cée par la détériorisation perlJ1anente.de l'écànomi.e rurale. Aussi
BalJ1ako se caractérise. socialelJ1ent en prelJ1ier lieu par sa population
ilJ1lJ1igrante quj'auglJ1ente sans ~esse ~t qui ne peut trouver. dans l'éco-
nOlJ1ie de cett~ ville, les lJ10yens d'alJ1éliorer ses ressources.
. .
Si la ville se définit.aussi par sa lJ1atérialité et-par sa repré-
sentation cartographique, cette Yision n'est pas celle du.citadin.
Pour le BalJ1akois, cette ville sYlJ1bolise la richesse dont il espère
capter quelques lJ1iettes et est cOlJ1posée spatialelJ1ent par sa résidence,
c'est à dire les lieux où il habite ainsi que sa falJ1ille, par les
lJ1aisons des voisins, des alJ1is, et par quelques itinéraires perlJ1ettant
d'accéder au lJ1arché, à l'école, :a:iJx transports en COlJ1lJ1un, à son lieu
de travail où au 1ieu où il .esIÈre trouver de l'argent.
A cette vision aérienne .de .1 a vi lle et à ces ilJ1ages ponctuelles,
se greffe un trois.ièlJ1e mode de ,lecture de .l'espace urbain. Il est
cOlJ1posé d'un vocabulaire qui renvoie, tantot à UQ :discours ~~ techni-
cien, tantot aux paroles des citadins, un lJ1êlJ1e terme pouvant être
utilisé par les uns et les autres.
Méthodologiquement, notre étude s'ordonne à partir de ce vocabu-
laire. Nous essaierons de discerner à quels ordres de discours appar-
tiennent ces représentations. spatiales que sont le quartier, la
parcelle, la concession, la villa, etc; de plus, nous définirons le
sens actuel et les enjeux que recouvrent ces terlJ1es; enfin nous évo-
querons leurs lilJ1ites idéologiques et pratiques en regard des politi-
ques d' alJ1énagement et des modes d'habiter de la population.
- 110 -

A- LE DEVELOPPEMENT SPATIAL DE ,LAVILLE


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Jusqu'au début du X)(ème siècle, Bamako se caractérise spatialement


par,le fort·qui abrite les premières garnisons coloniales, par des
maisons de commerces tenues .~ar des colons et par quelques batiments
administratif~ et militaires; \ous.~es·batiments sont .regroupés autour
du fort et se mêlent aux habitations des Africains qui ont émigré vers
cette place. Enf,in, à ',proximité de 'ée't, .ensemble disparate s'élève le
vieux village réunissant qùelques millier's d'habitants., .
~ l'exploitati.on de cette région par .l'administration.coloniale se
traduit en 1904 par le 'choix de Bamakô comme chef l ie'u de la colonie.
Le.chemin d~ fer reliant.lefleuveSénégal au fleuve Niger. atteint la
ville en 1906. Clest à cette ~poque'que ~es autorités décident d'orga~
niser l'.espace de l'établissement... ~a phase de conquête terr·itoriale
achevée, lanouve·lle ·colonie estligér.ée 'par une' administration civile
disposan"t de 'fonds ·pour's'a 1i mise en valeur"., . ,. " ." " ' .
" Inquiets dé .la prolifér.ation des· habitations des 'Africains dans'la
place, les Européens se réserve'nt 'un périlJlètre à l'inte.rieur;duqù~l
so~~ ~~Jf~~s ·:1~s ..ba~~IP~n1;s 'flp.~l~.is~~a~,i~s,:et lF.s:Jq~~~'ert'~,·~~s :c~~oris;:-!
et ClOU sont exclus re~af.rlCa]nS ~u,nQm d~ prlnclp.es nyglenlstes.
Ceux:"cl sont relègués. 'tout âutour, 'de cette vï 11.e: bl anche dans 1es
agglomêratiQrls réservées'."ex éJ u~j·vemfmt à l'~abitat i on des ;indi~ nes",
où des parcelles de .terra:in:·l~urssânt affectées· gratuitement. L1an-
cien ~illage'deBa~a~o e~t q~a:sT~ota:le~e~tdétruitetdes 10tis-'
sements sonl tracés poUr accuei1Tir 1l èrisenible de 'la p'opulation "indi-
~lJel]~· .. "~ _, . '" .. , ,.!; " ".-., ~.:.' . ,.- : 'Oô' , ~. '," .. ,1 • "

.. , La' procédùr.e 'è1e' .Jotissemenf,',' èjui~.jur-idique[J1ent.est une attribù-:'


t i ~nà des' part fç'u'l.i ér's.'du"dàrÎia 'i ne ..pr·i.V~ dfP:Etat,~' p,ossè de aus siun:
fonderilen't ,éconooi.i què.: ~ Il .~st :1nterdit.~üx:,Ii·i.ndj ~ nes" ;dese' livrer. à
des.;aciti,vités' cO,mnierèïales', dans'· cés qù.ar.ti.ers'·~exclu.siYeR1entréserYés'
à Phabit'atlon", ';,'.le èOnlm'er,ce n'est' 'a"utori,sé qul'à'.'.l'intérieur ,du
périrrètre de la'vHle blanche.' Ce prinéipe de séparation a pour' but de .
controler,les activit·és·en ville,.en ~~s assignant en des,li.eux où
l'al:Jtor.ité possè de 1es ~oyens de_l es' survelll er, ;.J l ré,pond.au voeu
des'n~goé:i'ants :européens' ,'qui ,s'e· plaign.ent ,de la coricurr~Ï1ce déloYale ~
desAf.r~cairis"{nstallés.dans]es pérJphér'ies' des' centres' 'ur,bains qui .'
ne.resp,ectent"pas.les'regleiJ"ent-atiDns'·çômnierèiaTes.~" ,,', -"" ': " l,

.~ Ce, pr.pjet .qui tend à, ,ex~1ure-:les Afdcaln~s du n'ouveau systèfPe


écprù>'J1i~q~e étqu i .1 es r'e,jett.e;hàr~ aes'l,ieuxae 'rèprés,entat i on _des
nouvell~s 1n~tânces de pb~~oirs~ (mi'litaires~,admiriistration civile et
commerçants) di vi se 'économ; qu~men~; et l~oci al ement 'l'esfJace urbain 'en
deux zones; ,lavllle blanche etl~·a'ville indigène.>l~ constituera un
des foride'menÙ' de'l'urbanisme co'l oÏ1;al, ,lorsque celui-cl sera théorisé,
au d,ébüt,du ~Xe'siècle·. .' -' , : ' ".:' ,... . " ,;, " :.' ,',
'Les' Africains'degré 'ou de' force ao'jvent se'c'Ç1rifor..,mer ~ '~e-tt'e'
re 91e~e~t?t,i~~. Se.~.\s~. c~rta;t,n.~;}1,a.~i~èn~.~ "~e.Jr~n~~e~r;~t ll-~e :q~.,Bâ.makd"
peuvent faire,valolr leurs drolts fonclers~ pour ne pas,etre relégués
dansle~' quartiers.réservé's'.:Mais cette' possibilité niaffecte'que.
quelques ·èentaines de citadin's, . .l'aqnii,n;Ïstration- coloniale, ayant pris"
soin" chaque fois qu:'.elle'-le',pouv,ait ges'installérsur les sites'
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- 111 -

vierges d'habitation et de culture, afin de prendre plus aisé~ent


possession du sol, au no~ du principe des "terres vacantes et sans
~aitre" (loi du do~aine national dans les colonies de 1904).

Ce principe de lotisse~ent co~~e ~ode d'organisation de l'espace


urbain perdu tout au long de la période coloniale. En fonction de
l'accroisse~ent dé~ographique de la ville et de ses ~oyens financiers,
l'ad~inistration trace sur des sols qu'elle s'approprie des lots
régul i ers séparés par des rues toutes auss i régu l iè res. Aprè s 1945,
les pr oc é dur e sne s on t guè r e ~ 0 d i fié es, l' au g ~ en t a t ion des c réd i t s ,
(FIDES) per~ettent d'a~él iorer l'équipe~ent urbain : des réseaux d'as-
sainisse~ent sont creusés, des goudrons apparaissent. A l'indépendan-
ce, la ville de Ba~ako s'est étendue sur l'autre rive du fleuve tou-
jours selon le ~ê~e principe. Cette organisation de l'espace qui
produit ce paysage de da~ier caractéristique à toutes les ~étropoles
africaines est conservée apre s 1960 par les nouvelles autorités qui,
par ~anque de ~oyens financiers et techniques, s'adressent aux ~ê~es
spécialistes et aux ~ê~es bailleurs de fonds. Cependant l'aug~entation
de l'exode rural et les difficultés écono~iques de ces pays, ne
per~ettent pas d'étendre à l'ense~bl e des zones habitées ces opéra-
tions. Aussi se développent des quartiers "spontanés" à la périphérie,
ou plu tôt de s zones où l' hab it a nt n'occupe les 0 l que de ~ an iè r e
précaire, son insta11 at i on n'étant pas reconnue par l'Etat.
Aujourd'hui l'activité écono~ique reste concentrée à Ba~ako dans
l'ancienne ville blanche; tout autour se sont développés les lotisse-
~ents puis apparaissent les quartiers "spontanés", situés parfois à
quinze kilomètres du vieux centre.

B- QUARTIER ET SOCIABILITE: L'EXEMPLE DE DAR SALAM


Le quartier urbain représente dans notre langage une unité de
découpage de la ville regroupant une co~~unauté sociale qui s'est
générale~ent constituée avec le te~ps. S'il est difficile d'en cerner
les li~ites spatiales précises, qui different selon les habitants, il
est ad~is que dans de no~breuses villes, l'espace se subdivise en
quartiers qui ne sont pas sifllple~ent une partition ad~inistrative.
Cette représentation a été soulignée lorsque que les co~~unautés
définissant ces quartiers possè dent un tra it co~~un co~~e une ~ê~e
activité co~~erciale par exe~ple, ou une origine ethnique ou
géographique co~~une ou une ~ê~e religion.
Si le quartier Juif constitue. un archétype du quartier, il évoque
aussi l'idée d'une résidence i~posée qui peût être une des origines
de la cohésion sociale d'un quartier: l'entraide entre des individus
qui peut produire peu à peu des réseaux socio- écono~iques voir fina-
l e~ent une co~~unauté se ~arquant spat i ale~ent, résulte souvent de
leur rejet par les autres habitants de la ville. Aussi, si co~~uné­
~ent l'idée de quartier à une connotation conviviale et sy~pathique,
son fonde~ent peut être une opérat i on d' ass i gnat i on à rés i dence d'un
groupe particulier. Dans cette perspective, l'existence de quartiers
sociale~ent ho~o9ènes est un ~oyen de connaitre les rapports sociaux
au sein d'un établisse~ent.
- 113 -

L'analyse des villageoises dans cette région (cf. Les


co~~unautés
établisse~ents hu~ains au Malide G. Brasseur) a ~is en évidence leu'rs
divisions lignageres auxquelles peuvent s'ajouter des divisions écono-
~iques et ethniques, qui se ~anifestent spatiale~ent par des quartiers
propres à chacune des co~~unautés rés i dentes. A Ba~ako, dans ce vi 1-
lage de quelques centaines d'habitants existaient lors de la pénétra-
tion coloniale plusieurs quartiers, Dravela, Niarela, Bozola, Tourela.
Les deux pre~iers correspondaient à des lignages les deux autres
regroupaient plutôt des pêcheurs (Bozo) dans l'un et les co~~erçants
Maure dans l'autre. Cette division spatiale rappelle les rivalités au
sein du village entre le lignage des Niaré_ et celui des Touré, avec
les Mauré et les Bozo, étrangers tolérés en raison de leur activité
qui co~plète et enrichie l'écono~ie de ce village. Cette répartition
spatiale de la population nous ré'kle ici certains rapports de force
et ~ê~e l'intolérance des groupes qui ne supportent pas la venue
d'autres individus, dans l'espace qu'ils habitent; par l'occupation
d'un espace, un groupe social expri~e sa présence, voire son pouvoir.
L'installation du pouvoir colonial à Ba~ako ne se traduit pas
i~~édiate~ent par l'instauration de nouveaux ~odes d'occupation jus-
qu'au début du siècle, les habitants du vieux village se sont pas
expulsés et les nouveaux venus ne sont pas sou~is à des règle~enta­
tions particulières concernant leur i~plantation.
Sur le site du quartier étudié, Dar Sala~, s'étaient alors fixés
des pasteurs Peul gardant le bétail des colons, des soldats de l'ar~ée
coloniale qui, après la conquête, s'étaient retrouvés bases dans les
casernes de Ba~ako situées à proxi~ité de ce lieu, et d'autres
~igrants travaillant co~~e boys ou co~~e co~~is auprès des Européens.
Cet espace ~arécageux n'étant pas cultivé, l'ad~"inistration s'en e~pa­
ra sans difficultés et autorisa son occupation par cette population
qui lui était utile. Quant aux habitants du village de Ba~ako, ils ne
critiqœrent pas ce genre d'opération qui leur évitait d'être envahis
par des étrangers dans leur établisse~ent, population qu'ils considé-
ra i ent avec condescendance co~~e en té~o i gne l a pre~ iè re appe 11 at i on
donnée alors à cette place: kolokotobougou signifie l'établisse~ent
des ho~~es seuls et par extension des voyous.
En 1916, sur ce terrain où n'habitent alors que quelques dizaines
de personnes, le service des travaux publics de la colonie décide de
réaliser un lotisse~ent et dessine des parcelles carrées de vingt
mètres de coté, groupées. par quatre et séparées par des voies rectili-
gnes qui se croisent régulière~ent. Tel est l'origine des quartiers de
Dar Sala~, qui acquiert cette appellation plus sere"ine "le lieu de
paix" à cette occasion.
Ce type d'opération est progressive~ent répétée tout autour de la
ville blanche. Les parcelles, à raison d'une ~nité par chef de fa~il­
le reconnu par l'ad~inistration, sont prioritaire~ent affectées aux
occupants du lieu. Ceux-ci peuvent conserver leurs habitations si
elles n'e~piètent pas sur la voisine. Les nouveaux venus doivent aussi
se confor~er à ces tracés.
LE QUARTIER DE DAR SALAM - BAMAKO
- 115 -

Le pre~ier peuple~ent de ce quartier est co~posé de ~ilitaires~


de che~inots~ de co~~is~ c'est à dire d'e~ployés des différents ser-
vices coloniaux. L'ad~inistration privilégie son personnel en leur
"offrant" des lieux de résidence durable. Cette opération ne nécessite
pas à Ba~ako l'usage de l a force~ contraire~ent à Dakar à l a ~ê~e
é po que. Il n' y a pas ici exp ul s ion des 0 ecu pan t s du lie u; ·a u con -
traire~ ces habitants installés depuis peu dans cette ville sont ainsi
reconnus par les autorités co~~e de nouveaux citadins, au ~ê~e titre
que les anciens occupants du village.
A son fonde~ent ce quartier réunit des individus isolés d'origine
géographique et ethnique diverses; c'est en fait un quartier
d'i~~igrés, ~arginalisés par les anciens Ba~akois~ ~ais qui acquièrent
un autre statut social dans la ville grâce à leur activité auprès des
nouvelles autorités.
La dé~arche spatiale du nouvel é~igré en ville n'est pas alors
fonda~entale~ent différente de celui qui a é~igré dans un village;
il obtient un terrain gratuite~ent dont il peut user libre~ent - les
règle~entations ne sont pas alors très contraignantes et encore ~oins
appliquées- • La seule contrainte est de s'installer sur un sol qu'il
ne peut choisir ~ais telle était la règle aussi auparavant. Seul
l'interlocuteur change pour l'i~~igré. Cette apparente continuité
explique le peu de conflits rencontrés face à ce ~ode d'affectation
de parce 11 es dont -1 es contr-a i ntes ·ne se feront sent i r que bi en plus
tard.
La différenciation do~aine public do~aine privé~ les .li~ites
inextet;1~ibles de la parcell.e, saval~ur ~arçhande, entraineront des
~odifications de pratiques d'habiter ~ais n'ont alors gœrede ~até­
rialité, quand seule~entquelques centaines d'individus venus souvent "
se ul s à l a vi 11 e s 0 11 ici te nt un ter rai n don t les li ~ i·tes as sig née s
sont fréque~~ent fictives; les ~urs d'enceintes, les rues, les
aligne~ents les bornages, ne seront réalisés que peu à peu et ne
prendront for~e dans ces pre~iers quartiers urbains que dans les
années 1930-1940. 'Enfin cette continuité for~elle de procédure
d'affectation du sol est sy~bolisée aussi par la figure du chef de
quartier no~~é par l'ad~inistration et chargé de la délivrance des
terrains et de la police du quartier.
L'origine de ce quartier ne résulte donc pas d'une réunion volon-
taire d'individus en fonction d'un trait social co~~un, sinon celui
d'é~igré, ~ais d'une volonté de l'appareil colonial de contrôler une
population ~ouvante. Un lieu de résidence fixe est aux yeux de la
nouvelle ad~inistration, un ~oyen d'initier la population aux lois du
systè~e colon'ial ; il facilite nota~~ent la perception de l'i~pôt.
Cette pol itique rappelle dans -son idéologie celle développée un peu
plus tot en Europe vis à vis des classes ouvrières.. .
. Cet urbanis~e , fondé sur une division sociale de l'espace, ne
produit cependant pas des regroupe~ents sociaux et nota~~ent ethniques
à l'échelle de ces lotisse~ents. Ce ~ode de constitution du quartier
est institué en principe d'organisation de l'ense~ble de l'espace
, . ,
~-~ 116 -

urbain réservé aux Africains. Tou~ les 10tisse~ents sont par~ellisés


de la sorte et perwettent.des.r~groupewentsau.sein de c~tte popula-
tion sé10rl diverses' affinités'. l'utbaniswe :cb10nia1 ·français à cette
époque ne se caractérise pas contrairewent à l'urbaniswe anglais par
une division ethnique de l'espace ;.et il es~ l'(Iêwe difficile de lire
une.division éconowique 'des quartjers indigènes! Ltéch~c des cawps.des
traya i 11 eurs des .uv i.11 ages de 1i berté M (cf Qen i se BOUCHE) ni a pas
poussé l'adwinistration coloniale dans.çette'direction ; a~ssi lorsque
l'.on ,rewarque un regr:oupeJl1ent spatial 'selon une activité ou un statut
social, cette r.éunion n'a pas été 1 1 0bj,etd ' un,e politique urbaine et
ne concerne pas. l'ensewb1e de la population d.'un .quartier ;. el,le
perwet plutôt. de wettreen valeur un,groupe ·do'win~nt, dans son statut
éconowique ou dans son ancienneté d'iwplantation.. .
Le quartier de Dar Sa1~w est ainsi surnowwé le ~uartier des
fonct~onnaires. Ceterwe renvQieaux prewièrs habitants qui travai1-
1ant pour l'adwinistration, poys~ cowmis, soldats wais aussi pasteurs.
Leurs desceridants'ont~pu b~néflcie~'d'un~ in~tr~~ionsc01aire 'et oni
accédé à des postes p1us.é1evés dans 'l'ap'pareil étatique co10r:tia1.
Lettrés, f1 s furent. 1es prewi ers, à~ 'opposer ·au pouvoJ r co 1oni a" et
occuI:è.rent. à l'indépendance des pos1:;es de'responsabilité, leurs ~n­
fants ont effectués des études "supérieures et font aujourd'hui partie
des cadres de la jeune nation.' " . " ' , ' :. ' '.' .' .
. Si cette popul ati on .' êonst itue :Të noyau' anc i en de <Dar Salam et
justifie son surnow, elle n'a jawais cowposé 11ensewble du peup1ewent.
A ces.habitants qui bé[léficien~t, siu sys.tèwe colc;miql, S'oPP9sent ceux
qui s'installèrent ;alors 'dans ce'quartieret· qui restèrent toute leur
vie au bas de l'échelle, 'sociqle cowme 'boys.: 'En .outre le peupiew~n:t de
ce quartièr nlayant ,jamais ét~ arrêté,' plus: :nowbreux :encore sont' ceux
qui~é,!,igrè'ren.tet ~ui ·.~wîgrent·aujou.r'hu1,é1çll:is ce ;q~~rtier!êf 'qûi
i1~ënt ai1ëjHf:"'~ en éC~Ù)bm i'qu'e ·d Ïl~èct à'v'ec 'q~'a'RP'ar:e'n :{l'Etat. 1 Aus~ i il
est difficile de parler ':.d,'honiogénéité socio-éconowiquè dans ce quar-
t i er • ' . . . . . . ; . , . - . ". ':", <- ' .~' . • - . • .

. ~"équi va l ence des ·pro.céd.ures dl affecta~i ol'lde parcelles pendant


longtewps ne re.nd pas un .quàrti'er .plus attraët,if -qu'un ~utre ; les
TJligrants se. répartissent dans ce~"Jotis~eiJ:1ents en' fonct:ion de. fac~
teurs divers (présence d'un parent,. -d'un' ami ••), qui ewpêche une .howo-
génisation sociale et ethnique du quartier, freinée aussi par la
diversité, des activités éconowiques des habjtants. Ce n'es~ que récem-
went avèc.l'extension de la vtllè 'qu'apparaît une dist;n~tior,sociftle
entre les quartiers du centre de la'ville à ~roximité de~ lieux éçono-
wïques~ et' les quartiers périphériques QÙ résident les cla.sses lès
plus, pauvres •. ", '" . .,' .'" ' . . ' . '. .
Les habit,ants 'de Dar Salam ne s'un:ifJent m~wep<!s dans un wêwe
rapport foncier' ou dans .une anGienneté d'iwplantatïon. Leur seul
référentiel cowwun est un cadre déliwité spat'ialement et.·régi par une
adwinstration représentée pa~'lé~hef'de 'quarti~r, e~ qui "a produit
~erta;ns équipements'propres ~ ~e lieu: la"wàison des jeunes,' 11~co1e,
.la co'opérative.Si. le discours urbanistiquè~ pose ,les équipewents
publi.c~ cowme des woyensde réuniQn dela pOpl,.lla1:;ion et -deprodu.ction
d'une sociabilité "de quartier", l'observation de' la'désertionde ces
- 117 -

lieux, hor~is pendant leurs ~o~ents de fonctionne~ent nous éloigne de


cet te hypot hè sc. Les rés eau x soc i aux ici, et a il leu r s, ne se f 0 nden t
générale~ent pas dans la fréquentation d'un lieu institutionnel. Si
l'espace peut influer dans leur constitution, c'est dans sa di~ension
quotidienne, c'est à dire dans l'organisation des lieux d'habitation
et de circulation.
L'hétérogénéité de la population des quartiers est une spécifici-
té de cette ville et s'oppose à l'ho~ogéneité ethnique, voire classi-
que ou lignagère, de no~breux villages de cette aire culturelle. La
sociabilité urbaine ne se refère plus principale~ent à ces référents,
ce qui ne signifie pas qu'il n'existe aucun regroupe~ent de ce type
dans la ville. Nous pouvons en rencontrer à l'échelle d'une co~~unauté
de voisinage ou re~arquer ~ê~e qu'une forte proportion de Malinké par
exe~ple réside à Dar Sala~, ~ais cette concentration renvoie ici au
processsus ~igratoire : les Malinké étaient installés dans une région
qui connut dès 1880 la do~ination coloniale; ils é~igrèrent dès le
début du siècle nota~~ent avec les travaux du che~in de fer vers la
capitale et se fixèrent donc dans les pre~iers lotisse~ents. Par
ailleurs, le quartier Bozola de Ba~ako qui ne réunit non pas des Bozo
~ais des co~~erçants possède une certaine ho~ogénéité écono~ique •
Elle résulte de l'absence d'opération de lotisse~ent de ce quartier,
où le sol a été attribué depuis la fondation du lieu par un lignage
qui a favorisé la venue d'une certaine catégori~ de population afin
d'asseoir son pouvoir. Ces regroupe~ents restent circonstanciels et ne
se répètent pas dans tous les quartiers; ils ne constituent pas un
principe d'établisse~ent de la population urbaine.
Le quartier "urbanistique", tel qu'il est donné à lire sur une
carte, n'est plus necessaire~ent un découpage social. Cette unité
spatiale résulte générale~ent d'une partition ad~inistrative; il
raconte l'histoire de l'a~énage~ent de la ville et constitue un re~re
urbain. La variété de la population des quartiers et sa ~obilité sont
autant de co~posantes d'une sociabilité urbaine qu'il serait vain de
considérer en ter~e de destructuration. Ces caractéristiques nécessi-
tent plutôt de repenser l'approche de l'espace urbain avec d'autres
outils ~ais aussi d'autres idéologies que ceux et celles utilisés pour
analyser le ~onde rural. La ville est le lieu privilégié de la recon-
naissance des différences.
Le choix d'un quartier co~~e unité spatial d'analyse résulte de
l a nécessité pratique de l i~iter le lieu d'étude ct de se référer à
une unité quelque peu tangible. En outre le ~uartier urbanistique
reste une ~é~oire de l'a~énage~ent urbain et de l'évolution de la
population citadine, nota~~ent grâce aux enquêtes des a~énageurs qui
ont recours à cette notion pour découper la ville.Cependant ce choix
~et en évidence l'a~biguité idéologique que recouvre ce ter~e : L'as-
si~ilation d'un espace à une co~~unauté. Aussi les rapports sociaux
que nous analysons sont à prendre co~~e représentatifs de la ville, ou
du ~oins d'une certaine logique urbaine qui s'organise autour des
po lit i ques d'a~énage~ent.
3 LE QUARTIER DE DAR SALAM

_ PARCELLAIRE El ACTIVITES

NOMBRE DE PIECES DANS LES PARCELLES


- 119 -

c- EVOLUTION ET MONETARISATION DE L'ESPACE : LE PARCELLAIRE


Représentation technocratique per~ettant de contrôler la proprié-
té foncière, le parcellaire est aussi un ~oyen de percevoir l'éventuel
pouvoir d'une co~~unauté dans un lieu par son e~prise foncière, et de
lire l'évolution des rapports foncier dans le te~ps et l'espace.
Le ~ode de peuple~ent de Dar Sala~ n'a pas per~is à un groupe
particulier de s'arroger un grand no~bre de parcelles. La grande
~ajorité d'entre elles sont occupées par leur propriétaire qui ne
po s sè de généra l e ~ ent que ce bi en f 0 ncie r. Se ul s que l ques hab it an t s
possèdent plusieurs parcelles dans ce quartier qui sont souvent
dispersées et occupées par des ~e~bres de leur fa~ille.
Plus significative est l'évolution de la taille du parcellaire
(cf plan 3): on distingue trois types de parcelles en ce lieu, l'une
carrée de 20 rrètres par 20 rrètres, l'autre rectangulaire correspondant
à la ~oitié de la précédente, et une troisiè~e catégorie plus petite
encore de for~e irrégulière d'environ 100 ~2. Le pre~ier type corres-
pond à la parcelle attribuée par l'ad~inistration lors de la création
du quartier, cette di~ension étant celle pratiquée dans la ~ajorité
des villes coloniales à cette époque.
La division de cette parcelle en deux tranches égales, le deu-
xiè~e type, suggère plusieurs explications : l'aug~entation de la
population Ba~akoise encourage cette partition, la de~ande en parcelle
étant de tout te~ps supérieure à l'offre ; l'ad~inistration ne réali-
sait les lotisse~ents que lorsque la population sans gite durable
devenait trop élevée et lorsque celle-ci co~~ençait à s'établir sans
se soucier d'en référer à l'autorité. En outre, Le droit colonial
autorisant la cession de ces terrains à condition que cette opération
ne concerne que des indigènes, no~breux sont ceux qui vendirent la
~oitié de cette parcelle. Cette pratique était devenue si courante dès
1945, qu'à l'occasion de la deuxiè~e opération de lotisse~ent du
quartier, l'ad~inistration di~inua de ~oitié la taille des parcelles
affectées. A cette pratique s'ajoutait le problè~e des héritages: le
sol, acquérant une valeur ~onétalre, devient un produit à diviser
entre les fils du défunt. Si souvent le pre~ier fils conserve la
concession, dans certains cas, celle-ci peut être divisée entre plu-
sieurs héritiers.
Enfin, il faut ajouter qu'en ~arge de ce systè~e d'échange ~oné­
tarisé, a existé un ~ode de répartition du sol qui n'était pas co~pta­
bilisé de la sorte. Ainsi des occupants de parcelles ont pu les obte-
nir d'un parent installé dans le quartier, qui s'est désaisi d'une
portion de son terrain ou d'une autre parcelle qu'il possédait, sans
verse~ent d'argent. Ce type d'opération qui n'est pas toujours
inscrite sur le cadastre, peut renvoyer aux obligations des ainés vis-
à-vis de leurs cadets, à des rapports fa~iliaux co~plexes et à des
pratiques de cl ientél is~e. Non ~onétarisé, cet acte n'est cependant
pas gratuit. L'héberge~ent peut être payé autre~ent : ainsi certains
co~~erçants et artisans peuvent proposer ce type de solution à des
PAYSAGES DU QUARTIER DE DAR SALAM
- 121 -

parents, en échange de quoi le bénéficiaire et ses proches se doivent


de travailler pour leur hôte dans des conditions particulièrement peu
avantageuses. Une relation familiale ne signifie pas une absence
d'exploitation, et le logement "gra tuit" est un moyen efficace de
s'attacher la main d'oeuvre (les philantropes du 19ème siècle en
Europe l'avaient déjà remarqué et expérimenté). A cette situation
rencontrée s'ajoutent d'autres cas où le rapport de dépendance dans ce
genre de situation ne repose pas sur un intérêt économique direct mais
plus sur une pratique de clientélisme: tel notable du quartier pour
asseoir son autorité, peut héberger gracieusement des nouveaux venus
en ville, la présence dans ce quartier de membres de sa famille ou
même d'étrangers qui lui sont de ce fait obligés, ne pouvant qu'ac-
croitre sa renommée. Cette volonté de multiplier le nombre de ses
dépendants est un moyen utilisé par certains pour améliorer leur
statut social et économique; il n'est pas s'en rappeler la figure de
la grande famille noble où trônait le chef de lignage entouré de ses
esclaves et ses griots. Cette image a encore sans doute une prégnance
chez cette population qui n'est pas, au moins imaginairement, en
rupture avec son passé.
L'analyse du parcellaire indique l'existence d'un troisième type
de parcelle de taille encore plus réduite. Dans la majorité des cas il
s'agit d'une cession monétarisée récente d'une portion de parcelle.
Cette opération financière souligne la valeur monétaire'du sol dans ce
quartier établi à proximité du centre d'activité de la ville, situa-
tion qui permet à des habitants de se rendre à leur travail sans avoir
de frais de transport. L'emplacement du lieu de résidence devient un
atout économique dans une économie capitaliste, particulièrement dans . ~-\;.~
ces vi 11 es qui s'étendent à l' ho riz 0 nt ale et qui ne po s sè den t pas de . ~' ..'.
réseaux de transport collectif. Le cout des trajets.de transports
rapporté aux revenus des habitants s'avère particul ièrement élevé ."
outre leur incommodité, et influe sur le mode de vie des citadins (un ..; '; ~

hab it an t aya nt un r e ven u de 400 F f ra nça i spar moi s, par ex e mpl e un


instituteur à Bamako, effectuant son trajet vers son lieu de travail
en transport collectif doit débourser environ 7 à 8% de son salaire
pour réaliser cet aller-retour quotidien. Il est donc hors de question
qu'il rentre chez lui déjeuner par exemple). Ce dés ir d'habiter
aujourd'hui le centre de la ville ne concerne pas seulement les sala-
riés. Le commerce restant localisé dans le centre, les nombreux cita-
dins qui n'ont pas de travail fixe et qui vivent de petits travaux
occasionnels ont intérêt à être à proximité de ce lieu économique. Les
propriétaires de concession "bien placées" ont conscience de ce privi-
lège et n'hésitent plus aujourd'hui à le monétariser en louant des
pièces ou en fractionnant leurs parcelles.
L'approche de l'espace urbain à partir de ces représentations
urbanistiques, ville, quartier, lotissement, parcellaire, met en évi-
dence l'influence de l'appareil d'Etat dans les modes de gestion de
l'espace. Une étude dont le but est de saisir les rapports qu'entre-
tiennent les citadins à l'espace habité, nécessite la connaissance et
2 QUARTIER DE DAR SALAM - L'ESPACE BATI EN 1968 ET 1978
- 123 -

la prise en co~pte des politiques d'a~énage~ents décidées par des


agents particuliers.Ceux-ci sont initiale~ent les ~ilitaires et les
colons co~~erçants dans les villes coloniales d'Afrique puis l'appa-
reil d'Etat qui"est composé de no~breui groupes de pression, politi-
cie"ns, technocrates, co~~erçants, àutorités religieuses, ~ilitaires..•
L'étude des politiques d'a~énage~ent urbain n'a pas pour but
d'effectuer un déplacement de l'objet d'analyse, d'une sociologie des
habitànts à une sociologie des institutions; ce détour résulte de
l'observation des pratiques de ces habitants qui ~ontrent co~bien
ceux-ci sont conscients dès· leur arrivée en ville des nouveaux pou-
voirs existants et des enjeux écono~iques qui s'y réal isent. L'ana-
lyse des pratiques foncières renforce cette opinion.
0- STATIIT fONCIER ET STRATIFICATION SOCIALE

LES REGLEMENTATIONS
L'analyse des rapports fonciers a été réalisée principale~ent
dans le quartier ancien et lotie: de DarSala~, puis de ~anière plus
rapi de dans un quartier "spontané", Magna~bougou, situé à l a péri phé-
rie de la ville. .
L'espace bâti de Dar Sala~ à travers l'observation de deux rele-
vés,(cf plan 2) en 1968 et en 1978, présente une forte croissance;
celle-ci souligne que la construction de nouveaux bati~ents n'est que
très partielle~ent freinée par les contraintes d'espace que sont les
li~ites des parcelles.Cependant, le sché~a précisant le no~bre de
pièces par parcelle indique que la densification de l'espace bâti
n'est pas systé~atique~ent proportionnelle à la taille des "parcelles:
certaines grandes parcèlles sont peu construites tandis que des
parcelles de taille ~oyenne peuvent atteindre seize ou dix sept
pièces. Nous n'avons pas établi de statistiques précises ~ais ces cas
sug~rent que l'accroisse~ent du "bâti dans une concession ner.envoie
pas si~ple~ent à une "question de surface. S'il est à rapporter à
l'aug~entation de la population dans ce vieux quartier de la ville, sa
population passe de 5200 personnes en 1968 à 7900 en 1978, on ne peut
cependant définir de rapport ~écanique entre la densification du bâti
et l'accroisse~ent de la population: les concessions les plus denses
en constructions ne se caractérisent pas toujours par l'i~portance de
leur population, ~ais plutôt parfois par le fait qu'elles ne sont
occupées que par des 10cataires.Pour saisir la diversité des cas
rencontrés, il est nécessaire de se référer au statut socio-écono~ique
du groupe occupant la parcelle et plus particulière~ent à son statut
foncier.
L'accession au "sol résulte de règle~entations coloniales. Si lors
de la fondation des pre~iers lotisse~ents à Ba~ako, il est aisé d'ob-
tenir une parcelle, cette situation ne signifie pas pour autant une
équivalence de tralte~ents pour tous. L'obtention d'un per~is d'habi-
ter qui sanctionriait l'occupation d'un~ parcélle résultait de la
constation de cette occupation. Celle~ci devait être ~atériëlisée par
la .construction d'au ~oins un bâti~ent d'habitation, condition aisé-
~ent réalisable étant donné le faible coût d'une construction en
- 124 -

terre. Si théoriquement l'administration ne délivrait qu'une seule


parcelle par famille, dans la pratique, elle favorisait les Africains
dont elle pouvait s'attacher les services en leur octroyant généreuse-
ment une parcelle supplémentaire, privilége qui ne lui coûtait guère.
Aussi certains habitants bénéficiaient d'une seconde parcelle voire
plus. Celle-ci n'était pas nécessairement localisée dans le quartier
où habitait le requérant. C'est plus à l'occasion de nouvelles opéra-
tions de lotissement qu'un individu "bien placé" pouvait obtenir une
autre parcelle. Cette pratique n'est pas récente; nous en avons
trouvé des traces dans les années 30 et il est imaginable qu'elle se
soit développée dès la fondation de la procédure de lotissement: dans
des villes plus anciennes comme Saint-Louis du Sénégal ou Dakar, cette
pratique est fréquente dès la fin du XIX siècle.
Le principe d'affectation gratuite de parcelles à l'apparence
égalitaire, se révèle être un moyen de favoriser certaines catégories
sociales. Pendant la colonisation il a favorisé la production d'une
notabilité nouvelle en ville composée notamment de fonctionnaires
propriétaires. Mais cette situation a été perçue rapidement par l'en-
semble de la population urbaine comme un moyen d'enrichissement. Aussi
la spéculation foncière est depuis longtemps pratiquée par tous ceux
qui en ville en ont la possibilité, elle a des incidences sur les
pratiques de l'espace habité et sur la structuration de la population
urbaine.
LES PROPRIETAIRES
La parcelle n'est pas nécessairement l'unique support d'un groupe
familial. Si un chef de famille a pu bénéficier de plusieurs lots, ses
dépendants peuvent se disperser sur celles-ci ; ne résidera, dans la
première parcelle du groupe, souvent située dans un vieux quartier,
qu'une fract i on de cette communauté. Cette di spers i on n'est pas une
destructuration familiale mais au contraire une stratégie permettant
la reproduction de cette communauté qui ainsi n'est soumise aux li-
mites inamovibles de la parcelle. Ce "système résidentiel" permet une
mobilité de la population et une gestion modulable de la communauté.
Les concessions les moins denses à Dar Salam appartiennent souvent à
des personnes dont la famille s'est disséminée sur d'autres parcelles
dans le quartier mais aussi dans d'autres lieux plus éloignés.
Une concession occupée par une famille nombreuse et parti-
culièrement bâtie ne signifie cependant pas qu'elle constitue l'unique
propriété foncière de la famille. Par exemple, dans une concession
particulièrement dense en population,(cf plan 5 ) le premiel' fils du
vieux chef de famille, qui loge en ce lieu avec sa femme et ses
enfants, posséde une parcelle dans un autre quartier; mais celle-ci
est louée et permet d'accroitre les revenus de l'ensemble de la famil-
le, revenus gérés par le père. En demeurant dans cette concession, le
premier fils reste auprès de sa famille dont il deviendra le chef à la
mort de son père et vit aussi à proximité de son lieu de travail. En
outre son départ dans la concession qu'il posséde entrainenerait une
perte de revenus que le chef de famille ne pourrait compenser que par
- 125 -

la location du bâtiment occupé par son fils dans la concession, situa-


tion qu'il refuse ne voulant pas d'étrangers chez lui. En fait si le
fils est propriétaire d'une parcelle la possibilité de l'occuper
dépendait de son père. La nouvelle concession ici n'est pas intégrée
dans un système résidentiel; elle n'est qu'une source de revenus
supplémentaires.
La mobilité résidentielle d'une famille ne fonctionne que lorsque
son patrimoine foncier peut augmenter avec le développement de la
famille et servir de résidence sans diminuer les revenus de l'ensemble
du groupe. Aussi n'a-t-on rencontré de telles pratiques que dans des
cas où le groupe familial est composé d'un nombre important d'indivi-
dus ayant des revenus pouvant être partiellement investis dans l'achat
de concession, grâce à une gestion globale de ces revenus. A la tête
de ce groupe socio-économique se trouve le chef de famille, le
notable. Celui-ci n'est pas nécessairement un membre de l'adminis-
tration, la puissance d'une telle communauté ne reposant pas sur son
insertion directe dans la sphère moderne du travail. Les revenus des
employés et des fonctionnaires sont peu élevés au Mali; ces statuts
procurent cependant des avantages indirects, par exemple, celui d'ob-
tenir des places à d'autres parents ou de permettre à d'autres membres
du groupe d'exercer des activités "marginales". La présence d'un
policier dans une famille autorise par exemple ses parents à se livrer
à des activtés de petit commerce sans être inquiétés.
Le développement d'une telle communauté repose plutôt sur la
diversité des activités économiques de ses membres; leur gestion
commune permet de concentrer tous les avantages propres à chaque
situation. Les qualités du chef de famille sont d'exercer une fonction
de médiateur entre tous ces individus, de gérer l'ensemble des revenus
et de les redistribuer sans qu'aucun ne se sente lésé. L'un des
notables rencontré à Dar Salam est originaire d'une famille de Griots
et avait reconverti ses qualités de médiateur à ce nouveau contexte
social.
La possession de plusieurs concessions, si elle résulte d'une
gestion commune permet aussi d'unir ce groupe en offrant des condi-
tions d'habitation dont certains membres ne pourraient bénéficier. A
ces parcelles destinées à l'habitation du groupe, s'ajoutent celles
louées qui assurent un surplus de revenus pouvant éventuellement être
réinvesti dans l'achat de nouveaux terrains. La présence d'un parent
dans une administration chargé de l'aménag~ment urbain (mairie, minis-
tère ds T.P., etc) est un atout non négligeable pour acquérir au
meilleur prix des lots sur l'emplacement des futurs lotissements. Des
terrains sont ainsi achetés auprès des chefs de vi 11 age suburbain;
quelques bâtiments sont édifiés afin de marquer l'occupation effective
et d'éviter le déguerpissement. Occupés par des individus dont il est
impossible juridiquement de prouver l'appartenance à une même commu-
nauté, ces terrains sont viabilisés lors de l'opération de lotisse-
ment et les occupants obtiennent un titre foncier régulier. Par cette
opération le patrimoine immobilier du groupe augmente sans gros inves-
tissement monétaire. Ce patrimoine peut être composé aussi de terrains
61116616b6
• DECEDE
.t. ABSENT

O',
3
1
AC antichambre
CH AC Ar, CH CH chambre
CU cui~ine
SA salon
DO douche
MA magasin
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HISTORIQUE

Le premier résident de cette famille


Malinké, originaire de la région"
de Kangaba, est arrivé comme mili-
taire de l'armée coloniale vers 1890.
Son premier fils qui est l'actuel
chef de famille a fait carrière
dans la police et s'est d'abord ins-
tallé dans le quartier de Dar-Salam
comme locataire.
En 1945, lors de la 2° opération
de lotissement du quartier, il a
obtenu un terrain qu'il a fait
batir; il possède aujourd'hui un
titre foncier. Plusieurs de ses
cousins se sont installés dans le
quartier. Le fils ainé marié continue
à habiter la concession bien qu'il
possède un terrain dans un quartier
périphérique, qu'il loue.
CONSTRUCTION

Les batiments en terre datent de la


fondation de la concession, 1945.
En 1956 et en 1971, des édifices en
ciment ont remplacé deux de ces
batiments. Le chef de famille à prévu 5 UNE CONCESSION A BAMAKO
que le batiment qu'il occupe puisse
être surmonté d'un étage. Il a ferré
le ciment à cet effet.
REPARTITION

l premier fils, sa femme et sa


dernière fille.
2 trois enfants de même classe
d'age, dont 2 neveux du chef
de famille et un de leursamis.
Oans la 2° pièce, vivent un
frère du chef de famille avec
ta. ~emme at ses 5 enfants
4 une fille du chef de famille
avec ses 2 enfants. La 4°
femme du chef de famille avec
ses enfants
5 un neveu du chef de.famille
sa femme et ses enfants
6 un fils du chef de famille
avec un ami de même age
7 résidence du chef de famille,
où dorment certains jeunes
enfants. Sa 1° femme occupe
une pièce avec 2 nièces et
2 petits enfants. La pièce
centrale sert de salon etde
chambre supplémentaire.
- 128 -

agricoles et notawwent de vergers, leurs productions perwettant d'ali-


wenter le groupe ou étant revendues en ville. Enfin les notables les
plus fortunés font édifier des villas qu'ils n'habitent pas toujours
wais qu'ils préfèrent louer notawwent à l'adwinistration qui utilise
ces bâtiwents pour loger une partie de son personnel.
Il n'est pas possible d'établir un woœle statique de ce type de
cowwunauté dont une des conditions nécessaires de reproduction est
l'insertion régulière de nouveaux individus. Le terwe fawille élargie
est insuffisant pour le qualifier: si nowbreux sont ceux liés par la
parenté dans ce réseau, celui-ci accueille aussi les étrangers.
rencontrés notawwent dans les associations de classes d'âges,appelés
"Grin" à Bawako, où se tisse une soci abil ité parfois plus iwportante
et plus efficace éconowiquewent que la sociabilité parentale. La
qualité d'un tel groupe est l'utilisation d'une structure sociale déjà
existante, la grande fawille, et son adaptation à un nouveau wilieu
socio-éconowique notawwent par la constitution d'un patriwoine foncier
perwettant d'unir cette cowwunauté et d'échapper aux l iwites réduc-
trices de la parcelle du lotissewent. Ces pratiques foncières
soul ignent cowwent certains individus ont pu s'adapter au contexte
colonial et ont su en profiter en utilisant certaines ~glewentations
édictées (quasi gratuité de la parcelle du lotissewent).
La quasi conjoncture est en revanche bien différente pour ceux
qui ne possèdent qu'une seule parcelle où est réuni l'ensewble des
dépendants, et qui nlont pas les woyens de s'étendre spatialewent.
Cette situation entrai ne une densification de l'espace bâti afin
d'abriter tous les dépendants dont le nowbre va en augwentant, enfants
et wigrants ruraux qui trouvent refuge chez un parent lors de leur
arrivée en ville. En outre la difficulté du subvenir aux besoins de la
wais on née tente d 1 être pa 11 i é e par l a l oc at i on de p iè ces afin
d'augwenter les revenus. A l'occasion d'un départ d'un habitant, la
pièce libérée est cédée à un locataire.
La densité de la population, la différence des statuts - le
locataire est un étranger qui ne se sent pas redevable aup~s du chef
de fawille d'autre chose que de son loyer - sont autant d'éléwents
rendant la vie quotidienne diffficile et suscitant des conflits dans
la waisonnée ; ceux-ci peuvent aboutir au départ de certains enfants
lorsqu'ils possèdent des revenus suffisants pour s'installer ailleurs.
Ces enfants " per dus" quittent la concess i on fawil i al e pour éwi grer
dans un quartier périphérique et ne participent plus financièrewent à
las ur vie de l a wais 0 nnée 0 ù l a vie s' a vè r e dia ut a nt plu s ar due. Les
individus qui peuvent contribuer à l'awélioration des revenus du
groupe s'en vont et sont souvent rewplacés par des locataires que le
chef de fawille accueille bon gré wal gré pour cowbler ce wanque à
gagner et pour éviter que d'autres parents woins fortunés ne s'instal-
lent dans la pièce libre et ne se fassent entretenir par la cowwunau-
té.
- 129 -

C'est à li i ntéri eur de ce groupe de personnes que lion rencontre


un attachement à une sociabilité de quartier permettant de rendre
li e xi ste ncep l us' a i sée. Con t rai rem e nt au x no t ab l es dont les y s tè mé
résidentiel fonctionne à lléche11e urbaine, ceux ci n'ont comme rési-
dence qu'une concession. En ayant des parents ou amis résidant à
proximité, ils peuvent p~r ex~mple momentanément se décharger d'un ou
de plusieurs,enfants qui iront partiellement résider avec dlautres
membres de leur cla~se d'~ge chez un voisin disposant de plu~ de
place. Il s'agit en fait d'une sociabilité de proximité~ l'enfant
pouvant revenir à tout instant chez ses parents et ne se retrouv'ant
pas isolé malgré c~ départ dans 'un autre lieu • .

, Cette fréqu~nce des échanges dlenfants soul i gnè comment "les pra-
tiques d'ha,bitation ne peuvent slenvisager en un seul lieu ou simple-
ment par rapport à une fonction de logement. Ces services mutuels
e
peuvent. se développer auss,i entre cette catégori d'habitants et les
notables.: les relations de connaissance existent entre ces deux
groupes: souvent voisins et installés depuis longtemps dans le lotis-
semen~, ils sont aussi les uns et les autres propriétaires~ Le notable
est représenté non pas comme un ennemi de classe mais comme un des
leurs qui a réussi. En 'outre en hébergeant un'fils d'un voisin, un
notable peut asseoir sa renommée et son pouvoir, llhébergé et sa
famillè devenant sesotiligés. '

LES LOCATAIRÉS

Tout~s 'ces remarques soul i gnent comment llespace en tant qu'objet


foncier, devient lÉs la mise en place de politiques d'aménagement un
enjeu économique en ville '; la spéculation foncière apparait même pour
certa'ins comme un des rares' moyens permettant d'évitèr une paupérisa-
tion. l'étudè des rapports' fonciers met en évidence deux'dynamiques
chez les propriétaires mais il reste encore un 'groupe d'habitants 'de
plus en. p,lus nombreux, les locataires, qui sont les premiers à subir
ce sys~me foncier. ' .

L'augmentation de cette catégorie en ville ne 'résulte pas simple-


ment de l'accroissement de la populatio~ mais est à 'associer avec
l'enjeu économique que représente l'accession au sol aujourd'hui. Dans
les quartiers centraux le pourcentage'de locataires peut atteindre 50%
de la popu lat ion : ;"1 di mi nue au fur et à mesure que l'on s 'éloi gne du
centre pour attejndre dans les quartiers périphériques comme èelui de
Magnampougou environ 10% de la population (la moyenne sur'la ville'est
dlenviron 33% en 1978;( cf plan urbain de Bamako -Groupe Huit 1978).
Dans ces quartiers périphériques, les terrains ëessibles sont plus
nombreux et moins couteux que dans le centre ville. Cette aisparité
est à rapporter avec l'organisation spatio-économiqiJe de cette ville
où les activités sont concent"rées dans une seule zone. Les migrants
s'installent dans un premier temps à proximité de ce lieu; ce nlest
qu'après plusieurs années qu'ils émigrènt vers la périphérie pour y
trouver selon leurs moyens une concession plus grande, un loyer moins
élevé ou un terrain à acheter.
- 130 -

Le locataire n'est généralement pas attaché à un lieu particu-


lier; il réside en ville pour faire fortune et souhaite retourner le
plus rapidement dans son village d'origine. Son choix de ville n'est
pas nécessairement définitif. Après Bamako, il tentera Abidjan ou
Dakar et éventuellement Marseille ou Paris afin d'arriver à ses fins.
Son lieu de résidence dans la ville n'est guère plus stable. Une
relation parentale ou amica1e en est parfois l'origine mais son prin-
cipal souci est de trouver le logement le moins onéreux et le plus
pratique par rapport à son activité.
Dans les concessions où ils habitent,les locataires ne peuvent
gLère s'approprier l'espace: les plus démunis requièrent auprès d'un
propriétaire un abri témporaire : celui-ci peut les autoriser à dormir
dans un coin de la cour ou dans la'pièce d'entrée où ils font office
de gardiens. 'D'autres, possédant une relation dans la ville vont
s'installer dans la pièce occupée par cet ami en attendant de trouver
un travail et de louer pour eux-mêmes une pièce. Les plus privilégiés
occupent une "chambre anti-chambre" d'une concession où ils font
parfois venir leurs femmes et leurs enfants restés jusqu'alors au
village. D'autres enfin, célibataires, préfèrent loger à plusieurs
dans une même pièce afin d'économiser leurs maigres revenus•.
Leurs relations avec leurs logeurs sont souvent conflictuelles.
Ils sont généralement rejetés par la famille qui n'aime gœre l'intru-
sion d'un étranger et qui ne les supporte qu'en raison de leus intérêt
monétaire. Ce rejet se manifeste spacialement par leur faible emprise
sur la cour de la concession; ils n'occupent que le pourtour du
bâtiment loué. Souvent boucs émissaires des conflits familiaux, ils
préfèrent lorsque les rapports, deviennent trop agressifs quitter ce
lieu plutôt 'que de chercher à imposer leur droit. Après plusieurs
années à Bamako, ils ont souvent "fait plusieurs quartiers". Une autre
méthode utilisée par les locataires pour éviter les conflits avec les
familles.des propriétaires, consiste à se replier dans une concession
uniquement habitée par le~ locataires où ils acquièrent un statut
équivalent autres habitants; cette solution, si elles'amplifie,peut
aboutir à la constitution de quartiers de locataires, et produire une
spatialisation des différences socio-économiques.
Les locataires ne forment'cependant pas un groupe économiquement
homogène; il faut distinguer ceux qui possèdent une activité régu-
lière, em'ployés, étudiants, socialement proches de petits proprié-
taires Qu'ils es~rent devenir un jour, des locataires n'ayant que des
emplois instables et peu rénumérateurs. Ceux-ci ont un autre rapport à
la ville': s'ils restent liés symboliquement à leur village d'origine
et se constituent en ville en asssociation des anciens de tel village
ou de telle région, ils ont par leur situation une connaissance de la
ville particulièrement développée: à la recherche de travail, n'étant
pas attaché à un lieu particulier, n'ayant qu'un logis précaire et peu
confortable, .leur habitat est préférentiellement l'espace public, la
rue, la placé qu'ils parcourent à longueur de journée et où ils
retrouvent leurs compagnons d'infortune.'
- 131 -

Le statut foncier des BaJl1akois induit des rapports divers à la


ville et corrélativeJl1ent au Jl10nde rural. Les notables et leurs dépen-
dants déploient leurs activités et leurs habitations à l'échelle de la
ville toute entière. BaJl1ako est devenu le centre de la cOJl1Jl1unauté et
la résidence de son chef t le coeur. Le village d'origine ne garde
qu'une connotation essentielleJl1ent sentiJl1entale pour ces citadins; les
parents villageois deviennent les obligés de leurs cousins urbains
qu'ils visitent fréqueJl1Jl1ent et dont ils esPèrent obtenir quelque aide.
Les classes Jl1oye~nest petits propriétaires et certains locataires
fixés à un lieu et ayant une activité t ont une vision de la ville
beaucoup plus partielle. Ils entretiennent une sociabilité de "quar-
tier" qui rappelle la sociabilité villageoise. Attachés à leurs
concessions ils ne sont pas aJl1enés à déJl1énager fréqueJl1Jl1ent; leurs
réseaux de sociabilité se constituent autour des relations de voisi-
nage et leur connaissance de la ville se liJl1ite à quelques lieux. En
outre la référence villageoise est souvent renforcée par les échanges
éconoJl1iques avec la parenté restée au village qui peut fournir une
partie de l'aliJl1entation.
Enfin les locataires t du secteur inforJl1el t s'ils se réfèrent sans
cesse au village en le subliJl1ant t ont une pratique de la ville fonda-
Jl1entaleJl1ent différente des précédents. Sans Jl1aison t sans attachetsans
feu ni lieu t leur habiter est d'abord la rue. S'ils cOJl1posent un
spectacle urbain qui séduit le visiteur t la précarité de leur vie t
éconoJl1ique t sociale t affective t n'en fait pas une population bien
dOJl1estiquée. L'adhésion au l~Jl1e siècle des ouvriers au projet social
progressiste s'est notaJl1Jl1ent faite grâce à la politique du logeJl1ent
social qui fixait une faJl1ille à un lieu et à un travail. En Afrique ni
l'Etat ni le secteur privé n'assurent cette fonction; aussi cette
population défavorisée éconoJl1iqueJl1ent et socialeJl1ent t dont BaJl1ako est
le réceptacle t n'a pas d'attache spatiale autre que sYJl1bolique t le
village de naissance t une ville où ils ont gagné un peu d'argent.
Aussi les politiques d'aJl1énageJl1ent de l'espace urbain t centrées sur
les découpages territoriaux et sur la notion de résidence fixe t ne
les concernent gUère quand elles ne renforcent pas leur Jl1arginalisa-
tion.
UNE CONCESSION A BAMAKO
- 133 -

II - MORPHOLOGIE ET PRATIQUES SPATIALES


L'espace bâti ne serait être confondu avec l'espace socio-écono-
JTlique d'un groupe d'habitants ni JTlêJTIe avec son espace résidentiel;
celui-ci est souvent dispersé dans laville et englobe des espaces non
bâtis, les cours JTlais aussi des portions de rues, qui participent à
part entière à la reproduction des pratiques sociales des habitants.
ThéoriqueJTIent une analyse de l'espace qui se liJTIiterait au bâti ne
rendrait cOJTIpte que de JTlanière très réductrice des pratiques d'habita-
t i on de 1a popu 1at ion. Méthodo 1ogi queJTIent nous avons pourtant centré
notre étude sur cet espace bâti dans la JTlesure où sa JTlatérialité cons-
titue une JTléJTIoire privilégiée. Le bâti est un repère que l'on peut
JTlesurer, distinguer, par opposition à une rue ou à une cour où l'habi-
tant ne fixe pas sur le sol des pratiques selon les JTlêJTIes JTlodalités •
Ces 1 i eux ne son t cep end a n t pas c eux de l ' é p hé JTlè r e , de
llinsaisissable, de la fusion sociale que l'on opposerait aux bâti-
JTlents, lieux de la fixation et de la distinction sociale. Une analyse
d'une rue ou d'une cour nécesssiterait une observation fine des objets
qui sont disposés, de leurs mouveJTIent, en les rapportant aux individus
qui occupent ces lieux; travail plus difficile à réaliser dans la
JTlesure où il n'existe pas de repère inaJTIovible. Si nous avons pu à
diverses reprises noter certains JTlouveJTIents privilégiés en ces lieux
où JTlêJTIe certaines fixations, nous nous refusons à les,systéJTIatiser
dans un fonctionnalisJTIe spatial qui nous seJTIble une approche trop
réductrice des pratiques sociales.
A - LA CONCESSION
ORIGINE
A BaJTIako JTlais aussi dans l'enseJTIble des villes d'Afrique de
l'ouest francophone, la concession est la représentation JTlatérielle la
plus fréquente de l'habitat. Ce terJTIe ne renvoie cependant pas à son
origine à une forJTIe spatiale JTlais à un type de transaction foncière
effectuée par l'adJTIinistration coloniale vis à vis des Européens et
dans quelques cas des Africains. Aujourd'hui ce terJTIe a changé de sens
et est utilisé pour définir une unité spatiale d'habitat'ion habitée
par des Africains, quelques soient sa taille et son statut foncier.
Les aJTIénageurs préfèrent appeler ce lieu une parcelle ou un lot,
conforJTIéJTIent aux règles de leur langage.
Nous avons auparavant évoqué la logique de ~orcelleJTIent de la
concession en ville; nous ajouterons seuleJTIent ici que cette' logique
s'oppose au principe du développeJTIent de l'habitat en JTlil ieu rural où
l'existence de groupes sociaux réunis en un JTlêJTIelieu et "absence de
contrainte et de place et de régleJTIentations étatiques d'iwplantation
autorisent un accroisseJTIent spatial ~e l'habitat avec le teJTIps. Sché-
JTlatiqueJTIent, au fur et à JTlesure qu'une faJTIille augJTIente, les habitants
construisent de nouveaux bâtiJTIents et des enclos qui se greffent au
noyau initial.
- 134 -

La disparition des unités;,li.gnagères et.claniques n'est pas =la


cause essentielle de l'évolution de l'espace 'habité en ville. La
concentration de personnes peut dans certains cas iriduire de nouvelles
.morphologies spatiales. Dans les anciennes'cités soudanaises comme
Djenné, les densités de population et d'activité limitaient lès possi-
bilites'd'accroissement horiiontalet produisaient une élévation des
bâtim~nts. . , . .
, Le principe du 10tiss~ment est la raison'essentielle de l'organi-
sation de l'espace urbain': il distingue une espace privé d'uri espace
public et pose les limites inamovitilesde l'un ~t de l'autre. De'ce
fait, il fixe les limites du dé~eloppenient spatial d~une comm~nauté et
favorise la dispersion .spat'iale de ·ce 'groupe' dans èertaines situa-
tions. En outre, le principe duloti~s~ment a aussi une incidence sur
l'extension spatiale'des villes actuelles. La part réservée'à l'espace
public produit une dédensification ,de l'espace "privé" par rapport à
éelui d'un village ou d'Une .citéa'ncienne' ou les rues se limitaient à
d'étroits' passages. ' . ," , ' . '. , , .
L'espace' habité en v"ille ne 'se dlst-ingue pas seulement par cette
différenciaticin public/pri'vé.La cohcession urbaine possède une maté-
'rialité et une or.ganisa1:ioÎ1 spatiale spécifiques.-Celles'ci ne sont
cependant pas définies par unè réglementation précise; ,n n'a jamais
existé une loi 'fiXant les ,modes de construction ou d'agencement d'ùne
'con'cession; quelques textes jur;,diques précisalent s'eulement quels
·watériaux pouvaient rêtre utilises.' "
Contrairement aux logements ouvrlers -en Europe qui possèdaient
des formes et des pièces spécifiques, le deux pièces cuisine etc, la
concession en Afrique n'était pas définie par un mo~le' ,préé~s,~l'ad­
ministration coloniale n'ayant pas les moyens d'imposer de nouveaux
moœles et de fournir des logements à l'ensemble de la population. La
concession ne s'est morphologiquement différenciée que peu à peu d'un
habitatrura l, et' préco 100 i al. ,Cette év01ut ion aété l'oeuv·re des
habitarits, qui s'ils n'étaient pas ob1igés d'adopter certaines formes
spatiales, ,étaient cèpendantsensibles aux modes d'habiter des Euro-
péens qui sè posa;j entenmoœ le. En outre la: monétari sati on des ecnan-
ges s'est particunèrement aévelcippée en ville'et n'a pas permis aux
citadins de reproduire un 'modé·de production de l'habitat, spécifique
à leur
. soc';,eté' d'origine; .leplus·
. . souvent 'rurale. . .. . ., .
,
. .
,EVOLUTION '.:
Une ,des .prerrdèresmanifestations de'l'habitat en vilie'est la
d j spariti on de 1a 'forme r;onde~'au'prof~ t des formes quadrang'ul aires.
Les réglementations sànitaïres .quiinter.disaient afin' de réduire les
ri sques d' i ncend fe, d' é lever·les "toits de 'pa i 11 e adaptés de par'l eUr
forme con rque' à; là ·:c i rcu lar~ité des bât i ments on t sans ,doute 'j oué un
rôle dan's cette évolution. Cependant il existe des bâtiments 'à base
ca,rréeavec' des toits en ~p'aille. ·Plus certainement, cette disparition
résulte' de l'éc'onomie' ,ur·baine colonialè. La construction d'une maison
est réalisée en ville avec des matériaux achetés, briques'de terre,
bois, etc ••• En élevant des bâtiments carrés qui peuvent s'assembler
- 135 -

les habitants réalisent une économie monétaire, certains murs servant


pour deux pièces. En outre, l'augmentation de la population qui induit
la construction de nouveaux bâtiments dans un espace limité renforce
cette évolution: le manque de place favorise les juxtapositions
auxquelles s'accordent mieux les formes angulaires. Enfin la maison
ronde, la II case ll, la"hutte", est posée par les colons comme un symbole
de la primitivité des populations noires.
En bâtissant des constructions rectangulaires les Africains
acceptent symboliquement une modernité, et se différencient du monde
rura l représenté comme arr i éré. L' habitat quadran gu lai re n'est pas
cependant pas une innovation coloniale. Dans les cités soudanaises il
était la règle et constituait déjà un signe d'urbanité, et dans cer-
tains villages, comme Bamako, il manifestait la présence des Maures,
population étrangère. Ces représentations ont sans doute facilité
cette évolution. Les nouveaux citadins que sont les habitants de
Bamako adoptent une forme spatiale symbolisant l'étranger et l'accès à
un autre statut dans la société; néanmoins le Maure ou l'Arabe n'ont
jamais eu socialement la même place que l'Européen.
Dans cette perspective, il n'est pas étonnant de noter que les
rares maisons rondes à toits de chaume existant encore en ville
aujourd'hui sont situées dans les quartiers périphériques, moins den-
ses, où les habitants sont généralement des migrants récents ayant peu
de ressources et se référant plus à un mode de production de l'habitat
non monétarisé et moins coûteux. La connotation rurale de ces lieux
qui se fonde dans ce rapport visuel induit une autre appellation de
ces quartiers, le village suburbain. L'étude des pratiques économiques
et sociales de ses habitants nous renvoie cependant plutôt à la notion
de cité dortoir, malgré le pittoresque du paysage.

L'évolution spatiale de l'habitat se manifeste aussi par l'uni-


formité de forme et de taille des pièces d'habitation qui dessinent
sur le so l un carré de quatre mè tres de côté. Aucune rég l ementat i on
non plus n'impose cette trame et les procédés constructifs, s'ils ne
permettent pas d'étendre indéfiniment la portée des poutres supportant
les toits de terre, n'interdissent pas au moins un développement dans
le sens de la longueur. Cependant trè s rares sont les piè ces rectangu-
.laires. La seule hypothèse que nous avons imaginée pour justifier
cette tradition (dans le sens où elle n'a pas de discours justifica-
teur) repose sur l'origine circulaire des pièces dont la taille était
limitée en raison du mode de construction du·toit : les maçons où les
habitants lorsqu'ils eurent à remplacer les édifices par des bâtiments
quadrangulaires ne firent qu'adopter la circularité à cette nouvelle
trame orthogonale; aussi dessinèrent-ils un carré circonscrit dans le
cercle qui offrait une taille et des proportions comparables.
La forme quadrangulaire permet un autre type d'agencement des
constructions et des communications. Les bâtiments carrés ne sont plus
obligatoirement séparés les uns des autres; ils peuvent être juxtapo-
sés. Cette mitoyenneté favorise une communication directe entre les
pièces, sans l'intermédiaire de la cour. Ainsi aux pièces qui ou-
- 136 -
6 PRINCIPES n'EVOLUTION n'UNE CONCESSION

EN MILIEU RUF;AL

i. .
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EU MILlEU URBAIN

'SUPERFICiE ET RAPPORT ESPACE'BATI/ESPACE NON BATI

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jomination d'un groupement villa adjG~ctio~ de batimE,ts


- 137 -

vraient directement sur la cour, s'ajoutent des pièces qui communi-


quent uniquement avec une autre pièce. Ce type de groupement est
fréquent aujourd'hui; ce deux pièces africains est appelé par les
usagers "chambre anti-chambre". Un troisième espace peut être ajouté à
ceg r 0 upe, l a véra nda qui sé par e ces piè ces de lac 0 ur, sa l 0 ngue ur
varie selon qu'elle dessert une deux ou trois pièces; elle peut en
outre être aussi divisée. Ce principe de regroupement et de division
interne de l'habitat, qui permet Jui aussi une économie de matériaux,
produit des bâtiments composés de plusieurs pièces, six ou sept par-
fois. Sa nouveauté se lit aussi dans la ter~inologie utilisée pour le
qualifier: Chambre, anti-chambre, véranda, renvoient au langage colo-
ni al •
Si ces termes français sont employés par des Africains, il reste
à présiser les analogies réelles au-delà des mots. Il est en effet
difficile de comparer les vérandas des concessions, espaces fermés
permettant la réunion de personnes mais aussi l'entrepôt de matériaux,
avec cette terrasse ouverte et surélevée des villas coloniales. De
m~me l'anti-chambre africaine est une pièce de séjour mais aussi
d'habitation au même titre que la chambre qui ne sien différencie que
par un caractère peut être un peu plus privatif. De toute façon elle
n1est pas cette pièce de réception et dlattente que lion remarque
surtout dans les bâtiments publics. L'emprunt de ce vocabulaire par
les Africains ne signifie pas l'adoption de nouveaux comportements; il
n'est qu1un moyen de se différencier symboliquement d'un milieu rural
dévalorisé et d'adherer dans l'imaginaire à une modernité dominante.
A l'écoute d'un certain discours tenu par des Africains sur la
ville, on pourrait composer un portrait modèle de celle-ci. Ce tableau
imaginaire, fait de v"illas, de vérandas, d'anti-chambres, de dur" Il

représente peut être un rêve de nouveau citadin mais cette adhésion


reste essentiellement formelle. L'analyse des pratiques d'habitation
nous offre un autre panorama qui ne se réfère guère au sens de ces
termes dans notre société. Cette opposition n1est pas nécessairement
contradictoire. Le nouveau citadin fixe sur la ville certains fantas-
mes de richesse et de modernité qui renvoient à l'idéologie du projet
colonial urbain: villas et vérandas sont aux Africains ce que les
places du 14 Jui 11 et, l es monuments aux morts et l es avenues bordées
dl arbres sont aux Européens.
Ce langage spatial reflète la pensée coloniale sur la ville qui
projetait Bamako comme une sous-préfecture tropicale modèle. Tous ces
élements composent un décor, représentent un projet social mais ne
rendent pas compte de la réalité spatiale et sociale des habitants. En
utilisant ce vocabulaire le citadin se différencie du monde rural et
signifie que son installation en ville sla'kre, au moins symbolique-
ment positive; cette terminologie permet peut être de masquer la
paupérisation de certains citadins, et notamment de leurs conditions
d'habitation: si les logements des migrants récents en ville s'avèrent
particulièrement inconfortables, pièces étouffantes et exigues, n'en
restent pas moins des chambres-antichambres", et des édifices en dur
et en tôle, symboles du modernisme.
PRINCIPE DE CONSTITUTION ~'U~~OUPEMENT D'HA8ITATION DANS UNE CONCESSION
7

1 . ,

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- 139 -

Le développement de groupements de pièces a une incidence sur


l'organisation spatiale de l'ensemble de la concession. Dans les
parcelles où toutes les pièces ouvrent sur la cour, celle-ci représen-
te le centre de la maisonnée et le lieu de la circulation obligée. Son
volume n'est déterminé que par la taille de la parcelle et par le
nombre de pièces. En ajoutant une véranda à certains bâtiments, ceux-
ci grossissent et empiètent d'autant sur la cour, dans une nouvelle
direction.
La formation de groupements d'habitation pourrait être analysée
comme une réponse à un problème de surpopulation, si, apres un stade
de densification de l'espace bâti, par construction de pièces adjacen-
tes, se produisait une nouvelle étape de densification, représentée
par l'a dj 0 nct ion de vé r and as. Cet t e hy pot hè sen' est pas
systématisab1e: La véranda ne préOède que certains bâtiments, quelque
soit la densité de la population et du bâti dans la concession. Elle
s'ajoute en premier lieu aux édifices habités par les chefs de famil-
le qui ainsi se différencient des autres membres résidents. En outre,
le groupement chambre, anti-chambre véranda constitue de plus en plus
une unité d'habitation pour un ménage nucléaire appartenant à la
famille, ou locataire.
L'espace de la concession en ville se modifie aussi dans sa
matière: à la terre et à la paille succèdent le parpaing et la tôle
qui sont réservés à certains bâtiments et en premier lieu au chef de
famille. La construction en parpaing permet un nouveau développement
spatial de la concession: Celle-ci peut s'organiser en étages. Cette
situation n'est remarquable que dans les vieux quartiers de Bamako et
reste un phénomène peu développé en comparaison avec les métropoles
africaines de la côte. Là encore on ne peut établir une relation
systématique entre l'apparition de cet étage et l'augmentation de la
population ou bien avec la réduction de l'espace libre dans la conces-
sion. L'étage apparaît plus comme un signe de richesse et de distinc-
tion et ne renvoie pas simplement au registre colonial ou les maisons
à étages étaient réservées par les Européens; dans l'ancienne cité de
Djenné les commerçants avaient développé ce type de construction pour
exprimer leur richesse et se différencier socialement. Ce caractère
privilégié de l'étage se remarque dans son occupation; lorsqu'il
existe il est généralement investi par le chef de famille.

INCIDENCES SOCIALES
L'espace bâti de la concession se développe selon une logique de
dist"inction sociale: aux pièces toutes identiques succèdent des
groupements qui se distinguent par leur volume et leurs matériaux et
par leurs occupants. La densification de l'espace bâti n'est qu'un
signe de l'augmentation de la population et n'induit pas en soi un
nouveau mode d'organisation de l'espace de la concession.Ce sont les
rapports entre les habitants, qui sont sans doute stigmatisés par
cette densité de population et par les limites matérielles de la
parcelle qui déterminent son agencement.
8 TEXTURE DES TOITS DANS UN QUARTIER ANCIEN ET DANS UN QUARTIER RECENT

MAGNAMBOUGOU
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Et PAILLL
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- 141 -

Le groupement chambre anti-chambre véranda permet de réunir des


·sous groupes dans une même concession:un fils du chef de famille sa
femme et ses enfants ou bien le chef de famille et ses dépendants les
plus proches, ou un groupe de parents ou même un groupe de locataires.
Ce principe de réunion amène la constitution d'appartements à l'inté-
rieur d'une concession.On peut qualifier ainsi le groupement d'un chef
de famille composé de plusieurs pièces et différencié des autres
bâtiments par sa place, sa matière, son volume ainsi que par son
confort. Cet espace est parfois muni d'une salle de bains particu-
lière. Cette évolution souligne comment des pratiques quatidiennes,
comme la toilette ou le repas qui se réalisaient souvent dans les
cours, peuvent se localiser dans de nouveaux lieux, plus privatifs,
isolés visuellement.
Le développement de l'espace bâti dans la concession produit une
réduction de surface de la cour dont la taille diminue aussi en raison
de la partition des parcelles.Dans certains cas elle peut se réduire à
un couloir à ciel ouvert. La diminution de la cour dans les quartiers
du centre ville, plus denses, suggère une relation entre cette
transformation spatiale et l'augmentation de la population mais cette
évolution s'accompagne d'une évolution des rapports sociaux plus
significative: les concessions où la cour perd sa valeur de lieu de
réunion pour ne devenir qu'un espace de circulation et de rangement
sont celles occupées par des ménages de locataires qui n'ont pas à
priori de liens sociaux justifiant un tel espace de réunion; dans ce
cas de figure, la concession devient un ensemble de logements, un
immeuble horizontal. Dans les quartiers périphériques on remarque au
contraire l'importance de l'emprise spatiale de la cour par rapport au
bâtiment. Les habitants de ces concessions sont moins nombreux, aussi
le nombre de pièces construites est moins élevées. En outre, ils sont
souvent des migrants récents qui apprécient les grandes cours des
concessions rurales où 11s ont longtemps vécu. Enf-in, leurs faibles
revenus les amènent parfois à transformer la cour en un espace direc-
tement productif par l'implantation de cultures maraichères.
Ces différences de taille et d'utilisation résultent du statut
urbanistique du lieu. Dans les quartiers lotis, l'espace public défini
par des réglementations, se manifeste par de larges rues rectilignes
qui ne sont pas seulement des lieux de circulation; leur largeur, le
sol en terre des rues qui ralentit la vitesse des quelques automobiles
les empruntant, permettent de recevoir des activités qui auparavant se
déroulaient dans les cours. Ce déplacement souligne que la sociabilité
urbaine ne serait se réduire à la concession mais se prolonge sur ses
bordures où se réunissent certains habitants d'une même concession
mais aussi des individus résidant dans différentes concessions. En
revanche dans les quartiers périphériques non lotis, ces espaces
n'existent pas. Les ruelles étroites ne peuvent être des lieux de
réunions, aussi la sociabilité quotidienne se déroule t.ntôt dans les
cours, tantôt dans les espaces non bâtis de ces quartiers, les bos-
quets ou les places improvisées.
- 143 -

La dispersion de la population de la concession à l'extérieur


de celle-ci et même à l'intérieur, dans les unités d'habitation, n'est
cependant pas à opposer à un espace idéal et mystique, du passé préco-
lonial, symbole de la fusion sociale. Les ethnologues spécialistes du
mil ieu rural ont montré comment un groupe 1ignager se répartissait
dans un même espace et définissait des territoires. L'originalité de
la situation actuelle réside plutôt dans les modalités de dispersion
et dans la fixation des habitants que cette organisation de l'espace
peut favor i sere
A l'intérieur de la concession se forment des unités réduites à
quelques personnes, des ménages, qui occupent un groupement d'habita-
tion de manière durable. Cette appropriation dans le long temps rend
difficile l'installation d'autres groupes dans des pièces d'habitation
suivant des appartenances de classe, dâge et de sexe. Ainsi des
jeunes, partageant une communauté de vie de par leur âge ne peuvent
plus investir les pièces d'habitation qui sont peu à peu prioritaire-
ment réservées aux couples. Cette situation entrai ne le départ de
certains enfants vers d'autres lieux, une concession qui peut les
accueillir ou éventuellement un coin de rue. Aussi la concession de
par son agencement spati al et son appropri at ion pr ivat i ve" par cer-
lI

tains, n'est plus nécessairement le lieu de réunion d'une communauté C\

familiale; cette image renvoie de fait au monde rural, comme à une


autre échelle le quartier.
On ne peut cependant parler en vnle d'une nouvellé" unité spatio- . -t,'-
sociale, le ménage dans sa chambre anti-chambre. Cette unité résiden-
tielle est partielle et ne signifie pas que la vie sociale d'un ménage
se renferme en ce 1i eu et se rédu i se même à ces personnes. Les nom-
breux réseaux de sociabilité en ville, tontines, associations,
"gr ins", mettent en valeur d'autres types de découpage'de la société '"..
selon les classes d'âges et les regroupements économiques autrement '

,".. :'
plus pertinents que celui du ménage. Ces associations ne· se fixent pas
dans des lieux précis et inamovibles comme les chambres et anti-cham-
bres qui sont pendant la journée le plus souvent vides ·de leurs habi-
tants, mais se déplacent dans des cours, des lieux de travail des rues
et des places, en fonction des moments de la journée et des modes de
regroupements. Aux systèmes résidentiels des grandes familles composés
de plus i eurs concess ions s' aj outent dl autres systémes rés i dent i el s
plus minuscules, qui nlont plus la matérialité de l'ensemble bâti de
la concession mais qui sont néanmoins composés d'un ensemble de lieux
de réunion: une pièce un hangar, une portion de cour, un coin de rue;
cette sociabilité qui réunit les individus selon des critères moins
définitifs que la parenté ne se marque pas par des espaces bâtis. F.lle
renvoie à un espace social que l'on ne peut définir par de limites
matérielles; elle pose les limites de la notion de résidence que lIon
ne peut circonscrire à un espace bâti.
INCIDENCES URBANISTIQUES
Densification du bâti, réduction des parcelles, dursification de
la construction, etc ... sont des logiques spatiales remarquables en
4: PARCELLAIRE DANS DES QUARTIERS DE BAMAKO
. .
MAGNAMBOUGOU'
o

DAR SALAM
l L
- 145 -

ville. On ne peut cependant définir un seul modèle de leur évolution


et penser que ce dégagera à long terme un seul type d'habitat urbain.
En parcourant l a vi 11 e on découvre que ces tendances permettent une
diversité de cas de figures qui tentent de s'accorder aux construc-
tions socio-économiques des habitants. En outre, un mode de produc-
tion et d'occupation de l'espace ne met pas simplement en jeu des
pratiques quotidiennes sociales et économiques; il peut être aussi un
positionnement face à l'appareil d'Etat qui se manifeste dans ce
domaine par les politiques d'aménagement.
Ainsi pendant longtemps dans les quartiers non lotis, les habi-
tants élevaient leurs maisons en matériaux peu côuteux, terre, bois;
en cas d'opérations de déguerpissement, ou de lotissement qui entrai-
naient la destruction de leurs habitations, leurs pertes monétaires
resta i ent peu él evées. Depu i s que l ques années dans ces mêmes quar-
tiers, certains habitants n'hésitent plus à construire en" dur" dès
leur installation, malgré leur occupation précaire du sol. Par cette
technique, ces citadins signifient en fait qu'ils tiennent à rester
sur ces lieux et qu'ils s'opposent aux projets étatiques. La maitrise
du sol devient un tel enjeu que les habitants n'hésitent plus à maté-
rialiser leur emprise au risque, au cas d'opération de déguerpissement
brutal, de perdre leur investissement.
De fait, cette position est de plus en plus prise en compte par
les instances politiques qui conseillent aux urbanistes, lors du
dessein du lotissement, d'éviter de tracer une voirie sur les emplace-
ments des maisons en dur. Les occupants ayant bâti en terre sont
d'autant plus lésés, ayant à supporter les tracés de voirie sur leurs
parcelles; la durcification en est d'autant encouragée. La construc-
tion en dur pose implicitement l'occupant du lieu en propriétaire.
Cette démarche n'est cependant pas une innovation; elle est une inté-
riorisation par de nouvelles couches de populations de réglementations
édictées pendant la période coloniale: ce type de construction
permettait alors l'obtention d'un titre foncier véritable titre de
propr,iété se substituant au permis d'occuper. par cette mesure, qui
résultait du principe de la reconnaissance de la mise en valeur effec-
tive du terrain, l'administration favorisait les notables qui seuls
avaient les moyens d'édifier leurs habitations avec ces matériaux
coûteux.
L'analyse du quartier spontané de Magnambougou témoigne de cette
intériorisation des réglementations par les habitants non pas au
niveau de la construction, il n'exite que très peu de bâtiments durs
dans ce quartier, mais dans le parcellaire. La taille des parcelles
rappelle celle des lotissements et leur mode d'agencement ne se diffé-
rencie de ceux des quartiers lotis que principalement par la réduction
de la voirie: les parcelles quadrangulaires s'assemblent assez régu-
lièrement et forment des alignements voire des carrés d'habitation.
9 UN CARRE D'HABITATION DU QUARTIER DE DAR SALAM

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1/500°
- 14·7 -

Ce mode d'agencement ne renvoie plus à un espace villageois


malgré les toits de chaume et les ruelles étroites. Il est une inter-
prétation par les habitants et notamment par les notables du lieu qui
possèdent et attribuent le sol, du lotissement colonial: les parcel-
les sont définies précisément et ne peuvent s'étendre. De fait, les
notables se substituent à l'appareil d'Etat défaillant et organisent
pour leur compte une opération de lotissement de terre ou des terres
qu'ils s'arrogent, selon les principes définis par les édiles de
l'Etat. Cette volonté de coller à ce modèle d'urbanisation met en
évidence IIl a modernité des notables, qui peuvent être d'anciens
ll

propriétaires terriens. Ceux-ci ont intégrés les procédures officiel-


les, ont repéré les avantages qu'elles peuvent procurer et les perçoi-
vent commen un mode particulier d'enrichissement.
En outre, en reprodui sant des procédures développées par l'appa-
reil d'Etat, les habitants, occupants illicites, pensent légitimer
leur implantation vis à vis de l'administration.L'espace produit ne
diffère guère d'un lotissement; on ne peut donc lui reprocher sa
nature villageoise et II ma1saine et imposer pour raison d'hygiène son
ll

déguerpissement. Tout au plus peut-on imposer le tracé d'une voirie


plus régulière et plus large, théoriquement pour permettre de
construire des égouts et des réseaux d'adduction d'eau et pour facili-
ter la circulation automobile.
Ce type de projet, qualifie de restructuration, a été réalisé sur
la quasi totalité du quartier de Magnambougou, et s'est traduite en
premier lieu par le tracé d'une voirie qui donne à ce quartier l'as-
pect d'un lotissement régulier. Pour ce faire il fût nécessaire de
réduire quelques parcelles, de détruire quelques murs et quelques
maisons. Ces opérations furent réalisées par les habitants qui obtin-
rent en échange un statut foncier durable. La perte d'un mur ou d'une
maison était aisément compensée par la sécurité de rester sur le lieu.
On ne peut en fait opposer un urbanisme volontaire à une occupa-
tion du sol IIspontanée celle-ci se réalisant le plus souvent dans la
ll
,

perspective d'une opération de lotissement aujourd'hui. Le développe-


ment d'un quartier spontané est l'oeuvre de notables, propriétaires du
lieu ou intermédiaires IIbien pl acés qui profitent de l'accroissement
ll

de la population urbaine pour améliorer leurs revenus en réalisant un


pseudo-lotissement. Seul l'espace public n'est pas matérialisé avec
autant de force, et pour cause, cette opération n'émane pas de la
puissance publique: la puissance des notables ne se lit pas dans le
doma"ine pub1 ic.
Ce type de développement spatial est une réponse aux manques de
moyens de l'appareil d'Etat dans ces pays. Il permet à certaines
couches sociales que nous regroupons de manière simpliste dans
l'appellation II notables d'être des agents de l'aménagement urbain, et
ll

d'acquérir un pouvoir similaire à celui des intervenants officiels,


responsables politiques et fonctionnaires de l'Etat. Ceux-ci ne sont
cependant pas à opposer à la notabilité, mais appartiennent éventuel-
lement à ce groupe. Cette distinction a pour but de montrer que l'amé-
nagement urbain ne relève pas d'une catégorie bien établie de déci-
deurs, mais qu'il met en jeu, particul ièrement dans ces pays IIneufs ll
CONCESSIONS


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DANS LE QUARTIER DE MAGNAMBOUGOU 10

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1/500·
PAYSAGES DE MAGNAMBOUGOU
- 151 -

des groupes aux -intérêts très divers, par exelllple les chefs proprié-
taires du sol ou les riches cOllllllerçants spéculateurs...toute réponse
urbanistique à un problèllle d'alllénagelllent dans cette ville, qui ne
tiendrait pas cOlllpte de la puissance éconolllique et politique de ces
i nd i vi dus, aboutirait au Illi eux à un non lieu, au pi re à un échec.
Le quartier spontané n'est donc à priori ni plus ni Illoins popu-
laire qu'un lotisselllent dans le Illonde d'accession au sol et ne consti-
tue pas un autre Illoâele d'urbanisation. Au contraire l'absence de
réglelllentation et de controle de l'Etat peut perlllettre des opérations
de spéculation favorisant encore une Illinorité.
Les habitations du quartier de Magnalllbougou et Dar Salalll à Ballla-
ko, et leurs habitants présentent de nOlllbreuses différences: Illaté-
riaux, densité de l'espace de la population, statut de l'occupant ...
Autant de points qui ne perlllettent pas de dire que les quartier spon-
tané est le prelllier Illolllent d'urbanisation devant aboutir à long terllle
à un espace loti et habité cOlllllle par exelllple Dar Salalll. Ce dernier
possède à bien des égards des caractéristiques de quartier privilégié,
elllplacelllent, équipelllent, statut social des habitants, que l'on ne peut
illlaginer transférables à Magnalllbougou. Si des logiques de développe-
Illent dans l'espace sont discernables, elles perlllettent des cOlllbina-
toires et n'aboutissent pas finalelllent à un Illodèle unique d'espace
habité, idéal pour les uns, terrifiant pour les autres.
Cependant une caractéristique cOllllllune à ces deux quartiers est
l'existence d'un espace bâti dont le développelllent spatial est au
Illoins partiellelllent pris en charge par certains de ses occupants. En
outre, la concession n'aboutit jalllais à une forllle définitive et n'est
pas l a reproduction d'un Illoâe le illlporté et illlposé. Le propriétaire
d'une concession a une possibilité d'intervention non négligeable sur .' ,
cet espace. En celà, la concession s'oppose aux Illoâelesd'habitation
développés en Europe à la fin du 19è1lle et au cours du 2~llle siècle, le
logelllent social et plus généralelllent l'habitat standardisé qui n'a été
réalisé à Balllako que pour le logelllent des Européens pendant la période
coloniale.
- 153 -

LA VILLA
Afin de cowp1éter cet~e étude basée sur l'analyse de 1 1 espace
habité dans les villes africaines, nous avons ·observé les pratiques
spatiales des occupants des villas; celles-ci contrairewent aux
concessions, sont une forwe d'habitat d'abord apparue en Europe, puis
exportée dans les colonies.
A son origine, la villa renvoie à l'idée de villégiature et de
1uxe; plu s pré c i s é we nt elle évoque un type d' hab i ta t réservé à des
groupes sociaux privilégiés, dont l'organisation spatiale s'ordonne
autour de certains principes, la recherche d'un confort "bourgeois",
un désir d'ostentation, qui se watéria1isent par des bâtiwents aux
architectures ec1ectiques voire prétentieuses, particu1ièrewent wises
en valeur par les jardins qui les entourent.
Cependant, historiquewent et worpho1ogiquewent, nous distinguons
dans les villes d'Afrique deux types de villa, qui néanwoins restent
destinées toutes deux aux classes privilégiées. Aux séries de villas
toutes identiques conçues lors de la colonisation pour les Européens
et aujourd'hui occupées par des Africains, slajoutent des villas plus
récentes, généra1ewent construites après 1945, au coup par coup, par
des waîtres d'oeuvre ou des architectes pour des Européens et quelques
Africains fortunés et non logés par l'adwinistration. Cette villa de
"luxe" est investie de wan.ière souvent fort différente des villas
wodé1isées. .
Si le prewier type se rewarque dans toutes les villes africaines,
la villa wodé1isée est rare à Bawako. Aussi 1 1 avons nous étudié dans
la ville de Saint Louis du Sénégal où de nowbreux bâtiwents de ce
genre ont été édifiés pour le personnel Européen de l'adwinistration
coloniale, ·édifices qui ont été affecté à des Sénégalais "après l'indé-
pendance. Le contexte socio~éconowique de cete ville diffère 1argewent
de· Bawako; aus'si lès comparaisons que noùs serions 'alnenéesà è1éve1op-
per wéritent d'être relativisées. Nénawoins, elles perwettent de
rewarquer un certain nowbre de constantes dans les pratiques d'habiter
en ville, au-delà de la spécificité des lieux et de 11existence ou de
l'absence de woœ1e d'habitat et d'une politique volontariste d'awéna-
gewent de l'espace habité.

"VILLA DE LUXE"

Cette villa apparait cowwe 1a.figure u1tiwe de la chaine Usigni-


fiante" cowposée de signes de wodernité : la tôle, le dur, la chawbre,
l'anti-chawbre, la véranda ainsi que la voiture et le verger gui
forwent avec la villa, "les trois Y" de la victoire cowwe le citent et
en rêvent de nowbreux jeunes citadins.
Si lion cowpare spatia1ewent la villa à l'espace bâti de la
con ces s i on on note que par foi s .e 11 e ne d i f fè reg uè r e sur ce r ta i ns
points des groupewents d'habitations rewarquab1es dans certaines ~on­
cessions: 11opposition entre les deux parcelles de Dar.Sa1aw situées
dans la partie sud d'un carré d'habitation,(Cf. plan 9) ne repose pas
principa1ewent sur le vo1uwe et le nbwbre de pièces de la villa,
cowparab1e au bâtiwent d'habitation principale de 11 autre parcelle.
- 154 -

Cette différence réside dans un ensemble de signes supplémentaires,


salle de bain, béton, dallage, cuisine, climatiseur, dans un système
de circulation à l'intérieur de la villa,et dans le positionnement de
celle-ci dans la parcelle. Contrairement aux bâtiments d'une conces-
sion qui ouvrent sur une cour intérieure, la villa trône au centre du
terrain et se pose en spectaèle. '
La villa possède à travers son emplacement et les signes qu'elle
réunit une fonction de représentation que n'exprime pas la concession
dans sa matér~alité; ~e qui ne signifie pas que le désir de représen-
tation n'existe pas chez les habitants d'une concession. Nous pensons
seulement qu'il s'exprime selon d'autres modalités, les couleurs et
les fresques murales par exemple. '
La fonction de représentation sociale dans l'habitat par ce
système de signes a d'abord été développé par les colons qui bâtirent
des villas pour mettre en valeur leur statut social privilégié.Les
villas coloniales furent calquées sur celles construites dans le Sud
de la France après guerre.et renvoient à l'idéologie pavillonnaire.
Les plus beaux fleurons de cette architecture tropicalo-pavillonnaire
sont sans doute situés à Dakar où se mélangent les styles provençal,
basque et aquitain dans les quartiers du plateau et du point E.
. .
Erigé en modèle. par le blanc aux colonies qui réalisait son
fantasme d'accéder au statut social de petit bourgeois, ce type .d'ha-
bitat est aujourd'hui valorisé par les classes aisées. africaines qui
reprennent ,les codes européens pour manifester leur réussite soci.ale.
Par ailleurs elle représente 'un capital monétaire non négligeable•. Une
vil~a peut.être louée à des prix élevés et devient dans ce cas un
investissement. productif : les émigrés Maliens ou Sénégalais (mais
aussi portugais et espagnols) travaillant en France économisent par-
fois pour bâtir une ou .deux villas qu'ils. habiteront à leur retour ou
qu'ils loueront dès qu'elle est achevée •. Elle peut être aussi une
figure d'un système résidentiel, la demeure du chef de -famille ou un
espace 'loué permettant d'acquérir" d'autres parcelles affectées' à l'ha-
bitation des membres du gr~upe.
Sa valeur monétaire, sa location fréquente font que cet espace
apparait souvent comme peu investi : le béton se fissure, les vitres
se cassent, les banquettes de skaï se déchirent, le gazon jaunit et
l'ensemble de ce bâtiment est souvent peu entretenu; autant d'élements
qui composent un spectacle désolant qui ne possèdent pas l'animation
"bruyante et colorée des concessions, qui séduit tant le visiteur
mais dont se plaignent.certains habitants aspirant à une certaine
tranqui 11 ité.
A Bamako les habitants de ces villas sont peu nombreux, au moins
lors de .leur install ation, souvent moins d'une dizaine de personnes.
Ce groupe constitue généralement la partie privilégiée d'une plus
grande famille. Ne vivent dans ce lieu"distingué" ou du moins de la
distinction que des personnes choisies par le .propriétaire ou le
locatàire en titre. }
- 155 -

Ce faible nombre d'habitants, qui augmentent avec le temps,


facilite une occupation à "l'occidentale" que sug~rent aussi la salle
de bains et la cuisine équipée. Mais la réalité est plus ambigue :La
préparation des repas est le plus souvent réalisée à l'extérieur de la
villa, soit dans une construction en terre élevée à cet effet, soit
directement dans la cour. La pièce réservée dans la villa pour la
cuisine peut servir de réserve et même parfois de chambre. Quant aux
pièces d'habitation, elles accueillent de volumineux fauteuils et
buffets mais aussi des matelas et des nattes que l'on sort à l'exté-
rieur pendant la saison chaude; les activités de réunion et parfois de
sommeil ne se concentrent pas dans les pièces à l'intérieur de la
villa mais s'étendent très facilement dans la cour.
Ces observations peuvent suggérer l'existence de deux types d'es-
paces, l'un symbolique, l'autre pratique. Schématiquement la villa
appartiendrait au premier, la cour qui l'entoure et les quelques
bât i ments ajoutés renvoyant au second. Nous ne reprendrons cependant
pas cette distinction dans la mesure où ces deux qualités de l'espace
ne signifient pas nécessairement une partition de celui-ci. Le carac-
tère symbolique d'un lieu se manifeste généralement par la présence de
certa-ins objets, mais l'espace qui les reçoit a rarement cette seule
destination. En outre, dans le cas de la villa c'est l'ensemble du
bâti qui acquérait une dimension symbolique; les activités qui néan-
moins s'y déroulent et l'investissement financier que représente ce
bâtiment ne permettent pas de le réduire à cette simple fonction.
La reproduction en ce lieu (bâtiment et terrain) de nombreuses
pratiques quotidiennes remet en cause le caractère contraignant imagi-
né dans cette forme spatiale. Cependant une des conditions spatiales
nécessaire à la reproduction de ces pratiques est la présence d'un
espace extérieur que les habitants peuvent investir. La situation est
bien différente quand les habitants logeant dans des appartements
conçus comme les plans des villas ne peuvent pratiquer certaines
activités hors de ce lieu (cas des logements en étages dans les
immeubles des grandes vi lles d'Afrique). Il apparait non seulement
pour la villa mais aussi pour la concession que l'association d'un
espace non bâti à l'espace bâti, sous différentes formes, s'avère plus
important que la forme du bâti pour la reproduction de nombreuses
pratiques.
Par ailleurs, la reproduction d'une pratique, la cuisine par
exemple, de manière à peu près similaire dans une villa que dans une
concession, au moins dans sa mar:lifestation spatiale, ne signifie pas
nécessairement qu'un acte soit associé à tout jamais à un lieu précis;
elle peut signifier dans ce cas que les femmes ou que certaines fem-
mes, qui réal isent cet acte, sont excl ues de l a vi 11 a et du reste de
la communauté l'occupant et manifestant ainsi sa distinction sociale.
Nous imaginons en effet que le rapport entre l'habitant et l'habité
est fonction du statut social de l'habitant et qu'il n'existe pas
nécessairement une adhésion de l'ensemble des habitants à une forme
spatiale et à fortiori à un mode de l'occupation de l'espace.
SITUATION DE L'ILOT ETUDIE DANS LA VILLE DE SAINT LOUIS DU SENEGAL

O[[.~ '1L'~Tlour
- 157 -

La villa, habitat lIimporté" mais dans tous ces cas habitat de·
luxe, se révèle être un espace peu déterminant, sur les pratiques
soci al es. La réduct ion du nombre d'habitants, 1a parenté restreinte,
ne résulte pas de contraintes spatiales mais du désir du chef de
famille de manifester son pouvoir et sa suprématie. Telle est peut
être la caractéristique de l'habitat des classes privilégiées quelques
soient les sociétés; cette catégorie sociale a les moyens de n'être
plus soumises à des contraintes de place et investit l'espace selon
d'autres modalités qui témoignent de son souci de représentativité
sociale.
L'incidence de l'espace sur les pratiques sociales est du moins
plus aisé à lire dans des situations critiques où les habitants,
confrontés aux limites physiques d'un espace bâti sont amenés à faire
des choix qui se matérialisent par des formes et des pratiques spéci-
fiques.
L'exemple d'un groupement de villas à Saint Louis nous a permis
d'avancer dans cette direction.

LA VILLA MODELISEE

Le groupement de villas étudié dans la ville de Saint Louis du


Sénégal fut édifié dans les années 1930; à cette époque, les édiles
tentent d'améliorer les conditions de vie des colons. Aux maisons aux
structures métalliques entourées de vérandas, servant indistinctement
d'habitation ou de bureau, succèdent des villas caractérisées par des
plans, des formes et des matériaux nouveaux et parfois même un style
architectural qui associe de manière souvent surprenante des figures
esthétiques d'architectures régionales françaises et africaines.
Ces villas de Saint Louis, conçues à l'origine pour des officiers
européens de l'armée coloniale, ne se distinguent par une esthétique
originale, seules les arcades renvoient à une architecture méditerra-
née nne, mai s pas une or gan i sa t i on de l' espace part i cu 1 iè r e. Chaque
bâtiment d'habitation ouvre sur deux cours, l'une de service, l'autre
d'accueil; une véranda sépare les pièces d'habitation de ces deux
cours. Cette organisation permet de distinguer l'espace de l'occupant
principal, en l'occurence ici à l'origine un blanc, composé de la
chambre, du séjour, de la salle de bains, de la cour d'accueil et
d'une véranda, de l'espace de ses domestiques composé de la cuisine,
de la cour de service, d'un wc, d'une véranda et d'une chambre de boy.
Si les plans ne sont pas rigoureusement identiques dans ces sept
villas, certains sont inversés, les principes de composition spatiale
restent les mêmes.
De fait, ces villas destinées à des colons célibataires, distin-
guent un espace blanc d'un espace noir; la superficie de ce dernier
souligne l'importance de la domesticité. Cette opposition s'accorde
avec la pensée coloniale raciste du début du 2~me siècle, mais elle
renvoie originellement à un type d'organisation de l'espace qui n'est
pas spécifique aux colonies, mais qui est né dans les maisons bour-
geoises du 19ème siècle: dans celles-ci, le personnel résidant était
localisé en dehors de ses heures de travail dans certaines parties de
la maison; ce principe reste encore en vigueur aujourd'hui à Dakar
comme à Par i s.
RECONSTITUTION DE L'ETAT INITIAL DES VILLAS

LES VILLAS EN 1982

~ BATIHENT AJOUTE
BATlHENT TRANSFORME
- 159 -

Ce type de villa est d'abord la transcription d'un idéal bour-


geois.P1us généralement, la fixation des lieux de résidence des
Africains par l'administration coloniale, dans la parcelle mais aussi
dans la ville (quartier indi~ne), est la reproduction exotique d'un
moâe1e d'organisation de l'espace déjà appliqué en Europe, mais qui
devient dans ces nouveaux lieux particulièrement visible, du fait des
procédures utilisées, de l'absence de résistances actives de la popu-
1at i on permettant de réal i ser une ségrégat i on "parfa ite" et enfi n de
l'association classes dominées-populations noires. La pensée raciste
ne produit pas de nouveaux principes de ségrégation spatiale; elle
s'alimente de ceux déjà existant en les caricaturant.
En 1960, avec l'indépendance, ces villas appartenant à l'Etat
français, sont remises au nouvel Etat sénégalais qui les attribue à
des fonctionnaires civils. Afin de rentabiliser ce patrimoine, l'Etat
décide peu ap~s de vendre ces bâtiments à leurs occupants qui, ap~s
mou1tes discussions, obtiennent des conditions avantageuses de rachat-
(remboursement sous la forme d'un loyer mensuel) et demeurent en ces
lieux.
Dans ces années 1960, ces villas aux plans t~s semblables sont
occupés par des habitants qui ont le même statut foncier, proprié-
taires, et qui appartiennent à un même groupe social, les fonction-
naires. Vingt ans ap~s, lors de notre enquête, les occupants se sont
diversifiés et il est difficile en visitant ces bâtiments d'imaginer
qu'ils aient eu quelques années auparavant la même morphologie. Le
relevé actuel et le plan de reconstruction de l'état initial rendent
compte de cette évolution que nous résumons ici brièvement.
La villa située le plus au sud est sans doute celle qui a été le
moins modifiée; elle nous a permis de reconstituer le plan type d'ori-
gine. Habitée aujourd'hui par son propriétaire qui a longtemps résidé
hors de celle-ci, avant de prendre sa retraite dans sa ville d'ori-
gine, elle reste composée de ses deux pièces principales, meublés de
volumineux buffets et armoires. Les seules modifications constructives
sont la récupération d'une chambre sur la véranda et l'adjonction d'un
garage dans la cour de service. En outre des modifications d'af-
fectation des lieux ont été réalisées: la pièce réservée au domesti-
que est devenue une chambre pour la famille. Ces deux chambres suffi-
sent pour le couple résidant dans cette maison. La disparition de la
distinction espace de service espace d'accueil se lit dans l'aménage-
ment des cours: la cour d'accueil auparavant boisée et fleurie est
aujourd'hui recouverte uniformément de sable fin et n'est plus un lieu
de représentation; dans l'ancienne cour de service, une aire à prière
a été tracée sur le sol. Si les structures du bâti n'ont guère été
modifiées dans cette villa, son paysage s'est néanmoins modifié notam-
ment par l'utilisation de nouveaux matériaux: le sable a remplacé le
jardin; un toit plat en béton a été substitué au toit pentu en tuiles.
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RELEVE D'UN GROUPEMENT DE VILLAS A SAINT-LOUIS EN 1982

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- 162 -

La parcelle suivante souligne comment, dans certaines situations


socio-économiques, un propriétaire n'hésite pas à transformer totale-
ment son habitat. De la villa initiale, il ne reste que quelques murs,
que ce fonctionnaire a conservés pour composer de nouvelles pièces. Le
pl an du nouveau bâtiment, une série de pièces al ignées qui ouvrent
toutes sur une galerie couverte s'élargissant au centre et desservant
alors d'autres pièces, rappelle la concession, malgré la taille et la
forme de la parcelle qui limitent les possibilités de centralisation.
Les cours extérieures ont été réduites considérablement et ont perdu
leurs fonctions. L'espace de réunion de cette maison n'est plus le
"salon" de la villa, mais la portion centrale de la galerie où les
habitants se retrouvent notamment lors des repas.
Les pièces d'habitation sont tantôt des chambres, tantôt des
groupements "chambre, anti-chambre" auxquel s s'ajoute dans le cas du
groupement d'habitation du propriétaire, une salle de bains. Afin
d'augmenter le nombre de pièces, le propriétaire a empiété sur les
cours, a supprimé les vérandas et a réduit les dimensions des nouvel-
les pièces projetées. Cette organisation de l'espace a été conçu pour
recevoir sa famille; mais lors du départ de certains enfants, les
pièces qu'ils occupaient ont été affectées à des locataires. Ce nou-
veau plan a été dessiné aussi en vue de l'agrandissement de la maison;
le propriétaire prévoit d'élever un étage, identique au rez-de-chaus-
sée, qu'il louerait afin d'amél iorer ses revenus. Aux l imites d'exten-
sion horizontale, il répond comme de nombreux habitants de Saint Louis
et comme certains Bamakois, par une extension en étage qu'autorisent
des matériaux comme le métal ou le béton armé.Transformer un toit
pentu en tuiles en un toit plat en béton armé, ce n'est pas seulement
réduire le coût de l'entretien ou adjoindre des signes de modernité
qui se substituent aux marques de l'habitat colonial, c'est permettre
l'agrandissement de la maison et donc remettre en cause le caractère
figé de cet habitat modélisé.
La troisième parcelle occupée par son propriétaire et sa famille,
n'a pas été modifiée avec autant d'energie : aux pièces d'origine qui
subsistent, ont été ajoutés une nouvelle chambre occupant une partie
de l a véranda et un garage servant actuell ement surtout de lieu de
rangement, dans la cour initialement de service. Celle-ci, si elle
n'est plus' réservée aux domestiques, par son paysage et par son acti-
vité-cuisine, séchage du linge, rangement, présence d'un poulailler,
continue à s'opposer à la cour d'accueil, carrelée et entourée
d'arbustes qui conserve sa fonction .première.
La quatrième parcelle est louée depuis plusieurs années par son
propriétaire, au service du logement, organisme d'Etat qui l'a affecté
à des coopérants frança i s : Retour à la fonct i on d'or i gi ne. le pro-
priétaire a effectué de nombreuses transformations dans cette maison,
sans doute afin de rendre celle-ci plus conforme aux modes de vie des
fonctionnaires européens en Afrique, qui ne viennent plus seuls mais
accompagnés de leur famille. Le bâtiment d'habitation a été agrandi,
une nouvelle véranda empiète sur la cour d'accueil qui conserve son
rôle de réception malgré la présence d'un garage qui réduit aussi sa
- 163 -

sur f ace. A l' i nt é rie ur de 1a mai son de no uvell es piè ces ont été t r a-
cées ainsi qu'un couloir permettant leur desserte; de ce fait, les
deux vérandas d'origine ont disparu. Enfin la cour arrière, qui garde
sa fonction de service, s'est encombré de nouveaux locaux conçus pour
améliorer le confort du locataire: une salle de bains et des espaces
de rangement, ces derniers ayant été aujourd'hui transformés par
l'occupant en un 1aboratoire photo.
Cette villa dont l'organisation spatiale et l'aspect ont été
fortement modifiés, témoigne de l'évolution des modes d'habiter des
Européens, interprétrés par un africain qui dans cette perspective, a
agrandi cette maison en conservant l'opposition entre un espace de
service et un espace de maître. Les occupants actuel s ne s'y retrou-
vent cependant gLère, dans cette maison qui n'est pas un F4 moœ1e, où
certaines pièces manquent de cloison ou de lumière, où les toilettes
sont encore au fond de la cour.
La cinquième villa est en ruine; son propriétaire l'a abandonnée
de"puis longtemps; elle n'est plus occupée que par un gardien qui est
peut être un squatter, et qui y campe plutôt qu'il ne l'habite: les
murs s'écroulent, le sol est devenu un mélange de ciment et de terre;
les portes et les fenêtres ont disparu; l'électricité ne fonctionne
pas. Seules quelques nattes et quelques caisses témoignent de la
présence d'habitants. Ce bâtiment à l'abandon n'a jamais subi de
grandes transformations; on remarque encore un bassin-fontaine en
ruine au centre de la cour d'accueil, qui devait orner tous ces lieux
initialement. Cet abandon pose la question de la valeur monétaire d'un
tel bâtiment. Cette situation n'est pas exceptionnelle; nombreuses
sont les maisons en ruine sur l'île de Saint Louis, notamment en
raison de l'absence des propriétaires qui ont émigré en 1960 à Dakar,
lorsque cette ville est devenue la capitale du Sénégal.
La sixième parcelle, occupée par son propriétaire et sa famille
s'est densifiée. Afin d'accueillir tous ses proches, le chef de fami1-
1e a empi été sur 1a cour et 1a véranda pour créer de nouve 11 es cham-
bres; la cuisine a été déplacée à cette occasion.
La dernière parcelle est louée à une famille depuis longtemps. Ni
1e propr i éta ire ni 1es occupants ne se sont 1 i vrés à dl i mport antes
modifications constructives. L'investissement des occupants se lit
dans les modifications d'affectation des lieux: la cour de service où
les habitants se retrouvent, ressemble à une cour de concession par la
diversité des activités qui s'y déroulent; quant à la cour d'accueil,
elle est devenue un potager.

Sept villas à l'origine semblables, sept cas de figure aujour-


d'hui qui ne se ressemblent guère, quand ils ne s'opposent pas. Sans
doute faut-il rapporter les causes de l'abandon d'une villa, de sa
transformation en une concession ou de son maintien en l'état initial,
à des déterminants économiques et sociaux, mais il reste difficile
d'en tirer des principes. Les bribes d'histoires de vie recueillies
nous renseignent sur certaines raisons de tel ou tel choix: ainsi
l'habitant qui a transformé la villa en une concession s'avère être
entouré d'une famille nombreuse dont il n'a pas voulu se séparer.Il
- 165 -

est évident que le plan de la villa ne favorise pas la vie quotidienne


d'une population nombreuse notamment en raison du faible nombre de
pièces. Ce type de plan correspond d'ailleurs originellement à une
habitation pour un célibataire.
En f 0 nct ion de 1eu r s m0 ye ns, des 1i en s qui 1es uni s sen t à 1eu r s
proches et de leur déterminisme personnel, les chefs de famille pro-
priétaires modifient peu ou prou ces maisons, en premier lieu par un
investissement nouveau de certaines pièces, puis par l'adjonction de
bâtiments.
De ces remarques, il nous resterait à conclure en énonçant une
évidence qui a tout autant de valeur dans notre société: l'aménage-
ment d'une maison par ses occupants dépend de leur statut foncier, de
leur nombre, des liens qui les unissent et de leurs revenus.
Cependant l'originalité des habitants de ces villas, et plus
généralement des citadins des villes africaines réside dans cette
~gle que constitue le fait de transformer leur habitation en fonction
des situations qu'ils vivent sans jamais aboutir à un stade définitif
et sans se soucier d'un respect, notamment esthétique, de l'état
initial.
Cette approche dynamique de l'habitation résulte de facteurs
socio-historiques mais aussi économiques. La construction de nouveaux
bâtiments est une opération economiquement et techniquement facile à
entreprendre. Un tacheron suffit pour élever ces éd,ifices et les
matériaux sont choisis en fonction des ressources du propriétaire. Si
la terre est aisément modelable et peu coOteuse à Bamako,' le bois, la
paille et le carton ont les mêmes qualités à Saint Louis. En outre
l'emploi du parpaing, malgré son côut supérieur, ne remet pas en cause
ces principes. La construction peut toujours s'échelonner sur plu-
sieurs années en fonctions des moyens du bâtisseur; cette situation
produit ce paysage de murs in·achevés qui caractérise les quartiers
d'habitation de ces villes. Quant à la taille des parcelles qui dimi-
nue progressivement, elle n'interdit pas non plus ce principe: a la
réduction des surfaces, répond l'élévation en hauteur. En revanche,
l'absence de réglementation de construction ou leur non respect,
facilitent ce mode de production de l'habitat qui se traduit par une
hétérogénéité de matériaux utilisés, par une diversité de formes et de
couleurs, produisant un paysage urbain peu conforme aux canons de
l'esthétique occidentale.
Quant aux villas qui n'ont pas évolué, qu'elles soient de "luxe"
ou modélisées, elles expriment un souci de tranquillité sociale et
spatiale de leurs habitants, sans qu'il soit possible de dire qu'il
s'agisse d'une destructuration familiale. Cette situation est souvent
un moment d'une vie; l'éloignement d'un lieu de travail peut amener
certains habitants à rechercher une maison plus proche, ce qui ne les
empêchera pas de réintégrer la maison d'origine quelques années plus
tard à l'occasion d'un nouvel éVènement suscitant ce rapprochement. En
outre le refus d'accueillir des parents dans une maison ne signifie
pas que les relations cessent au sein d'une famille; la villa qui
favorise cette situation, peut appartenir à un système résidentiel, la
réunion de cette cOlTlmunauté ne se matérialisant plus que dans certains
moments particuliers.
- 166 -

Cette dispersion familiale, cet isolement spatial est plutôt à


entendre comme une adaptation à un nouveau contexte socio-économique
et urbanistique. les pratiques d'habitation en ville prennent en
compte les nouvelles données politico-urbanistiques; l'habitat est
devenu un enjeu économique et peut de ce fait renforcer les nouveaux
modes de distinction sociale.
- 167 -

CONCLUSION

L'analyse d'espaces habités à Bamako et à Saint-Louis nous ont permis


de mettre en valeur l'évolution de certains rapports sociaux; l'espace
est aujourd'hui un outil de lecture de la société, ce qui ne signifie
pas qu'il l'ait toujours été. Les enjeux soc,io-économiques que
recouvrent lq planification urbÇl.ine et la maitrise du sol dans les
vi lles expl iquent l a pertinence actuelle de cette représentation. En
outre l'espace urbain est aujourd'hui programmé par des instances
particulières qui projettent consciemment ou pas des ~gles voire des
modèles. La parcelle, la concession, la villa peuvent favoriser
ceraines transformations sociales, mais ces formes spatiales n'en sont
jamais des facteurs totalement ~xplicatifs.
Aussi n'est-il pas poss.ible de repondre globalement à la question de
l'efficacité sociale de l'intervention spatiale. Sept villas à l'ori-
. gine semblables à Saint-Loui'S, sept cas de figure qui ne se ressem-
blent gœre aujourd'hui ••• En revanche, les concessions, non program-
mées, construites sur des parcelles aux tailles diverses se dévelop-
pent selon certains principes communs et aboutissent même parfois à
des formes spatiales identiques.. .
Caricaturalement, l'espace programmé se démodélise et l'espace "spon -
tané"se régularise; que choisir? Le premier exemple souligne les
limites d'une intervention spatiale tandis que l'autre suggérerait la
production -implicite de normes malgré l'absence de programmation.
L'ancienneté et la spécificité des villas de Saint-Louis,.affectées
initialement à des fonctionnaires européens ne suffisent pas pour
expliquer le décalage entre le projet et ce qu'il en est advenu. Le
film de Orissa Koné et Nadi~e Wanono sur l'évolution spatiale de
villa$ construites à Bamako dans les années 1960 pour des fonction-
nairesmaliens,illustre dans un temps plus actuel les limites de la
programmat i on de l'habitat. .
L'attitude des praticiens face à ces pratiques spatiales s'oppose à
celle des chercheurs. Si les architectes i~vestissent toujours dans la
recherche de solutions pour le plus grand no~bre, les spécialistes des
sciences sociales louent souvent la spécificité des cas et l'adéqua-
tion sociale de certaines formes d'habitat non programmées face à
l'oppression sociale et mentale du logement, dont le plan est pré
établi par des décideurs ignorants des pratiques des habitants concer-
nés.
Ces opinions reflètent les positions sociales de ces professions: les
uns se situent du côté des gouvernants et veulent batir la société du
futur; les autres préfèrent une approche critique et veulent réhabili-
ter des populations dominées. Elles rendent actuellement toute colla-
boration impossible entre ces deux groupes, au delà' des voeux pieux,
les uns valorisant la différence et ne pouvant avoir qu'un regard
critique sur toute modélisation, les autres fascinés par la figure du
modèle idéal, tentant sans fin d'affiner et de préciser leur projet.
- 168 -

Il n'est pas dans notre intention de résoudre cette opposition, mais


pl utot de suggérer d'autres facons d'envi sager l'effi cacité soci ale de
l'intervention spatiale rendant ces discours obsolètes. En effet, si
la modèlisation spatiale telle qu'elle est pratiquée aujourd'hui nous
semble souvent réductrice, le discours de la -non intervention nous
apparait comme encore plus simpliste dans la mesure où l'absence de
programmation spatiale et d'intervention de l'Etat, ne signifie pas
une plus grande liberté d'action mais plutôt une subordination encore
plus forte à des groupes de pression et à d'autres types de ~glemen­
tations : l'exemple du quartier spontané.
Aussi croyons nous à la nécessité de dessiner l'espace urbain, d'impo-
ser des ~glementations et de construire des habitations nécessaire-
ment modélisées. Mais à la différence de certains, nous estimons que
la qualité d'une intervention ne se lit pas uniquement dans l'adéqua-
tion entre le projet de l'aménageur et la réalité des habitants, mais
aussi dans les transformations que produisent les utilisateurs de ces
habitations; ce qui ne signifie pas qu'il ne faille pas penser l'in-
tervention en fonction des us et coutumes connus des habitants du
lieu. L'observation de la dégradation et de l'abandon de certains
espaces habités, du fait de leur désaffect-ion par des habitants, qui
n'est repérable qu'a postériori mais les exemples sont déjà nombreux,
peuvent ·permettre d'éviter la reproduction systématique de telles
interventions (si l'on se 'situe dans une pensée positive où l'abandon
et la désaffection sont des signes qu'il faut proscrire).
La production architecturalè ne doit cependant pas s'orienter unique-
ment dans la recherche de nouvelles formes spatiales, de plus en plus
complexes et difficiles à mettre en oeuvre, qui renforceraient la
distinction sociale; les exemples étudiés soulignent comment un même
espace peut convenir à certains et disconvenir à d'autres. Aussi nous
semble-t-il plus urgent d'abandonner ces principes de répartition à
l'infini de trames et de modèles identiques et d'imaginer des combi-
naisons des formes d'habitat et des modes d'agencement déjà existants
et d'autoriser la manipulation et la transformation de ces formes par
les habitants (la concession).
En outre il nous faut nous accorder imaginairement de ces productions
spatiales sans cesse inachevées et changeantes, de cette esthétique
dans le divers, qui cadre si mal avec notre représentation ordonnée et
inamovible du monde.
- 169 -

BIBLIOGRAPHIE

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LE QUARTIER DE FADJIGUILA ET SES ENVIRONS - BAMAKO IGN 1980

FLEUVE NIGER
- 171 -

FADJIGUILA, QUARTIER PERIPHERIQUE DE B~O, MALI

Jean-Marie GIBBAL

Bamako est une ville ~ui a connu une très forte croissance au
cours des dix dernières années. A partir de 1973, la sécheresse
persistante qui a sévi sur la partie sahélienne du Mali a précipité un
exode rural déjà très prononcé au cours de la période précédente.
L'ancien site urbain a éclaté de tous les côtés sauf au Nord où le
plateau de Kati se termine par des falaises abruptes constituant une
barrière naturelle. En revanche, de nouveaux quartiers ont surgi sur
la rive gauche du Niger au Sud, sur la route de Guinée, à l'Ouest, et
sur celle de Kouliloro à l'Est. Ces extensions de ville sont quali-
fiées dans le vocabulaire urbanistique de zones IId'habitat spontané",
dans la mesure où elles sont le résultat d'initiatives privées et
n'ont pas encore fait l'objet d'un plan de lotissement. J'ai choisi
d'étudier l'un de ces nouveaux quartiers, celui de F'adjiguila à l'Est
de la ville. Sa croissance particulièrement rapide, telle que j'avais
pu l'appréhender empiriquement lors de précedents séjours, me faisait
m'interroger sur les causes de cet engouement.
Les habitants de Fadjiguila ne détiennent pas de titre de
propriété et vivent dans l'attente d'un plan de lotissement, ce qui
les insécurise quant à leur avenir. L'enquête s'étant déroulée dans ce
contexte, il m'a fallu dissiper,. au préalable, les suspicions engen-
drées par ma présence qui fut d'abord interprétée comme l'annonce .
:

d'une prochaine mise en oeuvre du lotissement ou pour le moins comme


l'ébauche d'un contrôle sur ce quartier qui échappe encore à la léga-
l ité. Et, bien que mon enquête n'y soit pour rien, force est de
constater que c'est vers ce dénouement bureaucratique que s'acheminent
Fadjiguila et ses habitants, du fait de la croissance désordonnée du
quartier et des inconvénients qui en résultent. Les jours de Fadjigui-
la sont donc comptés sous sa forme actuelle. Dans le texte qui suit,
j'ai éprouvé le besoin après une rapide description de Fadjiguila et
de sa population, de retracer leur évolution et d'évoquer les déci-
sions envisagées par les pouvoirs publics à leur égard.
1- UN QUARTIER REFUGE
Le titre de cette premlere partie se justifie à la fois par la
position €t l'histoire du quartier de Fadjiguila et par la composition
de sa population qui oriente les pratiques spatio-temporelles de
celle-ci.
1- Le site et l'histoire
Fadjiguila se trouve à environ cinq kilomètres du centre de
Bamako, sur la gauche de la route de Koulikoro, à un kilomètre en
retrait de celle-ci, au pied de la falaise nord qui prend ici l'allure
de collines abruptes prolongées par un plateau latéritique en surplomb
- 172 -

du quart i er construi t dans l a cuvette en contre-bas. Les concess ions


se sont développées sous une vaste mangueraie qu'e11es débordent
largement à l'heure actuelle, mais le quartier demeure néanmoins très
ombragé dans l'ensemble. Il y a quelques années, la densification
était faible et il existait encore de nombreux espaces interstitiels,
transformés en places lorsqu'ils bordaient une voie de passage. Les
constructions du quartier sont en banco. Le modèle type en est la
concession entourée d'un mur d'enceinte et possédant une seule entrée,
donnant parfois sur un vestibule: on reviendra dans la suite du texte
sur ce type d'habitat. Le quartier n'est ni loti, ni viabilisé. Il est
donc dépourvu d'eau courante, d'électricité et d'un système cohérent
de rues et de voies de dégagement. Un marché siest implanté sur la
bordure Ouest où ont également surgi dans la période récente divers
bâtiments administratifs (cf. troisième partie).
Le site actuel de Fadjiguila faisait autrefois partie du terri-
toire du village voisin de Zoumansana, appelé aussi Nafadji dont les
habitants tenaient leurs terres des Niaré, les premiers occupants du
sol bamakois. Ce village avait été fondé au milieu du siècle dernier
par des paysans bambara originaires du Banink (région de Duéla) qui
fuyaient les zones infectées par l'onchocercose. Après un premier
établissement au bord du Niger, ces cultivateurs déplacèrent une
nouvelle fois leur village jusque dans les collines de la bordure nord
où il existe encore. La fondation proprement dite de Fadjiguila date
de 1902 quand Jean Diara, brigadier de police à Bamako, ouvrit un
champ de cultures sur le territoire de Zumanssan, après en avoir
obtenu l'autorisation de ses habitants.
Le défri chement du champ alla i t donner lieu à la construct ion
simultanée d'un hameau de culture où Diara installa rapidement une
partie de sa famille. Mais ce n'est qu'en 1922 qu'il se retira défini-
tivement à Fadjiguila avec tous les siens.
Pendant une cinquantaine d'années, les choses ne vont guère
changer, le hameau se développe à peine et demeure très isolé de
Bamako. On trouve une mesure de cet isolement dans les souvenirs
rapportés par un homme d'une cinquantaine d'années qui habitait déjà
Fadjiguila. Il me dit que les quelques enfants du village qui allaient
à l'école à Bamako, devaient se méfier des hyènes du soir car ils
traversaient sur plusieurs kilomètres, une zone totalement inhabitée.
Aux envi rons de 1970, l es choses se mettent à changer rapi dement. Le
village se développe grâce aux nouveaux arrivants qui fuient le centre
surpeuplé de Bamako. Mais, pendant un certain temps l'afflux ~e
population a été freiné par l'absence de marché et par le manque de
moyens de transports collectifs entre le nouveau quartier et la ville;
à présent un réseau de camionnettes bâchées relie le quartier périphé-
rique qui ne cesse de croître, au centre de la ville. Le recensement
de 1979 indiquait une population de 7000 habitants. Fin 1983 Fadjigui-
la doit facilement en compter plusieurs milliers supplémentaires. La
population doit facilement atteindre douze mille personnes à présent,
sinon plus.
- 173 -

2- Les habitants de Fadjiguila


Comme l'enquête fut conduite de façon qualitative, les données de
cette section proviennent d'une extrapolation faite à partir de ces
études et des observations empiriques non quantifiées.
Di vers i té ethn i que.
Si l'établissement est bambara du fait de l'origine ethnique des
habitants dU'premier village et du fondateur Jean Diara, de Fadjigui-
la, ce quartier constitue actuellement un véritable melting-pot de
toutes les ethnies du Mali; ainsi peuples de l'Est et de l'ouest du
pays se cotoient et se mêlent dans ce périmetre où, pour l'instant il
est encore possible de s'installer à meilleur compte et plus facile-
ment. F.n 1980 au cours d'un premier passage, j'ai vraiment rencontré
des représentants de toutes les grandes ethnies du Mal i : à côté des
Bambara, toujours les plus nombreux, des Soninké, des Peul, des Bozo
et des Sénoufo. Ce brassage ethnique semble plus important au niveau
de l'ensemble de Fadjiguila que dans les anciens quartiers de Bamako.
En revanche, au niveau de chaque concession ~es gens recréent des
groupements homo~nes du point de vue ethnique, groupements unis par
des liens de parenté qui s'élargissent parfois à des étrangers à la
famille, originaires de la même région. Ceux-ci sont en général des
célibataires, locataires du chef de famille, ou enfants d'amis, pris
gratuitement en charge dans ce cas.
Depuis 1981, les derniers arrivants sont en majorité issus de
groupes ethniques plus récemment venus dans la capitale: Songhoy et
Peul des lointaines sixième et septième régions (pays de la boucle du
Niger). Bobo et Ninianka de San et de Koutials qui bien qu'originaires
de contrées plus proches, ont été plus lents à émigrer vers Bamako.
Le quartier connait un semblant d'organisation autour du chef de
village, fils ainé du fondateur. Mais celui-ci n'exerce, à ma connais-
sance qu·un leadership assez discret, secondé par son propre fils
ainé, par les anciens de sa famille et par quelques notables d'un
certain âge, plutôt des lettrés (un comptable en retraite, un institu-
teur par exemple).
Ho~ogénéité sociale:
Les chefs de famille appartiennent tous aux strates inférieures
de l'échelle des emplois, sans qu·on puisse pour autant les classer
dans le sous-prolétariat composé de personnes sans emploi stable. Les
notables du quartier sont des petits fonctionnaires, des artisans, des
petits commerçants, des agents de maitrise. La majorité des chefs de
famille occupe des emplois manuels nécessitant peu de qualification
professionnelle (manoeuvres mensual isés, gardiens, chauffeurs, etc.. )
Ce sont, dans l'ensemble, des petites gens qui ont fui les quartiers
centraux de la capitale, devenus trop chers, trop peuplés et
insalubres.
- 174 -

L'arrivée à Fadjiguila :
Les chefs de famille interrogés ont quitté pour la plupart les
anciens quartiers centraux de Bamako (Médina, Koura, Misahira, Bozo1a,
Wuare1 a, Bamako, Koura etc ... ) à 1a suite d'un faisceau concordant de
circonstances qui se résument ainsi :
- les loyers des quartiers centraux sont trop élevés et ne ces-
sent de croître. Les logements sont trop exi gus, 1a promi scuité des
cours surpeuplées est difficile à supporter. Les conditions d'hygiène
sont très mauvaises, l'eau, en particulier est polluée,parce que les
puits sont insuffisamment protégés. Il y a trop de poussière et trop
de bruit en ville.
- A l'inverse, les gens trouvent à Fadjiguila le calme, le
repos,une eau et une atmosphère purifiées. Enfi n, l'argument fi nanci er
est souvent décisif dans le choix de l'installation dans des quartiers
périphériques, les logements y étant bon marché aussi bien à la
location qu'à l'achat.
3- Pratiques spatio-temporelles
le processus d'installation
Jusqu'en 1978/79 il était relativement facile d'acquérir un
terrain et de construire à Fadjiguila. Les nouveaux arrivants pre-
naient une location en attendant de trouver une occasion de bâtir pour
leur compte dans le quartier. Une fois réalisée cette seconde opéra-
tion, les nouveaux propriétaires essayaient d'acquérir un second ter-
rain et d'y bâtir à nouveau soit pour y loger une partie de leur
famille et de leurs descendants soit pour en tirer un revenu locatif.
Au début et jusqu'à une période récente, le nouvel occupant
devenait propriétaire de son terrain soit en échange d'un paiement
symbolique, sous forme de noix de cola remises au chef de la famille
Di ara, soit contre une somme d'argent encore modi que, lorsqu' il
s'agissait d'un terrain déjà bâti. A l'heure actuelle les cessions de
terrain donnent toutes lieu à des transactions financières; l'insé-
curité quant au statut d'occupation du sol en limite cependant le
montant. Les nouveaux acquéreurs ne detiennent aucun titre de proprié-
té et craignent de ce fait les conséquences futures de l'opération
qu'ils viennent d'entreprendre. Les situations locatives se sont aussi
beaucoup développées ces dernières années. Devant l'avenir incertain
des actuels statuts d'occupation, il est difficile de parler de stra-
tégie foncière pour qualifier les décisions des acquéreurs de terrain
à Fadjigui1a. Les motivations principales de l'installation, plus que
l'accession à la propriété avec des visées spéculatives, sont à puiser
dans les avantages de Fadjiguila par rapport aux quartiers centraux.
Cependant, l'installation à Fadjiguila cont-inue à favoriser l'accès à
un habitat de meilleure qualité et de faible coût, à des personnes
disposant de ressources modestes.
- 175 -

L'occupation des lieux habités:


Les chefs de famille ont pu construire des logements répondant à
leurs aspirations et à leurs besoins grâce à l'homogénéité du groupe-
ment résidentiel à la tête duquel ils se trouvent et grâce à l'espace
dont ils disposent. Le moâele général demeure celui de la grande
concession traditionnelle. possédant une seule entrée protégée parfois
par un auvent de tôle, prolongée dans le meilleur des cas par un
vestibule et débouchant sur une grande cour centrale, carrée ou
rectangulaire, autour de laquelle se distribuent plusieurs corps de
bâtiment. Le plus important de ceux-ci est occupé par le chef de
famille et sa ou ses épouses, chacune d'elles disposant d'une chambre
ou d'une antichambre; souvent, les chambres du chef de famille et des
épouses, au lieu de s'ouvrir sur un espace cloisonné, donnent sur une
véranda commune. Dans les concessions plus pauvres, la véranda dispa-
rait et parfois l'anti-chambre; on passe alors directement des cham-
bres à 1a cour.
Les autres chambres se répartissent soit à la périphérie de ce
premier corps de bâtiment tout en disposant d'une entrée séparée, soit
occupent les ailes disposées sur les deux autres côtés de la cour. Ces
piè ces son t cel les des dép end an t s duc hef de fa mil le: ses pro pre s
enfants, ceux qui lui ont été confiés, de parents, des visiteurs en
provenance du vi 11 age •.•
Le dernier côté, qui n'est jamais celui de l'entrée comprend la
cuisine couverte, utiljsée pendant la saison des pluies, mais dont le
périmètre déborde largement sur la cour le reste du temps, un grenier
à grain contigu et parfois .un poulailler et une petite bergerie.
Le réduit. sanitaire (WC et toilettes) occupe toujours un angle,
celui opposé au lieu où les gens se tiennent le plus fréquemment dans
l a j 0 ur née. Le che f . de f ami l lep 0 s sè de par foi sun coi n do uche / WC
personnel.
La partie centrale de la cour demeure vide d'installation de
surface mais c'est là que le puits a été creusé.
Ce schéma présente quelques variantes dont voici les principales:
la cour peut abriter un atelier d'artisan (un menuisier par exemple),
elle peut englober une pettte boutique, côté rue. Dans les concessions
les ,plus spatieuses il existe quelquefois un second espace" derrière
le corps principal de bâtiment, aménagé en arnëre-cour et en général
très ombragé. C'est .là que le .chef de famille peut se retirer ou
recevoir les visites d'amis proches. les visiteurs officiels se
cantonnant à la cour principale. '. ,
Le caractè re spat i eux de. l a cour permet ,que le groupement fami-
1ial s'y déploie en harmonie avec les habitudes héritées d'un mode de
vie ancien qui respecte les séparations de générations et de sexes. Il
existe en gros, trois périmètres d'occupation qui voisinent mais ne se
superposent pas; celui, d'abord, du chef de famille, dans le prolonge-
ment de son appartement; cet espace prend souvent la forme d'une
terrasse cimentée qui protège pendant l'hivernage les abords du loge-
ment du maitre des lieux. Il existe ensuite le périmètre occupé par
les épouses, les jeunes filles de la maison, et leurs visiteuses
occasionnelles, qui se dédouble entre le coin cuisine et un espace de
repos, à l'autre bout de la terrasse du chef de famille par exemple
- 176 -

et/ou encore, sous un arbre, ou encore à l'ombre d'un des murs d'en- .
ceinte. Il y a, enfin le coin des jeunes gens de la maison et de leurs
amis qui se retrouvent pour bavarder et boire du thé. Les enfants plus
jeunes n'ont pas de lieu attitré et circulent d'un groupe à l'autre
mais sont plus souvent dans la compagnie des femmes avec qui ils
prennent leurs repas. Hommes et femmes suivent à travers la cour des
trajets voisins qui parfois se recoupent mais leur monde est séparé
par des cloisons invisibles. .
Les pièces ne sont pratiquement pas utilisées pendant la journée
sauf parfois à l'heure de la sieste ..• Elles constituent plutôt des
espaces de rangement et de repos que des espaces d'activités, y com-
pris lorsqu'il s'agit de celles d'un type nouveau, tels les exercices
scolaires des enfants. Ceux-ci s'installent plutôt sous un arbre,
devant leurs chambres ou au coin de l a terrasse, et c'est également
dehors que resterons les adultes qui ont éventuellement à écrire ou à
lire. La véranda devient un lieu de repli pendant l'hivernage,
lorsqu'il pleut.
Pratiques de la ville.
Le fait d'habiter à Fadjiguila restructure et déplace l'espace
urbain vécu par les habitants de ce quartier périphérique.
Fadjiguila est éloignée du centre de Bamako, ses habitants ne
disposent pas tous d'un moyen personnel de déplacement et même s'ils
possèdent un vélomoteur, ils n'ont ni le temps ni l'argent pour entre-
tenir un réseau de relations dispersées aux quatre coins de la ville.
Aussi les relations extérieures ùU quartier ont-el les· tendance à
s'espacer, on leur préfère celles de voisinage localisées dans le
quartier. Les déplacements en ville se limitent aux obligations stric-
tement nécessaires: travail, visites familiales, et enfin
l'angoissante poursuite du "prix du condiment" (le nasonge), ainsi
qu'on nomme la somme journalière que le chef de famille est tenu de
donner à l~pouse chargée de préparer les aliments de la maisonnée. La
pauvreté est telle à Bamako que la majorité de la population vit de
crédit ou de l'aide gratuite que les personnes moins défavorisées
peuvent distribuer au jour le jour. Les salaires sont très bas et sont
épuisés bien avant la fin du mois. Les traitements de la fonction
publique arrivent avec retard. Aussi, le chef de famille a-t-il pour
devoir de trouver cet argent nécessaire quotidiennement. Beaucoup
d'hommes qui ont charge de famille perdent un temps considérable à
courir à travers la ville à la recherche de cette hypothétique minimum
journalière Ceux de Fadjiguila sont particulièrement astreints à ces
déplacements puisque ce n'est pas dans leur quartier dépourvu de gens
riches qu'ils trouveront l'aide nécessaire à la survie des leurs.
Les contraintes nées du fonctionnement de la famille étendue
entrainent également des déplacements forcés. Pour la majorité de la
population du quartier, l'installation à Fadjiguila est récente, dix
ans au moins: leur résidence se trouve excentrée par rapport à celle
du détenteur de l'autorité familiale (!=ère ou frère aîné par exemple)
qui habite dans un quartier plus ancien; sa cour et le groupe qui
- 177 -

l'habite porte le nom à Bamako de IIGrande Famille". Les chefs de


famille et leurs dépendants sont astreints d'y passer de temps en
temps, en général le week-end et à l'occasion des fêtes. Dans certains
cas, peu nombreux, il arrive que le leader de la Grande Famille soit
lui-même venu s'installer à Fadjiguila. Si la partie la plus
importante du groupement familial est demeurée en ville (pour prendre
un exemple rencontré, deux soeurs, un frère du leader et leurs famil-
les). Le chef de famille d~ Fadjiguila fait alors les visites fréquen-
tes et parfois quotidiennes, s'il en a les moyens, dans la cour de la
Gr a'n de Fami l l e qu' i lad ése r t ée plu tôt que dl 0 bl i ger t 0 ut lem 0 nde à
se déplacer jusqu'à lui, compte tenu des difficultés de transports.
Pratique du quartier :
S'ils ne conservent plus à l'extérieur du quartier comme rela-
tions fréquentes que celles qui sont imposées, les habitants de Fadji-
guila élargissent leur réseau social sur leur lieu même de résidence.
Ils font souvent partie d'un groupe informel qu'ils vont rejoindre
chez l'un ou chez l'autre de ses membres, ou, mieux, dans un coin
ombragé de l'une des places du quartier. C'est aussi grâce à ces
relations de voisinage que ce quartier périphérique joue un rôle
particulièrement intégrant. Ces habitants de même condition sociale se
découvrent des affinités et des intérêts communs qui renforcent le
sentiment de vivre dans un environnement connu et protecteur.
Quand l'enquête a commencé, il y a quatre ans, il existait encore
des jardins potagers et des champs de culture à la périphérie du
quartier dont le caractère rural était renforcé par ces activités
agricoles. A l'heure présente, sous la poussée de l'urbanisation, ces
espaces et les activités afférentes ont quasiment disparu. Il ne reste
plus que quelques petits potagers plantés à l'intérieur des conces-
sions, qui représentent néanmoins pour leurs propriétaires un appoint
appréciable par rapport aux habitants des quartiers centraux. De même
les animaux domestiques sont moins nombreux qu'autrefois et se rédui-
sent de plus en plus aux volailles de la.cour.
Les épouses des chefs de fa~ille dans le quartier.
Pour elles la tendance à rencontrer leurs relations sur Fadjigui-
la est encore plus accentuée. Il existe à Bamako de tels'problèmes de
transport que les relations lointaines des épouses s'amoindrissent et
souvent s'évanouissent tout à fait. En revanche, elles ne sont pas
séparées de leurs amies du quartier par Ille prix du taxi Voilà ll

comment se structure le réseau social des femmes' interrogées :


- Des relations de voisinage immédiat, quotidiennes et fonction-
nelles, on se rend de menus services, on se prête par exemple des
outils domestiques (marmites, cuvettes, haches, couteaux... ) On s'aide
au niveau des petits condiments (piments, poudres végétales, sel,
huile), on s'emprunte du bois. Ces échanges prennent toutes les formes
possibles: prêts, trocs, dons ••. Ces relations présentent souvent un
caractère harmonieux bien que le problème de l'eau soit à présent
source de conflit comme nous allons bientôt le voir. Elles s'établis-
sent sans discrimination ethnique.
- 178 -

- Les relations amicales ne sont pas forcément choisies dans le


voisinage immédiat de la concession. Mais les amies de coeur des
épouses habitent majoritairement le quartier. Les affinités culturel-
les jouent plus fort pour ce type de relations en ce sens que les
personnes fréquentées sont souvent de même origine ethnique ou régio-
nale. J'ai même noté des amorces d'associations volontaires entre
femmes, sur un mode informel et ponctuel: cotisations centralisées
par l'une des personnes du groupe auquel toutes participent.
Les quelques rares rel ations conservées en dehors du quartier ne se
ravivent qu'à l'occa'sion justement de fêtes auxquelles donnent lieu
baptêmes, circoncisions et mariages.
- La vie paisible, harmonieuse, sans histoire des habitants de
Fadjiguila se traduit dans des rythmes quotidiens d'une grande
régularité qui se résument à l'emploi du temps-type suivant:
. réveil à 5 heures
. entre5 et 6h 30: prières à la maison ou, parfois àla mosquée
6h 30-7h petit déjeuner
7h départ au travail
14h 30 retour vers le quartier
15h-17h déjeuner et sieste
17h-19h vie relationnelle dans le quartier ou à domicile
19h30-20h diner
21h extinction des feux

11- UN VILLAGE DE LA VILLE


L'observation'pendant trois ans (de 1981 à 1983) de Fadjiguila,
quartier de croï"ssance rapide, présente l'avantage de mettre en
lumière le processus de dégradation subi par un quartier dit "d'habi-
tat spontané" .
l-L IAGE DIOR DE FADJIGUILA
En févier 1981, date du début de l'enquête, il était en train de
se terminer. Il correspond à peu près à la période qui va de 1971 à
1980. En 1973, toute la partie située à l'Ouest de l'axe latéritique,
reliant F.adjiguila à la route goudronnée de Koulikoro/Bamako a été
détruite par les pouvoirs publics. En revanche, rien n'a bougé dans la
zone centrale, celle qui est en partie couverte par la vieille mangue-
raie des Diara, où s'est déroulé l'essentiel de l'enquête. C'est là
que pendant sept à huit ans les occupants du quartier ont connu un
mode de vie harmonieux dont les observations de la partie précédente
correspondant aux passages de 1981 et 1982, rendent partiellement
compte.
- 179 -

Ignorés des pouvoirs publics, à l'écart de la ville et pouvant


néan~oins y accéder grice à un réseau de taxis et de ca~ionnettes
bichées qui s'est peu à peu ~is en place, les habitants du quartier,
qui pour la plupart ont fui au préalable des expériences urbaines
négatives, peuvent enfin vivre suivant leurs désirs. Le nouvel habitat
n'a plus les inconvénients des quartiers centraux: locations coû-
teuses, cours bruyantes et surpeuplées, pro~iscuité pénible entre
fa·~illes étran~res les unes aux autres, loge~ents en voie de taudifi-
cation, eau la plupart du te~ps polluée, les puits étant trop proches
des for~es d'aisance •.• cette situation passee se résu~e souvent par
l es propos su i van t s l à-bas en vn l e on étai t souvent ~ al àde, l'eau
Il

n'était pas bonne, il y avalt trop de poussière partout, Fadjiguila


constitue aû contraire·un lieu de résidence cal~e et frais. Jusqu'en
1980, l'eau y est bonne et abondante. Enfin les gens peuvent se loger
ici beaucoup ~ieux et à ~oindre coût, dans plus d'espace, ce qui
co~pense large~ent l'inconvénient de la distance par rapport au cen-
tre.
Mais si Fadjiguila est un quartier où il fait bon vivre, c'est
non seul e~ent à cause des avantages ~atéri el s qu i vi ennnent d'être
énu~érés, ~ais aussi parce que les con~essions spacieuses du quartier
per~ettént de concrétiser Un ~ode de vie dont le· surpeuple~ent des
quartiers centraux e~pê~hait la résurgence. Les grandes lignes de
celui-ci ressortent des descriptions de la partie précédente,
s'installer à Fadjiguila~ c'est retourner à des habitudes ancien·nes
héritées de la société rurale et dont le redéploie~ent est rendu
possible par les cours spacieuses: "
- retour à l'ho~ogénéité ethnique du groupe~ent résidentiel et
~ê~e le plus souvent" l'ho~ogénéité fa~iliale : les occupants per~a­
nents de la concess i on étant toujours uni s par des liens de parenté
avec le chef de fa~ille ou l'une de ses épouses.
- utilisation d'un espace qui n'est plus un bien rare de telle
sorte que puissent s'y inscrire les différences d'igès, de sexes, de
rangs et que les ~e~bres du groupe puissent s'y déplacer sans conflit
~aujeur au gré des ryth~es journaliers et saisonniers.
- extension du· bâti par l'adjonction de pièces o~ ~ê~e de bâti-
~ents supplé~entaires q~and la ~aisonnée s'agrandit.

Habiter Fadjiguila présence encore d'autres types d'avantages


(1 ). "L es chefs de f a ~ ill e y assurant plus fa c il e ~ ent la co hés i 0 nd u
groupe dont ils se sentent responsables et ~aintiennent ~ieux leur
autorité grâce à la position périphérique du quartier. Ainsi l'éduc"a-
tion traditionnelle assez stricte, qui entre habituelle~ent "en con-
flit avec les contraîntes d'une urbanisation dé crise, rencontre ~olns
d'obstacles dans un quartier périphérique de ce type: le contrôle des
enfants et des adolescents, en particulier celui de leurs va-et-vient
est plus aisé que dans 1es zones centrales. Le soir, par suite du
ralentisse~ent du trafic routier, le quartier est d'ailleurs en partie
coupé du reste de la ville, qui n'est plus alors accessible qu'à ceux
(1) Avantages du point de vue des ~odèles anciens.
- 180 -

, di sposant de JTloyens de transport personnel s. De 1a JTlêJTIe façon, 1a


discipline souhaitée par les chefs de faJTIille s'iJTIpose plus facileJTIent
à l'intérieur de concessions au peupleJTIent hOJTIoif2ne.
- Enfin, la vie de voisinage apporte des satisfactions aux habi-
tants du quartier, en particulier aux épouses des chefs de faJTIille. La
propension à l'établisseJTIent de relations nouvelles et l'extension
gr and i s san te dur és eau soc i a 1 son t des don née s gé né r ale s de 1a 'v i e
urbaine en Afrique de l'Ouest, dès que les gens ne sont pas trop
restreints dans leurs faits et gestes par des servitudes éconoJTIiques.
A Fadjiguila, la relative hOJTIogénéité sociale des habitants facilite
la reconstruction in situ du réseau social et favorise une vie de
quartier agréable, cOJTIJTIe nous' l'avons vu. Ici plus qu'ailleurs les
gens ne se sentent pas isolés.
2.LA MONTEE DES PROBLEMES
La population du quartier dépasse à présent 10000 habitants. Les
causes de cette croissance sont cOJTIJTIunes à toute la zone péri-urbaine
de BaJTIako : l'afflux de population nouvelle, le caractère insalubre et
surpeuplé des quartiers centraux, l'élévation du coût de la vie et la
recherche d'un logeJTIent au JTlondre coût, précipitent les JTlouveJTIents de
population vers 'les quartiers périphériques, à Fadjiguila, la densifi-
cation croissante de l'habitat et l'évolution anarchique du quartier
font peu à peu disparaitre les avantages de l'lIâge d'or ll et surgir à
leur place de nOJTIbreux inconvénients.
IlJIpossibilité d'extension nouvelle satisfaisante.
Les pouvoirs publics ont fini par répondre à cette urbanisation
libre en lotissant les abords iJTIJTIéd~ats du quartier (voir la politique
d'Ilenclavage" qui sera évoquée plus loin). Les nouveaux arrivants qui
désirent passer du statut de locataire à celui de propriétaire n'ont
plus qu'une seule ressource: JTlonter s'installer sur le plateau qui
dOJTIine Fadjiguila au Nord entte les collines arides et la cuvette
verdoyante. Avant de' cOJTIJTIencer à i nvest i r cette zone déshéritée, 1es
gens ont occupé systéJTIatiqueJTIent tout le périJTlètre de la cuvette, y
cOJTIpris le bas-fond qui se trouve juste en dessous du rebord du pla-
teau. Cette dernière zone avait été jusqu'à alors soigneuseJTIent évitée
à ,cause des risques d'inondation au cours de l'hivernage. 'Les eaux qui
ruissellen't 'des pentes à cette saison envahissent à présent les
concessions nouvelleJTIent iJTIplantées en ce lieu, reste le plateau ':
j'ai découvert en février 1983 l'extraordinaire extension des
constructions sur tout son périrretre. Il était iJTIpossible de reconnai-
tre l'endroit à quinze jours d'intervalle, telleJTIent les constructeurs
allaient vite. A mon dernier passage, fin juin 83, cette zone s'était
encore densifiée. Beaucoup d'anciens locataires essaiJTIent de la
partie centrale du quartier sur ces hauteurs où les gens allaient
encore à la chasse il y a quatre ou cinq ans. Ces nouveaux habitants,
s'ils jouissent d'une vue 'superbe, vont cependant se heurter à d'énor-
JTles problèJTIes d'approvisionneJTIent en eau.
- 181 -

Ils sont accrochés à leur croûte latéritique sans ombrage et sans


humus qui contraste avec llaspect verdoyant de la cuvette en con-
trebas, où le quartier est né, à llabri des anciennes mangueraies.
Conf lit foncier.
L'enjeu que représente actuellement des sols qui avaient été
cédés pour rien, a fait jaillir une querelle entre les anciens et les
nouveaux possédants du sol. Celle-ci a empiré en 1983. Je rappelle que
le vieux Diara, fondateur du quartier, avait reçu son champ de culture
des Coulibaly de Siylabsaba qui tiennent eux-mêmes leur droit de
propriété des Niaré, premiers occupants du sol Bamakois, lorsqu'ils
avaient fui les bords du Niger et l'onchocercose; pendant près.de
soixante ans, la cohabitation siest déroulée sans problème.Puis des
Coulibaly de Zoumansana sont redescendus s'installer sur le périmètre
offert par leurs ainés aux Diara. Ils en refusent à présent l'autorité
au now de leur antériorité et bien que le sol ait été cédé aux se-
conds. Dans cet esprit, ils ont fait secession et ont construit leur
propre mosquée.
Conflits locataires/ propriétaires..
. . .
Un certain nombre de locataires de Fadjiguila tiennent leur
logement de propriétaires résidant ailleurs. Il y a, parmi ceux-ci,
des personnes .habitant elles-mêmes l es quart i ers centraux sous un
régime locatif: les difficultés de vie grandissante auxquelles elles
se heurtent les poussent à se replier sur .Fadjiguila où elles essaient
de récupérer leur habitation. Le phénomène siest amplifié la dernière
année et s'est accompagné d'expulsions violentes d'anciens locataires
du quartier.
Le prob lè flle de l'eau.
. .
évoqué pour l es nouveaux établ i ssements du pl ateau l atér.ïti que,
il est général à tout le quartier. Lorsque celui-ci était peu habité,
la nappe souterraine était amplement suffisante pour répondre aux
besoins. Or ce n'est plus le.cas maintenant. Il faut sans cesse creu-
ser des puits plus profonds pour capter une eau qui devient de plus en
plus rare en même temps que la profession de puisatier se développe de
façon fJorissante. Aussi, peut-on voir des petites équipes de jeunes
gens qui vont de concession en concession pour offrir leurs services,
assez bien rémunérés en général, mais pas toujours satisfaisants. Leur
i nt er ven t ion déc l en che en ef f et des con fl it sen t r e v0 i sin s car dè s
qu'un puit est plu~ profond il risque de capter l'eau de celui d'à
côté, si la distance entre les différents forages nlest pas suffisan-
te. Or la densification de l'habitat a multiplié le nombre de puits.
L'insabubrité relative.
Fadjiguila était un quartier propre, frais et ombragé, avec le
temps et l'augmentation de population, les ordures ména~res ont été
- 182 -

disséminées un peu partout. Les espaces plantés d'arbres se sont


restreints; ceux qui demeurent, en particulier des fragments de la
grande mangueraie d'origine, sont souvent choisis comme dépotoire. Le
quartier est devenu beaucoup moins salubre qu'auparavant et plus
poussiéreux.
Des rues et des artères inadaptées:
A tout cela s'ajoute une circulation qui, bien que modeste par
rapport au centre ville, a du ~al à se frayer un passage sur des
voies peu propices à cet usage parce que trop étroites, sinueuses,
pleines de fondrières. L'urgence d'une viabi1isation systé~atique de
fait sent i r.
Problè me de transports :
Le nombre des véhicules qui font la navette entre Fadjigui1a et
le centre a sensiblement augmenté mais pas en nombre suffisant (ils
sont actuellement au nombre de Il :(6 taxis et 4 bachées) pour répon-
dre aux besoins suscités par l'accroissement de population. Les cars
de la Soframa s'arrêtent loins du quartier sur la route goudronnée qui
conduit à Lou1ikoro. Les gens dépourvus de transports individuels sont
isolés du reste de la ville.
Difficultés relationnelles et conflits de voisinage.
La rigueur de vie croissante a mis ~in à certaines pratiques
instituantes ql:li s'amorçaient au cours de la période précédente. lors
de mon premier passage, tel qu'une tentative de ramassage scolaire
privé, quand il n'y avait pas d'école dans le quartier ou tel encore
qu'une entraide financière au niveau du voisinage. De tout cela il
n'est plus resté que la passation d'accord ponctuel en matière de
transport lorsque, par exemple, plusieurs habitants du quartier louent
un véhicule pour aller présenter ensemble leurs condoléances à l'autre
b0 ut de 1a vi 11 e 0 u po ur se r end r e à 1a gare r 0 ut iè r e, situ ée s ur 1a
route de l'aéroport.
A l'inverse, la venue dans le quartier depuis deux ou trois ans
d'un nombne important de Bobo et de Minianka, ressortissants d'ethnies
peur is1a~isées, qui vivent regroupés autour de quelques concessions,
et qui ont ouvert·~es cabarets où ils boivent de la bière de mil et de
l'hydromel, a suscité une grande hostilité des anciens habitants.
Ceux-ci, musulmans pour la plupart, voient d'un mauvais oeil l'instal-
lation d'une population turbulente aux moeurs tœs différentes. Il n'y
a pas eu à ma connaissance de conflit ouvert mais l'on se cotoie et
s'observe de part et d'autre sans sympathie. La qua1 ité de la vie se
dégrade à Fadj i guil a.
3- L'ENTREE DANS LA VILLE
Lors de sa fondation et pendant de longues années, Fadjigui1a
n'était qu'un ha~eau de culture isolé. Il y a sept ou huit ans,
- 183 -

lorsque j'ai commencé à fréquenter le quartier il était encore nette-


ment différencié du reste de la ville et sa bordure Est donnait sur
des champs de culture, la campagne commençait là. Il est pris mainte-
nant dans un tissu urbain qui s'étend presque sans solution de conti-
nuité de Korofina et Bangoni, à-l'Ouest et au Sud, à Bobougou à l'Est.
Entre temps sur son flan Est ont jailli successivement les quartiers
de Diel ibougou, Boulkassoumbougou, Souleymane bougou et enfin Bobou-
gou.
En trois ans d'enquête tous les champs que les habitants du
quartier cultivaient à sa périphérie ont disparu au profit de terrains
lotis et bientôt bâtis qui enserrent maintenant Fadjiguila de tous les
cotés sauf celui du plateau latéritique au Nord.
Notons comme autres signes d'urbanisation, et non des moindres,
l'installation progressive à la périphérie Ouest du quartier, de
divers bâtiments en dur, abritant des services publics, nouvellement
implantés qui attestent la prise en charge légale de la population du
quartier. Pendant longtemps le seul batiment de ce pays existant était
une P.M.l. (Protection maternelle et Infantile). En 1981, une école
primaire avait été construite en banco; ses batiments sont en dur-à
présent. Elle comprend neuf classes couvrant l'ensemble du premier
cycle. A ces premiers édifices sont venus s'ajouter une demi-douzaine
d'autres constructions: la mairie, la perception, le commissariat et
également un bureau de poste, une maternité, un bureau de la Croix
Rouge. Depuis quelques temps, la bordure ouest, lotie, est alimentée
en électricité et possède un cinéma.
111- FADJIGUILA EN QUESTION
Les habitants de Fadjiguila ne peuvent plus demeurer à l'écart de
la ville; leur quartier n'est plus ignoré des autorités urbaines.
Celles-ci ont conçu un ensemble de mesures générales, applicables en
partie au quartier. Il faut restituer les mesures envisagées dans le
cadre de la politique d'ensemble.
1- Les rouages de la politique urbaine
- Celles-ci -est mise en oeuvre ·à Bamako par la direction reglo-
nale de l·urbanisme et de la construction, la D.R.U.C., qui dépend de
la Direction Nationale de l'Urbanisme, faisant partie du ministère des
transports et des travaux publ ics, mais qui est aussi rattachée au
Gouvernorat du district de Bamako, la B.R.U.C. est donc soumise à une
double tutelle, celle du Ministère des Travaux Publics et des
Transports, et le Ministère de l'Intérieur.
- Au nive au mun ici pal 1a pol i t i que ur bai ne est i mpu1 sée par 1e
Service de l'Habitat dont l'action est démultipliée dans chaque délé-
gation municipale de quartier.
- 184 -

Il exist~ enfin le Projet Urbain du Mali, institution temporaire


qu i fonct i onne comme un bureau d'étude et d' i ntervent i on. Il a donné
lieu à un financement de la Banque Mondiale s'élevant à douze millions
de dollars, soit cinq milliards huit cent millions de francs maliens.
Il est conçu à l'échelon national mais il couvre surtout Bamako. Ce
texte qui le définit comporte trois axes, les deux premiers concernent
la capitale, le dernier les villes secondaires de Kayes et de Mopti,
on peut le résumer de la façon suivante:
a- Un plan d'ensemble d'amélioratio~ des conditions .sanitaires de
Bamako; enlèvement des ordures ménagères, nettoyages et réfection .des
caniveaux, installation de nouveaux caniveaux dans les nouveaux quar-
tiers, programme d'adduction d'eau et installation de bornes fon-
taines, assainissement des vieux quartiers de Bozola et de Niarela.
Construction d'édicules publics sur les marchés. Restructuration du
réseau commerci~l des quartiers en essayant de regrouper dans la
partie centrale de chaques boutiques, artisanat et marché..
b- Prévoir l'aménagement des quartiers de Bamako à' partir d'une
expérience pilote, qui a été depuis réalisée, celle de Magnambougou et
qui sera décrite par la suite. Faire que chaque quartier possède: .un
dispensaire pour adultes, un centre de développement communautaire,
une P.M.lo des équipements scolaires.
c- Prévision d'assainissement et .de drainage pour Mopti, d'adduc-
t i on d'eau pour Kayen.
Depuis sa creation le projet urbain est placé sous la tutelle du
Ministère de l'Intérieur. L'organisme chargé de sa réalisation
fonctionne comme bureau d'études et comme cellule d'impulsion aupres
des institutions chargées de l'application de la politique urbaine,
les aidant à améliorer leur action et ap'portant son soutien aux agen-
ces d'exécution, ceux du service de la voierie par exemple.
2- L'expérience de Magnambougou
Pour la première phase le projet s'est attaché à réaliser une
expérience pilote dans le qUë;l.rtier de. M.agnanabougou, zone d'habitat
dit Ils pontané", située sur la rive Sud du Niger, à 9auche de l a route
menant à l'aéroport. Ce quartier, à l'origine, présentait de multiples
analogies avec Fadjiguila : habitat très différencié dans l'espace,
donc environné de champs, co~struit e~ banco, occupé par des personnes
de con dit ion é.c 0 nom i que: des plu s m0 d.e ste s qui ne po ssédaie nt pas de
titre de propriété.
Les agents du projet urbain se son~ lancés dans une opération de
restructuration du quartier qui a maintenant ab~uti. Le point de
départ en a été la place du marché qui a été laissée telle quelle.A
partir de là il a été percé des voies de dégagement vers l'extérieur
du quartier et un systè me d'artères intérieures à Magnanbougou. Les
responsables de l'opération ont fait en même temps subir à l'habitat
des procédures d'alignement. Ce premier type de mesure a été complété
par la construction d'un réseau de caniveaux assurant l'assainissement
du quartier.
- 185 -

Les aménageurs ont réalisé ensuite un programme d'adduction d'eau


en implantant des bornes fontaines de telle sorte qu'aucune habita-
tion ne se trouve à plus de deux cents mètres de l'une d'elles. Le
quartier a été également pourvu d'un éclairage public, les occupants
des lieux, outre l'alignement, ont été sDumis à des mesures de remem-
brement et ont du améliorer la qualité de leur habitat. A la suite de
tout cela, ils se sont vu octroyer un titre de propriété.
En même temps que ces différentes actions se réalisaient, Magnam-
bougou était enclavé dans des construction loties alors qu'il était
jusqu'alors entouré d'espaces libres. Ainsi furent évitées de nouvel-
les extensions anarchiques qui auraient pu compromettre le remodelage,
l'assainissement et la reconstruction en cours.
Une seconde phase du Projet Urbain prévoit une.étude socio-
économique d'ensemble sur toute l'agglomération bamakoise : elle se-
rait d'une portée de six ans. Elle concernerait plus précisément les
transports et l'habitat dit "spontanée". Mais cette seconde partie du
programme.ne pourra être mise en oeuvre que si le financelJlent de la
Banque Mondiale est reconduit: pour l'instant il cesse en 1984.Si la
reconduction n'est pas obtenue, le projet disparait.
3- l'avenir de Fadjiguila
Si la "réabilitation" (1) de Fadjiguila n'a pas encore eu lieu il
en est déjà fortement question. Les. mesures envisagées et les travaux
préparatoires s'inspirent dans leurs grandes lignes de l'expérience de
Magnambougou, tout en tenant compte des données spécifiques du quar-
tier. . .
La première mesure, bien antérieure à l'établissement du plan
d'aménagement fut l'application à Fadjiguila de la tactique de l'en-
clavage. Le quartier est à présent ceinturé de concessions loties qui
empêchent son extension vers l'Est et le Sud. LIOuest étant déjà
construit. C'est la raison pour laquelle les nouveaux arrivants ou les
anciens locataires désireux d'accéder à la .propriété sont contraints
de grimper sur la plateau latéritique qui ~loture au Nord le quartier.
Puis en juin 1983, un communiqué passe à deux reprises sur les
ondes pour annoncer le prochain .lotissement de Fadjiguila, le comité
U•D•P•M• (Union Démocratique de Peuple Mal i en) du quartier avait été
au préalable saisi de la question par les autorités admin.istratiyes.
Le secr.étai~e de la section avait alors procédé à une consultation des
représentants de la population, ceux-ci avaient répondu favorablement
aux propositions du réaménagement du quartier.
Début juillet 1983, sur décision de la Mairie, des techniciens du
District Urbain commencent à procéder aux relevés topographiques
nécessaires à l'établjssement du plan d'alignement de l'habitat et de
remodelage de l'intérieur du quartier. Une fois ces données établies,
les urbanistes traceront le plan d'aménagement du quartier qui compor-
tera les points suivants :
- aménagement des rues et percement de voies d'accès en s'inspi-
rant de l'exemple de Magnambougou et de celui du quartier voisin de
Banconi en cours de réaménagement

(l)même vocabulaire des responsables urbains à travers le monde


- 186 -

- adduction d'eau et électrification du quartier, avec possibili-


té de branchement individuel.Il n'y aura donc pas de bornes fontaines
comme à Mangnambougou.
- drainage des eaux pluviales. Un couteux plan d'assa-inissement
est envisagé avec l~ construction ~'un réseau de caniveaux.
- ce plan d'aménagement permettra d'établir le devis à partir
duquel sera fixée la participation de chaque chef de famille; elle
sera probablement de l'ordre de 15000 à 25000 francs maliens.
Le sort des occupants actuels sera réglé de la façon suivante:
tous ceux dont les parcelles seront amputées par le remodelage du
quartier au point de ne plus disposer que de moins de 230 mètres
carrés, seront recasés ai lleurs sur des parcelles assainies, dans un
périmètre voisin de leur ancien domicile. Pour les autres, le proces-
sus vers "l'obtention de la sécurité foncière", en d'autres termes du
titre ·de propriété se fera par étapes: d'abord lettre d'attribution,
puis permis d'occupation provisoire.
L'attribution du titre définitif de propriété n'interviendra que
lorsque les intéressés auront construit en dur. Il est prévu pour cela
la constitution d'une coopérative qui fabriquera des briques en banco
stabilisé, considérées comme matériaux durables.
Les habitants du quartier ont vu évoluer les techniciens du
District Urbain chargés des relevés topographiques. Ils sont inquiets,
en particulier se sentent menacés d'un éventuel relogement, mais
résignés à l'inéluctable, sachant bien que les choses ne pouvaient pas
continuer à se dégrader de la sorte. Les gens craignent surtout les
querelles d'influence et les irrégularités de traitement qu'une inter-
vention des pouvoirs publics risquerait d'entrainer, selon eux. En
revanche, la venue de l'eau et de l'électricité est vivement souhai-
tée. Les "mieux lotis" envisagent avec calme de voir leur concession
écornée par les mesures d'alignement, ils auront en contrepartie les
avantages de lotissement et de la viabilisation du quartier. L'un deux
a observé les relevés des topographes. Il a estimé les dommages qu'al-
lait subir sa concession; il pense qu'il va perdre quelques rretres de
profondeur, coté rue, et qu i représente la suppress i on d'un bout de
cour et surtout la démo lit i on de deux chambres. Il commence déj à à
reconstruire par derrière le corps pr-incipal ~e bâtiment, n'hésitant
pas à sacrifier pour cela une partie ~Iun beau jardin qui existait
depuis plusieurs années. D'autres habitants du quartier se livrent au
même genre d'estimation sur leur cour. Pour tous, l'essentiel tient à
ce qulil reste assez de terrain pour reconstruire.
CONCLUSION
L'évolution SU1Vle par le quartier de Fadjiguila a amené plu-
sieurs types de réflexion.
- 187 -

Reconsidérer la notion de -quartier spontané-


il est vrai qu'à Bamako ces quartiers se développent sous
l'impulsion de décisions périphériques au pouvoir central et que leur
dynamique échappe dans un premier temps aux injonctions de la politi-
que urbaine, pour le reste, 5ls n'ontrien de spontané si ce n'est la
qualification dont on les affuble; il vaudrait mieux parler d'urbanisa-
tion parallèle ou d'urbanisation libre dans la mesure où l~s zones
d'habitat concernées échappent aux règles minimales d'urbanisme dic-
tées par l'Etat Malien. Mais en même temps ,les concession~ de Fadji-
guila obéissent à des normes d'occupation de l'espace très précises,
héritées du modèle ancien, à la fois villageois et urbain puisque le
Mali a possédé des villes importantes bien avant la période coloniale
(Djonn~, Tombouctou, Ségou, par exemple). L'expression ultime de ce
modè le au niveau de l'unité d'habitation est la concession construite
autour d'une cour centrale. .
Prégnance du modèle ancien:
Ainsi, lorsque les habitants de Bamako appartenant aux couches
populaires ont la possibilité de choisir le logement qu'ils construi-
sent, les normes de l'habitat villageois réapparaissent très vite.
Question de coût, mais aussi question de goût: non seulement cet
habitat est bon marché, mais il correspond à l'idée d'habiter que se
font les gens.
Intervention nécessaire des pouvoirs publics :
Ces zones d'urbanisation libres ou autonomes se développent très
rapidement parce que de nombreux citadins mécontents de leur logement
antérieur y affluent. Il en résulte une densification de l'occupation
qui fait que la situation favorable du début se dégrade. Les risques
d'insalubrité et la croissance de l'insécurité déclanchent l'interven-
tion des pouvoirs publics. Celle-ci entraine le remodelage du quartier
et la disparition de l'habitat de type ancien remplacé par des
constructions en dur ou en semi-dur. Des mesures s'accompagnent de
l'acquisition onéreuse d'un titre de propriété. Une partie de la
population quitte le quartier, celle qui ne peut assurer ces dépenses
nouvelles.
Il faut être riche pour vivre à l'ancienne
Cela signifie en clair que seuls les bamakois qui en ont les
moyens peuvent satisfaire leurs aspirations en matière d'habitat. Ils
ne s'en privent pas, d'ailleurs, construisant et occupant de conces-
sions spacieuses, entourées de plusieurs corps de bâtiment qui délimi-
tent une cour centrale. Dans celle-ci le groupement familial déploie
ses activités autour du chef de famille. Ce type d'habitat qui se
retrouve un peu partout dans la ville, bien que minoritaire, signale à
chaque fois la réussite de celui qui l'a fait construire. Le référant
- 188 -

est toujours la grande concession des temps passés, seulement, la


réalisation se fait à présent en matériaux durables et dans les meil-
leurs des cas les occupants bénéficient de l'eau courante et de
l'électricité. Ce sont de telles possibilités, à ceci près qu'un banco
stabilisé et amélioré remplacera le parpaing, que les pouvoirs publics
offrirent aux habitants de Fadjiguila qui auront trouvé les moyens de
financer les transformations imposées par voie d'autorité et la somme
nécessaire à l'obtention" du titre de propriété.
Les risques de déracinement
Mais qu'adviendra-t-il de ceux qui ne pourront pas répondre à ces
injonctions? Contraints à vivre dans des espaces qu'ils n'auront pas
choisis, privés de ces lieux de répit et de repos qu'ils avaient su
construire, les laissés pour compte des opérations urbaines de remode-
lage, assainissement, réhabilitation, ne peuvent qu'accumuler décep-
tions et violence. Le risque de déracinement grandit, accompagné d'un
"retour sauvage du refou l é": montée du symbole de remplacement, val 0-
risation dans l'imaginaire du passé.
- 189 -

USAGES D'ESPACES ET DYNAM IQUE DU FRONT D'URBANISATION


DANS LES QUARTIERS PERIPHERIQUES DE LOME

Emile LE BRIS

INTRODUCTION

Cet essai est le premier volet d'une étude collective sur Lomé
dont l'ambition sera de mettre en corrélation les pratiques de l'es-
pace habité, les discours produits par l'Etat sur la ville et les
politiques urbaines. Mon objectif est ici, conformément aux termes du
contrat, d'appréhender le contexte local selon ses déterminations
propres, de décrire et de tenter d'expliquer les pratiques et les
représentations de l'espace habité saisies à grande et moyenne échel-
le.
L'exercice a ses limites. Même si l'on part de l'hypothèse (au
demeurant très contestable) qu'une capitale comme Lomé n'a jamais été
et n'est toujours pas façonnée par une politique volontaire et qu'elle
se développe par les seules initiatives non coordonnées de ses habi-
tants, il paraît difficile d'ignorer totalement les discours consti-
tués, 1es cadres institutionnel s exi stants et l'appareil normatif. Il
conviendra, en effet, de déterminer si les pratiques décrites sont, ou
non, des pratiques d'adaptation aux normes ou de contournement de
celles-ci. Un autre écueil, dans ce genre d'étude, est de s'en tenir
au point de vue technique, de n'envisager que l'habitat réduit à
l'exécution des fonctions élémentaires (manger, dormir.•• ) et d'igno-
rer la richesse sémantique de 1I1'habiter"(l) avec ses potentialités
d'invention d'un espace quotidien, d'insertion dans un cercle plus
vaste de relations et de paysages familiers.
Le champ géographique de l'analyse a été limité à la périphérie
urbaine, c'est à dire à cette frange mouvante qui, contrairement à une
idée reçue, n'est pas toujours peuplée majoritairement de néo-urbains
en mal d'intégration, mais au contraire de familles qui, après plu-
sieurs années d'attente dans les quartiers centraux et à la suite de
plusieurs esais infructueux, touchent enfin au but: avoir un lichez
-II
SOl •••
Ces acteurs individuels, cherchant à satisfaire à la fois leur
besoin de logement et un certain nombre de fantasmes (voir ce que l'on
a écrit sur l'idéologie pavillonnaire) se trouvent confrontés à
d'autres opérateurs dans une partie complexe et, le plus souvent,
i néga 1e. Ces opérateurs sont très divers : ils' ag it bi en sûr de 1a
puissance publique mais aussi des promoteurs privés (même si ils sont
peu nombreux à Lomé) et des communautés autochtones détentrices des
terrains.
Dans cette partie aux règles du jeu incertaines s'élabore la
dynamique du front d'urbanisation que les modèles spatiaux habituels
sont impuissants à expliquer.

(1) Malté Clavel, "é1éments pour une nouvelle réflexion sur l'habiter"
Cahiers internationaux de sociologie, vo1.LXXI, 1982, 17-32.
190

fig. ]
LES QUARTIERS DE LOMÉ 1981

IL.miII)

Anfamt

~ Kp.tD

:r:

NORD

o, Hm
1

ffiSTCM LM
- 191 -

Dans une première partie (commune à ce texte et à celui dIA.


Marie consacré au centre ville), je fournirai au lecteur les princi-
pales données permettant de situer la ville de Lomé (2). La seconde
partie sera consacrée aux pratiques de l'espace habité dans les quar-
tiers périphériques (production foncière et immobilière, organisation
familiale et systèmes résidentiels, formes de sociabilité de quar-
tier). Enfin, j'essaierai de comprendre les formes et les déterminants
de la dynamique du front d'urbanisation à travers les stratégies de
quelques communautés autochtones.

(2) La fig. 1 indique les six quartiers périphériques étudiés par E.


Le Bris et les trois quartiers centraux étudiés par A. Marie. Le
lecteur voudra bien se reporter à ce plan pour situer les autres
uartiers dont il est fait mention dans les deux textes.
- 194 -

LOME, une capitale -à taille humaine- ?


A- Dynamique urbaine
Lorsque les allemands délaissèrent Zébé-Aného et choisirent Lomé
comme capitale en 1897 on y notait déjà une vie urbaine surtout carac-
térisée par l'activité commerciale (14 comptoirs dès 1892) qu'animait
une bourgeoisie autochtone, depuis longtemps en contact avec les
européens. Cette bourgeoisie, originaire de différentes localités de
la côte, s'adjugea d'emblée de vastes étendues, occupées pour l'essen-
tiel par la cocoteraie; elle était représentée par une quarantaine de
familles dans le Grundbuch institué en 1902. Comme détenteurs du
sol, on trouvait aussi quelques familles autochtones issues de la
diaspora Ewé du début du XVIIème siècle et résidant dans les villages
périphériques de Bè et Amoutivé.
Le premier plan d'urbanisme allemand de 1898 précèda en fait
l'amorce d'une véritable urbanisation suscitée, après 1900, par la
construction du premier wharf. Le Grundbuch comportait 512 immatricu-
lations en 1912 contre 171 sur le plan cadastral établi en 1886.
La poussée urbaine fut très lente entre les deux guerres, l'es-
pace pourtant modeste délimité par le boulevard circulaire ne se rem-
plissant qu'incomplètement. Seule exception : le lotissement, en
1927-28, du quartier Hanoukopé situé au delà du boulevard.
La ville ne déborda véritablement la limite du boulevard qu'après
la seconde guerre mondiale, en particulier vers le quartier Bè
rattrapé par le tissu urbain au début des années 50. Avant l'Indépen-
dance, s'amorca également l'occupation des cocoterai es situées à
l'ouest (quartiers Nyekonakpoè et Kodjoviakopé) : la ville jouxtait
désormais la frontière avec le Ghana. (fig 2)
Le rebord du plateau de Tokoin fut occupé avant 1960 par quelques
grands équipements collectifs (hôpital, lycée, camp militaire, aéro-
port) mais l'habitat ne progressait vraiment dans cette direction
qu'au point de passage du chemin de fer (quartier Gbadago).
Les deux premières décennies de l'indépendance sont caractérisées
par un dynamisme démographique important mais non exceptionnel (7,5%
de croissance annuelle entre 1959 et 1970, 6,5% entre 1970 et 1981)
mais surtout par un dynamisme spatial étonnant: si la population
double entre 1970 et 1981, la superficie de la ville est multipliée
par trois (de moins de 2000 ha à un peu plus de 6000 ha bâtis)! Le
déferlement de l'espace bâti sur un plateau ne présentant pas d'obsta-
cle particulier place aujourd'hui les franges urbaines les plus
éloignées à prés de 10 km vers le nord, la ville ayant rejoint et même
dépassé le port construit en 1964-67 à 7 km du centre. (fig 2) L'en-
quête BIT de 1977 indique que la ville "économique", en particulier
celle du secteur non structuré, n'a pas suivi ce déferlement au delà
de Gbadago et Toko"in Lycée (fig. 3).
EVOLUTION DE LA VILLE DE LOME
fig. 3

.......
..
..

1914 1956

..

1970

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1977
- 196 -

TABLEAU 1 EVOLUTION DE LA DENSITE DE POPULATION A LOHE

source superficie population et densité moyenne


en ha.
1920 estimat i on 85 20 000 (235)

1950 estimation 470 65 000 (l38)

1959 recensement 1000 8500CXagglomérationX85}

1970 recensement 1900 185 00 O( agg1 0 mérat ion )( 97}

1981 recensement 6100 390 000 (agglomération}(64)

sources: Y. MARGUERAT et autres documents d'archives


Au cours de la dernière décennie le poids de Lomé a sensiblement
augmenté en valeur relative (9,9% de la population totale du pays et
21,4% de la population urbaine en 1970, 13,6% et 23,4% en
1981).
Une étude cursive des facteurs de la croissance fait apparaître
que, pour l'essentiel, les apports nouveaux sont encore d'origine
externe (en particulier dans les quartiers périphériques) mais, déjà,
dans les quartiers du plateau les plus proches de la lagune, le pour-
centage des natifs de la circonscritpion de Lomé est proche de 50% et
les facteurs internes de la croissance pourraient peser lourd dans les
prochaines années.
La mobil ité intra-urbaine est caractérisée par des mouvements
importants depuis les quartiers centraux vers Bè, Ablogamé et Akodes-
séwa et, surtout, depuis les quartiers situés sur le cordon lagunaire
vers 1e plate au.
Avec une croissance relativement modérée et une densité brute
moyenne de 64 hab/ha (n'excédant j ama i s 250 et descendant à 35, en
moyenne, à la périphérie), Lomé apparaît bien comme une capitale aérée
où les contraintes de la grande ville pèsent assez peu si l'on excepte
les problèmes de dessertes diverses que commence à poser l'extension
sptatiale. (fig 4)
- 197 -

FIG 4 DENSITES DEMOGRAPHIQUES A LOME - recensement de 1981

---\-------
- ----\------

~ inférieur à ·15hab/ha

o 15/29 @ 129/179
Ô 30/59 ~ 180/250

8 60/119 •
.
supérieur
à250
- 198 -

B- Originalités structurelles
Lomé est, à bien des égards, un cas original dans son environne-
ment ouest-africain.
C'est une ville à prédominance féminine. Le rapport moyen de
masculinité est resté à peu près stable autour de 92 hommes pour 100
femmes. Derrière la sécheresse de la statistique, il y a la marque
profonde qu'imprime à la vie urbaine ce déséquilibre, particulièrement
dans le vieux Centre (environ 75 hommes pour cent femmes) et, plus
généralement, en deça du boulevard circulaire où fleurissent les
activités commerciales.
Même si la ville est, à environ 50% ,composée d'Ewé et de Mina
(l'ensemble des ethnies du sud dépassant même les deux-tiers), les
quartiers mono-ethniques n'existent pas. Plus généralement, on peut
considérer que le caractère héterogène du point de vue ethnique, mais
aussi du point de vue social, se retrouve de façon homogène dans tous
les quartiers de Lomé.
La ville est également homogène en regard de la taille moyenne
des ménages, voisine de 5 personnes et en baisse régulière (5,7 en
1959), sans qu'on puisse inférer à une évolution vers la famille
nucléaire.
Au plan économique, la ville se distingue surtout par son "sec -
teur informel" pléthorique, saturé et marqué, dans certains secteurs,
par de graves phénomènes de sous-emploi ( 1 atelier de tailleur pour
34 ménages, 1 garage pour 30 véhicules, 1 activité de vente - les 2/3
sont alimentaires et féminines- pour 3 ménages).

c- Effets de la crise
C'est peu dire que la situation n'est pas bonne; le Togo, sur
injonction du FMI, est entré depuis 1981 dans une phase déflationniste
très sévère qui contraste avec l'euphorie des années 74 à 76. Cette
crise se traduit en particulier dans le domaine de l'emploi privé et
para-public, mais aussi dans le quasi-blocage des recrutements de
fonctionnaires. Entre 1979 et 1982 (A. SCHWARTZ 7.6) le nombre d'em-
plois dans les entreprises de 20 salariés et plus est passé de 40 446
à 38 016 ..• Cette évolution est conforme aux objectifs, imposés de
l'extérieur, de ralentissement de l'activité économique.
Dans le domaine qui est le nôtre, les conséquences d'une telle
évolution sont immédiates et contredisent ou infléchissent toutes les
prévisions élaborées antérieurement en matière d'habitat et d'aménage-
ment urbain; contentons nous ici de signaler les évolutions les plus
révisibles :
199

- Dans les couches populaires à revenus moyens (celles qui pour-


raient bénéficier d'opérations du type "trames assainies ll ) , 1e revenu'
disponible pour l'accès au logement se contracte.

- La demande solvable pour un habitat de moyen et de haut stan-


ding subit les mêmes effets (la troisième tranche des villas de la
Caisse de Sécurié Soci ale n'a pas trouvé preneur).
- Le coût des matéri aux a gri rnpé en fl êche, imposant au chef de
ménage d'économiser au maximum sur le foncier (fig 5).
fig.5 -fausses nouvelles et vraies hausses l'évolution du prix de
la tonne de ciment à Lomé •

• OCT 10
Z3OCTIO

~ le prix du ciment
n'n pas changé
Depul... quelqu.. )oun., da ru.mrun, MkJn
.f idQl.lrU. le l'ru: de .. cnte du ciment Mn -ua •
'f
~
IncnLe Cu"C'utcn~ d&IU la capU..I,.. ':1 ccrul"'
d.lstnbULrurl UOcJUlIH le: clmcn~ et ~'UlCDl
1
J•
~ d Dft .~ a.n, AlI\.II \Uit pcnune mom.n

, ~IQIDI.IoU"C t1u Cocnrn~ cl d-ea Tranlp;lnl .:


~ banl. Pf"Kuer, qlU C MC d&ru 1 Qpnl d. 1011· •
~ darue na.uonaJ. U'6t. cha,.. • taUl mlht&lH du
-i Jta..mblernc:tlt du '-upZe: T~La.u que .. •
• J"OU"emt"menl a dofCJdt QU. &. elm.en~ pl"gdull ;
I~ na~ lI'd'ip:nu.bLe • nou.s '-DUI N1' ".ndu
~ &ou pru untQYC d .. 11300 'rancI la lQnN". &.oua
... In chd.lk'V de C'l.I'CI:ICUCnpoor. admuwLnJJ..,
1:~::a:..q~~~=":n d. pnl ~.t
J Ur• .....u. ~."
~-_ .... , >.< ..... _~~

1963 6800 F CFA/tonne


1969 8220 F Il
1971 9300 F
1979 18000 F
1981 27000 F Source: La Nouvelle Marche
1983 30000 F quotidien d'information togolais
- 200 -

Les déterminants éconowiques ont un poids croissant dans le


façonnewent des "wodes d'habiter" wais il est à noter que le warché
foncier reste relativewent calwe et les terrains bon warché; un des
effets de la crise pourrait être le rejet, vers une périphérie de plus
en plus éloignée, d'une population soucieuse de se dégager au waxiwuw
des déterwinants éconowiques pour iwposer sa ville et son wode d'habi-
ter.
- 201 -

11- USAGES DE L'ESPACE HABITE DANS LES QUARTIERS PERIPHERIQUES


Compte-tenu de la place disponible, j'ai opéré une sélection
rigoureuse dans les nombreuses études de cas réalisées (3), me con-
tentant de puiser dans celles qui illustrent le mieux les deux ques-
tions qui serviront de fil directeur à ce rapport: la quête du "chez"
n'est-elle que la manifestation de l'idéologie pavillonnaire observée
dans les périphéries urbaines européennes? Quels facteurs ~ommandent
la dynamique du front d'urbanisation à Lomé?
A- AVOIR UN "CHEZ" •.•
Cette notion de "chez" (contraction de lichez soi"), est à la fois
riche et ambiguë. Loin d'être l'expression d'un modèle culturel
autochtone, elle apparaît comme le produit d'un panachage original
entre, d'une part des pratiques sociales et spatiales, des représen-
tations issues du milieu d'origine et, d'autre part, une intégration
de la notion occidentale de propriété et de pratiques relevant de la
matrice spatiale capitaliste. (4)
L'usage de cette expressi on de "c~ez" renvoie l'observateur à des
concepts complexes élaborés par des anthropologues et des philoso-
ph es: l hab it uSil de P. Bou rd i eu, l' hab i ter de G• Bache l ad et de H.
III Il Il

Lefebvre; ces auteurs sont en effet unanimes pour distinguer, au delà


de la sécheresse fonctionnelle de l'habitat, un niveau d'invention, de
création permanente de l'espace quotidien.
La quête quasi-obsessionnelle du "chez", si elle s'impose comme
réalité spécifiquement loméenne, n'est pas, pour autant, facile à
analyser. Le "chez", c'est avant tout un espace qui abrite les valeurs
d'intimité protégée, qui crée le sentiment de sécurité, de sOreté. On
pense immédiatement à l'essence de coquille, de refuge essentiel que
Gaston Bachelard analyse de manière si originale dans sa "poétique de
l'espace". Là où l'environnement social de la ville introduit la
dispersion, le "chez" joue comme protection; sur ce point précis, H.
Lefebvre s'oppose à Bachelard et pense que, sans articulation à la
société urbaine, cette catégorie ne peut pas émerger. De fait, on
observera que la recherhe d'un "chez" interfère toujours avec d'autres
pratiques et d'autres stratégies d'ordre matrimonial et professionnel.

(3) Le projet est de regrouper les deux études sur Lomé (Le Bris et
Marie) dans une publication séparée et de restituer, dans cette
publication, l'ensemble des matériaux d'enquête.
(4) Sur la définition de ce concept, cf. actes du colloque de St
Riquier sur les pratiques foncières locales en Afrique Noire (à paraî-
tre aux éditions Karthala)
- 202 -

Catégorie anthropologiquc ayant une dimcnsion poétique, le "chez"


ne peut pas s'analyser sans référence à certaines formes et normes
juridiques et économiques. Lefebvre montre bien qu'il existe aussi une
relation très forte entre "l'habiter" et le langage, relation qui
permet de mesurer la distance souvent t~s grande entre le vécu révé
et le vécu réel, entre les fantasmes et les déterminants objectifs. Le
concours d'un linguiste eut été necesaire pour mettre en évidence
l'importance de la manière de nommer les choses de "l'habiter". Du
moins a-t-il été possible, grâce aux histoires de vie, d'analyser les
objets, produits de l'activité pratique, que sont les biens meubles et
il11l11eubles.

La notion de " chez" sera explorée à deux niveaux :

- à un niveau global, celui de la "course à la terre" qui met en


cause les concepts d'appropriation et de domination.

- à un niveau familial et individuel, celui de l'espace habité.

1- La course au sol urbain

La recherche de permanences culturelles est toujours un exercice


périlleux. Si l'on s'en tient aux seuls groupes Ewés et apparentés,
l'installation est relativement récente (un peu plus de deux siècles)
et les différents "groupes installés n'ont pas secrété d'organisation
politique à un t~s haut niveau; ils n'ont pas non plus eu véritable-
m"e nt let e mps den 0 uer a ve c lat e r r e des rel a t ion s t rè s c 0 mp l ex es.
Sans doute, dans l'histoire de la fondation de beaucoup d'établisse-
ments du Sud du Togo, retrouve-t-on l'idée qu'ap~s une longue errance,
des fuyards trouvent un hâvre de paix où leur famille peut enfin
s'établir, bref un "c hez" •.• .L'explication vaut ce que valent les
grands raccourcis historiques car, si l'on affine le propos, on
s'aperçoit que la notion de "chez" pratiquée aujourd'hui à Lomé consa-
cre, d'une certaine manière, l'appropriation privative et exclusive,
c'est à dire une forme d'appropriation bien éloignée du "droit fon-
cier" éwé largement fondé sur l'in.division et particulièrement
accueillant pour toutes sortes d'attributaires (femmes, étrangers
"adoptés" par une famille, etc)

Examinons concrètement les formes et les conditions de la produc-


tion foncière dans la périphérie loméenne. Une première observation
peut se résumer ainsi: la course au"chez" est une course de fond!
Elle ne dure jamais moins de dix ans dans les cas étudiés et, le plus
souvent, le chef de famille atteint son but la quarantaine passée
alors qu'il est déjà marié depuis une quinzaine d'années et a connu
une longue période (dix-quinze ans) d'activité professionnelle
stable. De même qu'au village le fils n'accède qu'à la mort du ~re au
statut valorisant de chef de famille, en ville l'acquisition du "chez"
consacre l'accession, vis à vis de l'environnement social, à une
position enviée et celà sans que changent nécessairement les statuts
matrimonial et professionnel.
- 203 -

Il est intéressant d'analyser différents types de parcours menant


à l'acquisition d'un lot. Installé à Lomé depuis 1964,. Kokou, déjà
marié, a vécu successivement dans quatre logements loués à Nyekonak-
poé; au gré de l'offre de logement et compte-tenu de l'agrandissement
du groupe familial (de 3 personnes en 1964 à 8 personnes en 1978), la
taille du logement a évolué (d'une chambre-salon à deux chambres-
salon) mais Kokou a, semble-t-il, privilégié la proximité de son
travail (cinq à dix minutes en vélo). En 1979 il tpuche au but en
acquérant un lot dans le quartier Nukafu mais un conflit avec sa
première femme le conduit au tribunal et le confronte à des pratiques
de sorce 11 eri e. De refuge protecteur, le" chez" devi ent lieu exposé et
Kokou se résout à l'abandonner au bout de deux ans pour tenter une
nouvelle fois sa chance dans le quartier Agbalépédogan. Akakpo Ayawovi
est arrivé à Lomé en 1963; d'abord hébergé gratuitement par un parent
dans le quarier du Grand Marché (Adawlato), il est ensuite locataire
d'une chambre-salon, pendant dix ans, dans le quartier Nyekonakpoe.Il
n'accède à la propriété dans le quartier périphérique de Bé Klikamé
qu'en 1974. Komlanvi est enseignant et il a bénéficié d'un logement de
foncti on dans ses différents lieux d'affectat ion; lorsqu'il est nommé
à Lomé, en 1976, il emménage dans la maison qulil a eu la précaution
de faire construire dès 1972 sur une parcelle héritée de son père.
Komlan, lui, n'a pas touché au but; parti de la maison paternelle à Bè
en 1968, il siest installé, à proximité du port actuel, dans le
quartier Akodessewa-Hedze. Cette zone, constituée en réserve publique,
a continué d'être louée en sous-main par des mandataires du chef de Bé
(et souvent à l'insu de ce denier). En 1983 tous les habitants de la
zone ont été brutalement expulsés à la suite dlune affaire crapuleuse
(cf supra p.222) il n'a pas été possible de retrouver trace de Komlan;
toutefois, le rapport qu'entretenait ce dernier avec son espace
habité (cf. supra p.2) laisse supposer que l'accès au "chez" n'était
pas son souci dominant.
L'accès au "chez" confronte les loméens à un certain nombre de
déterminants économiques et juridiques (coût des terrains, règlements
d'urbanisme, etc•.• ) qui exercent un effet sélectif sans pour autant
produire la ségrégation spatiale caractéristique d'autres capitales
africaines.
Tous les résultats d'enquêtes convergent sur un point : l a terre
est bon marché à Lomé. M.E.H. Diop (1983- 4.2) indique, au centre-
vi lle, un prix moyen de 6 à 7000 FCFA/m2 soit trois fois moins qu'à
Dakar, quatre fois moins qu'à Yaoundé et de dix à vingt-cinq fois
moins qu'à Douala. L'enquête Technosynésis (1979-3.3) observait des
prix maxima de 7500D F CFA et indiquait un prix moyen légèrement
supérieur à 3000 F CFA. En attendant les résultats de l'enquête
exhaustive de Y. Marguerat, on peut s'essayer, pour la périphérie, à
retracer l'évolution des prix depuis le début des années 70 : Au
début de la décennie, les terrains se négociaient à environ 150
FCFA/m2 à Bé Klikamé (clest le chiffre maximum prévu par un décret de
- 204· -

1971 - jamais appliqué- pour la zone périphérique). En 1975-76, on


achetait à environ 500 FCFA à Agbalépédogan; à Nukafu '(Tossou 1982-
1.2) on passe de 1600 FCFA en 1978 à 2500 FCFA en 1981; à
Agbalépédogan, ce dernier prix est atteint en 1982 tandis que, la même
année, à Bé Klilkamé, on paie le mètre carré 3500 FCFA. A cette date
on paie déjà 1000 FCFA le m2 dans la localité d'Agouévé distante de
plus de vingt kilomètres du centre ville.
Ces prix restent faibles mais il faut bien comprendre que, si par
extrapolation de l'enquête BIT (1979-7.1), on admet que près de la
moitié des chefs de ménag~s de Lomé gagnent, en 1982, moins de 25000 F
CFA/mois et que, dans ces tranches basses, moins de 10% du revenu est
épargné, cela signifie que, sur la base de l'auto-financement, il
faudra au moins trente ans à un ménage pour se rendre acquéreur d'un
demi-lot dans le quartier Agbalépédogan! Chacun a bien entendu sa
solution, son plan de financement en quelque sorte: Kossi (Agbalépé-
dogan ) a été maçon salarié-salaire mensuel de 50000 F CFA- au Gabon
pendant trois ans et il a pu payer comptant, en 1977, les 400 000 FCFA
demandés par son vendeur. Medesou, de Bé Klikamé, commerçant, chauf-
feur de taxi et guérisseur, a eu recours à différentes tontines dont
les cotisations mensuelles s'échelonnent entre 5 et 10000 FCFA/mois.
Akakpo Ayawovi, son voisin, travaillait, dans une maison de commerce
depuis la ans lorsqu'il a acheté sa parcelle en 1972; il avait écono-
misé la moitié de la somme (100000 F CFA), l'autre moitié étant em-
pruntée à la Banque Togolaise de Développement à 15% sur six mois. Il
est intéressant de s'arrêter sur le cas de Kokou (Agbalépédogan) pour
analyser de près la question du crédit à l'immobilier et au foncier.
Officiellement, trois circuits sont praticables:
- La banque togolaise de développement (BTD) a dispensé environ les
deux-tiers des crédits à la construction entre 1967 et 1979. Le mon-
tant moyen par opération était de 1,8 million FCFA, le crédit étant
accordé sur une période de dix ans maximum au taux de 7%. Ces condi-
tions assez avantageuses étaient assorties de quelques clauses
restrictives qui ont provoqué le développement d'une pratique de prêts
clandestins: des commerçants usuriers installés en plein air en face
de la BTD (d'oD leur appellation de "banquiers sous l'arbre") fournis-
saient des factures pro-forma gonflées pour l'achat de n'importe
quelle marchandise (généralement des matériaux de construction); le
demandeur obtenait son prêt, revend ait immédi atement l a marchand i se
(généralement au dessous de son prix) et utilisait l'argent pour
financer l'acquisition de sa parcelle. Le système fonctionnait avec
des taux avoisinant le triple des taux officiels. Ce crédit "par le
couloir" est devenu impraticable depuis 1981, la BTD exigeant pour
prêter que le demandeur ait un compte approvisionné à hauteur de 25000
FCFA et un permis de construire en bonne et due forme.
- De nouveaux "coul oi rs" ont été inventés. Beaucoup de gens recourent
à la Société Togolaise de Crédit Automobile (STOCA) pour des prêts
destinés à l'acquisition fictive d'un véhicule. Ce système est connu à
Lomé sous le nom "d'achat d'une conduite en l'air".
- 205 -

- Les filières officielles de financement du foncier et de


l'immobilier sont aujourd'hui dramatiquement réduites au Togo. La BTD,
la Caisse d'Epargne (depuis 1973) et la Société Immobilière Togolaise
(SITO) depuis 1977 ne s'adressent en fait qu'aux couches moyennes-
supérieures (5).
Les prat i ques de détournement ne s'observent pas seul ement dans
le domaoine du financement. Pour un enquêté d'Ablogamé, détenteur de
titre foncier (il est officier de gendarmerie en retraite), on en
compte dix qui en sont dépourvus (ce pourcentage n'ayant évidemment
qu'une va leur i nd i cat ive). La plupart ont signé un contrat de vente
(sans passer devant notaire) qu'ils ont ensuite fait légaliser en
mairie (On observera que cette pièce n'est pas reconnue dans la procé-
dure que tente d'imposer la Direction de l'Urbanisme). Kokou et Ayawo-
vi, soucieux d'éviter l'expulsion, ont déposé une demande de titre
mais les délais sont très longs (de un à trois ans dans des conditions
normales, beaucoup plus si, comme à Ablogamé-Akodessewa, il y a litige
sur l'identité du vendeur) et la procédure coûte au moins 10000 FCFA.
Dans la plupart des cas, le nouveau propriétaire ignore complètement
l'intérêt de la démarche ou justifie, à sa manière, le fait de ne pas
l'entreprendre: ainsi, Kossi estime que, "pour un si petit lot (un
demi-lot), un titre n'est pas nécessaire" •.• Medesou, propriétaire
depuis deux ans, est persuadé qu'il bénéficie du titre (imaginaire)
acquis par son vendeur!
La plupart des acquéreurs considèrent qu'un accord direct plus ou
moins formalisé entre vendeur et acheteur suffit à garantir
"l'appropriation", laquelle s'oppose bien évidemment à la domination,
inséparable pour l'urbanisme rationnel de la propriété de type romain.
Cette opposition bien mise en évidence par H. Lefebvre, nous paraît
essentielle pour comprendre vraiment la notion de "chez" à Lomé.
La question foncière est pourtant loin de se réduire à cette
marche patiente vers l'appropriation. Il conviendrait, en particulier,
d'enquêter auprès de ceux qui n'ont pas accédé (et n'accèderont sans
doute jamais) à ce type de rapport au sol urbain. Une telle enquête
révèlerait sans doute à quel point le fantasme du "chez" reste très
fort chez les plus démunis. Elle pourrait aussi mettre à jour les
différentes stratégies alternatives d'accès au sol urbain (location,
formes diverses de squattérisation aboutissant à un développement
inégal du sentiment d'appropriation). Pour les autres, ceux qui ont
réali sé le rêve, les chem i nements comp l exes étud i és montrent à quel
point il est insensé de réduire le foncier à sa seule dimension juri-
dique. Cette catégorie, intéressant presque toutes les disciplines de
sciences sociales, correspond bien à l'expression de rapports sociaux

(5) Il faut croire qu'un tel marché existe puisque, neuf mois après la
fin des travaux, les lots bâtis de Tokoin-Aéroport (300 à 550 m2) ont
presque tous été vendus à des prix variant entre cinq et dix millions
de francs CFA •••
- 206 -

contrad i ctoi res et i nscr i ts dans l'espace . Ces rapports sont très
évolutifs, les alliances entre opérateurs pouvant changer radicalement
en très peu de temps. Tel opérateur individuel, installé sur une zone
mise en défens, recherchera à l a foi s à obten i r l'accord des anc i ens
propriétaires autochtones (qu'en général l'Etat nia pas indemnisé) et
à se ménager les bonnes grâces des services chargés de gérer la réser-
ve foncière publique. Dans une situation où une infime minorité d'opé-
rateurs détiennent un titre régulier, la recherche d'une consolidation
des "droits" est essentielle et passe, le plus souvent, par une multi-
plication des alliances. Elle implique aussi la matérialisation très
rapide de l'occupation (c'est sans doute une des explications de la
multiplication des lots murés non habités à la périphérie de la vil-
le). On peut observer aussi que, dans de nOrllbreaux cas, l'acquisition
dl un lot est suivie très vite par la recherche d'une nouvelle parcelle
un peu plus loin à la périphérie. Il nlest pas toujours facile de
discerner si un tel achat est une mesure de précaution (parade contre
un éventuel "déguerpissement"), l'anticipation d'une évolution de la
situation familiale (fils mariés que lion ne pourra pas héberger sur
le lot initial) ou encore l'amorce d'une spéculation "domestique"
facilitée par le relatif bas prix des terrains.

2- LES PRATIQUES DE L'ESPACE HABITE


Il faut rappeler l'extraordinaire étalement de la ville de Lomé
au cours des deux dernières décennies (quatre loméens sur dix habitent
des quartiers créés après 1970) et l'affaissement corrélatif des
densités urbaines. Le tableau ci-dessous donne des indications pré-
cises pour les quartiers étudiés.

TABLEAU 2 : DATES DE CREATION ET DENSITES BRUTES DE QUELQUES


QUARTIERS PERIPHERIQUES DE LOME EN 1981

QUARTI ERS DATES DE CREATION (6) DENSITE EN 1981 hab/ha

GBENYEDJI 1972-1974 96
ABLOGAME 1972-1974 97
AKODESSEWA 1974-1976 92
BE KLIKAtJlE 1972-1974 40
AGBALEPEDOGAN 1976-1978 18
HEDZRANAWOE 1978-1980 11

(6) apparition d'un bâti continu organisé autour d'une voierie


inimale hiérarchisée.
- 207 -

C'est donc à travers une véritable boulimie d'espace que se


réalisent les fonctions élémentaires constitutives de ce qu'on a
coutume d'appeler l'habitat (manger, dormir, se reproduire) et que
s'exprime la diversité des façons de vivre à l'échelle de la parcelle
habitée mais aussi d'entours plus vastes.

Pour illuster ce fait anthropologique extraordinairement complexe


que constituent l'h'abitat et "l'habiter", j'ai sélectionné quelques
questions qui se posent, semble-t-il de manière spécifique, à Lomé.

~ De 11 accè s au sol urbain ~ l'espace habité

Toutes les stratégies sont possibles. Kokou et Mawu à Agbalépédo-


gan, Medesou à Bé Kl ikamé entreprennent leur première construction
l'année même de l'acquisition de la parcelle. C'est, semble-t-il,
l'exc~ption; il se passe généralement de deux à quatre ans entre le
moment où l'on se rend "propriétaire" du sol et l'amorce d'une pre-
mière construction. Entre temps, le nouveau propriétaire affirme géné-
ralement son droit en élevant, à grands frais, un mur d'enceinte en
parpaings de ciment d'une hauteur parfois surprenante; c'est aussi,
pour lui, le moyen de protéger des matériaux de construction acquis
progressivement et particulièrement convoités.

La première construction peut, selon les cas, être une simple


"entrée-coucher" de quelques rretres carrés isolés dans un coin de la
parcelle ou un module plus complet permettant de loger une famille
déjà norl1breuse. Dans ce cas, les travaux s'étalent, au gré de la
disponibilité des tâcherons, sur une période minimale de six mois à un
an. Le tacheronnage est, en effet, le mode de construction le plus
couramment utilisé (seul Mawu, maçon de profession a pratiqué l'auto-
construction); on a recours à un parent, à un originaire de l,a même
région, à un voisin ••• C'est un secteur d'activité remarquable qui
prolifère dans la zone périphérique, contrairement aux autres corps de
métiers du "secteur informel". L'enquête BIT (l978-7.2) en recense
263; la plupart travaillent seuls. Ils sont d'origine rurale et ont un
faible niveau d'instruction. Ainsi Mawu, originaire d'Atakpamé,
aujou'rd'hui 'agé de 40 ans, a abandonné la culture à l'âge de 25 ans
pour apprendre la maçonnerie à Lomé. Il attend quatre ans avant de
s ' i ns t a l 1er à son cam pte mai s les 'a f f air e sne marc hen t guè r e et, en
1975 (il a 33 ans), il part pour le Gabon où il exerce son métier
comme salarié pendant trois ans. Apres une breve expérience manquée en
Côte d'Ivoire, il rentre à Lomé en 1979 mais il attend près .de deux
ans un nouvel emploi qu'il ne garde que six mois. Depuis la fin de
1980, il n'a eu que deux vrais chantiers et il ne survit que grâce à
de petits travaux (ici une fosse septique, là un mur de cloture ••. )
payés à la journée ou, le plus souvent, à la tâche sur la base de
l'état d'avancement. La part de la main-d'oeuvre représente d'ailleurs
peu de chose dans le prix de revient d'une construction (un peu plus
de 10% pour MedesolJ, un peu plus de 15% pour Kossi). Il est intéres-
sant de rapporter le détail des dépenses de ce dernier.
- 208 -

TABLEAU 3 PRIX DE REVIENT D'UNE CONSTRUCTION A LOME (EN F.CFA)

Date de
construction matéri aux main-d'oeuvre TOTAL

le bâtiment 1977 263 500 69 000 332 500


2e bâtiment 1981 498 930 70 800 569 730
3e bâtiment 1982 374 800 65 000 439 800
-------- ------ -------

TOTAL 1 137 230 204 800 1 342 030

L'exemple de Kokou (1980) permet de détailler le cont relatif des


matériaux pour le gros oeuvre
10 camions de sable 70 000 FCFA
fer à béton 70 000 FCFA
10 tonnes de ciment 180 000 FCFA (7)
5 paquets de tôle 85 000 FCFA
37 pièces de rôniers pour
la charpente 20 000 FCFA
Aujourd'hui, une maison en parpaings de 6 à 8 pièces habitables
couverte de tôle représente une dépense nettement supérieure à 1,5
million CFA, soit à peu près ce que coûte, à la périphérie de la
ville, une parcelle de 600 m2. Les candidats au logement arrivent
généralement, au stade de la construction, aux limites de leur capaci-
té de financement et l'aide de la famille constitue, le plus souvent,
un appoint nécessaire. Celà explique le très grand étalement du rem-
plissage du lot. Entre le premier module et son agrandissement ou
l'édifiction d'un second bâtiment, Kossi a attendu cinq ans, Ayaba six
ans et Fandjisso, pourtant assez fortuné pour construire une maison à
deux niveaux en 1963, attend 1979 pour monter un troisième niveau
(fig.6 et planche B 2).
Si lent que soit le processus d'extension du bâti, il ne semble
pourtant jamais devoir s'arrêter. Près de la moitié de nos interlocu-
teurs ont des projets de nouvelles constructions sur la parcelle,
lorsque l'espace est jugé trop occupé, c'est-à-dire l orsqu'i l faudrait
sacrifier la cour, on n'hésite pas à empiéter sur le domaine public
pour délimiter d'abord une cour extérieure, puis y édifier un garage
que l'on transformera, au gré des besoins, en pièce habitable (8)
(planche Dl).
(7) La même quantité de ciment conterait aujourd'hui plus de 300 000 F
CFA
(8) On utilisera aussi cet espace extérieur à des cultures diverses
u pour entreposer certains matériaux.
fil.1 S(}\; r At-DJIS9J r. - CU\Rl 1ER ~lJrAt.-{

fig. 6 A

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DEUXIËMEËTAGE
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en construction pour
M. Fol; et sa fa~;lle

dalle b~ton

rue

0,5 cm par mètre


- 212 -

b- Configuration de l'espace habité et formes du bati


Globalement, les coefficients d'occupation du sol sont très
faibles à Lomé (de l'ordre de 30% au Centre, moins de 10% à la
périphérie); à l'échelle du lot habité, le bâti occupe de 25 à 50% de
la superficie totale (j'ai, il est vrai, assimilé au bâti tout espace
muré et couvert, quelle que soit sa destination) et toute personne
disposant d'un lot de 600m2 en utilise rarement plus d'un tiers pour
loger sa famille. Est-ce à dire que le bâti à usage d'habitation est
suroccupé?
L'enquête Technosynésis (1979 -3.3) donne une moyenne de 2,03
habitants par pièce; il semble que les situations soient, à cet égard,
très inégales (mes propres chiffres vont de 1,4 à 2,66 et ces moyennes
doivent être corrigées par une distribution très inégale des pièces
habitables entre les occupants dans une concession donnée.

Parmi l es chefs de ménage rencontrés, seul Medesou (fi g.7) par-


tage sa chambre avec son fils; tous les autres monopolisent au moins
une pièce et ont l'usage exclusif du salon (Akakpo Ayawovi - fig 8 -
occupe trois pièces à lui seul!). Des concentrations de trois à quatre
personnes par pièce sont, en revanche, courantes (généralement une
épouse et ses enfants en bas âge). Chez Komlavi la seconde épouse
s'occupant des enfants de la première, divorcée, on arrive à sept
personnes par pièce; ces chiffres,exceptionnels tout de même dans les
familles propriétaires, sont courants chez les locataires (ainsi chez
Fandjisso à Ablogamé et chez Kossi à Bé Klilamé une famille de loca-
taires vit à cinq dans une lI en trée-coucher ll de moins de 15m2 (fig. 6
et 10).
Tout se passe donc comme si la disposition de parcelles
apparemment démesurées n'était que la condition pour rendre supportable
l'entassement dans les pièces d'habitation proprement dites.
Les problèmes posés par le rapport intérieur-extérieur sont tout
à fait passionnants à Lomé; plus généralement, l'agencement des
différents espaces construits et les formes du bâti permettent
d'établir d'intéressantes typologies.
L'architecture loméenne du début du siècle, avec ses moulures et
l'usage des couleurs qui distingue encore quelques maisons patricien-
nes du centre-ville, a disparu depuis bien longtemps (planche Al).
Les constructions en parpaings de ciment avec toit en tôle (qui
d'après Technosynés i s représentent 30% du stock des logements) domi-
nent d'une manière écrasante dans les quartiers périphériques. Les
constructions en banco avec couverture de paille trahissent encore,
ici et là, la présence d'une ancienne communauté autochtone mais celle
d'Abgalépédogan, par exemple, s'est fondue dans le paysage urbain
ussi bien par les matériaux utilisés que par la disposition du bâti.
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fig. 7

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- 215 -

Dans les quartiers nord-ouest, l'uniformité des matériaux est à peu


près totale (encore que les plus riches préfèrent la dalle de béton à
la tôle). Dans les quartiers sud-est, plus anciens, le bâti est plus
varié. Du semi-bidonville d'Hedze (fig.9), on passe à la concession de
pêcheurs d'Ablogamé où trois types architecturaux au moins sont
représentés et où la décision a été prise de remplacer la tôle par
l'éternit. La disposition classique est la délimitation d'une cour
intérieure par trois ou quatre maisons-wagons adossées au mur exté-
rieur (planche BI). Cette forme, qui certains font dériver de la
tradition rurale (ce qui me parait douteux), est presque achevée chez
Kossi (fig.lO). Bien rares sont pourtant les maisons-wagons qui col-
lent absolument au mur; un petit couloir d'un mètre-cinquante est
généralement ménagé pour divers usages, dont la toilette. Chez Kokou
(fig. 11) et Komlavi (fig.12) on s'écarte sensiblement du modèle de
base et, chez Akakpo Yawovi (fig.8), on passe à une autre configura-
tion, la construction principale occupant une position plus centrale
dans la concession. Chez Medesou (fig. 7) la disposition baroque des
constructions et des pièces défie tout essai de typologie.
Même si l'on ne retrouve pas, dans les quartiers périphériques,
l'étonnante opposition cour extérieure (lieu froid de réception et de
parade) - cour intérieure (plus intime, plus animée) décrite par S.
Gnassounou (1983.2.5) pour un quart i er central, il est frappant que
certaines parties non bâties de la concession soient considérées comme
des pièces à usage professionnel chez Ayaba la fabricante de savon
(planche Cl) ou chez les femmes des pêcheurs d'Ablogamé. Les usages
agricoles sont, en revanche, exceptionnels en deça du mur d'enceinte.
Trois grands types d'espaces spécialisés existent:
- l'espace de réception du chef de ménage (qui ne séjourne
qu'exceptionnellement dans le salon proprement dit) généralement
protégé du soleil par le feuillage d'un arbre ou par une couverture
sommaire.(Planche D2).
- l'espace où se fait la cuisine est, sauf chez Akakpo Yawovi
(fig.8) et chez Komlavi (fig. 12) , un espace ouvert, articulé sur le
puits (70% des ménages de Lomé y ont recours), sur la chambre des
femmes et sur un trou d'environ 1,5 m de diamètre faisant office de
décharge. Le chef de ménage a, en revanche, de plus en plus tendance à
prendre ses repas seul sur la terrasse (Akakpo, fig.8) (Medesou est un
des rares à prendre ses repas avec sa femme). .
- l'espace de la religion est de moins en moins apparent mais
l'observateur attentif repèrera toujours quelques Legba (9) au pied de
la maison principale et l'asè, arbre de vie fiché dans la terre où
sont les morts. L'installatiOi1 de cet autel très sophistiqué (tige de
fer portant un disque horizontal de métal à sa partie supérieure) dans
une cour achève, dit Cl. Rivière, "l'installation juridique d'un
ancêtre dans l'autre monde ll (10); ell e si gnal e aussi que l a conquête
du II c hez ll est achevée, qu'il y a bien eu appropriation du lieu, même
si la propriété juridique n'est pas établie.(Planche El).
(9) Divinité représentée par un petit monticule anthropomorphique.
(10) Cl. Rivière, Anthropolo~ e religieuse des Ewés ~ Togo. Les
Nouvelles Editions du Togo, 19 1, 215 p
MAISON KDr'1LAN A..

QUARTIER EDGE 1981


fig. 9

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- 220 -

Cette dialectique de l'intérieur et de l'extérieur peut également


être saisie à travers certains phénomènes de circulation. Komlavi
(fig.12) fait figure d'exception avec son couloir disproportionné
desservant toutes les pièces d'un bâtiment. Le plus souvent, pour
aller d'une pièce à l'autre, on passe par l'extérieur. Lorsqu'il
cherche à innover par rapport au module de base de la maison-wagon, le
nouveau propriétaire aboutit souvent à des systèmes de circulation
intérieure dont la logique n'est pas toujours évidente ••. (ainsi,
Kokou et surtout Medesou - fi g. 11 et 7). On observera cependant une
constante: le chef de ménage s'efforcera, à l'intérieur de la conces-
sion, de se ménager une aire de séjour et de circulation qu'il ne
partage avec personne, si ce n'est, épisodiquement, avec quelque
visiteur privilégié (planche E2). Cette aire s'organise évidemment
autour du combiné salon-chambre et s'articule à un ensemble WC-douche
à usage exclusif. Le système imaginé par Kokou à l'occasion de la
construction de ses nouveaux santiaires est particulièrment ingénieux
(fig.11). On observera enfin que le chef de ménage se réserve toujours
l'étage lorsqu'il existe et l'étage le plus élevé lorsque la maison en
compte plusieurs (Fandjisso, fig.6 Cl.
Ces régularités dans les usages de l'espace ne sauraient nous
permettre de conclure à une stabilisation d'usages spécifiques dans un
espace enfin vaste et approprié. L'organisation de l'espace habité et
les usages qui en sont faits expriment sans nul doute un lien de
familiarité entre les individus et leur environnement immédiat (lien
qui, selon Bourdieu, définit l'habitus) mais ils ne sont pas, en eux-
mêmes, créateurs de normes, de valeurs, (hormis les valeurs d'intimi-
té), d'un style de vie qui s'imposerait à tous, on n'observe pas de
fonctionnalisation renforcée de l'espace de la concession, moins en-
core du bâti. A la périphérie urbaine de Lomé, il ne semble pas que
les transformations de l'habitat précèdent et déterminent les
transformations sociologiques.
- 221 -

3- L'ORGANISATION FAMILIALE ET LES SYSTEMES RESIDENTIELS.


Les enquêtes spécifiques et les recensements parlent généralement
de ménages, définis par la Commission Economique pour l'Afrique des
Nations-Unies (1973) comme 1I1'ensemble des individus qui vivent ensem-
ble en ayant une alimentation et un budget communs Sur cette base,
ll

quelles sont les grands évolutions observées à Lomé?


- De 1971 à 1979, on passe de 1,7 à 3 ménages par concession (13%
seulement des concessions ont un seul ménage en 1978) - (Technosynésis
1979- 3.3).
- L'effectif moyen des ménages est en constante diminution depuis
un quart de siècle :
1959 - 5,7 personnes/ménages
1979 - 5,3 personnes/ménages
1981 - 4,9 personnes/ménages
(en 1979, l'enquête Technosynésis donnait un chiffre de 4,6 encore
inférieur).
Comment se comportent les quartiers périphériques étudiés par
rapport à ces évolutions et que signifient-elles? En 1981 les ménages
d'Agbalépédogan comptent encore 5,6 personnes en moyenne! C'est moins
la marque d'une organisation familiale spécifique dans les quartiers
périphériques qu'une traduction statistique de la coexistence de com-
munautés autochtones fort nombreuses et de ménages aux effectifs
II
ll

plus réduits dont les structures semblent s'écarter au maximum de


celles de la famille élargie.
Kokou vit auj ourd' hui à Agb al épédogan avec quatre enfants d'une
première femme divorcée, sa seconde femme et trois enfants de celle-
ci. Il s'agi rait donc d'une fami 11 e nucl éai re monogame si n'habitai ent
pas également sur la concession une fille de 17 ans, sa soeur de 15
ans et une autre jeune fille du même âge placées comme apprenties
couturières et, accessoirement, domestiques auprès de l a femme de
Kokou. Kokou, chauffeur de profession, héberge également un apprenti
de 19 ans.
Ayawovi héberge une femme et neuf enfants ainsi que deux neveux
de 6 et 19 ans placés chez lui pour leurs études. Un de ses fils, est
placé chez un parent dans un autre quartier de Lomé.
Komlavi habite avec sa deuxième femme et dix enfants dont six de
la première épouse. C'est la famille nucléaire typique; KOllllavi est,
il est vrai, professeur de collège.
Kossi abrite une fille de sa première épouse et l'enfant de
celle-ci. Sa seconde femme réside également dans la concession avec
trois enfants ( le quatrième est scolarisé au village d'origine de
ossi qui, lui-même, accueille à Bé Klilame un neveu de 6 ans).
- 222 -

Les trois locataires de Kossi présentent des situations falT'i-


1ia1es très différentes. Il ya d'abor.d une felT'lT'e d'une quarantaine
d'années avec quatre enfants. Il y a aussi un jeune lT'énage sans enfant
et, enfin, depuis 1983 un hOlT'lT'e seul de 27 ans.
Fancljisso d'Ab10galT'e, officier de gendarlT'erie en,retraite, vit
avec 13 enfants de quatre femlT'es différentes, seule la quatrièlT'e
épouse se trouvant auprès de lui. Fandjisso héberge éga1elT'ent sept
neveux et cousins de sa propre fâlT'i11e, une jeune cousine de sa
quatrièlT'e épouse et une petite bonne étrangère à .1a falT'ille lT'ais
originaire du lT'êlT' village que Fandjisso.
Tous ces cas, sauf peut-être le dernier, renvoient à des types
falT'iliaux assez classiques et proches du lT'odè1e de la falT'ille
nucléaire. Le lichez" serait le lieu du rasselT'b1elT'ent de la (ou des)
felT'lT'e (s) et des enfants. Une telle évolution expliquerait la baisse
de la taille 1T'0yenne des lT'énages signalée plus haut; la présence, de
plus en plus fréquente, à la périphérie, de locataires seuls ou de
jeunes couples sans enfant explique assez bien cette évolution pour
qu'il ne soit pas nécessaire d'invoquer un glisselT'ent vers la falT'i11e
nucléaire dl ailleurs infi rlT'é dans un certai n nombre d'autres cas (et
pas uni quelT'ent ceux des cOlT'lT'unautés autochtones et de leurs descen-
dants). A LOlT'é, cOlT'lT'e dans. beaucoup d'autres vi 11 es afri ca i nes, des
systèlT'es résidentiels raccordent un individu à un environnelT'ent falT'i-
1ia1 et social beaucoup plus large que celui que l'on saisit au 1T'0lT'ent
de l'enquête. On se trouve confronté à une organisation falT'i1ia1e
qu'il n'est pas facne de caractériser. Il s'agit incontestab1elT'ent
d'un produit de la ville lT'ais, par bien des traits, cette organisation
elT'pruntée à la falT'ille po1ygalT'ique de type rural et aux réseaux so-
ciaux fondés sur des solidarités 1ignagères.
KOlT'lan, aujourd ' huiexpu1sé d'Akodessewa, reste très attaché aux
sectateurs du fétiche a1afia de Bé (son ~re y était féticheur; 1ui-
lT'êlT'e l'est devenu et il conduit le véhicule qui perlT'et de célébrer des
cé ré IT' 0nie s ho r s de L0 IT' é ). Il est .é gal e IT' en t cha uf feu rat t i t réd' une
revendeuse grâce à laquelle il a pu acheter des terres de culture sur
la route de PalilT'é; il y passe trois ou quatre jours par semaine avec
sa falT'ille au 1T'0lT'ent de la saison culturale et son jeune frère vit sur
place en perlT'anence.
Medesou exerce officiellelT'ent les lT'étiers de guérisseur et de
chauffeur de taxi et la lT'aison de Bé K1ikalT'e n'est, pour 1ui~ qu'une
résidence parlT'i d'autres. Originaire d'Aného, il y possède une lT'aison
où l'on rend hOlT'lT'age au fétiche; son fils ainé y est scolarisé. Deux
autres fils habitent avec leur IT'ère à Tokoin Casablanca et sa troi-
sièlT'e épouse vit à Gbadago avec ses quatre enfants. Medesôu a accueil-
li, à Bé K1ikalT'e, une jeune aide falT'i1ia1e originaire de la République
du Bénin où il a des attaches.
- 223 -

Ayaba, de Weteko~e-Akodessewa, est une fe~~e chef de ~énage qui


vit avec trois enfants dans ce quartier périphérique depuis 1976; son
~ari est parti habiter à Noépé sur la route de Pali~é et il vient
rendre visite épisodiquement à sa fe~~e (les enfants passent leurs
vacances à Noépé). Il est intéressant de noter que deux versions
différentes nous ont été présentées à propos de la résidence du mari;
dans un pre~ier temps Ayaba nous a dit qu'il était à Abidjan, les
enfants prétendant qu'il habitait à Tokoin. Ayaba a retrouvé.à
Wetekomé un environnement fa~ilial (son p2re aujourd'hui décédé et ses
frè res habitent à prox i~ité).

4- DES CONTRE-TYPES?

Les cas étudiés, à de rares exceptions près, sont représentatifs


d'un type social particulier: il s'agit de chefs de ~énage de sexe
~asculin disposant depuis plusieurs années d'un revenu stable ~oyen ou
~oyen-bas. C'est incontestable~ent dans ces couches que s'est forgée
l'idéologie du "c hez" que j'ai tenté de décrire ~ais ces couches ne
représentent pas un "~ode d'habiter" exclusif. D'autres types exis-
tent; j'ai pu, à travers les enquêtes, en saisir deux très partielle-
~ent : les fem~es-chefs de ~énages et les locataires.

La prépondérance fé~inine est, répétons-le, un trait distinctif


de la ville de Lo~é. Elle se ~anifeste, non seule~ent dans le sex-
ratio ~ais aussi dans la structure des ~énages, dans la structure des
activités et dans les pratiques de l'espace urbain habité. Cette
singularité doit cependant être nuancée. Si dans le vieux centre il
n'est pas rare, à l'échelle du quartier, de descendre au dessous de 75
ho~~es pour 100 fe~~es, dans les quartiers proches du port, les taux
sont ~oins déséquilibrés (92 à Akodessewa, 96 à Abloga~é); dans les
quart i ers nord et nord-ouest, on attei nt prat i que~ent l'équil i bre (97
à Agbalépédogan, 99 à Hedzranawoé) et, à Bé Klika~é, les ho~~es sont
~ê~e légère~ent plus no~breux·que les fem~es(Y. Marguerat, 1983-
6.1).

Afi wo a e st e ~ plo yé e de ban que et r e ven de use de pagnes; e 11 e se


situe, à l'évidence, sur un autre registe qu'Ayaba, revendeuse de
savon qu'elle fabrique à do~icile. Revenus, pratiques sociales et
~oœles de référence différent: l'une dispose d'un véhicule personnel
(avec chauffeur), l'autre rappelle, autour de ses bacs de prépara-
tion, les fe~~es des villages du Mono ~ais son fils, dit-on, poursuit
en France des études de ~édecine. De fait, les différences de statut
sont peut-être ~oins sensibles qu'il n'y paraît.·
- 224 -

Dans les deux cas, les groupes résidents sont de taille réduite
(autour de cinq personnes) et de cOJTIposition très déséquilibrée; la
feJTIJTIe chef de JTlénage est la seule personne adulte et elle héberge,
outre ses propres enfants, des enfants de parents proches résidant au
village et de jeunes adolescents intervenant dans ses activités
professionnelles.
Ces feJTIITIes JTlanisfestent une forte JTlobil ité professionnelle et
résidentielle (les recontrer exige une grande patience ..• ) Afiwoa,
divorcée en 1977, est retournée un teJTIps chez son Père avant de faire
construire sa propre JTlaison à Agbalépédogan en 1979. Elle deJTIande
alors un congé à sa banque pour se consacrer au cOJTIJTIerce des pagnes.
Lorsqu'elle reprend son service, en 1982, elle n'abandonne pas pour
autant ce cOJTIJTIerce et, de surcroît, elle loue la JTlaison où je l'ai
rencontrée pour ouvrir un débit de boisson aJTIénagé en salle de bal de
week-end et en petit restaurant de quartier (on n'est pas très loin de
l'Université). Sa propre JTlaison est proche JTlais elle a élu dOJTIicile
dans le local loué, où elle vit relativeJTIent à Pétroit et dans des
conditions de confort toutes relatives.
Ayaba, autrefois revendeuse de produits al iJTIentaires iJTIportés
(bonbons, sucre, l ait concentré ... ) se sépare de son JTlari en 1976 et,
pendant ~n an-et-deJTIi, elle apprend à fabriquer le savon local à base
d'huile de palJTIe. Son teJTIps est stricteJTIent partagé entre les tournées
d'approvisionneJTIent sur le JTlarché d'Afagnan dans le sud est du Togo, la
fabrication à dOJTIicile, la vente sur les JTlarchés de LOJTIé et les
livraisons à dOJTIicile. Ayaba est donc rareJTIent présente dans la petite
JTlaison qu'elle s'est faite construire sur une parcelle héritée de son
père peu après son divorce.(fig. 13 ,et planche Cl).
Chez ces ~eux feJTIJTIes, l'espace habité a été délibéreJTIent consacré
aux usages professionnels, la partie propreJTIent résidentielle étant
réduite au JTliniJTIuJTI. On observe cependant deux ITIanières différentes de
concilier stratégie résidentielle et stratégie professionnelle; Afiwoa
a préféré louer JTlaison et terrain pour ouvrir son COJTIJTIerce, se réser-
vant la possiblilité de se replier sur sa propre JTlaison. Ayaba, quant
à elle, a décidé de construire progressiveJTIent sur sa parcelle une
JTlaison d'assez belle allure qu'elle destine à la location et qui
r e pré sen tep rè s de qua t r e foi s las uper fic i e hab it a bl e de l a JTI ais 0 n
qu'elle occupe actuelleJTIent.
A l'évidence, l'idéologie du lichez" est étrangère à ces feJTIJTIes
chefs de JTlénage qui ïnvestissent l'essentiel de leur teJTIps dans les
stratégies professionnelles et subordonnent à celles-ci le rêve d'ap-
propriation d'un espace habité.
MAJ SON .A.YA9A D. A I~ ETE K0 t1 E

AKODESSEWA 1980

fig. 13

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construction 1976 construction

0,5 cm par rœtre


- 226 -

Comment parler des usages de l'espace habité des locataires?


Cette catégorie recouvre des types sociaux très variés et, si près de
60% du parc bâti est voué à la location dans les quartiers périphéri-
ques (Nyassogbo 2,4), il n'est guère facile de déceler des constantes
dans les comportements de ceux qui occupent ces logements.
Ce Kabyé venu tout droit du nord vit manifestement très mal la
ville aux plans professionnel et familial; de ce fait, il ne parvient
pas à stabiliser sa résidene et constitue une bonne illustration de
cette catégorie d'urbains déracinés difficile à saisir. Pour ces gens,
l'accès au logement, pour problématique qu'il soit, n'est qu'une
préoccupation secondaire eu égard au souci de se faire une place sur
le marché de l'emploi et au risque permanent de dislocation du groupe
familial. Plus heureuses, d'une certaine manière, sont les nombreuses
femmes chefs de ménages qui, avec leurs enfants (ou une partie d'entre
eux), parviennent à se stabiliser dans un quartier périphérique, en
payant de 2000 à 3000 FCFA pour une ou deux pièces minuscles. Quel
contraste entre cette population déshéritée et les locataires de
l'officier de gendarmerie d'Ablogamé! les uns sont des étudiants pour
lesquels l'Université loue 140 000 FCFA par mois une maison de type
villa; ils côtoient sans vraiment les rencontrer de grands commerçants
maliens et nigérians qui occupent, quelques jours par semaine, un
étage de la maison du chef de famille aménagé à l'européenne (fig 6B
et planche B2).
Dans les quartiers périphériques, il semble que les locataires
partagent quotidiennement l'espace habité de leurs propriétaires.
Chez Kossi, à Bé Klikamé (fig.10), l'exiguïté du lot peut expliquer
cette promiscuité. On l'observe pourtant aussi, à quelques centaines
de mètres, chez Ak.A, chef de communauté autochtone qui di spose d'un
très grand espace. Sur les six locataires de cette concession, cinq
sont parfaitement intégrés à la vie quotidienne des propriétaires.
Pourtant, à y regarder de plus près, on s'aperçoit que la suroccupa-
tion du bâti est nettement plus forte chez les locataires que chez les
propriétaires. Ils ont leur douchière séparée et n'ont pas accès
habi tue11 ement à l'un i que branchement sur l'eau courante (il s s' appro-
visionnent au puits du quartier). Dans le même ordre d'idées, on note,
chez Kossi, un rétrécissement de l'espace commun auquel ont
indifféremment accès familles de locataires et famille du proprié-
taire: sur les 300 m2 du lot se dessine, depuis la construction en
1983 d'une véranda réservée au chef de concession, une réelle ségréga-
ti on dans les usages de l'espace habité.
Ces quelques indications n'ont évidemment pas de porté générale
mais elles indiquent des pistes de recherche intéressantes à propos
des rapports entres locataires et propriétaires dans l'usage de l'es-
pace habité, en particulier dans les quartiers périphériques.
- 227 -

5- SOCIABILITES DE QUARTIERS
Bien que je n'aie guère poussé les investigations dans cette
direction, plusieurs observations méritent d'être rapportées.
Les franges urbaines semblent être un lieu du repli sur des
groupes resteints (famille, tontines souvent à base familiale ou
ethnique). On fréquente plus, semble-t-il, l'association des ressor-
tissants de son village (organisée à l'échelle de la ville) que les
réunions de la cellule de quartier du parti unique. Les femmes ne
trouvant pas de marché dans ces zones éloignées, désertent leur quar-
tier de résidence pour exercer leur micro-commerce. Pour ceux qui ne
di sposent pas de moyens de transport autonome, ra 11 i er son "chez" est
un exercice long et pénible ou fort coûteux et aléatoire (les taxis,
quand ils acceptent de desservir les quartiers périphériques, triplent
ou quadruplent le prix de base de la course); aussi, lorsqu'on est
chez soi, on n'en sort guère. Ici où là, il arrive que les habitants
d'un quartier se mobilisent pour faire venir l'eau, obtenir une halte
du chemin de fer, résister à une mesure des services d'urbanisme jugée
intolérable. Plus rarement se constituent, à l'échelle du quartier,
des regroupements durables du type association de prévoyance en cas de
décès).
A l'origine de ces initiatives, on trouve toujours les mêmes
catégori es dl acteurs; l es chefs de communautés autochtones héritent,
dans les quartiers de fondation très récente, du titre de chef de
quartier mais leurs prérogatives sont fort limitées et leur dynamisme
très inégal (réel à Ablogamé, faible à Bé Klikame, quasi-inexistant à
Agdalépédogan). On voit, en revanche, apparaître une catégorie de
"caciques" urbains. Ce sont souvent des agents de la techno-structure,
arguant d'une proximité réelle ou supposée avec les centres de déci-
sion; ils président volontiers le club de foot-ball de quartier,
prennent l'initiative de regroupements éphémères pour l'amélioration
de la circulation, des conditions sanitaires, etc ••. Certains (11),
ayant bien assis leur cl ientèle interviennent même pour régler des
litiges de voisinage ou intercéder dans certains évènements de la vie
famil i ale comme l es mari ages.
Ces différents canaux par lesquels s'exerce le contrôle social à
l'échelle du quartier n'existent pas (ou très peu) dans certains
quartiers périphériques que les autorités cherchent à assimiler dans
llimaginaire collectif à des quartiers dangereix à l'occasion
d'évènements qui, par ailleurs, passeraient sans doute à peu près
inaperçus.

(ll) Un gradé de l'armée, décédé en 1983, a joué ce rôle à


Agbalépédogan où il s'était fait construire une villa à l'étage
particulièrement luxueuse.
228

Fig. 14 déguerpissement dans le quartier Akodessewa-Hedzé


prouver que les "illégaux" sont de dangereux a-sociaux

Commentaire
pour un châtiment
exemplaire!
... 20 Npl.mbre, • • • ..". Nanc.e ......
lhon, ~YI . . . ., Juo<lu'i 1 h III ..
Tribu..., oPiclol _ " , . . Il """... Ion ...
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Source "Nouvellle Marche"


- 229 -

~ DYNAMIQUE D'UN FRONT D'URBANISATION


Pour qui s'attache à identifier les mécanismes de progression du
front d'urbanisation dans une ville comme Lomé, une question s'impose;
ne se trouve-t-on pas, dans cette ville, aux antipodes de l'image
cl ass i que d'une périphéri e mi séreuse, rejetée dans l a marginal ité et
las 0 us- i nt égrat ion mai s, de ce f ait, lie u d' émer gence den 0 uvell es
formes de vie sociale? Le rappel de quelques données générales aidera
à la compréhension des formes de la progression urbaine saisie par
l'exploitation des photographies aériennes les plus récentes (12). Je
m'-interrogerai, enfin, sur les déterminants de la dynamique du front
d'urbanisation en insistant plus particulièrement sur le jeu d'une
catégorie d'acteurs : les communautés autochtones.
1- données générales
La croissance de la capitale togolaise se traduit par une préoc-
cupante boulimie d'espace que ne parviennent à entraver ni les con-
traintes pourtant réelles du site, ni l'action des pouvoirs publics.
Les principaux obstacles naturels sont, au sud la mer, au nord et
au nord-est une zone inondable qui se confond à l'est avec les prolon-
gements marécageux de la lagune. D'autres invariants bornent la crois-
sance: la frontière du Ghana, à l'ouest, joue d'autant plus sa
fonction que les relations entre voisins sont franchement mauvaises
depuis quelques années. La zone portuaire, à l'est, et l'extension de
l a zone d'exloitation des phosphates au nord-est, constituent égale-
ment des obstacles à l'extension de la v·ille (fig.15).
D'après des éval utati ons récentes (Technosynés i s, 1979-3.3), les
pouvoirs publics sont confrontés au double objectif de construction de
plus de 150 000 logements d'ici à l'an 2000 (soit l'équivalent du
double du parc actuel) et de maîtrise de l'extension spatiale de
l'agglomération. On peut s'interroger sur l'impact réel du gel de
superficies importantes à la périphérie urbaine au cours des dernières
an née s. Loi n der ale ntir l' ext ens ion spat i ale de l a vil l e, t 0 ut en l a
réorientant, ces réserves ne font que renvoyer l'urbanisation encore
plus loin du centre ville. Tout se passe comme si l'opérateur public
avait prétendu, au cours des années 60 et au début des années 80,
borner l'agglomération par la seule politique de mise en défens. Une
telle politique manifeste, pour le moins, une vision.statique de
l'espace urbanisé. Le schéma directeur promulgué en 1981 marque a
priori un progrès; privilégiant l'expansion résidentielle en direc-=-
tion du nord ouest (fig.15), il a la sagesse d'admettre que toute
(12) On dispose sur la ville de Lomé, d'une succession relativement
régulière de missions:
a) mission 1969. NB 31 XII-XIV/300 à une échelle (1/30 000°)
malheureusement inadaptée pour une étude urbaine mais dont les clichés
supportent bien les agrandissements.
b)mission IGN 1973 au 1/125000° avec restitution sur calque au 1/2000
c) mission IGN 1979 au 1/12500° réalisé pour Technosynésis avec une
restitutions sur calques au 1/5000° et confection, par Technosynésis
d'une photomosaïque au 1/10000° sur l'ensemble du périmètre urbain.
Il existe une mission de moindre qualité de 1952 au 1/125000° avec
restitution sur calque au 1/2000°
- 230 -

FIG 15 LOME A L'HORIZON DE L'AN 2000

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- 231 -

planification ex nova est impossible dans une zone très profonde où


n'existe encore-aucune forme consolidée d'urbanisation mais où le
passage de la terre rurale au sol urbain s'est massivement opéré.
Cette zone atteint d'ores et déjà les limites d'expansion prévues par
le schéma directeur au nord et au nord-est.
Tout en admettant qu'il est nécessaire de concentrer l'investis-
sement public sur la zone urbanisée la plus réduite possible, le
schéma semble aller dans le sens d'une urbanisation consommatrice
d'espace en nég1 igeant les hypothèses de densification de certains
quartiers au sud de la lagune (mais aussi sur le plateau, à l'inté-
rieur de l'actuel périmètre urbain). Les stratégies proposées aux
opérateurs publics semblent à la fois irréalistes compte-tenu de
l'efficacité actuelle des services (contrôle rigoureux des nouvelles
zones d'expansion transformées en ZUP) et porteuses de conflits aigus
avec les opérateurs privés (acquisition des nouvelles surfaces au prix
des terra-ins agricoles).
Les formes et le dynamisme du front d'urbanisation relèvent, à
Lomé, de deux facteurs insuffi samment étudi és : le marché fonci er
d'une part et, d'autre part, un tissu de relations sociales complexes
où se croisent stratégies familiales et professionnnelles, montages
institutionnels privés et phénomènes de clientélisme.
Sur le marché foncier, quelques éléments d'appréciation ont déjà
été fournis mais il est nécessaire d'attendre les résultats définitifs
de l'enquête entreprise par Y. Marguerat pour formuler des conclusions
fiables. Dès maintenant, il semble possible d'avancer la
proposition suivante: à Lomé (et contrairement à une idée reçue, sans
doute vérifiable ailleurs), le rejet vers la périphérie n'est pas lié
à l'insuffisante solvabilité des demandeurs de terrains mais s'expli-
que, dans une large mesure, par ce que M.LH. Diop (1983-4.2) appelle
la II para1ysie du foncier ll , elle même créee par llextraordinaire imbro-
glio que constituent les IIdroits" sur la terre.
2- Formes du front d'urbanisation
a- méthodologie :
Le caractère spécifique des méthodes mises en oeuvre ici justifie
un développement distinct de la partie méthodologique commune.
L'identification d'un front d'urbanisation.est un exercice déli-
cat lorsque l'on travaille à grande échelle~ c'est à dire en faisant
entrer en ligne de compte le plus grand nombre possible de variables.
Les critères de densité, généralement retenus, ne sont pas néces-
sairement les plus pertinents, en particulier dans une agglomération
où les densités sont globalement faibles et où les contrastes en
matière d'occupation du sol urbain sont peu sensibles. En outre, à la
périphérie de Lomé, les noyaux villageois peuvent survivre longtemps à
l'urbanisation et contribuent à renforcer les densités brutes; à
l'-inverse, des densités très faibles (inférieures à 20 habitants/ha)
peuvent correspondre à des zones urbanisées ou en voie d'urbanisation
rapide.
- 232 -

Le critère de continuité de l'espace bâti est également difficile


à manier. D'une part, l'existence de nombreuses réserves civiles et
militaires peuvent conduire l'observateur superficiel à une mauvaise
évaluation de la progression de la ville. D'autre part, des formes non
consolidées d'urbanisation peuvent masquer un processus de lotissement
presque achevé, donc la transformation quasi-complète du terrain rural
en sol urbain.
Il apparaissait nécessaire de mettre en oeuvre une batterie
d'indicateurs, à la fois statiques et dynamiques, en sachant que la
pondération entre critères peut varier d'un secteur à l'autre de la
périphérie urbaine. Seule une bonne maîtrise de l'histoire de l'urba-
nisation peut permettre de pondérer les critères de manière satisfai-
sante: au sud de la lagune, vers l'est, par exemple, aucun noyau
villageois n'apparaît véritablement mais quelques chefferies coutu-
mières importantes et un nombre limité de propriétaires anciens mono-
polisent le marché foncier et certains litiges les opposant entre-eux
ont pu et peuvent encore jouer comme un frein à l'urbanisation. La
situation se présente de manière complètement différente dans les
quartiers nord et nord ouest oD la terre se trouve morcelée entre une
multitude de communautés autochtones de faible ou moyenne importance.
Je reproduis, pour mémoire, le répertoire des critères
d'évalutation retenus, en indiquant pour chacun dieux, les sources
appropriées (13).
critères retenus sources
-critères statiques-
-caractère continu de l'espace photographie aérienne moyenne
bâti;physionomie du tissu (1/20000) et grande (1/5000) échelle
urbain
-densité du bâti évaluée par photographie aérienne grande
comptage des constructions, échelle
par calcul des coefficients restitutions sur calque au
de surface bâtie et 1/2000, recensement et enquêtes
d'occupation du sol. directes par sondage.
-densité arborée photographie aérienne grande
échell e.
-morphologie du bâti
identification de formes spéci- sur les photographies à grande échel-
fiques = le: désordre du plan, petite tail-
-habitat autochtone le des maisons, bosquet arboré
de forme irrégulière et teinte
sombre des toits (le plus souvent
roui llés)
-habitat urbain à étage phot.aér. (stéréo)
-construction à forte emprise
au sol à autres usages que phot. aér.
l'habitation
(13) Je réutilise ici une note méthodologique rédigée en décembre 1982
à la demande de la Direction de l'Urbanisme et de l'Habitat. Cette
note comportait aussi des propositions sommaires pour la mise en place
d'une structure d'observation continue de la croissance urbaine.
- 233 -

-opposition entre deux types phot.aér.(position centrale du


de disposition de l'habitat bâtiment principal ou cour
centrale entourée de bâtiments
-trames de circulation phot.aér. moyenne échell e per-
mettant de repérer un nouveau ba-
lisage de l'espace recouvrant
les cheminements anciens
-V.R.D. et équipements of- Services techniques et enquêtes
ficiels (écoles, dispensaires, directes.
marchés .•• )
-Données démographiques de Recensement de 1981 mais il sera
structure (par âge ,sexe nécessaire de disposer des docu-
ethnie, profession) ments nominatifs pour procéder à
des traitements cartograhiques
par zones de dénombrement.

-critères dynamiques-
-Identification de l'habitat phot.aér. grande échelle et en-
en construction quête directe
-Identification de~ lots murés photo.aér.grande échelle
non bâtis et des trames loties
apparentes
-Evolution des pratiques fon-
cières :
apparition de nouveaux agents Domaines, direction de l·urba-
de la production, foncière nisme
(Etat. •• )
accélération du rythme des Domaines et surtout enquête
mutations foncières directe
apparition de nouvelles stra- Enquête directe
tégies foncières dans les com-
munautés autochtones
-Evolution des pratiques im- Permis de construire
mobil ières Enquête directe, en particulier
auprès des tâcherons
-données démographiques de Recensements
mouvement
- 234 -

Les cartes reproduites i ci (fi g.16 à 20) rendent compte de la mani pu-
lation d'un petit nombre de ces critères et l'on regrettera, en parti-
culier, l'absence de carte des densités démographiques; il n'était
malheureusement pas possible de disposer des documents nominatifs du
recensement de 1981 et ces zones étaient trop peu affectées par l'ur-
banisation en 1970 pour que le recensement précédent soit utilisable.

b- Le front d'urbanisation dans les quartiers nord et nord-


ouest.
En référence à une progression de la ville s'apparentant à un
"métamorphisme de contat" (14) , j'ai mis l'accent sur un des ressorts
majeurs de cette progression: le rapport complexe qui s'établit entre
demandeurs de terrains et communautés villageoises autochtones. L'in-
térêt des études de cas qui suivent est de montrer que ces communautés
sont loin d'avoir un comportement unifié, même si un certain nombre de
constantes apparaissent.
La représentation de l'espace bâti dans le quartier d'Hedzranawoé
(fig.16) indique assez clairement le décalage entre une urbanisation
physique, ici très discontinue et largement guidée par les principaux
axes de circulation (en l'occurence des pistes en terre supportant une
circulation automobile régulière) et l'urbanisation potentielle éva-
luée à partir du critère foncier.
Entre 1973 et 1978, la quasi-totalité de cet espace a été loti et
les communautés autochtones ne disposent pratiquement plus de terres
de culture autour des hameaux figurés sur la carte (15).
L'analyse a été poussée plus loin dans les quartiers nord-ouest
de Totsigan, Batomé, Gakli, Agbalépédogan et Bé Klikamé. La ville ne
progresse manifestement pas en tâche d'huile selon un modèle connu.
Sur les cartes (fig. 18 à 20) n'apparaissent pas les auréoles concen-
triques permettant de mesurer des gradients mais une mosaïque complexe
de plages aux contours flous qui s'emboitent sur plusieurs kilomètres
de profondeur. La ville ne progresse pas non plus de manière linéaire,
le long de quelques axes privilégiés (routes de Palimé et d'Atakpamé);
en première lecture, on peut même dire que la progression urbaine
évi te ces axes.
La seule carte figurant les densités de construction ( fig.18) se
révèle complètement inopérante, les seuls contrastes significatifs
s'expliquant par la présence de réserves publiques et les plages de
plus forte densité coïncidant avec des noyaux villageois. L'impression
(14) Les geomorphologues appellent "métamorphisme" la transformation
d'une roche par l'effet conjugué de la chaleur et de la pression. Le
métamorphisme peut s'opérer par simple effet de contact avec une masse
de roches portée à de très hautes températures.
(15) Le décret 77-83/PR du 29 mars 1977 déclarant d'utilité publique
la zone Lomé-Tokoin au lieu-dit Atchanté (projet de Lomé II) a été
pris à un moment où le mouvement de lotissement privé était déjà très
vancé.
LOME
QUARTIER HEDZRANAWOE
ESPACE BATI
fig. 16
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ESPACE BATI
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fig. 17
LOME QUARTIERS NORD OUEST RESEAUX DIVERS-FRONT D'URBANISATION - NOYAUX TRADITIONNELS
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fig. 18

LOME QUARTIERS NORD OUEST LA VILLE EN 1979 DENSITE DES BATIMENTS CONSTRUITS
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fig. 19 T.OME QUARTIERS NORD OUEST
LA VILLE EN DEVENIR DENSITE DES CHANTIERS ET DES LOTS MURES NON CONSTRUITS

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fjg. 20

LOME QUARTIERS NORD OUEST RESEAUX DE CIRCULATION


239
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- 240 -

d'inorganisation, sinon de totale anarchie, n'est que partiellelTlent


corrigée par la confrontation avec les autres cartes. Plusieurs obser-
vations peuvent être faites à partir de la carte figurant la densité
des lots lTIurés et des bâtilTlents en construction (fig.19) : des quar-
tiers touchés par l'urbanisation dès le début des années 70 (AkossolTl-
bo, Bé KlilTlalTlé-sud) continuent lTIanifestelTlent de s'urbaniser activelTlent
lTIais des noyaux villageois parfaitelTlent identifiables sur les photos y
persistent. On peut, sur ce doculTlent, reconnaître une frange d'urbani-
sation lTIaxilTlale orienté sud-ouest Inord-est et allant du quartier
BatolTlé aux lilTlites lTIéridionales du quartier Agbalépédogan. Cette fran-
ge présente une curieuse discontinuité qui correspond à peu près à
l'espace de contact entre les Bé à l'est et les Aflao à l'ouest, c'est
à dire entre les Ewés issus de la grande diaspora de Notsé (lTIouvelTlent
parti au XVIIe siècle d'une ville aujourd'hui située à une centaine de
kilolTlètres au nord de LOlTlé) et les Ewés Anlo venus par la côte de
l'actuel Ghana. L'observation serait anecdotique si, par ailleurs,
n'apparaissait pas sur la carte une relation nette entre les poussées
d'urbanisation maxilTlale et la présence de forts noyaux villageois
autochtones (f i g.l7).
Outre l'anarchie bien réelle qui préside à la dynalTlique du front
d'urbanisation et l'extraordinaire ilTlbrication du rural et de l'urbain
dans une zone de p~s de cinq kilomètres de profondeur, une ilTlportante
conclusion peut donc être tirée de nos différents essais cartographi-
ques : les noyaux villageois selTlblent guider le processus d'urbanisa-
tion lTIais survivent en appparence à la consolidation de l'espace
urban i sé.
La carte figurant les réseaux de circulation dans les quartiers
nord-ouest (fig.20) confirlTle cette interprétation. L'interpénétration
du rural et le l'urbain y apparaît clairelTlent. Elle indique, sans
doute plus nettelTlent que les autres doculTlents, la progression de
l'urbanisation mais aussi le caractère non lTIaîtrisé de celle-ci:
horlTlis un très petit nOlTlbre de voies de pénétration assez larges et
viabilisées sur une assez longue distance n'apparaissent que quelques
tronçons rect il i gnes trè s courts et non raccordés entre eux. On peut
aussi observer, sur ce doculTlent, à quel point les voies "urbaines" et
les chelTlinelTlents ruraux sont cOlTlplètelTlent étrangers les uns aux
autres, seules les pistes principales continuant d'être elTlpruntées et
guidant, ·dans une certaine lTIesure, les nouvelles extensions.
La situation est radicalelTlent différente dans les quartiers sud-
est où l'urbanisation, plus ancienne, se trouve largelTlent liée au
développelTlent de la zone d'activité portuaire. A 1TI0yenne échelle,
toute trace d'occupation rurale a disparu (cette zone était, il est
vrai, vouée à la cocoteraie et les activités de culture s'effectuaient
sur les bons sols du plateau, au delà de la lagune). A très grande
échelle (celle de l'ilot), on observe pourtant des forlTles spatiales
caractéristiques des comlTlunautés autochtones Bé. Au plan foncier, ce
sont bien les stratégies de ces cOlTllTlunautés et de falTlilles d'origine
brésilienne leur ayant acheté les terres il y a un peu plus d'un
siècle qui ont façonné et rythlTlé l'urbanisation. On est bien ici en
présence d'une "ethnicisation" des conflits fonciers observée dans
d'autres capitales africaines.
- 241 -

3 - DYNAMIQUE DU FRONT D'URBANISATION : LE ROLE DES COMMUNAUTES


AUTOCHTONES.

Quatre communautés seront présentées selon un canevas d'analyse


identique: on s'interrogera successivement sur la "légitimité histo-
rique" du groupe et sur sa manière de négocier son rapport à la ville
au plan foncier et en ce qui concerne les usages de l'espace habité;
enfin, on essaiera d'évaluer l'état de cohésion de ces communautés
ayant subi le choc de l'urbanisation.
La communauté V.A. D'Ablogamé est composée de pêcheurs Anloa venus du
Ghana et installés dans le quartier avec l'autorisation du chef de Bé,
sur des terres proches de la mer, délaissées par les paysans Ewés
autochtones. Cet accuei l est conforme à une tradi t i on Ewé qu i veut
qu'un étranger puisse librement cultiver des terres laissées
disponibles par les autochtones. Certains étrangers entraient même,
par le jeu des mariages en particulier, dans la famille de l'hôte et
pouvaient prétendre aux mêmes droits que les descendants directs en
transformant, par exemple, les terres reçues en patrimoine transmis-
sible. Aux activités de pêche, les nouveaux venus ajoutèrent la prati-
que de quelques cultures vivrières et l'exploitation, très lucrative à
l'époque, de la cocoteraie: C'est en grande partie gr&ce à ces revenus
qu'ils construisirent des maisons en dur dès le début de ce siècle.
Les W.A. ne sont donc pas les premiers détenteurs du sol. Ils
prétendent aujourd'hui avoir acheté la terre dès l'origine au chef de
Bé et présentent des actes rédigés en allemand (notons que Y. Margue-
rat signale un premier acte de vente signé en 1877 entre le chef
d'Amoutivé - village créé par essaimage à partir de Bé- et un dénommé
Bruce, collaborateur d'un négociant sierra-léonnais).
La population du quartier Ablogamé, évaluée à un peu plus de
4000 habitants en 1970, est passée à Il 500 eno1981. La ville a gagné
environ 300 ha en 10 ans dans cette direction, la densité de ces
quartiers ayant presque rejoint aujourd'hui celle du vieux Bé autour
de 100 hab./ha; l'irruption de la ville a donc été brutale.
Au moment où elle se produit, la communauté W.A. voit son patri-
moine foncier menacé par un litige survenu une quinzaine d'années
auparavant et dont il faut rappeler ici les principaux épisodes. Le·
litige porte sur 4000 parcelles environ (soit entre 200 et 250 ha)
situées dans les quartiers Ablogamé et Akodessewa et représentant
aujourd'hui une valeur vénale voisine de 800 millions CFA. le conflit
est né d'une réinterprétation de la coutume Ewé en matière d'accueil
des étrangers. Le chef de Bé, aujourd'hui décédé, semble avoir profité
d'une conjoncture politique favorable pour faire immatriculer à son
nom la totalité du patrimoine familial au mépris du droit des
"accueillis". Ce titre, inattaquable en droit moderne, se heurte au
CONCESSION w. A. 1983

QUARTIER ABLOGAME
fig. 21 A

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CONCESSION Iv. A. 19B1

QUARTIER ABLOGAME
fig. 21 B

[[H(LL[ 1/1000· "'TlIlENT CONSTRUIT EImIE 1973 ET 1%\


- 244 -

exigences d'une des familles spoliées dont les droits ne sont pas
moins inattaquables si l'on se réfère à la coutume. Gravissant les
échelons de's juridictions, ce dossier épineux est aujourd'hui arrivé
au niveau le plus élevé; l'affaire se complique encore du fait que
chaque plaignant a, pour son propre compte, procédé à des aliénations
(dont l es terrains aujourd'hui occupés par l a communauté W.A.).

Les W.A., ont déposé une demande de titre dès 1962 (sans succès
d u fa i t ·d u lit i ge exp 0 s é c i - des sou s ). Un gé 0 mè t r e pr i vé pro c éd a au
morcellement en 20 lots en 1969 ( la famille possède encore 5 lots
dispersés dans le quartier). Au total c'est un peu plus d'1,5 ha qui
est revendiqué par le groupe (dont 80 % regroupés en trois ilots
contigus) (fig.21 A). 3000 m2 n'ont pas été lotis et restent en indi-
vision. Cette opération est-elle une anticipation habile sur l'arrivée
de la ville? Une autre hypothèse est plus vraisemblable: en 1969,
l'âge des six premiers fils de W.A. (j'en ai recensé quinze) avaient
entre 35 et 45 ans et ce lotissement était nécessaire pour empêcher
l'éclatement de la famille. Entre 1973 et 1981, le rythme des
constructions s'est d'ailleurs accéléré sur les différents lots
(fig.21 B).

Cet objectif paraît essentiel. On est frappé, en effet, par le


contraste qui existe entre la liberté relative laissée, dans diffé-
rents domaines (stratégies matrimoniales et professionnelles, usages
de l'espace habité, etc ... ), aux treize fils présents et la volonté
farouche du patriarche de garder seul l'initiative en matière foncière
comme s'i l estimait que, sauver l'unité du patrimoine, c'est garantir
la cohésion du groupe. En matière foncière, tout passe effectivement
par lui et il se fâcha tout de bon lorsque j'entrepris d'interroger un
de ses fils (ayant pourtant dépassé la cinquantaine) sur les condi-
tions du partage .•. C'est lui aussi, et lui seul, qui traite avec les
pouvoirs publics, très intéressés par cette zone vouée aux hôtels de
luxe. Il eut ainsi à faire face, il y a une quinzaine d'années, à une
tentative d'expulsion et c'est lui qui a décidé, aujourd'hui, d'utili-
ser une partie de la réserve familiale (fig.21 A. lot n043) pour
reloger les membres du groupe dont les constructions occupent une voie
tracée par les services de l'urbanisme.
La pêche a cessé de constituer un ciment pour le groupe, même si
les femmes, toutes générations confondues, restent revendeuses de
poissons. Trois fils seulement exercent le métier du père, trois
autres sont chauffeurs; on compte aussi un grutier au port, un maga-
sinier, un secrétaire et, aussi, un officier de police, un professeur
et un technicien des travaux publics .•••• Beaucoup ont, ailleurs dans
la ville, une autre parcelle, voire même une autre résidence et le
groupe fonctionne en système rés i dent i el part i cul i èrement complexe.
Chacun a construit avec les matériaux et selon des modèles différents
(de l'habi tat préca ire à l a vi 11 a, tous l es types sont représentés-
planche A). les 31 ménages constituant la communauté regroupent 245
personnes (7,9 personnes par ménage) mais les situations sont très
diverses, comme en témoigne le tableau suivant:
- 245 -

TABLEA~ 4 : L'ESPACE HABITE DE LA COMMUNAUTE W.A. D'ABLOGAME

.1 . . .....
' ~

lots Nombres nombre nombre référence


ménages occupants bâtiments plan
habités (Fig.21 A)

Espaces 6 59 11 1 à 13
indivis et 42
lot n01 1 16 4 14 à 16
lot n02 innoccupé
lot n03 1 10 2 18
lot n04 1 4 2 19
lot n05 1 11 3 20 à 22
lot N°6 3 8 2 23 à 26
lot n07 innoccupé 28
lot n08 expulsés de la zone du port occupant 29
des abris précaires
! l ot n09 innoccupé ------- 30
, lot nOlO inoccupé ------ 31
lot non 1 3 1 32
lot n012 inoccupé 33
lot n013 1 10 2 34
lot n014 inoccupe 35
lot
lot
n015
n016
inoccupé
2 25- _.. 5 --, 36 .
37 .
lot n017 5 21 3 38
lot n018 2 12 2 39
lot n019 5 23 9 40
lot n020 2 43 3 41

TOTAL 31 245 49
7,9 personnes / ménages. 5 hab./bâtiment

A peu près toutes les configurations familiales sont représen-


tées: les polygames dominent de peu les monogames. La famille élargie
l'emporte d'assez loin (famille nucléaire + cousin ou neveu ou mère du
chef de ménage) mais lion trouve aussi deux familles nucléaires, trois
individus isolés, trois ménages composés du grand-père ou de la grand-
mère et de petits enfants etc ••• Dans de nombreux cas il y a, ou il ya
eu, circulation des personnes entre les parcelles loties et l'espace
en indivis.
246 -

Dans la vie quotidienne, cet espace, et plus particulièrement la


cour du patriarche; est le lieu par où tout passe (fig. 21 A- Bâtiment
n01 et planche A2). Vers le soir, les fils rentrant du travail passent
nécessairement saluer leur père cependant que les femmes de celui-ci
préparent le repas. Cette cour est aussi le lieu d'accueil obligé des
étrangers (W.A. est chef de quartier et les nombreux bancs entreposés
d~ns un coin de la cour - planche Al-attestent la fréquence des assem-
b~ées) et--e'est là qu'en fin de matinée. les trois fils pêcheurs
s'installent pour ramander leurs f"ilets.
Cette persistance d'une structure patriarcale vivante surprend
dans un quartier urbanisé depuis une dizaine d'années et produit
i ncontestabl ement un espace habité très atypi que; ell e a sans doute
son origine dans la relative incertitude foncière et dans la nécessité
de faire front face aux risques d'expulsion ou de grignotage du patri-
moine familial.

La communauté A.A.de Bé Kl ikame présente également, du moins en appa-


rence, une très forte cohésion. La situation est pourtant bien diffé-
rente de celle observée à Ablogame.
Au départ de l'enquête, j'ai identifié deux lignages ewés ongl-
naires de différents sous-quartiers de Bé et du quartier Amoutivé ;
ces groupes ont une longue tradition de culture (remontant sans doute
au XVllIème siècle) sur les terres fertiles du plateau. Ils défrichè-
rent d'abord les lieux ( en abattant, entre autres, un épineux appelé
Klika en éwé, d'où le nom du quartier) puis y installèrent des hameaux
de culture occupés seulement au moment des travaux des champs.
L'installation définitive remonte, semble-t-il, aux années 1870-1880.
Rien n'atteste de litiges sérieux, à cette époque, avec les groupes
Aflao déjà installés plus à l'ouest.
Les nouveaux venus s'installèrent en ordre dispersé et pratiquè-
rent surt.out les cultures vivrières:dominantes (malS et manioc) 'mais,
peu à peu, l'activité agricole fut influencée par la proximité de la
ville: tomates, gombos, piments et bois de chauffage étaient régu-
1 ièrement vendus au marché de Lomé par les femmes, tandis que les
hommes allaient, une fois l'an, négocier du bois de construction sur
l'emplacement de l'ancien Zongo (Adabou Komé).
De quelques centaines d'habitants en 1970, la population du
quartier Bé Klikamé est passée à 5 800 au recensement de 1981. L'his-
toire du contact des deux lignages étudiés avec la ville est particu-
lièrement riche et mouvementée. Sur le vieux site rural, la maison
familiale est définitivement abandonnée dès 1952. La première alerte
chaude se produit à la fin des années 1960 : l'Etat soustrait environ
275 ha aux Bé Klikamé pour installer l'université; il n'est évidemment
pas quest ion d' i ndemn i té. La f ami 11 e A.A. et l es groupes apparentés
perdent près du quart de leur patrimoine dans cette affaire. L'emprise
du chemin de fer l'amputera d'encore 30%.
- 247 -

La prise de conscience de l'arrivée de la ville est brutale mais


la leçon servira. Dès 1971, l'espace villageois originel, désormais
abandonné, est vendu en cinq lots. En 1972, la décision est prise de
lotir l'ensemble du patrimoine; trois géomètres sont chargés d'établir
le pl an de loti ssement (fi g.22) d'un périmètre dél imitant 7,3 ha et
relevant de l'autorité de trois frères. 37 lots (qui deviendront 48
par le jeu des subdivisions) sont partagés de la manière suivante:
TABLEAU 5 :
DESTINATION DU PATRIMOINE DE QUATRE FAMILLES APPARENTEES DE BE KLIKAME
REPRESENTANT 7,3 HA

! 1
Détenteur ori-! affectation procédure superficie (ha)
ginel ou affec!
tataire après , actuelle
lotissement
privé

Ay. A Université expropriation 1,6


Ay. A Chemin de fer expropriation 2
total 3,6
!
!
Ay. A cousin de !
égo après lotis habitat ! vente 0,45
sement !
Am.A. frère de !
égo après lotis habitat ! vente 0,53
sement !
Y.A. frère de habitat ! vente 0,53
égo après lotis! !
sement ! !
Ego (A.A)après ! !
lotissement ! habitat ! vente 0,53
CollectivitéA.A! Voirie ! plan lotisse- 1,3
! ! ment privé
Col'lecitivtéA.Al Habitat 1 indivis (16) 0,36
! !
TOTAL Loti en vue usage habitation 2,4

(16) sept lots non répartis entre frères ont été vendus au profit des
fi l s des soeurs
fia. 22 PRDJET 0 E LDT 155 EMEN T APPAR TENA NT AUX HE RIT 1EF< SA.

TDKDIN KLIKAME ,
1
f
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j
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\--- \
\ -\--
\--- \
\
\----\--
\ \
\----\-
'. ,
o\::.J ZONE EXPR~pill ~E
(UNIVERSITt)
\ \ ....

8
L1HITES DU
L01SSEHEHT
\
..1-_J
\
\...._J-- B part dl li~ Ay.A
[J] part dl li~ Pk.A
- 249 -

Dès la fin de 1972 t 25 lots sur les 37 délimités sont déjà vendus
et ceux qui ont acheté à cette date sont toujours propriétaires. Il
n'apparaît donc pas t ici t de pratique spéculative.
Ak. A.t le chef de famille dont le cas a été étudié de plus près t
a aliéné une partie du patrimoine t en a rétrocédé une autre à ses
fils et conserve environ 40 % de la superficie en indivis.
TABLEAU 6 : ALIENATION DU PATRIMOINE DE LA FAMILLE AK.A.
!
N° lots Détenteur Vendeur· Date superficie! Prix
actuel vente en m2 en CFA

01 Géomètre 1 Ak. A. (égo) 1972 500 gratuit


02 Géomètre 2 Ak. A 1972 550 Il

03 Géomètre 3 Ak. A 1972 550 Il

04 Ewé Ak. A 1973 550 180 000


05 Mina Ak. A 1973 550 180 000
06 Losso le fils égo 1973 500 180 000
07 Mina 2è fil s égo 1973 500 180 000
08 Ewé Bé 3e fils ego 1973 500 180 000
09 Mina Ak. A 1981 300 300 000
10 Ouatchi Ak. A 1982 300 300 000
11 Ak. A -------- 2 300
12 Ak. A --------
13

Ce tableau peut étonner à pl~s d'un titre : pourquoi arrive-t-on


à 13 lots représentant Ot72 ha t alors que le lotissement de 1972
attribuait à Ak. A. Ot53 ha en dix lots?
On est renvoyé à toute une série de l itiges t internes au groupe
familial t très révélateurs de l'effet traumatisant provoqué par la
ville sur ces communautés autochtones. Depuis dix ans se développent
également des pratiques de contournement des normes officielles.
Le lignage le plus touché par les expropriations (Ay. A.) n'a
manifestement.pas apprécié le manque de solidarité des lignages appa-
rentés et les Ot45 ha obtenus dans le lotissement ·de 1972 ne furent .
pour eux qu'une maigre consolation. Ce lignage n'en resta pas moins
installé sur le périmètre de l'université et, constatant que le ter-
rain ainsi gelé par l'Etat n'était pas utilisé, les occupants légi-
times (bien qu'illégaux) se mirent à vendre des droits d'usage aux
risques et périls des acquéreurs contre la 000 F CFA et quelques
bouteilles de boisson forte.Ainsi s'édifia (planche F1 et F2) un
- 250 -

quartier précaire d'habitation en parpaings de terre non cuite (donc


i ci de couleur rouge) d'où l'appell ation "d'opération quartier rouge"
donnée au déguerpissement brutal décidé en 1979 par le Ministère de
l'Intérieur. La plupart des familles autochtones sont aujourd'hui
réinstallées mais elles vivent dans l'attente d'un nouveau déguerpis-
sement.
Des troi s frères ayant déCi dé de lot i r en 1972, deux restent en
vie; ils constituent manifestement un groupe soudé mais de vives
dissensions ont surgi dès que nous avons abordé la question foncière.
Il semble, par exemple, que des aliénations aient été opérées
clandestinement par un frère sur la part revenant aux autres. Ce type
de litige continue d'être porté devant le chef traditionnel du quar-
tier Bé situé à l'autre bout de la ville. En revanche, c'est le
tribunal moderne qui a eu à conna'tre du litige opposant la communauté
autochtone aux géomètres qui, profitant du caractère illégal des
lotissements qui leur sont demandés, développent des pratiques spécu-
latives (17). Enfin, toute occasion est bonne pour arrondir la super-
ficie récupérée après le lotisssement : ainsi, l'emprise du chemin de
fer est rognée progressivement et de nouveaux lots illégaux apparais-
sent.
Au plan foncier, l'autorité s'est peu à peu fractionnée, le
lignage Ay.A. perdant sa prééminence sur l'ensemble de la communauté
et chaque lignage désignant un mandataire généralement jeune et
instruit et ne résidant pas nécessairement dans le même quartier. Nous
reviendrons sur cette question en traitant l'étude de cas suivante.
La famille Ay. A. a donc conservé environ 2300 m2 sur lesquels on
observe des usages assez spécifi ques de l'espace habité. Le coeffi-
cient de surface bâtie n'excède pas 23%; si la tôle domine largement
comme matériau de couverture, les murs sont en rameaux de cocotier, en
tôle, en parpaings de terre (planche E2), en banco (le plus souvent),
en parpaings de ciment (trois bâtiments d'habitation sur huit seule-
ment). Là s'arrête pourtant l'assïmilation à la "ruralité": il n'y a
plus de cultures sur la concession (mais on y remarque un grenier à
maïs -planche El) et le petit élevage est presque complètement aban-
donné.
On est frappé par l'extrême mobil Hé des rés i dents qui de 54 en
1982 se retrouvent 46 en 1983. Ce phénomène s'explique en partie par
la circulation des fils sur une grande échelle au gré des emplois
disponibles; la concession familiale est une sorte de base-arrière où
l'on laisse femmes et enfants. Il en résulte une nette sous-représen-
tation des adultes (à peine un tiers) .et une sur-représentation des
~ . ' ' .

{l7} Le personnage du géomètre mériterait une étude anthropologique


particulière. Ce type d'opérateur foncier anime, avec l'Etat en tant
qu'oinstitution, les agents de l'Etat à titre individuel et certains
opérateurs privés, une filière marchande capitaliste, certes peu déve-
loppée, mais bien vivante à Lomé.
- 251 -

femmes alors que, contrairement à la moyenne urbaine, le quartier de


Bé Kl ikame compte une majorité d'hommes. Ce sont manifestement les
femmes qui organisent la vie quotidienne de la concession (en particu-
lier autour de la prise des repas). La réussite professionnelle de
certains fils introduit aussi des contrastes saisissants: l'un deux,
non résident, a installé l'eau courante dont il fait bénéficier toute
la concession apparemment sans contrepartie.
Cette concess i on présente une autre ori gina 1ité : l'importance du
phénomène locatif. Six locataires occupent 8 pièces sur les 32 pièces
habitables que compte la concession. Le tableau suivant résume la
situation en 1982.
- 252 -

Il ne semble pas y avoir de stratégie délibérée dans le choix des


locataires, ceux-ci se partageant entre jeunes ménages néo-urbains
souvent originaires du nord et femmes seules. Un suivi effectué sur
cette concession en 1983 m'a confirmé une observation faite ailleurs:
l'instabilité matrimoniale et résidentielle est très forte dans la
catégorie des jeunes ménages néo-urbains. En revanche, l'hypothèse de
rapports très conflictuels entre propriétaires et locataires n'a pas
été vérifiée.

La communauté A.K. d'Agbalépédogan

Ce sont des Ewés Aflao exerçant dans ces parages depuis le XVIIIè
siècle une activité exclusivement agricole. Ces Ewés étaient ,organisés
en clans parfois concurrents mais, la terre étant disponible, les
arbitrages étaient faciles à trouver.
De quelques centaines d'autochtones en 1981, le quartier est
passé à 6700 habitants en 1981. La partie du quartier où réside A.K.
a fait l'objet d'un lotissement général en 1976 mais, dès 1974, la
famille était informée et pouvait préparer son passage du rural à
l'urbain dans le domaine foncier. Il ne semble pas, malgré celà, que
la communauté A.K. ait élaboré, comme celle de Bé Klikamé, une quelcon-
que stratégie. Les stratégies foncières sont restées individuelles
après le partage amorcé en 1974 entre le chef de famille et ses fils.
Ce partage a d'ailleurs déclenché une rupture avec le fils aîné qui
s'estimait lésé. Sur un plan général, le virage ne semble pas avoir
été très bien négocié au double plan de la cohésion familiale et du
maintien d'une structure d'autorité traditionnelle au niveau du cl an.
Sur l'équivalent d'environ cinq lots en indivision, on a quelque
pei ne à i dent i fi er une structure fam il i ale cohérente. 33 rés i dents
présents furent identifiés en 1982; ils n'étaient plus que 25 en 1983.
Les adultes représentent plus de 50 % de l'effectif et, parmi eux, les
femmes sont remarquablement peu nom breuses.Les différentes pi èces
composant le bâti changent fréquemment d'occupants, comme si la vaste
"maison-wagon" (5 pièces) et la minuscule case en banco couverte de
paille qui occupent la concession ne jouaient que comme un des pôles
d'un système résidentiel dépassant de très loin le périmètre urbain.De
fait, A.K. n'est que très rarement présent; il déclare lui même rési-
der à titre principal sur ses plantations de la région de Palimé et
une bonne partie de l'argent des ventes de parcelles (un peu moins de
400 000 F CFA en 1976) a servi à racheter des plantations (cette
stratégie de reconstitution des réserves culturales a été souvent
observée). La plupart ,des femmes et des enfants en bas-âge résident à
Palimé, de même que les fils sans emploi qui le désirent. les seuls
résidents permanents sont les fils mariés ayant un emploi à Lomé;
chacun, cependant, suit son chemin personnel et, à l'instar du fils
aîné broui 11 é avec son père ,songent à acquéri r leur "chez".
- 253 -

La sanction de l'urbanisation pourrait bien être la dissolution


de la communauté autochtone et le recul des formes traditionnelles
d'autorité mais l'histoire de Komi, mandataire -indélicat (fig.23),
témoigne de la capacité qu'ont encore ces communautés à se mobiliser
lorsque leurs intérêts collectifs sont menacés. Komi, neveu de A.K.
fut désigné en 1976 pour représenter la communauté dans toutes les
affaires foncière. Cette nomination allait à l'encontre d'une thèse
présentant les jeunes ruraux comme spoliés par une gérontocratie
avide; un tel rapport d'exploitation a peut-être prévalu dans les
régions de plantations mais, à la périphérie de Lomé, ce sont au
contraire les jeunes 11ettrés" qui, au moins dans un premier temps,
ont dominé les procédures consacrant le passage des terres rurales au
statut de sol urbain.Komi fut,par exemple, mandaté pour s'occuper
d'un 1itige opposant les Af1ao aux Bé à propos d'une bande de terre
parcourue par une ligne à haute tension. Les Bé avaient reçu ces
terres par héritage en ligne maternelle mais le tribunal a donné
raison aux Af1ao qui entendaient les récupérer. Komi, averti de l'is-
sue, s'empressa de les lotir et de les vendre pour son propre compte.
Par acte notarié (fig.23) il fut destitué en 1979 et remplacé par
A.K., notre informateur. Le quotidien "La nouvelle Marche" se fit
l'écho du litige (ce quotidien dépouillé de janvier 1981 à novembre
1983 rapporte à peu près une affaire de ce type chaque mois).

_ _---2" AVRIL 82 ---=-_--:==-:

"VIS A li reDUt.'
_.
A_
--~

1 Ln rollrclivlh' A~ ~ ln~
rornH' Ir (luhln qu'dl,' ;.a moqu': les peNe
'''Olr'' llrmll~!Io ~ Munslcur kofn.
lJOtll hi.'I"Sl'IlI'1 Lullh' l"Ulk'chvllc:' SUI\,.,nl
&Clt" rl.,\'U r.1I
MC' AUJF.TJ..... Not;1ln' li Lami'.
k' 13 JUin l!Ji9 l'( :l n~mm~ .. Ioo(Jn remp1:lC't'p

I Inl"":, Mon!tu'ur KodJo A ~ DOUY'tau


m.;:mtlutolre.
l.n ("lll>~-qllt'm,', toul Delt" qu'au,.. sJ8nl!
"k". il'lIl KUIllI . ' \ _ ., f'O"lrl\'r dr 1:-
&J .. k l'I·dl,."!'o~m l:1 ill' JUill d~' .... .llIJ:u:flr.:JIi\.l1l
IN., eon"illrrc:' p:n 1... rolleoctivlté COmme nul
l i th: Hill "H.. I
St"ul" 5( ra dl"s:mnQi! cunsi~ree rorame
: va'.:.blt" ID 1II(IIR1UJl' de Monsieur K.odJD

,i~ PourinrrtwD.
le nou"'eau man~taU''r
1

Source: La nouvelle Marche


Il ne faudrait pas surestimer la fonction de mandataire; il n'est
là que pour contresigner les actes, le vendeur restant totalement
libre de ses choix. A.K., nouveaumandataire a signé huit fois en 1982
ce qui donne une idée du dynamisme du marché foncier à la périphérie
de Lomé.
fig. 23 Acte passé œvcnt rotaire en ~ œ reVCXJ.Er le rTErdataire ird3licat d'UE COTTTlTaJté
aulcx:nlcre d' Ag::>a.lépédxpl

'\
...., PARDEVAIIT He Sêwllvi T. ADJtTtv..
;, )bhirll il LDIt: (Togol .0uIIGign~;
~ ONT COMPARU
l~/- Monsillur komllln AIIIii • Culti~.teu~. demeurllnt •
Agblllêpfdogen (Circonllcription de LOME;
2 2 /_ Honllieur AIIIIOU • Cultiveteur. demeurent à Agblll~-
pêd ogen. 1Circ onllcr iption de LOI·F.);
J!/- Monllieur AtendJi...... iI.........
Cultivetllor. demeurllnt
li AgbelEpêdogen;
ENSEMBLE 'D'UNE PART 1
42/_ Monsieur Allsouvi , C.ativeteur. delœurent i!l Agbel~-
p~dogen (Circonscription de LDME); 8g6 de quetro vingtll deux ens;
S~/- Monsieur AzietodJi • Cultiveteur. dSlœurent A
Agbelépêdogen, 8~ê de quetre vingts enll;
6~/- Honllieur Afengbédji _ . Cultivateur. demeurent i!l AgbllH--
pédogen, 8gE de quetre vingtll enll;
7!/- Monllieur Deloho ...... Cultiveteur. demeurllnt • Agbelêp6do-
glln, 8g6 de cinquente cinq enll;
B~/- Monsieur Milonden Cultiveteur. demeurent à Agbe-
llipédogen. 8g6 de qUllrente lIept ens;
9!/- Monllieur AmouzoUllllla. Cultivllteur. demeurent i!l Agbelépé-
dogen. 8gé de querente cinq ens;
ID~/- Monsieur Ayoménou AIIIIa • Cultivetour, demeurent i!l
Agbelépédogen. Agé de querlln~e IInlll
Il!/- Monllieur KOBlli • Cultiveteur. demeurent i!l
Agbelépfdogan. Agé de querllnte trois IInll;
ENSEMBLE ,n'AUTRE PART 1
LESQUELS compllrllntll ensemblo d'une pert. en révoqullnt 111 procu-'
ration qu'ils ont prEcédsmment donnéll • Mon.ieur Komi ~4I"""
Menoeuvre. demeurènt'. Agbel~pêdogen.eVx tllrmes d'un ectB roÇu psr Me
ADJETEY. Notllire il LDME.le qUlltorzll Juillet mil neuf cont 1I0ixante
lIaize. dont lodit Monsieur Komi ~ • no pourre plus fllirll
usage il compter de ce jour et dèll 111 signification dlle prEsentoe. i!l
peine de.nullité des IIctes qui seisient fllits postérieurement et do
tous dommllgDs-intér~ts .'il y' Il lieu. ont pllr CCII présentes. constitué
IIvec le:; comparents ensemble d'lIutrc' port. pour leur mandotoire, 1
Monsieur Kodjo _ _ '. Cultiveteur. delœurant • Agbelé-
pédogan (Circonscription de LO~E);,
A l'effet de 1

-; Régir'. 'g~ror et ed;"inistrer tent I!ICtivemcnt que pes!;ivemcnt les


biens. meubles ot immoublOIl IIppllrtenent,. 111 Collectivité ~

En conlléquenc'o,
Louer et IIffurmer per toile forme •• telle personne pour le temps
eux prix. chargee at conditionc que 10 mllndetlliro jugera convenllbles;
~Q~OU Pllrtie des biens meubles et imlœublos IIppartenent è ledite
~
J~ ctivité. pesser. proroger. renouveler ct eccepter.tous bllux. les
.,
résilier. même ceux existllnt IIVOC ou Blins gllrllntie. foire cos bllux ver-
blllllment. per ectllll sous signetures privées ou devent Noteire.
Feire toutes callsions de bllux ct sous-locations;
Fsirs fllire toutes rêpllrlltions. constructions et embellissomon~6
utilos ou nécslIBllircB. pllsller ~ cet effet tous devis et marchés IIvec
. tous entrBpreneurs ct ouvriors,_exig~r des loclltaircs ct fermiers les
rêpllrlltions A leur chllrge.
Réquérir l'immlltriculotion do tous immoubles oppartcnant à IllditL
Collectivité ou dllns lellquellB. elles pourrllit avoir des droits do co-
propriété;
Foire lot~ tOUII t~rrainll. établir. aigner ot déposer toutes ré-
quisitionll d'i~lItricullltion einlli qu~ toute. pièccc à l'appui dllns tous
burellux do la Conservation do la PropriEté Foncièr~ qu'il oppnrticndra.
fairo procêd"r i!l tous' ab'ordements et lev6s de plans., réquérir 111
délivrllnce de tous ,certificats IIdministr~tifs de poososcion coutumière
: et lIutre.' jUlltiâiClltiona.
Alllliatcr A tOUII bornages. foire en conséqu~~c~ on procéder tous
diroll. réquillitions. protslltotion& et r6sarv~lI. S'oppo5~r b toutes
ullurpetionll. former toutes oppositions l toutes demandes d'immatricu-
lotion.
Se fllirc romettro tous titres et pièces, copia de titres fonciars
Dt lIutres pièces do propri6té; pllyor toua droits.
Vondru • talles personnos, eux prik ot moyunnont los chorgos et
conditiona que la mendateiro jugero convonoble. st ~ l'omiabl~ ou aUk
eneh6ros, tout DU partios dos bion. meublos ot immeublos; fixer loe
.poquo. d'entréo on jouissenco et poiemunt doa prix, recovoir losdits
prix eDit comptent, eDit aux époquos convonuus et ~mc p~r anticipation,
on principal, intérGta ut froia en donner quittances, ét~blir l'origine
de propriHé.
Que la validité de chaque vante de terrain droit ~trL conatatée
par l'eppoeition de eon'coch~t auivi do BD signaturL aur chnqu~ plon
avant eon viaa par le Sorvicu Administratif Topogrophiqu~ Comp~tont do
LO/oE ;
fournir toutee juetificatione, foiro procédLr b tous morcellements
remettre toua titres ct pi~ces. En ces dc difficultés qu~lconques ou à .
déf~ut de paiement, ex~rcer toutes poursuites contraintes ct diligenccs
nécesaaires devant tous Tribunaux et cours compétEnts, produire tous
mémoires, y défendre, constituer tous avoc~ts D~f~nsuurs, obt~nir tous
jugements et arrête, lOB faire 'ekécuter por toutes lcs voius du droit
former tous pouvoirs en cassation. En tout état dol cù"~c, trc.it.::r, trûnni-
ger ct compromettre Bur tous droits, conSEntir tous abûndonnumLnts et
moinlevéea d'opposition.
Toucher et rocovoir de ~~nsiuur le Tr~sori~r-Payeur du Togo, ct
9~ tous autres qu'il appartiendra 10 montant du tous mandats qui soraient
••1.~~donnancGs oU nom do lûdite: CollectivittS en raisen des transactions
./:'
... ov~c l'Etat ou tous eutres torvices publics rolotivell\llnt. aux immotri-
cUl~tiens, poureuivies en vertu dos présontes, donnor tous'ecquits en le
forme et selon le mode prescrit per les règlements en metière do
comptebilittS publique,'
. Représonter ledite Coïlectivïté Buprès de toutos adminietretions
publiques, fairo tant en demandant Qu'an ~éfendent, tout ce quo loa cir-
censtances commanderont dane l'intérêts de lodito Collectivité.
De toutea eommes roçues bu payéea, donnor ou retirer quittances
et décharges.
AUk effets ci-deeeue, paeBer ct aignsr teus actes et pi~ces,
élire domicile, eubetituer ot généralémont feire 10 néco'eeeiro.
DONT ACTE
feit et passé à LOME, 25, Rue Joanne d'Arc
En l'Etudo du Notaire eoussigné
L'AN ~IL NEUf CENT SOIXANTE DIX NEUf
Le Treize Juin
En préeence de
Monsieur _ Yeovi, Agent da Police, au Commisseriat Central,
domeurant à LOME;
Et Monsieur Miglasso, Tailleur, demeurant à LOME, . . .

T"moins certificateurs roquis conform"Trent à 10 loi et qui ont


déClar6 remplir les conditions préVuos pour Dtre tumoins au présont
acte;
, Avec l' oasistance de :
Monsieur _ Hellu Sivo,' Interprète, Aseermentti, dell1:!uront
à LOHr, rOQuis comme: témoin edditionnel, lequel a trsduit et expliqué
le contenu des, pr6eontos on éw~ eux comparenta qui no comprennont pss
,lu françeia, ot qui ont d6clor' bien comprondre ct que tout cc qui
prGc~de oat bion l'expression exacte ds lour perfeite volonté •.
Et sprès lecture Dt traduction fDites, les témoins ont sign ..
avac l'interprètu ct le Notoire, aoueaign':
Quant' DUX comparante Qui ont dC~laru n'avoir jamois 8U écrire
ni signer on frsnçais, ct por l'interm~iair~ du Notoir~, ont opposés
BU bas dos prusontes lours empreintes digit~les, conformtSmcnt ~u
d~cret du treize févrior mil neuf CL nt soikonto rolatif eu stotut
dos Notairos eu Togo.
Suivont lOB .ignoturaB at empreintos digitalea;
Ensuite 8e trouvo le mention :
nJE~ "Enregiet~u • LOME (Togo) foB2 - Vol.2/19 - N2116
"1;)0 "Le 19 Ju:!.n 1919
~\ .
- 256 -

Communauté D. d'Hedzranawoe (sous-quartier Atchante)


Le quartier Hedzranawoe comptait un peu moins de 4000 habitants
en 1981 et, si au plan foncier l'urbanisation amorcée vers 1975 est
presque achevée, le tissu urbain est encore loin d'être continu (la
densité est à peine supérieure à 10 habitants/ha). Les bâtiments
ruraux en ruine occupent encore le paysage et lion circule surtout le
long de pi stes mal tracées.
Originaires de Bé et d'Amoutivé, ces Ewé ont suivi le même itiné-
raire que ceux de Bé Klikame mais, ici, l'installation définitive est
sans doute légèrement antérieure (milieu du XIX ème siècle). Une
dizaine de lignages sont représentés dans le hameau d'Atchante. Le
lignage de D., notre informateur, (D aujourd'hui âgé de 75 ans est le
petit fils du premier installé) a connu une forte diaspora vraisembla-
blement antérieure à l'urbanisation actuelle. La majorité des segments
de lignage sont retournés s'installer à Bé ; quelques uns ont rejoint
d'autres quartiers périphériques (Akodessewa, Nukafu, Baguida) mais il
faut observer que le droit d'héritage est maintenu pour tous les
descendants en ligne parternelle ou maternelle, qu'ils soient ou non
présents aujourd'hui à Atchante.
Le patrimoine du lignage avoisinant 6,5 ha (environ 110 lots), on
imagine aisément que la part revenant à chaque héritier est fort
mince. D., pour sa part, a obtenu 8 lots lors du lotisssement effectué
en 1975 par un géomètre privé à la demande du mandataire de la commu-
nauté. L'histoire du contact avec l'urbanisation est, pour D, celle
d'une destructuration à peu près totale de son lignage et de conflits
qui l'ont conduit personnellement en prison.
L'argent des ventes, soit 4 millions CFA entre 1976 et 1982, a
été util isé pour construire des bâtiments sur le lot conservé par D
(et dont une moitié a été vendue en 1982) mais il a surtout servi pour
supporter les conséquences d'un litige qui a mal tourné.
Un neveu de D a vendu une parcelle qui ne lui appartenait pas. Le
propriétaire légitime a vendu la parcelle à son tour. Le premier
acheteur exigeant le remboursement, D a été inquiété par la justice et
a assumé la responsabilité de cette vente frauduleuse dont la famille
le soupçon,ne d'ailleurs d'avoir été informé.
D a aujourd'hui payé sa dette et il vit sur son demi-lot avec une
de ses femmes, une fille que celle-ci a eue d'un autre mariage et une
petite fille. Il ne dispose plus dl aucune réserve foncière et survit
en pratiquant une agriculture de subsistance sur les lots que les
propriétaires n'ont pas encore murés.
Certes, toutes les communautés autochtones ne connaissent pas ce
genre de déroute mais l'exemple de D montre bien qu'à part quelques
rares cas, les propriétaires coutumiers sont, comme opérateurs
- 257 -

fonciers, plus victimes que profiteurs de l'urbanisation. Les cas


étudiés montrent également que la plupart cherchent à prolonger, sur
des espaces qui resteront encore longtemps sous-occupés, des formes
d'organisation sociale et des modes d'occupation de l'espace qui les
distinguent dans l'environnement urbain. Le cas limite, mais non
exceptionnel, est celui de D, voisin d'un ministre habitant une lu-
xueuse villa ••••• la périphérie de Lomé, plus encore que le centre-
ville, est bien le lieu d'une très grande hétérogénéité sociale pro-
duisant un espace en permanente recomposition.
TABLEAU 8: ALIENATION DES LOTS DE D. A ATCHATI (HEDZRANAWOE)
!
Date Superficie Acheteur Prix Occupation actuelle'
en m2 en F CFA

1976 500 , tier


Venu d'un quar-
non identi-
250 000 ni mur, ni construc-
!tion
fié . !
! !
! !
1976 600 Géomètre de Lomé! 350 000 !mur d'enceinte minus
!cule construction
'non habitée

1976 600 Originaire 350 000 3 "maisons-wagon"


d'Amoutivé, chas habitées par proprié
sé du périmètre taire
réservé de Lomé 2

1976 600 Non identifié 350 000 2 "maisons-wagon"


habitées par proprié
taire
!
1976 600 Venu d'un quar- 350 000 ni mur, ni construc-!
tier non identi- tion !
fié de Lomé !
!
!
1976 600 Non identifié 35,0 000 2 modules chambre- !
salon habités 1
!
!
1981 600 Non identifié 600 000 maison en construc- !
tian non identifiée !
!
!
1982 300 Géomètre de Lomé 1 400 000 maison vendue avec !
parcelle et habitée !
!par propriétaire !
- 258 -

CONCLUSION
Quatre ans après l'enquête préparatoire du Schéma Directeur
d'Aménagement Urbain, il est permis de se demander si l'impressionnant
dynami s mes pat i al de .1 a cap i t ale t 0 g0 lai sen' a pas an nul é ce r t a i ns
facteurs équilibrants, mettant en crise le système urbain avant même
qu'il ait dépassé le stade du demi-million d'habitants. Cette mise en
crise précoce s'alimente non seulement des effets spécifiques ~u
dynamisme urbain mais aussi des conséquences, désormais perceptibles à
l'échelle locale, de la crise économique mondiale.
Compte-tenu de la paralysie du foncier au centre-ville, c'est aux
franges de l'agglomération que le jeu, apparamment désordonné, des
acteurs et la gestion délibérée de la confusion se manifeste de la
manière la plus évidente. L'Etat, en partie faute moyens financiers,
se contente de décider du gel de superficies importantes sans
entreprendre 1a moi ndre réal i sat i on d'envergure; l es rares promoteurs
fonciers et immobiliers n'interviennent que d'une manière accessoire
en direction de la demande solvable. L'urbanisation périphérique se
joue donc entre une .poussière de communautés autochtones plus ou moins
averties des enjeux et des règles et la grande masse des demandeurs,
soc i al ement trè s hétéro~ ne.
La course au "Chez" marque sans doute très fortement la vie
loméenne mais l'expression, passée dans cette sorte de sabir propre à
chaque capitale africaine, renvoie à une réalité molle, propre à
justifier les constructions idéologiques les plus contradictoires;
expression de l'idéologie pavillonnaire pour les uns, le "Chez" sera,
pour les autres, la transposition en milieu urbain de moœles cultu-
rels africains prenant leurs racines en milieu rural •
. Si le "chez" exprime l'attachement à certaines valeurs d'intimité
dans des couches à revenus moyens relativement stabilisés, cette
recherche d'intimité ne coïncide pas, pour autant, avec la généralisa-
tion du ménage monogamique. C'est un nouveau type d'organisation
familiale composite et délocalisée qui se développe; les statistiques
sont trompeuses qui traduisent une telle ·évolution par une baisse
régulière de la taille des ménages. Sur un autre plan, accéder au
"chez" c'est incontestablement réaliser un rêve d'appropriation priva-
tive de l'espace mais une telle apppropriation n'est qu'exceptionnel-
lement concrétisée dans ses formes juridiques occidentales. L'accès au
sol urbain reste le domaine par excellence du précaire, des bricolages
de précaution, des. contournements plus ou moins efficaces de la norme.
Pour qual ifier le "chez", le test des usages de l'espace habité n'est
pas plus probant que les précédents. A l'échelle de la concession, et
sauf exceptions (les femmes-chefs de ménages par exemple), il est
difficile de conclure à une stabilisation d'usages spécifiques. Il n'y
a pas de fonctionnalisation de l'espace habité et l'organisation de
cet espace n'apparaît pas productrice de normes, de valeurs, bref d'un
mode de vie. En revanche, le "chez" permet la combinaison souple de
stratégies familiales, professionnelles et immobilières (stratégies
locatives par exemple), réduisant du même coup les incertitudes crois-
santes du marché du travail (en particulier du travail salarié).
- 259 -

L'idéologie du II chez ll privilégie certes le point de vue résiden-


tiel mais son analyse renvoie nécessairement à l'étude du système
productif.
A travers l'analyse du II chez ll , on comprend mieux que les franges
urbaines de Lomé n'apparaissent, ni comme lieu d'acculturation, ni
comme refuge pour déracinés. Le rejet vers la périphérie ne s'explique
pas principalement par l'insolvabilité des demandeurs de terraivs ou
de logements.
La seule analyse spatiale est impuissante à rendre compte de la
dynamique du front d'urbanisation; elle ne révèle qu'un chaos spatial
une profonde imbrication du rural et de l'urbain sur plusieurs kilomè-
tres de profondeur. Plus que les grands axes de circulation, ce sont
les noyaux villageois qui polarisent les poussées d'urbanisation.
L'espace habité, caractéristique de ces noyaux, manifeste généralement
une assez longue résistance dans un tissu urbain mal consolidé.
Passant de l'analyse spatiale à l'étude de la stratégie des
acteurs, on est conduit à nuancer très fortement cette capacité de
résistance des groupes autochtones. Là (Ab1ogamé), la nécessité de
sauvegarder un espace particulièrement convoité explique la pérennisa-
tion d'une structure patriarcale forte et produit des formes d'organi-
sation atypiques. Ici au contraire (Agba1épédogan), le relâchement
relatif des solidarités familiales renforce la mobilité des résidents,
la concession familiale ne jouant plus que comme base-arrière
occasionnelle. A Hedzranawoe, enfin, la destructuration a atteint son
stade ultime.
Plus généralement, la société Ewé, segmentaire et organisée poli-
tiquement à un très bas niveau, se présente en ordre dispersé face à
la progression urbaine. Il y a certes des exceptions remarquables, en
particulier au sud de lagune, mais les détenteurs coutumiers négocient
le passage du rural à l'urbain en position défensive. Le trio composé
du chef de clan, de son mandataire et du géomètre anime un système
local composite de gestion du foncier sur lequel les directives offi-
cielles ont peu de prise. (Les deux se combinent pourtant pour pro-
duire une extrême confusion (en particulier spatiale). Cette confu-
sion, si étrangère à nos catégories occidentales, n'est-elle pas en
fait, qu'apparente? N'est-elle pas porteuse d'un mode spécifiquement
africain de penser et d'organiser l'espace?
- 260 -

Bibliographie sélective présentée ~ grands thè~es

1.- Périphérie urbaine


1.1.GBOLOU Dossa Les quartiers périphériques de Lo~ét Mé~oire de
~aîtrise - Lille t 1970.
1.2 TOSSOU Kaigan L'espace périphérique au nord de la lagune à Lo~.
Olga " Mé~oire de fTlaîtrise. lGT t Abidjan t 1982.
1.3 DlALLO Ma~adou La dyna~ique d'un front d'urbanisation à Lo~é :
T. l'exe~ple de la route de Djagblé. Mé~oire de ~aî­
trise t LO~t 1983.
2.- Habitat
2.1 A.l.D. Togo t étude de l'habitat t LO~t 1977.
2.2 ECKERT H. . Evolution de l'habitat 1975-1985. Les besoins en
équipe~ents et en loge~ents. Lo~ét Centre de la
Construction et du Loge~entt 1975.
2.3 AZlAHA Y.A. Un quartier d'habitat spontané dé~oli : Zongo de
Lo~é. Communication au sé~inaire régional sur l'a-
mélioration de l'habitat spontané. LO~t 1979 t 5p.
2.4 NYASSOGBO G.K. Habitat spontané: nature t caractéristiques et fac-
teurs de développe~ent. Travaux et recherches géo-
graphiques de l'Université du Bénin t n° 2 t 1980
2.5 GNASSOUNOU S. 'Culture et architecture. Etude de l'architecture
de Hanoukopé à Lo~é. Mé~oire de l'Ecole d'Architec-
ture de NancYt 1983.
3. Urbanis~et Aménage~ent

3.1 KENKOU G. Urbanisation et développe~ent de Lomé. Thèse Ille


cycle. Paris Vt 1973 •.
3.2 AZlAHA Y.A." Organisation et a~énage~ent de l'espace au Togo:
la région de Lo~é. Thèse de Ille cycle de l'Univer-
sité de Toulouse t
3.3 TECHNOSYNESlS Rapport général du plan d'urbanis~e de LoJTlé t 1979
Annexe 1 : enquête socio-écono~ique
Annexe 2 : développe~ent dé~ographique et crois-
sance écono~ique de la ville.
Annexe'4 : les équipe~ents urbains.
4.foncier
4.1 COURTI ER H. Le solt pre~ier des équipe~ents de l'habitat. Lo~ét
Centre de la Construction et du Loge~entt1974t16p.
4.2 DIOP M.E.H. Le centre ville de Lomé. Evolution de la situation
foncière et de la tra~e urbaine. ORSTOM t Lomé t
1983 t 99p.
4.3 AZlAHA Y.A. Co~portements des propriétaires et des acquéreurs
de terrains face aux interventions de l'Etat: le
cas des projets AGETU dans les environs de Lomé.
Communication au Colloque de St-Riquier sur les
pratiques foncières locales en Afrique Noire (op.
cité) •
- 261 -

4.4 FELLIDO Les pratiques .foncières face à l'urbanisation dans


la région maritime du Togo. Communication au Col-
loque de St-Riquier (op. cité).

5. Construction et bâtiment
5.1 KAUFMANN H. Les prix de la construction à Lomé. Lomé, Centre de
la Construction et du Logement, 1975
5.2 LARSONNEUR B. La situation de l'activité du bâtiment et le rôle
de la construction dans l'économie du Togo. Lomé,
Centre de la Construction et du Logement, 1975,43p.
h Population
6.1. MARGUERAT Y. La population de Lomé en 1981. multigr. Lomé, déc .•
&AMAVI 1984.
6.2 MARGUERAT Y. Lomé et ses quartiers.in : population des villes du
Togo selon le recensement de 1970. 53p multigr.
Lomé, nov 1981.
6.3 MARGUERAT Y. La notion de quartier à Lomé.22p multigr., Lomé,
sept.1983.
7.Activités
7.1 NIHAN G. Le secteur non structuré "moderne" de Lomé. Rapport
d'enquête et analyse des résultats. OIT, program-
me mondial de l'emploi,1978.
7.2 DEMOL E. Analyse des résultats du recensement du secteur non
structuré à Lomé.OIT, Programme mondial de
l'emploi, 1978.
7.3 LERNER J. Résultats de l'enquête socio-économique de la zone
d'aménagement de Bé.AGETU-CCL-DGUH, 1980. ronéo.
7.4 DOTSEY Travail en cours pour la soutenance d'un mémoire
d'urbanisme à l'EAMAU sur les liaisons travail-ré-
sidence à partir de la zone industrielle portuaire.
7.5 SCHWARTZ A. Eléments pour une étude de l'emploi au Togo à
l'horizon du quatrième plan quinquennal (1981-
1985) ORSTOM, Lomé, déc 1980,106p.
7.6 SCHWARTZ A. Evolution de l'emploi dans les entreprises togo-
laises du secteur moderne de 1979 à 1982 ORSTOM,
Lomé, déc,1982,14p.
PLANCHE A - ABLOGAME - CONCESSION W.A.

1- Le JXlrtail travaillé caraetéristiq...e cE l'ardliteeture colmiale à Laré a di~


dcJ1s les q..JBTtiers péri.J:tlériq..es. N::>ter les Œrcs récessaires dcJ1s la caJI' d'Ln
d'ef cE q..JBTtier.

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• 2- La CO.II' d.J patdard"e, lieu par leq...el passe twte vie faniliale et sociale.
PLANCHE B - CENTRE ET PERIPHERIE

1- l.te CŒ.JI' à HcnJ..j{q:>e : griguta~ cE l'espace par le bâti au centre-ville

, 2- r-Mscn FEn:Jji.soo à Pblcxpœ : Etag:ls rrmtés sur dalle cE bétm. Stratégie loca-
tive d'l.Jl fa-ctianaire aisé dcns 1.Jl Q-J8rlier pérïp-ériq..e cil le terrain cailla ce
à ca1ter d'er.
PLANCHE C - CONCESSION AYABA A AKODESSEWA

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1- ~ professicrre1 Cà gat..rl'e) et usag:! résiœntie1 Cà droite) li 'œ1CX]ie dl


"erez" est ét~re EUX fames erefs ce ~.

2- Six a l ) éprès les premières calStrœtims Aycba calStruit paE lo..er à l'ure
bo..Jt dl lot.
PLANCHE 0 - BE KLIKAME

1- CmfLBim ~ p.blic - ~ privé: l'ffiPrise dJ d1emin cE fer SLqXJrte


les octivités ~res et q..Jelq..e3 tas cE parpairç3 en atterrl:nt les ccnstI'lC-

r- .
tims.

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2- Terrasse d'Aka<Jxl A.S. : L'~ cE réceptim dJ cœf cE ~ (en voie cE


CUNerture) : m n'entre Q-J'excepticrrellaœnt al salm.
PLANCHE E - LA COMMUNAUTE A.A. DE BE KLIKAME
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1- Les ~ agricoles sent excepticrœls mais ro1 Ebsents dcns les crnm..na..rt:.é
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gim n'est pas taJjcurs 8U3Si ~t dcns les q..J8I'tiers pérï.p"'ériq..es .

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2- COIN JI:SER\J[ ru a-rr Œ t-fNl\Œ: rirlt la maiscn au toit caractéristiq.e cE l'archi-


tecture colmiale est dispJSée cE curieuse façm par r~rt au rrur d'erœinte.
DE L'UNIVERSITE

1- La plLp8I't cEs fanilles sent réinstallées ŒpJis le œg..erpissaœnt cE 1979 rrais


elles vivent dans l'attente d'une nouvelle expulsion

2- Les œa...pmts "légitirœs", bien qJ' lillégaJx" vivent la ville sur LIl rro:E villag3<::lis
à proxIDU té œs arçtlitréatres rrais se plaig-ent aréreœ.nt œs d§grations provoq...ées
dcns leurs ClÙtures par les tro...peux cxrd.Jits par les Peuls ...
- 269 -

ESPACE, STRUCTURES ET PRATIQUES SOCIALES


DANS LES QUARTIERS CENTRAUX DE LOME ( )

Alain MARIE

LES OBJECTIFS GENERAUX. PROBLEMATIQUE


Dans le cadre d'une recherche comparative, et, dans une certaine
mesure, transculturelle, menée par plusieurs chercheurs travaillant
sur des sites différents, un objectif convergent s'est d'emblée dessi-
né sous l'i ntitul é d'une "approche anthropologi que de l'espace habité
dans les villes africaines" : l'étude des formes spatiales produites
de manière (relativement) autonome par les citadins de différentes
villes d'Afrique. Il s'agit de dégager des modèles qui puissent rendre
compte dans une certaine mesure de la manière dont les citadins
manifestent, dans l'aménagement de leur espace résidentiel, les spéci-
ficités de leurs besoins et de leurs demandes, compte tenu de leurs
caractéristiques socio-culturelles et socio-économiques.
En effet, une observation même superficielle des paysages urbains
ainsi que le constat de l'échec des politiques d'aménagement et de
logement menées jusque là, montrent à l'évidence que les citadins
africains, - du moins la grande majorité des milieux dits "populaires"
ainsi qu'une très large fraction des couches moyennes-, y ont des
exigences propres en matière d'aménagement de l'espace et que celles-
ci se projettent dans des formes et des organisations qui ne
correspondent pas aux modèles occidentaux.Si l'on veut donc promouvoir
des politiques urbaines qui ne répètent pas les erreurs inhérentes aux
solutions à l'occidentale (atomisation des rapports sociaux, privati-
sation des modes de vie, renfermement de la famille conjugale sur
elle-même, ségrégation sociale et spatiale, urbanisme pensé en
fonction des moyens de transports individuels, coupure entre lieux de
production et lieux de résidence, anomie des grands ensembles, appau-
vrissement sémiologique de l'espace aménagé selon des normes centrali-
satrices et fonctionnalistes réductrices, interventionnisme croissant
et coûteux de l'Etat, etc ••• );si lion entend au contraire, préserver
ce que l'on est convenu aujourd'hui d'appeler "l 'authenticité afri-
caine", et qu'i 1 serait sans doute plus juste de qual ifier comme un
potentiel de créativité à partir de patrimoines culturels et histori-
ques propres dans des situations socio-économiques données, il est
urgent de rompre avec l'imitation, souvent caricaturale, des modèles
( ) Je tiens à remercier pour leur participation à l'enquête Aholou
Yawo, Adjavou Agbo Akolly, Aharrh-Gnama Apta et Oloude Bachir, alors
étudiants à l'LA.M.A.U. (Ecole africaine et Mauricienne d'architec-
ture et d'Urbanisme de Lomé).
Quant à Elom Fiatoe Ahiako, enquêteur à l'ORSTOM, les chercheurs
travaillant à Lomé lui sont tous peu ou prou redevables de sa bonne
connaissance du milieu et des introductions qu'il leur y ménage. J'ai
été en l'occurrence l'un des nombreux bénéficiaires de son hospitalité.
- 270 -

occidentaux que, relayant l'action de l'ancien colonisateur, les bour-


geoisies au pouvoir, aidées de multiples experts et conseillers étran-
gers, propagent à travers l'exemple démonstratif de leurs propres
pratiques, ou bien imposent quand elles s'efforcent d'intervenir pour
canaliser un "laisser-faire" jugé anarchique, et, à terme, économique-
ment, socialement et politiquement coûteux. Cette rupture implique
d'abord que l'on porte attention aux pratiques spatiales, architectu-
rales, foncières, aux structures sociales, et au mode de vie ~uotidien
des citadins africains, quand leur situation objective leur permet de
donner forme, dans une relative autonomie, à leurs besoins en matière
de logement et d'aménagement de l'espace. C'est en effet à partir des
solutions qu'ils produisent eux-mêmes, que devrait pouvoir se dévelop-
per une réflexion qui ne soit ni ethnocentrique (ou socio-centrique)
ni technocratique, et conduise à proposer des modèles - ou du moins
des principes - urbanistiques à la fois originaux, adaptés aux carac-
téristiques des populations, et généralisables dans une certaine
mesure.
Cette perspective impliquait donc l'étude de pratiques qui fus-
sent spécifiques, c'est-à-dire non pré-déterminées par des conditions
objectives trop contraignantes (situati~n de pauvreté absolue, absence
de statut foncier, lotissements aménagés et construits par des inter-
venants extérieurs, réglementations précises et rigoureuses), et qui
fussent relativement autonomes, c'est-à-dire enracinées dans des
traditions et des structures sociales que l'urbanisation et l'occiden-
talisation des conditions de vie n'auraient pas dénaturées.
Pour cette raison nous nous attarderons sur l'étude de Bassadji,
l'un des quartiers de Bè, l'ancien village autochtone du site de Lomé.
Cet exemple référentiel sera ensuite confronté à celui de deux autres
quartiers: le vieux-centre-ville, urbain dès sa création par des
commerçants d'ancienne tradition citadine venus peupler Lomé au début
de l'ère coloniale, et un quartier apparemment plus marqué par l'in-
fluence occidentale car il a été loti par l'administration française
pour ses fonctionnaires locaux.
- 271 -

1- LES VILLAGES DANS LA VILLE: BE ET SES QUARTIERS


L'EXEMPLE DE BASSADJI
Avec son voisin Amoutivé, Bè est l'un des deux établissements
autochtones du site de Lomé. Fondé sur la première moitié du XVIII
ème siècle par les Ewé, agriculteurs, chasseurs et pêcheurs en la-
gune, Bè a conservé jusqu'à aujourd'hui un aspect rural et villageois
: resté longtemps extérieur à la ville, le lIvillage indigène de Bè,
ll

comme on disait à l'époque coloniale, nia vraiment été intégré que


tout récemment (1965) dans le périmètre de la commune urbaine.
Certes Bè, le vieux Bè proprement dit (ou Bè-centre) et les
différents quartiers issus du village originel, du fait de la poussée
de Lomé à partir des années cinquantes, sont aujourd'hui devenus
largement hétérogènes. Aux autochtones Ewé sont venus s'agréger
dlautres ethnies de la région maritime (Mina, Anlo, Ouatchi, Fon •..• ),
et dans une bi en moi ndre proport i on, des ethni es du Nord (Kotokol i,
Moba, Kabyé••• ), ainsi que des non Togolais (Yoruba du Nigéria, Haous-
sa du Niger et du Nigéria, Fon du Bénin). Si bien que les Ewé, s'ils
ont gardé le plus souvent la majorité relative dans leurs quartiers
d'origine, y coexistent avec une majorité dlallochtones. Pour autant,
les quartiers de Bè n'ont pas perdu leur physionomie villageoise:
demeurés à l'écart des interventions urbanistiques qui remodelaient la
ville moderne, ils ont pu intégrer leurs nouveaux habitants sans que
soient cassés les schèmes sociaux et spatiaux qui les caractérisaient.
A ceci, une première raison: possesseurs coutumiers du sol, les
autochtones ont conservé le leaders hi p de leurs quart i ers, dont il s
n'ont aliéné que des parcelles, le plus grand nombre des allochtones -
qui sont aussi les plus tardivement arrivés-, étant recueillis comme
locataires, ce qui permet aux autochtones de bénéficier d'une rente
foncière qui explique la relative aisance de beaucoup d'entre eux.
Mais il est une autre raison, plus déterminante: celle qui tient
au fait que cette hétérogénéité ethnique recouvre en réalité une
profonde unité des genres de vie. En effet, si lion excepte les musul-
mans Haoussa du Niger et du Nigéria, ainsi que les ethnies du nord-
Togo, les uns et les autres très minoritaires, les autres allochtones,
principalement les Mina, les Ouatchi, et les Anlo du sud-Togo, de même
que les 'Fon du Bénin et les Yoruba du Nigéria, sont culturellement
très proches des Ewé, tous ces peuples ayant en commun une longue
histoire de contacts répétés, bien antérieure à la naissance de la
ville de Lomé. Cette histoire remonterait au XIIIème siècle ou même
avant pour les Ewé, Anlo, Ouatchi, et les Fon du Bénin, qui con'sti-
tuaient à l'origine un même rameau, les Adja, eux-mêmes issus du
royaume Yoruba de Kétu (Nigéria). Entre ces peuples et les Mina (ou
Guin), eux - mêmes issus du fond culturel Akan (Ghana), les relations
sont attestées dès la fin du XVIIème siècle.
- 272 -

Au confluent de deux influences culturelles dominantes, celle de


la civilisation Yoruba, celle de la civilisation Akan; l'ensemble des
peuples du sud-togolais, Ewé, Mina, Anlo, Ouatchi, Guin, (dont il
faut rapprocher les Fon du Bénin) se caractérisent donc par une forte
parenté culturelle: au monde Yoruba se rattachent l'appartenance li n-
gui sti que, l'essenti el du panthéon rel i gi eux, notamment les vodu dont
Afa la divinité oraculaire et le Dieu Nyigblin des Ewé de Bè; au monde
Akan se rattachent des éléments lexicologiques (n.otamment ceux des
composantes spirituelles de la personne), du rituel politique (les
bâtons de cérémonie des Ewé, imités de ceux des Ashanti; les trônes
des ancêtres, siège à double plateau et cinq pieds dont la forme est
commune à l'aire akan et adja - y compris les Fon -l, et également
l'importance de la structure matrilinéaire de la parenté (celle-ci
était notamment marquée par le droit de mise en gage - awoba - du
neveu utérin par son oncle maternel, trait commun à l'ensemble des
peuples akan, Ashanti du Ghana, Agni et Baoulé de Côte d'Ivoire, entre
autres).
Cette tradition ancienne et éprouvée du brassage culturel expli-
que que Lomé, ville à 80% peuplée par les ethnies sud, puisse
présenter (à l'exception d'ailleurs tempérée du quartier administra-
tif) un visage homogène, sans ségrégation sociale et ethnique marquée,
et où les multiples apports étrangers - islam, protestantisme alle-
mand, catholicisme, églises adventistes, franc-maconnerie, mouvement
rosi-crucien, etc.•.. -, aient pu être accueillis avec souplesse et
coexister sans heurt, parfois s'interpénétrer, avec la culture
autochtone, la religion vodu notamment.
Cette caractéristique marque donc la ville en général. Mais, du
point de vue d'une étude sur l'organisation de l'espace et de l'habi-
tat dans ses rapports avec l'organisation sociale et culturelle, Bè
présentait sur le reste de la ville l'avantage de s'être urbanisé de
manière autonome, sous l'égide d'autochtones installés sur place de-
puis longtemps, les pouvoirs publics n'étant intervenus que tardive-
ment et, en quelque sorte, sur la marge (aménagement d'une voirie
d'accès, réaménagement de marchés, plus tard aménagement de la la-
gune).
En effet, Bè n'a longtemps été rattaché à la ville que par quel-
ques artères (notamment "la vieille route de Bè") prolongeant, à
partir des années trente, les rayons du plan allemand initial; peu à
peu, à partir de 1946, la jonction s'est faite avec le tissu propre-
ment urbain par remplisssage progressif des espaces intermédiaires du
fait de la croissance des quartiers plus récents, en particulier
Doulassamé et Lom Nava. Cette antériorité et cette extériorité du
quartier par rapport la ville, laquelle ne l'a rejoint puis englobé
que fort tardivement, lui ont conservé une organisation de l'espace
très largement villageoise. Dans son noyau originel, l'arrivée de très
nombreux nouveaux habitants non Ewé mais pour leur très grande majori-
té très proches par la culture, si elle a entrai né une très forte
densification du bâti et la disparition de toute trace d'activité
agricole, n'a pas fondamentalement modifié les logiques résidentiel-
les, sociales et religieuses existantes: habitat disposé de manière
- 273 -

apparamment anarchique, maisons de petite taille resserrées autour de


cours intérieures, absence de lotissement régulier, prédominance de
ruelles piétonnières au dessin tortueux, inaccessibles aux voitures,
présence de cimetières intégrés au tissu sans délimitation nette,
multiplicité des petits sanctuaires consacrés aux différentes divini-
tés du panthéon vodu, maintien de la forêt sacrée, lieu de culte et de
retraite pour les initiés, tous ces éléments sont en effet caractéris-
tiques du modèle villageois originel. Symbole de cet état de choses,
un statut de relative autonomie administrative, pour Bè comme pour son
voisin et contemporain Amoutivé, entérine l'existence de la vieille
structure pol itique de type tribal, avec à sa tête un chef de canton
et des notables, qui conservent aujourd'hui encore des fonctions de
représentation vis-à-vis des pouvoirs publics et de juges de paix pour
leurs populations.
Cependant, plutôt que d'étudier le vieux Bè proprement dit, dont
le caractère villageois préservé de toute intervention urbanistique
planifiée constitue un cas d'exception dans Lomé-ville aujourd'hui
(c'est bien entendu également le cas sur le front d'urbanisation
actuel de l'agglomération mais il s'agit ici d'extensions en cours),
ce qui risquait d'enfermer l'enquête dans la répétition d'analyses
déjà classiques sur l'habitat traditionnel, il m'a paru préférable
d'étudier l'une des excroissances plus récentes de Bè, le quartier de
Bassadji.
Fondé il y a trois générations, vers la moitié du XIX ème siècle,
d'une segmentation à partir de l'un des plus anciens sous-quartiers de
Bè, Apéyémé, Bassadj i, comme Bè en général, a longtemps conservé un
aspect purement vi 11 ageoi s, avec un habi tat de type rura l, fait de
paillotes regroupées par familles étendues et disposées sans ordre
régulier. Mais il présente l'intérêt d'être compris à l'intérieur d'un
vaste secteur loti à partir de 1951-52. A cette date, en effet, l'ad-
ministration coloniale procède à l'aménagement d'un plan à damiers
assez larges dessinés par des rues orthogonales avec établissement et
bornage d'un parcellaire: des îlots rectangulaires de taille variable
mais vastes (dans Bassadji, on relève les dimensions suivantes: 90 x
30; 90 x 60; 115 x 70; 130 x 60; 170 x 40; etc ..• ) sont ainsi délimi-
tées par un réseau de pistes larges, rectilignes, souvent sablon-
neuses, parfois renforcées par un compactage de terre argileuse qui
rend certaines d'entre elles accessibles à la circulation automobile.
Il était donc intéressant de savoir si cet aménagement ~rbanisant
décidé par les Pouvoirs Publics, avait entrai né un bouleversement de
l'habitat "traditionnel" et, s"inon, quels en étaient les éléments qui
s'étaient maintenus.
C'est à partir de cette date, en effet, que les habitants commen-
cent à construire en dur à l'intérieur des îlots, ce processus restant
toutefois très lent jusqu'en 1960 : l'analyse de la mission photos-
aériennes de 1956 montre qu'un peu moins de 6 % de la superficie
totale du quartier sont bâtis dont 1,25% seulement l'est en dur
(0,3049 ha). Pui s le processus s'ampl ifi e à mesure que la croi ssance
de l'agglomération loméenne (Lomé-commune dont les limites
- 274 -

correspondent alors grosso-modo au boulevard circulaire, plus ~e can-


ton de Bè et quelques extensions encore timides au nord de la lagune)
s'accélère, surtout en direction de l'est, vers Bè et ses extensions :
de 1958 à 1970, l'agglomération passe de 85 000 à 186 000 habitants,
soit une augmentation de 7,6 % pour cette période (1). Cette croissan-
ce s'accompagne d'un afflux de nouveaux habitants dans le secteur de
Bè et notamment à Bassadj i .C'est par conséquent à cette époque que le
processus d'urbanisation du quartier s'accomplit: la cocoteraie dis-
parait, les jardins de vivriers également, l'habitat se densifie, et
les parcelles sont encloses sur elles-mêmes par l'alignement sur leur
périmètre de maisons tournées vers la cour intérieure, les intervalles
étant complétés par un mur d'enceinte, dispositif qui représente sans
doute autant un moyen de délimiter et de marquer la possession que de
préserver l'autonomie du groupement familial dans un contexte nouveau
de densification. En 1973, d'après une mission - photos, les données
sont les suivantes: superficje totale des parcelles encloses et
occupées: 6,4438 ha soit près du quart de la superficie totale
(26,2655 ha), les trois quarts étant donc occupés par la voierie, les
places, les cimetières, quelques enclos consacrés aux cultes vodu et
des parcelles non construites; superficie totale du bâti : 5,1911 ha,
soit 80% de la superficie des parcelles occupées, quasiment tout en
dur, 20 % (1,2527 ha) de la superficie correspondant donc aux cours
intérieures.
Depuis 1973, ce processus se développe de manière progressive :
de nouvelles parcelles ont été encloses et celles qui sont déjà occu-
pées se rernpl issent peu à peu de constructions nouvelles, certaines
d'entre elles, parfois des parcelles entières, étant destinées par
leurs propriétaires à un usage locatif, l'afflux de citadins nouveaux
représentant une source de revenus non négl i geab le pour l es posses-
seurs autochtones.
Cependant, Bassadji n'a pas perdu pour autant sa physionomie de
village dans la ville: l'habitat y reste très largement - à l'excep-
tion de rares constructions à un étage - de type horizontal, et ses
abords immédiats, rues, carrefours, placettes, terrains vagues sablon-
neux et parsemés dl arbres divers, notamment cocot i ers portant
témoignage de l'ancienne cocoteraie, sont investis par toute une vie
piétonnière où relations de parenté et relations de voisinage, activi-
tés économiques et pratiques religieuses s'entrecroisent très large-
ment. Les éventaires omniprésents du petit commerce féminin, les
échoppes variées des artisans, les boutiques et les bars, les placet-
tes ombragées propices aux causeries, à la détente et à la petite
restauration de plein air, les bornes-fontaines où s'agglutinent les

(1)N. Bouraïma et Y. Marguerat, La population du Togo en 1981, Minis-


tère du Plan et de la Réforme administrative, Direction de la Statis-
tique, ORSTOM, Lomé, 1982, reprog. En 1981, la population de l'ensem-
ble de l'agglomération est estimée à 390 000 habitants; celle de
Bassadji, à 3 700 environ
- 275 -

femmes et enfants, attendant leur tour pour remplir le seau aux heures
de débit, les terrains de foot improvisés sur les terrains vagues, les
aires de séchage du linge étendu à même le so l, l es fours en argi l e
pour fumer le poisson, les auvents sur rue où il fait bon converser ou
se reposer en regardant les passants, là un cimetière non fermé tout
près d'un enclos consacré au culte des vodu, à un carrefour la niche
d'autres vodu, dans le voisinage une église catholique et une école de
mission, à proximité le marché de produits vivriers et de petite
quincaillerie, à quelques minutes de marche la forêt sacrée où se
retirent périodiquement les initiés, ici ou là, dépassant d'un mur de
clôture, le fanion blanc signalant la demeure d'un devin ou d'une
clairvoyante, tous ces signes sont autant de marques d'une vie écono-
mique, sociale, religieuse, vivace, qui a su intégrer les éléments de
la modernité urbaine et les conjuguer à ses propres composantes tradi-
tionnelles : permanence de la solidarité parentale, importance cru-
ciale des cérémonies funéraires, omniprésence du culte des ancêtres et
des vodu, notamment. L'observation de la vie quotidienne confirme
cette impression: il fait bon vivre à Bassadji, communauté où presque
tous les services sont assurés, où toutes les exigences de la vie
sociale sont remplies: aussi on en sort peu et, sitôt la journée
finie, les salariés qui travaillent hors du quartier, "à Lomé" disent-
ils, y rentrent, sans s'attarder ailleurs tandis que les autres,
artisans et commerçants sur place, vieux, femmes et enfants, ne le
qu i ttent qu'excepti onnellement.
Cette image composite dont les éléments apparaissent, à l'obser-
vation phénoménologique, articulés entre eux sans contradiction,
demande à être précisée.
A cette fin, on utilisera les données du recensement général de
1970 (1), de manière à compléter les données de la méthode anthropolo-
gique, en l'occurrence l'étude d'un lignage, celui des descendants du
fondateur du quartier: l'analyse d'un groupe social concret, à
travers son histoire, son évolution, son organisation et ses prati-
ques, permet en effet de mieux saisir la congruence des structures et
des pratiques et leur inscription dans un espace socialisé donné.

(1) Le seul disponible pour l'instant sous la forme d'un sondage au


1/20° des fiches des chefs de ménage. Les résultats du recensement de
Lomé en 1981 ne sont pas encore accessibles.
~~~s~~l2 ~ ~~ ~2~~!2~~~
de rigna~e
~r ur coté de la place,
-terrain vag les tombes
maàonrées des défunts du
ignage voisinent sans
discontinuité avec les
concessiors des vivarts.
Au premier plan des
pagnes sèchert à même le
sol. La place sert aussi
de terrain de jeux.
lei pas de coupure entre
le sacré et le profare.

Bassadji ~ ur. devin


Oans un angle de sa con-
cession, un devin (boko-
no), ancien miiitaire-(Jës
armées française et togo-
laise, s'apprête à rece-
voir un consultant.
Remarquer les autels et
les fers rituels ornés de
symboles dédiés aux vodu.
Remarque aussi le costume
yoruba du devin.

Bassadji ~ l'arbre sacré


Planté selon la tradition
par l'ancêtre fondateur
du quartier,l'arbre sacré
domine le paysage. Entou-
ré d'une clôture grilla-
gée, la base du tronc
ceinte d'un pagne bianc,
des offrandes de rourri-
ture et d'alcool entre
les racines, il est le
symbole, avec les cou-
vents des vodu et les
cimetières lignagers, de
la perennité d'une socié-
té, d'une culture et de
leurs supports religieux.
- 277 -

II - BASSADJI : UNE ECONOMIE URBAINE

1. La structure des activités et son évolution


L'urbanisation de Bassadji, si elle apparaît relative quand on
considère les paysages et1a tonalité de la vie quotidienne, présente
en revanche un caractère achevé quand on en cons i dère 1a di mens i on '
économique. .
Les données du recensement de 1970, sur les activités des chefs
de ménage , hommes actifs (les femmes, chefs de ménage actives étant
revendeuses dans leur quasi totalité) mettent ceci en évidence. En
effet 1es.... activités masculines sont plus significatives du caractère
urbanisé du quartier, dans la mesure où le petit commerce de consomma-
tion courante, même s'il a été évidemment modifié par 11 urbanisation -
(alors qu'en milieu rural, les femmes vendent ce qu'elles ont produit,
ici elles revendent ce qu'elles ont acheté ailleurs, souvent sur les
grands marchés ou dans les boutiques de la ville) -, nlen a pas moins
toujours été une activité féminine.

Artisans y compris les salariés et apprentis


(blanchisseurs, peintres, menuisiers, maçons, mécaniciens,
tailleurs) 48 %

Petits employés du secteur tertiaire


(boys, gardiens, cuisiniers, chauffeurs) ••.•••••••.•••••••• 21 %

Employés du tertiaire public (administration, enseignement,


santé) et du grand cOlTlTlerce ••••••••••..•••••.••••••••••••••• 17 %

Ouvriers qualifiés (soudeurs, tourneurs, carreleurs,


forgerons) ~ 10 %

Manoeuvres ..........•••••.•..••.••••....•........•..•••..... 2 %

. Petits commerçants .•..•••.....•.........•...•...•.....•.•.. 2 %

Tableau 1 : Activités des chefs de ménage actifs hommes (1970)

La lecture de'ce tableau permet plusieurs constatations: le


paysage économique de Bassadji apparait d'abord comme représentatif de
la situation des économies urbaines dominées du Tiers Monde, puisqu'on
- 278 -

constate que le "sec teur informel" y emploie 70 % des actifs hommes


(artisanat: 48 %; petits employés du tertiaire 21 %; petits commer-
çants 2 %), tandis que le secteur "mo derne" ("industrie et tertiaire)
n'y emploie que 30 %des actifs. Cependant la percée dans le tertiaire
moderne (17 %) et dans les activités de type industriel (10 %), loin
d'être négligeable, prouve que la population du quartier s'est urbani-
sée, accédant à l'instruction et à la formation professionnelle, bien
avant que le quartier lui-même n'ait été intégré à la ville du point
de vue urbanistique. En d'autres termes, les habitants de Bassadji
étaient déjà des citadins quand leur quartier n'était encore qu'un
village de la périphérie loméenne.
Cette antériorité de la citadinisation de ses habitants sur
l'urbanisation de leur quartier, inférée de l'approche statistique,
peut être illustrée et précisée par les données de l'approche anthro-
pologique. A cet effet, nous avons recensé les activités exercées par
les hommes et les femmes du lignage étudié, en fonction de trois
générations successives (grands-parents, pères et mères, fil s et fil-
les).
Ce recensement a permis de faire les constations suivantes: on
observe d'abord un déclin très net de l'activité agricole qui, en
trois générations, tombe de 53% à 12 %des activités. On remarquera à
ce sujet qu'à la génération des grands-parents, elle était tout juste
majoritaire, ce qui signifie que l'entrée dans l'univers citadin était
déjà largement faite, alors qu'à la génération antérieure tous les
hommes et femmes étaient cultivateurs. A Bassadji même, cette activité
a aujourd'hui di sparu, l es cultivateurs membres du lignage exerçant
leur activité hors de Lomé, si bien que le recensement des seules
acitivtés exercées par les résidents du quartier donnerait évidemment
des pourcentages plus élevés pour celles-ci.
Inversement, on constate la part grandissante prise par les
métiers citadins: au premier rang de ceux-ci, les métiers artisanaux,
apparus à la génération des grands-parents, croissent régulièrement en
se diversifiant. Aux tisserands, tailleurs et bijoutiers sont venus
s'ajouter les charpentiers, menuisiers, maçons, carreleurs, peintres,
mécaniciens auto, plombiers, électriciens. A la génération des pères,
des activités inédites jusqu'alors apparaissent aux côtés de l'artisa-
nat et de l'agriculture: emplois dans le tertiaire (chauffeur de
taxi, employé de commerce, aide-comptable), et surtout dans le secteur
industriel qui se met alors en place, notamment dans le secteur public
(charpentier dans les chemins de fer, chef-maçon aux travaux publics,
chauffeur ou plombier dans une entreprise d'Etat, chef de chantier
dans une entreprise de bâtiment), où certains ont pu faire carrière et
atteindre un statut d'agent de maitrise. A la génération des fils,
cette évolution se poursuit avec un infléchissement cependant: les
emplois dans le tertiaire privé augmentent (chauffeurs, employés de
commerce, serveur, cuisinier), par contre, les emplois dans l'indus-
trie diminuent, d'autant que certains d'entre eux sont exercés à
l'étranger. Ceci peut s'expl i quer par deux facteurs: d'une part, le
développement industriel très bas du Togo, si bien que l'offre d"em-
ploi dans ce secteur ne croît guère, alors que la demande potentielle
ne fait qu'augmenter (ainsi apparaissent parmi les jeunes gens de
nouveaux statuts non qualifiés mais caractéristiques des systèmes
modernes, ceux de manoeuvre, de chômeur, de travailleur intermittent);
'autre part, les progrès de l'instruction, qui permettent pour la
- 279 -

première fois à certains d'entrer dans le tertiaire public ou para-


public (douanier, instituteur, professeur du secondaire, chercheur'et
enquêteur dans un institut de recherches) et ainsi de prendre pied
dans l'apparei 1 d'Etat.
Cette évolution générale est particulièrement significative quand
on considère les emplois féminins: à la génération des grands-mères,
toutes étaient cultivatrices, quelques unes faisaient du petit commer-
ce vivrier, rares étant celles qui exerçaient parallèlement une petite
activité artisanale (confection de nattes); à la génération des mères,
la reconversion est quasi-totale dans le commerce vivrier et la petite
épicerie, et l'on voit apparaitre, pour la première fois, un emploi
qualifié (infirmière) dans le secteur public; à la génération des
filles, l'évolution est spectaculaire: à côté du petit commerce
traditi onne1 (éventaires de produits vi vri ers, vente de pl ats cui si-
nés, vente sur les marchés), apparaissent les métiers artisanaux
(couturières et coiffeuses essentiellement) et les emplois tertiaires
parois relativement qualifiés (secrétaires, dactylos, sages-femmes).
Ceci s'explique également par les progrès de la scolarisation: à
la génération des mères, elle est quasi inexistante; à celle des
filles, elle est générale au niveau du primaire, et certaines - encore
une petite minorité - accèdent au secondaire. En ce domaine, on
observe un décalage favorable aux garçons : actuellement 1es lycéens
sont quatre fois plus nombreux que les 1ycénnes, et quatre d'entre
eux ont accédé à l'enseignement supérieur. Ceci s'explique par le fait
que les filles se marient plus jeunes et que les parents ne valorisent
guère l'instruction de leurs filles.
Dans l'ensemble donc, la diversité des activités exercées par les
habi tants de Bassadj i ne permet pas de 1es cl asser soci al ement avec
précision. A ne considérer que la profession des chefs de famille de
l'échantillon étudié, on peut certes avancer que la majorité d'entre
eux appartiennent à ce que l'on qua1ifera de classe moyenne dans le
contexte d'un pays en voie de développement: sur 17 ,7 sont ouvriers
qualifiés dans des entreprises industrielles, dont trois ont un statut
d'agent de maitrise (deux chefs de chantier, un chef maçon) et trois
sont emp 1oyés dans 1e tert i aire moderne (commerce et enseignement).
Ceux-ci ont donc des revenus réguliers et relativement élevés. Deux
"ouvriers" ont un scooter, deux "employés" ont une voiture. Les
autres, petits artisans indépendants (maçon, menuisier, tisserand) et,
dans le cas des deux femmes - chef de famille, petites commerçantes
(l'une à domicile, l'autre au grand marché de Lomé), appartiennent à1a
couche supérieure du secteur informel. Un seul, jeune il est vrai (28
ans), pourrait être considéré come un sous-prolétaire: il se déclare
maçon à la tâche puis s'avoue chômeur à la recherche d'un emploi dans
une entreprise et n'a pour seule activité rémunératrice qu'un petit
moulin artisanal à moudre le manioc, dont il n'est pas propriétaire et
qui ne lui rapporte que 3 000 F CFA par mois (soit 60 FF). Cependant
comme tous les autres,i1 est propriétaire de sa parcelle et, comme la
plupart des autres (13 sur 17), il dispose, avec ses locataires, d'une
source de revenus appréciable. La jouissance de cette rente foncière
vient donc brouiller les cartes des classifications habituelles. Elle
explique en tout cas la relative aisance apparente de la plupart des
chefs de famille, aisance repérable chez certains à la qualité du
logement ainsi qu'à l'équipement (scooter, voiture, mobylette, appa-
reils de T.V., transistors, réfrigérateurs, etc ••• ).
- 280 -

2. Diversification des activités selon les familles


D'autres facteurs accentuent la complexité du paysage économique
de Bassadji. Si l'on recense les activités famille par famille, on
constate en effet un double processus de diversification: à l'in-
térieur de chaque famille d'une part, entre les familles d'autre part.
A l'intérieur des familles, cette diversification tient d'abord à
l'aticu1ation d'activités de types différents. Dans certains cas, le
chef de famille lui-même a une double activité: tel retraité, ancien
employé de commerce, puis secrétaire de la chefferie de Bè, exerce à
l'occasion le métier de devin qu'il a appris de son père; tel ancien
charpentier du chemin de fer est également chef d'un culte vodu qui
draine chez lui de nombreux adeptes; un artisan menuisier est en même
temps cultivateur sur des terrains au Ghana dont il a hérité de son
père; un chef de chantier retraité des Travaux Publics est aujourd'hui
ouvrier plombier dans une entreprise; un tisserand est également
propriétaire dans la région d'une plantation sur laquelle travaille
l'un de ses fils.
Dans tous les cas, en outre, l'activité du chef de famille s'arti-
cule à celle de son (ou de ses) épouse (s). A l'exception d'une
seule, infirmière mariée à un chef de chantier d'une entreprise du
bâtiment, toutes pratiquent un petit commerce de produits vivriers
(légumes, fruits, condiments, riz, manioc, beignets, plats cuisinés)
ou de petite épicerie (huile, boîtes de sardine, sauce tomate, poisson
séché, savon, cigarettes) que la plupart proposent à l'étal, sur la
rue devant la maison, trois d'entre elles seulement exerçant leur
activité hors du quartier: l'une au marché de Bè, les deux autres au
grand marché du Centre ville.
Mais il ne suffit pas de considérer simplement l'activité des
ménages. Ici la famille englobe des éléments de la parenté étendue:
ascendants ou parents collatéraux de l'un des conjoints; fils ou
filles adultes mariés, divorcés ou célibataires; petits enfants agna-
tiques ou utérins, enfants de collatéraux, etc ..• En conséquence
chaque famille, considérée dans l'ensemble de ses effectifs, offre une
gamme fort diversifiée d'activités, masculines et féminines, relevant
aussi bien du secteur "informel" ou traditionnel (artisans, petits
commerçants, devins) que du secteur moderne (employés, ouvriers, en-
seignants).
Cette articulation entre les deux secteurs économiques ne se situe
donc pas au seul niveau du ménage et ne se réduit pas à la dichotomie
classique entre activité moderne de l'homme et activité traditionnelle
de l'épouse. Elle joue au contraire dans un cadre plus extensif, celui
. de la famille élargie, et dans une temporalité plus longue définie par
la coexistence de deux, parfois trois générations successives en
activité. En outre, elle tend à recouper de plus en plus la séparation
des sexes, certaines femmes accédant aux activités de type moderne,
tandis que les hommes de leur génération et de leur parenté peuvent,
dans le même temps, en rester à des activités de type traditionnel ou
informel. En ce sens, l'urbanisation et la scolarisation sont les deux
facteurs conjugués d'une radicale transformation de la traditionnelle
division sexuelle du travail : la première, en imposant la nécessité
d'un revenu monétaire féminin, 1a seconde, en ouvrant aux femmes -
(encore une petite minorité) - la possibilité d'exercer une activité
émunératrice hors du champ habituel du petit commerce vivrier.
- 281 -

Cette dynamique entrai ne donc une diversification croissante des


activités au sein de chaque catégorie sexuelle comme d'une catégorie à
l'autre, au sein de chaque génération, comme d'une génération à
l'autre. Cependant, la comparaison des différentes familles du même
lignage montre encore que d'une famille à l'autre ce processus de
diversification est inégal, et que c'est donc à ce niveau, et non à
celui, plus extensif, du lignage, que jouent les mécanismes de la
reproduction sociale. .
Pour rendre ceci apparent, nous présentons, so~s forme de tableau
co mpar atif (cf. t ab le au 2) les act i vi tés r ecensée s à l' i nt érie ur de
chaque famille du lignage, de manière à mettre en évidence trois
facteurs de différenciation:
- le métier du chef de famille, éventuellement celui de ses
collatéraux de même génération qui sont intégrés dans le groupe
familial (le métier des épouses n'est pas indiqué - toutes étant
petites commerçantes de vivrier -, à l'exception de deux cas: celui
d'une femme, chef de famille dans la concession qu'elle occupe et dont
le mari, bijoutier est installé dans le quartier voisin mais contribue
aux dépenses de son épouse; et celui d'une épouse, infirmière).
- le niveau d'instruction du chef de famille (école primaire: EP;
certificat d'études primaires: CEP).
- le nombre actuel de ménages locataires, facteur pouvant avoir dans
certains cas une importance décisive, dans la mesure oD il représente
parfois un revenu plus important que les revenus professionnels.
Ces facteurs de différenciation sont mis en corrélation avec les
activités des fils, des filles et des enfants de collatéraux des chefs
de famille. Celles de ces activités qui relèvent du secteur moderne
sont soulignés d'un trait dans le tableau; sont également soulignés
les statuts de lycéens ou de lycéennes (et d'étudiants), car ils sont
un signe de mobilité sociale ascendante et, en principe, en sont un
facteur (le statut d'écolier, par contre, est moins pertinent car
presque tous les enfants sont scolarisés).

!Activités niveau'Nbre !Activités !Act i vités Activités Activités


! du C.F. scolai ménages!des· ! du fil s des filles des enfants
! res 10catai collatéraux l
1 de
! CF res du CF collatéraux
!
Maçon in- / 4 .Ajusteur
termittent .Salarié
+ salarié! .Apprenti
d'artisan!
!
!
Menuisier' E.P. 4 Cultivateur gardien Pt corrmerce
+ cultiv. de nuit !
+ devin !
!
! !
!ex tisse- / 18 PtplanteurPt cormnerce
!rand + Pt Manoeuvre! !
- 282 -
r- 'planteur intermit-
Q),
E· tent
'-1
O.
'E ",
'r-! charpen- CMl 2 Maçon atelier
; !t i er apprenti couture
Q)I
ol-l • chauffeur (5 appren-
u
Q)
VI
écoliers ties)
VI
c:
It:l
commerçante / 4 mari bijou- apprenti lycéenne
,
"'0
. (Grd mar-! tier (autre carreleur écolieres
,U.
LL.
ché) résidence) écolier
- - - - - -! - - -
-
,
==-========================-===========-================================

Q)
chauffeur
(adm. )
/ ,
écoliers 'écolières

c: - - - - ,! - - - - -
'- maçon 6 cultivateur ecolier ! salarié
Q)
/
'0
'chauffeur , , !d'artisan
0
taxi art. forgeron
E
chauffeur
taxi
- 283 -

Q)
lycéen !dactylo tp!
~
c étudiants!secrétaire!
Q)
"0
Rrofesseursage femme 1
o
E
chercheur'
~
· --- --- ---~- ----- ----- -----
u
Q)
VI
ex employé CEP 6 apprenti écolières
VI
commerce serveur
c
Itl
+ex secr. art. elec
"0 + devin écoliers
LL..· emp l oyé
u · douanier

Tableau 2 : diversification des activités selon les familles et le


statut socio-professionnel des-chefs de famille. --
La lecture du tableau montre effectivement que les différentes
familles du lignage sont inégalement insérées dans l'économie urbaine
moderne. Au niveau de la génération des fils et des filles, la quasi
totalité des activités de type moderne sont concentrées dans les
familles dont le chef de famille est déjà lui-même ·inséré dans le
secteur moderne, tandis que les familles dont le chef est dans le
secteur informel, sont dans la quasi totalité de leurs actifs restées
dans ce secteur. Il semblerait donc que la génération des fils et des
filles tende à reproduire le type d'activités de leurs parents et que,
de ce point de vue, celle-ci soit le facteur principal de la reproduc-
tion sociale (1). Quand au niveau d'instruction du chef de famille, il
semble assez logiquement être un facteur lié au métier de celui-ci et
intervenir concurremment: les cinq familles du bas du tableau, celles
où se concentrent la plupart des activités modernes de la deuxième
génération, sont aussi celles où les chefs de famille ont les métiers
les plus qualifiés et le niveau de scolarisation le plus élevé. Par
contre, llexistence d'un revenu d'origine locative intervient de ma-
nière beaucoup plus circonstancielle: dans les familles du secteur
informel, il est partout attesté, ce qui donne à penser qulil est une
composante nécessaire des ressources familiales, étant donné que les
petits métiers de ce secteur ne procurent le plus souvent que des
revenus très faibles, et de plus aléatoires, parce qu'intermittents.
Un exemple de ceci est fourni par la famille de l'ex-tisserand: ce
dernier nia plus d'activité rémunératrice car il n'exerce plus son
métier, et que c'est son fils marié qui met en valeur la petite
plantation de son père. A l'exception de ce fils toute la famille vit
donc presque entièrement des loyers des 18 locataires. Inversement,
certaines familles du secteur moderne nlont pas de revenu locatif, ce
qui peut correspondre au fait qu'elles disposent de ressources
suffisantes, tout en étant souvent, par rapport aux autres, de taille
relativement réduite (c'est par exemple le .cas du chef de chantier
(1) Ce qui est sans doute signe d'un début de stratification sociale,
alors que les générations antérieures étaient engagées dans un
processus peu différencié d'insertion dans l'économie urbaine.
- 284 -

marié à une infirmière~ ou de l'ex-charpentier à qui sa fonction de


chef de culte vodu procure d'autres ressources).
Par contre~ d'autres familles du secteur moderne disposent égale-
ment de revenus locatifs qui peuvent représenter une ressource complé-
mentaire destinée à faire face aux dépenses ordinaires~ mais qui
peuvent être aussi utilisés à des fins stratégiques. Les familles du
chauffeur mécani ci en~ du chef maçon et de l'employé de commerce en
sont des exemples: ce n'est certainement pas un hasard si~ dans ces
trois cas~ la conjonction d'un métier qualifié, d'un certain niveau de
scolarisation (atteignant le C.E.P. pour deux d'entre eux), et
l'existence de revenus locatifs~ est associée à la plus forte concen-
tration d'activités modernes à la deuxième génération. A cet égard,
l'exemple de la famille du chef-maçon est particulièrement probant:
la présence de trente ménages locataires~ dont la plupart sur 4
concessions à usage entièrement locatif, est en l'occurence l'indice
d'une prati que dél i bérée d'accumul at i on de revenus, qui n'a pas servi
seulement à asssurer l'entretien d'une famille à effectifs nombreux
(actuellement près de soixante personnes) mais a surtout permis la
plus forte promotion sociale: parmi les femmes de la deuxième généra-
tion, certaines y ont des métiers modernes qualifiés, tandis que
d'autres plus jeunes, ont accédé à l'enseignement secondaire; parmi
les fils, six ont fait ou font des études supérieures en France, l'un
étant professeur et l'autre chercheur, tandi s que d'autres sont
ouvriers qualifiés et employés dans le secteur moderne.
Dans certains cas, on se trouve donc en présence de véritables
stratégies conscientes et délibérées de mobilité sociale ascendante,
se développant sous l'impulsion de personnalités volontaires et éner-
giques, soucieuses d'assurer la promotion de leurs dépendants directs.
Mais pour que de telles stratégies puissent de déployer, l'ambition et
la volonté d'individus ne suffisent pas; encore faut-il qu'eux mêmes
bénéficient d'une certaine insertion professionnelle et culturelle
dans le système social urbain, ce qui leur donne les moyens à la fois
matériels et symboliques d'y pousser leurs enfants (1).

3. Economie et espace à Bassadji


Si lion considère maintenant la vie économique telle qu'elle
s'inscrit dans la géographie du quartier, on constate que sa diversi-
fication croissante s'y projette dans la remarquable. multiplicité des
points d'activités diss·éminés dans tout le quartier, avec quelques
zones de concentration plus forte le long des rues principales et aux
abords des carrefours (cf. plan ).
Le recensement donne un total de 244 points d'activités soit,
pour une population de 3.700 personnes, une densité considérable (un
point d'activités pour quinze personnes). Quatre types d'implantat50ns
ont été distingués : les petites entreprises de caractère semi-indus-
triel employant plusieurs salariés; les ateliers artisanaux; les
boutiques de commerçants; et les éventaires sur rues tenues par les
petites commerçantes.La proportion respective de ces activités est la
suivante :
(1) Un exemple flagrant de l'utilisation du "capital symbolique" (P.
Bourdieu) est fourni par la famille du chef maçon des Travaux publics
: trois de ses enfants (dont deux filles comme secrétaires) y sont
employés.
- 285 -

effectifs % %cumulés
commerces Eventaires 151 62 % 68 %
Boutiques 14 6%
Production et Ateliers artisanaux 62 25 % 32 %
réparation
Petites entreprises 17 7%

Tableau 3 : Nombre des activités localisées dans Bassadji

La très nette prépondérance du petit commerce de détai l (68 %)


dont une très grande majorité d'éventaires féminins (62 %),
l'importance des ateliers artisanaux (25 %), la faible part des pe-
tites entreprises (7%), (dont il faut souligner qu'elles comprennent
Il garages de réparation automobile qui ne diffèrent des ateliers
artisanaux que par la taille et le nombre plus élevé d'employés mais
sont très peu équipés en outillage fixe), reflètent bien, à ce ni-
veau, une situation économique largement dominée par le secteur infor-
mel sous équipé et peu productif. Mais· ce qu'il importe de souligner
ici, c'est que toute la gamme des produits et des services courants
sont ainsi offerts à la population du quartier.
Ajoutons à ceci la présence de quatre écoles primaires, de trois
bornes-fontai nes, lieux d'attroupements quoti di ens des femmes et des
enfants, de trois cimetières où convergent épisodiquement les cérémo-
nies funéraires, occasions des grands rassemblements entre parents et
alliés, de sept sanctuaires consacrés aux vodu des lignages et des
lieux publics, sans compter tous les espaces vacants -investis par de
multiples activités quotidiennes (jeux de foot dans les rues secon-
daires ou sur les places, repos ou causeries en bord de rues, prome-
nades d'une concess i on à l'autre, etc •• ), et l'on prendra l a mesure
de la très large auto-suffisance du quartier aux plans économique,
social et symbolique.
Certes, la diversification des activités économiques, en particu-
lier l'insertion d'une fraction de la population dans les secteurs
secondaire et tertiaire modernes qui se situent hors du quartier,induit
un certain décalage entre l'espace économique et l'espace résidentiel
: ils ne se recouvrent plus totalement. Mais si les activités modernes
entrainent une minorité des actifs, - des hommes presque exclusive-
ment-, hors du quartier durant la journée, on comprendra que, sitôt
leur travail terminé, ceux-ci s'empressent de regagner Bassadji, où
toute la gamme de biens et services courants leur est offerte dans une
très grande proximité spatiale et sociale. Ceci est d'ailleurs l'une
des conditions du fonctionnement de l'économie du quartier: les
revenus d'origine salariale y sont ainsi injectés dans les multiples
circuits de la petite production marchande, du micro-commerce, et des
services locaux. Réciproquement ceux-ci~ parce qu'ils minorent au
maximum le coût de la force de travail, procurent des biens et des
services relativement bon marché, ce qui explique les bas salaires.
Ainsi, entre la micro-économie locale et l'économie capitaliste
LES ACTIVITES CE BASSACJI

~ NUMEROS DES CONCESSIONS ETUDIEES

E ECOLE
LIEU DE CULTE VODOU
...... CI~ETIERE

•••
BORNE FONTAINE
LATRINE PUBLI~UE
CANIVEAU
~ENUISERIE
GARAGE AUTO ] ENtREPRiSE
ALIWE.NIATION
AfEL.IEI OE COUTURE
CORDONNERIE
MENUISERIE
StuDIO PHOTO
REPARATION wOtO ARTISANAT
REPARATION RAOIO OU WONfRE
WOULIN
FORGE
PEINTURl
BAR OU RESTAURANT -"1 COWMERCE
i10UTlGUE tipi "rit MchI 4eovuatiJ
P'ATS CUISINES ]
ALI~ENtATION

EPICERIE UCWi EVENTAIRES


DROGUERIE
CHARBON
L.IMITE DU QUARTIER
LOME QUARTIER BASSADJI
- 288 -

externe, se sont établ is des rapports organiques que, pour une part,
les salariés du secteur moderne contribuent ~ entretenir en produisant
hors du quartier, mais en faisant leurs dépenses courantes dans le
quartier.
De ce fait, leur insertion dans l'espace économique externe, non
seulement ne menace pas le caractère introverti du quartier, mais en
un sens le renforce. A leur manière, ces salariés expriment parfaite-
ment cette situation lorsque, pour indiquer qu'ils sont employés hors
du quartier, ils disent qu'ils travaillent à IILomé", affirmant impli-
citement par là qu'ils s'y trouvent en quasi position de travailleurs
immigrés.
Bien entendu, ils signifient en même temps que le quartier reste
le centre de leur vie familiale, sociale et religieuse. C'est ce
caractère d'introversion sociologique qu'il convient maintenant d'ob-
server dans ses autres manifestations spatiales.

L'appropriation quotidienne de l'espace public:


sur la rue, devant la concession, petit commerce
féminin, repos et causeries font bon ménage.
- 289 -

III - ESPACE ET SOCIETE A BASSADJI


1. La fondation du lignage et de son quartier
Les traditions relatant la fondation de Bassadji font remonter
celle-ci à la quatrième génération ascendante par rapport à la généra-
tion des chefs de famille actuels, soit dans la deuxième moitié du
X1 Xème • Deux vers i ons en ont été r ecu e i 11 i es : sel on l'une, Ay i von
l'ancêtre fondateur, fils d'un certain Matché d'Apéyémé, l'un des
vieux sous-quartiers de Bè, aurait quitté le village paternel à la
suite de nombreuses morts parmi ses enfants. Chasseur, il connaissait
bien les lieux et avait choisi de s'établir sur l'emplacement actuel
de Bassadji, qui n'était alors qu'une zone broussailleuse et inondable
au bord de la lagune (d'oD la signification de Bassadji : "dans la
boue"). C'est lui qui a planté et consacré le grand iroko sacré (arbre
loko) qui se dresse actuellement à l'angle de l'une des concessions du
lignage (cf photo h.t.). Réceptacle du pouvoir des Dieux, symbole de
la fécondité, symbole également du pouvoir lignager sur le quartier,
l'arbre domine tous les environs. La base de son trône est entourée
dlun pagne 61 anc, à quoi l'on reconnait son caractère sacré; elle est
également protégée par une enceinte grillagée; au pied de l'arbre, des
offrandes -boutei 11 es de sodabi (1), nourriture- attestent de l a per-
manence du culte.
Une autre tradition (2) rapporte que l'ancêtre Ayivon aurait dû
partir à la suite d'une accusation de sorcellerie portée contre lui
par son cousin, le chef d'Apéyémé.
Dans les deux versions cependant, on remarquera que la sorcelle-
rie est à l'origine du départ de l'ancêtre, qu'il en fût victime dans
la première, ou accusé dans la seconde (3). Quoiqu ' -j1 en soit, il
s'agit là de l'un des mécanismes classiques de fondation des nouveaux
villages dans les sociétés claniques et lignagères : la segmentation-
sécession par suite de conflits internes, lesquels sont fréquemment
interprétés en termes d'agression en sorcellerie.
Selon d'autres sources, Ayivon se serait installé en fait sur le
territoire d'un quartier du vi eux vi 11 age d'Amoutivé, Byosé-Amoutivé.
Le chef de ce quartier, Agbové, l'aurait accueilli et lui aurait fait
don du terrain, processus là aussi classique, dans les sociétés villa-
geoises pré-coloniales, de l'hospitalité à l'égard d'étrangers ou de
dissidents en rupture de ban avec leur communauté d'origine. Ce fait

(1) Alcool de vin de palme.


(2) Notamment rapportée par K. Amouzou Azyagbede, "Religion et Société
: les croyances traditionnelles chez les Bè du Togo", thèse de 3ème
cycle, EHESS, CEA, Paris 1979.
(3) Ces deux versions ne sont d'ailleurs pas nécessairement con-
tradictoires. Un sorcier peut être victime d'autres sorciers ou de
chasseurs de sorciers plus puissants que lui qui le combattent en
sorcellerie, c'est-à-dire en provoquant dans son entourage des mala-
dies et morts par des moyens invisibles et détournés.
- 290 -

explique que Bassadji ait pu être considéré par certains comme une
excroissance d'Amoutivé, alors que toutes les traditions d'origine
attestent qu'il est apparenté à Apéyémé. Aujourdlhui en tout cas, du
fait d'un tissu urbain devenu continu, Bassadji touche à l'est Apéyé-
mé, et à l'ouest Byosé; cette coincidence de contiguïtés de différents
niveaux, spatial, historique, sociologique, -trait essentiel des so-
ciétés traditionnelles -, marque donc la genèse de ce qui n'est encore
qu'un hameau familial.

2. Le lignage: permanence et changement


Ce noyau originel croit ensuite en raison de l'expansion
démographique de la l ignée du fondateur, processus que complète la
pratique coutumière d'accueil de parents lointains ou d'étrangers,
destinés à être assimilés.
Actuellement, le lignage regroupe 17 familles, dont 14 de descen-
dants en ligne agnatique directe de l'ancêtre fondateur. Ces familles
se définissent de la manière suivante (cf. généalogie infra) :
- 13 familles (n° 1 à 13) sont issues des cinq fils du fils aîné de
l'ancêtre fondateur. Ce fils aîné est devenu l'ancêtre éponyme du
lignage, statut qui a consacré rétrospectivement la réussite de sa
politique démographique;
- 1 famille (n016) est issue du fils cadet de l'ancêtre fondateur. Ce
cadet nia eu qu'un fils, - actuellement le dernier représentant mâle
de la troisième génération de descendants -, et n'a donc pas donné
souche à une lignée autonome: la famille 16 est rattachée à la lignée
aïnée.
A ces descendants patrilinéaires directs de l'ancêtre fondateur,
sont rattachées quatre branches collatérales, dont l'une est d'ascen-
dance patrilatérale, les deux autres sont d'ascendance utérine, et la
quatrième est d'origine étrangère. Elles se définissent de la manière
suivante :
- 1 famille (n° 14) descend en ligne patrilinéaire directe d'un frère
agnatique classificatoire de l'ancêtre fondateur;
- 1 famille (n09bis) descend d'un neveu utérin classificatoire de
l'ancêtre éponyme, que celui - ci avait recueilli vers 1890. Cette
famille est actuellement hébergée dans la concession de la famille n°
9, dont le chef a émigré depuis plusieurs années, sans plus donner
signe de vie;
- 1 famille (n015) descend en ligne patrilinéaire directe d'un
étranger accueilli en tant qu'ami par l'ancêtre éponyme, sur une
parcelle qui fut par la suite attribuée à son deuxième fils (ascendant
de l'actuelle famille 4). Respectueux de la décision de l'ancêtre, les
enfants de ce fils reprirent une partie de la parcelle, mais
reconnurent les droits des descendants de l'étranger sur l'autre
partie
BA55ADJI GENEALOGIE DU LIGNAGE
17 familles sur 16 concessions (1 è 16)

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- 292 -

- 1 famille (N°6 bis) descend d'un neveu utérin classificatoire de


l'ancêtre éponyme, accueilli vers 1947 par le patriarche, chef de
lignage à cette époque, dans sa propre concession familiale (n06).
On constate ainsi que le lignage s'est principalement étendu
selon un principe de descendance patrilinéaire, la parenté se
transmettant par les hommes, tandis que les femmes, soeurs ou filles,
quittent à leur mariage leur lignage d'origine pour aller s'installer
dans la famille de leur mari (virilocalité). Dans le lignage, les deux
lignées d'origine utérine (ainsi que celle d'origine étrangère) font
donc figure d'allogènes assimilées.
Or, cette patrilinéarité de la filiation est relativement récente
: elle s'est imposée sous la période coloniale avec l'introduction,
par le colonisateur allemand, du régime successoral agnatique, et avec
l'apparition de la propriété privative du sol. Auparavant, en effet,
le système Ewé de la parenté était à dominante matrilinéaire: les
lignages se développaient dans la ligne utérine et la transmission des
fonctions et des biens opérait à l'intérieur du matrilignage, de frère
utérin à frère utérin, puis d'oncle maternel à neveu utérin.
Il apparait ainsi que la généalogie actuelle du lignage, telle
qu'on a pu l'établir à partir des informations des chefs de famille,
en remontant le long de leur ligne filiative déclarée, est en fait le
produit d'une reconstruction a posteriori, entérinant un changement
(de la matrilinéarité domTnante â la patrilinéarité dominante)
relativement récent.
Certes ce travail permanent de remaniement rétrospectif des
structures généalogiques antécédentes, est un phénomène habituel dans
toute société clanique et lignagère : à chaque génération, la tradi-
tion orale, qui a pour fonction de légitimer l'état présent de la
structure sociale, intégre les évènements (notamment ceux qui ont
entrai né des modifications de la charte généalogique antérieure).Les
généalogies qu'ont peut y relever, ne coincident donc jamais avec la
réalité effective de la genèse du groupe de parënté : certaines bran-
ches ont pu s'éteindre, telle autre peut ne pas avoir l'origine paren-
tale qu'on lui prête (c'est le cas pour les descendants d'esclaves ou
de captifs assimilés), certains chainons intermédiaires peuvent être
volontairement omis ou avoir disparu de la mémoire collective (1).
Toute généalogie, du fait de son caractère de charte sociale, est
un produit historique qui, à chaque génération successive, intègre
l'évènement et fait l'objet d'une reconstruction idéologique détermi-
née par des rapports de pouvoi r et d'i ntérêt,et, notamment, par la
situation, laquelle n'est évidemment pas neutre, de l'enquête
ethnographique elle-même.

(1) C'est ainsi que, selon certains informateurs, entre l'ancêtre


fondateur du quartier et l'ancêtre originel d'Apéyémé, il y aurait eu
en fait trois générations intermédiaires.
- 293 -

Mais ce qui est frappant, dans le cas étudié ici, c'est que
l'ensemble de l'édifice généalogique a été entièrement reconstruit sur
la base d'une permutation structurale, puisqu'il ya eu passage d'un
système de filiation matrilinéaire dominante à un système de filiation
patrilinéaire dominante.
Il serait sans doute intéressant de reconstituer le processus
concret de cette inversion. Bornons pour li-instant à faire observer
qulelle est cependant moins radicale qu'il n'y parait à première vue.
On sait, en effet, que dans tout système de filiation unilinéaire, les
liens de parenté non dominants sont également reconnus et codifiés,
car ils n'en remplissent pas moins des fonctions essentielles (schéma-
tiquement, la filiation dominante régit l'organisation des groupes de
parenté, et la transmission en leur sein des fonctions politiques
ainsi que des principaux moyens de production, tandis que la filiation
non dominante régit les rapports d'alliance, tout en intervenant,
concurremment avec l'autre, dans le domaine de la transmission de
certains attributs "mystiques" concourant à la définition de l'identi-
té de la personne et des statuts individuels). Dans cette mesure le
dép lacement de la domi nante change l'ori entati on du système, mais ce
changement reste néanmoins inscrit dans les virtualités du système, ce
qui explique sans doute qu'il ait pu opérer, en l'occurrence, sans
susciter de contradiction majeure•.••
Quoiqu'il en soit, force est bien de constater aujourd'hui que la
structure actuelle du lignage est le produit de l'histoire contempo-
raine, marquée par l'introduction du droit occidental, par l'appari-
tion de la propriété privée, et par l'urbanisation, facteur multipli-
cateur de la valeur foncière. On rencontre là un processus analogue à
celui quia engendré, en milieu rural, dans les sociétés matrili~
néaires, l'introduction de l'économie de plantation: la terre devient
un capi ta l fi xe que l es pères mettent en val eur avec l'aide de leurs
fi l s et qui se transmet à ceux-ci, et non pl us au neveu utérin,
étranger au groupe patrilocal de production. Mais dans ce cas, le
système lignager a tendance à céder la place à des groupes de parenté
cognatiques de très faible profondeur généalogique.
Il n'en est que plus remarquable qulà Bassadji, malgré le rema-
niement de sa structure, - mais on .peut ~ire aussi grâce à ce remanie-
ment-, le principe lignager se soit maintenu. C'est sans doute que,
dans une situation urbaine marquée par l'importance d'un enjeu foncier
accusé par l'afflux, dans les quartiers autochtones, de nouveaux
citadins à la recherche d'une location, parfois d'une propriété, le
principe lignager permet à la fois de légitimer les droits coutumiers
des premiers propriétaires du sol, et de maintenir le pouvoir soli-
daire de leurs descendants face à une population allochtone devenue
numériquement majoritaire, face, aussi, à dléventuelles interventions
de l'appareil d'Etat. Ainsi, le maintien, en milieu urbain, d'une
structure li gnagère, habituell ement conçue comme caractéri st i que des
sociétés rurales "traditionnelles", exprime - t- il en fait le carac-
tère dlactualité de l'une de ses fonctions permanentes: sa capacité à
se manifester comme lobby, comme groupe de pression, constitué sur la
base d'une ascendance et d'une histoire communes, légitimant des
droits et des intérêts collectifs face notamment aux locataires étran-
gers.
- 294 -

3. Hétérogénéité ethnique, homogénéité culturelle: le phénomène


locatif

En effet, comme tous les quartiers proches du centre-ville,


Bassadji s'est gonflé d'un afflux de nouveaux habitants quand, à
partir des années soixante, Lomé a commencé à s'étendre vers l'est,
englobant la zone de Bè, et vers le nord, colonisant le plateau de
Tokou·in.~ priori, on peut penser que cet afflux récent d'immigrants
issus d'horizons divers, est venu brouiller le paysage ethnique et
culturel d'origine, apportant cet élément d'hétérogénéité que les
sociologues considèrent habituellement comme un des traits fondamen-
taux de la modernité urbaine.
Selon les données du recensement de 1970, 63 % des chefs de
ménage seraient nés hors du quartier. Cependant la prise en considéra-
tion du facteur ethnique permet de corriger significativement ce
constat d'hétérogénéité En effet, Bassadji' est peuplé à 90 % d'ethnies
originaires du sud-Togo et du sud-Bénin, dont on sait qu'elles relè-
vent d'un même fonds culturel marqué par le brassage des civilisations
Yoruba, Adja et Akan (1).
Si l'on revient maintenant à notre échantillon, on constate que ce
phénomène d'accueil d'une population étrangère au quartier, mais dans
sa grande majorité cu1ture11ement parente, a pu être intégré sans
heurt ni ségrégation. Certes, certaines concessions sont à usage exclu-
sivement locatif (la famille n013 possède ainsi des concessions tota-
lement occupées par des locataires), mais ces concessions sont voi-
sines, souvent mitoyennes des concessions familiales, et les habitants
des unes et des autres se côtoient quotidiennement dans leurs abords
sans que l'on puisse relever le moindre heurt ni la moindre trace de
tension. En outre, certaines des concessions familiales accueillent
également des locataires dans une proximité évidemment bien plus
grande, puisque toutes les activités diverses se déroulent dans l'es-
pace partagé de la cour commune et dans le champ de la voix et du
regard de tous sur tous sans que, 1à non plus, 1e moi ndre signe de
tension ne se manifeste. Le plus souvent, il est d'ailleurs quasiment
impossible d'y distinguer les locataires des membres de la famille. La
seule exception, significative, est celle de la petite minorité musul-
mane, Haoussa du Niger et du Nigéria,qui tend à se regrouper dans cer-
taines concessions à usage locatif.

(1) Selon les données du recensement de 1970, les pourcentages sont


les suivants: Ewé (37 %); Mina (24,4 %); Ouatchi (5,8%); An10 (5,8
%); Divers sud-Togo (3 %); Bénin, - dont une majorité de Fon -, (17%).
Les habitants relevant d'une culture différentes sont donc très
minoritaires: nord-Togo (5,8%); autres pays africains (1,2%); plus,
peut-être, une petite fraction des originaires du Bénin.
- 295 -

Cependant, dans le schème d'organisation de l'espace de type


villageois, la forte présence de locataires étrangers n'en introduit
pas moins un caractère typiquement urbain dont on peut mesurer
l'importance actuelle sur l'exemple du lignage étudié: dans les
quatorze concessions familiales, aux côtés des 165 membres du lignage,
on compte en effet 113 locataires.
Cette forte proportion moyenne de locataires dans les concessions
familiales (40 %, soit 8 personnes sur 20) masque cependant, en ce
domaine également, de fortes disparités d'une concession à l'autre. Dans
chacune des quatorze concessions recensées, les proportions sont en
effet les suivantes:

concession Effectif Effectif Effectif %


N° total parenté locataires locataires
1 16 5 11 68 %
2 5 5 a a%
3 19 1 18 95 %
4 15 5 la 66 %
5 29 14 15 51 %
6 38 33 5 13%
7 9 9 a a%
8 13 5 8 61 %
9 17 17 a a%
10 13 13 a a%
12 37 9 28 75 %
13 52 38 14 27 %
14 7 7 a a%
15 8 4 4 50 %
Total 278 165 113 40 %

Tableau 4 Proportion des locataires dans les concessions familiales


- 296 -

Les écarts entre les concessions sont donc extrèmes : dans un cas
limite (concession 3), seul le fils célibataire du propriétaire de la
concession (qui lui même vit le plus souvent au Ghana) réside dans la
concession où il cohabite avec quatre ménages de locataires Ewé et
Mina, regroupant 18 personnes, soit 95 %de la population totale de la
concession; dans six autres cas, les locataires représentent la moitié
ou plus de la population totale; dans deux autres concessions, ils
sont en minorité (13 % et 27 %); enfin dans cinq concessions, on n'en
trouve aucun. Ces derniers cas font problème, car l'examen comparatif
des concessions montre que l'absence de locataires n'est pas liée à un
manque de place, et qu'un seul cas (n07) peut s'expliquer par la
référence explicite au modèle valorisé de l'intimité familiale centrée
sur le couple et ses enfants. Faute d'informations précises à ce
sujet, on peut néanmoins faire remarquer que l'absence de locataires
ne se trouve que dans des familles dont les chefs sont insérés dans le
secteur moderne, et de ce fait, bénéficient de revenus plus élevés et
plus stables que ceux du secteur informel.
Quant aux familles qui associent cet atout à celui que procurent
les revenus d'origine locative, ce sont celles qui se sont engagées
dans un processus de mobilité sociale ascendante, tout en ayant de
forts effectifs, nécessitant de ce fait des dépenses importantes (cas
des n° 5, 6 et 13 notamment). Comme nous l'avons déjà souligné, il
faut donc prendre en considération, à ce sujet également, la diversité
des situations et des stratégies sociales d'une famille à l'autre.
Cependant, pour évaluer l'importance globale du phénomène loca-
tif, il faut aussi prendre en compte l'effectif des quatre concessions
à usage exclusivement locatif (concessions qui sont la propriété de la
famille 13). On constate alors que la majorité s'inverse au profit de
la population locataire.
De manière à permettre la comparaison avec les données du recen-
sement de 1970, le nombre respectif de chefs de ménage autochtones et
locataires est indiqué dans le tableau suivant:
! effectif %des effectif l nombre %des !effectif
! total effectifs conces- de C.M C.M. moyen/
,=P-ar-e-n--;-t-s-
!
!
sion ménage
165 41 % 40 30 % 4,1
!
!-;-Lo-c-a--=t-a--;-i--
Ires sur
!conces- 113 20 59
!sion fa-
Imiliale
1 ! 59 % 70 %
-=------:----:- - - - - -
locatai- !
res sur !
conces- 127! ! 32 ! 34 3,7
sions 10 , !! !
catives ! ! , !
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total - .....4""""05--' 100 % ! !-"""1""""33x--- ----.r1""""OO><'""'"";:'l%r-! --"-3.. . .1,...--
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! ! ! , !
Tab 1eau 5 -~Pr-o-p-o-r""'t ion de s parents et aes 1oc ata i r-e-s--'_dr-a~n_s---"_1"""4-c-o-n-c-e-s--
sions familiales et 4 concessions locatives
- 297 -

De la lecture de ce tableau, plusieurs constatations ressortent:


- en pourcentages, calculés par rapport aux effectifs globaux, les
l ocata ires sont plus nombreux que la popul at i on autochtone: 59 %
pour la première, contre 41 % pour les seconds;
- calculé en pourcentages par rapport aux chefs de ménage, le rapport
est encore plus déséquilibré en faveur des locataires: ils représen-
tent ici 70 % des chefs de ménage contre 30 % pour les chefs de
ménages autochtones. Rapportés aux donnés tirées du recensement de
1970, ces chiffres indiquent une nette progression du nombre de loca-
taires : en dix ans, on est passé en effet d'une proportion de 63 % de
chefs de ménage allochtones à une proportion de 70 %;
- la sur-représentation des chefs de ménage chez les locataires s'ex-
plique par la conjonction de trois facteurs principaux: la présence
de nombreux hommes et femmes célibataires ou en situation de céliba-
taires; l'existence de ménages matri-centriques dont le chef de ménage
est souvent la femme d'un mari polygame résidant ailleurs; enfin,
conséquence des deux facteurs précédents mais également conséquence de
la jeunesse relative de cette population, la faible taille des ménages
: 2.8 pour l'ensemb le des l ocata ires. De ce poi nt de vue, on notera
toutefois une différence significative: les ménages sur concessions
locatives ont un effectif moyen plus élevé (3,7) que les ménages
locataires sur concessions familiales (1,9), ce qui s'explique par le
fait que celles-ci, ayant une moindre capacité d'accueil, offrent des
logements plus exigus (le plus souvent une seule pièce) que les
concessions à usage locatif;
- inversement, on notera que la taille moyenne des ménages autochtones
(4.1) est nettement plus élevée que celle des ménages locataires (2.8)
(1). Ceci, conjugué au fait que les ménages autochtones sont tous
apparentés, donne évidemment à l'ensemble de la population autochtone
une cohésion sociale et idéologique beaucoup plus forte que celle de
la population locataire, laquelle apparait par comparaison très atomi-
sée en petites unités non reliées entre elles. Pour ces raisons et
aussi parce qu'elle a statut de propriétaire, quoique devenue minori-
taire par ses effectifs, la population autochtone n'en conserve pas
moins une position nettement hégémonique dans le quartier.

(1) La taille moyenne de l'ensemble des ménages de l'échantillon,


autochtones et locataires confondus, est de 3.1. Pour Bè en général,
elle est de 3.2 (pour l'ensemble de Lomé de 2.98). En cela également,
la situation de Bassadji est conforme à celle de Bè dans son ensemble.
- 298 -

4.L ' espace matrimonial et son évolution


Un autre facteur vient renforcer cette cohésion des autochtones à
travers la maitrise de leur espace: la forte localisation de leurs
échanges matrimoniaux,par suite leur insertion dans un maillage
relativement serré de relations de parenté par alliance qui sont
aussi, pour une bonne part, des relations de voisinage ou du moins de
proximité géographique.
Un tableau de l'origine résidentielle des femmes reçues (grand-
mères, mères, épouses) et de la destination des femmes données en
mariage (soeurs et filles) par le lignage, permet de mettre ceci en
évidence et d'en montrer quelques tendances évolutives.

! !Gd! 1 1 1 1 ---r 1
1 Zones géographiques IMerIMèrlep.lsoelfilltotl% par zone 1
1 IIIIII! !
J=ir IBassadji !-3-'T'-5-!T!2!T2lrr.5 -,--T----r- r
! II!. ! ! 1 II! 1 1 1 1
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~. l , ! .1 .' ! .' 34' 1 1•
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Z!t:z< ~ Byosé 1 1 1 2 1 1 1 1 1 1 61 1 63.7
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. . . ! ""' Autres quartiers 1-1-1-1- -2-1-1-1-1-!61 1 1
""'1 ~ d'Arno ut i vé !! 1 1 1 1 1 1
1 ... I! 1! 1 ! 1 !97 .1
""'! VI !-. TokêlJln-avi at i on--l-l-! T!T'-2-!-7! 6.7 ! - ! - ! !
'-'1 ""', 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1
~I ! !Reste de Lomé -1-1-!-1-1311514.8!-!-1-! 1
...1==!==1====================!===!===!===!=== ===I===!===!===!===I===!===!
VI! !SudTogo !5111512 51 18!17.1 1111
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- -1----------!- 1 - 1-
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- - - - - - ! -
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Tableau 6 : Aire matrimoniale du lignage
En dépit de son caractère non exhaustif (les informations à ce
sujet étant incomplètes) (1), ce tableau donne cependant un certain
nombre d'indications: on constate d'abord que 57 % des échanges matri-

(1) Les chiffres indiqués sont évidemment en dessous de la réalité.


Ils proviennent d'un recensement démographique des concessions enquê-
tées. On peut cependant postuler que le déficit se répartit grosso
modo entre les différentes cases du tableau, dont il ne s'agit de ne
tirer que des valeurs indicatives
- 299 -

moniaux recensés ont lieu à l'intérieur d'une espace social continu et


étroitement circonscrit: 45,5 % dans Bè, dont 11,5 % à l'intérieur du
quartier lui-même, et un peu moins à Apéyémé dont Bassadji est issu et
qui lui est contigu à l'est; 11,5 % dans Amoutivé, dont la moitié dans
Byosé, quartier limitrophe à l'ouest de Bassadji et sur le territoire
duquel l'ancêtre fondateur s'était installé.
Si l'on rattache à cette zone de peuplement ancien, les quartiers
récemment urbanisés sur des terrains appartenant aux gens de Bè dans
l'est du plateau de Tokouin (de l'autre côté de la lagune au voisinage
du terrain d'aviation), avec lesquels ont lieu 7 %des échanges, ce
sont donc presque 64 %des échanges qui se localisent au sein d'un
espace fortement socialisé et marqué d'une triple continuité: conti-
nuité historique tissée par un passé commun d'installation dans le site
et d'extension plus récente sur d'anciens terrains de culture; conti-
nuité géographique tissée par les rapports de voisinage; continuité
sociologique tissée par des relations de filiation et d'alliance se
déployant et se recoupant à l'intérieur d'un territoire sans césure.
De ce point de vue, il est significatif que seulement 4,8 % des
échanges mettent en re 1at ion 1e 1i gnage avec l'ensernb 1e des autres
quartiers de Lomé, ce qui confirme l'introversion de Bassadji dans son
espace traditionnel. Par contre les échanges sont plus importants avec
la région sud (17,1%), et le Ghana dans sa partie sud-est (11,5%),
c'est-à-dire avec le reste du pays Ewé de part et d'autre de la
frontière ghanéo-togo1aise, ce qui reflète, à ce niveau, les mouve-
ments de population: immigration des ruraux à Lomé et migrations
pendulaires entre le Togo et le Ghana. Mais, dans tous les cas, les
échanges accompagnent des mouvements qui ont le quartier pour point de
départ ou dlarrivée, et ils restent inscrits à l'intérieur de l'espace
ethnique. Il est à souligner, en effet, qu'aucun mariage inter-ethni-
que n'a été observé, ce qui, bien évidemment, renforce la cohésion des
autochtones vis-à-vis des étrangers, et, à un autre niveau, prouve
qu li1 convient de nuancer fortement l'assertion générale selon laquel-
le la ville favoriserait l'inter-ethnicité des échanges matrimoniaux.
Les quelques cas de filles mariées à l'étranger n'infirment pas cette
proposition: il s'agit en l'occurrence d'épouses ayant suivi ou re-
joint un émigrant originaire du même espace social et ethnique qu'el-
les.
De la sorte, la population autochtone, même si elle est, en valeur
absolue, numériquement minoritaire dans son quartier, y conserve un
statut d'incontestable hégémonie: non seulement, elle y est proprié-
taire du sol et y garde la majorité relative face à la pluralité
ethnique de la population locataire, mais en outre elle continue de se
reproduire en tant que groupe social structuré, apte à préserver sa
domination face à l'émiettement social d'une population locataire
ethniquement diversifiée et socialement atomisée (rappelons que les
ménages locataires sont de taille plus réduite et qu'en plus, ils ne
- 300 -

sont pas localement insérés dans des structures lignagères ou fami-


liales étendues ni dans des réseaux de parenté par alliance) (1).

A l'occasion des cérémonies funéraires, le lignage


et ses alliés réactualisent leur cohésion par de
grands rassemblements: ici, vue partielle du grou-
pe des femmes lors des funérailles à Apeyeme.

(1) On pourra i t se demander à ce propos si l'ethn i e autochtone ne se


constitue pas en lloccurrence, sur la base de la propriété, non des
moyens de production mais des "moyens de résidence", en quasi classe
sociale dominante face à la couche "exploitée" des locataires.
Cette communauté dl intérêt liée à l a propriété productrice d1une rente
foncière et immobil ière serait en ce sens un facteur de
réinterprétation fonctionnelle, partant de renforcement, de la
solidarité ethnique. Dans une telle situation, l'appartenance ethnique
combinerait à la fois un principe de cohésion verticale (pour ses
membres et quelle que soit par ailleurs la diversité de leurs statuts
socio-économiques) et un principe de stratification horizontale
opposant globalement les autochtones comme classe possédante aux
allochtones non propriétaires
- 301 -

IV -' STRUCTIIRES FAMILIALES ET SYSTEMES RESIDENTIELS


1. Incidence de l'enjeu foncier
A plusieurs reprises, on a pu remarquer que le lignage, loin de
se présenter comme un bloc monolithique et homogène, se subdivisait en
fait en sous-unités familiales distinctes. Cette segmentation est
certes la conséquence naturelle de la croissance démographique; en ce
sens, elle n'a rien d'original et relève d'un processus de structura-
t ion-destructurati on-restructurati on permanent, inhérent à la l ogi que
de tout système lignager.
Ce qui, par contre, est spécifique de la situation urbaine, c'est
qu'elle s'accompagne d'une diversification croissante des statuts
socio-économiques des familles et que cette diversification est doré-
navant le produit de stratégies dont les enjeux se situent de plus en
plus hors du champ de la communauté locale: dans le champ de l'écono-
mie et de la société globale urbaines.
Il est en effet frappant que cette évolution prenne forme à
partir du moment où la propriété foncière, communautaire et indivise
dans la période pré-coloniale, avec un mode de production domestique
fondé sur le droit d'usage des parcelles cultivées, se fragmente
progress ivement à mesure que l'urbanisation, conjuguée à l'introduc-
tion du droit occidental, transforme la terre en capital.
Si l'on reconstitue dans ses grandes lignes l'histoire foncière
de Bassadji, on constate en effet qu'elle va de pair avec l'autonomi-
sation croissante des familles et, sans doute, qu'elle la détermine en
partie.
Reprenons dans cette perspective l'examen de la généalogie du
lignage (cf. supra).
Vers le milieu du XIXe siècle, quand l'ancêtre fondateur fait
sécession et s'installe hors d'Apéyémé, il est accueilli par le chef
du village voisin, qui l'autorise à s'installer sur des terres vacan-
tes dans son territoire. A sa mort (vers 1880), ses deux fils héritent
dans l'indivision des droits concédés à leur père. Le fils ainé de-
vient alors chef de famille. Poursuivant la création d'une entité
fam il i al e autonome inaugurée par son père, il accue i 11 e à son tour à
Bassadji le fils d'un frère classificatoire de son père (ancêtre de la
famille 14), un neveu utérin classificatoire (aïeul de la famille 9
bis), et un étranger dont il était devenu l'ami (ancêtre de la famille
15). Cette stratégie d'accueil. de parents éloignés ou d'étrangers,
conjuguée à la pratique de la polygamie, s'inscrit alors dans la
logique d'un système pré-capitaliste, où la richesse et le pouvoir
sont avant tout fonction du nombre des dépendants et où la propriété
du sol est collective. Remarquons d'ailleurs que l'ensemble de ce
processus est compatible avec un régime de la filiation encore
matrilinéaire. En effet, la constitution, par segmentation-sécession,
d'un groupe patrilocal autonome, est de pratique courante dans les
sociétés matrilinéaires; dans ce cas, le chef du nouvel établissement
s'efforce de jouer sur les deux tableaux: de la patrilocalité, en
gardant ses fils auprès de lui, ce qui est facilité par la rupture
avec le matrilignage d'origine, et de la matrilinéarité, en attirant
chez lui des parents utérins
Au début du XXè siècle, cette logique est encore dominante à
Bassadji : Lomé n'est qu'une bourgade du bord de mer, où les Alle-
mands, suivis des commerçants et intermédiaires Mina et Anlo, viennent
tout juste de s'installer, tandis que, dans les villages autochtones
du bord de la lagune, on continue de vivre largement entre soi,
d'agriculture, de pêche et d'exploitation de la cocoteraie. Aussi, à
la mort de l'ancêtre éponyme, les terres du lignage sont-elles héri-
tées dans l'indivision par l'ensemble de ses dépendants, patrili-
néaires (ses cinq fils, le fils unique de son frère cadet), comme
utérins et étrangers assimilés.
Mais, peu à peu, avec le développement de la ville et l'insertion
des villageois dans l'économie capitaliste, la terre devient marchan-
dise et capital, et les règles de son appropriation changent.
Cette évolution est cependant progressive, puisqu'il faut atten-
dre 1945 pour voir la propriété indivise et communautaire du sol
faire l'objet d'une première répartition semi-privative. En effet,
pour éviter toute dissension, -ce qui prouve que la propriété foncière
était devenue un capital et un enjeu de conflits d'intérêts-, le
dernier survivant des fils de l'ancêtre éponyme (le "patriarche" de la
généalogie) procède à une répartition des droits fonciers en sept
parts égales entre les différentes branches du lignage: cinq parts
sont réparties entre les familles de ses quatre frères défunts et la
sienne; une part est attribuée à la branche cadette des descendants du
frè re cadet de l'ancêtre éponyme; une part allant à 1a branche des
descendants du neveu agnat i que que l'ancêtre ava it accue i 11 i. Remar-
quons que cette répartition consacre la définitive prééminence de la
filiation patrilinéaire, puisque chaque lignée agnatique reçoit sa
part du patrimoine foncier, alors que les 1ignées utérines et étran-
gères, sans être exclues du partage, font l'objet d'un arrangement qui
marque bien leur statut second: les parcelles qu'elles occupent au
moment du partage, leur sont rétrocédées, sur leur part d'héritage,
par leurs nouveaux détenteurs en titre; il semble bien d'ailleurs que
ceux-ci n'y aient pas consenti sans réticence, puisqu'il y a fallu
toute l'autorité du patriarche, soucieux de faire respecter les déci-
sions de l'ancêtre.
Cet arrangement, fruit d'une sorte de compromis entre l'ancienne
logique pré-capitaliste d'accumulation de dépendants et la nouvelle
logique d'accumulation du capital, fut effectivement contesté par la
suite, à la génération suivante. En 1974, des fils (famille 4) contes-
ten.t la rétrocession, consentie en 1945 par leur père sur sa part
d'héritage, d'un lot attribué à la branche des étrangers assimil~s
(famille 15). L'affaire est portée devant le patriarche et un nouvel
arrangement est conclu: une part du lot est restituée aux demandeurs,
l'autre part, signe des temps, fait l'objet d'un contrat écrit, établi
devant témoins, et reconnaissant définitivement la propriété de la
branche étrangère.
Un autre cas de conflit, latent jusqu'à ce jour, n'a pas été
réglé. Il concerne une parcelle où résident actuellement les descen-
dants du neveu utérin accueilli par l'ancêtre (famille 9'), mais dont
un des fils du patriarche (famille 9) est propriétaire en titre. Or ce
dernier a émigré depuis plusieurs années, sans plus donner signe de
vie. En· son absence, sa soeur, qui a fait bâtir sa propre maison dans
la concession, en revendique au nom de son f~re la pleine propriété,
tandis que les utérins en voudraient leur part, mais connaissent la
précarité de leur situation, d'autant plus que le décès du patriarche
a fait disparaitre l'ultime garant des anciennes traditions. Signe
extérieur de cette situation, les utérins ne construisent plus, se
contentant de deux maisons, dont l'une datant d'avant 1914, a conservé
ses murs en banco, et l'autre, de 1950, est en briques séchées, tandis
que la soeur du propriétaire, par contre, s'est fait construire en
1960 une maison en parpaings de ciment.
Un autre exemple enfin, montre a contrario que les entorses à la
règle agnatique ne pouvaient se justifier qu'au nom de situations
antérieures à son établissement. Aujourd'hui, le fils d'un cousin
utérin que le patriarche avait autorisé à s'installer dans sa conces-
sion vers 1947 (famille 6'), reconnait qu'à la mort de son père il a
hérité d'un simple droit d'habiter. D'ailleurs, lui-même n'a volontai-
rement investi que le minimum dans la maison qu'il y a fait construire
en 1957 : elle est de petite taille et les murs sont en planches
clouées sur poteaux de bois, le tout, main d'oeuvre comprise, n'ayant
couté que 65 000 F.CFA (=1300 FF). Depuis, il n'y a apporté aucune
amélioration; par contre, il a acheté deux terrains dans d'autres
quartiers de la ville, et, sur l'un deux, il fait construire en dur
pour s'y installer un jour.
Cette répartition des droits fonciers entre les différentes
1ignées n'avait en fait constitué qu'une étape vers l'établissement de
l'appropriation privée par les chefs de fami11e.La dernière manifesta-
tion d'un transfert d'une branche à l'autre intervient à l'occasion
d'une conjoncture idéologique exceptionnelle: vers 1964, l'une des
filles du patriarche est accablée de malheurs (mévente dans son
commerce, maladie grave), que les devins interp~tent comme un signe
de la volonté du vodu de l'ancêtre éponyme de s'installer chez elle.
A cette fin, elle obtient de l'un de ses cousins agnatiques (a"ieu1 de
1a fa mil1 e 11 ) qu'il 1ui ré t r 0 cè de l 'une des par ce11 es qu'il ava i t
reçues lors du partage de 1945; sur cette parcelle, quittant le domi-
cile de son mari dans le quartier voisin, elle vient installer sa
propre maison et aménager un enclos fermé consacré au vodu de l'an-
cêtre. La cession est faite par le donateur en présence de ses fils,
de manière à ce qu'ils ne puissent pas, par la suite, en contester le
bi en fondé.
Mais, à cette exception près, l'héritage se fait dorénavant à
l'intérieur de chaque famille patriarcale, les terres du chef de
famille étant partagées entre ses enfants. Pour éviter toute dispute
entre eux, le chef de famille procède souvent à un partage de son
vivant. Ainsi, en 1974, le patriarche, qui avait réparti les droits
entre les différentes lignées en 1945, scelle l'ultime étape vers
l'établissement de la propriété privée individuelle, en procédant,
- 304 -

avec .l'ai de d'un géomètre, à un partage entre tous ses enfants. Der-
nière concession à l'ancien droit utérin, ses filles reçoivent leur
part, mais en dehors du quartier: il leur donne à chacune des champs
de culture qu'il possédait à Hedzranawoe, dans Tokoin-nord, quartier
actuellement en cours d'urbanisation. De même, à la mort de l'ancêtre
de la famille 13, ses filles avaient reçu en part d'héritage des
champs à Tokoin, qu'elles ont vendus par la suite; par contre, son
fils unique (d'où son nom, Didonu, Ille seul espoir ll ) avait hérité de
l'ensemble des parcelles échues en partage à sa lignée dans le quar-
tier. Notons à cet égard que ce qui constituait un désavantage en
situation pré-capitaliste, - une descendance réduite -, a représenté
un atout dans la nouvell e s ituat ion: cet homme s'est retrouvé à la
tête d'un patrimoine foncier important: outre la grande concession
familiale, il a pu construire quatre parcelles voisines en conces-
sions à usage exclusivement locatif, et en mettre d'autres en valeur
dans le quartier deJokoin-St Joseph. Il a été également le premier
dans le quartier, à faire établir des titres de propriété sur ses
parcelles.
Utilisant ses compétences et ses relations de chef-maçon aux
Travaux Publics, il avait donc mené une politique systématique
" d'i nvesti ssement fonci er et "j mmobil i er, qui lui permettait d'assurer
la promotion de sa nombreuse famille (cf. sUPia). Aujourd'hui, par
contre, toutes les parcelles ont été partag es entre ses fils, à
l'exception toutefois de la concession familiale de Bassadji, laquelle
est sous la garde de son fils aîné, qui d'ailleurs n'y réside pas,
mais reste propriété collective de la famille.
Cette solution est fréquemment adoptée dans le quartier (elle est
d'ailleurs fréquemment attestée à Lomé en général) : elle représente
en effet une sorte de compromis syncrétique entre la propriété collec-
tive coutumière, support de la famille étendue (patriarcale ou adel-
phique), et la propriété privée de type occidental, qui consacre
l'autonomie croissante des segments de la famille étendue. Elle per-
met, en outre, de préserver le droit d'habiter des membres de la
famille désormais exclus de l'héritage: veuve (s) du défunt; filles
mariées restées dans la concession; neveux utérins; éventuellement
parent par a11 i ance ou am i hébergé de longue date. Ai ns i, tand i s que
les fils se dispersent sur les parcelles dont ils héritent, dans le
quartier mais aussi hors du quartier, ce qu'on appelle 1I1 a grande
maison familiale~ continue de représenter symboliquement l'unité de la
famille étendue; mieux, elle reste le lieu de ses rassemblements
épisodiques: elle abrite les autels des vodu paternels et maternels,
auxquels il convient parfois de venir sacrifier; elle est aussi, et
surtout, au centre des temps forts de la vie sociale: c'est dans la
II grande maison que les funérailles sont célébrées. A cette occasion,
ll

tous les membres de la famille étendue (y compris ceux qui sont


émigrés, du moins dans le pays ou dans les pays voisins) se retrouvent
pour accueillir, au cours de cérémonies qui peuvent se dérouler sur
plusieurs jours et en plusieurs temps, les autres familles de la
parentèle, les divers alliés, les notables du quartier et les amis.
Plus banalement, la II grande maison ll peut également servir de lieu de
- 305 -

résidence plus ou moins temporaire pour un parent émigré de passage à


Lomé, pour un membre de la famille venu régler dans le quartier quel-
que affaire familiale, encaisser des loyers, ou accomplir une démarche
rituelle, pour un lycéen qui s'y trouve plus proche de son lycée, pour
une soeur en rupture de banc conjugal, •••
Lieu de grands rassemblements collectifs épisodiques mais récur-
rents, lieu de résidence permanente d'une fraction de la famille, lieu
de passage et de rencontre pour les autres membres, la "grande maison"
continue donc, par ses fonctions religieuses et symboliques surtout,
mais aussi par ses fonctions pratiques, d'exprimer concrètement l'uni-
té historique, idéologique,~et sociologique, de la grande famille
étendue, l'insertion de celle-ci dans le réseau plus vaste de la
parenté lignagère et de la parenté par alliance, et son appartenance
maintenue à la communauté locale du quartier.
Certes, on se trouve là en présence d'une permanence fonctionnel-
le. Mais elle est d'autant plus apparente, aujourd'hui, (et sans doute
d'autant plus explicitement valorisée), qu'elle constitue une force
centripète articulée à une évolution centrifuge qui va en s'accen-
tuant. La privatisation de la propriété foncière entraine en effet son
morcellement, et, par suite, l'essaimage des unités résidentielles.
Dans un premier temps, celui-ci est très relatif, puisque les
différentes concessions des familles étendues sont construites sur des
parcelles contiguës, ou du moins très voisines. L'examen conjugué de
la généalogie du lignage et du plan du quartier (cf. infra) montre
que, jusqu'à la troisième génération, et même, à de rares exceptions
près,jusqu'à la quatrième génération descendante par rapport à
l'ancêtre fondateur, le morcellement progressif de la propriété a joué
à l'intérieur d'un espace quasi continu (si ce n'est l'interposition
des concessions locatives), si bien que, jusqu'à présent, l'ensemble
des concessions habitées par les différentes familles du lignage ont
formé ce qu'on pourrait qualifier comme un slstème résidentiel contigu
: comme dans le modèle villageois, les diff rentes unités d1habitat se
créent par segmentation à partir de cellules-mères dans un rapport de
contiguïté à la fois spatiale et sociale.
Mais dorénavant, les possibilités d'essaimage dans le quartier
sont bloquées, du fait que toutes les parcelles y sont construites et
occupées par leurs propriétaires ou par les locataires. Aussi, la
stratégie d'accumulation du capital foncier menée par les chefs de
famille les a-t-elle conduit à construire sur les anciens terrains de
culture de la zone de Tokoin, ainsi qu'à acheter des terrains, partout
où des opportunités se sont offertes à eux, soit pour les louer, soit
pour que leurs enfants puissent plus tard s'y installer (1). Il y a là
un double facteur de dispersion: d'une part, les chefs de famille
agissent maintenant pour le compte de leurs seuls enfants (plus préci-
semment, de leurs fils); d'autre part ils investissent hors de l'es-
pace social traditionnel, dans les autres quartiers de la ville.

(1) Remarquons que cette stratégie avait été préfigurée par les achats
de terrains dans la zone de Tokouin, alors encore à peine urbanisée,
et plus au nord, sur l'axe Lomé-Agouenivé, qu'avait effectués lei
patriarche de la troisième génération. Mais il ne s'agissait en l'oc-
curence que de terrains destinés à la culture vivrière, dans le
contexte d'une économie mixte (rurale en voie d'urbanisation). Hérités
par ses descendants, ces terrains sont désormais construits.
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BASSADJI TERRAIN D'ENQUETE
- 308 -

Ainsi le chef de la famille 6 a acheté quatre parcelles de même


superficie pour ses cinq fils qui sont encore écoliers: deux sont
situées à Tokoin, une à Adakpamé, quartier d'extension récente à
l'extrème est de Tokoi n, l a quatrième à Akodessewa,excroi ssance nou-
velle de la ville, aux abords de la zone industrielle. Trois de ces
parcelles sont déjà construites. Dans le même temps, il caresse un
projet plus ambitieux: celui de construire une maison de rapport de
deux ou trois étages, dans un angle vacant de la concession familiale.
Exemple encore rare, mais qui illustre bien la stratégie de certains
chefs de famille modernistes: prendre le maximum de gages sur l'ave-
nir en achetant des terrains un peu partout, ce qui est aussi une
manière de "ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier", dans
l'éventualité de déguerpissements toujours possibles, contre lesquels
on cherche aussi à se protéger en sacrifiant aux formalités coûteuses
dlacquisition dlun titre foncier individuel (deux cas récents font
peur à tous, la démolition au bull-dozer du Zongo en 1977 et d'une
partie d'Akodessewa en 1983) (1); en même temps, continuer de
construire, quand c'est possible, sur le quartier, éventuellement en
commençant à envisager la montée des bâtiments en hauteur, dans le but
d'y loger ses enfants, mais aussi et surtout de profiter du caractère
attractif du quatier, tout proche du centre ville, pour y louer à des
taux plus avantageux que ceux des périphéries.
De même, le chef de la famille 10, constate qulil nia plus de
. place dans sa concession pour y faire d'autres bâtiments pour ses
enfants, mais il ajoute qu'il possède pour eux deux autres terrains,
dans deux quartiers différents de Tokoin : sur l'un, qulil a hérité de
son père, il a construit des "une-pièce (habitat de type wagon, à
usage locatif) qu'il compte agrandir; quant à l'autre, qu'il a acheté,
il laissera ses enfants le construire. Lui aussi siest procuré un
titre foncier pour la concession familiale, afin de se prémunir contre
toute éventualité.
Un troisième exemple illustre également ce souci permanent
qu'ont ceux des chefs de famille qui se sont engagés dans un processus
délibéré de mobilité sociale ascendante, d'assurer l'avenir de leurs
fils, éventuellement contre les prétentions de leurs cousins utérins:
le chef de la famille 7 déclare avoir entamé les démarches pour se
procurer le titre foncier de sa concession, "pour éviter les diffé-

(1)- Que cette crainte soit réelle, les inquiétudes, souvent les
réticences que provoque l'enql:lête, le prouvent à chaque contact. Le
prouve également le souci nouveau que manifestent certains de faire
légaliser leur propriété par un titre foncier. Peu l'ont fait encore,
car cela revient fort cher en salaire du géomètre et redevances.
Pourtant le même chef de famille a dépensé 75 000 CFA (l 500 FF) en
1975 pour faire immatriculer sa concession de Bassadji. "De cette
manière, a-t-il expliqué, je mlassure contre une éventuelle expropria-
tion par les pouvoirs publics; avec mon titre foncier, j'espère qu'on
me rembourserait le prix du terrain et des constructions".
- 309 -

rends entre mes fils et leurs cousins". Il a également l'intention de


partager de son vivant entre ses fils, dès qu'ils seront adultes, les
trois parcelles qu'il possède dans Tokoin, et il compte leur en ache-
ter d'autres dès qu'il en aura l es moyens.

2. Du lignage à la famille élargie


Ainsi les stratégies d'accumulation du capital foncier, désormais
poursuivies individuellement par chaque chef de famille, et surtout
par ceux qui, étant intégrés dans le secteur moderne, disposent de
revenus plus élevés, auront-elles pour effet prochain d'engendrer
l'éclatement d'un système résidentiel jusqu'ici contigu: une partie
des fils se trouvera en effet dispersée, chacun sur sa parcelle, hors
de Bassadji, dans différents quartiers (de Tokoin, surtout).
Apparemment l'évolution est donc la suivante: jusqu'à la
quatrième génération descendante, le lignage se déploie à l'intérieur
d'un espace continu; à partir de la troisième génération, il se
segmente certes en familles étendues patriarcales, dont l'autonomie va
croissant, notamment au plan socio-économique et foncier, mais ces
familles, résidant dans des concessions mitoyennes ou très voisines,
constituent un système résidentiel contigu, fortement intégré, qui
manifeste, à ce niveau, l'unité du groupe lignager. En dépit de l'ur-
banisation du quartier et de la citadinisation de ses habitants,
l'organisation sociale et spatiale est donc demeurée de type villa-
geois. Comme on l'a précédemment noté, l'introversion du quartier aux
plans sociologique, matrimonial, religieux, et, pour une part encore
prépondérante, économique, joue dans le même sens. Seule une minorité
des hommes tavaillent en dehors du quartier, et une minorité encore
plus faible en a émigré pour des activités qui les conduisent hors de
Lomé. Cependant, dès la troisième génération, l'acquisition de parcel-
les dans les nouvelles zones d'urbanisation provoque des départs d'un
nouveau type: à partir de la quatrième génération, certains commen-
cent à s'installer de manière permanente dans d'autres quartiers de la
ville, processus qui s'amplifiera à mesure que d'autres membres de
cette génération, et ceux de la suivante, arriveront à l'âge adulte
(l'un des premiers exemples en est fourni par le jeune chef de la
famille 13, qui réside à Tokoin, sur l'une des parcelles héritées de
son père). Les familles étendues tendraient ainsi à se segmenter à
leur tour en familles élémentaires, simples (un homme, son épouse,
leurs enfants), ou composées (un homme, ses épouses, leurs enfants),
ce q'ui est ce'rtes un processus normal dans tout système li gnager (le
lignage étant composé de plusieurs familles étendues, elles-mêmes
composées de plusieurs familles élémentaires), mais, phénomène cette
fois inédit, les familles élémentaires constitueraient dès lors des
entités résidentielles de plus en plus autonomes et disjointes les
unes des autres.
L'évolution irait donc (du moins pour les catégories les mieux
intégrées dans l'économie urbaine) dans le sens d'une destructuration
du système lignager et de la famille étendue, au profit de l'émergence
de familles élémentaires, proches du modèle conjugal de type occiden-
tal, ainsi que du développement d'un habitat de type monofamilial.
- 310 -

Cette hypothèse, qui vérifierait la théorie parsonienne, a pour


elle toutes les apparences de la logique. Pourtant elle ne résiste pas
à l'examen des faits.
Remarquons d'abord que ces familles élémentaires, ainsi séparées
du quartier et disjointes les unes des autres, ne le sont qu'en termes
relatifs: entre les unes et les autres, entre elles et le quartier,
les distances restent modestes, et les va et vient sont quotidienne-
ment possibles, qui permettent des flux réguliers de personnes, ainsi
que des hébergements réciproques. De la sorte, même si telle ou telle
unité d'habitation est la seule propriété privée de celui qui y
réside en permanence avec sa famille élémentaire, il est exceptionnel
qu'ils en soient les seuls usagers: des membres de la famille étendue
ou de 1a parenté par a11 i ance peuvent y rés i der éga 1ement, certains
temporairement, d'autres en permanence, de même que des locataires.
Entre la famille étendue, rassemblée au sein d'un système résidentiel
contigu constitué de concessions mitoyennes ou voisines, et la famille
élémentaire refermée sur elle-même dans l'espace clos du logement
mono-familial, la réalité loméenne impose donc une figure de compromis
très souple : ~ famille élargie, ensemble composé d'une famille
élémentaire en position centrale, celle du chef de la concession, à
laquelle s'agrègent d'autres éléments de la parentèle, individus ou
autres familles élémentaires.
Quand on considère, en effet, les résultats du processus de
segmentati on du 1i gnage et des fami 11 es étendues sur 1a structure
familiale telle qu'on peut l'observer dans le quartier, on constate
que celui-ci n'aboutit qu'exceptionnellement à la création de la
famille élémentaire isolée dans son logement. A cet égard, le tableau
] (cf. infra) est tout à fait éloquent. Sur les 14 concessions du
lignage, une seule, -la n02-, correspond au modèle occidental: elle
abrite un homme, chauffeur dans l'administration, son épouse, reven-
deuse au Grand Marché, et leurs trois enfants. Et encore faut-il
émettre une réserve sur la valeur de cette exception: le couple a
encore deux filles qui résident chez leur grand-mère maternelle dans
le quartier voisin de Byosé, où elles sont plus proches de leur école,
mais où elles ont également pour tâche d'aider la grand-mère. On a
donc affaire en l'occurence à un système résidentiel constitué de deux
unités, entre lesquelles les va et vient, dans un sens ou dans
l'autre, sont fréquents. Il faut toujours prendre garde, en effet, que
les transferts de résidence à l'intérieur du système sont réciproques
: par conséquent, la structure familiale correspondant à une unité de
résidence donnée, est soumise à des remaniements récurrents, si bien
que tel exemple d'analogie avec la famille conjugale de type européen
n'est le plus souvent que le produit d'une coïncidence temporaire,
liée à des conjonctures particulières et changeantes.
La concession nO] offre un exemple de même genre. Certes, elles
est occupée par une famille élémentaire qui valorise, dans une cer-
taine mesure, le modèle occidental: l'homme, chef de chantier dans le
bâtiment, est marié à une infirmière, n'a pas l'intention de prendre
une seconde épouse, et préfère ne pas avoir trop d'enfants (i 1s sont
quatre), de manière à pouvoir assurer leur avenir. Pourtant, il héber-
ge deux nièces utérines de son épouse, dont l'une fait office de
servante, ainsi qu'un adolescent qui est son apprenti.
- 311 -
Tableau nO 7 La structure familiale - 14 concessions
des - ~ lignage

! ! !
!con-! Parents résidant dans la concession ! l ocata ires total
!ces-! ! concession
!sion' !
! N° !
! , 1
! !
Descriptif catégo- eff. nbre eff. !nbre Jeff. nbre
ries ména- !ména ! ména '
ges !ges !
! ,
ges

1 1 f ami 11 e él ém • 3 agn. 5 , 2
!
11 ! 6 16 8
(=CF+ 1 ép.+1 fils) 1 épouse !
1 famille matricent 1 neveu! !
soeur div.+ pt fils ,
utérin ! !
!
!
2 1 famille élém. !4 agn. 5 1 a ! a 5 1
(=CF+1ép.+3enf.) !lépouse
!
! ,
!
3 1 homme célibataire!l a}nat 1 1 18 4 19 5
(+son père épisodiq!(+l !
-- ! !
! !
4 1 famille élém. 13 agn. ! 5 2 la 4 15 6
(CF + 1ép.+ 2enf.) 1épouse!
1 ami du CF, célib. 1 ami ! ,
5 '1 f ami 11 e él ém . 12 agn. 14 5 15 6 29 11
(=CF+1ép.+5 enf.) 2ép.
1 f ami 11 e él ém .
(=Fils du CF+1ép.+
2 enf.)
3 fils du CF célib.

6 1familleélém.cposée 17 agn. 33 5 5 3 38 8 r
(CF+2ép.+12enf+l11ère 2épouse
CF) 1 mère
1famille matricentr 13utér.
(=lsoeurdu Cf+2enf)
1famillematricentr
(=lsoeur du CF+ccub
de son fils+fils de!
celle-ci) !
1famille matricentr!
(=lcousine croisée!
patri.du CF+son fils
+lép.+2enf.) !
- 312 -
!1 f am i 11 e él ém . !
!(=lcous.crois.patri l
!du CF + 1ép.+ ses 2
!pt neveux utérins)
!2 nièces agnat.duCF
!
!
7 !1 f am i 11 e él ém • 5agn. 9 1 a a 9 1
!(=CF+1ép.+4enf. 1épouse
!2 nièces ut.del'ép. 2alliés
!+ 1apprenti CF 1étr.
!
8 1 famille matricent 1agnat 5 1 8 4 13 5
(= 1femme+4enf.) 4utér.

9 1famille matricentr 1agnat ! 17 5 a a 17 5


. (=soeur du CFabst. 16 utér l
+ 3enf.)
lfanr111 e él ém.cposé
(=lneveu+2ép.+2enf.
1famille matricentr
(=lnièce ut.+5enf.)
2horrmes célib. !
!
!
la 1famille élém.cposé
(=CF+4ép.+5enf+mère
6agn.
4ép.
13 3 a a 13 3 ..
1

du Cf veuve) 1 mère
1famille matricentr 1alliée
(=lép.decous.ut.du 1utérin
CF + son fils)
!
12 1famille élém.cposé!2agn. 9 2 28 18 37 20
(=CF + 2ép.) 2ép.
1famille matricentr 5nev.ut
(=fille du CF+5enf)

13 1famille matricentr 20agn. 38 8 14 12 52 20


(=veuve père du CF 10alliés
+ 3enf.) 8utér.
1famille matricentr
(veuve père du CF+
6enf. )
1famille matricentr
(ptnièce ut. père du
CF + son fils+2pts
!frères)
!lfamille matricentr
!(=soeur CF+2enf.)
!lfamille matricentr
!(soeur CF+2enf.+2pt
- 313 -
soeurs + 1pt frère)!
2frères celib du CF!
+2 ptes soeurs + 1 !
pt frère 1
1famille élm.cposée!
(=lnièce ut.veuve !
père du CF+son mari!
+1 co-ép. +5enf. ) 1

14 1f ami 11 e é1ém • 4agn. 7 2 0 0 7 2


(=CF+1ép.+2enf.) 1épouse
1famille matricentr 2utér.
(=soeur du CF+2enf

15 CF célib.+1pt soeur 4agn. 4 2 4 2 8 4


+ 1pt frère
Soeur du CF mariée

toto 13familles élél11. 83agn. 165 40 113 59 278 99


15familles matricen!50utér.
12 ménages de célib115épous
!l3a 11 i és
!4diversl
1 !
! !
moy. 1f am i 11 e é1ém • 1 agn. 50%1 12 3 8 4 20 7
1famille matricentr utér.30!
1 célibataire ép. 10%!
div.10%!
!
!
!

Quant à la concession n03, habitée par le fils unique, céliba-


taire, du propriétaire, (lequel réside habituellement au Ghana), elle
abrite également quatre ménages de locataires, dont trois sont des
Mina d'Aného, et l'autre des Ewé de Notsé, avec lesquels le fils du
propriétaire a des rapports quotidiens qu'implique le partage de
l'espace commun de 1a cour et que facil ite l'appartenance à 1a même
culture. On est donc loin, dans ce cas, d'une quelconque réplique d'un
sch~ma à l'occidentale. Même constation pour la concession n° 4: la
famille élémentaire du propriétaire la partage avec un ami qu'il
héberge, ainsi qu'avec quatre couples de locataires.
- 314 -

Examinons enfin une dernière exception apparente, celle de la


concession n° 8, habitée par une femme, commerçante au Grand Marché,
et ses quatre enfants (dont un fils lycéen et une fille qui travaille
avec sa mère), pour signaler aussitôt qu'elle est en réalité incluse
dans un système résidentiel et familial plus vaste: cette femme est
mariée à un bijoutier, qui a sa concession dans le quartier contigu
d'Apéyémé, et vient régulièrement rendre visite à son épouse à Bassad-
ji (celle-ci a dû faire sa propre concession à Bassadji sur les
injonctions du vodu de l'ancêtre du lignage; ce vodu lui interdit
également de passer la nuit chez son mari); en outre, elle a trois
autres enfants, qui sont hébergés chez sa soeur ainée classificatoire
à Tokoin. La famille est donc répartie entre trois unités résidentiel-
les, entre lesquelles les allées et venues sont continuelles et les
transferts toujours possibles. Enfin signalons que la concession
abrite également, dans une cour autonomisée mais communicante, quatre
ménages de locataires.
Quant à l'ensemble des autres concessions, toutes abritent plu-
sieurs ménages apparentés (ménages étant pris ici dans son acception
statistique: comme unité minimale autonome de gestion du budget et de
consommation), l'écart de l'échantillon étant de 2 à 8. Ces ménages
forment donc ce que nous avons proposé d'appeler des familles élar-
gies. En outre, celles-ci coexistent souvent avec plusieurs ménages de
locataires (entre 2 et 18, pour l'échantillon), lesquels sont de
taille beaucoup plus faible (1.9 en moyenne) en raison de la présence
de nombreux célibataires, et ne sont jamais constitués en familles
élargies (facteur qui, rappelons le, conjugué à son hétérogénéité
ethnique, fait de la population locataire un ensemble relativement
atomisé par rapport à la population autochtone).
En moyenne, une concession type abrite donc une vingtaine d'occu-
pants, répartis en 7 ménages, dont 12 autochtones en 3 ménages
apparentés, et 8 locataires en 4 ménages non apparentés. Bien entendu,
cette moyenne masque des écarts importants entre les différentes
concessions, écarts qu'il convient de rapporter au fait, souligné à
plusieurs reprises, de l'autonomie grandissante, du point de vue des
stratégies socio-économiques et foncières, de chaque famille élargie.
Si l'on considère maintenant la structure interne de la famille
élargie, on constate que le modèle le plus courant est le suivant:
l'élément central et dominant en est constitué par la famille élémen-
taire, simple dans les cas de monogamie, composée dans les cas de
polygamie (1) du propriétaire de la concession; à cet élément central,
vient s'accrocher le plus souvent une famille matri-centique, composée
(1) Jusqu'à la quatrième génération descendante, le modèle matrimonial
est la polygamie. Mais celle-ci est en partie successive, du fait de
l'instabilité croissante du lien conjugal: en milieu urbain, les
maris ont tendance à laisser à l'épouse le soin de l'entretien quoti-
dien de leurs enfants, si bien que celle-ci, par ses activités commer-
ciales, se trouve à la tête d'une cellule matri-centrique largement
autonome, dont il lui est souvent difficile d'assumer la charge finan-
cière. D10ù des rapports parfois tendus entre les conjoints; d'où des
divorces ou des séparations fréquentes, quelquefois justifiés, du
point de vue du mari, par des accusations d'infidélité ou de pratiques
prostitutionnelles ou encore de sorcellerie, lancées contre l'épouse
(celle-ci de son coté invoquant l'avarice ou même la désaffection
complète du mari pour elle et ses enfants).
- 315 -

d'une femme et ses enfants, plus parfois, un petit fils, ou un frère


ou une soeur cadette; en outre, un ou plusieurs adultes célibataires
(frères, soeurs, fils, neveux utérins, nièces agnatiques, ami héber-
gé), dont il est à noter, d'ailleurs, que certains peuvent avoir une
relation de concubinage à l'extérieur et, quelquefois, dans le cas des
hommes, un enfant qui vit chez la mère, constituent autant de ménages
économiquement autonomes, mais socialement dépendant du chef de famil-
le. Dans d'autres cas, à la famille élémentaire du propriétaire de la
concession se rattache une autre famille élémentaire d'un parent
masculin (fils, neveu utérin, cousin croisé patrilatéral, mari d'une
nièce utérine, pour ce qui concerne l'échantillon).
La proportion de ces trois catégories est la suivante: sur un
total de 40 ménages, il y a 13 familles élémentaires, 15 familles
matri-centriques, et 12 célibataires autonomes. La famille élargie
type serait donc composée de la famille élémentaire du propriétaire de
la concession, pl us d'une fami 11 e matri -centri que et d'un cél i batai re,
l'une et l'autre de la parenté du chef de famille.
On ne manquera pas d'être frappé par la proportion de ces deux
catégories. Elle relève de la même explication: le nombre relative-
ment él evé d'adul tes cél; bata ires tient surtout à l a répugnance des
jeunes gens (sur les 12 célibataires, ils sont 8) vis-à-vis d'un
engagement matrimonial et parental souvent estimé prématuré par rap-
port aux dépenses auxquelles il engage, dans un contexte de crise
économique larvée, marquée par la hausse du coût de la vie et la
difficulté grandissante à trouver un emploi rémunéré. Aussi préfère-t-
on la solution du concubinage plus ou moins durable, ce qui présente
l'avantage, du point de vue masculin, de laisser l'enfant éventuel à
la charge de la mère et de la famille de celle-ci(1).
Un principe analogue rend compte de la fréquence remarquable des
familles matri-centriques. Sur les 15 de l'échantillon, quatre seule-
ment sont issues de la disparition du mari (un divorce, trois veu-
vages). Toutes les autres sont le fait de la résidence séparée des
conjoints. Dans beaucoup de cas, ceci est simplement dû au fait que
l'épouse nia pas rejoint le domicile du mari, préférant vivre dans sa
parentèle; dans certains cas, l'épouse est revenue résider dans sa
famille d'origine, par suite d'une mésentente avec son mari ou sa co-
épouse. La résidence séparée est donc le plus souvent liée à la poly-
gamie : elle entérine l'indépendance croissante de chaque cellule
matri-centrique au sein de la famille élémentaire composée, dans un
contexte où la précarité des revenus conduit le chef de famille poly-
game à se décharger sur ses épouses (surtout sur"celle qui n'a pas sa
préférence) du coût de l'élevage des enfants. Au nom de la tradition

(1) Remarquons que cette "solution" ne rencontre guère de


désapprobation. Elle s'enracine en effet dans le patr-imoine culturel
traditionnel: en dépit de la prééminence du droit agnatique imposé
par la modernité, la tradition de l'ancien droit matrilinéaire
continue d'inspirer le bon accueil réservé par le chef de famille à
ses utérins (enfants de soeurs ou de filles).
- 316 -

matrilinéaire, toujours vivace en ce domaine des relations de parenté


affect ive s, l a mère r est ée veuve, las 0 eur C7 cas sur 15), l a f ill e,
la nièce utérine, la cousine croisée patrilatérale, trouveront souvent
meilleur accueil et plus d'aide chez le fils, le frère, le père,
l'oncle maternel ou son fils, que dans la famille de leur mari, où
elles ont statut d'étrangères.
Ainsi, il apparait que la famille élargie s'élargit surtout
(quoique non exclusivement) en ligne utérine. Le décompte des
différentes catégories de parenté par rapport au chef de famille
montre effectivement que les utérins viennent au second rang derrière
les agnats: ils constituent 30% de l'effectif, les agnats en
représentant 50%, le reste (20%) étant surtout constitué de parents
par a11 i ance, épouses et parents de l'épouse, plus quelques étrangers
(ami, servante, apprenti). Si ce phénomène est en l'occurrence facili-
té par l'ancienne tradition matrilinéaire, il n'en reste pas moins
qu'il est caractéristique de la situation urbaine contemporaine.
Il a d'ailleurs été observé dans d'autres contextes urbains,
notamment en Afrique du sud, chez les Xhosa d'East-London, qui sont
pourtant de tradition patrilinéaire (1)", ainsi qu'en Amérique Latine,
où on a pu le considérer comme un trait caractéristique de "la culture
de pauvreté" des vi 11 es du Ti ers Monde (2).
Mais, la situation loméenne est plus proche de l'exemple sud-
africain que de l'exemple sud-américain, dans la mesure où les famil-
les matri-centriques, d'une part sont déjà pré-figurées par la cellule
matri-centrique des familles polygamiques, à l'intérieur desquelles
elles forment le noeud le plus serré de relations affectives
quotidiennes (alors qu'entre le père et ses enfants, les relations
sont généralement beaucoup plus distantes), et d'autre part, ne sont
pas réduites à elles-mêmes, puiqu'elles s'insèrent dans la famille
élargie où elles restent dans la dépendance d'un pouvoir masculin,
appuyé sur la propriété foncière.
La preuve a contrario de ce phénomène est fournie par le fait que
la seule famille étendue de l'échantillon (la n° 5) est composée de la
famille élémentaire du père et de la famille élémentaire de l'un de
ses fils, plus de trois autres fils célibataires. Et encore convient-
il de noter que les quatre fils habitent une sous-concession (définie
par sa propr€ cour intérieure communiquant avec celle du père, mais
séparée d'elle par des logements qui lui tournent le dos) à l'inté-
rieur de la grande concession familiale. Il faut savoir en outre
qu'en l'occurrence, le chef de famille, personnalité f~ntasque et
volontiers originale, a manifestement des relations ambiguës avec ses
fils, et qu'il n'a pas cherché à acheter des terrains pour eux. Comme
on l'a souligné, la tendance dominante est au contraire à la course à
la propriété foncière dans le souci de spéculer sur le phénomène
(1) cf. B.A.Paw, The second generation, Cap Town, Oxford U.P., 1973.
Paw l'explique essentiellement par le fait que le mari, condamné par
les conditions de l'emploi à des activités intermittentes et peu
payées, abandonne à l'épouse l a charge des enfants, et que ce 11 e-ci,
de son côté, contrairement à la situation qui prévaut en milieu rural,
contrainte de se débrouiller seule, découvre qu'elle peut se passer du
mari, lequel devient de ce fait de plus en plus "dispensable" (de
moins en moins indispensable).
(2) cf. D.Lewis, Les enfants de Sanchez, Paris, Gallimard, 1967, et
La vida, Paris, Gallimard, 196"'9:'"
- 317 -

l 0 catif, mai s au s s id' as sur er' à ses fil s l a po sses s ion de parce 11 es
urba i nes, partout où lion peut en acquéri r, si bi en que les lignées
patrilinéaires tendent aujourd'hui à se disperser en différentes uni-
tés résidentielles disséminées dans la ville, notamment dans la zone
de Tokoin. Mais soulignons à nouveau que cette dispersion ne préfigure
nullement llavènement de la famille conjugale isolée: les fils, à
leur tour, en accueillant ou en gardant chez eux certaines de leurs
soeurs ou de leurs filles, reconstituent autour de leur propre famille
élémentaire, une nouvelle famille élargie.
Bien entendu, l'ensemble de ces processus, et le fontionnement
des structures qu'ils supposent et impliquent à la fois, manifestent
en même temps la très grande capacité de celles-ci à perdurer tout en
s'adaptant. En effet, le vaste réseau que constitue l'entrecroi sement
de la parenté patrilinéaire, de la parenté utér"ine et de la parenté
par all i ance, n'est pas, contrairement à ce que pourraient donner à
croire les apparences de la logique déductive, remis en question par
une évolution qui semble conduire irréversiblement du lignage à la
famille étendue, de celle-ci à la famille élargie, et de cette der-
nière à la famille élémentaire.
Si la famille élémentaire, en effet, n'est qu'un moment vers la
reconstitution d'une nouvelle famille élargie, par l'adjonction de
segments agnatiques, utérins, ou alliés, c'est que, de proche en
proche, l'ensemble du réseau de parenté cont i nue d' intégrer ses él é-
ments, même quand ceux-ci se dispersent à travers l'espace urbain, et,
par suite, s'entreti ent lui -même d'entreten i r un flux perm anent de
personnes entr'eux. Le maintien, à travers leur distension inévitable,
des systèmes résidentiels, n'est, en ce sens, que l'expression maté-
rielle du maintien des liens de la parenté étendue, de même que la
hiérarchisation du système résidentiel, avec la prééminence des "gran-
des maisons"-mères du quartier, est llexpression matérielle -et symbo-
lique- du maintien de la famille étendue, de même, enfin, que la
localisation des funérailles dans ces grandes maisons, et la présence
pérenne, à côté dlelles, du cimetière et des sanctuaires des vodu
ancestraux, est l'expression matérielle -et religieuse- de la pérenni-
té du lignage en dépit de sa segmentation sociale et spatiale.
Certes, la famille étendue et le lignage constitueront de moins
en moins des groupements résidentiels et ne se manifesteront plus
comme groupes-en-corps qu 1épi sod i quement, à 11 occ as i on des ri tue l s
collectifs. Seules la famille élargie, com~e unité de résidence et de
vie quotidienne, et, en son sein, la famille élémentaire, comme lieu
privilégié des stratégies foncières et de mobilité sociale, resteront
des unités permanentes. Mais entre les familles élargies, même de plus
en plus dispersées (ce qui est encore loin d'être le cas), le réseau
de la parenté lignagère et de la parenté par alliance continuera
longtemps encore, pour des raisons idéologiques (la gestion du culte
des vodu, et plus encore, sans doute, celle des grands rassemble-
ments funéraires), mais aussi pour des raisons matérielles (à travers
les pratiques -et la morale- de l'entr'aide, de l'hospitalité, de
l'hébergement, à travers aussi le fonctionnement de multiples associa-
tions du type tontine), de maintenir un courant permanent de communi-
cations de tous ordres, et, notamment, des flux réciproques de person-
nes
Ce caractè re composite d'adaptabil ité, de souplesse, d'extens i bi-
lité comme de rétractabilité, cette aptitude aux réajustements perma-
nents, à l'accueil et à l'intégration, à la dilatation comme à la
segmentation, cette capacité à faire vivre ensemble des individus de
statuts fort divers, quant à leur position dans le système de parenté
(chefs de famille, agnats, utérins" parents directs et classifica-
toires,alliés, étrangers ••• ), quant au sexe et à la génération, quant
à la situation socio-économique (propriétaires, locataires, hébergés;
artisans, employés, ouvriers, commerçantes),. •• sont donc la marque
spécifique des structures de la parenté à Bassadji.
Cet te marque, e 11 es l' i mpri ment à l'organ i s at i on de l'es pace :
dans le quartier, où elles engendrent des systèmes résidentiels conti-
gus, en un continuum spatJal intégrant aussi les sanctuaires des
vodu ancestraux, les cimetières lignagers, et les multiples points
d'activités les plus diverses; hors du quartier, dans son environne-
ment traditionnel, où elles suscitent des va et vient récurrents, à
l'occasion de conjonctures résidentielles, matrimoniales, rituelles,
funéraires, socio-politiques (les réunions du conseil des anciens,
p.ex.); au delà de l'espace traditionnel, enfin, où elles accompagnent
la création de nouvelles unités résidentielles, qu'elles continuent
d'intégrer au sein de systèmes résidentiels distendus mais hiérarchi-
sés sous l'égide des ugrandes maisons" -ITères du quartier.
Mais cette marque, il faut également en lire l'empreinte au
niveau le plus quotidien: celui de la concession familiale. Ici
l'espace apparait clairement sous sa double face: comme la matériali-
té incarnée de structures et de pratiques, dont il favorise en retour
l'adaptabilité fonctionnelle, et par conséquent la reproduction.
C'est ce qu'il convient d'examiner maintenant sur l'exemple de
Bassadji, exemple que l'on confrontera ensuite, à fin de vérification
et de généralisation éventuelle, à celui de deux autres quartiers de
Lomé: un quartier du vieux centre ville, urbain cres sa création par
les commerçants Mina et Anlo arrivés dans le sillage du colonisateur
allemand; un quartier plus récent, qui présente l'originalité d'avoir
été loti à la demande de petits fonctionnaires employés par l'adminis-
tration coloniale française, et, de ce fait, permettra de mettre à
l'épreuve les moœles familiaux et spatiaux plus IItraditionnels ll •
- 319 -

v- HABITAT, STRUCTURES FAMILIALES ET PRATIQUES SOCIALES A BASSADJI


Qu'à de telles structures de parenté spécifiques corresponde une
structure spécifique de l'espace habité, c'est l à une constation qui
relève du truisme. Encore faut-il le montrer concrètement, si l'on
entend en tirer quelque enseignement, dont pourraient faire profit des
concepteurs et des décideurs qui seraient conscients de l'inadéquation
des modèles technocratiques importés et de leurs effets pervers:
coûts trop élevés, déguerpissements, repousse immédiate (mais dans des
conditions empirées) des zones d'habitat précaire, destruction des
solidarités locales, destructuration des formes de sociabilité et de
m0 des de vie e rn pé c hé spa r l a ri gi dit é con t rai gnan t e d' un c ad r e bât i
défini une fois pour toutes à partir de normes étrangères et pré-
conçues.
Nous analyserons quelques études de cas représentatifs des formes
de l'habitat dans le quartier.

1. Un exemple de système résidentiel contigu

Le relevé d'un îlot délimité par l'aménagement du plan à damiers


de 1951-52 offre un exemple de système résidentiel contigu. On observe
en effet que l'espace ainsi délimité arbitrairement par la voirie, a
fait l'objet d'un découpage en plusieurs parcelles contiguës, délimi-
tées sur leur périmètre par des rangées de bâtiments qui se font face
en regardant sur une cour i ntéri eure (cf. pl an infra). De l a sorte,
dix concessions se trouvent ici bien individualisées, chacune ouvrant
sur l a rue par un portai l, et tournant en que l que sorte le dos à ses
voisines. Cette première impression de cloisonnement est cependant
vite dissipée par l'enquête sociologique: toutes ces concessions sont
la propriété de membres du lignage. Les parcelles n05,6,9 et la,
appartenaient au patriarche, à la suite de la répartition qu'il avait
faite en 1945 (cf. supra); les parcelles n013 avaient été attribuées
au fi l s de l'un de ses frères, l a parcelle nOl1 aux fil s d'un autre de
ses frères. Actuellement, les descendants des premiers propriétaires
occupent les concessions que ceux-ci y avaient aménagées. Ainsi ces
rapports de contigulté spatiale co1ncident-ils en l'occurrence avec
des rapports de contigulté sociale. Ceci est particulièrement manifes-
te dans le cas des concessions 5, la, 6, et 13 : les trois premières
sont occupées par trois frères, fils du patriarche; la quatrième est
occupée par les veuves et une:partie des enfants de l'un de leurs
frères classificatoires. En outre, une observation plus fine des lieux
révèle que ces quatre concessions communiquent en fait entr'elles :
des ouvertures permettent de passer di rectement de l'une dans l'autre
sans avoir à emprunter la rue; de plus, les maisons de deux des trois
frères (nO 5 et la) ont une doubl e ouverture, dont l'une sur l a cour
de leur propre concession, et l'autre, sur celle de la concession du
troisième frère. Inversement, l'absence de passage entre concessions
contiguës est signe d'une distance sociale plus grande: ainsi les
concessions locatives ne communiquent pas avec leurs voisines; de
même les concessions 11 et 9 : celle-ci est habitée par des descen-
dants d'utérins classificatoires qui s'y trouvent en position margi-
nale du fait de leur statut d'hébergés ainsi que du conflit latent qui
les oppose à la famille du propriétaire (cf. supra).
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PORTAIL SUR RUE

PASSAGES ENTRE CONCESSIONS

MAISON DU CHEF DE FAMillE

OUVERTURE O'UNE MAISON SUR L' AUTRE CO~CE"c;IO~


- 322 -

D,' 0 r eset dé j à , sem an i f est e a i nsil ' une des pro pr i été s
essentielles de ce type d'habitat: sa conformité aux structures
sociales, -on se trouve ici en présence d'un système résidentiel
contigu, correspondant à la continuité de relations de parenté ligna-
gères-, mais une conformité qui exclut toute rigidité: elle est au
contraire le résultat d'une permanente adaptabil ité à l'état présent
des structures sociales.
Que les relations soient distantes (notamment entre propriétaires
et locataires) ou qu'elles se distendent (du fait de l'autonomie crois-
sante des familles élargies, ou de situations conflictuelles), et les
concessions peuvent se fermer sur elles-mêmes: l'installation d'une
porte, la construction d'un mur ou d'un bâtiment introduira aussitôt
la clôture nécessaire.
2. Un exemple de concession d'une famille étendue
Cette conformité adaptative, remarquée au niveau du système rési-
dent i el correspondant au lignage ou à un fragment de lignage, on la
retrouve évidemment en ce qui concerne la concession, sorte de mini-
système résidentiel correspondant traditionnellement à la famille
étendue, et de plus en plus, comme on lia vu précédemment, à la
famille élargie. Examinons donc d'abord un exemple de concession
(cf.plan infra) correspondant à une famille étendue patriarcale, ac-
cueillant en outre des locataires (cf. la généalogie ), en analysant
la répartition dans l'espace des diverses unités composant l'ensemble.
Cette concession (la n05) abrite 29 résidents, dont 14 sont de la
famille, et 15 sont des locataires, sur une superficie totale de 750
m2, ce qui représente une densité très faible de 25 m2 par individu.
Cependant, si l'on prend uniquement en compte la surface bâtie, on
constate que la densité est nettement plus élevée, puisque la surface
bâtie en pièces d'habitation est de 224 m2 soit un peu moins de 8 m2
par personne (la surface bâtie totale est de 277, soit 37% de la
superficie de la parcelle, le reste représentant la cour, dont on
mesure ainsi l'importance). En outre, l'affectation des espaces est
très inégale et reflète, à ce niveau, la composition sociale et la
hiérarchie de l'ensemble.
La famille étendue patriarcale se compose ici de cinq éléments,
la famille élémentaire du chef de famille, celle de l'un de ses fils,
et trois ménages constitués par trois adultes célibataires. Leur
répartition est la suivante:
- Le chef de famille (n01) dispose pour lui tout seul d'un bâti-
ment de quatre pièces (1 chambre, 1 salon, 1 chambre de passage qui
lui sert de remise, et 1 douchière fermée et couverte) d'une superfi-
cie de 69 m2; sa maison est au fond d'une première cour qui ouvre sur
un passage débouchant d'un côté sur la rue, de l'autre, sur la conces-
sion de l'un de ses frères; de l'autre coté de la cour, lui fait face
un bâtiment de type wagon (composé de pièces juxtaposées, chacune
ouvrant sur la cour, qui sont autant de logements indépendants, réser-
vés à un usage locatif) occupé par trois colporteurs Djerma du Niger
(n027,28,29), chacun louant une pièce de 9 m2.
- 323 -

- L'épouse du chef de famille (n03) partage avec leurs trois


derniers enfants (n07,8,9) un deux-pièces de 21 m2 dans la seconde
cour, où elle se trouve donc à la tête d'une petite cellule matri-
centrique, individualisée par son logement.
- Dans cette seconde cour, résident également tous les autres
fils du chef de famille:
Son fils a î né (n ° 4 ), qui est do ua nie r, 0 cc upe se ul und e ux- p i è ces de
24 m2; divorcé, il a un fils, mais celui-ci vit chez sa mère; sa
relative aisance se dénote à l'aspect coquet de sa maison, qui s'orne
de grilles de fer forgé aux fenêtres et d'une antenne de télévision
sur le toit.
Son frère cadet (n05) est en face, dans une maison de deux pièces de
20 m2; il est employé des postes, et, comme son aîné, il est actuelle-
ment célibataire, bien qu'il ait un fils d'une relation hors mariage
avec une jeune femme du quartier voisin d'Apéyémé.
Le troisième frère (n06) , également célibataire, est serveur dans un
restaurant; il partageait le logement de son aîné immédiat (le n05),
mais il s'est fait construire un deux-pièces wagon en 1981, dont il
loue une pièce à la famille matri-centrique d'une femme originaire du
Bénin (n° 15), qui l'occupe avec ses trois filles (dont une lycéenne)
(n016,17,18), tandis qu'il partage l'autre avec un jeune frère agnati-
que (n014) qui est écolier (les deux pièces sont de 7 m2 chacune).
- C'est aussi dans cette deuxième cour que le fils artisan élec-
tri cie n (n ° 10) 0 c c upeu n de ux- pi è ces de 21 m2 a ve c son é pou se, leu r s
deux enfants (noll,12,13), plus l'une de ses soeurs agnatiques (n02),
qui vient de quitter l'école.
- Dans la même cour, se trouvent encore deux familles élémen-
taires de locataires Djerma du Niger: la famille d'un colporteur
(n024,25,26) dispose d'un deux-pièces de 16 m2; celle d'un gardien,
doit pour sa part se contenter d'une seule pièce de 12 m2 pour cinq
(n019,20,21,22,23). .

Ainsi, l'espace de la concession, en dépit d'un certain désordre


apparent (les allées et venues nombreuses, les femmes à leur petit
fourneau mobile en différents points de la cour, les enfants qui
jouent ici ou là, le linge étendu sur un fil, les seaux au pied du
puits, la mobylette appuyée contre un arbre, etc.), se révèle à l'ana-
lyse, comme très organisée en fait, puisqu'il est modelé en fonction
de normes qui, pour n'être pas toutes expl icites, n'en sont pas moins
définies avec précision tant qualitativement que quantitativement.
Car ces normes sont un effet de structure, au sens le plus rigou-
reux du terme: elles en désignent les unités discrètes et leurs
relations d'ordre. En d'autres termes, elles expriment des statuts
hiérarchisés.

Dans la concession on voit d'abord l'individualisation du loge-


ment désigner les unités élémentaires de la micro-société qui s'y
trouve. Le chef de famille, la cellule matri-centrique de l'épouse et
de ses jeunes enfants encore dépendants d'elle, la famille du loca-
taire, la famille matri-centrique de la femmme locataire, le locataire
324 -

CONCESSION 5 BASSADJI

1981 rue
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325

'E"EAlOGIE DE LA CONCEsSION 5 lASSA DJ 1

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- 326 -

isolé, chacune de ces unités discrètes de la structure occupe égale-


ment une position spécifique dans la structure de l'espace habité.
Ceci est bien entendu la marque d'une certaine autonomie statutaire et
fonctionnelle: le chef de famille, - qui est responsable de l'ensem-
ble, a des relations plus diversifiées avec l'extérieur, doit pouvoir
accueillir les visiteurs ou les hôtes de passage, parfois présider à
des cérémonies qui se déroulent devant sa maison devant une assistance
nombreuse -, occupe un logement de trois pièces dont une chambre de
passage, ainsi qu'un grand salon où peuvent se tenir plusieurs person-
nes et dont le mobilier, portraits jaunis d'ancêtres et photos de
famille aux murs, fauteuils et table basse, parfois réfrigérateur et
télévision, disent explicitement la fonction symbolique et pratique.
Pour les mêmes raisons, sa maison est située près de l'entrée princi-
pale de la concession, ou bien lui fait face, occupant en quelque
sorte une position panoptique, qui pratiquement, permet le contrôle
des activités et des allées et venues dans la concession, et symboli-
quement en signifie le pouvoir.
De même, le logement distinct de l'épouse tout à la fois exprime
et permet la division conjugale du travail, qui assigne à la femme le
soin quotidien des jeunes enfants, ainsi que toutes les tâches domes-
tiques (cuisine, lessive, corvée d'eau, ravitaillement). Pour cette
raison, il est en fond de cour, ou, quand il y a deux cours comme dans
le cas ici analysé, dans la cour secondaire, réservée aux femmes, aux
enfants, et aux activités domestiques. Dans les cas de polygamie,
chaque épouse a son propre logement, ce qui exprime l'autonomie de la
cellule matri-centrique que chacune constitue avec ses jeunes enfants
à l'intérieur de la famille composée, ce qui limite en même temps les
risques de tension entre co-épouses, tout en indiquant symboliquement
que chacune d'elles est traitée avec égalité. Qu'elles partagent, en
revanche, la même cuisine couverte durant la saison des pluies, as-
sises côte à côte, chacune devant son foyer d'argile, ou qu'elles
s'activent, chacune sur le pas de sa porte, tout en échangeant des
propos et en surveillant les tout petits, manifeste leur commune
condition et leur solidarité.
L'itinéraire résidentiel du fils dans la concession est lui-même
l 'e xpre s s ion mat éria lis ée des 0 nit i né rai r est atut a'i r e : enfan t, il
partage avec ses soeurs le logement de sa mère; puis, quand il est
assez grand pour commencer à prendre place dans le monde des hommes,
il quitte la maison maternelle et vient habiter dans celle de son père
ou de l'un de ses frères aînés; adolescent, et surtout s'il est
lycéen, donc a besoin de place et de tranquillité pour travailler, il
a droit à sa propre pièce dans la maison du père, ou du frère aîné, ou
même à une chambre indépendante ouvrant directement sur la cour;
adul te, doté d'un emploi, il aura son deux-pièces, où son epouse le
rejoindra; polygame, il lui faudra fournir un logement à chacune de
ses femmes (cette norme virilocale se heurte, en milieu urbain, à
l'inextensibilité des parcelles, contrainte qui engendre une diversité
de formules: la résidence bi-locale, la nouvelle épouse demeurant
- 327 -

dans sa famille d'origine, d'où l'existence des nombreuses familles


matri-centriques; la résidence néo-locale, le mari allant créer sa
propre concession sur une parcelle que son père lui aura attibuée ou
que lui-même aura achetée; mais d'autres variantes sont possibles:
par exemple, le mari polygame réside dans sa propre concession, tout
en ayant une autre épouse restée chez ses parents, et une troisième
installée en locataire ailleurs).
Ainsi, de même que la structure spatiale de la concession en
exprime synchroniquement la structure sociale hiérarchique, tout
déplacement dans cette structure spatiale est signe d'un changement de
position dans la structure hiérarchique. (Remarquons que le parallélis-
me pourrait être poussé plus loin: traditionnellement, le chef de
famille était enterré dans la concession, son accession au statut
d'ancêtre se matérialisant donc en l'occurrence par son entrée dans la
troisième dimension de la structure spatiale).
Cette structure hiérarchique de l'espace est d'ailleurs si pré-
cise, malgré les apparences d'aimable désordre communautaire qu'offre
à première vue le spectacle de la vie quotidienne, qu'elle peut s'y
traduire assez rigoureusement en termes quantitatifs : quatre pièces
et 69 m2 pour le chef de famille; deux pièces et 20 à 24 m2 pour
l'épouse, ainsi que pour chacun des trois fils aînés; une pièce et 7
m2 pour deux fils plus jeunes. Quant aux locataires, on leur réserve
généralement les logements les plus exigus, ici des une-pièce de 7 à
12 m2, et und eux- pi èces de 16 m2, ce qui les si tue en t 0 ut cas au
dessous des adultes de la famille.
Selon la même logique, observons encore que les statuts comman-
dent également les normes implicites qui régissent l'utilisation de la
cour: alors que le chef de famille peut y circuler où bon lui semble,
les femmes se limitent à la devanture de leur logement et à l'aire
affectée aux activités domestiques, tandis que les locataires ne
débordent guère au delà de leur pas de porte (devant laquelle ils
recréent parfois, au moyen d'une cloison végétale ou de tôle ondulée,
une mini cour privatisée).Ainsi, même la cour, tout en ayant fonction
d'espace semi-public, à l'intérieur duquel se déploie une vie de
relations communautaires au quotidien qui fait le charme des conces-
sions, est l'objet d'une appropriation différentielle et hiérarchisée,
dont les limites, pour être invisibles~ :n'en sont pas moins matériali-
sées par les pratiques.
, Cependant, cette approche quasi~structuraliste ne doit pas faire
perdre de vue que l'espace de la concess ion n'expri me pas seul ement,
en synchronie, l'état présent de la structure familiale :il en traduit
également le fonctionnement diachronique: or celui-ci est à la fois
projection dans le temps d'une logique structurale de développement-
segmentation du microcosme familial, et produit social de pratiques
qui sont aussi affectées par la conjoncture, conjoncture socio-écono-
mique, mais également, au niveau le plus quotidien, conjoncture des
relations interpersonnelles.
- 328 -

Toute concession est en effet le produit d'une histoire fami-


liale. Sa construction progressive en reflète les différentes étapes:
en milieu urbain, elle commence à se matérialiser par un mur de clô-
ture, dont la fonction prioritaire est d'affirmer le droit du proprié-
taire; puis l'espace ainsi délimité est progressivement construit sur
son périmètre, les bâtiments se juxtaposant les uns aux autres, au fur
et à mesure des besoins nouveaux qu'entrainent l'extension du noyau
familial originel ainsi que l'introduction de locataires. Peu à peu le
pourtour de la parcelle se remplit, les habitations tournant le dos à
la rue ou aux concessions voisines et constituant ainsi autour de la
cour commune un ensemble résidentiel fermé sur lui-même, que les Ewé
dénomment~, terme qui, selon le contexte, désigne le "pays" ou la
concession, et connote bien le fait que celle-ci forme un microcosme.
La date des constructi ons, la nqture successi ve des matéri aux
utilisés (banco, brique séchée, puis'brique cuite, et, aujourd'hui,
parpaings de ciment ou même béton), la position généalogique de celui
qui a fait construire (tel bâtiment date du père du chef de famille,
tel autre a été construit par lui, tel autre, l'est par son fils, ••• ),
le remplacement d'un ancien bâtiment par un nouveau, aggrandi et
construit en matériaux plus modernes, tout ceci exprime l'une des
propriétés essentielles de ce type d'habitat, qui est d'être évolutif,
c'est-à-dire de pouvoir en permanence s'ajuster à l'évolution de la
structure familiale comme aux conjonctures,- socio-économiques, idéo-
logiques, psychologiques-, qui l'accompagnent.
Ainsi la concession n05 est-elle actuellement composée d'une
série de bâtiments construits successivement entre 1952 et 1981. Les
premiers, ceux de 1952, ont constitué la première habitation autonome
du chef de famille; tous les éléments d'une structure résidentielle
complète s'y trouvaient déjà: un deux-pièces pour sa femme et lui;
une cuisine couverte pour sa femme; attenante au logement, une pièce
sanctuaire réservée aux vodu. En 1960, pour loger une deuxième épouse,
un nouveau deux-pièces est construit, tandis que le premier est
conservé par la première épouse, et que le chef de famille construit
sa propre maison, où viendront le rejoindre ses fils au fur et à
mesure qu'ils auront l'âge de quitter la maison maternelle. En 1965,
un troisième deux-pièces accueille la troisième épouse. En 1966, une
série de une-pièces en bande est construite pour être louée (par la
suite, quatre d'entr'elles seront unies deux à deux par le percement
d'une porte, afi n d'être transformées en deux-pi èces pour deux fi l s
aînés). En 1980, c'est l'occurrence d'une conjoncture rel igieuse qui
nécessite une nouvelle construction entièrement affectée au "logement"
de vodu, qui se sont manifestés à 1lé~oUSé actuelle du chef de famil-
le, exigeant d'elle un culte régulier (1). Des cas de ce genre sont
fréquents; on en a déjà mentionné un exemple extrème à propos d'une
femme du lignage, à laquelle il avait fallu attibuer une parcelle pour
qu'elle puisse y aménager un enclos consacré au vodu de l'ancêtre (cf.
supra). En 1981, enfin, un bâtiment de trois pièces juxtaposées est
construit par le chef de famille pour être loué, tandis que, de son
côté, l'un des fils fait tomber un bâtiment ancien d'une pièce pour
édifier à la place deux une-pièce, dont il occupe l'un et loue

(1) On reconnaît ces demeures consacrées aux divinités à leur façade


aveugle et à la toile blanche tendue devant la porte.
- 329 -

l'autre. Le chef de famille projète encore de construire un deux-


pièces pour l'un de ses fils, qui est actuelllement apprenti-carreleur
à Abidjan; pour le moment, il a déjà acheté 4 paquets de ciment et 10
feuilles de tôle ondulée; la construction démarrera quand il aura pu
acheter le reste des matériaux.
Quant à la conjoncture socio-économique, elle explique évidemment
la présence des bâtiments à usage locatif, ainsi que l'essaimage
résidentiel engendré par les stratégies foncières et immobilières. De
même, le caractère souvent disparâte des matériaux utilisés renvoie à
l'âge différent des bâtiments, mais aussi aux possibilités financières
du constructeur (les bâtiments à usage locatif sont, de ce fait,
généralement plus sommaires: ainsi, dans notre exemple, le deux
pièces de 1960 a des murs en banco; et la douchière des locataires de
la première cour est isolée par une simple clôture de palmes; de même
les cuisines couvertes sont souvent construites en banco ou briques
séchées).
La conjoncture est aussi celle des relations interpersonnelles:
des tensions peuvent amener des individus à prendre leurs distances,
(au propre comme au figuré), à l'intérieur de la concession: dans
notre exemple, le fait que le chef de famille réside dans une cour
séparée de celle quloccupent ses fils adultes, sa femme et ses en-
fants, s'explique par ses attitudes volontiers brusques et
provocatrices, et par un caractère ombrageux qui le porte à la rumina-
tion solitaire et tend ses rapports avec son entourage (il a renvoyé
trois épouses qu'il accuse d'avoir été des femmes de mauvaise vie, et
il tient sur ses enfants des propos peu amènes).
Enfin, la description serait incomplète si lion ne soulignait la
signification fortement symbolique et religieuse de la concession.
Pour une part, celle-ci, on l'a constaté, est aussi le temple des
divinités familiales et personnelles. Dans le cas étudié, quatre lieux
sont consacrés aux vodu : ceux de la famille sont dans une pièce du
bâtiment le plus ancien; ceux de llépouse ont une maison de 35 m2 pour
eux seuls; contre cette maison, une petite construction cubique est
dédiée à d'autres vodu, (ceux de jumeaux); à gauche de l'entrée de la
concession, enfin, une niche maçonnée abrite trois petits monticules
d'argile de forme conique, à la "tête" ornée de deux cauris, qui sont
les yeux, et d'un creux, qui est l a bouche: ce sont des Legba, vodu
liés au culte de Afa, la divinité oraculaire; leur présence en senti-
nelles protège la maisonnée et ses habitants contre les sorciers
jeteurs de sort et signifie que le propriétaire de la concession est
un bokono (d~vin initié au culte de Afa). En outre, on lia signalé,
certaines grandes concessions familiales abritent des ancêtres, an-
ciens chefs de famille enterrés sur place, et qui, eux aussi, sont les
protecteurs de la maisonnée. Et c'est dans la concession familiale que
se déroulent les funérailles rassemblant tous les parents et les
alliés au cours de longues et récurrentes cérémonies, où s'affirment,
dans les libations, les repas en commun, les danses au son des orches-
tres de tam-tam, les cotisations pour le partage des frais et l'aide à
la famille du défunt, la communauté des vivants et des morts, la
pérennité des lignées et des alliances, la permanence d'une société et
d'une culture, par delà tous les changements, par delà les dispersions
résidentielles et la disparité croissante des statuts socio-économi-
ques.
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ce du couvert vég?ta~, III
circu:atior piétornj~re,
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abords des maisors
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sor llilure dt gros bourg
rurll].

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Les ~ëisors, joirtives ou
re~ ifes par ur !T:ur d'er-
ceinte, tournert le dos ~
:a rue. Aucun effet de
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recherché, si ce n'est
Gêns la mise er vê:eur du
portail d'ertrée.
Rerr.arquer à gauchec de
cec:ui-ci le petit fver-
taire de charbor de bois
et à drc'te la porte
d ' une b 0 u t i que. 0 r g a r. i sée
autour de sa Cour inté-
rieure, (souvert o~tra­
gée), tourn~e sur eile-
mftr.r, la concessior est
la rratéria:isation de
l'uritf de famille éten-
due ou é:argie.

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i r,tlr i eure
les petites rr·aisons ju .. -
taposfes en autart de
ceilules d'habitatior,
dist',nctes, ouvrant cha-
cune sur la cour com-
mur-e, llffirmer:t la re 1 a-
tive autonomie des sous-
unités constitutives de
~'ersemble familial, tap-
dis que la cour partagée
par tous, lieu des acti-
vités Quotidiernes diver-
sifiées selon le sexe,
l'âoe et le statut, sup-
pori des rassemblemepts
Cfrémonieis épisodiques,
est par exceliepce l'es-
pace de l'appartenapce
co mm ur. a u t air e •
- 331 -

3. Un exemple de concession de famille élargie de taille restreinte


L'exemple suivant sera plus rapidement décrit dans la mesure où
les recoupements sont nombreux avec le précédent. Nous soulignerons
simplement les éléments de convergence et les différences significa-
tives.
Cette concession (la n010) présente la particularité, par rapport
à la précédente, de n'héberger aucun locataire. Pour une superficie
voisine analogue (760 m2), elle accueille 13 résidents, ce qui repré-
sente une densité encore plus faible par rapport à l'autre (ici 59 m2
par personne). La surface bâtie totale est de 351 m2, soit 46% de la
superficie de la parcelle, ce qui est significatif, ici aussi, de
l'importance de la cour. La surface bâtie en pièces d'habitation
(cuisines exclues) est de 207 m2, soit, en moyenne, 16 m2 par person-
ne, ce qui est le double de la concession précédente, où, bien évidem-
ment, la présence de nombreux locataires augmente le taux d'occupa-
tion.
La famille élargie (cf. généalogie) se compose ici de trois
sous-unités: la famille élémentaire du chef de famille, avec ses
quatre épouses, ses cinq enfants présents (six filles sont mariées et
résident ailleurs; une autre fille habite chez son oncle maternel dans
le quartier voisin d'Apéyémé; un fils a été confié à son oncle mater-
nel au Bénin); la mère du chef de famille, l'une des veuves du
patriarche décédé en 1982, qui constitue à elle seule, une unité
d'autonomie relative (elle a son logement indépendant, mais elle est
partiellement à la charge de son f"ils); une famille matri-centrique,
formée de l'épouse d'un neveu utérin de la mère du chef de famille et
son fils.
Comme dans le cas précédent, la position de chacun dans l'espace . J'.'

de la concession, et l'importance du logement occupé, sont la matéria-


lisation concrète d'une structure sociale hiérarchisée:
- Le chef de famille occupe, en fond de cour, face à l'entrée princi-
pale, une maison de cinq pièces de 92 m2, dans laquelle il s'est
réservé trois pièces: un salon-vestibule, un grand salon de récep-
tion, et une chambre. Cette maison matérialise sa réussite sociale:
ex-chef de chantier des travaux publics, puis ouvrier plombier dans
une entreprise d'Etat, il jouit maintenant d'une confortable retraite
augmentée des revenus locatifs que lui rapporte un terrain qu'il avait
acheté et fait construire à Tokoin. L'équipement du grand salon est
encore la concrétisation redondante de cette réussite: banquette et
fauteuils autour d'une table basse, buffet garni de statuettes d'art
naïf local et resserrant les alcools à offrir, ventilateur sur pied,
poste de radio et appareil de télévision.
La maison est en parpaings de ciment; comme toutes celles du
quartier, elle est couverte d'un toit de tôle, mais, ici, en un seul
pan qui couvre une partie, l'autre partie, correspondant au corps du
bâtiment habité par le chef de famille, est recouverte d'une dalle de
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- 334 -

béton, qui peut permettre l'élévation éventuelle d'un étage. (Les


maisons à étages sont encore très rares dans lE quartier et à Lomé en
général; elles sont toujours un signe éclatant de la réussite de leur
propriétaire).
Remarquons enfin que le grand salon ouvre sur une terrasse,
laquelle donne, au-delà des limites non matérialisées de la parcelle
définissant une cour privée pour le chef de famille, sur la concession
de son frère aîné et sur celle de l'un de ses frères cadets, en une
configuration spatiale parfaitement expressive d'une dialectique du
clos et de l'ouvert: la position de la maison du chef de famille,
tournée d'un côté sur l'espace relativement clos de la concession
familiale, ouvrant de l'autre côté sur les concessions de ses frères,
manifeste à l'évidence que celui-ci fait charnière entre le groupe de
ses dépendants et les autres familles du lignage.
- Les quatre épouses du chef de fami 11 e di sposent chacune d'un loge-
ment distinct, ce qui est conforme à la norme déjà signalée, selon
laquelle chaque épouse d'un polygame doit être traitée avec égalité et
constitue une petite cellule matri-centrique au sein de la famille
composée. Chacune habite dans un deux-pièces (respectivement et dans
l'ordre: 22 m2, 17 m2, 22 m2, et 14 m2). On notera toutefois que le
groupe des épouses est lui-même discrètement hiérarchisé: les trois
premières (n02,6,8) ont chacune une cuisine couverte, mais la
quatrième (n09) est hébergée dans celle de la mère du chef de famille;
quant à la première, elle dispose en plus d'un magasin où elle
entrepose les produits vivriers, qu'elle utilise à cuisiner des plats
vendus sur la placette du coin de l'ilôt.
- Quant aux enfants, les plus jeunes partagent le logement de leur
mère, garçons et filles confondus: ses deux derniers, un garçon et
une fille jumeaux (n04 et 5), sont chez la première épouse (n02); son
dernier fils (nOlO) est chez la quatrième épouse. Par contre, à l'ado-
1escence, 1es garçons accèdent à un logement indépendant: un fi l s
(n07), élève de seconde, partage une chambre indépendante avec son
frère agnatique (n03), qui est apprenti-maçon.
- De son côté, la mère (nOl1) du chef de famille a son propre deux
pièces de 20 m2, plus une cuisine couverte, construite en c1aies de
palmes et recouverte de tôle ondulée.
- Enfi n, l'épouse du neveu de 1a mère et son fil s (n012 et 13) sont
hébergés par le chef de famille dans une petite pièce de 13 m2 à
l'intérieur de sa maison. Mais la distance sociale n'en est pas moins
marquée par le fait que cette pièce est isolée par un couloir fermé
de la partie occupée par le chef de famille, et que ses occupants
utilisent une autre entrée donnant sur le côté de la maison.
La cour commune est partagée par tous.Cependant, devant sa mai-
son, un espace est de fait réservé au chef de famille, qui y fait
parfois la sieste sur une natte déroulée à même le sol sablonneux. Les
femmes et l es enfants se tiennent lep l us souvent sous le ra i sin de
mer, qui ombrage une partie de la cour: elles y font de la cuisine et
ont à portée de main le puits et, chose rare dans le quartier, un
- 335 -

robinet d'eau courante pour la boisson (l) .. Trois foyers fixes, en


cônes d'argile, indiquent qu'il s'agit là d'un espace en permanence
utilisé par les femmes. Dans deux recoins discrets, des douchières
abritées des regards par un muret à hauteur d'épaule, fait de par-
paings de ciment simplement posés les uns sur les autres, sont utili-
sées les unes par les femmes, les autres par les hommes.
A droite du portail d'entrée, côté intérieur, une enclume posée
sur un tapis de feuilles d'arbres, au pied de laquelle sont déposées
une hâche, une paire de tenailles, une chaine et une clé à molette,
est consacrée au vodu~, de la foudre, de la guerre et de la forge.
A la petite boutei11e-à'hui1e de palme et aux traces de sang, on
reconnait que le sacrifice d'un poulet a récemment été fait par le
chef de famille à ce vodu, dont il est le desservant. Cependant des
devises d'inspiration chrétienne ("S e igneur sauve nous", "Dieu seul
est ma 1umière") tracées à la craie au dessus de la porte de deux
bâtiments, symbolisent le bon ménage de la religion autochtone et de
la religion importée (le chef de famille rappelle qu'étant écolier,
il allait à la messe tous les dimanches, mais que par la suite, "il
s'est mis à fréquenter assidument l'enclos consacré aux vodu du
lignage, qui se trouve tout juste de l'autre côté de la rue bordant sa
concess i on au nord. Aujourd'hui, 1ui -même en est l'un des prêtres).
Comme dans l'exemple précédent, la concession 10 a été construite
par étapes, en fonction de l'évolution des besoins, essentiellement en
raison de la croissance de la famille, ainsi que des moyens dont le
chef de famille pouvait disposer. Pour les bâtiments les plus anciens,
la date est oubliée, mais pour l'ensemble, l'ordre de construction
successive est connu. Dans son état actuel, cette concession a été
construite en huit étapes, à partir d'un premier bâtiment dont les
murs, de briques séchées, révèlent la grande ancienneté. Souvent, le
même bâtiment comporte des éléments d'âge différents: ·ainsi celui à
droite de l'entrée, a été partiellement construit en second, puis une
autre partie a été ajoutée quelques dizaines d'années après, pour
n'être achevée qu'en 1984. Entre temps, un garage a été achevé pl us
rapidement au cours de l'année 1981.

(1) Les branchements particuliers sur le réseau de la ville sont


encore très rares; presque tout le monde va s'approvisionner en eau
potable à la borne fontaine ... quand elle n'est pas trop éloignée.
Sinon on consomme l'eau des puits, mais la faible profondeur de la
nappe phréatique, la nature sableuse du sol, et l'absence d'assainisse-
ment (1 es ordures sont jetées dans des trous creusés au mi 1i eu des
rues piétonnières; les latrines publiques sont en nombre insuffi-
sant, et souvent hors d'usage du fait de leur sur-utilisation) sont
des facteurs de pollution de l'eau, qui est à l'origine de bien des
maladies et notamment d'une mortalité infantile importante. L'une des
interventions les plus urgentes dans ces quartiers serait de multip-
lier les bornes - fontaines.
- 336 -

Il est difficile d'obtenir des renseignements précis sur les


coûts de la construction. Ici un seul chiffre a pu être indiqué:
pour la partie de sa maison construite en 1964 avec une couverture en
dalle de béton, le chef de famille a dépensé au total (matériaux et
main d'oeuvre) 400 000 F CFA (8000 FF), soit un coût de 6000CFA
(120FF) le m2. Une telle dépense est très élevée puisqu'elle représen-
te à peu près 40 fois le montant du salaire minimum de l'époque (aux
environs de 10000 CFA, soit 200 FF), et qu'il faut considérer que la
faiblesse des revenus ne permet qu'un taux d'épargne (quand on peut
épargner) très faible.
Cet exemple donne cependant une idée de l'importance des dépenses
immobilières consenties par les chefs de famille. Ceci est évidemment
à mettre au compte de la très grande valeur fonctionnelle et symboli-
que de l'habitation, qui représente l'investissement prioritaire:
avoir sa propre maison, et, surtout, être à la tête de sa propre
concession, c'est affirmer l'autonomie de son statut et sa réussite
sociale et économique. Bien entendu, l'accumulation d'une épargne
suffisante implique de longs délais ce qui explique aussi qu'une
concession, souvent tel ou tel bâtiment, soient construits par étapes,
au fur et à mesure des possibilités: on c6mmence par acheter quelques
sacs de ciment, puis on fabrique les parpaings, puis lorsqu'il y en a
assez pour construire au moins une partie du bâtiment, on commence à
élever les murs, pour les recouvrir, plus tard, d'une charpente et
d'une toiture de tôle ondulée. Ce processus peut durer plusieurs mois,
souvent plusieurs années. Parfois, il est interrompu très longtemps,
et l'on peut voir un ou deux arbustes dépasser des murs qui nlont
jamais été recouverts de toiture •.•. Le bâti existant fait lui même
l'objet d'amél iorati ons progress ives : on rempl ace un vi eux bâtiment
de briques, par un nouveau, aggrandi et fait en parpaings; on rajoute
quelques pièces à un logement prééxistant; on casse une remise faite
de bric et de broc pour construire un garage à la place; etc •••
Dans notre exemple, le chef de famille a d'abord l'intention de
casser les deux-pièces en banco pour les remplacer par une construc-
tion plus vaste en parpaings. Et comme il estime qu'il n'y a désormais
plus de place dans sa concession pour que ses fils, devenus adultes,
puissent à leur tour y avoir leur maison, il a le projet de faire
aggrandir pour eux les "une-pièce" qu'il avait fait construire pour
les louer sur une parcelle achetée dans un autre quartier de la ville.
Quand au second terrain, dont il a hérité de son père, il laissera à
ses fils le soin d'y construire. Tant il est vrai que les strat~gies
foncières et immobilières sont oeuvre de longue patience et de longue
haleine, qui se poursuivent sur plusieurs générations, dans la longue
durée des grandes familles. .
- 337 -

4. Un exemple de concession de famille ~largie nombreuse et co.posite


L'exemple suivant (concession n06) diffère du précédent par le
fait qu'ici la famille élargie est l'une des plus nombreuses de
l'échantillon (33 personnes apparentées), et qu'elle représente une
structure plus composite, qui se traduit par une organisation plus
comp l exe de l'espace habité.
Cette concession occupe une superficie qui fait plus du double
des deux précédentes: 1 800 m2, pour une population résidente totale
de 38 individus (33 parents et 5 locataires),_ soit une densité faible
de 47 m2 par individu. La surface bâtie est de 435m2, ce qui représen-
te un coefficient inférieur aux deux cas précédents (24% de la parcel-
le, contre 37% dans la concession n05, et 46% dans la concession
n010). La surface bâtie en logements est de 411 m2, soit environ 11m2
par personne (chiffre intermédiaire entre les 8 m2 de la concession 5,
et les 16 m2 de la concession 10).
La structure de la famille élargie est ici la suivante:
1°) La famille élémentaire du chef de famille est de loin le groupe le
plus nombreux: 15 personnes, qui se répartissent ainsi :
le chef de famille (n03), ses deux épouses (n04 et 10), les cinq
enfants (n05 à 9) de l'une, les quatre enfants de l'autre (n011 à 14),
et trois enfants (n015 à 17) d'une épouse partie à la suite d'un
divorce (une quatrième épouse a également divorcé du chef de famille).
2°) la mère (n02) du chef de famille, qui est l'une des deux veuves de
son père (n01), le patriarche du lignage, décédé en 1982.
3°) Deux nièces agnatiques (n022 et 23) du chef de famille, l'une
étant la fille de son frère aîné, le chef de l'une des concessions
contiguës (la n05), la deuxième étant la fille d'un frère décédé.
4°) Une soeur aînée (n018) dont le mari, cultivateur, a sa concession
dans l'extension sud-est de Lomé (dans la zone d'Akodessewa).
5°) La concubine (n031) du fils de cette soeur (ce dernier siest fait
sa propre concession un peu plus loin) et son enfant (n032).
6°) Une autre soeur aînée (n019) du chef de famille, dont le mari
inspecteur de police, vit au Ghana avec deux autres épouses; les deux
fils (n020 et 21) de cette soeur résident en permanence dans la
concession.
7°) Une cousine croisée patrilatérale (n035) du chef de famille (nièce
utérine de son père), le fils de celle-ci (n036), son épouse (n037),
leurs deux jumeaux (n038 et 39).
8°) Un cousin croisé patrilatéral classificatoire (n024) du chef de
famille (neveu utérin classificatoire de son père)", l'une de ses deux
épouses (n025) (l'autre résidant à Nyékonakpoué, quartier ouest de
Lomé, avec son fils), et ses deux petits-neveux utérins (n033 et 34),
fils d'une nièce utérine.
9°) Enfin, un couple de locataires et leur fjls (n026, 27 et 28), et
deux autres locataires isolés (n029 et 30).
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- 340 -

Projetée dans l'espace de la concession, cette structure est


réorganisée en sous-unités résidentielles hiérarchisées tant par la
superficie que par la position qu'elles y occupent.
A gauche de l'entrée principale (que désigne un grand portail
métallique à double battant, ainsi qu'une plaque portant l'inscription
gravée "Maison X.", du nom de l'ancêtre éponyme), la plus grande
maison est celle du chef de famille. Celui-ci en occupe une grosse
moitié, avec salon, deux chambres, et une douchière (soit une surface
totale de 57 m2). L'une des chambres est occupée par deux de ses fils,
écoliers pré-adolescents, que leur âge tient désormais éloigné du
domicile de leur mère respective. Dans l'autre moitié de la maison,
son fils aîné (nOI5), qui est lycéen, a sa propre chambre, et partage
un salon avec un coin bureau, avec les deux neveux utérins (n020 et
21) de son père, ceux-ci ayant une chambre commune, bien qu'ils soient
plus âgés que leur cousin: l'un, après avoir été au lycée jusqu'à la
troisième, est actuellement apprenti-cuisinier dans un grand hôtel
international de Lomé; l'autre est apprenti-mécanicien dans un garage
des environs. Tous les trois disposent ainsi d'un logement autonome,
ayant sa propre entrée, à côté de celle du chef de famille.
Sise dans l'angle nord-ouest de la concession, regardant vers les
maisons des deux frères aînés du chef de famille, et en face, vers le
logement qu'occupait 1e patri arche, 1eur père et anc i en chef du
lignage, cette maison occupe donc une position stratégique, apparais-
sant comme l'une des pièces essentielles d'un dispositif spatial
masculin, regroupé autour d'une vaste cour, qui est à la fois cour des
hommes et lieu privilégié des cérémonies engageant l'ensemble du
lignage: les funérailles du patriarche s'y sont déroulées; les réu-
nions des chefs de famille s'y tiennent.
En face, dans l'angle nord-est de la concession, un bâtiment
isolé par un mur d'enceinte définissant une petite cour intérieure
privatisée, constitue une sorte de sous-concession au sein de la
grande: depuis des années, le patriarche (nOl) y vivait retiré dans
un trois-pièces de 40 m2; ses filles (n018 et 19) venaient prendre
soin de lui, lui faisant la cuisine, et l'aidant à s'allonger sur une
natte déroulée sur le pas de sa porte. Actuellement, cette sous-
concession reste vide: le patriarche y a longtemps attendu la mort,
et il Y aurait été secrètement enterré, ce qui 1 a transforme en un
sanctuaire que les vivants ne peuvent pas réoccuper avant une longue
période de transition.
Dans le prolongement de la cour du patriarche, deux rangées
parallèles de bâtiments, dont l'une, plus courte, est continuée par
une cloison de tôles et de claies végétales, se font face, isolant de
la sorte une autre cour intérieure, et constituant ainsi une autre
.sous-concession secondaire réservée aux femmes et aux jeunes enfants.
Inaugurée par une cuisine collective où s'alignent huit foyers fixes
en cônes d'argile, symbole de la communauté des femmes, cette sous-
concession comporte les logements suivants: attenante à la cour du
- 341 -

patriarche et à la CU1Slne, la chambre de l'une des soeurs aînées


(n018) du chef de famille; dans la même rangée, un magasin est utilisé
par la première épouse (n04) qui y entrepose du riz et de l'huile
utilisés à confectionner les plats cuisinés qu'elle vend en restaura-
tion d'éventaire sur la placette de l'angle sud-ouest de la conces-
sion; à câté du magasin, la mère (n02) du chef de famille dispose d'un
deux pièces de 24 m2. Dans la rangée d'en face, on trouve successive-
ment: une chambre de 15 m2 que la première épouse (n04) partage avec
ses quatre plus jeunes enfants (n° 6,7,8,9); la chambre de l'autre
soeur aînée (n019); une chambre de 18 m2 que la deuxième épouse (n010)
partage avec ses trois plus jeunes enfants (n° 12, 13, 14); un deux
pièces de 26 m2 occupé conjointement par les deux nièces agnatiques du
chef de famille (n022 et 23) : la plus âgée est vendeuse de produits
vivriers sur la même placette, l'autre est lycéenne, et leur âge ainsi
que leur autonomie relative se matérialisent par la disposition d'un
logement indépendant; un deux pièces de 24 m2, qu'occupent la
concubine (n031) d'un neveu utérin et son fils (n032); fermant cette
cour des femmes au sud, on trouve.enfin un deux-pièces de 20 m2, avec
sur le devant une cuisine de plein air dél imitée sur deux côtés par
une cloison de claie et de tôle, le tout constituant une micro-
concession à l'intérieure de la sous-concession des femmes, et
connotant, à ce niveau, le statut particularisé des deux jeunes filles
(n016 et 17) qui l'occupent: d'une part elles sont lycéennes, fait
encore rare pour les filles, et qui nécessite un lieu où pouvoir
travailler sans être dérangé; d'autre part, leur mère est partie après
avoir divorcé de leur père, si bien que, par rapport aux autres
épouses et enfants de leur père, elles se trouvent en position de
marginalité relative (les cas de friction entre les épouses du père et
les enfants d'une autre épouse divorcée ne sont pas rares).
Quelque peu isolée dans l'angle sud-ouest de la concession, une
maison de deux pièces de 19 m2, détonne par rapport aux autres avec
ses murs de planches. Elle est habitée par un parent éloigné du chef
de famille: le fils d'un cousin croisé patrilatéral classificatoire
de son père, que celui-ci avait accueilli sur la parcelle en 1947.
Bien que relativement riche (en face de sa maison, deux 404 bâchées,
avec lesquelles il faisait du transport, sont remisées sous un abri de
tôles), cet ancien comptable de la SCOA n'a pas voulu investir sur
place, car il n'a hérité de son père que d'un simple droit d'usage
(cf.sutra). Il a fait bâtir cette maison en 1957, au coût le plus
juste 65000FCFA, soit 1300FF), et y vit modestement avec son épouse
(n024 et 25) (la maison n'a pas l,'électricité et, pour faire marcher
le poste de télévision, un fil a été tiré à partir de l'installation
d'un locataire voisin). Devant la maison, une cuisine sous abri et un
foyer de plein air sont utilisés par sa femme; un peu plus loin, sur
la gauche, une douchière est réservée au couple. Ainsi sans
délimitation matérielle, mais par la disposition cohérente, sous un
- 342 -

apparent désordre, de bâtiments en vis-à-vis les uns des autres, se


trouve circonscrit en pointillé un espace semi-privatisé correspondant
à l'autonomie, dans la concession, de la famille qui l'occupe et
l'utilise quotidiennement.
Au milieu de la cour principale, un bâtiment parait occuper une
position insolite parce que centrale. Il s'agit en fait de la plus
ancienne construction debout, puisque, datant de 1939, elle est bien
antérieure à l'urbanisation du quartier et à son découpage en ilôts
délimités par le quadrillage des rues. La concession s'est par la
suite construite sur la périphérie de la parcelle, si bien que ce
bâtiment s'est retrouvé au milieu de la cour. Faut-il voir une corres-
pondance entre cette position particulière et le statut de ceux qui
l'occupent? Toujours est-il que tous ses habitants, comme ceux de la
maison en planches, ne sont pas des descendants directs du patriarche,
mais ses collatéraux: deux petits-neveux utérins (n033 et 34) du
comptable à la retraite, tous deux lycéens, occupent la seule pièce
(10m2) qui ouvre en direction de la maison de leur grand oncle mater-
nel; une autre pièce (10 m2) est occupée par une veuve (n035), nièce
utérine du patriarche; et deux autres pièces (35 m2) sont habitées par
le fils de celle-ci, son épouse et leurs deux enfants (n036,37,38,39).
Enfin, à droite de l'entrée principale, un bâtiment en wagon,
constitué de trois lIune-piècell juxtaposées (de 10 à 13 m2), est réser-
vé aux locataires (n026 à 30). Ceux - ci utilisent la devanture du
logement pour y faire la cuisine, et ils y ont deux douchières parti-
culières (une pour un couple et son fils, l'autre pour les deux
locataires isolés).
Ainsi, l'espace de la concession se révèle-t-il, à tavers ce
nouvel exemple, comme rigoureusement structuré en fonction des sta-
tuts, des sexes et de l'âge, puisque la position du bâti est telle
qu'elle délimite de facto cinq sous-ensembles relativement bien indi-
vidualisés: la cour du chef de famille et des jeunes hommes de sa
dépendance directe (fils et neveux utérins); la cour du patriarche; la
cour des femmes (mères, soeurs, fi lles, épouses) et des jeunes en-
fants; un ensemble un peu plus diffus mais néanmoins marqué, qui
regroupe les utérins patrilatéraux du chef de famille; et, confinée
dans l'angle sud-ouest de la concession, l'étroite bande attribuée aux
locataires. Ce qui est donc tout particulièrement mis en valeur, en
l'occurrence, c'est la remarquabl e propri été de ce type d'habi tat de
permettre l'articulation souple de l'appartenance communautaire et des
partfcularismes statutaires, y compris dans le cas où l'importance
numérique du groupe de résidence ainsi que sa relative hétérogénéité
engendrent des formules spatiales plus complexes.
- 343 -

Faut-i l soul igner s une fois encore s qu'une telle propriété est
indissociable du caractère évolutif de l'habitats qui permet une
édification du bâti en concomitance quantitative et qualitative avec
la croissance de la famille et la complexité grandissante de sa struc-
ture? Dans notre exemples la première maisons en briques cuites s a
été construite par le patriarches père de l'actuel chef de famille en
1939; d'autres constructions ultérieures s mais construites de manière
plus précaires en banco et "matériaux végétaux s ont depuis disparus
pour être remplacées par de nouveaux bâtiments en dur: le plus ancien
est aujourd'hui la maison de planches s construite en 1957 s par le
cousin du chef de famille; la maison du chef de famille a été
construite par lui même en 1960 s ainsi que l'ensemble des autres
bltiments en 1961-62. En outres "maintenant que les enfants
grandissent"s comme il le dit lui-mêmes il envisage de faire
construire deux nouveaux bâtiments dans la cour des hornmes s laquelle
se refermerait ainsi sur elle-mêmes mais en conservant un passage vers
les concessions des deux frères (cf. le plan). Enfin s il caresse le
projet à plus long terme de construire une grande villa de rapport de
deux à trois étages avec des commerces au rez-de-chaussée s sur l'em-
placement de la placette dans l'angle sud-ouest de la parcelle.

5. Un exemple de configuration syncrétique


La concession n07 fournit enfin un exemple de configuration
syncrétiques où la référence implicite au modèle de type villas -la
maison en milieu de parcelle avec jardin ornemental devant -s se
combine au modèle de la concession avec cour intérieure. Elle a été
entièrement construite par l'actuel propriétaires chef de chantier
dans une entreprise du bâtiment. Cet hommes encore jeunes est marié à
une infirmières seule femme de cette génération à avoir un emploi
qualifié dans le secteur moderne. Sa conception de la famille est s
dans une certaine mesures proche du modèle occidental: il entend
rester monogames considère sa femme comme partenaire à part entières
ne veut pas avoir trop d'enfants afin de mieux assurer leur avenirs et
se dit chrétien. Cependant s il participe activement à toutes les céré-
monies qui rassemblent le lignage et ses alliés dans le sanctuaire des
vodu ancestraux s fait partie de deux associations d'entraide et de
tam-tams l'une à Amoutivé s l'autre dans le quartier, et rend fréquem-
ment visite à ses frères. Parfaitement intégré à la vie sociale et
religieuse du quartier, mais intégré également à la vie moderne, par
son métier, par ses nombreux déplacements à Lomé et dans les villes
secondaires du Togo, par ses pratiques de consommation (il est le seul
de sa génération à fréquenter les grands magasins de la ville), à la
tête d'une famille élémentaire de type occidental (lui-même, son
épouse et leur quatre jeunes enfants), mais élargie cependant par la
présence dans la maisonnée de deux nièces utérines de sa femme (une
apprentie-couturière, une écolière qui fait office de servante), ainsi
que d'un adolescent qu'il a pris comme apprenti, l'homme a construit
CONCESSION 7 BASSADJI

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6ENEALOGIE DE LA CONCESSION 7 BASSADJI

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- 346 -

une concession ~ l'image de lui-même: conjuguant sans dysharmonie


tradition et modernité.
La parcelle est de petite taille par rapport aux normes habituel-
les (360 m2), mais le faible effectif des résidents (9 personnes)
donne un taux d'occupation qui reste bas (40 m2 par personne, ~ compa-
rer aux trois exemples précédents: 25, 59 et 47). La surface bâtie
totale est de 192 m2, soit 53% de la parcelle, ce qui représente, par
rapport aux autres concessions, un coefficient relativement élevé
(dans 1es trois exemples précédents : 37%, 46%, 24%). .
Contrairement au modèle traditionnel, cette concession n'a pas
été bâtie sur le périmètre de la parcelle, ce qui dégage habituelle-
ment une cour intérieure. Certes, le premier bâtiment, qui date de
1959, a été construit en fond de parcelle. (Il comprend un deux-pièces
de 30 m2, aujourd'hu i occupé par l'épouse du chef de f am il 1e et sa
fille, plus une pièce indépendante de 13 m2 occupée par les deux
nièces utérines de l'épouse). Mais, en 1965, le chef de famille
construit pour lui une maison qui coupe la parcelle sur toute sa
largeur et la divise en deux parties: la cour du fond, réservée aux
femmes et aux enfants, est entièrement consacrée aux activités domes-
tiques, avec ses trois petites cuisines couvertes (deux pour l'épouse,
une pour ses nièces), son puits et sa douchière pour les femmes; el le
a sa propre entrée sur rue au nord de la parcelle. Vient ensuite le
bâtiment principal, divisé en deux corps (dans le plus grand, le chef
de famille dispose de deux chambres, et d'un séjour avec une partie
salon et, fait inédit jusqu'alors, un coin salle-à-manger, le tout,
prolongé par une terrasse et une douche, faisant 84 m2; dans le plus
petit, son apprenti partage une chambre avec l'aîné de ses fils, et
ses deux autres fil s ont une autre chambre). Les deux corps du bâti-
ment sont séparés par un passage couvert qui relie la cour domestique
de l'arrière à la cour de devant.
De celle-ci toute trace d'activité domestique a disparu: elle
est aménagée en jardin d'agrément, avec deux allées dallées, du sable
bien ratissé, et des arbustes (papayers, bananiers, bougainvilliés).
Seule concession au schéma traditionnel, un poùlailler dans un angle
et des fils d'étendage contre l'un des côtés. Mais, à cette nuance
près, la cour n'a plus ici qu'une fonction d'agrément et d'ornement.
Cet aménagement, aussi bien que son exiguïté, la rendent impropre aux
grands rassemblements communautaires.
Une telle configuration spatiale exprime une certaine tendance à
la monofonctionnalité et à la privatisation. Ce qui, dans les conces-
sions à cour commune, est simplement polarisation des diverses activi-
tés, féminines ou masculines, sur des emplacements déterminés mais non
délimités matériellement, si bien que tout se déroule dans le champ du
regard et de la parole des autres, se trouve. ici matériellement divisé
et séparé sur la base d'un schème dichotomique fondamental,
l'opposition masculin/féminin, paradigme1}'une série d'oppositions
complémentaires : devant/derrière; cour de prestige/ cour domestique;
espace semi-public/espace privé; ouverture sur l'extérieur/fermeture;
- 347 -

entrée sur rue principale/entrée sur rue secondaire; bâtiment de type


villa/bâtiment en bande de type traditionnel.
Dans cette série t le premier terme de chaque paire d'oppositions
est évidemment va10risé t comme on peut le constater à la différence
des surfaces bâties respectives t ainsi qu'à la différence corrélative
des "investissements consentis: les bâtiments "féminins" ont coûté
environ 670 000 FCFA t soit 13 400 FF (460 000 FCFA pour la construc-
tion de 1959; 210 000 FCFA pour celles de 1966); les bâtiments "mascu-
1ins" ont coûté 1 920 000 FCFA t soit 38 400 FF (1 700 000 FCFA pour la
vi 11 a du chef de fami 11 e en 1965; 220 000 FCFA pour 1es constructi ons
de 1974). En outre t ceux-ci sont mieux soignés: les constructions de
1974 sont pour partie recouvertes de fibro-ciment t pour partie de bac-
alumine; et le chef de famille envisage soit d'aggrandir sa maison en
construisant sur une partie de la cour de devant t soit de la casser
pour en construire une autre t "p1us présentab1e" t dit-il significati-
vement (1).
Ce modèle d'organisation de l'espace annonce sans doute une
évolution générale marquée par l'éclatement résidentie1 t l'autonomie
grandissante des familles é1argies t et leur installation sur des
parcelles dont l'urbanisation et la spéculation foncière t facteurs de
renchérissement t tendent à réduire de plus en plus la superficie. De
ce fait t la polyvalence fonctionnelle et symbolique qui caractérise la
grande concession traditionnelle t ne peut être reproduite à l'identi-
que quand le cadre spatial et social retrécit. La permanence de ce qui
en est conservé n'en est toutefois que plus remarquable: au tout
premier chef t la polarisation sexuelle de l'espace t la localisation
hors des pièces d'habitation (chambres et sa1ons)t de l'ensemble des

(1) L'ensemble représente donc un investissement de 2 590 000 FCFA (51


800 FF) étalé sur une quinzaine d'années. Chiffre étonnant si on le
rapporte au smig (qui est actuellement de 12 500 FCFA t soit 250 FF).
Certes t il faut considérer qu'ici il y a conjugaison de deux sa1aires t
l'un et l'autre au-dessus du smig. Il n'en reste pas moins que
l' importance de l'i nvest i ssement prouve t en ce cas comme dans 1es
autres t qu'au-delà du seuil de la pauvreté t le poste budgétaire prio-
ritaire est celui de l'investissement foncier et immobilier. Pour peu
que la sécurité foncière soit assurée t les citadins de Lomé ont donc
en ce domaine une propension à épargner et à investir qui devrait
inciter les pouvoirs publics à mettre la priorité sur les équipements
collectifSt et t pour l'habitat t à faire confi ance aux capacités des
populations.
- 348 -

activités domestiques et d'hygiène, et le'maintieri d'une cour inté-


rieure (ici dédoublée). Ce dernier élément apparait esserit'iel, puis-
qU'il cond il i on ne les précédents et qu' il confère à l'ensemble son
unité, tout en permettant 'le jeu des 'différences 'statutaires, symboli-
ques~ et fonctionnelles, sans oublier: qu'il est parfaitement adapté
aux conditions' climatiques (il rend possible la vie en plein alr et
assure une bonne climatisation naturelle)~ et que, en butre, ,il
préserve deu~ propriétésessenti~llesde ce tjp~d'habit~t : d'une
part, fonctiohnant partiellement comme ré~erve foncière; il en garah-
tit le ~aractère évolutif et l'adaptabilité; d'autre part, tadre de' la
plupart des activités 'diurnes, 11 permet de réduire les"surfaces
bâtles~ partant les 'coOts de construction, ce qui permet en' même 'temps
d'assurer à chaque'individu adulte(ave~ o~ sans enfant) la jouis~ance
de son propre logement autonome (le module de base étant défini par
l'association de la chambre~ pièce entièremen't privée, et du salon,
pièce ouvrant sur la cour, utilisée soit pour recevoir de manière plus
intime, soit comme deuxième chambre, pour les enfants notamment).
- ~:.,. . " ; - !. '. . .

'Ces constantes observée's dans unqua'rtier' resté r'elativement


traditionnel de ce point de vue', il convient maintenant de les mettre
à 11 é p r eu ve 'd'a ut r e s' é tu des 'd e ,c as, '1 oc a lis é e,s ai 11 eu rs.
1· .. '

"

, . La cour intérieure, espace polyvalent mais


distinctivement marqué par les pratiques: ici, la cuisine l '
des femmes et son mobilier.
- 349 -

VI - HABITAT, STRUCTURES FAMILIALES ET PRATIQUES SOCIALES DANS LE


VIEUX CENTRE VILLE
L'intérêt que présentait une comparaison avec le vieux centre de
Lomé tient au fait qulil constitue le noyau originel de la ville,
qu'il a été peuplé dés la décennie 1890-1900 par de vieilles familles
de la bourgeoisie côtière, depuis longtemps en relations commerciales
avec les Européens, et que la population en est, depuis, relativement
stable: en 1914, la totalité de l'espace était déjà appropriée, ainsi
que le montre le plan allemand de l'époque, et tous les lots étaient
inscrits au "Grundbuch", le cadastre allemand. Depuis, plus de 40% des
parcelles n'ont jamais été aliénées, 43% l'ayant été une seule
fois(1). Cette ancienneté de l'occupation des sols, cette stabilité de
la propriété des lots, souvent hérités dans l'indivision, cette
stabilité d'une population (Gin ou Mina et Anlo) ayant déjà derrière
elle une longue tradition commerciale et urba"ine, ainsi qu'une cer-
taine tradition de syncrétisme culturel (du fait d'une évangélisation
et d'une scolarisation souvent antérieures à la création de Lomé, ce
qui lui avait permis de constituer les premières élites togolaises aux
approches de l'indépendance), tout ceci pouvait ~ priori laisser
supposer que les structures sociales et spatiales y seraient fort
différentes du modèle, plus proche de la tradition rurale, tel qu'on
a pu l'observer à Bassadji, village d'urbanisation récente. Or de tels
présupposés, s'ils avaient pour eux les apparences de la logique .::'.

déductive, se sont révélés, à l'analyse inductive, très largement


erronés.
Certes, le vieux-centre n'a pas les structures de type villageois
qui caractérisent encore Bassadji et ses quartiers voisins (la cheffe-
rie de canton, le conseil des notables, des structures claniques et
lignagères); il n'en a pas, non plus, l'introversion idéologique et
religieuse: ici, ni cimeti'ère de quartier, ni sanctuaire de vodu,
mais les immeubles des banques, les grandes maisons de commerce, les
agences de transport aérien, le bloc à trois étages bétonnés du Grand-
Marché, les multiples magasins à vitrines, et la cathédrale construite
par les Allemands. Pourtant, en dépit de ces modernes ruptures archi-
tecturales, le vieux-centre a conservé quelques demeures coloniales à
un étage, dont les toits rosis par la rouille, les galeries à persien-
nes, les murs vieil ocre, et les rez-de-chaussée ouverts sur la rue,
disent la tradition urbaine et commerçante de ses habitants; il a
conservé, aussi, en tonalité dominante, comme dans l'ensemble de la
vi lle, ce décor à hauteur d'homme, dél imitant en bordure de rue des
parcelles encloses derrière l'ocre, le vieux rose ou le blanc de leurs
murs d'enceinte. Qu'on en passe le portail à double battant, et l'on
retrouve les mêmes paysages bucoliques qulà Bassadji : petites maisons
basses ouvertes sur une cour intérieure, souvent sablonneuse et ombra-
gée par des cocoti ers ou des papayers; puits au dessus duquel s'af-
faire une adolescente aux reins souples; cuisines en plein air avec
leurs cuvettes, leurs seaux métalliques, leurs fours malgaches, au

(1) cf. El Hadji Mohamed Diop, "Note sur la situation foncière au


Centre-Ville de Lomé", doc. ronéot., centre ORSTOM de Lomé, mai 1983.
- 350 -

milieu desquels, assises sur leur petit tabouret, les femmmes orches-
trent sans hâte la préparation du repas tout en bavardant; auvent de
palmes tressées qui fournit l'ombre prospice à la somnolence d'un
salarié rentré du travail; oriflame multicolore des pagnes qu'une
jeune femme accroche à bras tendus au fi l d'étendage.•.
Qu'on étudie ensuite la composition sociale de la population
résidente, et l'on constate que la plus grande ancienneté de l'instal-
lation en ville et de l'insertion dans l'économie urbaine, non plus
que le poi ds plus grand des i nfl uences occ i denta les, n'ont pas pour
autant fait disparaître les formes d'organisation et de répartition
de l'espace, ni les modes de relations et de regroupements, fondés sur
d'extensives appartenances parentales.
Certes, le lignage, et son expression spatiale, le système rési-
dentiel contigu, ne sont plus ici localisés dans le quartier: les
lignages que constituent ce qu'on appelle plus couramment les "grandes
familles" de cette vieille bourgeoisie côtière, sont depuis longtemps
segmentés en plusieurs branches, plus ou moins dispersées au gré des
fluctuations de l'économie marchande et de l'histoire coloniale, entre
Aného et Lomé, entre le Togo et le Gh an a, et, pour certains de leurs
membres dans d'autres pays d'Afrique (Côte d'Ivoire, Gabon, Congo... ),
où leurs comptétences plus tôt acquise les avait installés dans l'ad-
ministration ou le commerce colonial (rappelons que le Togo avait
alors la réputation d'être le "Quartier Latin de l'Afrique").
Cependant, on rencontre encore dans le vieux centre de grandes
concessions, sur lesquelles la pratïque de l'héritage indivis, liée à
l'ethique, déjà rencontrée à Bassadji, de la "Grande maison fami-
liale ll , autant que leur situation privilégiée au coeur de la ville, a
fixé des segments de lignage: familles étendues ou familles élargies.
1. Unité paradoxale de la famille étendue: llenjeu foncier. Etude de
cas à Agbadahonou (1).
L'exemple dont il est question maintenant est d'autant plus
significatif qu'il s'agit d'un lignage qui s'est constitué et dévelop-
pé dans et en même temps que la ville, et qu'il ne saurait donc être
rapporté à une quelconque transplantation ou survivance d'un groupe
préexistant (mais, bien entendu, sa création et son développement
renvoient à des schèmes sociologiques antérieurs, lesquels prouvent
ainsi leur capacité à s'accomoder fort bien de la ville et de ses
activités).
En effet, les aînés de ce lignage arrêtent leur généalogie ascen-
dante à leur père, qui en est le fondateur, sans pouvoir citer les
noms de leurs grands-parents. L'ancêtre fondateur du lignage est donc
arrivé à Lomé à l'époque où les Allemands, s'y installèrent, à la fin
du XIXe siècle.

(1) L'un des quatre quartiers du centre-ville; les trois autres sont
dawlato, Anagokome et Koketime.
- 351 -

D'origine Anlo, venu comme pêcheur de Keta, au Ghana, mais


sachant l ire et écrire, il s'établ it commerçant à Lomé, où il devient
l'un des notables reconnus par les Allemands, et fait partie des tous
premiers propriétaires inscrits au cadastre et mentionnés dans le plan
de 1914.
Reparti par la suite au Ghana, il y est nommé chef de Keta par les
Anglais. Il y demeure désormais avec ses frères et cinq de ses dix
fils,si bien que le lignage est aujourd'hui divisé en deux branches
principales, la ghanéenne et la togolaise. L'un de ses fils (n01), le
septième de ses treize enfants, actuellement employé de commerce à
Atakpamé, est le chef de la branche togolaise; dans la concession, il
a sa maison, qu'occupe l'un de ses enfants, lycéen à Lomé (n02).
Une fois définitivement réinstallé à Keta, le fondateur décide de
vendre son terrain de Lomé. Mais il se heurte à l'opposition
vigoureuse de l'un de ses neveux utérins, fils de sa benjamine, qui
était en même temps son gendre, puisqu'il avait épousé l'une de ses
filles. Fils de la soeur et mari de la fille, l'homme était bien
placé, dans un contexte de tradition matrilinéaire encore vivace, pour
faire prévaloir ses droits auprès de son oncle-beau-père. Celui-ci
renonce donc à la vente.
Mais à sa mort, en 1931, ses fils, forts de la nouvelle juridic-
tion agnatique, revendiquent la pleine propriété de la concession. Ils
se heurtent à une nouvelle résistance de la part de l'ensemble des
utérins de la branche loméenne: le même neveu et ses enfants, aux-
quels se joint un petit neveu, fils du fils de la soeur cadette du
fondateur (le n° 30 de la généalogie); à la mort prématurée de son
père, ce petit neveu et sa mère avaient été pris en charge par le
neveu-gendre du fondateur: les deux l ignées utérines se trouvaient
ainsi doublement solidaires l'une de l'autre. L'affaire est portée en
justice, mais les utérins plaident au nom des droits des soeurs et des
fi lles du défunt restées dans la concesion de Lomé, et les fils sont
déboutés. Par la suite, ceux-ci ont fait appel, mais l'affaire aurait
été interrompue dans des conditions mal éclaircies, par la mort du
neveu-gendre (vers 1950).
Aujourd'hui, la situation dans la concession porte la marque de
ces conflits récurrents pour l'enjeu foncier et de leurs séquelles:
la concession est en fait divisée en deux moitiés par un étranglement
en son mi lieu du bât i, étrangl ement encore reserré par un muret, et
qui sépare deux ensembles d'habitations, chacun tourné sur sa propre
cour intérieure. Cette division de l'espace consacre un nouveau cli-
vage: la moitié sud est entièrement occupée, et, semble-t-il,
appropriée de fait (puisqu'elles y louent des bâtiments à usage
commercial, hérités de leur père) par les deux filles (n° 16 et 22) du
neveu qui avait victorieusement résisté aux fils, leurs enfants et
petits enfants, ainsi que par un frère utérin (n° 26) de ces deux
soeurs et ses enfants.
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- 353 -

Par contre le petit neveu (n° 30) qui avait fait partie de la
coalition des utérins, est dans la moitié nord qu'il partage avec
trois fils (n01,3 et 14) du fondateur, dont l'un (n03) est l'époux de
sa soeur (n04), ainsi qu'avec une fille du fondateur (n09) et sa
descendance. L'un des fils du fondateur (le n01), chef de la branche
togolaise, réside en permanence à Atakpamé, oD il est employé de
commerce; l'autre fils (n03) a longtemps été pêcheur au Gabon et n'est
rentré que récemment pour cause de maladie, dont il ne guérit pas; le
troisième fils (n014), ancien électricien, est actuellement chômeur et
malade; quant au petit-neveu (n030), après avoir été absent durant
dix-neuf ans, il n'est rentré au Togo qu'en 1968, y a trouvé un emploi
dans une entreprise d'import-export, mais se trouve au chômage depuis
1981, date de son licenciement sans préavis.
Il est donc vraisemblable que les filles du neveu-gendre, fortes
de l' act i on menée par leur père et de leur présence cont i nue sur les
lieux, aient mis à profit l'absence des autres ayant-droit, ou la
faiblesse de leur santé et, visiblement, de leur caractère, pour
prendre de fait le pouvoir sur une moitié de concession. De toute
évidence, les rapports entre les deux parties sont tendus, et le
visiteur accueilli dans l'une, n'est accompagné dans l'autre qu'avec
une certaine réticence•••, surtout si sa position de chercheur accré-
dité par les pouvoirs publics laisse.craindre quelque action de réno-
vat i on-déguerp i ssement, qu i ob li gera it à remettre en jeu des droits
contestés ou mal assurés •••
Cependant le réel est toujours plus complexe que la présentation,
inévitablement schématique, qu'on en peut faire: en dépit de cette
situation, et d'une jouissance de fait inégalitaire de la propriété,
les différents porte-parole de la concession n'en sont pas moins
solidaires pour affirmer, au moins face aux éventuelles menaces exté-
rieures (de nouvelles emprises de l'Etat sont toujours possibles dans
les quartiers centraux)(l), la réal ité communautaire de leurs droits.
On réaffirme que l'ensemble des descendants togolais du fondateur,
fils et filles agnatiques comme neveux utérins, ont hérité de la
parcelle dans l'indivision, que tous y ont un droit de résidence, que
la concession est la "Grande maison familiale", et, qu'à ce titre,
elle restera propriété indivise de la famille.
On se tromperait en interprétant ceci comme le classique décalage
entre idéologie (officielle) et pratique (réelle), ou comme une con-
tradiction antinomique, alors qu'elle est dialectique: les anthropo-
logues savent bien que la réalité lignagère, - y compris dans les
sociétés les plus traditionnelles-, oscille constamment entre les
indispensables manisfestations d'unité de corps, qui font du lignage
(ou de la famille étendue) un groupe de pression, un collectif de

(1) Cf. la réaction à l'enquête: "annonce-t-elle un déguerpissement 7


Nos maisons vont-elles être rasées? Allons nous être délogés? Le
relevé que vous faites nous sera peut-être utile pour faire valoir nos
droits en ce cas 7" On imagine qu'un tel contexte n'est gu~re propice
à l'obtention d'informations toujours précises. Il faut savoir
interpréter silences et réticences.
- 354 -

lutte pour la défense des intérêts communs face aux menaces exté-
rieures, et les inévitables tendances centrifuges, car le lignage est
aussi segmenté en sous-groupes engagés dans des rapports de pouvoir et
de compétition. En bref, l'affirmation d'une solidarité et la coexis-
tence, parfois le devoir d'assistance, que celle-ci implique, ne sont
nullement incompatibles avec les relations conflictuelles plus ou
moins larvées, parfois ouvertes, qu'engendre le jeu des stratégies
particulières des individus et des sous-groupes. Ici la situation est
particulièrement nette, dans son ambivalence constitutive: à l'inté-
rieur du groupe, l'enjeu foncier amplifie et entretient les clivages
structurels, -entre droit matrilinéaire coutumier et droit patrili-
néaire moderne; entre agnats et utérins; entre utérins issus de filles
et utérins issus de soeur-, mais, vis-à-vis de l'extérieur, le même
enjeu foncier est plateforme commune d'une revendication et de straté-
gies solidaires (1). La concession occupe en effet une parcelle de
1800 m2 et cela seul suffit à expliquer l'importance de l'enjeu fon-
cier qu'elle représente, dans un quartier en plein centre-ville, où le
coOt des terrains renchérit chaque jour, et où la densité du bâti fait
constammment planer la menace potentielle d'une expropriation pour
raison d'intérêt public (2). De plus, cette situation au coeur du
centre commercial de Lomé, attire de nombreux locataires prêts à payer
des loyers plus élevés qu'ailleurs: sur les 67 résidents, on compte
32 locataires, dont un bon nombre de commerçants et d'artisans (à lui
seul, un gros commerçant d'art africain y loue deux magasins modernes
avec vitrine sur rue, de 88 et 37 m2, et un entrepôt de 18 m2;
donnant sur l'autre rue, on trouve encore une boutjque de vêtements
européens de 26 m2, un petit entrepôt d'objets d'art africain qui sont
vendus sur éventaire; et deux boutiques de pagnes, de 20 m2 chacune; à
l'intérieur de la concession, trois tailleurs yoruba, avec leur famil-
le et leurs employés ont leur lOQememt et leur atelier). Aussi, sur
une surface bâtie de 792 m2, 34% (269 m2) sont à usage professionnel,
ce qui, conjugué aux 134 m2 de logements occupés par les locataires,
donne un peu plus de 50% du bâti, qui sont de rapport.
(1) Ce phénomene n'est pas sans rappeler la situation de contradiction
interne, qui a caractérérisé la paysannerie française, contrainte aux
restructurations-modernisations à partir des années soixante. A tra-
vers les opérations de remembrement, notamment, la compétition pour la
terre a fait éclater la société paysanne traditionnelle, minée par les
conflits et l'exode rural, mais, en même temps, l'enjeu foncier a
suscité de nouvelles formes d'action collective, syndicales entre
autres, contre les "cumulards" ou contre les pouvoirs publics.
(2) Le déguerpissement brutal du longo, quartier haoussa du vieux
Lomé, en 1977, plus récemment celui d'Akodessewa, zone d'habitat
spontané de la périphérie sud-est de la ville, en 1983, sont, parmi
d'autres moins massifs, mais tout aussi expéditifs, des précédents qui
hantent la mémoire collective des citadins de Lomé. Le longo était
dans une zone où un décret de 1971 avait fixé le prix du m2 à 600 FCFA
(l2FF). Or en 1978, l'Etat a vendu à l a Banque Togo lai se pour le
Commerce et l'Industrie, sur l'emplacement de l'ancien longo, un
terrain de plus d'un hectare à 8 000 FCFA le m2 (160 FF). On conçoit,
dans ces conditions, les inquiétudes que peuvent nourrir solidairement
cette fois, les propriétaires coutumiers d'une parcelle de 1 800 m2,
dans un quartier encore plus central !
- 355 -

Dans ces conditions, on comprendra que le spectacle bucolique


qu'offre la cour d'une concession, puisse recéler des tensions cachées
avivées par l'importance de l'enjeu foncier et immobilier (d'autant
plus crucial, ici, qu'à l'exception d'une fille (nog) propriétaire
d'un salon de coiffure qu'elle fait aggrandir dans la concession, et
de deux arrière petites-nièces (n036 et 37) propriétaires d'une bouti-
que de tissus, les autres membres de la famille paraissent en perte de
vitesse du point de vue professionnel : trois hommes sont au chômage;
un autre fait commerce de pharmacopée traditionnelle; les autres
femmes font du petit commerce vivrier).
Cependant l'unité de l'ensemble n'est pas factice pour autant:
les cultures africaines ont, peut-être, plus que d'autres, le sens des
ambiguïtés et de l'ambivalence des rapports inter-personnels et l'ai-
mable tonalité des relations au quotidien n'est nullement incompatible
avec leur dimension agonistique.
Or, ce jeu dialectique de l'union et de la désunion, des tendan-
ces à la fusion et des tendances à la fission, les propriétés spa-
tiales de l'habitat en concession en permettent les manifestations
alternées ou simultanées: l'espace de la cour permet et signifie les
rassemblements, mais il peut également se découper en d'invisibles
délimitations, -(mais elles sont mises en oeuvre dans'des comporte-
ments observables)- et même, -(c'est ici le cas, comme ce l'était de
la concession n05 à Bassadji)- se scinder en deux, solution qui faci-
lite les prises de distance, mais en même temps prévient les éclate-
ments. La juxtaposition des maisons implique la proximité sociale,
mais elle assure en même temps l'indépendance de chacune d'elles,
puisque chacune ouvre directement sur la cour, et qu'on y peut entrer
ou en sortir sans avoir à traverser le territoire aux "dimensions
cachées", mais connues, du voisin. En outre, la mutiplicité des loge-
ments dans la concession y permet de déménager pour s'installer ail-
leurs, sans la quitter pour autant. Enfin, ses doubles entrées fré-
quentes, -(c'est ici le cas, où la concession est délimitée au sud et
nord par deux rues parallèles, si bien que chaque moitié y a son
entrée et son adresse distinctes)- permettent des allées et venues
séparées.
2. Un exemple de concession à étage à Koketime
L'exemple suivant est intéressant dans la mesure où il montre
comment, dans le cas d'une densification du bâti et d'une densité plus
élevée de la population résidente, l'élévation d'un étage peut permet-
tre de transposer dans la verticalité, sans les dénaturer, les schèmes
d'organisation de l'espace caractéristiques de l'habitat horizontal en
concession.
concession à étage Lomé - centre

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- 358 -

En l'occurrence, la parcelle est de taille beaucoup plus réduite


que dans les exemples précédents; elle fait 302 m2, soit un peu moins
que la concession n° 7 de Bassadji, dont nous avons vu qu'elle n'était
habitée que par 9 personnes (une famille élémentaire monogamique de 6
personnes, à laquelle se rattachaient trois dépendants).Or, ici, la
parcelle est habitée par un segment de lignage regroupant 27 person-
nes, ce qui représente une densité très élevée de 1 habitant pour Il
m2. La surface bâtie au sol est de 214 m2, soit 71% de la superficie
de la parcelle, ce qui représente le coefficient de surface bâtie le
plus élevé des exemples analysés jusqu'ici (qui allaient de 24% à
53%). Cependant, la construction en étage a permis de porter, pour le
moment, le total de la surface bâtie à 312 m2, dont 194 m2 en pièces
d'habitation, sur lesquels 110 sont actuellement occupés, ce qui donne
un taux d'occupation de 4 m2 par personne, deux fois plus élevé que le
maximum enregistré jusqu'à présent (dans les autres exemples, la
fourchette se situait entre 8 et 14 m2).
Comme le montre la généalogie, la concession est actuellement
occupée par 1e segment d'un 1i gnage fondé par 1e grand-père paterne 1
des chefs de fami11e(1).
Comme dans l'exemple précédent, l'installation à Lomé est contem-
poraine du développement de la ville à partir des années 1890 sous
l'impulsion des Allemands. A cette époque, le fondateur quitte Aného
pour venir s'établir comme maçon à Lomé où il achète la parcelle aux
Ewé d'Amoutivé, propriétaires coutumiers du sol. A sa mort, ses trois
fils héritent dans l'indivision de la parcelle, dont le titre de
propriété est actuellement détenu, au nom de l'ensemble des ayant-
droit, par le dernier fils encore vivant, aujourd'hui établi à Aného,
dont il est le septième chef (cf. note précédente). Les habitants de
la concession sont les descendants des deux autres fils. Le premier,
comptable à la S.C.O.A. (Société Commerciale de l'Ouest Africain) eut
un seul fils, actuellement comptable dans une société de transport et
secrétaire de la section locale du parti. Le second, instituteur à la
mission catholique, eut quatre enfants, dont deux fils: le premier
est comptable-caissier dans l'un des grands hôtels de Lomé, le second,
aujourd'hui décédé, était employé de commerce à la C.F.A.O. (Compagnie
Française d'Afrique Occidentale). Catholiques, monogames et citadins
depuis plusieurs générations, employés de deuxième génération dans le
tertiaire moderne, les habitants de la concession n'en ont pas pour
autant rompu avec la tradition de la grande famille étendue, de l'ha-
bitat communautaire, et du maintien, en dépit de sa distention, d'un
système résidentiel intégrant ses différents éléments. Ainsi, la con-
cession est-elle considérée comme une "maison familiale", héritée
collectivement du grand-père, et dont personne ne peut revendiquer la

(1) Ce lignage fait lui-même partie de l'une des deux branches d'un
lignage maximal remontant à Lawson 1er, "roi" d'Aného de 1820 à 1859.
Ce Lawson, en réalité Akouété Zank1i, avait été désigné par le roi des
Guin de G1idji pour accom'pagner en Angleterre un certain capitaine
Law. A son retour, il avait pris le nom de son protecteur anglais, et,
ayant appris à lire et à écrire durant son séjour en Europe, il avait
été nommé par le roi de G1idji, chef d'Aného, alors centre du commerce
vec les Européens.
- 359 -

propriété exclusive, mais dont ses descendants se partagent le droit


d'usage, chacun y étant propriétaire des bâtiments qu'il y aura fait
construire avec l'assentiment des autres, transposition citadine de la
combinaison, caractéristique du milieu rural, de la propriété commu-
nautaire du sol et de la possession privative des champs cultivés.
Cependant, la concession est elle-même insérée dans un système
résidentiel plus vaste, englobant les autres concessions des membres
du lignage, celles-ci, acquises ultérieurement, pouvant être
appropriées privativement : il y a notamment celle du fils aîné du
fondateur, établie plus à l'est, dans le quartier de Souza-Nétimé, sur
une parcelle achetée de 900 m2, et où résident actuellement sa veuve
et une fille mariée (mais dont le mari réside ailleurs) avec ses
enfants; le fils, l'un des résidents (n08) de la concession du grand-
père, vient souvent y passer le week-end avec sa femme et ses enfants,
car, dit-i l, "j'y retrouve ma mère et ma soeur, et je peux m'y
reposer, ce quartier étant plus calme que le centre-ville". En outre,
des relations sont évidemment maintenues avec Aného, où réside le
dernier fils (n05) du grand-père, depuis qu'il en a été nommé chef.
Celui-ci est d'ailleurs propriétaire d'une grande partie du rez-de-
chaussée et des bâtiments de la concession, puisqu'il les avait fait
construire lui-même en 1952 (cf. le plan), et il conserve la
jouissance d'un cinq-pièces de 54 m2 à l'étage, habituellement
inoccupé, mais qu'il utilise lors de ses venues régulières à Lomé.
Quant à la concession elle-même, son taux d'occupation élevé
n'implique pour autant aucun entassement dans la prosmicuité : au
contraire, l a répartition de ses habitants dans l'espace correspond
aux segmentations de la famille étendue ainsi qu'aux catégories d'âge
et de sexe, et, en cela, elle n'est en rien différente des schèmes
déjà observés.
La répartition principale se fait entre les deux niveaux: au
rez-de-chaussée, sont regroupés l'ensemble des descendants du second
fils du grand-père, plus l'une des filles de celui-ci, revenue dans la
concession après le décès de son mari, ainsi que l'une de ses nièces
utérines; à l'étage, le fil s du fil s aîné du grand-père habite avec sa
famille la partie sud (1) que son père avait fait construire en 1958,
tandis que la partie nord est habitée occasionnellement par le dernier
fils vivant du grand-père.

(1) La famille occupe un quatre-pièces de 44 m2. Remarquons à ce sujet


une innovation par rapport au modèle traditionnel: tandis que les
cinq enfants (entre 12 et 5 ans) sont regroupés dans la même chambre,
le mari et la femme ont une chambre commune (alors que le modèle
traditionnel veut que la femme partage sa chambre avec ses plus jeunes
enfants). La valorisation du modèle conjugal de type occidental est
ici explicite, aussi bien de la part du mari, que de la part de son
épouse (celle-ci est allée à l'école catholique jusqu'en 4ème, chose
rare pour une femme de sa génération et ses références sont visible-
ment imprégnées de cette éducation). Elle est vendeuse de beignets
devant la maison. La petite pièce du fond sert notamment à entreposer
l'huile et la farine nécessaire à leur confection.
- 360 -

Au rez-de-chaussée, où vit le plus grand nombre, vingt résidents


permanents, la répartition est la suivante:
- la famille élémentaire du fils (n020) du deuxième fils du grand-père
y occupe un trois-pièces de 25 m2, où lui-même a sa propre chambre,
tandis que son épouse, vendeuse de plats cuisinés au Grand-Marché,
partage la sienne avec leurs quatre enfants (deux fils en sixième,
deux filles à l'école primaire); les deux chambres ouvrent sur un
salon qui donne sur la cour, ce qui confère son autonomie au logement,
en dépit de sa mitoyenneté avec les autres;
-attenante à 1 a chambre du n° 20, une pièce indépendante de 6 m2 est
occupée par sa soeur (nOI5), revendeuse de riz et de sucre à l'entrée
de la concession, et deux de ses enfants, une fille apprentie-
coûturière et une fille écolière (n018 et 19);
-attenante à la chambre de son épouse, mais indépendante par son
entrée directe sur cour, une petite pièce de 8 m2 abrite l'autre soeur
(n° 26) du n020. Cette femme est veuve d'un mari qui résidait
ailleurs; l'une des filles est en troisième, l'autre en primaire.
Elle-même est revendeuse occasionnelle de produits vivriers;
-dans le deux-pièces de 16 m2 suivant, sont regroupées quatre femmes:
la veuve (n030) du frère du n° 20, vendeuse de riz cuisiné au marché,
et sa fille, apprentie-coûturière (n031), ainsi que l'une des filles
(n06) du grand-père, veuve elle-aussi, et sa nièce utérine (nO]);
-dans le prolongement du précédent, un deux-pièces autonome de 41 m2
regroupe quatre jeunes gens, dont l'âge et le sexe exigent la résiden-
ce séparée: les deux fils de la soeur n015, le fils de la soeur n°
26, et le fils de la veuve (n030) du frère décédé. L'aîné de ces
jeunes gens (nOI6) ancien élève de première, a 23 ans et se retrouve
chômeur; il en est de même pour son cadet (nol7) qui a vingt ans et a
poursuivi sa scolarité jusqu'en seconde (1); le troisième (n° 27) a
également vingt ans et il est apprenti; le quatrième (n032), quatorze
ans, est en C.M.2;
-sur la rue, une boutique de fripperies est louée par l'oncle d'Aného
à un Ibo du Nigéria;
-en fond de concession, trois-pièces de 31 m2 sont vacantes: elles
éta i ent occupées par 1 a grand-mère (n02) et l'un des fil s décédés du
grand-père.
Il convient enfin, pour mieux souligner la continuité entre cet
exemple et les précédents, de relever le maintien de la cour, dans
laquelle sont installées les diverses dépendances (toilettes,
douchière pour les hommes et douchière pour les femmes, cuisine-
couverte), et où l'essentiel des activités diurnes se déroulent, ce
qui permet de compenser l'exiguïté des pièces d'habitation. Au rez-de-
chaussée, une galerie couverte courant le long du bâtiment principal
offre en outre un dégagement utilisable en toute saison : abrité du
(1) A"insi, comme on l'avait constaté pour Bassadji, les progrès de la
modernité" se marquent auss i par l'appariti on du chômage, notamment
II

chez les jeunes-gens, qu'une scolarité même relativement longue (en


tout cas plus poussée que celle qu'avaient pu suivre leurs parents) ne
met pas à l'abri de la mobilité sociale descendante. Il est
particulièrement significatif qu'aujourd'hui même les vieilles
familles de la bourgeoisie côtière puissent être, au moins
partiellement, affectées par ce processus qui condamne certains de
leurs membres à II redescendre ll dans le secteur informel.
- 361 -

soleil ou de la pluie, on peut aussi bien y faire la CU1Slne sur un


foyer' mobile installé sur le pas de porte, que s'y reposer sur un banc
en conversant avec les voisins, ou s'y allonger sur une natte pour y
faire la sieste. De nombreuses plantes tropicales en pots apportent
ici une touche supplémentaire de fra'cheur agreste. Remarquons enfin,
qu'au premier étage, des terrasses assurent quelques une s des
fonctions principales de la cour: on y fait la cuisine en plein air,
on. peut s'y installer pour y prendre le frais, on peut même y aménager
un petit poulailler ..•
A-insi, la construction à deux niveaux peut-elle répondre à des
contraintes de densification, sans pour autant perdre les vertus de
l'habitat horizontal. Cette solution est d'ailleurs fort ancienne à
Lomé: elle a dû être reprise du modèle de la maison coloniale avec
commerce au rez-de-chau ssée et logement à l'étage.
Aujourd'hui, la technique de la sur-élévation d'un étage sur un
premier bâtiment recouvert d'une dalle de béton la rend plus fréquen-
te, pour peu que les constructeurs en aient les moyens financiers
(beaucoup de propriétaires annoncent des projets à plus ou moins long
terme en ce sens). Mais au delà d'un étage, par contre, le maintien
des propriétés de l'habitat en concession de plain-pied appelle sans
doute des solutions architecturales inédites, auxquelles les
spécialistes devraient réfléchir en poursuivant et approfondissant le
travail de transposition que la pratique des auto-constructeurs leur
donne en exemple •••
lomé-centre vue
générale
Au premier plan, commerce
sur rue et maison d'habi-
tation lui tournant le
dos;
Au second plan, maison à
étage en fond de cour;
A l'arrière plan, a
cathédrale allemande.

lomé-centre: cour dans


l a -grande co· 7 ,~ - - - - ,
Au premier par, batiment
de br i Ques C" 1 c; en par-
tie non couv~r il est
prolongé par ur:. annexe-
remise en pl~nches et
tôles;
Au fond deux bâtiments en
parpaings enduits et à
usage commercial regar-
dent vers la rue et enca-
drent l'entrée.
Contraste entre l'exigui-
té du bâti et la cour
spacieuse (remarquer les
ombrages et le mobilier).
Au pied du cocotier, en-
tièrement enroulée dans
un pagne une jeune fille
fait la sieste tandis
Qu'une femme s'apprête à
écraser les ingrédi~ts
de la sauce sur u~e pier~
re plate posée sur une
souche.

Une scène familière:


Deuxfemmes à leur cui-
sine sur le pas de porte
de l'une d'elle; conver-
sation avec le visiteur
de passage. .
- 363 -

VII. HABITAT, STRUCTURES FAMILIALES ET PRATIQUES SOCIALES DANS UN


QUARTIER LOTI : HANUKOPE (1)

Par rapport aux deux exemples précédents, Hanukopé présente 1 a


particularité d'être le seul quartier ancien de Lomé à avoir été loti
(2). En effet, quand les Français prennent possession de la ville en
1919, ils amènent avec eux du petit personnel administratif
francophone recruté au Dahomey. Ces fonctionnaires, Mina ou Fon,
originaires de Cotonou, Porto-Novo, Ouidah, ou Grand-Popo, d'abord
obligés de s'installer en locataires étrangers, demandent bientôt que
des terrains leur soient attribués, où ils puissent construire leur
maison. En 1929, l'administration procède à cette fin au lotissement
d'un terrain domanial, à l'emplacement de l'ancien hippodrome alle-
mand. Cent cinquante lots de 625m2 (25X25) sont alors attribués, leur
concession définitive étant subordonnée à la construction d'une maison
en dur (d'une valeur de 10 000 F CFA de l'époque). En 1949, une
seconde tranche est lotie et le quartier prend sa forme définitive.
Comme dans le vieux centre-ville, la propriété est stable, la
plupart des lots étant occupés soit par leurs premiers propriétaires,
soit par leurs héritiers. La population du quartier est donc elle-même
très stable et socialement homogène: aux pères, fonctionnaires dans;
l'administration, les douanes, l'enseignement, la police, les chemins '.
de fer, sont venus s'ajouter les fils, employés dans les mêmes sec- • l' "

teurs ou dans les sociétés d'Etat, les grandes maisons de commerce, ou .


la banque, tandis que les femmes sont pour la plupart revendeuses de'
produits vivriers, d'autres étant couturières à domicile, employées de
commerce, ou secrétaires. Parmi les chefs de familles,certains ont un . . ....
statut de cadre moyen ou supérieur (directeur d'école, comptable, ".:

(1) Deux traditions sont citées pour expliquer cette dénomination:.


Selon l'une, le quartier devrait son nom au fait. que se trouvait là un , ;

hameau, où les gens, se rendant à Lomé des villages environnants,


s'arrêtaient pour boire du vin de palme; d'où l'expression : haanukose
: -le hameau" (kd~e) où l'on boit n (haanu). Selon les habitants u
Il

quart i er, cette nom i nat i on es t fausse et provi ent d'une mauva i se
prononciation du toponyme. En fait, le premier habitant des lieux, un
Ewé originaire de Notsé, venu s'installer là sur ~es terres vacantes,
et y ayant eu plusieurs. enfants décédés en bas âge, avait enfin pu
garder un fils qu'il avait appelé Hanu, grou in de porc", nom dépré-
Il

ciatif destiné à leurrer les jeteurs de mauvais sorts. Ce fils, lui


succédant, a laissé son nom au quartier: Hanu-Kope,·le hameau (ou la
ferme) de Hanun~ Soucieux de la bonne·image de leur quartier, aux
lendemains de l'indépendance, ses habitants sont intervenus auprès de
la mairie pour que l~on modifie l'orthographe du nom de leur quartier
dans les papiers officiels et sur les panneaux.
(2) Au recensement de 1981, la population se chiffrait.à 2428
habitants.
- 364 -

chef de service, ingénieur, •.. }, les plus vieux ayant en outre un


passé de militants politiques, pour la plupart dans les rangs du
P.T.P. (Parti Togolais du Progrès), partisan d'une indépendance gra-
duelle et recrutant surtout parmi les fonctionnaires et notables. Si
l'on constate en outre que, à l'exception de quelques polygames de la
première génération, tous les hommes sont monogames, et que la très
grande majorité d'entre eux est d'obédience chrétienne ou maçonnique,
on concevra"que l'on puisse caractériser cette population comme appar-
tenant à la moyenne bourgeoise occidentalisée.
Ses origines administratives, sa composition ethnique hétérogène
(Mina, Fon, puis Ewé), ses caractéristiques sociologiques, expliquent
une autre originalité du quartier: en l'absence de toute chefferie
traditionnelle, il est le seul de Lomé à s'être doté, en 1960, d'un
conseil de quartier, composé de notables élus par l'ensemble des
propriétaires et par les locataires à partir d'un an" d'ancienneté. Ce
conseil, dirigé par un bureau de cinq membres, est organisé en trois
commissions: de conciliation, chargée d'applanir les différents;
d'urbanisme, chargée des problèmes de voirie, d'assainissement, et
d'équipement; d'animation, chargée d'organiser les fêtes, les loisirs
des jeunes, et l'entr'aide pour les funérailles. A partir de 1969,
comme partout ailleurs, une cellule du R.P.T. (Rassemblement du
Peuple Togolais, parti unique) a été mise en place et fait apparemment
bon ménage avec les vieux notables.
La vie collective du quartier est aussi centrée autour de son
marché, le deuxième en importance après le Grand Marché du centre-
ville, du temple protestant et de la paroisse franciscaine. Avec le
conseil du quartier, ce sont les principaux pôles d'activités, car
les boutiques et les échoppes d'artisans sont peu nombreuses et les
bars-dancings, inexistants. Pour toutes ces raisons, le quartier a une
réputation de tranquillité, vantée par ses habitants. Titulaires de
titres de propriété en bonne et dûe forme, disposant de revenus rela-
tivement élevés du fait de leur insertion dans le tertiaire moderne,
les chefs de famille se veulent ngens de bonne vie et moeurs", menant
une existence bourgeoise centrée sur la famille, et considérant comme
un passé bien révolu les turbulences dont certains d'entre eux furent
victimes au lendemain des élections de 1960 qui avaient vu la victoire
des nationalistes du C.U.T. (Comité de l'Unité Togolaise).
Ayant délaissé le culte ancestral des vodu maîtres immanents des
destinées humaines, au nom des idéaux chrétiens d'adhésion individuel-
le au Dieu transcendant et·de libre arbitre de la personne morale, les
gens d'Hanukopé n'ont apparemment conservé, mais en les laïcisant, que
deux éléments principaux de leur patrimoine culturel originel : les
funérailles, occasions obligatoires de grands rassemblements entre
parents, alliés, amis et voisins, et les associations d'entr'aide,
mais ici, dépouillées de leur implications religieuses traditionnelles
(ce sont des mutuelles dites nfraternitésnou des associations de
riverains de telle ou telle rue). Cependant, on s'accorde souvent à
- 365 -

trouver que les funérailles obligent à bien des dépenses excessives


(1), et l'on remarque que les associations ne marchent pas toujours
très bien du fait de "1'individualisme des gens".
Dans ces conditions, on pouvait s'attendre a priori à retrouver,
tant au niveau de la structure familiale qu'à celul de l'habitat, des
modes d'organisation qui fussent très proches des modèles occidentaux.
Or les études de cas ont fait apparaître, au contraire, une
remarquable permanence des schèmes familiaux et spatiaux observés dans
les exemples précédents: en dépit de leur superficie normalisée, et
plus faible que la plupart des cas déjà étudiés, les parcelles y sont
construites selon le modèle de la concession collective; ces conces-
sions abritent un nombre élevé de résidents (dans notre échantillon,
près de 22 en moyenne, l'écart étant de 7 à 54) (2), ceux-ci étant
organisés en familles élargies, auxquelles viennent s'adjoindre dans
certains cas, des ménages de locataires; de plus chacune de ces
concessions est considérée comme la Il grande maison" de la famille, à
ce titre, est transmise dans l'indivision, et se trouve à la tête de
systèmes résidentiels distendus, dont les autres éléments, concessions
sises hors du quartier, sont, eux, appropriés privativement.
A titre d'illustration, et en signalant au passage quelques
variations autour de ces thèmes généraux, nous présentons deux études
de cas.

1. Un exemple de concession d'une famille élargie


Cette concession a été fondée par un ancien directeur d'école,
actue 11 ement retraité et veuf de ses deux épouses. Comme tous les
exemples étudiés, elle se caractérise par son caractère évolutif,
l'ensemble des bâtiments ·ayant été édifiés en six étapes échelonnées
sur quarante quatre ans. En 1934, alors instituteur près de Kpalimé,

(1) La f am i 11 e du défunt est fréquemment ob li gée de s'endetter pour


faire face aux frais: payer les gerbes, la conservation du corps en
vue de son exposition, la nourriture et les boissons pour recevoir les
nombreux participants dont certains sont là pour huit jours ou même
plus, la location des chaises et d'une bâche pour ombrager la cour, la
consommation du courant électrique, la messe de réquiem, etc. On
oppose ces funérailles, dont les frais tendent ici à être entièrement
assumés par la famille du défunt, soucieuse de son prestige et de ne
pas prêter le flanc aux critiques, aux funérailles traditionnelles,
telles qu'elles fonctionnent encore dans des quartiers comme Bassadji,
où l'ensemble des parents, des alliés et amis de la famille du défunt
cotisent pour aider celle-ci (qui se retrouve souvent bénéficaire).
(2) Ces chiffres sont analogues à ceux de notre échantillon de Bassad-
ji où la moyenne est de 20 pour un écart de 5 à 52.
COHCES~IO" HANourOPE

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cour cimentée
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SOUS UloIlTES R ESIOUliE LLU DANS LA COHCEUION

o PARENtE UtERlloIE DU C.F.


- 368 -

le chef de famille achète la parcelle à un cousin qui ne l'avait pas


construite. En 1937, un premier bâtiment en briques cuites de huit
pièces, est achevé. Nommé directeur d'école à Lomé en 1947, il s'y
installe et fait construire l'année suivante un second bâtiment de
trois pièces, ainsi que deux douchières, en briques cuites également.
En 1960, il prend sa retraite. En 1964-65, il ajoute à la première
maison une terrasse cimentée et deux pièces recouvertes d'une dalle de
béton, les murs porteurs .étant cette fois en parpaings de ciment. En
1976, un troisième bâtiment, qui abrite l'atelier de couture de sa
petite-fille aînée, est ajouté à l'ensemble. Il est suivi en 1979 par
l'installation de deux toilettes (1), et, en 1981, par un local à
usage commercial, actuellement loué à un Ouatchi, dépanneur-vendeur
d'appareils de radio et de télévision. Un pigeonnier, aujourd'hui à
demi-démoli, deux cuisines extérieures sous abri de tôle ondulée et
une petite resserre complètent l'ensemble.
La surface bâtie totale est de 325m2, soit 52% de la superficie
de 1a parce 11 e, ce qu i renvoi e ici auss i à l' importance de lié 1ément
cour. Cependant, une variante par rapport aux modèles précédents,-non
inédite toutefois puisqu'on l'a déjà rencontrée à Bassadji-, tient à
l'existence de deux cours distinctes. En effet le chef de famille
avait délibérément installé la première maison de 1937 au milieu de la
parcelle, de manière à séparer une cour de devant et une de derrière,
"l'une plus bruyante, l'autre, plus calme". Au débouché du monumental
portail d'entrée, donnant sur la terrasse et le salon de sa maison, la
première est cimentée et constitue un espace semi-public destiné aux
passages et à l'accueil des visiteurs. Isolée par le bâtiment central,
sans ouverture sur l'extérieur, la seconde est réservée aux activités
domestiques, tout en servant en même temps de lieu de repos. En outre,
comme le précise le propriétaire, "cette disposition centrale de la
ma i son permet de rejeter 1es dépendances autour, si bi en que je ne
suis pas gêné par les uns ou les autres u • Par rapport au cas observé à
Bassadji, une intention spécifique est ici affirmée: il s'agit moins
de séparer espace féminin et espace masculin, que de séparer un espace
semi-public d'un espace privatisé, et de cantonner, à la périphérie de
celui-ci les activités domestiques, tandis que l'intimité de la famil-
le, et la tranquilité de chacun, est mieux préservée que dans le
modèle panoptique et "panacoustique" de bâtiments en vis-vis autour
d'une cour commune intérieure. Cependant cette formule reste de com-
promis: construites sur le pourtour de la parcelle, les dépendances à
usage d'habitation délimitent une cour commune intérieure réservée à
l'usage familial quotidien, tandis que le~ dépendances à usage commer-
cial et artisanal sont sur la périphérie de la cour intérieure à usage
semi-public de devant.

(1) Leur coût total, fosse septique comprise, a été de 198000 F CFA
(3960 FF). Ceci explique que de telles installations soient encore
très rares à Lomé.
- 369 -

Pour le reste, les caractéristiques observées ailleurs se retrou-


vent ici à l'identique. La concession est habitée par 12 résidents
(dont un par intermittence), ce qui, pour une surface bâtie en pièces
d'habitation de 154m2, donne un taux d'occupation de près de 13m2 par
personne, avec de fortes disparités, ici également, selon les statuts.
Le chef de famille (n01) dispose ainsi de trois pièces de 80m2,
plus deux chambres de passage pour les visiteurs; sa fille aînée
(n02), femme de cinquante ans, divorcée depuis longtemps, qui a tou-
jours vécu chez son père et travaille au marché du quartier comme
revendeuse de fruits, occupe une chambre de 16m2 avec ses deux plus
jeunes fils (n05 et 6); la fille aînée de celle-ci (n03), couturière
dans la concession, occupe la chambre voisine (16m2) avec un fils
(nO?) qu'elle a eu hors mariage, ainsi qu'avec sa soeur cadette
(n04).
Les deux autres pièces de la maison centrale (16m2 chacune) sont
occupées par des locataires: dans l'une, un policier, ami d'un parent
du chef de fami 11 e, et son frère cadet (n010 et 11); dans l'autre, de
manière intermittente, le locataire (n012) de la boutique.
Enfoin, une nièce utérine (n08) de la première épouse décédée du
chef de famille, et son fils lycéen (n09) disposent dans une dépendan-
ce d'une chambre de 10m2, ainsi que d'une cuisine couverte dans la
cour arr i ère.
Le groupe familial est donc ici aussi de type "élargi", l'exten-
sion s'étant faite, comme ailleurs, dans la ligne utérine, puisque, à
côté du chef de famille, veuf de ses deux épouses, on trouve une
famil~e matri-centrique (sa fille aînée, les quatre enfants de celle-
ci, et le fils de l'aînée des enfants), ainsi qu1un ménage matri-
centrique (la nièce utérine de sa première épouse et le fils de celle-
ci).
De sa deuxième épouse, qui résidait dans une autre concessi.on,
aujourd'hui louée, qu'il possède à Doulassamé, autre quartier de Lomé,
le chef de famille a eu cinq enfants: deux filles sont mariées et
sont installées dans la zone de Tokoin avec leur mari; la première,
sténo-dactylo dans l'administration, héberge une soeur cadette,
lycéenne; la seconde, secrétaire bilingue dans un organisme inter-
africain, héberge un frère cadet, lycéen. Quant au cinquième, il est
actue 11 ement hébergé chez un am i de son père à Abi dj an, où il est en
terminale.
L'ensemble de la famille est ainsi réparti dans différents quar-
tiers de la ville, entre lesquels les va et vient sont fréquents et
les· transferts toujours possibles, et la maison d'Hanukopé se trouve
donc à la tête d'un système résidentie]~ englobant encore cinq autres
parcelles acquises ici ou là par le chef de famille. Afin de prévenir
tout différend, celui-ci a déjà procédé à un partage entre tous ses
enfants, y compris ses filles: l'aînée, fille unique de sa première
épouse, à laquelle son père est particulièrement attaché, (et qui est
à la tête de sa famille de quatre enfants plus un petit-fils), a reçu
la moitié de l'héritage, l'autre moitié étant partagée entre les cinq
garçons et filles de la seconde épouse. Outre des raisons d'ordre
affectif, ont joué en l'occurrence la prise en compte des charges
- 370 -

charges familiales, ainsi que le désir de ne pas léser les filles,


préoccupation encore peu fréquente en général, mais attestée dans le
quartier, où lion a moins dlenfants et où se développe la tendance à
considérer les filles, mieux et plus anciennement scolarisées qu'ail-
leurs, à l'égal des garçons.
2. Un exemple de famille étendue.dans une concession à étage
Llautre exemple rappelle celui de la maison à étage du vieux-
centre ville. La densité de population y est identiquement très élevée
: 54 résidents sur 625 m2 soit 11,5m2 par personne (11m2 dans l'exem-
ple du vieux-centre). Mais ici la surface bâtie est proportionnelle-
ment plus importante: au sol, elle est de 388 m2, ce qui représente
62% de la superficie de la parcelle, mais avec les 219 m2 de llétage,
la surface bâtie totale est de 607m2, dont 394m2 de logement, ce qui
donne un taux d'occupation de 7m2 par personne (4m2 dans la maison à
étage du vi eux-centre).
Cependant, le chef de famille annonce le projet à plus ou moins
long terme de démolir pour reconstruire une grande maison sur pilotis
de manière à avoir une cour plus vaste sous la maison. Cette solution
architecturale, inspirée de quelques modèles de grandes villas bour-
geoises récentes de la ville, répond ici à llimpression de surpeuple-
ment, produite par lleffet de masse dlune population résidente de 54
personnes et amplifiée par le grand nombre de locataires (50% du
total, soit 27 personnes, dont 3 Mina, 15 Kotokoli, et 9 Yoruba). Or,
ici comme ailleurs, tout le monde partage la cour commune, qui est
effectivement fort encombrée.
Cette transformation du bâti viendra achever un processus inaugu-
ré en 1938 quand le père du chef de famille, un employé des douanes,
achète la parcelle. Six ans plus tard, en 1944, il achève llensemble
du rez-de-chaussée, construit en briques cuites, et obtient l'année
suivante le titre foncier définitif. En 1955, il obtient un prêt de
500 000 F CFA (10 000 FF) pour construire, en parpaings de ciment, un
deuxième étage sur llaile ouest. En 1960, l'hypothèque est levée. A sa
mort, en 1971, par testament destiné à éviter d'éventuelles revendica-
tions de la part des frères classificatoires du défunt, la propriété
est transmise à l'ensemble de ses fils, sous la responsabilité de
l'aîné. Depuis 1974, celui-ci, agent d'Air Afrique, étant affecté à
Abidjan, c'est son frère cadet, petit cadre de banque, qui fait office
de chef de famille, responsable de la concession.
Llensemble de la parentèle se structure ici de la manière suivan-
te :
La "famille" élémentaire du chef de famille (n010), avec son
épouse (n011), leurs deux jeunes enfants (n012 et 13), plus llun de
ses jeunes frères (n018), occupe la partie la plus importante du
bâtiment situé à droite de l'entrée. On remarquera que toutes les
chambres donnent sur une grande pièce de séjour comportant un coin
salle à manger et un coin salon (avec radio, télévision, chaîne Hi-Fi
et réfrigérateur), distribution plus centralisée que llhabituelle
- 371 -

formul e chambre-salon ouvrant directement sur 1a cour commune, mai s


qui préserve néammoins une certaine intimité (ainsi l'épouse dispose-
t-elle de sa propre chambre).
L'"indépendance relative de cette famille est en outre spatiale-
ment marquée par le fait que le salon nlouvre pas directement sur la
cour commune, mais sur une terrasse légèrement surélevée et séparée
par un petit muret, ce qui délimite un lieu certes ouvert aux regards,
mais exclusivement réservé à la famille élémentaire du maître de
maison.
A cette exception près, organisée selon un modèle syncrétique,
mi-occidental (par la présence du grand séjour-salon commun, encore
que la partie salon en soit surtout utilisée par le chef de famille),
mi-traditionnel (les chambres séparées, l'absence de cuisine, qui se
fait sur la galerie; l'absence de toilettes et de douches, rejetées
dans la cour), les autres éléments d'habitation correspondent aux
normes habituelles: les sous-unités sociales se distribuent dans des
pièces uniques, ou des modules chambre-salon, ouvrant directement sur
1a cour commune pour 1e rez de chaussée, ou sur 1 a gal eri e commune
pour l'étage. Ai ns i, deux frères cadets du chef de fami 11 e (n017 et
19), l'un étudiant en droit, l'autre élève en première, ont un deux-
pièces indépendant.
De son côté la mère du chef de famille (n01), veuve de son père,
habite un deux-pièces qu'elle partage avec une belle-fille (14), veuve
de l'un de ses fils, et deux enfants de celle-ci (15 et 16), les
quatre personnes constituant ainsi une famille matri-centrique à trois
générations.
De même la soeur aînée du chef de famille (n03), également veuve,
partage avec ses six enfants (n04 à 9) une pièce unique ouvrant sur la
cour commune.
La soeur cadette (n02) du père du chef de famille, veuve elle
aussi, est également à la tête d'une famille matri-centrique à trois
générations comprenant sa fille (20), dont le mari réside ailleurs, et
les cinq enfants de sa fille (21 à 25). La grand-mère partage une
chambre-salon avec l'aînée des enfants, sa fille occupe un autre deux-
pièces avec ses deux plus jeunes enfants, tandis que deux garçons (21
et 23) ont une chambre indépendante. Enfin, deux parents plus
éloignés, deux fils lycéens (26 et 27) d'un frère classificatoire du
père de chef de famille ont un deux-pièces à l'étage.
Quant aux locataires, ils sont répartis entre le rez-de-chaussée
et le premier étage. Une famille matricentrique, composée de la femme
d'un polygame résidant ailleurs, de sa fille mariée à un homme rési-
dant aussi ailleurs et de l'enfant de celle-ci (50, 51, 52), occupe
une chambre en fond de cour. Une autre femme mariée sans son mari
partage une chambre voisine avec son enfant (53 et 54). La pièce
mitoyenne est occupée par une femme isolée avec ses deux enfants (42,
46 et 47), tandis que de l'autre côté de la cour, la mère de cette
femme, elle-même veuve (41) occupe un deux-pièces avec un autre fils
(43) et deux autres filles (44 et 45), dont l'une a deux enfants (48
et 49).
Un locataire isolé, chauffeur de taxi (n036), dispose dl un autre
CONCESSION 2 HAHOUICOPE

R u E

NORO

l'E~- DE- CHAUSSEE

0.5 cm par mètre


373 -

CONCESSION 2 HA NOUICOPE

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- 374 -

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SOUS UNITES IESIDENTlEllES DANS' LA CONCEUION

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o PARENTS UTUIHS D. C.F.


- 375 -

deux-pièces au rez-de-chaussée. A côté, deux deux-pièces sont occupés


par une partie de la famille polygamique d'un artisan horloger (n028),
celui-ci occupant l'un, sa première épouse, couturière, étant dans
l'autre avec leurs deux enfants (n029, 31, 32), tandis que sa deuxième
épouse, couturière également, occupe un autre deux-pièces au rez-de-
chaussée avec leurs trois enfants (n030, 33, 34, 35). Enfin, deux
deux-pièces de l'étage sont actuellement inoccupés.
Ainsi, pour la même superficie de parcelle que dans l'exemple
précédent, l'élévation d'un étage permet-elle d'accueillir une popula-
tion plus de quatre fois plus nombreuse, sans que pour autant les
habitants soient contraints de vivre dans la promiscuité. Leur ouver-
ture, au rez-de-chaussée sur la cour, à l'étage sur la galerie, assure
l'autonomie de chacun des logements. Le groupe des résidents peut de .
la sorte se répartir dans l'espace habité en fonction de ses subdivi-
sions, du statut, de l'âge, du sexe, ceci étant bien entendu modulé
selon les situations concrètes, matérielles notamment: ainsi, la
soeur aînée du chef de famille partage avec ses tous jeunes enfants
une seule pièce de 20m2, alors que son frère dispose, avec ses quatre
dépendants, de cinq pièces de 58m2, sans compter la galerie et la
terrasse attenantes; ainsi, les quatre personnes de la famille du
locataire tailleur ont-elles un deux-pièces de 24m2, tandis que les
huit personnes de la famille du locataire horloger se répartissent
entre trois deuxpièces de 72m2. Comme dans les cas précédents, remar-
quons encore que les jeunes hommes, surtout s'ils ont statut d'étu-
diants, disposent de logements séparés: il en est ainsi des deux
frères cadets du chef de famille et de ses deux cousins.
Cependant, la relative exiguïté de la cour commune est ici
ressentie comme une contrainte: la trouvant saturée, le chef de
famille veut l'agrandir en construisant une villa sur pilotis de
manière à dégager tout le rez-de-chaussée. Il remarque qu'"il y a trop
de monde, trop de bruit, trop d'enfants et qu'on n'est pas
tranquille". Cet homme jeune (il a 34 ans), calme et pondéré, catholi-
que pratiquant, opposé à la polygamie, (car elle suscite des conflits
entre les enfants des différentes épouses, et qu'elle accroît le
nombre d'enfants qu'il est ensuite difficile de tous scolariser),
partisan convaincu du progrès et soucieux de promotion professionnelle
(il suit des cours de perfectionnement pour améliorer son statut dans
la banque), paraît désireu.x d'assurer avant tout la sécurité de sa
famille élémentaire et de prendre un peu ses distances vis-à-vis de la
grande ma i sonnée et du rô le de tuteur qu'il y tient. Ayant acheté un
terrain dans la zone de Tokouin-Aviation, il affirme son intention d'y
construire pour s'y installer plus tard et être "tranquille là-bas
avec sa femme et ses enfants".
Toutefois, la transformation de la maison familiale d'Hanukopé
n'en demeure pas moins un objectif prioritaire à ses yeux, signe
indéniable, une fois de plus, de la prégnance de l'éthique de la
grande famille et de son support matériel, la grande maison indivise.
Hanukopé, en dépit de l'occidentalisation partielle du mode de vie et
des références de ses habitants, n'offre donc guère de différence avec
Lomé-Centre ni même avec Bassadji. A côté de quelques variantes, qui
e sont d'ailleurs pas spécifiques (l'élévation d'un étage, la
construction en milieu de parcelle, la séparation de deux cours), les
constantes sont visiblement plus importantes: caractère évolutif et
d'adaptabi l ité permanente du cadre bât i; co-développement de l'espace
habité et de la structure familiale; maintien de familles de type
élargi, parfois même de type étendu; importance de la parenté utérine
liée à l'existence des familles matricentriques; permanence de la cour
intérieure comme lieu des activités diurnes, domestiques, relationnel-
les et rituelles; affectation des espaces en fonction de la structure
interne du groupe de résidence et de sa hiérarchisation selon les
statuts, l'âge et le sexe; général ité de l a formule du deux-pièces ou
de la pièce unique juxtaposant des logements au'tonomes; apparition de
formules plus complexes intégrant des éléments du modèle de la villa
bourgeoise pour le chef de famille; valorisation éthique de la grande
maison-mère considérée comme symbole et lieu de ralliement de la
parentèle et, à ce titre, maintenue en indivision; développement des
stratégies de spéculation foncière et immobilière et développement
corrélatif des systèmes résidentiels distendus.

Hanukopé : concession à étage. La même concession vue de la


Vue dela cour prise de la rue. Noter la coexistence de
terrasse du chef de famille. matériaux différents (brique
Noter l'exigulté de llespa- cuite, parpaings de ciments)
ce commun et une tendance à ainsi que la présence dlune
la monofonctionnalisation : la galerie à l'étage: sorte dl
cour est en permanence envahie ersatz, à niveau de la cour.
par les activités économiques.
- 377 -

CONCLUSION : ESPACE, STRUCTURES, HABITUS


Tout au long de cette étude, l'espace de résidence est donc
apparu comme essentiellement lié aux structures de parenté. Plus exac-
tement, comme la matérialisation de ces structures et des pratiques
(sociales, idéologiques) qui les accompagnent. De même, en effet, que
toute organisation est indissociablement représentation d'elle-même et
qu'il est donc vain de poser la représentation comme le reflet d'une
organisation qui lui pré-existerait, de même l'espace résidentiel
n'est pas la simple projection seconde.de structures familiales déjà-
là. En d'autres termes, l'homologie structurale entre celui- là et
celles-ci ne tient pas au fait que le premier serait le simple produit
des secondes, mais au fait qu'ils sont dans un rapport de co-produc-
tion. Si donc toute organisation est en même temps, pourrait-on dire,
mise en forme spatiale d'elle-même, ceci signifie que les structures
familiales et l'espace résidentiel sont dans un rapport d'engendrement
congruent, impl iquant d'incessants ajustements réciproques, puisqu'à
l'efficace spatial des dispositifs sociaux répond l'efficace social
des dispositifs spatiaux. Les premiers permettent ainsi de comprendre
l'espace du type "concession" dans ses dimensions sociologiques (comme
espace communautai re différenci é et hiérarchi sé), symbol i ques (comme
espace porteur de si~nifications historiques, religieuses et éthi-
ques), et pratiques (comme espace support d'activités quotidiennes
diversifiées selon les statuts, l'âge, et le sexe, ainsi que comme
....
enjeu de stratégies, parfois concurrentes). Les seconds donnent à voir ',"

, :.
les structures sociales du type "lignage", "famille étendue" ou
"famille élargie" dans leur fonctionnement concret, ordinaire et ex-
traordinaire, dans le court terme des pratiques répétitives comme . , '1
..
dans le long terme des pratiques stratégiques, et ils permettent de """
" ",1
comprendre qu'elles ont des "besoins spatiaux" qualitatifs et quanti-
tatifs, historiquement et culturellement spécifiques. ". . .
,'

Ainsi la structure lignagère explique les systèmes résidentiels


cont i gus, composés de concess ions f am il i ales mitoyennes ou voi s i nes, , ".
.

mais, en revanche, les contraintes spatiales engendrées par l'urbani-


sation, la densification des parcelles et la spéculation immobilière
expliquent la délocalisation de la structure lignagère et la disten-
tion des systèmes résidentiels. Ainsi la famille étendue explique
l'habitat collectif mais, réciproquement, le découpage de l'espace
urbain en parcelles contiguës inextensibles explique que cet habitat
se soit resserré sur leur périmètre autour de ce qui est devenu à la
fois cour fermée et réserve foncière intérieure, réplique inversée, en
introversion, du hameau rural familial se constituant en extraversion
par essaimage autour de la case paternelle. Ainsi la permanence des
solidarités familiales extensives explique les regroupements qui
donnent la famille élargie et la persistance consécutive du dispositif
en forme de concession, y compris dans un contexte social d'occidenta-
lisation et d'insertion réussie dans l'économie moderne, et dans un
contexte spatial de densification entrainant des transpositions sur
deux niveaux, mais inversement la hausse du coût des terrains, la
réduction consécutive de la taille des parcelles et leur densifica
- 378 -

tion, expliquent en partie le processus d'essaimage résidentiel et


l'évolution qui fait passer d'une situation où la famille étendue est
à la fois unité de résidence et de fonctionnement socio-économique, à
une situation où l'unité de résidence est la famille élargie, et
l'unité de stratégie foncière et de mobilité sociale, la famille
élémentaire.
Ces rapports de variation concommitante entre les structures de
parenté et leurs matérialisations spatiales, où tantôt les unes,
tantôt les autres apparaissent comme exerçant un effet de détermina-
tion, indiquent qu'en fait les unes et les autres sont soumises à des
déterminants extérieurs, qui tantôt agissent plus directement sur la
structure de parenté elle-même, ce qui affecte par contre-coup sa
matérialisation spatiale, tantôt agissent plus directement sur celle-
ci, ce qui affecte par contre-coup celle-là. Ces déterminants exté-
rieurs sont ceux que l'on subsume sous le conceptd'"urbanisation
dépendante" : croissance urbaine sans développement induite par un
système capitaliste extraverti, dominé et désarticulé, qui entraîne
l'extension des relations marchandes dans un contexte de sous-indus-
trialisation, de sous-emploi, de sous-équipement, et de faible capaci-
té d'intervention de l'Etat, dont les conséquences sont, notamment,
l'-insuffis'ance des revenus salariaux, l'absence de protection sociale,
1e développement du secteur informel et de l'économi e "souterra i ne ll
,

la spéculation foncière et immmobilière, et l'urbanisation IIsauvage"


par auto-construction et appropriation illégale ou para-légale sur
fond de menaces d'expropri at i on, certes ponctuell es et sporadi ques,
mais brutales, par la puissance publique.
C'est ainsi que certaines des caractéristiques de cette urbanisa-
tion dépendante expliquent les tendances à l'autonomisation de la
famille élémentaire.
La modernité occidentale, en introduisant le droit agnatique et
la propriété privée, explique le passage d'un système de parenté à
filiation matrilinéaire dominante à un système à filiation patrili-
néaire dominante, et d'un régime foncier marqué par l'indivision des
terres collectivement possédées par le matril ignage avec héritage en
ligne utérine, à un régime marqué par l'héritage en ligne agnatique
directe (de père en fils) et le morcellement corrélatif de la propiété
foncière. De surcroît, la croissance urbaine et l'afflux de nouveaux
citadins entraînant la valorisation de la propriété foncière et immo-
bilière, celle-ci devient l'enjeu de pratiques spéculatives et d'une
course à la propriété qui est l'un des moyens les plus importants des
stratégies de mobilité sociale et d'accumulation du capital. Ces deux
facteurs expliquent que la famille élémentaire tende à devenir l'agent
autonome de ces stratégies, désormais poursuivies individuellement par
le chef de famille au profit de sa descendance directe (de ses fils
surtout, sauf dans les milieux l110nagames et occidentalisés, où les
enfants sont moins nombreux et où les filles ont de plus en plus droit
à leur part d'héritage). Ils rendent compte également de l'essaimage
résidentiel, - les fils allant s'installer sur les différentes parcel-
les héritées de leur père-, cet essaimage accentuant en retour l'auto-
- 379 -

nomie de la famille élémentaire. Ces pratiques sont aussi, on l'a


remarqué, une réponse des citadins à une politique urbaine de laissez-
faire général, mais qui s'assortit d'opérations ponctuelles de
"déguerpissement" laissant planer une menace latente sur la propriété,
si bien que l'acquisition de terrains dispersés est à la fois prise de
gages et démultiplication des risques.
La monétarisation de l'économie et le développement du salariat
vont dans le même sens, en faisant de l'école un autre moyen privilé-
gié d'insertion dans l'économie urbaine: or les frais de scolarité
représentent un investissement coDteux, auquel on ne consent qu'en
faveur de ses descendants directs (les fils surtout, et, souvent, les
plus doués d'entre eux seulement).
Certes, ces stratégies de mobilité sociale ne sont pas
accessibles au même degré à tous: les mieux à même de les poursuivre
sont les citadins de deuxième génération et plus, qui ont bénéficié
d'une formation leur permettant de s'insérer dans le secteur des
revenus salariaux, tout en ayant hérité d'un patrimoine foncier et
immobilier issu d'un fonds coutumier ou acquis à peu de frais par la
génératio"n précédente. Bien sûr, il ya là un processus cumulatif
porteur de stratification sociale. Ainsi, on a pu constater qu'au sein
d'un même lignage de Bassadji, les familles d'ouvriers qualifiés ou
d'employés du tertiaire moderne avaient pu, beaucoup mieux que les
familles d'artisans du secteur informel, mener une politique de mobi-
1ité soci ale ascendante.
Cette autonomie croissante des familles élémentaires, conj~guée à
la diversification accrue de leurs statuts socio-économiques,
paraîtrait donc, à terme, engager les citadins de Lomé dans un
processus irréversible d'émergence d'un modèle familial de type occi-
dental, auquel correspondrait un logement individuel, l'un et l'autre
sous-produits de la modernité urbaine capitaliste.
Or ce processus, qu'on devrait au moins voir s'accuser dans les
couches moyennes, n'y a pas été vérifié dans les faits. On a constaté
au contraire que la tendance dominante était à la constitution de
familles élargies, ensembles composés d'une famille élémentaire en
position centrale doninante, celle du chef de concession, à laquelle
s'agrègent d'autres éléments de la parentèle, en particulier des
familles matri-centriques de soeurs ou de filles (veuves, divorcées,
mariées mais ne résidant pas chez le mari, ou mères-célibataires),
ainsi que des adultes célibataires (frère cadet, fils, neveu utérin,
etc.), auxquels s'ajoutent, dans beaucoup de cas, des ménages de
locataires. .
L'examen des huit exemples présentés ici montre qu'en moyenne 31
personnes (parents+locataires) résident dans la concession. Certes,
cette moyenne masque des écarts importants qui renvoient à la diversi-
té des situations, mais ce qui est significatif, c'est que dans les
trois quartiers étudiés, qui sont pourtant habités par des citadins de
deuxième génération et plus, mais sont différenciés du point de vue
socio-économique (petite bourgeoisie récente d'ouvriers et d'employés,
plus artisans du secteur informel, chez les anciens paysans éwé de
- 380 -

Bassadji ; ancienne bourgeoisie de commerçants et d'employés de com-


merce chez les vieux citadins mina et anlo du centre-ville; fonction-
naires et cadres moyens du tertiaire moderne chez les Mina, Fon et Ewé
d'ancienne tradition urbaine de Hanukopé), les moyennes et les écarts
sont sensiblement analogues.
Dans les trois quartiers, l'existence de familles restreintes
isolées dans un logement individualisé, fait figure d'exception, et,
surtout, ne paraît correspondre qu'à un moment d'un processus évolutif
: le plus souvent, elle est le produit d'un essaimage résidentiel qui,
pour un temps, peut isoler un couple et ses enfants, mais à plus ou
moins long terme cette famille restreinte s'élargira par adjonction
d'autres segments de la parentèle étendue.
Dans les trois quartiers, on rencontre inversement des cas de
familles étendues concentrées sur le même espace résidentiel, mais on
a pu noter qu'elles avaient tendance à se segmenter en familles élar-
gies, même si, dans certains cas, l'absence de stratégie
d'accumulation du capital foncier (un exemple à Bassadji), ou des
difficultés professionnelles conjuguées à une situation de rivalité au
sujet du patrimoine (un exemple dans le centre-ville), entrainaient
les différents segments de la famille étendue à rester sur la même
concession, non sans tensions internes, de toute manière grosses de
sci ss i ons à venir.
Il s'agissait donc d'expliquer pourquoi, en dépit de mécanismes
soci o-économi ques centrifuges y condui sant en princi pe, ce n'est pas
la famille restreinte, mais la famille élargie qui constitue l'unité
de résidence habituelle.
Nous avons vu qu'intervenaient en ce sens plusieurs facteurs
centripètes, où les influence socio-culturelles traditionnelles se
conjuguaient au poids des déterminants socio-économiques modernes.
Les citadins de Lomé sont issus de sociétés à organisation clani-
que et lignagère, dont l'exemple de Bassadji, tout particulièrement
(mais on l'observe ailleurs), a montré la prégnance: si les clans ne
sont plus que des références lointaines (liées au souvenir d'une
origine plus ou moins mythique ou légendaire commune), les lignages,
par contre, ensembles de parents issus d'un même ancêtre connu et
relativement proche (situé dans la période que précède immédiatement
et vient figer la colonisation), restent le lieu de solidarités for-
tes, surtout dans les anciens villages, devenus quartiers urbains, de
Bè et de Amutivé. Outre le poids d'une certaine inertie sociologique
et idéologique, facilement explicable par le fait d'une citadinisation
tout de même récente, il faut aussi considérer que, dans le nouveau
contexte foncier urbain, le lignage conserve, sous une forme réinter-
prétée, l'une de ses fonctions traditionnelles essentielles: en tant
que groupe de gestion et de défense des intérêts communs, il retrouve
une vigueur accrue dans une situation de compétition pour le sol,
puisque l'appartenance lignagère permet de légitimer les droits coutu-
miers des descendants des premiers propriétaires et de maintenir leur
pouvoir de pression solidaire, a~ssi bien face aux Pouvoirs Publics
(1)

(1) Dont ils ont réussi à se faire reconnaître: le cadastre de Lomé


mentionne en effet les propriétés de telle ou telle "communauté"
(identifiée par le nom de l'ancêtre du lignage, devenu de ce fait
patronymique).
- 381 -

que face aux allochtones affluant dans leurs quartiers comme loca-
taires et comme candidats à la propriété. Dans.1es anciens villages
comme Bassadji, le fait que les différentes familles d'un même lignage
habitent encore largement dans des concessions mitoyennes ou voisines,
et constituent ainsi des systèmes résidentiels contigus, transposition
urbai ne de l'espace vi 11 ageoi s, renforce évi demment cette sol i darité
1ignagère.
Dans les autres quartiers, peuplés dès l'origine de citadins
venus d'ailleurs, le lignage s'est trouvé pre~que d'emblée soumis à un
processus de dispersion résidentielle (ses membres se répartissant
entre les villes côtières du Bénin, du Togo et du Ghana, au gré de
leurs migrations successives). Toutefois, le liens de la parenté au
sens large, parenté dans le lignage et la famille étendue, parenté par
alliance, n'y sont pas détruits pour autant. Ici, comme dans les
quartiers autochtones, des liens se maintiennent entre les différentes
concessions habitées par les membres de la parentèle. Des unes aux
autres des transferts sont toujours possibles. En particulier, la
"grande maison" du fondateur, maintenue dans l'indivision le plus
souvent, fait fonction de centre d'accueil pour les veuves ou les
divorcées qui y font retour, ainsi que pour des parents de passage, ou
pour des petits enfants ou des neveux qui y sont hébergés pour des
raisons pratiques (proximité de l'école ou du lieu d'apprentissage,
notamment). La "grande maison" se trouve ainsi à la tête d'un système
résidentiel certes distendu et plus lâche, mais qui n'en manifeste pas
moins la persistance de réseaux de solidarité qui,s'i1s ne colncident
pas avec la totalité du champ de la parenté 1ignagère et par alliance,
en recouvrent du moins une large partie et continuent en tout cas de
s'y inscrire (surtout dans les quartiers autochtones, où le réseau
social d'un individu inclut rarement des personnes qui ne soient pas
déjà comprises dans l'espace de parenté et de voisinage, si bien que
la notion d'ami, qui ne serait pas parent d'une manière ou d'une
autre, n'y a guère de sens).
Le maintien de telles solidarités, qui sont indissociab1ement
d'ordre pratique et idéologique, fonctionnel et symbo1 ique, s'exp1 i-
que, au moins dans leur dimension pratique et fonctionnelle, par
l'effet d'une détermination négative de l'urbanisation dépendante: en
l'absence de tout système de sécurité sociale (à l'exception des
caisses de retraite pour une petite minorité de salariés qui n'en
tirent de toute manière que des revenus très faibles, il n'existe pas
d'assurance chomage, maladie ou vieillesse, ni caisse d'allocations
familiales), c'est la famille étendue surtout, mais aussi la parenté
plus large, qui continuent d'assurer une certaine redistribution des
revenus et, en tout cas, la protection sociale qu'elles assument
depuis toujours, et, dans cette permanence fonctionnelle transposée en
milieu urbain, trouvent une raison d'être ininterrompue.
L'urbanisation et l'insertion dans le système capitaliste (qu'il
soit "moderne" ou "informe"') ont certes engendré un changement
notable, dans la mesure où la parenté 1ignagère et par alliance, et
même la famille étendue, y constituent de moins en moins des groupe-
ments localisés. Cependant, en dépit de leur dispersion dans l'espace
- 382 -

urbain - et souvent au delà-, ils n'en continuent pas moins d'exister


sous la forme de réseaux de relations privilégiées d'entr'aide, d'as-
surance mutuelle et de clientèle, à travers lesquels les personnes,
les biens, l'argent et les services circulent, et dont les systèmes
résidentiels, qui se distendent mais n'éclatent pas en unités autarci-
ques, sont la matérial isation spatiale visible.

Mais le maintien de tels réseaux ne tient pas seulement à des


facteurs d'ordre fonctionnel. S'articulent à ceux-ci des facteurs
d'ordre culturel, au premier rang desquels vient l'institution des
funérailles. Celles-ci sont en effet un "phénomène social total" au
sens que Mauss donne à ce concept: elles mettent en mouvement les
différents registres de la vie sociale (morphologique, économique,
familial, socio-politique, religieux) et les différents éléments ras-
semblés de la structure sociale (quartiers, parenté clanique et ligna-
gère, parenté par all i ance), au cours de grandes concentrations fes-
tives et cérémonielles où, se donnant théâtralement en spectacle à
eux-mêmes, "la société prend, les hommes prennent conscience sentimen-
tale d'eux-mêmes et de leur situation vis-à-vis d'autrui"(l) •
Dans toutes les ethnies du sud, donc dans tout Lomé (où celles-ci
représentent 80 % de la population), y compris dans les couches so-
ciales où les cultes vodu ont disparu (à Hanukopé et dans le centre-
ville, par exemple), les funérailles sont l'occasion récurrente des
rassemblements les plus grands, les plus spectaculaires et les plus
animés: alors que les mariages et les naissances sont célébrés à peu
de frais dans le cercle étroit des deux familles directement
concernées, les décès, ceux des personnages importants surtout, (chefs
de famille, vieillard connu dans le quartier, notabilité, adulte
réputé pour sa réuss ite, vi ei 11 e femme à l a nombreuse descendance,
commerçante aisée), donnent au contraire lieu à de vastes
concentrations qui emplissent la cour de la concession et débordent
souvent sur toute la largeur de la rue. Annoncées par la radio et par
la presse (la rubrique la plus lue du quotidien local est la double
page consacrée aux faire-part), annoncées également par des émissaires
dépéchés prévenir les parents installés hors de la ville ou émigrés,
les funérai 11 es font converger sur l a "grande mai son" l'ensembl e du
réseau social du défunt (parents paternels et maternels, alliés), et,
au delà, par effet de solidarité successive, des fragments d'autres
réseaux sociaux. Rassemblés là et disposés par grandes catégories de
statut, d'âge et de sexe (d'un côté les anci ens et l es adultes chefs
de famille; de l'autre les femmes et les jeunes enfants; d'un côté
les jeunes gens massés derrière les orchestres de tam-tam; de l'autre
les beaux-frères et les gendres), souvent rejoints par les membres
d'associations masculines ou fémoinines d'entr'aide et de danse dont
l'un ou l'autre fait partie, quelquefois par des collègues de travail
(dans les milieux employés dans le secteur moderne), parfois par tel
ou tel personnage public (chef traditionnel, haut fonctionnaire,
ministre), parents et alliés forment alors, au jour de la plus forte
concentration, un chatoyant corps constitué qui peut réunir plusieurs
centaines de personnes. Là, en un coude à coude serré mais souple et
mouvant, dans la danse, les chants et la musique des tam-tams, dans le

(1) M. Mauss,Sociologie et anthropologie, Paris, PUF, 1960, p.275


- 383 -

partage des boissons et de la nourriture, dans les conversations, les


plaisanteries, les retrouvailles et les échanges de nouvelles, dans la
continuité de la longue veillée nocturne et de la chaude journée
consacrée à la prise en charge collective des dépenses, tous se don-
nent mutuellement le spectacle de leur solidarité, dépassement récur-
rent des tensions, des rivalités, ou tout simplement des éloignements
qui, en temps ordinaire, distendent les liens et, parfois, assombris-
sent l es coeurs.
C'est le moment de resserrer le réseau distendu par la modernité
urbaine, c'est l'occasion de retrouver les émigrés ou les parents
d'ailleurs, de faire connaître aux plus jeunes des parents qu'ils
n'ont encore jamais vus et dont on leur précise la position généalogi-
que; c'est aussi l'occasion privilégiée, pour la famille du défunt,
de faire parade de sa puissance et de son hospitalité, et pour les
autres, les alliés surtout, éventuellement les notabilités, de faire
montre de leur statut et de leur générosité en contribuant aux dépen-
ses par une somme que le "gr iot", agitant à bras tendu les billets,
proclamera bien haut sous les applaudissements de tous. Les anciens
discutent entre eux des affaires de famille; des camarades de même
classe d'âge, heureux de se retrouver, s'éclipsent un moment pour
aller partager, dans l'intimité de la chambre de l'un d'eux, une bonne
bouteille d'alcool; des jeunes gens et jeunes filles se remarquent et
engagent discrètement des idylles, qui déboucheront parfois sur des
mariages; les hommes et les femmes, en deux corps distincts, se
donnent la représentation de la solidarité particulière à chaque sexe
et de leurs différences complémentaires ; les jeunes enfants, tantôt
l'oeil vif, tantôt la paupière lourde, à leur insu apprennent les
chants, les danses et les rites, et s'imprègnent des paroles, des
attitudes et du maintien qui, s'incorporant à leur mémoire psycho-
somatique, tissent progressivement leur identité personnelle sur la
trame d'une identité collective, ainsi magnifiée dans la chaleur
communautaire de la fête et sacralisée par le rite, affirmation socio-
logique de la permanence du groupe par delà l'existence des individus
qui le composent passagèrement (et d'ailleurs le recomposent indéfini-
ment pour la religion vodu selon laquelle les dieux viennent périodi-
quement posséder des vivants, et les défunts se réincarner dans les
nouveaux-nés), célébration de tout un tissu social qui, à travers le
passage de l'un de ses membres dans le monde des morts, se donne à
voir et à vivre dans son intangible vitalité.
Intériorisés au jour le jour dans leur fonctionnement quotidien
plus ou moins fragmenté, vécus intensément dans leur totalité en actes
au cours des grandes mises en scènes funéraires, un tel tissu social,
et les représentations et valeurs qu'il implique, ne sont donc pas
seulement un donné structurel "objectif", sur lequel pèseraient les
déterminants extérieurs connotés par le concept d'llurbanisation dépen-
dante". Il s exi stent aussi en tant que schèmes,corporel s, affectifs,
intellectuels et éthiques, ce que P. Bourdieu, voulant rendre compte
de l'articulation du collectif et de l'individuel en des termes qui
rompent notamment avec les abstractions réifiées du type "personnalité
de base" ou "modèle culturel", -constructions inférées de l'observa-
tion de régularités de pratiques, qu'elles sont ensuite, tautologique~
- 384 -

ment, chargées d'expl iquer-, propose de dénommer "habitus" : des


"systèmes de dispositions durables et transposables, structures
structurées prédisposées â fonctionner comme structures structurantes,
c'est-~-dire en tant que principes générateurs et organisateurs de
pratiques et de représentations qui peuvent être objectivement adap-
tées ~ leur but sans supposer la visée consciente de fins et la
maîtrise expresse des opérations nécessaires pour les atteindre,
objectivement "réglées" et "régulières" sans être en rien le produit
de l'obéissance ~ des règles, et, étant tout cela, collectivement
orchestrées sans être le produit de l'action organisatrice d'un chef
d'orchestre" (1). "Loi immanente (••• ) inscrite dans les corps par des
histoires identiques" (ibid., 9), "histoire incorporée, faite nature,
et par l~-même oubliée----er1tant que telle, l'habitus est la présence
agissante de tout le passé dont il est le produit: partant, il est ce
qui confère aux pratiques leur indépendance relative par rapport aux
déterminations extérieures du présent immédiat" (ibid, 94).
En l'occurrence, l'habitus des citadins Ewé, Mina, Anlo et Fon de
Lomé, hérité d'une longue histoire pré-coloniale de contacts inter-
ethniques, et pareillement affronté ~ la même histoire coloniale, donc
informé par "des expériences statistiquement communes", explique que,
par del~ la diversité grandissante de leurs situations sociales, ils
reproduisent, au prix d'inévitables adaptations et transpositions, des
pratiques de sociabilité (familiales, notamment) et des pratiques
symboliques (les rituels funéraires, notamment(2)) issues d'un patri-
moine culturel bien antérieur ~ l'urbanisation sous domination capita-
liste.
C'est que l'habitus est par essence capable de survivre aux
conditions économiques et sociales de sa propre production, surtout
si, comme c'est ici le cas, les nouvelles conditions sont telles
qu'elles exercent une détermination pour une part négative, en ce sens
que, en situation d'urbanisation dépendante, il est de larges pans de
la vie économique et sociale qu'elles ne peuvent investir que très
partiellement (l'emploi, le logement, la protection sociale, la santé,
les loisirs), si bien qu'elles laissent vacants des espaces que conti-
nuent d'occuper, pour peu qu'ils soient fonctionnels et transposables,
les schèmes générateurs d'une autogestion fondée de ce fait en néces-
sité et possibilité.
Les pratiques (économiques, sociales, spatiales, symboliques)
aujourd'hui observables en milieu urbain africain, sont donc largement

(l)P. Bourdieu, Le sens pratique, Paris, Les Editions de Minuit, 1980,


pp. 88-89.
(2) D'autres pratiques, institutions ou représentations, par contre,
sont plus dépendantes des déterminations extérieures: ainsi les
cultes vodu, les croyances en la sorcellerie, la divination sont
directement affectées, du moins en tant que pratiques attestées, par
la modernité urbaine. Chez les fonctionnaires et cadres moyens de
Hanukopé, on n'en trouve plus trace. Par contre, à Bassadji, elles
sont très vivantes. A cela deux raisons: la société locale, qui en
est le support, s'y maintient dans le même espace depuis des généra-
tions et le processus d'occidentalisation (par l'instruction et l'ac-
ession au tertiaire moderne, notament) y est encore embryonnaire.
- 385 -

le produit d'une rencontre dynamique entre des habitus, sytèmes spéci-


fiques de pré-dispositions enracinées dans la longue durée mais sans
cesse retravaillées pour répondre aux conditions présentes, et des
déterminants économiques et sociaux externes, l'internationalisation
des rapports de production, l'impérialisme de la marchandise, le sous-
développement, la croissance urbaine, qui imposent de plus en plus les
enjeux et les règles du jeu, mais n'en définissent pas totalement les
moyens ni la manière. .
Le maintien d'un tissu social fondé sur la parenté et l'alliance,
la permanence de grands rites collectifs de sociabilité telles que les
funérailles, la persistance d'un habitat communautaire évolutif, la
constance des pri nci pes structuraux qui en organi sent l'espace, sont
ainsi des effets de l'habitus travaillant dans et sur de nouvelles
conditions objectives et produisant de ce fait des solutions de com-
promis adaptatifs originales: la famille élargie, la concession
urbaine, les systèmes résidentiels distendus et hiérarchisés,
l'intégration des rites chrétiens dans les funérailles.

Par contre, il est des pratiques plus inédites et plus délibé-


rées, - la course à la propriété, les investissements fonciers et
immobiliers, la spéculation sur le phénomène locatif, les stratégies
de mobilité sociale ascendante jouant sur les deux registres de l'ac-
cumulation du capital et de la scolarisation-, qui doivent moins à
l'habitus culturel (systèmes de dispositions communes à tous les
individus produits par les mêmes conditionnements culturels), qu'à la
détermination d'un champ du pensable et du possible par les détermi-
nants externes. Autrement dit, ces pratiques sont beaucoup plus dépen-
dantes des conditions économiques et sociales, plus précisément des
possibilités matérielles d'accès au capital (économique et symboli-
que), donc de la position de classe. De ce fait, elles ne sont ni
spécifiques ni originales: quelles que soient par ailleurs les appar-
tenances ethniques et culturelles, elles tendent à s'universaliser, du
moins dans le champ du pensable, puisque, dans celui du possible,
elles sont loin d'être accessibles à tous et au même degré.
Si donc le capitalisme, par définition déterritorialisé, donc
déterritorialisant, introduit ici la banalité transculturelle du
schème "pe t i t rent i er spécul ateur" (s ur l' i mmobi lier et la foncti on
publique), avec ses implications normatives habituelles (l'idéologie
pavillonnaire, le repli sur la famille élémentaire, la valorisation de
l'instruction), ce processus se heurte en l'occurrence, d'une part à
ses propres limites (l'extraversion, la dépendance, la désarticula-
tion, le développement des inégalités), d'autre part, même dans les
milieux où les possibilités matérielles de son développement sont
réelles (c'est le cas, dans les trois quartiers étudiés, pour la
couche des propriétaires autochtones), à l'habitus culturel qui impose
des solutions de compromis originales et, de ce fait, préserve des
formes de sociabilité fonctionnelles du point de vue pratique aussi
bien que symbolique: elles garantissent le maintien de solidarités
qui sont aussi des identités.
Or, si, comme nous l'avons montré, l'espace habité est le lieu
privilégié de l'objectivation, donc de la pérennité (à travers des
- 386 -

compromis adaptatifs, bien entendu) de l'habitus culturel, il importe


au premier chef ~ue cet espace puisse continuer de faire l'objet d'une
product i on autonome, non pré-conçue de l'extéri eur, si l'on entend du
moins ne pas attenter aux solidarités et aux identités dont il est
porteur.
Pratiquement, cela signifie que, la sécurité foncière étant
garantie et l'accès à l'espace aménagé de manière à limiter la spécu-
lation et à assurer sa plus juste répartition, les interventions
extérieures se situent surtout au plan des équipements collectifs. De
leur côté, les habitants savent fort bien aménager et construire en
fonction de compromis dynamiques entre leurs moyens matériels et leurs
exigences anciennes et nouvelles. Tout au plus pourrait-on envisager
que des solutions techniques et architecturales (qui répondraient
notamment au problème du maintien des propriétés de l'habitat du type
concession dans un contexte de densification horizontale et verti-
cale), à condition qu'elles s'inspirent de leurs propres schèmes
organisateurs et qu'elles n'induisent pas des sur-coOts excessifs,
puissent leur être proposées.
- 387 -

ORGANISATION ET PRATIQUE DE LI ESPACE URBAIN


EN AFRIQUE-DE L10llEST : deu~~~eIJ1ples significatifs
ILE-IFE (Nigéria) e~ftrAMEY (Niger)

par

Daniè le POITOU

Souvent assimilées à des organismes vivants, les villes ne sont


pas une donnée figée de l'environnement mais le résultat d'un proces-
sus de formation plus ou moins lent qui met en jeu de multiples
facteurs étroitement imbriqués et en perpétuelle évolution. Compte -
tenu de leur relative permanence, elles sont l'objet d'une structura-
tion, déstructuration et restructutation incessantes car elles sont le
1ieu privilégié où se manifestent les rapports soci aux dont l'espace
habité doit être envisagé comme un moyen de lecture particulier.
Dans cette perspective, les villes ouest-africaines constituent
un champ d'observation intéressant, offrant différents types de déve-
loppement urbain, de nombreux exemples de croissance accélérée et une
variété de cas qui se situent à des phases différentes du processus
d'urbanisation. A la catégorie des villes moyennes, dont la population
se situe aujourd'hui approximativement autour de 400 000 habitants,
appartient aussi bien la cité traditionnelle yorouba d'Ilé-Ifé au
Nigéria sud - occidental que la jeune capitale du Niger, Niamey.
Chacune d'elles apparait comme représentative d'une certaine
modalité de la croissance urbaine dont il s'agit ici de rechercher les
différences et les similitudes pour mieux saisir leur position respec
tive et mesurer leur aptitude à répondre aux problèmes posés par le
passage d'une forme de vie rurale villageoise au développement des
pratiques citadines dans une agglomération en expansion rapide.
En effet, contrairement aux sociétés occidentales où la multipli-
cati9n des grandes villes a trouvé largement sa source dans l'essor de
l'industrialisation, la très forte accélération des mouvements migra-
toires vers les centres urbains enregistrée depuis deux décennies en
Afrique de l'Ouest ne correspond en rien à une progression équivalente
du secteur industriel dans cette région; d'où le décalage préoccupant
entre le nombre des possibilités d'emploi salarié et l'afflux des
nouveaux citadins, en majorité venus de l a campagne pour trouver en
ville un travail rénumérateur.
Ifé comme Niamey se trouvent dans cette situation, qualifiée par-
fois de pré-industrielle en transition, et elles conservent à l'heure
- 388 -

actuelle un aspect sewi-rura1 encore très warqué lié à la persistance


des activités agricoles et à la forte interpénétration du wonde urbain
et du wonde rural dans ces deux agg1owérations. Il sewb1e donc 1égi-
tiwe de se dewander si l'une et l'autre, au stade actuel de leur
évolution, doivent être considérées véritab1ewent cowwe une ville, au
sens plein du terwe, ou si elle n'en sont encore à ce point de vue
qu'à une phase plus ou woins avancée de leur gestation.
Pour répondre à cette question, il conviendrait de recourir à un
ensewb1e de critères dont le choix donne lieu encore aujourd'hui à de
nowbreux débats pour parvenir à une définition théorique pertinente de
la ville en tant que telle. Certains de ces critères, élaborés à
partir d'études réalisées dans les pays industrialisés se sont en
effet avérés inadéquats pour rendre cowpte des situations cowp1exes
observées dans des sociétés plus traditionnelles oD1a dichotowie
rural/urbain ne s'applique souvent que d'une wanière relative. C'est
donc sans revenir à cette controverse que seront présentées les don-
nées recueillies sur Ifé et Niawey pour wettre en parallèle dans
chacun de ces exewp1es les déterwinants géographiques et historiques
de l'organisation de l'espace urbain, puis le rôle du facteur ethnique
et socio-cu1ture1 sur les pratiques urbaines et enfin les dysfonction-
newents dans le dowaine de l'urbaniswe et de l'habitat engendrés
depuis quelques années par la croissance accélérée de ces deux villes.
Basée sur les travaux de nowbreux auteurs et sur wes observations
personnelles; l'analyse aura pour but de wontrer qu'en dépit du
contraste wanifeste qui existe entre Ifé et Niawey à de nowbreux
égards, il est possible cependant de wettre en 1uwière certaines
correspondances significatives entre l'une et l'autre, à la fois dans
leur processus de structuration, dans leur intégration socio-éconowi-
que et dans les prob1èwes posés par leur récente évolution. L'analyse
s'articulera donc autour de ces trois thèwes, la déwarche suivie
consistant à indiquer d'abord les é1éwents de différenciation, voire
d'opposition qui caractérisent chacune des deux vi 11es pour dégager
ensuite sur chacun des points abordés leur dénowinateur cowwun éven-
tue1.
Dans ce travail à caractère essentie11ewent wonographique et
descriptif, l'accent sera wis sur l'étude spatiale de la pratique
urbaine, toujours envisagée dans ses rapports avec le 'contexte qui la
déterwine et cowwe express ion d'une conjoncture gl oba1e parti cul iè re.
- 389 -

UN EXEMPLE D'URBANISATION PRECOLONIALE : ILE-IFE


Les péripéties de la croissance

Située sur le trajet des routes commerciales entre la côte et la


savane, Ifé a pris naissance dans une zone de forêt, devenue la
région cacaoière du Nigéria, et localisée à 250 kms environ au nord-
est de la capitale Lagos, elle-même située sur la côte du Golfe du
Bénin. Bénéficiant de conditions écologiques favorables grâce à la
richesse du sol et un régime de pluies suffisant elle a pu s'implanter
très tôt dans un site accidenté propice à la production de cultures
vivriè res et offrant des poss i bi lités défens ives nombreuses. (1).
Une esquisse schématique des principaux moments de son évolution
pourrait ainsi se résumer par la formation initiale d'un noyau pré-
urbain à partir d'un ensemble de communautés villageoises chacune sous
l'autorité d'un chef de clan (oba); vers le Xème siècle, apparait
ensuite une cité - Etat de type théocratique (2) sous l'impulsion d'un
ancêtre fondateur,Oduduwa, qui sera à la source d'un mythe d'origine
unificateur autour duquel se cristalliseront désormais tous les élé-
ments de l'organisation politico-religieuse et de la socio-culture
yoroubas dont les implications se font encore aujourd'hui sentir dans
tous les aspects de la vie individuelle ou collective de cette socié-
té. A cette période, succède après la mort d'Oduduwa·et jusqu'au
XVlème siècle environ, une phase féodale d'expansion territoriale au
cours de laquelle Ifé va exercer sa domination sur les populations
environnantes par l'intermédi aire des descendants d'Oduduwa, fonda-
teurs de royaumes vassaux censés rendre allégeance à leur suzerain, le
roi d'lfé (Ooni). La ville se trouve alors à l'apogée de sa puissance
et de son rayonnement qui s'exprimera par une activité commerciale
intense et à travers une production artisanale et artistique inégalée
en Afrique, auxquelles s'ajoute une autorité spirituelle incontestée,
encore réelle de nos jours, et liée sans doute en partie à son rôle
dans la formalisation définitive du culte d'Ifa.
Cette hégémonie sera cependant bientôt battue en brèche par la
rivalité croissante des royaumes de Bénin et d'Oyo qui vont amorcer le
déclin d'Ifé, et provoquer sa défaite militaire et politique au profit
d'Oyo devenu, grâce à sa cavalerie le plus puissant des royaumes
yoroubas. Cet affaiblissement de la ville continuera de s'affirmer
tout au long du XlXème ·siècle au cours des troubles engendrés par -la
lutte contre l'invasion peule du nord menée pour la guerre sainte par
Ousman-Dan-Fodio, contre les attaques du Dahomey, à l'ouest, et par
les dissenssions internes des royaumes yoroubas. De ces guerres inter-
tribales résultera le regroupement de la population derrière les
murailles des cités-refuges, regroupement qui sera en grande partie à
l'origine de la concentration urbaine si particulière à cette région,
conduisant parfois à la formation d'agglomérations de dimensions
exceptionnelles comme Ibadan ou dans une moindre mesure Abéokuta. Le
- 390 -

royau,lJIe d'Ifé verra nOlJlbre de ses villes détruites et une partie de


son territoire confisqué par Ibadan et Ijesha. La capitale sera elle-
lJIêlJle lJIise à sac et ses habitants exilés une prelJlière fois~ de 1849 à
1854~ par les Modakeke~ groupe de réfugiés d'Dyo venus s'installer au
voisinage d'Ifé pour fuir les envahisseurs peuls.Par la suite le
conflit avec Modakeke continuera de se développer pour diverses rai-
sons politiques~ éconolJliques ou religieuses (3)~ entrainant un deu-
xièlJle exil des Ifé de 1881 à 1894 et l'expulsion des Modakeke de 1909
à 1920 avant de conduire plus récelJllJlent aux évènelJlents lJIeurtriers
d'avril 1981 qui ont coûté leur vie ou leurs biens à plus d'une
centaine de personnes.

Avec la colonisation britannique et l'introduction des cultures


d'exportation (le pallJlier à huile et surtout le cacao)~ va s'ouvrir
pour Ifé une période de prospérité éconolJlique nouvelle et de transfor-
lJIations profondes des structures traditionnelles de la vie falJliliale~
sociale et politique~ dont les effets les plus apparents se lJIarqueront
dans 'le dOlJlaine de l'habitat d'une lJIanière tres évidente.Mais~ apres
un afflux de lJIigrants attirés par la culture lucrative du cacao et la
baisse ultérieure des revenus de cette culture, la ville s'installera
dans une relative stagnation pour ne retrouver un véritable dynalJlislJle
qu'après l'indépendance, avec l'ilJlplantation d'une université fédé-
rale, devenue en quelques années un pôle d'attraction tres ilJlportant.

Située à l'écart du chelJlin de fer, et dépourvue d'industries


ilJlportantes, Ifé est à l'heure actuelle une ville en pleine expansion
dont le taux de croissance est passé de 1,6 % par an à 5% entre 1967
et 1981, et dont la surface construite à plus que triplé durant 1a
lJIêlJle période.(4).ColJllJle pour toutes les étapes antérieures de son
développelJlent, l'étude de la lJIorphologie urbaine et l'analyse spa-
tiale de la ville perlJlettent de suivre les traces de cette évolution.

Analyse FOrphologique

- Organisation de la ville traditionnelle

Jusqu'à la date d'ifTlplantation del'université, en 1967, la.


plupart des habitants d'Ifé étaient d'origine yorouba et vivaient à
l'intérieur des lilJlites de la ville ancienne dont il est possible de
retrouver les dilJlensions grâce aux recherches qui ont perlJlis de lJIettre
à jour les traces du prelJlier peuplelJlent et les vestiges des lJIurs
défensifs qui entouraient la cité. ,
, ,

La date précise de l'origi"ne d'Ifé reste difficile à établir car


les traditions orales ne sont pas toutes concordantes. Sur la base des
données archéologiques on peut 'penser qu'elle se situe entre le VIIèlJle
et le Xèl1le'siècle de notreêre, certains chercheurs à partir de tra-
vaux scientifiques pluridisciplinaires se prononçant pour un peuple-
lJIent beaucoup plus'anci~n qui pourrait relJlonter jusqu'à l'an 350 avant
J.C.
- 391 -

A.ses débuts, la ville située dans une cuvette entourée de col-


l ines, n'était composée que de hameaux dispersés regroupant treize
tribus, chacune sous l'autorité du chef roba) dont aucun n'avait la
prééminence sur les autres et qui distribuait ensuite la terre au chef
de famille (bale) contre une redevance en nature (ifo). L'exploitation
du sol se faisait donc alors sur la base d'un système tribal communau-
taire.
L'arrivée d'Oduduwa et de ses compagnons, venus de l'Est selon
les traditions orales, et leur victoire sur les premiers occupants,
auraient entrai né la mise en place d'une nouvelle organisation politi-
co-sociale en regroupant les clans sous un pouvoir central unique,
Oduduwa devenant alors le fondateur d'un gouvernement théocratique,
basé sur un mythe selon lequel il serait le premier roi prêtre envoyé
par la divinité suprême pour "créer le monde à Ifé".La population des
hameaux étant rassemblée derrière un mur d'enceinte, un système d'at-
tribution individuelle des terres fut ensuite institué au lieu du
partage communautaire initial, rendant de ce fait nécessaire l'émigra-
tion hors du territoire d'lfé car il ne restait plus que les
sanctuaires et les forêts de réserve comme terrains appartenant à la
communauté.La dispersion des enfants d'Oduduwa, après la mort de
celui-ci aurait répondu alors, entre àutres raisons, à la recherche de
nouvelles terres devenue indispensable pour résoudre les problèmes de
surpopulati~n et les menaces de famine.(5).

De cette période féodale expansionniste date le principe de


l'isakole, ou redevance versée annuellement par le fermier au proprié-
taire foncier dont il cultive la terre tandis que celui-ci continue de
résider en ville. Cette redevance était à l'origine surtout symbolique
et restera maintenue jusqu'à une date récente; modifiée dans sa forme
et son importance, elle tendra au moment de l'exploitation du cacao à
se rapprocher d'un loyer pur et simple qui deviendra l'une des causes
principales du rebondissement des troubles qui surgissent périodique-
ment entre les Ifés et les Modakeke, deux groupes claniques yoroubas
rivaux. . . . .

Les fouilles archéologiques ont contribué à mettre en évidence la


structuration spatiale de la ville pré-coloniale dont les différentes
phases àe croissance apparaissent dans'le système complexe de fortifi-
cations édifiées d'abord à l'époque du moyen-âge, puis au cours des
guerres inter-tribales du XlXème siècle. Les données les plus ancien-
nes correspondent aux installations villageoises dont on retrouve les
i ndi ce s s ur l es co 11 i ne s. Une deu xiè me pér i ode est en sui te s uggérée
par l'àpparition d'un mur simple, démuni de fossé, entouré d'un espace
cultivable protégé par une forêt dense (Igbo Ile ou forêt sacrée) et
doublé plus tardivement d'un mur extérieur pour cerner la forêt. Sur
les ruines de ces deux murailles concentriques ont été édifiées les
fortifications plus modernes, renforcées' d'un· fossé. Un dernier mur,
improprement dénommé "mur d'Abeweila" fut enfin érigé vers 1850 dans
le but de séparer Ifé et Modakeke.
- 392 -

LES ENCEINTES DE ILE IFE


du moyen age au XIXosiècle

d'après P. Ozanne, a new archeological survey of lfé


ODU, N.S. nOl avril 1969
- 393 -

La ville moderne semble pouvoir être datée du XVIIème siècle et


présenter un certain degré de continuité avec la ville médiévale (6).
Le plan de la cité traditionnelle comporte un noyau central au milieu
duquel se trouvent le palais (Afin) de l'Doni ainsi que le marché qui
lui fait face, et d'où partent depuis le mur intérieur huit routes
délimitant les principaux quartiers de la ville et conduisant aux
au t r es c i tés ay ant des rel at ion s co mmer c i ale s avec If é. Cha cu ne des
portes étaient gardées et fermées la nuit et donnait lieu au paie-
ment d'un droit de péage en nature ou en cauris au bénéfice de l'Doni.
(2). Une é t ude approf 0 ndie des porte s ré vè 1er ait 1eres pect de ce r-
taines proportions mathématiques et l'utilisation privilégiée des
multiples du nombre quatre, constante que l'on retrouve dans de nom-
breux aspects de la culture yorouba.
Cette structure radiale, comparée par Krapf-Askari (7) à une roue
dont la jante serait formée par le mur d'enceinte, le moyeu par le
palais de l'Doni et les rayons par les routes, dérive de la structure
socio-politique de la société yorouba médiévale. Mais elle doit aussi
être interprétée comme la traduction dans l'espace de la cosmogonie
yorouba en vertu de laquelle Ifé représente le nombril de l'univers,
où a été créée l'humanité toute entière après que le démiurge Dduduwa,
ancêtre de tous les Yoroubas ait été envoyé par Dlodumare le Créateur
pour assécher les eaux primordiales en répandant sur elles de la terre
afin que puissent se multiplier les hommes. Sans doute Frobenius fait-
il la part un peu trop belle au mythe dans les principes sous -
jacents à la structuration de la ville. Bascom cependant souligne son
rôle unificateur pour les groupes yoroubas soucieux de tracer leur
filiation et d'affirmer leur origine commune en tant que descendants
d'Dduduwa, en montrant les implications qu'il a encore dans la vie
politique et sociale de ces groupes, et en indiquant que la ville
d'Ile-Ifé lui doit même son nom puisqu'il signifie littéralement
"Act ion d'éparpi 11 er la terre". De nombreux éléments de la toponymi e
font aussi, indique-t-il, référence au mythe, ainsi que l'origine des
quartiers et des marchés de la ville qui se trouve par ailleurs parse-
mée de lieux de culte dédiés à l'une ou à l'autre des multiples
divinités (orishas) du panthéon yorouba pour lesquelles sont effec-
tuées périodiquement des cérémonies traditionnelles.
Cité sainte en même temps que cité-état, capitale politique et
capitale religieuse, Ifé occupe donc une place exceptionnelle dans la
hiérarchie des royaumes yoroubas au sommet de laquelle le palais de
l'Doni apparait comme le point de convergence ultime. La localisation
du palais, au centre de la cité, sur une élévation de terrain, et ses
dimensions supérieures à celles de tous les autres édifices ont pour
but de signifier concrètement cette prééminence en même temps que de
garantir à la fois l'intimité et la sécurité de l'Doni, censé remplir
ses fonctions d'archiprêtre et vivre à l'abri des regards de ses
sujets, sauf pour accomplir certaines obligations rituelles. Le palais
représentait donc, dans la vie yorouba traditionnelle le coeur même de
394

PLAN DE L~ VILLE TRADITIONNELLE D'IFE

UHIVIIlSlTl'
(Ihl

t ...
d'après P. Ozanne, a new archeological 5Ur\e~ of lfé
ODU, .... 5. nOl a\ril 1969
Ce plan montre la structure ra~onnante de 1 'orgar.lsation
urbaine traditlonnelle centrée sur le palals rc~al (sfln:,
entouré d'une encElnte d'Où partent les hUlt route~ qUl
déllTnitent les qU<lrtlers. On rell'arque ·la succeSSlon des
murs concentrlques édlflés au moyen age ~U1S au XIXo s~ècle.
- 395 -

la cité, aux abords duquel se l'Jlanifestait une activité intense, et il


abritait non seulel'Jlent la parenté de l'Doni, à l'exception de sa ITère
et du prince héritier, l'Jlais aussi ses épouses, celles de son
prédecesseur, et une foule nOl'Jlbreuses de courtisans, d'esclaves ou de
serviteurs, d'artisans, d'artistes, de l'Jlusiciens, d'infirl'Jles et
d'étrangers. L'Doni, était alors l'individu le plus riche du royaul'Jle
auquel, par le systèl'Jl"e du prélèvel'Jlent en nature, chacun payait son
tribut, et que sa position divine plaçait à l'écart du reste de la
population. Les bâtil'Jlents royaux eux-l'Jlêl'Jles différaient des autres
édifices urbains, cOl'Jlportant un ensel'Jlble d'unités résidentielles ou
fonctionnelles réunies par des cours ou des vérandas protégées par une
enceinte intérieure. L'enceinte extérieure défendait aussi une forêt
et des terres réservées aux besoins du palais, ainsi que de nOl'Jlbreux
sanctuaires. (8).
L'EVOLUTION RECENTE DU PALAIS D'IFE

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1::. ~trJ.Dt:: • ' (1 .... )
F. ;,;,anc:tl'aira ~tC ..~" 1). au-.u (1,.,.,.)
C. Co~. "',. j'an,. 1 ' _ (1961)

G.J.A. OJO in " a study of afins Yoruba land"


university of London press 1966 p.82
- 397 -

·Autour du palais, on trouvait ensuite les résidences des chefs


les plus iJ11portants, ceux-ci étant regroupés en différentes catégo-
ries, selon que leur statut lignager les appelle à gérer les affaires
du palais (Modewa, ou "inner chiefs") ou les affaires de la ville (Ifé
ou "ou ter chiefs"). BascoJ11 indique le chiffre de huit pour les pre-
J11iers, et de· six pour les seconds. Ces derniers représentent chacun
l'un des six quartiers de la ville (IreJ11o, More, Ilode, Ilare, Okerewe
et Modakeke), et ils sont choisis chacun dans un clan particulier, en
tant que chefs de lignage détenteurs de titres fonciers. Suivant
l'organisation rayonnante de la ville, les quartiers (adugbo) divisés
eux-J11êJ11es en secteurs ou ilôts de concessions (ogbon) s'étendent
depuis le centre de la cité, groupés le long des routes princi-
pa1es.Au-de1à s'étendent 1es terres cult ivées appartenant aux groupes
de descendance qui résident à l'int~rieur du quartier.
L'unité de résidence traditionnelle est en effet la concession ou
île, bâtiJ11ent rectangulaire plus ou J110ins vaste, J11ultifonctionnel
construit en argile et recouvert d'un toit végétal, cOJ11binant dans un
seul édifice apparteJ11ents, J11agasins, J11anufacture et parfois J11êJ11e des
autels. La charpente et la couverture du toit sont destinées à proté-
ger des pluies, exigeant en outre l'entretien des J11urs égaleJ11ent
J11enacés par celles-ci, chaque année de noveJ11bre à J11ars en période de
réduction des activités agricoles, un long travail de préparation, et
de réfection.(l). La disposition intérieure des pièces s'organise
autour d'une large cour centrale à l'extréJ11ité d'un couloir ou de
chaque côté d'un corridor conduisant au fond du bâtiJ11ent à une cour
plus petite réservée à la cuisine. Dans les concessions les plus
anciennes, les pièces sont J11al ventilées, peu éclairées, dépourvues de
fenêtres et avec des portes étroites car elles sont principaleJ11ent
~tilisées à des fins de stockage et pour dorJ11ir. La J11ajeure partie des
activités s'effectuent sous la véranda, plus aérée, qui est la partie
la plus utilisée de la J11aison, à l'entrée ou autour de la cour inté-
rieure de la concession, à la fois pour y effectuer des travaux
dOJ11estiques, et COJ11J11e 1ieu de réunion ou de repos. C'est là que se
déroule l'essentiel de la vie sociale.
Le terJ11e île, ou concession peut désigner un bâtiJ11ent unique
aJ11énagé par exeJ11ple selon l'un des deux schéJ11as précedents, cOJ11portant
parfois jusqu'à trente pièces ou plus, disposées de chaque côté de la
cour ou ~u corridor central. Ce terJ11e cOJ11porte une relative iJ11préci-
sion car il désigne aussi parfois PenseJ11ble des habitations indivi-
dual ï"sées qui composent une concession (agbo île). La diJ11e·nsion des
concessions est fonction de la hiérarchie sociale, les plus vastes
étant, après le palais du roi celles des grands dignitaires et des
principaux chefs de clans susceptibles d'abriter plusieurs centaines
de personnes, et cOJ11portant parfois plusieurs "patios" intérieurs.
Mais la taille des concessions et leur éclateJ11ent reste liés, surtout
dans les zon~s urbaines congestionnées, à l'espace disponible pour un
éventuel agrandisseJ11ent rendu nécessaire par la J11ultiplication du
nOJ11bre de leurs occupants. Les concessions les plus iJ11portantes, dans
- 398 -

le modèle idéal, regroupent les membres d'un même patrilignage, exoga-


mique et virlocal, qui compose alors une idile, terme qui suggère donc
à la fois une communauté de résidence et une appartenance à la même
filiation de parenté. Le nombre de générations incluses varie d'une
idile à l'autre, pouvant aller suivant les cas de trois à neuf généra-
tions se réclamant d'un ancêtre fondateur commun, en ligne agnati-
que (9); la plupart en comporte de cinq à sept, chaque membre masculin
de l'idile pouvant devenir lui même le fondateur d'un nouvel idile,
par segmentation du lignage qui pourra ensuite être divisé encore par
ses descendants en segments de lignage supplémentaire.
Lorsqu'un segment de lignage se sépare des membres de la conces-
sion-mère pour habiter une autre concession, il est considéré au début
toujours comme. faisant partie· de l'idile qu'il a quitté. Toutefois, le
changement de résidence implique la rupture d'un lien rituel puisque
le lignage des ancêtres est domicilié dans la concession-rrère, dans
laquelle sont traditionnellement enterrés tous les adultes décédés. La
participation au culte des ancêtres, qui représente un élément essen-
tiel de la vie socio-religieuse yorouba car elle s'appuie sur la
croyance en la réincarnation, devient alors un critère éloquent pour
mesurer la cohésion réelle des segments de lignage. Au début, précise
encore Schwab, le segment absent revient dans la concession d'où il
est issu pour assister aux cérémonies rituelles; mais à la longue, et
une fois que se sont écoulées plusieurs générations, il se produit un
double mouvement dans le sens d'un affaiblissement des liens rituels
avec le lignage d'origine et de rapprochement avec les lignages qui
partagent sa nouvelle résidence puisqu'ils ont désormais en commun le
culte des ascendants qui sontenterrés·là. Il n'est plus alors consi-
déré comme un élément, territorialement éloigné, du premier idile,
mais comme une composante autonome et distincte d'une unité de parenté
plus large, le clan (ebi).
Résidence et parenté n'apparaissent donc pas, en ce qui concerne
la concession familiale comme deux réalités rigoureusement
s uperpos ab l es car on trouve des ·seg ments du même lignage dan s pl u-
sieurs concessions, aussi bien que des concessions hébergeant de façon
permanente des groupes non apparentés. Pour rendre cor~pte des varian-
tes observées autour du modèle théorique indiqué plus haut, certains
auteurs ont interprété la concession et ses occupants, non plus comme
des familles patrilinéaires localisées, mais plutôt comme des groupes
de co-résidents, dont certains sont apparentés.(lO). Pour Eades, ce
point de ~ue permet de faire la part de la nature dynamique, mouvante
de la société yorouba dont les différences d'organisation sociale,
d1une région à l'autre, slexpliquent autant ·par les accidents de
llhistoire que par des situations pol itico-économiques déterminantes.
A l'appui de cette idée, il est de fait que les idéologies de parenté
et les traditions orales sont présentées de manière plus ou moins
variables par les interessés, suivant les situations et au mieux de
leurs objectifs, en vue de légitimer par exemple certaines de leurs
revendications ou prérogatives. Le caractère plutôt patrilinéaire de
nombreuses institutions, en particulier le modèle virilocal de
résidence au J11ariage et la coopération éconoJ11ique étroite entre le
~re et son fils n'empêche pas la présence et le jeu d'éléments matri-
linéaires dans le reste de la vie faJ11iliale et sociale yorouba.
- 399 -

Parmi ces éléments~ le groupe constitué dans un ménage polygame


par une femme et ses enfants (omoiya) semble être l'unité la plus
importante et la plus significative car ils partagent la même habita-
t i on ~ an i més dl un sent i ment de so li dar ité réc i proque et de cohés ion
face aux enfants des co-épouses avec lesquels ils se trouvent à l'é-
gard du Père~ en situation de concurrence. Ceci doit être rapproché de
la part si active prise par les femmes yoroubas dans les activités de
commerce~ à grande ou petite échelle et à tous les niveaux de la
stratification sociale~ dans la mesure où leur indépendance économique
est un moyen pour elles de prés~rver "eur avenir et celui de leurs
enfants. La règle étant~ que l'héritage du Père~ partagé en autant de
parts qu'il y a d'omoiya~ soit transmis directement à ses enfants~
independamment de la différence éventuelle du nombre d'enfants dans
chacun des omoiya.

La répartition des pièces dans la concession s'effectue selon des


régles bien établies~ les plus belles étant en général attribuées au
fondateur ou à l'homme le plus âgé de la maison. Elles se tro,uvent
situées à proximité de l'entrée principale~ ou~ dans le cas d'une
maison moderne~ au premi er étage avec une terrasse~ formant une sorte
de petit appartement~ comportant une pièce de réception pour les
visiteurs~ et ~ne chambre pour chacune de ses femmes. Les couples
monogames ont droit à une chambre dans laquelle dorment les jeunes
enfants~ qui s'installent aussi parfois dans le couloir ou dans la
véranda à la saison chaude. Deux pièces supplémentaires sont parfois
prévues pour les adolescents en guise de dortoir. Les pièces vides
sont utilisées comme magasins ou habitées par des locataires. Les
pièce? de devant~ si elles ouvrent sur la rue peuvent,être converties
en boutiques et louées à des commerçants. A cette description de Eades
qui concerne la société yorouba contemporaiDe~ il est int€ressant de
comparer les informations de Bascom sur la composition et l'organisa-
tion interne d'une concession traditionnelle~ telles qu'il a pu les
recueillir à Ifé même~ ce qui mérite d'être souligné dans la mesure où
la société yorouba présente d'une région à l'autre de multiples
vari antes dans ses prati ques soci ales~ culturelles et li ngui stiques~
en dépit de son unité profqnde.

On vo~t~ à travers ~es observations à quel degré de cohérence


était parvenue la société traditionnelle yorouba~ éminemment hiérar-
c'hisée~ et sous-tendue~ pour assurer le contrôle social à tous les
échelons de la pyramide socio-politique~ par un principe d'organisa-
tion fondamental~ le principe de seniorité. .

La mise en relief du principe de seniorité~ si présent dans la


plupart des sociétés traditionnelles et particulièrement africaines~
est en effet importante dans le cas de la société yorouba où il reste
aujourd'hui s en dépit des effets de la modernisation~ encore très
agissant.
- 400 -

Avant de présenter le tableau détaillé de l'organisation' domesti-


que traditionnelle, Bascom indique sur quelles bases se déterminent
les structures de parenté yorouba, et la formation des clans qu'il
définit comme des groupements résidentiels dont les membres ~asculins
vivent en général ensemble jusqu'à leur ~ort, et dont les fe~~es
vivent avec eux jusqu'au mariage. Pour Basco~ : (2)" •• 1e clan eS,t dans
son essence un groupe solidaire, possédant à la fois la concession
qu'il occupe, le terrain sur lequel elle est construite, et la terre
cultivable en dehors de la ville, ainsi que des biens inaliénables
com~e des droits à des charges politiques ou religieuses. C'est une
unité qui s'auto-reproduit, car elle inclut les morts, susceptibles de
se réincarner à l'intérieur du clan, aussi bien que les vivants.
Les membres d'un ~ême cl an partagent aussi un no~, des marques
faciales. Dans cette description, Bascom se~ble ici identifier le clan
au lignage et ce qulil appelle le sous-clan au segment de lignage.
Mê~e, explique-t-il, lorsque le clan est trop vaste pour être
fixé dans une seule concession (ile), qui peut contenir plusieurs
centa i nes de personne, l es seg~ents de ce clan demeurent des un ité'S
résidentielles. Un clan étendu peut avoir un "groupe d'habitations"
(agbo i le, l ittérale~ent un troupeau de ~aisons) ou un ensemble de
concessions éparpillées dans différentes parties de la ville, chacune
occupée par un sous-clan. Dans des cas semblables, un individu appar-
tient à la fois au sous-clan de la concession dans laquelle il est né
et au clan envisagé dans son ense~ble, sy~bolisé par la concession-
rrere d'où les autres sont issues".
A Ifé, Basco~ indique dans un autre passage de sa ~onographie que
le clan le plus étendu est le clan royal ,patrilinéaire, au sein duquel
est choisi l~Ooni et qui, avec plus de vingt concessions regroupait en
1937 plus de cinq ~ille membres. Les ~embres de ce clan ne doivent
pas porter de ~arques faciales.
Les membres ~asculins du clan représentent le noyau stable de la
concession puisqu'ils y naissent, se ~arient et y sont enterrés. On
trouve aussi· dans de nombreuse~ concessions des étrangers (alejo) ne
possédant aucun lien de parenté avec les autres ~e~bres de la conces-
sion, et venus peut être même d'une autre ville. Certains sont ad~is à
s'établir de façon définitive dans la concession, à se ~arier et élever
des familles dont les membres ~asculins conservent la possibilité de
continuer à vivre dans la concession; ils sont comptés par~i "1 es gens
de ~aison" (ara ile), mais non· co~~e des parents". Avec cette
description, se dégage le caractère "sur intégré" du développe~ent
urbain pré-colonial yorouba, sa logique sous-jacente liée à l'expres-
sion d'une volonté de puissance politique, et de contrôle social,
ainsi que la notion de systè~es résidentiels fondés sur les réseaux de
parenté dans lesquels la plus grande partie de la cité parait se
trouver insérée.
. Ce qui semble en effet très caractéristique dans cette analyse de
l'organisation urbaine, c'est la continuité assurée, grâce au systè~e
- 401 -

clanique, dans la distribution du pouvoir et de l'autorité depuis le


SOfTlfTlet de la pyrafTlide socio-politique jusqu'à ses échelons les plus
éléfTlentaires, au niveau de la vie dOfTlestique, COfTlfTle le rnontre la suite
des travaux de SascofTl.
Il ••• 1e clan et le sous-clan', poursuit-il en effet, sont dirigés
chacun par le fTlernbre fTlasculin le plus âgé, désigné sous le nOfTl de
Sale, c'est à dire lIr;ère de la fTlaison" (baba île). Le Sale fait office
de juge suprêfTle dans la concession •.•. Le Sale est aussi responsable
pour l'attribution des habitations, l'adrninistration des terres
claniques revenant aux fTlefTlbres de"la concession, l'accornplissefTlent des
sacrifices offerts au fondateur dela concession, le contrôle des
réparations à effectuer par les hOfTlfTles adultes pour l'entretien de
celles-ci, et enfin la préparation des substances nécessaires à la
santé et à l'harfTlonie de ses occupants. .
La hiérarchie d'un clan, basé sur la seniorité,"descend du Sale le
plus âgé de ses diverses concessions jusqu'à l'enfant le plus jeune,
et cette hiérarchie règle le cOfTlportefTlent de chaque individu à l'égard
des autres fTlefTlbres de la collectivité. Chaque individu se trouve en
position de seniorité par rapport à tous les autres fTlefTlbres de la
concess i on qui sont nés ou se sont fTlariés dans le cl an aprè s lui ... II.A
l'intérieur de ce sys'tèfTle, appliqué dans les fafTlilles traditionnelles
avec beaucoup de rigueur, opè rent égal efTlent des regrou pefTlents plus
spécifiques, basés sur les classes d'âge et sur la division par sexe,
chacun de ces groupes étant dirigé par celui qui est le plus âgé, et
étant investi d'une fonction spécifique.
liA Ifé, précise encore SascofTl, chaque concession possède une vaste
pièce réservée au Sale, désignée COfTlfTle 1I1 a prefTlière chafTlbre" (akodi
okankan). Lorsque un hOfTlrne succède au Sale il quitte ses anciens
locaux pour s'installer dans cette pièce où il accomplit une grande
partie de ses obligations. Dans cette salle, des sacrifices sont
offerts, le "Sale écoute et juge les différends qui surviennent entre
les fTlefTlbres de la concession, les ancienns, les hOfTlfTles adultes et les
fefTlfTles de la concession tiennent leurs réunions séparées fTlensuelles ou
bi-rnënsuelles (ipade). En terfTles d'ancienneté d'âge, les fTlefTlbres fTlas-
culins èlu clan de la concession sont"divisés en trois groupes: les
anciens (agba ile), les adultes rnâles qui sont éconofTliquefTlent indépen-
dants (isogan), et les hOfTlfTles jeunes ou adolescents qui dépendent
toujours éconofTliquefTlent de leurs pères et que l'on appelle les enfants
de la fTlaison (OfTlO ile). Chaque groupe est dirigé par le plus â9é de
ses fTlefTlbres, les anciens par le Sale, les adultes par le Logun (010-
gun) qui est un titre fTlilitaire signifiant "Guerrier", et les
lI en fants" parle Lewere. Le Logun est le bras droit et l'adfTlinistra-
teur du Sale, chargé de superviser le travail fait par les adultes
fTlasculins pour le Sale et le roi. Quand le roi voulait qu'une nouvelle
route soit construite ou que les fTlurs ou le toit du palais soient
reconstruits, il avertissait le Sale qui defTlandait au logun de rassefTl-
bler ses hOfTlfTles pour cette tâche. Le Sale prévient aussi le logun pour
effectuer des réparations sur la concession ou des travaux sur la
route qui lui fait face. Le Logun et les adultes sont aussi
responsables de l'enterrefTlent des fTlefTlbres du sous-clan.
- 402 -

Quand un nouveau Logun est dés igné, tous les JTIeJTIbres qui sont
plus âgés que lui rejoignent l~s ancieris de la concession. Le nouveau
Logun choisit et cOJTIJTIence à entrainer un hOJTIJTIe plus jeune cOJTIJTIe son
propre successeur. Il choisit un jeune hOJTIJTIe qulil considère apte à
cette responsabilité en raison de son intelligence et de sa capacité à
JTIaintenir son autorité particul ièreJTIent sur ses cadets, et à obtenir
d'eux respect et obéi ssance. Llâge du successeur n'est pas i JTIportant,
à condition qulil jouisse de son indépendance éconoJTIique et qulil soit
ainsi JTIeJTIbre du "groupe que le Logun dirige. Il peut nè pa~ avoir plus
de vingt ans si clest lui le plus intelligent et le plus capable.
L'entraineJTIent du successeur continue jusqu'à ce que le Logun se sente
trop âgé pour reJTIplir son service et qulil donne sa déJTIission. Le
Logun préside les réunions des hOJTIJTIes qui peuvent 'se tenir dans ses
locaux personnels si la place y est suffisante. Les adultes et les
anciens peuvent aussi serétinir pour prendre un repas et discuter des
affaires de la concession, telles que la prévision des sacrifices, les
travaux à effeètuer dans la concession, la répartition des terres du
clan, et la collecte des iJTIpôts. Quand une question iJTIportante doit
être débattue, les JTIeJTIbres du clan se réunissent dans la chaJTIbre du
Sale de la concession-rrère sous la présidence du Sale le plus âgé.
Les épouses des JTIeJTIbres JTIasculins du clan de la concession tien-
nent égaleJTIent des réunions biJTIensuelles dans la chaJTIbre principale de
la concession, et llune 'de leurs principales fonctions est le
nettoyage de cette chaJTIbre et la pose d'un enduit aniJTIal sur ses JTIurs.
Ce groupe est dirigé par 'la "rrèrede maison" ou Iyale (iya ile) terJTIe
qui est aussi appliqué à la preJTIière épouse dans une faJTIille polygyne.
Elle'nla pas besoin d'être llépouse la plus âgée; sa seniorité est
basée sur le fait qu'elle a été wariée dans la concession depuis plus
l on gt eJTI pS qli· aucune des autres. L•i ya l e rè gl e l es que rel l es qui
surgissent entre lès épouses, les conseille dans le soin de leurs
enfants, et organise la préparation des repas quand une fête est
prévue pour toute la concession.
Les JTIeJTIbres féJTIinins du sous-clan tiennent des réunions
biJTIensuelles dan's les locaux privés de l'une dlentre elles qui les y
reçoit cOJTIJTIe hôtesse. Une feJTIJTIe JTIariée peut retourner dans le JTIénage
où elle est née à cette intention, ou bien elle peut inviter le groupe
à se réunir dans la concession de son JTIari. Ces réunions sont prési-
dées par le JTIeJTIbre féJTIinin du clan le plus âgé dan~ la concession".
SascoJTI ajoute enfin que les clans et les sous clans sont des
éléJTIents fondaJTIentaux dans la structure du gouverneJTIent de la cité.
Les concessions dirigées 'par le Sale sort regroupées en ilôts dirigés
par des chefs d'ilôts; les ilôts eux-JTIêJTIes sont réunis dans les cinq
quartiers dllfé, chacun dieux étant dirigé par un chef de quartier qui
prend cOJTIJTIe conseillers les chefs d'ilôts, les quartiers à leur tour
forJTIent la ville d'Ifé dirigée par l'Ooni, qui prend lui-JTIêJTIe les
chefs de quartiers plus trois autres chefs pour adJTIinistrer la ville.
403 -

Un dernier point ~is en lu~ière par Basco~ dans la structure


sociale traditionnelle yorouba est la prépondérance absolue du clan ou
du sous-clan par rapport à la fa~ille i~~édiate, c'est à dire un
ho~~e, sa fe~~e et leurs enfants.Les Yoroubas opposent en effet la
per~anence du pre~ier au caractère fragile et instable de la seconde
qui se~ble n'avoir à leurs yeux qu'une signification li~itée et à
l a que 11 e 0 n s e ré fè r e uni que ~ e nt dia prè s l a ~ ais 0 n qui elle 0 cc upe à
l'intérieur de la concession (île ~i). Sans doute là encore convient-
il de ~ettre en rapport cette attitude négative à l'égard de la fa~il­
le restreinte avec l es résultats d'une enquête effectuée en 1952 sur
la polyga~ie dans plusieurs régions du pays yorouba et qui ~ontrait
pour la région d'lfé un taux de polyga~ie nette~ent plus élevé que
dans les autres régions, a l'exception d'Ijebu. Vingt ans plus tard,
co~parant ses propres résultats avec ceux de Galletti, Vanden Driesen
a ~is en évidence le déclin relatif de la polyga~ie ~ais aussi sa
relation avec la taille des exploitations agricoles dans la ~ê~e
régi on, ~ontrant qu'au dessus de 7,5 acres, l es cult ivateursenquêtés
étaient invariable~ent polyga~es (11).
Un dernier aspect qui caractérise par ailleurs d'une ~anière très
originale l'organisation sociale traditionnelle des villes yoroubas,
c'est, co~~e le soul igne Schwab, son étroite interdépendance avec le
systè~e écono~ique, politique et religieux.

Dans cette perspective, l'idile, apparaît co~~e l'unité de


production écono~ique essentielle, dont les ~e~bres s'organisent pour
pratiquer, à l'intérieu·r de la concession, ce que ·l'on peut définir
co~~e un corporatis~e lignager dans le secteur de l'artisanat, et une
agriculture péri-urbaine dans laquelle ils voient essentielle~ent le
~oyen de satisfaire ·leur goût profond pour la vie urbaine, goût attes-
té par leur aff"iliation à de ~ultiples associations et leur attache-
~ent à leur ville d'origine. C'est pourquoi ils se considèrent eux-
~ê~es, co~~e certains ont pu le dire, davantage co~~e des citadins qui
cultivent que co~~e des paysans qui habitent e~ ville.
Evolution du syste~e urbain

. Les transfor~ations·profondesde ce systè~e urbain co~~encent


avec la colonisation britannique -et l'introduction des cultures indus-
trielles, en particulier le cacao qui per~et aux propriétaires fon-
ciers d'investir leurs nouveaux revenus dans la construction de ~ai­
sons à étage, plus ~odernes et calquées sur le ~oâe le européen. Le
pr€~ier bâti~ent de ce type, construit pour l'Ooni, apparait en 1905,
et suivant cet exe~ple, l'habitat devient alors le sy~bole privilégié
d'une réussite écono~ique et sociale dont il s'agit avant tout de
té~oigner dans sa ville natale. L'arrivée des ~issionnaires a aussi
influencé sensible~ent l'évolution de l'habitat en introduisant l'u-
sage des fenêtres vitrées et des volets, des toits de tôle et du
ci~ent en re~place~ent des ~atériaux de construction locaux (terre,
- 404 -

toiture végétale); la doctrine chrétienne préconisant la lTIonogalTiÏe


contribue aussi à lTIodifier la structure des habitations jusque là
prévues pour répondre aux besoins de lTIénages polygalTles. Le palais de
l'Ooni a été le prelTlier affecté par ces transforlTlations architectu-
rales, donnant lieu à de nOlTlbreux réalTlénagelTlents, et contribuant par
sa position de prestige à véhiculer et diffuser plus largelTlent les
pratiques occidentales. A l'heure actuelle, bien qu'il delTleure le
télTloignage le plus ilTlportant de la culture traditionnelle, la dégrada-
tion de ses élélTlents les plus anciens reflète l'érosion du pouvoir
politique de l·Ooni dans la société yorouba contelTlporaine.

Avec "l'indirect rule", la colonisation britannique introduit


aussi un nouveau .lTIode de gestion de la ville, qui renforce l'autorité
du souverain au détrilTlent des responsabilités jusque là reconnues aux
chefferies de quartier, ce qui va engendrer un déséquilibre dans le
systèlTle adlTlinistratif et aggraver des conflits que les nouvelles
institutions lTIises en place ap~s l'indépendance ne feront souvent que
lTIultiplier. Un trait propre à l'idéologie coloniale dans le dOlTlaine de
l'urbanislTle, concerne la répartition spatiale des ethnies, basée sur
le principe de la ségrégation; en vertu de ce principe les bâtilTlents
résidentiels des occidentaux se trouvent en général situés à l'écart
des qua r t i ers t rad it ion ne l s, sur des coll i.n es. Cie s tau s s ide cet t e
époque que date le regroupelTlent, opéré en 1928 des Haoussas du nord
dans un quartier bien particular.isé de la ville: "S a bo". Jusque là
peu nOlTlbreux, ceux-ci cOlTllTle la plupart des étrangers, étaient accueil-
lis .et intégrés cOlTllTle des hôtes par la population locale dont ils
pouvaient au besoin recevoir le terrain cultivable nécessaire à leur
installation. (12) (13). Le statut d'étranger, "alejo"~ pouvait alDrs
se cOlTlparer à celui des non-citoyens dans les villes grecques de
l'antiquité, connues p01Jr leur relTlarquable traditio.n d'hospitalité
envers les visiteurs. L'élTlergence à Ifé d'un.quartier réservé à ce
groupe ethnique résulte d'un accroisselTlent du nOlTlbre de cOlTllTlerçants
haoussas, installés prilTlitivelTlent dans le faubourg de Modakeke. Ces
haoussas sont pour la plupart engagés dans le cOlTllTlerce à longue
distance du bétail et de la noix de cola et la situation d'Ifé, à
l'écart du réseau ferroviaire et des routes les plus ilTlportantes
explique leur .arrivée relativelTlent récente et en nOlTlbre lilTlité dans
cette ville. Le quartier lui-lTIême ne comptait en effet qu'une dizaine
de mai sons et une ci nquantaine d'habitants au début de son i nsta l1a-
tion, à l'intérieur mais en bordure des limites de la vieille ville.
Une enqête, effectuée en 1967 montre sa croissance, dénombrant 131
bâtiments et 1 236 habitants. Cette étude ré'k le l a t~ s g.rande homo-
généité ~e ce quartier qui se distingue du reste de la ville à la fois
dans son aspect physique ~ar le caractère moins moderne et.plus modes-
te de ses habitations, et par le mode de vie ou les activités de ses
habitants qui témoignent d'un phénorrene de surtribalisation t~s mar-
qué (12).
fonction des batiments anclennet~ des batlments

QUARTIER SABD DE ILE IFE 1967

..
.. -
..
..... -;

.....
~

l
IL{-IFE 1950 SITUATION DU QUARTIER SABO
ln the Journal of tropical gtography n"Z7 1968
- 406 -

Le quartier de Modakeke continue de représenter une entité ur-


baine plus ou moins dissidente, source d'un confl it tribal sans cesse
renaissant et objet depuis le 19ième siècle d'affrontements économi-
ques et politiques que le système administratif actuel contribue à
aggraver par le découpage entre les différents niveaux du pouvoir
(communal, étatique ou fédéral). Sa physionomie actuelle date du
retour de ses habitants en 1922, qui ont alors rebâti leur quartier
détruit par les Ifé; il représente aujourd'hui un secteur particul iè-
rement dynamique de la ville, peuplé surtout de fermiers qui culti-
vent, en locataires, les terres des propriétaires d'lfé, et qui reven-
diquent une plus grande autonomie et une participation à part entière
dans la gestion des affaires de la ville estimant qu'ils se trouvent
t
maintenus dans une position de dépendance préjudiciable à leurs
intérêts.
Commela plupart des villes traditionnelles yoroubas, Ifé est en
effet à l'origine peuplée principalement de cultivateurs et environnée
de terres exploitées par des habitants qui font quotidiennement le
trajet de la ville à la ferme si celle-ci n'est qu'à une fa'ible
distance de la ville, (okoegan), ou qui peuvent résider plusieurs
semaines ou plusieurs mois dans les villages de cultures lorsque leurs
terres se trouvent plus éloignées (oko etile). Quelque soit le temps
passé à cultiver, et la durée de sa présence à la ferme l'habitant
t
d'une ville yorouba se consiœre néanmoins comme un "ara ilu", autre-
ment dit comme un citoyen, statut qui lui est conféré d'emblée par sa
naissance dans un groupe de descendance jouissant de certains droits,
dans une des concessions incluses dans l'enceinte de la ville.(7).
Krapf-Askari insiste sur cette caractéristique des populations yorou-
bas pour qui l'existence sociale réelle d'une personne ne se conçoit
que par référence à ses liens avec la ville de sa naissance où elle
t
est censée revenir à l'occasion des cérémonies familiales et rituelles.
La substitution d'une culture de rente (cacao) aux cultures
vivrières, et la mise en location de leurs terres par les proprié-
taires fonciers à des migrants venus principalement d'autres régions
yoroubas, dans les années 50 (14) contribuera à renforcer la citadini-
té des originaires de la ville, désormais plus disponibles pour
d'autres activités, en ville, comme les activités artisanales commer-
t

ciales ou de service.
L'évolution vers une diversification des activités et une hétero-
généisation de la population se fera sentir surtout après 1967, avec
l'implantation de l'université qui va entrainer pour la ville une
phase d'expansion spatiale et démographique accélérée; car outre la
population universitaire qui a très rapidement augmenté, de nombreux
emplois administratifs ont été créés, aussi bien que des services
techniques, attirant également les familles de ces nouveaux employés.
L'installation de l'université, en dehors des limites de la ville
ancienne a engendré sur des terrains non viabilisés, une grande exten-
- 407 -

sion des quartiers périphériques pour répondre aux nouveaux besoins en


logement que les équipements du campus ne parviennent plus à satis-
faire. Celui-ci, très étendu, comporte à côté des zones académiques et
résidentielles une vaste ferme expérimentale qui témoigne de l'impor-
tance accordée aux activités rurales.
Cet afflux de population va contribuer aussi, comme l'analyse J.
Abiodun (15) à la surdensification et à la dégradation des quartiers
anciens du centre de la ville, et à aggraver les insuffisances du
système d'approvisionnement en eau et électricité. A ces problèmes
s'ajoutent ceux d'une circulation de plus en plus difficile, que la
défaillance du réseau téléphonique contribue particulièrement à inten-
sifier et à rendre excessivement dangereuse, independamment du mauvais
état des routes et d'une infra-structure urbaine déficiente.
L'ensemble universitaire représente donc le secteur le plus
moderne- de la ville d'Ifé, où la tendance à l'occidentalisation du
genre de vie, et à l'évolution vers un modèle résidentiel centré sur
la famille nucléaire apparait de la manière la plus nette. De nombreux
exemp l es montrent cependant qu'une fract ion importante des rés i dents
du campus, logés en appartements ou dans des habitations modernes,
continuent de pratiquer une hospitalité plus conforme aux principes
traditionnels de la société yorouba; compte tenu de l'atomatisation et
de la réduction en surface des unités d'habitations, la forme de la
solidarité la plus fréquente parait être celle qui joue au se-in d'un
groupe formé par une femme et ses enfants. Nombreux sont les cas de
ménages formés par un fîl s aîné, sa rrè re, ses jeunes frè res et soeurs
non mariés, son épouse et ses enfants. Il semble en définitive, qu'en
dépit de l'évolution spatiale et architecturale, et malgré une
occidentalisation apparente marquée, l'analyse des pratiques urbaines
montre la persistance à Ifé des principes d'organisation traditionnel
le et toute l'importance d'un systè me culturel, réinterprété aujour-
d'hui par les partis politiques dans le but de tirer bénéfice des
antagonismes claniques qui représentent certainement une entrave au
développement équilibré de cette ville. Dans leurs conclusions respec-
tives, Olayemi et Abiodun s'accordent pour souligner l'-insuffisance
des institutions et des moyens mis en oeuvre pour faire face à cette
urbanisation rapide.
ILE IFE est passé de 300 ha
en 1967 à 2000ha en 1976.
IUILT-Lr ARE AS
(_-\117)
IkJllT -Lr "REAS
(polt-M7 ,
fORMER TOWH WAl

oais ""l"CE

100_" D
He H
SC"lE

D'après Olayemi. A.O.,problems of lhe


planning administration of lIé lfé.
Nigéria. [kisties~ vol. 44,no262, :.977
- 409 -

NIAMEY, VILLE COLONIALE - TYPE

Les phases de l'urbanisation

A l'inverse d'lfé, Niamey ne doit son expansion qu'à la volonté


du colonisateur car à l'antiquité de l'une s'oppose la jeunesse de
l'autre. Niamey est en effet l'une des plus récentes capitales d'Afri-
que de l'ouest et son apparition tardive, en tant que centre urbain,
s'explique entre autres facteurs par la prise en compte de contraintes
géographiques peu favorables à son développement.Capitale d'un vaste
territoire au deux tiers désertique, enclavé, et qui s'étend depuis
les confins du Sahara jusqu'à la frontière nord du Nigéria, Niamey se
trouve en effet située dans la zone sahélienne, défavorisée par un
régime pluviométrique faible et aléatoire, n'autorisant qu'un dévelop-
pement 1 imité des ressources de l'agriculture.Jusqu'à l'exploitation
récente de l'uranium, après 1970, l'économie nigérienne reposait donc
essentiellement sur l'agriculture et l'élevage, et rendue de ce fait
particulièrement vulnérable aux fluctuations climatiques, elle eut à
subir les contre~coups de la sécheresse qui sévit périodiquement sur
cette zone, entrainant des fami~es dramatiques comme celles de 1931 et
de 1972-73. L'arachide, principale culture industrielle, n',interesse
que la région sud du pays, la région de Niamey, a,u sud-ouest étant
essentiellement vouée aux cultures vivrières et à une économie d'auto-
subsistance basée surtout sur la récolte des céréales (mil,riz).
, '

Niamey par ailleurs est localisée dans une zone de circulation


facile, mais située à l'écart cependant des principales routes carava-
nières, car elle représente à la fois une zone d'insécurité, -infestée
d'animaux sauvages donc dangereuse à traverser, et, par sa position
de carrefour, une région de refuge, de contact et de brassage pour
les diverses populations traditionnelles qui se câtoient ou s'affron-
tent depuis des siècles à la suite des rivalités politiques engendrées
par la formation puis l'effondrement des empires du Songhay, du Bornou
et des états Haoussas, et celui du Macina au 19ième siècle. Cette
région connait donc depuis longtemps une grande diversité de peuple-
ment; elle se caractérise aussi par la mobilité de la population et par
le mélange entre les éleveurs nomades, ou selTli-nomades sahariens du
nord (Touaregs) et les agriculteurs sédentaires soudanais {Djerma-
Songhays, Haoussas), auxquels il faut ajouter le groupe peul formé à
la fois de pasteurs et de cultivateurs.
, .
Le caractère pluri-ethnique de la ville s'affirme donc ainsi œs
l'origine et dès l'apparition plus ou moins controversée du village
d'où elle est issue, vers le début du 19ième siècle, à la suit.e du
regroupement de conquérants maouri venus du pays haoussa, d'agricul-
teurs, chasseurs ou pêcheurs kallé ~ppartenant à un sous - groupe
djerma, de Peuls ,éleveurs et de commerçants haoussas arrivés plus
tard i vement.
- 410 -

Se référant à leurs traditions respectives, Maouris et Kallés se


disputent l'antériorité de l'installation à Niamey, mais celle-ci
semblerait plutôt, selon Bernus et Sidikou, revenir en toutelégitimi-
té à la branche Maourie. Ces deux groupes donneront naissance aux deux
plus anciens quartiers de la ville, eux-mêmes subdivisés en sous-
quart i ers contrôlés par les descendants des premiers fondateurs. Le
village pré-colonial a donc été constitué d'éléments séparés de leurs
groupes d'origine, à la suite de conflits, mais qui réussirent à
s'intégrer à leur nouveau milieu par le jeu des alliances contractées
avec certains membres des communautés vois ines autochtones. De l'une
de ces unions entre un Kallé et la soeur d'un Peul du Macina naîtra la
branche qui dirigera par la suite le quartier peul, Foulanikwara. Le
village s'augmentera encore d'autres migrants venus de la région
djerma de Téra, situé à .l'Ouest de Niamey, et d'une communauté
songhay-kurtey issue de pêcheurs venus de Gao, fondateurs du quartier
Gaweye en bordure du fleuve Niger.(16) (17) (18) (19).
C'est avec l'installation d'un poste provisoire de transit, en
juillet 1901, par le capitaine Salaman, chargé par l'armée française
d'organiser la route Niger-Tchad, que le village de Niamey apparait
pour la première fois dans la littérature, avant d'être choisi en
1903 comme chef ·lieu du territoire militaire du Niger. Ce rôle lui
sera retiré en 1911 au profit de Zinder considéré comme un centre
traditionnel plus important et présentant un plus grand intérêt sur le
plan historique et stratégique. Toutefois, les difficultés de
ravitaillement en eau et la trop grande dépendance de Zinder à l'égard
du· Nigéria voisin, expliquent 'parmi d'autres raisons, après la
transformation du territoire en colonie (décret du 13-0ctobre 1922),
la décision prise par le Gouverneur Brévié de transférer définitive-
ment 1 a capi ta le à Niamey. Pr i se en 1924, cette mesure ne devi endra
effective qu'en 1926, l'installation des services administratifs,
composés principalement de fonctionnaires dahoméens et togolais faute
de nigériens qualifiés, commençant à s'effectuer œs 1927.
A partir du vi l l age i ni t i al ,fondé par l es Mao uri s sur l a ri ve
gauche du fleuve, ~a ville va se développer -dans un site asymétrique
sur un plateau de grès argileux dominant le Niger par une falaise
d'une trentaine de rrètres, entamé par une vallée sèche, le Gunti-Yéna,
qui coupe en deux la ville actuelle. Ce n'est qu'après la construction
d'un pont en 1970 que la ville commencera aussi à s'étendre dans la
plaine marécageuse située sur la rive droite du fleuve. La ~ille
connaitra une relative léthargie jusqu'à l'indépendance puisqu'elle ne
comptait encore que 30.000 habitants environ en 1960. La croissance a
en effet débuté très lentement, faisant passer non sans difficultés un
petit village polynucléaire, dépourvu d'infrastructure ou de tradition
urbaine à l'état de gros village après les années 30, à celui de petit
centre urbain de 1940 à 1950, puis de petite ville pendant la période
1950-60. Ce développement urbain va s'opérer par étapes successives
dans le but de répondre à la fois aux besoins vitaux de la population
et aux fonctions attendues d'une capitale, tâche qui représente une
double gageure, économique et politique, pour un simple village tota-
lement démuni de structures d'accueil et d'équipements adéquats.
- 411 -

A côté des problèlTles de logelTlent et de ravitaillelTlent, qulil


fallut organiser pour la colonie européenne et pour le personnel
adlTlinistratif nouvellelTlent arrivés, la question de l'hygiène et de
l'assainisselTlent se posait de façon prioritaire dans le village afri-
cain, situé à proxilTlité du fleuve dans une zone insalubre. Celui-ci
se cOlTlposait ~ l'origine de six quartiers principaux (Maourey-Ganda,-
Maourey-Béné ou Kwaratégui, Gandatié, Kalley, Gaweye et Foulanikwara).
A ces quartiers traditionnels s'ajoute llelTlbryon de ce qui ·deviendra
en 1936, à proprelTlent parler le quartier des étrangers ou Zongo, qui
regroupe surtout des cOlTllTlerçants haoussas du Nigéria, en lTlajorité
originaires de Sokoto, et des tirailleurs balTlbaras établis après la
conquêt~. Gaweye reçoit égalelTlent de nOlTlbreux Haoussas et accueillera
en .1927 une quantité i ITlportante de GourlTlantché s pour travai 11er dans
les pépinières et les jardins.
En bordure du fleuve s'installent aussi à partir de 1929 les
prelTliè res grandes lTlai sons de cOlTllTlerce européennes. Vers 1a lTlêlTle époque
est créé le Petit Marché, à proxilTlité du Zongo. Mais le fait le plus
lTlarquant pendant cette période reste la falTline de 1931 qui va provo-
quer l'arrivée et la fixation lTlassive de ruraux, à la recherche de
lTloyens de survie, et qui vont de ce fait gonfler la population afri-
caine et cOlTlpliquer la situation adlTlinistrative. C'est alors que
l'adlTlinistration coloniale décide le regroupelTlent de l'autorité tradi-
tionnelle spus une chefferie unique, attribuée à Djibo Salifou en
relTlercielTlent de ses loyaux services et de son dévouelTlent à 1 a cause
française, aupres du. capitaine SalalTlan; cette nOlTlination au titre de
"AlTlirou NialTley", assilTlilé à celui du chef de canton, soulèvera des
protestations des anciens chefs de quartiers, en particulier dans la
branche Maouri, car ils se considèrent cOlTllTle les détenteurs légitilTles
de l.'autorité en tant que fondateurs du village de NialTley.
L'arrivée de lTlissionnaires catholiques donnera lieu, après la
falTline, à la forlTlation d'un nouveau quartier, Kabékwara (quartier des
barbus), au lTlolTlent où apparait un groupelTlent de paillotes, qui sera à
l'origine du prelTlier Boukoki, quartier d'accueil où vont se réfugier
les lTligrants ruraux peu fort.unés, àl'est du village. Apres 1935, à la
suite d'un incendie, les quartiers africains .seront déguer.pis et
reconstruits sur le plateau, considéré cOlTllTle plus salubre, à l'excep-
tion toutefois de Gaweye qui ne sera délTloli qu'après 1979. Sur le
plateau, à l'ouest du Gunti-Yéna se trouvent aussi le quartier
résidentiel européen et la ville adlTlinistrative. Le réalTlénagelTlent de
la ville noire aboutira à la forlTlation de nouveaux quartiers baptisés
avec les a~ciens nOlTls lTlais sur dlautres elTlplacelTlents, à l'est de
Gunti-Yéna, et plus lTlélangé.s ethniquelTlent que les populations d'ori-
gine, davantage groupées par entités culturelles. Le quartier peul
notalTllTlent slauglTlentera à cette période d'éleveurs haoussas et de
forgerons peuls qui seront à l'origine du faubourg actuel de "Ferrail-
les" (ZalTleykwara), le plus pauv.re de la ville.
.- 412 -

La deuxième guerre mondiale et les rivalités politico-administra-


tives de l'après guerre vont ensuite ralentir le développement de
Niamey dont la chefferie unique sera supprimée en 1948 au profit des
anciens chefs de quartiers qui retrouvent alors leurs prérogatives
antérieures. De cette époque datent cependant la réal isation de tra-
vaux importants comme l'aérodrome, l'hôpital et la maternité. En 1950,
Niamey compte environ 12 000 habitants et peut-être considéré comme le
premier centre urbain du pays, bénéficiant quelques années plus tard
de l'ouverture d'un plus vaste espace commercial, le Grand Marché, et
dela nomination d'un Conseil Municipal de huit membres. Le processus
d'urbanisation est alors véritablement engagé, se poursuivant avec
l'élection du premier Maire, en 1956.
C'est seulement, malgré tout, après la proclamation de l'indépen-
dance, le 3 août 1960, que va démarrer vraiment la croissance'urbaine
de Niamey, liée à ses fonctions de capitale du nouvel état
républicain, qui exigeront la mise en place de nouvelles structures,
aussi bien sur le plan administratif que sur le plan des activités
économiques. C'est en 1967 que la Commune de Niamey obtiendra le
statut de ville, avec une population d'environ 57 000 habitants
officiellement recensés, statut qui contribuera à accélérer sa
croissance démographique etla diversification de ses activités
économiques. Dès lors, l'immigration urbaine va se poursuivre à'un
rythme soutenu, particulièrement aux époques de grande sécheresse et
de disette qui ont eu pour effet d'intensifier l'exode rural, déjà
très important en période normale, pendant les neufs mois de saison
sèche. Ces migrations saisonnières font apparaitre dans la ville une
forte proportion de population flottante qui explique la prolifération
et le gonflement des quartiers d'accueil, d'habitat plus "ou moins
précaire dans les zones périphériques. La ville va pro'gressivement
prendre ainsi une extension considérable qui deviendra tout à fait
spectaculaire à partir des années 1973-74 à la suite des conditions
économiques et de la richesse nouvelles crées par le IIboom de ll

l'uranium, à l'issue d'une sécheresse très dure pour les éleveurs et


les paysans. A l'heure actuelle, Niamey, née d'un village encore
presque inconnu au début du siècle, se présente comme une véritable
ville-champignon, dont il est difficile de suivre au jour le jour les
multiples transformations, ayant atteint de 1975 à 1978 un taux
d'accroissement supérieur à 18%.

Les composantes du paysage urbain


Apparue tardivement dans une reglon géographiquement défavorisée,
Niamey représente l'exemple même des centres urbains coloniaux, déve-
loppés pour répondre aux nécessités administratives de la politique
f r an çais e du dé but dus iè cl e. Pur produi t de lac 0 l 0 ni s at ion f r an -
çaï.se, l'organisation spatiale de la ville traduit cette origine
artificielle, autour d'un noyau villageois hétéro~ne, et le souci de
rationaliser l'espace urbain, dans une" perspective d'assimilation,
différente de celle adoptée dans les territoires conquis par les
britanniques, davantage intéréssés à maintenir les structures indi-
~nes.
- 413 -

L'espace nialTléen sera donc structuré dès l'origine conforlTlélTlent


aux règles de l'urbanislTle colonial qui prévoit une grande extension de
la ville correspondant à son ilTlportance politique, et la séparation
entre les quartiers africains et la ville adlTlinistrative et européenne
par la zone talTlpon que constitue la vallée sèche du Gunti-Yéna. Plu-
sieurs plans d'urbanislTle vont se succéder, dont le plus ancien relTlonte
à 1905, pour organiser et contrôler la croisssance de la ville prévue
d'abord vers l'ouest, en bordure de fleuve. De ce prelTlier projet
subsiste principalelTlent l'erpplacelTlent des terrains lTlilitaires, appelés
à l'époque à jouer un rôle ilTlportant. Avec la transforlTlation du Terri-
toire lTlilitaire en colonie, après 1922, de nouveaux plans d'alTlénage-
lTlent sont élaborés, instaurant une lTlatrice de lotisselTlent suivant la
réglelTlentation en vigueur en A.O.F. L'un de ces plans, antérieur à
1930, indique la création d'un nouveau quartier européen et d'une
ville indi~ne, construits tous les deux en dalTlier, de chaque côté du
Gunti-Yéna alTlénagé en parc. L'elTlplacelTlent d'une gare de chelTlin de fer,
au nord, y est aussi ITlcntionné, qui restera sans objet puisque la
ligne se terlTline à Parakou, le tronçon Bénin-Niger n'étant pas encore
réalisé.
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NIGER

PLAN D' AMENAGEMENT DE 1937

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d Inprè5 s.l:::a :U:3, l'I.~Tticul:- ri1:mef: ethJ.igues en Il.iJ ieu urb:.in : NIAMEY
l' e::cI:~ple de )\iLl:,C;y, l L.rir, 19J9, p. 23 et 2e.

PREMIER ETABLISSEMENT FRANCAIS 1902 DEPLACEMENT DES QUARTIERS

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QUAATJUS •••••••• t,.ncl,(lc
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Plan des terrains réserv'1


pour la ville de Niamey
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- 416 -

Les premiers lotissements furent réalisés entre 1935 et 1937 et à


la fin de 1937, un autre "Plan d'aménagement de la ville de Nlamey"
est retenu où l'on retrouve pour l'essentiel, le noyau de la ville
contemporaine. Les noms de rues, à la gloire du colonisateur, indiqués
dans le plan précédentn'y sont plus portés, en revanche une palmeraie
marque la limite nord de la ville. Cette période représente une phase
importante de l'urbanisation niaméenne, car après l'un des nombreux
incendies dont était périodiquement la proie le village "africain
traditionnel, situé près du fleuve, le déguerpissement autoritaire de
celui-ci est finalement décidé malgré les réticences des villageois. A
l'occasion de ce transfert va s'opérer l'évolution profonde des quar-
tiers traditionnels, sur le plan architectural par l'obligation de
construire en banco, et sur le plan social par le brassage ethnique
qui va s'effectuer au gré de l'installation progressive des habitants
sur les parcelles du lotissement.
Seul s, comme il a déjà été i ndi qué, l es habitants de Gaweye ont
évité le transfert sur le plateau et continué de résider jusqu'en 1979
en bordure de la rive gauche du fl euve pour avoi r la poss i bi lité de
pratiquer leur activité de pêcheurs.
Ce n'est qu'après la guerre, en 1952, que la procédure de lotis-
sement sera mise en oeuvre de façon plus systématique, par l'approba-
tion du Plan Herbe, de type "zon ing", comportant des lotissements
fonctionnels avec des zones administratives, des zones commerciales,
des zones résidentielles (construites en dur ou en briques cuites),
des zones d'habitat traditionnel, des zones industrielles, des zones
militaires et des espaces verts. Schématiquement, ce plan reprend le
découpage de la ville en trois parties: le Plateau, composé de la
ville blanche et du quartier administratif, et Niamey - Haut ou la
ville résidentielle africaine, ces deux aires se trouvant situées de
part et d'autre du Gunti-Yéna déclaré inconstructible. La troisième
partie de la ville, Niamey-bas, située à l'est du Gunti-Yéna, à proxi-
mité du fleuve correspond à l'emplacement des premiers établissements
européens, et présente un caractère multi-fonctionnel à la fois rési-
dentiel, commercial et social.
A partir de 1961, est créée une commission nationale d'urbanisme
et d'habitat rendue nécessaire par le développement rapide de la
ville, dans le but de mieux contrôler la croissance urbaine et de
favoriser l'amélioration de l'habitat. A cette intention un avant-
projet directeur de la ville de Niamey est agréé en 1964, comportant à
côté des lotissements déjà existants des zones à vocations particu-
l ières (services, gouvernement, ambassades, université, équipements
culturels ou récréatifs, terrains de sport •••• ). Ce plan se caracté-
rise aussi par les normes qu'il introduit dans les superficies et les
densités d'habitation ou les types de construction autorisés selon les
différent s secteurs. Ai ns i, dans l es secteurs d'habitat traditi onne l
horizontal, les densités waxiwales autorisées sont de 150 habitants à
l'hectare, les iwmeubles ne doivent pas avoir plus d'un seul étage, et
la superficie des parcelles ne peut excéder 200 w2. Dans les quartiers
417

NIAMEY

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DI après H.A. Sidikou, Atlas Niger, ed. Jeune Afrique page 35, 1980
- 418 -

résidentiels, aisés, le tissu urbain doit être discontinu et les


re~embrements sont autorisés. Les constructions de paillotes sont
seule~ent tolérées, à titre provisoire, dans des secteurs non lotis,
qui ne peuvent être ni attribués ni vendus. Par ces dispositions
sélectives, commente Sidikou, ce plan "détermine de fait la composi-
tion sociologique des quartiers" et il avalise la prosmicuité dans
Il

les quartiers africains". Bien que très vite et très largement dépas-
sé, ce plan reste encore une référence pour les services de l'urbanis-
me car un plan directeur pour la ville de Niamey existe depuis quel-
ques années mais n'était pas encore entré en app1 ication en 1981, en
raison de remaniements successifs.
Il faut noter également que l'évolution de la ville ne siest pas
faite dans la direction prévue initialement, vers l'ouest, mais
plutôt, jusqu'en 1965 vers le nord-est pour la ville africaine; par
ailleurs les deux quartiers, européen et africain ont tendance à se
rejoindre, et S.Bernus souligne aussi que le clivage résidentiel entre
les deux communautés n'est plus aussi absolu qulauparavant, un certain
nombre de fonctionnaires nigériens habitant désormais des logements de
fonction autrefois occupés par des européens. Actuellement, la ville
de Niamey s'étend dans toutes les directions, à un rythme accéléré,
particulièrement sur la rive droite du fleuve où a été notamment
implantée l'Université après la mise en service du Pont Kennedy en
décembre 1970, et où pro1i~rent des zones d'habitat spontané sur des
terrains non urbanisés. C'est là également qu'a été reconstruit le
quartier de Nouveau Gaweye sur des parcelles non viabilisées, Gaweye
ayant été déguerpi et démoli après 1979 pour faire place à un ensemble
architectural de prestige comportant un hôtel de classe internatio-
nale, un Palais des Congrès et un bâtiment ultra-moderne abritant les
bureaux de 1 O.N.A.R.LM. pour 1a recherche minière. Hormis ce quar-
I

tier-vitrine, l'urbanisme reste dans l'ensemble à Niamey un urbanisme


extensif car la ville se développe essentiellement sur le mode
horizontal, qui répond mieux aux habitudes des nigériens.
- 419 -

Aux termes mêmes du .p1an quadriennal 1979-83, on peut dire


aujourd'hui qu'il s'agit surtout d'un urbanisme de "rattrapage", dont
les études et les réalisations restent très en deça des besoins créés
par une évolution urbaine extrêmement rapide. le plan fait état en
effet d'un taux de croissance approximatif moyen de 10 % pour la ville
de Niamey, pendant ces quatre ans; il souligne aussi les difficultés
administratives et techniques qui expliquent les retards observés dans
la prise en charge des problèmes d'urbanisme et d'amélioration de
l'habitat. Cette croissance urbaine devenue anarchique, se manifeste
différemment selon les quartiers dont la diversité d'aspect reflète
bien la diversité des genres de vie ou de la situation socio-économi-
que des habitants. l'ensemble de ces quartiers peut être regroupé en
plusieurs catégories, à l'exemple de Sidikou qui établit une
distinction entre le plateau, la ville traditionnelle et la ville
ancienne, les nouveaux quartiers traditionnels ou modernes, et les
villages et les quartiers périphériques. A chacun de ces types de
quartier correspond plus ou moins un type d'habitat, traditionnel ou
moderne. Niamey, selon les chiffre du plan serait ainsi formé à 15 %
de logements en dur et semi-dur, à 75 %de constructions en banco, les
paillotes ne formant plus que 10 % environ des habitations. L'habitat
traditionnel en banco, plus adapté que les paillotes au milieu
urbain, est en général formé d'une cour entourée de logements partiel-
lement réservés à des locataires et dé1imit~e par un mur présentant
sur la rue une façade pleine, comportant parfois un vestibule pour
compléter l'entrée. Au quadr i 11 age imposé par 1es loti ssements pour
assurer le bon alignement des rues et la contiguité des constructions,
répond la plasticité du matériau utilisé qui autorise une restructura-
tion de la surface bâtie à l'intérieur des concessions et le réaména-
gement des e~paces .intérieurs a~ fur et à mesure des besoins. S.Bernus
précise encore qu'un habitat ~vo1utif de cette sorte est très fré-
quent, parti cul ièrement dans les zones traditionnelles, aux densités
de peuplement é1ev~es qui entourent l'emplacement du Grand Marché,
ravagé le 30 mars 1982 par un incendie qui a détruit entièrement cet
élément essentiel de l'activité commerciale niaméenne. "Au cours des
diverses périodes, indique-t-e11e, pendant lesquelles s'est déroulée
de façon discontinue notre étude, de 1960 à 1964, certaines des
concessions que nous avons pu ~tudier ont ainsi subi de notables
transformations: construction ou démolition d'un édifice, selon les
besoi ns du moment".
Dans certains cas l'utilisation du banco ne conduit pas cependant
à l'apparition d'un habitat de type urbain offrant une continuité dans
la construction des bâtiments et des réseaux, grâce à l'assemblage de
logements rectangulaires mitoyens. Inclus dans la ville elle-même,
certains quartiers comme Yanta1a, Gamka11é et d'autres villages
périphériques plus récemment rattachés à la ville conservent l'agence-
ment désordonné des établissements ruraux traditionnels, aux rues
tortueuses et enchevêtrées, chaque concession formant une entité plus
ou moins séparée des autres avec pour logique sous - jacente une
occupation du terrain optimum. De tels quartiers constituent des
- 420 -

survivances de l'habitat villageois traditionnel qu'il convient de ne


pas confondre avec les faubourgs de paillotes situés à la périphérie
des quartiers de la rive gauche ou de la rive droite et qui représen-
tent des zones refuges, sorte de banlieues pauvres é~anant de la ville
où viennent sl abriter les citadins les ~oins favorisés et les ~igrants
les plus dé~unis considérés com~e une population plus ou ~oins ~argi­
nale par les habitants des autres quartiers. Boukoki, Foulanikwara
représentent les plus importantes de ces zones d'habitat précaire, en
bordure nord de la ville, sou~ises à des incendies chroniques et à des
déguerpisse~ents successifs au fur et à ~esure des progres de l'urba-
nisation. Toutefois Boukoki a été rénové en 1972, re~odelé, loti puis
construit, l'autorisation de construire et la durcification des habi-
tations, désor~ais pour la plupart en banco, donnant à ce quartier à
la fois un nouveau visage et une nouvelle co~position sociologique,
plus intégrée socialement, certains propriétaires n'hésitant plus à
venir habiter eux-~ê~es leurs concessions dans ce quartier auparavant
~al fa~é, pour fuir l'enco~bre~ent des quartiers centraux.

L'habitat résidentiel ~oderne, copié sur le ~oœ le européen, en


dur est beaucoup plus coûteux. Il intéresse surtout le plateau, peuplé
essentielle~ent d'Européens, de hauts fonctionnaires et cadres nigé-
riens, et de fa~illes aisées. C'est un quartier très verdoyant, bien
équipé, aux villas entourées de jardins. -L'habitat vertical est très
peu développé, étant encore trop éloigné du genre de vie des popula-
tions du Niger. Il concerne principale~ent les principaux hôtels de la
ville, deux i~~eubles d'une dizaine d'étages occupés surtout par des
bureaux (Sonara, El Nasr), et un ense~ble de type H.L.M., habité par
des européens et quelques cadres africains. Depuis avril 1981,. une
partie du quartier Zongoa été déguerpie, apres inde~nisation de ses
habitants, pour être dé~o 1 i e en vue de son re~p l ace~ent par un
i~~euble de 'douze étages, dont la construction doit être financée par
le consortiu~ BDRN-CNCA-LEYMA.
Les·quartiers récents, de ~oins de dix ans d'âge, offrent aussi
une certaine diversité ~ans les matériaux de construction, leur niveau
d'équipement et -leur composition sociologique. Quelques uns ont fait
l'objet de lotissements, d'autres en revanche, nota~~ent sur la rive
droite, se sont développés en l'absence de tout plan préalable d'urba-
nis~e. (Haroban-da,Nouveau Gaweye ••• ). Dans ces quartiers de l a rive
droite, où le niveau de revenu reste généralement faible, les habita-
tions sont le plus souvent en banco, avec des ·toits en terrasses.Sur
la rive gauche~ certains de ces quartiers récents, restent encore le
do~aine de l'auto-construction en banco (Abidjan, Nouveau Boukoki);
dl autres com~e Ter~ i nus, Poudriè re ou 1 a Cité Fayça l abr itent une
population africaine aux revenus plus él~vés, souvent composée de
foncti onnaires ayant une poss i bi lité d'accè s au crédit i~~obil i er et
qui occupent des zones mieux urbanisées sur de~ terrains lotis et
bâtis en dur ou se~i-dur.
- 421 -

D'autres quartiers enf'in doivent être plus ou moins considérés


comme des extensions de quartiers antérieurement formés~ par exemple~
Issa Béri~ au plan bien tracé~ quartier dortoir dont les parcelles ne
sont pas à la portée de toutes les bourses et où s'édifient d'opulen-
tes villas~ simples ou à étages~ constitue de fait un prolongement du
plateau. Plus à l'est~ le quartier Bandabary au delà du quartier
Abidjan représente le type du quartier périphérique~ regroupant à
l'origine des anciens rescapés de la sécheresse~ et qui demeure isolé
du reste de la ville~ sous-intégré et sous-équipé~ comme Foulanikwara
et Lazaret. Foulanikwara est un quartier instable par excellence~
construit en paillottes périodiquement déplacées et ravagées par les
incendies~ dont l'aspect rural contraste tout à fait avec celui des
quartiers voisins.
Parmi les quartiers périphériques~ Talladjé représente un cas
particulier~ qualifié à ses débuts de quartier "piratell~ sur lequel il
est intéressant de s'attarder dans cette analyse pour mettre en lu-
miè re certains éléments significatifs de l'urbani sati on "spontanée".
Le quartier Tallajé situé à l'extrémité est de la ville~ s'est en
effet développé comme une conséquence directe de la spéculation fon-
cière de plus en plus forte à Niamey~ àl'initiative d'un notable
proche~ Soumana Sagaizé~ ancien chef du village de Gamkallé~ qui eut
l'idée de s'établir sur les champs de sa famille et d'y bâtir quelques
cases dans une vaste concession~ pais une grande maison en semi-dur.
Peu à peu~ d'autres habitants de Saga vinrent le rejoindre~ et commen-
cèrent à vendre ou donner des terrains à bâtir~ attirant à partir de
1966 des acquéreurs de plus en plus nombreux venus des quartiers
périphériques ou du centre de Niamey~ et regroupant une population de
travailleurs ou fonctionnaires aux revenus modestes. Il fut ainsi
procédé à l'octroi de parcelles rectangulaires de 2511' x 25m~ établies
plus ou moins grâce aux services d'un topographe~ et pour une somme au
début quasi - symbolique~ puis d'année en année plus importante au fur
et à mesure du succès de l'op~ration~ et de la construction "des
parcelles. Entre la ville et l'aéroport~ les habitants de Tallajé
surent donc s·organiser sous la direction de Soumana Sagaizé pour
opérer une occupation illégale du sol et mettre en valeur le terrain
en prévision d'un lotissement éventuel qui pourrait~ au prix de cer-
tains aménagements être intégré dans le plan d'urbanisation. En 1976~
la popu·lation avoisinant les 6 000 personnes~ les services de l'urba-
nisme décidèrent en effet pour finir d'urbaniser véritablement le
quartier et de le rénover en respectant partiellement les tracés
prévus à l·origine par les habitants eux-mêmes. Ainsi avaient été
notamment dessinées des rues perpendiculaires~ et des terrains avaient
été réservés pour l'emplacement de certains équipements~ école~ mar-
ché~ dispensaire~ mosquée•.. A l'heure actuelle les transports urbains
desservent régulièrement le quartier Tallajé dont l'aménagement~ l'as-
sainissement et la législation sont encore en cours de réalisation.
- 422 -

Unique à Niamey, l'exemple de Tallajé c,:,éé cependant un antécédent,


qui montre clairement la mise en oeuvre de réelles stratégies
foncières et de pratiques parfaitement organisées dans un processus
qualifié parfois trop rapidement d'urbanisation sauvage. Lo·in d'être
anarchique, l'urbanisation IIspontanéell de Tallajé a donc pu finalement
s'imposer aux services officiels grâce à la ténacité et à la
concertation méthodique de ses habitants, mobilisés et dynamisés par
l'autorité morale de leur chef de quartier. Elle met en lumière
l'existence à Niamey d'un marché foncier parallèle qui joue à côté du
marché officiel un rôle sans cesse accru pour pallier les difficultés
d'accession à la propriété par les voies légales, très lentes et trop
coûteuses, et soumises à des conditions très arbitraires dans
l'attribution des parcelles; celles-ci, en nombre trop limité par
rapport à une trè s forte demande, étant en effet souvent accaparées
par un petit nombre de privilégiés, mieux informés ou plus à même de
faire jouer certaines procédures et d'utiliser par exemple des prête-
noms, ou autres stratagèmes, pour contourner les dispositions
réglementaires.

La croissance extrêmement rapide des quartiers périphériques


s'explique en partie par l'entassement de plus en plus important
observé dans les quartiers africains du centre de la ville,
construits de 1935 à 1960 et pour lesquels on relève des densités de
l'ordre de 200 à 300 habitants à l'hectare, alors que sel on Si d i k 0 u,
la population totale de la ville, en 1980, rapportée à sa superficie
donnerait une densité moyenne d'environ 62 habitants par hectare; ce
qui masque en réal ité de trè s grandes di sparités dans l a continuité et
la nature du tissu urbain, qui présente des îlots très peuplés voisi-
nant avec des zones de beaucoup plus faible densité, et de nombreux
espaces libres. De plus en plus nombreux sont donc les habitants des
quartiers anciens qui désertent ceux-ci pour construire et s'établ ir
dans les quartiers neufs, comme Boukoki, Tallajé, Nouveau Marché-
Sabongari.

Organisation de deux concessions traditionnelles


L'observation directe d'une concession traditionnelle, située
dans le quartier Banizoumbou,. proche de l'emplac~ment du Grand Marché
illustre ce taux élevé d'occupation de l'espace dans la ville afri-
caine ancienne, et montre par ailleurs sur quelles bases s'organise la
vie quotidienne et les relations des co-résidents. Il s'agit de l'une
des plus anciennes conce"ssions du quartier, ayant abrité parfois plus
d'une soixantaine d'occupants, soit plus ou moins apparentés, soit
locataires, mais dont l'effectif total reste largement fluctuant,
compte-tenu de circonstances familiales ou particulières diverses.
REPARTITION DES HABITANTS DANS UNE CONCESSION OU QUARTIER BANIZOUMBOU DE NIAMEY

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- 424 -

Les propriétaires sont orlglnaires de Gaweye, la concession ayant


été construite par un pêcheur Kurtey, un certain Harouna décédé depuis
longtelTlps. L'une de ses felTllTles, Tata, âgée de plus de 80 ans, habite
cette concession depuis au lTIoins une cinquantaine d'années, jouissant
aujourd'hui d'un grand prestige dans le quartier en raison de sa
qualité de zilTla" qui lui confere une position de prelTlier plan dans
I

les cérélTlonies de la religion traditionnelle et dans le culte des


"hol ey", ou génies djerlTla-songhays. Tata avait une co-épouse, lTIorte
depuis environ quatre ans. Elles avaient vécu enselTlble jusqu'à la
disparition de Harouna, après quoi la co-épous'e était repartie dans
son pays d'origine, Say, pour revenir ensuite vivre à NialTley avec son
fils Abdou qui avait hérité une partie de la concession. La co-épouse
vendait des condilTlents sur le Marché. Leur part se cOlTlpose d'un loge-
lTIent de quatre chalTlbres presque au centre de la cour, construit en
banco, cOlTllTle tous les autres bâtilTlents.
Le logelTlent de la vieille Tata, accolé au lTIur d'enceinte, COlTlpor-
te une grande véranda prolongée par un auvent, et deux pièces dans
lesquelles habitent aussi Aissa, lTIalienne à l'appartenance ethnique
relativelTlent imprécise, métissée peule et bella, et dont le statut vis
à vis des autres occupants de la concession se trouve infériorisé du
fait de son rattachelTlent à des groupes considéré jadis de condition
servile. F.lève d'un lycée voisin, elle est hébergée à titre gracieux
par Tata, ainsi que Saley, confiée depuis son enfance à cette dernière
pour l'aider. Saley est sa nièce, fille d'un frère de Tata qui était
"AlTIirou-Gaweye", le chef du quartier Gaweye, lTIaitre du fleuve et
détenteur des secrets des pêcheurs Sorko. Celui -ci habite lTIai ntenant
sur la rive droite, au Nouveau Gaweye depuis que l'ancien quartier a
été délTlol i. Un enfant de huit ans Hal ima vit égalelTlent chez Tata, en
tant que fille naturelle d'un petit fils de cette dernière. Tata et
son lTIari, tous deux illéttrés, avaient eu quatre enfants, deux filles
et deux garçons. L'un des garçons, lTIort tout récemlTlent, travaillait à
la sous-préfecture de Diffa, père de nOlTlbreux enfants qui viennent
quelque fois passer du temps à NialTley, surtout au lTIolTlent des vacances.
Le deuxièlTle fils de Tata, ancien préfet, se trouve en prison depuis
sept ans, après l'instauration du niveau régilTle. L'une des filles
Awa habite Boukoki où elle vit seule après avoir eu sept enfants et
deux lTIaris, un peul et un djerlTla. Elle vit du revenu de ses locations
et de l'aide que lui procure ses filles lTIariées à des lTIinistres. La
deuxièlTle fille, Biba, lTIorte depuis quatre ans, s'était lTIariée trois
fois, dont les deux prelTlières avec des français, qui lui avaient donné
chacun un garçon. Le prelTlier, Bertin, est aujourd'hui adjudant chef
dans l'arlTlée. Père de HalilTla, il a quitté la concession depuis environ
sept ans ayant obtenu un logelTlent dans le calTlp lTIilitaire; il a encore
deux filles d'un prelTlier lTIariage plus un garçon de sa felTllTle actuelle.
Il vient régulièrelTlent visiter la concession, tous les deux jours
environ. Roger, le deuxièlTle fils de Biba est un lTIétis, cOlTllTle Bertin.
Ayant eu quatre enfants d'un premier lTIariage et devenu veuf, il vit
actuellelTlent à l'étranger ap~s avoir contracté trois autres lTIariages
qui lui auraient donné encore cinq enfants.
- 425 -

De son troisièlJle lJlariagc avec un Nigérien de Gotheye, Tijani,


gros négociant qui fait le cUlJllJlerce du bétail entre le Niger et le
Nigéria, Biba a eu encore une-fille, Madina. Celle-ci, elJlployée de
banque, à la BORN, vit à Yantala, lJlariée à un frère de la felJllJle du
président Kountché dont elle a eu deux garçons.
Tijani, pour ses affaires, fait donc le va et vient entre Gotheye et
NialJley. Il habite dans la concession, avec la felJllJle qu'il a épousé
depuis la lJlort de Biba, le benjalJlin des sept enfants que celle-ci
avait déjà de lJlariages précédents, et un jeune garçon qui les aide.
Ti Jan i a par a ill eurs deux autres épouses à Gotheye, dont il a eu au
lJloins quinze autres enfants. C'est un Songhay.
De ces rapides indications sur la cOlJlposition du noyau falJlilial
autour duquel s'agence l'alJlénagelJlent de la concession, se dégagent
déjà plusieurs observations sur la cOlJlpléxité des relations de paren-
té, qui résulte des situations lJlatrilJloniales instables, de type sou-
vent polygalJlique interethnique.
On relève égalelJlent dans une concession de ce type la diversité
des situations socio-éconolJliques, où se juxtaposent et se cOlJlbinent le
traditionnel et le lJloderne de lJlanière très étroite.
Les 10gelJlents hérités respectivelJlent par Awa, Biba et Roger ont
été finalelJlent lJlis en location, cOlJllJle le reste des bâtilJlents de la
concession qui abrite plusieurs autres lJlénages, de différentes ethnies.
Le 10gelJlent de Roger,colJlposé d'une véranda, deux chalJlbres et une
douche était au lJlolJlent de ces observations, en novelJlbre 82, le seul
inoccupé, les huits 10gelJlents restants étant habités par des loca-
taires et leurs falJlilles.
Le 10gelJlent de Biba-colJlporte une véranda, deux chalJlbres et une
petite douche dans l'une des chalJlbres, installée par Biba, du telJlps où
elle vivait là. Il est loué 6.000 francs CFA par lJlois à un djerlJla
d'une trentaine d'années, Hassane, qui habite la concession depuis
huit ans. Marié à une djerlJla originaire cOlJllJle lui de Dosso, il a trois
jeunes enfants qui ne sont pas encore scolarisés. Il travaille à la
Radio. Il avait auparavant occupé le 10gelJlent de Awa, qu'il avait
quitté lorsque celle-ci, désireuse d'auglJlenter le loyer avait préféré
prendre un nouveau locataire. C'est alors Tata, voyant qulil était
depuis 10ngtelJlps dans la concession et les difficultés pour trouver
une location' à Nia~ey, qui lui a proposé d'occuper le 10gelJlent de Biba
qui -lui était revenu après la lJlort de celle-ci.
Le ~ogelJlent de Awa, cOlJlporte deux chalJlbres et un petit vestibule
entouré d'un seco, ou palissade en paille tressée. Il est loué pour
6.000 francs CFA à un jeune Touareg lJlalien, âgé de 17 ans, MohalJllJled,
originaire de Ménaka, cOlJllJle sa felJllJle. Le ~re de MohalJllJled est depuis
10ngtelJlps à NialJley où il travaille cOlJllJle gardien, lJlais il est aussi
lJlarabout et fait souvent le voyage jusqu'à Ménaka. MohalJled a grandi à
NialJley et a été poussé à cOlJllJlencer sa scolarité par un lJlédecin
français; il vivait avec la falJlille de Madina qui lui a delJlandé de
chercher un autre logelJlent pendant l es vacances, au lJlolJlent où son ~ re
lui a envoyé de Ménaka une cousine qulil lui avait choisi pour felJllJle.
Le lJlariage avait été célébré sans lui, à Ménaka. Il habite donc avec
- -426 -

sa femme dans la concession, et poursuit ses études, en classe de


1ère, au lycée Korombé. Il est financièrement soutenu par sa famille,
son père surtout, un frère fonctionnaire et l'un de ses beau-frères
qui fait le commerce de tissus et de montres entre le Niger et le
Nigéria.

Par ordre d'ancienneté dans la concession, on trouve ensuite le


ménage dlun "Bouzou" appellation qui désigne le groupe des Be11as,
anci ennement captifs des Touaregs dont il s ont adopté 1e costume, 1a
langue, le mode de vie et avec lesquels ils se sont plus ou moins
métissés. Il s'agit ici en l'occurrence d'un nigérien d'environ 50
ans. ancien combattant, dénommé Hama, chef de service à l'Office des
Produits Vivriers du Niger (OPVN). Il occupe avec sa famille trois
grandes chambres, avec une douche. Ayant divorcé de sa première femme,
il vit avec la seconde, Chetou, une djerma qui fait le commerce de
pagnes, tissus, produits de maquillage, vaisselle. Elle possède plu-
sieurs propriétés et concessions qu'elle loue. Ils sont tous les deux
plutôt riches, possédant aussi beaucoup de bétail à Fou1anikwara,
gardé par des Peuls, et dans leur vi.llage, Ba1eyara. Mais ils préfè-
rent rester dans la concesion, parce qu'ils sont là depuis très
longtemps, plus de dix ans; étant habitué$ aux occupants de la conces-
sion et aux habitants du quartier, cela devient comme une famille. Si
un problème survient dans la concession, c'est à eux que l'on vient
demander conseil, et c'est eux que l'on prévient car Chétou était
11 am i e de Bi ba ,la mè r e deR 0 ge r. Elle a fait cet te an née 1e pé 1e r i -
nage de la Mecque. Elle sert de revendeuse aux commerçants du Grands
Marché, pratiquant un système de vente à crédit, en faisant du porte à
porte dans les services. Après avoir eu un fils d'un premier mariage,
elle a eu cinq autres enfants de son mariage avec Hama, qui vivent
encore dans la concession à l'exception du plus âgé. Les trois filles
habitent dans les chambres de leurs parents, et vont toutes en classe.
Le cadet, Moussa, é1è ve de ~ me au CEG habite un logement séparé dans
la concession, deux pièces qu'il occupe avec l'un de. ses cousjns
louées par ses parents, à côté de leurs propres.chambres. Pendant les
vacances, il retourne parfois au village pour cultiver.
. .
. Depuis environ huit ans vit aussi dans la concession une Peu1e ,
Ramatou, originaire de Torodi où se trouve son mari depuis deux ans.
Ay a nt eu t roi s en f an t s, e 11 e part age de ux p iè ce s dan s 1a c on ce s s ion
avec Fati, l'une de ses filles, âgée d'environ trente ans, divorcée
qui ITène plus ou moins une vie de femme libre, buvant de la bière dans
les bars et recevant des hommes dans la concession. Sa ITère Ramatou ne
travaille pas, mais elle s'occupe du bétail de Tata, une dizaine de
chèvres et de moutons, qui sont gardés dans un coin de la concession.
C'est pourquoi, elle ne paye qu'un loyer de 2.000 francs CFA par mois.
La femme de Tijani (appelé Madina Baba", c'est à dire "père de Madi-
na") ou bien parfois Abdou, le fils de la co-épouse de Tata, leur
donne parfois de quoi se nourrir, car dans la concession on a un peu
pitié d'elle.
- 427 -

Une commerçante béninoise, Haoua, loue aussi, depuis trois ans,


deux chambres dans la concession, pour 6 000 francs CFA par mois.
Mariée à un commerçant Béninois de Cotonou, elle part tous les vendre-
dis par la route dans cette ville pour rapporter le dimanche de gros-
ses quantités de tomate fraiche et de condiments pour venir les vendre
au Grand Marché de Niamey. Son mari vient assez rarement à Niamey,
pour de b~ves visites de deux à trois jours. Son fils, marié, Père de
trois enfants habite depuis longtemps dans un autre quartier centra1de
Niamey, Balafon. Maintenant, elle vit seule, ap~s avoir eu avec elle
quelque temps deux de ses petit-fils, revenus ensuite chez leur Père.
Un autre logement de trois pièces est loué encore, pour 7000
francs CFA par mois à un Nigérien surnommé IIPresse C'est un djerma
ll

marié à une Songhay; ils sont arrivés avec un bébé dans la concession
depuis environ la mois, et deux petites soeurs de la femme vivent avec
eux; l'une d'elle est en classe de CM2. La femme, qui ne travaille pas
à beaucoup de famille à Niamey. Lui est chauffeur à l'ambassade des
Etats Unis. Ce ménage a succédé à une famille polygame depuis huit ans
dans la concession et qui avait d'abord habité le logement de Haoua la
Béninoise, puis celui de Presse, avant de déménager dans un autre
quartier du centre, vers le cinéma Sonni Ali Ber. Le mari, mécanicien
à la SNTN (Société Nationale des Transports Nigériens) vivait avec ses
deux épouses qui avaient chacune une chambre. La première employée
dans une librairie-papeterie avait trois enfants, le ~euxiè~e un seul.
Au moment où ont été effectuées ces observations, la concession
abritait donc trente deux personnes, pour la plupart attachées à 1e~r
habitation, et ayant du fait de leur stabilité de résidence noué entre
elles des relations personnalisées, parfois très chargées de valeur
affective, car les considérations ethniques au bout d'un certain temps
de vie commune finissent par s'effacer. .
Le dernier1ogement,formé de deux chambres,est habité pardeux
Yoroubas, originaires du Nigé.ri a, âgés d'environ 25 ans. Le premier
Fataî, est un tailleur qui coud parfois chez lui, parfois au marché.
Il habite la concession depuis un an, mais il est sans doute à Niamey
depuis longtemps car il parle bien djerma et il a beaucoup d'amis.
L'autre, probablement un parent ou un ami, n'est arrivé que depuis
quatre mois dans la concession. .
Dans l'ensemQ1e, les relations entre les occupants de la conces-
sion sont plutôt bonnes, et lorsque les querelles surviennent, c'est
en général à propos des enfants qui sont contrôlés par tout le monde;
les travaux domestiques,ménage, cuisine, pilage du mil, sont répartis
dès l'âge de ~-8 ans entre les différents enfants de la maisôn. Avant,
par bloc d'habitation, on faisait une cuisine commune sur les foyers
en plein air, dans la cour. Maintenant chaque famille prépare sa
nourriture. Les repas se prennent de façon séparée, hommes, femmes et
enfants ayant ch~cuns leur plat à part. Les deux repas quotidiens
comportent en généra 1 du ri z ou de 1a pâte préparée à base de mil ou
- 428 -

de sorgho. Le petit déjeuner se compose de galettes, de bouillie, ou


de la pâte et de la nourriture de la veille, réchauffée. Exceptionnel-
lement, pour la fête musulmane de la Tabaski, ces pratiques alimen-
taires quotidiennes sont réhaussées par le partage d'un mouton, gril-
lé en plein air, à l'extérieur ou dans la cour de la concession et
dont on distribue les morceaux aux parents, et aux amis dans la
concess i on , le quart i er ou l a vi 11 e. On observe une certa i ne évo l u-
tion dans les relations de voisinage qui étaient autrefois plus cha-
leureuses. Ainsi en période d'abondance, on partageait facilement la
nourriture ou la viande en surplus; on venait se rendre visite le
matin. Mais maintenant, depuis que la ville a commencé à grandir, on
se dit seulement bonjour. Parfois, quelques personnes du quartier
viennent regarder la télévision dans la concession où il y a trois
postes en noir et blanc, depuis environ trois ans, chez Hassane,
Mohamed et Madi na Baba.
C'est le chef de la Samaria, organisation néo-traditionnelle, qui
fait fonction de chef du quartier, mais personne dans la concession ne
fait partie de la Samaria, dont le recrutement s'effectue sur la base
du volontariat pour promouvoir des activités collectives, utilitaires
ou récréatives.
Toutes les habitations de la concession ont l'électricité, mais
aucune ne dispose de l'eau courante que l'on se procure seulement au
robinet du quartier, à l'endroit où l'on vend de l'eau au prix de 5
Francs CFA le seau, à environ 150 mètres de distance. La concession
voisine posSède en revanche deux robinets.
C'est une concession encore plus vaste, dont les habitants, deux
fois au moins plus nombreux que ceux de la première, appartiennent à
une parenté éloi gnée de Tata, établi e à cet endroit peu apre s l' arri-
vée de cette dernière. Elle comprend une mosquée où ont lieu des
prières collectives. Elle possède quatre portes, contre deux pour la
concession de Tata. Dans celle-ci se déroulent quelquefois après
délivrance d'une autorisation par la mairie, les cérémonies des Holey,
que Tata est chargée d'organiser; les danses de possession peuvent
alors durer plusieurs jours, permettant à différents génies de se
manifester par l'intermédiaire d'initiés qui deviennent alors leurs
"chevaux", au cours de transes parfois très"violentes. Islam et cultes
animistes se superposent" donc ici sans se détruire.
Dans un quartier neuf, Harobanda, situé à la périphérie de Niamey
sur la rive droite,la composition sociologique d'une concession tradi-
tionnelle, en banco~ de tatlle moyenne, a été également relevée, à
titre indicatif. Il s'agit dans ce cas d'une famille peule habitant
initialement dans les paillotes, non loin de Foulanikwara, puis
déguerpie par le gouvernement en 1974 sur le terrain de l·Université
avant de pouvoir s'installer définitivement sur ce nouveau terrain,
acheté"50 000 francs CFA et alors dépourvu d'équipement en eau et
électricité. Une partie de la famille, trouvant la distance excessive,
- 429 -

ne voulait pas venir. En novembre 82, on dénQmbrait quinze personnes


dans la concession, dont deux locataires, et deux personnes hébergées
gratu i te\TIent dans deux cases rondes en secco à 11 i ntéri ëur de
l'enceinte en banco.

SHEMA 0 UNE CONCESSION DU QUARTIER HAROBANDA DE NIAMEY

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- 430 -

Les propriétaires vivent dans un logeJTIent en banco cOJTIposé de


deux pièces et d'une véranda: Le chef de JTIénage est une feJTIJTIe d'envi-
ron soixante 'ans, veuve d'un berger peul de la région de Say, et qui
vit dans la concession avec deux de ses filles, HaJTIsatou et Aïssa et
les cinq jeunes enfants naturels de celle-ci.L'enfant laissé par sa
troisièJTIe fille Hajiza, décédée depuis peu, habite égaleJTIent avec
elles, ainsi qu'une petite cousine de 14 ans, venue de Saga pour
continuer plus facileJTIent,sa scolarité au CEG. Un garçon de Il ans est
arrivé aussi dans la concession pour quelques jours, pour coudre ses
habits, car chez lui, un village voisin, les tailleurs sont rares.
La JTlère de HaJTIsatou et de Aissa vend du lait et s'occupe des
enfants quand les autres vont au travail. HaJTIsatou, l'ainée, apprend
la couture au Foyer de BanizoJTIbou, gratuiteJTIent chez les soeurs; elle
garde aussi les enfant.s d'une infirJTIière européenne de la clinique
pour un salaire d'environ 30.000 Francs par JTIois, l'après JTIidi. Aissa
garde les enfants chez des européens toute la journée, et gagne envi-
ron 33.000 Francs par JTIois. Seuls un frère, JTIort à 18 ans et Hajiza,
fille d'un second II JT1ar i ll de la ITère, avaient été scolarisés. Depuis le
décès du ~re d'Hajiza, survenu quand celle ci avait environ c-inq ans,
il n'y a plus dans le JTIénage de présence JTIasculine stable. Depuis deux
ans, la soeur de la JTIère, trop âgée pour vivre seule au village,
distant de 20 kJTIs,est venu occuper l'une des paillotes rondes de la
concession. Dans l'autre paillote habite un JTIaçon bella, venu du Mali.
COJTIJTIe c'est un élève coranique (talibé), très facile à vivre,il est
hébergé à titre gracieux depuis trois ans.
Les deux loge JTIen t s res tan t, cOJTIposés ch acun de deux p iè ces en
banco, sont loués à 6.000 CFA par JTIois. Dans le preJTIier vit un tai 1-
leur JTIalien, peul au teint clair, d'une trentaine d'années, arrivé
depuis trois seJTIaines. Il pos~de une JTIachine, coud dans sa chaJTIbre,
puis part à bicyclette vendre sa JTIarchandise. Il est à NiaJTIey depuis
env i r 0 n c i nq ans, a prè s a v0 i r Il fait Il Da kar, 0 ua gad0 ugo u, Ac c r a et
LOJTIé. Le dernier logeJTIent, précédeJTIJTIent loué par un Bella du Mali est
occupé par un peul noir, nigérien, JTIanoeuvre, divorcé, ~re de trois
enfants. Il vit dans la concession depuis trois JTIois avec ses deux
frè res cadets qu i vont au Lycée.
La concession est équipée depuis deux ans d'un robinet d'eau
courante qui perJTIet d'arrondir les rev~nus de la faJTIille, sous la
gestion de HaJTIsatou, la fille ainée; celle-ci vend en effet l'eau, à
raison de 5 Francs le seau, aux porteurs ambulants qui circulent dans
le quartier pour la revendre à 50 Francs les deux seaux. Le quartier
est aussi approvisionné en eau par des vendeurs ~unis de charrettes à
ânes tirant des gros fûts d'une capacité de treize seaux d'eau, ache-
tés 60 Francs CFA et revendus 250 Francs CFA. HaJTIsatou, à l a sa i son
chaude vend aussi du jus d'orange et de citron qu'elle prépare elle-
~êJTIe.

La concession n'a pas encore l'électricité, ~ais elle devrait en


être JTIunie incessaJTIent.
- 431 -

La concession, de forme rectangulaire donne sur une large route,


non goudronnée, et se 'trouve accolée par des murs mitoyens aux trois
autre$ concessions qui l'entourent, la contiguïté des bâtiments et
leur alignement donnant un aspect tout à fait urbain à cette portion
du quartier. Dans le coin inoccupé de la cour, une contruction est en
voie de réalisation, comme en témoignent les murs inachevés et les
briques de terre séchée rangées à proximité, le long du mur
d'enceinte.
Entre le logement des locataires, et celui des propriétaires, se
trouvent le long du mur trois foyers en plein air, pour la cuisine, et
un espace réservé au séchage et au rangement des ustensiles de cui-
sine.
Aux dires de Aissa, la jeune malienne hébergée par Tata et amie
de Hamsatou et sa famille, les Peuls au teint clair, ou Peuls blancs
avaient jadis pour serviteurs les Peuls noirs, mais depuis la suppres-
sion offkielle de la condition servile, les groupes autrefois "cap-
tifs" ou esclaves .sont devenus dans la société contemporaine, les
pauvres. L'ostracisme à l'égard de ces groupes persiste encore, notam-
ment dans le cas du mariage, et dans certains comportements qui leur
sont traditionnellement réservés, mais avec les changement introduits
par la scolarisation ces attidudes socialement codifiées tendent de
plus en plus à s'atténuer. Il est cependant intéressant de remarquer
la différence présentée par la composotion sociologique des habitants
de chacune des concessions étudiées, pouur souligner le mélange ethni-
que qui caractérise la première et la plus grande homogénéité des
situations socio-ethniques dans la seconde, ,occupée seulement par des
Peuls et des Bellas, qui semblent se trouver, par rapport aux occu-
pants de la première, à la fois géographiquement et socialement, dans
une position de moindre intégration à la ville voire de marginalisa-
tion relative.
L'exemple de ces deux concessions parait assez représentatif de
l'habitat traditionnel africain à Niamey, et il s'accorde avec les
résultats présentés par Sidikou dans son enquête sur certains
quartiers-types de la ville. Dans les quartiers enquêtés, les unités
de résidence dans l'ensemble sont plutôt petites, la moitié ne possé-
dan t .que deux piè ces au plu s; à Fou l an i kw ar a, les pa i 11 ote sni ont
qu'une pièce. Dans les quartiers en banco, les unités résidentielles
se composent en général d'une véranda et d'une pièce intérieure, les
maisons à plusi~urs pièces étant plus caractéristiques des quartiers
de type moderne. La plus nombreuse des concessions étudiées par
Si dikou comportait préci se-t-il 53 personnes au moment de l'enquête.
La taille moyenne des ménages, voi.sine de 7 personnes par ménages,
aurait doublé par rapport aux résultats obtenus en 1961-62, dans une
enquête réalisée sur les budgets familiaux à Niamey (20). Mais la
taille des ménages ajoute Sidikou, reste liée à la présence de
visiteurs, plus ou moins stables qui s'inscrit dans les règles
traditionnelles et qui est soumise, en raison de la longue durée de la
saison sèche à des variations saisonnières importantes.
- 432 -

Par ailleurs, il est intéressant de souligner, qu'à la différence


du modèle anciennement pratiqué à Ifé, les garçons mariés ne résident
pas en général dans la concession de leur Père. Sidikou indique encore
que l'organisation familiale évolue dans le sens d'une limitation de
la famille étendue, particulièrement dans les quartiers modernes où
les familles sont moins nombreuses. L'entassement caractérise donc,
selon lui, les unités de résidence construites avec les matériaux du
pay s, peu pl éespar une pop ulat ion aux r even us plu s fa i bles. Les
Il

caractè res spécifiques des un ités de résidence reflè tent, écrit-il,


l'inégalité des niveaux de vieil, affirmation qui exigerait peut être
une analyse plus fouillée pour rendre compte de certains cas de
commerçants, ou transporteurs fortunés par exemple qui conservent en
dépit de leur aisance économique une façon de vivre, et de se loger
très peu ostentatoire et conforme au modèle traditionnel.
L'eau et l'électricité sont deux commodités encore très insuffi-
samment répandues et pour lesquelles on ·relève un grand déséquilibre
entre les quartiers, les zones les plus peuplées étant aussi souvent
celles qui sont les moins équipées où l'on s'éclaire encore le plus
fréquemment à la lampe à pétrole et au feu de bois. L'électricité en
particulier demeure très coûteuse et constitue souvent une source de
friction entre propriétaires et locataires. En raison de la très forte
demande de logement due à la croissance accélérée de la ville, les
rapports de force ~ntre ces deux catégories de niaméens s'établissent
au profit des propriétaires qui pratiquent ains~ souvent des haussses
injustifiées. Les relations propriétaires-locataires sont donc souvent
assez tendues, soit que les premiers aient tendance à opérer comme des
marchands de somme il, so it que l es second s se révè lent r api de ment
insolvables, le niveau de revenu moyen de la population niaméenne
demeurant très limité.
Dans les quartiers étudiés par Sidikou, les propriétaires se
recrutent principalement parmi les agriculteurs, éleveurs, pêcheurs et
les retraités. Les artisans sont·surtout locataires. la location~vente
concerne essentiellement les fonctionnaires qui habitent des maisons
~n dur ou semi-dur. .
En fait,· les possibilités de choix du domicile restent faibles,
surtout pour les catégories aux revenus aléatoires, aucune politique
sociale du logement efficace n'ayant été mise en place au cours de ces
dernières années. Si l'on oPère une ventilation ·par ethnie, les Peuls
apparaissent comme le groupe qui a eu le plus à souffrir des mesures
de déguerpissement, Foulanikwara étant le quartier le plus instable de
Niamey. Etant donné le lieu d'implantation de la ville, c'est parmi
les Djerma-songhay et les Voltaiques, Gourmantchés et Mossis, que
lion trouve la plus forte proportion de propriétaires. On trouve dans
le centre ville de nombreux Maliens, Sénégalais, Guinéens, Béninois ou
Nigériens. Les Yoroubas en particulier, appartenant à l'une ou l'autre
de ces deux dernières nationalités, cherchent un domicile qui ~uisse
- 433 -

présenter des avantages liés à leur occupation de co~~erçants ou


artisans~ à proximité par exe~ple du Grand Marché où no~bre d'entre
eux tenaient boutique jusqu'à l'incendie survenu en ~ars 82~ qui les a
obligés à rentrer au pays~ ayant perdu tout ou partie de leurs
~archandises.

le wodèle d'intégration néo-traditionnel

Dès l'orig"ine du village précolonial~ le caractère pluriethnique


de Nia~ey s'est affir~é co~~e on l'a vu~ la ville s'étant for~ée peu à
peu par le contact et le brassage de différents groupes. Le fait
~arquant dans la répartition spatiale de ces groupes~ c'est qu'il
n'existe pas~ dans la ville africaine~ de quartier fondé pure~ent sur
l'appartenance à un groupe ethnique. D'un quartier à l'autre~ on
observe en effet des secteurs à do~i nante de tel ou te 1 groupe~ ~a i s
en définitive les quartiers présentent une structure relative~ent
hétérogène~ co~portant des ilôts plus ou ~oins denses ou important
ressortissant à differentes ethnies~ sauf dans le cas des villages
plus réce~~ent incorporés à la ville co~~e Yantala~ Ga~kallé~ Goudel~
Saga~ peuplés de djer~as ou Kirkissoye habité par des Peuls.

En revanche~ on observe entre ces groupes~ l'ex i sten ce d'un


véritable corporatis~e ethnique~ en vertu duquel les Peuls se spécia-
lisent dans la garde des troupeaux~ les Gour~antché dans le jardinage~
les Haoussas dans la profession de boucher~ les Touaregs dans le
gardiennage et les Yoroubas dans le co~~erce et l'artisanat tandis que
les Sénégalais pratiquent surtout la bijouterie; les Songhay sont
principale~ent cultivateurs~ les Kurtey pêcheurs~ et les Djer~a en-
trent volontiers dans la fonction publique. Ce sché~a d'ense~ble
présente bien entendu quelques variantes ~ais correspond assez bien à
la réalité nia~éenne co~posée d'un a~alga~e de groupes ethniques aux
activités co~plé~entaires dont l'organisation s'apparente finale~ent~
com~e le re~arque S. Bernus~ aux cités com~erçantes soudanaises tradi-
tionnelles~ en dépit de son apparent caractère artificiel de ville
coloniale.
Le facteur ethnique se~ble aussi jouer un rôle i~portant dans le
degré d'adaptation et d'intégration à la vie urbaine~ et l'pn observe
entre les différents groupes toute une ga~~e d'attitudes et de situa-
tions qui té~oignent d'un désir et d'un degré d'urbanisation très
variable entre les deux pôles du continuu~~ occupés respective~ent par
les Peuls d'une part et par les Djer~as de l'autre. Les pre~iers
consacrent tout leurs soins à la bonne tenue de leur bétail qui repré-
sente pour eux 1a va 1eur suprê~e, et auque 1 il s réservent 1a plus
vive tendresse. Extrê~e~ent valorisée et recherchée au contraire par
les Djer~as~la vie citadine si i~portante pour les Yoroubas ne présen-
te en général pour les Peuls qu'un intérêt des plus li~ités. Cette
attitude se retrouve d'ailleurs de ~anière plus ou ~oins ~arquée dans
les autres groupes no~ades ou se~i-no~ades co~~e les Touaregs et les
Bellas~ attirés à Nia~ey surtout depuis la sécheresse.
434

NIAMEY LES QUAR1IERS

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d'sprès A. Sidikou. Nicmey. Thèse d1etat rouen 1980


- 435 -

Dans la conclusion de son enquête, Sidikou présente au total la


population de Niamey comme une société peu urbanisée, dépourvue de
tradition citadine et dans laquelle le monde rural tient encore une
place importante. Les activités agricoles, d'appoint, sont encore
présentes dans la majorité des familles de Niamey qui, si elles n'en
font que rarement leur moyen de subsistance principal trouvent néan-
moins dans la culture des céréales, ou les cultures maraichères et la
production des jardins le complément indispensable à des revenus trop
limités et aléatoires. Il s'agit là essentiellement d'une agriculture
intra ou péri-urbaine, dont les produits sont destinés à la vente sur
le marché ou aussi bien à la consommation familiale. Nombreux sont
aussi les animaux dans la ville, élevés pour leur lait ou leur viande,
et gardés dans les concessions, ou aux alentours de la ville avant de
faire l'objet de transactions au marché au bétail par l'intermédiaire
des "dillalli" haoussas.
Le quartier devient alors pour la population niaméenne un élément
de référence essentiel, défini de manière foncièrement subjective et
d'autant plus sécurisant par les relations de voisinage qui s'y déve-
loppent, que la ville par sa démesure et sa croissance anarchique
échappe de plus en plus à l'emprise des citadins. Une évolution se
• fait jour entre les différents types de quartier, des rapports sociaux
beaucoup plus distants et individualistes s'établissant dans les sec-
teurs les plus modernes de la ville, par opposition aux quartiers plus
populaires et plus traditionnels où persistent des réseaux de solida-
rité qui contribuent à donner au quartier sa tonalité affective. Là
encore se marque une différence essentielle avec la situatition obser-
vée à Ifé où dans l'esprit de la société yorouba, l'attachement à la
ville natale prédomine sur les liens tout à fait négligeables manifes-
tés à l'égard du quartier. Sidikou souligne avec force l'importance à
Niamey de cette vie de quartier qui devient un élément fondamental
dans le choix d'un domicile, la recherche de l'entr'aide, et de rela-
tions sociales harmonieuses primant souvent en dernier ressort sur des
considérations plus matérielles de confort ou d'équipement urbain.
Sidikou relève ausi le décalage entre la ville officielle et son
découpage administratif, très mal connu de la population, et l'espace
urbain vécu réellement, de manière parallèle par les niaméens, sur la
base:le dénominations usuelles sans rapport avec la géographie ou la
toponymie administrative. A coté de la dimension personnelle ainsi
attribuée par chaque niaméen à son quartier, Sidikou note enfin que
l'espace vécu par les femmes, plus confinées dans leur foyer, est plus
restreint dans la ville que celui des hommes.
- 436 -

A l'issue de ce parallèle entre les deux villes de Niamey et


d'Ifé, il semble que l'on puisse résumer quelques unes des oppositons
fondamentales qui les différencient par les principaux points suivants
: historicité, mode de croissance, composition ethnique, intégration
socio-urbaine, structuration de l'urbanisme et de l'habitat, relations
i nter-ethn i ques, i nsert i on dans l 'ensemb le nat i ona 1. Dans cette
perspective, Ifé apparait ainsi comme une ville très ancienne, produit

d'une croissance endogène, d'une grande homogénéité ethnique et cultu-


relle mais déchirée par des conflits inter-claniques permanents. Elle
se caractérise aussi par une très forte et longue tradition urbaine,
qui se traduit par un profond attachement pour la vie citadine et pour
la ville en tant que telle. L'habitat y est aussi relativement homo-
gène, ainsi que le genre de vie qu'il engendre de la part des habi-
tants; son évolution s'effectue aussi dans le sens de la verticalité.
On y observe un très fort phénomène de surtribalisation de la part du
groupe haoussa et enfin sa position dans l'ensemble national reste •
très secondaire en dépit de son importance historique et religieuse ou
culturelle car elle ne saurait rivaliser avec les mégapoles yoroubas
toutes proches que constituent Lagos ou Ibadan.
Niamey au contraire est une ville très jeune, de création pure-
ment artificielle et dont la croissance à l'origine a été avec soin
rationalisée et planifiée. Son pluralisme ethno-culturel entraine pour
finir une complémentarité des groupes qui la composent. Mais la socié-
té niaméenne reste encore peu urbanisée, attachée principalement à une
vie de quartier qui la sécurise, plus qu'à la vie urbaine proprement
dite. L'habitat, comme les genres de vie restent très diversifiés, et
la croissance de la ville se fait surtout dans le sens horizontal, à
l'except i ond '1Il quart i er-v i tr i ne.C'est une vi 11 e lime l ti ng-pot", où
s'opère depuis ses origines, le brassage et l'amalgame des ethnies. Sa
position dans l'ensemble national du Niger, dont elle est la capitale
mac rocéphal i que, lui donne par ra pp 0 r t au x autres vi 11 es du pays l a
préém i nence absolue.
A ces différences radicales, il est interessant de confronter
certains points de rapprochement: à l'analyse on constate en effet
que ces deux villes ont suivi un processus de structuration analogue,
basé sur un regroupement de communautés villageoises et une organisa-
tion des quartiers traditionnels fondée sur les divisions lignagères.
Puis leur croissance a été déclenchée par leur position de capitale
politique qui a ensuite servi de catalyseur pour le développement de
l'activité commerciale, devenue actuellement la principale fonction
économique. La comparaison fait aussi ressortir la persistance des
activités rurales et du système résidentiel basé sur la famille éten-
due, en même temps que la reprise à Niamey, d'un modèle d'intégration
proche du modèle traditionnel des villes commerçantes soudanaises. Il
faut surtout noter enfin leur communauté d'évolution et les conséquen-
ces analogues des dynamismes contemporains sur les relations centre-
périphérie et sur l'insuffisance de l'infra-structure urbaine
- 437 -

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

(1) OJO, G.J.A. Yoruba culture, University of London


Press, 1966
(2) BASCOM, W. The Yorouba of South-Western Nigeria,
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speci al reference to Ile - Ife, Journal
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(18) SIDIKOU, A.H. Ni amey, Thèse d'Etat, Rouen, 1980.
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(20) I. N. S. E. E• Buggets Familiaux Africains! Niamey.
Service statistique,INSEE, Paris, 1964,
75 p.

.'
- 439 -

LA CONSTITUTION DE L'ESPACE HABITE CHEZ LES GBAYA DE BANGUI (RCA)


UN PROCESSUS D'INSTALLATION RESIDENTIELLE ET D'INTEGRATION URBAINE
SANS IMPROVISATION.

Marie-France ADRIEN-RONGIER

LA VILLE DE BANGUI OU L1ARTICULATION ENTRE UN ESPACE D'HERITAGE


COLONIAL ET DES PRATIQUES ETHNO-SOCIALES CONTEMPORAINES

Si certaines capitales africaines, telles Dakar ou Abidjan, ont


fait l'objet de contraintes marquantes en matière de planification de
l'habitat, ce ne fut pas vraiment le cas de Bangui. En effet, la
politique urbaine n'a pas été, contrairement à ce qu'on a pu observer
dans d'autres Etats, l'une des préoccupations majeures des différents
pouvoirs centraux centrafricains, au cours des dernières décennies.
Le Centrafrique est pourtant loin de compter parmi les pays sous-
urbanisés, bien au contraire. Il était soul igné en 1970, au Colloque
de Talence,qu'avec un taux d'urbanisation de plus de 25%, on pouvait
le classer parmi IIl es pays en développement les mo-ins peuplés mais les
plus fortement urbanisés ll (1); cette situation ne s'est pas démentie
puisque ce taux aurait atteint 40 % en 1980 (2).
De cet ensembl e, Bangui constitue de façon évi dente 1 e centre,
par le nombre de ses habitants (près de 300 000 personnes en 1982,
c'est à dire environ le sixième de la population totale centrafri-
caine), ainsi que par l'importance des fonctions politiques, adminis-
tratives et économiques qui y sont regroupées - fait que l'analyse du
processus de formati on hi stori que permet d'écl airer (3).

(1) P. Vennetier, In La croissance urbaine en Afrique noire et à


Madagascar. - Colloques i nternati onaux du C.N.R.S., Paris, 1972.
(2) Documents du Ministère du Plan, Direction Générale de la Statisti-
que et des Etudes Economiques, Bureau Central du recensement, Bangui,
1981.
Sur l'utilisation de ces données quantitatives, leurs limites et
l'intérêt de leur croisement avec les faits anthropologiques, cf. le
chapitre IIMéthodologie ll , en tête de cet ouvrage.
(3) Cf. M.F. ADRIEN-RONGIER. Les héritières de Hansi Koro. Migrations,
urbanisation et insertion socio-économique des femmes gbaya à Bangui
(RCA), thèse de troisième cycle, EHESS, Paris, 1984.
- 440 -

Cependant, s'il est clair que cette agglomération a - en tant que


ville- joué naguère un rôle éminemment centralisateur, on doit noter
les tendances contraires qui s'y font jour actuellement: alors que 40
% de la population urbaine vivait à Bangui en 1960, ce chiffre ne
serait plus que de 35 % pour 1980. On se trouverait ainsi en face
d'une donnée nouvelle, où il y aurait augmentation du taux d'urbanisa-
tion sur le plan national, mais perte, pour le lieu d'ancrage urbain
qu'est la capitale de son ascendant attractif, au profit des villes de
plus petite dimension. L'image de Bangui dominant les logiques so-
ciales d'installation urbaine sur le territoire centrafricain, ne
serait-elle plus d'actualité? Mentionner cette tendance ne signifie
pas que l'évolution soit inéluctable ni qu'elle doive s'accélérer. On
peut cependant se demander ,si la physionomie des espaces urbains dans
ce pays et l'interprétation des pratiques urbaines qui s'y déploient
ne seraient pas, de ce fait, à reconsidérer ou tout au moins à nuan-
cer; en effet, que sont en train de devenir les villes autres que
Bangui, ces "cen tres secondaires" dont la terminologie indique parfai-
tement la dévalorisation dont elles sont l'objet sur le plan de
l'idéologie nationale? Il n'est pas sûr que devant la minceur des
bénéfices retirés de la réalité socio-économique par les banguissois,
elles n'aient pas subi de mutations spécifiques, tandis que l'influen-
ce de la métropole-ogresse allait s'infléchissant (1).
De fait, ce qu'offre Bangui à ses occupants est, d'une façon
générale, loin d'être favorable. Prenons l'emploi, par exemple: dans
le secteur privé, les possibilités d'accès à des postes salariés sont
peu nombreuses, comme sont peu déve l oppées l es structures i ndustr i e 1-
les (2). Quant à l'administration, on la juge officiellement déjà
pléthorique, avec ses vingt six mille fonctionnaires dont près des
deux tiers se trouvent à Bangui; et l'Etat, sous la pression
d'organ i smes internat i onaux comme le Fonds Monétaire Internat i ona l,
déploie ses efforts pour tenter aujourd'hui d'en réduire l'importance,

(1) Afin d'approfondir cet aspect d'exode urbain banguissois dans le


cadre d'un développement de la citadinité en Centrafrique, il serait
intéressant d'effectuer des travaux au sein des chefs-lieux de préfec-
ture, notamment Bambari et Bangassou, ainsi que dans certaines villes
des zones di amant ifères de l'ouest du pays.
(2) La réouverture d'une usine textile à Bangui, où sont prévus quel-
ques 600 emplois, devrait modifier partiellement ce tableau. Il s'agit
de L'UCATEX (Union Centrafricaine des Textiles) qui doit remplacer en
1984 l'ancienne usine de L'ICAT (Industrie Centrafricaine du Textile)
du groupe Willot; elle avait été fermée à la suite des évènements de
1979 et 1980.
- 441 -

en dépit des mouvements de protestation que ces décisions suscitent


(1). Quant à l'augmentation du coût de la vie, elle est évaluée à 15%
pour 1982 et plus de 10% pour 1983 •••. Le moyen le plus répandu de
subsister économiquement y est donc la "survie", pour tous ceux qui ne
bénéficient pas, ou très peu, des retombées de la fonction d'un parent
proche du pouvoir central, ou appartenant à la bourgeoisie commerçante
ou immobilière (2). Parallèlement, comme dans la plupart des ~omaines
des structures étatiques qui ne sont pas directement rentables, on
trouve dans l'organisation administrative de l'espace habité ce même
caractère de pénurie conduisant à des pratiques officiellement
décrites comme margi na l es. Mai s l es citadins concernés se trompent-
ils, quand on observe l'utilisation qu'ils font d'éléments apparemment
contraires, et le décodage constant de ce double niveau d'interpréta-
tion dont ils jouent concrètement, lors de leur intégration résiden-
tielle ? C'est cette apparente ambiguïté mise en exergue par les
transcriptions dualistes qui sont faites généralement de la capitale
centrafricaine que l'on s'attachera ici à déchiffrer, à travers la
lecture de quel ques cas i 11 ustrant des pratiques de l'espace habité.
La plupart des textes écrits sur Bangui concernent les secteurs
urbains modernes, c'est-à-dire ceux qui sont intégrés aux organismes
politiques, administratifs ou privés nés pendant la période coloniale
ou post-coloniale; et l'une des principales conséquences qui en dé-
coule est le silence quasi général qui entoure les deux-tiers de
l'espace résidentiel urbain - les Kodro (3). Pour l'administration, il
s'agit essentiellement de "quartiers spontanés". Elle les oppose en
ces termes aux quartiers lotis ou à ceux du Centre-Ville, et dévoile
son objectif majeur (qu'elle peut difficilement réaliser, faute de
moyens) : les y faire progressivement ressembler. Pour éclairer ce
souci moderniste, on pourrait évoquer quelques-uns des textes adoptés
par le pouvoir en matière d'habitat, telle cette ordonnance de 1976 :
elle porte sur l'interdiction d'édifier "de nouvelles constructions à
usage d'habitation de type traditionnel" dans le périmètre
.: . :. ~
urbain de
J.'.:.~. J 1~

(1) Les operations de "dégraissage" ont lieu principalement dans les


secteurs de la Santé et de L'Education Nationale. On sait que les
grèves d'enseignants des secteurs primaires, secondaires et supé-
rieurs, suivies aussi par les élèves et étudiants, ont eu récemment à
Bangui une ampleur qu'elles n'avaient pas prises depuis les années
1979-80.
(2) Ces transactions immobilières concernent prioritairement -les es-
paces situés au sein de la ville administrative, sur les collines ou à
proximité du fleuve.
(3) Kodro, mot sango servant à désigner le village, ou en ville, le
quartier de résidence.
- 442 -

la commune de Bangui (1). il est évident qu'avec la faiblesse des


structures d'éxécution, cette volonté n'a pu se manifester que fort
partiellement jusqu'à ce jour. Mais le texte demeure, et les projets
de nouveaux aménagements sont en cours d'élaboration, même s'ils
restent pour l' instant à l'état d'études (2).
Peut-être est-il bon de préciser que, dans la réalité, ces lieux
de vie résidentielle que sont les Kodro n'ont rien de semblable à
l'ensemble de constructions inorganisées et hétéroclites que ce mot
évoque le plus souvent; ils n'ont pas non plus la précarité des
abris, faits de matériaux de récupération, que l'on rencontre dans les
zones d'extension rapide de certains contextes urbains. L'lIillusion
idéologique ll sur laquelle se fondent ici les approches officielles en
matière d'urbanisme se heurte véritablement aux modalités observables
d'insertion résidentielle, moins réfléchies individuellement, qu'au
sein d'unités socio-familiales; celles - ci apparaissent, de ce fait,
comme le lieu privilégié d'observation et de compréhension de l'espace
habité: initiatives de l'accès au IIpouvoirll immobilier, création ou
redistribution de l'espace bâti permettant l'inscription d'une quoti-
dienneté codifiée par les repères lignagers et ethniques, organisation
quotidienne des activités selon lâge, le sexe, la position généalogi-
que, sans oublier cet élément constant qu'est le caractère discontinu
de la présence de certains occupants dans les concessions.
Si l'on insiste ainsi sur cette perspective dualiste, où repose
tout le fondement d'aménagement urbain, c'est qu'elle implique à
Bangui deux types de conséquences interprétatives: d'une part, elle
sert à occulter - directement ou non - une multiplicité de pratiques
spatiales, de modes d'adaptation et de créativité dans les manières
d'habiter •••••mais dont, paradoxalement, elle permet sans doute de
favoriser le développement; on aura l'occasion de revenir de façon
plus détaillée sur cette hypothèse à travers l'analyse du Ré gbaya et
de leur passage aux Toua urbains (3). D'autre part, la disposition
générale de la ville dont les différents espaces d'habitat sont nette-
ment délimités, opposés, séparés sciemment depuis les années 1945-47
(4), repose sur un enracinement socio-historique dont la logique
(1) Ordonnance du 12.5.1976 (Cf. texte en fin d'article).
(2) les quartiers qui devraient être les plus touchés par ces mesures
sont les suivants: Saïdou, Louango, Yakoma; on notera qu'ils sont
tous situés à proximité du Centre Ville, et occupés par les ressortis-
sants de groupes ethniques riverains, politiquement dominants.
(3) Ré, nom gbaya signifiant l'espace habité lignager.
Toua, nom gbaya signifiant la maison où l'on dort.
(4) 1946 :date de l'incendie à la suite duquel le schéma de la capi-
tale centrafricaine allait se trouver totalement modifié, du fait du
IIdéguerpi ssement de l a pl upart des quarti ers indi gènes ll et de leur
installation à plusieurs kilomètres du Centre-Ville.
- 443 -

fondamentale n'a jamais été remise radicalement en cause. On observe


nettement que la distribution actuelle des habitants dans la ville est
une conséquence des rapports entretenu s pend ant -1 es pér i odes col 0-
niale et post-coloniale avec les différents pouvoirs qui se sont
succédés, qu'il s'agisse de rapports d'intégration, de collaboration,
d'association ou d'opposition.
En effet, on se rappelle que la première ville centrafricaine est
une création coloniale; c'est en 1889 que les colonisateurs qui remon-
taient le fleuve Oubangui, s'arrètèrent près des rapides de cette
région - les Gbangui, et y décidèrent l'établissement d'un poste qui
devait répondre alors à certaines exigences politiques qui peuvent
être résumées de la façon suivante: contrebalancer l'influence de
Zongo qui, sur l'autre rive, se trouvait déjà sous domination belge,
créer un nouveau point d'appui afin de faciliter l'expansion française
et enfin contrôler les transports fluviaux, indispensables à cette
stratégie. Cela se passait il y a près d'un siècle••• Mais si Bangui
s'est considérablement peuplée et transformée depuis cette époque, on
peut s'interroger sur la nature des modifications dont la répartition
résidentielle de ses habitants a pu faire l'objet. Certes il n'est pas
question de reprendre le schéma d'organisation II centre-périphérie" de
l'origine, pour les raisons évoquées précédemment. Par contre, ceci ne
doit pas non plus conduire à masquer le lien entre le fait de résider
dans tel Kodro pour un groupe familial selon son appartenance socio-
ethnique, et les rapports de et au pouvoir freinés ou au contraire
favorisés par lui. Or, depuisI946-, date du principal déguerpissement
facilité par un incendie qui détruisit une grande partie des quartiers
qui jouxtaient à ce moment-là les zones d'habitations européennes, les
Kodro se sont étendus, densifiés, mais sans subir de déplacements
notoires, sans perte de leurs caractéristiques ·structurelles. 'C'est
ainsi que, si l'on établit une comparaison entre les plans des années
1950 et ceux d'aujourd'hui, on retrouve un même tableau de fond,
matérialisation spatiale illustrant la qualité plus ou moins satisfai-
sante des relations que les unités socio-familiales citadines ont
établies avec les représentants des autorités centrales successives
pendant la période coloniale et depuis l'indépendance.
On citera comme illustration la constance de la dichotomie entre
la II ville" et le "kilomètre cinqll. La "Ville", ainsi qu'il est habi-
tuel de la nommer, cité administrative, commerciale et résidentielle,
a poursuivi son développement à partir du poste colonial initial. Dans
l'image populaire, elle est toujours présentée comme le "lieu des
blancs", particularité dont elle ne s'est jamais dessaisie en dépit
des mutations historiques puisqu'elle continue à dominer les représen-
tations; c'est ainsi qu'elle demeure le Kodro ti Moundjou, et le
quartier des Moundjou .:.. Voucko (1), ces fonctionnaires qui y

(1) Kodro ti moundjou : quartier des blancs


Moundjou-Voucko : expression signifiant littéralement Blanc-noir.
Elle sert à désigner ceux qui, proches des européens par leurs activi-
tés professionnelles, ont tendance à leur emprunter des traits de
comportement qui les marginalisent au sein de la population.
- 444 -

travaillent et peuvent, dans certains cas, y bénéficier d'un logement


de fonction (1). On est là devant un espace urbain utilisé par les
représentants des couches sociales liées au pouvoir central, à la
haute administration, au grand commerce, ou à l'assistance technique
étrangère; sises fonct i on s rés i dent i elles y sont re lat i vementré-
duites, d'un point de vue numérique tout au moins, en comparaison de
celles qu'assument les Kodro, on ne peut mésestimer son impact idéolo-
gique.
Mais en réalité, pour tout citadin banguissois, le véritable
centre urba in est ai 11 eurs, au coeur de ce "k il omètre ci nq", centre
d'intérêt évident, et dispensateur de produits de consommation. Inves-
ti de cette façon dans le réel comme l'attestent les innombrables
pratiques qui s'y greffent, il l'est aussi dans l'imaginaire; omnipré-
sent dans les pensées de tous, évoqué sans cesse dans les discours,
les palabres, les chansons en vogue, il symbolise un milieu dans
lequel tout nouvel arrivant tente de s'introduire pour acquérir le
statut d'"homme de Bangui", et peut être plus encore pour perdre ses
caractéristiques de "villageois" •.•• ou éviter de se les faire rappe-
ler. Chacun se réfère donc à "Cinq Kil 0", " au Kilo Cinq", ou au IIKem
Cinq" pour en rêver, sien méfier, ou le fréquenter, selon le degré de
disponibilité dont on peut disposer dans un groupe familial d'inser-
tion urbaine, en fonction de son statut lignager et de son identité
sexuelle.
Cet habitus dévoile l'aspect équivoque de notions chères à cer-
tains urbanistes: le Kilomètre Cinq, pour s'en tenir à ce cas précis,
à la "périphérie" de la "ville blanche", est bien à Bangui le centre
de la "ville noire". Mais celle-ci possède tout autant que l'autre ses
propres espaces centraux, de même que les Kodro marginalisés. Comment
ce tableau pourrait-il être utnisable pour l'interprétation? Les
dangers et les l imites d'une telle perspective pour .saisir .u.n enraci-
nement sociologique urbain ne sont certes plus à démontrer; mais il
n'en reste pas moins que lorsque l'on réfléchit sur une ville comme
Bangui, on est frappé par ce qu'elle soulève indirectement comme
contradictions sociales. En effet le décryptage des pratiques
d'installation renvoie à des logiques parfois opposées, gérant les
modalités d'incorporation dans la dynamique urbaine pour des unités
sociales - segments de lignages ou familles étendues - en mouvance
institutionnelle. Or,les principes qui les contraignent maintenant
relèvent bien du même souci de gestion sociale des antagonismes que
celui qui, déjà, présidait aux déguerpissements organisés par le
pouvoir colonial.
(1) L'un des espaces résidentiels les plus représentatifs à cet égard
est constitué par l'ensemble des "200 villas", habité par une majorité
de hauts fonctionnaires.
- 445 -

Dans les soucis d'aménagement de la ville, on a conservé une logique


dual iste centre-périphérie, élaborée en vertu de prétextes hygiénis-
tes. Il est facile, à l'heure actuelle, de comparer les Kodro
d'intégration, les origines socio-ethniques de leurs occupants et
leurs équipements sur les plans de l'eau, de l'assainissement, des
moyens de transport public, etc. Miskine, Boy-Rabe, Malimaka, pour
s'en tenir à ceux que l'on qualifie souvent de "quartiers rouges" pour
les définir politiquement, ne sont-ils pas les constants laissés-pour-
compte?
A Bangui, et tout en conservant ces rapides données en toile de
fond, c' es t en tant qu Il'eff et s" provoqués par des source s contra ires
que devront être appréhendées constitution et pratiques de l'espace
habité qui, toujours inscrites dans une loi, qu'elle soit ou non
écrite, se développent dans un mouvement dialectique autonomie-con-
traintes. On est donc loin de l'improvisation sociale si fréquemment
avancée comme explication, qui n'a servi peut-être qu'à contenir tout
ce qui apparaissait comme solution trop "alternative", tant par rap-
port aux logiques présentées par le pouvoir politico-administratif,
qu'à celles relatives à l'ordre du lignage d'origine.
- 446 -

INSERTION DE QUARTIER ET CONSTITUTION DE L'ESPACE HABITE DU RE AU


KODRO CHEZ LES GBAYA DE L'OUHAM

Originaires de la région du fleuve Ouham, les Gbaya ne sont


arrivés à Bangui qu'à partir des années 1930, à la différence des
Ngbaka ou des riverains Banziri, Sango et Yakoma qui utilisaient le
fleuve Oubangui pour leur circulation et leurs échanges, et qui s'y
étaient installés beaucoup plus tôt. Ces occupants de la savane al-
laient compter longtemps parmi les groupes les moins nombreux: en
1955, un recensement démographi que effectué par le Haut Commissari at
de l'AEF ne les place qu'en cinquième position parmi les six princi-
paux groupes ethniques que comporte la population banguissoise.
Aujourd'hui, cette situation s'est radicalement modifiée car leur
migration vers la capitale a connu une intensité sans précédent au
cours des quinze dernières années, à tel point qu'ils détiennent
désormais la première place parmi les arrivants actuels. Avec ces
Gbaya, on est donc en présence d'une citadinité rel ativement récente,
caractéristique que l'on retrouvera dans leurs pratiques urbaines,
notamment dans leur organisation sociale de la résidence.

Leurs unités résidentielles ont investi largement l'ensemble de


l'agglomération, puisqu'on les trouve installées dans des Kodro aussi
divers géographiquement que Miskine, Bengeweï, Fatima, Gbafio, Guida,
Makimaka etc... Pourtant, dès que l'on s'interroge sur cet écl atement
spatial, une réflexion s'impose. En effet, ces différents Kodro ne
possèdent pas, pour les Gbaya, la même signification sociale et symbo-
lique; les problèmes d'accès à de bonnes terres de culture proches de
la maison, le manque de terrains de construction ou les difficultés de
trans act ion const ituent des entraves perm anentes aux déc i s i ons des
aînés mâles du segment de lignage -le nuweî- concernant l'édification
de nouveaux modules d'habitation pour leur parenté, leur emplacement
et leur agencement. Dans un ordre d'idée différent, il faut signaler
les antagonismes historiques ou les conflits matrimoniaux interligna-
gers qui continuent, en ville, à intervenir dans les rapports de ces
populations avec leurs "choix" d'espace, et à constituer des motifs de
querelles de voisinages.
Malgré ces restrictions, on remarque qu'à Bangui, la grande
majorité des Gbaya de l'Ouham se réfère au Kodro Ti Gbafio, village de
Gbafio, du nom de leur Chef entre les années 1945 et 1976. L'adminis-
tration, pour sa part, a choisi de nommer ce même quartier Ouham l,
imposant ainsi une terminologie régionaliste plutôt qu'une identifica-
447

.:," :;"
. ".'
.

rhldentielle ~d,"lnlHr~t1ve

qu~rt1er
/ / r--'ou

Oub~ngui

eche11e 1/10000 0 PLAN DE B'ANGUI


- 448 -

tion ethnique (1). Toute autre est donc l'optique des occupants, qui
la précisent clairement quand ils répondent aux questions sur leur
lieu de résidence "am ~ ré Gbafio" en gbaya, ou en sango "mbi lango
na Kodro ti Gbafio, j'habite au village de Gbafio. On est dans un
registre oV"ce n'est pas le site qui domine la position, mais bien le
groupe socio-ethnique de référence. Toutefois faudrait-il éviter de
penser que celui-ci se confond avec l'un des principaux personnages
qui le symbolise en zone urbaine : ~ makondji, le chef. Ses domaines
d'autorité sont éminemmement reconnus, mais ses limites aussi. Sa
fonction n'est pas assimilable à celle des chefs de ré dans l'Ouham,
ni à celle des des Sokai,anciens des lignages. A Bangu~ il constitue
un maillon irremplaçable permettant à chacun des deux systèmes de
coexister et de maintenir, dans un équilibre parfois précaire, un
dipositif de pouvoir: une espérance de survie et de relative
autonomie pour les lignages, une maîtrise sur des rapports sociaux
délicats à contrôler pour le système politico-administratif.
Telle est par exemple la nature contradictoire des éléments qui
font de lui un "chef de terre"; cette fonction est génératrice de
tiraillements fréquents entre les détenteurs lignagers de ce pouvoir,
et lui-même que l'administration considère dans une autre logique
comme "chef du droi t coutum i er", référence en vertu de laquelle elle
lui reconnait et lui concède ce rôle et ses attributs. Il est impor-
tant de noter qu'il est, par le fait même l'émanation de l'administra-
tion dans un quartier où l'établissement se fait surtout en dehors des
services officiels de l'urbanisme et du cadastre. Mais plus que sur le
caractère conflictuel inhérent à cette position de responsable de la
terre et de l'occupation humaine du kodro, c'est sur sa place dans
l'ensemble des mécanismes de gestion urbaine que l'on voudrait insis-
ter. L'une des i 11 ustrat i ons en est donnée par l es forma lités
d'installation sur ce territoire où il détient ce que l'on pourrait
(1) - Bangui presente les divisions administratives suivantes:
- le quartier, où le regroupement autour du chef de quartier, le
"makondji", sur une base largement ethnique, est l'une des
principales causes de l'installation.
- Le groupe, qui rassemble plusieurs quartiers sous l'autorité
d'un "chef de groupe". A Boy Rabe, par exemple se trouvent
associés administrativement les quartiers Issa (occupants à
dominante mandjia), Mandaba (majoritairement Ngbaka-Mandji a),
Gbafio (ressortissants Gbaya pour la plupart) Dobia et Kaimba
(populations des groupes ethniques précédemment cités, instal-
lées dans ces deux quartiers d'extension). A chacun de ces
groupes correspondent un établissement scolaire, un dispensaire
et un marché.
- l'arrondissement au nombre de quatre, qui renvoie essentielle-
ment à l'organisation du système de police
- 449 -

appeler "une main-mise contrôlée" : tout nouvel arrivant mâle (les


femmes gbaya étant largement exclues de ces démarches extérieures à la
vie lignagère et de l'accès au contrôle de la résidence (1)) est tenu
d'officialiser son arrivée en se présentant devant le Makondji, s'il
veut prétendre à la jouissance d'un terrain et se voir accorder le
droit de résider pour lui, ses descendants et ses dépendants. C'est le
référent, et l'on ne peut passer outre à sa décision, même s'il est
habituel que celle-ci ne soit prise qu'une fois réuni son conseil de
notables.
Ce comportement rappelle celui que l'on observe dans les villages
de l'Ouham, lors de l'établ issement d'étrangers, c'est-à-dire ceux qui
ne sont liés aux lignages présents ni par fil i at ion ni par a11 i ance.
Leur possibilité d'accès aux zones de résidence, comme aux terres
d'agriculture, de cueillette et de chasse reste soumise à l'autorisa-
tion préalable des chefs de ré villageois. Ainsi, à travers cette
relation de dépendance au makondji , le gbaya se trouve rappelé à une
autre rationalité, commandée dorénavant par la société urbaine et non
plus par les seuls mécanismes du nuweï : avant d'être intégré dans un
kodro gbaya, il est perçu comme un étranger. Refuser cette manière de
procéder impliquerait une mise à l'écart du jeu socio-ethnique.
(1) - A la différence des hommes, les femmes participent peu à des
tractations de cette nature au moment d'une installation; elles n1in-
terviennent pas, tout au moins de façon directe, dans les négociations
qui précèdent l'établissement d'une nouvelle case, qu'il s'agisse des
phases élaborées dans le système familial de décision, ou dans celui
socio-politique, du Kodro. On ne les voit pas prendre part aux discus-
sions préliminaires qui se déroulent au sein du nuwei, sur l'éventua-
lité d'une construction ou d'une location pour l'un de ses membres
mâles. De même elles n'assistent que rarement aux entretiens avec le
chef sur ces sujets. La matrifocalité gbaya est peu répandue, contrai-
rement aux pratiques résidentielles qui sont virilocales.
liA Bangui une femme et surtout une gbaya n'est jamais seule; il y a
toujours des hommes derrière elle", entend-on couramment. Cette phrase
mériterait tout un commentaire mais on retiendra surtout cette situa-
tion à la fois d'insertion collective, et de marginalisation dans le
processus de décision. Enfin, on notera que lorsqu'il leur arrive de
construire ou de s'installer, momentanément seules à la suite d'un
veuvage ou d1une séparation, elles accomplissent les formalités affé-
rentes en se faisant, sinon représenter, du moins assister par un
élément masculin appartenant à leur propre parenté.
- 450 -

Cette place centrale qu'occupe le makondji dans les pratiques


d'installation et ce pouvoir urbain qu'il détient sur les sokai
laissent penser que c'est dans cette confrontation entre les logiques
lignagères d'occupation de l'espace habité et les propositions du
système macro-citadin que s'opère, non sans conflits, toute construc-
tion.
En dépit des facteurs de frustration que ne manquent pas de
ressentir certains responsables de nuwei contraints de se plier aux
exigences de cette politique urbaine, la référence des segments de
lignage à la réalité sociale du kodro parait irréfutable; elle se
concrétise notamment à deux niveaux, celui de la reproduction socio-
lignagère, et celui de l'impact idéologique. Ce double repère se
révèle autant dans l'implantation résidentielle massive et permanente
des gbaya au quartier Gbafio, que dans l'ancrage résidentiel que
celui-ci présente pour ceux qui n'y résident pas. Leurs allées et
venues y sont fréquentes, qu'il s'agisse par exemple de conseils de
famille ayant lieu lors d'événements significatifs mettant en jeu
l'équilibre ou le développement du nuwei (alliance, décès, départ
d'une épouse, maladies répétées d'un enfant.•• ), ou plus simplement de
ces visites quasi quotidiennes assorties d'échanges de plus en plus
monétarisés.

Pourtant, sur ce plan lignager, le déplacement d'un autre kodro


vers Gbafio reste subordonné prioritairement à la situation généalogi-
que de la personne intéréssée, le référent spatial dominant correspon-
dant, pour parler schématiquement, à celui qu'occupent ses ainés.
C'est leur concession qui, dans l'espace lignager recouvrant plusieurs
kodro de la ville -le Ré, qui constitue l'origine du mouvement et le
centre vital de ce groupe social. Le fait qu'elle se trouve localisée
dans le quartier gbafio n'est alors que secondaire. Par contre, l'ana-
lyse doit être différente pour l'appréhension des pratiques qui ne
s'intègrent plus seulement au cadre lignager mais renvoient à l'ordre
ethnique. Tel est le cas de la préparation et l'organisation des
phases initiatiques dont sokai et sokako (1) régissent l'agencement,
ou des jugements coutumiers. Là encore, on voit le makondji détenteur
d'un pouvoir d'ordre, ayant pour origine l'administration dont il
s'avère être le relais; mais il ne possèdera la capacité de l'exercer
qu'à condition de savoir le faire coéxister avec les lois qui règlent
habituellement les rapports d'autorité entre les nuwei gbaya.
Cette complexité des fonctions, leurs diverses structures d'ori-
gine dont les objectifs et les intérêts sont loin de coincider, ren-
dent délicat tout déchiffrage de faits résidentiels dans un milieu
urbain comme celui de Bangui. Les interventions politiques y
recouvrent des enjeux sociaux parfois totalement divergents, qu'il
(1) Sokaï : Anciens d'un nuwei, détenteurs de pouvoir et de contrôle
sur les phases sociales déterminantes pour la vie de chacun de ses
membres (organisation des alliances matrimoniales, des diverses phases
initiatiques, des actes rituels •.• )
Sokako : personnages féminins, détentrices de ce même type de pouvoir.
- 451 -

est difficile, pour l'interprétation, de faire entrer dans une expli-


cation strictement urbanistique, trop souvent éloignée de l'approche
anthropologique.
Comme dernière illustration de ce sujet, on voudrait évoquer
quelques aspects de la pratique courante du paiement de l'impôt,
intéressante dans le contexte de la problématique de l'adaptation au
kodro et de ses liens avec une identité citadine.
A Bangui, une loi émanant du Ministère des Finances exige que
tout homme de plus de dix huit ans s'acquitte de cette obligation
auprès du chef de son quartier de résidence. Or, cette notion ne
recouvre pas la même réalité pour l'administration qui a toujours
associé le lieu résidentiel 'et le kodro où il est installé, et pour
les acteurs sociaux. L'exemple de Nambona, Gbaya de l'Ouham, témoigne
de cette fréquente inadéquation entre systèmes référents, qui est
peut-être en mil ieu urbain, en train de constituer un nouvel espace
intermédiaire permettant l'ajustement des pratiques plutôt qui une
manifestation de déficiences, comme on tend quelquefois à l'estimer.
Nambona est un homme d'une quarantaine d'années, qui vit au
quartier Miskine où il a construit avec l'un des ses frères cadets une
première maison en 1976, et une seconde en 1982. A l'opposé des fem-
mes, des fillettes et des enfants de la concession qui y sont relati-
vement présentes, lui-même et son frère sly trouvent peu. Ils sont
souvent au marché de Malimaka où ils font entre autres activités le
commerce du boi s de feu, ou bi en chez leur frère ai né, à Gbafi 0, ou
ils se rendent beaucoup plus régulièrement que lui ne le fait pour se
déplacer jusqu'à chez eux. Le principe administratif voudrait donc que
Nambona paye ses impots à Watala, chef du quartier Miskine (1); mais
il n'en fait rien et selon lui, il n'en est pas question. Il se met en
règl e avec la loi en remettant l a somme due au chef Gbafi 0, dont on
peu t dire qu'il nIII hab i te" pas l e qua r t i er • Il don ne des 0 n at t i t ude
l'explication suivante: "C lest normal, clest notre chef, on a plus
confiance".
Cette illustration et ce qui la sous-tend font apparaïtre un
modelage de l'espace lignager -le ré- par les contraintes politiques,
administratives et géographiques CfiUne entité au contenu propre à la
ville, ce kodro de Bangui d'~n.type.particulier; à la différence de
ceux de l'Ouham, ce ré ne trouve plus sa seule logique dans la super-
position en termes lignagers du social et du spatial. Dans la capi-
tale centrafi cai ne, contraint d'écl ater dans l'agglomérati on, il perd
ce trait de cohésion spatiale; toutefois, il garde une spécificité
sociale comme en témoignent les réflexions lignagères élaborées au-
tour du problème de l'espace habité, et l'intensité des réseaux rela-
tionnels qui expliqueraient la relative aisance avec laquelle la
popul ati on gbaya parait s'être adaptée à la "différence" imposée par
la situation urbaine.
(1) Watala est le chef d'un quartier dont la population est constituée
majoritairement de Banda-Togbo, originaires de la région de Bria.
- 452 -

L'ORGANISATION RESIDENTIELLE INTERNE AUX NUWET


Tout aménagement de l'espace habité met en jeu les mécanismes
d'une institution lignagère patrilinéaire sans l'accord de laquelle la
réalisation bâtie, si elle n'est pas impossible, a de fortes chances
de s'avérer invivable socialement, du fait des conflits de pouvoir et
d'autorité qui ne manqueraient pas de s'ensuivre. Pour les Gbaya de
Bangui, l'unité d'habitation reste le toua, ce lieu couvert où l'on a
sa place réservée "pour dormir"; il est inséré dans une concession -le
nugara, dont les limites territoriales au sein du quartier sont con-
nues sans @tre pour autant toujours matérialisées par autre chose
qu'un arbre ou une grosse pierre; quant aux clôtures faites d'arbus-
tes, de branchages ou de nattes telles qu'on peut les voir dans les
kodro occupés par des familles islamisées, elles sont très rarement
utilisées chez les populations des savanes de l'Ouham. On peut expli-
quer cette persistance du caractère ouvert des unités d'habitation qui
se sont développées au niveau des rapports sociaux: les relations
existant entre des toua, au sein d'un même kodro, ne peuvent @tre bien
évidemment éclaircies que par une logique essentiellement lignagère. A
Bangui, elles se sont élargies en des formes que l'on voit se créer et
s'intensifier, tels ces rapports de voisinage basés sur de complexes
"solidarités" (régionales, religieuses, .•• ) qui substituent parfois de
façon analogique une parenté métaphorique à une réelle généalogie
familiale. C'est peut être l'une des raisons pour laquelle l'extension
des réseaux relationnels et leur relative conversion ont peu contraint
ces populations à un autre modelage architectural et symbolique de
leurs lieux d'habitation, formes bâties et mode de vie se combinant
encore en un agencement quotidien utilisable.
En revanche, les influences des contraintes urbaines ont joué de
façon non négligeable sinon sur l'institution sociale qu'est le nuweT,
du moins sur sa matérialité spatiale: le ré.
Les observations sur les pratiques de gestion de l'habitat mon-
trent, d'une façon générale, que ce qui est en jeu lors d'un projet de
nouvelle construction, d'une acquisition foncière en vue d'une exten-
sion de la superficie du terrain, d'une densification des murs .exis-
tants, correspond à une réflexion dont les intervenant dépassent
largement les li mites de la con cess i on vi sée par le programme; la
préoccupation y est généralement bipolaire: d'une part un souci
intra-nuwel, restreint au segment de lignage concerné, où il est
question de faire se superposer au mieux les contingences de la réali-
té spatiale des nugara, et l'organisation des rapports lignagers dans
leur mouvement de perpétuation, d'autre part un souci i ntra-"ethni e"
où l'intér@t est alors celui de l'intégration et de l'identité fami-
liale au sein de hiérarchies sociales tout à fait spécifiques au
contexte urbain. On peut donc estimer que tout ce qui a trait aux
modifications d'un toua ou d'un nugara ne peut être perçu isolément;
au contraire, elles trouvent leur principale logique explicative dans
la pensée de l'ensemble organisé et vivant des rapports sociaux d'un
nuweT. Les divers espaces d'habitation de ses membres sont tous réflé-
chis en un ré unifié, et sont construits à partir de cette base
théori que. -.
- 453 -

Cette perpective suscite de toute évidence des pratiques plus ou


moins différenciées selon les situations familiales et'les rapports
internes qu'elles entretiennent. Mais quels que soient les cas, on
retrouve chez tous ce même aspect d'insertion urbaine qui renvoie à
une entité collective et non individuelle, l'espace habité n'étant pas
envisagé comme un lieu résidentiel autonome; les aménagements pourront
matérialiser de nouveaux processus de segmentation, ou manifester
l' appar i t i on de nouveau x types de comportement mai s. avec eu x, on ne
sera toujours pas dans ces interprétations trop souvent systémati-
sées:l'individualisation ou l'apparition de formes familiales de type
nucléaire •••
Un exemple de réalisation résidentielle pour ~ segment de lignage
Konré dans les quarties Bengeweï, Fou et Gbafio

L'installation de Paul l'ainé, de Joseph et Albert, tous trois


frères biologiques, ainsi que celle de René, l'un de leurs frères
classificatoires, commence dans les années 1970 par l'achat d'un
terrain de trois cents mètres carrés, acquis grâce à l a bourse dlé-
tudes secondaires d'Albert. Ils édifient ensemble une première
construction qui est utilisée alors par ces quatre hommes, tous céli-
bataires, et si c'est l'aïné qui paraît, à cette période, en avoir
assumé la responsabilité extérieure (relations avec le makondji, avec
d'autres nuweï etc... ), c'est co 11 égi al ement que l es déci s i ons sem-
blent avoir été prises.
Aujourd'hui, le nugara a toujours la même superficie; en revanche
il siest densifié puisqu'on relève sur le terrain la présence de
quatre toua, ceux de Paul, Joseph, René et celui .que ces hommes ont
édifié ,...,..---y-a deux ans pour leur soeur Pefio quand elle a été renvoyée
par son mari et ses kofé (1) de la maison conjugale.
Parallèlement, tout au long de ces années, l'idée des frères de
se lancer dans la construction d'un édifice moderne -une "villa", a
été de plus en plus discutée. Depuis peu, cette maison en dur, élec-
trifiée, dont la superficie est telle qu'on l'appele "le château" (2)
est pratiquement terminée, quant à sa structure tout au moins, à la
périphérie d'un autre quartier: Fou.
A l'issue de ses études, Albert est devenu "fonctionnaire de rang
Ali comme il a coutume de le préciser,et après avoir occupé durant
quelques années des postes en province il est revenu à Bangui. Ainsi
qu'il le faisait du temps où il touchait sa bourse dlétudiant, il
continue maintenant à verser chaque mois les deux-tiers du montant de
son salaire à son frère aîné. Celui-ci cumule sur le plan familial
(1) Kofé désigne dans la langue gbaya des membres de la belle-famille.
(2) cette maison compte 280 m2 de surface au sol.
- 454 -

plusieurs fonctions qui ont trouvé, comme pour ses frères, leur paral-
lèle dans cette entreprise nouvelle qu'est la réalisation de la villa.
Là, il est à la fois maître d'ouvrage et responsable direct des dépen-
ses financières. De plus, il se charge de l'approvisionnement des
matières premières nécessaires au chantier, et de l'achat des marchan-
dises. Mais la plus grande partie de son activité consiste à essayer
de faire fructifier les ressources salariales d' A1bert, tant sur le
plan des bénéfices que sur celui de leur utilisation dans le temps.
C'est dans ce but qu i1 a fait, en l'espace de trois années, plusieurs
l

essais de commerce qui furent loin d'être toujours fructueux: commer-


cialisation de manioc de Ya10ké, et de mil de l'Ouham sur les marchés
de Ma1ima1ka ou de Mamadou-Mbaiki, transport de voyageurs, en camion-
nette entre Bangui et Bossangoa...
L'autre frère, Joseph, tient le rôle de chef de chantier, dont
René est le suppléant, avec une plus ou moins bonne volonté. Quant à
la position d'A1bert, soutien financier, elle s'avère assez complexe,
du fait de son intégration dans une unité familiale dont il est dépen-
dant socialement et économiquement, et simultanément de son autonomie,
par rapport à "ceux de Bengeweï", tout au moins à un niveau résiden-
tiel. De fait, la concession où il vit avec d'autres konré mâles,
épouses et enfants, ne se trouve pas à Bengeweï, mais à Gbafio, et
clest lui qui en assume la responsabilité. En outre, il est déjà
envisagé que tant que la villa de Fou ne sera pas mise en location,
mais dès qu'elle sera habitable ce sera lui, Albert, avec ses dépen-
dants résidentiels qui en aura la jouissance. Cette responsabilité de
chef de nugara qu ' i1 détient apparemment en dehors d'un certain ordre
généalogique soulève des interrogations, mais n'est peut-être pas à
interpréter immédiatement comme une pratique marginale, voire de con-
testation ou de rivalité de pouvoir. Il faudrait pour cela qu ' e11e
entre dans une stratégie plus individuelle, ce que viennent contredire
ces quelques éléments: la concession de Gbafio est utilisée par des
Konré, mais moyennant une contrepartie financière que seul Albert est
en mesure de verser. Le propriétaire de ce nugara est l'un de ses
oncles paternels et c'est à lui qu'est payé le loyer; mais loin d'être
une personne étrangère, il appartient au même réseau de parenté qu'Al-
bert et ses frères, et occupe vis-à-vis dieux une position hiérarchi-
que d'autorité. Il est donc longuement concerné par tout fait· nouveau
intervenant dans la prob1ématique'financière du nuweï ; d'ailleurs
comment en serait-il exclu quand il y est l'un des organisateurs des
alliances matrimoniales et de leurs modalités monétaires?
.!:!.!! autre cas, celui des Bondio.:.. évolution historigue d'une conces-
sion et analyse ~ fonctionnement actuel

Le nugara dont il est question est situé au quartier Gbafio et


comprend aujourd'hui quatre toua, gérés respectivement par Feissouya-
ma, Okéré, Nangaï et Doyassé. Tous sont nés dans 1'Ouham. Les deux
premiers sont issus du même père et mère, Feïssouyama étant Zomi
"ce 1ui qui est sorti avant". Le troisième est le fils de leur Soram,
frère classificatoire, tandis que le quatrième est le fils de l'un de
leurs cadets.
- 455 -

Les principales étapes de l'occupation. de ce terrain


s'effectuèrent selon ce schéma historique:
1950 :Okéré, arrivé depuis plus d'
d'un an à Bangui, s'installe sur
... ....
,,',''''---'--'',""'-._' ,---_.:.'.- '".,~ cette terre après les négociations
préliminaires avec le chef Gbafio.
Avec l'aide de cadets, il édifie

'... "'"
'1' " une case de deux pièces,en briques
1 ... "",-
de terre et toit de chaume. Il vit
::
1 \ .1\- 1à, en co mpa gnie. d' un Re na (l),
\ : frère cadet de sa mère, marie avec
~
1
:
1 enfants.
,• •1 Okéré, quant à lui, ne se mariera
l ,

,1
'
1
qu'une dizaine d'années plus tard.
,1 1'
A cet effet, il retournera dans
l!lEJ ..!
1 :
\
\
1
1 l'Ouham sur la demande de l'un de
ses oncles paternels qui refuse d'
;,
1
l
sf CH , envisager pour lui un mariage avec
1
1 ..
'-_J
'
,.'
ce qu'il appelle toujours d'un ton
1
1 /
"
méprisant "une femme de Bangui".
._- .,-.-- ............_-- --- ,"'-- ------' En 1972, il prendra comme seconde
épouse une veuve gbaya d'un "petit
1950 groupe situé du côté de Batangafo",
pré ci se - t - il, mon t ra nt/a i ns i que
cette alliance n'a rien de compara-
ble à la valeur sociale dont est in-
vestie la première.

1956
- 456 -

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1 1
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,: Œ CH ,: 1963 : Okéré agrandit sa case en y
l, :
, 1 ajoutant deux chambres. Il remplace
le chaume par des tôles, ce qui sera
1
11
[i'ITJ A , "
j fai t auss i chez Feï ssou un an plus
tard.
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1963

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",--- ~oÇ;

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~."..~
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~~ \.'"
~
1969 : Les frères entreprennent de
détruire la case de Feïssou et com-
:
:
~*;.
",~.
'\
\.. mencent l'édification d'une maison
en semi-dur (1), de plus grande su-
l1
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1
.. '- ~'".~ ~~
1
1
1
1
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1
perficie et recouverte de tôles. On
remarque l'aménagement d'une pièce
d'accueil réservée aux visiteurs de
la concession. Parallèlement, le
~ ( poids social de Feissou s'est accen-
1

l
1

: tué dans le quartier, où il compte


;• :
1
maintenant parmi les premiers
! SE 1 .. ,responsables du ngaragué (2).
• 1
1 ~.I

:
1
L••• r--- ........"' ,- ~ __,'
","- _.~'

-----,
1969

(1) le mode de construction en semi-dur consiste à élever les murs en


brique de terre et à les jointoyer avec du ciment; généralement le
toit est en ttlle. Ce traitement s'oppose à celui dit lien dur ll où les
fondations sont en pierre et les murs en parpaings.
(2) phase initiatique masculine.
- 457 -
-'-~'" , \

(. ,,',---....--.
~- ~
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1
1

1972 : Début de travaux similaires


.! '\). ""
pour la maison de Okéré. la
construction prévue est un peu moins
importante que celle de son frère
\ 1 a1né.
\ --- :
1 • En outre, clest ~ cette date que
,,
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~ ~ :
.1
lion situe dans la famille llexten-
sion de lloccupation résidentielle
sur le terrain situé au delà du fossé.

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1972

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:t: \ . CH 1976 : Edification de la case de
Nangaï qui vivait jusqulà présent
.~ ~[.
,-,' sous le toit de Feïssou dont il
( J
l ", /~
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est le cadet: deux pièces,murs
l ,
,,
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~
~
1
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de briques et terre séchée, toit de
chaume qui sera couvert de tôle en
1978.
On remarque que le salon de Feïssou
) : comporte désormais une avancée
servant de terrasse.

1 1
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L ......--_
~---- . _-----J'
1976
458

1983 Situation de la concession Bondio de Ghafio

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. . . . ô .•...: .:. .. /
- 459 -

1983 : Il n'est pas ini ntéressant de noter que cette concess i on vi ent
de faire l'objet d'une demande d'immatriculation à la direction du
cadastre (1); le délégué chargé par les frères de cette procédure en
est Nagaï. Celui-ci occupe un emploi salarié, comme secrétaire au
Ministère des Anciens Combattants, qui le rend selon les aînés plus à
même que d'autres de répondre aux exigences des divers personnages
administratifs chargés de leur affaire et de limiter les gratifi-
cations inséparables de ces démarches.
Malgré la densification de l'habitat, cette concesssion reste
remarquablement aérée et disponible spatialement, ce qui n'est pas
partout le cas, y compris dans ce quartier (2). Les quatre unités
familiales y offrent une capacité interne de mouvement, autour de
leurs feux spécifiques et des cuisines de chacune des épouses. Mais
elles ont aussi leurs lieux d'interpénétration et de collaboration
dont certains sont fixes et d'autres liés à la nature des activités,
au moment de la journée et à l'identité généalogique et sexuelle des
personnes présentes. Il est trois axes qui permettent de cerner plus
particulièrement ce fonctionnement spatial des rapports familiaux, au
sein d'une concession de ce type: l'intensité qualitative, mais aussi
quantitative des échanges verbaux et tout ce qui entoure la pratique
de la parole; les usages alimentaires et l'organisation de la prise
des repas; la façon dont s'aménagent les associations de travail,
qu'elles soient domestiques, agricoles, commerciales ou artisanales.
Or, on constate que pour ces troi s temps de vi e, il y a un recoupe-
ment, la latitude d'être et de se mouvoir d'un individu dans une
concession étant sous-tendue par l'organisation des rapports sociaux,
en l'occurence la situation généalogique, l'âge et le sexe.

(1) L'acheteur doit se présenter à la direction du cadastre, au ser-


vice des demandes de terrain, muni de l'attestation de vente. Celle-ci
lui a été remise par le chef de quartier, puis légalisée à la Mairie
de Bangui. Il peut alors entamer la procédure qui lui permettra d'ob-
tenir par procès-verbal la reconnaissance du terrain, après s'être
acquitté des taxes suivantes :
- Frais d'insertion au journal officiel (4000 F CFA)
- Taxe domaniale (6000 F CFA)
- Taxe d'équipement (2 % du montant déclaré de l'achat)
- Frais de déguerpissement (s'il y a lieu).
(2) Gbafio reste un quartier relativement peu occupé, comparativement
à d'autres kodro de Bangui. Il suffit de regarder les prix de location
qui y sont pratiqués pour cerner cette différentiation: 3000 F CFA
par mois pour une case de deux pièces, au toit de paille et aux murs
en pi sé, de même qu'à Fou et Gobongo; 5000 F CFA pour le même type de
construction mais avec un toit en tôle; la à 12 000 F CFA pour une
maison en semi-dur avec quatre chambres. Ces prix doublent à Miskine
pour des habitations équivalentes et triplent dans des quartiers comme
Ben-Zvi ou Sango.
- 460 -

Il existe un droit sur les espaces qui est parfaitement défini dans le
système des relations socio-familiales, au niveau des occupants de
chacun des Toua (indépendance de l'intimité et de la sexualité, lieux
de toilette~ repos et de soins; endroit privilégié pour la prépara-
tion des repas .•.), de même qu'au niveau de leurs rapports en tant que
participant ~ une même dynamique ,patiale, celle du nugara (cour oD la
boule de mil et de manioc et le 'plat de "sauce" sont partagés, jardin
que cultivent femmes, fillettes et éventuellement des garçonnets,
manguier oD se réunissent longuement les hommes ••. ).
Regardons maintenant vivre l'un des personnages de cette conces-
sion. Il s'agit de Fio, fille de Feïssou, qui a 17 ans, et pour
laque 11 e aucune dém arche matri moni ale si gnifi cative ne paraît avoir
été effectuée pour l'instant. Le point charnière de sa vie est consti-
tué par ce Nugara paternel, oD elle assume une grande partie de sa vie
économique et sociale. En effet, bien qu'elle continue, après quel-
ques années de scolarisation, à fréquenter un établissement technique
de façon épisodique, ses occupations principales consistent plutôt à
aider sa mère à la maison,au jardin et au champ, ainsi qu'~ faire du
commerce. Comme la majorité des Massika de Bangui (1), elle a une
certaine autonomie pour mener ses opérations commerciales
personnelles:fabrication et vente de beignets. Mais cette réelle
faculté d'autonomie qui fait qu'elle organise cette activité et en
conserve le bénéfice n'est indépendante pour elle ni de l'espace ni
des relations qu'elle entraîne. Elle est tenue de l'effectuer au sein
de la concession paternelle si elle est seule, et n'est autorisée à se
déplacer pour vendre qu'à condition qu'elle le fasse en compagnie des
parents, e~ dans le quartier. Cette limite géographique nintra-
urbaine" correspond au côté de la route de Ndress qui vient limiter le
quartier Gbafio. Pour éviter tout problème, Fio mène ses affaires
selon les règles, en association avec deux filles de son âge, enfants
de sa tante paternelle, elle-même jumelle de son propre père, qui
résident dans un nugara très p.foche de celui de Fio. Son utilisation
de la ville est donc de bien nette, et l'espace prioritaire pour elle
est bien la concession. Elle y vit beaucoup plus que ce qui est
nécessaire ~ sa stricte reproduction quotidienne, élément d'un univers
humain qui ne se partage pas ce même lieu en même temps. On constate
par exemple que les endroits dont Fio peut avoir une continuelle
jouissance quel que soit l'état des présences dans la concession sont
principalement: l'un des coins les plus retranchés de la terrasse, son
lit, une place sous l'un des arbres fruitiers plantés derrière la
maison, à proximité de la cuisine attribuée ~ la femme de son oncle.
Les autres lieux ne sont occupés par elle qu'inhabituellement, et leur
usage éventuel reste soumis aux lois gérant pour elle le droit social
à l'espace.

(1) On appelle Massika les jeunes filles célibataires de 15 à 20 ans


qui témoignent par leur comportement d'une certaine adaptation ur-
baine. Si elles assurent toutes les activités domestiques et parfois
agricoles, elles ont en commun cette façon d'être: se retrouver avec
des filles du même âge en dehors de l'espace strictement familial,
faire du commerce ~ leur profit, et pratiquer le fono qui consiste à
flaner en déambulant dans les lieux animés. ----
- 461 -

C'est le cas de la partie médiane de la terrasse. Il arrive que Fio


s'y trouve, allongée sur une natte, ou même installée dans l'un des
fauteuils de son père, en train de bavarder ou de rire avec ses cadets
ou des voisines. Le comportement est un indice certain de l'absence de
tous les ainés de la maison que sont pour elle: son père, ses oncles,
ses tantes paternelles, ses frères alnés. Que se fasse entendre le
bruit de la mobylette de Feissou, elle quittera sa place sur le champ
et partira vers la cuisine ou derrière la maison. Fio, sans aOoinés à
proximité, peut occuper la majeure partie du Toua paternel, et même
des Nugara, sous réserve de ne pas pénétrer dans--les autres maisons.
Mais que l'un de leurs représentants survienne, et son occupation
spat i ale s'en trouve immédi atement modifi ée.
On voudrait, avant de clore cet exemple, évoquer à travers cette
illustration d'une pratique de nu ara, un dernier point, celui de
Doyassé, ce frère dont la case fut difiée il y a seulement un peu
plus de deux ans. Cette construction soumise préalablement à une
décision familiale, repose ici le problème de la masculinité du con-
trole résidentiel, mais aussi d'une façon plus complexe, celui des
attitudes familiales face à la virilocalité. Le débat, qui dans ce
nuweï dépassa largement les limites formées par les aïnés masculins de
cette concession, semble avoir été tout à fait révélateur de cette
problématique où l'enjeu était alors nettement énoncé: accorder ou
non un accroissement du pouvoir à Doyasse compte tenu de sa situation
généalogique et matrimoniale à ce moment-là. Car l'on sait que c'est
bien autour du Toua que s'opère l'articulation de l'une des étapes
sociales capitales chez les Gbayas, celle du mariage. C'est alors ce
qui était en question: l'arrivée de la femme dans la maison - neuve-
de l'époux allait mettre un terme à la période prémaritale et
offi ci al i ser 1'étab 1i ssement de nouveaux rapports tout en détermi nant
l'accès - pour l'époux, comme pour l'épouse - à un statut et à un
pouvoir correspondants. Si ce choix social fut élaboré de façon posi-
tive dans ce cas précis, on remarque par contre à Bangui de nombreuses
situations caractérisées par un freinage de ce processus menant à la
maîtrise d'un toit: -la demande de main- a pu être faite officielle-
ment, les modalités de la dot réciproquement établies et acceptées par
les deux nuweï, sans que la femme vienne pour autant résider dans sa
belle-famille. Il s'ensuit alors une duolocalité matrimoniale, qui
insastisfait les deux partenaires du couple, et génère de profonds
conflits interfamiliaux et interlignagers.
A travers ces quelques descriptions de pratiques résidentielles
gbaya dans la capitale centrafricaine, on mesure à quel point la
résidence matérialise autre chose qu'une création de forme, un assem-
blage de matériaux,une juxtaposition d'objets. A Bangui, milieu peu
astreignant ou plus exactement peu "offrant" sur le plan de l'habitat,
la contrainte à s'organiser en dehors des zones planifiées a favorisé
une utilisation partiellement réinventée d'un mode d'organisation
jusque là étranger à une zone urbaine. Loin d'être traitée sur un
mode d'improvisation, qui dans un autre langage, plus urbanistique, se
traduirait par les qualifications de spontané ou d'informel, la mise
en place des résidences renvoie nettement à une réflexion et à des
logiques d'installation étroitement contrôlées; la difficulté de l'in-
terprétation tient alors à l'occultation fréquente des systèmes so-
ciaux de référence, au profit de modèles plus occidentaux, même s'ils
- 462 -

n'y sont représentés que peu ou ••.• pas du tout.


Le caractère dominant de ces pratiques confère ~ cette ville une
spécificité qui rend délicat tout aménagement "intégré" (pour repren-
dre une terminologie idéologique développée ~ tous les niveaux d'inte-
rvention dans les pays en développement), qui puiserait notamment ses
références aux sources d'autres réal ités urbaines d'Afrique et
pourquoi pas ••••d'ailleurs? Mais parallèlement, doit-on du même fait,
exclure toute tentative concrète d'amélioration dans des kodro qui
sont si rarement objets d'intérêt de la part des autorités centrales 7
- 463 -

ANNEXE

Ordonnance n° 76/042 du 12-5-76 portant interdiction de construc-


tions de type traditionnel dans le périmètre urbain de la Commune de
Bangui.

PRESIDENT DU GOUVERNEMENT
LE PRESIDENT A VIE DE LA REPUBLIQUE
Vus les actes constitutionnels N° 1 et 2 des 4 et 8 janvier 1966 ;
Vu le décret n° 76186 du 4-4-76 fixant la composition du Gouvernement
et portant désignation de ses Membres;
Et le conseil des Ministres entendu,
ORDONNE
Article premier.- Pour compter de la date d'ouverture de la présente
ordonnance, l'édification de nouvelles constructions à usage d'habita-
tion de type traditionnel est formellement interdite dans le péri-
urbain de la Commune de Bangui.
Art. 2.- Les constructions à caractère semi-définitif dont les
toitures sont recouvertes de tôles, tuiles ou de tous autres matériaux
à l'exception de chaume, de tuiles de bambou etc... sont autorisées.

Art. 3. - Un délai de deux ans est accordé aux propriétaires de


constructions de type traditionnel pour les transformer au moins en
semi-définitif.
Art. 4. - Tout contrevenant aux dispositions de la présente ordonnance
encourt une peine de 2 mois et un jour à 6 mois d'emprisonnement et
une amende de 50.0001 francs à 200 000 francs ou l'une de ces deux
peines seulement.
Art. 5. - Les Ministères de l'Intérieur, de l'Urbanisme et de l'Aména-
gement du Territoire sont autorisés à détruire aux frais des proprié-
taires les constructions visées ~ l'article 1er ci-dessus.
Art.6. - La présente Ordonnance sera publiée au Journal Officiel.Elle
sera exécutée comme Loi de L'Etat.
Jean Bedel Bokassa,
Maréchal de la République Centrafricaine.
- 464 -

BIBLIOGRAPHIE
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- 467 -

CONCLUSION :
BILANS THEORIQUES ET PERSPECTIVES

E. LE BRIS
A. MARIE
A. OSMONT
A. SINOU
- 469 -

A - L'ESPACE URBAIN: PRATIQUES ET STRATEGIES

"L'accent doit être mis sur la production sociale de l'espace,


sur ses propriétés qual itatives, sur ses usages •••". Cet objectif,
présenté voici trois ans comme central dans le programme de travail de
notre groupe, se prêtait particulièrement bien à la collaboration
pluridisciplinaire.
En aucun cas l'espace n'a été l'objet de recherche pour lui -même.
Nous sommes partis d'un postulat: les rapports sociaux se projettent
dans un espace et s'y inscrivent en le produisant; ils introduisent,
dans cette production, des contradictions spécifiques. Ce faisant,
nous nous démarqui ons d'une approche plus cl ass i que traitant l'espace
comme un donné, une scène indifférente dont il suffirait de dénombrer
les contenus (1).
Ce postulat peut toutefois conduire à des issues divergentes,
voire contradi ctoires. Les uns conc l ueront que l'es pace n'ex i ste que
comme reflet des rapports sociaux, seuls susceptibles de constituer un
objet de recherche; dlautres (dont H. Lefebvre), considéreront que les
rapports soci aux n'ont d'existence que dans et par l'espace sur lequel
ils se projettent; d'autres encore (c'est le cas de nombreux
urbanistes), n'hésiteront pas à traiter l'espace comme un opérateur
social.
Ces positions différentes se sont exprimées dans le groupe mais
tous (anthropologues, géographes, urbanistes) se sont finalement
accordés pour considérer qu'elles relevaient en fin de compte d'un
faux dilemme et qu'il convenait d'admettre que l'espace et les
structures sociales sont dans un rapport d'implication mutuelle. D'un
point de vue théorique, il est vain dlisoler les formes spatiales de
la réalité sociale, même si, d'un point de vue méthodologique, on peut
considérer que l'espace constitue une sorte d'écriture se substituant
au langage et aux représentations explicites.
Il importe, pour éviter toute ambiguité, de préciser le contenu
de notre définition de l'espace.' celle-ci est particulièrement large
en extension puisqu'elle associe pratiques spatiales, représentations
dies paces et espaces de représentat i on. Les prati ques constituent un
domaine riche et complexe, dans lequel par commodité, nous distingue-
rons les pratiques d'appropriation au sens large (le sens restrictif
recouvrant l'accès à la propriété codifiée par le droit

(1) Cela n'exclut pas que, d'un point de vue méthodologique, l'espace
puisse être considéré comme une surface finie, mesurable et codifiable
(en particulier par la carte). Une telle démarche, située à un stade
intermédiaire de l'analyse, ne peut que contribuer à enrichir le
corpus d'hypothèses explicatives des processus de production
spatiale.
- 470 -

moderne) des prati ques de producti on et de consommati on de l'espace.


Usages domestiques quotidiens, usages professionnels (un même espace
sert fréquemment à l'habitation et au métier dans les activités
informelles),usages religieux et cérémoniels sont des pratiques de
consommation envisagées comme des manières de faire concrètes
déterminées en grande partie par des habitus culturels. En tant que
telles, elles relèvent d'une logique de la pratique largement
inconsciente qui n'est pas investi au moins selon les canons occiden-
taux, du statut de savoir explicite. Ce type de pratiques se situe
aussi dans des temporalités différentes d'autres pratiques qui concou-
rent plus spécifiquement et plus directement à la production de l'es-
pace: pratiques foncières, immobilières, architecturales, etc•. dont
le caractère volontaire et finalisé (donc stratégique) suppose de la
part de leurs auteurs des analyses de situations socio-économiques et
la recherche, dans ces situations, d'adaptations optimales (densifier
et "durcifier" l'espace habité, élever un étage, spéculer sur la
location, anticiper sur la réalisation d'opérations d'urbanisme, léga-
liser des droits coutumiers, modifier les princ"ipes de l'héritage,
etc•.•). Ces pratiques là se combinent en stratégies développées dans
un contexte de compétition et de conflit entre l'Etat et les popula-
tions.
Dans tous les cas, qu'il s'agisse de pratiques plutôt répétitives
ou de stratégies plutôt innovatrices, il est difficile de faire la
part des pratiques et des représentations, les unes produites par les
scientifiques, les planificateurs et les politiques (espace du droit
et de la norme, qu'il s'exprime dans un lotissement ou dans un schéma
directeur), les autres constitutives, selon H. Lefebvre, de l'espace
dominé. Ces dernières renvoient à ce que l'on a appelé l'espace vécu
(à travers certaines images, certains symboles, un corps de valeurs
hiérarchisées) et dont un géographe comme J. Gallais a montré toute la
richesse: l'espace vécu est subjectif, ses lieux sont hiérarchisés et
non banalisés comme dans les représentations du pouvoir. Un courant
culturaliste en géographie va même jusqu'à distinguer un espace social
produit et conçu en termes d'organisation et de production, d'un
espace culturel animé et conçu en termes de significations symboli-
ques. Pratiques et représentations sont donc, en fait, étroitement
imbriquées mais pas nécessairement sur un mode harmonique.
Privilégier l'entrée spatiale (et plus particulièrement l'espace
habité) dans l'étude des phénomènes sociaux est un exercice qui a ses
limites. L'espace peut certes se substituer au langage mais il est
aussi le lieu et l'enjeu de paris sur l'avenir qui ne se disent jamais
complètement; il est le produit de déterminations qui ne le marquent
pas nécessairement de manière visible. Par ailleurs, en centrant
l'analyse sur l'espace habité, on s'expose à négliger l'espace du
travail et ses relations avec l'espace résidentiel; on a tendance à
privilégier certaines couches sociales qui sont parvenues à stabiliser
leur espace résidentiel au détriment de couches plus déshéritées
(locataires, occupants à titre précaire•.• ) ou de catégories ayant un
- 471 -

statut second dans l'accès au sol urbain (femmes). Enfin, travailler


exclusivement sur des pratiques localisées expose à traiter la ville
comme lieu de coexistence des différences (économiques, sociales,
culturelles) donc à tomber dans la valorisation du divers, en sous-
estimant l'effet de relative standardisation des pratiques et des
représentations qu'engendrent les déterminants socio-économiques
objectifs connotés par le concept d'urbanisation dépendante.
Les monographies réalisées dans des situations urbaines très
différentes ont été exploitées en vue de dégager des constantes et,
inversement, pour identifier des différences significatives en matière
de pratiques de l'espace habité. Les déterminants majeurs de celles-ci
ont ensuite été recensés. Enfin, on s'est interrogé sur le sens de ces
pratiques locales, établissant ainsi une liaison entre l'univers
macro-social des institutions, des systèmes sociaux, des modes de
production et l'échelle micro-sociale du vécu.

1 - Variabilité et constantes des pratiques de Pespace habité dans


les villes d'Afrique Noire.

A - PRATIQUES D'APPROPRIATION.
Elles sont chronologiquement premières, même si, dans de
nombreux cas, la production immobilière précède une longue phase de
consolidation de l'appropriation. Ces pratiques d'appropriation condi-
tionnent les autres pratiques de l'espace habité,mais aussi (A. Os-
mont) les représentations de l'urbain. La plupart des études de cas
réservent d'ailleurs une large place à cette catégorie de pratiques et
les auteurs s'accordent pour reconnaître que, au-delà de la dimension
juridique, largement valorisée par la doctrine et la pratique étati-
ques, le foncier est, avant tout, un rapport social. La terre d'une
manière générale, mais aussi le sol urbain, constituent en tant que
condition de la reproduction biologique et sociale un enjeu capital
des pratiques et des stratégies; son contrôle, sa répartition, ses
usages, son transfert, impliquent l'existence d'une régulation plus ou
moins contraignante. On retrouvera certes au fil des études "une
conception de la nature appropriée qui, combinée avec une certaine
conception de la vie sociale fondée sur l'individualisme, se traduit,
dans le Code Civi l, par un type donné de projection au sol des rap-
ports sociaux, une organisation particulière de l'espace, objet valo-
risé et reflets d'un système de valeur" O, Pourtant, d'autres inter-
prétations, pourtant, survivent à l'échelle locale, générant, par leur
confrontation avec la conception civiliste des conflits parfois très
vifs. Observons, par ailleurs, que la conception étatique du foncier
comme objet autonomisé, justiciable des seules interventions techni-
ques et réglementaires, diffère profondémment d'autres acceptions du
terme "appropriation" associant les pratiques réelles, les processus
cognitifs et les processus affectifs.
( ) E. Le Roy, in: Enjeux fonciers en Afrique Noire, Paris, Orstom,
Karthala, 1982.
- 472 -

le schéma d'analyse le plus courant en matière foncière envisage


d'abord le contrôle de la terre ou du sol urbain t puis sa répartition
et enfin son transfert.
En ce qui concerne le contrôle t la tentation de recourir aux
modèles culturels est d'autant plus grande que t localement t le mode
d'appropriation du sol apparaît t en première lecture t comme une
version modernisée du mode rural (Sinou). Marie montre bien que
l'organisation sociale et spatiale du·quartier Bassadji à Lomé est
restée de type villageois t les représentations forgées par les
habitants eux-mêmes contribuant à renforcer cette interprétation. De
larges pans de l'espace urbain continuent ainsi d'être organisés et
gérés en dehors des normes officielles et se struturent sur la base
d'alliances ou d'exclusions entre familles et clans (Osmont).
Un recours systématique à ce type d'interprétations risquerait
cependant d'occulter l'extrême rapidité et la violence des mutations
qu'ont connues les grandes villes africaines au cours du dernier quart
de siècle; "l'interpénétration entre des ensembles rigides qui se
rencontrent dans des situations imposées" ( ) conduit à une pluralité
de références normatives. La coexistence des normes légales codifiées
par l'Etat à partir des modèles exogènes d'une part t et t d'autre part t
de "manières de faire" locales et de coutumes plus ou moins réinter-
prétées t rend difficile t sinon illusoire t le tracé d'une frontière
entre le légal et l'illégal. C'est particulièrement net à Bangui
(Adrien) où la procédure d'installation est commandée par des référen-
ces juridiques à trois dimensions; le droit politico-administratif t le
"droit" coutumier du kodro et le "droit" lignager du nuwei. Dans la
plupart des pays soudano-sahéliens t la référence à l'Islam vient
encore compliquer la situation (Osmont) et Marie observe que t dans les
pays de la zone guinéenne la tradition lignagère et religieuse inter-
t
fère dans un jeu de règles fixé en apparence mais en apparence seule-
t
ment t de manière irréversible.
Les stratégies de contrôle foncier s'inscrivent fondamentalement
dans des systèmes de domination et s'expriment par des pratiques de
contournement ou de précaution; le contrôle foncier est devenu
tellement aléatoire en ville que les gens s'efforcent de prendre des
gages sur l'avenir en achetant t quand ils le peuvent t un maximum de
lots un peu partout t en prévision d'un "déguerpissement" toujours
possible (Le Bris Marie).
t

En matière de contrôle foncier t certains opérateurs occupent une


position-pivot; Adrien note à Bangui l'ambivalence et les limites du
rô le du chef de terre; à Lomé t Le Br i s montre que ce type d'acteur
dans une fonction d'intermédiaire local du pouvoir étatique peut être
aussi bien victime de l'urbanisation que profiteur de celle-ci. Il

( ) E. Le Roy in: Journées d'études du réseau "évo lut i on des


systèmes de la production foncière et immobilière dans les villes des
pays en voie de dévelfoppement". Paris t 18-20 novembre 1982. p.
- 473 -

pourtant observer que les rapports d'alliance sont très instables, tel
chef de terre influent pouvant se retourner contre un Etat trop
entreprenant dans le secteur urbain.
Les pratiques de répartition interne du sol ne sont pas moins
complexes. La logique du morcellement selon une trame géométrique
paraît llemporter sur toute autre logique mais la plupart des auteurs
constatent que les pratiques de répartition sont aussi fonction de
rapports familiaux complexes et de relations de clientèle. Les prati-
ques d'appropriation dans le cadre du nuwei sont considérées à Bangui
comme un moyen de sauver le patrimoine familial; à Lomé, sauver l'in-
tégrité du patrimoine familial reste le moyen par excellence de garan-
tir la cohésion du groupe contre des forces centrifuges de plus en
plus pressantes. Lorsqulil est devenu impossible de résister, on
s'arrange presque toujours pour conserver en indivis une partie du
patrimoine: maintenir la "grande maison familiale" est ainsi un
compromis syncrétique entre propriété coutumière, support de la famil-
le étendue, et propriété privée (Marie).
En matière de transfert des droits,le passage du statut de terre
rurale à celui de sol urbain slaccompagne de conflits parfois aigUs
entre les principes de filiation matrilinéaire et patrilinéaire. Au
Sénégal, la religion musulmane renforce ce type de conflit en intro-
duisant le droit au partage et en privilégiant la filiation paternelle
(Os mont). Même en dehors de toute interférence re li gi euse, la
transmission patrilinéaire tend à devenir prééminente en ville et
r env 0 i e les l i gnée sutér i ne s dan sun st atut ·S econ d san s pou r au tan t
les éliminer complètement. Marie voit là un compromis entre llancienne
logique pré-capatiliste dlaccumulation de dépendants (compatible avec
une combinaison filiation matri-linéaire/patrilocalité) ,et une logi-
que dlaccumulation capitaliste. Dans la plupart des cas étudiés,
l'enjeu foncier et immobilier entretient et amplifie les clivages
structurels entre agnats et utérins mais aussi entre utérins issus de
filles et utérins issus de soeurs.

B - PRATIQUES DE CONSOMMATION DE L'ESPACE


Deux niveaux d'analyse seront distingués: celui de la
. production immobilière proprement dite et celui des paradigmes domi-
nants qui régissent la consommation de llespace habité et renvoient à
des représentations qulil est bien difficile dlassimiler à des "mo-
dèles culturels".
a) Modalités de ~ production immobilière.
On peut analyser la production du cadre bâti en utilisant la
grille dlanalyse proposée par le réseau "évolution des systèmes de la
production foncière et immobilière" ( ).
Le premier plan d'analyse est économique et concerne
llinscription des acteurs dans les filières de production du cadre
- 474 -

bâti. L'information collectée dans ce domaine est. très fragmentaire


mais elle permet de mettre en évidence le très faible nombre d'entre-
preneurs; même dans la région dakaroise, la filière capitaliste de
promotion n'a pas, jusqu'à présent, réussi à s'imposer. On a, le plus
souvent, recours à des tacherons capables de mettre en oeuvre, à des
coûts défiant toute concurrence, des modèles de construction peu
élaborés du point de vue technique, mais réalisés à l'aide d'un
matériau "mo derne" par excellence: le parpaing de ciment. L'auto-
construction intervient, le plus souvent, en appoint du travail des
tacherons mais il arrive, dans quelques cas, que la construction soit
réalisée entièrement par son futur utilisateur, soit à partir de
modèles importés /Castors à Dakar), soit en dehors de toute tutelle.
Dans l'ensemble foncier-immobilier, le coût relatif de la
construction varie considérablement d'un pays à l'autre mais il reste
toujours suffisamment lourd pour expliquer le grand étalement dans le
temps de la production immobilière. Le chef de famille est de plus en
plus guidé par sa capacité à mobiliser l'argent nécessaire; les fi-
lières de prêt étant de plus en plus inaccessibles pour le grand
nombre, la capacité de construire dépend essentiellement de la posi-
tion sur le marché du travail. Il n'y a pas, en revanche, de liaison
aussi automatique qu'on le prétend généralement entre llimportance de
l'investissement consenti et la sécurité foncière (voir ce que Ph.
Haeringer dit du quartier Avocatier à Abidjan in : Enjeux fonciers en
Afrique Noire, ORSTOM, Karthala, 1982, p.p. 341-350).
Du point de vue juridique, l'espace bâti s'organise dans la
plupart des cas en dehors des normes d'urbanisme actuelles et, de ce
point de vue, les Castors de Dakar apparurent à l'origine comme une
exception. Celà ne signifie nullement que la production immobilière
s'organise en dehors de toute norme. Peut-on pour autant parler de
survivance en ville des modèles anciens d'origine rurale? Gibbal
observe qulil faut être de plus en plus riche pour "vivre à l'ancien-
ne" en ville. Marie insiste également sur les limites de la création
des unités d'habitation par simple segmentation à partir des cellules-
mères dans un rapport de contiguïté spatiale et sociale propre au
milieu rural. Il serait plus juste de parler d'une pluralité de réfé-
rences normatives s'associant en ensembles composites caractéristiques
de la ville. Sinou, au terme de sa comparaison entre Bamako et St
Louis du Séné9al, note que, si l'espace programmé (celui de la villa
en l'occurence) se démodélise, l'espace généralement qualifié de spon-
tané tend à se régulariser par production implicite de normes (il cite
en particulier la production d'un parcellaire presque aussi rigoureux
que dans les quartiers lotis).
Au plan sociologique, il y a formation, autour de l'objet
immobilier, de rapports tributaires et de dépendance ou de rapports
d'alliance. La règle générale semble être une très grande conformité
de l'habitat aux structures familiales et lignagères; cette conformité
exclut pourtant toute rigidité et Marie insiste sur l'aptitude
étonnante de la "concession" aux réajustements permanents de
- 475 -

l'accueil; non moins étonnante est cette capacité à vivre ensemble que
manifestent des individus de statuts fort différents aussi bien dans
les hiérarchies lignagères que dans les stratifications socio-
professionnelles.
L1espace de la cour, s'il permet et signifie le rassemblement,
peut aussi se découper de manière invisible par un jeu dialectique de
llunion et de la désunion à l'intérieur même du groupe familial. Il
eut été intéressant, dans le même ordre d'idées, d'étudier plus
systématiquement la population des locataires. Plusieurs monographies
évoquent les rapports difficiles entre propriétaires et locataires
(Gibbal, Sinou, Poitou) mais, à Lomé, Le Bris et Marie n'observent pas
de rapports conflictuels, même si apparaissent les signes d'une réelle
ségrégation dans les usages de l'espace au détriment des locataires et
d'un entassement plus important de ceux-ci.
b) Paradigmes dominants
Les cinq oppositions paradigmatiques que nous avons relevées
pour caractériser les villes étudiées ne sont en aucun cas l'illustra-
tion d1une approche dualiste. Au contraire, ces oppositions sont
exemplaires en ce qu1elles disqualifient les binômes figés du type
traditionnel-moderne.
La dialectique du clos et de l'ouvert joue de manière particuliè-
rement déconcertante.~spacE!de la concession se présente bien
(contrairement aux espaces habités européens) comme un espace ouvert
oD "tout se déroule dans le champ du regard et de la parole des
autres" (Marie) mais des espaces semi-privatisés sly trouvent
circonscrits sans délimitations matérielles autres que la disposition
des bâtiments. Cette semi-privatisation se lit également dans les
phénomènes de circulation à l'intérieur des concessions et entre
concess ions mitoyennes;pour passer d'une pièce à l'autre, on doit, le
plus souvent, passer par "l'extérieur" (dont on finit par se demander
s'il mérite bien son nom) (Le Bris). La dialectique du clos et de
l'ouvert recouvre en partie l'opposition intérieur-extérieur illustrée
par Gnassounou (cité par Le Bris) à propos de certaines concessions à
deux cours: l'une tournée vers l'extérieur, donnant sur l'entrée
principale est à usage semi-public (réception, parade, cérémonie),
tandis que l'autre (intérieure) plus intime, est quotidiennement ani-
mée par les femmes et les jeunes enfants.
Cette opposition du clos et de l'ouvert renvoie donc également à
l'opposition privé-public, vécue dans les villes africaines d'une
toute autre manière qu'en Europe. La compréhension de cette différence
passe évidemment par l'analyse des pratiques d'appropriation (cf.in-
fra). Sinou constate que les limites de la parcelle ne sont pas une
contrainte pour le bâti ni, a fortiori, pour la vie familiale et
sociale. Marie éclaire le propos en décrivant llenvahissement périodi-
que des rues et des places de Lomé par les cérémonies de funérailles
(tout au plus doit-on aujourd'hui solliciter l'accord des autorités
municipales). Osmont, à Dakar et Rufisque, évoque également cet "es-
pace de la fête" qui transgresse régulièrement les limites du domaine
privé.
- 476 -

Mais les trangressions ne sont pas seulement épisodi~ues. Le Bris


rapporte que, pour ne pas devoir sacrifier la cour en cas de
densification de la concession, on n'hésite pas à empiéter sur la rue
ou sur l'emprise du chemin de fer; le débordement, d'abord discret
(on effectue certaines tâches ménagères, on cultive quelques
condiements, on entrepose un tas de parpaings), se traduit bientôt par
l'édifi cation d'une constructi on précaire (garage ou ate lier) et dans
bien des cas le processus s'achève par l'édification d'une pièce
d'habitation en dur adossée au mur d'enceinte.
L'espace bâti n'étant qu'un élément de l'espace résidentiel,
l'étude du rapport bâti-non bâti à l'échelle de l a parcelle est part i-
culièrement instructive, non seulement du point de vue quantitatif
mais aussi (et peut-être surtout) qual itatif. L'interprétation immé-
diate de l'espace urbain à partir de représentations cartographiques à
grande échelle peut conduire à des conclusions douteuses; constatant
que le bâti ne représente qu'entre le quart et le tiers de l'espace
habi té, l'urbani ste confronté à ces vi 11 es dévoreuses d'espace,posera
un diagnostic de sous-densification et calculera des réserves
constructibles. Une observation anthropologique plus fine conduit
pourtant à se demander si, à une sous-densification de la concession,
ne correspond pas une sur-occupation du bâti. La valorisation de la
cour,permise par les conditions climatiques, est aussi une réponse au
coQt de plus en plus élevé de la construction.
Sinou estime même que les modalités de l'association bâti-non
bâti sont plus importantes que la forme du bâti pour garantir la
reproduction de nombreuses pratiques d'espaces. Le bâti est plus
souvent un espace de rangement et de repos qu'un espace d'activité
(Gibbal). A contrario, on observe que si, pour une raison ou pour une
autre, lacour se contracte, un changement progress i f des rapports
sociaux se produit: de lieu d'activités et d'échanges, l'espace non
construit tend à perdre ses fonctions d'activités et d'échanges diver-
sifiés pour se réduire à n'être plus qu'un lieu de circulation et de
rangement.
Les rapports hommes-femmes et aî nés-cadets ne sont pas mo i ns
importants pour comprendre l es prat i ques de l'espace habi té. Os mont
insiste sur le système des domiciles séparés pour chaque co-épouse;
Marie précise que la norme virilocale oblige l'homme polygame à four-
nir un logement séparé à chacune de ses femmes; dans l'espace de la
concession, sans qu'il y ait de réelles délimitations physiques, la
cellule matri-centrique s'autonomise par rapport à celle du chef de
famille.
La séparation des sexes est donc une donnée permanente de
l'espace habité mais il n'est pas du tout évident que cette séparation
s'effectue toujours au détriment des femmes comme le suggère Adrien à
Bangui.
- 477 -

En revanche, la séparat i on des générat i ons est marquée par les


privilèges des aînés (et plus particulièrement du chef de famille)
qui, dans à peu près tous les cas étudiés, se réservent l'espace le
plus important et le mieux placé. les enfants, quant à eux, circulent
beaucoup à l'intérieur de l'espace résidentiel (le~uel comme nous
llavons vu ne se limite pas à la concession des parents biologiques);
et ont très tôt une image extensive de la famille.
Plusieurs auteurs (Le Sris, Osmont) font état, cependant, d'un
renversement des structures hiérarchiques de parenté qui accompagne-
rait l'urbanisation et aurait des effets immédiats sur l'affectation
des espaces habités.
Reste le paradigme de l'opposition entre le traditionnel et le
moderne. En fait, cette opposition, loin d'être antinomique, est vécue
de manière très complexe comme un rapport d'articulation dialectique
dans les pratiques d'appropriation et de consommation de llespace
urbain, mais clest sans doute dans le domaine des représentations
qulon le cerne le mieux. L'emprunt d'un vocabulaire spécifique pour
dés i gner l les pace habi té (" en trée-coucher ll , II chambre-salon ll •• ) ne
serait selon Sinou qu'un moyen de se différencier symboliquement du
milieu rural infériorisé en adhérant, dans l'imaginaire, à une moder-
nité dominante. Ces relations symboliques sont également bien décrites
par Osmont qui note que l'émergence d'un II pôle moderne ll (maison Cas-
tor) dans un système résidentiel renforce par contre-coup le II pô l e
traditionnel ll (Grande maison de Rufisque).

C) USAGES QUOTIDIENS ET PRATIQUES PRODUCTIVES


Il slagit moins, à ce propos de fournir, un catalogue de prati-
ques-types que de constituer un corps d'hypothèses générales. Rappe-
lons en effet que l'objet de cet ouvrage est plus ~Iidentifier des
régularités que de reconnaître les différences et de valoriser le
divers.
Un premier constat est fait par la plupart des auteurs: clest
celui d'une grande mobilité dans lloccupation des pièces et d'une
extr~me liberté dans la désignation fonctionnelle des "lieux. La
production de llespace habité comme processus continu échappe évidem-
ment aux codifications qui nous sont familières. La question se pose,
cependant, d'une évolution actuelle vers la stabilisation dlusages
spécifiques, vers une fonctionnalisation des espaces. Llhypothèse se
vérifie en ce qui concerne llespace de réception ou l'espace de la
religion (et plus généralement llensemble des espaces de représenta-
tion) mais la maison de Mamadou à Dakar {Osmont), voulue comme oeuvre
pionnière et outil pédagogique destiné à enseigner aux autres les
usages modernes et stabi li sés de ll€space habi té, a de quoi rendre
perplexe :il y a loin de llaspiration à la II modernité ll aux pratiques
II mo dernistes
ll

- 478 -

L'instabilité croissante de l'emploi entraîne le développement


d'activités professionnelles sur l'espace habité mais celles-ci sont
elles-mêmes très mobiles: ici l'atelier de couture d'une épouse mord
sur l'espace public et les services de l'urbanisme le vouent à la
démolition; là un atelier de menuiserie hâtivement construit en plan-
ches et en tôles goudronnées peut disparaftre à tout moment du fait de
la saturation du marché et de l'évolution professionnelle imprévisible
de celui qui l'occupe; cet étage monté pour développer une·activité
professionnelle extra-légale peut être affecté demain à des usages
d'habitation. Les seules exceptions à cette instabilité de l'usage
professionnel de la concession se rencontrent, semble-t-il, chez les
femmes-chefs de ménages qui dans bien des cas surbordonnent l'aménage-
ment de l'espace habité aux activités productives (Le Bris).

II - Déterminants des pratiques de l'espace.

L'étude des déterminants d'une réalité aussi opaque que les


pratiques n'est pas un exercice facile; le problème n'est pas tant
d'identifier une grille unique (les monographies présentées ne s'y
prêtent guère) que de vérifier les régularités dans la pondération des
grands types de déterminants (physiques, sociologiques et culturels,
politico-juridiques et économiques). Dans une situation donnée, tous
ces déterminants jouent, mais avec des dosages différents: encore
faut-il distinguer (ce que, faute de moyens, nous n'avons pu approfon-
dir) les manières de réagir des différentes catégories d'acteurs
(propriétaires anciens, néo-propriétaires, locataires, occupants à
titre précaire, femmes-chef de ménage, etc...).
Sur un plan général, la plupart des monographies privilégient les
déterminants sociologiques internes dans la mesure où ils rendent
compte des caractères les plus spécifiques de l'espace habité. A.
Os mont parle ainsi de "stratégies familiales d'urbanisation" et A.
Marie évoque les fortes résistances à la primauté des déterminants
économiques, même dans le vieux centre de Lomé;les déterminants
"externes" de type politico-juridiques auraient, eux mêmes, pour effet
de renforcer les solidarités familiales et lignagères et de réduire
les forces centrifuges.
Mais le même auteur ajoute que, ce qui est spécifique de la
situation urbaine, c'est que la segmentation lignagère s'accompagne
d'une diversification croissante des statuts socio-économiques. A.
Sinou, pour sa part, considère la ville comme le lieu de nouveaux
pourvoirs et de nouveaux enjeux économiques (l'espace habité devenant
lui-même un de ces enjeux). Et tous les auteurs constatent que les
enjeux des stratégies famliliales se situent de plus en plus hors du
champ de la communauté locale.
- 479 -

Pour les commodités de l'analyse, nous envisagerons


s ucces s i vement 1es différentes catégori es de déterm i nants des
pratiques urbaines de l'espace habité.

A) DETERMINANTS PHYSIQUES

Dans la plupart des situations étudiées, ils ne jouent que de


façon marginale. Certes les conditions climatiques permettent de
développer les usages de l'espace non bâti mais les considérations de
site sont généralement neutres en regard du problème traité (il en
irait certainement, autrement dans les grandes villes africaines au
site aquatique ou plus tourmenté). La situation ne semble pas non plus
jouer un véritable rôle discriminant; on est, le plus souvent, dans
les quartiers éloignés du centre, aux antipodes de l'image classique
d'une périphérie miséreuse et rejetée dans la marginalité. Comme le
signale justement M. Vernière.Il n'y a pas ajustement entre marginali-
té sociale et marginalité spatiale.

B) DETERMINANTS SOCIOLOGIQUES IIINTERNES II •

il s'agit d'abord et surtout des rapports familiaux au sens


large. La primauté de la parenté dans la production de l'espace habité
est souvent affirmée et ce type de déterminant joue non seulement sur
les rapports entre personnes et groupes, mais aussi sur l'effectif
(niveau de la reproduction bialogique, conceptions de l'accueil,
etc •• ). Inhérents à cette catégorie, les rapports entre les sexes
apparaissent comme la clef de nombreuses pratiques (on se reportera à
la description fournie par A. Os mont de la maison d'Ibrahima à Dakar).
A • MArie va même jusqu'à parler, à l'intérieur de l'espace de la
concession, d'un dispositif masculin et d'un dispositif féminin.

L'évolution vers la famille nucléaire, 'Souvent présentée comme


inéluctable, n'est qu'exceptionnellement vérifiée mais la fiction de
la IIpersonnell (assimilée à l'unité de la figure du IIpropriétairell)
apparaît de plus en plus réductrice de la diversité du groupe. Dans le
même ordre d'idées, on a pu observer certains glissements des straté-
gies familiales vers des simples rapports·de clientèle.
les déterminants religieux sont importants en ce qu'ils peuvent
modifier, dans certains cas, les rapports de parenté et les règles de
l'héritage. Il n'est peut-être pas indifférent que l'Islam et la
pénétration des rapports monétaires agissent conjointement pour impo-
ser la filiation patrilinéaire (A.Osmont).
- 480 -

Plus généralement, ils se manifestent par des rituels collectifs


qui contribuent à maintenir la solidarité familiale et les rassemble-
ments dans les grandes maisons-mères.
Mais ces considérations religieuses permettent aussi à ceux
qu'une telle évolution a rejeté dans un statut second de conforter
leur accès au sol urbain (telle cette femme de Bassadji ~ Lomé,
confirmée dans son "droit" grâce au vodou).

C) DETERMINANTS ECONOMIQUES

La précarité du marché de l'emploi a des incidences de plus en


plus évidentes sur les pratiques de l'espace habité. Un très faible
pourcentage de la population urbaine accède ~ un emploi régulier et la
précarité quasi-généralisée des situations professionnelles a pour
effet de perpétuer les sol idarités famil i ales et, par conséquent, de
jouer comme un facteur de densification de l'espace habité. Inverse-
ment, l'émigration de travail hors du pays entraîne un relachement des
liens de parenté, ceci étant parfois en partie compensé par l'obliga-
tion faite aux migrants de venir participer aux cérémonies funéraires.
Les rapports habitat-lieu de travail jouent certainement un rôle mais,
dani ce domaine, les analyses restent ~ faire.
Les conditions du marché de la production foncière et immobilière
ne sont pas moins déterminantesmaîs il apparaît qureiles varient
con si dé rab lem ent d' un pay s à l' autre • Les pr i x rel at ive men t bas des
terrains ~ Lomé (on a vu l'importance de l'enjeu foncier dans les
mécanismes de production de la ville) sont sans comparaison avec ceux
de Dakar ou d'Abidjan, ou encore ceux de Cotonou, ville pourtant
proche et de taille identique ~ celle de la capitale togolaise. La
situation du marché des matériaux de construction, bien que peu analy-
sée dans nos monographies ( ), est également un facteur pertinent en
ce qu'elle explique, par exemple, l'étalement dans le temps des
constructions et certaines formes de bâti économes en matériaux (mais
les imposants mur d'enceinte de Lomé montrent que, lorsqu'il s'agit de
rendre manifestes les droits de propriété sur la parcelle, les cita-
dins sont prêts ~ consentir des efforts importants). Les effets du
marché foncier et ·immobilier ne sont pas seulement quantitatifs; il
convient aussi de tenir compte des différents types d'alliance entre
groupes et de l'importance relative des différents types de filières
(le développement d'une filière capitaliste importante a-t-elle, iP,o
facto, un effet négatif sur les autres filières): nous renvoyons e
lecteur aux analyses du réseau spécialisé sur ces questions ( ).
( ) On touche là a une des limites de la démarche privilégiant
l'approche micro-sociale et spatiale
( ) Evolution des systèmes de la production foncière et immobilière
(op. cit.)
- 481 -

Reste la conjoncture, passée (tant les effets en sont importants)


dans le langage quotidien des citadins de Dakar et de nombreuses
autres villes d'Afrique! L'aggravation de la crise économique depuis
dix ans a touché de plein fouet les pays africains, aboutissant, dans
le domaine qui est le nôtre, au tassement d'une capacité d'épargne
déjà réduite). La crise a pourtant des effets ambivalents: si elle
pousse vers la ville des migrants de plus en plus nombreux qui ont des
difficultés croissantes à s'insérer dans des réseaux sociaux consti-
tués, elle contribue aussi à renforcer les solidarités familiales et
lignagères existantes. L'analyse des effets de la crise sur la vie en
ville reste à faire.

D) DETERMINANTS POLITICO-JURIDIQUES

Lorsque A. Marie évoque les "déterminations négatives de l'urba-


nisation dépendante", il songe entre autres à la faiblesse accrue de
l'Etat qui, faute de moyens techniques, financiers et humains, par-
vient de moins en moins à imposer "sa ville" à travers une codifica-
tion unique et des représentations standardisées (SDAU, plans de
transport etc •.• ). Les dispositifs techniques, institutionnels et
réglementaires existent pourtant comme modèle de référence et comme
arme potentielle.
C'est sans doute ~arce que l'Etat ne parvient pas à remplir
toutes les fonctions qu'il s'est attribuées dans les pays industriali-
sés que les déterminants sociologiques internes continuent de jouer
aussi fortement à l'échelle locale.
Il n'y a pas, pour autant, absence totale de llEtat; celui-ci par
divers canaux, parvient à façonner le tissu urbain et les modes d'ha-
biter (en particulier dans la ville-capitale) :
- L'arme répressive (dont l'usage ultime est le "déguerpissement") est
certes inégalement utilisée selon les Etats mais elle reste un des
moyens privilégiés d'intervention, le Ministère de l'intérieur se
substituant alors aux pouvoirs locaux et aux services techniques
spécialisés.
- Ni l'Etat, ni le secteur privé n'assurent dans les villes africaines
une fixation des populations laborieuses du type de celle opérée en
Europe au XIXème siècle mais le contrôle est recherché par d'autres
moyens comme l'utilisation en contrepartie d'intermédiaires locaux
jouissant d'avantages non négligeables en matière d'accès au sol
urbain et impulsant, à partir de l'espace habité, une "logique de
distinction sociale" (A.Sinou) dont le pouvoir espère qu'elle s'éri-
ger a en modèle.
- L'e sEt at s, en fin, son t de plu sen plu s con t rai nt s der ecou r ira ux
interventions internationales qui diffusent matériaux, modes d'habiter
et modes de gestion de la ville, auxquels les vertus sécurisantes de
la "grande famille" ne résistent pas toujours.
- 482 -

Ces interventions sont également porteuses de déterminants idéo-


logiques qui viennent confirmer un modèle colonial déjà très intério-
rise (construction en dur, parcellaire géométrique, figure du
"propriétaire, etc•• ). On retrouve aussi, dans l'héritage, l'européo-
centrisme hygiéniste et progressiste qui s'accorde fort bien avec le
désir de mobilité sociale ascendante. La résistance des déterminants
sociologiques "internes" est incontestable mais, au plan idéologique,
la sauvegarde de "l'identité négro-africaine" dans la maison de
Mamadou (A. Osmont) ne pèse pas très lourd. Il reste qu'au plan esthé-
tique, . l'hétérogénéité des matériaux, la diversité des formes et des
couleurs, heurtent singulièrement les canons occidentaux et pourraient
bien constituer une ligne de résistance.
Il resterait à envisager si, comme le suggère A. Sinou, l'espace
lui-même joue comme déterminant des pratiques sociales, non seulement
dans les situations où les limites physiques sont importantes, mais
aussi l'effet en retour de sa structure profonde.

III - PEUT-ON ASSIGNER DES LOGIQUES AUX PRATIQUES DE L1ESPACE HABITE?

Même si l'efficience (voire dans certains cas l'existence) de


l'Etat peuvent être mises en doute, il est impensable que dans les
villes (a fortiori dans les villes capitales) le discours étatique et
les contraintes économiques n'aient eu aucun effet. Ce discours étati-
que (y compris celui des intermédiaires locaux du pouvoir central)
dénie toute logique aux pratiques populaires et diffuse l'idée que les
modes de vivre et de penser l'espace dont elles sont porteuses, se
réduisent à une addition de fantasmes individuels, à la coexistence
d'actions parcellaires qui ne convergent pas vers un comportement
collectif cohérent. Tout au plus admettra-t-on que, dans certaines
situations, à côté des "coutumes qui bloquent" (sur la voie royale du
développement), il en existe quelques unes qui, bien utilisées,
permettraient de progresser"; le tri, bien évidemment, revient à ceux
qui détiennent les leviers du pouvoir.
Prenant le contre-pied de ce type d'interprétation, les thèses
d'inspiration culturaliste· considèrent, au contraire, que les
pratiques et les représentations de l'espace sont déterminées par
des normes cohérentes et s'organisent en systèmes renvoyant à une
vision du monde et à une spiritualité singulière posées comme plus ou
mo i ns i nv ari antes. L' ensem bl e prat i ques-représentat ions doi t être
analysé en termes de signification et de relation symboliques, d'au-
tant plus que les limites de l'intervention étatique laissent le champ
partiellement libre au jeu des déterminants culturels. Certaines de
nos observat i ons (notamment l' adaptat i on permanente de l'habi tat à
l'évolution des structures familiales et lignagères) paraitraient
étayer ce genre de thèse, si, précisément, elles ne mettaient en
- 483 -

évidence que, lo·in d'être "intangibles et invariants, les determinants


cu l ture l s sont eux-mêmes cons tamment retravai 11 és et réinterprétés
sous la pression des déterminants externes (socio-économiques et so-
cio-politiques). Le discours culturaliste, qui rejoint par certains
aspects les homélies sur le développement endogène, a donc un carac-
tère d'incanta1;ion qui résiste mal à l'analyse des faits (en particu-
lier dans les grandes villes étudiées). Il sous-estime, les ruptures
introduites, en milieu urbain plus qu'ailleurs, par la politique
coloniale que prolongent dans bien des cas les politiques urbaines
étatiques actuelles. On ne peut pas plus ignorer la brutale accéléra-
tion des croissances urbaines et ses effets irréversibles sur les
prat i ques de l'espace.
Il a été observé que la tendance à la privatisation et à la mono-
fonctionnalité de l'espace n'avait que difficilement raison de la
polyvalence fonctionnelle et symbolique caractérisant la grande con-
cession. Dans le même temps, pratique et représentation de l'espace en
milieu urbain s'inscrivent dans des stratégies de mobilité sociale de
plus en plus circonscrites à la famille élémentaire et largement
indépendantes des différents fonds culturels; il faut bien dire quel-
les stratégies sont rarement couronnées de succès.
Dans la phase actuelle, en Afrique comme d'ailleurs en de nom-
breuses régions des pays développés, le processus est loin d'être
achevé. Ce que, dans un récent colloque (St-Riquier, op. cît.), nous
avons appelé la matrice spatio-temporelle capitaliste tend bien à
produire une "banalisation planifiée de l'espace" et un "territoire
sans lieux" ( )mais, à l'évidence dans les cas étudiés, cette produc-
t i on est contrari ée par d'autres l ogi ques, d'autres mécan ismes. L'op-
position apparaît même comme structurelle et durable.
Le maintien, dans le procès de production de l'espace urbain, des
conditions de reproduction des solidarités traditionnelles, est acti-
vement recherché. Il s'agit aussi de prendre certaines assurances sur
l'avenir en cas de maladie ou de chômage prolongé, réel ou déguisé
mais aussi en prévision d'une vieillesse sans retraite ni pension, (il
faut rappeler qu'en Afrique il n'existe, pour la 9rande majorité de la
population, aucun système de sécurité sociale). Ce type de logique
perdure, il est vrai, au prix de contournements des normes officiel-
les dont on ignore le plus souvent la lettre mais dont on saisit
parfaitement l'esprit. Mais il ne faudrait pas s'imaginer que ces
contournements relèvent d'interprétations en termes de modèles cultu-
rels figés. Parler de modèles pour expliquer ces véritables bricolages
est un abus de langage, tant l es référents sont nombreux et tant ils
varient d1un individu à un autre ou d'une période à une autre.
De nombreux auteurs ont relevé les ambiguités et les ambivalences
des rapports inter-personnels; ceci vaut sans doute aussi en milieu
rural mais l'enchevêtrement et la dimension conflictuelle des rapports
sociaux et spatiaux s'accusent notablement en milieu urbain.

( ) Cf Le Bris, p. 201.
- 484 -

. De ce constat en découle un autre: les pratiques spatiales, dans


leur dimension stratégique surtout, peuvent être interprétées en tant
que moyen de gérer les contradictions nées d'une opposition frontale
entre des modes de vivre et de penser l'espace. On peut aller plus
loin et se demander si la résistance au mode dominant ne passe pas par
l'amplificati9n volontaire de la confusion ou, du moins, de ce qui
apparaît à l'observateur extéri euro comme de l a confus i on. Si
l'hypothèse était vérifiée, les stratégies spatiales analysées dans
cet essai seraient aussi un aspect du processus de maturation de la
conscience sociale. Les questions théoriques et pratiques relatives à
l'espace prendraient alors une importance qu'elles n'ont pas (ou
qu'ellles n'ont plus) dans les pays industrialisés; sans les suppri-
mer, elles aurai net pour effet de déplacer (comme le suggère H.
Lefebvre) les concepts et problèmes concernant la reproduction biolo-
gique , économique et sociale. .
Les pratiques spatiales comme terrain des luttes sociales? l'hy-
pothèse est séduisante mais une certaine prudence s'impose: s'il est
un domaine où les alliances entre acteurs sociaux ont un caractère
précaire, c'est bien, semble-t-il, celui des usages de l'espace habité
et des stratégies qui en découlent.

B - REDEFINITION D1UNE CATEGORIE SPATIALE: LE QUARTIER

Notre souc i de déve l opper une approche anthropo l ogi que de


l'espace s'inscrit dans un désir plus large, celui de lire la ville et
de connaître ses habitants en échappant à un certain nombre de
catégories inventées à un certain moment social de notre société (la
société civile du XIXème siècle). Nous considérons que leur
transposition systématique dans d'autres cultures et dans d'autres
situations est particulièrement réductrice et propose souvent une
vision dévalorisante des espaces urbains et des pratiques spatiales.
Néanmoins, une approche anthropologique de llespace urbain peut
méthodologiquement se heurter à d'autres pratiques ethnocentristes. Le
postulat qui fonde une approche sociologique de l'espace, à savoir -
la product i on de l'es pace (organ i sat ion, représentat ion, prat i ques)
est l'expression des rapports sociaux - a pu être interprété en réfé-
rence à certains courants de l'anthropologie n'ayant jamais eu comme
objet la ville. (Dans un questionnement plus large, il conviendrait
d'analyser la généalogie et les raisons de l'analogie sociale spatiale
dans la pensée sociologique).
En mat i ère d' an t hr 0 polo gi e, l a maj 0 r it é des étu des qui 0 nt été
mis en valeur cette analogie ont pris comme support des sociétés
rurales, souvent choisie dans le monde "exotique". (L'influence de
llanalyse de Lévi-Strauss sur le village de Bororo a sans doute été
déterminante). En Afrique particulièrement, de nombreuses études de
sociétés "primitives" ont souligné comment l'organisation et les
représentations de l'espace renvoient d'une part à la pensée magico-
- 485 -

religieuse, d'autre part aux rapports de parenté qui fondent le


groupe, ces deux registres pouvant se superposer. Ainsi a-t-bn vu les
villages se diviser en espaces sacrés et profanes, masculins et fémi-
nins, lignagers, claniques, etc.
Nous ne remettons pas en cause ces catégories {même si nous
pensons qu'elles renvoient parfois à une vision un peu trop systémi-
que des sociétés) mais tenons à souligner que leur efficacité
s'inscrit dans une vision de la société qu'il nous semble difficile de
transposer dans la ville d'aujourd'hui. Celle-ci n'est pas un ensemble
de villages et la vie sociale des habitants n'est pas régie par un
ensemble cohérent de règles contenues dans un corpus de mythes. Les
pratiques urbaines se développent selon des logiques diverses souvent
contradictoires qu'il serait vain de vouloir rassembler en un système.
Aussi les analogies entre un lieu et un groupe social ne nous semblent
pas posséder la même validité: par exemple, si la concession (unité
d'habitation spatiale en ville) réunit généralement des individus unis
par des liens de parent.é, elle ne constitue pas nécessairement une
unité sociale autonome, ses habitants pouvant appartenir à des groupes
dispersés spatialement dans la ville. Afin de rendre compte de cette
situation, nous avons été amené à parler de systèmes résidentiels
(Dsmont) et à abandonner la notion de résidence unique. Par ailleurs,
une concession n'est pas seulement un lieu de réunion de consanguins
et d'alliés, comme de nombreuses études en milieu rural le montrent.
En ville elle reçoit souvent des individus étrangers au groupe fami-
lial et peut même accueillir que des personnes n'ayant aucun lien de
parenté entre elles. Cette situation indique notamment que les rap-
ports de parenté n'ont pas la même force en milieu urbain; ils peuvent
être concurrencés par d'autres réseaux socio-économiques quine se
matérialisent pas dans un espace spécifique.
Cette situation se remarque au niveau de la concession mais aussi
à d'autres échelles spatiales. L'ensemble des monographies ont
souligné que les couples d'opposition dedans/dehors, maison/ rue,
n'ont pas la même pertinence dans les villes africaines que dans les
villes européennes. En revanche la situation est plus complexe en ce
qui concerne la figure du quartier. Celui-ci renvoie à plusieurs
registres: Il peut être utilisé comme une unité urbanistique mais
symbolise aussi dans l'ethnologie rurale le lieu de représentation et
d'activité d'un groupe social, un lignage ou un clan généralement. La
diversité de sens que recouvre ce terme nous a amené à préciser au
niveau de ces monographies, les référentiels 'et les différentes typo-
logies possibles afin de cerner les enjeux sociaux qui se manifestent
dans cette répartition spatiale' et afin d'approcher les modes de
développement de l'espace urbain.

le quartier
Le petit Robert propose plusieurs définitions du quartier :
"1° division administrative d'une ville; parie d'une ville ayant sa
physionomie propre et une certaine unité.
- 486 -

20 cantonnement, lieu où logent les troupes l'hiver.


Les deux sens du terme quartier, qui se sont élaborés dans la
société française, renvoient à plusieurs registres de discours sur la
ville et l'espace habité. Si le quartier est toujours considéré comme
un élément appartenant à une unité de plus grande échelle, ce qui le
différencie du village qui n'est pas inclu dans un espace habité de
plus grande dimension, ce produit d'une division se caractérise aussi
selon d'autres critères. 10 il renvoie à une pratique administrative,
voire urbanistique;
20 il se caractérise par une cohérence, une unité, une spécificité
dans la ville;
3D dans son utilisation militaire, il représente un lieu de résidence
temporaire.
Ces différents registres peuvent se combiner deux à deux, voire
les trois ensembles. Dans ce dernier cas, le quartier est un lieu
d'habitation, décidé par une autorité, qui possède une certaine unité,
dont on ne sait cependant pas sur quoi elle repose précisément. La
meilleure illustration de ce type de quartier est le lotissement qui
possède ces trois qualités, son unité se fondant en premier lieu dans
l'uinicité de la procédure d'affectation du sol, qui 'peut produire un
paysage urbain particulier et qui peut aussi favoriser l'installation
d'un certain type de population.
Le statut foncier, le paysage urbain et l'homogénéité de la
population apparaissent ici comme des marques du quartier, mais
celles-ci doivent être encore précisées. Un quartier urbain se définit
tantôt par un ou plusieurs de ces traits tantôt par d'autres qui
peuvent ~tre l'existence d'une activité économique - "le quartier de
l'usine ll
ou politique - "le quartier de la présidence" d'un référen-
-

tiel historique" le vieux quartier ll


voire idéologique ou symboli-
-

que le quartier des ancêtres"; En outre, un trait sociologique commun


ll

à une partie de la population du quartier, notamment lors de sa fonda-


tion, peut renforcer ou même fonder cette notion d'unité sociale dans
le quartier. Cette figure constitutive de sociabilité peut être d'ori-
gine très diverse: une origine ethnique, géographique, une m~me
religion, un même statut économique etc mais aussi un évènement beau-
coup moins définitif comme le fait par exemple en Afrique d'avoir été
expulsé avant de venir dans ce lieu - "le quartier des déguerpis" - ou
d'avoir appartenu à l'armée françai se pendant les confl its mondi aux -
Quinzambougou, le quartier de ceux qui "ont fait quinze ans n dans
l'armée.
Toutes ces différents traits renvoient à deux ordres de la socié-
té: les unes résultent de l'intervention de la puissance étatique-
l'opération de lotissement, la création d'une activité phare du quar-
tier -. Les autres relèvent plutôt de l'histoire sociale des habitants
qui se réunissent en un lieu selon diverses affinités - ce qui signi-
fie cependant pas que les politiques urbaines ne favorisent pas cer-
tains types' de regroupement mais elles en sont rarement les seuls
facteurs explicatifs.
- 487 -

Il faut aussi remarquer que ces différents types de référents ne


prennent pas en compte les figures spatiales caractérisant souvent les
quart i ers et faci litant leur repérage dans l a vi 11 e (homogénéi té de
llhabitat présence d'un équipement ou d'un édifice particulièrement
t

visible etc). Si les paysages urbains sont souvent les premiers


t

révélateurs des différences sociales dans la ville nous les t


considérons cependant comme des productions de systèmes sociaux qui
renforcent les structurations sociales mais qui nlen sont généralement
jamais constitutifs.
Enfin nous avons éliminé de notre grille d'analyse les critères
t
issus de la géographie physique taille densité etc qui nous t t
apparaissent pour le moins trop ethno-centristes pour posséder a
priori une validité en Afrique en matière de mode de distinction
sociale et spatiale de la ville. (Ces critères nlen restent pas moins
des outi l s uti les pour d'autres types d'analyse).
L'analyse des différentes villes africaines nous ont amené à
priviligier certains référents pour saisir l'origine et les
caractéristiques des divisions en quartier de l'espace urbain. Quelque
soit la ville étudiée les différents auteurs de ce rapport ont été
t

amené à souligner l'histoire urbanistique et politique de la ville t


les régimes fonciers et la structuration de la population urbaine
t

pour rendre compte de l'espace du quartier.


Si l'histoire des villes étudiées souligne la diversité des
situations existantes (bien que la majorité d'entre elles ont été
t
créées par le système colonial français qui a imprimé certaines
constantes les différentes monographies aboutissent à distinguer
t )
trois principaux types de division spatiale et sociale de l'espace
urbain que sont le quartier ancien aussi dénommé quartier traditionnel
ou villageois le quartier urbain appelé moderne ou lotissement et
t t
enfin le quartier .dit spontané dont les modes de constitution et de
fonctionnement répondent à des règles sociales bien définies.
Une autre remarque commune à toutes les monographi es concerne la
relativité de la terminologie du quartier. Leur nombre souvent élevé
en ville comme en témoigne les nombreuses appellations ne signifie
t t
pas nécessairement que tous les quartiers possèdent des traits spéci-
fi ques au moi ns au moment de l'étude. Bi en souvent l'appe 11 ati on
t t

d'un quartier ne rend compte que d'une opération de lotissement qui


est aussi datée. En effet dans ces villes souvent d'origine colo-
t t
niale le terme quartier a été utilisé par les édiles pour désigner le
t
produit de l'opération urbanistique d'affectation à des personnes
privées du domaine privé de l'Etat .qu'est le lotissement.
Néanmoins tous les quartiers des villes n'ont pas uniquement
t

cette origine et ne présentent pas tous aujourd'hui la même


phys i onom i e. Il ex i s te notamment certai ns espaces urbains possédant
une forte cohérence sociale qui ne sont pas reconnus officiellement
comme quartiers.
- 488 -

le quartier -ancien-
le terme ancien est généralement utilisé pour qualifier les lieux
où la population urbaine s'est installée sans avoir à respecter les
réglementations coloniales d'occupation du sol du fait par exemple de
l'ancienneté de l'implantation des habitants dans le site. les allian-
ces contractées entre les premières administrations coloniales et
cette population afin d'occuper les lieux et la reconnaissance en
vertu du droit français de l'occupation effective de ce sol par les
autochtones ont permis à ces communautés de conserver partiellement ou
totalement leurs droits fonciers et de produire un espace dans la
ville en fonction de leurs us et coutumes, qui diffère radicalement de
celui produit par les édiles coloniaux. Ces lieux sont ceux ou cer-
tains lignages, certaines ethnies, voire certains groupes sociaux
particuliers, des commerçants par exemple, conservent la maitrîse du
sol et de ce fait, de son peuplement.
Ces quartiers posent problème aux édiles aujourd'hui, dans la
mesure où ils ne s'accordent guère avec les réglementations urbanisti-
ques : les rues sont étroites et ne permettent pas le passage de
véhicules; la trame qui ne respecte pas les régularités géométriques
rend difficile ou plus coûteuse l'installation de réseaux d'assainis-
sement, d'adduction d'eau ou d'électricité. La puissance des notables
locaux font que les droits fonciers ne sont pas définis en fonction du
droit officiel mais se réfèrent à d'autres pratiques (droit musulman,
droit "coutumier"); les travaux des chercheurs dans le domaine foncier
urbain ont montré comment les usages en cette matière constituent des
systèmes complexes qui se réfèrent tantôt à un type de droit tantôt à
un autre, sans qu'il soit possible de définir de manière générale
lequel prédomine.
Enfin, les rapports fonciers et les pratiques spatiales de ces
habitants qui ne sont pas soumis de manière aussi contraignante que
les habitants des lotissements aux réglementations urbanistiques,
produisent des paysages urbains eux aussi peu conformes à l'esthétique
hygiéniste et géométrique occidentale. leur description fait souvent
appel à des figures de discours,Dl es ruelles étroites et tortueuses",
la densité "incroyable" des constructions et de la population - qui
rappellent les descriptions de l'habitat villageois africain par les
premiers explorateurs européens.Les densités élevées, l'absence de
réseaux d'assainissement qui peuvent poser parfois de réels problèmes,
sont sys témat i quement dén i grés par l es uns, tand i s que l es autres,
plus romantiques s'extasent devant ces formes spatiales originales,
signes d'une primitivité merveilleuse, alors que ces lieux se sont
développés le plus souvent pendant plusieurs dizaines d'années dans le
contexte colonial et ne sont pas des isolats ruraux dans la ville.
la référence villageoise qui se fonde dans des paysages où peu-
vent encore apparaître des huttes de paille et dans les relations
étroites (alliances religieuses, économiques) qui unissent les habi-
tants ne saurait suffire pour rendre compte de quartiers qui consti-
tuent souvent les plus anciens noyaux d'urbanisation et dont l'écono-
mie de la population appartient à part entière à l'économie urbaine
(A. Marie). Quant à la structuration de l'espace, si elle est marquée
- 489 -

par certaines alliances familiales, elle renvoie aussi à une économie


monétarisée; la valeur monétaire du sol est tout à fait assimilée par
les occupants qui savent utiliser tous les avantages qu'elle peut
procurer; par exemple, certains anciens occupants, possédant de gran-
des parcelles, refusent de les vendre mais préfèrent les louer afin de
contrôler la population résidant dans le quartier et afin d'éviter que
ne se constituent d'autres groupes dans ce quartier ayant une assise
foncière et pouvant remettre en cause leur·suprématie.
De fait, ce type de quartier a souvent pour origine l'absence de
politiques urbanistiques; les opérations d'urbanisme ne se sont déve-
loppées qu'en fonction de l'intérêt économique des lieux; aussi de
nombreuses vi 11 es actuelles qu i furent pendant longtemps de pet i ts
centres secondaires d'au mieux quelques dizaines de milliers d'habi-
tants, ne bénéficient guère des pol itiques d'aménagement. De larges
zones de peuplement se sont développées selon les caractéristiques des
quartiers anciens. Cette situation est aujourd'hui révolue; ces quar-
tiers qui évoquent une époque où l'appareil d'Etat n'intervenait pas
directement dans la gestion de l'espace urbain, gênent les édiles
actuels, car ils constituent des tâches dans le tissu orthogonal de la
ville que l'on n'ose plus IIdéguerpir ll mais que l'on restructure. Mais
ils sont pour les sociologues urbains des illustrations passionnantes
des rapports sociaux et des pratiques spatiales dans la ville. Plus
particulièrement, ils nous renseignent sur la diversité et la comple-
xité des modes de gestion du sol, sur la puissance de certains groupes
sociaux dans la ville qui se matérialise dans cette possibilité de
gérer l'espace de manière originale parfois contradictoire avec les
intérêts de l'appareil d'Etat. Enfin, ils rendent compte de la diver-
sité et de l'imbrication des référentiels sociaux culturels qui pro-
duisent des usages spécifiques de l'espace que l'on ne peut figer dans
un modèle idéal, mais qui se caractérisent plutôt par leur faculté
d'intégrer et de modeler les nouvelles donnes de la vie économique et
sociale.

Le quartier loti
Comme son nom l'indique, ce lieu résulte d'une opération de
lotissement, qui constitue dans les villes africaines francophones, le
principal outil opérationnel des politiques urbanistiques. L'origine
de ces quartiers donc liée à une décision de l'appareil d'Etat qui
généralement lotit une portion de l'espace urbain afin d'accueillir
les nouveaux citadins et d'éviter qu'ils n'occupent le sol selon
d'autres modalités. Cette procédure instaurée avec la colonisation
reste en vigueur aujourd'hui et est une des raisons de la monotonie
des paysages urbains ou du moins des plans d'urbanisme composés essen-
tiellement de grilles orthogonales de rues enserrant des carrés
regroupant lors de la fondation du lotissement, généralement quatre
parcelles.
- 490 -

Le volontarisme de ce type dlintervention nia pas seulement


modelé l'espace urbain t il a aussi bouleversé les modes d'occupation
du sol et de ce fait les modes de peuplement. L'Etat à travers son
administration s'est substitué à certains groupes sociaux comme agent
chargé de contrôler la gestion de l'espace urbain. Aussi la puissance
d'un lignage t d'un clan t d'une ethnie t ou d'un groupe particulier se
matérialise plus en ces lieux comme dans les quartiers anciens (E. Le
Bris). Nos différentes études soulignent plutôt l'hétérogénéité so-
ciale et plus particulièrement ethnique de la population dans ces
quartiers. Néanmoins t il peut se produire certains regroupements dela
population qui ont d'autres raisons t comme par exemple llimmigration à
une certaine époque d'une population issue d'un même lieu vers la
ville t qui a coincidé avec la fondation du lotissement et qui a en-
traîné la concentration spatiale de cette population. Cette homogénéi-
té, si elle se dissout avec le tempst peut parfois se lire encore
aujourd'hui à travers l'analyse de la composition sociale de la popu-
lation et notamment des notables. Elle nous renseigne aussi sur
l'existence de courants migratoires variant selon les époques.
Cette situation n'est cependant pas la règle et ne produit pas
une partition sociale de la ville à la manière anglo-saxonne t où
l'Etat colonial a favorisé certa-ins regroupements ethniques en ville.
L'intervention de l'Etat bouleverse aussi les modes de gestion de
l'espace par les habitants. Ceux-ci bénéficient dans les lotissements
d'un statut foncier légal qui les met à l'abri d'opérations de déguer-
pissement mais Qui les obligent à respecter certains réglements de
construction comme par exemple l'alignement des bâtiments le long de
la voirie ou l'impossibilité d'étendre l'emprise spatiale d'un groupe
familial. Ces dispositions ont notamment comme incidence la dispersion
spatiale d'une communauté ce qui signifie cependant pas un éclatement
des solidarités qui simplement ne se matérialisent plus alors par un
regroupement au niveau de l'espace habité qu'est la parcelle (appelé
le plus souvent concession).
L'assise foncière des habitants reconnue par l'Etat permet aux
habitants de construire sans crainte. Ils sont les plus nombreux à
élever des étages et à utiliser des matériaux coûteux, le béton armé
par exemple. De plus t la difficulté de trouver une parcelle aujour-
d'hui confère à ces concessions une valeur marchande que savent ex-
ploiter les propriétaires. Ceux-ci n'hésitent pas à densifier au
maximum leurs parcelles et à louer de nombreuses pièces afin d'augmen-
ter .leurs revenus. L'habitation dans ces quartiers devient aussi un
investissement.
Les lotissements constituent le seul modèle d'urbanisation orga-
nisé par l'administration et sont posés en modèle par la majorité des
citadins. Il est cependant difficile d'attribuer à ces lieux le nom de
quartier dans la mesure où ils présentent a priori pas d'homogénéité
particulière et nécessairement de différence entre eux. La différen-
ciation entre les quartiers réside essentiellement dans l'appelation
qui ne rappelle que le moment de fondation: il n'existe généralement
pas de solidarité particulière entre les habitants par rapport à cet
espace qui a été conçu pour contrôler l'installation des citadins.
- 491 -

Cette division formelle de la ville ne signifie pas que les habitants


de ces lotissements n'élaborent pas de réseaux particuliers mais ceux-
ci se réfèrent rarement à cette division administrative. L'espace
n'est plus un élément qui participe à la structuration de certains
rapports sociaux, comme dans les quartiers anciens. La communauté de
quarti er que l'on peut évoquer ici n'est généralement qu'une communau-
té de voisinage qui est une caractéristique de tous les établissements
humains et qui résulte simplement de la concentration de personnes en
un même lieu. L'organisation du lotissement par l'administration n'in-
terfère qu'au niveau de la vie quotidienne: écoles, bornes fontaines
etc créent des itinéraires particuliers et favorisent certaines rela-
tions de "connaissance". Mais de nombreux rapports sociaux, notamment
économiques ou de parenté ne s'inscrivent pas dans cet espace parti cu-
lier.

Le quartier spontané.
Si les quartiers traditionnels et les quartiers lotis constituent
des figures déjà anciennes de l'urbanisme des villes africaines, le
quartier spontané est une création relativement récente, lié à l'aug-
mentation du taux.d'accroissement de la population en Afrique, qui se
manifeste à partir des années 1945 et qui prend particulièrement
d'ampleur après 1960. Les populations rurales émigrantes de plus en
plus nombreuses n'ont pas les moyens d'acquérir des parcelles loties,
rares et coûteuses, et après un séjour dans l es centres vi 11 es chez
des parents ou comme locataires, émigrent dans les périphéries ur-
ba i nes, à l a recherche d'une port i on de so l accordée à leurs moyens
financiers. Tel est le mode principal de peuplement des quartiers
périphériques où résident aussi des citadins installés dans la ville
depuis plus longtemps et qui se sont déplacés du centre vers ces
périphéries où ils occupent des parcelles de plus grande taille. De
fait ces lieux accueillent majoritairement voire exclusivement des
couches peu fortunées, néanmoins les populations urbaines les plus
défavorisées économiquement n'y résident pas nécessairement mais pré-
fèrent demeurer à proximité des zones économiques généralement situées
en centre ville, en étant locataires dans des concessions.
La population des quartiers spontanés, si elle se caractérise par
une certaine homogénéité de revenus économiques ne présente générale-
ment pas d'autres traits sociaux communs comme l'appartenance à une
même ethnie où le fait de provenir d'une même région.
L'espace de ces quartiers diffère fondamentalement de ceux préce-
demment étudiés, que ce soit dans son statut foncier où dans son
paysage. Ce type d'urbani sati on n'est pas menée par l'apparei l d'Etat,
comme le lotissement, d'où sa qualification abusive de "spontanée". Si
elle est effectivement l'oeuvre des habitants, elle se déroule selon
certaines règles où interviennent des acteurs bien précis et dont
profitent certains groupes sociaux particuliers, "chefs traditionnels"
s'arrogeant la gestion et la distribution du sol, mais aussi
- 492 -

notables, fonctionnaires et "caciques locaux" réinvestissant une part


de leurs revenus dans l'achat illégal de terres ensuite louées ou
revendues aux futurs habitants. Plusieurs études de cas dans différen-
tes villes ont en outre permis de mettre en évidence les liens qui
unissent ces intermédiaires dans la gesion du sol avec l'appareil
d'Etat, permettant ainsi de montrer clairement comment celui-ci est
indirectement présent dans ce mode d'urbanisation.
Tous les habitants occupent le sol de manière illégale et ris-
quent à tout moment une opération d'expulsion (qualifiée en Afrique de
déguerpissement), outil des politiques autoritaires d'aménagement
utilisé notamment par les administrateurs coloniaux mais non pas
abandonné par les édiles des nouvelles nations. Néanmoins, ces opéra-
tions tendent à se réduire car elles sont souvent peu efficaces: les
habitants expulsés s'installent un peu plus loin et créent un nouveau
quartier. Aujourd'hui les autorités tendent plutôt à restructurer ces
quartiers, c'est-à-dire tracer une voirie régulière, installer quel-
ques réseaux et quelques équipements, en fonction de l'importance des
financements de l'opération. Les habitants se voient en outre accorder
un statut foncier légal, mais ils sont tenus de se conformer aux
normes de construction édictées et se voient souvent amputés d'une
part du sol qu'ils occupent. Le coût qu'entraînent le respect des
normes et l'obtention du statut foncier légal, suscite souvent le
départ des plus défavorisés.
Si ces opérations de restructuration commencent à se développer
depuis quelques années, e11es restent encore peu nombreuses et la
quasi totalité des quartiers périphériques présentent le paysage sui-
vant : les occupants ont élevé sur la portion du sol qu'ils ont acheté
illégalement, quelques bâtiments et une enceinte afin de se loger et
de matérialiser leur occupation effective. Les maisons sont le plus
souvent en matériaux précaires, les habitants craignant l'expulsion et
ne voulant pas risquer de perdre un investissement dans la construc-
tion. Cependant depuis quelques années, certains habitants n'hésitent
plus à bâtir des bâtiments en parpaings, partant du principe que les
autorités hésiteront à expulser une personne ayant réaliser un tel
investissement. Ces habitants loin d'être des nouveaux citadins igno-
rant tout des politiques urbaines, développent leurs pratiques spa-
tiales notamment en prenant en compte les informations qu'ils possè-
dent concernant les opérations d'urbanisme à venir.
Le paysage de ces quartiers, qualifié parfois de villageois, du
fait de l'utilisation de matériaux de construction employés en milieu
rural comme la paille ou la terre, et du développement d'une voirie
composée de ruelles "étroites et tortueuses" comme dans les villages,
ne doit pas faire oublier l'urbanité de la population, consciente des
nouvelles règles concernant la gestion du sol en ville. Ce savoir se
lit notamment dans le parcellaire qui ne diffère guère de celui des
quartiers lotis excepté la taille de la voirie. De fait les attribu-
taires du sol ainsi que les occupants tendent à recréer un pseudo
lotissement afin que leur occupation ne soit pas remise en cause par
l'administration au nom de la réglementation hygiéniste ou de
l'absence d'ordre ou d'or.donnancement spati al.
- 493 -

Si ces habitants intégrent la logique du lotissement, ces quar-


tiers ne s'apparentent pas à ceux-ci dans la mesure où ils restent
particulièrement sous-équipés: voirie sommaire, réseaux réduits au
minimum ••• Cet urbanisme de pauvre est renforcé par leur caractère
uni quement rés i denti e i et par leur éloi gnement des centres économi-
ques; ils sont les nouvelles banlieues dortoirs des villes africaines.
Les rythmes de vie des habitants rappellent en bien des points ceux
des banlieusards de nos cités :" départ tôt le matin des hommes vers le
centre vi 11 e pour travai 11 er ou chercher du travai l dans des
transports en commun inconfortables et bondés; dans la journée l'acti-
vité est réduite et est l'oeuvre des femmes et des enfants; le soir
retour des travailleurs; l'activité nocturne publique est réduite du
fait de l'absence de tout équipement de loisir.
Ces quartiers auparavant peu nombreux constituent le mode d'urba-
nisation le plus dynamique en ville aujourd'hui; en quelques années un
terrain non habité peut se transformer en un quartier réunissant
plusieurs dizaines de milliers d'habitants. L'impossibilité d'enrayer
l'exode rura l et l'absence de moyens fi nanci ers permettant de créer
des lotissements condamnent les gouvernements actuels à autoriser ce
mode de développement de la ville voire à tenter de l'institutionnali-
ser en accordant aux habitants un statut foncier légal, qui les posent
en citadin mais qui n'améliore pas leurs conditions de vie.

La gestion du sol.

L'ensemble des monographies présentées mettent en évidence


l'importance de la gestion du sol en milieu urbain. Les différents
types de gestion que nous avons rencontrés s'accordent avec notre
partition des quartiers.
Schématiquement, dans les quartiers anciens, le sol est sous le
contrôle de un ou plusieurs lignages ou familles élargies qui influent
ainsi sur le mode de peuplement du lieu. Dans les quartiers lotis,
l'Etat s'est théoriquement substitué au groupe parental. Enfin, dans
les quartiers spontanés, le statut précaire de l'occupation du sol par
les habitants induit un certain type d'urbanisation dans laquelle se
r econ nais sen t l es habitants. La r edis tri but i on du sol se réal is e de
façon plus complexe. Les propriétaires coutumi~rs de ces zones primi-
tivementsrurales, en sont souvent les agents; mais pour qu'une telle
pratique soit autorisée par l'appareil d'Etat qui perd ainsi une
source de revenus, elle implique des liens étroits avec certains-de
ces agents, qui parfois se substituent à ces premiers propriétaires
pour distribuer le sol, à la suite de manipulations juridiques plus ou
moins légales. Celles-ci peuvent provoquer des conflits et produire
finalement une opération générale d'expulsion des habitants afin de
résoudre les imbroglios juridiques et redistribuer le sol de manière
plus légale. Ces quartiers sont le lieu d'opérations de spéculations
- 494 -

foncières, menées à des échelles différentes selon la richesse et la


puissance de l'agent. Les procédures illégales d'occupation du sol,
répondent aux difficultés rencontrées par les citadins pour acquérir
légalement une parcelle et constituent une pratique admise par tous
les habitants.

la population des quartiers.

La ville africaine est aujourd'hui un lieu d'hétérogénéité so-


ciale; en cela elle s'oppose aux établissements villageois et rend
caduque certains outils de l'anthropologie. Cette hétérogénéité se
donne à lire au niveau de la répartition spatiale des citadins dans
les quartiers: Par exemple, les regroupements ethniques ou claniques
restent peu nombreux en ville et s'organisent rarement à l'échelle du
quartier; ils se manifestent plutôt à l'échelle de communautés de
voisinage. Cette échelle est aussi celle des relations sociales quoti-
diennes entre les habitants qui ne se réfèrent pas là non plus à la
notion de quartier. Souvent ils ne connaissent pas toujours l'étendue
et les limites précises de cette unité administrative et ignorent la
quasi totalité de la population, notamment dans les quartiers lotis et
spontanés.
Le référent "quart i er" est alors surtout util i sé par 1es person-
nes extérieures à ce lieu, qui en font un repère dans la ville,
éventuellement attaché à une figure spatiale particulière (équipement,
monument ••• ). Il serait séduisant de comparer ces communautés de
voisinage aux établissements villageois mais cette comparaison ne
tient pas car elle oublierait de prendre en compte la mobilité de la
population urbaine qui n'est pas fami1ia1ement attaché à un lieu comme
un village (existence de systèmes résidentiels étendus) et qui n'hé-
site pas à déménager en fonction des revenus et des activités
professionnelles; situation qui n'est pas sans rappeler l'évolution
des citadins dans les grandes villes d'Europe.
Si cette homogénéité sociale reste à trouver, il reste à évaluer
quels référentiels peuvent exister au sein de la population d'un
quartier qui ferait de ce lieu autre chose qu'une simple division
administrative.
Si les critères culturels ne suffisent pas en ville pour
qualifier la population, les critères économiques (auparavant associés
aux référents parental et ethniques) s'autonomisent en ville et
commencent à se marquer à l'échelle du quartier. On ne trouve pas
encore dans la quasi totalité des villes africaines de quartiers
spécifiquement de riches (excepté les l p1ateaux" anciens quartiers
blancs dans les métropoles côtières) ou de quartiers de fonctionnaires
mais on peut discerner l'amorce de telles distinctions socio-
économiques, notamment à travers le développement des quartiers
spontanés où des couches défavorisées de la population urbaine, sans
emploi stable, peuvent trouver refuge. Cette concentration de pauvres,
dans certaines parties de la ville - Dakar Abidjan - explique le souci
- 495 -

d'intervention de certains gouvernements et des organismes


internationaux qui craignent, comme cela se produit dans dlautres
continents et même en Afrique du nord, dans de tels types de quartier,
des phénomènes de contestation desespérée de couches sociales n'ayant
pas grand chose à perdre et prenant conscience de leur statut du fait
de leur concentration en un même lieu.
Outre ces distinctions socio-économiques plus ou moins dévelop-
pées, le senti ment d'appartenance à un quart i er se fonde souvent sur
l'existence d'autorités particulières à l'échelle de cet espace: en
premier lieu, les représentants du pouvoir étatique, c'est-à-dire les
chefs du quart i er dont le rô le est souvent li mi té. il convi endra de
voir comment peut évoluer ce sentiment dans le cas où ces instances
acquièrent des pouvoirs plus étendus comme cela se produit dans cer-
taines grandes métropoles où des collectivités locales sont crées à
11 i ntéri eur dy péri mètre urba in (Bamako par exempl e). Pl us reconnus
aujourd'hui que les chefs de quartier, sont les autorités religieuses,
qui marquent notamment leur présence par la construction de temples
(dans l'Afrique sahélienne de mosquées); en outre, et ceci particu-
lièrement dans les pays islamisés, ces autorités possèdent un pouvoir
économique important qui se traduit par un certain contrôle du patri-
moine foncier urbain et par leur intervention dans les réglements
d'héritage soumis dans ces pays notamment au droit musulman. Il reste
que cette instance ne recoupe pas nécessairement le découpage adminis-
tratif du quartier, et rend plus impalpable et plus imprécis encore
cette notion.
En revanche, il existe souvent à l'échelle dlun quartier ou d'une
communauté de voisinage, d'autres instances de pouvoir : les représen-
tants des partis politiques dont l'influence est loin d'être négligea-
ble dans la répartition du sol mais aussi des notables, petits caci-
'ques urbains qui s'appuient sur une clientèle locale, leur facilitant
aussi bien l'occupation d'une parcelle que l'accession à un travail ou
l'obtention d'un prêt. Ces individus connstituent sans doute les
intermédiaires les plus efficaces dans l'économie urbaine.
Enfin, certains réseaux sociaux peuvent se fonder à l'échelle du
quartier. Ce fut le cas de Bamako notamment juste après la colonisa-
tion quand le premier gouvernement indépendant se basa sur cette
division pour développer des associations de jeunes et des coopéra-
tives. Outre ces associations officielles qui existent dans d'autres
pays, se constituent à l'échell e des 'quarti ers des "tonti nes ll
c'est-
,

à-dire des associations d'entraide çonstituées généralement par des


femmes. Cependant la quasi totalité des réseaux sociaux ne s'arrêtent
pas à cette division et s'étendent au niveau de la ville toute entière
quand ils ne se développent pas à l'échelle du pays.

L'évolution des quartiers.

Il reste à évaluer le devenir des trois types de quartier repérés


dans ces études. On peut imaginer que les quartiers anciens aux trames
irrégulières seront peu à peu restructurés par les édiles; lors de ces
- 496 -

opérati ons, la pui ssance des lignages ou des groupes parti cul i ers qui
contrôlent ces lieux sera sans doute réduite mais ne pourra pas être
dissoute. Leur clientèle ira progressivement en s'amenuisant dans la
mesure où les habitants n'auront pu à bénéficier de la protection
des notables locaux pour y résider. Cependant ceux-ci pourront encore
marquer leur puissance dans d'autres domaines (trouver un travail etc)
dont ils peuvent faire profiter leurs dépendants. Enfin, si ces noyaux
anciens, souvent situés aujourd'hui en centre ville sont amenés à
disparaître, ils sont remplacés par d'autres noyaux villageois situés
dans les périphéries qui sont peu à peu englobés dans la ville du fait
de son extension et où les propriétaires coutumiers du sol et les
anciens habitants peuvent faire valoir leurs droits fonciers et béné-
ficier de l'urbanisation si les institutions étatiques ne sont pas
assez organisés pour produire des lotissements.
Quant aux quartiers lotis qui sont les "modèles" d'urbanisation,
ils constituent une part de moins en moins importante de l'espace
urbain. L'administration n'a souvent pas les moyens financiers et
parfois pas l'intention de produire ce type d'opération, coûteuse,
destiné à des couches sociales dont elle se désinterresse, et ne
pouvant, étant donné le taux d'accroissement de la population urbaine,
ne concerner qu'une infime minorité des citadins. Aussi les quartiers
lotis bénéficiant d'équipements et d'une voirie de qualité, seront de
moins en moins nombreux dans l'ensemble de l'espace urbain, et seront
concentrés dans les centres des villes, quand ils ne le sont pas déjà.
Les quartiers spontanés représentent contrairement aux deux
autres types, l'élément le plus dynamique de l'urbanisation aujour-
d'hui; leur originalité est à la fois dans leur statut, leur aspect et
leur rapidité de croissance. Aucune instance politique quelque soit le
pays n'a pu freiner leur développement et ils constitueront de plus en
plus le principal mode de développement de la ville: ces banlieues
dortoirs se distinguent et se distingueront en deux catégories:
celles qui sont laissées à la libre initiative des habitants et des
spéculateurs risquent de devenir des bidonvilles et peuvent être à
long terme détruites; en revanche les quartiers "restructurés" où un
minimum de voirie et quelques équipements sont créés, où les habitants
acquièrent un lot foncier seront tôt ou tard légalisés. La restructu-
ration devient une opération de lotissement à bas prix, une institu-
tionnalisation de la pauvreté, mais se traduit généralement aussi par
le départ vers des quartiers encore plus éloignés des groupes sociaux
les plus défavorisés.

Conclusion.
Oe la notion de quartier qui évoque en France, une sociabilité
aimable, nous avons évolué en étudiant ces villes africaines vers une
approche des modes d'urbanisation et des modes de gestion du sol. La
nouveauté de ces villes et leur extension si rapide ne permet sans
- 497 -

doute pas d'utiliser un terme aussi figé qu'est le quartier pour


rendre compte des pratiques sociales et de l'urbanisation en gestation
et en mutation. Aussi nous préférons utiliser celui de mode de
structuration de l'espace urbain, qui autorise sa transformation sans
se référer à un modèle idéal.
Ces études nous ont en outre amené à aborder les politiques
urbaines développées ou en cours de développement dans ces pays. Leurs
incidences dans la structuration de l'espace, soulignent la nécessité
de repenser les modes d'intervention traditionnels afin d'éviter la
marginalisation sociale et économique d'une proportion de plus en plus
grande de 1a popul at ion urba i ne renforcée, notamment par son mode
d'installation dans la ville. Il reste à évaluer dans quelles condi-
tions l'urbanisme peut améliorer les conditions de vie de l'ensemble
de la population urbaine et particulièrement des plus défavorisées,
contrairement à aujourd'hui où souvent il tend à renforcer les cli-
vages socio-économiques.

C - LOGEMENT, FAMILLE ET SYSTEME RESIDENTIEL.


Certaines observations menées dans le cadre de ce programme nous
ont conduits à remettre en cause les catégories souvent utilisées de
Famille nucléaire, prise comme unité sociale dans les villes
africaines, et de logement pris comme unité de résidence de la famille
ainsi envisagée. Ces catégories d'analyse, considérées comme
universelles, ont été transposées directement des recherches menées
dans les sociétés industrielles développées vers les sociétés urbaines
africaines.
Ce qui nous apparaît comme une erreur méthodologique est le fait
aussi bien des chercheurs en sciences sociales, anthropologues, socio-
logues, géographes, démographes, que des aménageurs et techniciens de
l'habitat. Un ethnocentrisme manifeste, quelles que soient ses
références théoriques, présente comme inéluctable l'évolution de la
famille africaine urbaine vers le modèle européen du ménage isolé,
légitimant ainsi la programmation de l'habitat du grand nombre, celui
des grandes villes, selon le modèle du logement européen qui s'est
généralisé au 20ème siècle, "cellule" quasi-indifférenciée, répétable
à l'identique, destinée à abriter la famille conjugale.
Au vu des résultats des recherches que nous avons menées ces
dernières années, s'il convient de réaffirmer le lien existant entre
famille et lieu de résidence, nous n'avons pas pour autant vu réalisée
de manière spontanée, sauf peut-être parmi les couches supérieures de
la société (la bourgeoisie), l'adéquation entre un habitat de type
cellulaire et la famille conjugale de type nucléaire. Dans de très
nombreux cas nous avons plutôt observé, aussi bien à Dakar, qu'à Lomé,
Bamako, Bangui,etc •• , le maintien ou la reconstitution de groupes
familiaux élargis, occupant plusieurs unités de résidence ou logements
soit dans une même concession, ou un même quartier, soit dispersés
- 498 -

dans toute la ville. Il convenait donc de s'interroger sur l'évolution


des structures familiales en ville, afin de rendre compte des prati-
ques résidentielles actuelles.
1. L1évolution des structures familiales
Une hypothèse explicative a été formulée (Osmont), selon laquelle
la structure familiale élargie ou étendue, lieu privilégié d'une
articulation entre les deux pôles constituant les références urbaines
africaines, le "traditionnel" et le "moderne", joue un rôle crucial
dans le processus d'intégrat"ion de ses membres à la société urbaine.
On note en effet que dans beaucoup des groupes familiaux observés, il
existe entre les membres des relations de solidarité, ou de dépendance
économique, qui en tout état de cause dépassent largement les seules
relations de parenté. Ces réseaux de solidarité sont souvent
légitimés par une stricte nécessité de survie. Mais dans une
perspective plus large et plus dynamique d'intégration, les stratégies
familiales, qui visent la mobilité sociale ascendante, et les
stratégies résidentielles (notamment foncières) qui en constituent le
support, ont pour objet la gestion de cette articulation entre le
traditionnel et le moderne, ou visent à résoudre les contradictions
qu'elle engendre, cela dans des situations sociales et spatiales
concrètes. Un des traits spécifiques des sociétés urbaines africaines
contemporaines est sans aucun doute la capacité qu'ont les groupes
familiaux élargis de réintégrer dans l'ensemble des rapports sociaux
les activités du secteur informel de l'économie, par une gestion
appropriée des contradictions vécues par tous.
Une des filières essentielles d'adaptation à la ville demeure
donc, c'est là une de nos hypothèses, un ensemble familial plus ou
moins large, fonctionnant comme un réseau.
Ainsi l'achat de parcelles de terrain, et d'autres opérations
foncières et immobilières sont bien souvent la concrétisation de
stratégi es fami li ales d'accumul ati on et d'épargne (A.Sinou, Osmont, Le
Bris, Marie, Gibbal) : la constitution et la gestion commune d'un
patrimoine foncier est un enjeu résidentiel pour un groupe élargi, à
mo"ins qu'elles ne visent directement la production de revenus. Dans
d'autres cas un chef de famille peut attribuer une parcelle à un
parent, sans compens at ion monéta ire, ou héberger grac i eu sement des
parents et dépendants, pour maintenir un système d'obl igations
réciproques (A. Sinou, Marie). L'hébergement peut s'étendre à des
étrangers à la famille, dans le but de constituer une clientèle.
Plus généralement, il apparaît qu'une des clés du maintien de
groupes familiaux regroupant un nombre important d'individus, est la
gestion en commun, souvent sous l'autorité du chef de famille, des
ressources du groupe,créant ainsi une synergie économique (Sinou). Le
phénomène est particulièrement accentué et volontariste dans le groupe
fami l i al étudié par A. Osmont, où il apparaît comme une stratégi e
consciente du chef de famille, peu à peu intégrée par les autres
actifs du groupe, et encore plus par les inactifs, pour lesquels
l'avantage est évident.
- 499 -

Un autre facteur contribue encore au maintien ou à la constitu-


tion de familles élargies, c'est la possibilité d'articuler plus
aisément à ce niveau des activités du secteur informel à des activités
du secteur moderne (Osmont) : Il s'agit par exemple de recyclage dans
des activités commerciales à domicile de l'épargne provenant des
salaires; Il peut s'agir aussi de sous-traitance du secteur moderne
dans le secteur informel. Cette articulation est d'autant mieux gérée
qu1e 11 e repose sur des rel ati ons de parenté.
Au niveau des dépenses, on observe éga l ement une tendance à la
division des tâches: ainsi l'épargne du chef de ménage est plutôt
affectée à des investissements de type foncier et immobilier, le
revenu des femmes étant consacré aux dépenses d'entretien des enfants,
tandis que les enfants adultes paient des factures d'électricitgé ou
d'eau par exemple, ou quelque équipement ménager.
Cependant l'observation de ces phénomènes ne nous conduisent pas
à prétendre que les structures familiales n'ont pas évolué en ville. A
partir des monographies réunies ici, il est possible de proposer une
typologie, comportant trois types de familles (cf. notamment A.
Marie) :
- La famille élémentaire, simple (monogamique) ou composée (poly-
gamique), qui constitue l'unité de base dans les stratégies évoquées
ci-dessus. Elle se rapproche dans son organisation, sinon dans son
mode de vie, de la famille conjugale de type européen. La monétarisa-
tion de l'économie, les efforts menés en vue d'une accumulation de
biens, l'accès à un mode de consommation de type occidental, la volon-
té de scolariser les enfants, les modèles qui président à la produc-
tion de l'habitat programmé, constituent autant d'incitations à une
autonomisation des familles élémentaires.
- la famille élargie, constituée de plusieurs familles élémen-
taires (frères mariés par exemple), augmentés le plus souvent de
parents éloignés, isolés ou eux-mêmes en famille nucléaire. C'est le
t yp e lep lus ré pan du, il r e présen tee n fait un co mpro mis en t rel es
tendances à la segmentation et le maintien de solidarités familiales
fortes. A. Marie note qu'à Lomé (chez les Bassadji) la famille élargie
s'élargit surtout en ligne utérine, les unités matri-centriques demeu-
rant alors, malgré tout, dans la dépendance du pouvoir masculin du
chef de famille. Le plus souvent, la famille élargie se recrute au
sein d'un segment de lignage patri-linéaire (A. Marie à Lomé, D.
Poitou à Niamey), les utérins étant ici surtout des enfants de soeur
et/ou des filles. Il convient de noter que le plus souvent c'est la
famille élémentaire du propriétaire de la concession qui constitue
l'élément central et dominant (A. Marie). Mais dans le cas de proprié-
té indivise, plusieurs familles élémentaires peuvent se considérer à
égalité.
- La fami 11 e étendue, dont l 'extens i on coinci de avec un segment
de lignage se récl amant d'un ancêtre commun (Osmont à Rufi sque, A.
Marie dans le quartier de Bassaqji à Lomé, D. Poitou à Ile-Ifé). C'est
sans doute la forme la plus proche de la structure familiale villa-
- 500 -

geoise, qu'on retrouve conservée au prix de certains remaniements dans


les villes créées avant la colonisation (Ile Ifé), ou dans des quar-
t i ers spontanés anci ens (Santhi aba à Rufi sque, Bassadj i à Lomé) : ici
la structure est pyramidale, et hiérarchisée en fonction du statut de
chacun, individu isolé ou famille élémentaire, dans la parenté.
Tels sont brièvement répertoriés, les trois types de structure
familiale repérés en ville. Bien sOr, il convient de nuancer ce modèle
qui tente de rendre compte des caractères spécifiques de
l'urbanisation en Afrique:
- Tout d'abord il y a lieu de situer dans le temps les phénomènes
observés. En effet à peu près partout, les immi grés récemment
installés en ville, qu'il s'agisse de célibataires ou de ménages,
sont, en tant que locataires, le plus souvent isolés de leurs réseaux
familiaux, du moins dans leur environnement résidentiel immédiat. Mais
on voit aussi parfois des immigrés accueillis directement par des
réseaux familiaux et / ou professionnels. Mais si l'on se fonde sur
l'observation de citadins installés depuis quelques temps en ville,
on vo it l es mêmes i mm i grés s'efforcer de reconst ituer peu à peu des
réseaux familiaux plus resserrés et plus localisés.
Au contraire on voit dans des quartiers anciens des familles
larges en voie de dispersion et de segmentation, lorsque les
concessions sont trop densément peuplées, notamment. Cependant, même
dans des quartiers récemment urbanisés, tel que Fadjiguila à BAMAKO,
J.M. Gibbal observe que "1 es gens recréent des groupements homogènes
du point de vue ethnique, groupements unis par des liens de parenté".
Il attribue cette évolution au fait qu'il s'agit d'un quartier
constitué de manière extra-légale. Les concessions y sont de grande
taille, et "1 es chefs de famille ont pu reconstruire des logements
répondant à leurs aspirations et à leurs besoins grâce à l'homogénéité
du groupement résidentiel à la tête duquel ils se trouvent et grâce à
l'espace dont ils disposent".
- Compte tenu du rôle économique important que jouent les réseaux
familiaux en ville, il est possible que le développement d'une crise
urbaine profonde en Afrique contribue à un renforcement du groupe
fami li al. On a observé en effet (Osmont), qu'en l'absence d'une
législation sociale concernantle chômage, la maladie, la retraite,
mais aussi la formation professionnelle, le groupe familial est
constamment mis à contribution pour assurer des rôles dans ces
domaines où les pouvoirs publ ics sont totalement déficients. Il est
alors évident que le groupe pourra d'autant mieux remplir ces
fonctions diversifiées qu'il sera plus nombreux, chacun apportant ses
capacités propres. C'est seulement ainsi que la famille peut être à la
fois Caisse de retraite, de chômage, d'épargne, Centre
d'apprentissage, etc. Dans un contexte de sous-emploi, de chômage et
de précarité économique croissants (on estime qu'à Dakar près de 60%
des emplois sont dans le secteur informel), il est probable que les
fonctions ci-dessus resteront encore longtemps assumées par la
famille, légitimant ainsi sa taille importante (1).

(1) Cf. Comhaire : "1 a famille étendue demeure une institution néces-
saire pour des motifs de sécurité et d'éducation". (Cité par Gutkind
"African family l ife", Cahi ers d'études africaines, vol. Il 1 1962).
- 501 -

- sur la longue durée, des facteurs spécifiques d'évolution


soci ale sont à prendre en compte, car ils introduisent des nuances,
voire des variantes, par rapport au modèle explicatif :on peut ainsi
relever une évolution du statut économique des femmes, différente à
Lomé et à Dakar ou Bamako. A Lomé un nombre important de femmes ont
acquis leur indépendance économique, ce qui leur permet d'avoir
également une relative autonomie résidentielle, et peut jouer dans le
sens d'un relâchement des 1iens conjugaux, avec pour contre-partie le'
maintien de liens assez forts avec le père et/ ou les frères (Le Bris,
Marie).
- Un autre facteur spécifique d'évolution est relatif aux sys-
tèmes de filiation dans les structures traditionnelles de parenté: il
apparaît en effet que les systèmes matril inéaires sont par princi pe
porteurs d'une nécessaire segmentation 1ignagère, par rapport à un
mode de résidence généralement patri-10ca1, qui devrait se traduire à
terme, en ville, par une réduction de la famille. Au contraire les
systèmes patri-1inéaires devraient renforcer le regroupement familial,
notamment dans les cas d'indivision foncière.
- Par ailleurs la généralisation de l'Islam, qu'accompagne un
système de filiation patri-1inéaire et le droit au partage, est
difficilement intégrée dans les systèmes à f"iliation matri-1inéaire.
La forme de compromis la plus répandue se traduit par une relative co-
existence des deux systèmes de filiation, ce qui introduit une
compétition à l'intérieur de la famille étendue ou élargie, entre, par
exemple, les fils et les neveux utérins du chef de famille. Dans ce
cas les enjeux, immobiliers par exemple, peuvent au contraire pousser
les deux parties à un regroupement familial (Osmont).
- A plus court terme, on note que la constitution ou le maintien
de groupes familiaux larges a d'autant plus de chances de se réaliser
que le chef de famille a une position reconnue de notable, tradition-
nel ou moderne. En effet, dans des systèmes largement marqués par le
clientélisme, le chef de famille, s'il ~st un notable, aura incontes-
tablement plus d'efficacité pour faire bénéficier les membres du
groupe familial de sa position, et ceux-ci auront par conséquent tout
intérêt à rester dans la dépendance de ce chef (Osmont). On note dans
ce cas que le groupe familial est particulièrement important et bien
structuré en réseau.
Mais parfois, du fait de mutations économiques en ville et du
caractère individuel de 11 accès au statut professionnel, certains
enfants ou neveux, qui ne sont pas normalement en position de chef de
famille mais qui ont un statut socio-économique plus favorable que le
chef de famille, sont conduits soit à assumer la charge effective du
groupe familial, soit à prendre le maximum de distance. Quoi qu l i1 en
soit, une famille large ne veut pas nécessairement dire que la struc-
ture y demeure selon le modèle .pyramida1 antérieur.
- 502 -

- La persistance de la polygamie introduit des variantes


importantes dans le système de la famille élémentaire, selon que les
épouses ont ou non acqui sune autonomi e économi que, notamment
lorsqu'elles ont une activité commerciale: dans ce cas il y a une
tendance marquée à l'autonomisation du noyau épouse + ses propres
enfants (E. Le Bris). Mais lorsque cette capacité n'existe pas, les
familles élémentaires peuvent atteindre une taille importante, de
l'ordre de 25 à 30 personnes.
Ces différentes observations donnent une idée des variations dans
le temps et dans l'espace concernant l'évolution des structures
familiales en Afrique, dans la ville contemporaine. Les différents
facteurs d'évol uti on notés ci -dessus peuvent avoi r des effets
centrifuges aussi bien que centripètes, sur le groupe familial. Il n'y
a donc pas une évolution linéaire, mais bien plutôt des décompositions
et recompositions successives, plus ou moins importantes, des groupes
familiaux, compte tenu des conditions très diversifiées de l'urbanisa-
tion.
Une double question surgit-alors :
- y a-t-il une évolution parallèle des modes de résidence? La
segmentation résidentielle apparaît-elle de façon concomitante avec la
segmentation fami liale?
- Quel est l'effet sur le processus de segmentation familiale de
la planification urbaine, et tout particulièrement des modes d'accès
au sol urbain et au logement? En d'autres termes la segmentation
résidentielle induit-elle une segmentation familiale, ou au contraire
ne fait-elle que l'exprimer en termes d'espace?
Nos observations nous permettent d'aborder ces questions à
plusieurs niveaux.

2 - Localisation et délocalisation des familles- Systèmes


résidentiels.
Dans les quartiers anciennement urbanisés (Santhiaba à Rufisque,
Bassadji à Lomé, à Ile-Ifé), ayant échappé largement à la réglementa-
tion urbaine de type européen, on relève un processus plus ou moins
rapide,mais constant, de densification sur place.
Cette densification est le fait de différents facteurs :
- Le regroupement volontaire, ou le maintien dans une concession,
d'un groupe familial représentant un segment de lignage ou une famille
composée ou élargie. La sécurité foncière (même, et peut-être surtout,
s'il s'agit d'une terre de possession coutumière), et la propriété du
logement, de même que la taille des concessions, encouragent le
processus, puisqu'il est possible d'accueillir et d'héberger de
nombreux parents et alliés.
- La polygamie vient souvent renforcer le phénomène précédent, en
provoquant une croissance naturelle rapide au sein de la famille.
- 503 -

- La densification peut se faire aussi par la pratique de la


location, généralement des chambres, à des étrangers à la famille.' Ce
phénomène peut lui aussi se conjuguer avec les deux précédents.
Ces aspects de la densification expliquent le nombre important de
transformations enregistrées dans beaucoup de concessions et
parcelles, qui visent à conquérir le maximum d'espace à habiter.
A partir d'un seuil, qui n'est pas facile à déterminer, car il
dépend notamment des liens de parenté entre les membres de la maison-
née, du mode de filiation, des liens de solidarité socio-économiques
entre les individus, une segmentation se produit au sein du groupe,
qui se traduit par le départ d'un fragment de la famille vers un autre
lieu de résidence. Plus rarement le départ se produit à la suite d'un
conflit.
Mais à l'observation cette segmentation apparaît le plus souvent
bien contrôlée par le reste de la famille, et selon une stratégie
foncière souvent repérable: achat de parcelles dans le quartier ou à
la périphérie pour un fils aîné (Lomé, Bamako), ou bien c'est le père
qui s'installe à la périphérie (Lomé, Bamako). Mais des liens étroits,
parfois quasi quotidiens, sont maintenus entre les différents lieux de
résidence (Santhiaba à Rufisque, Fadjiguila à Bamako).
Lorsqu'on part des observations diachroniques des groupes
familiaux, un double mouvement est repérable:
- Un mouvement centripète de concentration en un même lieu d'un
segment de lignage, d'une famille élargie ou composée, rassemblant
couramment au moins 20 personnes, mais souvent beaucoup plus (100
personnes et plus dans le cas de Ile-Ife; D. Poitou). Ce processus de
densification peut s'étaler sur de longues périodes, de dix à vingt
ans ou plus.
- Un mouvement centrifuge de segmentation d'un groupe familial
dont les fragments s'installent en plusieurs unités résidentielles
plus ou moins proches les unes des autres, mais qui tissent entre
elles des liens étroits, dans le domaine de la production aussi bien
que de la consommation, sur la base des relations de parenté. Dans ce
cas il nous paraît légitime de distinguer la segmentation
résidentielle de la segmentation familiale. En effet, il faut plutôt
parler ici de délocalisation de la famille étendue ou élargie, plutôt
que de son éclatement en tant qu'unité socio-spatiale•.La famille ne
se disloque pas, c'est son mode d'implantation qui change.
Pour rendre compte de ce phénomène, nous avons recours à la
notion de $ystème résidentiel, pour désigner un ensemble articulé de
lieux de résidence (unités d'habitation) des membres d'une famille
étendue ou élargie.
Ce qui fonde ces systèmes résidentiels, c'est un réseau dans
lequel les relations de parenté prédominent, organisant en les
redoublant, en les inversant ou en les prolongeant simplement, des
relations sociales et économiques entre les membres du groupe
familial. Un chef gère et contrôle l'ensemble des unités.
- 504 -

Plus la famille se délocalise, plus le réseau, entendu comme un


système fonctionnel de relations sociales, devient le mode d'unifica-
tion du groupe, et fonde par conséquent son existence même. C'est ici
le système des liens familiaux qui, de manière originale, unifie,
totalise un ensemble de relations sociales. L'espace devient alors
pl utôt .un symbole d'unité du groupe, car il est approprié de manière
discontinue. L'effet de proximité ne jouant plus, les systèmes de
représentation des relations sociales et de leur support spatial
deviennent plus extensifs, en couvrant un espace physique et social
plus vaste. Dès lors, l'existence d'un système résidentiel implique,
pour que soi t ass uré ceprocess usd' un ifi cat ion du groupe f am il i al,
une plus grande mobilité interne permettant une multi-localisation des
membres du groupe et donc une appropriation de l'ensemble des espaces
occupés à partir de localisations ponctuelles et momentanées (Osmont,
Rufisque et Dakar). Ce mode de circulation dans l'espace représente
une manière commode, car très souple, de gérer une mobilité contrôlée
des individus à llintérieur du groupe, et de gérer par là-même sa
cohésion.
Toutes les fois que sont repérés ces réseaux et ces lieux fondés
sur des relations de parenté, ainsi qu'une forte mobilité interne des
individus qui les constituent, nous pensons qu'il est pertinent de
parler de système résidentiel plutôt que de logement ou Ode résidence
isolée.
Gutkind ("African urban family life") avait depuis longtemps
pressenti une telle évolution, affirmant que les "fonctions de la
famille, peut être encore plus que sa structure, peuvent réfléter la
vie économique et sociale du pays". Pour illustrer ce propos, il
soulignait que des facilités de transport peuvent supporter un système
de travail migrant, et maintenir un système de famille étendue. Ce
qu'il appliquait uniquement aux relations villes-campagnes, nous som-
mes fondés maintenant à le proposer pour rendre compte des pratiques
résidentielles en ville.
Dans ce qui précède, la segmentation résidentielle est largement
commandée par les conditions socio-économiques de l'urbanisation. Dans
ce sens, il ya à nos yeux une corrélation entre la persistance ou la
reconstitution de groupes familjaux ou étendus en ville et la
constitution de systèmes résidentiels. En effet seule la multiplicité
des lieux de résidence liés les uns aux autres en un système
identifiable de relations sociales et économiques fondées sur les
relations de parenté, peut en.milieu urbain apporter un début de
solution au problème souvent aigU de densification qu'implique le
maintien de familles étendues. Dans certains cas (Santhiaba à Rufis-
que) on peut dire que la constitution de systèmes résidentiels pour-
rait être un critère de maturité, se traduisant par une recherche de
stabilisation et de mobilisation des synergies familiales.
- 505 -

Plus visible dans les quartiers anciens, ce double mou.vement de


segmentation résidentielle et de constitution de systèmes résidentiels
peut être repéré plus généralement dans les processus de croissance
urbaine, et à travers les formes spatiales de l'urbanisation. La
segmentation résidentielle, dans ses modalités, est largement
déterminée par les formes de la planification urba"ine, et les
modalités d'accès au sol urbain.
Ainsi comme le note A. S"inou, 1I1 a forme spatiale de l'unité
d'habitation, parcelle de faible surface aux limites inamovibles,
adoptée dès l'urbanisation coloniale, conduit à une dispersion
spatiale des groupes, lorsque les limites acceptables du développement
de la communauté sur place sont dépassées, ou requièrent un éclatement
du groupe La création de lotissements administratifs, instaurée à la
ll

période coloniale et continuée après les indépendances, a généralisé


un système d'attribution de parcelles, de dimensions modestes (1),
exclusivement à des chefs de familles considérées comme nucléaires,
conduisant ainsi à une dispersion résidentielle aléatoire et non plus
contrôlée. De même, les quelques programmes de logements économiques
inaugurés ici ou là (notamment à Dakar) dans les années 60 ont organi-
sé la segmentation résidentielle des familles attributaires, toutes de
type famille élémentaire, selon le modèle d'attribution emprunté à la
France.
Depuis une quinzaine d'années, ce système est encore renforcé, au
niveau des capitales, dans les projets d'habitat financés par une aide
extérieure, notamment celle de la banque Mondiale, qui a en quelque
sorte imposé un modèle dans ce doma"ine: raisonnant strictement en
termes de demande solvables, et constatant que celle-ci est très
basse, la Banque Mondiale requiert une réduction drastique des normes
de surface des parcelles (moins de 100 m2 dans certains cas), pour
aboutir à des coûts supportables financièrement par les familles
pauvres. Une segmentation résidentielle est ici obligée. Elle accélère
la dispersion familiale et compromet des regroupements ultérieurs,
même si les densités d'occupation s'élèvent rapidement (2).

(1) D'un usage en vigueur qui, selon les villes et les pays,
s'établissait à un minimum de 400 m2 par parcelle pour aller jusqu'à 1
000 m2, parfois plus, on est arrivé assez vite à une "norme" officiel-
le de l'administration, établie à plus ou moins 200 m2.
(2) Dans une enquête réalisée auprès d'un échantillon de 104 proprié-
taires occupants de parcelles assainies dans l'opération de la Banque
Mondiale à Dakar, A. Osmont a relevé (enquête 1983) un nombre moyen de
12,5 habitants par parcelle, plus élevé que les 10 prévus dans le
projet. Les maisons ayant à l'époque en moyenne 3, 7 pièces, le taux
d'occupation par pièce est de 3,38 personnes ce qui représente un taux
d'occupation élevé.
- 506 -

Par ailleurs la plupart des monographies réunies dans ce dossier


mettent l'accent sur la segmentation résidentielle entraînée par
l'apparition plus ou mo-ins ancienne de stratégies de constitution de
patrimoines fonciers par achat de terrains: à partir du moment en
effet où l'accès au sol urbain ne s'effectue plus par une voie
d'attribution de droits d'usage sur le sol, mais se fait par voie
d'achat, la segmentation résidentielle est quasi obligée.
Ces processus se traduisent bien, de fait, par une dispersion
familiale. celle-ci peut se traduire par une simple délocalisation, la
famille prenant peu à peu l'allure et les fonctions d'un réseau dont
les liens et la cohésion restent forts. Il y a alors système
résidentiel. Au contraire cette dispersion résidentielle peut conduire
à un éclatement de la famille, visant tout ou partie de ses éléments.
Les fragments qui se sont autonomisés complètement par rapport à la
famille étendue sont également isolés sur un plan résidentiel.
Ces différentes observations permettent donc d'affirmer qu'il n'y
a pas adéquation complète entre délocalisation familiale et segmenta-
tion familiale. Pour rendre compte de manière synthétique des phéno-
mènes identifiés et de la diversité des situations, nous proposons de
distinguer entre plusieurs types de systèmes résidentiels:
Le système résidentiel contigü (espaces d'une même concession, de
parcelles mitoyennes ) : on trouve ici des familles étendues, et plus
souvent encore des familles élargies, réunies en un lieu de résiden-
ce qui peut supporter dans une zone de proximité immédiate les proces-
sus de segmentation familiale (cf. la famille patriarcale décrite par
A. Marie).
~ système résidentiel groupé: La famille étendue, ou élargie,
peut trouver dans le quartier un support spatial pour la segmentation
familiale, à travers l'attribution de droits d'usage du sol (quartier
Santhiaba à Rufisque, ou Fadjiguila à Bamako). Ici le système de
segmentation résidentielle est encore largement contrôlé.
~ système résidentiel dispersé : ici le processus de
segmentation 'résidentielle est largement aléatoire, commandé par les
opportunités d'attribution ou d'acquisition de parcelles ou de
logements. Le groupe familial, étendu ou élargi, est dispersé en
plusieurs unités de résidence à l'échelle de la ville, parfois de
plusieurs villes, ou d'une ville et de villages.
Il convient de souligner que chacun de ces types n'existe
que rarement à l'état pur, et qu'ils peuvent varier selon l'extension
donnée à un même groupe familial, qui lui-même peut varier selon les
fonctions assumées par le groupe, et selon les époques (A. Osmont).
Ainsi dans la famille étendue étudiée par A. Osmont, il existe à la
fois un système groupé et un système dispersé. Il faut souligner par
ailleurs que cet essai de typologie ne comporte pas d'intention évolu-
tionniste, qui verrait une évolution linéaire entre segmentation fami-
liale et constitution de systèmes résidentiels allant du contigu au
dispersé. La délocalisation étant on l'a vu, largement dépendante des
mécanismes de développement urbain et de la planification urbaine, il
n'y a pas forcément concordance rigoureuse entre les processus de
segmentation familiale et résidentielle.
- 507 -

A partir de la proposition de classement ci~dessus, peut-on


avancer qu'il y a là l'esquisse d'une typologie résidentielle, qui
serait à prendre en compte dans la définition d'une typologie de
l'habitat?
Il est sans doute prématuré de généraliser, car il faudrait
systématiser les enquêtes comparatives sur cet axe de recherche, afin
de dépasser les limites actuelles des investigations: en effet si les
processus de densification sont aisément repérables parce que
localisés, ce que nous appelons système résidentiel l'est beaucoup
moins,lorsqu'il est délocalisé.
En fait cette question du logement et de la famille, ou des
systèmes résidentiels, est autant méthodologique que théorique: comme
le note Gutkind, "la majorité des observateurs ont eu tendance à
souligner les processus de fission à l'oeuvre, et ont accordé beaucoup
moins d'attention aux formes d'unification et aux fonctions posi-
tives". Seul la constructi on d'un objet d'étude fondé sur l'hypothèse
de l'existence des systèmes résidentiels peut permettre de les identi-
fier, notamment dans les enquêtes faites dans les quartiers périphéri-
ques récents. Et sans le recours à l'observation directe de caractère
anthropologique, cette réalité échappe à l'investigation. Toutefois,
en l'état actuel de la question, il est difficile de dire si ces types
de systèmes résidentiels vont constituer un mode habituel de résidence
dans les villes africaines, s'ils sont en croissance ou en régression,
par rapport aux modes de résidence plus proches du modèle européen :
logement/famille restreinte.
Il convient de rappeler par ailleurs qu'une hypothèse a été
formulée (Osmont) sur le rôle du groupe familial comme filière d'adap-
tation à la ville, qui légitime le double mouvement de concentration
auss i contrôlée que poss i bl e des membres du groupe. Il est donc peu
probable qu'on trouve de tels systèmes résidentiels ailleurs que dans
une popu lat i on urbaine re lat i vement stabi li sée, non margi na li sée,
ayant dépassé le stade de la survie immédiate, et en mob"ilité
ascendante. Ainsi E. Le Bris a rencontré peu de ces systèmes dans les
zones du front d'urbanisation à Lomé. Mais on risquerait "de méconnal-
tre certains aspects des processus d'intégration urbaine si on consi-
dérait comme irrémédiablement isolés, déracinés, tous les locataires,
tous les immigrants récents, tous les habitants des bidonvilles et des
quarti ers péri phéri ques. Un certai n nombre d'entre eux, phys i quement
et spatialement isolés, peuvent très bien appartenir à des réseaux,
notamment de parenté.
Enfin, par rapport à la question sur l'adéquation entre l'évolu-
tion des structures familiales et des modes de résidence, la plupart
des recherches montrent de manière convergente que les stratégies
foncières, présentes constamment maintenant dans les familles urbaines
africaines, devient un facteur majeur de délocalisation familiale.
Cependant, la constitution d'un sytème résidentiel peut très bien
constituer alors le support spatial de la famille, étendue ou élargie.
La segmentation à laquelle on assiste est plus une délocalisation du
groupe familial qu'une dislocation de la famille
- 508 -

D - Fécondité et perspectives de l'approche anthropologique


La spécificité de notre démarche a tenu à la transposition au
domaine urbain des méthodes de l'anthropologie sociale et culturelle
mises au point pour l'étude des sociétés rurales traditionnelles.
Ce type de démarche nlest certes pas neuf. L'anthropologie
urbaine anglo-saxone s'est depuis longtemps déjà intéressée à la
question de l'insertion en ville des nouveaux citadins issus des
milieux ruraux et à l'étude des phénomènes de persistance, de
déstructuration ou de transformation des institutions, des valeurs et
des comportements "traditionnels" au contact de la "modernité"
urbaine.
On a pu observer cependant que ce poi nt de vue présupposa it un
paradigme pré-conçu opposant tradition rurale et modernité urbaine,
paradigme largement caduc dans la mesure où le changement social
affecte autant les campagnes que la ville, et où les déterminants de
ce changement ne sont pas IIl a ll ville ou l'Il ur ban way of life ll , mais
des processus économiques et sociaux (développement du capitalisme,
généralisation des relations marchandes, développement du salariat,
internationalisation des rapports de production, dépendance des
capitalismes périphériques vis-à-vis des capitalismes centraux, etc.),
qui produisent des effets simultanés sur les campagnes (transformation
des techniques et des rapports de production, paupérisation relative
ou absolue, prolétarisation et exode rural, etc.) et sur les villes
(urbanisation dépendante, extravertie, croissance démographique et
sous-industrialisation, hypertrophie des activités tertiaires et
informelles, sous-emploi et chômage, sous-équipement et extension non-
contrôlée de l'espace urbain, avec l'entassement dans les quartiers
centraux, le développement IIspontanéll des franges urbaines et de
l'habitat précaire, l'insuffisance des politiques d'aménagement et de
logement, etc.).
Nous avons donc voulu ne retenir de la démarche anthropologique
que sa fécondité méthodologique, tout en rejetant ses présupposés
théoriques classiques. Dans le cadre de notre étude en particulier, -
les structures et pratiques de l'espace habité -, le risque ~ priori
de cette approche était de reproduire, dans le champ urbain, les
enqu~tes du type "ethnologie de l'habitat ll et de nous enfermer, à
notre insu, dans une forme de IIcu lturalismell : mettre en évidence la
seule dimension culturelle et symbolique de l'habitat, prendre comme
modèle référentiel l'habitat rural posé a priori comme "traditionnel ll
et lI au thentique ll , et, par comparaison,-analyser les formes et les
pratiques de l'espace urbain en termes de déficit, d'appauvrissement,
et d'imitation plus ou moins passive et maladroite de modèles dits
ll
1I 0cc identaux •
- 509 -

Nous pensons au contraire que le concept de "modèle culturel" est


en l'occurrence une commodité abusive et ttompeuse : postulant en
effet une certaine intangibilité de normes collectives induisant des
modes de comportement et d'organisation quasi intemporels et
spécifiques des cultures ethniques, ce concept ne permet de rendre
compte des adaptati ons et des changements observés en mil i eu urbain
qu'en termes abstraits de "contacts de cultures" ou "d'acculturation"
: la culture dominante imposant à la culture dominée, par le seul
effet de sa force de contagion, ses propres modèles, mais la dominée
pouvant lui opposer une certaine résistance par sa force d'inertie.
Corrélativement, une telle perspective est peu sociologique: réifiant
et hypostasiant la culture, elle conduit à ignorer les déterminations
socio-économiques et leur impact différencié selon les situations
historiques et selon les couches sociales concernées.
En bref, pour nous, les citadins africains ne se différencient
pas seulement selon leurs patrimoines ethniques particuliers, mais
aussi selon leurs situations sociales concrètes: leurs positions dans
le système des rapports de production et leur statut urbain
(propriétaires ou locataires; citadins de première génération ou
citadins de deuxième génération ou plus; habitants des quartiers
centraux ou des quartiers périphériques; autochtones ou étrangers;
etc). En outre, si nous ne négligeons nullement les déterminants liés
à des formes d'organisation familiale et sociale, à des modes de vie
quotidienne, à des représentations émargeant à un patrimoine transmis
dans les processus de socialisation et, en tant que tel, engendrant
des habitus (P. Bourdieu), systèmes de dispositions structurées-
structurantes intériorisés par les individus de même culture et
tendant à se reproduire, c'est sous réserve de montrer comment ces
déterminants culturels, plus exactement ces habitus, jouant dans des
situations socio-économiques concrètes, sont en partie modifiés par
elles tout en produisant, à leur épreuve, des solutions originales,
c'est-à-dire des solutions de compromis dynamique entre la simple
reproduction et la pure innovation.
Dans cette perspective, deux concepts nous paraissent d'une
grande valeur opératoire et heuristique: ceux de "pratique"(sociale
et culturelle) et de "stratégie". En effet, les pratiques, manières
concrètes de faire et d'agir en situation, sont, par définition, le
produit de compromis nécessaires, qui mettent en oeuvre et en évidence
les habitus, en tant que ceux-ci sont certes des manières de faire,
d'agir et de penser structurées par l'inculcation culturelle (en ce
sens on pourrait dire que ce sont des "habitudes" matricielles), et de
ce fait tendent à répéter des schèmes déjà éprouvés, mais en tant
qu'ils sont aussi mis à l'épreuve de situations inédites et
changeantes i mpos ant un trav ail de t ran s lOS i t i on ré i nterprétat ive.
Ainsi, la concession urbaine n'est pas a simple reproduction de
l'organisation spatiale du hameau rural familial, mais sa
réinterprétation dans une situation de densification et de clôture des
parcelles et dans un contexte juridique nouveau, introduit par le
- 510 -

colonisateur; de même, la famille élargie n'est pas la s"irnp1e


reproduction déficitaire de la famille étendue, mais le produit d'une
réinterprétation adaptative, fruit d'un compromis entre le maintien
nécessaire de l'entr'aide et la tendance, engendrée par des
contraintes objectives, à concentrer les efforts de mobilité sociale
sur les dépendants directs, donc sur la famille élémentaire.
Parmi les pratiques, il en est qui ont tout particulièrement
retenu notre attention, dans la mesure où elles sont hautement
significatives de ce travail de production de la société, qui est
certes déterminé par les situations objectives, mais qui est en même
temps sur-déterminé par la manière dont les agents sociaux y
réagi ssent, non seul ement par des réinterprétati ons, mais aussi par
des innovations.
Pratiques volontaires et finalisées, impliquant l'analyse des
situations et leur exploitation optimale en vue de maximiser à terme
les avantages, les stratégies de mobilité sociale ascendante, les
stratégies de capitalisation foncière et de spéculation immobilière
mobilisent certes des éléments réinterprétés de la tradition
(l'entr'aide familiale notamment), mais elles sont surtout des
réponses actives et inédites à des situations sociales, économiques,
politiques, imposant des solutions nouvelles: les migrations de
travail, l'investissement dans la scolarisation des enfants, la
spéculation sur les revenus locatifs, les nouvelles pratiques
immobilières et architecturales (durcification, densification,
élévation des étages), les différentes tentatives pour se prémunir
contre les effets de l'intervention de la puissance publique
(multiplication des achats de terrains dans différents quartiers,
course au titre foncier, anticipation sur des opérations de
lotissement prévisible, etc.) ne peuvent plus s'interprêter en termes
d'habitus spécifique, mais constituent au contraire, de plus en plus,
des pratiques stratégiques visant à faire face aux contraintes
définies par les déterminants externes, et à exploiter le nouveau
champ du pensable et du possible que ceux-ci constituent, et ce,
quelle que soit par ailleurs l'appartenance ethnique et culturelle des
citadins africains. De ce point de vue, le facteur déterminant et
discriminant les différentes catégories sociales, c'est leur position
dans le système économique et social urbain : plus exactement, c'est
la condition de classe, classe étant entendu ici comme un lIensemb1e
d'agents qui sont placés dans des conditions d'existence homogènes,
imposant des conditionnements homogènes et produisant des systèmes de
di sposti ons homogènes, propres à engendrer des prati ques semb1 ab 1es .•. 11

(l) .

(1) P. Bourdieu, La distinction, Paris, Les Editions de Minuit, 1979,


p .112.
- 511 -

Or, la démarche anthropologique.est mieux à même que d'autres


approches, plus extensives, plus globalisantes et plus quantitatives,
de mettre en évidence pratiques et stratégies et leurs logiques sous-
jacentes. En effet, seule, l'observation directe, de longue durée et/
ou par passages répétés, sur de petites unités sociales réelles
(c'est-à-dire non construites par l'intention analytique: pour ce qui
nous concerne, les familles, les réseaux de parenté, les unités de
voisinage, les quartiers ou sous-quartiers), appréhendées (idéalement)
dans l'ensemble de leurs manifestations sociales et spatiales, donne
accès aux multiples pratiques non spectaculaires qui tissent la trame
de la quotidienneté vécue. Car celles-ci, qui sont le produit
d'habitus anciens, donc naturalisés et, de ce fait, largement
inconscients, ne sont pas l'objet de formulations explicites de la
part de leurs acteurs. Elles ne peuvent donc qu'échapper au jeu de la
question-réponse des enquêtes classiques. Il en est ainsi, par
exemp le, des usages quot id i ens de l'espace habi té dont on a pu
constater qu'ils correspondaient à des codes implicites, à une logique
de la pratique ordinaire non formulée mais non moins rigoureusement
structurée pour autant. -Il en est ainsi également des pratiques de
sociabilité par lesquelles se maintiennent des réseaux extensifs de
relations et d1entr'aide (dans le cadre du lignage, de la famille
étendue, de la parenté par alliance), lesquels passent notamment par
deux créations de compromis originales: la famille élargie et les
systèmes résidentiels. Or ni l'une ni l'autre ne sont l'objet de
représentations suffisamment explicites (aucun concept en langue
vernaculaire ni en français courant ne leur correspond) pour que l'on
ait pu en enregistrer l'existence (et a fortiori en étudier la
structure et le fonctionnement) par le moyen du seul questionnaire, si
ouvert fût- il.
De plus, la diversité, sur fond de tendances communes, des
formules concrètes, tant au plan de l'aménagement de llespace habité
qu'à celui des modes de réalisation de la structure familiale, ne peut
être restituée qu'à travers des études de cas approfondies: ainsi la
complexité du réel n'est-elle pas abusivement travestie par des
régularités et moyennes statistiques, dont la sécheresse comptable et
la précision apparente occultent en fait le caractère mouvant et
foisonnant.
La réalité des villes africaines se laisse donc difficilement
enfermer dans des coupes stratigraphiques instantanées. Faites pour
l'essentiel de bricolages se développant dans les nombreux espaces
laissés vacants par un appareil d'Etat sous-équipé, impuissant à
intégrer selon une logique unifiée la multitude des nouveaux
citadins, les villes africaines, soumises de plus à des taux de
croissance non-maitrisés et contraintes d'accueillir des populations
d'origines ethniques et régionales fort diversifiées, sont le théâtre
de changements multiformes qu'il est difficile d'appréhender à
l'échelle macro-sociologique puisqu'ils échappent en grande partie à
toute régul ati on programmée. Les soci étés urbai nes d'Afri que sont le
- 512 -

produit de l'articulation entre les grands mécanismes planétaires,


réfractés par des appareils d'Etat ne disposant que d'une marge de
manoeuvre bien réduite d'une part, et d'autre part les mille et une
micro-décisions pratiques de leurs multiples composantes hétérogènes
(du point de vue historique et culturel comme du point de vue socio-
économique); elles sont donc prises dans un processus de changement
rapide et contradictoire, qu'on ne peut réduire à sa seule dimension
d'effet induit du dehors et d'en haut: il faut aussi aller voir ce
qui se passe dans "le bas".
Dans ces conditions, toute approche exclusivement macro-
soc i 0 log i que et macro-économ i que es t i névitab l ement part i elle. En
particulier elle ne peut appréhender la dimension stratégique des
conduites des acteurs sociaux de la "base", c'est-à-dire de la grande
majorité de ceux qui, à travers des pratiques d'adaptation et de
compromis, mais aussi de résistance, de détournement et d'utilisation,
contribuent également, à leur manière, à produire la société urbaine.
Or les stratégies, soit qu'elles restent encore très proches des
schèmes inconscients de l'habitus (la gestion des réseaux de
solidarité notamment), soit qu'elles sont plus délibérées mais se
situent dans un contexte de quasi illégalité ou, du moins, se
développent sous la menace potentielle des interventions de l'Etat (la
spéculation foncière, par exemple, ou les activités économiques plus
ou moins clandestines ou tolérées), ne sont accessibles à
l'observation que par le biais d'un contact prolongé et approfondi
avec les acteurs sociaux (1). De plus elles se développent
nécessairement, les stratégies de mobilité sociale notamment, dans la
longue durée et dans la mobilisation collective des ressources
matérielles et du capital symbolique.
Pour ces raisons, les monographies de familles, avec utilisation
de la méthode généalogique complétée par le recueil d'itinéraires
biographiques, sont particulièrement adaptées à leur étude. En effet
elles permettent une approche à la fois diachronique, l'étude des
~rocessus se développant sur plusieurs générations (les différentes
tapes du processus migratoire et d'appropriation de l'espace urbain,
les phénomènes de mobi lité et d'essaimage résidentiels, l'évolution
des cursus matrimoni aux et professi onnel s), et synchroni que, l'étude
des systèmes de relations sociales (les structures de la famille et de

(1) Cequ i pose bien entendu des questions d'ethique professionnelle


qu'on ne saurait éluder. Les mailles du filet anthropologique sont
évidemment plus serrées que celles du filet sociologique: elles
retiennent des informations qui échappent au questionnaire classique.
Or certaines de ces informations peuvent se retourner contre les
enquêtés, et, en tout cas, être utilisées pour renforcer les moyens du
contrôle sur eux. L'anthropologue se doit de pratiquer en l'occurrence
une certaine forme d'auto-censure. Pour une analyse plus détaillée de
la question, cf. J.M Gibbal, E. Le Bris, A. Marie, A. Osmont, G. Salem
"Position de l'enquête anthropologique en milieu urbain africain",
Cahiers d'études africaines XXI, (1-3), 81-83, 1981, pp. 11-24.
- 513 -

l'habitat, les groupes d'entr'aide et de solidarité, les formes


d'articulation d'activités économiques de divers types, les modes de
sociabilité mis en oeuvre dans les réseaux sociaux plus larges et dans
des "appare ils i déo log i ques" autogérés comme le culte des ancêtres,
les cultes de possession, la divination, etc.), ainsi que les
représentations en formes de commentaires qui accompagnent et
interprètent ces processus et ces systèmes de rel ati ons, constituant
ainsi de nouvelles formes de conscience sociale.
L'un des principaux intérêts de la méthode est en particulier de
montrer comment les groupes familiaux (familles étendues ou familles
élargies) sont le lieu par excellence de la gestion des contradictions
engendrées par l'urbanisation dépendante et des compromis que celle-ci
impose, notamment entre des habi tus conservateurs et des stratégi es
innovatrices.
Par exemple, la contradiction entre matrilinéarité traditionnelle
et patri linéarité moderne, gérée par la fami lle él argie, noyau
agnatique autour duquel viennent s'agréger des segments utérins; la
contradiction entre les formes de solidarité traditionnelle et la
délocalisation des structures de type lignage ou famille étendue,
gérée par le maintien de réseaux matérialisés par les systèmes
résidentiels, distendus (â l'échelle de l'agglomération, entre
plusieurs agglomérations, entre la ville et la campagne), ainsi que
par la persistance des grands rituels collectifs (les funérailles
notamment) dans la grande maison-mère familiale; la contradiction
entre l'inextensibilité des parcelles ubaines et les principes de
l'habitat communautaire conjugué à celui de l'autonomie de logement de
chaque adulte, gérée par le dispositif spatial de la concession ainsi
que par l'essaimage résidentiel; la contradiction entre l'insuffisance
des revenus salariaux et la croissance des besoins monétaires, gérée
par la fonction de société de crédit mutuel remplie par la famille
étendue et par les associations de type tont-ine, gérée aussi par la
réinterprétation de la division sexuelle du travail dans le sens d'un
fréquent abandon aux femmes des dépenses relatives à l'élevage des
enfants, tandis que l'homme se réserve les dépenses productives
(investissements fonciers et immobiliers); la contradiction
conséquente entre la polygamie et l'indépendance accrue des cellules
matricentriques, gérée par la résidence séparée des conjoints; etc•••
En outre, ce que, seule, l'observation qualitative peut faire
apparaître, c'est que la gestion de ces contradictions par le groupe
familial obéit à une logique des pratiques. En d'autres termes, les
pratiques qui se développent dans les différents champs d'activités
s'articulent de manière relativement cohérente, ce.qui justifie, le
plus souvent, qu'on les qualifie comme stratégies. En particulier
chez les citadins anciens, et surtout chez ceux qui bénéficient déjà
d'une insertion dans l'économie moderne (cadres moyens, enseignants,
employés, ouvriers qualifiés), ces stratégies répondent à une logique
dominante qui est toujours de préservation des avantages acquis et
- 514 -

d'accumulation du capital (matériel et symbolique). Dans les couches


inférieures (petits artisans et petits commerçants du secteur
informel, ouvriers non qualifiés) la logique des pratiques est en un
sens plus diversifiée: on y consacre plus de temps à la gestion des
formes de sociabilité traditionnelles auxquelles on est peut-être plus
attaché, dans 1a mesure où elles apportent des gratifications
matérielles et symboliques qu'on trouve plus difficilement dans des
activités professionnelles qui, pour la plupart, sont de simple
subsistance. Cependant, quand on y bénéficie d'une rente foncière
provenant d'un patrimoine coutumier hérité, on s'efforce souvent,
comme dans les couches supérieures, de l'utiliser à de nouveaux
investissements (achats de terrains, constructions à usage locatif),
et ainsi, d'entrer également dans un processus de mobilité sociale
ascendante. Dans d'autres cas, la rente foncière est le seul moyen
d'éviter la paupérisation et la prolétarisation, dans la mesure où
elle constitue la principale source de revenus permettant de
subsister, quand les revenus d'origine salariale ou provenant d'une
activité indépendante sont trop faibles et intermittents. Mais dans
tous les cas, par conséquent, la propriété foncière est l'enjeu de
stratégies complexes, soient-elles seulement défensives (de sauvegarde
de droits fonciers mal assurés contre d'éventuelles emprises étatiques
et menacés de l'intérieur par des rivalités ou des contestations,
notamment au moment de l'héri tage).
Bien entendu, toutes ces stratégies foncières supposent une dis-
symétrie fondamentale: celle qui oppose globalement les propriétaires
à l'ensemble de la population locataire. A ce titre, et parce que dans
sa grande majorité, elle est composée de néo-citadins occupant les
emplois les plus précaires et les moins qualifiés, cette population
est l'objet d'une double exploitation, qui permet les stratégies
d'accumulation ou de reproduction simple des diverses couches
supérieures. Il serait donc particulièrement intéressant d'étudier
également les pratiques spatiales et sociales de ces néo-citadins,
notamment dans le but d'éva1uer la part respective de celles qui
relèvent d'une simple stratégie de survie au jour le jour, et de
celles qui relèvent éventuellement d'une stratégie de mobilité
possible. De la sorte, il serait possible de mieux pondérer le degré
de blocage de la stratification sociale en classes se reproduisant à
l'intérieur de limites de plus en plus difficiles à franchir.
Tel n'était point notre propos, puisque il s'agissait, dans cette
étude, de mettre en évidence des pratiques relativement autonomes et
spécifiques, c'est-à-dire non pré-déterminées par des conditions
objectives trop contraignantes. Il n'en reste pas moins que les
résultats de notre recherche gagneraient à être mis en perspective
comparative, d'une part avec une analyse des pratiques des couches les
plus démunies, d'autre part avec une analyse des pratiques des couches
dominantes, dont on a pu mesurer, incidemment, que par effet de
démonstration, elles contribuaient à diffuser des modèles de
consommation plus ou moins inspirés des modèles occidentaux.
- 515 -

Dans la même perspective, la relation à l'appareil d'Etat,


qu'elle se matérialise .à l'occasion d'interventions effectives ou
qu'elle se manifeste à travers des attitudes plus ou moins diffuses et
ambivalentes de revendications ( en matière d'aménagement des
quartiers) et de crainte (d'expropriations éventuelles), est au coeur
de bien des stratégies. En d'autres termes, que la pol itique urbaine
se traduise par des opérations ponctuelles de logement "économique",
par des réalisations de prestige ou de lotissements assorties de
"déguerpissements", bu qu'elle soit de laisser-faire, mais dans un
contexte juridique et règlementaire dont le caractère partiel, mal
adapté et flou autorise des interprétations contradictoires et fait
toujours planer la menace d'actions non concertées et plus ou moins
arbitraires, dans tous les cas l'Etat, de même que les intervenants
extérieurs auxquels il peut faire appel (sociétés d'études, organismes
internationaux, organisations non gouvernementales), sont des acteurs
de la production urbaine que, même en travaillant au ras des pratiques
ordinaires les plus localisées, l'anthropologue rencontre
inévitablement, ne serait-ce que comme figures fantomatiques,
menaçantes et redoutées, ne serait-ce que comme une présence absente
qui est la hantise du citadin (et que la présence de l'anthropologue,
cet arpenteur-recenseur, réactualise chaque fois: annonce-t-elle une
expropriation? une imposition?). Ainsi l'espace urbain apparait-il
comme un enjeu crucial, donc comme un révélateur, de stratégies
concurrentes mettant aux prises, schématiquement, trois types de
protagonistes: les acteurs étatiques ou para-étatiques des politiques
urbaines; les différentes couches de propriétaires (bourgeoisie
d'Etat, moyenne et petite bourgeoisie de vieux citadins, propriétaires
fonciers à titre coutumier des vieux villages englobés par la ville ou
des communautés rurales rejointes par elle); et enfin les différentes
couches de non-propriétaires (paysans sans terre et néo-citadins,
locataires, squatters ou propriétaires à titre précaire et mal
défini) .
Or une approche de type anthropologique peut permettre de
préciser cette problématique générale, notamment par le moyen de
l'analyse situationnelle et de l'analyse institutionnelle: l'étude in
vivo de situations (opérations de rénovation, restructuratio~
1OTIssement, parcelles assainies, implantation d'équipements
collectifs, etc.) mettant face à face ces différents acteurs, leurs
stratégies respectives, et leurs rapports de pouvoir, l'étude de
l'intérieur des discours, des représentations sous-jacentes et dëS
pratiques mis en oeuvre à cette occasion par les institutions etleurs
a~ents (les différentes composantes de l'appare:il d'Etat -minTStères,
d,rections .techniques, parti-, impliquées dans l'-intervention et les
organismes de développement qui y sont associés), ainsi que, de
l'autre côté, par les différentes couches de la population concernée,
permettraient ainsTde mettre en êvidenceladîversitê des logiques
spatiales et sociales en présence.
Il s'agirait de la sorte:
- de mieux en dévoiler les enjeux et le fonctionnement respectifs;
- 516 -

- de repérer leurs contradictions internes et, par suite, d'affiner


les trop grossiers paradigmes macro-sociologiques opposant de
manière simpliste logique étatique et logique populaire, ou, en
variante, interventionnisme et spontanéisme;
- conséquemment, de préciser, dans leur complexité, les modalités de
leur articulation, sans concevoir celle-ci sur le seul mode de la
contradiction.
Tel est l'objectif que notre équi pe se propose dorénavant sous
l'intitulé suivant: "L'espace urbain africain comme enjeu: modèles
de sociabilité, stratégies de pouvoir et pratiques sociales".
- 517 -

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