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978-2-10-058056-9

À mes collègues, avec qui j’ai toujours eu beaucoup de plaisir


à échanger. Ce sont eux qui m’ont transmis ces idées
sur le métier de professeur.
Table des matières

Avant-propos. Et si la peur d’enseigner était normal ? XIII

P REMIÈRE PARTIE

R ECONNAÎTRE LE RÔLE NÉFASTE DE LA PEUR


D ’ ENSEIGNER DANS LA TRANSMISSION DES SAVOIRS

1. Pourquoi parler de la peur d’enseigner ? 3


Quand la peur de s’adapter devient peur d’enseigner 3
Avec la peur d’enseigner, c’est toute la pédagogie qui se
dérègle 4

2. Comment j’ai rencontré la peur d’enseigner ? 7


La peur d’enseigner est parfois visible 7
La peur d’enseigner peut se cacher derrière une apparente
maîtrise 8
La peur d’enseigner n’est pas une fatalité 9
La coréflexion peut transformer la peur d’enseigner en plaisir
d’enseigner 9
VIII TABLE DES MATIÈRES

3. Savoir reconnaître un professeur touché par la peur


d’enseigner 11
Une pratique pédagogique pour se protéger 11
Une rencontre difficile avec les élèves, 11 • Deux styles
pédagogiques bien différents, 12 • Un travail en équipe
qui n’intéresse pas, 12 • Une déstabilisation devant la
difficulté à apprendre, 13 • Des professeurs qui
souffrent, 13
Un discours sur le métier pour se justifier 14
Un discours déresponsabilisant et défaitiste, 14 • Une
vision restrictive et clivée du rôle du professeur, 14 •
Une phobie de la classe hétérogène, 14 • Des difficultés à
trouver la bonne distance relationnelle avec les élèves, 15
• Un refus du travail en équipe et de la réflexion sur la

pédagogie, 15

4. Les causes de la peur d’enseigner 17


Manque ou excès d’autorité ? 17
Ne pas confondre des principes dictés par la survie
pédagogique avec des choix idéologiques 18
Des professeurs encouragés au conformisme 18
Le rôle néfaste des directives officielles 19

5. Les méfaits de la peur d’enseigner dans la réalité


quotidienne 23
Une pédagogie qui ne peut pas s’adapter devant la difficulté
d’apprentissage 23
Le scandale des laissés pour compte, 23 • Une
pédagogie qui se laisse aveugler par les manques pour
expliquer la difficulté d’apprentissage, 24
Une école qui ennuie et divise 25
La bonne pédagogie aide les élèves à affronter les
contraintes de l’apprentissage, 25 • Les bons élèves
n’aident pas les professeurs qui ont peur d’enseigner à
progresser, 26 • Ce sont les moins bons qui vont payer le
prix de cette pédagogie de l’excellence, 27
Une pédagogie qui isole et médicalise la difficulté 28
TABLE DES MATIÈRES IX

6. Peur d’apprendre, peur d’enseigner, le couple infernal 33

7. Comment peur d’apprendre et peur d’enseigner


s’entretiennent ? 39
Des stratégies pour apprendre qui cassent la bonne démarche
pédagogique 39
Le conformisme de pensée, 40 • L’association
immédiate, 40 • Le besoin de certitude, 41 • Pourquoi
ces défenses qui touchent le fonctionnement intellectuel
entretiennent la peur d’enseigner ?, 42
Un comportement déplorable qui gène la conduite du groupe 43
Une curiosité déroutante, activée par les ressorts les plus
infantiles du désir de savoir 44
Un langage inexploitable qui freine la communication et ne
permet pas une stimulation de la pensée 45
Un vécu d’injustice permanent qui déstabilise les professeurs 46

8. Savoir reconnaître la peur d’apprendre,


une priorité pour réduire la peur d’enseigner 49
Cessons de confondre manque de bases et empêchement de
penser 49
Comment faire la différence entre les deux formes de la
difficulté à apprendre ? 50
Un test de repérage facile à réaliser pour distinguer les deux
formes de la difficulté à apprendre 51
Évaluer les six compétences de base en une heure, 51 •
Le test repérage en neuf séquences, 52 • Repérer la peur
d’apprendre : les signes qui doivent alerter, 54
Ne pas utiliser ce test pour justifier la peur d’enseigner 61
X TABLE DES MATIÈRES

D EUXIÈME PARTIE

T ROIS CHANGEMENTS PÉDAGOGIQUES MAJEURS

Premier changement. Retrouver l’esprit d’initiative


et de liberté qui doit inspirer la pédagogie 65
1. En finir avec la peur de la hiérarchie 67
Le professeur ne saurait être un simple exécutant, 67 • Et
si les freins aux changements étaient plutôt du côté des
enseignants que de la hiérarchie ?, 69
2. Savoir résister aux messages simplistes 71
La rigueur et l’intérêt ne sont pas contradictoires, 71 •
Éviter de creuser les écarts dès l’école maternelle, 72 •
En pédagogie chacun croit savoir ce qu’il faut faire, 73
3. Ne pas laisser pervertir la pédagogie par les évaluations 75
L’évaluation fait partie des processus de transmission, 75
• L’évaluation à l’âge d’or de la pédagogie, 78

4. Montrer l’image d’un adulte engagé dans la pensée 81


Résister à l’usure professionnelle, 81 • La culture est le
meilleur stimulant pour la pensée du professeur, 82 • Le
travail en équipe : le meilleur rempart contre la peur
d’enseigner, 83
5. Profiter des recommandations du socle commun de
connaissances et de compétences 85
Des objectifs qui ne négligent plus les compétences et les
attitudes, 85 • Des pistes pédagogiques encore à
inventer, 86 • La pédagogie marche sur deux jambes, 88

Deuxième changement. Une heure de culture humaniste


journalière 89
1. Savoir traiter avec les moins bons pour améliorer le niveau
de tous 91
Un nouvel élan pour la pédagogie, 91 • Les besoins
fondamentaux des empêchés de penser ne sont pas
compatibles avec le conformisme pédagogique, 94 • Un
changement qui peut lui aussi inquiéter, 95
TABLE DES MATIÈRES XI

2. S’appuyer sur une pédagogie médiatisée par la culture et le


langage 97
Pourquoi l’heure de culture humaniste ne doit pas faire
peur aux professeurs ?, 100 • Un ressort aussi pour le
professeur, 101
3. Oser aborder les activités les plus délaissées par la
pédagogie 105
1. Oser traiter avec la curiosité primaire, 106 • 2. Oser
aborder les préoccupations personnelles avec la
culture, 107 • 3. Oser entraîner les élèves à l’expression
personnelle, 112 • 4. Oser donner du sens et des racines
aux savoirs proposés en classe, 116 • 5. Oser créer une
cohésion groupale, 123 • La démarche de chacun s’en
trouve améliorée, 126
4. Ne pas avoir peur d’évaluer les effets de cette pédagogie 129
Des effets immédiats et évidents à repérer pour le
professeur, 131 • Des effets sur le long terme parfois
plus difficiles à repérer, 133
5. Se dégager de la peur d’enseigner grâce à la pédagogie
médiatisée par la culture humaniste 137

Troisième changement. Ne plus avoir peur


du travail en équipe 141
1. Le rôle bénéfique de l’équipe n’échappe à personne 143
Pourtant la réflexion en équipe sur la pédagogie n’existe
pratiquement pas dans les écoles, 144 • Quelles raisons
sont invoquées pour ne pas se lancer dans un véritable
travail d’équipe ?, 144 • Et si ces raisons invoquées en
cachaient d’autres ?, 145
2. Un frein majeur au travail en équipe : ne pas vouloir
montrer ses doutes dans une institution qui elle-même ne se
remet pas en cause 149
Que peut-on faire pour favoriser le travail en
équipe ?, 150
XII TABLE DES MATIÈRES

Conclusion.
Si nous voulons en finir avec la peur d’enseigner 151
1. Redonnons un rôle majeur à la culture et au langage 151
2. Ne laissons pas les passéistes agiter les trois malentendus
qui empêchent l’école d’évoluer 152
Premier malentendu : L’expression, l’intérêt, le groupe...
pour expliquer l’absence de rigueur et d’autorité, 152 •
Deuxième malentendu : L’impérialisme du manque pour
expliquer l’échec scolaire, 153 • Troisième malentendu :
La classe hétérogène pour expliquer les
dysfonctionnements du système, 153
3. Valorisons la formation et la réflexion sur la pratique
pédagogique 154

Bibliographie 155
Périodiques 158

Index 159
Avant-propos

Et si la peur d’enseigner
était normal ?

son titre peut paraître ambigu, le but de cet ouvrage


M ÊME SI
n’est pas de pousser une nouvelle charge contre les ensei-
gnants. Il se veut avant tout force de proposition pour restaurer
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

l’exigence d’un savoir-faire pédagogique qui nous manque cruel-


lement aujourd’hui.
Comment un professeur pourrait-il transmettre les connais-
sances qui devraient être maîtrisées par chacun à la fin de sa
scolarité sans être préparé à traiter avec l’empêchement de penser
qui est la première cause de l’échec scolaire ?
Comment peut-il espérer faire affronter la rigueur des appren-
tissages à une trentaine d’enfants ou d’adolescents de niveau
hétérogène, sans être formé à la gestion des groupes ?
Comment va-t-il faire progresser sa pratique pédagogique sans
être engagé dans une concertation régulière et une expérimentation
en équipe ?
XIV A VANT- PROPOS

Dans ces conditions, la peur d’enseigner est un sentiment


normal. Il ne faudrait surtout pas croire qu’elle est réservée aux
débutants, chez le professeur chevronné elle se camoufle souvent
derrière une autorité ou une démagogie excessives qui limitent
les problèmes relationnels certes, mais accentuent les stratégies
défensives des élèves les plus démunis devant l’apprentissage.
Au moment où l’on parle de socle commun des connaissances,
basé sur des compétences, des attitudes, des savoir-faire, pour
nos élèves, ne serait-il pas judicieux d’envisager un programme
comparable pour nos professeurs ?
PARTIE 1

RECONNAÎTRE LE RÔLE
NÉFASTE DE LA PEUR
D’ENSEIGNER DANS
LA TRANSMISSION
DES SAVOIRS
Chapitre 1

Pourquoi parler de la peur


d’enseigner ?

Q UAND LA PEUR DE S ’ ADAPTER


DEVIENT PEUR D ’ ENSEIGNER
Échec scolaire, incivilité, décrochage... Alors que se multiplient
depuis quelques années les élèves et les classes qui ne sont
plus en mesure de répondre aux exigences des programmes,
les adaptations pédagogiques qui devraient se généraliser pour
affronter le problème sont inexistantes ou presque. Seuls, ceux qui
préconisent un retour aux méthodes d’autrefois se font entendre.
Paradoxalement, le changement qui permettrait d’affronter
ces situations délicates, est vécu comme porteur de risques de
dérapage, voire de transgression des instructions officielles par
les professeurs eux-mêmes, qui préfèrent continuer comme si
4 R ECONNAÎTRE LE RÔLE NÉFASTE DE LA PEUR D ’ ENSEIGNER

de rien n’était. Bien entendu, cet immobilisme n’est pas sans


conséquence :
• il aggrave les difficultés des écoles et des collèges ;
• il accentue la marginalisation et la contestation des élèves les
plus résistants ;
• il provoque chez les professeurs une véritable peur d’enseigner,
qui diffuse très largement sur tous les aspects du métier.
Entre les élèves contestataires et les formations indigentes,
entre les programmes trop lourds et les inspecteurs tatillons, entre
les évaluations excessives et les parents intrusifs, les raisons
auxquelles peut se raccrocher et se justifier la peur d’enseigner
sont multiples. Le plus souvent, elles interfèrent l’une sur l’autre.
Sur un tel sujet de toute façon, il ne sera jamais facile de démêler
la cause de ses effets. La réflexion sur la pratique pédagogique qui
pourrait permettre de comprendre et de réduire le phénomène dans
chaque école, n’existe pratiquement pas. C’est sans doute elle qui
fait le plus peur aux enseignants.

A VEC LA PEUR D’ ENSEIGNER ,


C ’ EST TOUTE LA PÉDAGOGIE QUI SE DÉRÈGLE
En tout cas lorsque ces forces négatives sont à l’œuvre, elles
se conjuguent pour alimenter une pédagogie sans imagination
et ennuyeuse, dans un cadre où seules l’autorité excessive et la
démagogie rampante permettent aux élèves et aux professeurs de
jouer leur rôle respectif, dans une parodie d’apprentissage.
Quelles sont les raisons profondes de la peur d’enseigner ?
Le comportement des élèves justifie-t-il d’en avoir peur ? La
formation, les évaluations, les programmes participent-ils à l’ag-
gravation du phénomène ? La peur d’enseigner a-t-elle une res-
ponsabilité dans le piètre rang tenu par notre école dans les
classements internationaux ? Quelles voies peut-on privilégier
pour espérer réduire la peur d’enseigner, voire pour la transformer
en plaisir d’enseigner ?
Ayant connu moi-même la peur d’enseigner, avant de la ren-
contrer chez bon nombre de mes collègues, ayant régulièrement
1. P OURQUOI PARLER DE LA PEUR D ’ ENSEIGNER ? 5

la possibilité de vérifier sa force contagieuse dans les écoles et


dans les collèges où je suis invité à débattre de l’empêchement
de penser et de la peur d’apprendre des élèves, je me suis senti
autorisé à traiter ce sujet particulièrement délicat.
Nous verrons qu’en plaçant le projecteur du côté de la difficulté
du professeur et non plus de celle de l’élève, nous ouvrons de
nouvelles portes pour concevoir une pédagogie qui ose affronter
les problèmes que nous posent les élèves d’aujourd’hui.
Chapitre 2

Comment j’ai rencontré


la peur d’enseigner ?

L A PEUR D’ ENSEIGNER EST PARFOIS VISIBLE


La peur d’enseigner je l’ai d’abord connue à titre personnel,
lors de mes débuts dans le métier d’instituteur. Comme souvent
elle était provoquée par la rencontre avec des élèves contesta-
taires. Certains d’entre eux s’opposaient ouvertement à moi. Non
seulement je n’arrivais plus à les concerner par mes propositions
pédagogiques mais ils me déstabilisaient et me faisaient perdre la
maîtrise du groupe, n’hésitant pas à monter la classe contre moi.
Je ressentis alors un sentiment étrange où s’entremêlaient des
idées d’impuissance et d’imposture. J’en arrivais à redouter la
rencontre avec le groupe de mes élèves et avec mes collègues.
Je ne voulais plus communiquer avec le directeur de l’école qui
pourtant aurait pu m’aider. Ne plus pouvoir maîtriser la situation,
ne plus être à la hauteur des enjeux du métier, me déstabilisaient et
8 R ECONNAÎTRE LE RÔLE NÉFASTE DE LA PEUR D ’ ENSEIGNER

me déprimaient. Les idées d’auto dévalorisation, de perte d’estime


de soi que l’on décrit si bien chez les élèves étaient tout à fait là.
Selon mes humeurs du jour, j’oscillais entre la culpabilité de
ne plus pouvoir tenir mes objectifs et l’agressivité envers une
institution qui me laissait tomber, même si je faisais tout pour
qu’elle ne soit pas au courant de ce qui m’arrivait. J’étais alors sur
le premier palier de la peur d’enseigner, celui où elle est évidente.
Si j’avais eu encore un doute là-dessus, la boule que j’avais, au
creux de l’estomac, en entrant dans l’école chaque matin, venait
me le confirmer.

L A PEUR D’ ENSEIGNER PEUT SE CACHER


DERRIÈRE UNE APPARENTE MAÎTRISE
Pour ne pas que cette contestation professionnelle se transforme
en remise en cause personnelle, j’ai fait ce que font beaucoup
de professeurs. J’ai mis en œuvre les moyens de défense qui
étaient à ma portée. En quelques semaines j’ai rétabli la situation
à mon avantage. Pour me protéger, je me suis enfermé dans une
rigidité autoritaire, j’ai limité l’expression des élèves, j’ai multiplié
les exercices pour les mettre en concurrence, j’ai culpabilisé et
sanctionné ceux qui ne travaillaient pas assez, j’ai marginalisé les
contestataires.
Cette nouvelle posture m’a donné du répit. Si je n’avais pas de
plaisir à enseigner ainsi, je soufflais et je retrouvais peu à peu ma
stabilité avec la maîtrise de la classe.
Pour me rassurer et être en harmonie avec moi-même, je défen-
dais l’idée que cette pédagogie sans imagination et ennuyeuse,
servait les élèves. Je n’hésitais plus à dire, qu’apprendre repose
d’abord sur la rigueur et la contrainte. Je soutenais avec détermi-
nation que la répétition et l’entraînement intensifs sont plus utiles
pour conquérir les savoirs que des apports culturels fumeux dont
l’intérêt n’est jamais démontré. Pour en conclure avec ces idées
qui avaient germé après cette courte expérience pédagogique : je
rejetais la classe hétérogène, affirmant avec beaucoup de certitude
qu’il est impossible de lutter contre l’échec scolaire dans une
classe qui ambitionne de faire le programme avec ses bons élèves.
2. C OMMENT J’ AI RENCONTRÉ LA PEUR D ’ ENSEIGNER ? 9

Je croyais ainsi être débarrassé de la peur d’enseigner. En fait,


c’est elle qui guidait toujours mes choix pédagogiques. Elle réap-
paraissait sous une forme beaucoup plus insidieuse et pernicieuse.
Une forme qui faisait de moi, un répétiteur, un évaluateur, un
sélectionneur mais plus un instituteur. Sans m’en cacher et avec
la bénédiction de tout le monde, j’organisais la coupure entre les
bons et les mauvais élèves.

L A PEUR D’ ENSEIGNER N ’ EST PAS UNE FATALITÉ


Heureusement pour moi et pour les élèves que j’ai rencontrés
par la suite, dès l’année suivante j’ai été nommé dans une école
spécialisée qui recevait des enfants avec des troubles du compor-
tement. J’y ai rencontré des collègues qui m’ont engagé dans une
véritable réflexion sur la pédagogie.
Nous nous réunissions chaque semaine pour observer, réfléchir
et expérimenter ensemble. Ces réunions étaient obligatoires et
comprises dans mon emploi du temps. Malgré mes réticences à
m’engager dans ce type de travail qui me remettait beaucoup en
question, j’ai compris que pour aider l’ensemble de mes élèves et
retrouver le plaisir d’enseigner, il me fallait sortir, de ces artifices
qui ne permettaient plus de compter sur l’intérêt et l’expression
des élèves pour avancer. J’ai commencé à comprendre que les
causes de la difficulté à apprendre ne pouvaient pas toujours être
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

réduites à des explications simples sur le manque de connais-


sances, de compétences ou de motivation, mais qu’elles étaient
aussi dues à un fonctionnement intellectuel singulier, aménagé sur
de l’évitement de penser.

L A CORÉFLEXION PEUT TRANSFORMER LA PEUR


D ’ ENSEIGNER EN PLAISIR D ’ ENSEIGNER
Avec l’aide de mes collègues plus aguerris, qui m’aidaient à
comprendre les effets de ma pratique et à gérer les conflits que je
rencontrais, j’ai pu repérer ces mécanismes qui bloquaient certains
de mes élèves. J’ai pu leur donner du sens et découvrir le rôle de la
10 R ECONNAÎTRE LE RÔLE NÉFASTE DE LA PEUR D ’ ENSEIGNER

peur d’apprendre et de son corollaire « l’empêchement de penser »


dans l’échec scolaire.
J’ai surtout pu expérimenter l’impact d’un apport culturel
intensif et d’un entraînement à parler quotidien pour relancer
la machine à penser de ces réfractaires à l’apprentissage. Au fil
des mois, j’ai pu voir des changements spectaculaires chez mes
élèves. À côté des progrès que je les voyais faire, leur regard
sur l’école avait changé. Mais il faut le dire, le mien aussi. Je
commençais à mesurer à quel point, j’avais de la chance de pouvoir
être ainsi accompagné et soutenu pour mes débuts dans ce métier
de professeur.
J’ai compris par la suite que cette coréflexion dans laquelle
j’étais engagé, est bien la meilleure des formations. C’est elle
qui m’a permis de ne plus me laisser guider dans mes choix
pédagogiques par la peur d’enseigner. Pourquoi n’est-elle pas
généralisée dans tous les lieux d’enseignement ?
Chapitre 3

Savoir reconnaître
un professeur touché
par la peur d’enseigner

U NE PRATIQUE PÉDAGOGIQUE POUR SE PROTÉGER


Une rencontre difficile avec les élèves
• Redouter de solliciter la participation active des élèves, parce
qu’elle entraîne des risques de débordements difficiles à contrô-
ler ;
• redouter de confronter ses élèves aux contraintes de l’apprentis-
sage parce qu’elles sont génératrices de conflits parfois délicats
à gérer ;
sont les deux dérives majeures de la peur d’enseigner.
Il ne faudrait surtout pas croire que la peur d’enseigner, soit
l’apanage des professeurs débutants, contestés par leurs élèves.
12 R ECONNAÎTRE LE RÔLE NÉFASTE DE LA PEUR D ’ ENSEIGNER

Elle touche aussi des professeurs chevronnés qui n’ont aucun


problème de discipline, camouflée derrière une posture et un
discours plein de certitudes sur l’école et la pédagogie.

Deux styles pédagogiques bien différents

La peur d’enseigner peut se dissoudre dans une rigidité autori-


taire, c’est la voie la plus utilisée. Elle se met alors au service d’une
pédagogie répétitive et ennuyeuse qui va rapidement marginaliser
les élèves en difficulté et lasser les meilleurs.
Mais nous pouvons la retrouver aussi derrière une séduction
démagogique, qui facilite la spontanéité et la rencontre avec le
groupe, aux dépens de la réflexion et de la confrontation indispen-
sables avec les contraintes de l’apprentissage. Le professeur que
nous voyons dans le film Entre les murs représente pour moi, un
bel exemple de cette seconde forme de la peur d’enseigner.

Un travail en équipe qui n’intéresse pas

Entre des professeurs qui laissent faire parce qu’ils redoutent


d’intervenir et ceux qui se figent dans une rigidité autoritaire pour
se protéger, les projets en commun ne sont pas évidents. Entre les
professeurs qui développent un fort sentiment de culpabilité devant
cette situation mal maîtrisée et ceux qui deviennent agressifs et
parfois vexants à l’égard des élèves, le courant passe mal.
Chacun a rapidement l’impression que ceux qui ne font pas
comme lui, aggravent son problème. Prendre la classe après celui
qui a laissé faire comme après celui qui a contenu avec excès les
élèves, est considéré comme un facteur aggravant de la difficulté.
Comme la réflexion sur la pratique pédagogique n’existe pas
véritablement, chacun continue à s’enfermer dans ses choix qui
reposent avant tout sur un souci de se protéger. Le collègue qui
pratique autrement, devient une menace pour un équilibre fragile
et chacun continue à développer sa carapace défensive. Dans ces
conditions, le travail en équipe n’est plus possible. Le chacun pour
soi et le cloisonnement l’emportent.
3. U N PROFESSEUR TOUCHÉ PAR LA PEUR D ’ ENSEIGNER 13

Une déstabilisation devant la difficulté à apprendre

Les premières victimes de la peur d’enseigner sont les enfants


qui arrivent à l’école sans pouvoir s’appuyer sur leur pensée pour
apprendre. Le manque d’exigence, comme la pédagogie de la
répétition, va dramatiser et aggraver leur problème.
Là où il faudrait engager ces élèves dans une action dynamique
pour les intéresser et relancer la machine à penser, en la stimulant
et en l’entraînant à fonctionner, la peur d’enseigner pousse les
professeurs à en rester à des stratégies statiques, visant avant tout,
à boucher les trous pour atténuer les retards ou à les socialiser.
C’est ce qui va encore aggraver les difficultés, augmenter les
incompréhensions et empêcher de comprendre le fonctionnement
qui conduit à l’échec scolaire.

Lorsque le moteur d’une voiture est en panne, il ne viendrait à l’idée


de personne de continuer à mettre de l’essence dans le réservoir
ou d’améliorer son confort afin qu’elle reparte. Pourtant c’est bien
à l’image de ce que proposent aux « empêchés de penser » les
professeurs qui ont peur d’enseigner.
L’entraînement supplémentaire, tout comme l’abaissement des exi-
gences, ne peut qu’encourager ces élèves à améliorer leurs stra-
tégies anti-apprentissages (n’oublions surtout pas que les « empê-
chés de penser » représentent les deux tiers des élèves en difficulté
pour apprendre, soit environ 15 % d’une classe d’âge).
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Des professeurs qui souffrent

Nous allons payer cher cet immobilisme pédagogique qui


accompagne la peur d’enseigner. Non seulement, il augmente le
nombre des élèves réfractaires et contestataires, mais au lieu de
protéger les professeurs, il plombe leur moral en les entraînant
dans un fonctionnement en miroir avec leurs élèves.
Méfions-nous des idées de frustrations, de persécution et d’auto-
dévalorisation qui sont si fréquentes chez ceux qui n’apprennent
pas, elles sont contagieuses pour ceux qui les côtoient.
14 R ECONNAÎTRE LE RÔLE NÉFASTE DE LA PEUR D ’ ENSEIGNER

U N DISCOURS SUR LE MÉTIER POUR SE JUSTIFIER


Un discours déresponsabilisant et défaitiste
« Les familles n’éduquent plus leurs enfants. »
« La société ne soutient plus ses professeurs. »
« Les médias flattent la curiosité malsaine. »
« Internet dévalorise les savoirs proposés à l’école. »
« Les inspecteurs et les parents m’empêchent de prendre des
initiatives. »
« Les programmes m’obligent à une pédagogie conformiste. »
« Les évaluations ne laissent plus le temps pour faire entrer la
culture et les pratiques artistiques dans la classe. »

Une vision restrictive et clivée du rôle du professeur

Soit en valorisant avec excès


la transmission des connaissances
« Je ne suis pas un éducateur ou une assistante sociale, en
répondant aux demandes des élèves les plus démunis, je vais
perdre mon identité de pédagogue. Il leur faudrait un psychologue.
Je suis là pour faire le programme et pas pour recueillir des
confidences ou gérer des conflits entre élèves. »

Soit en soutenant un désir éducatif incompatible


avec la mission du professeur
« La priorité devant de telles difficultés n’est plus de leur
apprendre la grammaire ou la géographie mais de socialiser et
d’apprendre à ces enfants à vivre ensemble. »

Une phobie de la classe hétérogène


« Il est impossible d’aider des élèves en difficulté sans tirer la
classe vers le bas et abaisser le niveau des meilleurs élèves. »
« Il faudrait en revenir à des classes de niveau. »
« Le collège unique a déréglé le système éducatif. »
3. U N PROFESSEUR TOUCHÉ PAR LA PEUR D ’ ENSEIGNER 15

Des difficultés à trouver la bonne distance


relationnelle avec les élèves
Soit en se méfiant de leur expression
« Mai 68, c’est terminé, l’intérêt et la motivation viendront
après les efforts. »
« L’expression et la participation des élèves débouchent tou-
jours sur une pédagogie molle qui n’est pas compatible avec les
exigences d’un programme. »
« Avant d’apprendre aux élèves à s’exprimer, il faudrait leur
apprendre à écouter. »

Soit en valorisant à l’excès la parole et la culture des jeunes


« La spontanéité des élèves est une priorité. Elle doit être
exploitée pour réveiller le désir de savoir. »
« Les questions d’actualité, l’histoire du quartier et même la
téléréalité donnent lieu à un questionnement dont il faut se servir. »
« Les paroles des chansons de rap, même si elles sont violentes,
sont une forme moderne de la poésie qui peut être utilisée pour
mieux maîtriser la langue. »

Un refus du travail en équipe


et de la réflexion sur la pédagogie
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

À propos des réunions d’équipe


« Je ne suis pas payé pour rester après mes heures de travail,
écouter des propos sans intérêt tenus par des collègues qui ren-
contrent autant de difficultés que moi. »
« Je ne vois pas comment faire équipe avec des collègues qui
laissent leurs élèves faire n’importe quoi. »
« L’équipe c’est un leurre, le professeur sera toujours seul dans
sa classe, face à ses élèves. »

À propos de la réflexion sur la pédagogie


« Le jour où quelqu’un m’expliquera comment on peut faire
son cours avec des élèves qui n’ont ni le comportement, ni les
16 R ECONNAÎTRE LE RÔLE NÉFASTE DE LA PEUR D ’ ENSEIGNER

bases pour accéder au premier chapitre du programme, je croirai


dans la réflexion sur la pédagogie. »

De quoi parlent deux professeurs qui ont peur d’enseigner quand ils
se rencontrent ?
• des élèves impossibles à gérer ;
• des parents qui démissionnent ;
• des moyens insuffisants ;
• des directives de la hiérarchie qui ne prennent pas en compte la
réalité du terrain.
Chapitre 4

Les causes de la peur


d’enseigner

M ANQUE OU EXCÈS D’ AUTORITÉ ?


Pourquoi la critique principale faite aux enseignants sur
leur manque de rigueur et d’autorité est inappropriée et très
néfaste à une évolution de la pédagogie ?
Depuis une dizaine d’années, certains responsables du ministère
de l’Éducation et des penseurs de renom nous disent avoir tout
compris sur les difficultés actuelles de l’école.
Elles sont dues à une absence d’autorité et un abandon des exi-
gences indispensables à la transmission des savoirs disciplinaires.
Ce laisser-aller est responsable de tous les maux de l’école. Il
explique, la baisse du niveau général, la faiblesse de l’orthographe,
l’abandon de la chronologie, etc. sans oublier bien entendu la
violence et le décrochage. Très souvent, cette baisse des exigences
est associée à un relent des idées libertaires des années 70.
18 R ECONNAÎTRE LE RÔLE NÉFASTE DE LA PEUR D ’ ENSEIGNER

Ceux qui interprètent ainsi le laisser faire de ces professeurs


et la distance prise avec les savoirs disciplinaires n’hésitent pas
à se transformer en donneurs de leçons et prônent un retour à la
rigueur et à l’autorité. En fait, ils n’ont rien compris à ce qui se
passe dans certains collèges ou écoles.

N E PAS CONFONDRE DES PRINCIPES DICTÉS


PAR LA SURVIE PÉDAGOGIQUE
AVEC DES CHOIX IDÉOLOGIQUES
Les enseignants qui pratiquent ainsi, ne le font pas par choix
idéologique. Ils sont dépassés par les événements. Ils s’adaptent
comme ils le peuvent en transformant en projet les rares moments
où ils sont écoutés par leurs élèves. C’est souvent en s’appuyant
sur la culture du quartier et les centres d’intérêts de ces jeunes que
le contact devient possible.
Ils bâtissent alors une théorisation dans « l’après-coup » sur le
rôle de la socialisation comme étape préalable aux apprentissages.
En fait, il s’agit bien davantage de pacifier des jeunes gens,
quitte à brader les savoirs. Mais cela n’a rien à voir avec le
militantisme pédagogique d’après 68 qui voulait révolutionner
la transmission des connaissances, avec beaucoup d’illusions et
de naïveté certes, mais avec une tentative de théorisation qui n’a
plus du tout cours dans les écoles.
Monter en épingle des exemples, sortis de ces situations
extrêmes même si elles sont fréquentes et les généraliser à
l’ensemble du système scolaire pour expliquer la faiblesse des
résultats aux classements internationaux n’a pas de sens. C’est à
la fois malhonnête et injuste. Nous sommes loin de la réalité du
terrain.

D ES PROFESSEURS ENCOURAGÉS
AU CONFORMISME
L’enseignement est plutôt touché depuis une dizaine d’années
par un courant rétrograde qui bloque les initiatives des professeurs
4. L ES CAUSES DE LA PEUR D ’ ENSEIGNER 19

et les encourage à un conformisme pédagogique de mauvais aloi.


Poussés par les critiques, ils délaissent l’intérêt et l’expression des
élèves aux dépens d’une pédagogie aux résultats immédiats.
Ces attaques inappropriées accentuent le déséquilibre. Elle
provoque du malaise et du découragement. Elles ont un effet dévas-
tateur sur le moral des professeurs qui se sentent en permanence
inciter à amplifier ce qu’ils font déjà trop. Elles contribuent bien
entendu, à alimenter l’indécision et la déresponsabilisation qui
augmentent la peur d’enseigner.

L E RÔLE NÉFASTE DES DIRECTIVES OFFICIELLES


Pourquoi les directives officielles contribuent-elles à entretenir
la peur d’enseigner ? Parce qu’elles changent trop fréquemment.
Que ce soit dans l’organisation du cadre général, comme dans
la pédagogie réservée à l’enseignement d’une discipline, les direc-
tives officielles m’ont toujours déstabilisé, je dois le reconnaître.
Pourquoi l’ai-je vécu ainsi, alors que ces nouveautés m’étaient
toujours présentées comme un mieux, comme une possibilité
d’être plus efficace et d’améliorer mon enseignement ? Je crois
que c’est parce qu’elles étaient annoncées sans aucune prépa-
ration et qu’elles étaient considérées comme impératives. Elles
me laissaient penser que ce que je faisais jusque-là n’était pas
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

satisfaisant, il fallait revoir ma façon de faire et parfois abandonner


des initiatives qui marchaient plutôt bien.
Sans être susceptible pour autant, j’avais l’impression que mes
supérieurs hiérarchiques ne tenaient pas compte de moi et, plus
grave, n’étaient plus en accord avec ce que je faisais.
C’est la lecture de la presse syndicale, dans laquelle je retrou-
vais souvent ces objections exprimées avec clarté et véhémence
qui me redonnait le moral.
20 R ECONNAÎTRE LE RÔLE NÉFASTE DE LA PEUR D ’ ENSEIGNER

Une formation
indigente

Une équipe
inexistante

Une réflexion
sur la pédagogie
insuffisante

Une pédagogie
qui néglige l’intérêt
des élèves

Des réponses
inappropriées
à la difficulté
d’apprentissage

Un souci
du résultat immédiat

Une dévalorisation
des savoir-faire
pédagogiques

Peur d’enseigner

Le chemin qui conduit à la peur d’enseigner


4. L ES CAUSES DE LA PEUR D ’ ENSEIGNER 21

Les raisons qui entretiennent la peur d’enseigner


Chapitre 5

Les méfaits de la peur


d’enseigner dans la réalité
quotidienne

U NE PÉDAGOGIE QUI NE PEUT PAS S ’ ADAPTER


DEVANT LA DIFFICULTÉ D ’ APPRENTISSAGE
Le scandale des laissés pour compte
• Ils sont intelligents, pourtant quand ils lisent, ils ne peuvent pas
dégager l’idée principale d’un texte de 5 lignes ;
• ils ont du bon sens, pourtant quand ils parlent, ils ne peuvent
pas enchaîner deux arguments pour défendre une idée ;
• ils ont de la mémoire, pourtant quand ils écrivent, ils ne se
souviennent d’aucune règle de grammaire ;
• ils sont curieux, pourtant rien de ce qui se fait dans une classe,
ne les intéresse.
24 R ECONNAÎTRE LE RÔLE NÉFASTE DE LA PEUR D ’ ENSEIGNER

De qui s’agit-il ?
Des 15 % de jeunes gens qui sortent chaque année de notre
école sans maîtriser les savoirs fondamentaux. Bien que leur
problème devant les apprentissages ait été repéré dès l’âge de
7 ans, bien qu’ils aient eu droit, au fil des années, à des aides
personnalisées et à des soutiens en groupe répétés, leur parcours
scolaire a été un véritable chemin de croix :

Une pédagogie qui se laisse aveugler


par les manques pour expliquer
la difficulté d’apprentissage
Rien, ni personne, n’a pu sortir ces laissés pour compte de ce
destin, apparemment inéluctable, un échec scolaire programmé.
La peur d’enseigner porte ici une lourde responsabilité. Elle
pousse les professeurs à simplifier abusivement les causes de la
difficulté à apprendre. Ils en font la conséquence d’un manque de
base ou d’un sous-entraînement, alors qu’il s’agit deux fois sur
trois d’un fonctionnement intellectuel singulier, marqué par un
évitement du doute pourvoyeur d’inquiétudes.
Alors qu’il faudrait proposer à ces élèves, dès leur plus jeune
âge, une véritable « réanimation psychique » pour les aider à se
débarrasser de leur peur d’apprendre, ils n’ont droit qu’à des
répétitions supplémentaires qui renforcent leur opposition.
Là où il faudrait faire du nourrissage culturel intensif et de
l’entraînement journalier à débattre, tout au long de la scolarité
pour les aider à renouer avec la pensée et les intégrer au groupe, la
peur d’enseigner pousse à valoriser le rattrapage et le colmatage,
si possible en dehors de la classe. C’est non seulement du temps
perdu, car ces jeunes gens améliorent au fil des années leurs
stratégies anti-apprentissages, mais aussi de l’argent dépensé pour
rien.
5. L ES MÉFAITS DE LA PEUR D ’ ENSEIGNER DANS LA RÉALITÉ QUOTIDIENNE 25

LE PARCOURS D ’ UN EMPÊCHÉ DE PENSER À L’ ÉCOLE

• Repéré à toutes les étapes de la scolarité, de la maternelle au


collège ;
• Mis parfois dans des classes spécialisées qui portent des noms
accueillants : perfectionnement, adaptation, relais, passerelle,
intégration ;
• Engagé toujours dans des aides et des rééducations variées,
qui s’appellent parfois rattrapage ou soutien, mais qui peuvent
aussi avoir des noms pompeux comme : « projet personnalisé de
réussite scolaire » ou « amélioration des stratégies cognitives » ;
• Pourtant toujours à la dérive et dans la marge.

Pourquoi faire tous ces repérages, ces soutiens et même des


classes spécialisées si c’est pour reconduire les mêmes méthodes
pédagogiques que celles qui ont contribué à mettre ces enfants
dans ces états ?
Faire des petits groupes, reprendre les bases, ralentir le train des
apprentissages, entraîner plus... même dans une relation valorisante
visiblement cela ne suffit pas.
Va-t-on réussir un jour à l’admettre ?
Va-t-on accepter de constater un jour que 15 % des élèves restent
imperméables avec cette façon de procéder ?
Quand va-t-on accepter d’imaginer quelque chose de différent pour
eux ?
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

U NE ÉCOLE QUI ENNUIE ET DIVISE


La bonne pédagogie aide les élèves à affronter
les contraintes de l’apprentissage
Tous les professeurs le savent : on n’aborde pas un savoir
nouveau, sans rencontrer une série de contraintes. La confrontation
avec le manque, avec la règle, avec l’attente, avec l’incertitude
est inévitable. Elle fait partie intégrante de la situation d’ap-
prentissage. C’est d’ailleurs dans la capacité à surmonter cette
confrontation que se joue en grande partie le destin intellectuel
des enfants.
Le rôle fort de la pédagogie consiste à préparer ce moment
clef de l’apprentissage. Le bon professeur est celui qui soutient
26 R ECONNAÎTRE LE RÔLE NÉFASTE DE LA PEUR D ’ ENSEIGNER

ses élèves en allant chercher chez eux, la curiosité, l’intérêt, la


motivation, le désir de savoir... non pas pour gommer ce cap délicat
mais pour les aider à le franchir.
C’est ce qui va faire la différence entre la bonne pédagogie
qui sait trouver un équilibre entre ces deux composantes de
l’apprentissage et la mauvaise, celle qui va user avec excès d’un
levier aux dépens de l’autre.

Les bons élèves n’aident pas les professeurs


qui ont peur d’enseigner à progresser
Le problème, qui d’ailleurs ne devrait pas en être un, c’est que
deux enfants sur trois n’ont pas besoin d’une bonne pédagogie
pour apprendre. Ils arrivent à l’école en ayant déjà été préparés
en famille pour affronter directement les exigences de l’apprentis-
sage.
Avec ceux-là, pas besoin de détours ou de préparations sophisti-
quées. Ils sont déjà dans le sens de la marche, il suffit de marquer
la cadence.
Autorité, cadre, rigueur, entraînement, rituel et tout se passe
bien. La compétition, les notes, les mots aux parents vont faire le
reste.
Certains élèves, disons un tiers d’entre eux, vont même trouver
un réel plaisir dans cette maîtrise, dans cette compétition, dans
cette répétition qui va avec l’apprentissage.
Répondre à l’attente des parents et du maître, améliorer sa
moyenne, réussir ses exercices, passer dans la classe supérieure,
préparer son avenir, être le meilleur, penser à sa future école...
Autant d’objectifs et de motivations suffisantes pour supporter et
parfois même aimer les contraintes de l’apprentissage.
Le rêve pour certains enseignants qui au contact de ces élèves,
finissent par se croire les phénix de la pédagogie. Surtout quand
on regroupe ces enfants dans la même classe ou la même école
et que l’on compare les résultats aux évaluations avec d’autres
écoles.
Malheureusement, cette pédagogie a un revers. Elle entretient la
peur d’enseigner en encourageant ces professeurs au conformisme.
5. L ES MÉFAITS DE LA PEUR D ’ ENSEIGNER DANS LA RÉALITÉ QUOTIDIENNE 27

Quand on est habitué à des enfants qui apprennent même quand


ils s’ennuient, plus besoin d’aller réveiller le désir de savoir, il
est déjà là. La présentation des connaissances peut rester sans
saveur et sans imagination. La norme devient vite le montage
de mécanismes, d’automatismes travaillés avec des exercices
répétitifs qui cultivent l’ennui de tous ceux qui n’entrent pas dans
ce jeu de la compétition.
Le plus grave est encore que de nombreux responsables et
parents pensent que cette pédagogie est la meilleure. Ils en font
un modèle, alors que de toute évidence cette façon de pratiquer ne
peut marcher que dans des écoles qui se replient sur elle-même,
parfois en faisant de la sélection à l’entrée ou en éliminant ceux
qui n’entrent pas dans ce moule.

Ce sont les moins bons qui vont payer le prix


de cette pédagogie de l’excellence
On peut dire sans exagération que cette parodie de pédagogie
ne conviendra jamais à plus de deux enfants sur trois et qu’elle
rejettera toujours le troisième.
Ce sont les enfants qui arrivent à l’école sans avoir été préparés
par leurs premières expériences éducatives à supporter le versant
négatif de l’apprentissage qui vont en payer le prix fort.
Comme ils supportent mal l’ennui généré par ce type de
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

pédagogie, ils bougent, ils s’endorment, ils font du bruit... En


un mot ils vont déranger cette belle organisation et pousser ces
professeurs vers un renforcement de la position autoritaire.
D’autant plus facile à soutenir et à justifier que l’institution et
les parents les y encouragent. Les fauteurs de troubles doivent aller
vers des écoles plus conciliantes, moins exigeantes où ils seront
plus à l’aise pour donner leur mesure. C’est souvent le discours
hypocrite qui est servi aux parents pour justifier la mise à l’écart
de leur enfant.
C’est bien dommage d’en arriver là, car les enfants qui se
montrent prêts à jouer le jeu de l’apprentissage sans préparation,
pourraient devenir encore plus performants si l’on prenait le temps
d’aller chercher leur intérêt, leur expression, leur créativité pour
28 R ECONNAÎTRE LE RÔLE NÉFASTE DE LA PEUR D ’ ENSEIGNER

leur présenter les savoirs. Cette pratique permet de soutenir et


d’intégrer les moins bons.
L’ennui et la ségrégation que cultivent certaines écoles pour en
arriver à la « pédagogie d’excellence » sont sans doute l’effet le
plus nocif et le plus pervers de la peur d’enseigner.

U NE PÉDAGOGIE QUI ISOLE


ET MÉDICALISE LA DIFFICULTÉ
C’est un dyslexique, c’est un dyscalculique, c’est un hyperactif,
c’est un dyspraxique... et si c’était plutôt un hyper-mature ? Bref,
une possibilité pour le professeur qui a peur d’enseigner de faire
alliance avec des parents anxieux. Les préfixes dys et hyper
présentent un avantage, ils désignent un phénomène obscur qui
déresponsabilise tout le monde.
« C’est organique, ça se passe dans le cerveau », « la zone
de découverte des mots écrits n’est pas assez développée », « la
connexion entre les neurones est trop rapide, c’est pour cela qu’il
bouge tout le temps », « il est trop intelligent, c’est pour cela qu’il
s’ennuie et qu’il n’a pas de copains »... Voilà ce qu’en disent les
parents. Personne n’est en cause, l’éducatif et le pédagogique n’y
pourront plus grand-chose. Ils sont disqualifiés. C’est leur façon
d’entrer dans le monde des « dys ».
Cette fois la solution n’est plus dans la classe, elle est chez les
médecins. Elle repose sur des centres spécialisés dans les troubles
du langage, dans des services spécialisés dans l’hyperactivité, dans
des classes pour surdoués...
Arrivent alors des examens et des bilans d’une complexité
inouïe, qui mobilisent parfois jusqu’à l’imagerie cérébrale. Les
professeurs ne sont plus à la hauteur, ils n’ont plus la compétence
pour rivaliser, il faut faire confiance.
Pourquoi pas ? Si toutes ces investigations débouchaient sur des
traitements, ouvraient sur des horizons nouveaux et changeaient
la donne ? Malheureusement ce n’est pas le cas. À ces bilans
scientifiques et novateurs sont souvent associés des sous-produits
de la pédagogie, camouflés derrière une présentation moderne
(ordinateur et mallette aux matériels colorés).
5. L ES MÉFAITS DE LA PEUR D ’ ENSEIGNER DANS LA RÉALITÉ QUOTIDIENNE 29

Encore une fois, sous couvert d’orthophonie très spécialisée


ou de rééducation neuropsychologique, voire de traitements médi-
camenteux, nous engageons ces enfants vers des approches qui
isolent leur problème, qui l’instrumentalisent, qui le réduisent,
avec des méthodes pédagogiques qui n’impressionnent que ceux
qui s’en sont arrêtés à la lecture du bilan.
Globalement, elles reprennent des principes connus de longue
date, surtout depuis la créativité de Madame Borel Maisonny. Elles
les reprennent en boucle, à raison de plusieurs séances par semaine,
en plaçant leur espoir dans les effets du conditionnement.
Attention, il ne s’agit pas de dire ici que la dyslexie n’existe
pas. Mais les enfants dyslexiques, comme les hyperactifs, comme
les hyper-matures, ont encore davantage besoin d’enseignants qui
n’aient pas peur de leur difficulté. Plus que les autres, ils doivent
bénéficier d’apports culturels, être entraînés à l’expression et à
la créativité. Il ne faut surtout pas que l’école les réduise à leur
trouble et les ramène en permanence à leurs lacunes.
Cette complémentarité entre les lieux de soins extérieurs et
l’école, à condition qu’elle soit réfléchie et organisée par des
concertations trimestrielles, est indispensable pour de véritables
progrès.

Pierre
Je terminerai par un exemple qui selon moi résume assez bien mes
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

propos.
Au début de l’année 2010, j’ai vu arriver à ma consultation privée de
psychopédagogie un jeune garçon de 10 ans, Pierre, accompagné
de sa mère. Il venait me voir pour un trouble majeur de l’écriture.
En effet, Pierre était alors en CM2 et n’écrivait pas ou seulement
quelques mots et uniquement phonétiquement. Il n’appliquait bien
entendu aucune règle de grammaire.
Le passage en 6e ordinaire paraissait impossible pour un garçon par
ailleurs brillant à l’oral, vif d’esprit, sympathique et plein d’humour.
L’arrivée du trouble a été évidente dès le cours préparatoire ; même
si Pierre a pu apprendre à lire comme les autres, jamais il n’a voulu
ou pu écrire.
La mère, qui est elle-même institutrice, en est désolée et inquiète. Elle
me dit que le diagnostic est évident et confirmé par plusieurs grands
spécialistes : c’est une « dyslexie visuo-attentionnelle grave ». J’ai pu
30 R ECONNAÎTRE LE RÔLE NÉFASTE DE LA PEUR D ’ ENSEIGNER

voir le bilan qui confirmait le diagnostic et préconisait une rééducation


par une méthode audio-phonatoire.
Le problème, me dit-elle, c’est que depuis l’apparition des troubles,
Pierre a usé quatre orthophonistes. En fait, c’est plutôt la mère qui a
décidé le changement avant que quatre orthophonistes soient usées
véritablement.
Voici comment se sont déroulés les événements. La première, me
dit-elle, elle l’a quittée au bout de 6 mois parce qu’il n’y avait aucun
progrès pour confier Pierre à un médecin qui l’a vu une dizaine
de fois et qui lui a fabriqué des lunettes spéciales lecture, des
semelles orthopédiques et un plan incliné pour son bureau. Comme
les résultats n’étaient pas probants, elle est allée voir une seconde
orthophoniste qu’elle a lâchée au bout de 3 mois pour un ostéopathe
qui faisait des massages du crâne qui n’ont pas non plus produit
d’effet. La mère a alors conduit Pierre chez une troisième orthopho-
niste. Elle l’a délaissée du jour au lendemain, sur les conseils d’un
centre de référence des troubles du langage, qui lui a indiqué une
autre orthophoniste plus spécialisée dans le type de rééducation qui
convenait à Pierre. Après une année, cette orthophoniste spécialisée
n’a pas eu beaucoup d’effet et c’est comme cela, après ce parcours
chaotique, que Pierre et sa mère se retrouvent chez moi.
La mère me dit avoir lu mon livre L’enfant et la peur d’apprendre. Naï-
vement je crois qu’il y a eu chez elle une évolution vers l’acceptation
d’un traitement plus global de la difficulté de son fils. Nous en sommes
encore loin.
Au cours du premier entretien, elle me dit pourtant que Pierre ne voit
son père que deux fois par an. Ce monsieur a une autre famille dans
une grande ville de province et il a par ailleurs trois enfants. Personne
ne doit le savoir car le père de Pierre est un notable connu dans sa
région. Pierre ne doit pas en parler à ses camarades d’école.
Lorsque je dis à la mère que cette situation particulière peut expliquer
le refus de Pierre devant les règles de la langue écrite, elle n’est pas
d’accord avec moi. Pour elle, cette situation n’a pas de retentissement
fort sur son fils. Elle l’élève facilement. Il ne s’oppose pas à elle, il
apprend très bien par ailleurs, et il est beaucoup plus à l’aise sur le
plan relationnel que beaucoup de ses amis qui sont élevés par leurs
deux parents.
Le traitement psychopédagogique démarre donc sur ces bases.
Le contact est excellent avec Pierre. Je lui lis l’histoire de Pinocchio
qui lui plaît beaucoup. Nous travaillons l’entraînement à l’écrit avec ce
5. L ES MÉFAITS DE LA PEUR D ’ ENSEIGNER DANS LA RÉALITÉ QUOTIDIENNE 31

texte. Après quelques semaines seulement, il y a des résultats encou-


rageants, mais Pierre partait de tellement bas que nous sommes
encore loin du compte pour suivre le rythme d’une classe de 6e .
La mère est toujours aussi inquiète. Elle reprend des exercices à
la maison qui provoquent des crispations chez son fils et après
une douzaine de rencontres, je me dis à mon tour que je vais être
confronté à une rupture brutale du traitement.
Quand, au mois de mai dernier, se produit un événement inattendu.
Le père de Pierre s’est fâché avec sa femme. Il divorce et il vient
s’installer à Paris avec son fils Pierre et sa mère. Il a dévoilé l’existence
de cet enfant caché au reste de sa famille. À partir de là se produit une
accélération dans le traitement. Tout va plus vite, Pierre s’accroche.
Lorsque nous nous séparons pour les vacances, au mois de juillet
dernier, je conseille à la mère et au père, qui est aussi venu me voir,
un cahier de vacances avec une histoire suivie où il est question de
fantôme.
Lorsque je le revois, début septembre, après 6 semaines de vacances,
les progrès sont énormes. Pierre fait encore des fautes d’orthographe
mais il n’écrit plus phonétiquement et respecte les grandes règles de
grammaire. La classe de 6e peut être envisagée sereinement.
Lorsque j’ai dit à la mère : « Voyez comme le retour de son père
nous montre bien que le trouble de Pierre devant l’écriture était plutôt
d’ordre psychologique. » Elle me répond avec beaucoup d’assurance :
« Je ne crois pas, c’est parce que vous nous avez conseillé enfin
la bonne méthode pour faire les devoirs de vacances. Au lieu de
la corvée habituelle, Pierre s’est passionné pour ces histoires de
fantôme et il a eu envie d’écrire. Moi qui suis institutrice, je regrette
de ne pas avoir eu cette idée plus tôt. »
Je n’ai pas voulu en reparler car, à partir de là, la confiance de cette
mère est devenue suffisante pour poursuivre le travail avec Pierre, qui
continue ses progrès et réussit très bien son entrée en 6e .
Chapitre 6

Peur d’apprendre,
peur d’enseigner,
le couple infernal

des professeurs qui ont peur d’enseigner croisent des


Q UAND
enfants qui ont peur d’apprendre, la rencontre devient vite
explosive. Nous allons voir comment chacun avec ses moyens va
renforcer ses stratégies défensives pour se protéger de l’autre.
Au refus, au décrochage, à l’incivilité des uns va répondre le
rejet, l’indifférence, la démagogie ou l’autoritarisme des autres.
Incontestablement, la peur d’apprendre et la peur d’enseigner
ont partie liée, elles s’alimentent et se renforcent mutuellement
pour fabriquer au final de l’échec scolaire.
Comment chacun s’y prend-il pour en arriver là ? C’est ce que
nous allons tenter de comprendre et d’analyser.
34 R ECONNAÎTRE LE RÔLE NÉFASTE DE LA PEUR D ’ ENSEIGNER

Comment la peur d’apprendre et la peur d’enseigner s’auto-


alimentent pour fabriquer de l’échec scolaire ?
Un drame qui se joue en trois actes et qui pourrait avoir pour titre :
« Comment le dysfonctionnement des élèves qui ont peur d’ap-
prendre est amplifié par trois erreurs pédagogiques provoquées
par la peur d’enseigner ? ».
• Premier acte, première erreur stratégique : simplifier et
appauvrir le message
Des élèves arrivent à l’école sans disposer des compétences
psychiques qui permettent d’affronter les contraintes de l’appren-
tissage (ils sont environ 20 % d’une classe d’âge à être dans ce
cas). Dit plus simplement, ils ne sont pas capables d’affronter le
doute, d’accepter la règle, de pouvoir attendre ou de supporter
la solitude et le manque. Avec cette insuffisance, l’apprentissage
provoque rapidement chez eux de la déstabilisation et du malaise.
Les idées d’auto dévalorisation, de persécution et les sentiments
de frustration fleurissent dès qu’il y a confrontation avec l’incerti-
tude.
Le professeur qui n’est pas averti de cette situation, qui n’est pas
formé à la comprendre, voit ses exigences provoquées du malaise
plutôt que de l’intérêt et du progrès. Il ne comprend pas pourquoi.
Il en arrive très vite à perdre confiance dans son enseignement, ce
qui est bien normal.
Son premier réflexe va être de simplifier et d’appauvrir son
message, afin de redonner de la marge de manœuvre et de la
confiance à ces élèves. C’est la première erreur.
• Deuxième acte, deuxième erreur stratégique : devant les
troubles du comportement vouloir combler les lacunes en
engageant un bras de fer
Le cycle infernal ne s’arrête pas là, car même avec du simple, les
élèves qui ont peur d’apprendre n’arrivent toujours pas à accepter
la démarche élaborative qui va avec l’apprentissage. Ils mettent
en place des stratégies d’évitement pour se protéger du malaise
qu’elle provoque en eux. C’est ici que nous allons voir arriver
les troubles du comportement ou de l’apprentissage qui dérèglent
encore davantage la machine à penser. Les problèmes d’attention,
6. P EUR D ’ APPRENDRE , PEUR D ’ ENSEIGNER , LE COUPLE INFERNAL 35

de concentration, d’agitation s’enchaînent avec les blocages, les


inhibitions, les refus et les oublis. Cette fois nous sommes vrai-
ment devant une peur d’apprendre installée et résistante.
Les professeurs sont déroutés par le phénomène, qui alimente
la peur d’enseigner. Comme ils ne donnent toujours pas de sens à
cette organisation, ils vont se contenter de s’attaquer aux troubles
qu’elle provoque. C’est ici que le piège se referme. Ils vont passer
le temps à courir, sans aucune efficacité, derrière les déficits,
les lacunes et les retards et à sanctionner les comportements
dérangeants.
Au lieu d’intéresser, de nourrir, de favoriser l’expression, ce
qui permettrait de renforcer les compétences psychiques de ces
élèves et de leur donner des outils pour aborder plus sereinement
l’apprentissage, ils engagent un véritable bras de fer qui alimente
des idées d’injustice.
C’est la seconde erreur, dictée par la peur d’enseigner.
• Troisième acte, troisième erreur stratégique : l’élève déve-
loppe des idées de persécution, le professeur s’en protège
avec le rejet
Les élèves qui ont peur d’apprendre supportent de plus en plus
mal cette pédagogie qui veut leur imposer d’affronter l’apprentis-
sage avec un fonctionnement intellectuel qui provoque chez eux
autant de sentiments parasites.
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Pour s’en défendre ils vont monter d’un cran dans leur opposi-
tion et mettre en place des stratégies anti-apprentissages qui vont
les protéger définitivement de ces professeurs qu’ils vivent comme
des persécuteurs.
Nous les voyons alors arriver dans la forme dure de la peur
d’apprendre caractérisée par de « l’empêchement de penser ».
C’est un verrouillage de la pensée pour ne plus avoir à rencontrer
le doute et ne plus être confronté à l’élaboration intellectuelle qui
dérange. Il se caractérise par trois défauts majeurs et graves :
• la phobie du temps de suspension marquée par le refus d’entrer
dans le moment d’incertitude qui va avec l’apprentissage. Les
36 R ECONNAÎTRE LE RÔLE NÉFASTE DE LA PEUR D ’ ENSEIGNER

activités de recherche, de fabrique d’hypothèses, de construc-


tion... nécessaires à la mise en place des savoirs de base, vont
être repérées et rejetées ;
• une faiblesse imageante marquée par une utilisation réduite des
représentations personnelles, jugées peu fiables parce que trop
vite contaminées par les émotions parasites. Cette coupure est
très dommageable à la fabrique du sens indispensable à l’intérêt
pour la lecture et à la maîtrise des opérations ;
• le déclenchement d’idées d’injustice voire même de persécution.
À cette étape, ces idées sont présentes dès la confrontation
avec les contraintes de l’apprentissage. Elles empoisonnent
l’atmosphère en ne permettant plus la recherche et la réflexion.
La remise en cause passagère n’est plus possible, toutes les
difficultés sont dues au professeur et à ses exigences déplacées.

Ce sentiment d’injustice vient justifier aux yeux de ces élèves


le désintérêt et l’entrée en résistance. Elle va prendre des formes
diverses selon les âges : à l’inhibition, au retrait et à l’agitation
des plus jeunes succèdent la violence, le décrochage et l’incivilité
des plus âgés.
Le professeur face à cette situation inquiétante n’a plus d’atout
pour changer la donne. Il n’a plus qu’une envie, montrer l’impos-
sibilité de faire son métier avec de tels élèves. Tous les ingrédients
d’une pédagogie de la survie et de l’affrontement sont en place.
C’est la troisième erreur car ici, souvent s’engagent des conflits
destructeurs pour les uns et pour les autres.
6. P EUR D ’ APPRENDRE , PEUR D ’ ENSEIGNER , LE COUPLE INFERNAL 37

Peur d’apprendre Peur d’enseigner

Chez l’élève, des idées


d’auto-dévalorisation et de
frustration sont réactivées
par l’apprentissage.
Le professeur simplifie son
message et répète.

Même avec
l’entraînement supplé-
mentaire, le message ne
passe toujours paset les
troubles du comporte-
ment s’aggravent. Le professeur sanctionne
les comportements dépla-
cés et continue à courir
derrière les déficits.

Des idées de persécution


apparaissent chez l’élève.
Elles sont à la base de la
contestation et de
l’opposition.
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Le professeur rejette l’élève


et entre dans unepédagogie
de la survie (démagogie,
autorité excessive).

Le chemin qui conduit de la peur d’apprendre


à la peur d’enseigner
Chapitre 7

Comment peur
d’apprendre et peur
d’enseigner
s’entretiennent ?

D ES STRATÉGIES POUR APPRENDRE QUI CASSENT


LA BONNE DÉMARCHE PÉDAGOGIQUE
Comment échapper à l’incertitude ? Comment apprendre sans
passer par le temps de l’élaboration qui déstabilise ? Voilà l’exer-
cice de funambule auquel sont engagés les élèves qui ont peur
d’apprendre lorsqu’ils sont dans la classe. Comment vont-ils s’en
sortir ? Comment vont-ils faire avec cette phobie du temps de
suspension et cette utilisation réduite de la fonction imageante
pour continuer leur parcours scolaire ?
40 R ECONNAÎTRE LE RÔLE NÉFASTE DE LA PEUR D ’ ENSEIGNER

Selon la personnalité des enfants, nous allons les voir mettre en


place trois stratégies bien différentes qui vont leur permettre de
s’adapter à ce fonctionnement intellectuel tronqué et de répondre
partiellement à la demande d’apprentissage.
Il s’agit du conformisme de pensée, de l’association immé-
diate et du besoin de certitude. Bien entendu, chacune de ces
stratégies va avoir ses limites et va s’accompagner de troubles
du comportement qui permettent de repérer et de différencier une
difficulté d’apprentissage simple, due à un sous-entraînement ou à
un manque de bases, d’une difficulté plus complexe due cette fois
à un empêchement de penser. Prenons-les dans l’ordre.

Le conformisme de pensée

C’est avant tout un moyen de limiter l’investigation, il consiste à


inhiber et à ralentir le fonctionnement de la pensée en s’engageant
le moins possible dans l’inconnu et la recherche.
Nous sommes souvent confrontés à des enfants qui adorent faire
et refaire ce qui est déjà maîtrisé. Ils manifestent peu d’intérêt pour
la nouveauté, la créativité, l’expression. Ils aiment bien appliquer
des recettes et sont souvent soucieux de la forme aux dépens du
fond. Peu soucieux de la compétition et de la précision, ils mettent
en place des repères dans le temps et dans l’espace souvent flous.
Cette utilisation défensive de stratégies appauvrissantes déjà
maîtrisées, conduit parfois à un abaissement de la curiosité et de
l’intelligence. Beaucoup de pseudo-débilité, de peur de savoir, de
désintérêt pour les propositions faites à l’école, s’originent dans
ce conformisme de pensée.
Les professeurs doivent se méfier de ce fonctionnement a
minima. Quand il n’est pas accompagné par des troubles du
comportement, il conduit à réduire les exigences, à limiter les
ambitions et pousse en miroir, au conformisme pédagogique.

L’association immédiate
C’est un autre moyen de plus en plus utilisé par les enfants pour
se défendre de la peur d’apprendre. Il consiste à aller vite et à
7. P EUR D ’ APPRENDRE ET PEUR D ’ ENSEIGNER S ’ ENTRETIENNENT 41

ne pas se poser pour griller le temps de suspension et ses effets


négatifs.
Cette fois nous avons affaire à des champions pour passer
très vite d’une idée à l’autre ou d’un sujet à l’autre. Faire des
dégressions, parfois avec un humour à la Ruquier, à partir du
double sens d’un mot ou d’une sonorité est une de leur spécialité.
Ces feux follets qui ont souvent la réponse avant que la question ne
soit posée, développent parfois avec ce mode de fonctionnement,
une intelligence vive qui nous surprend.
On peut estimer que c’est le cas d’environ un tiers des enfants
hyper matures (autrefois appelés surdoués). Poussés par une
inquiétude de fond qui les amène à ne pas pouvoir se poser
pour réfléchir, ils vont développer une vivacité d’esprit et une
curiosité alimentée par le voir et l’entendre, qui améliore leur
quotient intellectuel certes, mais s’accorde mal avec la progression
souhaitée à l’école.
Quand les parents, déçus par les résultats scolaires de leur
enfant, accompagnent le mouvement et remettent en cause l’école,
ils contribuent à alimenter la peur d’enseigner des professeurs qui
voient mal comment s’en sortir avec ces « surdoués réactionnels ».

Ces deux groupes vont avoir des difficultés avec l’apprentissage de


la lecture.
Les conformistes souffrent de la méthode syllabique qui les main-
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

tient dans le souci excessif de la forme et de la technique aux dépens


du sens.
Les champions de l’association immédiate quant à eux, souffrent
de la méthode globale qui encourage leur défaut principal : aller vite
en inventant et en devinant plutôt qu’en maîtrisant les étapes de la
technique.

Le besoin de certitude
Cette fois l’apprentissage ne peut se faire que dans la maîtrise
et le contrôle. Le fonctionnement mental se rigidifie. Le fait de
ne pas savoir devient déjà une remise en cause excessive qui se
retourne en contestation plus ou moins violente du cadre.
42 R ECONNAÎTRE LE RÔLE NÉFASTE DE LA PEUR D ’ ENSEIGNER

Chez les plus jeunes, ce besoin de certitude est souvent accom-


pagné par des idées d’omniscience ou de toute-puissance. Chez les
plus âgés, le doute déclenche rapidement des idées de persécution.
Il peut s’accompagner d’un besoin d’assimiler la pensée à de la
faiblesse ou à un risque de féminisation (exercice pour bouffon ou
pour gonzesse).
Je n’évoque pas ici, le cas de certains enfants qui continuent
leur activité d’apprentissage en y intégrant les éléments parasites
qui ont infiltré leur pensée. Cette fois nous nous retrouvons face
à des bizarreries et des incohérences qui signalent la pathologie
avérée et qui relèvent d’un enseignement spécialisé.

Pourquoi ces défenses qui touchent


le fonctionnement intellectuel entretiennent
la peur d’enseigner ?
Le point commun de ces organisations intellectuelles qui
cherchent à éviter le doute, est de se recentrer sur des moyens
d’apprentissage qui mobilisent le voir, l’entendre, les procédés
magiques et répétitifs.
Dès que le professeur veut s’écarter de ces chemins, dès qu’il
veut encourager chez ces élèves le questionnement et la recherche,
il dérange voire il déstabilise.
Cette réaction est particulièrement décourageante et démobilisa-
trice pour ce professeur. La meilleure pédagogie, c’est-à-dire celle
qui pousse à faire découvrir, à faire comparer, à faire fabriquer des
hypothèses, va être la plus contestée. On voit alors ces stratégies
défensives, s’accompagner de troubles du comportement visant à
attaquer ou à contourner la démarche.
C’est en ce sens que ceux qui vivent mal le retour à eux-mêmes
pour apprendre, poussent leurs professeurs vers une pédagogie
minimaliste basée sur le conformisme qui entretient la peur
d’enseigner.
7. P EUR D ’ APPRENDRE ET PEUR D ’ ENSEIGNER S ’ ENTRETIENNENT 43

U N COMPORTEMENT DÉPLORABLE
QUI GÈNE LA CONDUITE DU GROUPE
« Non seulement ils n’apprennent pas, mais en plus ils bougent
et empêchent les autres de travailler. » Voilà ce qui est souvent dit
d’eux. Pourquoi les élèves résistants à l’apprentissage sont-ils si
souvent agités et instables ?
C’est le manque d’intérêt pour ce qu’il leur est proposé diront
ceux qui expliquent ce comportement par la démotivation et la
déception de ne pas être à la hauteur. Les échecs répétés ont laissé
des traces. Comment trouver la motivation nécessaire à l’étude
lorsque l’écart se creuse encore et toujours entre soi et les autres ?
Comment garder une image de soi positive lorsque les échecs et
les vexations s’enchaînent dès que vous mettez le pied à l’école ?
La voie la plus simple et la plus utilisée est encore de rejeter et
de mépriser ce à quoi l’on n’a pas accès et qui vous fait souffrir.
Bouger, s’agiter, ne plus participer est sans doute la première
forme de la contestation.
C’est le manque de concentration diront ceux qui voient dans
cette agitation une maîtrise insuffisante de l’impulsivité, qui
expliquerait cette fuite devant le temps de la réflexion. Les mots
hyperkinésie, hyperactivité, instabilité psycho motrice, laissent
même envisager une cause organique et ouvrent la porte à une
aide médicamenteuse.
L’observation régulière des enfants agités et instables en situa-
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

tion d’apprentissage m’amène à une tout autre hypothèse : ils ne


disposent pas d’un monde interne, suffisamment riche et sécurisé,
pour se lancer sereinement dans l’activité réflexive.
Certains de nos exercices scolaires et surtout ceux qui
conduisent à la maîtrise des savoirs fondamentaux, les obligent
à un retour à eux-mêmes leur demandant de s’appuyer sur leurs
représentations. Ils provoquent alors, une inquiétude et une
déstabilisation, qui se résolvent partiellement en passant le relais
au corps.
Je préfère dire, relais passé au corps, car l’agitation et l’in-
stabilité ne sont pas les seuls moyens que ces enfants utilisent
pour résoudre le problème. Certains d’entre eux, déclenchent
des troubles psychosomatiques (maux de tête, maux de ventre,
44 R ECONNAÎTRE LE RÔLE NÉFASTE DE LA PEUR D ’ ENSEIGNER

crampes...). D’autres sombrent dans une sorte de retrait, d’apathie,


d’inhibition, d’endormissement. Les professeurs le supportent
mieux, la contestation est moins visible et directe et surtout moins
dérangeante pour le groupe.
Je regrette que cette hypothèse ne soit presque jamais mise en
avant. Elle est en tout cas, bien plus réaliste et offre beaucoup
plus d’ouverture à la pédagogie que ces suspicions organiques
ou génétiques, qui, nous l’avons déjà vu à propos de la dyslexie,
entretiennent la peur d’enseigner.

U NE CURIOSITÉ DÉROUTANTE , ACTIVÉE


PAR LES RESSORTS LES PLUS INFANTILES
DU DÉSIR DE SAVOIR
« La curiosité est un vilain défaut » : celui qui a inventé cette
formule était très certainement pédagogue avec des enfants ou
des adolescents en échec scolaire. Rien de plus déroutant en
effet pour un professeur que d’avoir affaire à des élèves qui sont
obnubilés par des préoccupations qui n’ont rien à voir avec ce qui
est enseigné.
Encore plus déroutant, quand ces préoccupations arrivent à
infiltrer les savoirs proposés en classe et à les dénaturer. Comment
faire une leçon d’orthographe quand la grammaire devient un truc
de gonzesse ? Quand les problèmes de sexe, d’argent, de violence
contaminent des parties du programme et gagnent le groupe tout
entier.
Nous avons ici, l’une des conséquences les plus graves en
termes d’apprentissage de ce souci de court-circuiter la réflexion.
Ne plus pouvoir, mais aussi ne plus vouloir décoller d’une
curiosité primaire toujours agie par les ressorts les plus infantiles
du désir de savoir que sont le sadisme, le voyeurisme et la
mégalomanie.
Ce frein est dramatique car il empêche ces enfants ou ces
adolescents de se dégager des préoccupations personnelles pour
aller vers des idées générales et porter de l’intérêt aux règles et
aux lois.
7. P EUR D ’ APPRENDRE ET PEUR D ’ ENSEIGNER S ’ ENTRETIENNENT 45

Cette curiosité qui ne se sublime pas a toutes les raisons de faire


peur aux enseignants.
Comment s’y prendre, que faire avec cette curiosité primaire ?
Il est bien évident que la règle d’accord du participe passé ou le
théorème de Thalès ne vont plus faire le poids face à l’argent du
football ou à un jeu vidéo violent.

U N LANGAGE INEXPLOITABLE QUI FREINE


LA COMMUNICATION ET NE PERMET PAS
UNE STIMULATION DE LA PENSÉE
Le point commun des « empêchés de penser » est de ne pas
pouvoir en arriver à l’expression d’un point de vue qui permette
l’échange.
Cette carence, maintient et favorise l’égocentrisme. Impossible
pour eux d’intégrer l’argument de l’autre pour l’enrichir ou le
contester. Impossible de questionner l’interlocuteur pour l’en-
courager à une meilleure explication. Impossible de prendre un
exemple pour illustrer son propos, etc.
Cette faiblesse les oblige à se taire ou à ponctuer leur point de
vue par un pic, par un mot agressif qui détourne la conversation
ou la coupe.
Les conséquences de ce défaut vont toujours en s’aggravant car
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

cette incapacité à pouvoir s’appuyer sur le langage empêche la


pensée de se structurer et rend impossible la démarche expérimen-
tale. Cette lacune paraît insurmontable pour les professeurs. Très
vite ils mesurent à quel point, elle vient casser la démarche pédago-
gique habituelle, basée sur l’interactivité dans le questionnement
oral. Mais très vite aussi, ils remarquent à quel point, elle vient
creuser et aggraver la différence entre les élèves et augmenter la
violence.
Pourtant malgré ces évidences observées et reconnues par
tous, la peur d’enseigner pousse à sous estimer les effets de ce
défaut et à le sous-traiter. Trop souvent il est considéré comme
un épiphénomène accompagnant le problème général de l’échec
scolaire, alors qu’il en est, soyons en certains, le cœur et le moteur.
46 R ECONNAÎTRE LE RÔLE NÉFASTE DE LA PEUR D ’ ENSEIGNER

U N VÉCU D’ INJUSTICE PERMANENT


QUI DÉSTABILISE LES PROFESSEURS
Nous l’avons vu, la rencontre avec le malaise provoqué par les
contraintes et les exigences de l’apprentissage, n’est que rarement
suivi d’une remise en cause personnelle.
Les élèves qui connaissent cette situation en veulent d’abord à
leurs professeurs et les vivent comme responsables de leur désarroi.
C’est la première marche qui conduit au vécu d’injustice.
Le premier réflexe du professeur, qui semble tout à fait logique,
va être de montrer à cet élève qu’il est acteur de son échec. Le
travail et le comportement vont lui en donner souvent l’occasion.
C’est ici que les idées de persécution arrivent très vite. Quand
les propositions pédagogiques n’offrent plus d’issue, la moindre
remarque est assimilée à de l’injustice, du mépris, du rejet quand
ce n’est pas carrément à du racisme anti-jeune.
Si les parents prêtent une oreille à ces explications, nous entrons
alors dans une confrontation qui peut être déstabilisante pour le
professeur, car elle dépasse cette fois le cadre professionnel pour
atteindre la sphère personnelle.

C OMMENT S ’ Y
PRENNENT DES ÉLÈVES
QUI ONT PEUR D ’ APPRENDRE
POUR ALIMENTER LA PEUR D ’ ENSEIGNER

• Des stratégies anti-pensée qui cassent la bonne démarche


pédagogique.
• Un comportement déplorable qui gène la conduite de la classe.
• Une curiosité déroutante qui freine l’accès aux règles et aux
lois.
• Un langage inexploitable qui limite l’expression et augmente la
violence.
• Un vécu d’injustice permanent qui provoque une déstabilisation
professionnelle et parfois personnelle pour le professeur.
7. P EUR D ’ APPRENDRE ET PEUR D ’ ENSEIGNER S ’ ENTRETIENNENT 47

Peur d’enseigner

Autorité excessive Démagogie relationnelle

1. Une pédagogie
qui veut combler 2. Une pédagogie
les lacunes d’emblée qui veut d’abord socialiser

- sans nourrissage culturel - sans nourrissage culturel


- sans favoriser l’expression - sans affronter les contrain-
et la créativité tes de l’apprentissage
- sans s’appuyer sur la cohésion - sans combler les manques
groupale de base

en cultivant en cultivant

- l’ennui - la démagogie relationnelle


- l’autorité - la culture jeune
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- la compétition excessive et l’expression spontanée

Deux voies différentes pour un même résultat


chez les élèves qui ont peur d’apprendre :

Une amélioration de leurs stratégies anti-apprentissages

Le chemin qui conduit de la peur d’enseigner


à la peur d’apprendre
Chapitre 8

Savoir reconnaître la peur


d’apprendre, une priorité
pour réduire la peur
d’enseigner

C ESSONS DE CONFONDRE MANQUE DE BASES


ET EMPÊCHEMENT DE PENSER
Pour moi la cause majeure de la peur d’enseigner est de ne
pas savoir faire la différence entre les deux causes principales de
la difficulté à apprendre : l’insuffisance des bases d’une part et
l’empêchement de penser d’autre part.
Notre erreur est de vouloir toujours expliquer et traduire la
difficulté d’apprentissage en termes de manque, alors que deux
fois sur trois, il s’agit d’abord et avant tout d’un fonctionnement
50 R ECONNAÎTRE LE RÔLE NÉFASTE DE LA PEUR D ’ ENSEIGNER

intellectuel perturbé par un dérèglement provoqué par la rencontre


avec les contraintes de l’apprentissage. C’est ce mécanisme qui va
alimenter la peur d’apprendre.
Cet impérialisme des théories du manque dans l’interprétation
de l’échec scolaire va peser très lourd dans le dérèglement de
l’école. Il va pousser les professeurs sur des voies sans issue pour
tenter de résoudre le problème.
Alors qu’il faudrait relancer la machine à penser des élèves en
difficulté, en enrichissant et en sécurisant leur monde interne avec
un apport culturel intensif, les professeurs se sentent obligés de
combler le plus vite possible des lacunes, en entraînant plus et en
renforçant les bases.
Avec les élèves qui ont peur d’apprendre, cette façon de pro-
céder va avoir des conséquences dramatiques. Elle aggrave leur
problème, en les faisant basculer dans « l’évitement de penser »
et en les transformant en réfractaires à l’apprentissage.
Au fil des années, nous allons les voir améliorer leurs stratégies
anti-apprentissages, aggraver leurs troubles du comportement dans
le cadre de la classe et dénaturer la relation pédagogique.
Il est donc essentiel, pour ne pas reconduire ces erreurs straté-
giques de reconnaître très vite parmi les élèves en difficulté, ceux
d’entre eux qui sont sur le versant de la peur d’apprendre, qu’il
ne faudrait surtout pas engager dans un soutien qui va prendre la
forme d’un rattrapage (environ les deux tiers du groupe), de ceux
qui souffrent véritablement d’un manque de bases pour pouvoir
avancer.

C OMMENT FAIRE LA DIFFÉRENCE ENTRE LES DEUX


FORMES DE LA DIFFICULTÉ À APPRENDRE ?
Voici le repérage que je propose de faire dès la semaine de la
rentrée.
Il s’agit tout d’abord d’une évaluation rapide et simple des
principaux savoirs de base. Cette évaluation, que je préfère appe-
ler repérage, va être menée de façon à mettre en évidence les
comportements et les attitudes qui signalent la peur d’apprendre
et son corollaire l’empêchement de penser.
8. S AVOIR RECONNAÎTRE LA PEUR D ’ APPRENDRE 51

Ce repérage est facile à réaliser, un peu plus délicat à décoder,


mais il ne nécessite pas de formation particulière pour l’enseignant
qui l’utilise. Il se fait en une heure, avec toute la classe, bien
entendu. Comme son point de départ, repose sur une lecture
silencieuse, il demande une adaptation pour les élèves qui ne lisent
pas encore. À partir du CE2 par contre, jusqu’à la fin des années
collège, il peut être repris tel que présenté. Trois points importants
pour tous les enseignants vont être amenés par ce repérage :
• il donne un aperçu du niveau de chacun dans sa maîtrise des
savoirs fondamentaux ;
• il permet de repérer très rapidement les élèves en difficulté dans
ce domaine ;
• il différencie ceux d’entre eux qui souffrent plutôt d’un manque
de bases, qui expliquerait leur difficulté, de ceux qui sont
engagés dans un fonctionnement intellectuel marqué par la peur
d’apprendre.
Autre avantage de ce repérage, il n’arrive pas comme une
parenthèse qui coupe les activités de la classe. Bien au contraire,
il offre un support intéressant à utiliser pour d’autres moments
d’apprentissage concernant les savoirs fondamentaux dans les
jours suivants.

U N TEST DE REPÉRAGE FACILE À RÉALISER


 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

POUR DISTINGUER LES DEUX FORMES


DE LA DIFFICULTÉ À APPRENDRE
Évaluer les six compétences de base en une heure

La préparation pour le professeur


Choisir un conte, facile à comprendre, intéressant et adapté à
l’âge des élèves.
Pour cet exercice je conseille un conte de Grimm dans lequel
la situation initiale est souvent forte et bien présentée et les
personnages suffisamment caricaturaux pour qu’il n’y ait pas
confusion sur leurs intentions.
52 R ECONNAÎTRE LE RÔLE NÉFASTE DE LA PEUR D ’ ENSEIGNER

Faire une photocopie pour chaque élève des premières lignes


qui introduisent et exposent la problématique abordée par l’his-
toire (10 à 12 lignes maximum pour les classes de collège).

La préparation pour les élèves


La veille annoncer à la classe que nous allons avec ce test,
essayer de voir comment chacun arrive à comprendre une histoire
en utilisant sa lecture et son écoute. Pour le vérifier il lui sera aussi
demandé d’écrire un peu, de parler, de dessiner et de calculer, à
partir d’événements qui surviennent dans l’histoire. L’explication
donnée aux enfants sur l’utilité des exercices qui vont leur être
proposés est essentielle pour obtenir une pleine adhésion. De
toute façon, ce principe de base qui consiste à justifier l’intérêt et
l’utilité de ce que nous demandons aux élèves est une nécessité
pédagogique.
Les professeurs qui ont peur d’enseigner négligent souvent cette
étape préparatoire à l’apprentissage. Ils la considèrent parfois
comme perte de temps, parfois comme porteuse de risques de
dérive, c’est dommage car ce passage en force va encore compli-
quer leur tâche.

Le test repérage en neuf séquences

Première séquence : décliner par écrit son identité


Remettre à chaque enfant la photocopie des premières lignes
du texte qui a été choisi, ainsi qu’une feuille blanche, sans ligne
(format A4), sur laquelle chacun commence par écrire son nom,
son prénom et sa date de naissance (durée : une minute).
Il est particulièrement important de repérer ceux qui font des
fautes en écrivant leur nom de famille et qui ne connaissent pas
leur date de naissance.

Deuxième séquence : lecture silencieuse


Annoncer que chacun dispose de trois minutes pour lire en
silence ces quelques lignes et trouver l’idée principale de ce début
d’histoire.
8. S AVOIR RECONNAÎTRE LA PEUR D ’ APPRENDRE 53

Troisième séquence : écriture spontanée


À la fin de ces trois minutes, demander à chacun d’écrire sur
sa feuille, en deux lignes maximum, l’idée qui pour lui est la plus
importante dans ce début d’histoire. Annoncer une durée de deux
minutes pour le faire.

Quatrième séquence : lecture à haute voix


Dans un tour de classe rapide, chacun lit à haute voix ce qu’il a
écrit sur sa feuille, sans faire de commentaire (durée totale : cinq
minutes).

Cinquième séquence : le débat


Après ce tour de classe, à partir des divergences qui ne man-
queront pas d’apparaître à propos de l’idée principale, engager
le débat. Pourquoi avoir retenu cette idée plutôt que celle-ci ou
celle-là (durée : dix minutes).

Sixième séquence : écriture sous la dictée


À la fin du débat, le professeur reformule l’idée principale
reconnue comme étant la meilleure. Elle devient celle du groupe.
Il la fait copier par tout le monde sous la dictée (deux phrases
maximum). Il en profite pour glisser deux ou trois règles de
grammaire et d’orthographe qui sont censées être connues des
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

élèves (durée : trois minutes).

Septième séquence : savoir écouter


Après cette copie, lecture à haute voix par le professeur de la
suite de l’histoire. Prendre soin d’arrêter la lecture après chaque
passage clef pour poser une question qui stimule l’écoute. Lire
lentement et ne pas hésiter à simplifier le vocabulaire (durée : huit
à dix minutes).

Huitième séquence : savoir dessiner


Arrêter la lecture, si possible après un passage fort, demander à
chacun de dessiner sur le verso de sa feuille, comment il imagine
la fin de l’histoire (durée : huit à dix minutes). Préciser que ce
54 R ECONNAÎTRE LE RÔLE NÉFASTE DE LA PEUR D ’ ENSEIGNER

n’est pas la beauté du dessin qui compte mais bien davantage,


l’idée que chacun a sur la façon dont peut se terminer l’histoire.
Pour ne pas perdre de temps, le dessin n’est pas colorié.

Neuvième séquence : savoir calculer


Donner à faire un petit problème qui enchaîne deux opérations.
Bien entendu, ces opérations sont toujours en lien direct avec l’his-
toire. Elles peuvent prendre appui, sur un temps de déplacement,
sur une distance parcourue, sur un partage d’argent, sur des achats
à faire, sur des comparaisons d’âge, sur la valeur d’un cadeau, etc.
Le problème et sa réponse sont à écrire sur le recto de la feuille
(durée : dix minutes).
L’évaluation est terminée, on peut ramasser les feuilles et
annoncer que la lecture se poursuivra le lendemain.

Repérer la peur d’apprendre :


les signes qui doivent alerter
Reprenons les séquences dans l’ordre et voyons ce que chacune
d’entre elles peut nous apporter dans ce repérage.

Décliner son identité


Ne pas connaître sa date de naissance, faire des fautes en
écrivant son nom de famille est un signe inquiétant pour les enfants
de plus de huit ans.
Il est bien souvent l’annonce d’une perturbation de la curiosité
concernant les premiers repères que sont la famille et l’identité. Il
s’accompagne fréquemment d’une difficulté à se repérer dans le
temps et dans la différence des générations.

La lecture silencieuse, l’épreuve la plus révélatrice


Il s’agit certainement de l’épreuve la plus délicate à supporter
pour ceux qui ont peur d’apprendre et qui sont déjà touchés par
l’empêchement de penser.
Au cours de ces trois minutes, chacun vit un moment de solitude
cruciale. Comment va-t-il réussir à transformer ces signes écrits,
à les décoder d’abord et à leur donner du sens, alimenté par ses
propres représentations ?
8. S AVOIR RECONNAÎTRE LA PEUR D ’ APPRENDRE 55

Les difficultés peuvent venir de deux sources : elles peuvent


être techniques, dues à la faiblesse du décodage, ce qui peut
compliquer l’accès au sens, bien sûr. Mais elles peuvent aussi
provenir des liens perturbés, entre la forme et le sens, par des
représentations parasitées ou insécurisées par des inquiétudes ou
des préoccupations personnelles.
En tout cas, c’est bien ici que nous allons voir arriver les effets
de ce que j’appelle la phobie du temps de suspension.
Agitation, instabilité, souvent accompagnées d’idées d’auto
dévalorisation, d’injustice ou d’un vécu de frustration.
Quand je propose cette épreuve à des adolescents, en échec au
collège, je suis stupéfait de voir ce que chacun d’entre eux invente
et met en place pour fuir ou raccourcir ce temps de l’élaboration
personnelle qui va avec cette lecture silencieuse.
Entre ceux qui parlent à haute voix, ceux qui agressent leurs
camarades, ceux qui disent des bêtises, ceux qui s’agitent, ceux qui
veulent aller aux toilettes, ceux qui s’avachissent sur la table en
ayant l’air de refuser l’effort... Il y a beaucoup d’observations
évidentes à faire, d’autant que le malaise déclenché par cette
épreuve est contagieux. Il gagne très vite tous les élèves qui sont
sur ce versant de la peur d’apprendre. Une attitude autoritaire et
ferme de la part du professeur est très souvent indispensable pour
ne pas que cette séquence dégénère.
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Écrire son idée principale : un obstacle difficile à surmonter


pour les empêchés de penser
Tous les professeurs le disent : le problème majeur des élèves
en difficulté se rencontre au moment du passage à l’écrit. Non pas
la copie ou la dictée, mais bien dans cette incapacité à écrire un
texte élaboré par eux. « J’arrive pas à avoir des idées », « j’ai rien
à dire ». Voilà comment souvent ils abordent l’exercice.
Les empêchés de penser refusent généralement ce travail d’em-
blée. Il faut les rassurer en leur disant que l’orthographe n’est pas
ce qui est jugé dans l’exercice. S’ils ont réussi à trouver l’idée
principale, qu’ils se lancent car c’est ce que nous cherchons à
apprécier avec ce test.
56 R ECONNAÎTRE LE RÔLE NÉFASTE DE LA PEUR D ’ ENSEIGNER

Nous avons d’ailleurs ici une proposition très intéressante pour


encourager tous les élèves à oser l’écrit. Avoir à communiquer une
idée, avoir à informer, avoir à donner son avis et le lire ensuite à
toute la classe est essentiel pour donner du sens et de l’intérêt à
cet effort qu’impose l’écrit à la plupart des élèves.

Le choix de l’idée principale : un indice qui peut s’avérer


très significatif pour repérer les élèves
qui fonctionnent en curiosité primaire
Ne pas pouvoir généraliser, en rester à des préoccupations
personnelles alimentées par un désir de savoir infantile dominé par
la mégalomanie, le sadisme, le voyeurisme est l’une des marques
d’un fonctionnement intellectuel dominé par la peur d’apprendre.
Nous allons le retrouver dans le choix de l’idée principale.
Les détails annexes qui apparaissent au début du conte, où il
est question : d’événements magiques, d’apport d’argent, de pou-
voirs extraordinaires, d’objets exceptionnels, de personnages hors
normes... deviennent l’essentiel. Ils prennent le pas sur la question
centrale qui annonce l’intrigue et va donner de l’intérêt à ce qui
va suivre.

Un exemple à propos du choix de l’idée principale


Depuis quelques années, lorsque je fais ce repérage avec des
adolescents en échec au collège, j’ai pour habitude de leur proposer
en lecture silencieuse, le début d’un conte de Grimm peu connu : La
gardeuse d’oies.
L’idée forte apparaît avec évidence dans les trois premières lignes du
conte : une princesse, fille unique, va quitter sa mère qui est veuve,
pour aller se marier avec le prince du pays voisin, qu’elle ne connaît
pas.
La séparation et la sexualité, qui s’annoncent ici avec un mariage
arrangé pour ne pas dire forcé, sont deux thèmes forts et préoccu-
pants pour les adolescents. Normalement ils ne devraient pas leur
échapper. Et bien, ceux d’entre eux qui sont touchés par la peur
d’apprendre et qui fonctionnent en curiosité primaire, vont être aspirés
par des détails qui viennent solliciter l’aspect infantile de leur désir de
savoir. Ils vont passer à côté de l’idée principale.
En effet au moment du départ, la princesse reçoit de sa mère, un
cheval qui parle, un mouchoir avec des gouttes de sang magiques,
8. S AVOIR RECONNAÎTRE LA PEUR D ’ APPRENDRE 57

beaucoup d’or et d’argent et une servante qui va la prendre en charge.


Ces éléments accessoires, qui ne sont pas anodins certes, l’em-
portent sur l’idée principale et deviennent essentiels. On comprend
aisément pourquoi la lecture de la suite de l’histoire risque de perdre
en intérêt pour ceux qui se sont engagés dans le récit avec des
attentes et des questions qui resteront sans suite.
Ceux qui sont enfermés dans cette curiosité primaire n’en sont
généralement pas arrivés non plus au stade du langage argumentaire.
Le débat pour justifier de son idée principale et la faire valoir auprès
des autres se termine très souvent, en insultes banalisées.

Cf. Compte rendu intégral de ce repérage dans Boimare Serge et al.,


Pratiquer la psychopédagogie, Dunod, 2010.

La lecture à haute voix,


un bon complément à la lecture silencieuse
Il est intéressant pour cette épreuve, d’avoir déjà repéré les
élèves qui ont buté sur la découverte de l’idée principale après les
trois minutes réservées à la lecture silencieuse.
La lecture à haute voix nous apporte un complément d’informa-
tions sur la maîtrise technique nécessaire à une lecture efficace.
Les erreurs, les hésitations nous signalent les élèves qui n’ont
peut-être pas été capables de comprendre le texte pour cause
d’insuffisance technique.
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Cette épreuve n’apporte pas d’éléments déterminants pour


pouvoir trancher entre une cause de la difficulté à apprendre plutôt
qu’une autre. Toutefois une bonne lecture à haute voix qui vient
après une mauvaise compréhension en lecture silencieuse, doit
nous alerter. C’est souvent l’un des signes du dérèglement qui a
opéré durant le temps de recherche et de fabrique d’hypothèses
qu’impose la lecture silencieuse.

Pouvoir justifier le choix de son idée principale


dans un débat organisé : une épreuve très significative
Le point commun des empêchés de penser est de ne pas
pouvoir accéder au langage argumentaire. Ils ne pourront pas ici
s’expliquer en disant ce qui a influencé leur choix.
58 R ECONNAÎTRE LE RÔLE NÉFASTE DE LA PEUR D ’ ENSEIGNER

« C’est comme ça et c’est tout », « ceux qui ne pensent pas


comme moi, n’ont rien compris », « il n’y a que les bouffons pour
croire cela »...
Ce manque de souplesse ne permet plus d’être influencé pour
améliorer son point de vue et le faire bouger. C’est un signe majeur
du ravage qu’a fait la peur d’apprendre sur le fonctionnement
intellectuel de ces enfants.
Le temps du doute, nécessaire à la construction et à la structu-
ration de la pensée n’existe plus, il est ici remplacé par un besoin
de certitude et de complétude qui n’entraîne que de la fermeture.
Bien entendu, dix minutes ne suffiront pas pour que chacun
s’exprime dans une classe de trente élèves et pour repérer tous
ceux qui n’en sont toujours pas arriver au stade de l’argumentaire.
Il faudra y revenir dans les jours suivants.
En tout cas, le professeur attentif qui n’a pas peur de conduire
ces moments de débats entre élèves, dispose ici d’un outil incom-
parable pour repérer la difficulté due à la peur d’apprendre.

Savoir écouter dans un groupe : une indication précieuse


Écouter, maintenir son attention, se sentir impliqué, lorsque
la parole du professeur ne vous concerne pas directement mais
s’adresse à tout le groupe, n’est pas évident pour certains élèves.
Les collégiens, en échec dans leur scolarité depuis des années
ont perdu l’habitude d’une écoute active dès qu’ils sont en classe.
Quand le professeur s’adresse au groupe, ils n’entendent plus
qu’un flot de paroles auquel ils ne cherchent plus à donner sens.
Les jeunes enfants hyper-actifs ont souvent besoin d’être soute-
nus par le regard de l’adulte pour enclencher et maintenir l’écoute.
La lecture d’une histoire qui intéresse peut changer la donne.
Nous allons ici assister à une véritable redistribution des cartes.
Ceux qui ont peur d’apprendre sont parfois extrêmement friands
de ces représentations apportées par une histoire qui met des mots
sur des sentiments, des préoccupations ou des inquiétudes qui les
concernent.
Ils se mobilisent alors d’une façon étonnante pour écouter.
Même si parfois ils ont encore besoin d’avoir un objet dans les
8. S AVOIR RECONNAÎTRE LA PEUR D ’ APPRENDRE 59

mains ou de faire des dessins sur une feuille pendant l’écoute, leur
implication est évidente.
C’est la première bonne surprise, le plaisir réel et l’intérêt
visible d’élèves qui sont dans l’empêchement de penser, pour
ce temps du nourrissage culturel.
Par contre, il arrive que des élèves ayant un comportement
scolaire adapté, qui réussissent plutôt bien dans les apprentissages,
aient du mal à entrer dans un monde de représentations qui
mobilisent leurs affects. Ils vont se protéger en n’écoutant pas.
Pour autant il ne faut surtout pas penser que l’exercice ne leur
convient pas. Ce type de travail est de la plus grande utilité
pour leur réussite intellectuelle future. Il va les aider à enrichir
leur mode de fonctionnement devant les différentes formes de
l’apprentissage et à sortir d’un conformisme de penser qui les
limite même quand les résultats sont honorables. Cette coupure
qu’entretiennent certains enfants entre leurs affects et leur monde
représentatif d’abord, entre leur monde représentatif et les savoirs
proposés en classe ensuite, pour pouvoir réussir, n’est pas de bon
augure pour la suite des études.
Autre indication non négligeable, qui va aussi compter dans
l’évaluation de cette capacité à l’écoute active, c’est la qualité
de la lecture à haute voix du professeur. Ici aussi rien n’est
donné d’emblée, chacun doit repérer ses propres points faibles
et chercher à les améliorer.
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

L’entraînement journalier face à des publics parfois très exi-


geants qui montrent très vite leur intérêt et leur ennui, il n’existe
pas de meilleure formation pour progresser rapidement.

Dessiner : des indications complémentaires


très intéressantes à interpréter avec prudence
Certains seront peut-être surpris de cette place donnée au dessin
dans une évaluation des compétences et des connaissances de base.
En fait, je lui donne beaucoup d’importance, car pour moi
nous sommes dans la voie la plus directe de l’expression des
représentations personnelles, surtout quand elles ont été sollicitées
et mobilisées par l’écoute d’une histoire qui a intéressé. De plus,
ici le dessin est aussi fabrique d’hypothèses sur la suite d’un récit.
60 R ECONNAÎTRE LE RÔLE NÉFASTE DE LA PEUR D ’ ENSEIGNER

Chacun va donc devoir se projeter avec ses inquiétudes, son


optimisme, ses inhibitions, mais aussi sa souplesse intellectuelle
pour anticiper sur la fin d’une histoire.
Il ne s’agit pas ici d’interpréter le dessin comme pourrait le
faire un psychologue. Nous sommes dans un cadre pédagogique
et les informations que nous allons rechercher touchent au mode
de fonctionnement de la pensée.
Le dessin va nous permettre de repérer, si l’appui sur les
représentations personnelles est possible et s’il offre un support
de bonne qualité pour stimuler le fonctionnement intellectuel.
L’infiltration de peurs, la pauvreté de la construction, l’inhibition...
sont des signes importants et possibles à repérer dans un dessin.
Autre apport intéressant pour le professeur : si des problèmes
en lecture ont déjà été repérés au début de l’évaluation (surtout
dans la lecture silencieuse), vérifier s’ils ne sont pas accompagnés
par une pauvreté représentative ou par des représentations trop
chargées en émotion ou en inquiétude.
Le dessin va peut-être nous en donner des signes. Mais ici
encore, l’interprétation doit rester prudente et prendre la forme
d’hypothèses à confirmer.
Nous allons rencontrer des élèves qui face à la peur d’apprendre
ont développé de bonnes compétences pour dessiner. J’ai même
rencontré des dessinateurs tout à fait exceptionnels touchés par
l’empêchement de penser. Ils développent alors un circuit direct
pour exprimer leurs représentations aux dépens du passage par le
mot écrit.

Ne pas pouvoir enchaîner deux opérations : un indice très


significatif d’une pensée qui n’est pas alimentée
par des représentations de bonnes qualités
Ajouter, retrancher, partager, multiplier : un enfant sur deux qui
sort du cours préparatoire a déjà le sens des quatre opérations. Par
contre, 20 % des élèves qui entrent en sixième ne l’ont toujours
pas.
Ils ne peuvent pas enchaîner deux opérations et leur possibilité
d’affronter le programme de mathématiques du collège est déjà
largement compromise, pour ne pas dire quasi-inexistante.
8. S AVOIR RECONNAÎTRE LA PEUR D ’ APPRENDRE 61

Ne pas réussir à enchaîner deux opérations est un signe fort de


cette coupure que certains enfants entretiennent entre leurs repré-
sentations et l’exercice intellectuel dans lequel nous souhaitons
les engager.
La recherche, la fabrique d’hypothèses, la mise en image d’un
scénario simple, tel que le propose le petit problème classique du
CE2, quand elles n’arrivent pas à se faire est un des signes les plus
révélateurs de l’empêchement de penser.
Ce temps particulier de retour à soi, surtout quand il est sous
l’emprise de données chiffrées, qui demandent de la précision et
de la rigueur pour être traitées, est très favorable aux dérèglements
et aux infiltrations parasites.
Les élèves qui connaissent cette gêne vont tout faire pour
l’éviter. On les voit alors, aller vite, appliquer des recettes déjà
connues, se lancer dans un travail technique inutile, se bloquer
ou se précipiter sur les chiffres pour faire n’importe quelles
opérations, etc.
Ces procédés sont déroutants pour le professeur surtout lorsque
les exercices qu’ils proposent pour améliorer le raisonnement et
la logique aggravent le phénomène.
Par contre, les enseignants qui garderont le support de l’histoire,
au-delà de ce test pour travailler ce sens de l’opération peuvent
avoir de bonnes surprises.
Après quelques semaines d’entraînement, ils pourront vérifier
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

que le scénario du problème qui reprend des situations ayant une


forte charge affective et émotionnelle (telle que nous le trouvons
dans les contes par exemple), est très stimulant pour relancer
l’utilisation et la mobilisation de représentations personnelles.
Bien entendu, la maîtrise de la technique des opérations beau-
coup plus facile à évaluer va être une des données de ce repérage.

N E PAS UTILISER CE TEST


POUR JUSTIFIER LA PEUR D ’ ENSEIGNER
Ce repérage qui nous donne de très bonnes indications, pour
faire la différence entre la difficulté à apprendre provoquée par
62 R ECONNAÎTRE LE RÔLE NÉFASTE DE LA PEUR D ’ ENSEIGNER

l’insuffisance de connaissances et celle qui est entretenue par


l’empêchement de penser, doit être utilisé avec prudence. Rien ne
doit être définitif et figé, il faudra encore du temps pour confirmer
cette observation.
Toutefois, si j’encourage à faire ce repérage dès la première
semaine ce n’est surtout pas pour classer, cataloguer ou créer un
groupe de soutien particulier pour les empêchés de penser. Bien
au contraire, c’est pour lutter contre l’aberration pédagogique qui
consiste à vouloir engager tous les enfants en difficulté dans des
aides personnalisées qui visent à combler leurs lacunes.
Plus de la moitié d’entre eux ont besoin d’une étape préalable
pour relancer leur capacité à penser. Cette étape – nous allons le
voir dans la seconde partie de cet ouvrage – doit avoir lieu dans la
classe, elle va s’avérer utile à tous, y compris aux meilleurs élèves.
PARTIE 2

TROIS CHANGEMENTS
PÉDAGOGIQUES
MAJEURS
pour diminuer la peur d’enseigner
et remonter le niveau de l’école
Premier changement

Retrouver l’esprit
d’initiative et de liberté
qui doit inspirer
la pédagogie
1. E N FINIR AVEC LA PEUR DE LA HIÉRARCHIE
Le professeur ne saurait être un simple exécutant
« Le professeur ne saurait être un simple exécutant. Le choix
des méthodes et des démarches relève intégralement de sa res-
ponsabilité. [...] À partir des objectifs nationaux il doit inventer
et mettre en œuvre des situations qui entraînent la réussite de ses
élèves. »
« Il appartient aux enseignants et aux équipes de s’emparer
résolument de cette liberté nouvelle qui est la reconnaissance de la
qualification, du savoir-faire et du professionnalisme que montrent
chaque jour les enseignants et les directeurs d’école. »
Où suis-je aller chercher ces propos qui incitent les professeurs
à prendre des initiatives et à adapter leur enseignement aux élèves
68 R ETROUVER L’ ESPRIT D ’ INITIATIVE ET DE LIBERTÉ

qu’ils ont en face d’eux ? Dans le bulletin officiel du ministère de


l’Éducation nationale de juin 2008, signé par Monsieur Darcos,
lui-même.
Pourtant, ces directives de 2008, encore appelées « nouveaux
programmes pour l’école primaire » sont considérées par les
représentants des professeurs, comme particulièrement rétrogrades
et comme un frein sérieux à la liberté pédagogique.
Certes, les propos cités sont contrebalancés par d’autres cha-
pitres où il est question, de rigueur, de mémoire, de contrôle
des acquis... mais pourquoi les enseignants choisissent-ils dans
les instructions officielles, les directives qui les limitent et les
encouragent à devenir des répétiteurs, en oubliant les autres ?
Pourquoi pensent-ils qu’ils doivent devenir des constructeurs d’au-
tomatismes et de savoir-faire instrumentaux pour répondre aux
exigences de la hiérarchie, alors que de toute évidence, le message
transmis par les textes officiels est au moins ambivalent ? Pourquoi
les messages qui infantilisent les professeurs et alimentent la peur
d’enseigner aux dépens de la créativité se sont-ils répandus comme
une traînée de poudre depuis quelques années dans les écoles et les
collèges ? Est-ce l’effet de l’indigence des formations ? S’agit-il
du malaise devant la faiblesse de nos résultats comparés à ceux des
autres nations ? S’agit-il de l’effet pervers de certaines utilisations
des évaluations ?
La réponse à cette question ne sera jamais évidente. Sans doute
ces raisons s’ajoutent-elles pour donner cette peur de l’initiative,
de l’expérimentation et même de l’intérêt qui devrait alimenter
chacune des journées en classe. En tout cas si l’on veut un jour
se débarrasser de la peur d’enseigner, il me paraît tout à fait
inopportun d’en faire une conséquence des exigences déplacées
de la hiérarchie. Je crois bien davantage à une analyse lucide du
rôle des forces inhibantes que chacun porte en lui pour faire ce
pas en avant.
R ETROUVER L’ ESPRIT D ’ INITIATIVE ET DE LIBERTÉ 69

Et si les freins aux changements étaient plutôt


du côté des enseignants que de la hiérarchie ?
Au début des années 70, alors que je venais d’être nommé
instituteur avec des enfants présentant de sérieux troubles du com-
portement, j’ai été confronté à ma première véritable inspection.
Mes collègues de l’école étaient tous très remontés contre
l’inspecteur qui avait été très critique à l’égard de l’un d’entre
eux. Le groupe s’était carrément ligué contre lui, en encourageant
le collègue concerné à contester le rapport et à ne pas le signer. Son
avis, me disaient-ils, il ne faut pas en tenir compte, c’est carrément
à l’opposé de ce que nous jugeons utile de faire. Il ne connaît rien à
la psychologie de l’enfant et il ne peut pas admettre les adaptations
pédagogiques que nous imposent des élèves caractériels.
Quelques collègues refusaient même d’être inspectés, ce qui
était répandu à l’époque. Personnellement j’avais opté pour une
position médiane, j’acceptais l’inspection mais je refusais de
présenter mes documents écrits (fiches de préparation, cahier
journal, programme annuel...) à l’inspecteur.
Comme je faisais déjà la classe en construisant les situations
d’apprentissage avec la lecture de contes et de textes mytholo-
giques, mes collègues m’avaient fortement conseillé, le jour de
l’inspection, d’en revenir à une pédagogie plus traditionnelle.
« Il faut lui présenter une leçon de grammaire, il adore la
conjugaison et l’analyse logique des phrases et pour ce qui est des
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

mathématiques, il veut une initiation aux mathématiques modernes


en ne passant plus par le comptage en base 10. » Cette marotte
était d’ailleurs très en vogue à l’époque.
Comme j’étais encore marqué par les idées contestataires de
mai 68, je refusais de céder à cette pression amicale et décidais
de faire la classe, exactement comme je la faisais habituellement.
Je m’attendais avec un certain plaisir à provoquer cet inspecteur
rétrograde.
Je me souviens encore avoir commencé la matinée par un quart
d’heure de lecture faite par moi, à haute voix sur les principales
missions qu’Hermès eut à faire pour Zeus. D’avoir prolongé cette
écoute par une discussion débat avec une saynète mimée par la
rencontre entre Alcmène, la mère d’Héraclès et le messager ailé,
70 R ETROUVER L’ ESPRIT D ’ INITIATIVE ET DE LIBERTÉ

suivi d’un texte à écrire en réponse à une question ayant émané


du débat, le problème de mathématiques avait amené les élèves à
comparer des temps de trajets faits par Hermès avec et sans ses
ailes.
Comme je voyais ce monsieur prendre des notes à n’en plus finir
pendant le déroulement des séquences, j’imaginais avec délice
avoir à me justifier.
J’avais prévu la phrase choc, celle qui tue le débat : « ne
comptez pas sur moi pour reconduire la pédagogie qui a mis ces
enfants dans cet état ».
À ma grande surprise et je peux le dire à mon désappointement,
ce monsieur me félicita.
« Tout le monde, me dit-il, m’explique que l’on ne peut rien
faire avec ces enfants. Non seulement vous avez trouvé le moyen
de les intéresser et de les faire travailler, mais en plus vous les
cultivez avec l’usage de grands textes, il faut continuer dans cette
voie et le faire savoir à d’autres... »
J’en étais presque vexé et je n’ai pas osé rapporter ces propos à
mes collègues.
Cette première confrontation avec un représentant de l’institu-
tion a été pour moi très riche d’enseignement pour la suite de ma
carrière.
J’en ai gardé l’idée que je disposais dans mon travail d’une
réelle liberté et quand il m’est arrivé par la suite de manquer de
créativité ou de désir pour prendre des initiatives, j’ai toujours
pensé que cela venait de moi plutôt que de mes supérieurs
hiérarchiques ou des instructions ministérielles. Comme la plupart
des enseignants de toute façon, je ne lisais pas ces dernières, je
me contentais de l’écho qu’elles produisaient dans les journaux
syndicaux.
2. S AVOIR RÉSISTER AUX MESSAGES SIMPLISTES
La rigueur et l’intérêt ne sont pas contradictoires

Depuis quelques années, les enseignants ne sont pas ménagés.


Les attaques répétées, menées dans les médias par certains philo-
sophes ou politiques qui n’arrêtent pas de dire que l’autorité et la
contrainte ont disparu des classes, laissent des traces.
En voulant opposer rigueur et intérêt, en préconisant les
méthodes d’autrefois qui auraient fait leurs preuves, ces
« autoproclamés du savoir-faire pédagogique » (parce qu’ils ont
enseigné quelques années, souvent à des étudiants) déstabilisent
les professeurs.
72 R ETROUVER L’ ESPRIT D ’ INITIATIVE ET DE LIBERTÉ

Ils obtiennent l’adhésion des familles surtout quand ils se font


les chantres d’une pédagogie utilitaire, aux résultats visibles et
rapides.
Les résultats de cette « pédagogie efficace » commencent à se
faire sentir. Une nouvelle baisse en 2010 dans les classements
internationaux. Un écart qui se creuse encore entre les bons
élèves et ceux qui sont en difficultés. Ce ne sont que les premiers
signes d’un déclin qui va se poursuivre – soyons en sûr – si nous
continuons dans cette voie.
Les enseignants savent pertinemment tout cela. Mais devant
ces « supposés connaisseurs » qui affirment aussi doctement leurs
idées et qui influencent les décideurs, ils n’osent plus assumer leur
choix, pourtant étayer par une pratique quotidienne. Bien souvent
ils se laissent happer par ce courant majoritaire qui est porté par
ce souci de rendement immédiat et par ces messages simplistes
qui ne font qu’aggraver la peur d’enseigner.

Éviter de creuser les écarts dès l’école maternelle


L’exemple le plus dramatique est sans doute vécu à l’école
maternelle. Tout un courant, poussé par un pragmatisme de
mauvais aloi, veut brûler les étapes nécessaires à la mise en
place des compétences pour apprendre. Le nourrissage culturel, le
maniement du langage, les repères psychomoteurs, la socialisation
sont indispensables, aux plus démunis. C’est comme cela qu’ils
pourront affronter la règle, l’attente, la solitude qui les attendent
avec l’entrée dans l’activité réflexive à laquelle ils n’ont pas été
initiés.
Pourtant une course est engagée, parfois dans la concurrence
entre école, pour aborder le plus vite possible l’apprentissage de
la lecture.
Tout cet entraînement précoce de la conscience phonologique
est sans intérêt, il ne fait que creuser les écarts entre les enfants, il
ne fait que prendre la place d’entraînement et d’apports essentiels
pour renforcer les compétences qui vont être sollicités dans la
suite de la scolarité et qui parfois manqueront aussi aux meilleurs
élèves.
R ETROUVER L’ ESPRIT D ’ INITIATIVE ET DE LIBERTÉ 73

Pourquoi les règles de bon sens, connues de longues dates par


les professeurs sont-elles remises en cause à un moment où il
faudrait justement les renforcer ?
Deux raisons pour moi l’expliquent : la première, elles ne
produisent pas de résultats repérables dans l’immédiat. La seconde,
les professeurs qui devraient être les garants de ces principes
pédagogiques, devant les attaques et la faiblesse de leur formation,
vacillent. La peur d’enseigner les empêche de s’engager dans
le débat et d’assumer des positions qu’ils ne se sentent plus en
mesure de justifier et de tenir.

En pédagogie chacun croit savoir ce qu’il faut faire


Depuis 40 ans, je rencontre tous les jours des parents dont les
enfants sont confrontés à des problèmes plus ou moins graves, de
comportement et d’apprentissage à l’école.
Ces entretiens me font mesurer à quel point chacun a des idées
bien arrêtées sur la façon dont devrait se transmettre le savoir. Sans
exagérer je peux dire que chaque parent voudrait voir généraliser
la pédagogie qui lui a convenu ou celle qui conviendrait, pense-t-il,
à son enfant (c’est d’ailleurs souvent la même).
Les uns réclamant davantage d’autorité et de contraintes, sou-
vent pour un recentrage sur les savoirs de base et une valorisation
de la mémoire. Alors que les autres souhaitent plus de souplesse
et d’ouverture sur le monde avec une place donnée à l’expression
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

et à l’initiative personnelle. Ces propos tenus souvent de manière


agressive et conflictuelle à l’égard de l’école qui ne fait pas ce
qu’il faudrait faire, me montrent tous les jours que la transmission
des connaissances ne pourrait pas se faire d’une façon simple et
univoque.
Si le désir de savoir est bien présent chez la plupart des enfants,
il ne leur donne pas pour autant des ailes pour affronter les
exigences et les contraintes inhérentes à l’apprentissage. « Savoir
oui, apprendre non » pourrait être la devise de beaucoup d’entre
eux.
À partir de ce constat, on voit mal comment un professeur
pourrait se contenter des techniques de transmission propres à
sa discipline, pour faire passer un message. Comment va-t-il s’y
74 R ETROUVER L’ ESPRIT D ’ INITIATIVE ET DE LIBERTÉ

prendre pour faire admettre la règle à celui qui n’a pas été initié
à la frustration dans sa famille ? Comment va-t-il faire attendre
celui qui veut tout, tout de suite ? Comment va-t-il faire réfléchir
celui qui utilise le passage à l’acte pour fuir la pensée, etc.
Face à ces problèmes complexes, qui se posent à chaque cours,
il est bien évident que des principes rigides ne vont provoquer que
du rejet, du blocage, de l’opposition ou du décrochage.
Philippe Meirieu dans ses ouvrages nous a montré avec beau-
coup de rigueur et de finesse, le rôle de la relation, de l’énigme,
de l’intérêt, de l’autonomie, du groupe... pour créer des conditions
propices à l’apprentissage et à la pensée, sans brader les savoirs.
Depuis quelques années, sans que l’on comprenne bien pour-
quoi, il est l’objet d’attaques féroces, relayées parfois par les
médias. À tel point que certains parents que je rencontre en font
le champion de la démagogie et de la chute de l’orthographe.
Lorsque je les questionne sur l’origine de ces informations,
ils me disent très simplement avoir lu un article sur l’école paru
dans un journal ou un hebdomadaire au moment de la rentrée des
classes.
C’est sans doute plus simple de caricaturer une pensée, plutôt
que de reprendre et d’analyser des idées dont nous aurions le plus
grand besoin pour donner une vraie formation aux professeurs et
pour réduire les effets néfastes de la peur d’enseigner.
3. N E PAS LAISSER PERVERTIR LA PÉDAGOGIE
PAR LES ÉVALUATIONS
L’évaluation fait partie des processus
de transmission
Soyons clair, il n’y a pas de pédagogie sans évaluations.
J’ai travaillé toute ma carrière avec des élèves en difficulté et il
ne me serait jamais venu à l’idée de me passer de cet outil.
Dès nos premières rencontres, j’ai toujours voulu savoir où
en étaient mes élèves de leur parcours scolaire. J’ai toujours
voulu repérer leurs acquis, leurs lacunes comme leurs stratégies
d’apprentissage. J’ai rapidement compris l’intérêt de séparer dans
cette évaluation, les connaissances acquises et les moyens dont
ces enfants disposent pour les conquérir et les maîtriser. J’ai aussi
76 R ETROUVER L’ ESPRIT D ’ INITIATIVE ET DE LIBERTÉ

vérifié régulièrement les effets de mes propositions sur ces mêmes


élèves.
Comment vouloir faire un projet pour un individu ou un
groupe sans évaluer ? Mais il faut être bien conscient que les
évaluations portent en elles deux risques majeurs de perversion
de la pédagogie. Chacun doit les connaître pour en diminuer les
effets.

Premier risque : les évaluations deviennent un instrument


pour juger la valeur d’un professeur
Quand les évaluations sont utilisées pour montrer la qualité
d’une école par rapport à une autre, elles ont toutes les chances de
pervertir le travail pédagogique.
L’exemple dramatique que je rencontre fréquemment depuis
quelques années est celui des professeurs qui entraînent leurs
élèves aux exercices types demandés à l’évaluation.
La peur d’être jugés à partir des résultats de leurs élèves les
pousse à faire bachoter ce qui va être proposé à l’évaluation
en sacrifiant les détours, les bases, le sens si importants pour la
maîtrise des savoirs. Cette façon de procéder est néfaste pour trois
raisons au moins, faciles elles aussi à évaluer :
• elle aggrave la coupure avec les élèves en difficulté qui ne
peuvent pas progresser ainsi ;
• si elle remonte artificiellement le niveau des élèves moyens, elle
les coupe d’un travail de fond sur les compétences transversales,
dont ils auront besoin pour la suite de leur scolarité ;
• elle cultive l’ennui des meilleurs élèves.

Second risque : la dictature de l’immédiateté peut réduire


à néant le travail essentiel sur l’amélioration
des capacités transversales
Communiquer, collaborer, réfléchir, créer, sont les quatre com-
pétences majeures que devrait travailler l’école pour améliorer le
niveau général de tous ses élèves.
R ETROUVER L’ ESPRIT D ’ INITIATIVE ET DE LIBERTÉ 77

Peu importe si parfois on les appelle, attitudes, aptitudes,


compétences, capacités, facultés... Peu importe qu’on les dise,
fondamentale, transversale ou principale.
Si l’on coupe ainsi les cheveux en quatre c’est parce que notre
compétence d’enseignant est suffisante pour observer et mesurer
ces qualités qui font des différences si fortes entre les élèves, mais
qu’elle ne l’est pas assez pour les renforcer ou les transmettre à
ceux qui ne les ont pas.
Pourtant ces qualités devraient être travaillées tous les jours.
Chaque professeur, quand il aborde une notion nouvelle, devrait
penser à la façon dont il va l’utiliser pour entraîner et renforcer
ces aptitudes fondamentales.
Nous oublions trop vite que ces points d’appui sont essentiels,
non seulement pour favoriser l’apprentissage mais aussi pour
accéder à l’autonomie et à la solidarité indispensables à la vie
citoyenne.
Nous l’oublions parce que les progrès dans ces domaines de
compétences sont longs à venir. Ils demandent parfois plusieurs
mois, voire plusieurs années pour s’inscrire. Autant l’évaluation
de la maîtrise d’une règle de grammaire ou de mathématiques est
simple, autant l’évaluation d’un progrès dans l’expression orale
ou dans la démarche réflexive n’est pas évidente à mesurer, elle
demande parfois à être repérée par d’autres collègues quand ce
n’est pas par ceux qui continueront le travail l’année suivante.
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Tous les professeurs qui se sont engagés dans des ateliers


débats, autour de questions philosophiques ou d’expérimentations
scientifiques, savent qu’il faut au moins six mois d’entraînement
journalier pour faire franchir le cap du langage argumentaire à
ceux qui n’y sont pas.
Dans le même registre, l’entrée dans la démarche réflexive
réclame souvent entre une et deux années, d’apport culturel
et d’entraînement à l’expression, réguliers, pour ceux qui sont
touchés par l’empêchement de penser.
Comment l’évaluer ? Comment le prendre en compte pour que
les résultats immédiats ne viennent pas sacrifier ce travail de
fond. Le temps doit être l’allié du pédagogue et de son élève,
78 R ETROUVER L’ ESPRIT D ’ INITIATIVE ET DE LIBERTÉ

méfions-nous du « tout, tout de suite », qui nous pousse à évaluer


des compétences que nous ne prenons plus la peine de construire.

L’évaluation à l’âge d’or de la pédagogie


En 1955, j’étais l’élève d’une classe de CM2 dans une école
publique du Morbihan, à Auray pour être plus précis. Les éva-
luations n’existaient pas encore, mais des choses tout à fait
comparables se jouaient autour de l’examen d’entrée en 6e .
Dans notre école nous avions quasiment cent pour cent de
réussite chaque année et nous battions régulièrement « l’école
des curés » de notre ville dans le classement départemental pour
la plus grande fierté de tous les tenants de la « laïque ».
Les parents le savaient et n’arrêtaient pas de tresser des cou-
ronnes de lauriers à notre instituteur « un homme sévère mais
juste, qui savait valoriser les efforts et ne pas laisser les cancres
faire l’imbécile et empêcher les autres de travailler ».
Voilà ce que j’entendais régulièrement, depuis plusieurs années,
dans les conversations entre adultes qui parlaient de lui. « C’est le
meilleur du département, profite de ton année » m’avait dit mon
père.
De ma place d’élève, sans avoir l’esprit critique, je n’avais pas
tout à fait le même avis. La classe était rébarbative au possible
et je m’y ennuyais profondément. Chaque jour, du lundi au
samedi, nous faisions la même chose. Un rituel bien huilé, le
matin, copie d’un court texte et d’une phrase de morale, c’était le
moment le plus intéressant de la journée. Ensuite dictée, question
et correction avant la récréation. Après la récréation, un problème
pris dans les annales de l’examen d’entrée en 6e et la correction.
Nous recommencions dans le même ordre l’après-midi, seule
différence, la morale était remplacée par de la lecture à haute
voix de quelques-uns d’entre nous. L’histoire, la géographie,
les sciences, la poésie se travaillaient sous forme de résumés à
écrire, de textes à copier dans nos livres, de dates et de chiffres à
apprendre par cœur, à l’étude du soir ou chez nous. Jamais nous
ne faisions de sport ou de dessin sur le temps de la classe.
Mais cette pédagogie, dont certains réclament le retour, avait
un sérieux revers qui ne choquait personne. Les 100 % de réussite
R ETROUVER L’ ESPRIT D ’ INITIATIVE ET DE LIBERTÉ 79

à l’examen d’entrée en 6e , ne concernaient que les présentés.


C’est-à-dire un tiers de la classe, soit 12 sur 36. Les autres ne
pouvaient pas prétendre passer au lycée. Soit, ils entraient au cours
complémentaire pour espérer le Brevet, soit ils allaient préparer
leur certificat d’études.
Pris par l’importance de la réussite à l’examen, le maître nous
avait séparés en trois rangées. La rangée 1, « les bons », ceux qui
passaient l’examen, heureusement pour moi j’en faisais partie. La
rangée 2, « les moyens faibles », ceux qui allaient poursuivre leurs
études au cours complémentaire, c’est ce que disait le maître et la
rangée 3, « les certifs », c’est ainsi que nous les appelions tous. Le
groupe 3 était complètement délaissé, sauf quand certains faisaient
du bruit pour recevoir des coups de règle sur les doigts.
Tout était en ordre dans le meilleur des mondes. Nous étions
classés chaque mois, après deux journées de composition, où nous
faisions les mêmes exercices que d’habitude, mais corrigés cette
fois par le maître. Après l’annonce du classement, chacun était
mis à la place et dans la rangée qui lui revenait en fonction de ses
résultats.
Avec cette pédagogie, les variations étaient minimes, deux ou
trois élèves échangeaient leur place chaque mois.
Pour la gloire de notre instituteur, cet entraînement acharné
de savoir-faire déjà en place, faisait progresser considérablement
une bonne moitié de la classe dans la maîtrise de l’orthographe
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

et dans les automatismes mathématiques. C’était bien la moindre


des choses. Par contre, personne ne semblait remarquer que nous
n’étions pas du tout préparés aux apprentissages qui nécessitent de
s’appuyer sur la réflexion, la création ou l’expérimentation. Cela
m’a beaucoup manqué dans les trois années qui ont suivi et de
bon élève que j’étais dans cette classe, je me suis retrouvé bien
médiocre en classe de 6e et de 5e , que j’ai redoublée, au lycée de
Vannes.
Cet instituteur avait-il peur d’enseigner ? Il aurait éclaté de rire
si on lui avait posé la question. Pourtant en se conformant ainsi
à la pression des parents et des résultats à l’examen qui devenait
une véritable évaluation de son travail, il avait bradé sa liberté et
les valeurs essentielles du métier d’enseignant.
80 R ETROUVER L’ ESPRIT D ’ INITIATIVE ET DE LIBERTÉ

Il ne croyait pas au principe d’éducabilité et au changement


qu’il aurait pu produire chez ses élèves. Pour lui, « les cancres et
les têtes de bois » qui ne répondaient pas à la pression, n’avaient
qu’à attendre la sortie. À cette époque, ils le faisaient très sage-
ment.
Il ne croyait pas à la solidarité, le coup des trois rangées avait
développé un esprit de concurrence entre nous et un mépris envers
ceux qui ne réussissaient pas, tout à fait détestable.
Il ne croyait pas au rôle de la culture pour éveiller notre curiosité
et notre sensibilité. Il ne croyait pas au rôle de l’expression pour
développer notre jugement et notre pensée.
Il ne voulait pas savoir que la motivation, la confiance en soi,
le désir de réussite, l’initiative, sont des attitudes essentielles pour
apprendre et qu’elles se renforcent. Il y aurait encore beaucoup
de chose à dire sur cette pédagogie « modèle » pour certains,
mais je ne crois pas me tromper beaucoup en disant que derrière
cette autorité abusive, ces rituels excessifs, ce dressage sans
imagination, nous avons là l’exemple de l’une des formes les
plus répandues de la peur d’enseigner.
4. M ONTRER L’ IMAGE D’ UN ADULTE ENGAGÉ
DANS LA PENSÉE
Résister à l’usure professionnelle
Le modèle du fonctionnement intellectuel du professeur devant
la connaissance est déterminant dans sa capacité à transmettre. On
ne le dira jamais assez : l’identification au professeur est le ressort
le plus puissant de la pédagogie.
Mais comment rester en alerte et maintenir un véritable plaisir
de penser avec des savoirs que l’on répète ? Comment garder
l’envie de transmettre dans des classes où une partie des élèves
montre son désintérêt et son opposition ?
Le pari n’est pas mince et il faut le dire. Il faut avoir la
lucidité de reconnaître que l’empêchement de penser des élèves
82 R ETROUVER L’ ESPRIT D ’ INITIATIVE ET DE LIBERTÉ

est contagieux et peut facilement gagner le professeur. Il faut


pouvoir reconnaître avec humilité que l’énergie s’épuise devant le
refus d’implication. L’interaction devient alors désastreuse, elle
renforce négativement les positions de chacun. En tout cas chez
le professeur, elle réactive tous les mécanismes qui alimentent la
peur d’enseigner et le souci de se protéger.
Comment sortir de cette spirale infernale ? Pour moi, il n’y a
que deux gardes fous qui vont permettre de se dégager de cette
situation qui peut vite devenir explosive, la culture et la réflexion,
basées sur l’expérimentation en équipe.

La culture est le meilleur stimulant


pour la pensée du professeur
Si la culture peut être un support merveilleux pour relancer
l’intérêt des élèves (nous verrons comment et pourquoi) elle peut
aussi être un excellent stimulant pour la pensée du professeur.
Musique, littérature, histoire, théâtre, cinéma, peinture, cui-
sine... Chaque professeur devrait avoir une passion qu’il développe
et enrichit au fil des années. Chaque professeur devrait avoir
une passion qu’il apprend à mettre en lien avec l’objet de son
enseignement. Il n’y a rien là de très compliqué et un débutant est
capable de le mettre en œuvre.
Dans cet esprit, j’ai déjà vu faire de la plus belle façon, le
programme de mathématiques d’une classe de 4e en s’appuyant
sur le roman de Jules Verne, Voyage au centre de la terre. J’ai vu
faire des cours d’allemand pour débutants, alimentés par l’écoute
d’un opéra de Wagner. Les cours de français qui prennent appui
sur la présentation ou la préparation d’une pièce de théâtre sont
nombreux.
Les professeurs qui travaillent ainsi voient leur intérêt personnel
relancé par l’apport d’œuvre culturelle. L’aspect expérimental de
cette présentation des savoirs, quand il est allié à une possibilité
de communiquer sur le travail, augmente le plaisir d’enseigner.
La double commande ainsi créée pour conduire le cours, donne
des ouvertures relationnelles et des chemins pour le retour de l’in-
térêt que n’autorise pas toujours la présentation « non médiatisée »
des savoirs disciplinaires.
R ETROUVER L’ ESPRIT D ’ INITIATIVE ET DE LIBERTÉ 83

Le travail en équipe : le meilleur rempart


contre la peur d’enseigner
Quant à la réflexion en équipe sur la pratique pédagogique,
dès qu’elle est étayée par l’expérimentation elle est sans aucun
doute, la meilleure façon d’être accompagné et soutenu pour se
dégager de la peur d’enseigner. Dès que des professeurs acceptent
d’observer, de rapporter, de comparer ce qu’ils font à plusieurs, les
effets positifs produits sont étonnants. Ils s’observent tout autant
pour les individus que pour le groupe.
Le plus bel exemple que j’ai vu sur le sujet est celui d’une école
élémentaire d’une dizaine de classes qui avait pris comme projet
de greffer toutes les activités liées à l’apprentissage de la langue
(lire, écrire, parler, s’initier à l’anglais) en partant dans toutes les
classes de la lecture de contes d’Andersen.
Cinq contes avaient été choisis par l’équipe (Le vilain petit
canard, La petite sirène, Les habits neufs de l’empereur, L’intré-
pide soldat de plomb et La princesse au petit pois). Chacun d’entre
eux devait faire l’objet d’une lecture à haute voix par l’enseignant,
dans chaque classe et être le support du travail durant une semaine.
L’effet positif sur l’équipe des enseignants fut immédiat et
remarquable. Lors de la réunion hebdomadaire, les échanges
furent si riches, qu’il fallut faire des sous-groupes par cycles, pour
que chacun puisse préparer son tour de parole.
Les observations comparatives commencèrent sur la façon dont
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

chacun lisait à haute voix :


« Combien de temps lire sans s’arrêter ? Où se placer ? Quand
s’arrêter ? Jusqu’à quel point faut-il théâtraliser ? Comment véri-
fier la qualité de l’écoute ? Comment faire avec les mots peu
connus des élèves ? Quel est le moment de la journée le plus
favorable à l’écoute ? »
Elles se poursuivirent sur l’utilisation de cette lecture à des fins
d’apprentissages :
« Comment engager un débat ? Quelles questions retenir ? Que
faire lire aux élèves ? Comment favoriser le passage à l’écrit ?
Comment en arriver aux apprentissages sans faire perdre sa force
dramatique au texte ? Peut-on faire de la grammaire avec un
conte ? »
84 R ETROUVER L’ ESPRIT D ’ INITIATIVE ET DE LIBERTÉ

Elles continuèrent par une réflexion plus générale sur l’organi-


sation de l’école :
« L’ambiance des récréations avait changé, les relations entre
les grands et les petits s’amélioraient, les parents étaient plus
impliqués. Deux réunions furent consacrées à la communication
que nécessitait cette expérimentation auprès des enfants, des
parents et de l’inspecteur. »
Incontestablement cette situation nouvelle d’avoir, à observer,
à faire du lien, à communiquer était venue enrichir et stimuler le
plaisir d’enseigner. Les élèves l’ont bien perçu eux aussi et l’inter-
action positive indispensable à la pédagogie était enclenchée.

L’exemple du Mexique
Le premier livre que j’ai écrit, L’enfant et la peur d’apprendre, fut traduit
en espagnol dès l’année suivante par le fondo de cultura argentin.
À ma grande surprise, dans les mois qui suivirent, 40 000 exem-
plaires furent vendus en quelques semaines au Mexique. En fait,
il était devenu un ouvrage référence, conseillé très fortement aux
professeurs des classes élémentaires, par le Ministère.
Lorsque j’ai été invité à aller faire une série de conférences à
Mexico pour promouvoir l’ouvrage, les responsables du ministère de
l’Éducation m’ont expliqué pourquoi ils avaient fait ce choix. « Vous
conseillez d’appuyer les apprentissages sur l’utilisation de grands
textes, c’est une bonne idée pour faire travailler les enfants et leur
donner envie d’apprendre, mais si nous avons choisi de privilégier
la lecture de votre livre, c’est parce que nous pensons que cette
démarche est encore plus utile pour les adultes qui enseignent. Au
Mexique, nos professeurs ne sont pas tous cultivés et leur enseigne-
ment devient vite ennuyeux et sans âme, pour leurs élèves comme
pour eux-mêmes. L’utilisation de textes fondamentaux, surtout que
nous en avons beaucoup dans notre patrimoine national, devrait les
aider à sortir de ce marasme. »
Je n’avais pas pensé aux professeurs en faisant le choix de ces média-
tions, mais avec le recul que me donnent mon expérience personnelle
et celle d’équipe que je vois s’engager sur ce chemin, il me paraît
de plus en plus évident que l’image d’un adulte passionné et engagé
dans la pensée est le meilleur ressort de l’action pédagogique.
5. P ROFITER DES RECOMMANDATIONS
DU SOCLE COMMUN DE CONNAISSANCES
ET DE COMPÉTENCES
Des objectifs qui ne négligent plus
les compétences et les attitudes
« Développer l’esprit critique, permettre l’accès à la culture,
stimuler la curiosité et la créativité, aidé à exprimer sa pensée au
plus juste de ses intentions, donner la conscience de l’universel,
aider les élèves à devenir des citoyens actifs et responsables... »
Et si les propositions contenues dans le socle annonçaient la
révolution pédagogique que nous sommes nombreux à attendre ?
Et si les propositions contenues dans le socle, permettaient enfin
que soit pris en compte dans le travail pédagogique la nécessité
86 R ETROUVER L’ ESPRIT D ’ INITIATIVE ET DE LIBERTÉ

de construire et d’améliorer des attitudes indispensables aux plus


fragiles pour pouvoir apprendre ?
Ces recommandations qui s’attachent à donner du sens et de
l’intérêt à la culture scolaire sont-elles compatibles avec une
transmission exigeante des savoirs ?
Bien évidemment, pour s’en convaincre, il suffit de lire avec
attention la liste des connaissances et des compétences faisant
partie du socle pour maîtriser la langue française et avoir une
culture humaniste. Il suffit de faire la liste des lois fondamentales
de mathématiques, de sciences et de technologie à connaître à la
fin de la scolarité obligatoire.
Avec un peu d’objectivité et d’honnêteté, nous verrons qu’à
l’heure actuelle nous en sommes loin, pour plus de la moitié de
nos élèves.
Ces recommandations qui veulent tenir compte des différences
de rythme dans les apprentissages vont-elles freiner nos meilleurs
élèves ?
Cette crainte, si facile à agiter chez les parents, n’a pas lieu
d’être. Pourquoi les meilleurs n’y trouveraient-ils pas les condi-
tions d’une pleine réussite ?
L’esprit critique, l’autonomie, l’expression personnelle
manquent parfois à nos bons élèves, ici elle est l’objet d’attention.
Arrêtons de dire qu’il s’agit d’un apport accessoire ou marginal,
c’est une véritable nécessité pour diminuer le nombre de ceux
qui échouent à l’université, faute de pouvoir se resituer devant
une approche de la connaissance, qui sollicite davantage leur
indépendance d’esprit et leurs capacités réflexives.

Des pistes pédagogiques encore à inventer


Mais comment faire pour que ces bonnes intentions passent au
niveau de la pratique ? Comment un professeur doit-il s’y prendre
pour faire progresser ces attitudes ?
• faire des ponts entre les disciplines ?
• donner du sens à la culture ?
• se placer du point de vue de l’élève ?
• augmenter les pratiques artistiques et sportives ?
R ETROUVER L’ ESPRIT D ’ INITIATIVE ET DE LIBERTÉ 87

• suivre la progression de chacun grâce au livret personnel de


compétences ?
• faire des études surveillées et du tutorat ?

Puisque ce sont quelques-unes des pistes évoquées pour


atteindre le niveau du socle.
Mais à l’évidence, elles sont trop floues et trop généralistes.
Encore une fois, elles ne feront qu’alimenter la peur d’enseigner
des professeurs qui ont besoin de recommandations plus pratiques
et plus précises pour se rassurer et pour oser se lancer dans une
pédagogie différente.
Comment faire progresser des capacités personnelles qui ont
des racines psychologiques et éducatives, quand on a été à peine
formé à la technique de transmission des savoirs disciplinaires ?
Cette mission paraît d’emblée illusoire à certains. Devant cette
impossibilité, le plus simple est encore d’attaquer ce à quoi on n’a
pas accès. C’est ainsi que l’on entend déjà dire, que les savoirs
sont bradés, que nous entrons dans l’aire de la démagogie, que le
livret de compétences est une « usine à cases », que les professeurs
ne sont pas des psychologues, etc.
Arrêtons avec ces critiques injustifiées qui empêchent encore
une fois que se mettent en place des propositions cohérentes,
exigeantes et utiles qui ont fait leur preuve dans d’autres pays
européens qui nous devancent dans les classements internationaux.
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Dans le chapitre qui va suivre, je vais tenter de donner quelques


pistes qui devraient permettre de comprendre comment il est
possible de faire interagir la présentation des savoirs avec un souci
de faire progresser (ou parfois même de mettre en place), des
attitudes, sans lesquelles il n’est pas envisageable d’aborder les
contraintes de l’apprentissage avec les plus faibles.
Pour moi le plus logique est encore de partir des cinq besoins
fondamentaux des empêchés de penser : être intéressé, être nourri,
être entraîné à la réflexion, trouver du sens aux savoirs fondamen-
taux, être intégré au groupe. Nous allons voir qu’en respectant
ces besoins essentiels pour ceux qui habituellement ne trouvent
pas leur place dans la classe, il n’y a que des bonnes choses à
attendre, tant pour une transmission exigeante des connaissances
88 R ETROUVER L’ ESPRIT D ’ INITIATIVE ET DE LIBERTÉ

que pour l’épanouissement de nos meilleurs élèves et la sérénité


de nos écoles.

La pédagogie marche sur deux jambes

Savoirs disciplinaires ou compétences ? Contrainte ou plaisir ?


Globale ou syllabique ? Arrêtons de vouloir faire marcher la
pédagogie sur une seule jambe.
Quand on a passé plus de quarante ans à recevoir des jeunes
gens qui ont raté leur scolarité, on mesure à quel point les
enseignants rigides qui ne savent pas faire varier leur position
entre la tête bien faite et la tête bien pleine, font du dégât.
L’exemple le plus criant est sûrement celui de l’apprentissage
de la lecture. Tous les enseignants raisonnables, savent qu’il
repose sur l’interaction entre deux leviers qu’il faut faire travailler
simultanément aux enfants : le décodage et la fabrique d’images.
Régulièrement pourtant nous sommes confrontés à des chercheurs
qui, sous prétexte de venir en aide aux enfants qui rencontrent des
difficultés d’apprentissage, inventent des méthodes qui privilégient
à l’excès l’un des leviers aux dépens de l’autre.
Ils oublient simplement un détail, les difficultés pour apprendre
à lire ne sont pas identiques. Si certains enfants manquent de cette
capacité à faire de l’image avec le mot lu, d’autres vont souffrir
de ne pas reconnaître les formes et de ne pas réussir à les mettre
en mémoire.
On va voir alors que l’apprentissage excessivement technique
aggrave le défaut de ceux qui n’arrivent pas à s’appuyer sur leurs
représentations pour donner du sens à la lecture, en les poussant
au conformisme de penser.
À l’inverse, l’apprentissage excessivement global pousse les
enfants qui se défendent de la réflexion à inventer et à deviner
plutôt qu’à lire.
Cette méthode les encourage à devenir des champions de
l’association immédiate. Ils trouvent ainsi un moyen de fuir et
d’écourter ce temps de retour à eux dont ils auraient le plus grand
besoin pour renforcer leur capacité à apprendre.
Deuxième changement

Une heure de culture


humaniste journalière
pour redonner du souffle
à la pédagogie
1. S AVOIR TRAITER AVEC LES MOINS BONS
POUR AMÉLIORER LE NIVEAU DE TOUS
Un nouvel élan pour la pédagogie

Le pari n’est pas habituel, je le reconnais. Il peut prendre pour


certains l’allure d’une véritable révolution.
Cette fois, au lieu de chercher à affiner les techniques qui
permettent de transmettre les savoirs dans chacune des disciplines,
au lieu de chercher à faire du soutien sous forme d’entraînement
supplémentaire ou de rattrapage pour les moins bons, nous allons
choisir de partir des besoins fondamentaux des « empêchés de pen-
ser » pour se réconcilier avec l’apprentissage et de les appliquer à
tous, y compris aux meilleurs élèves.
92 U NE HEURE DE CULTURE HUMANISTE JOURNALIÈRE

En nous engageant dans cette voie, nous allons constater que ces
besoins qui sont essentiellement au nombre de cinq, deviennent
des ressorts formidables pour dynamiser la pédagogie et relever le
défi de la classe hétérogène.
Quelques semaines suffiront pour vérifier que nous tenons là
le moyen d’éviter la marginalisation des plus faibles, de relancer
l’intérêt des meilleurs. Mais aussi, et c’est sans doute ici que le
changement en profondeur va se réaliser, de donner aux profes-
seurs des outils pour se débarrasser de la peur d’enseigner dans
une classe où se trouvent des élèves qui n’ont pas toujours le
comportement ou le niveau requis pour répondre aux exigences
des programmes.
En quoi consistent les besoins des empêchés de penser pour se
réconcilier avec l’apprentissage ?
Comment peut-on y répondre dans la classe ?
Quels sont les changements à faire ?
Quels sont les impératifs de cette nouvelle pédagogie ?
Comment peut-on évaluer ses effets sur l’ensemble des élèves
de la classe et surtout sur les meilleurs d’entre eux ? Ne seraient-il
pas les sacrifiés de cette pédagogie qui ambitionne de se donner
les moyens de traiter avec les plus démunis ?
C’est ce que nous allons voir maintenant, en commençant par
présenter les cinq besoins fondamentaux des empêchés de penser
pour se remettre à fonctionner dans la classe et en montrant
comment ils peuvent être utilisés pour sortir du conformisme
pédagogique qui entretient l’échec scolaire.
U NE HEURE DE CULTURE HUMANISTE JOURNALIÈRE 93

C ONNAÎTRE LES CINQ BESOINS FONDAMENTAUX


DES EMPÊCHÉS DE PENSER

1. Être intéressés par ce qui se fait dans la classe, c’est le point de


départ sans lequel rien ne sera possible.
2. Être nourris par un apport culturel quotidien
3. Être initiés et entraînés à l’activité réflexive par de l’entraîne-
ment au débat (à l’oral comme à l’écrit)
4. Être confrontés à des savoirs qui prennent du sens et des
racines en étant reliés à l’apport culturel ou au débat qu’il a suscité
5. Être intégrés à la classe grâce à la construction d’un patrimoine
commun donné à tous avec la culture et avec le débat sur le temps
de la classe

NE PLUS AVOIR PEUR DES BESOINS FONDAMENTAUX


DES EMPÊCHÉS DE PENSER POUR APPRENDRE

Ils peuvent devenir les ressorts d’une pédagogie améliorée pour


tous.
C’est en répondant à ces besoins que nous allons pouvoir donner
du sens à la culture scolaire et la valoriser.
C’est en répondant à ces besoins que nous allons assurer la
cohérence globale d’un parcours d’apprentissage en construisant
des ponts entre les disciplines.
C’est en répondant à ces besoins que nous allons transmettre à
tous, avec la culture et le langage, un patrimoine commun qui
donne les repères nécessaires à une compréhension de l’universel.
C’est en répondant à ces besoins que le professeur retrouvera la
dimension humaniste qui doit présider à la transmission du savoir,
et qui lui donnera les moyens de surmonter la peur d’enseigner.
94 U NE HEURE DE CULTURE HUMANISTE JOURNALIÈRE

Les besoins fondamentaux des empêchés


de penser ne sont pas compatibles
avec le conformisme pédagogique
Les intéresser... oblige à traiter avec la curiosité primaire
C’est déjà un impératif difficile à tenir. Comment est-ce pos-
sible ? Quand une classe ambitionne de faire le programme,
peut-elle aussi traiter avec des préoccupations qui sont restées
liées aux ressorts les plus archaïques du désir de savoir ?
Nous le savons, la grande majorité des cours se déroule dans
un ennui remarquable pour les élèves en difficulté qui ne savent
pas écouter. Si un jour nous voulons diminuer l’échec scolaire, il
faudra que les professeurs soient capables de faire des ponts entre
la curiosité primaire et les savoirs proposés en classe. Nous allons
voir comment la culture peut les aider à assumer ce rôle délicat.

Les nourrir... impose au professeur de se détourner


momentanément de ses objectifs
Même si c’est pour mieux les servir, ce pas de côté inquiète.
Il est souvent assimilé à une perte de temps. En fait, il faut
absolument donner aux empêchés de penser, grâce à la culture, les
moyens de lutter contre la désorganisation que provoquent en eux
les sentiments parasites dès qu’ils sont confrontés aux exigences
de l’apprentissage. Le nourrissage culturel, en enrichissant et en
sécurisant les représentations, va jouer ce rôle régulateur. Il permet
de donner une forme aux inquiétudes et aux émotions excessives,
c’est ce qui va rendre possible le travail de la pensée et favoriser
les activités créatives.

Les initier et les entraîner à l’activité réflexive...


oblige à une organisation de la classe qui permette
l’entraînement à débattre et à argumenter
Nous le savons, les activités qui sollicitent les expressions
personnelles sont celles qui demandent le plus de savoir-faire
pédagogique aux professeurs. Réussir à faire parler des élèves dans
une classe n’est jamais simple. Les risques de dérive démagogique
sont réels. Pourtant j’insiste, ne pas le faire est encore plus
dommageable pour le groupe.
U NE HEURE DE CULTURE HUMANISTE JOURNALIÈRE 95

L’entraînement à débattre quand il est soutenu par un apport


culturel ou scientifique est une activité majeure pour aider les
empêchés de penser à renouer avec leurs capacités réflexives et à
structurer leur pensée. Ne la sacrifions pas pour cause de « peur
d’enseigner ».

Les confronter à des savoirs qui ont du sens et des racines...


ne permet plus aux professeurs d’imposer à leurs élèves
des connaissances qui tombent du ciel
L’approche comme la consolidation des savoirs fondamentaux,
dès que l’on s’adresse à des élèves empêchés de penser, doit
toujours être soutenue par un apport culturel qui permet de faire
des ponts entre les disciplines.
C’est comme cela que nous allons leur permettre de trouver
enfin du sens et de l’intérêt à ce qui leur est proposé, mais c’est
aussi comme cela que nous allons les aider à soutenir et à enrichir
les représentations qui sont mobilisées par l’apprentissage.

Les intégrer au groupe... oblige le professeur à gérer


la classe dans sa dimension groupale avant d’en arriver
à différencier ses propositions
Plus une classe est marquée par l’écart des niveaux et des
compétences entre ses élèves, plus le professeur est tenu de débuter
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

son cours par un message qui rassemble et qui peut être repris par
chacun.
La pédagogie différenciée ne peut être efficace que si elle prend
appui sur ce premier temps. Sinon elle-même deviendra la cause
de beaucoup de désillusions et elle réveillera les idées d’injustice.

Un changement qui peut lui aussi inquiéter

Comment ne pas avoir peur de renouveler la pédagogie en


partant des besoins fondamentaux des élèves les plus faibles ?
En pratiquant ainsi, ne risque-t-on pas de tomber dans la
démagogie et l’abandon de la rigueur nécessaire à la maîtrise
des connaissances et de pénaliser de ce fait, les meilleurs élèves ?
96 U NE HEURE DE CULTURE HUMANISTE JOURNALIÈRE

Comment le professeur peut-il : intéresser, nourrir, entraîner


à la réflexion, donner du sens aux savoirs et créer une cohésion
groupale dans sa classe, alors qu’il y a de telles différences de
niveau entre ses élèves et un programme à respecter ?
N’est-ce pas illusoire, les besoins des empêchés de penser
ne sont-ils pas excessifs ? En y répondant ne risque-t-on pas
de dérégler le système et surtout question pratique : comment
mettre ces propositions généreuses à l’œuvre ? Où trouve-t-on ces
exercices qui permettraient à tous d’améliorer leurs attitudes et
leurs compétences pour apprendre ?
Nous allons voir maintenant comment la culture abordée
à travers les textes fondamentaux qui font parfois partie
intégrante du programme, permet de redonner du souffle à la
pédagogie.
Non seulement elle peut devenir le tremplin idéal pour relan-
cer la capacité à penser des élèves les plus rétifs et pour faire
fonctionner une classe hétérogène, mais elle peut aussi donner au
professeur les moyens de lutter contre les effets néfastes de la peur
d’enseigner et contre les risques de contagion de l’empêchement
de penser, qui peuvent aussi le toucher.
Mais comment cette place essentielle peut-elle être donnée à la
culture ?
Que doit-on changer à l’organisation de la classe ?
Pourquoi la culture modifie-t-elle la présentation des savoirs ?
C’est l’objet du chapitre suivant.
2. S’ APPUYER SUR UNE PÉDAGOGIE MÉDIATISÉE
PAR LA CULTURE ET LE LANGAGE
C’est ici qu’intervient le changement fort autour duquel va
s’agencer une nouvelle pédagogie médiatisée par la culture et le
langage. Une heure journalière de culture humaniste, véritable clé
de voûte du changement.
C’est elle qui va donner une chance nouvelle à ceux qui ren-
contrent des difficultés d’apprentissage sévères tout en stimulant
les meilleurs, mais c’est aussi elle qui va redonner ses lettres de
noblesse au savoir-faire pédagogique.
98 U NE HEURE DE CULTURE HUMANISTE JOURNALIÈRE

P OURQUOI UNE HEURE JOURNALIÈRE


DE CULTURE HUMANISTE ?

La clé de voûte du changement


Dans chaque classe de la maternelle au collège, une heure tous les
jours consacrée au nourrissage culturel et à l’entraînement à parler
et à écrire.
C’est comme cela que nous allons ouvrir les portes d’une nouvelle
pédagogie qui ambitionne :
• de stimuler les meilleurs ;
• d’aider réellement les élèves en difficulté ;
• de permettre un retour du savoir-faire pédagogique.

Les buts recherchés avec l’heure de culture humaniste


Pour les élèves
Mobiliser l’intérêt de tous
Donner un bagage culturel identique à tous
Réduire la peur d’apprendre
Améliorer l’expression personnelle
Favoriser les capacités réflexives
Créer une cohésion groupale
Favoriser la démarche d’apprentissage en donnant du sens et des
racines aux savoirs

Pour le professeur
Encourager sa créativité pédagogique
Lui fournir un outil pour traiter avec les élèves réfractaires
Lui donner un objet de passion pour soutenir sa réflexion
L’aider à résister à la contagion de l’empêchement de penser
Lui faciliter le travail en équipe
Lui donner l’occasion de continuer à se cultiver
U NE HEURE DE CULTURE HUMANISTE JOURNALIÈRE 99

C OMMENT SE DÉROULE
CETTE HEURE DE CULTURE HUMANISTE JOURNALIÈRE ?

Trois temps forts, liés les uns aux autres d’une durée de
quinze à vingt minutes chacun
• Le nourrissage culturel : débutant toujours par de la lecture à
haute voix par le professeur, de textes fondamentaux en lien avec
le programme.
• L’entraînement à parler et à débattre, encadré et guidé par le
professeur et en lien direct avec l’apport culturel.
• L’entraînement à écrire, toujours en lien avec l’apport culturel et
l’entraînement à parler.

Qui deviennent des ressorts pour présenter les savoirs


fondamentaux
• Les activités d’apprentissage de la lecture trouvent dans les textes
ayant servi au nourrissage culturel un support de premier choix
pour mobilier l’intérêt des débutants comme de ceux qui doivent
approfondir leur compréhension du texte écrit.
• Les activités d’apprentissage, les règles de l’écrit (orthographe,
grammaire, organisation de la phrase, etc.) sont travaillées à
partir des écrits sollicités dans l’heure de culture humaniste et
de passages de récits lus à haute voix par le professeur.
• Les activités permettant d’accéder à la numération et au sens de
l’opération se font à partir d’événements et de situations proposés
par le récit.
100 U NE HEURE DE CULTURE HUMANISTE JOURNALIÈRE

Pourquoi l’heure de culture humaniste


ne doit pas faire peur aux professeurs ?
Un ressort pour toutes les disciplines
D’où viennent ces quatre heures hebdomadaires consacrées à la
culture et à l’expression. Que doit-on sacrifier pour les mettre en
œuvre ? Sont-elles compatibles avec les instructions officielles ?
Arrêtons d’agiter ces craintes qui ne résistent pas à l’analyse.
L’heure consacrée à l’apport culturel et à l’expression est un
tremplin pour toutes les disciplines.
Peu importe que ces quatre heures soient prises sur l’horaire du
français, de l’histoire, de la découverte du monde, de l’instruction
civique, de la morale ou du cours de soutien puisque toutes ces
disciplines vont être servies directement par les apports de l’heure
journalière de culture humaniste.
Rappelons que la lecture à haute voix est celle de textes en lien
avec les programmes de l’année en cours. De surcroît, au cours de
cette heure, se fabrique un ressort essentiel pour aborder avec du
sens, avec des questions, avec des racines : les mathématiques, les
sciences, les langues étrangères et pour faire des ponts entre les
disciplines.
Les professeurs qui entreront dans cette forme de transmission
des savoirs vérifieront immédiatement que s’ouvre une voie royale
pour favoriser les pratiques artistiques et culturelles.

Un changement minime
dans l’organisation de la classe
Pour le faire comprendre, voici un exemple d’organisation
mise en place dans les quelques classes de collège que j’ai vu
fonctionner ainsi. L’expérience entraîne six changements notables,
ils peuvent être facilement mis en œuvre à condition d’obtenir
l’adhésion de tous les professeurs et des responsables de l’établis-
sement.
• Quatre fois par semaine, les élèves débutent la journée de classe
par une heure de culture humaniste.
• Deux professeurs se chargent de la lecture à haute voix et de
l’entraînement à l’expression écrite et orale qui suit.
U NE HEURE DE CULTURE HUMANISTE JOURNALIÈRE 101

• Tous les professeurs de la classe, sont tenus informés par leurs


deux collègues de ce qui a été travaillé et apporté aux élèves
dans une rencontre hebdomadaire (prévoir une heure trente).
• Chaque professeur voit comment il peut utiliser l’apport culturel
(et parfois le débat) pour enrichir et donner du sens à des
éléments de son programme. Dès que cela s’avère possible, il
fait des liens avec les autres disciplines.
• Comme il n’est pas question d’augmenter le temps de présence
des élèves, les 4 heures réservées à la culture humaniste ont été
prises sur le français (2 heures), sur l’histoire et l’instruction
civique (1 heure), sur les activités de soutien (1 heure). Il n’est
pas besoin de rappeler que l’entraînement à parler, à écrire et
l’apport de textes fondamentaux sont essentiels dans l’enseigne-
ment du français et de l’histoire.
• Les classes dans lesquelles j’ai vu mettre en place cette pédago-
gie se sont fait appeler : « classes à médiation culturelle ».

Aucun détournement
ou allégement des programmes
Précisons que cette façon de procéder n’entraîne aucun allége-
ment ni détournement des programmes officiels. Elle ne remet pas
en cause les techniques de transmission des savoirs elles-mêmes.
Être adepte d’une méthode d’apprentissage de la lecture plutôt
syllabique, croire à l’utilité du par cœur, au bienfait des évaluations
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ou des devoirs faits à la maison, n’empêche en rien d’adhérer


aux principes de cette pédagogie médiatisée par la culture et le
langage.

Un ressort aussi pour le professeur

Pour casser l’effet miroir de la peur d’apprendre


Et si les besoins des professeurs pour se libérer de la peur
d’enseigner étaient comparables à ceux de leurs élèves empêchés
de penser pour sortir de la peur d’apprendre ?
Même si la formulation de cette question peut paraître déran-
geante pour les professeurs, nous allons voir qu’il n’est pas
102 U NE HEURE DE CULTURE HUMANISTE JOURNALIÈRE

inutile de continuer à explorer cet effet miroir que produit la peur


d’apprendre sur la peur d’enseigner et vice versa.
En prenant les besoins fondamentaux des empêchés de penser,
nous allons vérifier encore une fois que les moyens pédagogiques
mis en œuvre pour relancer la capacité à penser de ceux qui ont
peur d’apprendre peuvent être très stimulants pour le professeur.
Premier parallèle, pour réussir à intéresser ses élèves, le profes-
seur doit lui aussi être intéressé par le message qu’il transmet.
Comment pourrait-il en être autrement ?
Comment pourrait-il soutenir et faire germer l’envie d’ap-
prendre de ses élèves, avec un message parfois aride et porteur de
contrainte, si lui-même ne vibre pas avec ce qu’il propose ?
Cet intérêt peut venir du contenu du cours lui-même, de l’impact
qu’il produit sur ses élèves, des techniques qui vont servir à le faire
passer, de la progression qu’il permet de faire, etc.
Mais ne soyons pas naïfs, cette situation idéale qui a poussé
beaucoup de professeurs à choisir ce métier, n’est pas toujours là.
Au bout de quelques années, l’intérêt pour le contenu du cours
s’il n’est soutenu que par les points essentiels du programme
s’émousse.
Lorsqu’un message simplifié et appauvri ne passe toujours
pas, où le professeur peut-il aller chercher l’intérêt du métier ?
Les élèves contestataires, difficiles à concerner, cassent le plaisir
d’enseigner. Bien souvent nous l’avons vu c’est la culpabilité,
l’auto-dévalorisation, l’agressivité qui prennent le relais.

Communiquer, collaborer, créer, penser pour sortir


de la peur d’enseigner
Comment alors relancer la réflexion et le plaisir d’enseigner qui
seuls vont permettre de sortir de ce cycle infernal.
C’est ici que les conditions nécessaires à la remise en route
de la machine à penser des élèves qui ont peur d’apprendre : être
nourri, savoir argumenter, être intégré dans un groupe, trouver du
sens au savoir, sont comparables aux besoins du professeur pour
relancer l’intérêt de son enseignement.
Ils vont être à la base du second parallèle : comment le profes-
seur pourrait-il, nourrir ses élèves, les entraîner à argumenter, leur
U NE HEURE DE CULTURE HUMANISTE JOURNALIÈRE 103

donner une cohésion groupale, leur proposer des savoirs qui ont
du sens, s’il n’est pas lui aussi nourri et engagé dans une réflexion
sur la pédagogie avec ses collègues.
La médiation de la culture et le travail en équipe sont les deux
leviers qui vont le lui permettre.
Être nourri par la culture et l’échange avec les autres est un
impératif pour continuer à être animé par l’objet de son enseigne-
ment.
Il est impossible de continuer à donner, sans être à son tour
dans la situation de celui qui reçoit. Il est impossible de continuer
à fonctionner intellectuellement, sans être alimenté par un apport
qui renouvelle, qui fait du lien avec les autres, qui donne du sens
à des comportements déroutants.
Communiquer, collaborer, penser, créer sont les quatre compé-
tences fondamentales à travailler et à renforcer chez les élèves.
Elles doivent aussi être celles qui permettent au professeur de
trouver de la passion pour leur métier.
3. O SER ABORDER LES ACTIVITÉS LES PLUS
DÉLAISSÉES PAR LA PÉDAGOGIE
Nous allons voir maintenant que pour répondre aux cinq besoins
fondamentaux des empêchés de penser pour se réconcilier avec
l’apprentissage, il ne faut plus hésiter à se lancer dans cinq
changements pédagogiques qui ont toutes les raisons de faire peur
aux professeurs car ils ne sont pas balisés comme peuvent l’être les
techniques de transmission des savoirs disciplinaires. Par contre,
ils pourront vite se rassurer en vérifiant qu’ils deviennent des
ressorts formidables pour améliorer les capacités à apprendre de
tous et pour apaiser les élèves les plus rétifs.
Citons d’abord ces cinq changements forts avant de voir ce que
chacun peut produire de positif dans la dynamique de la classe :
• Oser traiter avec la curiosité primaire pour intéresser.
106 U NE HEURE DE CULTURE HUMANISTE JOURNALIÈRE

• Oser aborder les préoccupations personnelles pour enrichir et


sécuriser les représentations mobilisées par l’apprentissage.
• Oser entraîner à l’expression personnelle pour réconcilier avec
la réflexion.
• Oser relier le savoir à un apport culturel pour lui donner du sens.
• Oser créer une cohésion groupale pour intégrer les élèves en
difficulté.
Il reste entendu que les cinq changements guidés par les besoins
des élèves les plus en difficulté ne peuvent devenir judicieux pour
tous que s’ils sont mis en place grâce à cette heure de culture
humaniste et soutenus par un apport culturel intensif qui devient
le pivot pour unifier ces propositions.

1. Oser traiter avec la curiosité primaire

Pour intéresser les empêchés de penser, il est bien clair qu’il ne


faut plus avoir peur de s’adresser à la curiosité primaire.
Nous l’avons dit en première partie, cette curiosité est sous-
tendue. Par la mégalomanie, le voyeurisme, le sadisme. Elle ne
décolle pas des préoccupations personnelles et ne peut pas se sentir
concernée par la généralisation.
Ceci veut-il dire que les professeurs sont contraints de parler de
la télé réalité ? d’étudier les résultats du championnat de France
de football ? d’évoquer les faits divers croustillants que nous
réserve en permanence l’actualité ? doivent-ils partir des textes de
rappeurs pour favoriser l’expression personnelle ?
Pas du tout et je dirais même que c’est surtout cela qu’il ne
faut pas faire. Le chemin qui conduit à la symbolisation en partant
de la curiosité primaire, ne peut se tracer qu’avec l’utilisation de
points d’appuis culturels.
Seule la culture autorise à traiter avec les racines les plus
archaïques de la curiosité dans un lieu d’apprentissage, car elle
donne les moyens de s’en détacher.
Seule la culture permet de parler de l’intime dans une classe,
car elle ouvre des pistes pour aller vers l’universel, tout en donnant
des supports pour étayer une réflexion exigeante.
U NE HEURE DE CULTURE HUMANISTE JOURNALIÈRE 107

Le rôle essentiel de la lecture à haute voix


De la littérature à l’histoire, de la musique au théâtre, les formes
culturelles sont multiples, nous le savons. Mais j’insiste pour que
le point de départ de cet apport soit toujours de la lecture à haute
voix, faite par l’enseignant, avec les grands comme avec les petits.
Travailler l’écoute est essentiel pour les élèves en difficulté dans
l’apprentissage. Leur première faiblesse est de ne pas faire une
image de qualité avec le mot entendu. Ils souffrent de ne pas avoir
une capacité représentative suffisante pour étayer l’élaboration
que demande la maîtrise des savoirs de base.
Les textes les plus porteurs pour faire ce travail sont des textes
courts comme les contes, les fables, les mythes, les légendes.
Les premiers résultats de cette lecture sont souvent immédiats,
un retour de l’intérêt pour tous, une meilleure cohésion du groupe
et l’apparition de support de choix pour travailler les deux besoins
suivants, le nourrissage culturel et l’incitation à la réflexion.
Il est donc indispensable pour l’enseignant de lire suffisamment
bien à haute voix pour se faire écouter. Il est donc indispensable de
faire des liens réguliers entre collègues quand l’un des professeurs
de l’équipe prend en charge cette lecture.

2. Oser aborder les préoccupations personnelles


avec la culture
Comment apprendre quand on n’a pas été entraîné par les
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premières expériences éducatives à supporter l’attente et la règle ?


Comment se risquer à réfléchir quand on ne supporte ni le manque,
ni la solitude ? Sans ces compétences psychiques de base la
confrontation avec le doute inhérent à la recherche devient vite
remise en cause excessive. Elle vient déclencher de l’inquiétude
où nous retrouvons souvent mêlées des idées de frustration et
d’auto dévalorisation. Comment réduire ce processus qui conduit
inéluctablement à l’échec scolaire ? Comment faire pour que ce
parasitage ne soit plus à l’origine de la contestation et du rejet des
contraintes amenées par le professeur ?
Une seule voie permet de répondre à ce dérèglement impossible
à combattre avec les moyens pédagogiques habituels. Il faut
enrichir le monde interne, il faut sécuriser ce réservoir et cette
108 U NE HEURE DE CULTURE HUMANISTE JOURNALIÈRE

fabrique de représentations pour lui donner ce rôle régulateur


dont a besoin l’apprentissage dès qu’il y a confrontation avec la
recherche. Mais n’entre-t-on pas dans un domaine psychologique
qui n’appartient plus au professeur ?
Ne nous laissons pas impressionner par la description du proces-
sus qui conduit à l’empêchement de penser. Même si les termes,
compétences psychiques et monde interne, n’appartiennent pas
au vocabulaire du professeur. Ils font référence à des outils qu’il
sollicite en permanence.
Il est donc logique de vouloir les renforcer plutôt que de courir
après les lacunes et les troubles que provoque leur défaillance.

Comment enrichir le monde interne


Pour enrichir et sécuriser le monde interne, il faut donner aux
enfants et aux adolescents, les moyens de mettre une forme et un
contenu sur les inquiétudes qui s’imposent à eux quand ils évitent
la situation d’apprentissage. C’est comme cela que se renforceront
les compétences qui servent à affronter les exigences inhérentes à
la réflexion.
Encore une fois nous sommes dans l’un des rôles majeurs de la
culture : faire des ponts entre soi et les autres. La lecture à haute
voix intéresse et relance la dimension groupale, je l’ai déjà dit,
mais elle va aussi au fil du temps, nourrir et stimuler cette fabrique
de représentations qu’est le monde interne.
Après une année de ce travail, nous allons vérifier que ce
nourrissage permet de réduire les dérèglements. Les émotions,
les peurs, reprises à travers le filtre de ceux qui ont su leur donner
une forme avec des mots ou des images, deviennent gérables.
C’est ce qui va permettre de relier son histoire à celle des autres
et d’être disponible pour apprendre.
U NE HEURE DE CULTURE HUMANISTE JOURNALIÈRE 109

Q UELS TEXTES UTILISER POUR FAIRE CE NOURRISSAGE

La forme
Les textes qui remplissent bien cette fonction ont quatre points
communs dans leur forme :
• Dans une histoire organisée, ils réussissent à mettre du mot sur
les peurs, les inquiétudes, les questions, qui préoccupent depuis
toujours l’esprit humain et qui agitent tout particulièrement ceux
qui n’arrivent pas à penser.
• Ils nous replacent dans un espace et un temps différent du nôtre.
Cette distance est une nécessité pour aborder des préoccupations
parfois intimes, dans un lieu dédié à l’apprentissage.
• À travers le héros ou les personnages de l’histoire, ils donnent la
possibilité d’utiliser le ressort de l’identification. Ce mécanisme est
connu de longue date par tous ceux qui veulent capter l’attention
des touts petits ou de ceux qui ont des difficultés d’écoute.
• Une loi, une règle, une morale se dégage du récit. Elle n’a pas
besoin d’être énoncée. Le déroulement de l’action, les intentions
des personnages, les résultats obtenus sont souvent suffisants
pour la comprendre. Le débat entre enfants nous montre que
l’implicite contient plus de force persuasive que l’explicite.

Le fond
Les textes qui conviennent au nourrissage culturel tournent autour
de cinq thèmes. Les grands thèmes abordés par ces histoires ne
sont pas infinis, nous allons les voir revenir régulièrement dans
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des récits qui peuvent prendre des formes diverses, pour tenter
de répondre aux mêmes questions et pour décrire les mêmes
préoccupations.
C’est ainsi que grâce à ce nourrissage culturel, nous allons aider les
enfants à mettre du mot et du scénario sur cinq points importants
pour la construction ou la consolidation de leur monde interne.
• Les représentations sur l’origine. Un thème incontournable
avec tous ceux qui évitent la pensée. Qu’il s’agisse de l’origine
du monde ou de la terre, de la mise en place du groupe social ou
de l’écriture, des conditions de la naissance d’un héros ou de la
découverte d’une loi mathématique. L’apport d’hypothèses ou de
scénario sur l’avant, sur le commencement est très stimulant pour
amorcer cette relance des capacités réflexives.
• Les peurs archaïques. L’abandon, la disparition, la dévoration, la
perte d’unité sont abordées par les contes sous des formes très

110 U NE HEURE DE CULTURE HUMANISTE JOURNALIÈRE


oniriques ou artistiques. Les enfants qui n’arrivent pas à entrer
dans les savoirs fondamentaux (lecture et sens de l’opération)
en ont souvent un besoin essentiel pour réamorcer leur capacité
à faire de l’image avec d’autres sources que l’actualité ou leur
histoire personnelle.
• Les lois et les interdits qui organisent les groupes humains.
Les récits sur la création du monde, sur les relations entre les
hommes et les dieux, sur les conflits à l’intérieur des familles tout
autant que les périodes de transition de notre histoire, sont très
riches en métaphores sur ce sujet.
• Le passage du principe de plaisir au principe de réalité. On
ne fera jamais mieux que l’histoire des trois petits cochons sur
le sujet. Mais les fables, les romans initiatiques comme ceux des
Chevaliers de la table ronde ou de Jules Verne, peuvent remplir la
même fonction auprès des plus grands.
• Les sentiments qui accompagnent le passage des grandes
étapes de la vie. Pouvoir mettre des mots sur la richesse ou la
force des émotions qui sont entraînées par l’accès à l’autonomie,
par la séparation d’avec ceux que l’on aime, par la rencontre
avec l’apprentissage, avec l’amour, avec la mort... sont des
apports incontournables pour tous ceux qui n’arrivent pas à mettre
de l’ordre dans leurs tendances contradictoires. La poésie, la
littérature jeunesse, les romans initiatiques vont être des sources
de références infinies sur ces sujets.

À l’intérieur de ces grands thèmes, nous allons voir revenir régu-


lièrement des exemples qui nous parlent, des conséquences de la
transgression des interdits, du conflit entre générations, de la rivalité
fraternelle, du désir face à la loi, des hypothèses sur l’après-vie...
Les métaphores qui les soutiennent sont parfois violentes, quelque-
fois crues, mais il ne faut pas en avoir peur, elles sont encore loin
de la violence des images portées par l’actualité télévisée sur les
mêmes sujets.
La force de la culture est justement de pouvoir traiter de sujet violent,
de pouvoir donner une forme à l’inquiétude qu’ils suscitent, sans
céder pour autant au voyeurisme ou au sadisme. C’est ce qui permet
d’universaliser le propos.
Les plus démunis devant l’apprentissage ont besoin de cette
démarche pour faire des liens entre leur curiosité et les exercices
qui leur sont proposés à l’école.
U NE HEURE DE CULTURE HUMANISTE JOURNALIÈRE 111
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Comment les quatre qualités demandées à un texte


permettent de stimuler la capacité à penser
de tous les élèves
112 U NE HEURE DE CULTURE HUMANISTE JOURNALIÈRE

3. Oser entraîner les élèves à l’expression


personnelle
Après avoir nourri avec un apport culturel, le meilleur tremplin
pour amorcer et relancer la capacité à penser se trouve dans une
stimulation régulière de l’expression personnelle.
• Pourquoi dès que l’on évoque la parole des élèves, certains ne
veulent y voir que des risques de dérive et de démagogie ?
• Pourquoi l’expression des élèves est-elle encore associée à la
non-directivité et à une réduction des exigences ?
• Pourquoi la prise en compte de la parole des élèves obligerait le
professeur à niveler les savoirs par le bas et à en passer par la
culture jeune ?
Ceux qui disent haut et fort de pareilles bêtises font beaucoup de
mal à l’école. Ils empêchent l’utilisation du principal levier pour
lutter contre l’échec scolaire. Ils fournissent des justifications aux
professeurs qui ont peur d’enseigner et qui ne savent pas gérer les
événements qui surgissent habituellement dans un groupe quand
les élèves s’expriment.
Plutôt que d’encourager ces professeurs à se former, ils leur
donnent des arguments pour dénigrer une activité essentielle pour
la transmission du savoir, et la bonne marche d’une classe.
Nous ne devons jamais oublier que pour lire, écrire et compter,
il faut d’abord savoir parler. Les 15 % d’élèves qui sortent de
l’école sans maîtriser les savoirs fondamentaux, nous en font
une démonstration implacable. Parmi eux, neuf sur dix n’ont
pas franchi le stade du langage argumentaire. Leur parole ne
permet pas une communication efficace. Seule la connivence ou le
déjà-connu par l’autre peuvent permettre l’échange. Ils ne savent
toujours pas en sortant de l’école, questionner leur interlocuteur
ou prendre un exemple pour étayer un propos.
Ils sont démunis dès qu’il leur faut exprimer un désaccord ou
apporter une justification à leurs propos. Ils n’arrivent pas à faire
la différence entre une hypothèse et une certitude.
C’est dans ce contexte que l’échange dérape très vite vers des
sentiments d’injustice ou de l’insulte banalisée. C’est aussi dans
ce contexte que la parole devient objet de dérision, d’attaque ou
U NE HEURE DE CULTURE HUMANISTE JOURNALIÈRE 113

parfois même un signe de faiblesse. Ceux qui peuvent s’expliquer


et raconter en savent quelque chose quand ils se font traiter
d’intello ou de bouffon.
Le livre écrit en 1996 par Alain Bentolila, De l’illettrisme en
général et de l’école en particulier, nous fait sur ce sujet une
démonstration rigoureuse.
Les 8 % de jeunes adultes français, incapables d’affronter la
lecture de phrases simples, sont dans une insécurité tout aussi
importante dans l’utilisation du langage oral.
Nous le savons tous, la pensée se structure et s’organise avec
le langage. Les capacités d’élaboration, de démonstration, de
raisonnement se construisent avec la maîtrise progressive de la
parole et avec le souci de communiquer.
Pourquoi cette évidence n’est-elle pas prise en compte dans
l’organisation de l’école ? Pourquoi n’entraîne-t-on pas les élèves
à parler et à débattre tous les jours, alors que nous connaissons
l’importance de cet exercice et que les instructions officielles le
recommandent ?
Sans doute avons-nous là, l’une des conséquences les plus
graves de la peur d’enseigner. Demander aux élèves de se taire et
d’écouter est apparemment plus facile pour tenir un groupe que
de consacrer du temps à leur donner la parole. Mais est-ce parce
que certains professeurs manquent de charisme ou ne sont pas
assez formés pour conduire un échange constructif entre élèves
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

que l’on doit sacrifier l’activité la plus porteuse d’espoir pour faire
progresser notre école ?
L’entraînement à l’expression écrite s’inscrit tout à fait norma-
lement quand nous en faisons le prolongement de l’expression
orale.
Ce troisième temps de l’heure de culture humaniste doit être
présenté comme un moyen de communiquer aux autres une idée
ou une information.
Tous les professeurs le disent pouvoir transcrire sa pensée avec
l’écrit est encore plus délicat qu’avec la parole. C’est pourquoi
cet exercice avec les plus démunis demande parfois du temps, de
la bienveillance et de l’encouragement pour être accepté et pour
commencer à être efficace.
114 U NE HEURE DE CULTURE HUMANISTE JOURNALIÈRE

La lecture à haute voix de son message fait partie intégrante


du travail sur l’écrit et doit toujours être sollicitée. Quand ce
temps réservé à l’écrit est utilisé pleinement, nous allons pouvoir
vérifier qu’il n’y a pas de meilleur entraînement pour renforcer les
capacités réflexives de tous les élèves et pour aider les empêchés
de penser à lutter contre leur phobie du temps de suspension.

S IX POINTS À NE PAS NÉGLIGER


POUR NE PLUS AVOIR PEUR DE L’ EXPRESSION DES ÉLÈVES

L’expression orale et écrite se fait toujours


à partir d’un apport du professeur
Le nourrissage culturel joue à ce sujet un rôle essentiel. Il va
continuer à donner un contenu et un cadre à la parole des élèves.
C’est lui qui va permettre de médiatiser et de canaliser les irruptions
trop personnelles.
Cette crainte des professeurs est justifiée car ce sont souvent ces
apports personnels et privés, toujours difficiles à reprendre dans
une classe, qui font déraper ces temps d’expression.

L’entraînement à parler
se déroule en deux temps bien distincts
Le premier est celui du temps narratif au cours duquel il faut
raconter, résumer, décrire, remettre en forme ce qui a été entendu
par tous.
Cette restitution collective doit être rigoureuse, toujours comparée
et remise en perspective avec l’original. Elle est importante car elle
entraîne à la prise de parole dans un groupe et prépare le temps
suivant, plus délicat à manier pour le professeur.
Le second temps est celui du débat, il va être question cette fois
de confronter les points de vue, de faire part d’opinions ou de
sentiments personnels.

Apprendre à trouver dans le premier temps de restitution


collective, la question qui va faire débat
Les meilleurs textes laissent une part importante au regard de cha-
cun et à l’interprétation personnelle. Ce premier temps de remise en
forme collective va faire émerger les interrogations, les différences,
les préoccupations propices à la confrontation des points de vue. Il
faut apprendre à les repérer pour donner de l’intérêt au débat.

U NE HEURE DE CULTURE HUMANISTE JOURNALIÈRE 115


Savoir associer l’expression écrite à l’expression orale
C’est lorsque les enfants ont quelque chose à dire, à raconter ou
à démontrer aux autres qu’ils sont dans les meilleures conditions
pour l’écrire. C’est lorsque les enfants ont écrit ce qu’ils avaient à
dire qu’ils sont dans les meilleures conditions pour le parler. Ces
principes qui valent pour tous les élèves, sont particulièrement vrais
pour les réfractaires à l’écrit ou à la prise de parole. Ils devraient
figurer en lettre d’or dans tous les ouvrages destinés à la formation
des professeurs.
La préparation d’une réponse écrite lue à haute voix, la prolongation
du débat par une réponse personnelle écrite, les hypothèses écrites
comparées sur la suite d’un texte, la fabrication d’une bande dessi-
née dialoguée sont des moyens faciles à utiliser et très stimulants
pour les élèves dès qu’ils en prennent l’habitude.

Apprendre à favoriser l’expression de tous les élèves


• Savoir trouver l’aménagement de l’espace le plus favorable à la
prise de parole ;
• Savoir organiser un travail préparatoire en petit groupe quand les
élèves sont nombreux ;
• Savoir intégrer dès que cela est possible le jeu de rôle, le dessin,
utiliser les tours de parole ;
• Savoir s’appuyer sur l’écrit...

Ces techniques délicates à manier s’apprennent. Provoquer et


animer un débat dans un groupe d’élèves est certainement l’exercice
pédagogique le plus difficile.
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Trop souvent les professeurs ont l’impression qu’une fois passé leur
temps de formation, ils se doivent d’être au meilleur niveau et qu’ils
n’ont plus à apprendre et à se perfectionner. Ce réflexe contribue à
rigidifier les attitudes et à attiser la peur d’enseigner.

Ne jamais oublier que le professeur est le leader du groupe


C’est à lui de conduire les prises de parole. C’est à lui de reformuler,
de solliciter ceux qui parlent peu, de faire taire ceux qui parlent trop,
de conclure, de faire la synthèse de ce qui a été dit, de préparer
les moments qui vont suivre, etc. Encore une fois, ce n’est pas
parce que les élèves s’expriment que nous sommes dans une
thérapie de groupe. Ce fantasme idiot empêche trop de professeurs
d’améliorer leurs compétences relationnelles et ils les privent du
ressort essentiel de la pédagogie pour faire bien fonctionner une
classe et pour améliorer la capacité à penser de leurs élèves.
116 U NE HEURE DE CULTURE HUMANISTE JOURNALIÈRE

4. Oser donner du sens et des racines


aux savoirs proposés en classe
En mobilisant l’intérêt
Il est quand même très étonnant de vouloir faire reposer l’effort
que demande à des enfants le travail intellectuel, sur le métier
qu’ils feront plus tard ou sur le rôle formateur de la contrainte.
Même si ce message doit aussi leur être transmis par les familles
et les professeurs, il faut être bien naïf ou peu informé sur la
psychologie des enfants et des adolescents pour croire que cela va
suffire.
Comment imaginer que des jeunes gens bombardés de messages
venant de l’information et de la publicité où il est avant tout
question de « tout, tout de suite » et de « moi d’abord », vont
pouvoir accéder simplement aux exigences de doute, de règles,
d’attente, de solitude, que réclame l’apprentissage.
La moindre des choses est quand même de les préparer à cet
exercice et de prendre le temps de leur montrer que les savoirs
proposés à l’école ne sont pas coupés de la réalité, de leurs intérêts
et de leurs préoccupations.
Pourquoi a-t-on encore du mal à admettre que le détour qui
va stimuler le désir de savoir est essentiel dans le rôle de l’ensei-
gnant ?
Pourquoi a-t-on autant de mal à imaginer que le temps passé à
soutenir et enraciner une connaissance, en montrant son utilité
et son intérêt, en parlant des raisons de son apparition et des
portes qu’elle ouvre n’est pas du temps volé sur le contenu du
programme ou sur les savoir-faire techniques dont dépendent aussi
les apprentissages ?
La pédagogie active, mise à l’honneur par Freinet, nous a
montré que la maîtrise d’une règle de grammaire devient plus
facile quand elle est utilisée pour écrire un article du journal de
la classe ou pour échanger avec un correspondant d’une école
d’une autre région... Que l’accès au sens de l’opération, comme
à celui du calcul du temps ou du pourcentage est facilité par
la gestion de l’argent ou la préparation financière d’un voyage
scolaire... Que les grandes lois scientifiques s’acquièrent et se
vérifient par des expérimentations qui peuvent aussi se faire dans
U NE HEURE DE CULTURE HUMANISTE JOURNALIÈRE 117

la classe. La manipulation, l’expérimentation, la communication,


la fabrication... font comprendre l’utilité des savoirs. Il ne peut
être question de s’en passer pour soutenir les connaissances de
base, même si cette pédagogie connaît aussi ses limites.

En utilisant les images et les situations


portées par le récit
Mais l’intérêt ne permet pas à lui seul de lutter contre l’empê-
chement de penser. Au-delà de l’intérêt, les enfants qui souffrent
de cette incapacité à affronter le doute sans déclenchement d’in-
quiétudes, ont aussi besoin d’apports qui sécurisent leur monde
interne.
C’est le rôle que j’assigne aux récits : aller au-delà du sens,
en fournissant aux enfants des représentations qui les aident à
consolider celles qu’ils utilisent spontanément pour aller à la
conquête des savoirs. Chez les empêchés de penser, nous le savons,
elles sont souvent infiltrées et dénaturées par des inquiétudes
réactivées par les contraintes liées à l’apprentissage.
Il ne peut pas y avoir de lutte efficace contre l’échec scolaire
sans un travail préalable d’enrichissement et de sécurisation des
représentations qui sont à la source de l’apprentissage.

En enrichissant les images qui soutiennent


l’accès au savoir
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

L’exemple de Germain
qui n’arrivait pas à imager les opérations...
Germain a 10 ans, il est en classe de CM1 ; ses résultats scolaires
sont plutôt satisfaisants, hormis en mathématiques. Ce garçon intel-
ligent qui comprend parfaitement ce qu’il lit, se montre incapable de
donner sens au moindre problème. Dès qu’il doit enchaîner deux
opérations pour donner une réponse à la question posée, il est
complètement perdu.
On le voit alors se saisir des chiffres sans aucune logique, pour faire
n’importe quelle opération. Les résultats aberrants qu’il trouve parfois,
comme avoir plus d’argent après en avoir dépensé, ne l’affolent pas.
Le plus surprenant est qu’il maîtrise parfaitement la technique des
opérations, y compris celle de la division.
118 U NE HEURE DE CULTURE HUMANISTE JOURNALIÈRE

Cette discordance, entre des résultats satisfaisants quand il lui est


demandé de lire et d’écrire et catastrophiques quand il lui faut faire
un problème simple, inquiète tout le monde. Plusieurs soutiens ont
déjà été mis en place (rééducation logico-mathématique avec une
orthophoniste spécialisée et aide personnalisée à l’école), mais rien
n’a bougé. À tel point que l’on parle maintenant de dyscalculie
sévère et que des examens médicaux, avec imagerie cérébrale sont
programmés pour les mois qui viennent, lorsque je le rencontre pour
la première fois.
C’est la mère de Germain, médecin pédiatre qui a pris l’initiative de
venir me demander un avis après avoir lu mon dernier livre, Ces
enfants empêchés de penser. J’ai bien l’impression me dit-elle, « que
les exemples que vous donnez, ont des points communs avec la façon
d’apprendre de mon fils ».

Une bonne présentation, mais des peurs vite présentes


Germain se présente comme un enfant enjoué et sympathique. Plutôt
vif d’esprit, il me surprend par son aisance relationnelle qui frise
parfois le manque de distance en me tutoyant d’emblée.
Il m’explique que tout se brouille dans sa tête dès qu’il voit des chiffres
et qu’il ne pourra jamais être ingénieur comme son père : « ça tombe
bien, me précise-t-il car je veux devenir cuisinier. »
Les parents m’apprennent que Germain est un enfant facile à élever.
Il est toujours content et s’adapte très vite en groupe. Il a beaucoup
d’amis, il est affectueux, les premiers apprentissages de la vie se
sont déroulés normalement. Rien dans leur discours ne signale de
difficultés, excepté pour une seule chose : Germain n’accepte pas
d’être seul.
Même pour s’endormir, il a besoin d’une présence, à tel point qu’il a
fallu lui installer un lit de secours dans la chambre de son frère aîné
quand il se réveille la nuit.
À dix ans, il ne peut toujours pas rester seul à la maison. « Même
porte et fenêtres fermées, j’ai peur des cambrioleurs. »
Il veut toujours quelqu’un près de lui, pour lire, faire ses devoirs, jouer
ou regarder la télévision ce qui devient un peu pesant pour le reste
de la famille.

Un bel exemple de phobie du temps de suspension


L’évaluation que je fais au cours de cette première rencontre va
rapidement me donner des informations intéressantes sur sa façon
de procéder devant un problème.
U NE HEURE DE CULTURE HUMANISTE JOURNALIÈRE 119

Après une lecture apparemment attentive et concentrée, Germain se


lance dans une tentative pour imager mentalement la question posée.
Jusque-là, rien d’anormal, c’est ainsi qu’il faut procéder.
Puis brutalement, sans raison apparente, il coupe sa recherche, casse
la chaîne associative et se jette sur les deux premiers chiffres qu’il a
devant les yeux pour se lancer dans une opération qui semble tomber
du ciel et qui généralement n’est pas celle qu’il faudrait faire.
Lorsque nous cherchons ensemble l’explication à cette rupture dans
sa fabrique d’hypothèses pour comprendre le problème posé, il me dit
avec beaucoup de simplicité : « il ne faut pas que je réfléchisse trop
longtemps, sinon c’est pire ». Comme je marque mon étonnement
en lui disant qu’il abandonne ainsi le chemin qui pourrait le conduire
à la solution du problème, il me précise alors : « si je réfléchis trop
longtemps au lieu de continuer à chercher, je me dis en moi-même, j’y
arriverai pas, je suis trop nul. Je commence alors à trembler comme
si j’avais un peu froid et là c’est plus grave parce que je me trompe
sur les opérations que je sais faire d’habitude. Le maître est encore
plus énervé contre moi, car il croit que je ne connais même pas mes
tables de multiplication. »
La mère de Germain avait raison, nous sommes bien devant un
empêchement de penser caractérisé.

Germain réduit son inquiétude avec :


• des idées d’auto dévaluation. Pour lutter contre le dérèglement et
le malaise que provoque en lui la confrontation avec le doute dans le
temps de la recherche, Germain fait un premier barrage en déclen-
chant des idées d’auto-dévalorisation. Elles empêchent l’infiltration
d’inquiétudes qui pourraient sans doute être plus dérangeantes que
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

ses idées d’insuffisance.


• un relais passé au corps ensuite. Cette étape transitoire n’est
pas non plus suffisamment efficace pour le calmer. Il ne peut plus
poursuivre sa recherche a minima avec une pensée inhibée ou
ralentie par le sentiment d’incapacité qu’il a provoqué, (c’est ce
qu’arrivent à faire, avec de piètres résultats bien sûr, beaucoup
d’enfants en difficulté pour apprendre). À leur différence, Germain
développe un trouble secondaire qui se manifeste au niveau du
corps. Un tremblement qui va le dérégler et lui faire perdre sa
maîtrise des opérations.
• un passage à l’acte. C’est pour éviter ce processus déstabilisant,
qu’il déclenche un second barrage à l’inquiétude : un équivalent de
passage à l’acte en se lançant au hasard dans une opération. Tant
pis si elle est inappropriée, elle a au moins quelques vertus : elle
occupe son esprit, elle empêche l’arrivée du tremblement, elle lui
120 U NE HEURE DE CULTURE HUMANISTE JOURNALIÈRE

donne l’impression d’être en conformité avec une partie au moins,


de ce qui lui est demandé.

Pourquoi Germain fonctionne-t-il ainsi ?


L’hypothèse qui me paraît la plus vraisemblable est la suivante :
Germain a certainement été confronté lorsqu’il a commencé à
aborder des problèmes demandant une réflexion, à un retour
d’angoisses infantiles.
Peut-être était-il en train de connaître à ce moment-là, l’arrivée
passagère de troubles de la personnalité qu’il a réussi à surmonter
depuis. La difficulté à pouvoir être seul en est une trace.
En tout cas, ces angoisses, dans lesquelles il était peut-être ques-
tion d’abandon, de dévoration, de perte d’unité, de disparition...
ont laissé des traces.
Elles sont maintenant associées à la résolution de problèmes
et sans doute à la solitude qu’il vit si mal. Elles ont alimenté une
phobie du temps de suspension qui va avec la recherche lorsqu’elle
est accompagnée de chiffres et une utilisation de la réponse
immédiate comme moyen de se protéger de ces infiltrations
inquiétantes.
Comment aider Germain à dépasser cette difficulté
dans le cadre pédagogique ?
Lors de nos deux premières rencontres, je vais vérifier qu’il
ne sert à rien de chercher à lui faire comprendre l’utilisation des
opérations à partir de la réalité ou de la manipulation.
Face à un exemple touchant sa vie quotidienne et ses centres
d’intérêt où il est question de billes, d’argent, de cartes Pokémon,
gagnés, perdus, dépensés, partagés... Germain n’est absolument
pas plus performant. Dès qu’il doit enchaîner deux opérations,
plus rien n’est possible.
Une nécessité : soutenir ses représentations
Pour ne pas que nous soyons dans une impasse, je propose à
Germain d’aborder les problèmes autrement. Je vais lui lire à haute
voix des contes et c’est lui-même qui va inventer des problèmes à
partir des situations que nous allons rencontrer dans ces histoires.
Je compte sur les représentations apportées par ces récits, qui très
U NE HEURE DE CULTURE HUMANISTE JOURNALIÈRE 121

souvent mettent en scénario des inquiétudes infantiles pour l’aider


à donner une forme aux siennes et à lui permettre ainsi de les
affronter et de résister aux dérèglements qu’elles provoquent en lui.
Le fait d’avoir lui-même à trouver des opérations devrait l’aider à
ajuster plus tranquillement et à son rythme, les images proposées
par le récit aux siennes. En tout cas c’est une proposition qui lui
va, il me dit n’avoir jamais pratiqué ainsi et je le sens motivé.

Lors de nos dix premières rencontres, je vais lui lire trois contes :
L’homme de fer : où il est question d’un géant en fer, qui enlève un
petit prince qui a désobéi à son père.
La gardeuse d’oie : dans lequel une jeune princesse voit sa place
usurpée par la servante au moment où elle quitte sa mère pour aller
se marier.
L’eau de la vie, où trois frères s’affrontent dans une épreuve pour
ramener le médicament qui va sauver leur père de la mort.
Je suis surpris par la capacité de Germain à mettre en chiffre avec
beaucoup de bon sens et de justesse, les temps de déplacement, les
distances parcourues, les partages. Il me propose des calculs sur
la différence des âges, sur la valeur de l’or ou d’un château, sur la
vitesse des chevaux, etc., tout est logique et rationnel. Rien à voir
avec les réponses aberrantes qu’il propose à certains problèmes.
Toutefois je vais quand même voir apparaître deux limites qui me
montrent encore une fois qu’il n’y a jamais de résolutions magiques à
ce type de difficulté :
• La première d’entre elles touche à l’enchaînement des opérations.
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Exemple : Si Germain trouve facilement la valeur de 30 pommes


d’or en connaissant le prix de l’une d’entre elles, il a toujours
beaucoup de mal à continuer sur une seconde opération qui peut
être un partage de cette valeur entre plusieurs personnes.
Pour que cela soit possible, je dois l’aider à couper le problème
en deux, ce qu’il ne peut pas faire de lui-même sans céder à sa
panique habituelle.
• La seconde limite, touche à la représentation de la soustraction.
Dès qu’il est confronté à une recherche dans laquelle il lui faut
enlever, retirer, couper, diminuer, le bon sens manifesté par ailleurs,
n’est plus là, il se transforme très vite en malaise et en fuite.

J’en suis là de mes observations et malgré ces freins que nous


rencontrons, j’ai l’impression d’avoir engagé Germain sur une voie
intéressante. Il manifeste un réel plaisir face à cette nouvelle approche
122 U NE HEURE DE CULTURE HUMANISTE JOURNALIÈRE

plus interactive du calcul et il semble se passionner pour les histoires


que je lui lis.
Après un trimestre toutefois, malgré le dynamisme de nos rencontres,
rien n’est encore visible à l’école. Germain continue à se faire
remarquer par son impossibilité à s’engager dans la résolution d’un
problème.

Le coup de pouce du Petit Poucet


Après la lecture du 3e conte, je lui propose de choisir dans une liste
de titre que je lui remets, celui qui va être le support et l’objet de notre
travail pour la suite.
Je suis surpris de voir qu’il me demande Le petit Poucet, une histoire
en principe au dessous de son âge. « Je le connais bien, me dit-il,
mais j’aimerai l’entendre à nouveau. »
Cette lecture que je vais faire lentement va nous occuper durant six
rencontres. Elle va l’amener à inventer toute une série de problèmes
particulièrement intéressants. D’abord sur l’argent que des parents
doivent gagner pour faire manger onze enfants et ensuite sur la
comparaison entre des petits cailloux qui restent sur le chemin et
des miettes de pain mangées par les oiseaux, qui disparaissent.
Dessin à l’appui, il trace les routes qui partent de la maison des
parents vers le cœur de la forêt profonde et vers la maison de l’ogre.
Il calcule le nombre de cailloux et de miettes de pain à placer pour
retrouver la route, sur 1 kilomètre, sur 10 kilomètres...
J’ai nettement l’impression que cette comparaison entre un objet
qui résiste, indestructible comme le caillou et un autre qui disparaît
comme la miette de pain, le met en effervescence. C’est presque
spontanément qu’il commence à enchaîner les opérations. Pris par
l’histoire qu’il se raconte et les questions qu’il se pose, en lien avec le
récit, il soustrait, il compare, il ajoute, il multiplie, il partage.
Je ne vois plus où est sa difficulté et Germain va pouvoir me le
confirmer avec le travail sur les contes suivants.
Il faudra encore attendre un trimestre environ pour que cette possi-
bilité nouvelle soit transférée sur les problèmes proposés en classe.
Mais cela va arriver, au grand étonnement de son enseignant et de
ses parents qui commençaient à croire à une incapacité organique
pour les mathématiques.
U NE HEURE DE CULTURE HUMANISTE JOURNALIÈRE 123

Quelle leçon peut-on tirer des changements survenus chez Germain


dans sa façon d’appréhender les mathématiques ?
Un enseignement me paraît évident à tirer de ce soutien psycho-
pédagogique. Il devrait avoir des retentissements sur notre façon
d’aborder les connaissances nouvelles dans la classe. Le voici :
Quand on cherche à donner du sens aux savoirs que l’on propose
aux enfants, il ne faut surtout pas avoir peur d’aller au-delà
d’informations sur l’utilité de ces savoirs.
Il faut aussi pouvoir les resituer dans des récits divers, qui
contiennent des représentations capables de les enrichir en s’adres-
sant à l’imaginaire. C’est aussi comme cela que nous leur don-
nerons la force de résister aux inquiétudes que l’apprentissage
déclenche chez certains de nos élèves.
Les meilleurs élèves qui peuvent bien entendu se passer de cette
étape préalable, nous en serons très reconnaissants. Mobilisés eux
aussi par un intérêt renouvelé, ils amélioreront leurs performances.

5. Oser créer une cohésion groupale

On ne peut pas prétendre vouloir réduire l’échec scolaire sans


prévoir chaque jour des activités qui ont pour but de créer ou
d’entretenir la cohésion groupale de la classe.
Le sentiment d’appartenance au groupe est un ressort essentiel
pour mobiliser les élèves qui rencontrent des difficultés d’appren-
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

tissage sévères. C’est lui qui va les soutenir devant les exigences
et parfois même les frustrations qu’impose le travail intellectuel à
ceux qui sont au-dessous du niveau des autres.
Ce n’est pas un hasard si les élèves en difficulté se signalent
toujours par un comportement qui les place à la marge du groupe :
agitation, violence, endormissement, contestation... Sans oublier
le fameux décrochage qui préoccupe tant depuis quelques années.
Dès l’école maternelle et ceci jusqu’à la fin des études, trouver
sa place parmi les autres, quand on ne suit pas le rythme des
apprentissages, quand on n’est pas dans le coup pour faire les
exercices demandés, quand on n’est pas intéressé par la parole du
professeur, devient une gageure.
124 U NE HEURE DE CULTURE HUMANISTE JOURNALIÈRE

Il est logique alors que les angoisses, d’abandon, de mort, de


rejet soient présentes. Ce sont elles qui font flamber ces sentiments
de nullité, d’insuffisance... qui se retournent souvent en idée
d’injustice et de persécution qui empoisonnent l’atmosphère des
classes.

La peur d’enseigner pousse à individualiser l’enseignement


Le professeur qui ne croit pas à l’importance de la dimension
groupale pour aider les élèves de sa classe qui sont en difficulté,
va au contraire tout faire, parfois avec les meilleures intentions du
monde, pour les marginaliser.
Dans la classe comme dans la société, le premier réflexe de
survie et de protection du groupe est de mettre à l’écart ceux qui
sont différents. Voici quelques façons de faire :
• Débuter le cours par une parole qui crée de la coupure dans
le groupe en ne pouvant être reprise que par ceux qui savent
ou qui peuvent faire. Au lieu d’avoir un propos introductif, qui
rassemble, qui permet à tous de se sentir impliqué et concerné
par ce qui va suivre, certains professeurs, pris sans doute eux-
mêmes par l’inquiétude de ne pas être à la hauteur ou par la
peur du vide, plongent directement sur ces explications ou ces
exercices qui divisent. En quelques secondes, ils réussissent à
faire comprendre à une partie de la classe qu’elle n’a plus rien
à attendre de ce qui va suivre. On ne peut pas faire mieux pour
avoir des ennuis.
• Autre exemple de parole empêchant l’existence du groupe :
le cours qui débute par des mises en garde, des menaces ou
des reproches. Elles ne font peur qu’à ceux qui ne sont jamais
punis, elles donnent des idées aux autres en leur rappelant que
la contestation est encore ce que l’on fait de mieux pour lutter
contre l’ennui.
• Dans le registre des actions qui freinent la cohésion du groupe,
réservons une place de choix aux soutiens et aux aides diverses
prévues pour ceux qui sont en difficulté. Bien souvent ils
reposent sur une idée généreuse : ce qui n’est pas évident dans
la classe à cause du grand nombre, va devenir possible dans un
petit groupe ou en individuel. Nous ne voulons pas prendre en
U NE HEURE DE CULTURE HUMANISTE JOURNALIÈRE 125

compte que cette idée va être nocive pour deux tiers de ceux
qui rencontrent des difficultés à apprendre. La modélisation du
cours particulier, considéré par certains comme la botte secrète
contre l’échec scolaire, n’est valable que pour les enfants qui
ont besoin d’entraînement supplémentaire ou de répétition. Les
autres, comme ceux qui souffrent d’empêchement de penser,
vont trouver dans ces actions seulement de quoi améliorer leurs
stratégies anti-apprentissages.
Il y aurait encore beaucoup à dire sur le rôle que font jouer cer-
tains professeurs à la compétition, aux évaluations, aux sanctions,
à la note pour casser la cohésion du groupe.
Souvent, dans un souci de bien faire et de répondre à l’hété-
rogénéité, ils utilisent ces supports apparemment objectifs, pour
individualiser, classer, séparer, différencier, il est bien dommage
qu’ils fassent cela avant d’avoir permis à chacun de trouver dans
le patrimoine commun et le projet du groupe, la force qui va lui
permettre de supporter ses faiblesses.

L ES TROIS TEMPS FORTS À CULTIVER TOUS LES JOURS


POUR CRÉER CETTE DIMENSION GROUPALE
ET LA METTRE AU SERVICE DE CHACUN

• Un apport culturel donné à tous sur le temps de la classe


qui va servir de creuset à la transmission des connaissances et
à l’amélioration des compétences. J’insiste encore une fois sur
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

l’importance de la lecture à haute voix de textes fondamentaux


pour constituer la base de ce patrimoine commun au groupe.
Le but étant ici d’intéresser, de restaurer l’écoute, d’universaliser
les préoccupations personnelles et de donner des références
communes à tous pour le travail qui va suivre.
• Un travail spécifique sur les attitudes favorables à l’appren-
tissage. Cessons de faire semblant de croire que l’amélioration
de ces attitudes peut venir d’un apport de connaissance, ce n’est
absolument pas vrai. C’est en prolongeant cette erreur que nous
accentuons les différences entre élèves. Savoir communiquer,
savoir collaborer, savoir créer, savoir réfléchir sont quatre attitudes
essentielles pour apprendre. Elles ne sont pas données une fois
pour toutes, elles s’améliorent au fil du temps à condition de leur
consacrer un entraînement spécifique. Cet entraînement doit être
journalier, il est de la plus haute importance pour tous les élèves,

126 U NE HEURE DE CULTURE HUMANISTE JOURNALIÈRE


y compris pour les meilleurs d’entre eux. La meilleure façon
d’améliorer ces quatre attitudes qui sont autant fondamentales
que transversales, repose sur de l’entraînement à parler et à
débattre, sur de l’entraînement à la communication écrite, sur
de l’entraînement aux activités artistiques et sportives, sur de
l’entraînement à expérimenter. Tout cela venant après un travail
de nourrissage qui a stimulé la curiosité, le désir d’apprendre et
enrichit les représentations de tous, dans le même temps et le
même lieu.
• Des savoirs qui prennent du sens et des racines avec un
apport culturel qui a été le même pour tous. Cette étape est
primordiale, pour en arriver dans un second temps à la pédagogie
différenciée, qui elle aussi est nécessaire pour faire fonctionner la
classe hétérogène.
– Aborder les mathématiques avec un problème qui s’est posé
au héros d’un récit ou qui a surgi durant le débat ;
– Mener une expérience scientifique ou apprendre la géographie
en s’appuyant sur la lecture d’un roman qui a intéressé tous
les élèves ;
– Apprendre l’orthographe à partir des quelques lignes que
chacun a écrites pour communiquer ses idées après un débat ;
– Apprendre la conjugaison ou une langue étrangère en partant
de phrases, de dialogues, tirés de la lecture en cours, donnent
une force et un intérêt à la démarche pour apprendre, qui
soudent les élèves entre eux en leur donnant des représen-
tations communes que chacun va pouvoir greffer aux siennes.

La démarche de chacun s’en trouve améliorée


Les enseignants qui mettent en place cette pratique pédagogique
reposant sur la médiation culturelle font tous les mêmes remarques.
Au-delà de l’amélioration du climat général de la classe, chacun
y trouve son compte. Les élèves en difficulté s’intègrent mieux,
ils supportent plus sereinement le temps d’apprentissage même
lorsque les progrès tardent à venir. Quant aux meilleurs élèves, et
la remarque est plutôt rassurante, ils en tirent un grand bénéfice.
Ils sont les premiers à démarrer, l’apport culturel augmente leur
intérêt et leur participation. Leurs résultats s’améliorent et l’ennui
disparaît.
U NE HEURE DE CULTURE HUMANISTE JOURNALIÈRE 127

C’est d’ailleurs ce que nous allons voir maintenant dans un


chapitre consacré à l’évaluation des effets de cette pédagogie
médiatisée par la culture et le langage.
4. N E PAS AVOIR PEUR D’ ÉVALUER LES EFFETS
DE CETTE PÉDAGOGIE

C’est le meilleur moyen de montrer son efficacité


Je l’ai dit à plusieurs reprises, il ne peut pas être question de se
soustraire aux évaluations habituelles proposées aux élèves sur le
plan national.
Ce n’est pas parce que cette approche pédagogique travaille à
une amélioration des compétences et des attitudes qui facilitent et
soutiennent l’apprentissage, que les buts changent.
Ils restent toujours les mêmes : aider tous les enfants à sortir de
l’école en maîtrisant les savoirs de leur programme et tout particu-
lièrement ceux annoncés par le socle commun des connaissances.
130 U NE HEURE DE CULTURE HUMANISTE JOURNALIÈRE

Ces évaluations comparatives ne doivent pas faire peur, bien au


contraire. Elles sont le meilleur moyen de prouver qu’un apport
culturel intensif et qu’un entraînement journalier à l’expression
sont bénéfiques pour en arriver à une meilleure maîtrise des savoirs
de base.
À condition que les évaluations respectent le temps
nécessaire au changement
Les changements concernant le fonctionnement intellectuel des
élèves qui n’ont pas les compétences psychiques pour aborder
les contraintes de l’apprentissage, réclament plusieurs mois, voire
deux années pour être mesurables. Il faut le savoir pour ne pas
tomber dans une précipitation de mauvais aloi.
Encore une fois, ne cédons pas au besoin de résultats immé-
diats qui empêchent de travailler les compétences transversales
ou fondamentales. Ne laissons pas les inquiétudes évaluatives
pervertirent l’enseignement.
C’est pourquoi nous ne devons pas nous contenter d’une éva-
luation qui s’en tient seulement à une vérification de la maîtrise
d’une connaissance.
Quand on veut aider des élèves en difficulté, il faut aussi savoir
apprécier le cheminement qu’ils sont en train d’accomplir ou non
pour y arriver.
Ces étapes peuvent être nombreuses comme nous allons le
voir, surtout avec les empêchés de penser. Il est important de
les connaître et de les repérer pour ne pas casser une dynamique
en cours.
La présentation des savoirs soutenue par le nourrissage culturel
nous montre bien qu’il faut différencier des effets immédiats,
comme un intérêt nouveau et une meilleure mobilisation pour
les projets menés en classe, d’avec des effets à long terme qui
permettent cette fois de renforcer des compétences indispensables
pour affronter les contraintes de l’apprentissage.
U NE HEURE DE CULTURE HUMANISTE JOURNALIÈRE 131

Des effets immédiats et évidents


à repérer pour le professeur
Un intérêt et une mobilisation qui changent
l’atmosphère de la classe dès la première semaine
Le nourrissage culturel, à condition bien entendu que le récit
choisi soit porteur des préoccupations qui retiennent l’attention du
groupe, produit un effet immédiat et très positif sur l’atmosphère
générale de la classe.
L’attention et le désir de participer sont tout de suite exploi-
tables. Ils viennent changer les comportements en réduisant l’op-
position, même chez les élèves les plus réfractaires à l’apprentis-
sage.
Je rappelle quand même, qu’il est nécessaire au départ de
choisir pour cette lecture, des textes courts, simples et chargés
émotionnellement comme peuvent l’être, les contes, les mythes et
la plupart des récits initiatiques.

Un désir d’expression favorisé chez tous les élèves


qui permet de soutenir et d’encourager l’écrit
dès les premiers jours
Après l’attention et l’écoute améliorées, c’est le besoin de
s’exprimer qui apparaît très vite chez tous les élèves. Stimulé et
soutenu par le nourrissage culturel, il devient naturel et beaucoup
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

plus facile à utiliser par le professeur.


Dès les premiers jours, il va donner de la force à trois activités
pédagogiques importantes pour ancrer les savoirs de base :
• l’entraînement à parler et à débattre ;
• l’entraînement à écrire ;
• l’accès aux activités artistiques.

Rappelons que ces trois activités ne sont pas accessoires, elles


jouent un rôle majeur dans la structuration de la pensée et dans
l’amélioration des capacités réflexives.
132 U NE HEURE DE CULTURE HUMANISTE JOURNALIÈRE

Des contraintes inhérentes à l’acquisition des savoirs


de base qui deviennent plus faciles à affronter
Très vite, nous allons vérifier que des savoirs ancrés dans un
récit, qui posent des questions fondamentales, qui ont parfois été
l’objet d’un débat, mobilisent plus d’énergie et d’envie pour aller à
leur conquête et pour supporter les contraintes de l’apprentissage.
L’exemple le plus facile à vérifier est celui de la lecture. Lire
dans un texte qui a intéressé et qui est encore l’objet d’un
questionnement ou de discussion est le meilleur moyen de soutenir
les mauvais lecteurs, qu’ils soient petits ou grands.

Une cohésion groupale qui se met en place


en moins de deux semaines
L’entraînement à l’expression, le nourrissage culturel ne vont
plus entretenir de coupure systématique entre les élèves en dif-
ficulté et les autres. La classe s’installe dans une dynamique
nouvelle. Grâce au patrimoine commun auquel se référer, les
interactions et les échanges sont facilités. La coupure synonyme
de tension et parfois même de rancœur s’atténue et fait place à la
possibilité de se sentir engagé dans un projet commun.
C’est un préalable indispensable et très favorable à la mise en
place d’une pédagogie différenciée dont ont besoin les classes
hétérogènes.

Les meilleurs élèves stimulés par l’apport culturel


vont s’engager encore plus dans l’apprentissage
La justification première de cette heure de culture humaniste
est d’aider les élèves « empêchés de penser » à renouer avec
l’apprentissage. La première bonne surprise de cette proposition
nous vient paradoxalement des meilleurs élèves.
Non seulement ils ne pâtissent pas de ce qui était prévu pour les
autres, comme certains pourraient le redouter, mais ils en tirent un
profit immédiat.
La plupart d’entre eux se passionnent d’emblée pour ces récits
amenés dans le temps du nourrissage culturel. Ils vont s’investir
avec beaucoup d’énergie. L’ennui disparaît au profit d’un besoin
U NE HEURE DE CULTURE HUMANISTE JOURNALIÈRE 133

de recherche et d’un souci d’information que remarquent les


familles.
Autre observation intéressante : les élèves surdoués ou hyper-
matures vont trouver ici les moyens de lutter contre cette disper-
sion ou cet ennui qui les gagnent si vite quand ils sont en classe.

Des effets sur le long terme


parfois plus difficiles à repérer
Dans une évaluation qui s’attache à repérer des attitudes favo-
rables à l’étude, il ne faut pas non plus céder à la naïveté. Un
comportement amélioré et un plaisir nouveau pour ce qui se passe
dans la classe ne vont pas réduire magiquement le problème
grave des élèves qui évitent en permanence les contraintes de
l’apprentissage.
Même si de ce côté, nous pouvons avoir de bonnes surprises,
marquées par des possibilités d’expression inattendues et une
adhésion aux projets de la classe, il n’en reste pas moins que
les effets négatifs de la peur d’apprendre ne disparaissent pas du
jour au lendemain.
Plusieurs étapes vont s’avérer nécessaires pour pouvoir affron-
ter avec succès les contraintes de l’apprentissage. Il faut les
connaître pour ne pas céder au découragement car avec certains
élèves, il faudra compter pratiquement deux années pour en arriver
à un résultat enfin visible et mesurable.
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Des capacités à écouter dans le groupe qui apparaissent


(quelques jours à un mois)
C’est le premier apport de la lecture à haute voix : permettre
aux élèves en difficulté parfois depuis longtemps, de renouer avec
l’écoute lorsque la parole du professeur s’adresse au groupe.
C’est peu dans une évaluation des savoirs acquis, c’est essentiel
dans la mise en place d’une démarche d’apprentissage.

Des capacités représentatives qui s’améliorent


(un à trois mois)
L’apport culturel, en donnant une forme à l’inquiétude et aux
questions existentielles, enrichit et sécurise les représentations.
134 U NE HEURE DE CULTURE HUMANISTE JOURNALIÈRE

Dès le premier mois, cet effet est visible. Nous allons le vérifier
d’abord dans les activités reposant sur l’expression (parler, écrire
et dessiner).
Les savoirs mobilisant davantage les capacités réflexives
demandent plus de temps pour pouvoir s’inscrire, mais lorsqu’ils
sont bien soutenus par les images du récit, nous assistons parfois
à des avancées spectaculaires.

Un langage argumentaire qui apparaît


(trois à six mois)
L’observation montre qu’il faut au moins trois mois d’entraîne-
ment journalier pour faire franchir le cap du langage argumentaire
à des enfants ou à des adolescents qui n’ont pas réussi à le mettre
en place à l’âge de huit ans (cf. définition et rôle du langage
argumentaire p. 45)
Nous devons savoir qu’il joue un rôle essentiel dans l’organisa-
tion et la structuration de la pensée.
Cette étape doit être considérée comme décisive et incontour-
nable pour le changement qui doit advenir dans la capacité à
apprendre.

Une curiosité qui se dégage du personnel


et qui devient récupérable pour « universaliser »
(environ six mois)
C’est l’étape qui suit l’arrivée du langage argumentaire.
Enfin la possibilité de s’intéresser à autre chose qu’à ces
préoccupations infantiles et personnelles est là. Elle se manifeste
par l’acceptation de la règle et de la loi et par une possibilité de
généraliser, qui se remarque d’abord dans le débat, mais qui va
aussi se voir dans une meilleure acceptation des contraintes de
l’apprentissage.

Le doute ne fait plus peur (six mois à deux ans)


L’apport du nourrissage culturel et de l’entraînement à débattre
va continuer au fil des mois à porter ses fruits en sécurisant et en
enrichissant les représentations sollicitées par l’apprentissage.
U NE HEURE DE CULTURE HUMANISTE JOURNALIÈRE 135

Progressivement elles s’inscrivent dans un scénario universel


qui se dégage des préoccupations personnelles. Elles deviennent
moins perméables aux parasitages. La confrontation avec le
doute ne déclenche plus ces idées d’auto dévalorisation ou de
persécution. La recherche devient possible. La phobie du temps
de suspension qui perturbait tant l’apprentissage et la relation
pédagogique, disparaît.
5. S E DÉGAGER DE LA PEUR D’ ENSEIGNER
GRÂCE À LA PÉDAGOGIE MÉDIATISÉE
PAR LA CULTURE HUMANISTE
• L’intérêt porté par le nourissage culturel et la particiation
aux activités d’expression changent et améliorent l’atmo-
sphère de la classe.
Une autre relation beaucoup plus favorable à la transmission
des connaissances devient possible entre le professeur et ses élèves
(avec chacun comme avec le groupe). L’autorité excessive et la
démagogie relationnelle qui sont souvent révélateurs de la peur
d’enseigner, ne sont plus nécessaires pour faire fonctionner un
groupe hétérogène.
138 U NE HEURE DE CULTURE HUMANISTE JOURNALIÈRE

• Les racines et le sens donnés aux savoirs, grâce à la culture


et au débat en facilitent la conquête.
Dès les premiers jours avec les meilleurs élèves, cette observa-
tion est évidente. L’ennui que connaissent souvent dans la classe
les enfants les plus intelligents se transforme en participation et en
désir de recherche. La pédagogie médiatisée par un apport culturel
est de loin celle qui convient le mieux aux élèves hypermatures.
Les contraintes de l’apprentissage sont mieux supportées par
tous. Même les élèves qui ne sont pas encore dans la réussite se
sentent soutenus et portés par ce premier temps fort auquel ils ont
pu participer.
• En donnant avec la culture un patrimoine commun à tous,
les élèves en difficulté se sentent intégrés dans la classe.
Comment conduire une classe dans laquelle se trouvent des
élèves qui n’ont ni le niveau ni le comportement pour faire ce qui
est demandé par l’institution ? Nous sommes là devant la raison
essentielle de la peur d’enseigner et de tous les dérèglements de
la pédagogie.
La réponse à cette question angoissante est pourtant évidente :
avant de différencier, il faut absolument donner un bagage com-
mun à tous. L’apport culturel, quand il est prolongé par la pos-
sibilité de débattre, organise cette dimension groupale. Il permet
d’ouvrir sur une modalité de fonctionnement qui ne va plus être
dépendante seulement des acquis scolaires déjà en place.
C’est grâce à cela que les problèmes de comportement qui
sont souvent provoqués par la marginalisation de ceux qui ne
sont pas en mesure d’affronter les contraintes de l’apprentissages
s’atténuent. C’est seulement après cette étape que la pédagogie
différenciée a toutes les chances de devenir efficace.
• Les parents informés soutiennent la démarche et deviennent
des alliés.
Nous ne devons jamais oublier que le premier regard porté
par les parents sur la classe et ses enseignants se fait d’abord
en fonction de l’intérêt que leur enfant éprouve chaque matin
pour aller à l’école et chaque soir pour faire ses devoirs à la
maison. Lorsque l’apport culturel est venu mobiliser la curiosité,
U NE HEURE DE CULTURE HUMANISTE JOURNALIÈRE 139

encourager la recherche, faciliter la communication... les parents


le perçoivent. L’occasion leur est donné de prolonger l’apport de
l’école, sans passer uniquement par le contrôle d’exercices parfois
rébarbatifs et ennuyeux.
• Grâce à l’apport culturel, le professeur est stimulé lui aussi
dans son fonctionnement intellectuel et son désir de trans-
mettre.
C’est le meilleur des ressorts contre la peur d’enseigner. La
culture n’est pas seulement utile pour les élèves, elle permet
aux adultes aussi d’être relancés dans leur plaisir de fonctionner
intellectuellement.
La peur d’enseigner est souvent perpétuée par le manque
d’intérêt pour l’objet de la transmission qui finit par gagner le
professeur. La contestation, le refus de participation, le désintérêt...
aboutissent à vider les connaissances de leur substance.
Les risques de contagion de l’empêchement de penser sont
alors évidents. Il touche rapidement le groupe des élèves avant
d’atteindre à son tour le professeur. Les réflexes de survie qui
conduisent alors à la peur d’enseigner vont se déployer.
Médiatiser la présentation des savoirs permet d’échapper à ces
effets rétroactifs et facilite le travail en équipe.
Troisième changement

Ne plus avoir peur


du travail en équipe
1. L E RÔLE BÉNÉFIQUE DE L’ ÉQUIPE
N ’ ÉCHAPPE À PERSONNE
Que dirait-on d’une entreprise dans laquelle une idée ferait
l’unanimité sur son bien-fondé et sur son intérêt et ne serait
pratiquement jamais mise en application ?
Évidemment cela paraîtrait bizarre, et bien pour moi c’est
exactement le cas du travail en équipe des professeurs dans les
écoles et les collèges.
Tout le monde s’accorde pour dire que cette pratique doit se
mettre en place dans chaque lieu d’enseignement. Qu’elle est
non seulement utile, mais indispensable pour améliorer la vie
de l’école comme pour faire progresser la qualité de la réponse
pédagogique.
144 T ROISIÈME CHANGEMENT

Pour une fois la hiérarchie, les syndicats, les parents, les ensei-
gnants eux-mêmes, sur ce point sont d’accord : « la constitution
d’une équipe pédagogique est une nécessité ». Cette unanimité est
suffisamment rare pour être mentionnée.
Il faut dire que les arguments en faveur d’une cohésion du
groupe des adultes qui exercent dans la même école, souvent
avec les mêmes élèves, sont nombreux. Entre les enfants en
échec dans les apprentissages, les comportements qui rendent
l’enseignement chaotique, le cadre difficile à maintenir, parfois
même les incivilités, les violences, le décrochage, sans oublier les
professeurs qui ne tiennent pas le coup... il y a de quoi faire. Les
sujets pour alimenter une réflexion et des actions communes ne
manquent pas.

Pourtant la réflexion en équipe sur la pédagogie


n’existe pratiquement pas dans les écoles
Lorsque des réunions entre enseignants d’une même école
sont organisées, elles concernent essentiellement des problèmes
généraux liés à l’organisation ou à l’administration.
Surtout pas de réflexion en équipe sur la pratique pédagogique,
surtout pas d’analyse ni de mise en commun de la façon dont
chacun s’y prend pour résoudre un problème relationnel avec un
élève ou avec une classe contestataire.
Lorsque l’on parle de pédagogie dans ces réunions, les propos
sont désincarnés et restent très superficiels. Personne ne semble
vouloir aller au-delà de la mise en place d’un projet d’établisse-
ment ou d’une étude détaillée du règlement intérieur. Très souvent
le consensus se fait sur une critique des directives du ministère,
proposées par des gens qui ne connaissent pas le terrain et qui vont
encore bientôt changer d’idées avant qu’on n’ait pu les mettre en
place.

Quelles raisons sont invoquées pour ne pas se


lancer dans un véritable travail d’équipe ?
Quand on interroge les enseignants sur le sujet, trois raisons
difficilement contestables l’emportent.
NE PLUS AVOIR PEUR DU TRAVAIL EN ÉQUIPE 145

La première est la plus souvent citée : il n’y a pas d’heures


prévues et payées dans notre emploi du temps pour faire ce type
de travail.
La seconde, nous n’avons jamais eu de formation au travail en
équipe. Cet échange en groupe entre nous se fait mal, il suscite
beaucoup d’insatisfactions, les discussions tournent en rond et
n’entraînent aucun changement notable.
La troisième, il faudrait un animateur extérieur à l’école,
capable de jouer ce rôle de régulateur. Le directeur de l’école est
mal placé pour tenir ce rôle. Sa position hiérarchique empêche
une libération de l’expression.

Et si ces raisons invoquées en cachaient d’autres ?


Il y a de cela quelques années, j’ai vu échouer une action
de mise en place d’équipes pédagogiques, pourtant elle levait
en grande partie, les objections matérielles évoquées par les
enseignants.
Je travaillais à l’époque au Centre Claude Bernard avec le
Docteur Pierre Privat, le grand spécialiste des traitements en
groupe. Nous avions souvent l’occasion de discuter de cette
réticence à la mise en place des équipes dans les écoles.
Quelques mois avant de prendre sa retraite, il m’annonce qu’il
aimerait bien participer à une expérience de ce type et qu’il était
prêt à se rendre disponible pour aller chaque semaine dans une
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

école, pour assumer le rôle d’animateur de l’une de ces équipes,


sans être payé.
Il proposait d’être cette présence extérieure, hors hiérarchie qui
facilite et encourage la parole et la réflexion.
L’intérêt évident de cette proposition est que nous avions affaire
à quelqu’un qui avait une connaissance excellente de la psycholo-
gie des enfants et des phénomènes de groupe, si importante pour
la gestion d’une classe.
Fort de cette proposition, je rencontre l’inspectrice du 20e arron-
dissement de Paris, dans lequel le Centre Claude Bernard a une
consultation. Elle est immédiatement enchantée, elle me dit qu’au
cours de sa carrière elle n’avait encore jamais eu droit à un tel
cadeau qui lui tombe du ciel.
146 T ROISIÈME CHANGEMENT

Elle connaissait Pierre Privat et sa réflexion sur les groupes


et elle n’en revenait pas qu’il veuille bénévolement aller dans
une école chaque semaine et animer la réflexion d’une équipe de
professeurs.
Pour me prouver que ce n’était pas que des mots, dès le mois
suivant elle organise une réunion dans ses locaux où elle convoque
tous les directeurs et les directrices d’école de sa circonscription,
sans exception.
Nous allons donc mon collègue Pierre Privat et moi-même à
cette réunion. Plus d’une vingtaine de directeurs s’y trouvent.
L’ambiance est plutôt bonne et détendue. Les questions sont
nombreuses et plutôt bien ciblées. Tout le monde encore une fois
reconnaît le bien fondé et la nécessité de ce travail en équipe ainsi
que l’intérêt d’une compréhension des phénomènes de groupe qui
se déroulent dans une classe.
Par contre à la fin de la réunion, quand il faut s’engager pour
aller plus loin, quand il faut prendre date pour une information des
enseignants qui pourraient être intéressés par la proposition, il n’y
a plus que trois ou quatre directeurs qui sont prêts à prolonger la
discussion.
C’est un peu décevant bien sûr de voir que seulement trois ou
quatre d’entre eux se sentent concernés et que les autres prennent
leur distance. Mais après tout, trois ou quatre écoles c’est déjà
bien.
De toute façon, le Docteur Pierre Privat ne pouvait aller que
dans l’une d’entre elle et il faut bien démarrer. D’autant que les
directeurs concernés par le projet, ont l’air très motivés. Je les
entends discuter âprement et donner de sérieux arguments pour
que l’expérimentation débute plutôt dans leur école.
Nous attendons donc le retour de ces derniers ajustements avec
optimisme. Au bout d’un mois, nous n’avons toujours pas la
réponse de l’inspectrice. Je la rappelle et elle me dit : « je suis
comme vous, j’attendais une réponse plus rapide, je trouve drôle
de ne pas avoir de nouvelles, je provoque une autre réunion de
directeurs sans plus attendre, je vous tiens au courant ».
Après la réunion, téléphone : « je regrette, les directeurs ont
fait connaître la proposition aux enseignants. Ils ne veulent pas
NE PLUS AVOIR PEUR DU TRAVAIL EN ÉQUIPE 147

s’engager dans ce type de réunions. Je suis très déçue, je vais les


rencontrer moi-même et je vais voir ce que je peux faire pour
tenter de bouger les mentalités. »
Démarche qui apparemment est restée sans résultats.
2. U N FREIN MAJEUR AU TRAVAIL EN ÉQUIPE :
NE PAS VOULOIR MONTRER SES DOUTES
DANS UNE INSTITUTION QUI ELLE - MÊME
NE SE REMET PAS EN CAUSE
La résistance à la mise en place d’équipe pédagogique est
entretenue par l’institution elle-même qui veut faire croire à travers
ses instructions officielles, que la solution idéale est contenue dans
un respect de ses directives et non pas dans un ajustement qui
viendrait d’une réflexion de l’équipe pédagogique.
Concrètement, le message que chaque professeur perçoit à
travers les textes officiels comme à travers sa formation est le
suivant : « faites ce que l’on vous dit, renforcez votre maîtrise
technique sur la façon de transmettre les savoirs disciplinaires,
150 T ROISIÈME CHANGEMENT

ayez de l’autorité et tout ira bien. » Dans ces conditions, le


professeur qui se questionne ou qui n’est pas au point, va avoir
beaucoup de mal à parler de ce qu’il n’arrive pas à faire. Montrer
ses incertitudes et ses hésitations devant ses collègues équivaut à
étaler ses faiblesses.
C’est pourquoi, ceux qui rencontrent des difficultés, même
normales dans l’exercice de ce métier, préfèrent les taire de peur
qu’elles soient assimilées à une insuffisance. Malheureusement,
c’est aussi ce qui va entraîner l’individualisme et le retrait d’inves-
tissement pour les actions collectives.

Que peut-on faire


pour favoriser le travail en équipe ?
Une seule solution : rendre ces réunions hebdomadaires obli-
gatoires et les payer. Dans certaines expérimentations que j’ai eu
l’occasion de suivre, on voit que des rencontres régulières, mêmes
imposées dans un premier temps, permettent de surmonter en
quelques semaines cette peur de s’exposer.
On mesure alors très vite, que cet échange quand il est organisé
et planifié devient un ressort essentiel pour améliorer l’organisa-
tion de nos écoles et la réponse pédagogique de chacun.
Les professeurs qui participent à ces réunions, même quand ils
ne l’avaient pas souhaité, sont les premiers à le reconnaître.
Après une dizaine de ces rencontres, l’intérêt de cette mise en
commun est évident. Ils se disent soutenus dans leur difficulté
en profitant de l’expérience des autres, en s’engageant dans des
projets collectifs, en ayant un retour sur leur pratique qui leur
permet de ne pas se replier sur eux-mêmes.
Conclusion

Si nous voulons en finir


avec la peur d’enseigner
Préparons la révolution pédagogique dont notre école
a besoin pour aider tous ses élèves

1. R EDONNONS UN RÔLE MAJEUR À LA CULTURE


ET AU LANGAGE
• Sans un nourrissage culturel intensif, toujours introduit par de
la lecture à haute voix du maître, de textes fondamentaux ;
• sans un entraînement journalier à l’expression personnelle et au
débat, engagé à l’oral et prolongé à l’écrit ;
jamais nous ne pourrons changer le parcours des élèves qui
arrivent à l’école avec des compétences psychiques insuffisantes
pour affronter les contraintes de l’apprentissage.
Pourquoi faisons-nous semblant de ne pas le savoir ?
Si un jour nous voulons déranger ce destin funeste et réduire cet
échec scolaire programmé, osons consacrer une heure quotidienne
152 C ONCLUSION

à la construction d’un patrimoine commun, donné à tous sur le


temps de la classe, avec la culture et le langage.
C’est ainsi que nous allons permettre « aux empêchés de
penser » de trouver une force nouvelle pour affronter les exigences
du fonctionnement intellectuel qui les déstabilise.
C’est ainsi, que nous allons découvrir le secret qui permet de
faire étudier ensemble des élèves de niveaux différents et de faire
en sorte que la classe hétérogène si décriée, devienne la meilleure
des classes.
Et c’est ainsi que nous allons redonner aux professeurs le plaisir
de transmettre. La culture est le meilleur remède contre la peur
d’enseigner et l’usure professionnelle.

2. N E LAISSONS PAS LES PASSÉISTES


AGITER LES TROIS MALENTENDUS
QUI EMPÊCHENT L’ ÉCOLE D ’ ÉVOLUER
Premier malentendu : L’expression, l’intérêt,
le groupe... pour expliquer l’absence de rigueur
et d’autorité
Cette façon de concevoir la transmission des savoirs est-elle
toujours compatible avec la mission du professeur ? Cette valo-
risation de l’intérêt, de l’expression, de la cohésion groupale,
ne va-t-elle pas lui faire perdre son pouvoir et son autorité ?
L’heure quotidienne de culture humaniste, n’est-ce pas encore
une façon de brader les savoirs disciplinaires et de délaisser la
rigueur nécessaire à l’apprentissage ? Les parents, les inspecteurs
ne vont-ils pas freiner cette initiative ?
C’est ici, si nous n’y prenons garde, que les inhibitions et les
préjugés qui accompagnent et alimentent la peur d’enseigner se
déchaînent.
Ils sont toujours activés par les deux malentendus suivants qui
vont être fatals à l’initiative et à la créativité de la plupart des
professeurs.
C ONCLUSION.S I NOUS VOULONS EN FINIR AVEC LA PEUR D ’ ENSEIGNER 153

Deuxième malentendu : L’impérialisme du manque


pour expliquer l’échec scolaire
Un parti-pris dramatique pour les élèves qui rencontrent des
difficultés d’apprentissage résistantes. Il consiste à vouloir tou-
jours traduire leurs difficultés en termes d’insuffisance (connais-
sances, moyens, motivation, repères, bases...) Cet impérialisme du
manque entraîne une erreur grave.
Deux fois sur trois leur problème est d’abord la conséquence
d’un fonctionnement intellectuel singulier aménagé sur de l’évi-
tement de penser. Nous avons alors à faire à des enfants qui ne
peuvent pas entrer dans le temps du doute nécessaire à l’élabo-
ration, sans être déstabilisés par des sentiments parasites. C’est
ce qui provoque une véritable peur d’apprendre. Plutôt que de
chercher à combler des lacunes c’est cette organisation qui conduit
directement à l’échec scolaire qu’il va falloir changer.
Cet aveuglement est lourd de conséquences. Il pousse les
professeurs à engager des enfants qui auraient besoin d’un apport
culturel et d’un entraînement à l’expression pour relancer leur
capacité à penser, vers des activités de soutien centrées sur le
rattrapage. Cette erreur d’aiguillage encourage ces empêchés de
penser à améliorer leurs stratégies anti-apprentissage et les fait
basculer dans le camp des réfractaires à l’apprentissage.

Troisième malentendu : La classe hétérogène pour


 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

expliquer les dysfonctionnements du système


Ce troisième malentendu est une conséquence directe des deux
premiers. Il consiste à croire et à dire que les meilleurs élèves
vont être freinés, voire empêchés d’apprendre, lorsqu’ils étudient
dans le même lieu que ceux qui n’ont pas les bases pour faire le
programme.
En un mot : la classe hétérogène serait ingérable. Il est bien
évident que si la pédagogie proposée à cette classe est inspirée par
le second malentendu, si elle repose sur la coupure qu’impose le
souci prioritaire de vouloir combler des lacunes dans la répétition,
il en sera ainsi. Sans aucun doute, la classe s’organisera autour de
la ségrégation. Elle réveillera les rancœurs, les idées d’injustice,
154 C ONCLUSION

elle ne retrouvera sa cohésion que dans l’opposition et deviendra


vite ingérable.
Par contre, si la présentation des savoirs s’enracine dans un
patrimoine commun, qui a été construit sur le temps de la classe
avec la culture et le langage, la pédagogie différenciée deviendra
possible. Construire et trouver la cohésion du groupe est une
priorité absolue dans une classe hétérogène. C’est ce qui permet
ensuite, de faire progresser chacun dans son champ de connais-
sances et de compétences sans qu’il se sente dévalorisé ou freiné
par les autres.

3. VALORISONS LA FORMATION ET LA RÉFLEXION


SUR LA PRATIQUE PÉDAGOGIQUE
Sous prétexte de retour indispensable à l’autorité et aux savoirs
disciplinaires, l’enseignement est touché depuis une dizaine d’an-
nées, par un courant rétrograde qui bloque les initiatives des
professeurs et les encourage à un conformisme pédagogique de
mauvais aloi.
Apprendre à nos élèves à communiquer, à collaborer, à penser
et à créer après les avoir nourris avec la culture n’équivaut pas à
brader les exigences nécessaires à la conquête de savoirs, c’est au
contraire la meilleure façon d’y arriver.
Ne laissons pas ceux qui en sont restés à des explications
simplistes sur les causes de la difficulté à apprendre, comme sur les
causes du malaise des professeurs, donner des leçons qui dérèglent
et affaiblissent l’école.
Le jour où nous accorderons de l’importance à la formation de
nos professeurs, le jour où nous les encouragerons réellement, avec
les moyens financiers que cela suppose, à la réflexion pédagogique
en équipe dans chaque école, nous arriverons sûrement à nous
débarrasser de ces préjugés pervers qui ne font qu’alimenter la
peur d’enseigner.
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Index

A culture jeune 112


curiosité primaire 44, 45, 56, 57, 94,
activité réflexive 43, 72, 93, 94
105, 106
aide personnalisée 24, 62
association immédiate 40, 41, 88
auto-dévalorisation 13, 102, 119 D
décrochage 3, 17, 33, 36, 74, 123,
144
B démarche réflexive 77
besoin de certitude 40–42, 58 désir de savoir 15, 26, 27, 44, 56, 73,
94, 116
dyslexie 29, 44
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

C
capacité transversale 76 E
classement international 4, 18, 72, élaboration intellectuelle 35
87
émotion parasite 36
cohésion groupale 96, 98, 103, 106,
empêchement de penser XIII, 5, 10,
123, 132, 152
35, 40, 49, 50, 54, 59–62, 77,
compétence psychique 34, 35, 107, 81, 96, 98, 108, 117, 119, 125,
108, 130, 151 139
conformisme de penser 59, 88 ennui 27, 28, 59, 76, 94, 124, 126,
coréflexion 9, 10 132, 133, 138
culture humaniste 86, 98, 99, 101, équipe pédagogique 144, 149
132, 152 évaluation 4, 14, 26, 54, 59, 60, 68,
heure de – 97, 100, 106, 113 75–79, 129, 130, 133
160 I NDEX

expérimentation XIII, 68, 77, 79, peur d’apprendre 5, 10, 24, 30,
82–84, 116, 117, 146, 150 33–35, 37, 39, 40, 47, 50, 51,
expression personnelle 86, 98, 106, 54–56, 58, 60, 98, 101, 102,
112, 151 133, 153
peurs archaïques 109
phobie du temps de suspension 35,
F 39, 55, 114, 118, 120, 135
fonction imageante 39
formation 4, 10, 51, 59, 68, 73, 74, R
115, 145, 149, 154 représentations 43, 54, 58, 60, 61,
88, 94, 95, 106, 108, 117, 120,
123, 126, 133, 134
H – communes 126
hyperactivité 28, 29, 43 – personnelles 36, 59, 61
– sur l’origine 109
rigidité autoritaire 8, 12
L
langage argumentaire 57, 77, 112, S
134
savoirs 14, 18, 28, 44, 50, 59, 73, 74,
lecture silencieuse 51, 52, 54–57, 60
76, 81, 82, 86, 87, 91, 93, 96,
98, 103, 116, 117, 123, 129,
131, 138
M
– disciplinaires 17, 82, 87, 88,
machine à penser 10, 13, 34, 50, 102 105, 149, 152, 154
manque de base 24, 40, 49–51 – fondamentaux 24, 43, 51, 87,
médiation culturelle 101, 126 95, 99, 110, 112
méthode globale 41 transmission des – 100
monde interne 43, 50, 107–109, 117 séduction démagogique 12
sens de l’opération 61, 99, 110, 116
socialisation 18, 72
N socle commun XIV, 129
stratégie anti-apprentissage 13, 24,
nourrissage culturel 24, 59, 72, 94, 35, 50, 125, 153
98, 99, 107, 109, 114, sublimation 45
130–132, 134, 151

T
P
texte fondamental 84, 96, 99, 101,
patrimoine commun 93, 125, 132, 125, 151
138, 152, 154 toute-puissance 42
I NDEX 161

trouble 27, 29–31 – psychosomatique 43


– de la personnalité 120
– du comportement 9, 34, 40, 42,
V
50, 69
– du langage 28, 30 vécu d’injustice 46

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