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Nouvelles addictions à l'épreuve de la clinique  Citer ou exporter
Carlos Farate
 Dans Le Carnet PSY 2007/1 (n° 114), pages 33 à 39
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T exte issu d’une conférence au colloque Adolescentes-Adolescents, “La clinique dans divers pays”, traduit du
portugais.
1

Introduction

L’écoute clinique des adolescents et jeunes adultes qui, par leur trouble du comportement et/ou la 2
dysregulation thymique dont ils font preuve, semble défier l’e ficacité d’une approche diagnostique
 fondée sur des seuls critères sémiologiques et soulève d’importantes di ficultés techniques, voire même Besoin d'aide ?
éthiques, dont la résolution est loin d’être aisée. L’approche thérapeutique des troubles présentés par
ces adolescents en proie à d’importantes di ficultés dans l’axe sentiment d’identité/qualité des relations
d’objet requiert une attitude observatrice patiente et ouverte de la part du clinicien. Or, une telle
disponibilité tend à être constamment mise en échec soit par la labilité des symptômes et états
émotionnels apportés en consultation par ces jeunes, soit par la luidité des relations engagées avec
autrui.

Les conduites addictives représentent l’exemple extrême de la complexité thérapeutique. Celle-ci est 3
redoublée par l’incertitude lottante concernant les bienfaits des aménagements du cadre
psychothérapeutique établi pour pallier les résistances au changement, entre le subtil et l’acharné, mis
en acte par le côté le plus archaïque du fonctionnement mental de ces jeunes. Le planning e ficace d’un
traitement implique, au préalable, l’établissement d’une hypothèse thérapeutique axée autant sur un
diagnostic psychopathologique précis que sur le pronostic évolutif de la situation clinique en cause. Le
traitement impose d’emblée que l’on trouve une réponse satisfaisante pour chacune des trois questions
suivantes :

– à quelle entité clinique précise nous référons-nous lorsque nous assignons le label “addictif” à un(e)
adolescent(e) en consultation ?
– quel est le registre de fonctionnement mental qui sert d’empreinte psychique aux troubles de ces
adolescent(e)s présentant une conduite addictive, que celle-ci soit rapportée par eux-mêmes, par
leurs parents ou un autre adulte, lors du ou des premiers entretiens ?
– quelles sont les limites éthiques qui doivent définir le projet de “devenir soi” pour les jeunes en
proie à un trouble addictif, la concrétisation d’un tel projet s’avérant être, pour la plupart des
cliniciens, le but implicite de toute action thérapeutique ?

Pour essayer d’apporter une réponse à ces trois questions, j’évoquerai trois vignettes cliniques.

L’art hallucinant de fuir l’effrayante blessure ou l’écureuil pris au


piège

Luís est un adolescent âgé de 16 ans lorsqu’il est emmené pour la première fois en consultation par son 4
père en raison d’un comportement social désordonné, du caractère con lictuel de ses relations avec ses
parents, du léchissement des résultats scolaires et surtout de l’abus de hachisch, ayant donné lieu à un
signalement thérapeutique suite à une procédure disciplinaire du conseil exécutif du lycée qu’il
fréquentait à l’époque. Je vois entrer un jeune homme maigre et de petite taille avec des cheveux longs et
filiformes sur un visage à la barbiche éparse et aux yeux brunâtres vifs et expressifs, l’air un peu égaré.
Le père est un homme d’une soixantaine d’années laissant entrevoir une personnalité ferme et résolue ;
en dépit de l’allure ré léchie et a fectueuse de ses propos au sujet de son fils cadet, il manifeste un
sentiment de déception réitérée à l’égard de l’apparente faiblesse de Luís (je me demande, d’ailleurs, si
cette déception ne se double pas d’une préoccupation atavique enracinée, peut-être, dans des problèmes
présentés par ce fils durant l’enfance, auxquels, pourtant, il ne fera aucune référence). La seule
remarque, subtilement critique, produite à cet égard va concerner la surprotection maternelle censée
avoir contribué à l’immaturité actuelle de Luís. Par ailleurs, la consommation de hachisch, passe
presque inaperçue et semble subordonnée à l’impression pénible d’une (impardonnable) défaillance de
Luís à respecter les moeurs paternelles et à son incapacité, à l’image de son frère et de sa sœur, à réussir
le parcours scolaire. En e fet, le père de Luís est un médecin prestigieux et reconnu socialement par sa
compétence clinique et universitaire, son profil éthique, tandis que sa mère, quoique ayant moins bien
réussie socialement, poursuit une carrière d’institutrice compétente et respectée dans le lycée où elle
exerce. La sœur aînée de Luís a toujours satisfait le portrait de jeune fille exemplaire, et termine un
doctorat en Droit, tandis que son frère, même s’il a présenté quelques problèmes de comportement à
l’adolescence, considérés comme mineurs, surtout par rapport au “déluge” comportemental de Luís, s’en
est bien tiré par ailleurs, puisqu’il est en train de finir sa formation médicale. Alors, qu’est-ce qui reste à
ce cadet incapable d’échapper soit à l’identification à une mère dépressive (suivie en psychothérapie
depuis deux ans), soit à un sentiment d’écart narcissique par rapport à un père idéalisé qu’il soupçonne
de ne l’avoir jamais investi autant que la fratrie, et en particulier son frère, qu’il admire et envers lequel
se manifeste un sentiment de rivalité fraternelle non mentalisé, qui s’ajoute à la jalousie envieuse envers
un père vécu comme étant le maître tout-puissant de l’amour maternel. Par ailleurs, cette impression de
carence précoce d’un amour maternel semble prendre ses racines dans l’expérience d’insu fisance
phallo-narcissique lors des importants problèmes somatiques que Luís présenta dès l’accouchement (et
qui ont parcouru toute sa première enfance) à l’issue d’une grossesse quelque peu tardive de sa mère, en
apparence faiblement soutenue par son père. Cette espèce de “secret familial de polichinelle” qui a
donné lieu à une surprotection anxieuse, et quoique culpabilisée, de la part de la mère (un “secret” qui
me sera dévoilé lors d’un entretien avec les parents vers la fin de la première année de prise en charge
du jeune) aura produit chez Luís une fragilisation narcissique, agie, dès les débuts de son adolescence,
par des comportements d’allure provocatrice dont l’usage abusif du haschich, les épisodes
d’alcoolisation, tournant assez souvent vers l’ivresse compulsive, constituent le maillon dépressif de
référence. Ce comportement perturbé va de pair avec une hyper sollicitude conviviale (musicien d’ hip
hop, il organise des évènements musicaux alternatifs) et justifie bien le surnom d’“écureuil” donné par
ses copains. Après avoir raté son bac l’an dernier, Luís a pu aborder dans la psychothérapie son vécu
dépressif sur un mode moins dramatique, étant capable, notamment, d’évoquer ses sentiments de
jalousie oedipienne envers son père après avoir fait, au préalable, le point sur l’impression de préjudice
a fectif axé sur le sentiment, longtemps nourri, qu’il occupait une place moindre dans l’amour de sa
mère. Ce qui lui aura permis, en particulier, maintenant qu’il a 19 ans, non seulement de gérer sur un
mode plus di férencié sa dépendance a fective et matérielle envers ses parents, mais surtout de
renoncer à fuir une réalité interne, jugée comme trop contraignante et adverse, par le biais d’un usage
compulsif, d’allure dépressive, de l’alcool et du haschisch incrusté dans une (fausse) attitude de “laissez-
faire” à l’égard de ses investissements objectaux, notamment scolaires.

La trajectoire de Luís me paraît, tout d’abord, révèler une 5


vulnérabilité de son moi, en apparence précoce. Il devient
alors assez évident de discuter de l’adéquation clinique d’une
prise en charge thérapeutique qui serait orientée, presque
exclusivement, vers le dénouement des seules
manifestations comportementales présentées par Luís, tout
en reportant à plus tard l’abord des traits dépressifs,
d’inscription narcissique précoce, qui sous-tendent son
rapport addictif à l’alcool, au haschisch, et à sa relation avec
ses copains et copines. Par contre, nous ne pouvons pas oublier l’impact du comportement addictif sur
l’équilibre neuropsychologique de Luís. Il est nécessaire de prendre en compte les donnés apportées à la
clinique par la recherche neurobiologique sur l’e fet procuré par les substances addictives sur le cerveau
sous-cortical, et en particulier leur impact sur la dysregulation des neurotransmetteurs (dopamine,
sérotonine, glutamate et GABA) qui participent à l’intégration cortical/ hypothalamique/ hypophysaire
des expériences sensori-émotionnelles sousjacentes à tout comportement humain, du plus normatif au
plus déviant (R. Chambers et al., 2003, T. Macedo, 2000, J-P. Changeux, 1983).

À cet égard, les hypothèses avancées par les études dans le domaine des neurosciences, spécialement à 6
partir d’une ligne de raisonnement récente qui cherche à établir la primauté de la sphère a fective de la
personnalité dans les circuits de réponse cognitive des états émotionnels de base, tant positifs (jouer,
quérir, soigner) que négatifs (peur, rage, chagrin), semblent assez prometteuses pour aboutir à une
compréhension plus approfondie des comportements humains (J. LeDoux, 1999, J. Panksepp, 2003, L.
Kenneth et al., 2003). Il faudra, bien sûr, que l’on procède à l’intégration heuristique des données issues
de ces études, organisées selon des modèles théoriques validés en population générale par des outils
psychométriques appropriés, et de celles qui résultent de l’observation directe e fectuée en contexte
clinique.

Une telle ouverture est, en e fet, bien plus conforme à la complexité des troubles du comportement 7
humain, en particulier à l’adolescence. Cette complexité systémique fut, d’ailleurs, aisément démontrée
par l’épidémiologie appliquée à la clinique et à la prévention primaire et secondaire dans ce domaine de
la santé mentale, notamment à travers le développement de modèles explicatifs et/ou compréhensifs
multidimensionnels par rapport à ces conduites. Mais alors quoi de neuf par rapport aux modèles de
compréhension strictement cliniques ? Tout d’abord, il s’agit plutôt des grilles de lecture clinique pour le
matériel, verbal et non verbal, apporté en consultation par ces jeunes. Ces grilles compréhensives
peuvent alors s’inscrire dans des approches thérapeutiques strictes ou, bien au contraire, dans une
orientation stratégique prédominante. Parmi les premières se trouvent celles qui dérivent soit des
modèles de conditionnement comportemental (comme, p.ex., les programmes désignés par twelve steps
et cue exposure, soit des modèles cognitifs (comme les programmes de skill training destinés aux enfants
et jeunes problématiques, et quelque fois aussi à leurs parents, selon les principes de la théorie
d’apprentissage social), voire encore de ceux qui se situent à mi-chemin des théories cognitive et
systémique (p.ex, les programmes de multisystemic therapy) (P. Bergmann et al., 1995, D. Drummond,
2001, P. Strand, 2002)
Par contre, les approches thérapeutiques d’orientation psychanalytique, qu’elles soient individuelles ou
de groupales, tout autant que les psychothérapies dites humanistes, telles la thérapie familiale et le
psychodrame, forment le noyau dur des interventions à caractère stratégique (combinées ou non, tel
que pour les premières, avec pharmacothérapie, surtout par le biais de la prescription de médicaments
psychotropes, Cf. Miller & Guttman, 1997). Pour la plupart, ces approches proposent une démarche
développementale pour la prise en charge des adolescents en di ficulté.
L’expression la plus fréquente de la psychopathologie à l’adolescence qui est bien systématisée dans la
perspective psychanalytique par la grille diagnostique proposée par M & E. Laufer (1989), répartie en 3
catégories dynamiques - troubles liés à un fonctionnement défensif excessif, impasse du
développement, rupture du développement-, montre que cette démarche s’inscrit aussi dans l’accent
mis actuellement sur les notions, essentiellement épidémiologiques, de vulnérabilité au stress (J. Ormel
& P. de Jong, 2001) et de résilience (M. Rutter, 1993). Au demeurant, la définition psychopathologique
plus précise de ce syndrome reste à énoncer, hormis la référence à la triade classique de tolérance aux
e fets des drogues et syndrome d’abstinence, laquelle est, d’ailleurs, au cœur même de la notion
d’addiction. Tout autant, d’ailleurs, que les comportements violents, voire délinquants ou même
antisociaux, qui font souvent partie de la spirale addictive (R. Kessler et al., 1996). Enfin, la référence
assez fréquente aux notions de “co-morbidité” (O. Bukstein et al., 1989, Kessler et al., 1997, D. Simkin,
2002) et de dual diagnosis (K. Bryant et al., 1992), notamment avec les troubles a fectifs, dont la
dépression et les états anxieux-dépressifs, l’anxiété de séparation ou l’hyper anxiété, la psychose et les
troubles de la personnalité (en particulier les troubles borderline, narcissique et antisocial) ne contribue
finalement que très peu à dissiper le lou psychopathologique que recouvre encore cette entité clinique.

La dépression sans merci ou le cas de la jeune fille jetée aux oubliettes

Inès est une jeune fille de 14 ans lorsque je la reçois dans mon cabinet, accompagnée de son père. Elle a 8
été envoyée par la psychologue qui la suit en psychothérapie hebdomadaire depuis un an. Il s’agit d’une
adolescente de grande taille, aux formes féminines généreuses et bien marquées, en dépit de son jeune
âge ; les yeux bleus-verdâtres donnent une expression à son visage oblong à la peau brune, encadré par
des cheveux noirs, longs et abondants. Inès me regarde fixement, mi-curieuse mi-défiante, et reste dans
un silence quelque peu tendu pendant le discours paternel, qu’elle fait semblant de connaître par cœur,
laissant échapper, ici et là, une grimace d’ennui ou une interjection dédaigneuse quand son père fait des
remarques plus critiques à son égard. Fille unique d’un couple divorcé il y a six ans, elle avait huit ans à
l’époque, Inès a eu une puberté tumultueuse ponctuée par des troubles du comportement “à géométrie
variable”, allant de l’opposition farouche à sa mère (avec qui elle cohabite depuis la séparation des
parents, quoique de façon plus irrégulière) à la prise d’alcool et psychotropes, en passant par la
fréquentation de copains problématiques, souvent plus âgés qu’elle, et par des absences répétées à
l’école avec chute des résultats scolaires. Cet état de désorganisation a fective et comportementale
s’accentua davantage depuis un an, donnant lieu à des gestes d’automutilation (scarification
scarifi des bras et
avant-bras avec couteau) et à deux tentatives de suicide par ingestion de médicaments psychotropes (les
deux chez sa mère, et, pour ce qui concerne le premier geste suicidaire, à l’aide des antidépresseurs
prescrits à celle-ci). Plus récemment Inès, qui est fan de musique techno et “gothique”, se cramponne à
Internet toute la journée, un intérêt à tournure addictive qu’elle partage avec son petit ami António. Ce
dernier a huit ans de plus qu’elle et mène une vie plutôt aléatoire (en e fet, il a abandonné ses études en
première et survit à l’aide de petits boulots irréguliers, mélangés avec l’abus du haschisch et de la
cocaïne). Le père d’Inès est un homme de 45 ans, distingué, blasé, pour qui l’infidélité passionnelle de
cette fille est vécue comme un incident de parcours incompréhensible. Pharmacien, amateur de jazz et
collectionneur d’art par vocation, il vit actuellement avec une jeune femme peintre, dix-huit ans plus
jeune que lui (et avec qui Inès, ce qui est prévisible, a une relation tumultueuse). Par contre, sa mère est
une femme d’une quarantaine d’années, institutrice et dont la personnalité dépressive, aux traits
mélancoliques, s’est accentuée à l’instar du deuil pathologique de ce mariage inachevé, qui double la
perte de son propre père aux alentours du début d’adolescence. Inès restera en consultation pendant
une période d’un peu plus de deux ans (le même temps, d’ailleurs, qu’elle sera capable d’investir sa
psychothérapie, dans le cadre de cette prise en charge bifocale). Son suivi sera toujours quelque peu
irrégulier et parsemé par plusieurs acting-out (arrivées en retard, refus de parler sur un mode quasi
mutique, oubli d’objets dans mon cabinet, dont sa carte d’identité) inscrits, d’ailleurs, dans son état
dépressif-limite, enkysté dans une confusion identitaire risquant l’évolution vers un trouble borderline
de la personnalité, et qui s’extériorise par une impulsivité à forte composante sadique-annale et par une
labilité émotionnelle majeure. Il deviendra possible de mobiliser progressivement, quelque peu que ce
soit, son état de désorientation a fective et relationnelle de par les aménagements introduits dans le
cadre de sa prise en charge. L’intervention qui sera menée auprès de ses parents permettra qu’Inès
aboutisse à un certain insight par rapport aux enjeux internes des angoisses “archaïques” de rejet et
abandon qui l’envahissent assez souvent. Dans une des dernières consultations, Inès me raconte deux
épisodes d’enfance qui re lètent son importante angoisse de séparation. Dans le premier de ces
souvenirs d’enfance elle est à table avec ses parents et, tout d’un coup, tombe désemparée de la chaise où
elle s’est assisse. Dans l’autre épisode enfantin, elle est chez sa grand-mère paternelle et ouvre la porte
pour laisser sortir le petit chien à sa grand-mère qui se lance sur la rue et est renversé par une voiture,
sans qu’elle n’y puisse faire rien.

Alors que dire du fonctionnement mental d’Inès ? Que celui-ci parcourt, à peu de choses près, tout 9
l’éventail de manifestations psychopathologiques reportées dans plusieurs travaux cliniques au sujet
des addictions ? Qu’il donne lieu à une myriade de comportements addictifs (abus d’alcool,
médicaments psychotropes et cannabis, absentéisme scolaire compulsif, tentative de suicide, addiction
à l’Internet) qui se succèdent en cascade et dont l’alternance fait penser à leur portée fonctionnelle par
rapport à la sou france dépressive-limite. Nous pensons qu’il y a une dualité dans le relation entre
l’addiction (que son objet de choix soit une drogue ou un comportement) et le fonctionnement
psychique trouble qui la soutient, puisque la conduite addictive de référence est toujours,
simultanément, condition et fonction de ce dernier terme de l’équation. Par ailleurs, nous remarquons
un apparent paradoxe clinique dans l’abord sémiologique de ces conduites, du fait que leur nature
compulsive s’inscrit assez souvent, dans un fonctionnement mental à dominance impulsive. Il y a, bien
sûr, un vaste répertoire de contributions cliniques à la compréhension psychopathologique de ces
conduites, dont l’orientation est plutôt psychodynamique, en dépit des apports, souvent fort
heuristiques, produits soit à partir des modèles de compréhension du fonctionnement familial issus de
la théorie systémique, soit à partir des modèles centrés sur le comportement et issus de la psychologie
sociale, et tout particulièrement de ses courants cognitifs, narratifs et psychobiologiques.
Cependant, l’approche psychopathologique de ces conduites à l’adolescence, dont les cas de Luís et Inès
constituent, à mon avis, deux illustrations exemplaires, souligne le caractère dépressif (une sou france
dépressive agencée dans le vécu de perte, de vide objectal mou et persistant, qui s’oppose à toute activité
de pensée, ou qu’il soit de l’ordre de la réaction anxieux-dépressive devant une menace de séparation
d’allure traumatique, voire encore qu’il sert de procédé antidépresseur évitant la confrontation avec un
état dépressif estimé comme insurmontable) (M. Moralès, 1986, A. Braconnier, 1987, D. Marcelli, 1990, C.
de Matos, 2001, C. Farate, 2001). Sans oublier, bien sûr, le sentiment de défaillance narcissique qui se
rajoute à cet a fect dépressif de base par la mise à l’écart de tout véritable engagement objectal, et dont
les e fets conjugués sur les enjeux identificatoires de ces jeunes conduisent, en règle, à un échec
identitaire majeur. Nous sommes bien en présence d’une pathologie du lien objectal qui, comme divers
auteurs le soulignèrent, s’oppose à tout vrai processus d’adolescence (D. Hartmann, 1969, J. McDougall,
1982, A Green, 1983, J. Bergeret, 1986, B. Brusset, 1988, Ph. Jeammet, 1991).
C’est, finalement, autour de ce “mal de dépendance” de soi-même et d’autrui (C. Farate, 1999), qui
pervertit la voie d’autonomisation individuelle, que s’agencent non seulement le geste compulsif qui est
le sceau même de l’addiction, mais aussi tout l’éventail de manifestations thymiques et
comportementales enrôlées dans la psychopathologie de ces conduites (impulsivité, labilité
émotionnelle, dépression, sensitivité, alexithymie, surinvestissement de la sphère sensorielle de la
personnalité, intolérance à la douleur et à la frustration, tendance à la somatisation, pensée factuelle,
con lictualité, repli paranoide, entre autres).

L’ineffable féminin ou la chrysalide emprisonnée dans sa chenille

Je reçois Ana pour la première fois dans mon cabinet à la suite d’un appel assez dramatique de sa mère 10
qui avoue son angoisse à l’égard des comportements de consommation d’héroïne, cocaïne et haschisch
de sa fille, dont elle a eu connaissance il y a quinze jours. Ana est une adolescente âgée de 16 ans, la
physionomie gracieuse, quoique tendue. Lors du premier entretien, elle se présentera seule ; Ana me
regarde attentivement, son faciès est nerveux, parfois même un peu pleurnichard, et elle repousse sans
cesse la frange de cheveux blonds qui tombe sur son visage aux yeux bleus, vifs et expressifs. Elle parle
de sa rupture amoureuse récente d’avec un garçon, à peu près de son âge et avec qui elle a fait l’amour
pour la première fois, sur fond d’une relation di ficile avec ses parents, qui ont divorcé, il y a 6 ans (elle
avait 10 ans à l’époque). Ana vit chez sa mère, ingénieur en informatique, avec son petit frère, de 6 ans
son cadet, et le compagnon de la mère, celle-ci s’étant remariée, il y a trois ans. La relation avec son père,
aussi remarié depuis 4 ans, est très irrégulière. Il semble y avoir, en e fet, un manque d’attention de la
part des parents par rapport à cette jeune fille et Ana se sent un peu lâchée à un sentiment d’incertitude
lottante concernant son avenir, ce qui rajoute à son insécurité narcissique. À la fin du deuxième
entretien, et après avoir entrepris un traitement de désaccoutumance à l’héroïne, elle accepte en
apparence avec enthousiasme, le projet d’une psychothérapie hebdomadaire. Même si ses relations,
autant familiales qu’amicales, restent encore marquées par le sceau de la superficialité, elle sera capable,
lors d’une séance ultérieure, d’exprimer une émotion sincère en évoquant le décès de son arrière-grand-
mère maternelle, il y a un an, et surtout la perte de son arrière-grand-tante maternelle, il y a 6 ans (à peu
près au même moment de la séparation de ses parents). C’est, en e fet, envers ces aïeules qu’elle ressent
un attachement plus solide, et cette évocation lui permettra d’aborder, sur un mode plus authentique,
son angoisse dépressive anaclitique à l’égard du sentiment de manque d’amour maternel. Sa prise en
charge psychothérapeutique ne durera que trois mois, même si son contrat thérapeutique prévoyait, au
départ, un suivi de 12 mois. Au fil des séances, auxquelles elle apparaîtra accompagnée, au début, par sa
mère, et après, successivement, par son père et frère, à une reprise, sa grand-mère maternelle, à trois
reprises, une tante maternelle, une copine et un petit ami, Ana dévoilera son ambivalence à l’égard du
travail (di ficile) d’élaboration de la sou france dépressive-limite (C. Amaral Dias, 1986) qui mobilise sa
fuite en avant vers des rapports interpersonnels superficiels, et ayant un caractère plutôt désa fecté. En
e fet, la peur de la dépendance envers moi, qui s’accentue au fur et à mesure qu’elle réalise l’importance
de sa relation thérapeutique, prendra progressivement le devant de la scène. Ceci va de pair avec sa
résistance à penser la défaillance d’un Idéal du Moi ancré dans l’identification à des figures parentales
au contour vague et contingent, et qui rend compte de la menace de confrontation à la douleur
narcissique conviée par un deuil pathologique à l’égard d’un roman familial d’enfance prématurément
désenchanté. Après avoir raté deux séances sans rien dire, Ana me fera savoir, à l’issue d’un appel
téléphonique de ma part, qu’elle va bien, elle a même repris son bac, mais ne voit aucun intérêt à la
poursuite de la psychothérapie, tout en reportant à plus tard l’éventuelle reprise de son travail
psychothérapeutique…

Ce parcours thérapeutique écourté d’Ana, tout autant, d’ailleurs, que l’inachèvement du travail d’appui 11
psychothérapeutique en consultation entamé avec Inès, font penser aux di ficultés de prise en charge
auprès des adolescents embrouillés dans des troubles du comportement qui prennent racine dans un
désarroi narcissique et objectal majeurs. Et ceci, surtout, parce que le but de l’intervention
thérapeutique dépasse volontiers le seuil du simple soulagement des symptômes présentés par le jeune
en consultation, allant même encore, pas mal de fois, bien au-delà de la demande d’amélioration de son
comportement, manifestée au clinicien par les parents/consultants à l’égard du fils/client, lors du
premier entretien (voire du contact téléphonique qui a précédé celui-ci). Ce dernier paradoxe, qui relève
du statut social de l’adolescent, et qui est, de ce fait, implicite à tout contrat thérapeutique établi à cet
âge, que celui-ci concerne une intervention menée en cabinet privé ou en institution, est encore-
renforcé par le fait clinique que la problématique du jeune s’inscrit assez souvent dans le dérèglement
a fectif et matériel du couple de parents, voire même encore dans le fonctionnement mental troublé de
l’un ou de l’autre d’entre eux.

À cet égard, il faut que l’on ré léchisse toujours sur la capacité du jeune à intégrer consciemment les 12
empreintes d’expériences émotionnelles refoulées par un moi encore quelque peu fragile, de par leur
caractère menaçant pour son équilibre psychique, tout autant, d’ailleurs, que sur le temps requis pour
aboutir au changement des repères identificatoires internes, pouvant amener à la transformation des
enjeux objectaux de l’adolescent dans le sens de l’épanouissement de la partie la plus progrediente de sa
personnalité. En e fet, même si la recherche de la vérité psychique doit toujours orienter, comme un fil
rouge, le travail du clinicien, il faudra toujours que l’on tienne compte de la complexité de cette
recherche, et surtout de l’adéquation des voies entreprises pour y aboutir, en regard de la sensibilité,
aux intérêts culturels et aux enjeux moraux propres à chaque sujet.
En ce qui concerne, finalement, les conditions de vérité du dialogue thérapeutique, il vaut bien la peine
que l’on retienne l’argument philosophique de M. Foucault à propos de la tension dialectique du vrai et
du faux à l’intérieur du discours contemporain. Ainsi, à partir d’une énonciation précise qui fait
coïncider le vrai avec la volonté de vérité et le faux avec la vérité, Foucault (1971, p. 22) écrit que “Le
discours vrai, que la nécessité de sa forme a franchit du désir et libère du pouvoir, ne peut pas
reconnaître la volonté de vérité qui le traverse; et la volonté de vérité, celle qui s’est imposée à nous
depuis bien longtemps, est telle que la vérité qu’elle veut ne peut pas ne pas la masquer”. À y ré léchir à
coup sûr !

Mis en ligne sur Cairn.info le 01/01/2010


https://doi.org/10.3917/lcp.114.0033

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