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La IVe République

1) La Libération
Mauvaise presse, excès du parlementarisme, discrédit sans appel.
Régime des partis, impuissance, réplique de la IIIe, immobilisme…

Les douze années comptent plus que d’autres au regard des difficultés que la IVe République a rencontré :
reconstruction, guerre froide, décolonisation, construction européenne.

A. Une France victorieuse mais meurtrie


La libération est dominée de sentiments fort, parfois contradictoires, le plus souvent ambivalents.

Désir et inquiétude, espoir et angoisse…

C’est lors des 42 mois qui séparent le débarquement des Alliés en Normandie de la mise en place des
instituons de la IVe République que se mettent en place acteurs et réformes, pratiques et enjeux qui ont peser
sur la IVe République.

En juin 1944, tout est alors soumis à l’impératif de la victoire et de la restauraient de l’État.

Vaincre
On s’interdirait de comprendre la situation politique à la Libération, des rapports souvent tendus entre de
Gaulle et la Résistance intérieure par exemple, si on ne gardait à l’esprit que, jusqu’au 8 mai 1945, la guerre
se poursuit sur le théâtre européen.

Il importe au général de Gaulle que rien n’entrave l’effort de guerre. Il y va du rang de la France dans le
concert des nations victorieuses. Voilà l’enjeu !

Il faut comprendre le poids et la durée de la guerre au cours de cette période dominée par le provisoire.
On pourrait croire que le débarquement en Normandie, le 6 juin 44, conduit à une victoire rapide et quais
immédiate — ce serait trop écraser la chronologie.
La Libération s’étale sur de longs mois; la fin de la guerre, annoncée pour l’hiver, dû attendre le 8 mai 45
pour que Jean de Lattre de Tassigny reçoit, avec les Alliés, la reddition de l’Allemagne.

L’examen de cartes détaillées des opérations militaires en Métropole met en évidence des chorologies
décalées selon les départements.
La Libération ne fut pas linéaire mais fait appel à des chronologies différentes dont l’approche nationale
rend mal compte.

Cette situation complexe rend plus difficile, voire incertaine, la reconnaissance de l’autorité du général de
Gaulle dans une France en ruine.

Ruines et dévastations
La guerre de 1939-1945 a entraîné la disparition d'un régime la IIIe République , opposé patriotes et
collaborateurs, provoqué la désunion d'une nation, ébranlé ses fondements moraux et laissé ruines et
dévastations.
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Les pertes humaines sont certes moins lourdes qu’au lendemain du premier conflit mondial.
Mais aux 600 000 soldats, résistants et déportés tués, il faut ajouter plus d’un demi-million de décès dus
aux mauvaises conditions d’hygiène et d’alimentation.
Le déficit de naissance est estimé à un million.

Les pertes financières sont considérables. La France a versé plus de 1 100 milliards de fr au Reich.
Aux réquisitions pratiquées par les troupes d’occupation, ajouter les destructions de l’appareil productif,
du parc immobilier, des exploitations agricoles.
Les voies de communication sont gravement endommagées : 18 000 km de voies ferrées sont en service
contre 40 000 en 1939.
Les sources d'énergie, à commencer par le charbon, font défaut.
Les mines ont été détruites ou inondées pour ne pas servir à l'effort de guerre nazi.
Un tiers de la flotte de la marine marchande de 1938 est en état de fonctionnement et la quasi-totalité des
ports sont détruits.
La France est ruinée en 1945.

Des départements sont isolés du reste de la Métropole du fait de la poursuite des combats et de la
désorganisation des communications.

En 1944, la France est donc morcelée, émiettée, parcellisée, atomisée. Elle est un kaléidoscope et les
Français, pour ce qui les concerne, ont vécu des expériences diversifiées.
Il faut se défaire de la représentation traditionnelle d'une France centralisée qui vit au rythme de Paris
pour comprendre la diversité des situations durant l’Occupation.

Certains Français ont vécu à l'heure allemande, d'autres à l'heure de Vichy ou à l'heure de leur clocher,
c'est-à-dire dans l'indifférence, d'autres encore à l'heure de la France libre et des combats de la Libération.

Décision symbolique s'il en est, de Gaulle impose le monopole de la radio d'État pour unifier un pays qui,
à ses yeux, a depuis trop longtemps répugné à parler d'une seule voix.

B. De Gaulle et la restauration de l’État Républicain


La principale priorité, pour DG, outre finir la guerre, c’est de restaurer l’autorité de l’État et la légalité
républicaine sur cette France émiettée.

Légitime et légalité
La période qui s’ouvre le 6 juin 44 est dominée par la nécessité de finir la guerre et le poids du provisoire.
Sa complexité est extrême.

« À quarante-neuf ans, j'entrai dans l'aventure. » Ainsi s'exprime le général de Gaulle dans ses Mémoires
de guerre en rappelant son départ de la France pour Londres le 17 juin 1940. Au cours des cinq années qui se
sont écoulées, son combat, souvent solitaire, entouré des premiers Français libres, a consisté à maintenir la
présence non pas de quelques Français mais de la France dans la guerre.
D'abord à Londres dans le cadre de la France libre, puis à Alger à la tête du Comité français de libération
nationale et enfin du Gouvernement provisoire de la République française (GPRF) créé en juin 1944.

Pour être reconnu comme le chef de la France et justifier sa décision de juin 40, de Gaulle devait faire
sauter un certain nombre de verrous. À commencer par celui du régime de Vichy.

De Gaulle refuse toute transition entre l’État française et le GPRF qui aurait l’apparence de la légalité.
Dès lors, le premier contact avec la France libérée de celui qui assure l’incarner depuis quatre ans est
décisif. Pour lui, pour les Français en général et pour les Alliés en particulier.

Cette première rencontre se fait à Bayeux le 14 juin 1944. De Gaulle est spontanément reconnu comme le
chef de la France.
C'est enfin Paris libéré qui, lors des manifestations du 26 août, confirme la légitimité du pouvoir de De
Gaulle. Le peuple rassemblé de l'Arc de triomphe à Notre-Dame assure le « sacre » de De Gaulle, comme en
d'autres temps le roi de France recevait à Reims l'acclamation de ses sujets.

L'adhésion des Parisiens à de Gaulle manifeste aux yeux des Alliés qu'il est reconnu comme le chef de la
France par la Nation française et souveraine. En ce sens la journée du 26 août vaut plébiscite pour le GPRF
qui a réussi à écarter une administration directe des territoires libérés par les Alliés dans le cadre de
l’AMGOT.
Les Américains avaient, en effet, prévu de placer sous administration alliée la Métropole à mesure qu'elle
serait libérée. Bien avant le débarquement, de Gaulle entendit gagner cette course de vitesse en appelant à
l'insurrection nationale et en préparant avec soin le rétablissement de la légalité républicaine.

« La République n’a jamais cessé d’exister »


Pour le GPRF, le débarquement en Normandie déclenche concurremment trois opérations : l'insurrection
nationale, le rétablissement de la légalité républicaine, la restauration de l’État.

Le 9 août 1944, le GPRF publie une Ordonnance relative au rétablissement de la légalité républicaine
sur le territoire continental. Ce texte important fixe le cadre légal du régime provisoire et les modalités
d'installation du pouvoir du GPRF en Métropole.
Dans son deuxième alinéa, l'ordonnance précise que « le premier acte de rétablissement est la constatation
que la forme du gouvernement de la France est et demeure la République. En droit, celle-ci n'a pas cessé
d'exister ».

Cette ordonnance assure donc une continuité juridique de la IIIe à la IVe République en passant par la
France libre, le CFLN et le GPRF.
Mais cette interprétation n’a pas cessé de nourrir jusqu’à aujourd’hui un débat entre les tenants de la thèse
gaullienne de la continuité républicaine et les tenants de la thèse en vertu de laquelle Vichy est placé dans la
liste des régimes entre la IIIe et la IVe Rep.
Que Vichy ait existé, nul ne le conteste, mais le débat porte sur son statut de régime légitime et légal ?
Par conséquent, sur la responsabilité de la France dans les crimes commis par l’autorité de Vichy.
Contrairement à ce qui a été trop souvent écrit, de Gaulle n’occulte pas Vichy, il suffit de lire ses
Mémoires et ses discours. Mais il lui dénie une place dans la longue chaîne des gouvernements légitimes.

Pour de Gaulle, l’ordonnance du 9 août dit le droit : la République n’a jamais cessé d’exister. Elle a été
incarnée successivement par la France libre puis combattante, le CFLN et enfin le GPRF.

Il le réaffirme par des gestes symboliques. À Paris, il ne s’installe pas à Matignon ou à l’Élysée mais à
l’hôtel de Brienne, résidence du ministre des Armées. Il manifeste la continuité entre le dernier
gouvernement légitime de la IIIe République de Paul Reynaud, il y était sous secrétaire d’État à la guerre, et
le sien.

De même, le 26 août décision à bien des égards d'une portée historique aussi grande que le 18 juin
qu'elle complète il refuse de proclamer la République à l'Hôtel de Ville de Paris (la IIIe République y avait
été proclamée le 4 septembre 1870) comme le lui demande Georges Bidault, président du Conseil national de
la Résistance.
La République n'a jamais cessé d'exister, le régime de Vichy est « nul et non avenu ». Proclamer la
République le 26 août serait reconnaître la légalité de l'« État français ».

Mais affirmer avec une telle force le maintien et la permanence de la République, cela ne signifie pas
pour autant, selon de Gaulle, revenir à la IIIe République.
De Gaulle est républicain contrairement à ce que pensaient alors certains en ce sens qu'il est attaché à la
République comme régime en dehors de son contenu institutionnel qui doit évoluer au gré des circonstances.

Il ne suffit pas de proclamer le rétablissement de la légalité républicaine pour que l'autorité de l'État soit
reconnue partout, et par tous.
Aussi l'ordonnance du 9 août 1944 postulait-elle que « la libération du territoire continental doit être d'une
manière immédiate accompagnée du rétablissement de la légalité républicaine en vigueur avant l'instauration
du régime imposé à la faveur de la présence de l'ennemi ».
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Il s'agit d'éviter qu'à l'occasion d'une vacance du pouvoir un contre-pouvoir ne s'établisse sur les
décombres du régime de Vichy, dans l'effervescence de l'insurrection.

« La libération nationale ne peut être séparée de l’insurrection nationale ».


« C’est la bataille de France, c’est la bataille de la France. »
Il s’agissait de libérer des forces contenues celles des maquis et d’associer toute la nation à sa propre
libération pour des raisons morales — laver le traumatisme de la défaite de la première bataille de France de
40 — et nationales — manifester aux Alliés que la France n’avait pas abandonné le combat des démocraties
et qu’elle y jetait à nouveau toutes ses forces.

Toutes les composantes de la Résistance sont favorables à l'insurrection mais elles n'en ont pas toutes la
même conception :
- Le PCF et ses prolongements, le Front national notamment, exaltent, empruntant au vocabulaire de la
Révolution — levée en armes du peuple de France tout entier contre l’oppresseur.
- De Gaulle et d’autres responsables de la Résistance estiment qu’il faut canaliser dans son étendue et
limiter dans sa durée l’insurrection.
Éviter qu’une répression sauvage ne s’abatte sur des Français certes insurgés mais livrés à eux-mêmes
jusqu’à l’arrivée des Alliés.
Étouffer la naissance d’une autorité révolutionnaire, d’un contre-pouvoir qui sortirait de cette situation
révolutionnaire et qui risquerait d’être dominé par les communistes.

Dans la réalité, l’insurrection ne s’est pas déroulée comme on l’imaginait. Les français attendent leur
libération des Alliés.
En dehors d'un petit nombre de villes libérées par insurrection (dont Lille, Marseille et surtout Paris),
celle-ci n'a pas joué.
Dans la plupart des départements, villes et villages ont été libérés soit par l'avance des Alliés, soit à la
suite du repli des Allemands.
Enfin, il n'y a pas eu vacance du pouvoir entre l'administration de Vichy et celle du GPRF, car de Gaulle
avait veillé à ce que l'État républicain rentre dans ses murs le plus rapidement possible.

Restaurer l’autorité de l’État


Par l'ordonnance du 21 avril 1944, dix-neuf secrétaires généraux avaient été nommés. Placés sous
l'autorité d'Alexandre Parodi, délégué général du général de Gaulle, ils représentaient les ministres retenus à
Alger jusqu'à leur rapatriement.
Dès le déclenchement de l'insurrection, ils s'employèrent à occuper leur ministère pour manifester la
présence physique du GPRF dans la capitale. Le premier Conseil des ministres à Paris a lieu le 3 septembre.

Une ordonnance du 10 janvier 44 avait créé des commissaires de la République. Ùa la tête des régions
créées par Vichy et conservées par commodité, ces commissaires de la République (des superpréfets en
quelque sorte) représentaient l’État, et étaient investis de pouvoir exceptionnels, certes limités par ceux du
commandement militaire.
Leur autorité devait s’imposer à tous y compris aux résistants représentés par les Comités départementaux
de libération (CDL). Les commissaires de la République étaient secondés par des préfets et des sous-préfets
nommés de la même manière.

Les représentants du GPRF n’eurent pas de difficultés à s’imposer dans le Nord de la France où les
combats faisaient rage. En revanche, dans le Sud, il y eut quelques difficultés, par exemple en Haute-Vienne
et à Limoges (avec le communiste Guingoin) ou bien encore à Toulouse.
Pour se faire obéir et faire reconnaître son autorité, de Gaulle multiplie, entre le 14 septembre et le 18
septembre, les voyages en province, à Lyon, Marseille, Toulouse, Bordeaux ou bien encore Orléans.

Dans cette France toujours en guerre, aux communications difficiles, de Gaulle se donne à voir, comme
les rois de France avant la construction de l’État moderne.

À la suite des contemporains, les historiens n’ont pas manqué de s’interroger si le PCF, parti rappelons-le
« révolutionnaire », avait tenté de prendre le pouvoir à la Libération. Reprenant les éléments du dossier, J.-J.
Becker rappelle que les historiens communistes ont répondu à la question par la négative.
Par choix politique et patriotique, le PCF n’aurait rien fait.
Selon Ph. Buton, c’était sur ordre de Moscou et le PCF y avait renoncé.
le PCF a tenté de conquérir le pouvoir en deux temps distincts.
- D’abord, lors de l'insurrection, qui doit créer « une effervescence, un enthousiasme propices à
l'apparition d'un climat révolutionnaire susceptible de déboucher sur un processus révolutionnaire ». Or,
comme nous l'avons vu, contrairement à ce qu'espérait le PCF, l'insurrection ne débouche pas sur une
situation révolutionnaire.
- Le charisme, la popularité et l'autorité du général de Gaulle dépassent de beaucoup l'influence du PCF.
- En outre, les autres forces politiques et les Français dans leur majorité aspirent au retour à l’ordre.
- Enfin, il n'était guère réaliste d'imaginer que le PCF pouvait déclencher un coup de force en présence
des armées alliées sur le sol national et alors que la guerre n'était pas terminée. Le PCF abandonne donc à
la fin de l'année 1944 la stratégie insurrectionnelle.

Pour la première fois, des communistes participent aux conseils de gouvernement. Maurice Thorez,
secrétaire général du PCF, qui avait déserté en 1939, est amnistié.
De Gaulle exige, le 28 octobre 1944, le désarmement des milices patriotiques (de tendance communiste)
qui auraient pu devenir dans une situation révolutionnaire les « sans-culottes » de la Libération.

Le 21 janvier 1945, le Comité central du PCF réuni à Ivry s'incline à la demande de Thorez.
Le PCF abandonne toute velléité de prise de pouvoir directe. Mais, pour Ph. Buton, il substitue à cette
stratégie une « stratégie duale » : le PCF participe au gouvernement de Gaulle « et admet la légalité du
gouvernement provisoire et des différents organes de l'État. Mais parallèlement, il édifie un pouvoir
concurrentiel. Dans un premier temps, ce second pouvoir grignote les prérogatives du premier ; à terme il le
remplacera ».
Ainsi qu'il avait cherché dans la première phase à dresser les différents organes de la Résistance (CNR,
CDL ou CLL) contre de Gaulle, le PCF consolide son influence dans de nombreux secteurs (presse,
syndicats, armées, administrations, associations de jeunes, de femmes, etc.) tout en se présentant comme un
parti de gouvernement engagé dans la « bataille de la production ». Jusqu'en 1947, le PCF est installé dans la
phase du « national-thorézisme » (A. Kriegel).

Dans l'hiver 1944-1945, de Gaulle a fait sauter tous les verrous qui auraient pu l'empêcher de rétablir
l'autorité de l’État :
- L’administration du GPRF s'est substituée à celle de Vichy,
- l'épuration a été maîtrisée,
- l'effort de guerre a été relancé.
Autrement dit, la France n'a pas sombré dans l'anarchie et le désordre. Les Alliés consentent alors à
reconnaître le GPRF le 23 octobre 1944. En faisant de la France un pays participant à la victoire finale,
de Gaulle avait voulu lui assurer la possibilité de retrouver son statut de grande puissance, et son « rang » si
compromis par la défaite de 1940.

C. Refonder, réformer, rénover


Le rétablissement de la légalité républicaine et la restauration de l'autorité de l'État s'accompagnent de
profondes réformes politiques, économiques et sociales. Trouvant principalement leur inspiration dans
certaines des réponses proposées à la « crise des années trente » et dans les réflexions des Résistances-
notamment dans le programme du CNR , ces réformes visent à satisfaire plusieurs impératifs : reconstruire,
réformer, moderniser, rénover et surtout démocratiser. À bien des égards, ces réformes c'est moins vrai pour
les réformes économiques car elles sont davantage liées à la conjoncture participent d'une refondation de la
République ; elles visent aussi à rassembler autour d'elles les Français dans ce qui fut appelé un « pacte
républicain » à la fin du siècle, précisément au moment où les contemporains avaient le sentiment d'assister à
sa décomposition...

Refonder la République
Au titre d'un approfondissement de la démocratie, l'une des décisions les plus importantes fut de donner,
par l'ordonnance du 21 avril 1944, la capacité politique aux femmes, désormais électrices et éligibles (ainsi
qu'aux militaires en activité). La France, qui avait été le premier pays à instaurer le suffrage universel
masculin (1848), fut la dernière démocratie à sortir les femmes de la minorité politique dans laquelle elles
avaient été maintenues par la IIIe République. Il s'ensuivit un doublement du corps électoral et un
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ébranlement souterrain de la pratique politique héritée de la IIIe République, ébranlement qui nécessiterait
une approche anthropologique pour être mieux connu.

À un autre niveau, deux initiatives sont prises pour concourir à la démocratisation de la République. Parce
que, pensait-on, les classes dirigeantes de la IIIe République s'étaient illustrées dans l'adversité par leur
défaillance, est créée une École nationale d'administration (ENA) qui doit assurer tout à la fois une
homogénéisation de la formation des hauts fonctionnaires et une démocratisation de leur recrutement. Aux
concours par grands corps qui assuraient jusque-là la cooptation se substitue un concours unique. En amont,
l'École libre des sciences politiques, qui avait le quasi-monopole de la préparation des concours, est
nationalisée et l'Institut d'études politiques intégré à une Fondation nationale des sciences politiques. Dans le
même ordre d'idées, Michel Debré l'un des pères de l'ENA crée l'École nationale de la magistrature en 1959.
Ces décisions visaient à une modernisation de la République qui passait aussi par une profonde rénovation de
ses institutions. Comme nous le verrons ultérieurement, l'objectif fut loin d'être atteint dans ce domaine.

Réformer la société
La Révolution française et la IIIe République avaient jeté les bases de la démocratie politique (une
certaine forme de démocratie, sans les femmes ainsi qu'il a été dit), la Libération se propose de la compléter
par la démocratie sociale. Ainsi la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 est-elle
prolongée dans le préambule de la constitution du 27 octobre 1946 par la reconnaissance de droits
économiques et sociaux.

L'exigence de solidarité et de dignité de l'homme dans tous les aspects de son existence ainsi proclamée
se traduit par la mise en place progressive d'un système de Sécurité sociale, dont les objectifs et les
principales modalités sont définies par Pierre Laroque dans l'ordonnance du 4 octobre 1944. À l'instar des
autres grandes démocraties le plan Beveridge au Royaume-Uni met en place le Welfare State , la France
s'installe durablement dans l'État-providence. Si bien des salariés étaient avant la guerre protégés des
vicissitudes de l'existence par les assurances sociales, désormais les travailleurs sont protégés par la Sécurité
sociale des risques majeurs liés au travail : la maladie, le chômage, la vieillesse, l'accident professionnel. Le
tout est complété par des mesures d'encouragement à la natalité les allocations familiales et de protection
des mères et des enfants dans le prolongement de la politique nataliste qui avait été mise en place avant la
guerre, et qui apparaît d'autant plus nécessaire que le redressement du taux de natalité n'a pas encore été
analysé comme devant être à la fois durable et de grande ampleur. Il n'est pas dans notre propos d'entrer dans
le détail de la mise en place et du fonctionnement, au demeurant complexe, de ce qu'il est convenu d'appeler
la Sécurité sociale, mais d'insister dans cette histoire politique sur trois points importants.

La Sécurité sociale est pensée d'emblée comme un élément de cohésion sociale et de juste compensation
des sacrifices consentis par les Français durant la guerre et pour la reconstruction à venir. De la sorte, elle
constitue un élément important du « pacte républicain » autour duquel les Français se sont rassemblés.
Compte tenu de la conjoncture favorable des Trente Glorieuses et des politiques sociales mises en œuvre
dans les années soixante-dix et quatre-vingt pour amortir les effets de la transformation du monde, les
Français ont pu croire durablement, et pour la première fois de leur histoire, que leur avenir et celui des
générations ultérieures seraient meilleurs. Cette croyance s'est effondrée dans la seconde moitié des années
quatre-vingt, fissurant ainsi le système de valeurs et de représentation de la société qui s'était mis en place à
la Libération. Enfin, de même que les concepteurs du plan de Sécurité sociale entendaient soustraire les
travailleurs à la précarité du lendemain, ils entendent toujours dans cette vague de démocratisation les
associer à la maîtrise de leur destin. Il s'agit de contribuer à l'édification d'un nouvel ordre social à l'intérieur
duquel la négociation l'emporterait sur l'affrontement, le dialogue sur la lutte des classes. Ainsi est-il prévu
de faire participer les salariés à la gestion des caisses d'assurance maladie. En 1947, les élections aux conseils
d'administration sont âprement disputées. Elles donnent la majorité aux représentants de la CGT (Galant). Le
contexte de la guerre froide contribue à l'abandon de cet aspect important et souvent oublié de la Sécurité
sociale.

D'un point de vue politique, l'organisation de la Sécurité sociale est de même nature et a le même objectif
que la décision de donner le droit de vote aux femmes : il s'agit dans les deux cas d'étendre à l'ensemble de la
nation des droits ici politiques, là sociaux et d'assurer l'intégration totale dans la communauté nationale
d'acteurs qui s'en trouvaient exclus. L'ambition est bien de mettre en place une République démocratique et
sociale. Jamais, dans l'histoire de la République, un tel effort n'avait été fait pour penser ensemble le social et
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le politique dans des réalisations concrètes. Ce que se propose de faire la Libération, c'est l'achèvement de la
Révolution française par la consécration de droits économiques et sociaux.

Ce double souci de démocratisation et de participation des travailleurs citoyens est aussi à l'origine de la
création des comités d'entreprise dans les entreprises de plus de cinquante personnes (ordonnance du 22
février 1945). Sans aller jusqu'à la cogestion, il s'agissait d'associer plus étroitement les salariés à la vie de
leur entreprise et, par la connaissance des dossiers et du dialogue, de dépasser la lutte des classes. Comme
pour le projet de Sécurité sociale, cette réforme visait aussi à renforcer la cohésion nationale et à éviter les
ferments de division qui étaient, pensait-on, responsables de la défaite de 1940. Ici aussi, le glissement rapide
de l'effervescence généreuse de la Libération au durcissement de la guerre froide, les résistances conjuguées
du patronat et de responsables syndicaux vidèrent cette réforme de sa substance. Les comités d'entreprise
furent cantonnés à l'organisation d'activités culturelles et sociales périphériques.

Moderniser l'économie
Les réformes politiques et sociales qui viennent d'être présentées furent accompagnées de réformes
économiques. Certaines initiatives furent décidées sous l'emprise de la nécessité, d'autres s'inscrivaient dans
un plan plus vaste : la modernisation de la France. Parfois, ces deux préoccupations sont mêlées.
Très largement tributaire des réflexions menées dans les années trente et durant l'Occupation, la
Libération voit le triomphe du dirigisme économique. Non seulement, l'État ne peut se passer d'intervenir
pour réorganiser et reconstruire un pays largement détruit, mais il revendique comme une nécessité une
intervention concertée dans le domaine économique. Il existe un consensus, qui ne durera pas, sur ce point à
la Libération. Pour la première fois, l'idée selon laquelle l'économie n'est pas seulement un donné mais un
construit s'impose largement au-delà des cercles étroits des modernisateurs des années trente. Pour construire
l'économie, encore faut-il des instruments de mesure et de navigation dont l'absence s'était fait cruellement
sentir auparavant. Ainsi sont créés des organismes qui ont pour mission de scruter les évolutions de
l'économie et de la société et d'offrir aux responsables administratifs et politiques des moyens de
prospective : l'INSEE (1946) et l'INED (1945) sont les deux créations les plus caractéristiques. Enfin, à
l'instigation de Jean Monnet, est fondé le 3 janvier 1946 le Commissariat général au Plan rattaché à la
présidence du gouvernement. D'abord conçu pour faire face à la pénurie, il élargit sa mission à la
reconstruction et la modernisation de la France .
Au titre des mesures spécifiques, les gouvernements de la Libération procèdent à une vague de
nationalisations d'entreprises dans un souci d'efficacité, pour donner à l'État des moyens d'intervention, mais
aussi pour lutter contre certaines des « féodalités » économiques. L'État se dote du monopole de l'énergie en
nationalisant les sources d'énergie. Les Charbonnages de France, l'EDF et le GDF sont créés. Une grande
partie du crédit passe sous le contrôle direct de l'État. Une partie du système bancaire la Banque de France,
le Crédit lyonnais, la Société générale, le CNEP et la BNCI et des assurances sont nationalisées. Pour des
raisons morales et dans un souci d'efficacité, l'industrie d'armement est nationalisée. Les biens de Renault et
Berliet sont confisqués pour faits de collaboration. L'État contrôle une part importante de l'économie
nationale et une économie mixte se met en place à partir de 1945-1946.

2) Les institutions
Dans les domaines politique et institutionnel, l'exigence de rénovation est aussi forte que dans le domaine
social ou économique. Les Français sont en effet persuadés que la défaite de 1940 résulte pour une grande
part de la faiblesse des institutions de la IIIe République et de la faillite de ses classes dirigeantes. À un
régime faible et aboulique, aux partis divisés et trop nombreux, au personnel politique disqualifié par la
défaite, les résistants espèrent substituer une République efficace et démocratique, servie par des partis peu
nombreux et un personnel politique issu pour l'essentiel de l'élite de la Résistance. Progressivement, au cours
de la longue période dominée par le gouvernement provisoire, qui va de 1944 jusqu'à l'installation des
institutions de la IVe République fin 1946, la mystique de la Résistance laisse la place à une réalité moins
exaltante. À la « République pure et dure » que certains résistants appelaient de leurs vœux sont préférées
des institutions de compromis, qui se sont révélées inaptes à accompagner une rénovation de la démocratie.
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A. Retour de la vie démocratique
La vie politique reprend rapidement ses droits. Les partis, qui se sont reconstitués à partir de 1943,
entendent exercer très rapidement leurs prérogatives, avec en ligne de mire les prochaines échéances
électorales. Dans le même temps, se pose la question de la place des résistants et des mouvements de
Résistance. Une course de vitesse s'engage entre anciens partis et nouveaux venus. L'ensemble est dominé
par l'attitude du général de Gaulle et la position du Parti communiste.

La reconstitution des forces politiques traditionnelles


Le PCF sort renforcé de la guerre. Sa participation à la Résistance lève le discrédit qui l'avait frappé à la
suite de la signature du pacte germano-soviétique. Il se présente désormais comme LE parti de la Résistance
et non, sans exagération, comme le « parti des 75 000 fusillés ». Le PCF bénéficie, en outre, de la bonne
image de l'URSS. Les Français pensent alors qu'ils doivent autant, voire plus, leur libération à Staline qu'à
Roosevelt. Le PCF tient un discours national et patriote susceptible de lui attirer une large audience
(800 000 adhérents en 1946, maximum jamais atteint depuis). Il insiste sur la nécessaire unité nationale,
qu'il espère dominer, et se présente comme un parti responsable de gestionnaires concourant à la
reconstruction, et met en avant l'action de ses ministres : Billoux à la Santé et Tillon à l'Air par exemple.
Le parti socialiste bénéficie de la part des Français d'un préjugé favorable. Parti de Léon Blum et de
Daniel Mayer, la SFIO, qui a quelque 300 000 adhérents, aborde les échéances électorales avec des atouts
non négligeables. L'idéologie dominante, celle exprimée par exemple par le programme du CNR, n'est guère
éloignée des thèses de la SFIO. Beaucoup de socialistes ont joué un rôle actif dans la Résistance. Malgré
tout, la SFIO souffre du voisinage encombrant et intimidant du PCF qui lui propose en 1945 de fusionner. En
fait, le PCF revendique le monopole de la représentation de la classe ouvrière. Il exerce ainsi sur la SFIO une
pression qui a contribué à l'échec de la tentative de rénovation du parti et du socialisme démocratique
souhaitée par Léon Blum, et dans une moindre mesure par Daniel Mayer. Le congrès d'août 1945 réaffirme le
caractère marxiste et anticlérical du Parti. Il ferme ainsi la porte aux résistants de sensibilité socialisante qui
auraient pu rejoindre la SFIO si elle s'était engagée, par exemple, dans la voie de la social-démocratie. En
réaffirmant son caractère anticlérical, elle se prive de l'apport de résistants chrétiens, qui auraient pu
rejoindre un parti de sensibilité travailliste. Il est évident que la SFIO a manqué à la Libération une chance
historique de rénover ses fondements doctrinaux et de s'ouvrir à de nouvelles forces. Cet échec a pesé lourd
sur l'avenir de la gauche non communiste dans les années cinquante et soixante. Il fallut attendre la formation
en 1971 du Parti socialiste et en 1974 les Assises du socialisme pour que cette formation rassemble
largement les différentes sensibilités de la gauche non communiste.
Le Parti radical se reconstitue avec les plus extrêmes difficultés. Il a subi de plein fouet le poids de la
défaite de 1940. Identifié à l'impuissance parlementaire, présenté comme le parti de l'affaire Stavisky et celui
d'Édouard Daladier, l'un des signataires de Munich, le Parti radical est marginalisé jusqu'à l'éclatement du
tripartisme [47]. Quant à la droite, elle souffre d'un discrédit profond car elle est accusée d'avoir soutenu le
régime de Vichy. Michel Clemenceau, le fils du Tigre, Joseph Laniel, André Mutter, tous les trois résistants,
tentent de regrouper au sein du PRL (Parti républicain de la Liberté) les éléments de droite les moins
compromis par Vichy. En fait, la droite est complètement désorganisée et même atomisée. Beaucoup de
modérés, c'est-à-dire d'hommes de droite, prennent l'étiquette d'« indépendants ». Leur survie dépend de leur
équation personnelle et de leur capacité à maintenir une implantation locale en renouant avec leur électorat
un commerce plus ou moins distendu par les années d'occupation. L'incapacité de la droite à se rassembler
dans un grand parti conservateur, en dépit des tentatives faites à partir du PRL puis du Centre national des
indépendants et paysans, domine toute la période de la IVe République et au-delà…

Les éléments de renouveau


La rénovation de la vie politique devait-elle passer par les mouvements de Résistance ? La place des
mouvements de Résistance et des résistants dans une République à rénover et à moderniser était une
inconnue de l'équation politique de la Libération. Les mouvements de Résistance doivent-ils en temps de
paix limiter leur action à la défense du souvenir et des intérêts de leurs adhérents, à l'instar des associations
d'anciens combattants, ou bien doivent-ils se reconvertir et alors sous quelle forme dans l'action politique ?
Une alternative s'offre à eux : devenir des partis politiques nouveaux ou s'agréger aux anciens partis pour les
transformer de l'intérieur [43].
La clarification politique a lieu en janvier 1945 lorsque se réunit le Ier Congrès national du MLN. La
fusion du MLN avec le Front national, mouvement de Résistance dominé par les communistes, est proposée
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au nom de l'unité de la Résistance. Cette solution est refusée par la majorité qui craint qu'une fusion des deux
mouvements ne profite aux communistes. Cette majorité décide alors de créer l'Union démocratique et
socialiste de la Résistance. L'UDSR se propose de devenir une vaste formation socialisante, « travailliste »,
disait-on alors, en ce sens qu'elle réunirait chrétiens et laïcs pour dépasser le clivage traditionnel de la
question religieuse. Dans un paysage politique qu'elle imaginait tripolaire, l'UDSR aurait occupé la place
centrale entre le PCF et les éléments de droite les moins assimilables. Mais c'était compter sans le MRP.
Le Mouvement républicain populaire [48] est avec l'UDSR la création la plus originale de l'époque.
Mouvement politique plutôt que parti, tant ce vocable est honni, il se présente comme une formation neuve
qui a l'ambition d'être l'axe de la nouvelle République. Le MRP se trouve à la confluence de différents
héritages et expériences démocrates-chrétiens. Il est l'héritier du Sillon de Marc Sangnier et de la Jeune
République, qui avait été favorable au Front populaire, mais plus encore du Parti démocrate populaire, de
tendance conservatrice, ainsi que du journal L'Aube et des mouvements d'Action catholique fort développés
dans l'entre-deux-guerres. À la Libération, le MRP se présente aux Français comme le parti de la Résistance
chrétienne, un parti de gauche et la formation politique la plus proche du général de Gaulle, et, partant, la
plus à même de limiter l'influence du PCF. Contrairement au CDU allemand ou à la DC italienne, le MRP se
veut a-confessionnel. Mais, comme le note alors André Frossard, « tout le monde sait qu'il est catholique.
C'est un parti chrétien non confessionnel ». Ses principaux leaders sont Georges Bidault, Robert Schuman,
Maurice Schumann, Pierre-Henri Teitgen, François de Menthon. « Avec les femmes, les évêques et le Saint-
Esprit, disait Georges Bidault, nous aurons cent députés [50]. »

Presse et radio
La presse, issue pour l'essentiel de la Résistance, informait une opinion publique avide
d'informations [93]. Tous les journaux, revues et magazines qui avaient continué à paraître en zone nord
après l'armistice et en zone sud après le 11 novembre 1942 furent interdits de publication, et les biens des
organes de presse confisqués au profit des journaux de la Résistance. Une presse quotidienne d'opinion,
pauvre en moyens et riche en talents, vivifie alors la vie politique. On ne peut qu'être frappé par le
foisonnement et la richesse de la presse tant nationale que locale. Dans chaque département, plusieurs titres,
qui correspondent en général aux principales familles politiques du moment, témoignent de l'effervescence
politique de la Libération. Liés souvent aux mouvements de résistance, ces titres constituent des enjeux
politiques mais aussi financiers non négligeables. Vingt-huit quotidiens paraissent à Paris en 1946 et 175 en
province pour un total de 15 millions d'exemplaires. Beaucoup de ces journaux, que la pénurie limite à une
ou deux feuilles, disparaissent progressivement. Au niveau national, quelques grands titres dominent. Pierre
Lazareff fait de France-Soir, qui prend la suite de Défense de la France de Philippe Vianney et Robert
Salmon, l'un des plus grands quotidiens de la IVe République. Combat, journal du mouvement du même
nom, a pour rédacteur en chef Albert Camus et adopte une posture critique à l'égard des gouvernements qui
se succèdent. Franc-Tireur, Le Parisien Libéré et bien d'autres titres encore, notamment Le Figaro de Pierre
Brisson, comptent parmi les journaux influents de l'époque. La presse partisane exerce une réelle influence.
Le Populaire pour la SFIO et L'Humanité pour le PCF sont quotidiens et ont des éditions régionales. Enfin,
Le Monde remplace Le Temps dans son rôle de quotidien autorisé et sérieux. Pour être complet, il faudrait
faire une place aux hebdomadaires (Carrefour, Témoignage Chrétien, Action puis L'Express (1953), France-
Observateur (1954), etc.) et aux revues généralistes (par exemple La Nef de Robert Aron et Lucie Faure)
qui contribuent aussi à nourrir le débat public.
La IVe République et surtout les années cinquante sont l'âge d'or de la radiodiffusion. La quasi-totalité
des foyers est équipée d'une TSF (transmission sans fil). Jusqu'à l'apparition dans le commerce des postes à
transistor (1956), l'écoute est collective et rythme la vie familiale. Les gouvernements exercent un contrôle
attentif sur la radio dont le monopole a été rétabli et l'utilisent pour informer les Français de leur politique et
lutter contre les adversaires du régime, communistes surtout. Mais, ainsi que le montre H. Eck [98], la
fonction qui était dévolue à la radio d'être « la voix de la France » n'allait pas jusqu'à un contrôle totalitaire
des ondes. Une certaine tolérance, notamment dans le secteur culturel, prévalut. Du reste, la succession
rapide des gouvernements laissait aux responsables de la radio une marge de manœuvre. Quant à la
télévision, elle est encore à l'état de curiosité. 1 % des ménages français sont équipés d'un récepteur en 1954,
13 % en 1960 [4].

B. Quelle République pour quelle France ?


Le rejet de la IIIe République
Les élections nationales du 21 octobre 1945 constituent une date capitale dans l'histoire de la France et
ceci pour trois raisons. Pour la première fois, les femmes participent à des élections nationales. Celles-ci sont
les premières élections générales depuis 1936 et permettront de mesurer les évolutions du corps électoral et
de saisir les rapports de forces entre les partis. Enfin, par la volonté du général de Gaulle, ces élections sont
précédées d'un référendum qui doit définir la nature de cette Assemblée : sera-t-elle ou non constituante ?
De Gaulle avait toujours distingué la République, comme type de régime politique, de ses institutions.
À l'exception des radicaux, qui faisaient preuve d'intégrisme républicain en s'interdisant d'imaginer que la
République puisse survivre à la disparition des institutions de 1875, la quasi-totalité des Français et des
forces politiques aspiraient à faire « du neuf ». Deux questions furent posées dans le référendum : « Voulez-
vous que l'Assemblée élue ce jour soit constituante ? » et « S'il y a une majorité de oui à la première question
approuvez-vous l'organisation provisoire des pouvoirs publics indiquée dans le projet qui vous est
soumis ? ».
Répondre oui à la première question signifiait le rejet de la IIIe République. La seconde question visait,
dans l'hypothèse où l'Assemblée serait constituante, à régler l'exercice des pouvoirs publics et à définir les
relations entre le GPRF et l'Assemblée jusqu'à la ratification de la nouvelle constitution. Voter oui à la
seconde question revenait à adopter différentes dispositions qui visaient à limiter la toute-puissance de
l'Assemblée constituante. L'Assemblée était élue pour sept mois, le projet devait être soumis aux Français
par référendum, l'Assemblée ne pouvait renverser le chef du GPRF qu'à une majorité absolue de ses
membres. En limitant de la sorte les pouvoirs de l'Assemblée ce qui était alors contraire à la tradition
républicaine qui stipulait que l'Assemblée était absolument souveraine , de Gaulle cherchait aussi à prémunir
l'Assemblée d'une mainmise communiste. Toutes les formations politiques appellent à voter oui-oui, à
l'exception des radicaux qui votent non-non (par attachement à la IIIe République) et le PCF oui-non (par
opposition à la limitation des pouvoirs de la Constituante). Les Français répondent oui à la première question
avec 96,4 % des suffrages exprimés et oui à la seconde avec 66,3 %. L'Assemblée est donc constituante, la
IIIe République est rejetée.

L'Assemblée tripartite du 21 octobre 1945


Pour désigner les députés-constituants, le scrutin d'arrondissement (en fait, le scrutin majoritaire
uninominal à deux tours) est abandonné au profit du scrutin de liste départementale à un tour. On espère ainsi
extraire le député du cloaque de la politique de clocher pour l'élever au niveau des préoccupations nationales.
Ce mode de scrutin, qui renforce l'autorité des partis sur les élus puisque leur élection dépend de leur rang
sur la liste, devait contribuer du moins le pensait-on alors à la discipline de vote à l'Assemblée et, partant, à
la définition de majorités cohérentes, toutes choses qui avaient cruellement manqué à la IIIe République et
qui allaient manquer à la IVe. Mais, en 1945, les mérites supposés de ce type de scrutin l'emportaient sur les
inconvénients. Le principal résulte de la répartition des sièges à la représentation proportionnelle (avec
répartition des restes à la plus forte moyenne), répartition qui satisfait certes le souci de justice mais guère
celui d'efficacité. Il n'est pas exclu de penser que le général de Gaulle espérait de la sorte limiter le succès
prévisible des candidatures communistes.
Le désir de renouveau et de renouvellement est confirmé par le corps électoral. Les 4/5 des candidats élus
en 1945 n'étaient pas parlementaires en 1940. Il faut remonter à 1871 pour trouver un renouvellement d'une
ampleur comparable. Les élections soulignent des modifications importantes du paysage politique. Trois
quarts des électeurs ont voté pour le PCF, la SFIO ou le MRP qui dominent ainsi l'Assemblée. À la
Libération, l'idée selon laquelle un régime parlementaire et démocratique doit reposer sur des partis peu
nombreux, disciplinés et fortement structurés pour fonctionner correctement est en vogue. On voit dans la
structuration du champ partisan la principale raison du succès du système anglais et a contrario de la
faiblesse de la IIIe République. Les élections de 1945 traduisent une forte poussée de la gauche, un
effondrement du centre gauche (radicaux), de la droite et du centre droit. Le PCF est le premier parti de
France et détient avec la SFIO la majorité absolue des sièges. L'UDSR, qui se proposait d'être le grand parti
issu de la Résistance, n'a que trente et un députés. Cet échec révèle l'ampleur de l'illusion. La Résistance n'a
pas été un événement propre à fonder une nouvelle tradition politique. Le MRP, en revanche, sut attirer à lui
des voix allant de la droite jusqu'au centre gauche.
De Gaulle et l'Assemblée entrent rapidement en conflit. Celui-ci porte sur la question de savoir si la
primauté du pouvoir doit appartenir au gouvernement ou à l'Assemblée, qui peut se prévaloir, contrairement
à de Gaulle, d'avoir été désignée au suffrage universel. De Gaulle, ecclésiaphobe, excédé par le contrôle
tatillon exercé par l'Assemblée sur son action, inquiet de la tournure que prennent les travaux de la
commission chargée de rédiger la constitution, constatant enfin que « le régime des partis est de retour »,
donne sa démission de la présidence du GPRF le 20 janvier 1946. Son départ surprend mais, contrairement à
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ce qu'il espérait peut-être, il n'est suivi d'aucune émotion populaire en faveur de son retour rapide aux
affaires. Le temps de l'union nationale autour des idéaux communs de la Résistance s'achève, la République
des partis commence.

Le tripartisme et l'échec du premier projet constitutionnel


Le PCF et la SFIO, disposant à l'Assemblée de la majorité absolue des sièges, pouvaient constituer un
gouvernement « bipartite ». Mais la SFIO refuse de se laisser enfermer dans un face-à-face avec le PCF, et
souhaite ouvrir la combinaison au MRP. Le 23 janvier 1946, soit trois jours après le départ du général
de Gaulle, les trois partis signent la « charte du tripartisme », qui est pour l'essentiel un pacte de non-
agression. Autrement dit, les partis se mettent d'accord, moins sur un programme commun, que sur la
nécessité de se ménager les uns les autres. D'emblée, le tripartisme est pensé comme une formule permettant
d'assurer la transition entre le gouvernement de Gaulle et la mise en place des nouvelles institutions. Les
circonstances de la naissance du tripartisme et son fonctionnement vont peser sur la pratique institutionnelle
de la IVe République. À la tête du gouvernement provisoire est élu Félix Gouin, socialiste, jusque-là
président de l'Assemblée constituante. Il est moins le chef du gouvernement qu'un arbitre entre des ministres
qui sont les délégués de leur parti.
Les travaux de la commission de la Constitution sont gouvernés par le désir de faire du neuf. Deux
contre-modèles influencent le projet : le pouvoir personnel de Pétain et celui plus lointain d'une
IIIe République instable. Le projet est élaboré au sein d'une commission qui est présidée par André Philip
puis par Guy Mollet (SFIO). On y trouve l'écho des débats des années trente sur la réforme de l'État. En dépit
des tentatives de conciliation de Vincent Auriol, nouveau président de l'Assemblée, le MRP et le PCF ne
parviennent pas à se mettre d'accord sur un certain nombre de points importants. Doit-il y avoir une ou deux
Chambres, un président de la République et quel contenu donner à l'Union française ? Le 19 avril, le premier
projet constitutionnel présenté par Pierre Cot, radical proche du PCF, est adopté par 309 voix contre 246. Il
n'a pas été approuvé par le MRP (c'est « une cote mal taillée » déclare R. Schuman aux actualités), les
radicaux, l'UDSR, les députés modérés et de droite, car ils craignent que les institutions ne permettent au
PCF d'exercer un pouvoir sans partage en cas de succès électoral.
La Constitution institue un régime d'assemblée sur le modèle de la Convention, c'est-à-dire un régime
dans lequel l'essentiel des pouvoirs appartient à une assemblée unique. Celle-ci élit le président de la
République, le président du Conseil et les ministres, vote les lois et le budget. Le chef de l'État a moins de
pouvoirs que sous la IIIe République. Trois innovations sont à noter. Tout d'abord, le texte est précédé d'une
Déclaration des droits plus large que celles de 1789 ou de 1793, qui reflète l'esprit de la Résistance (une
première partie porte sur les libertés, une deuxième sur les droits économiques et sociaux). Un Conseil
supérieur de la magistrature est créé. Chargé d'assurer « la discipline des magistrats, leur indépendance et
l'administration des tribunaux judiciaires », il exerce le droit de grâce qui a été enlevé au chef de l'État. Un
Conseil de l'Union française, purement consultatif, donne des avis sur les projets de loi qui concernent
l'Empire. Les Français invités le 5 mai 1946 à se prononcer par voie de référendum sur le projet
constitutionnel le rejettent par 53 % de non contre 47 % de oui. Pour la première fois, la France dit non lors
d'un référendum.

La Constitution adoptée par lassitude


Le 2 juin, les Français désignent une nouvelle Assemblée nationale constituante. Le MRP devient le
premier parti de France avec 169 sièges. Il reçoit les bénéfices de sa résistance au PCF. Se présentant
toujours comme le parti de la fidélité au général de Gaulle, le MRP draine les votes conservateurs, orphelins
d'autres candidatures. Ses adversaires le présentent, non sans exagération, comme un « Mouvement à
Ramasser les pétainistes ». Quant à la gauche, elle moque volontiers ses prétentions à se poser en parti de
gauche : « Le MRP est un parti révolutionnaire qui a taillé son drapeau rouge dans la robe d'un cardinal »,
dit-on plaisamment. Le PCF et la SFIO, les deux partis « marxistes » (ils revendiquent cet adjectif), perdent
la majorité. On observe, enfin, un frémissement des radicaux et de la droite. La présidence du GPRF revient
au premier parti en la personne de Georges Bidault, agrégé d'histoire, ancien éditorialiste à L'Aube, ancien
président du CNR et député de la Loire.
La composition de l'Assemblée est trop semblable à la précédente pour que la rédaction du projet
constitutionnel soit sensiblement différente. Un compromis s'annonce donc indispensable, d'autant que le
général de Gaulle vient perturber le jeu parlementaire. Le chef de la France libre brise le silence qu'il s'était
imposé à Bayeux, lieu symbolique s'il en est. Le 16 juin 1946, dans un important discours qui fixe jusqu'en
1958 sa pensée constitutionnelle, il présente ce que devrait être, selon lui, la nouvelle République : séparation
des pouvoirs, deux Chambres, un exécutif prépondérant. Les partis récusent ce modèle, voulant y voir la
préfiguration d'un régime personnel. Il y a dans la stigmatisation des propos du général une part d'afféterie
mais aussi de sincérité. Nombreux sont les parlementaires modelés par la IIIe République incapables,
intellectuellement, de comprendre que la République puisse s'accommoder d'institutions qui ne rétablissent
pas la toute-puissance du Parlement. Le 22 septembre, à Épinal, de Gaulle condamne cette fois-ci sans appel
le nouveau projet de constitution. Il lui reproche d'aboutir à une confusion des pouvoirs supérieure à celle qui
« a amené le régime antérieur au désastre et à l'abdication ». La prise de position du général de Gaulle place
le MRP dans une situation difficile. Ou bien il suit de Gaulle et ouvre une crise politique en rompant la charte
du tripartisme, ou bien il passe un compromis avec le PCF et rompt avec de Gaulle. C'est ce qu'il fait. Après
que le MRP a obtenu des amendements, le projet constitutionnel est adopté par l'Assemblée par 440 voix
contre 106, le 29 septembre.
Le 13 octobre 1946, un gros tiers des Français (36 %) approuve par lassitude la Constitution, un tiers la
refuse, un tiers s'abstient. Cette Constitution devient donc celle de la IVe République avec une majorité très
relative. C'est dire qu'elle ne pourra jamais se prévaloir d'un vaste soutien populaire dans les moments les
plus difficiles de son histoire. Plus de deux ans après le début de la libération du territoire national, la France
sort du provisoire constitutionnel.

C. Nouvelle République ou Restauration ?


La IVe République est souvent présentée comme la démarque du régime antérieur. L'affirmation sans être
fausse manque de nuances. Il serait erroné de prétendre que les constituants n'ont pas tiré de leçons du passé.
Ainsi, des dispositions propres à renforcer l'exécutif ont-elles été adoptées. Enfin, la chronologie doit être
précisée. Jusqu'en 1948, la IVe République se cherche. Il faut attendre que les formules de « Troisième
force » aient trouvé leur équilibre pour que le fonctionnement des institutions soit proche de celui des années
trente.

Une Assemblée nationale prépondérante, un exécutif renforcé


Après le préambule et le titre I sur la souveraineté, le titre II est consacré au Parlement. Sa place et sa
longueur témoignent de l'importance que les constituants lui accordent. Dans le texte de la constitution de
1958, le titre II est consacré au président de la République... Sur la base du compromis constitutionnel passé
entre les formations tripartites, le Parlement est constitué de deux Chambres : une Assemblée nationale et un
Conseil de la République.
L'Assemblée nationale est élue pour cinq ans au suffrage universel direct (la loi fixe les modalités du
suffrage). Elle dispose de pouvoirs importants. Elle vote seule la loi et ne peut déléguer ce droit. Elle est
maîtresse de son ordre du jour, de son règlement, et elle est permanente. Autrement dit, le gouvernement ne
peut guère orienter son travail ou disposer d'un répit entre les sessions. Son appellation Assemblée nationale
et non plus Chambre des députés est significative de la volonté des constituants d'y voir l'expression unique
de la souveraineté nationale. Si l'Assemblée nationale doit beaucoup au premier projet constitutionnel jusque
dans sa dénomination, le Conseil de la République est le fruit du compromis passé entre le MRP et le PCF.
Deuxième Chambre, Chambre de réflexion, il n'a pas les pouvoirs de l'ancien Sénat et pour le signifier son
nom a été modifié. Les projets et propositions de loi lui sont soumis mais le dernier mot appartient à
l'Assemblée. Les conseillers de la République sont élus au suffrage indirect. Le rôle du Conseil est si faible
dans la fabrication de la loi que le régime est presque monocaméral. Cependant, la pratique, les habitudes
héritées de la IIIe République, la personnalité de son président, Gaston Monnerville, les circonstances la
guerre froide ont conféré au Conseil de la République un rôle supérieur à celui qui lui était à l'origine
dévolu. En 1948, les conseillers de la République se font appeler « sénateurs », décision symbolique d'un
retour aux mœurs de la IIIe République.
Les constituants ont introduit dans le texte de la Constitution des dispositions qui visaient à renforcer
l'autorité de l'exécutif. Certes, l'Assemblée nationale reste sa source et ces dispositions ne concernent en rien
le président de la République, dont la fonction demeure malgré l'opposition du PCF. Il est élu pour sept ans
par les deux Chambres réunies en congrès à Versailles conformément à la procédure de la IIIe République.
La grande innovation n'est donc pas à chercher de ce côté mais de celui du président du Conseil.

Le président du Conseil
Les lois constitutionnelles de 1875 ne faisaient nulle part mention de l'existence d'un président du Conseil
des ministres. C'est par commodité et parce que le maréchal de Mac-Mahon n'utilisa pas dans un sens
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extensif les dispositions qui lui eussent permis de conduire directement la politique de la nation qu'un
membre du gouvernement, primus inter pares, se détacha de ses collègues pour coordonner son action.
Enfin, il fallut attendre 1934 et 1935 pour que le président du Conseil dispose d'un lieu, l'hôtel Matignon, rue
de Varenne, et d'une administration propre, le Secrétariat général du gouvernement. L'institutionnalisation de
la présidence du Conseil en 1946 s'inscrit donc dans le droit fil de ces initiatives, qui répondaient alors à la
nécessité de doter le chef du gouvernement des moyens nécessaires pour traiter des dossiers de plus en plus
techniques et complexes qui ne pouvaient être raisonnablement instruits qu'à un niveau interministériel. Le
président du Conseil n'est plus seulement l'arbitre de ses alter ego, responsable comme eux d'un département
ministériel, mais aussi le chef d'orchestre d'une partition écrite par la majorité. À ce rôle de coordinateur et
de conducteur du Conseil de gouvernement, les constituants de 1946 lui confient une autre mission, celle
d'être le chef non seulement de l'exécutif mais aussi de sa majorité parlementaire. De la sorte, la France
pourrait, pensait-on, congédier l'instabilité et l'impuissance en donnant au président du Conseil les moyens de
conduire sa politique à l'instar de son homologue britannique. Pour renforcer son autorité, la procédure de
l'investiture est inventée.
Désigné par le président de la République qui peut exercer ainsi un véritable pouvoir d'arbitrage, le
président du Conseil est investi par l'Assemblée nationale au scrutin public à la majorité absolue. On pensait
que s'établirait par ce vote, comme en Angleterre, un véritable contrat de gouvernement, voire de législature,
encore une fois pour assurer cette stabilité qui avait fait tant défaut à la France depuis la Première Guerre
mondiale. Ce « contrat » ne pouvait être dénoncé que de deux manières : vote d'une motion de censure ou
refus de la confiance. Encore la menace de dissolution pesait-elle sur les députés. La question de confiance
ne pouvait être posée qu'après délibération du Conseil des ministres, et la confiance ne pouvait être refusée
qu'à la majorité absolue des députés de l'Assemblée. Il en allait de même pour la censure.

Une pratique dévoyée


Les institutions d'un pays ne dépendent pas exclusivement des textes constitutionnels mais aussi des
mœurs, des traditions historiques, de la culture politique et des circonstances qui en façonnent la pratique.
Certes, les constituants avaient essayé de réagir à l'instabilité et à la faiblesse de l'exécutif en renforçant
l'autorité du président du Conseil. Mais que 25 gouvernements se soient succédé indique assez que la
stabilité tant recherchée ne fut pas atteinte.
En janvier 1947, le premier président du Conseil, Paul Ramadier, après avoir été investi, se présente une
seconde fois devant l'Assemblée pour faire approuver la composition de son gouvernement. Il donne ainsi
naissance à la pratique de la « double investiture » à laquelle ses successeurs ne pourront plus se soustraire et
qui contribue à les affaiblir. Dès le second vote, le président voit sa majorité se réduire quand elle ne
disparaît pas. De même, il ne fut pas rare de voir des gouvernements se retirer après que la confiance leur eut
été refusée à la majorité relative, et non absolue comme l'exige la Constitution, en dépit des exhortations à se
maintenir du président Vincent Auriol.
Parallèlement, la question de confiance, qui aurait dû être utilisée de façon exceptionnelle, est parfois
posée en rafales pour faire passer un texte article après article. Cette pratique peu conforme à la lettre de la
Constitution n'est pas seule responsable de l'échec de la rénovation des institutions. La procédure de
l'investiture du président du Conseil allait dans le bon sens à condition de lui donner le moyen d'obtenir la
dissolution de l'Assemblée en cas de rupture du contrat. Or, les constituants parce que la pratique de la
dissolution était contraire à l'esprit républicain depuis son usage aventureux par Mac-Mahon en 1877 lièrent
la dissolution à la satisfaction de conditions si draconiennes qu'elles ne pouvaient être toutes réunies en
même temps. Et dans l'hypothèse où elles l'auraient été, la disposition qui stipulait qu'après la dissolution
tous les groupes de l'Assemblée seraient représentés au gouvernement était de nature à refroidir l'ardeur des
plus courageux. Peu nombreux, en effet, étaient les parlementaires qui étaient disposés à faire siéger au
gouvernement les communistes en pleine guerre froide.
Les constituants avaient aussi oublié que pour rénover les institutions il fallait donner au gouvernement,
comme en Angleterre, les moyens de fixer l'ordre du jour de l'Assemblée et lui confier la rédaction de son
règlement. Dans un régime parlementaire, le règlement qui fixe la procédure parlementaire est plus important
que bien des articles de la Constitution. Ainsi, la IVe République s'installa-t-elle progressivement dans les
traces de la IIIe République par inclination naturelle des députés. Ils n'imaginaient pas que la confiance qu'ils
avaient placée dans un gouvernement en votant l'investiture puisse les engager durablement. À l'exception du
PCF et dans une moindre mesure de la SFIO qui faisait régner dans son groupe une discipline parfaite, bien
des parlementaires ne se sentaient guère engagés par les décisions de leur formation. En d'autres termes, bien
des hommes politiques n'ont pas su s'affranchir de pratiques politiques héritées de la IIIe République.
La rupture du tripartisme rendit plus incertaine encore la résolution des bonnes volontés et la satisfaction
des ambitions originelles. La Constitution avait été élaborée par le tripartisme pour le tripartisme. Les
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constituants pensaient que le partage du pouvoir entre les trois grands partis remédierait à l'instabilité si ce
n'est à la faiblesse de l'exécutif. Mais pour atteindre ce double objectif, la stabilité et le renforcement de
l'exécutif, encore fallait-il que le gouvernement puisse s'appuyer sur deux ou trois grands partis de masse et
disciplinés qui accepteraient les règles du jeu démocratique. Or, non seulement les partis se révélèrent plus
faibles que les constituants ne l'avaient imaginé en 1945-1946, mais l'éclatement du tripartisme et l'entrée
dans la guerre froide privèrent les institutions du troisième pilier sur lequel elles avaient été édifiées en
plaçant le PCF dans l'opposition au régime.
Texte de circonstance, la Constitution fut d'emblée soumise à rude épreuve par les circonstances. Le mode
de scrutin, qui avait été analysé comme un instrument de la discipline des partis sur les élus, favorisa
l'émiettement de la représentation nationale. Faute de majorité, la IVe République dut compter sur des
combinaisons instables regroupant des formations trop nombreuses pour résister à l'hostilité du PCF et des
gaullistes qui luttaient contre l'existence même du régime. Quant au président du Conseil, la pratique ira dans
le sens de son assujettissement à l’Assemblée.

La mise en place des institutions


Progressivement, les institutions prévues par la Constitution nouvellement adoptée se mettent en place.
L'Assemblée nationale est élue le 10 novembre 1946. Les résultats confirment la poursuite du déclin de la
SFIO, le léger repli du MRP qui ne peut plus se présenter comme le parti de la fidélité, le score record du
PCF et la remontée des modérés et surtout du Parti radical. Ce dernier s'est réorganisé et a fondé en 1946
avec l'UDSR et quelques groupuscules de droite le Rassemblement des gauches républicaines (RGR). Son
secrétaire général, le député radical Jean-Paul David, fait de cette fédération de partis un instrument de
reconquête électorale par l'arbitrage des candidatures et la mise à la disposition des candidats de moyens de
propagande. La dénonciation du tripartisme, de la Constitution et du dirigisme est le ciment autour duquel se
rassemblent les formations adhérentes. Le RGR a été un instrument efficace de la remontée du Parti radical,
du maintien de l'UDSR et de la survie de ses composantes.
Le 16 janvier 1947, Vincent Auriol, député socialiste, est élu président de la République au premier tour
avec l'appui des voix communistes. Homme d'une grande autorité morale, il a exercé au cours de son
septennat une réelle influence politique. Prenant très au sérieux sa fonction, il tira le maximum des maigres
pouvoirs que lui avait conférés la Constitution. En désignant le président du Conseil à l'investiture de
l'Assemblée, il put exercer un arbitrage et chercha à concilier les points de vue pour freiner la valse des
gouvernements. Comme président de l'Union française, il accorda une attention vigilante aux évolutions
outre-mer. Au total, il donna à la fonction présidentielle un lustre certain. Son premier acte politique consista
à désigner comme président du Conseil Paul Ramadier, socialiste surnommé par les chansonniers
« Ramadan » ou « Ramadiète » parce qu'il avait été responsable du ravitaillement en pleine période de
pénurie.

La rupture du tripartisme
Certains auteurs datent du retrait des ministres communistes du gouvernement Ramadier, le 5 mai 1947,
la fin du tripartisme. En fait, la formule du tripartisme se termine à la fin de l'année 1946. Le gouvernement
Ramadier n'est pas un gouvernement exclusivement tripartite. C'est un gouvernement d'union générale
comprenant, certes, des représentants des trois grands partis mais aussi sept ministres d'autres formations. Ce
qui prend fin en mai 1947, c'est moins le tripartisme que la participation des communistes au gouvernement.
Le tripartisme s'était traduit par un Yalta étatique sur la base de la toute-puissance des partis. Les
départements ministériels étaient distribués équitablement entre les trois partis et il était entendu que les
ministres, délégués de leur formation, exerçaient un contrôle sans partage sur leur département. Il s'ensuivit
aussi une politisation de l'administration. Jamais les partis n'avaient paru si puissants. C'est en ce sens et à ce
moment précis qu'il est possible de parler de « République des partis ». Mais la volonté de gouverner
ensemble fut impuissante à empêcher, à l'Assemblée constituante, les affrontements sur la politique
économique et sociale ainsi que sur la politique étrangère au moment même où le monde s'engageait dans la
guerre froide.
Des désaccords apparaissent aussi sur les questions coloniales. Le PCF proteste contre la violence de la
répression de l'insurrection malgache en mars 1947. Alors que le MRP veut rétablir la souveraineté française
en Indochine, le PCF répugne, par solidarité avec le communiste Ho Chi Minh, à s'associer à la guerre qui
s'engage. Quant à la SFIO, elle hésite. Les députés communistes votent contre les crédits militaires demandés
pour lutter contre le Vietminh, les ministres communistes s'abstiennent. Le 4 mai, à la suite d'une
interpellation, les députés et les ministres communistes (à l'exception de Georges Marrane qui est conseiller
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de la République) votent contre le gouvernement. Le lendemain, le 5 mai, il est mis fin aux fonctions des
ministres communistes à la suite de ce manquement à la solidarité gouvernementale.
Contrairement à ce que laissera entendre le PCF, les États-Unis n'ont pas exigé le départ des
communistes. La sortie du provisoire et la mise en place des institutions avaient justifié une « trêve » entre
les trois grands partis dans le cadre du tripartisme. Le maintien des communistes au gouvernement au-delà de
janvier 1947 s'inscrivait dans le prolongement du tripartisme mais d'un tripartisme qui avait vécu. La
IVe avait vu le jour, l'heure n'était plus à la « trêve » mais à l'affrontement. Le gouvernement gagnait en
cohésion ce qu'il perdait en soutien, il est vrai à éclipses. Dans un premier temps, les communistes pensent
qu'ils vont revenir rapidement aux affaires. En fait, ils devront attendre juin 1981.
La date du 5 mai 1947 constitue un tournant essentiel. La guerre froide surgit avec fracas au cœur même
de la vie politique française.

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