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Séance n°3

Lundi 14 février
Est-il toujours juste d’être responsable ?

Nietzsche rappelait que le corollaire de la conscience était la responsabilité


dans La généalogie de la morale : « La fière connaissance du privilège
extraordinaire de la responsabilité, la conscience de cette rare liberté [...] » . Si
répondre de nos actes semble alors juste dans un État libéral où la liberté se
restreint pour ne pas nuire à autrui comme le consacre la déclaration des droits de
l’Homme, la conscience semble être une composante de la responsabilité à peine
que celle-ci soit injuste.

La responsabilité étant le fait de répondre de ses actes, elle peut être


engagée de plusieurs façons. Dans un but répressif et punitif en droit pénal, en vertu
de la force obligatoire du contrat et de la sécurité juridique en matière contractuelle
et dans un souci de réparation et de retour à un équilibre rompu en matière
extracontractuelle. Les deux premières responsabilités protègent et prévoient des
règles spécifiques aux non-discernants contrairement au droit civil extracontractuel
qui conviendra alors d’étudier.
La responsabilité extracontractuelle a été en effet instaurée dans un but de
justice distributive et de rééquilibrage de situation de faits que le droit s’est toujours
efforcé de poursuivre. Ainsi, comme le dispose l’article 1240 chaque personne qui
est à l’origine d’un préjudice causé à quelqu’un se doit de réparer ce dernier. Sur ce
fondement de réparer la perte patrimoniale d’une personne causée par une autre,
trois conditions cumulatives sont à réunir afin d’engager cette responsabilité. Tout
d’abord, la faute est par principe nécessaire. Il s’agit d’un manquement à une
obligation préalable, voire un comportement anormal et imprudent. Toutefois, la
tendance est au déclin de la faute en faveur de la victime lésée par le comportement
d’un autre sans faute. Ensuite, il faut caractériser un préjudice de la victime qui
consiste en l’appréciation juridique d’un dommage. Et enfin, d’un lien de causalité
entre la faute et ce préjudice afin de permettre à la victime une réparation de ce
dernier.
Ce droit à la réparation a d’ailleurs valeur constitutionnelle par une décision
QPC du 18 juin 2010, Epoux Lloret fondée sur l’article 4 de la Déclaration des droits
de l’Homme et du citoyen : : « la faculté d'agir en responsabilité met en œuvre cette
exigence constitutionnelle [...] » de liberté.
Ainsi, nul ne pourrait douter du fondement et de la volonté de justice par le fait
de réparer le préjudice causé à autrui du fait de l’Homme. La justice étant entendue
comme le respect de l'équité et le retour à chacun de son dû. Pourtant, l’absence
d’exigence de conscience de ses actes pour en répondre, a contrario du droit des
contrats ou pénal, laisse douter de ce caractère juste de la responsabilité délictuelle.

Alors, est-il juste que nous soyons tous tenus responsables de nos actes ?
Non, le droit civil délictuel dans l’état actuel de la jurisprudence et du droit
induit des injustices du fait de l’engagement de la responsabilité du fait de personnes
qui ne disposent pas de facultés totales leur permettant d’agir “raisonnablement”
alors que leur comportement sera regarder comparativement à ce standard
raisonnable.

Il conviendra de fait d’analyser la renonciation au discernement comme


composante de la faute (I) et l’engagement consécutif de la responsabilité délictuelle
des mineurs (II).

I. La renonciation au discernement comme composante de la faute


Nul besoin d’être conscient de ses actes pour être responsable civilement : la
faute est dépourvue d’élément subjectif.
Cela peut paraître injuste que ceux n’ayant pas la faculté de discerner puisse
devoir indemniser les victimes des actes dont ils n’ont pas pleinement conscience
(B) pourtant cela n’a pas toujours été le cas (B)

A. Une intervention législative motivée par la protection des victimes


Tout d’abord, l’exigence de discernement conditionnant l’imputabilité de la
faute à l’auteur a été abandonnée par une loi du 2 janvier 1968 introduisant l’actuel
article 414-3 du Code civil disposant : « celui qui a causé un dommage à autrui alors
qu’il était sous l’empire d’un trouble mental n’en est pas moins obligé à réparation».
La loi admet alors que même si la faute n’est pas imputable à l'auteur, ce dernier est
toujours responsable. Cela rompt alors avec la conception classique de la faute. La
jurisprudence est venue par ailleurs préciser les termes de l’article introduit en
excluant les troubles physiques comme par exemple, la faute causée par la chute
dûe à un malaise.

B. Les non-discernants lésés par ce changement


Le problème est que le dément se trouve exposé à un risque financier important,
alors pourtant qu’il n’est pas nécessairement en état de s’assurer. De plus, il est plus
enclin à se mettre en danger et obtiendra plus difficilement réparation. Puisque se
mettre en danger peut être assimilé à une faute, une faute d’imprudence favorisant
l’apparition du dommage. La faute d’une personne privée de discernement
continuera ainsi à engager sa responsabilité à l’égard des tiers mais elle ne pourra
plus lui être opposée pour réduire son droit à réparation. C’est en effet contraire à la
finalité réparatrice de la responsabilité civile, qui a elle-même déterminé l’abandon
de l’élément moral de la faute.
Puisque l’imputabilité de la faute a été abandonnée pour une conception
objectiviste de la faute, cela conduit à écarter la considération de l’âge pour réparer
un préjudice, que le mineur soit jeune enfant ou non, qu’il soit victime d’un préjudice
ou auteur.

II. L’engagement consécutif de la responsabilité civile pour faute


indépendamment de l’âge
Le Code civil ne permet pas actuellement de prendre en compte le propre de
l’enfant. Lorsqu’une personne est la victime d’un dommage commis par un enfant,
elle peut saisir la justice sur la base de deux articles du Code : 1240

A. Renonciation au discernement comme composante de la faute des


mineurs
1. Une décision défavorable aux enfants victimes
L’arrêt Lemaire oppose la propre faute de l’enfant de 13 ans électrocuté en
vissant une douille car il n’avait pas éteint l'électricité afin de diviser son
indemnisation par deux. Ainsi, on oppose la propre faute d’un enfant pour exonérer
le responsable qui lui est davantage conscient.

2. Une décision défavorable aux enfants auteurs


L’enfant causant un préjudice ne voit pas sa responsabilité atténuée, en effet dans
l’arrêt Gabillet, un enfant de 3 ans crevant un œil à un camarade à l’aide d’un bâton
se voit responsable civilement en dépit de son absence totale de discernement.
Ainsi, s’il n’a pas eu conscience de commettre un faute, sa responsabilité est tout de
même engagée.

B. Le refus jurisprudentiel d’abandonner la condamnation personnelle du


mineur pour sa faute personnelle
1. Une décision auparavant justifiée par l’engagement de la res des
parentsLE
Cette solution est d’autant plus choquante que le contexte a changé : au départ, elle
visait à favoriser la responsabilité des parents qui étaient subordonnée à la preuve
de la faute de l’enfant. En 1984 il s’agissait de favoriser la reconnaissance de la
responsabilité personnelle de l’enfant auteur pour rendre ses parents responsables :
à l’époque la responsabilité parentale supposait la preuve d’une faute de leur enfant

2. Une décision désormais désuète


Mais depuis 2001, avec l’arrêt Levert , le juge a abandonné la faute de l’enfant
comme condition d’engagement de la responsabilité des parents. La constatation du
dommage causé par l’enfant suffit. Or, en parallèle, la Cour de cassation refuse
d’abandonner la condamnation personnelle du mineur pour faute personnelle.
Pourtant, l’enfant auteur ne pourrait plus voir sa responsabilité personnelle engagée
lorsqu’il n’a pas le discernement. Mais la Cour de cassation s’y est refusée : « la
condamnation des père et mère sur le fondement de l'article 1384, alinéa 4, du code
civil ne fait pas obstacle à la condamnation personnelle du mineur sur le fondement
de l'article 1382 du code civil » (Civ. 2, 11 sept. 2014)

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