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Analyse linéaire du texte n°2 :

« Il fait un temps de bourrasques… »


Hélène Dorion, Mes Forêts, 2021

 Introduction :

Le recueil de la poétesse Hélène Dorion, Mes forêts, publié à l’automne 2021


aux Éditions Bruno Doucey, se caractérise par une écriture en vers libres, sans
ponctuation, où la nature côtoie l’intime.
Le poème étudié s’inscrit dans la troisième séquence intitulée « L’onde du
chaos » et propose une météorologie personnelle, scandée par l’expression « il
fait un temps de… ».
En quoi ce poème a-t-il une dimension engagée ?
Dans un premier temps, du début du poème à « et de lavande » nous verrons
qu’Hélène Dorion décrit un monde en proie au cataclysme.
Dans un deuxième temps, de « il fait un temps de verre éclaté » à « maison noire
des mots », la poétesse évoque le rôle de l’Homme et de la poésie face à ce
chaos.
Dans un troisième temps, nous analyserons la mise en garde funeste à la fin du
poème.

 Développement :

I-La première partie : du vers 1 au vers 9 : Un monde en proie au


cataclysme :

Les deux premiers vers donnent le ton à ce poème : « Il fait un temps de


bourrasques et de cicatrices / un temps de séisme et de chute ». Dans un
mouvement de crescendo, le temps météorologique est associé à des termes
connotant la violence et la souffrance.
L’allitération en « s » et l’assonance en « i » dans ces deux premiers vers font
entendre le souffle du vent : « Il fait un temps de bourrasques et de cicatrices /
un temps de séisme et de chute »
Les termes « bourrasques » et « cicatrices » puis « séisme » et « chute » sont
reliés dans un zeugme. Cette figure permet de créer immédiatement un parallèle
entre le temps météorologique « bourrasques », « séisme » et les blessures de
l’homme « cicatrices », « chute ».

Ces blessures peuvent être intérieures, mais elles peuvent aussi indiquer les
stigmates de la Nature, créées par la main de l’Homme.

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La nature décrite n’est pas un Eden. Cette strophe dépeint une nature
inquiétante, bouleversante, comme l’illustre la comparaison « les promesses
tombent / comme des vagues ».

Le groupe nominal négatif « sur aucune rive » suggère la perte totale d’espoirs
et un sentiment d’insécurité.
Quant au paradoxe des vers 6 et 7, il nous fait ressentir de l’inquiétude et de
l’angoisse, voire l’image d’une Nature en train de disparaître :
« Les oiseaux demandent refuge / à la terre ravagée ». La faune comme la flore
sont en proie à la désolation.

Au vers 8, on repère l’emploi du déterminant possessif « nos » : « nos jardins


éteints ». Ainsi invite-t-elle le lecteur à prendre conscience de cette Nature en
perdition.

II-La deuxième partie : du vers 10 au vers 17 : Le rôle de l’Homme et de la


poésie :

La violence de l’Homme devient explicite avec le vers « il fait un temps de


verre éclaté ».

La structure même de la strophe, avec deux espaces blancs aux vers 11 et 12,
mime le processus de l’éclatement.

De plus, le « verre éclaté » peut aussi se lire comme le vers poétique (le vers
éclaté) soulignant l‘illyrisme du monde moderne.

Les « écrans morts » semblent désigner les écrans des nouvelles technologies ;
le « nord perdu » confirme l’idée d’une perte totale de sens et de repères.

Les sonorités explosives en « d » et « k » associées à la vibration appuyée de


l’allitération en « r » et l’assonance en « o » et « i » restituent phonétiquement
cette impression de chaos, de violence, « Il fait un temps de verre éclaté /
d’écrans morts de nord perdu / un temps de pourquoi de comment ».
Les deux interrogations restent sans ponctuation et sans réponse comme
l’indique le vers « un temps de pourquoi » « de comment ».
Le vers « Tout un siècle à défaire le paysage » est significatif, par sa position
détachée et son assonance en « è ». Sans être nommé, l’Homme a implicitement
sa part de responsabilité.

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III- La troisième partie : du vers 18 à la fin du poème : Une mise en garde
funeste :

La perte de sens et d’ordre atteint son paroxysme dans cette strophe déstructurée
qui renvoie aussi à la perte de confiance, d’espoir et surtout la perte de mots !

En effet, les phrases ne se finissent pas : « il fait un temps jamais assez / un


temps plus encore et encore/plus encore / plus », ce qui souligne la fuite du
temps, son écoulement et sa perte totale.

Le paradoxe souligné aux vers 18 et 19 « jamais assez » « plus encore » semble


révéler les contradictions de l’Homme, qui ne se satisfait pas de ce que la Nature
offre.

Quant au futur du vers 22 « pourra », il renvoie à la certitude de la prophétie à


venir, accentué par la négation totale « ne… pas » qui semble mettre en garde
contre une urgence et contre un sentiment d’orgueil : l’humanité n’a plus le
temps de repousser les décisions justes et n’est pas supérieure à l’ordre naturel.

Ainsi, derrière le jeu sur les sonorités dans l’expression « ce temps de bile et
d’éboulis », se dessinent les linéaments de la colère et de la destruction.

Les trois derniers vers agissent comme une prémonition, un pressentiment


inquiétant, presque pessimiste, mise en relief par l’allitération en « r » : « Les
forêts tremblent / sous nos pas / la nuit approche ».

 Conclusion :

Ce poème dresse le constat d’une nature désordonnée : le règne animal et


végétal sont bouleversés.
La responsabilité de l’Homme est soulevée implicitement : sa part de violence,
de surconsommation laissent des interrogations sans réponse.

Dans ce chaos, seule la voie poétique est capable de se lever et d’agir sur ce
monde devenu inquiétant.

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