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Comment penser la croyance religieuse dans son rapport à la raison ?

Compléments au cours sur la raison

Quelle que soit la diversité des civilisations à travers l’espace et le temps, il est remarquable que tous les
peuples possèdent des croyances, des religions, des pratiques rituelles qui y sont associées. Aucun humain ne
peut se contenter d’une vie purement biologique ni de pratiques seulement utiles. Les religions, multiples et
diverses sont ainsi un des signes de la culture, au même titre que les pratiques artistiques ou les connaissances
techniques. Même l’homme de Neanderthal –aujourd’hui disparu- possédait des croyances, repérables par
exemple dans le fait d’enterrer ses morts.

I/ Peut-on définir une religion ?


A/ une religion ou des religions ?
Une difficulté plane sur ce terme, du fait de la diversité des manifestations du fait religieux ; s’il existe des
religions Révélées (ou « religions du Livre »), comme c’est le cas des trois grands monothéismes ( Judaïsme,
Christianisme, Islam), il y a des croyances vides de la présence de tout dieu et de toute révélation (les
Bouddhismes, par ex.), des religions polythéistes (les croyances grecques, latines ou égyptiennes), des croyances
en des dieux dont les formes sont changeantes et impermanentes (le Brahmanisme ou l’Hindouisme) ou encore
des croyances plus proches de sagesses mêlant animisme et principes éthiques (le Taoïsme)…
L’attitude religieuse peut se définir comme la croyance selon laquelle un principe surnaturel ordonne
le monde, au-delà du désordre apparent et de ce que nous pouvons connaître. Il existe un « arrière monde », au-
delà des réalités temporelles ou quotidiennes.

B/ des points communs à toutes les religions ?


Dans les Formes élémentaires de la vie religieuse (1912), E. Durkheim distingue trois caractéristiques
communes à toutes les religions (à compléter par la lecture du texte n°2 p. 352) :
* une distinction profane/sacré
Le sacré se définit comme ce qui est séparé, distinct de ce qui est commun et partagé par tous. Il doit
être considéré avec un respect particulier et abordé avec recueillement (une étymologie de la religion la fait
dériver du latin religere = recueillir). Par opposition, le profane est ce qui est commun et ce qui n’est pas mêlé
au sacré (pro-fanum -> pro = devant + fanum = le temple, le lieu de culte. Est profane ce qui est extérieur au
culte). Une religion permet en effet de penser un dédoublement du monde : d’un côté celui dans lequel nous
vivons et agissons, commun à tous et un autre monde au-delà que la croyance construit : les mondes divins ou
« paradis » des grands monothéismes ou le Nirvana des Bouddhistes ou encore le Moksha pour les Hindouistes.
Cet « au-delà » est inaccessible directement : il transcende (=outrepasse) le monde d’ici-bas. Il en est une
justification (il est pensé comme l’origine de notre monde, là d’où il vient et pourquoi il existe : c’est ce que l’on
trouve par exemple dans certains récits des mythes qui nous renseignent sur les origines – origine de la
technique : mythe de Prométhée, origine du travail : chute depuis l’Age d’Or…)

**un ensemble de pratiques et de croyances


Parce que l’homme est un « animal métaphysique », il se pense inclus dans un monde qu’il cherche
toujours à comprendre. Il ne peut pas s’empêcher de se penser fini, précaire (il est fragile et ne dure pas) dans
l’existence, voué à la souffrance, à la misère et au désir, ce qui le conduit à chercher des justifications et à se
poser la question « pourquoi ? ». La religion s’organise alors comme un ensemble de croyances relatives à
l’interprétation du monde et capables de fournir des réponses aux questions relatives à la vie, l’avenir, la
destinée, la mort. A ce système de croyances s’ajoutent des pratiques (des actions concrètes) qui se présentent
sous la forme de rites. Ce sont des occasions d’organiser des moments-clé de la vie. La religion accorde l’esprit
(croyances) et le corps (actions pratiques) en permettant de savoir comment agir et se comporter en fonction de
ce à quoi l’on croit (comment vivre avec les autres, comment se vêtir, que manger, comment honorer les
défunts…).

*** une « chose collective »


Elle est l’affaire des croyants qui se réunissent autour de leur croyance. Une autre étymologie de la
religion la ramène à religare (lat.) = relier, rassembler, unir. Elle est ce qui relie le croyant à la divinité (liaison
verticale, du bas vers le haut) et ce qui rassemble les croyants en une communauté (liaison horizontale des
hommes entre eux). On le voit par ex. d’un point de vue historique où la religion a été ce qui a permis
d’organiser la vie sociale : en France, la monarchie était de droit divin et, encore aujourd’hui, le découpage de la
semaine et de l’année s’organise selon le calendrier de fêtes religieuses. En Grèce ancienne, les pratiques
religieuses et les croyances étaient à ce point incluses dans la vie sociale et politique que de nombreux procès ont
été motivés pour lutter contre l’impiété (c’est le cas de Socrate, mais aussi de Thalès ou d’Anaxagore).
II/ Qu’est-ce que le sentiment religieux ?
A/ En étant irrationnelle, la foi est-elle une superstition ?
Le mystère des origines et de la justification n’étant pas accessible directement par des voies
rationnelles, c’est le sentiment religieux, ou la foi qui vont aider à le penser. Cette croyance apparaît comme
une manière de tenir pour vraie une affirmation sans raison suffisante et d’en concevoir une certitude aussi
forte que si cette affirmation était démontrée. Mais dans la mesure où la croyance est un sentiment, elle est
nécessairement un vécu subjectif, incommunicable, irrationnel. Irrationnel, au sens où c’est une façon intime de
sentir, qui n’a rien à voir avec le raisonnement que l’on utilise dans les démarches scientifiques.
On peut alors se demander si la croyance religieuse ne serait pas l’équivalent d’une superstition. Une
superstition est une attitude qui consiste à combler le vide de l’ignorance par une croyance qui rassure et
conforte. Une sorte de « pensée magique » qui comblerait à la manière d’un placebo un désir humain. Spinoza,
dans l’Ethique, présente Dieu comme « l’asile de l’ignorance », c’est à dire comme le « lieu » où se retrouvent
tous les questionnements auxquels la connaissance rationnelle ne peut donner de réponse. Tous les « pourquoi ?
» y convergent et trouvent leur justification.
Spinoza dénonce la tendance finaliste des hommes qui, parce qu’ils sont ignorants et cèdent à
l’anthropomorphisme, vont imaginer ou inventer des intentions ou des justifications derrière les choses qui se
produisent. L’explication purement mécaniste, qui renvoie au hasard, est remplacée par une interprétation
finaliste.

Avec cette volonté de donner des réponses aux questions que les hommes se posent, les religions sont
pourvoyeuses de dogmes (= une affirmation posée autoritairement comme vraie devant être admises sans doute
ni discussion). La croyance religieuse se présente comme foi et exige de la part du croyant une confiance
absolue (le terme vient de fides - confiance-), au-delà même de la raison qui est impuissante en face d’elle. Elle
convie ainsi à un « saut dans l’irrationnel » qui va, chez Pascal, par ex. prendre la forme du « pari » ; un pari où
l’on a tout à gagner et presque rien à perdre. Foi et raison sont deux ordres radicalement différents : la foi ne
s’apparente pas à un savoir, mais à une certitude subjective, intime, malgré les enseignements de la raison et
parfois même contre elle. Le modèle en est donné par l’exemple d’Abraham ainsi que le décrit Kierkegaard
(philosophe danois du XIXème siècle). Abraham est présenté comme le « chevalier de la foi » parce que résolu
au sacrifice de son fils, il n’a jamais douté, jamais hésité. Comme le montre Kierkegaard, « credo quia
absurdum » (« je crois parce que c’est absurde » -> « absurde » ici signifie sans raison, sans rien pour en rendre
raison, ou encore en l’absence de preuves). La foi ne peut se transmettre par des arguments rationnels ou des
convictions, elle exige une persuasion intime de celui qui croit.
De sorte que la religion peut se vivre en contradiction avec la raison et la rationalité qui s’emploie à
expliquer et à justifier. En étudiant de plus près cette opposition, elle conduit à remarquer le danger que peut
représenter la foi ainsi définie :
- le fanatisme qui est une « extrémisation » de la foi où il ne s’agit plus que d’adhérer sans
distance à un dogme, quelles qu’en soient les conséquences (pensons au mot d’ordre de
l’Inquisition : « tu crois ou tu meurs ! »)
- le risque de manipulation des hommes du fait de la crédulité qui pointe derrière la foi ainsi
définie. Marx dira que la religion fonctionne comme un « opium du peuple » (texte n°11 p.
360)

C'est l'homme qui fait la religion, ce n'est pas la religion qui fait l'homme. Certes, la religion est la
conscience de soi et le sentiment de soi qu'a l'homme qui ne s'est pas encore trouvé lui-même, ou bien s'est déjà
reperdu. Mais l'homme, ce n'est pas un être abstrait blotti quelque part hors du monde. L'homme, c'est le monde
de l'homme, l'Etat, la société. Cet Etat, cette société produisent la religion, conscience inversée du monde, parce
qu'ils sont eux-mêmes un monde à l'envers. La religion est la théorie générale de ce monde, sa somme encyclo -
pédique, sa logique sous forme populaire, son point d'honneur spiritualiste, son enthousiasme, sa sanction mo -
rale, son complément solennel, sa consolation et sa justification universelles. Elle est la réalisation fantastique de
l'être humain, parce que l'être humain ne possède pas de vraie réalité. Lutter contre la religion c'est donc indirec -
tement lutter contre ce monde-là, dont la religion est l'arôme spirituel.

La détresse religieuse est, pour une part, l'expression de la détresse réelle et, pour une autre, la protesta-
tion contre la détresse réelle. La religion est le soupir de la créature opprimée, l'âme d'un monde sans coeur,
comme elle est l'esprit de conditions sociales d'où l'esprit est exclu. Elle est l'opium du peuple. L'abolition de la
religion en tant que bonheur illusoire du peuple est l'exigence que formule son bonheur réel. Exiger qu'il renonce
aux illusions sur sa situation c'est exiger qu'il renonce à une situation qui a besoin d'illusions. La critique de la re-
ligion est donc en germe la critique de cette vallée de larmes dont la religion est l'auréole.

Karl Marx : Critique de la philosophie du droit de Hegel, 1843

Marx considère la croyance religieuse comme une illusion dont les hommes aiment à se bercer : elle les calme,
les tranquillise et leur permet de supporter les conditions de vie difficiles et l’aliénation qu’ils subissent en
espérant être récompensés dans l’au-delà (= l’opium a ce pouvoir sur le cerveau). Lorsque les hommes sont
malheureux et insatisfaits, ils se réfugient dans des illusions consolatrices forgées par leur imagination et se
trouvent réconfortés. La religion va entraîner l’homme dans un processus d’aliénation équivalent à celui que le
travail opère.

A compléter (et vérifier si on a bein compris le texte): https://www.youtube.com/watch?v=IVm-o_FwUFE

De même, Nietzsche va considérer que la croyance religieuse est le fait d’esprits affaiblis par le culte du
sacrifice et de la souffrance : elle empêche les hommes d’exprimer leur puissance naturelle (puissance de la
pensée, de la volonté, de la raison etc). Et Freud, dans L’avenir d’une illusion va voir dans ces attitudes une sorte
de blocage infantile de la raison qui entretien un rapport de dépendance avec Dieu comme avec un père. Le
besoin de sens, d’ordre, d’autorité est satisfait pas la croyance en un être éternel qui les représente. En insistant
sur le processus de refoulement, Freud montre que les désirs se manifestent de façon cachée ; la croyance
religieuse est à ses yeux la forme que prennent certains de nos désirs. L’adoration d’un Dieu est la transposition
de l’amour de l’enfant pour le père. La religion apparaît alors comme « la névrose obsessionnelle de
l’humanité », générée par la société qui impose des sacrifices aux individus qui sont pris entre leurs désirs et
leurs devoirs. Elle nous maintient dans un état infantile en nous attachant à la crainte du Père, à celle d’être
abandonné, de ne plus être aimé ou d’être jugé. La religion est donc nocive en ce qu’elle travestit la réalité, à la
manière d’une « idée délirante ». L’idée délirante est en contradiction avec la réalité, elle est pathologique en ce
qu’elle nous empêche de penser, comme si elle constituait un obstacle au progrès intellectuel de l’humanité
(texte n°13 p. 195).

B/ Faut-il vraiment opposer la raison et la foi ?

La foi est-elle nécessairement superstitieuse ? En réalité, il faut bien admettre que la raison ne peut pas
tout expliquer. De même, toutes les croyances ne se valent pas ! La foi n’est pas pure crédulité : on peut même
penser qu’elle tire sa force de son opposition à l’irrationnel et à la superstition. Alain le montre dans ses Propos :

Il y a croire et croire, et cette différence paraît dans les mots croyance et foi. La différence va même jus -
qu’à l’opposition : car selon le commun langage, et pour l’ordinaire de la vie, quand on dit qu’un homme est cré -
dule, on exprime par là qu’il se laisse penser n’importe quoi, qu’il subit l’apparence, qu’il subit l’opinion, qu’il
est sans ressort. Mais quand on dit d’un homme d’entreprise qu’il a la foi, on veut justement dire le contraire
[…].

Dans le fait ceux qui refusent de croire sot des hommes de foi ; on dit encore mieux de bonne foi, car
c’est la marque de la foi qu’elle est bonne. Croire la paix, c’est foi ; il faut ici vouloir ; il faut se rassembler, tout
comme un homme qui verrait un spectre, et qui se jurerait à lui-même de vaincre cette apparence. Il faut ici
croire d’abord, et contre l’apparence ; la foi va devant ; la foi est courage. Au contraire croire à la guerre, c’est
croyance ; c’est pensée agenouillée et bientôt couchée. C’et avaler tout ce qui se dit ; c’est répéter ce qui a été dit
et redit ; c’est penser mécaniquement.

La foi pourrait se présenter comme une certaine manière de se rapporter au réel, différente d’un rapport rationnel
de connaissance, mais pas forcément moins digne. En effet, le discours rationnel et scientifique ne peut pas at-
teindre certaines réalités qui font néanmoins partie de notre vie : il y a des choses que nous ne pouvons pas
connaître, ni démontrer, ni vérifier. La parole que l’on donne, les sentiments que l’on témoigne, la confiance que
l’on porte font partie de ces réalités qui sont au delà de la rationalité … et qui impliquent une sorte de foi. C’est
ce que Pascal explique dans cet extrait des Pensées :

Nous connaissons la vérité non seulement par la raison mais encore par le cœur. C’est de cette dernière
sorte que nous connaissons les premiers principes et c’est en vain que le raisonnement, qui n’y a point de part,
essaie de les combattre. Les pyrrhoniens*, qui n’ont que cela pour objet, y travaillent inutilement. Nous savons
que nous ne rêvons point. Quelque impuissance où nous soyons de le prouver par la raison, cette impuissance ne
conclut autre chose que la faiblesse de notre raison, mais non pas l’incertitude de toutes nos connaissances,
comme ils le prétendent. Car les connaissances des premiers principes : espace, temps, mouvement, nombres,
sont aussi fermes qu’aucune de celles que nos raisonnements nous donnent et c’est sur ces connaissances du
cœur et de l’instinct qu’il faut que la raison s’appuie, et qu’elle y fonde tout son discours. Le cœur sent qu’il y a
trois dimensions dans l’espace, et que les nombres sont infinis et la raison démontre ensuite qu’il n’y a point
deux nombres carrés dont l’un soit le double de l’autre. Les principes se sentent, les propositions se concluent, et
le tout avec certitude, quoique par différentes voies – et il est aussi inutile et aussi ridicule que la raison demande
au cœur des preuves de ses premiers principes pour vouloir y consentir, qu’il serait ridicule que le cœur
demandât à la raison le sentiment de toutes les propositions qu’elle démontre pour vouloir les recevoir

*Les ‘pyrrhoniens’ sont les sceptiques, les disciples de Pyrrhon.

Face à l’impuissance de la raison à tout expliquer, la foi conduirait à une certaine compréhension du monde ou
à une interprétation par laquelle il prendrait sens. On le voit bien en observant les progrès accomplis par les
sciences et les techniques dans la maîtrise de la réalité. Plus on avance dans le temps, mieux on domine la nature.
Mais, les questions existentielles ou philosophiques demeurent et ne sont pas résolues. Elles témoignent d’un
besoin de sens que la raison est incapable, seule, de satisfaire.

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