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A.Romano-La Flèche (1995)
A.Romano-La Flèche (1995)
Résumé
Antonella Romano, Du Collège romain à La Flèche : problèmes et enjeux de la diffusion des mathématiques dans les collèges
jésuites (1580-1620), p. 575-627.
Les travaux relatifs à la science des Jésuites à l'époque moderne remettent en cause une approche de la Compagnie de Jésus
conçue comme institution centralisée et hiérarchisée, dont le centre romain constituerait l'unique pôle définitionnel et décisionnel,
plaçant les périphéries en situation de subordination et de reproduction. Cette approche, qui considère la norme comme une
donnée et non comme le produit d'une confrontation entre principes et pratiques, appauvrit par définition l'analyse de cette
institution, aux prises avec l'un des bouleversements culturels les plus radicaux de l'époque moderne, la «révolution
scientifique». Si la Compagnie a, dès les origines, cherché à produire un discours normatif valide pour l'en-
(v. au verso) semble des siens, elle a voulu le faire dans le cadre d'un dialogue avec ses périphéries qui a engagé des
conceptions diverses face à la science en recomposition. Avant 1630, dans les écrits comme dans le pluriel des expériences, à
l'échelle locale ou régionale, cette diversité est au cœur de l'échange. Elle sera analysée ici, à partir de l'étude croisée des textes
normatifs, des archives administratives et des manuscrits de cours, dans trois cas français : Bordeaux, Paris et La Flèche.
Romano Antonella. Du Collège romain à La Flèche : problèmes et enjeux de la diffusion des mathématiques dans les collèges
jésuites (1580-1620). In: Mélanges de l'Ecole française de Rome. Italie et Méditerranée T. 107, N°2. 1995. pp. 575-627.
doi : 10.3406/mefr.1995.4397
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mefr_1123-9891_1995_num_107_2_4397
ANTONELLA ROMANO
* Abréviations :
AHSI : Archivum historicum Societatis Jesu
ARSI : Archivum romanum Societatis Jesu.
BU : Bibliographie universelle ancienne et moderne, Paris, 1842, 45 vol.
DSB : Dictionary of Scientific Biography, New-York, 1970-1980, 16 vol.
MPSJ : L. Lukacs, Monumenta paedagogica Societatis Iesu, Rome, 1965-1992, 7
vol.
1 Cet article constitue la version «revisitée» d'une communication faite dans le
cadre du symposium «Le Collège Romain : la diffusion de la science (1570-1620)
dans le réseau jésuite», lors du XIXe Congrès international d'histoire des sciences
(Saragosse, août 1993). Le travail qui a permis le passage du stade oral à cette ver
sion encore expérimentale a largement bénéficié de la patience, des conseils éclairés
et des remarques pertinentes de Romano Gatto et de Luce Giard. Qu'ils en soient re
merciés ici.
2 Pour ne prendre que les cinq dernières années, on peut citer les publications
suivantes : A. Krayer, Mathematik im Studienplan der Jesuiten. Die Vorlesung von
Otto Cattenius an der Universität Mainz (1610-1611), Stuttgart, 1991, 434 p.; U. Baldin
i, Legern impone subactis. Studi su filosofìa e scienza dei Gesuiti in Italia, 1540-1632,
Rome, 1992, 600 p.; R. Gatto, Tra scienza e immaginazione. Le matematiche presso il
collegio gesuitico napoletano (1552-1670 ca.), Florence, 1994, 392 p.; J. Lattis, Bet
ween Copernicus and Galileo. Ch. Clavius and the Collapse of Ptolemaic Cosmology,
Chicago, 1994; L. Giard dir. Les jésuites à la Renaissance. Système éducatif et product
ion du savoir, Paris, 1995; U. Baldini éd., Christoph Clavius e la scienza dei Gesuiti
nell'età galileiana. Atti del Convegno internazionale di Chieti (aprile 1993), Rome, 1995.
Cette liste qui ne prétend pas l'exhaustivité ne rend pas compte des articles
publiés sur ces mêmes questions dans le cadre de colloques ou d'ouvrages plus géné
raux.
3 Les guillemets qui accompagnent cette expresion font écho au débat en cours
chez les historiens des sciences sur la définition et l'approche du phénomène : on
pourra consulter P. Redondi, La révolution scientifique du XVIIe siècle : perspectives
nouvelles, dans Impact : science et société, 160, 1991, p. 405-415; E. Coumet, Alexan
dre Koyré : la Révolution scientifique introuvable?, dans History and Technology,
1987/4, p. 497-529.
4 Ces textes sont d'une part les Constitutions (pour l'édition française voir
Ignace de Loyola, Écrits, Paris, 1991) et le ratio studiorum dont la genèse a été retra
céepar L. Lukacs éd., Monumenta paedagogica Societatis Iesu, Rome, 1965-1992, 7
vol.
5 À titre d'exemple, sur la question du statut de l'expérience dans la physique jé
suite, la complexité des attitudes est analysées par M.-J. Gorman, Jesuit explorations
of the torrìcellian space : cap-bladders and sulphurous fumes, dans MEFRIM, 1994/1,
p. 7-32.
DU COLLÈGE ROMAIN À LA FLÈCHE 577
l'école dirigée par le grand humaniste Élie Vinet10 ne peut plus être sus
pectée d'accointances avec les protestants, en revanche l'ouverture du
collège jésuite suit la victoire du parti ligueur dans la ville, au moment
où la présence du prédicateur jésuite Edmond Auger contribue à attiser
un climat de lutte contre l'hérésie11.
Sur les premières années du fonctionnement de la Madeleine les
données d'archives sont rares et permettent difficilement de suivre l'essor
des activités pédagogiques de l'établissement : les premières leçons sont
données en octobre 1572, quelques tensions bloquent le bon déroulement
des cours jusqu'en 1575, puis la croissance de l'établissement va bon
train jusqu'en 1589. Pourtant, la crise politico-religieuse que connaît l'e
nsemble du Royaume dans cette période atteint particulièrement Bor
deaux et le collège de la Madeleine, conçu comme instrument de lutte
contre les hérétiques par les Ligueurs, associé à l'histoire de ce parti, en
essuie aussi les revers : à la suite de la défaite de la Ligue devant le parti
protestant en 1589, le collège est fermé et les pères expulsés, précisément
au moment où, la maturité aidant, auraient pu se développer des pra
tiques éducatives calquées sur un modèle central enfin défini par les dif
férentes versions du ratio studiorum. En lieu et place de cette croissance
paisible, l'équipe de Bordeaux doit se replier principalement sur Tou
louse et, dès qu'elle le peut, à partir de 1597, se réinstaller dans ses
locaux, tout en restant interdite d'enseignement jusqu'en 1603 12.
Pour la période 1572-1589, les contenus de l'enseignement philo
sophique sont mal connus. En 1584 pourtant, le catalogue du personnel
mentionne la présence d'un Anglais Richard Gibbons (Richardus Gib
bonus), dont la biographie intellectuelle présente un grand intérêt : ins
tallé depuis quelques années dans le prestigieux établissement de
Tournon, il est l'un des premiers élèves de Clavius, et à ce titre, l'un des
premiers spécialistes de mathématiques formés dans la Compagnie, à
Rome, puis envoyés, au gré des besoins, dans les collèges des différentes
provinces. Sa nomination à Tournon, depuis 1579, s'explique par la
nécessité de répondre à une exigence spécifique, inscrite dans le contrat
de fondation du collège, et concernant la tenue de leçons de mathémat
iques. S'il paraît difficile d'expliquer avec précision les causes de son
passage à Bordeaux, notons cependant qu'en cette année 1584, il
témoigne, de manière unique, de la tenue d'un cours de mathématiques
pour cette seule année à Bordeaux13. De plus, il a pour élève Antoine
Jordin, qui enseignera ultérieurement les mathématiques dans le même
établissement.
La prise en compte par les jésuites de Bordeaux de la spécificité du
contexte local dans lequel ils interviennent est exprimée officiellement
dans un document de 1586 : elle figure dans les commentaires qu'ils
adressent à Rome sur la première version du ratio studiorum. Réunis en
congrégation provinciale pour discuter le règlement élaboré sur l'initia
tive du général Aquaviva, les jésuites définissent plus précisément la
situation locale et soulignent les différences avec le modus romanus, ou
avec le modus parisiensis. Le cours de philosophie, écrivent-ils, ne dure
pas trois ans, comme à Paris, mais deux ans14. D'où l'adaptation du pr
ogramme ainsi pratiquée :
«Pendant ces deux années, on devra non seulement commenter la
logique, la physique, et la métaphysique, mais aussi l'éthique, les mathémat
iques et ce sera au même professeur de le faire (...) Car si nous voulons
porter la durée totale du cours de philosophie à trois ans, d'abord nous
irons contre les habitudes universitaires; ensuite nous ferons fuir tous les
externes de nos écoles. Car ceux-ci veulent absolument obtenir le grade de
maître en philosophie à la fin des deux années»15.
13 ARSI, Aquit. 9, III, fol. 52v-55r. Pour des informations complémentaires sur
le personnage voir A. Romano, op. cit.
14 MPSJ, 6, p. 286-288 : «Lutetiae quidem olim dabatur integrum triennium
curriculo philosophiae (...). In aliis vero Galliarum academiis, quae ex parisiensi ac-
caparunt, ut in burdigalensi et tolosana, nunquam philosophiae tributum est plus
quam biennum».
15 «In ipso biennio non solum logica, physica et metaphysica explicanda sunt,
sed etiam ethica et mathematica, et quidem ab eodem praeceptore (...). Quod si spa-
tium curriculi philosophi volumus ad triennium protrahere, primum contra mores
academiae faciemus; deinde omnes externos discipulos a nostris scholis abigemus.
Volunt enim illi praecise ad finem biennii gradum magisterii in philosophia repor
tare», dans MPSJ, 6, p. 288.
580 ANTONELLA ROMANO
16 Depuis 1583, le collège de Guyenne dispose d'un ordre des études. Voir Schola
aquitanica : programme d'études du collège de Guyenne au XVIe siècle, publié pour la
première fois par Elie Vinet, en 1583, et réimprimé d'après l'exemplaire de la Biblio
thèque Nationale avec une préface, une traduction française et des note par L. Masse-
bieau, Paris, 1886, 77 p. Pour un commentaire de ce texte pédagogique essentiel, voir
G. Codina Mir, Aux sources de la pédagogie jésuite. Le «modus parisiensis » , Rome,
1968, p. 192-206.
17 MPSJ, 6, p. 286.
18 Idem, p. 286.
19 Le programme de Guyenne précise en effet :
«Mathematicus postea, ab hora secunda ad tertiam. Quem ab Logistica Burdi-
galae edita curriculum suum incipere optimum duximus. Cui subjungit Pselli Ma-
DU COLLÈGE ROMAIN À LA FLÈCHE 581
DE GEOMETRIA fol. 1
Libr. (prim)um Euclydis definitionum 2
Petitiones sive postulata 4
Coeteres notiones, seu actiomata 4
Propositiones Libri primi 4
Praxes quaedam mathematicae 11
De Quadratura circuii 17
DE ARITHMETICA 21
De proporzione seu ratione 21
De proportionalitate 24
De officiis artis logisticae 24
DE ASTROLOGIA 28
Cap. (prim)um Quid sit sentiendum de astrologia judicaria 28
de considérer qu'il s'agit de deux séries de leçons, une partie de celles de l'année
1604, destinée aux étudiants de philosophie de première année, l'autre correspon
dant au cours suivant de 1605. Le second manuscrit, composé de deux volumes cor
respond au cours de logique, professé la première année : la table des matières du
premier tome (qui se trouve sur le second folio non numéroté) indique l'enchaîne
ment des leçons : une introduction générale sur les arts, puis dialectique, logique,
éthique. Le second tome comprend deux cours, chacun numéroté séparément : en
premier lieu, on traite du De anima (le cours est développé sur 197 folios et il s'
achève sur un index non paginé); ensuite, le cours porte sur la métaphysique, et l'étu-
diant-scribe a pris soin de préciser l'année 1606. À la fin des 166 folios de ce dernier
commentaire, se trouve de nouveau un index, numéroté cette fois, dans la continuité
de la pagination du cours. Pour finir, ce second tome présente une particularité : les
douze derniers folios (présentant une double numérotation, à la fois propre et conti
nuepar rapport au cours de métaphysique) se composent de deux annexes, l'une in
titulée De positiones ex universa philosophia depromptae (fol. lr à 7r), l'autre Theses
philosophiae (fol. 8r à 12r). Ce dernier document s'achève par ces mots «Agitatae
sunt 26 julii in coll. Burd. societ. Iesu praeside R.P. A.' Jord. 1606». Cette indication
chronologique permet donc d'affirmer que le cours ne s'est déroulé que sur deux an
nées scolaires, dont l'exercice des soutenances de thèses marque le terme officiel.
À partir de cette description, on peut donc reconstituer l'organisation du cours
de la manière suivante :
Année 1604-05 Année 1605-06
Dialectique (445,1) De Caelo (443)
Logique (445,1) Météores (443)
Physique (443) De generatione... (443)
Éthique (445,1) Mathématiques (443)
De anima (445,2)
Métaphysique (445,2)
24 Le choix des capitales d'imprimerie permet de rendre compte des têtes de
chapitres soulignées par le rédacteur avec les caractères plus grands.
MEFRIM 1995, 2 40
584 ANTONELLA ROMANO
Certes, l'ombre de Clavius plane sur l'ensemble du texte, dès ses pre
mières lignes. Mais Jordin a tendance à résumer et à tronquer. Ainsi, l'i
ntroduction (1 folio et demie) adopte le style et le démarche de Clavius. Sans
titre, elle constitue un bref résumé des Prolégomènes qui précèdent le com
mentaire des Éléments d'Euclide26 à partir de l'édition de 1574. La reprise,
presque mot à mot, des formules de Clavius ne laisse subsister aucun doute
sur la source d'Antoine Jordin, qui définit les mathématiques à partir de
l'étymologie grecque, avec les mêmes allusions à Pythagore et Platon.
Mais Jordin procède à une réduction extrême de ces Prolégomènes : si
Clavius se lançait dans une réflexion épistémologique, Jordin se contente
de reprendre la première partie du texte, presque exclusivement descript
ive. Il prend garde de prévenir son auditoire du caractère résumé et
incomplet de son propos, tout en le renvoyant aux autres parties de son
enseignement qui concernent le statut des mathématiques.
De même, pour la première partie, consacrée à la géométrie, Clavius
sert toujours de référence. Jordin suit, en le simplifiant systématiquement,
le commentaire du livre I des Éléments, avec les principales figures de Cla
vius. Pourtant, le rôle d'Antoine Jordin est loin de se limiter à cet exercice :
la partie géométrique de son cours comporte deux autres chapitres, Praxes
quaedam mathematicae (f. llv.) et De quadratura circuii (f. 17r.). Dans le
premier cas, il s'agit de travailler, à partir des livres II et III d'Euclide, quel
ques propriétés des figures géométriques traitées avec le compas. Puis,
Jordin clôt cette première partie avec la question, si débattue à la fin du
XVIe siècle, de la quadrature du cercle27.
Jordin n'avait aucune obligation de la traiter, d'autant que ces quel-
loppement sur Bryson d'Héraclée qui, chez Clavius, fait l'objet d'une brève
mention31. Jordin dispose donc d'une autre source, qui demande à être
identifiée.
La même remarque vaut pour Antiphon, que Clavius signale dans la
liste des mathématiciens célèbres, qu'il dresse dans ses Prolégomènes32 :
pour ce second sophiste les sources de Jordin semblent être Simplicius33 et
Pedro Nunès34, puisqu'il les mentionne lui-même. À propos d'Hippocrate
de Chios35, la dette envers Clavius apparaît plus nettement36.
Dans la suite du manuscrit sont mentionnés d'autres auteurs que
Jordin peut bien avoir lus directement. Le premier est Simplicius qui sug
gère à Jordin la liste des auteurs antiques par lesquels cette question a été
transmise37. Pour Campanus38, il est possible que Jordin ait eu directement
accès à son Tetragonismus, id est circuii quadratura39. Jean Borrel (1492-
1557), dont notre connaissance reste particulièrement superficielle40,
semble lui aussi appartenir à la bibliothèque aquitaine d'Antoine Jordin,
Clavius n'y faisant qu'une brève allusion dans la Geometria practica de
160441. Les trois livres de Jean Borrel ont été publiés en 1554, 1559 et 1560 à
Lyon42. Jordin a pu les lire : la première partie de l'ouvrage dédié à la qua
drature du cercle consacre de longs développements à Bryson, et pourrait
avoir servi de source au jésuite43. Enfin, si les travaux de Pedro Nunès sont
souvent cités par Clavius et particulièrement sa critique d'Oronce Fine44
sur la quadrature45, Jordin semble pourtant en avoir une connaissance
directe, comme le donnent à penser d'autres passages de son manuscrit.
À côté de Clavius et des lectures propres de Jordin, l'influence directe
d'Élie Vinet est nettement perceptible dans la partie arithmétique du cours
de Jordin, divisée en deux sous-parties. La première, sur les proportions,
tire ses références du livre V d'Euclide, la seconde, De officiis artis logis·
ticae, semble prendre ses sources ailleurs. Or, en 1583 Clavius avait rendu
disponible un bref traité d'arithmétique qui devait faire office de manuel
pour l'ensemble de la Compagnie46. Il est peu probable que ce manuel ait
été absent des bibliothèques jésuites dans le sud de la France. Si cette sup
position est exacte, elle signifierait qu'Antoine Jordin s'est délibérément
tourné vers d'autres auteurs. De fait, le terme même de «logistique», qu'il
emploie à différentes reprises, n'appartient nullement au vocabulaire de
Clavius. Remarque plus significative encore, c'est sous le patronage de
Psellus47 que se situent ces quelques pages48. Or, c'est Vinet qui fut le pre
mier éditeur du byzantin49. Si un doute devait subsister, il serait définitiv
ement balayé par le renvoi, dans le corps même du cours, au texte de Vinet,
De logistica libri très (f. 23r.). Jordin n'en tire pas des idées particulièrement
novatrices : le propos reste très général et cherche à expliquer, sur un mode
commun aux ouvrages contemporains, les quatre opérations. Mais à
Mayence, à la même époque, Otto Cattenius n'offre pas cet apprentissage
de base à ses étudiants : sans doute plus par mépris que par méconnaiss
ance. En outre, l'intérêt pour les problèmes arithmétiques est sensible
dans les milieux jésuites français, comme en témoignent les lettres adres
séesà Clavius, dans ces mêmes années50. La coïncidence chronologique
entre ces lettres et les centres d'intérêt d'Antoine Jordin à Bordeaux sug
gère donc une certaine «spécificité» française en matière de mathémat
iques. Le contexte local de savoir (ici, Vinet et son enseignement au col
lège de Guyenne) semble avoir suscité des interrogations propres et
marginales par rapport au travail romain.
Le manuscrit d'Antoine Jordin présente d'autres intérêts qu'il n'est pas
possible de développer ici51. L'intérêt de cette source est double : en termes
de rapport entre milieu jésuite et milieu local, elle révèle les facteurs et les
modalités d'une influence externe; du point de vue des relations entre un
jésuite et son institution, elle constitue la preuve d'une réelle liberté d'ac
tion, au cœur d'un dispositif pourtant fortement normalisé et contrôlé par
le centre. Cette étude suggère en effet que le contexte régional a pesé larg
ement sur l'attention portée par les père de la Province d'Aquitaine à la
situation des mathématiques dans leurs deux principaux collèges52. Il faut
donc considérer que, indépendamment des préoccupations romaines en
mathématiques, un professeur bordelais a pu développer ses interrogations
personnelles sur une série de problèmes qui l'intéressait particulièrement,
à partir de lectures propres : dans le cas de la quadrature du cercle, le pro
fesseur de mathématiques ne dépasse pas ses fonctions, puisqu'il ne se
À la fin des années 1580, les conditions sont réunies pour faire du col
lège de Clermont55, à Paris, le principal espace de promotion des mathémat
iques pour la France du Nord. Mais, l'attentat perpétré contre Henri IV, en
décembre 1594, rompt un processus engagé depuis trois décennies : l'acte
régicide de Jean Chastel, ancien élève des jésuites, provoque la décision du
Parlement de suspendre l'activité de la Compagnie. Ainsi, «tous les prêtres
et scolastiques du collège de Clermont et tous autres soy-disant de ladite
Société, corrupteurs de la jeunesse, perturbateurs du repos public,
ennemis du Roy et de l'Estat» sont enjoints de quitter Paris, ainsi que les
autres villes où ils avaient des collèges, dans les trois jours, et le royaume
dans les quinze jours, sous peine d'être punis comme coupables du crime
de lèse-majesté. Défense est faite, dans les mêmes termes, à tous les sujets
du Roi d'envoyer leurs enfants aux collèges des jésuites situés hors du
Royaume. Dans les premiers jours de janvier 1595, trente-huit pères et sco
lastiques quittent Paris, se dirigeant, pour la plupart, vers le collège de
Pont-à-Mousson, dans le duché de Lorraine, hors de portée de la juridic
tion du Parlement de Paris.
Or, dans cette périphérie du Royaume qu'est Pont-à-Mousson, une
conjonction exceptionnelle de facteurs permet d'envisager la reprise et l'a
pprofondis ement du projet parisien pour les mathématiques. Au nombre de
ces facteurs, il faut considérer en premier lieu le caractère prestigieux de
l'établissement, fondé en 1572 par le cardinal de Lorraine56, confié aux
jésuites et érigé dès cette date en université. C'est ce statut qui justifie, au
moins du point de vue du fondateur, l'inscription d'une chaire de mathé
matiques dans la liste des obligations de la Compagnie57. Le contexte géo-
continentur sequens pagella indicai ..., Paris, 1602, p. 6r : «In eo quoque adsint qua
tuor theologiae professores (...) ac très philosophiae régentes (...). Una itidem litera-
rum hebraïcarum et altera mathematicarum lectiones quotidie inibi legatur...».
Traduction :
«Que dans cet établissement il y ait aussi quatre professeurs de théologie (...) et
trois de philosophie (...) De même chaque jour on y fera une leçon d'hébreu et une
autre de mathématiques»
58 Sur l'histoire de Strasbourg, voir B. Rapp (dir.), Histoire de Strasbourg, Toul
ouse, 1987, p. 125-164.
59 Voir dans J. Sturm, Classicae Epistolae sive scholae argentinenses restitutae,
traduites et publiées par J. Rott, Paris-Strasbourg, 1938, 132 p., les différentes lettres
qui parlent des jésuites. Dès avant Pont-à-Mousson, le Gymnase de Strasbourg dis
pense un enseignement de mathématiques : voir Id., idem, lettre n° 17, p. 93. Le des
tinataire de cette lettre, Conrad Dasypodius, mathématicien, est l'auteur de la s
econde horloge astronomique de Strasbourg. Professeur de mathématiques et visiteur
de la Haute École à partir de 1562, c'est un défenseur acharné de Copernic, et l'un
des personnages les plus marquants du milieu intellectuel strasbourgeois de l'
époque.
60 Le milieu mussipontain paraît d'autant plus dynamique que la maison de Lor
raine, fortement liée aux jésuites, dispose dans ces années d'un mathématicien de
cour qui est connu de J. Chastelier et John Hay comme en témoignent diverses
lettres adressées à Clavius. Pour l'heure, je n'ai pu établir aucune biographie précise
du personnage, la bibliographie sur cette question étant fort indigente. Le recours
aux outils de recherche classiques n'a pas porté ses fruits : Dom Calmet, Biblio
thèque Lorraine ou Histoire des hommes illustres qui ont fleuri en Lorraine, dans les
trois Évêchés et dans le Duché de Luxembourg, Paris, 1751 ne signale pas ce mathém
aticien. La lettre n° 203 de Chastellier (Pont-à-Mousson, le 20 janvier 1603) y fait
une première allusion sans le nommer; la lettre n° 228 (Nancy, le 2 septembre 1604),
écrite par Jean Guéret parle de « Joanis Baptista Stabilis», mathématicien du Sere
nissime duc de Lorraine, surintendant des fortifications du duché; enfin, la lettre n°
273 de John Hay (Nancy, le 08 septembre 1607) y fait une dernière allusion : «Egi
cum D. Baptista de Stabilis de sua Demonstratione quam ipse perfectissimam existi-
mat ...».
DU COLLÈGE ROMAIN À LA FLÈCHE 593
63 Id., idem, p. 447; voir aussi L. Carrez, Catalogi sociorum et offtciorum Provin-
ciae Campaniae SJ ab anno 1616 ad annum 1662. Vol. Primum : Documenta praevia,
status quidam eorum Provinciae Franciae domiciliorum quae deinde ad Provinciam
Campaniam transmissa sunt, ab anno 1564 ad annum 1616, Chalons, 1897, p. 32, 33,
35.
64 J.-M. Prat, op. cit., p. 447, indique, sans se justifier, que c'est Nicolas Le Clerc
qui aurait assuré cette mission. Sur John Hay, les dépouillements des catalogues de
TARSI sont synthétisés dans le tableau qui figure en annexe. Cet itinéraire corres
pondà celui d'un homme qui a bénéficié de la formation mathématique de Clavius
et qui a été parmi les premiers, en France, à la diffuser. Pour une analyse plus pré
cise, voir A. Romano, op. cit.
65 Références ARSI : Gal. 53, fol. 87r.
66 Références ARSI : Franc. 10, fol. 20r.
67 Références ARSI : Franc. 10, fol. 78r.
68 Références ARSI : Franc. 10, fol. 145v et 161v.
69 Références ARSI : Gal. 56, fol. 230r-231v, Historia Instituti Coltegli Mussipon-
DU COLLÈGE ROMAIN À LA FLÈCHE 595
tani : «...ab anno 1581, unum scripturam, duo scholasticam theologiam, unum ca-
sum conscientia, tria philosophiam, sex humaniorum literarum cum tarnen e Bulla
erectionis Universitatis ad quinque solum obligemur (...) Lectio hebraica ob deser-
tum auditorum diu intermissa fuit. Denique superiores pro tempore arbitrati sunt
sufhciet qua de mathematicis disciplinis professons quotannis tradire soient ad sa-
tisfaciendum lectionis numerum in bulla praescriptae. Numerat autem jam Societa-
tis collegium 65 personarum (...) (231v) R.P. Laurentino Maggio visitator in visita-
tione Collegii julio et sequentibus mensibus facta (...) diligentiae examinavit et ap-
probavit, multa circa praxim studiorum dubia resolvit; resumpta quoque est diu
intermissa (ut dictum est) lingua hebraica lectio, et sperandum brevi separata ma-
thematicarum schola non defutura...».
70 C'est aussi ce que l'historiographie a retenu : dans sa thèse consacrée à l'U
niversité, E. Martin, bon connaisseur par ailleurs des sources jésuites, n'hésitait pas
à écrire que «la bulle pontificale d'érection demandait une leçon de mathématiques
par jour; jusqu'en 1611, ce fut le professeur de philosophie qui la donna dans la s
econde année du cours; les sciences exactes étaient, du reste, comptées par Aristote
au nombre des parties de la philosophie... En 1611, une chaire spéciale fut créée et
confiée au P. Lallemand. Cette innovation est à signaler...» (L'Université..., op. cit.,
p. 323). On ne peut que remarquer à quel point cette vision est éloignée de la réalité
mussipontaine.
71 Diarium Universitatis..., op. cit., col. 86 : «Eodem anno mensis januari die 20
(1595) venerunt Mussipontanum e Parisiensi Collegio et Domo professa supra qua-
draginta de nostris ...».
72 Parmi les outils biographiques qui permettent d'identifier les membres de la
596 ANTONELLA ROMANO
77 Fol. 151r-170v.
78 II est important de noter qu'à cette date la Compagnie n'a pas encore total
ementengagé la production des ouvrages de base constituant le commentaire du cor
pus aristotélicien, comme elle n'a pas encore engendré le texte normatif indiquant la
manière de lire Aristote. Les commentaires de Toleto à la Logique, à la Physique, au
De generatione et au De anima paraissent entre 1572 et 1575; Fonseca se lançait dans
le projet des Conimbricenses dont les premiers volumes paraissaient en 1592. Sur la
genèse précise et le calendrier editorial, voir A. Dinis, Tradiçào e transiçào no Curso
Conimbricense, dans Revista portuguesa de filosofìa, 1991/4, p. 535-560.
C.H. Lohr insiste sur la nouvelle liberté que confère à la Compagnie l'existence
de ce corpus : il voit dans l'attitude d'ouverture du nouveau général Claude Aquaviva
(1581) à l'égard des textes médiévaux (Thomas, Albert, Alexandre, Themistius, Sim-
plicius, Aweroès à travers de commentaire de Jandun, Burley, Paul de Venise, Zima-
ra, Nifo) une expression de cette liberté. C.H. Lohr, Jesuit Aristotélianism and Six-
teenth-Century Metaphysics, dans Paradosis. Studies in Memory of Edwin A. Quain,
New-York, 1976, p. 203-220.
79 J. P. Donnelly, Padua, Louvain and Paris. Three case studies of University-
Jesuit Confrontation, dans Louvain Studies, 1990, p. 38-52.
80 Bibliothèque Sainte-Geneviève, ms 265, fol. 191r.
598 ANTONELLA ROMANO
MEFRIM 1995, 2 41
600 ANTONELLA ROMANO
les parties du monde. De plus, elle désigne des sujets d'étude susceptibles
de mettre en évidence les travaux d'un groupe français à la charnière des
deux siècles. Enfin, elle constitue un précieux témoignage des échanges en
œuvre dans un même tissu régional : elle permet d'identifier des mathémat
iciens qui se soumettent mutuellement des problèmes nouveaux, ou des
solutions nouvelles à des problèmes anciens et elle souligne la place
occupée par le collège jésuite dans cette relation. Seule la réputation de
l'établissement et de ses maîtres peuvent justifier une démarche telle que
celle rapportée ici par Chastelier.
Mais c'est avec la troisième lettre que se manifeste le plus nettement
l'envergure mathématique de Jean Chastelier. Là, comme dans la dernière
de ses lettres à Clavius, postérieure de six années, se trouve définie avec
une certaine précision la culture mathématique du professeur au travers
des différentes allusions à ses dernières lectures : l'allemand Scheubel,
dont le traité d'arithmétique est qualifié de «court et obscur»90, Pedro
Nunès91, Jacques Peletier du Mans92, Viète dans la querelle qui l'oppose à
Clavius au sujet de la réforme du calendrier. Là surtout se révèle un intérêt
pour les questions algébriques qui semble vraiment caractériser Chastelier.
Car ces deux lettres présentent d'évidentes qualités, tant du point de vue
des questions posées à Clavius que pour les solutions apportées. Le pre
mier problème traité est précisément extrait d'un des ouvrages d'arit
hmétique de Scheubel93. Il concerne la répartition des bénéfices entre trois
97 L'algebre de laques Peletier du Mans, départie an deus livres, A très illustre Sei
gneur Charles de Cosse Maréchal de France, Lyon, Ian de Tournes, 1554, 229 p.
98 Libro de algebra eu arithmetica y geometria..., op. cit.
99 Op. cit.
100 C. Clavius, Corrispondenza, op. cit., vol. V, 1, p. 69.
101 C. Clavius, Corrispondenza, op. cit., vol. VI, 1, lettre 300, p. 116-127.
102 Pour Bombelli (1526-1572), voir DSB, 1, p. 279-281 : son Algebra est publiée
en 1579. Pour Cardan (1501-76), voir DSB, 3, p. 64-67 : son premier texte, Practica
DU COLLÈGE ROMAIN À LA FLÈCHE 603
cédentes répondre à ses attentes103. C'est sans doute aussi avec une certaine
déception que, ayant reçu le traité tant attendu de Clavius, son Algebra de
1608, il constate qu'aucune solution ne lui est apportée par Rome!
Manifestement, dans sa tentative de réduire en équation tous ces pro
blèmes, il a développé tous ses efforts puisqu'en 1609, il se montre capable
de résoudre un problème du même genre avec deux associés104.
On est tenté de faire le rapprochement entre ces références mathémat
iques de Chastelier et celles de John Hay, lui aussi correspondant de Cla
vius dans cette période105 : l'insistance sur l'algèbre de Clavius, les lectures
arithmetice date de 1539, puis YArtis magnae, sive de regulis algebraicis... lui succède
en 1545, etc.
103 En effet, les algébristes italiens sont parvenus à résoudre des équations du
type x3 +/- px +/- q = 0. Malgré le caractère élaboré de cette équation, celle à laquelle
Chastelier parvient pour son problème de marchands est du type ax3 + bx2 + ex = d.
104 C. Clavius, op. cit., vol. VI, 1, p. 117.
105 Cette correspondance, encore moins abondante que celle de Chastelier se
compose de quatre lettres : C. Clavius, Corrispondenza..., op. cit., vol. V, 1, p. 73 et
152-153; vol. VI, 1, p. 53-54 et 62-63. Elles couvrent une période tardive et brève par
rapport à notre propos, de 1603 à 1607. Mais les informations qu'elles recèlent per
mettent de mieux identifier la nature de la relation qui s'est progressivement établie
entre les deux hommes. Dans cette économie de l'échange, les rapports ne de
meurent pas unilatéraux : profitant d'une de ses missives, John Hay demande à Cla
vius où en est son propre projet d'édition d'un ouvrage d'arithmétique, annoncé de
puis la parution, en 1583, de l'Epitome arithmeticae practicae. Ailleurs, il explique de
quelle manière il s'est procuré les derniers ouvrages de Clavius. L'aspect sans doute
le plus intéressant de ces lettres réside dans la culture mathématique qu'elle sous-
tend de la part de J. Hay :
«Que n'avez-vous édité votre grande arithmétique, promise depuis tant d'an
nées, pour qu'au moins on ait pu adapter les démonstrations du livre 10 d'Euclide
aux nombres. Car on ne trouve pas Stifel chez les libraires et l'homme est ver
beux.. ».
Un thème assurément récurrent de ces lettres est bien celui de l'arithmétique,
qu'il évoque à travers ses dernières lectures et en développant quelques réflexions au
sujet des besoins en matière editoriale :
«J'ai lu différents ouvrages d'arithmétique, dont aucun jusqu'à présent ne m'a
plu, Guillaume Gosselin, qui n'est pas un mathématicien ignorant, a bien tenté quel
quechose, que la mort ne lui a pas permis d'achever. Bernard Salignac recommande
chaleureusement Balthasar Gerlach (...) comme un grand algébriste, qui a beaucoup
écrit en Allemagne. S'il existait une édition parfaite des œuvres de Diophante, on dis
poserait alors d'une aide précieuse pour comprendre parfaitement l'arithmétique».
Dans les années qui suivent, il reprend ce thème, faisant de nouveau allusion à
ses lectures : «Quant à moi, j'ai regardé l'un des livres de Tartaglia, que vous n'omett
ez pas de mentionner dans votre commentaire d'Euclide (je n'en ai pas vu la der
nière édition), ce qui m'a réellement paru admirable. (...) J'ai regardé Nunès, Tartag
lia,Gosselin, Stifel, Salignac, Scheubel, Peletier et d'autres. De tous, c'est Stifel qui
604 ANTONELLA ROMANO
m'a paru le meilleur, mais il écrit tout sans ordre et il a besoin d'un traducteur...».
L'idée d'une convergence entre les centres d'intérêt de Chastelier et ceux de Hay
n'est donc pas totalement infondée.
106 voir sa lettre du 20 janvier 1603.
107 La première de ses publications, In artem analyticem isagoge, est éditée à
Tours en 1591. Elle est suivie, en 1593 des Zeteticorwn libri quinque. Les autres textes
sont postérieurs : c'est donc dire que, d'un point de vue strictement chronologique,
les ouvrages de Viète pouvaient être connus de Chastelier : mais pourquoi ne les au
rait-il donc pas cités, alors qu'il a nommé les autres?
108 C. Clavius, Fabrica et usus instrumenti ad horologium descriptionem perop-
portuni ..., 1586.
109 II s'agit de Christoph Grienberger et de Odon de Maelcote, les deux plus
proches collaborateurs de Clavius au Collège Romain.
DU COLLÈGE ROMAIN À LA FLÈCHE 605
110 C'est à lui que revient de publier le premier ouvrage mathématique jésuite de
la France, avec le Discours de la comète qui a paru aux mois de novembre et décembre
1618, Reims, 1619 et réédité sous le titre Très excellent discours sur les observations de
la comète ...avec les figures célestes, selon l'astrologie et mathématiques, Paris, 1619.
111 Les dépouillements d'archives permettent de reconstituer, avec des blancs, l'
itinéraire de Jacques Guernissac : 1590 : (Carrez), novice à Verdun; 1596-97 (Carrez;
Franc. 22, fol. 14v), étudiant en théologie à Pont-à-Mousson; 1597-98 (Carrez), étu
diant en théologie au même endroit; 1598-99 (Carrez; Franc. 22, fol. 16v), professeur
de grammaire au même endroit; 1599-00 (Carrez; Franc. 10, fol. 197r), prêtre en 3e
année à Saint-Nicolas-du-Port; 1600-01 (Carrez; Franc. 10, fol. 202v) professeur de
logique à Pont-à-Mousson; 1601-02 (Carrez), professeur de physique au même en
droit; 1602-03 (Carrez; Franc. 22, fol. 26r), professeur de métaphysique, au même
endroit; 1603-04 (Carrez), professeur de logique au même endroit; 1604-05 (Carrez),
professeur de physique; 1605-06 (Carrez, Franc. 22, fol. 31v), professeur de méta
physique et mathématiques; 1607 (Franc. 22, fol. 39r), tâches administratives à La
Flèche; 1608 (Franc. 22, fol. 47r), professeur de mathématiques; 1609 (Franc. 22,
fol. 58r-v), professeur de mathématiques au même endroit; 1610 (Franc. 22, fol.
60r), professeur de casuistique et de mathématiques; 1611 (Franc. 10, fol. 275r),
idem; 1611-1622, présent à Rennes (Franc. 10, fol. 356v; Franc. 22, fol. 13v; Franc.
22, fol. 94r; Franc. 41; Franc. 22, fol. 136; Franc. 22, fol. 33r; Franc. 22, fol. 182v;
Franc. 22, fol. 188v; Franc. 22, fol. 126r). Voir en outre P. Delattre, op. cit., article
«Rennes».
606 ANTONELLA ROMANO
seconde fois, les catalogues indiquent qu'il enseigne aussi les mathémat
iques. Cette esquisse biographique appelle deux remarques : il apparaît
évident que la formation mathématique de la jeune recrue s'est effectuée à
Pont-à-Mousson, où se trouve Chastelier; rien, en outre, ne dit qu'avant
1605, alors que le ratio studiorum de 1599 commence à entrer en vigueur
dans le collège, il ne se -soit déjà pas livré à cet enseignement, en tant que
professeur de philosophie, sans que les catalogues le précisent.
L'itinéraire de Louis Lallemant112, plus jeune, présente des caractéris
tiques similaires : entré dans l'ordre en 1605, il entreprend à Pont-à-
Mousson son cursus de philosophie (1607-1610) puis de théologie (1610-
14) : encore une fois, sa formation intellectuelle s'est opérée dans la
Compagnie. Aussi le cours de mathématiques qu'il dispense parallèlement
à ses études de théologie, est sans doute le fruit de l'enseignement prodigué
par de J. Chastelier, de nouveau présent dans le collège entre 1609 et 1613.
De même, Jean Leurechon, malgré l'opposition formelle de son père,
médecin du Duc de Lorraine, rejoint lui aussi la Compagnie en 1609, à l'âge
de dix-huit ans. Etudiant en théologie en 1611-1614, il est le contemporain
de L. Lallemant, mais en retard d'un an sur lui. C'est en tous cas le jeune
Leurechon qui succédera à Lallemant dans la prise en charge du cours de
mathématiques de Pont-à-Mousson en 1614-15113 et qui occupera cette
charge pendant de nombreuses années, assurant à l'établissement une
sente un double intérêt, non seulement parce qu'elle confirme des compét
encespour l'enseignement des mathématiques, que les archives mussipon-
taines permettaient de suggérer, mais parce qu'elle renforce le lien entre
Guernissac et Chastelier, inscrivant ainsi l'histoire de l'essor des mathémat
iques à La Flèche dans la continuité de la situation lorraine. L'année sui
vante (1608-1609), c'est la même situation qui prévaut131, même si Chastel
ier a retrouvé Pont-à-Mousson, pour quelques temps. Pour des raisons
d'ordre interne, le professeur de mathématiques ne peut continuer à
s'adonner à cette tâche132, ce qui conduit ses supérieurs à nommer dès
1610-11, un remplaçant provisoire, Nicolas Laplace133. Ce Dijonnais d'ori
gine est plus précisément décrit dans le catalogus primus de la même
année134, mais c'est surtout une lettre du provincial de France au général
Aquaviva, en date du 6 juin 1611, qui éclaire la situation fléchoise de
manière inattendue : à propos de l'enseignement des mathématiques, il
parle de la difficulté, qui n'est pas des moindres, à pourvoir ce poste, du
fait du manque d'hommes suffisamment compétents et susceptibles de
l'enseigner dignement. Il se permet en outre de porter un jugement sur
131 Le catalogus brevis (ARSI : Franc. 22, fol. 58r-v), bien que fortement entamé
par les souris, permet de deviner la présence de Jacques Guernissac, suivi de la ment
ion «...Mathematicarum».
132 On peut penser que c'est principalement pour des raisons de manque de per
sonnel : aussi, sa nouvelle affectation doit-elle être jugée plus importante. Il est nom
mé confesseur avant d'être envoyé en Bretagne, à Rennes où l'attend une carrière ad
ministrative.
133 En 1609-10, le catalogus brevis (ARSI : Franc. 22, fol. 60v-61r) signale tou
jours «Jacobus Guerisacius, Professor casuum mathematicarumque». En revanche,
l'année suivante, 1610-11, le catalogus brevis (ARSI : Franc. 22, fol. 71v-72) ment
ionne toujours la présence de «Jacobus Guerisacius, prof. Casuum, confessarius » et
il ajoute Nicolas Laplace, comme professeur de mathématiques, et étudiant en se
conde année de théologie.
134 Franc. 10, fol. 275v : âgé de 32 ans, il est entré dans la Compagnie quinze ans
auparavant. Il y a effectué des études de rhétorique (1 an), de philosophie (3 ans), de
théologie (2 ans). Puis, il est signalé pour avoir enseigné la grammaire (1 an), la phi
losophie (6 ans), les cas de conscience (2 ans) et les mathématiques (1 an). Il a ob
tenu son grade de maître es arts à Pont-à-Mousson. Mais aucun des catalogues pub
liés par L. Carrez, op. cit. , ne le mentionne dans ce collège. Il faut rappeler que les
registres du personnel des différents établissements jésuites se composent de cata-
logi breves (listes simple des personnes présentes avec une brève mention de leur
fonction dans l'établissement), ou triennales, qui eux-mêmes se divisent en primi
(avec une notice biographique standardisée, qui indique les principaux éléments de
la biographie des membres de la Compagnie) et secundi (qui constituent la partie
«psychologique» de ces biographies).
612 ANTONELLA ROMANO
ledit Nicolas Laplace, auquel a été attribuée cette fonction, et qui au total
n'est parvenu ni à enseigner vraiment les mathématiques, ni à se consacrer
à ses propres études de théologie. Devant ce bilan négatif, le provincial
demande au général de réfléchir à une solution honorable pour l'établisse
ment135.De fait, l'année suivante cet enseignement se trouve provisoir
ement suspendu136, jusqu'à l'arrivée de Jean François, qui occupe le poste
jusqu'en 1617. Si donc on cherche à reconstituer les listes des professeurs
de La Flèche pour cette période on aboutit au résultat suivant :
135 ARSI : Franc. 2, fol. 325v : «Ceterum circa mathematicas disciplinas quidem
notaret RVa non mediocrem difficultatem ob inopiam professorum qui et eas probe
callerent et pro dignitate docere possent. Quo factum dicebar ut earum lectionem
domandali P. Nicolo Laplace secundi anni theologo. Hunc vero aiunt profunda qui
dem eruditionis, et ingenii sagacissimo sed illum neque mathematicas vere docuisse,
neque studiis theologis dedisse operam...».
136 ARSI : Franc. 2, fol. 341v.
DU COLLÈGE ROMAIN À LA FLÈCHE 613
- logique : L. Lallemant137
- mat. : J. François
En 1616-17 (ARSI : Franc. 22, fol. 128r.)
- métaphysique : J. Bruan
- physique : L. Lallemant
- logique : N. Deniau
- mat. : J. François
En 1617-18 (ARSI : Franc. 22, fol. 134r.)
- métaphysique + mat. : L. Lallemant
- physique : J. Deniau
- logique : J. François138
137 C'est la même liste qui est publiée dans J. Sirven, Les années d'apprentissage
de Descartes (1596-1628), Albi, 1928, p. 42-43.
138 II est remarquable que la plupart des hommes qui se trouvent sur cette liste
sont passés par Pont-à-Mousson, H. Nicquet, E. Noël, F. a Sancto Remigio, F. Véron,
G. Moret. La plupart d'entre eux a pu y rencontrer J. Chastelier. Voir, pour les data
tions précises, L. Carrez, op. cit., ad hominem.
139 Cette pratique, répandue dans les dernières décennies du XVIe siècle, avait
suscité une vive indignation de la part de Clavius, à Rome : elle rendait impossible,
d'après lui, une formation sérieuse sur le plan mathématique. Il avait donc lutté
pour obtenir une dérogation pour les étudiants de son académie : ceux-ci avaient re-
614 ANTONELLA ROMANO
MEFRIM 1995, 2 42
616 ANTONELLA ROMANO
nettes errantes autour de Jupiter, faicte l'année d'icelle par Galilée, célèbre
mathématicien du grand duc de Florence15*. Ce poème, qui ne présente
aucun intérêt sur le plan astronomique, peut difficilement être utilisé pour
illustrer l'activité scientifique de La Flèche dans cette période155. En
revanche, il fait allusion à un événement antérieur de quelques semaines,
la réception de Galilée au Collège Romain, par Clavius et ses élèves, à la
suite de sa découverte des satellites de Jupiter et de sa publication du Side-
reus Nuntius156. L'accueil dont il a fait l'objet, en mai 1611, nous est connu
diem cognitos, novissime Author deprehendit primus; atque Medicea Sidera nun-
cupandos decrevit, Venise, T. Baglionum, MDCX.
157 Le manuscrit de ce récit se trouve à la Bibliothèque Apostolique Vaticane,
sous la cote Barb. lat. 231, fol. 177r-182r; pour la version imprimée, elle a été intégrée
par A. Favaro dans l'édition nationale de Galilée, Opere, vol. III, 1, 1900, p. 293-298.
On sait que, dans les mois suivants, Bellarmin adressa une lettre à Clavius pour lui
demander son opinion sur les découvertes de Galilée {op. cit., vol. XI, p. 87-88). La
réponse de Clavius reconnaît la validité de l'ensemble des propositions du mathémat
icien florentin (op. cit., vol. XI, p. 92-93).
158 Si l'on considère notamment les propos de J. Sirven sur cette question, on ne
peut qu'être frappé par le décalage entre source et interprétation : «Si Descartes
conçut dès lors le désir de réaliser des choses extraordinaires au moyen des lunettes,
il l'alimenta bientôt par la lectures des livres qui traitaient des sciences «les plus
curieuses et les plus rares», J. Sirven, op. cit., p. 50.
159 Ces poèmes sont reproduits et analysés dans B. Iezzi, Un gesuita estimatore
napoletano di Galilei : P. Costanzo Pulcarelli, dans Galileo e Napoli. Atti del convegno,
Napoli, 12-14 aprile 1984, a cura di F. Lomonaco e M. Torrìni, Naples, 1987, p. 141-157.
L'auteur de l'article insiste lui aussi sur le caractère littéraire des deux épigrammes,
plus apologétiques vis-à-vis de Cosme II que soucieux de références scientifiques ou
de glorification de Galilée.
wo François II, père de Marie, laisse le duché de Florence à son frère Ferdinand,
en 1587. Celui-ci règne jusqu'en 1609, et c'est Cosme II, son fils qui lui succède à
cette date.
DU COLLÈGE ROMAIN À LA FLÈCHE 619
161 Le texte est publié à La Flèche, chez L. Hébert, en 1622. Il est reproduit dans
C. de Rochemonteix, op. cit., 2, p. 219-250.
162 A cette date, il est tenu par Ph. Simon : voir K.A.F. Fischer, op. cit., p. 60.
163 C. de Rochemonteix, op. cit. , p. 244.
620 ANTONELLA ROMANO
164 Celui-ci est rédigé par le P. Wapy et le texte est publié à Pont-à-Mousson, en
1623.
165 Le P. Wapy fait au début de son récit la description du char de la fontaine des
science, allégorie vivante de la hiérarchie des savoirs (p. 12), puis il décrit le défilé
des physiciens avec le globe terrestre (p. 21). Enfin à propos des exercices de thèses,
il raconte :
«Les mathématiciens firent merveille, comme il se voyait en leur programme,
que j'insérerais ici volontiers si la longueur ne m'en empêchait. Seulement dirai-je ce
mot qu'à chaque heure ils entreprenaient matière nouvelle, conformément à la célé
brité; par exemple, à l'occasion du siège de Pampelone ou S. Ignace receut la bles
sure qui lui occasionna sa conversion, ils disputaient de l'art d'affaiblir et défendre
une place fortifiée selon les règles de l'art (...). Et parce que ces deux saints sont
comme deux étoiles nouvelles au firmament de l'Eglise, ils mettaient sur le tapis plu
sieurs questions, touchant les nouvelles étoiles et comètes remarquables. Et ainsi
des autres parties des mathématiques» (pp. cit., p. 39-40).
166 Celui-ci fera l'objet d'une étude spécifique postérieure.
DU COLLÈGE ROMAIN À LA FLÈCHE 62 1
167 Sur sa vie et son œuvre, voir C.-G. Collet et J. Itard, Un mathématicien hu
maniste, Claude-Gaspar Bachet de Méziriac (1581-1638), dans Revue d'histoire des
sciences, 1947/1, p. 26-50; DSB, 1, p. 367-368.
we Voir DSB, 4, p. 111-119, pour Diophante. La traduction de Bachet est publiée
à Paris en 1621.
169 Le sous-titre de cette première édition est particulièrement éclairant : Très-
utiles pour toutes sortes de personnes curieuses, qui se servent d'arithmétique. Cette
première édition est devenue rare : il n'en existe en France qu'un seul exemplaire,
conservé à la Bibliothèque nationale de France, sous la cote Rés. V. 2065.
170 Id., idem, éd. de 1612, p. 38.
622 ANTONELLA ROMANO
Antonella Romano
1. Jean Chastelier
Pour une présentation biographique sommaire, voir L. Carrez, op. cit., ad ho-
minem; C. Sommervogel, op. cit., 9, col. 33; Ch. Lohr, op. cit., 1975, p. 704-705.
2. John Hay
Pour une présentation biographique sommaire, voir L. Carrez, op. cit., ad ho-
minem; C. Sommervogel, op. cit., 4, col. 161-166.
dates source type lieu texte ou informatio
1577-76 Carrez lettre Pont-à- Venit ex Polonia M. J. Hay, est Mussi-
Mous- pontini, ubi mense octobri cum Dei
son gratiam incipiet curriculum philoso-
phiae
1576-77 Carrez idem lecteur de logique
1577-78 Carrez idem lecteur de physique
1578-79 Carrez idem études de théologie
1580-81 Franc. 1, lettre Paris Le général s'adresse à J. Hay sur son
68v incartade avec les calvinistes
1584 Lugd. 12, catalogue Tour- P. Ioannis Hayus, scotus, diocesis
17v primus non Abirdonense, annos 38, valetudina-
rius sed animosus, admissus Romae
24 janu. 1566, studuit Abirdoniis et
Lovani philosophiae extra soc. 1565.
Docuit philosophiam Mussipontani
et Burdigalei, spheram Parisiis, theo-
logiam, casus cons, et mathem. Turn.
4 annos.
1586-87 Lugs. 13, catalogue Tour- professeur de théologie
lv brevis non
1587-88 Lugd. 13, idem idem idem
3r
1588-89 Lugd. 13, idem idem idem et professeur de mathématiq
5r ues
1589-90 Lugd. 13, catalogue Tour- professeur de théologie et de mathé
7r brevis non matiques, profès des quatre vœux
1591-92 Lugd. 13, idem idem professeur de théologie
9r
1592-93 Lugd. 18, idem Lyon idem
I, 25r
1593-94 Lugd. 18, idem Lyon idem
I, 41r
Entre 1595 et 1606, J. Hay se trouve
dans la province flandro-belge, à
Louvain, Liège, puis Anvers
1607-08 Carrez Pont-à- Chancelier de l'université, préfet des
Mous- études supérieures et consulteur.
son Mort
MEFRIM 1995, 2 43