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La psychiatrie au Maroc.

Histoire, difficultés et défis


Fatima-Zahra Sekkat, S. Belbachir
Dans L'information psychiatrique 2009/7 (Volume 85), pages 605 à 610
Éditions John Libbey Eurotext
ISSN 0020-0204
DOI 10.1684/ipe.2009.0515
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L’Information psychiatrique 2009 ; 85 : 605-10

LETTRE DU MAROC

La psychiatrie au Maroc.
Histoire, difficultés et défis

F.Z. Sekkat
S. Belbachir

Introduction cine maghrébine et arabo-islamique des temps passés pour


autant qu’elle aura été tout à la fois l’héritière du natura-
Au Maroc, les troubles mentaux ne commencent que lisme et du rationalisme de la médecine gréco-romaine et
récemment à figurer parmi les priorités du système de du profond humanisme et spiritualisme de l’islam.
santé. L’assistance psychiatrique dans l’Africa chrétienne
En effet, les préoccupations du ministère de la santé sera marquée du sceau de ces grands élans de charité
étaient surtout orientées vers d’autres priorités sanitaires chrétienne qui plus tard et, longtemps encore dans
(protection mère-enfant, planification familiale, maladies l’Empire byzantin, contribueront à adoucir le sort des
épidémiques, lutte antituberculeuse, vaccinations…), et aliénés en leur offrant soulagement et réconfort, et l’ins-
la psychiatrie demeurait le parent pauvre de la médecine. titution de quartiers d’hospices spécialement réservés à
Ce n’est que depuis peu que la psychiatrie émerge parmi leur intention. Il faudra attendre l’époque arabe pour voir
les principaux objectifs de santé au Maroc. Il s’agit d’un la médecine faire le bond en avant que l’on sait, d’abord
sursaut des autorités certes de survenue tardive, mais dans l’Orient arabe, du temps des califes Omméïades puis
toujours est-il que la volonté d’améliorer la prise en charge Abassides, puis dans l’Occident arabe dès les IXe et XIe
des malades mentaux est là. siècles à Kairouan.
Après un aperçu historique de la psychiatrie au Maroc,
nous tenterons de faire un état des lieux et de recenser les L’époque arabe : les pionniers
obstacles et les limites de cette pratique. de la psychiatrie au Maghreb
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L’islam a émergé au carrefour des grandes civilisations
Un passé glorieux et religions qui l’ont précédé. Il commandera des siècles
durant l’essor prodigieux des sciences, des lettres et des
De la préhistoire à l’époque arabe arts, des rives de l’Indus à ceux de l’océan Atlantique.
Les savants arabes embrasseront toutes les branches
Les prémisses de la médecine maghrébine remontent du savoir et accorderont immanquablement aux choses de
à la préhistoire avec des pratiques magico-religieuses l’esprit une part constante et dominante dans la vie et la
édifiées par l’homme pour attirer sur les siens les bienfaits destinée des êtres humains.
des divinités, soulager la souffrance et conjurer le mauvais L’islam a depuis longtemps régi l’administration des
sort. Les concepts de folie, et de là des soins à accorder biens des malades mentaux, en recommandant expres-
aux aliénés, évolueront en fonction des idéologies, du sément de les colloquer et de chercher à les guérir. La
niveau des connaissances et de la prééminence de la raison psychiatrie a su tirer profit des valeurs islamiques de
sur le mythe et vice-versa. Il en sera ainsi pour la méde- charité, de bonté, de miséricorde et de solidarité interhu-
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maines, renforçant ainsi patience, acceptation sereine des


malheurs, détermination et courage.
Hôpital universitaire Arrazi, CHU de Rabat-Salé La psychiatrie connut alors une avancée considé-
<fzsekkat@yahoo.fr> rable et fut pendant des siècles en avance sur le reste du
monde (VIIe au XIIe siècle). L’histoire de la psychiatrie a
Tirés à part : F.-Z. Sekkat été édifiée par d’éminents médecins d’expression arabe,

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F.Z. Sekkat

tels Ibn Sina (Avicenne), Ibn Omrane, Ibn Khaldoun, Ibn triques européens. Le bimaristane était ainsi construit au
Rochd (Averroès) ou Arrazi (Rhazès). Les auteurs persans milieu des villes, sur le modèle des maisons arabes tradi-
ou arabes s’illustrèrent notamment par des descriptions tionnelles, favorisant un mode de prise en charge commu-
cliniques de troubles mentaux variés et l’élaboration de nautaire. Ces maristanes étaient généralement gérés par les
théories étiopathogéniques rationnelles intégrant des « Wakf » sous contrôle de l’État. Les soins étaient gratuits
explications psychosomatiques. pour les indigents, et les familles de malades étaient même
Le Persan Arrazi (850-932), dont les grands hôpitaux assistées en cas de besoin. À la sortie, les patients rece-
psychiatriques des pays du Maghreb portent le nom, fut vaient un important pécule.
un grand psychosomaticien. Il fut le premier à évoquer L’évolution historique vit ces hôpitaux se dégrader pour
le terme « El Illaj El Nafsani » (psychothérapie). Ibn finir par n’abriter que des malades exclus, pour l’essentiel
Sina (980-1037), le prince des savants et le plus célèbre, des aliénés sans soutien familial ou jugés irrécupérables,
travailla sur les démarches diagnostiques et thérapeuti- dans des conditions déplorables.
ques. Il approfondira les relations du corps et de la pensée
« les remèdes psychiques doivent toujours aider la théra-
Le tournant du XVe siècle
peutique médicamenteuse et la compléter en accroissant
la capacité de résistance du malade ». Ishaq Ibn Omrane,
L’approche arabe des maladies mentales, en avance sur
premier représentant de l’école de Kairouan, auteur d’un
le reste du monde du VIIe au XIIe siècle, ne fera plus de
magistral traité de la mélancolie dans lequel il décrit avec
progrès.
précision les différentes formes cliniques des états dépres-
Dès le XVe siècle, la chute de l’empire islamique et
sifs et leurs origines, proposait des traitements chimio-
le retour en force de la géomancie, de l’astrologie, et des
thérapiques, psychothérapiques et sociothérapiques.
sciences occultes vont influencer l’approche diagnostique
Bien d’autres auteurs s’illustreront tels que Ibn Tofail,
et thérapeutique des malades mentaux. Le surnaturel et
Ibn Bajja (Avenpace), Ibn Jazzar, Ezzahraoui, Ibn Hazm,
l’irrationnel revinrent au-devant de la scène. L’assistance
Ibn Zohr…
aux aliénés sera dévolue aux marabouts. Les maristanes
Le grand essor de cette double médecine du corps et de
tomberont peu à peu en décrépitude et deviendront des
l’esprit en terre d’Islam ne pouvait nécessairement qu’être
asiles psychiatriques.
le fruit d’études théoriques et d’observations pratiques
fouillées, aussi bien dans l’Orient que dans l’Occident
arabes. Nombreux furent en effet les traités, ouvrages,
maximes, opuscules, épîtres qui seront rédigés au cours La période du protectorat
des siècles par les médecins arabo-islamiques à propos des
Au début du XXe siècle, le Maroc était très affaibli sur
relations du corps et de l’esprit, dans la triple perspective
le plan socio-économique et au bord d’une grave crise
diagnostique, prophylactique et thérapeutique.
politique. La seule université, vestige d’un passé glorieux,
était la Quaraouïne de Fès. Les maristanes n’étaient plus
La mise en place des « hospices pour aliénés » que des bâtiments délabrés et insalubres, et les conditions
de séjour y étaient totalement inhumaines. Au début du
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Les premiers hôpitaux du nom de bimaristanes (ou XXe siècle, il n’y avait donc aucun établissement moderne
maristanes) ont été créés à cette époque. Les bimaristanes pour malades mentaux, ni d’ailleurs pour d’autres types
(terme persan désignant étymologiquement un lieu – stane de malades.
– pour malades – bimar) accueillaient les faibles d’esprit, La pénétration étrangère au Maroc par le biais du
auxquels des donations charitables étaient réservées durant Protectorat permettra la réinitiation de l’assistance médi-
leur séjour et après leur sortie de l’établissement. cale et notamment psychiatrique. Le Maroc, suite aux
Le premier bimaristane fut celui de Damas, créé accords de 1912, connut deux zones de colonisation, à
par l’émir El Ouafid Ibn Abdelmalik en 707, puis celui savoir l’Espagne au nord et la France au sud.
de Bagdad en 765, Marrakech en 1190, Fès en 1286… La psychiatrie marocaine sous le protectorat français fut
jusqu’en Andalousie. développée par deux éminents psychiatres français, Lwoff
Le premier grand maristane en Afrique du Nord a été et Sérieux, qui avaient pour but de faire un état des lieux
édifié par le sultan Yacoub el Mansour à Marrakech au XIIe et d’établir un plan d’action pour l’amélioration de la santé
siècle, accueillant des médecins tels que Ibn Tofail, Ibn mentale. Plusieurs autres psychiatres et psychanalystes
Zohr, Ibn Rochd… Après les Almohades, les mérinides en français leur succédèrent soit pour visiter le pays comme
créèrent plusieurs autres ; le plus célèbre fut celui de Sidi Gaétan de Clérambault en 1915, soit pour exercer pendant
Frej (médecin andalou Frej AI Khazragi) à Fès, avec un quelques années à titre privé ou avec l’administration,
espace de musicothérapie pour apaiser les malades. comme R. Laforgue, M. Igert ou J. Bergeret. De ce fait,
Le confort et l’agrément des maristanes arabes étaient la psychiatrie française marquera pendant des décennies
souvent un modèle du genre pour les hôpitaux psychia- l’organisation de l’assistance psychiatrique au Maroc.

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La psychiatrie au Maroc

Ce n’est que bien plus tard, vers 1950, que le protectorat province d’au moins un service hospitalier public affecté
espagnol s’occupera de la psychiatrie au nord du Maroc, au seul traitement des malades mentaux, ou à défaut
mais les moyens furent limités. Un seul psychiatre espa- la création dans les hôpitaux généraux de services dits
gnol exerçait dans le nord, le docteur Alfonso Turegano. « d’accueil provisoire » où les malades mentaux peuvent
Le système de soins s’organisa en deux services ; un être admis aux fins de « mise en observation » pour une
service de première ligne, situé dans les hôpitaux généraux durée maximale de quinze jours. Enfin, il stipule que les
pour la prise en charge de certaines urgences ou dans des soins et les médicaments nécessaires au traitement des
dispensaires avec des consultations ambulatoires, et un malades placés sous surveillance d’un médecin de la santé
service de deuxième ligne destiné à recevoir les malades publique sont à la charge de l’état.
chroniques, les hôpitaux psychiatriques. Toutefois, l’application à la lettre des articles relatifs
Le plus ancien hôpital psychiatrique au Maroc reste à ce dahir reste limitée du fait du manque de moyens
l’hôpital de Berrechid, créé en 1920, « méga-asile » sur le humains et financiers.
modèle des asiles de la région parisienne. À la veille de L’assistance psychiatrique au Maroc comportait
l’indépendance, il était constitué de 15 services pouvant jusqu’en 1972 de sérieuses insuffisances, notamment en ce
accueillir jusqu’à 1 800 lits. qui concerne les moyens humains, l’infrastructure hospi-
Suivront d’autres institutions à travers les grandes villes talière et ambulatoire, l’absence totale d’une politique de
du royaume, à savoir l’hôpital Moulay Ismail de Meknès santé mentale fondée sur une planification à court, moyen
en 1923, l’hôpital Tit Mellil à Casablanca en 1924, le et long terme, avec des objectifs précis et une orienta-
Pavillon 36 au sein de l’hôpital Maurice Gaud (actuelle- tion bien déterminée, tenant compte de l’évolution de la
ment CPU Ibn Rochd) à Casablanca, un service au sein psychiatrie, des besoins du pays et des possibilités maté-
de l’hôpital de Marrakech en 1935, l’hôpital de Fès en rielles et humaines ainsi que de ses potentialités. Cette
1947. À Rabat, le service de psychiatrie d’accueil tempo- situation avait pour conséquences une stagnation de la
raire était situé à l’hôpital militaire Marie-Feuillet. Cette situation et une absence totale des perspectives.
unité sera transférée en 1963 à l’hôpital Arrazi à Salé, ville La circulaire du 23 avril 1974 vient compléter le dahir
mitoyenne de Rabat. Elle connaîtra un développement de 1959 et promeut la psychiatrie, tout en tenant compte
important sur plusieurs décennies. des données socioculturelles. Elle tente de décentraliser
En 1956, année de l’indépendance, il n’y avait aucun et désinstitutionnaliser la psychiatrie (démantèlement des
psychiatre marocain formé. hôpitaux psychiatriques de type asilaire).
En effet, cette circulaire assure la promotion des acti-
vités ambulatoires et la participation de l’entourage à la
Après l’indépendance : prise en charge, la construction d’unités psychiatriques
mise en place de la législation « légères », intégrées de préférence aux hôpitaux géné-
raux ou de spécialités, la mise en place d’un système de
Dès l’indépendance, les pouvoirs publics vont être collectes des données, la création de structures intermé-
confrontés à l’insuffisance des moyens, tant matériels diaires pour permettre la réinsertion et prévenir la chro-
qu’humains, de l’administration de la santé publique. Par nicité, la formation en santé mentale des généralistes, en
priorité par rapport à ceux œuvrant dans les services des
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ailleurs, il n’y avait pas de cadre juridique réglementant
le traitement et la protection des malades mentaux. Il leur soins de base.
était appliqué l’esprit des lois françaises, en particulier À partir de 1974, d’autres dahirs sont venus élargir
celle de 1838, ainsi que les législations traditionnelles la législation psychiatrique, notamment par rapport à la
locales. répression et à la prévention des toxicomanies.
La mise en place d’un système sanitaire moderne Le service central de la santé mentale, prévu dans le
capable de répondre d’une manière appropriée aux besoins dahir de 1959, a effectivement vu le jour en 1988. Placé
de la population en matière de santé mentale s’imposait. sous la responsabilité d’un médecin psychiatre, il est
Un dahir (décret) fut été promulgué le 30 avril 1959 dans chargé essentiellement de l’élaboration des plans et
ce sens. Ce dahir désigne les organismes chargés de la projets relatifs à la prévention et au traitement des mala-
prévention et du traitement des maladies mentales et de dies mentales et à la protection des malades mentaux, et
la protection des malades mentaux. Il fixe les modalités de la surveillance technique des établissements publics et
de l’hospitalisation et de la mise en observation, et de la privés de soins. La commission de la santé mentale a été
surveillance médicale hors des services psychiatriques. Il créée en 1990. Elle est chargée essentiellement d’étudier
instaure les mesures de contrôle pendant l’hospitalisation, les questions d’ordre général concernant la prévention et
la mise en observation et la surveillance médicale ainsi que le traitement des maladies mentales, et de statuer sur les
les voies de recours. Il réglemente la protection des biens litiges et recours concernant les hospitalisations d’office.
des malades mentaux et les dispositions particulières aux En 1993 fut adopté le Programme national pour la santé
placements judiciaires. Il prévoit la création dans chaque mentale, soutenu par l’OMS.

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F.Z. Sekkat

État des lieux actuel tement. Le taux des patients bénéficiant d’une exonéra-
tion de paiement dans les hôpitaux publics (indigents) est
Le secteur de la santé souffre actuellement de nombreux d’environ 80 %.
problèmes. Les moyens alloués sont très insuffisants et En matière de prise en charge des toxicomanes, le
leur rendement n’est pas optimisé. Maroc dispose de deux centres : un centre médicopsycho-
Le ministère de la Santé s’est engagé dans deux chantiers logique ambulatoire de prévention et prise en charge des
importants : la réforme hospitalière qui vise à améliorer le toxicomanes avec dispositif de réduction des risques VIH
fonctionnement, la gestion, le rendement et la qualité des à Tanger, et un centre médicopsychologique résidentiel
soins des établissements qui sont sous sa tutelle, et la mise de prévention et traitement des toxicomanes au sein de
en place d’un régime de couverture médicale généralisée l’hôpital Arrazi à Salé.
échelonnée dans le temps. Celle-ci vise à long terme la Pour la pédopsychiatrie, une unité de consultation vient
couverture sanitaire de toute la population. de voir le jour à l’hôpital Ibn Rochd à Casablanca, d’autres
Deux secteurs, public et privé, constituent l’essentiel sont en instance à Salé et Marrakech.
de l’offre de soins au Maroc. Les deux secteurs sont sous Les centres de gérontopsychiatrie sont inexistants.
la coupe du ministère de la Santé. Ce dernier élabore la
politique de santé du pays, assure le contrôle et la prise en
Psychiatrie moderne
charge des maladies ainsi que la mise en place des mesures
de prévention et la promotion de la santé. Certes, au cours et thérapies traditionnelles
des dernières décennies, un effort important a été déployé
Très nombreux sont encore les sujets qui recourent
pour la formation de professionnels en santé mentale et
aux divers tradithérapeutes, aussi bien d’ailleurs pour des
pour la création de services hospitaliers et ambulatoires.
problèmes de santé physique que mentale. Bien que leurs
Cet effort reste insuffisant, le nombre total actuel
pratiques soient mal connues, il est évident qu’ils parti-
de psychiatres au Maroc, toutes catégories confondues
cipent de façon importante aux soins de santé mentale,
(publics, privés et militaires) n’étant que de 350, pour
et plus de la moitié des patients souffrant de troubles
30 millions d’habitants.
psychiatriques les consulteront à un moment ou un autre
L’activité du secteur privé, concentré en milieu urbain,
de leur maladie. Il semblerait même que les thérapeutes
est axée essentiellement sur les soins curatifs réalisés dans
traditionnels soient capables de fournir des soins efficaces
les cabinets de consultations. Les psychiatres privés sont
à certaines catégories de patients.
installés pour la plupart dans les grandes villes du Maroc,
Il faut reconnaître qu’ils présentent de nombreux avan-
surtout au niveau de Casablanca et de Rabat.
tages aux yeux de la population : ils partagent les mêmes
Le secteur public est celui qui souffre le plus, et les
conceptions culturelles de la pathologie (« mauvais œil »,
chiffres parlent par eux-mêmes : en 2007, on comptait
ensorcellement, infraction de rituels, offense à marabout,
dans le secteur public 116 psychiatres, 683 infirmiers
etc.) et de ses traitements (drogues naturelles, incanta-
spécialisés, 30 médecins résidents (internes) en psychia-
tions coraniques, amulettes, sacrifices d’animaux, etc.). Ils
trie, 14 psychologues, et 4 assistantes sociales.
fournissent aussi une plus grande disponibilité et écoute
La répartition des structures de soins était celle du
et des explications plus socialement et culturellement
tableau 1.
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« compréhensibles ». Enfin, ils impliquent systématique-
ment la famille qui est partie prenante de la consultation et
Tableau 1. Répartition des structures de soins en 2007. de la prise en charge. Il faut aussi souligner qu’ils savent
Structures Nombre Capacité litière souvent référer à bon escient les patients nécessitant un
traitement psychiatrique !
Centres psychiatriques 4 636 En effet, le domaine de la santé et de la maladie mentale
universitaires au Maroc dévoile une pluralité de recours, joignant à la
Hôpitaux spécialisés de santé 5 665 prise en charge psychiatrique une prise en charge par un
publique système de soins traditionnel.
Dans de nombreux cas, le marabout joue le rôle du
Services intégrés 16 609 psychiatre. Face à la cherté des prestations médicales,
C/S de consultation 73 certaines personnes préfèrent emmener leurs proches souf-
frant d’une maladie mentale voir les « saints ». L’exemple
Centres de consultations 7
le plus célèbre au Maroc est celui de Bouya Omar à Kalâat
pour enfants et adolescents
Seraghna, dans la région de Marrakech, où des dizaines
(ONG, fondations…)
de malades mentaux sont enchaînés dans l’attente de la
« baraka » du marabout.
Les établissements publics drainent surtout une popu- Aujourd’hui, les gens ont souvent recours en même
lation économiquement démunie prise en charge gratui- temps aux méthodes traditionnelles et à la médecine

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La psychiatrie au Maroc

moderne. Même si certains patients se rendent chez un La demande de soins en santé mentale est en constant
psychiatre, ils continuent à avoir recours aux compétences accroissement, comme en témoignent bon nombre d’indi-
d’un guérisseur traditionnel, et aux méthodes de prise en cateurs tant en milieu psychiatrique qu’en milieu médical.
charge traditionnelle de la souffrance psychique qui sont En effet, une étude récente du service d’épidémiologie en
nombreuses : pèlerinage aux marabouts, transe… Cela santé mentale (enquête nationale de prévalences en popu-
peut avoir un effet bénéfique pour les personnes atteintes lation générale 2003-2006) estime que la prévalence des
de troubles légers et croyant aux vertus des saints. principaux troubles psychiatriques dans la population
Le recours à la bénédiction des marabouts est une générale de plus de 15 ans est :
pratique qui semble loin de disparaître. Certes, l’élite du – trouble dépressif, 26,8 % ;
pays les condamne, la religion les combat, mais rien ne – trouble anxiété généralisé, 9 % ;
peut les faire disparaître. – troubles psychotiques, 5,6 %.
Par rapport aux troubles addictifs :
– abus d’alcool, 2 % ;
– dépendance à l’alcool, 1,4 % ;
Difficultés et perspectives d’avenir
– abus de substances, 3 % ;
La psychiatrie reste le parent pauvre de la médecine. – dépendance aux substances, 2,8 %.
Le budget alloué à la santé mentale est très insuffisant. Ces résultats ont poussé le ministère de la Santé à faire
L’insuffisance des moyens matériels, humains et institution- de la psychiatrie une de ses priorités. Il est aujourd’hui
nels entrave le développement de la psychiatrie. Les struc- amené à relever le défi d’améliorer l’accessibilité et la
tures actuelles ne répondent pas d’une manière adéquate qualité des soins au moyen, dans un premier temps, des
aux besoins en santé mentale de plus en plus croissants au ressources existantes, et de créer des sous-spécialités qui
Maroc. Plus de la moitié des provinces restent totalement s’avèrent à l’heure actuelle une nécessité incontestable.
démunies de toute structure psychiatrique spécifique. Le ministère de la Santé compte pour la période quin-
L’accès aux soins pour de nombreux malades est donc quennale 2008-2012 corriger les insuffisances, et faire en
aléatoire, et cela contribue à la persistance des thérapies sorte que le plan d’action puisse éliminer les inégalités
traditionnelles comme moyen « thérapeutique » des mala- évitables, injustes et remédiables.
dies mentales. Ce programme vise à :
Par ailleurs, certains hôpitaux psychiatriques sont – réorganiser l’offre de soins de psychiatrie par le
négligés et peu aptes à la prestation de soins. Ils ternissent développement en urgence de structures spécialisées, et
encore plus l’image de la psychiatrie, la dévalorisant aux doter chaque province d’un hôpital spécialisé ou d’un
yeux même du personnel médical et paramédical. service intégré ;
Les centres de consultations ambulatoires de santé – assurer un minimum essentiel en matière de struc-
mentale relevant du secteur public sont en nombre très tures de prise en charge pour la santé mentale de l’enfant
insuffisant et sont dans un état guère meilleur. et de l’adolescent ;
Le prix des nouvelles molécules antipsychotiques est – renforcer la formation de base et continue des
onéreux, les mettant malheureusement hors de portée de la professionnels de santé mentale, par la création de cursus
de formation pour les différents intervenants en santé
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majorité des malades du service public, qui pour la plupart
ne bénéficient d’aucune couverture sociale. mentale ;
L’absence de structures intermédiaires, comme des – prémunir les jeunes contre l’usage des substances
hôpitaux de jour, des centres d’accueil et de réhabili- psychoactives et réduire les risques VIH chez les usagers
tation pour des malades chroniques, ne favorise pas la de drogues injectables ;
réinsertion des malades, d’où une charge supplémentaire – améliorer la capacité des acteurs dans le traitement
pour les familles et les institutions de soins. Seules des et la prise en charge spécifique des personnes souffrant de
ONG offrent des prises en charge médico-éducatives troubles addictifs ;
spécialisées aux enfants psychotiques et en difficulté. – réviser les textes régissant le domaine de la santé
Quelques associations de parents de malades mentaux mentale ;
tentent tant bien que mal, avec l’aide des psychiatres et – sensibiliser le public aux problèmes de santé mentale
des autorités, d’aménager des espaces et de pallier à ces et lutter contre la stigmatisation en partenariat avec les
insuffisances. ONG ;
La psychiatrie légale se limite à une unité au sein de – assurer l’accès aux médicaments spécifiques (psycho-
l’hôpital Arrazi de Salé et une autre au sein de l’hôpital de tropes) en assurant la gratuité de ceux-ci selon l’article 21
Berrechid, ce qui contribue à réduire les lits d’hospitali- du dahir de 1959 ;
sation. Favoriser la consultation pénitencière, ainsi que la – humaniser et moderniser les hôpitaux et services
création d’unités psychiatriques en milieu carcéral serait existants par leur rénovation et leur mise à niveau selon les
probablement une alternative non négligeable. standards internationaux ;

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F.Z. Sekkat

– promouvoir les principes d’une bonne santé mentale Bibliographie


et prévenir les troubles mentaux par la mise en place d’une 1. AMMAR S. Manuel de psychiatrie maghrébine. Paris :
campagne sociale de communication ; Masson, 1987.
– augmenter le nombre de professionnels de la santé
mentale ; 2. ASSOUAB F. Histoire des institutions psychiatriques au
– développer la gérontopsychiatrie : orientations et Maroc. Bulletin de la Société marocaine de psychiatrie.
réflexions à inscrire dans la stratégie nationale de gériatrie 3. DOUKI S. Psychiatrie en Tunisie : une discipline en devenir.
initiée par la direction de la population. L’Information Psychiatrique 2005 ; 81 : 49-59.
4. Ministère de la Santé, service d’épidémiologie et des mala-
dies mentales. Santé mentale en chiffres.
Conclusion
5. Ministère de la Santé, service d’épidémiologie et des mala-
La psychiatrie marocaine a su se développer et dies mentales. Santé mentale : fiche technique.
s’affirmer. 6. Ministère de la Santé, service d’épidémiologie et maladie
Le ministère de la Santé en a fait une de ses priorités mentale. Commission technique pour développement des
pour pallier aux insuffisances que connaît le milieu. plans d’action pour mise en œuvre de stratégie nationale en
Beaucoup de travail reste à faire et plusieurs défis restent santé mentale.
à relever pour rendre à la psychiatrie ses heures de 7. PAES M. La psychiatrie au Maroc. L’Information psychi-
gloire. atrique 2005 ; 81.
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610 L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 85, N° 7 - SEPTEMBRE 2009

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