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Mise en page : Nord Compo

© Dunod, 2021

11 rue Paul Bert, 92240 Malakoff


www.dunod.com

ISBN : 978-2-10-083015-2
Sommaire

Couverture

Page de Copyright

Introduction

Chapitre 1 ■ Point fort/point faible :


de quoi parle-t-on exactement ?

Chapitre 2 ■ Améliorer ses points faibles :


un (mauvais) réflexe persistant

Chapitre 3 ■ Miser sur ses points forts :


le pari gagnant !

Chapitre 4 ■ La stratégie des points forts :


mode d'emploi

Conclusion

Annexes : outils et questionnaires


Introduction

« Notre grande erreur est d’essayer d’obtenir de chacun


en particulier les vertus qu’il n’a pas, et de négliger de cultiver
celles qu’il possède. »
Marguerite Yourcenar

« Quand j’étais petit, j’adorais le cirque, et ce que j’aimais par-dessus tout,


au cirque, c’était les animaux. L’éléphant en particulier me fascinait ;
comme je l’appris par la suite, c’était l’animal préféré de tous les enfants.
Pendant son numéro, l’énorme bête exhibait un poids, une taille et une
force extraordinaires…
Mais tout de suite après et jusqu’à la représentation suivante, l’éléphant
restait toujours attaché à un petit pieu fiché en terre, par une chaîne qui
retenait une de ses pattes prisonnière.
Ce pieu n’était qu’un minuscule morceau de bois à peine enfoncé de
quelques centimètres dans le sol. Et bien que la chaîne fût épaisse et
résistante, il me semblait évident qu’un animal capable de déraciner un
arbre devrait facilement pouvoir se libérer et s’en aller.
Le mystère restait entier à mes yeux.
Alors, qu’est-ce qui le retient ? Pourquoi ne s’échappe-t-il pas ? À 5 ou
6 ans, j’avais encore une confiance absolue dans la science des adultes.
J’interrogeai donc un maître, un père et un oncle sur le mystère du
pachyderme. L’un d’eux m’expliqua que l’éléphant ne s’échappait pas
parce qu’il était dressé.
Je posais alors la question qui tombe sous le sens :
« S’il est dressé, pourquoi l’enchaîne-t-on ? »
Je ne me rappelle pas qu’on m’ait fait une réponse cohérente…
Le temps passant, j’oubliai le mystère de l’éléphant et de son pieu, ne m’en
souvenant que lorsque je rencontrais d’autres personnes qui un jour,
elles aussi, s’étaient posé la même question.
Il y a quelques années, j’eus la chance de tomber sur quelqu’un d’assez
savant pour connaître la réponse :
« L’éléphant du cirque ne se détache pas parce que, dès tout petit, il a été
attaché à un pieu semblable. »
Je fermai les yeux et j’imaginai l’éléphant nouveau-né sans défense, attaché
à ce piquet. Je suis sûr qu’à ce moment l’éléphanteau a poussé, tiré et
transpiré pour essayer de se libérer, mais que, le piquet étant trop solide
pour lui, il n’y est pas arrivé malgré tous ses efforts.
Je l’imaginai qui s’endormait épuisé et, le lendemain, essayait à nouveau,
et le surlendemain… et les jours suivants… jusqu’à ce qu’un jour, un jour
terrible pour son histoire, l’animal finisse par accepter son impuissance et
se résigner à son sort.
Cet énorme et puissant pachyderme que nous voyons au cirque ne
s’échappe pas, le pauvre, parce qu’il croit en être incapable.
Il garde le souvenir gravé de l’impuissance qui fut la sienne après sa
naissance. Et le pire, c’est que jamais il n’a tenté d’éprouver à nouveau sa
force. »
Extrait du livre : Laisse-moi te raconter… les chemins de la vie,
Jorge Bucay, XO Editions, 2004.

Comme l’écrit joliment par ailleurs l’auteur de ces lignes, « les contes
aident les enfants à s’endormir et les adultes à s’éveiller ! »
En lisant celui-ci, il y a plusieurs années maintenant, j’ai souri, comme vous
peut-être : je me suis en partie reconnu dans cet éléphant si bien retenu par
ce pieu pourtant dérisoire. Nous avons tous en nous un peu de cet éléphant
enchaîné, tellement conscient de ses faiblesses qu’il n’a depuis, jamais pris
confiance en ses forces.
Car ainsi est la mare culturelle dans laquelle nous avons trempé et dans
laquelle aujourd’hui nous continuons à baigner nos éléphanteaux : elle est
faite d’une eau trouble qui place la correction des défauts bien avant le
développement des forces, qui valorise le doute plus que la confiance en
soi, qui prône l’amélioration des points faibles comme seule voie de succès.
Dès l’enfance, à la maison parfois, à l’école très souvent, dans les activités
sportives ou artistiques que nous pratiquions, les adultes nous ont avant tout
fait prendre conscience de nos manques, de nos défauts, de nos limites, plus
qu’ils ne nous ont aidé à prendre confiance dans nos qualités, nos talents,
nos points forts.
Plus tard, les managers de tout bord, quel que soit l’univers professionnel
dans lequel nous avons évolué, ont creusé la même veine, pointant
soigneusement nos points faibles dans le support d’entretien annuel, avant
de nous envoyer en formation ou de nous adjoindre l’aide d’un coach pour
les améliorer…
Je ne doute évidemment pas de leur bonne intention : tous pensaient nous
aider à progresser, à grandir, à devenir meilleur, à réussir dans ce que nous
entreprenions…
Ce que je remets en question, c’est le plan d’action : pour utiliser une image
simpliste mais parlante, mettre l’accent sur la correction des faiblesses,
revient à appuyer sur le frein d’une voiture pour la faire avancer !
À force d’être confrontés à nos faiblesses, nous avons appris le doute.
Dans le doute, et malgré lui, nous avons travaillé, progressé parfois, réussi
rarement. Nous avons souffert, stressé et souvent échoué. Les difficultés, les
erreurs, les déconvenues ont accrédité l’idée que « décidément, nous
n’étions pas doué pour ceci ou pour cela… », nous poussant peut-être même
à renoncer à telle ou telle activité. Ainsi était planté le piquet, petit et
pourtant solide, qui, des années plus tard, pouvait encore nous empêcher
d’avancer, dans certaines situations ou certains domaines spécifiques,
parfois dans notre vie plus largement.
Plus forte devient la conscience de nos faiblesses, plus faible devient la
confiance dans nos forces. Debout sur les freins, la voiture est à l’arrêt.
Il y a bien un moteur – nos aptitudes naturelles n’ont pas disparu –
mais sans le carburant qu’est la confiance en soi, la mécanique ne tourne
plus rond.
Pour tracer la route, il faut au contraire lâcher les freins et faire confiance à
la force d’entraînement du moteur. Mieux encore : en connaître plus
précisément le fonctionnement, apprendre à l’entretenir et à en développer
la puissance.

Ce livre est une invitation à poser un autre regard sur nous-mêmes et sur les
autres, en particulier sur ceux que nous avons la responsabilité de faire
grandir : nos proches, nos enfants, nos élèves, nos collaborateurs.
La culture nous a conformés à l’idée de devoir travailler (ou faire travailler)
en priorité les points faibles. Je vous propose, dans les chapitres qui suivent,
de comprendre le faible niveau d’efficience de cette injonction et pire, des
risques qu’elle induit. Je voudrais vous montrer pourquoi, à l’inverse, la
logique consistant à développer ses points forts et s’appuyer sur ses
qualités, est une voie de progrès et de succès plus pertinente.
Surtout, j’aimerais ouvrir quelques pistes pratiques vous permettant de
déployer cette approche dans différentes situations, à la fois pour soi, à la
fois dans l’accompagnement d’un tiers.
Cessons d’appuyer sur les faiblesses, prenons la mesure de ce que nos
forces peuvent nous permettre de faire et de réussir : libérons enfin les point
forts… et les éléphants !
Chapitre 1

Point fort/point faible : de quoi parle-t-on


exactement ?

Avant d’ouvrir le débat du meilleur chemin, il me parait important de


préciser quelques définitions. Je le disais, dans l’introduction, en filant la
métaphore pachydermique : la mare culturelle dans laquelle nous baignons
est d’une eau trouble qui place la correction des défauts bien avant le
développement des forces. Si l’eau est trouble, c’est sans doute parce que
s’y trouve mélangées différentes notions se rapportant aux points
forts/points faibles : les domaines dans lesquels on réussit (ou pas), les
qualités intrinsèques que nous possédons (ou les défauts), le talent, l’inné,
l’acquis, etc…
Pour tenter d’y voir un peu plus clair dans la mare aux éléphants,
commençons donc par faire le tri !

La confusion entre « quoi » et « comment »


Dans les conversations courantes, il est fréquent d’employer le terme de
« point fort » aussi bien pour désigner une qualité ou une aptitude
personnelles que pour évoquer un domaine, une activité ou une situation
dans lesquels nous réussissons avec facilité (et inversement bien sûr pour le
terme de point faible).
La même expression dit à la fois ce que je suis et ce que je sais bien faire.
Se confondent ainsi le « comment » je réussis et le « quoi » je réussis : les
aptitudes que je possède et les champs dans lesquelles celles-ci me
permettent d’exceller. Risquent donc de se mélanger : l’intrinsèque, les
qualités ou aptitudes spécifiques qui définissent la personne, et
l’extrinsèque, c’est-à-dire les domaines d’expression de ces caractéristiques
intrinsèques.
Ainsi, on dit souvent d’un enfant qu’il possède un très bon sens de
l’observation – c’est son point fort – mais aussi qu’il fait d’incroyables
construction en Lego – ce serait aussi un point fort.
On parle des points forts d’un élève à l’école, en pointant de la même
manière ses excellentes capacités d’abstraction et ses bons résultats en
maths. Et on dit que ses points faibles sont une difficulté à s’exprimer
oralement comme le serait aussi le français, matière dans laquelle il ne
brille pas !
Ce même mélange s’entend dans la description des points forts du
sportif. Les qualités de caractère de Nadal ou son endurance physique sont
mises au même plan que l’efficacité de son coup droit lifté.
Le monde de l’entreprise et du management n’échappe pas non plus à
cette confusion entre qualités intrinsèques et activités extrinsèques. Être
capable de prendre du recul et de mettre les choses en perspective est décrit
autant comme un point fort que le fait de bien parler anglais. Comme
d’ailleurs manquer d’assurance et mal maîtriser Microsoft Excel sont
appelés points faibles.
Pour éviter cette confusion, il me parait nécessaire de s’en tenir à une
définition précise et restrictive de la notion de point fort : « aptitude
particulière à faire quelque chose » dit simplement le premier dictionnaire
venu, « capacité à ressentir, à penser et à se comporter d’une manière
appropriée pour atteindre des objectifs que l’on valorise » selon Linley &
Harrington1.
Retenir cette définition permet de recentrer le point fort (et donc le point
faible par effet miroir) dans la dimension intrinsèque de l’individu. Le point
fort désigne donc bien le « comment » dont se sert plus spontanément une
personne pour réaliser bien telle ou telle activité (que l’on pourrait appeler
le « quoi »). Cette distinction est importante non pas seulement du point de
vue sémantique mais parce qu’elle oriente fondamentalement le
raisonnement, je vais y revenir.
Précisons avant cela qu’il y a bien sûr un lien entre le « quoi » et le
« comment », ce qui explique la fréquente confusion de ces deux aspects.
Lorsqu’une activité bien maîtrisée (les maths, parler anglais, un bon coup
droit…) est improprement appelée « point fort », c’est souvent parce qu’on
se contente d’évoquer la conséquence observable du « vrai » point fort. Le
« quoi » représente ainsi un point d’entrée facile pour qui chercherait à
identifier ses forces, comme nous le verrons dans un prochain chapitre :
ce qu’on fait facilement, avec plaisir, sans effort et souvent avec un résultat
satisfaisant donne accès à la notion stricte de point fort.
On pourrait ici utiliser l’image de l’artichaut, le « seul plat que quand
t’as fini de manger, t’en as plus dans ton assiette que quand tu as
commencé ! » disait Coluche. Comme l’artichaut, le point fort se mérite : le
meilleur est le cœur, mais le cœur ne se découvre qu’une fois enlevé tout ce
qui le cache (en annexe, vous trouverez un questionnaire « Effeuillez
l’artichaut » pour vous guider dans l’identification de vos points forts). En
l’occurrence, nous pourrions dire ici que les domaines dans lesquels les
qualités intrinsèques de l’individu s’expriment (le « quoi »), cachent le
point fort-cœur (le « comment »).
Trouver quelles aptitudes constituent les forces de l’individu implique
d’aller au-delà de l’observable et donc de connaître suffisamment la
personne et les mécanismes de l’activité qu’elle maîtrise pour identifier
« comment » elle y réussit.
Cette exigence s’illustre bien dans le domaine sportif : percer les secrets
de fonctionnement d’un footballeur (ses qualités de perception, d’équilibre,
de vitesse, etc…) exige de solides compétences techniques (en football bien
sûr, mais aussi et surtout en physiologie, en bio-mécanique, etc…). C’est la
raison pour laquelle les commentateurs sportifs devraient encore longtemps
continuer à montrer les feuilles de l’artichaut en lieu et place des « vrais »
points forts !
L’enjeu de cette différenciation entre le « quoi » et le « comment »
dépasse évidemment le seul plaisir mesquin de tacler les journalistes de
foot : il permet aussi d’en finir avec la croyance selon laquelle il existerait
des points faibles qu’il faut quand même bien corriger.

Le mythe des points faibles rédhibitoires


Différencier les qualités personnelles des champs favoris d’expression de
ces qualités, permet d’abord d’échapper à l’une des rengaines favorites des
tenants de la « bonne vieille » méthode corrective : certains points faibles,
prétendent-ils, sont rédhibitoires et, à ce titre, il faudrait donc bien les
travailler !
Ainsi en serait-il des lacunes de l’élève en français, de ce revers chopé
trop imprécis du tennisman, ou encore de cet anglais, trop approximatif et
pourtant indispensable à ce collaborateur ayant de nombreux contacts avec
l’étranger.
Il s’agirait là de points faibles rédhibitoires au vu de l’activité ou du
contexte sur lesquels, peut-on penser, on ne peut pas faire l’impasse ! De
fait, oui, nombreuses sont les situations qui imposent la maîtrise de tel ou
tel savoir-faire. Mais ne pas savoir faire ceci ou cela ne constitue en rien un
« point faible », seulement une compétence à acquérir !
Il « faut » bien que l’élève travaille son français, que le tennisman trouve
plus de précision dans son revers et que le collaborateur en question
progresse en anglais !
Nul ne doute de notre parfaite conscience de ces manques : répéter qu’il
« faut » progresser dans ces domaines n’a que peu d’intérêt. Si nous avions
trouvé comment faire pour y exceller, nous l’aurions déjà fait depuis
longtemps !
Comment, voilà où se situe le cœur du vrai débat qui se pose ici. S’il y a
des « quoi » dans lesquels nous peinons à briller, ce n’est pas parce que
nous ignorons qu’il faudrait travailler – nous avons déjà sans doute déjà
beaucoup tenté de le faire – c’est parce que nous n’avons pas trouvé
« comment » le faire, ou plus précisément, parce que le « comment » exige
de nous des qualités que nous n’avons pas.
S’intéresser au cas de cet élève qui peine à progresser en français,
amènerait sans doute à découvrir que son fonctionnement cérébral lui rend
cette matière plus difficile d’accès.
Peut-être aussi que les préférences motrices et cérébrales du tennisman
ne lui permettent pas d’accomplir facilement la gestuelle qui lui a été
enseignée pour exécuter son revers chopé.
Probablement enfin que le caractère naturellement introverti de ce
collaborateur lui a compliqué l’apprentissage de l’anglais : malgré les
séjours d’immersion en Angleterre, malgré sa connaissance de la
grammaire et du vocabulaire, il peine toujours à s’exprimer correctement
dans cette langue.
La question à se poser pourrait donc être formulée ainsi : quelles sont les
aptitudes que possèdent ces individus (et par opposition, les qualités qu’ils
n’ont pas ou qui, en tous cas sont moins facilement accessibles pour eux) et
qui expliquent qu’ils ont plus facilement réussi dans tel domaine que dans
tel autre ?
En ce sens, on comprend qu’un point faible n’est pas un domaine qu’on
ne maîtrise pas, mais plutôt une inadéquation entre le « comment » je
fonctionne (mes qualités, au sens de « caractéristiques » neutres) et le
« quoi » à investir.
Tout l’enjeu alors est d’en tirer la bonne conclusion : que peut-on faire
face à un tel constat d’inadéquation ?

« Tous les points forts mènent à Rome ! »


Différencier la notion de « comment » de celle du « quoi » débouche en
effet sur deux options : l’une qui considère qu’il existerait des qualités
indispensables pour réussir dans tel ou tel domaine, et l’autre, qu’il serait au
contraire possible d’accéder à toute activité quelles que soient les qualités
que l’on possède.
Ces deux conclusions ont à l’évidence des conséquences radicalement
différentes !

Peut-être que tu n’es tout simplement pas fait pour ça !


La première conclusion posera que l’individu n’est « pas fait pour ça » :
« Ce n’est pas comme ça que vous réussirez dans la vie, élève Guy
Degrenne », prophétisait l’instituteur dans la publicité datée pour la marque
éponyme, se lamentant des croquis de fourchettes et de cuillères du
prétendu cancre ! La sentence, que Degrenne n’est pas le seul à avoir
entendu, repose donc sur l’idée qu’il existerait, dans la vie en général, dans
une activité en particulier a fortiori, des qualités absolues et absolument
requises. Par opposition, donc, on parlerait de défauts qui, là aussi, de façon
absolue, nous handicaperaient à coup sûr.
Nous pouvons deviner ici le confort d’une telle conclusion pour le
pédagogue : qu’on me donne des élèves bien câblés, je les ferai réussir !
Implacable logique mise en œuvre par les lycées qui affichent 100 % de
réussite au bac au prix d’un écrémage drastique les années précédentes.
Nous voyons aussi sans peine les dégâts causés par cette conclusion :
Guy Degrenne qui n’a pas d’autre choix que de dessiner des couverts
toute sa vie , et plus sérieusement tant d’autres qui renoncent à ces
réussites qu’on leur présente comme inaccessibles pour eux.
Jo Boaler, professeure d’enseignement des mathématiques
à l’Université de Stanford, ne dit pas autre chose s’agissant de son
domaine d’expertise : « de nombreuses personnes à travers le monde ont
été vraiment endommagées par l’idée que vous êtes né ou pas avec un
cerveau mathématique […] et à chaque fois qu’ils peinent à résoudre un
sujet en maths, ils pensent simplement : “Oh, je ne peux pas faire ça”…
puis abandonnent. »
Dans la droite ligne de ce constat, Jo Baeler a contribué à populariser
la théorie de l’esprit de croissance, inventée par Carol Dweck2. Selon
cette dernière, professeure de psychologie de Stanford, il existe deux
catégories de personnes :
• Celles dotées d’un état d’esprit « fixe », qui pensent que les aptitudes
sont déterminées à la naissance et ne peuvent plus ensuite être
développées : celles-ci redoutent les challenges, persévèrent rarement
dans leurs efforts, n’acceptent pas les critiques et vivent très mal la
comparaison aux autres. Bref, l’archétype de l’éléphant de cirque
retenu par un fil…
• Celles animées de cet état d’esprit « de croissance », qui pensent que
leurs capacités ne sont pas bornées mais peuvent au contraire se
renforcer par le travail… et qui ne manquent d’ailleurs pas de le faire.

Et bien sûr, cet état d’esprit ne serait pas lui-même déterminé par la
naissance (ce serait un comble !). Dans ses travaux, et au travers
également des expériences menées sur le terrain3, Dweck note
l’importance des messages contribuant à ancrer l’un ou l’autre des
paradigmes.
Qui n’a pas dit ou entendu :
« Notre fils n’a pas la bosse des maths, il tient de toi… »
« Moi et la musique ça fait deux. »
« Les langues ce n’est vraiment pas pour moi. »
Citons les introvertis qui à force d’entendre qu’ils sont timides,
resteront parfois terrifiés toute leur vie à la seule perspective de devoir
parler en public – et qui, bien souvent, font des choix non pas tant à partir
de leurs désirs, mais dans le but d’éviter au maximum d’être confrontés à
l’exercice de prise de parole ;
Et, inévitablement, on peut enfin penser à toutes ces qualités physiques
sans lesquelles il serait difficile, voire impossible, de réussir dans tel ou
tel sport, les nombreuses exceptions ne venant bien sûr que confirmer la
règle !
L’effet du « tu n’es pas fait pour ça… » est double. Il ferme d’abord en
quelque sorte l’accès à certaines activités, entraînant choix et
renoncements qui pourront malheureusement plus tard nourrir
frustrations et regrets. Il a également une incidence plus diffuse sur la
confiance en soi, dégradée par l’existence de ces horribles « défauts »
que l’individu tente de cacher tant bien que mal.
Même si, bon gré mal gré, nous avons réussi à nous construire sans
dommage majeur, quelques croyances limitantes restent néanmoins
inscrites en nous – comme autant de petits pieux pouvant parfois retenir
l’éléphant malgré sa force.

Il n’y a pas de qualité ou de défaut absolus


On peut tirer de la dissociation « quoi » et « comment » une seconde
conclusion, laquelle me plait bien davantage par ses implications, tout en
me semblant également beaucoup plus juste que la première.
Elle pose que la réussite tout court (ou dans un domaine spécifique) ne
tient pas tant à la nature des qualités que l’individu possède ou pas.
Dit autrement, il n’y a pas de qualités absolues (qui permettraient de
tout réussir) pas plus qu’il n’existe de défauts absolus (synonymes d’un
échec certain quoiqu’on entreprenne).
Nos modes de fonctionnement propres, nos façons de percevoir les
choses, de les concevoir, de décider, d’agir, etc. sont en réalité des
caractéristiques neutres : c’est au regard d’un contexte, d’une situation ou
d’un plan d’action donnés que celles-ci peuvent s’avérer être un atout ou
au contraire un handicap.
Qu’il s’agisse de traits de caractère ou d’aptitudes physiques, il existe
à l’évidence des spécificités qui offrent un avantage dans certaines
activités, tout en se révélant inutiles voire embarrassantes dans d’autres.
Pour illustrer très simplement le propos, il suffirait de comparer les
jockeys, qui tirent plutôt partie de leur petite taille et de leur poids peu
élevé, avec un rugbyman de troisième ligne ! L’un ne vaut évidemment
pas mieux que l’autre, mais ce qui est un point fort pour l’un, dans son
sport, ne l’est pas forcément dans la discipline de l’autre. De la même
façon, la créativité pourra certainement être une qualité précieuse pour
l’employé du pôle création d’une agence de communication… peut-être
un peu moins pour un comptable (en tous cas dans sa mission de
comptable !).
Cet aspect relatif se conçoit aussi s’agissant d’une seule et même
personne, selon les activités ou les situations : ce qui semble être un point
fort ou un talent pour un individu dans un contexte donné, peut très bien
s’avérer être un point faible pour un autre face à des enjeux différents.
La capacité à agir avec prudence sera une qualité dans un contexte
délicat et complexe… mais pourrait par exemple devenir un point
bloquant dans les cas d’urgence.
Inversement, les défauts reprochés à une personne se révèlent parfois
comme de précieuses qualités lorsque le contexte change. C’est ce que
suggèrent les nombreuses biographies de Winston Churchill.
Unanimement dépeint comme colérique, arrogant, ironique et méchant,
obstiné voire obsessionnel, l’invivable personnalité a fait un redoutable
chef de guerre durant la Seconde Guerre Mondiale. Comme le disait avec
humour sa femme : « il est désagréable avec ses proches, il le sera plus
encore avec l’ennemi ! »
Un trait de caractère ne constitue donc jamais un point fort
absolument, mais bien en fonction du contexte dans lequel nous en
faisons usage. C’est ce qu’ont montré les travaux de deux psychologues
américains, Aspinwall et Staudinger, publiés en 20034 et qui invitent à
dépasser la dichotomie positif/négatif. Le mot « force » peut être
trompeur (tout comme celui de « faiblesse ») car il peut sous-entendre
une notion d’universalité et de supériorité. Une « force », dans le
contexte qui nous intéresse ici, ne recouvre qu’une aptitude dont
l’individu est « fortement » doté (ou à l’inverse une aptitude avec
laquelle il est « faiblement » capable d’agir).
Enfin, la dimension relative des points forts/points faibles recouvre
une notion d’intensité dans l’usage de la qualité. S’il est bon de connaître
ses points forts et de s’appuyer dessus pour agir (je ne vais pas dire le
contraire !), il faut admettre l’existence d’une logique que nous appelons
effet « toumeuche » dans notre petite entreprise de conseil. Cet effet tire
son nom de la prononciation hasardeuse du « too much » anglais par un
de nos anciens collègues aujourd’hui rangé des voitures. Dans cette
logique du « trop », l’individu investit tellement la qualité en question,
qu’en situation, elle devient contre-productive pour lui, et souvent
agaçante pour les autres.
Le prudent réfléchit tellement avant d’oser avancer qu’il ne décide
jamais. L’exigeant devient si pointilleux sur les détails qu’il n’en finit pas
de reprocher aux autres chacune des erreurs ou des imperfections de leur
travail. Le créatif de l’agence de pub a tellement laissé divaguer son
imagination qu’il ne répond plus du tout aux attentes du client…
Vous trouverez, en annexe, une petite grille des qualités et de leur
possible « toumeuche » : il est toujours intéressant de prendre un peu de
recul en identifiant les situations dans lesquelles il peut nous arriver
d’être un peu « trop ».
Comme en toute chose, l’excès n’étant jamais bon, nous verrons dans
les développements plus pratiques qui suivront, comment tirer parti de
ses points forts sans jamais tomber dans cet effet « toumeuche ». Ce qu’il
est cependant déjà facile de constater, c’est que cette logique du « trop »
s’apparente à une espèce d’oubli du sens, comme si l’individu ne savait
plus à quoi sert la qualité qu’il possède. Elle ne sert plus que lui-même,
son habitude, sa réassurance, mais ne satisfait plus son objectif ou celui
qu’il partage avec les autres. Déconnecté de son but, le point fort peut
vite devenir une « sale manie », un point faible en quelque sorte.
Voilà une des raisons qui explique l’importance qu’il y a de travailler
ses points forts : il ne s’agit pas seulement de les « muscler » dans
l’absolu pour seulement « jouer plus fort sur ses points forts » (ce qui
pourrait mener tout droit au « toumeuche »), mais d’apprendre à mieux
s’en servir, dans des activités ou des contextes de plus en plus variés, et
de façon plus précise, plus appropriée, plus intelligente. Le point fort est
un outil pour l’individu, tout comme peut l’être le marteau pour un
bricoleur : celui qui veut planter un clou a plus intérêt à savoir se servir
de son marteau plutôt qu’à taper de toutes ses forces. L’enjeu n’est pas la
puissance brute, c’est la maîtrise de la force, son usage juste, au bon
moment, avec la bonne intensité :
« Ne forçons point notre talent ;
Nous ne ferions rien avec grâce. »
Jean de la Fontaine, Fables, « L’âne et le petit chien », 1668.

Tout dépend du chemin proposé


Considérer que point fort/point faible est une notion relative, c’est affirmer
que la réussite dans un domaine ne dépend donc pas de la nature des
qualités de la personne, mais bien davantage de la cohérence entre ses
ressources et la manière avec laquelle elle les utilise dans le domaine en
question.
Or, il est surprenant de constater que, dans beaucoup d’activités, on ne
nous enseigne bien souvent qu’un seul chemin de succès présupposant
qu’il serait accessible à tout le monde.
En sport, les enseignants exigent souvent la répétition de séquences
précises : le geste à reproduire et l’exercice à réaliser sont les mêmes
pour tous… comme si nous étions tous dotés des mêmes préférences de
fonctionnement motrices ou cérébrales. Nous constatons très vite
d’ailleurs que tel exercice aisé pour un élève est au contraire difficile
pour l’autre.
Une simple observation des champions les plus connus montre
pourtant aisément les différences gestuelles. Les coups droits de Nadal,
de Federer ou encore de Djokovic, leur attitude et leur position sur le
terrain en retour de service, par exemple, n’ont pas grand-chose de
commun. Ils n’ont pas réussi dans leur discipline parce qu’ils
reproduisent à la perfection des gestes universels, mais bien parce qu’ils
ont su au contraire construire un « comment » sur-mesure, conçu pour
tirer le meilleur parti de leurs qualités respectives.
La même logique prévaut dans le monde de l’entreprise.
Le développement de l’efficacité commerciale par exemple incite ainsi
souvent les vendeurs à appliquer tous les mêmes méthodes de vente.
Beaucoup d’entre elles d’ailleurs ont été conçues sur la base d’un profil
de personnalité similaire, marqué par des qualités d’extraversion,
d’affirmation de soi, de capacité de conviction : la part belle y est faite à
l’argumentation, à la négociation, à la pression du « closing » (signature
de la vente)… Les vendeurs qui possèdent ces traits de caractère
s’approprient assez facilement les méthodes en question. Mais ces
dernières sont évidemment inadaptées à ceux possédant plutôt des
qualités d’écoute ou d’empathie par exemple. Il n’est ainsi pas rare de
voir ces personnalités plus introverties en conclure qu’elles ne pourront
jamais exceller dans ce métier !
Or, l’expérience montre que ces dernières qualités peuvent au contraire
trouver à s’exprimer de façon particulièrement efficace dans une activité
commerciale. La condition est toujours la même : permettre à ce vendeur
de trouver le « comment » qui valorise et utilise le mieux ses points forts.
Il s’agira certainement de créer ou favoriser dans ses contacts
commerciaux, les situations de relation informelle ou encore de favoriser
une écoute posée et attentive de son client.
Ce que ces exemples illustrent, c’est bien l’idée que toutes les qualités
sont bonnes pour réussir. Il n’y a pas une manière, un plan, une méthode,
un « comment » universels pour progresser et exceller dans un domaine.
Comme se plaisait à le répéter Christian Lemoine5 : « tous les points forts
mènent à Rome ! »
Encore faut-il emprunter le bon chemin, devrait-on donc ajouter.
Cette idée est d’abord synonyme de remise en cause permanente pour
le pédagogue, quel que soit bien sûr le domaine dans lequel il œuvre :
« si mes élèves n’apprennent pas comme je leur enseigne, alors il faut
que je leur enseigne comme ils apprennent. », dit une belle phrase dont je
n’ai pas retrouvé l’auteur (qu’il me pardonne s’il se reconnait !).
Un étudiant extraverti qui aime l’exploration, les découvertes,
les rencontres apprendra sans doute facilement une langue étrangère en
partant s’immerger quelques mois dans le pays. Mais que donnera cette
méthode avec quelqu’un d’introverti, plus réservé voire solitaire ?
Croire que « tous les points forts mènent à Rome » implique également
un approfondissement de la relation à l’autre (pour comprendre comment
il fonctionne), une compréhension fine des mécanismes de
fonctionnement humains (cérébraux, moteurs, etc…), une maîtrise
poussée aussi de la discipline enseignée (capacité à jouer avec les
« modèles » traditionnels).
Gérard Depardieu, dans le récit qu’il fait de ses débuts d’acteur6, livre
à cet égard de surprenantes confidences. Il explique comment est née sa
passion pour le théâtre, alors que rien, dans les premières années de sa
vie, ne le prédisposait à développer un tel talent. Né à Châteauroux, d’un
milieu très modeste, Gérard Depardieu a rapidement quitté l’école, se
débrouillant très jeune entre petits boulots et trafics en tous genres. C’est
après s’être introduit par effraction dans le théâtre de la ville, emmené
par un ami qui rêve de faire de la scène, que l’adolescent qu’il est assiste
à une représentation de Dom Juan, « fasciné par la langue, la musique
des mots… ».
« C’est si étonnant, poursuit le futur acteur, que je m’achète la pièce et
que je prends plaisir à déclamer tout seul des morceaux. Je ne comprends
pas un mot sur cinq, mais j’entends clairement la musique et je me
souviens comme ça me plait à l’oreille, tout en me troublant. On ne
m’avait jamais dit que des mots pouvaient jaillir une musique et c’est une
découverte qui me plonge dans des abîmes de réflexion. »
Sans référence culturelle pour appréhender pleinement les premiers
textes qu’il doit apprendre, sans en comprendre le sens ni même tous les
mots, Depardieu réussira pourtant à de faire remarquer par Jean-Laurent
Cochet, ancien pensionnaire de la Comédie-Française et professeur de
théâtre réputé.
Là où un autre professeur aurait sans doute renoncé à s’occuper de cet
ex-voyou bègue et inculte, Cochet décèle un talent singulier : ce ne sont
ni la maîtrise des mots, ni la capacité à incarner un personnage, ni la
technique de jeu qui distinguent cet élève hors norme. C’est une présence
à nulle autre pareille, mélange d’un physique imposant « d’homme des
bois » (l’expression est de Depardieu lui-même) et d’une manière de
déclamer les textes en rythme et en musicalité, bien plus qu’en
s’attachant à leur sens.

L’influence des « tiers privilégiés »


Le récit que fait Depardieu de son parcours est révélateur : « Ça s’est fait
comme ça », résume-t-il dans le titre qu’il a donné à son livre.
S’il y a bien une part de hasard dans son histoire, comme dans la plupart
de nos destins, elle serait certainement la part du hasard des rencontres.
Depuis notre plus jeune âge, nous vivons généralement entourés de tiers :
nos parents bien sûr, la famille plus largement, puis un défilé d’enseignants,
éducateurs, professeurs, managers en charge de notre éducation, ensuite
notre conjoint, nos enfants, nos amis aussi, et autour tous ceux que nous
croisons.
Il existe bien sûr, avec certains d’entre eux, un lien affectif. Mais, au-delà
de la dimension affective, se crée aussi un autre type de relation :
de quelques-uns de ces tiers, que nous appelons « tiers privilégiés »7, nous
cherchons l’estime. Le regard de ces référents est essentiel pour nous, à tel
point que chacun des messages que nous percevons venant d’eux, un peu
comme au Scrabble, « comptent double » ou « comptent triple », sans pour
autant que les tiers en question ne soient eux-mêmes bien conscients de leur
influence.
Ce ne sont pas tant les expériences que nous vivons (succès ou échecs)
qui nourrissent l’estime que nous avons de nous-mêmes, que le regard posé
par nos « tiers privilégiés » sur elles.
Qu’ils mettent le doigt sur nos points faibles, qu’ils les décrivent comme
des défauts absolus et structurels, qu’ils affirment qu’à cause de cela, nous
ne serions pas « faits pour ceci ou cela », et nous en concevrons un doute
fort en nous-mêmes, capable de nous empêcher de réussir dans de
nombreux domaines et dans la vie en général.
Au contraire, qu’ils louent nos qualités, nous aident à les renforcer, nous
montrent « comment » grâce à ces points forts, réussir n’importe « quoi »,
et nous développerons un niveau de confiance élevé en nous-mêmes.
Comme je le soulignais déjà précédemment, nos modes de
fonctionnement, nos traits de caractère, nos façons de percevoir,
de concevoir, de décider ou d’agir sont en réalité neutres. Ils sont ce qu’ils
sont, et ne disent pas, en tant que tels, ce que nous pourrions ou pas réussir,
ni là où nous pourrions ou pas exceller.
C’est très souvent le regard d’un « tiers privilégié » qui leur donne une
tonalité et qui en fera pour nous, soit un point fort source de confiance et de
progrès, soit un point faible, synonyme souvent de doute, d’angoisse et de
blocage.
Dans le regard positif de ce tiers, nous percevons au moins deux
éléments : un chemin à suivre (dont la direction nous est donnée par la
qualité valorisée par ce tiers) et une croyance globale dans notre capacité à
réussir (ce tiers semble croire en nous plus que nous n’y croyons nous-
mêmes !).
L’exemple du parcours atypique et inattendu de Gérard Depardieu met
ainsi bien en lumière le rôle de tiers privilégié tenu par Jean-Laurent Cochet
(dans la vraie vie et non dans une pièce de théâtre). À noter que ce même
Cochet, récemment décédé8, aura, dans sa carrière de professeur d’art
dramatique, contribué ainsi à développer les talents d’une impressionnante
liste de comédiens, de Fabrice Lucchini à Isabelle Huppert, de Richard
Berry à Daniel Auteuil.
Un autre célèbre professeur de théâtre synthétise brillamment la
mécanique à l’œuvre : « c’est à l’élève de travailler cette part de lui qu’on
a découverte ensemble et qui, portée à son comble, va en faire un comédien
remarquable, c’est-à-dire digne d’être remarqué », souligne
Michel Bouquet.
Dans un autre registre, je vous laisse découvrir comment le philosophe
André Comte-Sponville, auteur notamment du Petit Traité des Grandes
Vertus résume la découverte de sa vocation, grâce à un professeur de philo
« exceptionnel » comme il le dit lui-même9 :
« Je viens d’une famille déchirée et assez déchirante. Mon père était très
dur. Pas violent, mais très dur psychologiquement. Ma mère, elle, était
dépressive. J’ai grandi dans le malheur de ma mère, craignant toujours son
suicide. J’étais donc un enfant grave de tempérament. En terminale, je
découvre la philo et là, je cartonne ! Moi, le gamin mélancolique, le gosse
peu doué pour la vie, je me découvre doué pour la philo. À partir de là, j’ai
choisi de mettre ma force de penser au service de ma faiblesse de vivre. »
Ajoutons le témoignage de Boris Cyrulnik10, évoquant les effets de la
relation enseignant-élève :
« Il ne faut jamais oublier que l’intelligence est incroyablement
plastique, qu’un mauvais élève peut devenir bon en l’espace de quelques
mois quand il est dans un milieu sécure. Or, plus un système est rigide – et
le nôtre l’est – moins il tient compte de cette plasticité de l’intelligence.
[…] Nous avons en France de bons enseignants, motivés, bien formés et
désireux de bien faire leur métier. Mais peu ont conscience de l’impact
affectif qu’ils ont sur les enfants. Certains instituteurs, professeurs de
collège et de lycées, vont rassurer et réconforter les enfants par leur façon
d’être, leur manière de parler, leur attention à reprendre autrement une
explication mal comprise… Généralement, ils ne s’en rendent pas compte.
Un encouragement, une appréciation de leur part qui seraient perçus
comme des banalités par des adultes, auront chez un gamin en recherche de
sécurisation, une valeur inestimable. Ce sera un événement émotionnel fort
qui participera à structurer sa personnalité. D’ailleurs, lorsqu’on évoque
avec des étudiants leurs motivations à suivre telle ou telle filière du
Supérieur, il y a presque toujours le souvenir d’un enseignant en
particulier. »
Ce n’est pas le cœur du sujet, mais nous pourrions multiplier les
illustrations11. Les innombrables biographies ou autobiographies
de personnalités historiques, politiques, artistiques ou encore sportives
recèlent de ces portraits de « tiers privilégiés » ayant eu un rôle-clé dans ces
parcours tous uniques : la prise de conscience d’un talent, l’émergence de la
confiance en soi construite sur telle ou telle qualité, la croyance affirmée du
potentiel que celle-ci offre, le renforcement acharné de cette force, …
Si nos « tiers privilégiés » révèlent, valorisent ou augmentent nos
qualités, puis nous montrent comment les exploiter, rien ne précise leur
origine : ces qualités sont-elles inscrites en nous ou procèdent-elles de notre
environnement ? Sont-elles acquises et immuables ou peut-on les
développer et les faire évoluer ?

Nature contre culture


Le débat, est-il besoin de le préciser, dépasse de plusieurs années-lumière la
portée de ce livre ! Et de plus loin encore mes propres compétences.
En matière de talents, les tenants de la « nature » s’opposent à ceux de la
« culture » depuis des générations.
Les premiers considèrent que nos points forts sont des prédispositions
inscrites dans nos gênes, que nous sommes ensuite susceptibles ou pas
d’utiliser et de développer au fil de nos expériences. Il s’agirait donc pas
d’une détermination absolue, mais en d’autres termes d’un potentiel que les
occasions de la vie permettraient éventuellement de révéler. On pourrait
aussi parler d’inclinations, de penchants spontanés ou de qualités naturelles.
Cette conception se rapproche de la notion d’état d’esprit « fixe », tel que le
définit Carol Dweck.
À l’appui de cette vision des choses, on peut se référer aux nombreuses
études qui tentent d’identifier ce qui différencie les surdoués, les virtuoses,
les champions… du commun des mortels. Depuis longtemps déjà, les
scientifiques ont pesé, disséqué, analysé le cerveau des génies, avant même
que les techniques d’investigation modernes n’existent.
Poids du cerveau, volume total, volume de matière blanche ou grise,
périmètre crânien… ont fait partie des premières mesures, démontrant bien
un niveau de corrélation finalement assez peu élevé, comme le confirme
l’une des dernières méta-analyse menée12 : même si les personnes à haut
niveau de QI ont bien, en moyenne, un cerveau plus gros, sa taille ne suffit
pas à déterminer le niveau de QI. Quelques célèbres exceptions en attestent
d’ailleurs : Albert Einstein ou Anatole France, pour autant qu’on considère
qu’ils fassent bien partie du cercle des personnes « douées », ou celui plus
fermé encore des génies, possédaient, dit-on, un cerveau plus petit que la
moyenne.
Plus récemment, les technologies permettant d’explorer le
fonctionnement du cerveau (IRM…) ont apporté diverses pistes de
corrélation possibles, notamment entre QI et spécificités cérébrales13 :
• Plus grande activation de régions préfrontales et pariétales
postérieures.
• Plus grande connectivité fonctionnelle et anatomique,
particulièrement entre les deux hémisphères.
• Trajectoire développementale plus tardive de l’épaisseur du cortex
dans un certain nombre de régions.
• Hippocampe de moindre volume (relativement au volume cérébral
total).
Ces études sont passionnantes et permettent de mettre à jour des aspects
jusqu’ici inconnus de ce fabuleux organe qu’est notre cerveau. Mais en
dépit des corrélations qu’elles pointent, elles ne peuvent en conclure que
nos talents sont déterminés et bornés de nature.
Les seconds, tenants donc du développement « culturel » de nos
aptitudes, affirment au contraire que celles-ci sont uniquement le fruit de
notre environnement, de notre éducation, de nos apprentissages ou encore
de notre travail. Notre patrimoine génétique n’aurait que peu d’influence
sur nos capacités à apprendre, progresser et réussir dans n’importe quel
domaine que ce soit. Ainsi, nous pourrions, tout au long de notre vie,
continuer de les développer. On retrouve ici le paradigme qui fonde l’état
d’esprit « de croissance » cher à Carol Dweck.
À ce propos, le livre de Daniel Coyle, « Le Talent Code : on ne nait pas
talentueux, on le devient » (Editions Alisio, février 2020) apporte des
illustrations et une thèse intéressantes. L’auteur prolonge et complète la
théorie des 10 000 heures d’Anders Ericsson, rendue populaire par Malcolm
Gladwell en 200814.
S’appuyant sur ses propres travaux de recherches et sur des études
neuroscientifiques, Coyle met en lumière le rôle de la myéline dans le
mécanisme d’apprentissage. Selon lui « toutes les aptitudes humaines, que
ce soit jouer au baseball ou jouer du Bach, sont créées par des chaînes de
fibres nerveuses acheminant de minuscules impulsions électriques – c’est-à-
dire un signal qui parcourt un circuit. La myéline a pour rôle vital
d’envelopper ces fibres nerveuses, à la manière de la gaine en caoutchouc
qui enveloppe un fil de cuivre, ce qui permet d’éviter les déperditions
d’impulsions électriques, et de rendre le signal à la fois plus fort et plus
rapide […]. Lorsque nous activons nos circuits correctement – en nous
entraînant à faire le bon mouvement de la batte ou à jouer correctement
une note – la myéline réagit en enveloppant des couches d’isolant autour de
ce circuit neuronal. Chaque nouvelle couche correspond à une amélioration
de la compétence et de la vitesse. Plus la myéline devient épaisse, mieux
elle est isolée, et plus nos mouvements et nos pensées deviennent rapides et
précis. »
Ainsi Coyle défend l’idée que notre cerveau n’est pas pré-programmé
pour tel ou tel talent, mais capable en réalité, à force d’entraînement, de
créer une sorte de « réseau haut débit » sur-mesure, dédié à n’importe quelle
activité.
Bien d’autres études tendent ces dernières années à mettre en lumière la
plasticité de notre cerveau.
La neurobiologiste Catherine Vidal, directrice de recherche à l’Institut
Pasteur, résume ainsi les dernières avancées15 : « une des découvertes les
plus étonnantes est la capacité d’adaptation du cerveau aux événements de
la vie. Au cours des apprentissages et des expériences, c’est la structure
même du cerveau qui se modifie, avec la fabrication de nouvelles
connexions entre les neurones. On parle de « plasticité cérébrale » pour
décrire cette capacité du cerveau à se façonner au gré de l’histoire vécue.
Rien n’est jamais figé dans nos neurones, quels que soient les âges de la
vie. C’est une véritable révolution pour la compréhension de l’humain. Les
anciennes théories qui prétendaient que tout était joué très tôt, avant 6 ans,
sont révolues. Notre vision du cerveau est désormais celle d’un organe
dynamique qui évolue tout au long de la vie. »
Catherine Vidal précise : « quand le nouveau-né voit le jour, son cerveau
compte cent milliards de neurones, qui cessent alors de se multiplier. Mais
la fabrication du cerveau est loin d’être terminée, car les connexions entre
les neurones, ou synapses, commencent à peine à se former : seulement
10 % d’entre elles sont présentes à la naissance ; les 90 % restants se
construiront plus tard. »
Par exemple, s’agissant du cerveau des musiciens, des études ont pu
montrer des modifications du cortex cérébral liées à la pratique intensive de
leur instrument depuis l’enfance (Gaser, 2003). Des expériences ont été
réalisées chez des pianistes professionnels qui en moyenne avaient
commencé le piano à l’âge de 6 ans. Les images IRM ont révélé un
épaississement du cortex cérébral dans les zones dédiées à la motricité des
mains et à l’audition. Ce phénomène est dû à la fabrication de connexions
supplémentaires entre les neurones. Un point fondamental de cette étude est
que les modifications cérébrales sont proportionnelles au temps consacré à
la pratique du piano pendant la petite enfance. Ce résultat montre l’impact
majeur de l’apprentissage sur la construction du cerveau des enfants,
dont les capacités de plasticité sont particulièrement prononcées.
La plasticité cérébrale est à l’œuvre également pendant la vie d’adulte.
Une étude par IRM réalisée chez des chauffeurs de taxi a montré que les
zones du cerveau qui contrôlent la représentation de l’espace sont plus
développées, et ce proportionnellement au nombre d’années d’expérience
de la conduite du taxi (Maguire, 2000). L’apprentissage de notions
abstraites peut aussi entraîner des modifications cérébrales. Chez des
mathématiciens professionnels, on a observé un épaississement des régions
impliquées dans le calcul et la représentation visuelle et spatiale (Aydin,
2007). Un autre exemple éloquent de plasticité cérébrale a été décrit chez
des sujets qui apprennent à jongler avec trois balles (Draganski, 2006).
Après trois mois de pratique, l’IRM montre un épaississement des régions
spécialisées dans la vision et la coordination des mouvements des bras et
des mains. Et si l’entraînement cesse, les zones précédemment épaissies
rétrécissent. Ainsi, la plasticité cérébrale se traduit non seulement par la
mobilisation accrue de régions du cortex pour assurer une nouvelle
fonction, mais aussi par des capacités de réversibilité quand la fonction
n’est plus sollicitée.
Alors ? Qui dit vrai, qui dit faux ?
Sommes-nous seulement les héritiers d’un patrimoine génétique qui
détermine nos capacités, nous attribue des talents et au contraire nous limite
sur d’autres aspects ? Ou avons-nous au contraire la chance de disposer
d’une « machine » évolutive, configurable et reconfigurable, aux capacités
potentiellement infinies ?
L’extraordinaire avancée des recherches neuroscientifiques parait attester
de l’existence de cette « plasticité cérébrale » décrite par Catherine Vidal
dans l’article cité ci-dessus.
Mais mon point de vue n’est évidemment pas celui de la recherche de la
vérité : laissons aux scientifiques cette ambitieuse mission. C’est plutôt une
conviction que j’aimerais partager. Peu importe au fond, à mon sens, de
savoir quelle est la vérité : l’enjeu est de déterminer à quel principe se tenir
pour orienter le plus efficacement possible nos actes et nos comportements.
En l’occurrence, partir du principe qu’il y aurait un potentiel déterminé –
donc par opposition des points « naturellement » faibles – comporte un
risque évident : celui d’accréditer l’idée de limites dans le développement.
Comment, à la moindre difficulté ou stagnation, ne pas être alors tenté d’en
conclure trop hâtivement que ces limites « naturelles » sont atteintes ? Voilà
encore une pensée d’éléphant ignorant de sa force…
C’est ce même mécanisme d’auto-confirmation que peut également
déclencher le fameux Principe de Peter, tel en tous cas qu’il est compris
dans bon nombre d’organisations : dès qu’un collaborateur se trouve en
difficulté dans son poste, on invoque l’atteinte de son seuil
d’incompétence… sans prendre toujours le temps de porter un regard plus
fouillé et plus objectif sur la situation et notamment sur la manière
d’accompagner le dit collaborateur dans sa fonction. Peut-être a-t-il
simplement fini par s’éloigner un peu trop de son point fort…
J’ai donc la conviction qu’il est plus sain de partir du principe
de « culture », en affirmant que tout individu peut développer le talent de
son choix. À défaut d’être vrai, ce pari au sens de Pascal, oriente vers la
mentalité « de croissance » et ouvre donc de bien meilleures perspectives.
Le premier bénéfice de ce principe réside dans l’effet de mise en
confiance de l’individu lui-même : croire en ses capacités à réussir est un
indéniable facteur de succès, là où partir de l’idée qu’il existe forcément des
limites ne peut qu’amener à confirmer la croyance. Les éléphants qui ont
fini par s’échapper pourraient témoigner !
Ce qui me plait également, c’est que croire au potentiel illimité de chacun
impose un regard éminemment positif de la part de celui qui a la charge
d’aider la personne à progresser. Nous reviendrons sur cet effet
d’induction16 (ou effet Pygmalion) dans lequel on voit l’a priori que
l’enseignant a sur son élève, induire ses propres actes et comportements à
l’égard de cet élève, lesquels favorisent sa progression – ou au contraire la
freinent dans le cas d’un a priori négatif (on parle alors d’effet Golem).
Ce qui m’importe enfin, c’est que le principe de culture implique, encore
une fois, un questionnement permanent sur la pédagogie mise en œuvre :
à l’enseignant, au coach, au manager de trouver le chemin d’apprentissage
qui permettra à l’individu de développer de nouvelles qualités. Et si les
progrès ne viennent pas, c’est la responsabilité de du pédagogue qui est
alors engagée – responsabilité dans le sens non pas de culpabilité, mais
comme devoir d’apporter une réponse au problème.
La croyance que nous pourrions tous réussir à nous développer dans
n’importe quel domaine est sans doute naïve : même avec un bon coach et
beaucoup de travail, tout le monde ne réussira pas à acquérir les qualités
d’Einstein, celles de Federer, de Zidane ou de Mozart ! Mais les
orientations que donne cette croyance me paraissent aller dans le bon sens :
participer à libérer l’éléphant du pieu dérisoire qui le retient parfois encore.

Cachez ce talent que je ne saurais voir…


Les derniers exemples que je viens de citer – Einstein, Federer, Zidane,
Mozart – font référence dans leurs domaines respectifs. C’est le travers que
nous avons souvent quand on évoque la notion de points forts : par facilité,
nous l’illustrons avec des personnages d’exception… au risque de réduire la
notion de talent à un don génial. Le commun des mortels pourrait en
déduire alors qu’en comparaison, il n’a lui aucun talent !
Commençons ici par rappeler l’origine même du mot « talent », même si
elle est relativement bien connue : le talent désignait une unité monétaire
utilisée dans la Grèce antique et jusque dans l’Empire Romain. C’est la
fameuse parabole des talents figurant dans l’Evangile17 qui donnera au mot
son sens moderne.
Cette histoire illustre l’obligation pour les chrétiens de ne pas gâcher les
dons reçus de Dieu (symbolisés dans le récit par les talents – au sens
monétaire – donnés par un Seigneur à ses différents serviteurs) mais au
contraire de s’engager à les faire fructifier, même s’il y a un risque à le
faire. Ainsi les serviteurs ayant réussi à obtenir plus de talents qu’il n’en
avait reçus initialement se voient félicités, là où celui qui par peur de perdre
son argent, l’avait enterré, s’en trouve blâmé.
Devenu donc une « aptitude particulière à faire quelque chose », selon la
définition simple du premier dictionnaire venu, le talent s’apparente bien à
la notion de point fort.
Pourtant, dans la culture populaire, ce terme de talent induit souvent un
caractère remarquable, voire exceptionnel, comme dans les exemples de
personnalités cités quelques lignes plus haut. Il s’associe voire se confond
avec le génie. Le dictionnaire ajoute d’ailleurs cette dimension dans la
deuxième définition proposée : « Capacité, don remarquable dans le
domaine artistique, littéraire ».
Et nombreux sont ceux qui partagent cette croyance selon laquelle un
talent serait forcément une aptitude rare, spectaculaire ou exceptionnelle.
Mozart, Tiger Woods, Van Gogh, Baudelaire auraient du talent,
contrairement au quidam. Ce don hors du commun serait d’ailleurs bien
l’unique explication du génie qu’ils ont démontré dans la pratique de leur
art. Le talent n’existerait donc qu’en quelques très rares individus sur cette
Terre, touchés par la grâce, appelés à un destin fabuleux, par un Dieu, une
chance mystérieuse ou par le hasard de la génétique.
Le commun des mortels, lui, n’aurait pas eu cette « chance » : sans talent,
pense-t-il, le voilà alors, à coup sûr, condamné d’avance à devoir travailler
(beaucoup) pour espérer réussir (si peu). Le jeu n’en vaut pas la chandelle !
Et tout poussera rapidement le condamné à abandonner toute ambition et
tout effort. Tout l’inverse du génie qui lui, serait parvenu à briller sans
travailler !
Le monde se diviserait donc entre les pauvres besogneux sans don et une
poignée de surdoués pré-destinés : on réussirait grâce au talent, on
échouerait parce qu’on en manque.
Pourtant plusieurs expériences semblent bien attester d’une vérité
beaucoup plus nuancée, plus proche de l’affirmation du député britannique,
Sir Thomas Fowell Buxton18 : « Avec un talent ordinaire et une
persévérance extraordinaire, on peut tout obtenir ».
Citons par exemple ici, l’expérience menée en 1990 par le psychologue
Anders Ericsson au sein de l’Académie de Musique de Berlin.
L’étude commence par la répartition des violonistes en trois groupes de
niveaux différents :
• Le groupe 1, composé des « stars », jugées comme telles car ayant
le potentiel de devenir des solistes internationaux.
• Le groupe 2, réunissant les « bons », capables de vivre de la
pratique du violon.
• Et le groupe 3, formé de ceux n’ayant pas les capacités de devenir
des musiciens professionnels, destinés à une carrière plus ordinaire
de professeur de musique.

Aux trois groupes fut posée la même question : « depuis la première fois
que vous avez eu un violon en main, combien d’heures avez-vous joué ? »
L’analyse des réponses fit ressortir les constats suivants :
• Les musiciens avaient généralement tous commencé à jouer vers
l’âge de 5 ans, totalisant à peu près 3 heures de pratique du violon
par semaine jusqu’à l’âge de 8 ans, sans différence marquante d’un
enfant à l’autre.
• En revanche, à partir de 8 ans, émergeaient des comportements
différents : là où les élèves du groupe 3 avaient maintenu une
moyenne de 3 heures de pratique par semaine, les « stars » du
premier groupe avaient sensiblement accru leur volume d’exercice,
jusqu’à 16 h par semaine vers l’âge de 14 ans, et plus de 30 heures
à l’âge de 20 ans.
• Au total, les musiciens les plus assidus avaient déjà, à 20 ans,
cumulé environ 10 000 heures de pratique, là où d’autres ne
s’étaient exercé que 2 000 heures en moyenne.

Ericsson et son équipe n’avaient pas trouvé de musicien « naturel », qui


aurait réussi du seul fait de son talent. Les gens qui atteignent le sommet
possèdent certainement un don, mais ils travaillent aussi plus et plus dur
que les autres.
Daniel Levitin19, psychologue et neuroscientifique américano-canadien,
professeur de psychologie et de neurosciences comportementales
à l’Université McGill de Montréal le confirme : « Que les études portent
sur des basketteurs, des romanciers, des patineurs, des joueurs d’échecs ou
des criminels passés maîtres, le nombre des 10.000 heures revient
constamment ».
En 2008, le journaliste du New Yorker Malcolm Gladwell, reprenait
largement ces conclusions dans son best-seller Outliers, The Story of
Success. Pour lui, « le succès est une goutte de talent dans un océan
de travail ». attestant ce que déjà Aristote affirmait en son temps
pourtant bien lointain :
« L’excellence est un art que l’on n’atteint que par l’exercice constant.
Nous sommes ce que nous faisons de manière répétée. L’excellence n’est
donc pas une action mais une habitude. »
À en croire une fois de plus ces différentes études, l’influence des
prédispositions innées semble plus limitée que nous le laisse penser
l’évocation des « génies » que l’on tient pour représentatifs de la notion de
talent. Partout apparait le facteur travail, ce que les spécialistes appellent la
pratique délibérée. Le talent facilite, encourage, motive celle-ci, mais ne
fait pas tout !
Le talent n’est donc sans doute pas ce don hors du commun, ce facteur
mystérieux et différenciant dans lequel nous aimons souvent croire :
avouons qu’il peut être confortable d’invoquer l’absence de talent pour
justifier nos renoncements ou nos échecs.
Je crois au contraire que nous avons tous des talents : ces talents ne sont
pas autre chose que les qualités que j’évoque depuis le début de ce livre. À
croire que le talent est forcément une aptitude hors du commun, on tend à
sous-estimer nos propres qualités, à perdre de vue les forces dont on est
pourtant doté – comme l’éléphant ! Il est d’ailleurs souvent plus difficile
pour nombre de gens de parler de leurs points forts que d’évoquer leurs
défauts…
À ceux qui, malgré tout, auraient développé la conscience de leurs
talents, il est en outre conseillé de rester modestes : celui qui ose dire qu’il
possède un talent, est qualifié d’incroyable prétentieux. Qu’il fasse la
preuve de son génie, ou qu’il se taise !
Souvenez-vous (et si, comme moi, vous n’étiez pas né, faites
semblant…) …
Nous sommes au début des années 1950. Notre homme, depuis des
années, court après une carrière de chanteur « qui ne décolle pas », comme
il le reconnaît lui-même.
Les critiques se moquent de sa voix nasillarde, qui par ailleurs manque de
puissance. Ils raillent son physique et sa gestuelle : « petit homme, petit
chanteur » peut-on lire cruellement dans la presse. À cette époque, après un
énième « bide », il écrit lui-même :
« Quels sont mes handicaps ? Ma voix, ma taille, mes gestes, mon
manque de culture et d’instruction, ma franchise, mon manque de
personnalité. Ma voix ? Impossible de la changer. Les professeurs que j’ai
consultés sont catégoriques : ils m’ont déconseillé de chanter. Je chanterai
pourtant, quitte à m’en déchirer la glotte. D’une petite dixième, je peux
obtenir une étendue de près de trois octaves. Je peux avoir les possibilités
d’un chanteur classique, malgré le brouillard qui voile mon timbre. »
Lucide et obstiné à la fois, l’artiste y croit.
Et comme s’il agissait d’une provocation lancée aux critiques, c’est
précisément en clamant son talent qu’il connût enfin, quelques années
après, le succès tant espéré :
Je me voyais déjà en haut de l’affiche
En dix fois plus gros que n’importe qui mon nom s’étalait
Je me voyais déjà adulé et riche
Signant mes photos aux admirateurs qui se bousculaient
[…]
Moi j’étais trop pur ou trop en avance
Mais un jour viendra où je leur montrerai que j’ai du talent
Charles Aznavour, « Je m’voyais déjà », Barclay, 1961.

Ce n’est pas le don hors du commun qui fait la réussite, mais la capacité
de croire que nos talents ordinaires suffisent à réaliser des choses
extraordinaires, et l’investissement que cette croyance déclenche.
Talent et point fort se confondent dès lors que l’on s’en tient à leur
définition commune : une aptitude à faire quelque chose, peu importe
qu’elle soit communément répandue sur la planète, ou au contraire hors du
commun, particulièrement forte ou juste singulière. L’histoire d’Aznavour
l’illustre bien : le chanteur a dû composer avec une voix, un physique, une
gestuelle qu’objectivement personne ne voyait comme des atouts, mais qui
ont bien finalement contribué à forger un talent singulier. Gardons en tête
cette notion de « singularité » sur laquelle je reviendrai en évoquant les
bénéfices du développement des points forts.

Les deux faces d’une même pièce


Pour terminer de bien appréhender la notion de point fort/point faible, nous
pourrions la comparer aux deux faces d’une même pièce.
Cette pièce décrit une partie de nous : notre façon de percevoir les
choses, de les penser, de concevoir une réponse, de prendre une décision,
une manière d’agir ou de se comporter. Chacune des deux faces représente
des aptitudes opposées l’une à l’autre.
Par exemple, si nous étudions la pièce « perception », nous verrions que
le côté pile de la pièce représente le mode « global » (la capacité à percevoir
un paysage dans son ensemble), là où le côté face représente le mode
« détaillé » (capacité au contraire à envisager chaque élément du paysage).
L’un verra la forêt, là où l’autre regardera chacun des arbres qui la compose.
Selon que l’on utilise spontanément l’un ou l’autre des modes, on perçoit
donc soit ce qui nous entoure de façon conceptuelle (on s’en représente une
idée avant tout), soit de manière plus factuelle (juste les choses, une par
une, comme on les voit, comme on les entend, comme on les sent).
Il existe à ce propos diverses grilles de lectures, dont la plus utilisée est
certainement celle issue des travaux de Carl Gustav Jung.
À la base de nombreux tests de personnalité (dont le célèbre MBTI®), les
axes de Jung indiquent :
• D’où nous tirons notre énergie, soit plutôt de l’intérieur de nous-
mêmes (réflexion, calme, introspection…), soit plutôt
de l’extérieur (relations, environnement, action…). C’est l’axe
Introversion/Extraversion (I ou E dans le MBTI®).
• Comment nous percevons l’information : soit de nos Sensations
(chaque détail, chaque objet, sa forme, sa couleur, sa taille…), soit
plutôt de notre iNtuition (perception globale et conceptuelle).
Ce sont les lettres S ou N dans le profil MBTI®.
• La façon avec laquelle nous faisons nos choix : soit de manière
raisonnée, Thinking selon le terme consacré (argumentation,
intérêt, calcul rationnel…), soit en utilisant notre Feeling
(sentiment, émotion, j’aime/j’aime pas…). Cet axe renvoie au T ou
au F du profil MBTI®.
• Enfin, notre manière d’organiser notre vie au quotidien : soit de
façon structurée, selon la fonction Jugement (préparation,
planification, ordre…), soit dans une logique plus spontanée,
en fonction de ce que l’on vit dans l’instant (Perception :
adaptation, changement, improvisation…). J ou P selon la
typologie MBTI®.

Précisons bien sûr d’emblée que nous sommes tous capables d’utiliser
chacune de ces 8 fonctions : ce qu’en revanche Jung a mis en lumière (et
que les chercheurs en neurosciences confirment), c’est l’existence chez
chacun d’entre nous, de fonctions dominantes, c’est-à-dire de fonctions que
nous utilisons de façon préférentielle, le plus spontanément et le plus
facilement. Ce sont nos points forts.
Si je décris rapidement ces différents axes ici, c’est pour mettre en
lumière l’idée des deux faces de la pièce. À chaque qualité « dominante »
pour reprendre ce terme, correspond en effet une qualité que nous pourrions
appeler « contradictoire » : quand nous utilisons de façon préférentielle
l’une, par définition, nous n’utilisons pas l’autre – et notez que j’utilise bien
ici le terme « utiliser » et non pas le terme « avoir » qui laisserait penser que
nous ne posséderions l’une mais pas l’autre.
Aucun des deux côtés de la pièce n’est mieux, préférable ou plus
enviable que l’autre. Les deux faces sont d’ailleurs plus complémentaires
qu’opposées. Ni l’un ni l’autre n’est a priori un point fort ou un point
faible. Tout dépend, une fois encore, du « quoi », de l’activité pratiquée, du
contexte ou de la situation. Que l’on soit pile ou face, on peut réussir dans
un nombre illimité de domaines à condition de trouver le chemin
d’apprentissage adapté à notre dominante.
L’expérience suivante est certainement simpliste mais je la trouve
parlante. Essayez donc d’écrire votre nom avec la main gauche si vous êtes
droitier (ou l’inverse pour les gauchers) : vous y arrivez sûrement, mais ce
n’est ni agréable, ni aisé, ni rapide. Le résultat n’est probablement pas
terrible… Mais avec un peu d’entraînement, vous réussiriez à vous
améliorer. Si vous vous étiez cassé la main (ce que je ne vous souhaite
évidemment pas !), vous seriez bien obligé de vous y faire. Droitier ou
gaucher sont les deux faces d’une même pièce. Nous choisissons d’utiliser
une main ou l’autre en fonction de nos préférences (souvent très affirmées
depuis notre jeune âge) ou, dans certains cas, selon l’activité que nous
pratiquons.
Me vient à ce propos l’exemple de Rafael Nadal, cas original de
« droitier contrarié » : Petit, jusqu’à 10 ans environ, le champion au
palmarès impressionnant tenait sa raquette avec les deux mains, tant côté
revers que côté coup droit. Pour son oncle et coach Toni, l’heure était venue
de choisir une main. Bien que le jeune garçon utilisait sa main droite dans la
vie de tous les jours, Toni décida d’encourager son neveu à jouer au tennis
avec la gauche.
Au cours de l’impressionnante carrière du majorquin, on aura eu tout le
temps de se rendre compte en tous cas de la redoutable efficacité de son
coup droit de gaucher ! On peut y voir une jolie illustration du fait qu’un
point fort peut se construire au-delà de ce à quoi l’inné peut prédestiner. On
remarquera aussi, si l’on est amateur, la singularité de la gestuelle du joueur
laquelle, loin d’être académique, lui permet de tirer le meilleur parti de ses
qualités.
Ses adversaires n’en finissent pas de remercier tonton Toni. Ils pourraient
aussi et surtout s’inspirer de la logique des points forts !
Chapitre 2

Améliorer ses points faibles : un (mauvais)


réflexe persistant

« Chassez le naturiste, il revient toujours au bungalow ! »


Jean-Paul Grousset

Lors des rencontres que j’anime fréquemment auprès de chefs d’entreprise,


je croise beaucoup de patrons fiers de l’entreprise qu’ils ont créée ou fait
prospérer, que celle-ci soit de taille modeste ou plus importante. Soucieux
de la pérennité de leur activité et des emplois qui en dépendent, ils sont le
plus souvent très avides des pistes pouvant leur permettre de progresser
dans leur rôle de dirigeant.
En abordant avec eux le thème du management, j’évoque
systématiquement la question des points forts/points faibles comme axe
pouvant structurer leurs pratiques et celles de leurs collaborateurs. Leurs
réactions à cette proposition-là sont révélatrices d’un paradoxe surprenant.
En effet, lorsqu’ils évoquent leurs parcours, en début de réunion, les
chefs d’entreprise insistent souvent sur leurs motivations entrepreneuriales.
Parmi celles-ci : la liberté de pouvoir faire les choses comme bon leur
semble, la possibilité d’exprimer ce qu’ils sont à travers leur projet
d’entreprise ou encore l’opportunité d’affirmer leurs qualités et d’en tirer
pleinement parti. Ceux qui ont connu un parcours salarié disent d’ailleurs
combien ils ont pu se sentir enfermés quand leur patron d’hier bridait leurs
talents.
Pourtant, curieusement, ce sont ces mêmes personnes qui, plus tard dans
la journée, expriment en majorité leur surprise – et pour certains leur
désaccord – quand donc je leur propose d’orienter le management de leurs
équipes sur les points forts et non pas sur les points faibles.
Etonnant paradoxe : le réflexe des points faibles est si profondément
ancré que même ceux qui ont vécu l’expérience positive des points forts
peinent à en tirer les bonnes leçons !
Et si parmi eux certains, intellectuellement, partagent l’idée qu’il est plus
pertinent de miser sur les points forts, ils réalisent et reconnaissent
finalement qu’en pratique, ils continuent inconsciemment à obéir au diktat
des points faibles.
Mais pourquoi ce réflexe continue-t-il à persister de manière aussi
vivace ?

Travailler les points faibles :


une longue histoire !

L’effet d’habitude et de reproduction


La première raison est on ne peut plus basique : depuis notre plus jeune âge,
nous baignons dans la culture des points faibles. C’est pourquoi le réflexe
de travailler nos points faibles est inscrit en nous, comme est enfoui chez
l’éléphant le souvenir de ses vaines tentatives d’arracher ce pieu fragile qui
le tient pourtant solidement attaché.
Comme l’éléphant, nous avons peut-être oublié l’usage que nous
pourrions faire de nos propres forces. Et par extension logique,
nous restons alignés avec la logique des points faibles chaque fois que
nous avons la charge d’accompagner un tiers, qu’il s’agisse de nos
enfants, d’élèves, ou de collaborateurs. Ainsi, par le discours,
ou seulement par nos pratiques éducatives, pédagogiques ou
managériales, nous continuons de perpétuer le réflexe des points faibles.
Il n’y a peut-être que dans notre tendre enfance que nos parents nous
ont laissés libres d’utiliser nos forces. Il suffit d’observer les jeunes
enfants, à la maison ou dans les crèches et les écoles maternelles : leurs
occupations, leur manière de jouer, d’interagir avec leurs camarades ou
avec les adultes, leur façon de percevoir leur environnement ou de
bouger, sont autant de différences facilement perceptibles.
À ces âges-là encore, tout est « mignon » : le petit garçon très
concentré sur son dessin, imperturbable à l’agitation qui l’entoure, n’est
pas encore un élève timide qui doit absolument sortir de sa coquille. Il est
appliqué et fait l’admiration de ses parents par la minutie et le soin de ses
œuvres.
À l’autre bout de la cour de récréation, la petite fille joyeuse et
insouciante, entourée d’amies, n’est pas encore l’élève turbulente et
dissipée. Elle est pour l’heure reconnue pour ses facultés de
sociabilisation et son extraversion.
Au-delà de ces quelques observations empiriques, différentes études
ont montré que les enfants développaient des aptitudes surprenantes.
Ainsi Sir Ken Robinson, universitaire britannique et expert
internationalement reconnu de l’éducation1, a mené une étude auprès de
1 500 enfants de maternelle afin d’évaluer leur créativité, en leur
soumettant une question unique : « combien d’usage pourriez-vous
imaginer à ce simple trombone ? » 98 % des enfants de 5 ans qu’il a
interrogés ont été capables de trouver au moins 200 usages différents (ce
qui suppose d’imaginer que le trombone pourrait mesurer 150 mètres de
longueur, ou encore qu’il puisse être fabriqué en mousse et non en
métal…). Plus intéressant : à 8-10 ans, ils ne sont plus que 30 % à trouver
200 usages, et seulement 12 % à l’âge de 13-15 ans. Encore mieux : une
majorité d’adultes ne parvient à trouver que 10 à 15 idées d’usage…
Ce n’est évidemment pas l’âge en tant que tel qui dégrade notre
potentiel créatif, mais certainement l’étroitesse du moule éducatif qui,
plutôt que d’encourager cette aptitude naturelle à créer, finit par la borner.
Dans l’enfance se trouve ce qui nous distingue des vieux éléphants :
cette insouciance d’être ce que nous sommes, d’utiliser nos forces sans se
conformer aux injonctions modélisantes, nous l’avons connue,
expérimentée, au moins entrevue. Encore faut-il que nous en ayons gardé
la mémoire : « Toutes les grandes personnes ont d’abord été des enfants,
mais peu d’entre elles s’en souviennent », disait Antoine de Saint-
Exupéry.
Il faut dire que très vite, dans notre enfance, a ensuite été planté le pieu
qui nous a solidement attachés à nos défauts. Dès que sont apparues les
velléités éducatives de nos parents, efficacement relayées par beaucoup
des enseignants que nous avons ensuite connus, l’injonction à corriger
nos défauts s’est affirmée.
Je ne parle pas évidemment ici de l’apprentissage des règles de base,
qu’il s’agisse de politesse, de propreté ou d’ordre : ces notions
fondamentales – qui imposent des actions ou des comportements souvent
simples – n’ont rien à voir avec la question des points faibles ou des
points forts. Il s’agit d’exiger la réalisation et l’intégration de « quoi »
indispensables, loin du débat sur le « comment ». Cette parenthèse me
permet de préciser que la valorisation des points forts – et l’approche
consistant donc à ne pas s’obstiner sur les points faibles – n’est en rien
incompatible avec la nécessaire intransigeance que l’on peut associer au
respect des règles. Mieux encore, je vois dans la complémentarité de ces
deux notions, un principe fort d’éducation, de pédagogie, de
management.
Les messages négatifs dont je parle ici, sont bien ceux qui pointent nos
prétendus défauts à corriger ou manques à combler :
• L’enfant extraverti, dont on disait « c’est bien, il est vivant et joyeux ! »
à qui désormais on reprochera de souvent parler sans prendre le temps
de réfléchir : « Ça te jouera des tours, tu verras ! »
• L’élève de 6ème, au contraire, réservé, qui pourra souvent lire sur son
bulletin scolaire : « Élève sérieux et appliqué, mais doit s’exprimer
davantage en classe. »
• L’apprenti sportif, qui le mercredi, durant tout le cours de tennis,
entendra le moniteur pointer qu’il ne regarde pas assez la balle, ne
prépare pas ses coups assez tôt, ou ne pose pas bien ses appuis :
« C’est pour ça que ton coup droit ne passe pas ! »
• L’étudiant, jugé brillant par ses professeurs, mais qui peine à
s’organiser et travaille souvent à la dernière minute : « Il faut
apprendre à anticiper et gérer son temps, sinon vous n’y arriverez
pas : vous ne pourrez pas toujours compter sur votre talent ! »
• Le collaborateur appliqué, toujours désireux de bien faire, qui manque
de recul et se noie dans les détails : « Prenez de la hauteur de vue,
apprenez à mettre les choses en perspective, ça vous sera utile dans la
suite de votre carrière ! »
• Le manager confirmé, qui chaque année pourtant, lors de son entretien
individuel d’appréciation, s’entend répéter sa « trop grande »
gentillesse et son « manque d’affirmation ».

À force d’entendre ces messages, nous connaissons d’ailleurs plutôt


bien tous nos défauts, souvent mieux que nous ne connaissons nos
qualités : les messages nous permettant de prendre conscience de nos
atouts sont moins nombreux, et lorsque parfois néanmoins nous sommes
valorisés, c’est davantage au travers de la réussite dans un « quoi » (la
partie visible de l’iceberg), qu’en mettant en lumière le « comment » (la
force qui permet la réussite en question). Il en résulte que la connaissance
de nos défauts s’avère souvent complète et détaillée, là où la conscience
de nos forces reste à la fois plus faible et plus floue.
Il faut avouer que cette prise de conscience des points faibles
correspond bien au vœu d’humilité que la culture nous invite à faire :
autant il est de bon ton de reconnaître ses manques, autant il est mal vu
de prétendre posséder telle ou telle qualité. Parler de ses points forts est
un péché d’orgueil qu’on ne pardonne qu’à Aznavour et aux autres
génies ayant pu démontrer l’immensité de leurs talents : le « vantard » se
verrait très vite reproché son manque de modestie – ce qui en
l’occurrence lui fera déjà un premier vilain défaut !
Lorsqu’ensuite, nous devenons à notre tour en charge d’accompagner
dans leur réussite nos enfants, nos proches ou encore nos élèves ou nos
collaborateurs, nous reproduisons généralement le même schéma, en
nous intéressant bien davantage à leurs points faibles qu’à leurs points
forts.
L’analyse d’abord, nous porte à pointer les écarts entre les modèles que
nous avons en tête (ce que devrait être un enfant, un élève,
un collaborateur…) et ce que nous observons des actes et des
comportements de ceux que nous cherchons à aider.
Le sacro-saint entretien annuel, en vigueur dans bon nombre
d’entreprises, est très représentatif de cet exercice qui, dans ce contexte,
sera précédé en amont d’une analyse formalisée des « axes de progrès »
du collaborateur – car il va de soi qu’il fallait, dans la novlangue, trouver
une appellation positive à nos points faibles ! Pour les découvrir, et
donner un cadre à l’analyse, le modèle par rapport auquel l’évaluation
doit être faite est fourni : on appelle ça un « référentiel » – eh oui ! Vous
connaissez peut-être ce principe : plus les mots sont alambiqués, plus les
honoraires des consultants sont élevés !
Bien entendu, un référentiel, comme tout modèle, pose un idéal : il
dresse le portrait du « parfait » collaborateur, celui qui aurait toutes les
qualités… et leurs contraires aussi ! Ce qui assure que le manager menant
l’entretien pourra toujours trouver des axes de progrès, car comme le
soulignent d’ailleurs les consignes qui accompagnent souvent ces
référentiels : personne ne peut avoir 100 % dans tous les critères !
Il y a mieux : plus un collaborateur démontre des qualités fortes, plus il
a de chances de s’entendre dire qu’il a des manques flagrants ou des
marges de progrès importantes sur les qualités antinomiques. De quoi
passer l’envie d’affirmer ses points forts ! De quoi aussi encourager les
profils « moyens », sans défauts… mais sans qualités fortes non plus !
Une fois cette analyse des écarts posée, vient le temps de la prise de
conscience. Là aussi, l’injonction est forte : seul celui à qui on aura fait
prendre conscience de ses lacunes pourra progresser. C’est évident,
pense-t-on… Donc, pédagogiquement, il faut dire aux gens leurs défauts
et, si besoin, il faudra les leur répéter, jusqu’à ce qu’ils admettent que
« oui, c’est un point qu’ils s’engagent à améliorer ! »
Là où nous prétendons viser un objectif d’efficacité – aider l’autre à
progresser – s’opère une sorte de glissement vers le champ de la morale :
il faudrait avouer son point faible, comme il faut faire son mea culpa
quand on a commis un mauvais acte. Comme si le fait d’avoir tel ou tel
trait de caractère pouvait être assimilé à une faute !
Dans les entreprises, le fameux entretien annuel s’organise bien
souvent autour de cette logique de prise de conscience, en dépit des
objectifs de motivation généralement affichés : « faire prendre
conscience » au collaborateur de ses axes d’amélioration pour l’année à
venir, y a-t-il écrit dans le petit manuel du parfait « manager-coach » !
Seule concession, pour la forme : on commencera par détendre son
interlocuteur avec quelques « feedbacks » bienveillants (feedback
bienveillant, un combo gagnant à forte valeur ajoutée pour les
consultants), avant de lui asséner la vérité sur ses axes de progrès, à
travers bien sûr un discours « mobilisant et non culpabilisant » (deux
mots à utiliser tels quels, on ne sait jamais, sur un malentendu, ça peut
marcher !).
Autre astuce proposée : tenter, par un jeu de questions, d’amener
l’autre à reconnaître lui-même ses points faibles ! La ficelle est d’autant
plus grosse que le manager, pas toujours adroit dans l’art du
questionnement, a recours aux tournures interro-négatives du genre :
« est-ce que tu ne crois pas que tu gagnerais à travailler sur ceci ou
cela ? » Obtenir des aveux n’est donc pas seulement le Graal du policier,
il est aussi celui du manager…
« À qui profite le crime ? », aurais-je envie de me demander en
poursuivant cette métaphore policière. Qui se réjouit le plus de cette prise
de conscience ? Qui a-t-elle le plus motivé ?
Le collaborateur touché (ou agacé) par ce nouveau reproche (il l’a
souvent pris comme tel) sur un point faible qu’il s’obstine à atténuer
depuis des années ? Ou le manager satisfait du devoir accompli,
qui pense avoir créé le « déclic du progrès » ?
La prise de conscience est un point-clé dans la mise en œuvre de la
logique des points faibles. Ce serait en effet l’étape décisive marquant
l’engagement de l’individu à corriger ses défauts. Par cette sorte de
« mea culpa », le voilà contraint de faire ce qu’il faut pour changer !
Vient donc ensuite le temps de l’action, consistant à amener le pauvre
bougre2 à réellement travailler ses points faibles. Selon le contexte, il
s’agit de faire répéter, de former, de « coacher » (le terme est impropre en
réalité, car l’art du coaching consiste au contraire à utiliser les ressources
de la personne, ses points forts en d’autres termes) : l’idée générale
consiste à lui imposer de développer des aptitudes qu’il ne possède pas.
Il n’y a bien sûr rien de choquant en soi dans cette idée : il est même
plutôt pertinent, dans une formation au management ou encore dans un
entraînement sportif, de placer l’individu dans des situations qui sont
pour lui inconfortables. Elles lui permettent justement de mieux ressentir
ses points forts et ses points faibles, de comprendre comment exploiter le
plus intelligemment possible ses qualités et en ressentir les limites. Elles
l’aident, nous y reviendrons bien sûr, à trouver le meilleur chemin pour
réussir.3
La difficulté vient du caractère exclusif et intense du travail sur les
points faibles, de ce que le chemin le plus ardu pour l’individu, pour
reprendre cette image, est ici imposé comme passage obligé.
Dans l’approche culturellement la plus fréquente, les points faibles
représentent le cœur des actions de formation ou d’accompagnement. Le
soutien scolaire de l’élève, la séance de sport, le séminaire de formation
ou les séances dites de « coaching » n’ont alors comme seule finalité que
l’amélioration des points faibles, avec à la clé, comme nous le
détaillerons plus loin, beaucoup d’efforts et peu de progrès. Ainsi notre
cobaye pourra lui-même en conclure qu’au moins cette formation, à
défaut de l’avoir vraiment à progresser, lui aura « permis d’encore mieux
prendre conscience de ses points faibles. » CQFD !
Quel formateur, en entreprise, n’aura pas entendu cette conclusion en
tour de table de fin de session ?
« Merci, j’ai vraiment pris conscience de mes défauts… » : un merci
sincère mais un peu amer, qui précède l’engagement de corriger les
défauts en question, de mettre en pratique les techniques répétées, etc…
Nous le savons pourtant : ce tour de table, culturellement en phase
avec l’approche par les points faibles, n’annonce pas un très bon retour
sur investissement pour l’entreprise qui a financé cette formation.
Sans doute aurait-il mieux valu entendre : « Merci, j’ai pris confiance
dans mes points forts : je vois mieux maintenant comment en tirer parti
dans telle ou telle situation et je comprends aussi dans quelle situation je
dois être vigilant… »
Mais cela imposerait de changer assez radicalement la façon avec
laquelle l’entreprise construit sa politique de formation et de faire évoluer
également la manière de concevoir les pédagogies de ces mêmes
formations.
Dernier étage de la fusée des points faibles – qui n’a jamais mis grand
monde sur orbite (toute ressemblance avec une célèbre phrase d’Audiard
serait purement fortuite…) : le débriefing des échecs.
En effet, dans la très persistante culture des points faibles, nous avons
tendance à reproduire une pratique que nous avons nous-mêmes vécue
(ou devrais-je dire subie !) : l’analyse a posteriori de nos actions, toujours
plus détaillée en cas d’échec qu’en cas de succès. Pourtant, l’analyse de
nos succès aurait une vertu inestimable : nous aider à prendre conscience
de nos qualités, de nos points forts, de nos talents. Cela nourrirait notre
confiance en nous et notre motivation à poursuivre nos efforts. Et nous
éclairerait un peu plus sur la façon la plus efficiente de réussir dans telle
ou telle activité. Un précieux trésor… !
Mais non ! Dans la logique des points faibles, le plus important est
d’analyser les causes des échecs. On ne compte plus d’ailleurs les livres
ou les posts vantant les vertus de l’échec : seuls ceux qui ont échoué
réussissent, c’est dans l’échec qu’on apprend, etc… À se demander si on
ne veut pas plus aimer l’échec que la réussite !
Que l’échec, lorsqu’il survient, puisse être bénéfique, personne n’en
doute. Qu’il soit porteur d’enseignement et donc facteur de progrès, pour
celui qui accepte de se poser les bonnes questions, c’est une évidence.
Mais cela ne doit pas faire oublier les bénéfices qu’ont aussi les succès.
Donc, dans la bonne vieille logique des points faibles, il faut passer du
temps à analyser les causes de l’échec. Et, sans surprise, le diagnostic est
souvent le même : l’échec est dû à nos points faibles. Voilà pourquoi il
faut redoubler d’effort pour les améliorer, pouvons-nous en conclure une
fois de plus !
J’y consacrerai un développement plus loin dans le livre, car ce
diagnostic de prime abord très logique, est pourtant très contestable : ces
points faibles constituent généralement plus un symptôme que la cause-
racine de nos difficultés. Nous échouons en réalité plus souvent parce que
nous avons oublié nos points forts, parce que nous nous en sommes
décalés ou parce que nous les avons insuffisamment travaillés.
Mais la première conclusion reste la plus fréquente : l’échec
rappellerait toujours plus fortement l’injonction à corriger ses défauts.
La boucle est bouclée et la culture des points faibles peut ainsi
continuer à influencer les générations futures… alors même qu’elle a fait
la preuve de son inefficience.

L’influence de la psychologie traditionnelle


La persistance du réflexe d’amélioration des points faibles tient sans doute
aussi à l’influence de la psychologie, conçue d’abord pour traiter ce qui ne
va pas, pour guérir les troubles mentaux et alléger les souffrances.
Durant tout le XXe siècle, la majorité des approches psychologiques
étaient dédiées aux pathologies. Peu à peu, cette vision « patho-centrée »
des fonctionnements de la psyché a nourri notre inconscient collectif.
« Il n’est pas nécessaire de faire un calcul savant pour percevoir cette
différence quantitative d’intérêt de la psychologie pour les
dysfonctionnements humains. Pensons par exemple, au nombre
d’ouvrages écrits par des chercheurs en psychologie sur la délinquance
juvénile, la toxicomanie ou l’anorexie des adolescents, etc.,
comparativement au nombre de ceux consacrés au bonheur des enfants et
des jeunes. Faut-il en conclure que tous les jeunes sont violents et
dépressifs ? », fait remarquer Jacques Lecomte4 dans la revue du
MAUSS 2018/1 (no 51)
Dans la même logique, souligne encore Jacques Lecomte,
« la conception négative de l’être humain est particulièrement présente
au sein de la psychanalyse. L’opinion de Freud a parfois varié sur
certains aspects du fonctionnement humain, mais une constante se
dégage sans ambiguïté de l’ensemble de son œuvre : son regard sur l’être
humain a toujours été très négatif. Cela commence dès le jeune âge :
« L’enfant est absolument égoïste, il ressent intensément ses besoins et
aspire sans aucun égard à leur satisfaction, en particulier face à ses
rivaux, les autres enfants. » (Freud, 2004, p. 290).
Cette conception de la psychologie – et sans doute de l’être humain
plus largement, n’est sans doute pas étrangère à notre tendance culturelle
à repérer ce qui pourrait être « anormal » pour chercher ensuite à éliminer
le problème.
Ce n’est qu’assez récemment, à la fin des années 1990, dans le sillage
de Martin Seligman5, que s’est réellement développée une « psychologie
positive »6, visant à orienter la recherche et l’action non plus seulement
sur « ce qui va mal » chez les gens, mais sur « ce qui va bien ». Certes,
d’autres auteurs avaient déjà parlé de « développement du potentiel
humain » et de thèmes apparentés, mais la plupart n’avaient guère eu le
souci de vérifier systématiquement leurs belles théories et les résultats de
leurs interventions. Seligman lui s’est appliqué à soumettre ses
découvertes aux règles de la vérification empirique qu’on utilise pour
évaluer les traitements médicaux et les psychothérapies.
Dans un texte de référence « What (and why) is positive psychology »,
publié en 2005, la psychologue américaine Shelly Gable et son confrère
Jonathan Haidt, ont définit la psychologie positive comme « l’étude des
conditions et processus qui contribuent à l’épanouissement ou au
fonctionnement optimal des gens, des groupes et des institutions. »
L’objectif majeur est d’aider les intéressés à construire une vie
heureuse par des « interventions positives » plutôt que par une
focalisation sur des dysfonctionnements psychologiques et une analyse
interminable d’événements du passé.
La « psychologie positive » s’intéresse notamment à trois aspects
positifs de l’expérience humaine, décrit comme trois piliers essentiels
d’une « vie pleine et heureuse ».
Le premier, nommé la vie plaisante, est centré sur notre capacité à
ressentir positivement ce que nous vivons présentement. Elle cherche à
maximiser les sensations et émotions positives dont nous pouvons tirer
notre plaisir. Les études qui s’intéressent à ce domaine portent
généralement sur l’expérience subjective positive, par exemple, le bien-
être, le contentement et la satisfaction d’une vie bien vécue, démontrant
que nous n’avons pas tous les mêmes capacités à profiter des plaisirs de
la vie.
Le deuxième aspect, la vie engagée, consiste à utiliser les forces de
caractère et les talents pour bâtir une « bonne vie ». Cette dimension
rejoint le sujet traité dans ce livre. Elle correspond à notre aptitude à
prendre conscience de nos traits personnels positifs de façon à pouvoir
les exploiter dans ce que nous faisons, et ainsi privilégier la construction
d’une existence « alignée » en tous points avec nos forces.
Le troisième aspect, nommé la vie signifiante (meaning life),
correspond plutôt à la notion de sens : elle valorise le sentiment d’être au
service de quelque chose de plus grand que soi, remarquant que les
personnes qui s’engagent pour une cause qui les dépasse semblent vivre
plus heureux.
De nombreuses critiques7 ont certes pointé les limites de ce qu’ils
qualifient de « pseudo-science du bonheur », dénonçant pêle-mêle
l’émergence d’un juteux business qui enrichit les charlatans du « bien-
être » (coachs en tout genre, happyculteurs, Chiefs Happiness Officers,
etc…), les études fumeuses aux résultats plus que discutables quand ils
ne sont pas purement et simplement trafiqués, les innombrables méthodes
de développement personnel et positif sans fondement… Ces dérives sont
réelles, d’ailleurs fréquentes dès qu’apparait une mode quelle qu’elle soit.
Quand elle est trop abondante, la mousse du savon pique les yeux :
faut-il pour autant jeter le savon ? interroge le dicton avec bon sens.
Le véritable débat concerne peut-être moins les questions de
surabondance ou d’efficacité des techniques de mieux-être, que la vision
du monde que celles-ci véhiculent.
La critique dénonce ainsi souvent l’aspect individualiste de la
psychologie positive. Là aussi, même si toute la mousse du
développement personnel peut donner l’image d’approches très
nombrilistes, les fondements de la psychologie positive valorisent au
contraire l’altruisme, l’ouverture au monde, le rapport aux autres,
précisément pour leurs vertus positives, tant pour l’individu que pour le
collectif. Ce qui fait du bien à l’un, fait aussi du bien à l’autre. Comme le
précise Jacques Lecomte : « La psychologie positive est à la fois un art
de vivre avec soi-même mais aussi avec les autres. C’est dans cette
optique qu’elle peut constituer un formidable moteur du
changement social. »
Les contempteurs de la psychologie positive soulignent aussi le risque
que porte l’approche pour ceux qui, malgré les bons conseils et les
recettes magiques, ne seraient pas parvenus à être heureux, épanouis et
débordants d’énergie. À leur malheur viendrait s’ajouter le sentiment de
culpabilité : si la réussite se mérite, c’est aussi que l’échec est mérité !
« C’est de ta faute, tu n’as pas fait assez d’efforts », pourrait-on leur
reprocher si l’on suit ce raisonnement.
C’est un risque, admettons-le, notamment si l’on assimile l’approche
positive à une « méthode miracle ». La caricature est tentante, et certains
gourous n’hésitent pas à tomber dedans pour vendre leur soupe,
réussissant à séduire malheureusement quelques gogos. Mais, si l’on veut
bien dépasser les raccourcis un peu trop rapides, on comprend que la
psychologie positive ne prétend pas « faire le bonheur » – et encore
moins rendre le malheureux responsable de son malheur ! Elle n’a pas
vocation à se substituer à toute autre vision des choses ni à s’opposer à la
psychologie « traditionnelle », qui garde bien entendu toute sa valeur dès
lors qu’il s’agit de soigner les troubles mentaux plus ou moins graves. La
psychologie positive se contente de mettre en lumière, pour reprendre la
définition déjà citée au-dessus, les conditions et processus qui
contribuent à l’épanouissement ou au fonctionnement optimal des gens,
des groupes et des institutions.
Il est, au passage, assez étonnant de constater la différence entre le
domaine de la santé physique, dans lequel personne ne trouve à redire sur
la dimension préventive (recommandations en matière de nutrition,
d’activité physique, de sommeil, etc.), et le domaine de la santé mentale,
au sujet duquel ce même aspect préventif (bonnes pratiques pour bien
vivre) fait débat…
Je trouve donc, pour ma part, le pari proposé par la psychologie
positive, très tentant. C’est le même pari, selon moi, que celui décrit dans
la Parabole des Talents : croire que nous avons tous des ressources qui,
bien utilisées, peuvent nous permettre d’exceller et d’apporter quelque
chose de soi au monde. Bien sûr, comme dans tout pari, il y a un risque à
courir, peut-être celui, en effet, de se sentir responsable de ne pas avoir
réussi tout ce qu’on a tenté. Mais n’est-ce pas un danger moins grand que
celui de rester bloqués comme des éléphants par la vision négative de nos
défauts ou de nos points faibles ?

Le poids de la culture et de la morale


L’ancrage profond du réflexe de correction des défauts s’explique aussi
pour partie, par la force qu’exercent encore sur nous quelques vieilles
croyances culturelles ou morales, dont certaines déjà évoquées
précédemment, comme l’exigence de modestie.
De même que croire en ses talents et le dire n’est pas dans nos
coutumes, d’autres idées issues de notre « bon sens » culturel ou de notre
« juste » morale, participent à l’acceptation de l’injonction à travailler
nos points faibles.

■ « No pain, no gain ! »
Parmi ces croyances, je pointerais d’abord celles tournant autour de la
notion de souffrance, dont les origines remontent très loin dans le temps.
En le chassant du jardin d’Éden, Dieu dit à Adam : « Tu gagneras ton
pain à la sueur de ton front. » (Genèse III, 19.). Autrement dit, si tu veux
vivre, tu travailleras. On comprend la connotation négative du travail : le
mot « travail » vient d’ailleurs – cela est très largement connu – du
latin tripalium, terme connoté par la douleur et la souffrance. À l’origine,
le tripalium était un instrument de torture à trois pieux, utilisé par les
romains pour punir les esclaves rebelles. Le mot a été repris pour
désigner un appareil servant à immobiliser les chevaux rétifs qu’il faut
ferrer ou soigner.
Dieu dit également à Ève : « Tu enfanteras dans la douleur. » Difficile
de ne pas faire le lien avec les souffrances inimaginables qu’ont endurées
les femmes pendant des années. Ajoutons qu’on n’hésitait pas, alors, à
rappeler aux futures mamans inquiètes, la valeur rédemptrice de leurs
prochaines inévitables souffrances ! Soulignons enfin la pugnacité
exceptionnelle qu’il a fallu à certains médecins et personnels soignants
pour que l’ensemble du corps médical (ou presque) accepte enfin, après
des siècles d’apologie de la souffrance, de tout mettre en œuvre pour
soulager les douleurs de l’accouchement.
La société a évolué, fort heureusement, mais l’intérêt et la valeur de la
souffrance restent présents de façon sous-jacente. « Pour réussir, il faut
souffrir », entend-on encore très souvent, en alternance avec sa version
anglo-saxonne : No pain, no gain !
Un intéressant documentaire sur l’athlète jamaïquain Usain Bolt, sur
lequel je suis tombé par hasard en plein confinement, revenait sur
quelques-unes de ses courses les plus fabuleuses.
À l’occasion de sa victoire olympique au 100 m, lors des JO de Pékin
en 2008 – il bat à cette occasion le record du monde, réalisant un temps
de 9″69, le champion était interviewé par un journaliste, juste après
l’arrivée. Le premier commentaire du journaliste en question est
révélateur de l’empreinte culturelle qui marque encore la notion de
réussite : « ce n’est pas tant la vitesse à laquelle vous avez parcouru cette
distance qui m’a étonné mais bien l’aisance avec laquelle vous avez
accompli cet exploit », dit-il à Bolt. Sous-entendu : il est quand même
curieux de battre le record du monde sans donner l’impression de se
surpasser ni de faire plus d’efforts que ça… à moins d’être dopé pourrait-
on ajouter avec un esprit retors !
« Ne vous fiez pas aux apparences, réplique immédiatement l’athlète,
vous ne pouvez pas vous imaginer les efforts que j’ai faits et la
souffrance que j’ai dû endurer ces deux dernières années pour en arriver
à ce niveau de la compétition. »
Il est évident qu’un exploit comme celui-ci est la conséquence d’un
entraînement hors du commun, fait d’efforts intenses et répétés.
L’essentiel se joue avant la course et c’est bien le prix à payer pour
trouver, le jour J, ce relâchement qui, dans le cas de Bolt, laisse penser
que la course est facile. Mais, dans l’esprit du journaliste, on devine que
la victoire aurait pu sembler plus belle – et peut-être moins suspecte –
si Bolt avait montré de plus grands signes d’effort. Cette notion de
No pain, no gain est si forte qu’elle nous porte souvent à admirer
davantage ceux qui font des efforts – sans succès – que ceux qui
obtiennent des résultats – sans avoir eu l’air de beaucoup souffrir.
Le « héros » doit mériter son statut : idéalement, il aura dû lutter contre
ses handicaps de départ, il aura démontré une capacité à endurer la
souffrance. Il aura échoué, sera tombé, se sera relevé. Peut-être aura-t-il
réussi à la fin, mais en ayant gardé des séquelles de ses efforts, à moins
même, que le pauvre n’en soit mort.
À l’inverse, il sera difficile d’être ainsi consacré pour celui ayant eu
l’arrogance de réussir sans (trop) souffrir, en tous cas sans assez
démontrer la probable dureté de ses efforts. S’il y a dans son histoire, des
conditions favorables, des atouts, des succès rapides, peu d’erreurs, pas
d’échec, il lui faudra accepter de susciter d’étonnants sentiments de
jalousie ou de suspicion plutôt qu’un élan d’admiration. J’ai en mémoire
les discussions que nous avions eues dans une grande entreprise française
au sujet justement des effets de cette « culture du héros » sur la conduite
des projets.
Les responsables du département R&D de ce groupe multinational
avaient constaté qu’une partie des chefs de projet avaient l’habitude de
piloter leur projet de façon très professionnelle selon les meilleurs
principes et méthodes de gestion de projet, ce qui assurait, dans la plupart
des cas, une création de valeur optimale – le projet aboutissant au résultat
attendu, dans le temps et le budget impartis. Le déroulement de ces
projets n’était naturellement pas exempt des difficultés, des imprévus,
des déconvenues inhérents à tous les projets, mais la discipline de
pilotage mise en place permettait au chef de projet et à son équipe
d’anticiper les dérives, d’éviter ou de maîtriser les écarts et d’agir ou
réagir sans délai. Tout portait à croire que ces chefs de projet seraient les
plus reconnus dans l’entreprise… On pouvait aussi imaginer que leurs
méthodes allaient être enviées et copiées par tous les autres.
C’était sans compter sur le poids de la culture du « héros » !
Non seulement ces chefs de projet appliqués n’avaient pas valeur de
modèles, pas plus que leurs méthodes n’étaient imitées dans tous les
projets, mais pire : ceux qui faisaient figure de « stars », au sein de cette
entreprise, étaient plutôt des chefs de projet « héroïques » qui, armés de
courage, d’abnégation, de persévérance, de résilience même, avaient livré
de mémorables batailles à l’occasion de projets au déroulement
particulièrement chaotique !
Plus il y avait de problèmes sur un projet, plus le chef de projet pouvait
démontrer l’étendue de son héroïsme : comment aurait-il prouver sa
valeur si, en mettant en œuvre toutes les bonnes pratiques, il était
parvenu à anticiper et éviter les problèmes ?
C’est ainsi que dans cette entreprise, les récits se transmettaient des
anciens aux nouveaux, à chaque occasion de rassemblement. Un
ingénieur confirmé vantait les mérites de tel autre d’avoir mené à son
terme un projet, qui à force de retards et de compromis techniques, s’était
révélé finalement être un gouffre financier pour le groupe. Un vieux de la
vieille se souvenait, une larme à l’œil, de ces incroyables aventures
vécues, au cours d’un projet d’implantation d’usine dans un pays
lointain, sous la houlette d’un chef de projet, plus meneur de bande que
pilote de projet.
Les responsables de l’entreprise s’étaient ainsi rendu compte que les
moments de tension qui émaillaient les projets difficiles avaient, avec le
recul, bien plus soudé les équipes que les paisibles réunions de pilotage
qui ponctuaient les projets plus sereins. Ils comprenaient enfin que cette
culture du « héros » pouvait induire un effet pervers et saper les efforts de
formation et de management visant à professionnaliser les pratiques de
conduite de projet.
Si réussir implique nécessairement de souffrir, alors le chemin des
points faibles est la voie royale ! Elle promet un niveau d’effort
considérable, une souffrance certaine, des erreurs et des échecs
probables : de quoi devenir un « héros » ! À l’inverse, le choix d’une
voie plus aisée, celle exploitant au mieux les forces possédées, ne
pourrait donc pas être la bonne : « Quand le travail n’est pas assez dur,
le progrès n’est jamais vraiment sûr ! », affirment certains.
Pire, derrière ce dicton apparemment inspiré par la recherche
d’efficacité, se cache une notion plus morale. Choisir le chemin de la
moindre résistance reviendrait à céder à la facilité, à fuir le courageux
combat consistant à affronter nos défauts. À celui qui ose la confrontation
est plutôt attribuée une image noble.
Envisager la voie la plus adaptée à ce qu’on est, et décider de
contourner la souffrance promise plutôt que de la supporter, passe au
contraire pour un aveu de lâcheté…
C’est pour ça que je suis fatigué
C’est pour ça que je voudrais crier :
Je ne suis pas un héros !
Daniel Balavoine, « Je ne suis pas un héros », album Un autre monde, 1980.

Dans cette tradition culturelle à l’empreinte encore forte – en dépit des


cris de Daniel Balavoine – le « héros » souffre pour réussir, choisit
toujours la voie la plus dure avec courage, se confronte avec
persévérance à ses points faibles…

■ Plaisir coupable…
Le fabuleux destin du « héros » ne réserve à celui-ci que bien peu de
plaisirs !
Et s’il y en a, ce ne pourra être à l’évidence, que le plaisir-récompense,
celui qui se mérite, une fois le succès (éventuellement) remporté. Encore
devra-t-il être discret et mesuré, au risque de devenir très vite coupable…
Nous avons sans doute tous en mémoire les images de ces présidents
de la République juste élus ayant fait l’erreur ou commis la faute
(entourez l’expression que vous jugerez la plus adaptée) de fêter leur
victoire électorale dans des restaurants trop « bling-bling ». Après le
Fouquet’s, après la Rotonde, où nous emmènera le prochain ? Suivra-t-il
la règle du « jamais deux sans trois » ou plutôt l’idée que la 1ère bévue est
une erreur, sa reproduction une faute et la récidive une provocation
impardonnable ?
Notre futur.e président.e nous emmènera-t-il.elle à la crêperie du coin,
chez Flunch ou au McDo, ou devra-t-il.elle renoncer à fêter sa victoire ?
J’avoue attendre avec amusement la prochaine soirée d’élection
présidentielle… Dans cette conception du plaisir comme récompense,
apparait bien sûr la vieille image du paradis, auquel nous pourrions
accéder après une vie de souffrance.
Ainsi s’est établi une sorte de logique séquentielle : le chemin, pavé
d’efforts – lesquels seraient associés fatalement à la souffrance –
mènerait ensuite, si ces efforts étaient suffisants, au résultat, synonyme
de délivrance. La souffrance seule autoriserait la réussite, et la réussite
autoriserait le plaisir, récompense ultime.
C’est cette même boucle effort/récompense qui oriente beaucoup des
approches que nous avons de la motivation, souvent décrite comme la
recherche par l’individu d’une récompense externe censée le satisfaire :
salaire, reconnaissance, prime, etc…8
Dans ce type d’approche, la « fin justifie les moyens » : l’effort
n’aurait pas d’autre intérêt que la récompense à laquelle il pourrait
donner droit. La motivation à réaliser l’action est dite « extrinsèque », car
liée à un élément externe, totalement dissocié de l’action proprement
dite.
Pour prendre un exemple, jouer sur cette logique de motivation,
reviendrait à enseigner les mathématiques à un enfant en lui promettant
qu’en fonction de la note qu’il obtiendra à son devoir, il recevra le
dernier jeu vidéo à la mode. Il y a fort à parier que les mathématiques ne
seront qu’un mal nécessaire, une souffrance consentie en vue d’un espoir
de récompense et de plaisir. On mesure facilement les limites de cette
logique : pas de motivation réelle ni durable pour les maths, tentation de
triche, ou tout au moins recours au « bachotage » pour obtenir plus
facilement la récompense espérée, inflation des récompenses, etc…
L’autre logique, souvent sous-estimée, est celle de la motivation
« intrinsèque », dans laquelle l’activité est elle-même source de plaisir.
Réaliser l’action suffit à motiver, sans qu’il n’y ait besoin d’attribuer une
récompense en plus.
Dans l’exemple de l’enfant, il s’agirait de l’aider à trouver ce que les
mathématiques peuvent en tant que telles, lui apporter : peut-être le
plaisir du jeu, la découverte des nombreux usages que l’on peut en faire,
la satisfaction de résoudre des problèmes ou le fait d’exercer ses
talents… J’y reviendrai plus en détail dans le chapitre consacré à la mise
en œuvre de la logique des points forts.
Face au poids de l’équation effort = souffrance, il a toujours semblé
« contre-culturel » de penser qu’il pouvait y avoir aussi du plaisir dans le
chemin, qu’effort et plaisir non seulement n’étaient pas opposés, mais
bien compatibles : en jouant sur ses forces, en choisissant des plans qui
valorisent nos talents, nous pouvons allier action et motivation, prendre
du plaisir à travailler et atteindre des résultats plus grands que ceux
construits dans la souffrance.
C’est le sens, selon moi, de l’expression « goût de l’effort », proche de
l’oxymore à première lecture : si, dans la culture dominante, le mot goût
renvoie plutôt au plaisir, celui d’effort est davantage connoté à la notion
de souffrance. Sous cet angle, dire qu’on a le goût de l’effort, c’est
avouer un sérieux penchant masochiste ! D’un autre point de vue, en
considérant cette fois qu’il existe bien des efforts que nous faisons avec
plaisir – parce qu’ils mettent par exemple en valeur nos forces et nous
permettent de nous sentir à l’aise dans l’action, nous pouvons affirmer
qu’il nous arrive bien de « goûter » (au sens d’apprécier) certains efforts.
J’irais plus loin encore : ce ne sont pas tant les résultats qui donnent du
plaisir, que le plaisir qui donne les résultats.
Je ne crois pas, en effet, que l’effort-souffrance soit réellement une
condition de succès.
• Ce n’est pas parce que certains ont beaucoup souffert avant de réussir,
que cela démontre qu’il faut souffrir pour réussir !
• Ce n’est pas parce que certains ont connu des échecs avant d’avoir du
succès, que cela atteste que l’échec est un passage obligé pour qui
cherche le succès !
• Ce n’est pas parce que certains ont réussi sur leurs points faibles, qu’il
faut empêcher les autres de parier sur leurs points forts !
Ma conviction est que l’effort, quand il est vécu avec plaisir (parce que
conduit par la motivation « intrinsèque »), est à la fois plus intense et plus
durable. Le plaisir fournit l’énergie indispensable à notre engagement.
C’est l’une des raisons qui plaident pour cette recherche d’alignement
avec nos qualités telle que je la propose dans ce livre. J’aurai bien
entendu l’occasion plus loin d’argumenter plus en détail sur ce point.

■ Le mythe de la perfection
Le dernier pilier de notre culture est peut-être celui qui est le plus
profondément ancré dans notre inconscient collectif. C’est en tous cas celui
qui participe le plus efficacement à fonder et entretenir l’idée dominante
qu’il est indispensable de travailler ses points faibles. Ce pilier est celui de
l’idéal de perfection.
La croyance qu’il porte consiste à faire de la perfection, LA condition
essentielle de la réussite.
Dans la logique de cette croyance, chercher la perfection serait donc
un enjeu de premier plan pour chacun d’entre nous. L’idée n’est bien sûr
pas totalement saugrenue : celui qui posséderait toutes les qualités
possibles pourrait exceller en tout.
On trouve facilement, dans le prolongement de cette idée, d’amusants
exercices proposant de dresser le portrait robot du mari ou de l’épouse
rêvé∙e (au cas où vous ne l’auriez pas déjà trouvé∙e (écriture inclusive,
bien sûr !), du ou de la top-model parfait.e ou encore du champion de
tennis imbattable.
Ce dernier, par exemple, empruntera à Federer son sens du timing (ce
n’est pas un Suisse pour rien !), à Nadal ses qualités mentales de guerrier
(on le compare souvent à un taureau… la différence avec la corrida, étant
qu’à la fin, sur la terre battue, c’est plus souvent le taureau qui gagne !), à
Djokovic sa souplesse, etc…
Le jeu du parfait composite est amusant, et comme souvent, s’agissant
de sport, il suscite d’interminables débats sur les comparatifs de qualités
des uns ou des autres : mais tout le monde a compris que ce joueur-là
n’existait pas et non pas parce qu’il n’était pas encore né, mais parce que
simplement aucun individu ne pouvait réunir toutes les qualités et leurs
contraires en même temps !
Si cet exercice anodin ne prête pas à conséquence, il en existe d’autres
qui peuvent induire de fâcheuses dérives. C’est le cas, à mon sens, des
référentiels de compétence construits par beaucoup d’entreprises,
et visant à définir ce qu’on attend d’un collaborateur dans telle ou telle
fonction : référentiel de compétence, référentiel de management, …
Ce n’est bien sûr pas le référentiel en lui-même qui pose problème :
définir les exigences à tel ou tel poste est incontestablement utile. Ce qui
est en cause, c’est plus l’usage qui en est fait ensuite, dans lequel la
mention « à l’idéal » semble oubliée.
La limite de la recherche de perfection réside dans la traduction
pédagogique qu’on en fait, lorsqu’oubliant l’aspect idéaliste de la notion,
le « modèle » n’est plus utilisé que pour repérer les points faibles à
travailler. Le moindre écart est présenté comme une « anormalité »
à corriger. Pour l’individu ainsi évalué, le diagnostic est sévère et parfois
lourd de conséquences : doute, découragement, inquiétude,
démotivation…
« Insuffisant », « incompétent », « niveau faible », ou tout simplement
« niveau – – » indique la colonne dans laquelle sera tracée la croix lors de
l’entretien annuel d’évaluation, sur chaque ligne se rapportant aux points
faibles.
Sur les autres lignes, correspondant pourtant aux points forts, il ne sera
pas indiqué « qualité remarquable » ou « point fort »… mais souvent
« satisfaisant », « conforme », « + + » ou parfois « supérieur aux
attentes ».
Par un effet de glissement moral, le référentiel devient finalement une
« grille d’évaluation » portant, qu’on le veuille ou non, un jugement
beaucoup plus qu’une aide à la connaissance de soi. Mais on touche ici à
un autre débat : celui de la raison d’être ce ces entretiens annuels. Ceux-
ci sont petit à petit devenus l’un des outils-clés du processus de gestion
des ressources humaines, dans sa version rationnelle et financière. Ils ont
été souvent détournés de leur vocation initiale, très alignée avec le sujet
des points forts : un moment privilégié dans la relation managériale –
déconnecté des contingences quotidiennes – permettant au manager et au
collaborateur, de rechercher ensemble la meilleure voie de progrès et de
succès.
Dans cette optique d’origine, ce qui prime ce n’est donc pas tant
l’analyse des écarts avec le référentiel que la connaissance par l’individu
des qualités sur lesquelles il peut s’appuyer pour continuer de se
développer. Cette injonction à chercher la perfection, donc à combler les
manques ou corriger les défauts, semble méconnaître les fonctionnements
de l’individu. Comme nous l’avons souligné déjà, points forts et points
faibles ne sont que les deux faces d’une même pièce. Par définition donc,
parce que nous possédons tous un côté pile (nos préférences, nos qualités,
nos forces), nous avons tous également un côté face (les qualités
opposées, que par nature donc, nous n’avons pas, ou en tous cas qui sont
moins facilement activables par nous).
Construits sur le désir de perfection, les référentiels ne tiennent pas
compte de cette réalité : en se contentant de lister les attendus, ils
dressent une sorte de portrait-robot de l’être sans défaut, sorte de mouton
à 5 pattes9.
Peut-être s’inspirent-ils du célèbre poème de Rudyard Kipling if,
traduit en 1918 par André Maurois sous le titre Si : tu seras un homme
mon fils.

Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie


Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,
Ou perdre d’un seul coup le gain de cent parties
Sans un geste et sans un soupir ;

Si tu peux être amant sans être fou d’amour,


Si tu peux être fort sans cesser d’être tendre
Et, te sentant haï, sans haïr à ton tour,
Pourtant lutter et te défendre ;

Si tu peux supporter d’entendre tes paroles


Travesties par des gueux pour exciter des sots,
Et d’entendre mentir sur toi leurs bouches folles
Sans mentir toi-même d’un seul mot ;
Si tu peux rester digne en étant populaire,
Si tu peux rester peuple en conseillant les rois
Et si tu peux aimer tous tes amis en frère
Sans qu’aucun d’eux ne soit tout pour toi ;

Si tu sais méditer, observer et connaître


Sans jamais devenir sceptique ou destructeur,
Rêver, mais sans laisser le rêve être ton maître,
Penser sans n’être qu’un penseur ;

Si tu peux être dur sans jamais être en rage,


Si tu peux être brave et jamais imprudent,
Si tu sais être bon, si tu sais être sage
Sans être moral ni pédant ;

Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite


Et recevoir ces deux menteurs d’un même front,
Si tu peux conserver ton courage et ta tête
Quand tous les autres les perdront,

Alors les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire


Seront à tout jamais tes esclaves soumis
Et, ce qui vaut bien mieux que les Rois et la Gloire,
Tu seras un homme, mon fils.

Ce magnifique poème, comme les « modèles » précédemment évoqués


(référentiels d’entreprise notamment), posent l’idéal vers lequel tendre.
Le « si » utilisé par Kipling semble d’ailleurs bien insister sur l’immense
défi que représente le projet de concilier toutes les vertus et leurs
contraires en même temps !
Utiliser ces « modèles » pour évaluer les écarts et ainsi indiquer un
chemin de progrès, revient à faire fausse route. D’abord parce qu’en
réalité, cette analyse ne nous apprend rien : elle se borne à redécouvrir
que, derrière le côté pile des différentes pièces (qualités « naturelles » de
l’individu), il existe un côté face (qualités contradictoires). Ensuite, parce
qu’on fixe une sorte d’objectif inaccessible, au risque de créer doute,
frustrations et renoncements. Enfin, parce qu’on risque, une fois de plus,
de se tromper de chemin : sommes-nous en effet si sûr de ce lien entre
perfection et réussite ?
L’une des images fréquemment utilisées pour illustrer cette idée est la
métaphore de la chaîne, dont la résistance se résumerait à la force de son
maillon le plus faible. En d’autres termes, le défaut étant la cause de tout
échec, c’est bien à lui qu’il faudrait s’attaquer.
« Objectif, zéro défaut ! » proclamaient ainsi les tenants de la Qualité
Totale dans beaucoup d’entreprises il y a quelques années. Née dans le
monde très cartésien de la gestion de production, cette logique de Zéro
Défaut peut se concevoir s’agissant d’un processus – même si,
finalement, il est établi aujourd’hui que le coût et les efforts liés à
l’atteinte du Zéro absolu, sont faramineux au regard des gains obtenus.
S’il peut sembler rationnel de fiabiliser chaque étape d’un processus,
qui obéit par définition à un enchaînement de séquences liées les unes
aux autres, il parait assez contestable de transposer la même logique à
l’être humain, dont l’existence est composée d’actions, d’activités, de
comportements qui n’ont souvent pas de liens entre eux. Ce n’est pas
parce qu’il m’est difficile de mettre en œuvre une qualité X ou Y, dans un
domaine précis, que l’ensemble de ce que j’entreprends est voué à
l’échec !
Habitudes, apparent « bon sens » culturel, héritage de la psychologie
« patho-centrée », mythe de la perfection… sont autant de facteurs
continuant d’encourager la logique corrective, partout où règne
l’injonction du progrès et de la réussite : à la maison, sous l’influence des
parents désireux de nous « armer » au mieux dans la vie, à l’école bien
sûr, et durant nos études, dans l’entreprise, mais aussi sur les terrains de
sport ou dans les activités artistiques par exemple.
Partout ou presque, le mot d’ordre est le même : pour progresser, et in
fine pour réussir, il faudrait avoir éliminé ses points faibles, s’être
débarrassé de ses défauts. Implacable logique… en apparence.
Mais les apparences sont parfois trompeuses, rappelle le vieux dicton.
Est-il vraiment possible de progresser et de réussir en travaillant ses
points faibles ?
Est-ce si indispensable que ça de passer par ce chemin correctif ?
Pire, n’est-ce pas, au fond et au sens fort du terme, un contre sens ?
Travailler les points faibles :
« j’voudrais bien mais j’peux point ! »
C’est bien Annie Cordy, alias la bonne du curé, qui me parait ici résumer
l’expérience que, sans doute, nous avons tous vécue, un jour ou l’autre, en
nous confrontant à nos points faibles : « j’voudrais bien mais j’peux
point ! ».
Si le point faible perdure, c’est rarement par manque de conscience de
son existence : il est resté faible simplement parce que je n’ai jamais réussi
à faire mieux ! Et tous les ceux qui se sont rejoints pour me faire prendre
conscience de la nécessité de corriger ce défaut n’ont fait que me renvoyer à
cette incapacité quasi-structurelle.
Un point faible n’est pas « faible » pour rien : il correspond bien à une
ressource interne dont je manque, ou que je peine en tous cas à mobiliser,
par opposition à la qualité contradictoire que j’active facilement et
spontanément. Point fort et point faible, comme je l’ai déjà expliqué, sont
les 2 faces d’une même pièce.
Côté pile, je joue « facile », côté face, je suis « à la masse » pourrait-on
résumer dans un (très) mauvais slogan. C’est bien le manque de cette
qualité « face » qui, dans les situations, les contextes, les activités où elle
semble nécessaire, me met en difficulté.
Or, souvent, la logique corrective se contente de poser un diagnostic très
superficiel, confondant le « quoi » (la situation, le contexte, l’activité) et le
« comment » (les qualités que je sais, ou pas, mettre en œuvre). Dès lors,
« travailler ses points faibles » se résume souvent à se confronter encore et
encore à la situation, au contexte ou à l’activité en question en espérant que
la qualité manquante finisse par se développer !
C’est bien la définition qu’Albert Einstein donnait de la folie :

« La folie, c’est de faire toujours la même chose


et de s’attendre à un résultat différent. »

Albert Einstein et Annie Cordy, contre toute attente, s’unissent ici pour
illustrer le faible rendement du travail sur les points faibles.

Travailler plus pour gagner moins !


Si travailler ses points faibles était facile, nous l’aurions fait depuis
naturellement depuis bien longtemps !
En tant que droitier, s’il était facile pour moi de me servir de ma main
gauche, j’aurais déjà appris à le faire depuis longtemps et je le ferais
certainement aujourd’hui tous les jours, indifféremment, sans même y
penser, pour m’amuser, ou pour alterner et reposer la main droite.
Mais, comme beaucoup de droitiers sans doute, je me connais adroit
d’un côté et gauche de l’autre ! Certes, avec un peu d’entraînement, je
pourrais probablement parvenir sans grande difficulté à écrire mon nom.
Mais recopier cent fois « je ne perdrai plus mon temps à travailler mes
points faibles » relèverait davantage de la torture !
Outre la question du sens – à quoi bon ? – sur laquelle je reviendrai
plus loin, s’impose ici une logique d’économie d’énergie : il faudrait ne
rien avoir d’autre à faire – donc disposer de réserves d’énergie
inexploitées – pour consacrer de lourds efforts pour corriger ce défaut qui
n’en est pas vraiment un.
Le premier frein sur le chemin des points faibles est d’abord celui de
l’efficience : Travailler ses points faibles demande une énergie colossale
pour des résultats souvent décevants.
Pour illustrer cette notion d’efficience, dans les missions de conseil et
d’accompagnement que nous menons au sein d’Animae, nous utilisons
souvent une « modélisation » de la performance.
Celle-ci pose la performance comme la production (et la reproduction)
de résultats dans la durée. En cela, elle ne se confond pas avec la notion
d’exploit, laquelle désigne plutôt l’obtention d’un résultat ponctuel.
Cette équation fait de la performance le produit de deux facteurs :
P=M×E
Performance = Moyens × Engagement
Les moyens, s’agissant d’un individu, sont un ensemble formé de ses
qualités intrinsèques, de ses acquis, de ses compétences. Elargi à une
entreprise, ce facteur des moyens intègrerait d’autres ressources telles les
budgets, l’organisation ou les outils de travail.
L’engagement, lui, désigne la quantité d’énergie réellement investie
par l’individu (ou s’il s’agit d’une entreprise, par l’ensemble des
collaborateurs). Ainsi le E de cette équation pourrait aussi être le E de
Effort. Ce n’est en effet pas seulement de motivation dont il s’agit ici,
mais bien de sa résultante concrète.
Qu’il faille allier « pouvoir » faire et « vouloir » faire pour obtenir un
résultat, dans quelqu’activité que ce soit n’est pas un scoop bien sûr.
C’est l’effet multiplicateur qu’il est plus intéressant de pointer au travers
de cette formule : le rendement de l’énergie investie est d’autant plus
élevé que la quantité de moyens disponibles est grande. C’est exactement
ce qui se joue tant que l’on reste centré sur ses points forts. Dit très
simplement : investir un peu sur ses points forts suffit à développer des
résultats satisfaisants. S’engager davantage permet de viser l’excellence,
pour reprendre le terme de l’américain Tom Rath10, créateur du célèbre
outil Strengths Finder. Tom Rath propose une version très approchante de
notre équation de la performance, dans laquelle l’excellence est le produit
de la quantité de talent et de l’investissement11.
C’est bien entendu tout l’inverse qui se produit lorsqu’on tente de
travailler ses points faibles : disposant, par définition, de moyens moins
abondants (ni talents, ni compétences solidement ancrées…), on se
trouve dans l’obligation de fournir un niveau d’effort élevé pour espérer
réussir.
Chacun l’a probablement déjà expérimenté : dès lors qu’il s’est agi de
travailler ses points faibles, il a fallu mobiliser une quantité d’énergie
phénoménale. D’abord pour s’y atteler – car la conscience du défaut
conduit à anticiper la dureté des efforts – et ensuite pour activer des
qualités qui ne sont pas, par définition, des qualités faciles et spontanées.
Peut-être même se sera-t-on rendu compte de la facilité avec laquelle
le voisin, armé des qualités que je n’ai pas, aura, lui, réussi le même
exercice… Si ce n’est vexant, c’est au moins un peu désespérant !
Mais ce ne sont là que des constats empiriques.
Différentes études ou approches ont permis de montrer le faible
rendement qu’avait l’investissement sur les points faibles. Parmi elles, je
vous recommande vivement de vous intéresser aux perspectives qu’ouvre
l’approche Action Types®12.
L’approche Action Types® est conçue, à l’origine, par deux entraîneurs
sportifs, Bertrand Théraulaz et Raph Hippolyte, qui ont constaté, de
façon empirique d’abord, que chaque athlète, dans la même discipline,
développait une gestuelle spécifique. S’appuyant sur des recherches
scientifiques, les deux fondateurs ont ensuite construit un protocole de
tests physiques et moteurs, permettant à chacun d’identifier ses
« préférences motrices et cérébrales ».
Ils résument leur approche ainsi : « Les sportifs ont tous leur propre
façon de bouger, de se coordonner dans l’espace… Une fois que leurs
préférences sont connues, il s’agit de travailler sur leurs forces, et non
sur leurs faiblesses. »
Aujourd’hui, le champ d’application de cette approche dépasse très
largement le seul domaine du sport, pour se répandre dans l’univers de
l’entreprise (management, communication) ou encore dans celui de
l’enseignement.13
Au contraire d’autres modèles, construits eux sur la base de
questionnaires plus traditionnels, Action Types® utilise nos postures et
notre gestuelle pour accéder à la compréhension de nos fonctionnements
cérébraux : si les réponses aux habituelles questions peuvent être parfois
trop réfléchies ou simplement biaisées, le corps lui s’exprime
spontanément révélant la manière avec laquelle nous utilisons
préférentiellement notre cerveau. « Le mouvement est au centre et à la
base de tout », explique Bertrand Théraulaz, l’un des fondateurs de
l’approche. « Au départ, l’Homme a dû bouger pour survivre. C’est pour
cela que le cerveau s’est développé. Et non le contraire. »
En l’occurrence, en se livrant aux différents tests proposés par les
spécialistes certifiés, il est bluffant de constater la facilité avec laquelle
nous sommes chacun capables de réaliser les exercices proposés dès lors
que ceux-ci nous permettent d’utiliser nos points forts, c’est-à-dire de
fonctionner selon nos préférences motrices et cérébrales.
À titre d’exemple, Action Types® distinguera, en reprenant les axes de
Jung et du MBTI, les personnes qui pour percevoir leur environnement,
utilisent plus naturellement la fonction N (iNtuition) que la fonction S
(Sensation). Ces deux fonctions correspondent à des zones cérébrales
opposées : le N perçoit plutôt les situations dans leur globalité et leur
finalité, là où le S voit chaque détail et considère d’abord les faits
davantage que les idées. Les études menées par Action Types® montrent
que cette préférence cérébrale (sorte d’habitude d’utilisation de notre
cerveau) se retrouve dans notre façon de marcher.
Les N s’appuient sur l’avant du pied, dans un mouvement de
déséquilibre vers l’avant, initié par les épaules : l’un des tests montre
ainsi qu’en bloquant ceux-ci au niveau des épaules, le testeur les
empêche facilement d’avancer. Les S, eux, s’appuient sur l’arrière des
pieds, marchant dans une sorte de déséquilibre arrière, compensé par un
mouvement des hanches.
Soumis au même test, les S n’ont aucun souci à marcher, malgré la
force que le testeur applique contre leurs épaules. En revanche, si ce
dernier les bloque maintenant au niveau des hanches, il parvient
immédiatement à les empêcher de marcher – ce blocage des hanches
n’ayant lui aucun effet sur les N, capables de se mouvoir tant que leurs
épaules sont libres.
Même s’il est difficile de décrire avec des mots une expérience qui se
vit, les différents tests Action Types® nous confrontent de manière très
frappante et très concrète à nos points forts et à nos points faibles. Voir
que nous réussissons sans peine à faire des exercices que d’autres
« cobayes », juste à côté de nous, ont du mal à réaliser, met
particulièrement en lumière nos différences et leur lien avec nos
fonctionnements cérébraux.
Par ailleurs, l’approche Action Types® montre que ces différences
témoignent de « préférences » de fonctionnement : au-delà de nos
réflexes spontanés, nous possédons, tous autant que nous sommes, la
capacité d’utiliser les autres fonctions de notre cerveau.
En suivant un protocole spécifique, les testeurs sont ainsi capables de
nous faire activer ces zones cérébrales dont nous nous servons moins, et
qui constituent donc pour nous des « points faibles ». Les exercices que
nous avions du mal à effectuer auparavant deviennent alors accessibles
pour nous, mais avec une limite de taille : ce mode de fonctionnement, ne
correspondant pas à nos préférences, va consommer beaucoup plus
d’énergie que notre mode « naturel ».
L’approche Action Types® confirme l’observation empirique selon
laquelle le travail centré sur les points faibles demande beaucoup
d’efforts pour peu de résultats.
D’autres travaux viennent à l’appui de ce constat de la difficulté qu’il y
a à travailler « à contre-courant » de nos aptitudes spontanées. Certains
d’entre eux tentent notamment d’éclairer sur la consommation
énergétique du cerveau humain et sur l’impact qu’aurait le fait de se
livrer à des activités plus exigeantes.
On pourra par exemple se référer aux travaux du professeur
Ewan McNay, de l’université d’Albany, aux États-Unis, lequel rappelle
que le cerveau, est déjà, à la base, l’organe le plus énergivore du corps
humain : il pèse en moyenne 2 % de notre poids total, mais nécessite
20 % environ de notre métabolisme de base au repos – soit 320 Kcal des
1 600 Kcal absorbées quotidiennement par un adulte type.
Mesurant le niveau de glucose – « carburant » du cerveau – chez des
cobayes qu’il soumet à différents tests, il arrive à la conclusion que
s’adonner à une tâche difficile représenterait un surcroît de
consommation d’à peu près 5 % en moyenne.
Des études complémentaires, comme celle de Messier, paraissent
nuancer cette moyenne somme toute peu significative de 5 % : « Peut-
être que si nous les avions poussés plus durement, et fait faire aux sujets
des choses pour lesquelles ils ne sont pas bons, nous aurions pu avoir
des résultats plus évidents », reconnait Messier en précisant que la
difficulté et la durée des tâches demandées aux participants étaient assez
limitées.
L’autre nuance à apporter au résultat de l’étude de McNay porte sur
l’état d’esprit de l’individu par rapport à la tâche en question. Nous
savons tous que l’effort parait moins intense dans le cas d’une activité
que nous abordons avec plaisir. En revanche, face à une tâche obligatoire
– qui ne nous motive donc pas – ou que nous anticipons comme très
difficile (une épreuve d’examen, un marathon, une activité correspondant
à nos points faibles …), le sentiment d’effort est plus grand.
Des études ont montré que quelque-chose d’identique survient quand
les gens font de l’exercice ou du sport : une large composante de
l’épuisement physique est dans notre tête14. Dans une recherche
apparentée, des volontaires qui ont fait du vélo après un test informatique
de 90 minutes exigeant une attention soutenue ont arrêté de pédaler,
épuisés, plus tôt que les participants qui avaient regardé
des documentaires émotionnellement neutres avant l’exercice. Même si
le test d’attention ne consommait pas beaucoup plus d’énergie que de
regarder des films, les volontaires ont rapporté se sentir moins
énergiques. Ce sentiment était suffisamment puissant pour limiter leur
performance physique15.
Se confronter à ses points faibles – d’autant plus si cela nous le vivons
comme un challenge forcé – pourra probablement nous faire ressentir ce
sentiment de fatigue qui vient renforcer l’effective dépense énergétique
nécessaire.
Si utiliser le côté « face » peut être un choix conscient – notamment
lorsqu’on obéit à la pression de la logique corrective ou bien sûr dans
l’exemple de ces tests Actions Types® – il peut aussi s’agir d’un
glissement inconscient.
La conséquence est la même : à chaque fois que l’individu fonctionne
« à côté » de ses forces, dans des modes qui ne lui sont pas naturels, il est
contraint de devoir mobiliser une quantité d’énergie plus grande que
lorsqu’il agit « dans » ses forces.
Jung avait ainsi déjà avancé qu’en situation de stress, l’individu avait
tendance à se réfugier du côté « ombre », en d’autres termes à adopter un
schéma de fonctionnement opposé à son schéma favori. Différents
travaux tendent à confirmer ce mécanisme, attestant également du faible
rendement de ce passage côté « face ».
Les études menées par Barbara Bryden16 paraissent confirmer les
intuitions de Jung sur les effets du stress.
D’après elle – et l’approche Action Types® le confirme – dans les
périodes ou situations de stress, nous nous mettons bien à utiliser des
zones du cerveau différentes des aires préférentielles que nous activons
d’habitude. Dans cet état, la consommation d’énergie du cerveau serait
jusqu’à 100 fois supérieure à la normale, ce qui peut nous conduire à
ressentir un sentiment d’épuisement mental et physique.
On pourra néanmoins avancer que les nombreux symptômes liés au
stress contribuent de façon significative à ce surcroît de consommation
énergétique. Les hormones générées en situation de stress tendent à
mettre en tension l’ensemble du corps, en réaction à ce qui est perçu
comme une menace vitale. En accélérant le rythme cardiaque, en
renforçant la tension musculaire, en stimulant les différents organes de
sensation, etc.… le stress prépare l’individu à fuir ou à agresser. Autant
d’adaptations qui s’ajoutent à l’utilisation de circuits cérébraux
inhabituels et nécessitent beaucoup d’énergie.
Que ce soit de façon empirique ou de façon plus scientifique, que ce
soit en corrélation avec un état de stress ou seulement par volonté de
progresser, tenter d’utiliser les qualités qu’on n’a pas – car c’est bien à
cela que cela revient – est un choix que ne ferait sans doute pas le 1er
investisseur venu : le rendement s’annonce médiocre !
Quelques grands sportifs en ont fait l’amer constat, en voulant se
reconvertir dans un autre sport que celui dans lequel ils avaient
initialement réussi. Même si d’autres facteurs entrent très certainement
en ligne de compte pour expliquer les échecs en question, le fait de ne
pouvoir compter sur leurs forces habituelles – et de devoir donc
développer d’autres qualités – a indéniablement joué.
Après avoir annoncé sa retraite de basketteur en octobre 2013, Michael
Jordan (trois titres NBA, deux titres olympiques, un collier de médailles
individuelles…) surprend à nouveau quelques mois plus tard en se
lançant dans le base-ball, avec la ferme intention de jouer au plus haut
niveau. Voici comment un de ses amis basketteurs commente cette
décision, à mots couverts et non sans humour : « Michael a plus de
chances d’être pro au baseball qu’au golf. Je sais de quoi je parle, j’ai
joué au golf avec lui… »
La seconde carrière de Jordan a en effet vite tourné court. Malgré ses
efforts, l’ex-star de la NBA doit se rendre à l’évidence : il n’a pas le
niveau requis. Certains médias ne cachent pas leur déception, à l’image
du très célèbre « Sports Illustrated », le grand hebdo sportif US, dont
Jordan fit 50 fois la couverture (plus que n’importe quel autre athlète),
qui titra d’un lapidaire : « Bag it, Michael ! » (Remballe, Michael !)
Plus près de nous, on a également en mémoire la vaine tentative de
reconversion d’Usain Bolt dans le football. Si le Jamaïquain possède
évidemment d’extraordinaires qualités d’athlète (ses 8 médailles d’or le
prouvent, s’il fallait une preuve !), elles ne suffisent pas à exceller dans le
football. Celles qu’il faut y développer demandent un travail que les
footballeurs confirmés ont mis des années à réaliser : même pour un
athlète de la trempe de Bolt l’effort est colossal et le résultat incertain.
Le cercle vicieux du (mauvais) doute
Si l’injonction à corriger ses points faibles reste bien établie, il est un
domaine où l’on croise de solides contempteurs de cette théorie : dans le
monde des entraîneurs sportifs, dans l’univers du haut niveau, nombreux
sont ceux qui ont constaté l’impasse que représentait la logique corrective.
C’est le cas notamment de Fabrice Pellerin, l’entraîneur de l’Olympic
Nice natation, qui en son temps s’occupait de quelques-uns de nos
meilleurs champions de natation tels Yannick Agnel, Camille Muffat,
Clément Lefert ou encore Charlotte Bonnet.
Pour mémoire, aux Jeux Olympiques de Londres en 2012,
ces 4 nageurs ont décroché 9 médailles (dont 4 en or), faisant de Fabrice
Pellerin l’entraîneur le plus titré du sport français aux Jeux Olympiques.
Dans son livre17, l’entraîneur explique : « Beaucoup de gens pensent
sincèrement que consacrer 100 % de ses efforts aux matières qui pêchent
va améliorer leurs performances. Chez les enfants notamment, on voit les
effets toxiques d’une telle théorie. Un minot est mauvais en maths ?
En plus de ses cours au collège, on lui en fait ingurgiter en leçons
particulières et, pour libérer du temps pour la sacro-sainte algèbre, on
supprime même son entraînement de foot, domaine où il excelle.
Résultat : confronté à haute dose à la matière qui le met en échec et privé
des expériences positives de réussite qu’il vivait en crampons, son
sentiment de compétence chute… Et avec lui, ses notes en maths ! »
Ce que décrit Fabrice Pellerin, c’est l’apparition d’une spirale
négative, nourrie notamment par un sentiment de doute envahissant.
À l’arithmétique un peu froide de cette notion de rendement s’ajoute
en effet un autre phénomène que rencontre celui qui s’obstine à se
confronter aux situations révélatrices de ses manques : le doute et ses
effets. Sans doute (c’est le cas de le dire…) est-il utile d’abord de bien
distinguer « bon » et « mauvais » doute.
Là encore, la culture tend à valoriser la notion de doute : il serait sage
de douter. Assurément, le doute a ses vertus dès lors qu’il filtre le regard
que nous posons sur le monde : soumettre à la critique ce que nous
percevons, rester attentif en toute situation, ne pas penser les choses
acquises à l’avance, peser le pour et le contre dans une prise de décision,
etc… Ce doute-là, se définissant donc comme l’intégration de la
dimension toujours incertaine des choses, contribue indéniablement à
nous élever : il nous pousse à la réflexion, à la prudence ou à la
tempérance par exemple. Il s’apparente à l’humilité qui anime celui qui
sait distinguer ce sur quoi il peut agir (ses choix, ses plans, ses actes) et
ce sur quoi il n’a pas prise (l’extérieur, les autres, le monde).
À l’inverse le doute, lorsqu’il teinte le regard que l’on porte sur soi, sur
ses capacités à entreprendre ou à accomplir telle ou telle action, s’avère
être un frein puissant. C’est bien à ce « mauvais » doute que renvoie la
logique corrective.
Imaginez-vous face au jury de ce Grand Oral… Je maîtrise mon sujet.
Je sais parfaitement ce que j’ai à dire. Pourtant, à cet instant, j’aimerais
être loin, très loin. En face de moi, quelques paires d’yeux me scrutent,
attendant mes premiers mots. Je les connais par cœur, je les ai répétés
encore il y a quelques minutes, mais ils sont comme bloqués à l’intérieur.
Je sens mon cœur qui bat, j’ai chaud, de plus en plus chaud. Mes mains
moites tremblent en approchant le verre de mes lèvres : j’espère qu’un
peu d’eau redonnera vie à ma gorge asséchée.
Dans le son qui sort enfin de ma bouche, que j’entends comme s’il
émanait d’ailleurs, je reconnais ma voix, chevrotante et hésitante.
« Laisse tomber, tu es ridicule » semble souffler mon cerveau à cet
instant, avant qu’une voix forte, en face de moi, ne coupe cette pensée
désagréable :
« Parlez plus fort, on ne vous entend pas ! », tonne l’un des membres
du jury.
J’ai envie de fuir, de rétrécir jusqu’à disparaître plutôt que d’affronter
ces regards dans lesquels je ne vois que ce point faible, semblable à un
immense trou noir absorbant toutes les qualités, compétences, talents qui,
par ailleurs, m’ont amené jusqu’à l’ultime épreuve d’aujourd’hui.
Quiconque a vécu ce genre de mésaventure, dans une situation de prise
de parole en public, ou dans toute autre activité le confrontant à son
« pire » point faible, sait la force de ce doute. Le doute, qu’avive la
confrontation à ces situations mettant nos points faibles en exergue, est
ainsi : nourrissant un cercle vicieux (voir le schéma ci-dessous), il prend
toute la place, occupe tout l’espace, nous vide de nos ressources, nous
paralyse et nous rend malade.
Il n’est plus seulement la saine acceptation de l’incertitude (le « bon »
doute), mais bien ce biais de jugement par lequel nous sous-estimons
notre capacité à réussir ce que nous entreprenons.

Le cercle vicieux du doute

Pour éclairer ce phénomène, nous pourrions regarder l’individu au


travers de son « bilan » doute/confiance18. Un peu comme le bilan est le
reflet de l’état financier de l’entreprise, le bilan doute/confiance décrit
l’état « motivationnel » de l’individu.
Confiance et doute, comme l’actif et le passif du bilan comptable,
constituent les deux parties de ce bilan, liées l’une à l’autre, par le
principe des vases communicants : quand le niveau de confiance
augmente, le niveau de doute diminue, formant alors un différentiel entre
confiance et doute : ce différentiel représente ce que nous pourrions
appeler le « niveau d’énergie disponible » de l’individu, sorte de réserve
de motivation.
C’est ce qui se produit lorsque nous avons le sentiment que nos efforts
amènent un progrès, quand nous constatons que le travail donne des
résultats, ou encore que nous engrangeons un succès. Ces différents
messages positifs, dont l’impact est démultiplié par le regard des autres
(et notamment par le regard de nos Tiers Privilégiés19), ancrent notre
confiance en nous et « récompensent » en quelque sorte notre effort
initial. Tant que le rendement est bon (apport > effort) et que la confiance
se nourrit de chaque progrès, de chaque succès, nous éprouvons ce
sentiment diffus mais certain d’être sur la bonne voie. Nous prenons de
l’énergie et ressentons une motivation accrue à poursuivre nos efforts,
dans une sorte de cercle vertueux.
Sur le difficile chemin des points faibles, en revanche, la spirale tend à
s’inverser.
Au-delà même de la quantité d’efforts à fournir, nous nous confrontons
d’emblée à un niveau de doute souvent supérieur au niveau de confiance
que nous avons en nous. Normal : jusqu’à preuve du contraire, nous
avons plutôt accumulé dans les domaines se rapportant à nos points
faibles, plus d’expériences d’échec, d’erreur ou de difficulté, que de
précédents positifs. Et surtout, jusqu’alors, ces expériences ont été
accompagnées du regard de tiers nous invitant à prendre conscience de
nos défauts, limites ou points faibles.
La prise de parole en public, dont je parlais déjà précédemment et
« point de progrès » assez récurrent dans les entretiens annuels
d’évaluation, illustre assez bien l’influence de ce mécanisme de doute.
Dans les démarches de coaching que nous menons régulièrement dans
différents types d’entreprises, il nous arrive souvent de croiser des cadres
expérimentés tétanisés à l’idée de devoir s’exprimer face à une salle
pleine.
Pas besoin alors de divan pour les amener rapidement à avouer qu’ils
se débattent depuis très longtemps avec ce « point faible ». Dès l’école
primaire, les annotations des enseignants avaient commencé à nourrir le
doute : « élève appliqué à l’écrit mais trop effacé à l’oral », « doit
s’exprimer davantage en classe », « trop timide », etc…
D’ailleurs, précisent certains, ce point faible a fait office d’épouvantail
dans le choix de leurs études, les conduisant à éviter les matières exigeant
des qualités de prise de parole. Nombre d’entre eux ont donc bâti leur
réussite dans d’autres disciplines, plus alignées avec leurs points forts.
Les progrès, les succès et la reconnaissance obtenus dans ces domaines
ont alimenté leur capital confiance… jusqu’à ce moment donc, en plein
entretien annuel, durant lequel leur N+1 leur remet en mémoire le
« défaut » presqu’oublié : « Si tu aspires à progresser au sein de
l’organisation, il est vital que tu développes tes capacités à t’exprimer en
public ce qui, je l’ai constaté, n’est pas ton point fort. En es-tu
conscient ? »
Quelle question ! C’est même ce niveau de conscience aigu, sédimenté
par des années de remarques sur le point faible, qui a forgé une masse de
doute telle que la simple évocation d’un exercice d’expression orale suffit
à provoquer une montée de stress.
Ce doute constitue le vrai défi pour le coach en charge de
l’accompagnement. Ce n’est pas la quantité d’effort – comme dans
l’équation décrite ci-dessus – qui sera en question. Ce n’est pas non plus
la technique qui pose problème. C’est bien davantage la peur de ne pas
être à la hauteur, le souvenir diffus mais très présent de mauvaises
expériences passées, le sentiment d’avoir un « défaut » – au sens du
manque structurel par rapport auquel on ne pourrait décidément rien.
Tout effort supplémentaire est empêché par la peur. Toute tentative
d’apprentissage technique est vouée à l’échec. Tout raisonnement, même
simple, est perturbé le stress. Pris dans l’étau de cette angoisse, l’individu
en question peut même souffrir physiquement : insomnie, perte d’appétit,
maladie…
Que faire alors ?
Faudrait-il renoncer à affronter les situations de prise de parole en
public ? Évidemment non. Ces situations font partie du « job » : être
capable de les jouer de façon satisfaisante n’est pas négociable. Miser sur
les points forts ne signifie pas renoncer à progresser ! Mais apprendre à
gérer ces situations ne peut non plus se résumer à forcer l’individu sur le
chemin du doute : le confronter à ce qu’il craint le plus en espérant qu’il
finisse par développer des qualités qu’il n’a pas, relève plus de la
méthode Coué que du coaching !
L’enjeu consiste à chercher avec lui une autre voie, qui exploite son
capital confiance et valorise ses points forts : comment, avec les qualités
qui sont les siennes, peut-on capter un auditoire ?
Une piste peut être par exemple de l’amener à concentrer son énergie
sur le fond plutôt que sur la forme : quels sont les enjeux de la prise de
parole sur le fond ? quels sont les objectifs ? les informations essentielles
à partager ? les messages à passer ? etc… En restant le plus possible
focalisé sur des points qu’il maîtrise, en le poussant à l’excellence sur ces
sujets, on « réaligne » l’individu sur ses points forts. En se sentant de
plus en plus à l’aise sur le fond, il retrouve un peu de confiance. Il
devient alors plus facile de le valoriser, de l’encourager avec sincérité.
Bien entendu, ce travail n’aura pas permis de faire disparaître
l’appréhension de la prise de parole. Mais il aura eu le mérite de
rehausser le niveau d’énergie permettant à l’individu d’oser affronter ce
qu’il craint, au point que l’on peut le sentir désormais presqu’impatient
de délivrer les messages qu’il a tant ciselés.
À cette préparation centrée sur les points forts, s’ajoutera, le plus tard
possible, une séance d’entraînement, dont l’objectif n’est absolument pas
de transmettre à la personne concernée toutes les compétences du parfait
orateur, et encore moins évidemment de lui faire prendre conscience de
ses lacunes, mais juste de vivre la situation « à blanc » en lui apportant
quelques basiques (gestes ou des actions les plus simples possibles) de
concentration : reste debout sur la croix tracée au sol, fixe
alternativement le regard de 3 ou 4 personnes dans le public, etc…
L’ultime consigne, avant l’heure H, sera bien entendu seulement
centrée sur la quantité d’effort accumulée sur le fond : « Souviens-toi du
travail que tu as fourni sur le fond : c’est ce que tu as à dire qui
compte… »
Le principe reste toujours le même : se servir des points forts pour
renforcer la confiance et pousser vers l’excellence, et se contenter, sur les
points faibles, de fixer l’attention sur quelques réflexes peu nombreux et
faciles à acquérir. Nous reviendrons plus en détail sur ce principe dans le
dernier chapitre.
Le doute est un frein très puissant : tension, nervosité, incapacité de se
concentrer ou à maîtriser ses actes et ses gestes… Le doute nous rend
indéniablement moins efficace dans ces situations où nous touchons à nos
limites. Pire, il peut nous paralyser, son caractère naturellement
globalisant nous amenant à perdre toute confiance, même pour faire
usage des qualités dont pourtant nous nous savons pourvus.
C’est ainsi qu’en prenant le chemin ardu qui nous confronte aux
situations dans lesquelles on se sait faible, on court finalement deux
risques : ne pas réussir à devenir fort sur ses points faibles et, plus grave
encore, se sentir devenir de plus en plus faible sur ses points forts ! Un
comble…
Travailler les points faibles :
un passage obligé, vraiment ?
Une spirale de doute infernale, le regard des autres à affronter, beaucoup
d’efforts pour des résultats décevants… à quoi bon s’infliger une telle
épreuve ?
Le « bon sens » très partagé semble affirmer que nous n’avons pas
d’autre choix : progresser, réussir, imposent de passer par la correction des
défauts. Il faudrait donc travailler à développer les qualités que l’on ne
possède pas pour, enfin, parvenir à maîtriser les situations ou les activités
sur lesquelles nous butons encore.

Faut-il absolument chercher à tout savoir faire ?


C’est la première question qu’on peut se poser et à laquelle on pourra
répondre comme un Normand : « ça dépend ! ».
Bien entendu, dans nombre de cas, il faudra en effet absolument
parvenir, sinon à maîtriser, au moins à gérer certaines situations,
compétences, activités incontournables. Certaines d’entre-elles peuvent a
priori nous confronter à nos points faibles. Dans la dernière partie du
livre, nous verrons comment s’y prendre pour s’engager dans cette voie
avec les plus grandes chances possibles de succès.
Mais, sans doute influencés par la petite et persistante voix du « sois
parfait » avons-nous trop tendance à élargir cette dimension
incontournable à un très (trop) grand nombre de champs.
Dans l’intéressant article publié par la célèbre Harvard Business
Review, plusieurs chercheurs du non moins célèbre MIT (Massachusets
Institute of Technology)20 relatent les études qu’ils ont menées auprès de
dirigeants, dans le cadre du Leadership Center. Selon eux, le leader idéal
se devrait de posséder 4 grandes compétences, essentielles pour diriger
une entreprise aujourd’hui : le sens (comprendre le contexte dans lequel
l’entreprise et ses collaborateurs opèrent), la relation (nouer des liens, au
sein de l’entreprise et à l’extérieur), la vision (créer une image
enthousiasmante du futur) et l’invention (développer de nouvelles façons
de concrétiser la vision). Ces compétences, précisent les chercheurs du
MIT, requièrent de nombreuses aptitudes, à la fois intellectuelles et
interpersonnelles, rationnelles et intuitives, conceptuelles et créatives. Au
cours de leurs études, les auteurs assurent que « rares, si tant est qu’ils
existent, sont ceux qui excellent dans les quatre domaines ».
Le problème est que « le mythe du leader parfait (et son corollaire,
la peur de paraître incompétent) pousse beaucoup de dirigeants à
essayer de l’être, s’épuisant eux-mêmes et nuisant à leur entreprise au
passage […]. Il est temps de faire taire ce mythe, non seulement dans
l’intérêt des leaders inquiets, mais aussi pour le bien des entreprises. »
Ainsi rencontre-t-on parfois des patrons désireux d’encourager la
confiance, l’optimisme et le consensus, qui au contraire récoltent de la
colère, du cynisme et du conflit, parce qu’ils ne parviennent pas en réalité
à réellement comprendre les autres et reconnaître d’autres points de vue
que le leur. Dans les relations qu’ils s’efforcent d’entretenir au sein de
leur entreprise, ils passent en fait plus de temps à vouloir convaincre qu’à
écouter.
Ce que montrent les chercheurs du Leadership Center du MIT, c’est
que les bons leaders acceptent d’être imparfaits.
Ce leader imparfait n’est pas un leader incompétent, ignorant de ses
faiblesses. C’est un patron qui « connaît ses aptitudes et ses inaptitudes,
et sait comment travailler avec les autres pour tirer parti de ses forces et
contrebalancer ses faiblesses ».
L’enjeu n’est plus tant, dès lors, celui de l’incarnation par une seule
personne, d’un leadership tout puissant, mais bien la création d’un
leadership partagé et de ce fait à la fois plus humble et plus authentique.
C’est dans le même ordre d’idée, le constat fait par les dirigeants du
Groupe Michelin il y a de cela plusieurs années, sur la base d’un
indicateur : ce que, dans les grands cabinets de conseil américain,
on appelle le span of control, en clair le nombre de collaborateurs
rattachés à un manager. En l’occurrence, ce chiffre était particulièrement
bas, révélant qu’il y avait donc dans l’organisation, un pourcentage trop
élevé de managers rapporté à l’effectif total : trop de chefs !
Derrière ce chiffre, une réalité : le seul moyen de faire progresser les
employés méritants, en termes de salaire, de reconnaissance plus
généralement – et donc de les fidéliser, était de leur permettre de monter
dans la hiérarchie.
Certains d’entre eux se révélaient être d’excellents managers. D’autres
en revanche se retrouvaient en difficulté, obligés de lâcher l’activité dans
laquelle ils avaient réussi et qui les motivait, pour jouer un rôle très
éloigné de leurs qualités personnelles… au point que l’entreprise finissait
par diminuer au maximum la taille de leur équipe. Certains managers ne
manageaient plus personne, devenant, selon l’expression sur-réaliste, des
cadres non-encadrants !
Pour éviter ce travers fréquent (combien d’experts brillants dans les
entreprises finissent en managers toxiques et aigris ?), Michelin décida de
repenser son système de progression, pour mieux prendre en compte la
diversité des profils. Ainsi, en fonction de ses qualités personnelles, un
ingénieur peut accéder bien sûr toujours à des responsabilités
managériales. Mais, il lui est aussi possible de s’épanouir dans la
conduite de projet, prendre en charge des affaires, puis pourquoi pas
demain, des projets de plus en plus stratégiques, jusqu’à intégrer le cercle
des chefs de projet les plus capés du Groupe. D’autres, enfin, préfèreront
grandir dans la voie de l’expertise, que celle-ci soit technique (en rapport
direct avec les produits), ou qu’elle se rapporte au marketing ou à
l’aspect juridique : peut-être alors pourront-ils devenir Expert Monde, et
à ce titre, faire là aussi partie de l’élite reconnue de l’entreprise.
Ces quelques illustrations montrent qu’il peut exister d’autres voies
que celle consistant à travailler nos points faibles. Chercher à être bon
partout n’est sans doute pas l’obligation absolue que l’on croit parfois.

Erreur de diagnostic ?
Il est même tentant d’aller plus loin dans le raisonnement. Et si cette
injonction à travailler nos points faibles relevait d’une mauvaise analyse de
nos difficultés ? Si, finalement, le défaut n’était pas la cause de tous nos
problèmes ?
Trop superficielle, l’analyse que nous faisons des échecs ou des
difficultés rencontrées se contente souvent de mettre la lumière sur nos
points faibles.
• L’équipe sportive sera passée à côté de la victoire à cause de ses
lacunes défensives légendaires, diront les commentateurs.
• Le manager en difficulté, confronté à une multiplication de dérives de
comportement au sein de son équipe, paye le prix de son manque de
fermeté, conclura le DRH.
• L’étudiant, recalé à un concours, regrettera ses lacunes persistantes
dans cette matière qu’il n’a jamais aimée.
• « Manque de puissance au service », analysera le journaliste après la
défaite de ce tennisman pourtant prometteur. Sans un travail assidu,
pour renforcer son physique et affiner sa technique, il ne parviendra
pas à se hisser au meilleur niveau, affirmera-t-il.

En posant systématiquement le même diagnostic – les difficultés ou les


échecs sont la conséquence de nos points faibles – on légitime une fois de
plus l’approche corrective.
Ce diagnostic est pourtant contestable. En poussant un peu plus loin
l’analyse des situations difficiles que nous vivons, nous constatons, qu’en
réalité, le point faible constitue plutôt un symptôme que l’origine même
de l’échec. Dans bien des cas, en effet, ce qu’indique l’apparition du
point faible, c’est un moindre alignement avec nos points forts : dès que
nous nous éloignons de nos points forts, ou dès que nous nous
affaiblissons sur nos points forts, le point faible devient visible et
handicapant.
« On ne perd jamais à cause de ses points faibles », affirmait Pete
Sampras lorsqu’il était l’incontestable no 1 du tennis mondial. « On perd
à cause de ses points forts »… comme on gagne grâce à ses points forts
aussi bien sûr, serais-je tenté d’ajouter.
Que dit Sampras ?
Tant qu’il réussissait à imposer sa stratégie de jeu, dictant les échanges
grâce à ses coups forts (une première balle de service capable de
« sortir » l’adversaire du terrain, un coup droit dévastateur, une
couverture au filet exceptionnelle), Sampras était un joueur très difficile à
battre.
Mais, dans certains mauvais jours, moins en confiance, fatigué ou
blessé, il pouvait lui arriver d’être un peu moins fort sur ses points forts :
un moindre pourcentage de 1ères balles au service, des coups droits un
peu moins longs ou des volées moins tranchantes. Dans ces moments-là,
le no 1 mondial de l’époque savait que son adversaire allait très
certainement l’obliger à frapper des revers, sans doute son coup le plus
faible.
Dès lors, la mécanique de la défaite pouvait se mettre en ordre : ne
parvenant plus à s’appuyer sur ses points forts, Sampras se trouvait en
quelque sorte « réduit » à son point faible. Coincé côté revers, il risquait
de commettre des fautes ou d’offrir des balles plus faciles à jouer à son
adversaire.
L’analyse, un peu superficielle du match, concluait à l’impérieuse
nécessité de retravailler ce satané revers, cause apparemment évidente de
la défaite.
Mais, pour Sampras et son équipe, le diagnostic était différent : quand
le point faible devenait gênant, c’est qu’il était urgent au contraire de
renforcer ses points forts. Et ça tombe plutôt bien : après un échec, ici en
l’occurrence après une défaite, il est plus facile de se recentrer sur ses
points forts que de trouver l’énergie pour corriger les points sur lesquels,
jusqu’ici, on n’a jamais réussi à briller !
Bien sûr, peut-on penser, il ne s’agit dans cet exemple, que de tennis.
Et pourtant, appliquer la logique de Sampras à d’autres univers est
tentant.
Citons le cas de cette entreprise, pour laquelle nous avons travaillé il y
a quelque temps. Répartie sur plusieurs sites en France, cette entreprise
œuvre dans l’univers de la logistique, dispatchant auprès de détaillants,
des produits livrés en gros. Nous avions croisé le patron de l’un de ces
sites, installé au fond d’une campagne de l’ouest de la France. Dans cette
région un peu reculée, le recrutement se faisait beaucoup par cooptation,
nous avait expliqué ce Directeur : les collaborateurs se connaissent très
bien au-delà du cadre du travail, ayant souvent des liens entre eux,
familiaux ou amicaux. L’ambiance était donc, d’après le responsable, très
empreinte de convivialité.
Dans ce contexte, les managers éprouvaient des difficultés dès lors
qu’il s’agissait d’être exigeant ou de faire preuve d’autorité : « avec une
telle proximité relationnelle, il n’est pas simple pour les managers de 1er
niveau de recadrer leurs collaborateurs quand ils sont hors-jeu », nous
avait-il précisé. Face à une recrudescence de dérives de comportement,
notamment relatives au port des équipements de protection individuels, il
lui semblait indispensable de combler cette lacune managériale.
L’analyse semble, à première vue, satisfaisante : le point faible des
managers (manque de fermeté) explique la multiplication des hors-jeux.
La solution coule de source : il faut former les managers pour les amener
à faire ce qu’ils n’ont jamais su faire…
Pete Sampras ne participait pas à la réunion du Comité de Direction ce
jour-là : il aurait pourtant certainement pu apporter son éclairage dans la
discussion que nous avions lancée. Les rencontres que nous avions
réalisées auprès d’un échantillon de collaborateurs et de managers
avaient en effet apporté de nouveaux éléments venant se confronter à
l’analyse initiale du Directeur de Site.
Depuis quelques mois, nous avaient expliqué les personnes
rencontrées, l’entreprise avait initié quelques changements dans son
organisation et ses fonctionnements. La mise en place d’un nouveau
système d’information intégré devait faciliter le pilotage de l’entreprise.
Il avait impliqué une forte évolution de la mission des managers de 1er
niveau, à qui il était désormais demandé d’effectuer beaucoup plus de
tâches administratives.
D’ailleurs, pour leur permettre de s’y atteler plus facilement, les
bureaux des managers de terrain, auparavant installés au plus près des
ateliers, avaient été regroupés dans le bâtiment des services supports,
jouxtant la zone de production.
De fait, les managers passaient de moins en moins de temps au contact
de leurs équipes respectives. D’après certaines personnes interrogées, la
motivation s’en ressentait : les liens s’étaient un peu distendus, quelques
salariés évoquant même un sentiment d’abandon.
Le déclic était venu de l’un d’entre eux, racontant un entretien houleux
avec son responsable : « il est derrière son PC toute la journée, on ne le
voit plus sur le terrain, il ne partage plus ce qu’on vit, on dirait même
qu’il ne s’intéresse plus à nous… et le seul truc qu’il trouve à dire quand
il descend dans l’atelier, c’est que ma tenue n’est pas conforme ! ».
Qu’aurait dit Sampras ? Le point faible devient critique quand on
dégrade le point fort ! Les managers n’ont jamais été forts dans les
registres de l’exigence ou de la fermeté. Mais ils étaient appréciés pour
leurs qualités relationnelles, pour l’attention qu’ils portaient à leurs
collaborateurs, pour leur présence quotidienne. Dans cette proximité de
tous les instants, il y avait certes rarement de grands discours d’exigence
ou de recadrages très formels : les règles étaient généralement respectées
du simple fait que les uns et les autres vivaient ensemble en permanence
ou presque, et si elles ne l’étaient pas, un simple regard ou une remarque
« en passant » suffisaient à recadrer le fautif en douceur.
Les hors-jeux n’étaient pas apparus du fait d’un manque de fermeté
des managers mais bien plutôt du fait que ceux-ci avaient peu à peu
déserté les ateliers par la force des choses. La discussion en Codir, ce
jour-là, fut constructive. Elle permit d’inverser la logique corrective et
d’opter pour l’approche centrée sur les points forts. Sans renier la
nécessité de tirer parti du nouveau système d’information, il fut décidé de
faire retravailler les managers de 1er niveau sur leurs qualités historiques :
comment les aider à reconstruire puis à entretenir les liens et la proximité
avec leurs équipes, dans un contexte ayant changé (bureaux distants des
ateliers, tâches administratives plus nombreuses…).
Se tromper de diagnostic est une erreur fréquente. Je citais quelques
exemples d’analyses un peu plus haut, que l’on pourrait là aussi
contester.
• L’équipe sportive sera passée à côté de la victoire à cause de ses
lacunes défensives légendaires, diront les commentateurs. À moins que
les attaquants habituellement très efficaces dans leurs actions n’aient
pas été aussi brillants que d’habitude !
• Le manager en difficulté, confronté à une multiplication de dérives de
comportement au sein de son équipe, paye le prix de son manque de
fermeté, conclura le DRH. À moins qu’il n’ait eu des difficultés à créer
des relations aussi motivantes que celles qu’il entretenait
dans le passé !
• L’étudiant, recalé à un concours, regrettera ses lacunes persistantes
dans cette matière qu’il n’a jamais aimée. À moins qu’il ne paye, dans
ce concours, son moindre engagement dans les matières qu’il maîtrise
le mieux !

Dans toutes ces illustrations apparait un point commun : le point faible


accusé constitue une faiblesse connue et identifiée, « malgré » laquelle
l’individu, l’entreprise ou l’équipe ont réussi avant que n’apparaissent
leurs difficultés. Les questions alors, qui peuvent se poser, sont bien :
• Pourquoi, alors que ce point faible existait déjà, cet individu, cette
entreprise ou cette équipe réussissaient-ils ?
• Sur quels points forts reposait cette réussite ?
• Ces points forts sont-ils toujours mis en œuvre, et le sont-ils de façon
toujours aussi efficace ?

Ces quelques questions, essentielles mais non exhaustives, réaffirment


l’importance de l’habitude du débriefing systématique.
Souvent réservé aux situations d’échec, le débriefing reste superficiel :
à la question « qu’est-ce qui n’a pas marché ? » fait immédiatement écho
la trop évidente réponse des points faibles.
C’est en prenant soin de débriefer aussi les succès que l’on peut
acquérir une compréhension plus complète de ce qui nous fait réussir…
et donc aussi de ce qui nous fait échouer. Mieux connaître notre propre
« mécanique » de performance, c’est-à-dire les points forts sur lesquels
on construit habituellement nos victoires, permet d’analyser bien plus
finement les raisons de nos échecs en évitant d’être leurré par nos points
faibles. Je reviendrai sur ces aspects de débriefing dans la dernière partie
« La stratégie des points forts, mode d’emploi ».
Comprendre qu’on échoue parce qu’on s’éloigne de nos points forts –
et non à cause de nos points faibles – est un point capital. Cela dispense
des efforts illusoires et des dégâts collatéraux que nous promet la logique
corrective, rarement couronnée de succès, on l’a vu.
Mieux encore, cela évite un autre risque, plus grave encore : s’éloigner
un peu plus encore de ses points forts !

Travailler les points faibles :


un contre-sens !
Je le disais déjà plus haut : qui tente de travailler ses points faibles court
toujours deux risques.
Le premier, déjà détaillé, est de ne pas y arriver : on se fatigue, doute,
stresse, échoue… finissant souvent par abandonner. Beaucoup d’énergie
dépensée pour en conclure que « décidément, on n’est pas fait pour ça ! » et
finalement se recentrer sur ses points forts. Nombreux sommes-nous
certainement à avoir appris, par l’expérience, à utiliser nos qualités
naturelles, en évitant le plus possible de nous engager sur des terrains
exigeant les qualités opposées. Nous verrons plus loin qu’il est possible
d’aller beaucoup plus loin que nous le pensons parfois, grâce à nos points
forts.
Le second risque, pour qui veut corriger ses points faibles, serait d’y
arriver ! Le conditionnel est de mise, parce que le risque n’est sans doute
pas avéré dans la réalité. Il est néanmoins intéressant à envisager, même
seulement théoriquement, tant il démontre la fragilité de la logique
corrective.
Point fort et point faible, au sens strict du terme, définissent bien ces
aptitudes à faire, à agir, à réfléchir… Comme les deux faces d’une même
pièce, sur un sujet donné, le point fort désigne la qualité que j’ai
spontanément tendance à utiliser, le point faible étant au contraire la qualité
contradictoire (que je ne parviens pas à utiliser facilement).
Face à une situation imprévue, X utilisera par exemple une qualité de
créativité, imaginant spontanément des solutions inédites et originales… là
ou Y, doué de rigueur, sera plus naturellement tenté de s’en remettre à des
plans déjà éprouvés ou des méthodes sûres et connues.
Admettons que X ait finalement mis en œuvre une de ces solutions
nouvelles et que le résultat s’avère décevant : selon l’habituelle logique
corrective, il lui sera probablement reproché d’avoir manqué de rigueur – là
où une analyse un peu plus poussée finirait peut-être par pointer au
contraire une créativité mal utilisée ou pas assez poussée.
Mais imaginons donc que X soit invité à travailler son point faible.
Le premier risque, évident, est qu’il peine à y parvenir, se contentant,
sous la pression, de quelques efforts à faible rendement, tout en restant
autant que possible dans sa zone de confort.
Le second risque donc, serait qu’il persiste dans ses efforts et cultive
désormais cette qualité de rigueur qu’il lui manquait. Attentif maintenant à
rester dans les recettes éprouvées, X ne prendrait plus aucun risque et ne
chercherait plus à imaginer d’autres pistes de solution.
En ayant développé sa qualité contradictoire (son point faible initial), X
aurait fini par « perdre » sa qualité naturelle (son point fort d’origine)…
Peut-être même qu’au prochain entretien annuel, X s’entendrait reprocher
de ne plus être assez créatif !
Je l’admets aisément : dans l’exemple ci-dessus, volontairement
simpliste, le débat est réduit à un stade binaire, or la « vraie vie » et les
« vrais gens » sont bien plus complexes. Les choses ne se résument pas à
deux qualités contradictoires aussi marquées et exclusives l’une de l’autre.
Certes mais le mécanisme est bien réel : à développer les qualités qu’on
ne possède pas, on se départit de celles qu’on possède. Dit autrement : en
devenant plus fort sur ses points faibles, on court le risque de devenir plus
faible sur ses points forts !
Prenons l’exemple de ce manager, Bertrand, croisé lors d’une mission
d’accompagnement menée dans une entreprise de conseil, qui résume ainsi
le contenu de son récent entretien annuel :
« Tu es proche de tes collaborateurs, c’est un vrai point fort ! D’ailleurs,
je sais qu’ils apprécient tous énormément tes qualités d’écoute et
d’empathie. C’est précieux d’avoir leur confiance. », lui dit son N+1.
« Mais tu dois apprendre à t’affirmer davantage face à ton équipe !
L’expérience de ce nouvel embauché, qu’on n’a gardé trop longtemps et
qu’il aurait fallu recadrer beaucoup plus tôt en atteste. C’est là-dessus qu’il
faut que tu travailles. Je te propose d’ailleurs de suivre une formation qui,
je pense, pourra t’aider à améliorer ce point. »
Revenant de ce module de formation, Bertrand a en effet fait évoluer ses
pratiques de management.
Suivant les conseils du formateur, il a introduit une plus grande rigueur
dans sa réunion d’équipe hebdomadaire : là où le lundi matin était une sorte
de grand temps informel où pouvaient se mêler discussions individuelles et
collectives, sujets personnels et professionnels, échanges descendants et
ascendants, il existe maintenant un ordre du jour, déroulé dans une
ambiance plus concentrée et plus studieuse.
De la même façon, Bertrand a introduit dans son agenda des rendez-vous
individuels bimensuels, afin de formaliser davantage le feedback qu’il lui
faut faire à ses collaborateurs. Il s’oblige à préparer chacun de ces
entretiens, constatant d’ailleurs que même s’il n’aimait pas trop ça, il
pouvait tout de même trouver à chaque fois quelques remarques à faire aux
uns et aux autres.
Pendant plusieurs mois, Bertrand s’est fait un peu violence, forçant un
peu « sa nature trop bienveillante », comme lui avait dit un jour son N+1.
Soudain, en plein mois de mars 2020, la nouvelle tombe : la France doit
se confiner pour tenter d’enrayer la pandémie de Covid-19.
Comme tout le monde, et comme beaucoup de managers en particulier, la
période est compliquée à vivre. Dès les 1ers jours, un peu livré à lui-même,
Bertrand s’en remet à son intuition. Ecoutant son naturel empathique, il
multiplie les contacts téléphoniques avec les membres de son équipe. À
défaut de pouvoir passer des consignes claires à ses collaborateurs dans ce
moment très incertain – son N+1 est aux abonnés absents au début de la
crise – il s’enquiert de leur état, de leurs inquiétudes, de leurs difficultés
professionnelles mais aussi personnelles. Certains ont des enfants à la
maison, rendant le télétravail difficile. D’autres ont la chance de disposer
d’un espace propice à la concentration. Quelques-uns dépriment. Beaucoup
ont peur, pour leur santé, pour leurs proches fragiles ou pour l’avenir de
l’entreprise. Bertrand n’a pas de réponses, pas de solutions, mais il écoute et
rassure. À chaque coup de fil, les membres de l’équipe remercient Bertrand
d’être là, loin mais présent.
Au cours d’un de ces échanges téléphoniques, l’un d’eux va plus loin :
« le confinement aura au moins eu une vertu, explique ce collaborateur, il
aura permis de nous rapprocher. »
« Nous rapprocher ? Que veux-tu dire ? », demande Bertrand.
« Euh… et bien depuis quelque temps, tu as changé », lui explique le
collaborateur. « Tout ce que tu as mis en place, les réunions structurées, les
entretiens de suivi individuels, cette plus grande rigueur dans le pilotage de
l’équipe, c’est bien… mais ça a créé une certaine distance entre nous. Je ne
suis pas le seul dans l’équipe à regretter tous ces moments informels qu’on
partageait avant, qui sont devenus moins fréquents. Du fait du confinement,
on retrouve le Bertrand qu’on apprécie. »
En racontant cette mésaventure, Bertrand réalise qu’en voulant améliorer
une face de son management, il avait involontairement négligé l’autre face.
Cette prise de conscience est venue de l’équipe elle-même, mais au fond de
lui, Bertrand le reconnait : en me forçant à investir des terrains éloignés de
mes qualités naturelles, et en délaissant au contraire mes points forts, j’avais
aussi perdu en motivation, en plaisir… un peu comme si j’étais « à côté de
mes pompes », comme si j’étais devenu un autre qui ne me ressemblait pas
et que d’ailleurs je n’aimais pas vraiment.
Là sans doute est l’un des plus grands écueils de la logique corrective.
Travailler ses points faibles de façon persévérante, réussir à « changer »,
conduit à renier ses qualités naturelles, de façon consciente ou inconsciente.
Or, ces qualités sont celles grâce auxquelles on a réussi jusqu’ici : s’en
éloigner, pour travailler les qualités opposées, revient à renoncer à son
« modèle » de performance le plus efficient : peu d’effort pour beaucoup de
résultat. En d’autres termes, il s’agit de chercher à réussir en développant
des qualités qu’on ne possède pas a priori… au risque de perdre les qualités
dont on dispose.
Ces qualités sont aussi celles dans lesquelles on éprouve ce sentiment
d’alignement interne, de motivation, de plaisir, de confiance en soi. S’en
éloigner, c’est investir un espace pavé de doute, d’effort et d’inconfort.
Enfin, ces qualités sont celles avec lesquelles on a appris à « exister au
monde » : c’est par leur expression, dans nos actes et nos comportements,
que l’on a gagné la reconnaissance des autres – et construit le sentiment de
sa propre valeur. En courant le risque de développer des qualités différentes,
voire opposées, on change soudain la vitrine : la nouvelle image que l’on
donne, surtout quand elle va de pair avec la moindre incarnation des
qualités naturelles, peut susciter incompréhension voire rejet de la part de
l’entourage.
Chapitre 3

Miser sur ses points forts : le pari gagnant !

« Ce qu’un autre aurait aussi bien fait que toi, ne le fais pas.
Ce qu’un autre aurait aussi bien dit que toi, ne le dis pas, aussi
bien écrit que toi, ne l’écris pas.
Ne t’attache en toi qu’à ce que tu sens qui est nulle part ailleurs
qu’en toi-même, et crée de toi, impatiemment ou patiemment,
ah, le plus irremplaçable des êtres. »
André Gide, Les Nourritures terrestres, 1897.

En bon fan de tennis, frustré par des mois d’interruption des compétitions
pour cause de Covid-19, j’ai suivi avec attention les tournois de reprise,
programmés à l’automne 2020, dont celui de Roland-Garros,
exceptionnellement déplacé de fin mai à fin septembre.
Comme c’est à chaque fois le cas, le tournoi a été ponctué de très beaux
duels, réservant quelques surprises.
De cette édition 2020, je retiendrai l’impressionnant parcours d’Hugo
Gaston. 239ème joueur mondial en arrivant Porte d’Auteuil, le jeune et
prometteur champion élimine plusieurs joueurs bien mieux classés que lui
(dont le suisse Stan Wavrinka, vainqueur du tournoi en 2015, à nouveau
finaliste en 2017), avant de s’incliner de peu au bout d’un match
d’anthologie, en huitième de finale, contre l’autrichien Dominic Thiem,
alors troisième joueur mondial.
Au-delà des victoires ou des défaites, ce qui force l’admiration, c’est la
manière avec laquelle Hugo Gaston a défié ses adversaires.
Avec son petit gabarit (1,73 m), il fait figure d’exception dans le très
fermé cercle des tennismen professionnels, assez largement formé
d’athlètes au physique impressionnant (la taille moyenne des champions du
Top 100 mondial s’établit à 1,86 m), capables de rivaliser de puissance, au
service comme dans les coups frappés du fond du court.
Une seule voie possible pour lui : se servir le mieux possible des armes
qu’il possède. Miser sur ses points forts. Il sait bien sûr que subir la
puissance de ses adversaires, se laisser embarquer dans leurs points forts à
eux, le condamne à accumuler des défaites sévères.
Et on comprend également que, dans son cas, chercher à travailler ses
points faibles est une voie sans issue : même en mangeant de la soupe, il ne
grandira plus ! Avec tous les efforts du monde, il ne parviendra sans doute
jamais à servir à 230 km/h ou à envoyer des « parpaings » dans la
diagonale, comme le font ses rivaux.
Alors Hugo Gaston cultive sa singularité – comme d’autres joueurs le
font, tel Diego Schwartzman ou, il y a quelques années Fabrice Santoro. Il
mise sur son toucher de balle, sur une très large variété de coups, sur son
œil, sur sa vitesse d’exécution et de déplacement, sur la précision de son jeu
de jambes… Mais il sait que, dans ces domaines, être « bon » ne suffira pas.
Il lui faut, pour défier les plus grands et compenser ses points faibles,
pousser chacune de ces qualités à l’excellence.
C’est, à la fin de son match, ce qu’a confirmé son adversaire Dominic
Thiem, passé tout près de la défaite : « Ça fait longtemps que je n’avais pas
vu un joueur avec un tel toucher. Ses amorties viennent d’une autre planète,
il m’a fait sprinter quatre cents fois vers le filet (…) S’il continue comme
ça, il deviendra un énorme joueur et il apportera beaucoup de joie dans ce
stade dans le futur ».
Quand Thiem dit « S’il continue comme ça… », on peut traduire : S’il
continue à travailler encore et encore ses points forts !
C’est bien cela qu’illustre le parcours de ce jeune champion de tennis : la
stratégie des points forts ne consiste pas seulement à bien faire ce qu’on sait
faire en restant paisiblement dans sa zone de confort. Elle vise à cultiver ses
talents pour exploiter le mieux possible le potentiel que ceux-ci nous
offrent. Et ce potentiel, nous allons le voir, est immense… plus immense
qu’on ne le pense.
Le choix de l’efficience
Les points forts, rappelons-le, constituent bien des ressources internes : ce
sont des qualités (physiques, mentales…) ou des traits de caractère que
nous possédons et que nous activons de façon spontanée et facile.
Dès lors que la situation dans laquelle nous nous trouvons ou le plan
d’action que nous choisissons nous permettent de mettre en œuvre ces
qualités, nous bénéficions d’un effet de levier : peu d’énergie suffit à
produire des résultats.

Efficacité prouvée !

■ Le plus court chemin vers le succès


Les exemples sportifs abondent, dans les différentes disciplines, qui
montrent combien le champion (ou l’équipe), bien calé sur ses points forts,
tend à emporter la victoire.
Rafael Nadal et ses 13 titres à Roland-Garros impressionnent toujours :
derrière ces 13 succès, il a disputé au total 102 matches sur la terre battue
parisienne… et il n’en a perdu que 2 !
Et même dans des conditions difficiles qui, comme durant cette édition
2020, semblent le désavantager, même face à un Djokovic trop vite
donné favori, le champion espagnol est présent, confiant en ses forces,
concentré sur son jeu, aussi affuté qu’il le peut sur ses points forts… au
point d’emporter le 1er set de la finale sur le score de 6 jeux à 0.
Dans l’adversité, dans une situation délicate et à fort enjeu, Nadal s’en
remet à ce principe d’efficacité prouvée : compter sur ses points forts,
chercher à faire le mieux possible ce qu’il sait faire, en l’occurrence, user
et abuser de ce geste de coup droit lui permettant d’imprimer une rotation
exceptionnelle de la balle à chaque frappe (3 400 tours/minutes en
moyenne, avec des pointes à près de 5 000 tours/minutes).
Lors de cette finale 2020, c’est encore avec ce grand coup droit lifté,
pilonnant le revers de Djokovic, que Nadal a gêné son adversaire…
comme chez les « juniors » déjà, quand il arrivait à dominer Richard
Gasquet, son très talentueux rival de l’époque !
Très rapidement, dans l’enfance, chacun d’entre nous développe des
manières préférentielles de voir, de réfléchir, de décider ou encore d’agir.
De façon spontanée, pour réussir ce que nous entreprenons, qu’il s’agisse
d’activités physiques, intellectuelles, créatives, ludiques ou plus
sérieuses, ou qu’il soit question de relations aux autres ou au monde,
nous apprenons par expérience à utiliser les ressources les plus
facilement accessibles dont nous disposons. Sans que nous en soyons
conscients, s’affirment déjà nos points forts.
La psychologue et chercheuse Lea Waters, auteure du livre « Cultivez
vos forces »1, souligne que, dès le plus jeune âge, les enfants mettent
spontanément en œuvre des talents ou des traits de caractère qui leur sont
propres et les distinguent de leurs camarades.
Ces points forts, dit-elle, se repèrent à la présence de trois
composantes :
• La performance : l’enfant réalise des choses au-dessus du niveau
moyen de son âge, apprend vite ou obtient des succès précoces.
Tel élève sait par exemple structurer des phrases complexes et utiliser
des mots choisis, mieux que ne le font les autres. Tel autre réussit
manifestement à inventer et raconter des histoires originales, au-delà
des standards habituels. Un dernier enfin, fait preuve de capacités de
coordination motrice qui lui permettent de briller dans les activités
physiques à chaque récréation !
• L’énergie : l’enfant semble se sentir bien quand il utilise ce talent ou ce
trait de caractère. Son niveau de motivation est élevé au point qu’il
parait infatigable – ce qui n’est pas le cas de ses parents qui, eux, sont
épuisés !
• L’utilisation intensive de la force : l’enfant cherche à accroître le temps
passé à mettre en œuvre ses talents ou traits de caractère. Par exemple,
il consacre son temps libre à des activités dans lesquelles sa force peut
s’exprimer.

Spontanément, les enfants investissent autant qu’ils le peuvent ces


zones de force. Avant que les injonctions de l’éducation « traditionnelle »
ne se renforcent, ils jouissent de la liberté de le faire.
Ce que Lea Waters propose, c’est d’encourager les enfants à prendre
conscience de leurs forces, puis de les développer, pour leur permettre de
construire leur estime de soi. Celle-ci, explique-t-elle, fournit aux enfants
une base stable à partir de laquelle il leur sera ensuite possible
d’enraciner leurs objectifs et de réaliser leurs projets.

■ Bâtir son propre « modèle » de performance


Nos points forts constituent, en quelque sorte, notre « modèle » spécifique
de réussite, qu’avec l’expérience nous continuons de consolider – tant que
les tiers que nous croisons ne nous invitent pas à le délaisser pour tenter de
corriger nos points faibles…
Les spécialistes de l’approche Action Types® interviennent aussi bien
dans l’univers du sport que dans celui de l’entreprise. Au cœur de leurs
missions se répète l’idée de prise de conscience de nos préférences
motrices et cérébrales.
Au travers du protocole de tests physiques qu’ils ont mis au point, il
s’agit de permettre à chacun, quels que soient son activité ou son métier,
de comprendre ses fonctionnements « naturels ».
En matière de sport, il s’agit d’aider les athlètes à trouver ou retrouver
une pratique plus fluide, correspondant à leurs aptitudes spontanées. La
formation et l’entraînement, y compris parfois lorsqu’il s’agit de grands
champions, cherchent à imposer une gestuelle « toute faite » – souvent
copiée sur celle d’autres sportifs – qui ne respecte pas les préférences
naturelles de l’athlète.
En redécouvrant celles-ci, le champion se réapproprie une façon de
faire plus naturelle et plus efficiente : plus de résultats avec moins
d’efforts – et moins de risques de blessure.
Connaître son « modèle » de réussite est essentiel pour obtenir une
efficacité durable, fiable et stable. Il ne s’agit pas seulement de savoir
dans « quoi » je réussis mais bien « comment » je réussis.
Outre le fait que l’approche corrective ait pu finir par nous faire perdre
la confiance en nos forces, il peut aussi nous arriver de croire qu’elles
sont communément répandues. Il ne s’agit évidemment pas de nourrir un
sentiment de supériorité mal placé, mais de comprendre que telle ou telle
qualité, qui peut sembler banale, ne l’est en réalité pas tant que cela : ce
que je réussis facilement, d’autres peinent à le réaliser.
C’est un des objectifs que l’on peut aussi assigner aux séminaires qu’il
nous arrive d’organiser dans les entreprises, par exemple auprès
d’équipes de direction : amener les membres de l’équipe à comprendre
leurs qualités naturelles et donc leur singularité. Personne ne peut se
prétendre supérieur à l’autre, mais chacun sait peut-être faire,
efficacement et facilement, ce que l’autre ne réussit pas à faire.
Car si connaître son « modèle » de fonctionnement optimal s’avère
précieux dans une logique individuelle, on comprend l’importance que
cela revêt aussi dans la dimension collective. C’est tout naturellement
l’axe qui oriente la constitution des équipes dont on attend un haut niveau
de performance.
Qu’il s’agisse de former une équipe de foot, un commando, un
équipage pour une course à la voile, l’idéal est de choisir les meilleurs
dans chacune des spécialités qui concourent à la performance globale.
On ne cherche pas des gens parfaits et sans points faibles, mais au
contraire des personnes les plus efficaces possibles dans leur domaine,
qui connaissent et maîtrisent des points forts complémentaires à ceux des
autres.
Miser sur les points forts est un des principes qui ont guidé le
navigateur Franck Cammas au moment où il a décidé de relever le défi
d’engager Groupama 4 dans la Volvo Ocean Race 2011-2012, cette
course autour du monde en étapes, qui s’étale sur une durée totale de
9 mois environ.
Franck Cammas connaissait parfaitement ses qualités personnelles :
« Ce compétiteur à tendance obsessionnelle pose un oeil sur tout, des
réglages des voiles jusqu’à la composition des sacs de nourriture (huile
d’olive pour tout l’équipage et gelée royale pour son régime personnel)
ou au détail des motifs peints sur l’étrave (les plus simples possible, pour
éviter les surplus de poids inutiles) », dit de lui le journaliste Simon
Roger2.
« Franck est un travailleur acharné et une bête à gagner, toujours à
fond dans la compétition. Qu’il fasse du bateau, du ski ou du vélo, il faut
qu’il arrive le premier. Je ne partirais pas en vacances avec lui ! »
ironise Jean-Luc Nélias, le navigateur de Groupama 4.
De fait Cammas n’aura de cesse, à chaque étape, de compléter son
« modèle » de performance, débriefant avec une précision obsessionnelle,
chaque paramètre de navigation ou de réglage du bateau. À tel point,
témoignera plus tard, Thomas Coville, l’un des équipiers de cette
aventure, qu’au fil des étapes, l’équipage avait pris confiance dans sa
capacité à produire les meilleures performances possibles.
Peu performant dans les premières épreuves, Groupama 4 a en quelque
sorte profité de chaque étape pour apprendre et consolider le « modèle »,
avant d’engranger plusieurs victoires, et de gagner finalement cette
édition 2011-2012 de la Volvo Ocean Race face aux favoris de l’épreuve.
Confiant en ses forces – et perfectionniste jusqu’à l’obsession avec lui-
même en la matière – Cammas est aussi conscient de ses défauts, raison
pour laquelle, il a cherché à s’entourer des meilleurs équipiers, capables
de compenser ce qu’il n’est pas, ne sait pas ou ne veut pas faire.
Ainsi avait-il confié à Thomas Coville le soin de jouer dans l’équipe,
au-delà de ses rôles de barreur et de chef de quart, une mission de
« fédérateur », en charge de l’aspect humain et relationnel : « Il [Franck]
a une lecture toujours objective de la performance du bateau et un très
bon esprit de synthèse. En revanche, la dimension humaine du projet le
rebute. Moi, c’est l’inverse ».
Curieusement, ce qui parait évident dans le monde du sport, en
l’occurrence ici dans celui de la voile, ne l’est pas aussi sûrement dans
l’univers de l’entreprise.
Le célèbre institut américain Gallup, qui mène depuis de nombreuses
années un travail suivi d’enquête sur l’engagement des salariés, confirme
que seulement 20 % des salariés ont l’occasion, dans leur travail, de
« faire tous les jours ce qu’ils savent le mieux faire »3. Peu d’entreprises,
d’après ces chiffres, tirent parti des points forts de leurs collaborateurs…
ce qui tendrait à expliquer une partie du faible niveau d’engagement
déclaré par ces mêmes collaborateurs : 10 % d’entre eux se disent
engagés (90 % déclarent pas être engagés voire expriment leur
désengagement).
Plus intéressant encore : quand Gallup concentre son attention sur les
entreprises jugées les plus performantes (au regard de critères comme la
productivité, la satisfaction des clients ou le taux de fidélité du
personnel), le pourcentage de collaborateurs déclarant « faire tous les
jours ce qu’ils savent le mieux faire » approche des 50 %, ce qui tendrait
à montrer qu’en concentrant davantage les salariés sur leurs points forts,
les entreprises pourraient accroître leur niveau de performance.
Les enquêtes Gallup montrent également que les collaborateurs qui ont
le sentiment de pouvoir faire tous les jours ce qu’ils savent faire le mieux
sont, en moyenne, moins malades et ont moins d’accidents du travail que
leurs collègues.
Ces études ou ces exemples viennent appuyer un constat que chacun
d’entre nous a déjà fait par l’expérience : dès que nous avons la
possibilité de prendre appui sur nos qualités naturelles, le rendement de
nos efforts est optimal. Avec peu d’énergie, nous développons un niveau
de résultat au-dessus de la moyenne.

■ Du temps de cerveau disponible


À ce rendement élevé, s’ajoute un autre bénéfice : la possibilité, à force
d’entraînement, de switcher en mode « automatique ». Agir en utilisant ses
qualités naturelles, par définition facilement accessibles et rapidement
mobilisables, peut en effet se faire sans réfléchir. Ainsi, avec ce surplus de
« temps de cerveau disponible », il nous est possible de nous concentrer sur
d’autres aspects importants de la situation ou de l’environnement.
Les commerciaux croisés lors des formations qu’animent les
consultants d’Animae, sur le thème de la négociation, ont tous
conscience de l’importance de l’écoute dans leur métier. Ecouter est
évidemment indispensable, d’un point de vue rationnel, pour apprendre à
connaître son interlocuteur et comprendre ses 5P : Projet, Peurs, Priorités,
Préoccupations, Passions (centres d’intérêts, valeurs). Mais écouter
répond aussi à un objectif plus relationnel : reconnaître son interlocuteur
(au sens considérer) et lui montrer son désir de le servir.
Lors des situations d’entraînement proposées, certains de ces
commerciaux peinent à consacrer suffisamment de temps à ces phases
d’écoute. Pressés de parler, ils coupent la parole, rebondissent à la
moindre occasion de placer un argument, multiplient les questions dans
le seul objectif rationnel de faire dire au client ses besoins… Bien sûr,
selon la logique corrective, on attend d’eux qu’ils progressent sur ce
point. Mais l’appropriation des techniques d’écoute (blocage des réflexes
polémiques, relances, repérage des dissonances verbales et
comportementales, etc…) leur est difficile. Dès lors, on les voit se
concentrer sur l’utilisation des techniques, plus préoccupés de savoir quel
type de relance utiliser à quel moment que d’écouter vraiment ce que dit
leur interlocuteur !
À l’inverse, d’autres vendeurs professionnels montrent d’évidentes
aptitudes à écouter, sachant avec beaucoup de naturel, montrer un intérêt
vrai pour les paroles de leur interlocuteur, acquiescer à bon escient, ni
trop ni trop peu, relancer avec justesse, etc… Ils posent généralement peu
de questions, préférant laisser le client se dévoiler le plus librement et
spontanément possible. Ces commerciaux, en plus d’instaurer rapidement
un climat de confiance, ont aussi in fine une compréhension bien plus
précise de leur interlocuteur, ayant capté dans ses dissonances verbales,
mais aussi comportementales, les points qu’il sait devoir clarifier dans
l’exercice de négociation qui suivra.
N’ayant pas à réfléchir à la mise en œuvre des techniques – qui pour
eux sont des automatismes – ils dédient toute leur attention à réellement
écouter leur client.
On retrouve ici cette notion de « modèle » de performance, évoquée
précédemment, et décrite également par les spécialistes du cerveau.
Conçu pour nous permettre d’assurer notre survie, celui-ci dispose d’une
capacité à concevoir, intégrer et stocker des modèles : ceux qui nous
permettent par exemple de percevoir un objet en mouvement et de
l’attraper d’un geste – réflexe utile pour qui chasse une proie, ou plus
près de nous, pour rattraper in extremis un objet qui nous a échappé des
mains.
Jean-Philippe Lachaux, Directeur de recherche à l’Inserm est
spécialisé dans l’étude des mécanismes cérébraux de l’attention.
Parallèlement grand amateur de tennis, il s’est notamment penché sur les
secrets du cerveau des champions :
« Au fil du temps, confirme-t-il, le cerveau réalise et stocke des
modèles. Il peut donc, par la suite, grâce à ces derniers, savoir de façon
intuitive quelle sera la zone qu’atteindra la balle, en fonction de sa
vitesse et de sa trajectoire. C’est codé dans les neurones, un peu comme
un programme. »
« En fait, c’est plus exactement le cervelet qui bosse dans ce genre de
situation », précise le chercheur.
« Quand tu réalises un geste et que tu ne l’as pas automatisé, ça te
demande de l’attention supplémentaire […] Si tu dois faire attention à
tout, tu ne t’en sors pas. Le véritable enjeu, c’est de savoir, auprès des
plus grands joueurs, quand ils décident de prendre l’information. »4
C’est ainsi que l’on peut admirer la capacité des champions à jouer
aussi vite, à pouvoir, dans un temps très court, percevoir le replacement
de l’adversaire après sa frappe, prendre la bonne décision tactique (tenter
par exemple de prendre l’autre joueur à contre-pied) et réaliser le geste
parfait pour envoyer la balle à l’endroit souhaité !
Si, potentiellement, ce mécanisme peut jouer dans n’importe quelle
situation, il nous est naturellement et plus facilement accessible, quand
nous pouvons nous appuyer sur nos talents.
Une fois ces modèles acquis et consolidés, la performance devient plus
stable. Par sa dimension « automatique », elle autorise des ambitions plus
grandes.

La confiance et le plaisir en plus !


L’efficacité n’est pas la seule vertu des points forts.
Activer ses talents est aussi source de confiance et de plaisir, deux
carburants indispensables à la motivation de l’individu.

La spirale vertueuse de la confiance


Au cercle vicieux du doute, dans lequel se trouve souvent embarqué celui
qui s’acharne à travailler ses points faibles, s’oppose la spirale vertueuse de
la confiance.
Si la satisfaction d’atteindre un bon niveau de résultat contribue à
alimenter cette spirale, elle n’en constitue pas pour autant sa source.
C’est bien la confiance qui fait les bons résultats et non l’inverse !
Ainsi se développe la spirale vertueuse de la confiance (voir figure ci-
après).
La spirale vertueuse de la confiance

Comme dans le cas du cercle vicieux du doute, on pourra se reporter


ici au bilan doute-confiance évoqué dans la précédente partie.
De la même manière qu’il convient de distinguer « bon » et
« mauvais » doute, celui qui nourrit une saine prudence (quand il consiste
à intégrer un principe d’incertitude) et celui qui nous limite (quand il
revient à se croire incapable de faire telle ou telle chose), il est intéressant
ici de bien définir cette notion de confiance en soi.
La confiance en soi, sentiment d’être capable de réussir ce qu’on
entreprend, ne se confond pas avec l’image de soi, façon avec laquelle on
se voit. La confiance est affaire d’acte. L’image est question d’être (ego),
ou de ce que je pense être.
Schématiquement, nous prenons confiance en nous lorsqu’un tiers
formule des félicitations, c’est-à-dire quand il valorise et encourage ce
que nous faisons, les progrès que nous réalisons, ou encore les résultats
que nous obtenons (à condition de montrer en quoi ceux-ci sont la
conséquence de nos actes). Revient ici l’idée de la mise en avant non pas
tant du « quoi » (ce que j’ai réussi) mais plutôt du « comment » (la
manière avec laquelle j’ai réussi). Les points forts (les qualités naturelles
qui me permettent de réussir), on le comprend bien, sont donc au cœur
même de la notion de confiance en soi.
À l’inverse, l’image de soi, elle, touchant donc plutôt au sentiment
d’être (être un champion, être le meilleur, être un génie…), est alimentée
par les compliments. Ces derniers, reçus généralement après un succès (et
non durant l’effort), ne détaillent pas le « comment ». Formulés à l’aide
du verbe Être (« Bravo, tu es ceci, tu es cela… »), ils se contentent de
poser un lien bien trop simpliste entre ce que je suis et ce qu’ai réussi.
Évidemment, les compliments sont toujours agréables à entendre. Mais
ils peuvent avoir, à force, un effet pervers, en venant gonfler l’ego de
façon « artificielle », en accréditant le sentiment d’être ceci ou cela…
sans bien comprendre sur quoi s’appuyer concrètement pour le devenir
ou le rester !
Il est en effet frappant de constater combien les personnes à fort ego –
passant beaucoup de temps à parler d’elles, à se vanter d’être
extraordinaires, à se comparer aux autres, à mettre en avant leurs succès
(tout en attribuant toujours leurs échecs à des facteurs externes) –
peuvent en réalité manquer de confiance en elle. Il n’est pas rare de les
voir très en difficulté quand il s’agit de passer à l’action…
À l’inverse, on peut être surpris, dans ces mêmes moments d’action,
par les actes « extraordinaires » accomplis par des gens « ordinaires »,
capables de se concentrer pour faire le mieux possible ce qu’il se savent
capables de faire. Ils ont l’humilité de reconnaître qu’ils ne sont pas
parfaits, mais connaissent en revanche parfaitement les forces dont ils
disposent et la manière de les utiliser au mieux. Ils savent qu’ils peuvent
échouer, et lorsque cela arrive, ont le réflexe de se remettre au travail.
Souvent plus intéressés par le progrès et l’apprentissage que par le seul
succès, ils ne cessent de chercher à acquérir de nouvelles compétences.
Miser sur les points forts, ce n’est pas survaloriser l’ego. C’est mettre
l’individu sur la spirale vertueuse de la « vraie » confiance, en l’aidant à
comprendre sur quelles ressources internes (qualités, traits de caractère)
il peut s’appuyer pour agir, progresser et réussir.

La force de la motivation intrinsèque


Si la spirale des points forts développe la confiance en soi, elle se nourrit
aussi du plaisir.
Celui-ci n’est pas seulement lié à la satisfaction d’obtenir des résultats.
Il est immédiat, présent dès lors qu’il s’agit de « faire » en utilisant ses
qualités naturelles, en se sentant, en quelque sorte, « aligné » : « je fais ce
que je suis, comme je suis fait ! »
L’entraîneur de natation Fabrice Pellerin livre un de ces principes
structurant sa façon de faire travailler les champions :
« D’abord, dit-il, je demande à mes nageurs de choisir la nage dans
laquelle ils se sentent le mieux, et c’est celle-ci que nous travaillons en
priorité. Yannick [Agnel], par exemple, a choisi le crawl, qui lui procure
un plaisir physique immédiat, une agréable sensation d’explosivité
musculaire. Va pour le crawl ! Partir de ce que chacun aime
spontanément exprimer : tel est, à mes yeux, le meilleur tremplin vers le
succès. »
On le perçoit bien ici : ce que Fabrice Pellerin cherche, c’est
l’enclenchement de la spirale vertueuse.
Voilà un point de vue qui tranche avec les conseils souvent entendus
dans les entreprises, comme par exemple dans ces formations à la
Gestion des Priorités (selon l’expression consacrée), qui recommandent
de mettre en tête de la sacro-sainte To Do List, la tâche la plus
rébarbative ou la plus difficile. Certes, on adorerait s’en débarrasser et
pouvoir se consacrer à d’autres activités plus agréables. Sans doute
s’agit-il aussi d’éviter de procrastiner… Mais quelle énergie faut-il pour
s’infliger le plus dur au commencement de la journée !
Et si, pour changer, on s’engageait d’abord sur les tâches qui mettent
en jeu nos qualités naturelles, histoire de surfer sur la vague du plaisir et
de la confiance, pour remonter le ressort qui permettra d’affronter, un peu
plus tard dans la journée, les épreuves les moins simples ?
En effet, l’autre vertu de la concentration sur les points forts est
d’activer, immédiatement chez l’individu, ce qu’on appelle la motivation
intrinsèque5. Il s’agit d’un moteur à la fois très puissant et très endurant.
Pourtant, ce moteur intrinsèque reste peu connu et mal exploité, peut-être
bien parce qu’il suppose, pour se déclencher et fonctionner, d’accepter de
prendre le chemin des points forts : or, nous l’avons souligné déjà, celui-
ci est loin de constituer la voie la plus culturellement empruntée. Il suffit
d’ailleurs d’écouter ce qui se dit autour de la notion de motivation pour
comprendre qu’on la réduit souvent à sa dimension extrinsèque.
La motivation dite intrinsèque est celle qui provient directement de ce
qu’éprouve l’individu en réalisant une tâche : le fait de « faire » procure
un ensemble de sentiments ou même de sensations qui nourrissent le
plaisir (instantané), le désir de continuer et l’envie de recommencer. On
peut retrouver ici la notion d’apport/effort exposé précédemment :
l’apport d’énergie est non seulement supérieur à l’effort consenti
(dépense d’énergie), mais aussi simultané.
La motivation extrinsèque, elle, n’a pas de lien direct avec la tâche :
elle provient d’éléments extérieurs qui me seront apportés pour
compenser ou récompenser l’effort. Il peut s’agir du salaire, qui
compense le temps que le travailleur n’a pas pu consacrer à une autre
activité, ou encore d’avantages consentis en contrepartie de son
engagement (assurance, congés payés, etc…). Il s’agit également des
primes, promotions, médailles et autres récompenses au titre de ses bons
résultats ou de ses victoires par exemple.
Si la culture managériale compte autant sur la motivation extrinsèque,
c’est certainement parce que son aspect « externe » la rend moins
mystérieuse que la motivation intrinsèque qui, par définition, se joue
dans l’intime, évidemment moins accessible. Dans le monde de
l’entreprise, la dimension extrinsèque offre l’immense avantage de se
traduire en recettes « simples », pour ne pas dire « simplistes », jusqu’aux
caricatures des tables de ping-pong, des baby-foot ou autres salles de
sieste censés garantir la motivation des salariés… Ce qui apparait, en
réalité, c’est que ces éléments externes (dont il est tout à fait agréable de
pouvoir profiter), ne jouent pas tant sur le niveau de motivation (envie de
faire, notion de conquête) que sur le degré de satisfaction (confort, notion
de conquis).
Si l’on met autant l’accent sur la mécanique extrinsèque, c’est aussi
peut-être parce que nous considérons un peu vite que le travail, en soi, ne
peut être motivant, raison pour laquelle il faudrait chercher la motivation
en dehors de l’activité elle-même.
De fait, on peut facilement admettre que certains emplois peuvent
paraître moins intrinsèquement riches que d’autres. Sans doute que la
profession d’ingénieur est, du point de vue de l’intérêt, plus attractif que
le métier de caissier en supermarché. Mais au-delà de ces évidences de
café du commerce, la façon avec laquelle on vit et pratique son travail,
peut aussi peser dans le plaisir intrinsèque qu’on y trouve.
L’ingénieur qui a le sentiment de ne pas pouvoir exploiter ses points
forts (par manque d’autonomie par exemple, ou parce que son manager
ne cesse de le presser à travailler ses points faibles en l’attelant à des
tâches à contre-emploi) pourra ne tirer aucune motivation intrinsèque de
son quotidien. À l’inverse, le caissier qui aura le sentiment de pouvoir
exprimer ses aptitudes relationnelles pour accueillir et fidéliser ses
clients, à qui l’on demandera d’ailleurs des idées pour l’organisation du
prochain anniversaire du magasin, qui sera valorisé pour ses talents au
sein de l’équipe, sera certainement intrinsèquement motivé par son
métier pourtant considéré comme ingrat par le commun des mortels.
Bien que très répandue, la mécanique de la motivation extrinsèque
s’avère en réalité moins performante que ne l’est le moteur intrinsèque.
En premier lieu parce qu’elle fait dépendre la motivation non pas de
l’individu lui-même mais des décisions ou comportements des autres
acteurs qui apporteront ou pas, les récompenses attendues. Et nombreux
sont ceux qui, comptant sur ces facteurs de motivation externes, estiment
rapidement qu’ils mériteraient de recevoir (beaucoup) plus pour leurs
efforts et finissent par en concevoir un sentiment de frustration persistant.
S’ajoute à ce souhait très humain, un mécanisme « inflationniste » lui
aussi naturel, qui conduit l’individu à s’habituer au confort qu’il a déjà et
à réclamer toujours plus pour les mêmes efforts.
C’est toute l’histoire de nos enfants auxquels on tend parfois à céder
tous les caprices, pour constater finalement que la satisfaction éprouvée à
chaque nouveauté offerte s’efface de plus en vite devant l’envie
suivante : à peine paramétré, le smartphone dernier cri no 11 n’amuse
déjà plus, d’autant que le no 12 de la série est déjà annoncé sur les
réseaux sociaux. Et devinez quoi ? Il est encore mieux que le 11, parce
qu’il aura des fonctionnalités « trop géniales » !
Autant le dire : pour éviter cette « course à l’échalote » infinie et
stérile (ruineuse aussi !), il est important d’avoir très tôt aidé nos
chérubins à découvrir le moteur intrinsèque, celui qui n’a besoin de rien
d’autre pour se mettre en route que le simple fait de faire ce qu’on aime
faire.
Malheureusement, dans nos réflexes éducatifs, le bon vieux tandem
« punition et récompense » reste très présent. La carotte « Fais ceci et tu
pourras obtenir cela… » ou au contraire le bâton « Si tu ne fais pas ceci,
tu risques cela… », sont d’un recours facile quand il s’agit de motiver un
enfant. Bien plus efficace serait la relation invitant l’enfant à découvrir,
expérimenter, explorer tout ce que telle ou telle activité peut lui apporter
en tant que telle : des sensations, du plaisir, de l’apprentissage, un défi
contre soi-même, le développement de telle ou telle vertu…
Le plus grand risque de la mécanique extrinsèque, au-delà de ses
limites d’efficacité, est qu’elle tend à prendre le pas sur la motivation
intrinsèque.
Plusieurs études tendent en effet à montrer que lorsqu’il existe un
enjeu extrinsèque (quelque chose à gagner donc, sans lien avec la tâche
elle-même), cet enjeu crée une sorte de pression qui ronge la motivation à
faire. Comme le résument parfois les bons entraîneurs sportifs : la
pression d’enjeu dégrade le plaisir du jeu !
C’est ce mécanisme que décrit Dan Pink dans son livre sur la
motivation6. S’appuyant sur les travaux de différents chercheurs, il met
en lumière l’effet néfaste que la motivation extrinsèque peut avoir sur la
mécanique intrinsèque.
Parmi les multiples expérimentations qui étayent sa démonstration, il
cite notamment le problème de la bougie, conçu par le psychologue Karl
Duncker dans les années 1930 et utilisé depuis dans différents contextes.
En l’occurrence, ici, l’expérience, menée par le psychologue Sam
Glucksberg, confronte 2 groupes à ce même problème de la bougie,
consistant à fixer une bougie sur un mur en faisant en sorte qu’une fois la
bougie allumée, la cire ne coule pas par terre. Pour cela, chaque groupe
dispose du même matériel à savoir une bougie, une boite de punaises et
des allumettes.
Il est annoncé à tous les participants qu’ils sont chronométrés. Mais à
ceux du premier groupe, il est expliqué que la mesure des temps doit
seulement permettre d’établir une moyenne, alors qu’on promet aux
participants du second groupe des récompenses financières pour les plus
rapides.
Aux cobayes du premier groupe, il ne fallut en moyenne que quelques
minutes pour trouver la solution à ce problème qui implique de penser
« hors du cadre » : vider la boite de punaises, en utiliser deux ou trois
pour fixer la boite vide au mur, en ayant préalablement fait couler un peu
de cire pour y fixer la bougie. Aux membres du second groupe, il fallut
3 minutes 30 secondes de plus en moyenne pour identifier la bonne
solution !
L’interprétation que fait Glucksberg de cet écart est la suivante : le
cerveau des « motivés extrinsèques », centré sur l’appât du gain, tend à
chercher une solution simple, connue, pour aller vite. Là où, la
motivation intrinsèque, poussant davantage au jeu, favorise au contraire
la créativité.
Cités également par Dan Pink, d’autres chercheurs, dont Edward
L. Deci qui a théorisé ces notions de motivation intrinsèque/extrinsèque,
confirment : « L’examen minutieux des effets des récompenses observés
dans 128 expérimentations aboutit à la conclusion que des récompenses
tangibles exercent généralement un effet substantiellement négatif sur la
motivation intrinsèque. »7
Dans cette même logique, on peut être frappé, en entendant les plus
grands champions de la planète, tous sports confondus, évoquer le plaisir
qu’ils continuent à prendre, non pas seulement en gagnant des matches,
mais aussi à l’entraînement. « L’amour du jeu », « le plaisir de progresser
encore », « la passion du geste »… autant de façons de décrire la
motivation intrinsèque, moteur essentiel de leur carrière. Certes, il y a
toujours quelqu’un pour conclure, façon « brève de comptoir » : « Ouais,
enfin, c’est surtout l’argent qu’ils gagnent qui les motive ! ».
Et pourtant, malgré les sommes importantes que continuent
d’engranger ces champions après l’arrêt de leur carrière sportive, tous ou
presque témoignent des mois difficiles qu’ils ont vécus. Dans cette
« petite mort », selon le terme que la psychologie du sport a consacré
pour désigner ces fins de carrière, les athlètes pointent le ressenti profond
de manque, du fait d’être désormais privés de toutes ces sensations
intrinsèques propres à chacun : l’intensité émotionnelle, le goût de
l’effort, le plaisir du jeu, l’adrénaline…
« Je suis mort à 32 ans, le 17 mai 1987 » a dit un jour Michel Platini,
évoquant le jour de son dernier match de football professionnel. Antoine
Blondin l’avait dit à sa manière « Le champion est un homme dont le
destin est de mourir deux fois8 . »
Le sport reste, bien sûr, un monde à part – surtout quand on s’arrête
aux quelques figures exceptionnelles qui en écrivent la légende. Mais il
permet d’illustrer un peu plus la force de cette notion de motivation
intrinsèque, souvent masquée par les croyances sur l’efficacité prétendue
des facteurs extrinsèques.
En ce sens, miser sur les points forts est un acte doublement vertueux :
par la spirale de confiance et de réussite qu’il crée, mais aussi par la
découverte (ou redécouverte) de cette motivation intrinsèque méconnue
(ou enfouie), source d’énergie sans cesse renouvelée par le simple fait de
faire ce qu’on aime faire.

Un état de grâce !
En prenant le chemin des points forts, nous pouvons parvenir même jusqu’à
ressentir un ensemble de sentiments et de sensations bien connu des
champions, mais aussi des musiciens virtuoses, des danseurs émérites ou
encore des grands chefs cuisiniers. Cet état mental particulier a été
notamment mis en lumière par le psychologue Mihály Csíkszentmihályi
dans les années 1970, et appelé flow.
Le flow (flux en anglais, les sportifs disent souvent aussi en français
« être dans la zone ») se caractérise par une sorte d’hyper-concentration
dans une activité. Dans ces moments particuliers, exceptionnels et parfois
fugaces, l’individu est totalement absorbé par son occupation : corps,
cerveau, émotions, perceptions… tout parait alors en harmonie avec
l’action. La réussite parait facile et sans effort.
Être dans le « flux », dit Mihály Csíkszentmihályi, c’est « être
complètement impliqué dans une activité pour elle-même. L’ego n’existe
plus, la perception du temps non plus. Chaque action, mouvement et
pensée découle inévitablement de la précédente, comme lorsque l’on joue
du jazz. Votre être tout entier est impliqué, et vous utilisez vos
compétences à l’extrême. »
Six sensations caractérisent ces expériences de flow :
1. Une concentration intense focalisée sur le moment présent : rien
d’autre ne peut me distraire que ce que je suis en train de faire, ici
et maintenant.
2. La disparition de la distance entre le sujet et l’objet : je suis
« immergé » dans l’action.
3. La perte du sentiment de conscience de soi : je ne suis plus que ce
que je fais.
4. L’impression de contrôle et de puissance sur l’activité ou la
situation : tout parait simple et facile à réaliser et à réussir.
5. La distorsion de la perception du temps : je ne vois pas le temps
passer.
6. Le fait que l’activité soit en soi source de plaisir (on parle
d’activité autotélique) : on trouve, dans l’action, une motivation
intrinsèque.
Régis Boxelé, médecin du sport à Paris, connaît bien ce phénomène au
travers des confidences des champions dont il prend soin : « Un très
grand gardien de but français de handball m’a décrit ce moment de
« transe » où il lui a semblé que les balles étaient ralenties et les arrêts,
plus simples. Ou encore cet ancien champion du monde de squash qui se
souvient, en pleine finale, d’avoir eu le sentiment de flotter au-dessus du
court et donc d’anticiper tous les coups de l’adversaire, ce qu’il a fait.
Pour y parvenir, il faut des années et des années d’entraînement avec des
gestes presque automatiques. »
Le pilote de Formule 1, Ayrton Senna, durant les qualifications du
grand prix de Monaco, en 1988, décrivait ainsi ses impressions : « J’étais
déjà en pole position […] et je continuais. J’avais deux secondes
d’avance sur tout le monde, même sur mon binôme qui avait la même
voiture. Et tout à coup j’ai réalisé que je ne conduisais plus la voiture
consciemment. Je la conduisais comme instinctivement, mais j’étais dans
une autre dimension. J’étais comme dans un tunnel. Pas seulement dans
le tunnel sous l’hôtel : tout le circuit était un tunnel. Je continuais et
continuais, encore et encore. J’avais largement dépassé la limite mais
j’étais toujours capable de trouver plus. »
Si le fonctionnement du cerveau, en état de flow, reste encore bien
mystérieux – pas évident par définition de voir ce qu’il se passe à
l’intérieur d’une personne en mouvement – il semble bien qu’au travers
de ce phénomène d’hyper-concentration, le cerveau, tout entier dédié à
une seule tâche, soit alors en mesure de traiter un plus grand nombre
d’informations que lorsqu’il partage ses capacités entre plusieurs
activités.
D’après Csíkszentmihályi, notre système nerveux serait capable de
traiter 110 bits d’informations à la seconde.
Dans une conversation par exemple, nous aurions besoin d’utiliser
environ la moitié de cette capacité (60 bits d’info/sec.), ce qui explique
pourquoi il nous est difficile de faire autre chose en même temps !
En état de flow, le cerveau consacrerait la quasi-totalité de sa
« puissance de calcul » à la seule activité pratiquée
(environ 100 bits d’info/sec.), ne laissant plus la possibilité au système
nerveux de faire attention au reste.
Ainsi, dit le psychologue, dans cet état de flow, l’individu n’est plus
préoccupé par tout ce qui pourrait le déconcentrer : il ne peut plus penser
ni à l’enjeu, ni à la prime, ni à son image, ni à tous ces éléments
extérieurs potentiellement perturbants. La « concentration dans le jeu »
est telle qu’elle chasse toute « la pression de l’enjeu ».
Mais on le comprend : ce n’est pas un état qui se crée sur commande.
Et les quelques illustrations montrent bien qu’il s’agit de moment de
grâce rares, y compris pour des personnes rompues à la pratique intensive
d’une activité.
Pour autant, cet état n’est pas réservé qu’aux seuls champions sportifs
ou aux grands musiciens. Chacun d’entre nous peut, ne serait-ce que
fugacement, ressentir, dans la sphère personnelle ou professionnelle, un
de ces instants de flow, durant lesquels tout semble facile et fluide : une
partie d’échec accrochée, un morceau adoré chanté sous la douche, un
grand oral sur un sujet de passion, une présentation parfaitement
maîtrisée face à un client…
Peu importe la situation : c’est bien sûr du côté de nos points forts
qu’il faut chercher, quand on se sent comme profondément aligné avec
ces qualités dont on aime user et abuser.

À la recherche de l’excellence
Sans nécessairement chercher à trouver le Graal que représente cet état de
flow, aussi difficilement accessible que reproductible, il convient bien de
considérer les points forts non comme un acquis mais bien comme un
potentiel à développer.
Comme le disait déjà la Parabole des Talents, évoquée au début du
livre, il serait dommage de se contenter s’user de ses forces et de ne pas
faire fructifier les dons que l’on possède. Avoir du talent n’est pas qu’une
chance : c’est aussi un devoir, celui de le travailler.
Trop souvent encore, en parallèle de l’injonction corrective, on entend
dire : « ce n’est pas la peine de travailler cet aspect, c’est déjà un point
fort ! »
Laisser un talent en jachère fait courir plusieurs risques. Bien sûr, celui
déjà cité, consistant à perdre la confiance en son « modèle » de
performance voire la conscience même de ses forces. Mais aussi,
le risque de perdre petit à petit en maîtrise : le talent seul ne fait pas tout.
Seul le travail permet de consolider la pratique, d’ajouter de la technique
au don.
Les politiques de formation continue, mises en œuvre dans les
entreprises, répondent plus souvent, comme nous l’avons déjà souligné, à
la logique corrective qu’à celle du développement des points forts.
« Pourquoi envoyer un commercial dans un module sur l’écoute
puisqu’il possède naturellement ce don de bien écouter ? », peut arguer le
responsable formation.
Voici pourtant quelques bonnes raisons de le faire :
• La motivation d’abord : le vendeur en question viendra sans doute avec
envie pour participer à un module de formation qui valorise ce qu’il est
et ce qu’il sait faire (bien plus qu’assister à une session qui le remet en
cause et le met en difficulté…).
• La consolidation : en ajoutant de la technique à ce qu’il fait
certainement déjà naturellement, le vendeur en ressortira conforté, plus
confiant, plus solide, avec un sentiment renforcé de compréhension de
son « modèle » de performance. Il sera d’ailleurs capable de
transmettre plus facilement à ses collègues une partie de son savoir-
faire (impossible à transmettre quand il ne se fonde que sur le talent
« brut » et en partie inconscient).
• L’amélioration : le commercial pourra très probablement trouver dans
la formation de nouvelles techniques, de nouvelles pratiques rendant
son écoute plus pointue, plus précise encore.
• L’application : on le sait bien, les participants, après une formation
lambda, ne mettent en pratique que très peu d’éléments… Ce taux
d’application est bien plus élevé quand les stagiaires repartent avec des
engagements alignés avec leurs forces et l’envie souvent grande de les
tester.

Miser sur ses points forts ne consiste donc pas à rester dans sa zone de
confort : il s’agit d’en repousser les limites, non pas en basculant dans la
logique corrective, mais en poussant plus loin le développement de ses
qualités naturelles. Car si l’espoir que l’on peut nourrir en travaillant ses
points faibles reste limité à la seule acquisition d’un niveau de base,
l’objectif que l’on peut se fixer en cultivant ses forces est bien plus
ambitieux : c’est un objectif d’excellence.
La spirale de confiance, la motivation intrinsèque, l’efficacité
constatées par celui qui exploite ses talents dessinent en effet des
perspectives de progrès très profondes.
Déjà évoquée au début du premier chapitre de ce livre, la théorie du
psychologue d’origine suédoise, K. Anders Ericsson évalue à
10 000 heures le temps nécessaire à l’atteinte d’un niveau d’excellence
dans une activité donnée.
10 000 heures équivalent à 10 ans de travail à raison de 20 heures par
semaine ou 5 ans à temps plein. Selon Malcolm Gladwell, qui a
largement contribué à populariser ce « nombre magique de la grandeur »
(“magic number of greatness”), tous ceux qui sont devenus maîtres dans
leur discipline ont travaillé plus que la moyenne, qu’ils soient magnats
des affaires, artistes, sportifs, génies de l’informatique, scientifiques de
renom…
Chacune des personnalités qu’il étudie (de Bill Gates aux Beatles)
possède d’indéniables talents au départ, probablement même supérieurs à
la moyenne.
C’est bien d’ailleurs l’existence de ces pré-dispositions qui permettent
de déclencher et d’entretenir la motivation que requiert l’effort de ces
10 000 heures de pratique : jamais, partant d’un point faible, un individu
pourrait endurer une telle charge de travail.
À une époque où l’accès à l’informatique était encore réservé aux
spécialistes, Bill Gates, adolescent, avait trouvé différentes façons de
s’adonner à sa passion pour la programmation : en proposant à des
entreprises de tester leurs programmes, le futur fondateur de Microsoft a
commencé à cumuler des heures à se perfectionner. Découvrant, à 15 ans,
que les ordinateurs du centre médical de l’université de Washington ne
servaient pas la nuit entre 3h et 6h, Bill Gates et ses amis continuaient à
exercer leur pratique, à l’heure où les autres adolescents du même âge
dormaient paisiblement. Ainsi, quand Bill Gates achevait ses études à
Harvard, il cumulait déjà 7 ans d’informatique à haute dose, largement
plus que les 10 000 heures de travail.
Entre 1957 (date de la première rencontre entre Lennon et McCartney)
et 1964 (année de l’explosion de leur succès), les Beatles se sont produits
ensemble des centaines de fois, jouant parfois des heures durant. Alors
même qu’ils n’avaient toujours pas sorti de disque, ils possédaient déjà
un impressionnant niveau de maîtrise de leur art.
La règle des 10 000 heures tente finalement de mesurer le temps qu’il
faut pour « modeler » le cerveau : une fois capable de fonctionner de
façon automatique (les « modèles » déjà évoqués précédemment), le
cerveau devient disponible pour d’autres aptitudes. Parmi celles-ci,
l’intuition, l’anticipation, la créativité semblent jouer un rôle-clé pour
permettre aux « génies » d’accéder au firmament de leur art.
L’idée n’est évidemment pas d’aspirer systématiquement à devenir une
star du rock ou un patron emblématique ! Il s’agit juste ici de souligner
que les points forts constituent un potentiel fantastique : grâce à la spirale
de motivation et de confiance qu’ils nourrissent, il est possible d’accéder
à un niveau de maîtrise et de performance inespéré.
Exceller dans un domaine, en s’appuyant sur ses points forts, est
évidemment très précieux. Par effet de halo, cela permet parfois de
compenser ou sur-compenser ses faiblesses : l’éclat des succès obtenus
masque les défauts !
Comme le prédisait Roger Federer à 17 ans : « J’ai un gros nez, mais
quand je serai numéro 1 mondial, les gens ne le verront plus ! ».

Sur le chemin du sens


Le pari des points forts ne répond pas simplement à un enjeu pratique de
performance. Il peut mener plus loin encore que l’excellence : sans mauvais
jeu de mots (mais un peu quand même…), il indique le bon sens.
En cette année 2020 marquée par cette crise sanitaire sans précédent dans
notre histoire récente, on ne peut que constater, tout autour de nous, au
bureau, à la maison, sur les réseaux sociaux, l’affirmation plus forte d’un
besoin de sens. Bien sûr, on en comprend aisément l’origine : quand tout se
met à chanceler dans notre environnement, y compris les repères que nous
pensions assurément stables, lorsque le futur n’est que brouillard, chacun
éprouve le besoin de s’accrocher à l’essentiel, de trouver « un pourquoi qui
permet de surmonter presque tous les comment », pour paraphraser
Nietzsche.
Ce qui frappe, en revanche, c’est la manière avec laquelle la plupart des
gens entreprend cette quête de sens, espérant le voir apparaître au cours
d’un séminaire improbable de développement personnel, au détour d’une de
ces démarches ésotériques – ou attendant même de leur patron ou de leur
manager qu’il leur « donne » le sens (pour reprendre l’expression ornant
souvent la une des revues de management).
Voilà qui ressemble étrangement à cette vieille légende hindoue retrouvée
au fond d’un placard…
Cette histoire dit qu’il fut un temps où tous les hommes étaient des dieux.
Comme ils abusèrent de ce pouvoir, Brahma, le maître des dieux, décida de
le leur retirer et de le cacher dans un endroit où il leur serait impossible de
le retrouver. Oui, mais où ? Brahma convoqua en conseil les dieux mineurs
pour résoudre ce problème.
« Enterrons la divinité de l’homme », proposèrent-ils.
Mais Brahma répondit :
« Cela ne suffit pas, car l’homme creusera et trouvera. »
Les dieux répliquèrent :
« Dans ce cas, cachons-la tout au fond des océans. »
Mais Brahma répondit :
« Non, car tôt ou tard l’homme explorera les profondeurs de l’océan.
Il finira par la trouver et la remontera à la surface. »
Alors, les dieux dirent :
« Nous ne savons pas où la cacher, car il ne semble pas exister sur terre
ou sous la mer d’endroit que l’homme ne puisse atteindre un jour. »
Mais Brahma répondit :
« Voici ce que nous ferons de la divinité de l’homme : nous la cacherons
au plus profond de lui-même, car c’est le seul endroit où il ne pensera
jamais à chercher ! »
Et depuis ce temps-là, conclut la légende, l’homme explore, escalade,
plonge et creuse, à la recherche de quelque chose qui se trouve en lui.
Voilà une façon imagée de rappeler que le sens est un trésor à découvrir
en nous, et non à l’extérieur et sans attendre a fortiori, que quelqu’un
d’autre puisse nous le donner.
Qu’est-ce que le sens, si ce n’est le sentiment que ce que l’on fait est utile
au monde qui nous entoure ?
C’est en substance ce qu’expliquait la philosophe et politologue Hannah
Arendt : se poser la question du sens, c’est bien se demander comment
« apporter une part de soi au monde commun ».
Les points forts peuvent apporter un début de réponse, en tous cas
indiquer l’endroit où creuser. Et si, avec ce que j’aime faire et que je sais
bien faire, je pouvais être utile au monde qui m’entoure ? Et si j’arrivais à
mettre mes talents au service des autres ?
En ce sens, miser sur les points forts n’est pas simplement gage
d’efficacité, ni seulement du plaisir auto-centré ou de la passion égoïste
auxquels peuvent faire penser la motivation intrinsèque de l’instant… C’est
aussi accéder à sa vocation, à ce Ikigaï importé du Japon et très à la mode, à
sa raison d’être pourrait-on aussi dire.
« Là où vos talents et les besoins du monde se rencontrent, se trouve votre vocation »
Aristote

Miser sur les points forts, ce n’est pas seulement se servir, c’est aussi
servir. Nos forces ne sont pas seulement un atout « pratique », elles portent
en elles une dimension « éthique » : en les mettant au service du monde
extérieur, elles prennent tout leur sens et contribuent à en nourrir celui de
notre existence.
Allier performance et sens, c’est en quelque sorte le pari que fait l’équipe
d’Initiative Cœur, bien connue dans le monde de la voile. En s’alignant au
départ des plus prestigieuses courses autour du monde (Vendée Globe,
Route du Rhum, Transat Jacques Vabre, etc.), l’Imoca9 Initiative Cœur,
barré par la talentueuse navigatrice Samantha Davies, promeut la cause de
l’association Mécénat Chirurgie Cardiaque10, tout en relevant un défi sportif
et technique de haut niveau. Profitant de l’exposition médiatique des
aventures de la skipper et grâce au soutien de ses partenaires (K-Line,
VINCI Energies…), le projet a permis à Mécénat Chirurgie Cardiaque de
financer 314 opérations d’enfants depuis 2012.
Pour des sportifs de haut niveau, comme Samantha Davies (ou avant elle,
Tanguy de Lamotte, skipper d’Initiatives Cœur entre 2012 et 2017), vivre
de ses talents est en soi déjà un privilège. Pouvoir les mettre au service d’un
projet et d’une cause comme celle-ci donne un sens bien plus grand encore
à l’aventure.

L’être unique
Miser sur ses points forts, choisir résolument de développer ses talents,
revient finalement à affirmer ce qu’on a de singulier.
Depuis nos plus jeunes années, la logique corrective, l’un des bras armés
de la pression sociale, cherche plutôt à conformer, en gommant les défauts –
mais, on l’a compris, en atténuant par conséquent aussi les forces. Ne pas
être faible mais ne pas être trop fort non plus. Noyer nos façons de faire
trop personnelles dans un océan de bonnes manières conventionnelles (je
dénonce mais je poétise !).
Et s’il faut briller, ce doit être davantage par le combien que par le
comment : réussir mieux que les autres, en faisant comme les autres ! De
cette conception du succès découlent, à mon sens, rivalité malsaine,
jalousie, frustrations… pour, en fin de compte, peu de succès !
Copier les autres, vouloir « faire comme » ses idoles, voilà un des
réflexes conditionnés par la logique conformiste, que l’on retrouve dans
beaucoup d’univers, notamment chez les jeunes sportifs.
Imiter le swing de Tiger Woods, reproduire les gestes de Messi ou mimer
le coup droit de Nadal sont quelquefois les vaines obsessions des athlètes en
devenir.
L’entraîneur de natation Fabrice Pellerin confie avoir un temps cru en la
puissance de la reproduction, idée encore largement partagée par certains de
ses confrères tous sports confondus. Et, ajoute-t-il, même « si le succès
sportif n’est pas au rendez-vous, pas question d’incriminer l’insuffisance de
cette méthode imitative et causale, mais plutôt celle des athlètes censés s’y
soumettre. Ils n’auront pas assez bien répété, pas assez studieusement
exécuté. CDFD. »
Ainsi, raconte Fabrice Pellerin, au début de la décennie 2010, l’une des
priorités pour le prometteur Yannick Agnel, consistait à copier le champion
américain Ryan Lochte qui se distinguait alors par une impressionnante
« coulée » d’après-virage, extrêmement rapide et longue d’une quinzaine de
mètres – là où les autres nageurs remontaient à la surface après seulement
six ou sept mètres en moyenne !
Après plusieurs mois de travail, raconte l’entraîneur, Yannick Agnel a
travaillé dur pour allonger sa « coulée » et tenter de copier l’atout du
« modèle » américain. Mais, même en parvenant à « couler » jusqu’à huit
mètres, le nageur reste encore loin du niveau de son rival, comme en atteste
cette décevante 5ème place en finale des championnats du monde de Shangaï
en 2011. La frustration est d’autant plus grande, précise Fabrice Pellerin,
qu’à l’entraînement, Ryan Lochte ne parait pas investir beaucoup d’effort à
travailler sa « coulée » !
C’est de l’observation de ce paradoxe que le coach a tiré l’un des
enseignements qui a ensuite orienté sa pratique, et qu’il désigne sous le
terme d’impersonnation : « Lochte gagne car il possède un joker né de son
irréductible singularité. Les concurrents auront beau tenter de le parodier :
n’ayant ni le même physique, ni les mêmes aptitudes, ils ne pourront jamais
l’égaler […] Rien n’est plus efficace que de cultiver notre singularité, notre
intime façon de faire, la qualité qui nous fait sortir du lot, ce style
irremplaçable, ce petit quelque chose qui nous différencie et, surtout, que
les autres n’ont pas. »
C’est ainsi que Fabrice Pellerin se mit ensuite à chercher la « botte
secrète » de ses nageurs et nageuses.
Pour Yannick Agnel, ce fut un geste, consistant à baisser la tête, comme
pour s’effacer sous l’eau, environ un mètre cinquante avant d’aborder son
virage, geste qui, après ses performances exceptionnelles de 2012 et 2013
(2 médailles d’or aux JO de Londres, deux autres aux Championnat du
Monde de Barcelone l’année suivante), fut copié et imité par une partie de
ses concurrents ! À noter que malgré sa « coulée » toujours au-dessus du
lot, Lochte ne put rivaliser lors de la finale du 200 m nage libre, remportée
cette fois par Yannick Agnel.
Pour Camille Muffat, la « botte secrète » eut d’abord l’apparence d’un
défaut : une sorte de roulis que, d’ordinaire, n’importe quel entraîneur aurait
cherché à gommer. En l’encourageant au contraire, Pellerin y a décelé un
atout permettant à la championne de trouver un relâchement et une allonge
finalement gages de performance.
« Pour performer, il faut plutôt faire croître et embellir ce qui
n’appartient qu’à nous », en conclut Fabrice Pellerin. Cultiver sa
singularité ouvre une voie de réussite. Mais c’est à mon sens, un chemin qui
mène bien plus loin encore. Le but ne se résume pas à l’aspect compétition :
« être le meilleur ». Il intègre aussi, et surtout, la dimension réalisation de
soi : « être pleinement soi », éprouver le sentiment de pouvoir, au travers
d’une activité, exprimer ce qu’on est.
Voilà qui peut ouvrir une perspective plus large aux débats sur la
recherche de sens et renouveler le traditionnel exercice du projet, qu’il
s’agisse d’un projet personnel ou d’un projet d’entreprise.
Même si, dans le contexte inédit, inattendu et pour le moins bousculé de
cette année 2020, l’ambiance n’est pas à l’affirmation de grandes ambitions,
on continue de constater que nos projections sur le futur restent teintées
d’une logique de « conquête du monde » : devenir no 1 sur le marché, ou
gagner la médaille d’or, accroître les parts de marché, ou gagner plus
d’argent, etc… autant d’exemples inspirés de la culture conformiste qui,
outre la volonté de copier, suscite l’esprit de compétition ou de
comparaison.
Penser « conquête de soi », en cherchant à développer sa singularité,
c’est ouvrir un autre champ, hors de la rivalité avec les autres, tourné vers
l’exploration et l’affirmation de soi : l’enjeu n’est pas de ravir ce que
d’autres possèdent, bien plutôt d’ouvrir un nouvel espace… au risque
d’ailleurs qu’il finisse lui-même par attiser la convoitise !

Jean Giono écrivait avec bien plus de poésie :


« Nous voulons de la place au soleil – C’est normal mon garçon ; alors fais du soleil au
lieu de chercher à faire de la place. »
Le bonheur fou, éditions Gallimard, 1957

De façon collective, l’idéaliste que je suis, voit dans les projets


d’affirmation de sa singularité, l’espoir d’un monde meilleur (rien que ça !).
Non seulement, dans bien des domaines, nous pourrions faire l’économie de
ces confrontations nées des projets de « conquête du monde », sources de
conflits, de rancœur, de stress, mais aussi trouverions-nous sans doute à
enrichir et agrandir le monde de ce que chacun pourrait y apporter.
Sur le plan individuel, affirmer son identité au travers du talent qui nous
distingue des autres, c’est trouver aussi une voie plus épanouissante que
l’obsession de la ressemblance ou la recherche de la place la plus haute sur
le podium. Quelle libération que de se sentir exister, d’être fier de ce qu’on
réalise, de profiter d’un espace à soi, de plaisir et d’expression, sans avoir à
rivaliser ou se comparer ! Une fois encore, on recroise la notion déjà
évoquée de motivation « intrinsèque », dans laquelle le « faire » – et ce que
m’apporte le fait de « faire » – suffit à m’apporter de l’énergie, sans
attendre de récompense extérieure.
« Des cafés pas comme tout le monde », voici le slogan qu’en ce mois de
novembre 2020, on peut lire sur les affiches placardées en région parisienne
pour nous inviter, dès après la fin du confinement, à nous rendre dans un de
ces Cafés Joyeux ouverts ces derniers mois à Paris, Bordeaux et Rennes,
pour manger une part de tarte, un morceau de gâteau ou boire un de ces
cafés « servis avec le cœur ».
Ces cafés-restaurant proposent, bien sûr, une carte classique, des produits
de qualité, dans un cadre moderne et chaleureux et avec une qualité de
service professionnelle. Là n’est pas leur particularité. Derrière la
ressemblance de l’enseigne avec bien d’autres établissements de
restauration, les Cafés Joyeux se sont développés autour d’un projet
différent : celui d’offrir à des personnes trisomiques un vrai travail stable,
source d’apprentissage, de confiance, de reconnaissance.
Certes, bien d’autres associations ou entreprises emploient des personnes
handicapées, mais le choix des Cafés Joyeux est un peu plus engagé
encore : « rendre le handicap visible et favoriser la rencontre ».
Je peux me tromper, mais je crois pouvoir affirmer que l’ambition de
Café Joyeux ne se mesure ni en parts de marché conquises, ni en Ebitda, ni
en ticket moyen – même si je sais que le modèle, pour d’évidentes
contraintes de survie, se veut rentable. On peut sans doute aussi facilement
imaginer que ce n’est pas un rêve de conquête du monde qui anime la belle
équipe, mais bien plus l’envie d’apporter la différence au monde, de mettre
en avant cette singularité que d’autres pourraient regarder comme un défaut.
« Chez Café Joyeux, personne n’est parfait, tous nos équipiers sont
uniques », cette phrase, qui figure sur la page internet de l’enseigne, résume
de belle manière l’état d’esprit de ce projet.
Les vertus de l’affirmation de la singularité sont telles qu’on se prend à
rêver d’une évolution des pratiques de tous ceux qui ont pour mission
d’éduquer, d’accompagner, de former ou de manager les autres. Dans les
entreprises, sur les terrains de sport, l’intérêt de s’orienter vers le
développement des talents individuels mériterait d’être unanimement
partagé.
Pourtant, le système scolaire et universitaire, en dépit des efforts de
nombreux enseignants, ne parait pas avoir résolument intégré cette
orientation.
S’il s’efforce de transmettre le fameux socle commun de compétences, ce
qui reste un point de passage indispensable, notre système n’encourage pas
la singularité : qu’il faille apprendre à tous les élèves un ensemble de
savoirs standards, cela semble incontournable. Qu’il faille que chaque élève
l’apprenne de la même manière est en revanche plus discutable. C’est, une
fois de plus pas le « quoi » qui pose débat, mais le « comment ».
Dans cette difficulté à envisager et à tirer parti des singularités – et je
mesure, en écrivant ces mots, la complexité du sujet – s’annoncent des
problèmes scolaires : décrochages, perte d’estime, sentiment d’incapacité
structurelle à acquérir le « quoi » alors qu’il n’y a bien souvent qu’une
singularité réclamant un « comment » différent.
Au-delà même des histoires difficiles, nous mesurons souvent,
notamment dans les entreprises, le conformisme d’une grande partie des
jeunes embauchés : ceux-ci ont, pour le coup, eu des parcours scolaires
réussis, de beaux diplômes et une tête bien remplie. Ils ont peu de défauts,
mais paraissent aussi « manquer de personnalité » pour reprendre
l’expression des recruteurs.
Or, ce dont les entreprises ont aujourd’hui besoin, mais au-delà des
entreprises, le pays et le monde (voyons grand, tant qu’à faire… !), pour
relever les défis majeurs (économiques, environnementaux, sociaux, etc…),
ce n’est pas d’individus standards aux solutions copiées-collées mais plutôt
de gens différents. De l’alliance de ces différences, de l’apport des
singularités, de l’affirmation de talents complémentaires viendront des idées
nouvelles.
C’est pourquoi je rêve de voir se développer une culture qui, à l’école
d’abord, et partout autour ensuite, cherche à mettre en avant l’être unique,
en aidant chacun à déceler sa force, à la développer, à l’utiliser, tant pour sa
propre motivation que pour la mettre à disposition du monde.
Jean Rostand, élu par l’Académie Française à la place laissée vacante par
feu Edouard Herriot, donna, lors de son discours de réception sous la
Coupole, le 12 novembre 1959, une magnifique définition de
l’enseignement :
Former les esprits sans les conformer, les enrichir sans les endoctriner, les
armer sans les enrôler, leur communiquer une force dont ils puissent faire
leur force, les séduire au vrai pour les amener à leur propre vérité, leur
donner le meilleur de soi sans attendre ce salaire qu’est la ressemblance :
qui ne voit la difficulté de suivre à la rigueur un tel programme, mais en
est-il un autre pour satisfaire une conscience ombrageuse quant au respect
des âmes ?
Chapitre 4

La stratégie des points forts : mode d’emploi

« Le plus grand bien que nous faisons aux autres hommes n’est
pas de leur communiquer notre richesse, mais de leur révéler
la leur. »
Louis Lavelle L’Erreur de Narcisse, Grasset, 1939.

Dans cette belle entreprise en croissance, très attentive au bien-être de ses


collaborateurs, le café est gratuit mais surtout il est excellent, et le DRH qui
m’en propose une autre tasse, m’est fort sympathique : j’accepte donc avec
grand plaisir de prolonger nos échanges qui, justement, portent depuis un
moment déjà, sur la culture des points forts. Et je dois reconnaître que si cet
homme m’est si sympathique, c’est peut-être parce qu’il partage mon point
de vue !
D’ailleurs m’explique-t-il, miser sur les points forts des collaborateurs est
un des principes de management qu’il s’efforce de porter partout dans
l’entreprise.
Ça tombe bien : Animae, le cabinet que je dirige avec mon associé depuis
des années, a été choisi pour concevoir et mettre en œuvre un projet de
renforcement des pratiques managériales de tout l’encadrement. Nous
devrions pouvoir donc construire ce projet sur un socle de convictions
communes.
Au-delà du plaisir de partager des cafés, notre réunion ce matin a un
objectif : s’imprégner de la culture managériale « maison », notamment en
collectant les différents outils et en recensant les pratiques déjà mis en place
par les managers.
Parmi ces outils et ces pratiques : l’entretien annuel de progrès et le
support qui va avec, récemment remis en forme, me précise le DRH avant
sa très prochaine digitalisation (digitalisation du support pas du DRH bien
sûr…). Le support est en effet joliment conçu : c’est un document de 4
pages, aux couleurs de l’entreprise, à la mise en page claire et aérée,
imprimé sur un papier épais de belle facture.
Sur la première page, détaille mon interlocuteur, se trouvent plusieurs
cases permettant de formaliser les principaux éléments de bilan de l’année
écoulée. « C’est dans ce rectangle ici qu’on peut inscrire les points forts »,
m’indique-t-il, avant d’ouvrir le document pour me montrer un grand
tableau occupant quasiment toute la double page intérieure : « les managers
peuvent, sur ces différentes lignes, faire apparaître les axes d’amélioration
pour l’année à venir. »
« Les axes d’amélioration ? »
« Ben oui, les managers disposent par ailleurs d’une grille d’évaluation
des attendus pour les principaux métiers de l’entreprise. C’est à partir de
cette grille qu’ils peuvent identifier les points forts et les points faibles de
leurs collaborateurs… pardon, les axes d’amélioration de leurs
collaborateurs. »
Voilà qui peut sembler incompréhensible : ce même DRH, apparemment
partisan engagé de l’approche par les points forts, prône l’utilisation de
supports qui continuent d’encourager la logique corrective. Et l’usage forcé
d’un vocabulaire « positif » – axes d’amélioration au lieu de points faibles –
ne trompe personne.
Cette interprétation du fameux « en même temps » n’est pas une
exception. Il est même assez fréquent de croiser des DRH, des managers,
des patrons intellectuellement en phase avec le principe de développement
des points forts, qui, en même temps, dans leurs pratiques ou leurs outils,
restent inspirés par la dimension corrective, qu’il s’agisse de l’entretien
annuel donc, des pratiques de feedback ou encore des choix faits en matière
de formation continue.
On n’est pas à une incohérence près… pourrait-on en conclure en faisant
preuve d’indulgence.
Mais ce décalage, entre les discours volontiers tenus et la réalité vécue
par les équipes, a des effets toxiques : outre la déception qu’il suscite, outre
également la décrédibilisation des dirigeants, il amène une partie des
collaborateurs à la conclusion erronée de l’inefficacité de la théorie des
points forts. Classique : quand la pratique est défaillante, on remet en cause
la théorie !
Il serait tentant de suivre l’auteur inconnu de cette phrase : « Un jour,
j’irai vivre en Théorie, parce qu’en Théorie, tout se passe bien ! »1
À moins qu’on ne tente de réaligner les pratiques avec la théorie. Miser
sur les points forts n’implique pas seulement de pivoter intellectuellement,
mais évidemment de repenser sa façon de faire, qu’il s’agisse de son propre
développement ou qu’il soit question d’accompagner ceux dont on aurait la
charge, en tant que manager, enseignant, éducateur, entraîneur, etc…
La difficulté est à la hauteur de l’enjeu, car nos réflexes et nos pratiques
sont encore teintées de la culture corrective. C’est à un véritable défi de
reprogrammation qu’il faut s’attaquer !

À la recherche des forces perdues


L’une des premières difficultés à laquelle se heurte celui qui cherche à
travailler ses points forts est de les identifier.
Comme le soulignent Valérie Jacquemin-Ngom et Nicolas Dugay dans
leur ouvrage Cultivez vos points forts2, « d’expérience, nous éprouvons tous
des difficultés à nous définir par nos points forts, soit parce que nous ne les
percevons pas – nous avons le sentiment que tout le monde est comme ça –,
soit parce que nous manquons de vocabulaire pour les définir : celui des
points faibles est bien plus étoffé ! Par ailleurs, nous disséquons souvent
nos échecs pour en déduire nos faiblesses à corriger, alors que nous
réfléchissons rarement à nos réussites pour en extraire nos points forts. »
Dans beaucoup de cas, en effet, tel l’éléphant de la fable, nous ne
connaissons pas (ou plus) notre force : aspirés par le tourbillon de
l’approche corrective, nous avons été bien plus éduqués à prendre
conscience de nos manques qu’à repérer nos qualités.
Nous voyons généralement mieux ce que nous ne serions « pas assez »
ou peut-être ce que nous serions « trop », que ces atouts qui, pourtant,
devraient nous aider dans nos projets.
Le redouté exercice de l’entretien d’embauche est, à ce propos,
révélateur.
« Que faut-il répondre au recruteur qui, à coup sûr, me demandera de
citer les qualités et les défauts qui me caractérisent ? » se questionnent
souvent les candidats.
La seule formulation de la question en dit long : « que faut-il
répondre ? » sous-entend qu’il pourrait y avoir de bonnes et de mauvaises
réponses a priori.
De fait, on trouve ici ou là, des conseils sur les qualités ou au contraire
les défauts à ne pas citer, le risque annoncé étant de paraître trop sûr de soi
ou de se dévaloriser excessivement. « Vous devez être modeste sur vos
qualités et assumer vos défauts », conseille ainsi un expert auto-proclamé
en recrutement, qui propose ensuite de piocher dans une liste de qualités et
de défauts présentés comme acceptables !
C’est ainsi que les recruteurs voient défiler face à eux, des légions de
candidats qui ont pour qualité d’être « perfectionnistes » et pour défaut de
l’être un peu trop parfois, d’autres qui sont animés « d’une grande ambition
sans doute excessive de temps à autre », ou « d’impatients qui peuvent
avoir du mal à patienter ! »
Le vrai intérêt de cette question iconique des qualités/défauts n’est
finalement pas tant dans les réponses apportées, ni toujours sincères, ni
vraiment intéressantes ; il est dans ce qu’il révèle de cette difficulté qu’ont
les candidats à parler d’eux, de la crainte qu’ils ont d’avoir l’air trop
contents d’eux et de la peur de dévoiler un défaut dont ils n’ont souvent que
trop conscience.
Pourtant, dans la logique des points forts, l’échange devrait être
« dépassionné » : sans jugement sur la personne elle-même, il devrait s’agir
de comprendre « comment » fonctionne le candidat de façon à cerner la
manière avec laquelle il pourrait appréhender le « quoi » (ce qu’il aura à
faire s’il rejoint l’entreprise).
L’enjeu premier, pour qui entend miser sur ses points forts, est donc
d’apprendre à mieux se connaître, non pas tant bien sûr pour vendre une
image acceptable de lui-même, que pour fonder son action sur des bases
solides.
La méthode empirique
La façon la plus simple d’identifier ses talents consiste à se fier à son
expérience. L’analyse de ce que nous avons fait, réussi ou raté, permet de
comprendre, années après années, notre propre « modèle de performance »
– pour reprendre l’expression déjà utilisée dans le chapitre 3.
Engager ce travail d’exploration suppose deux conditions.
La première condition est de ne pas arrêter l’analyse au « quoi » – qui
peut en revanche utilement servir de point d’entrée dans la réflexion –
mais bien de creuser jusqu’au « comment ». Un point fort ne se définit
pas par une action, une situation, une activité dans laquelle je réussis
bien. Un point fort est une qualité qui me permet de réussir facilement
dans l’action, la situation ou l’activité ou grâce à laquelle j’ai pu
développer la compétence superficiellement visible.
La seconde condition est de résister aux tentations de l’analyse version
corrective, centrée sur ce qui a manqué. La recherche des points forts
implique de conduire la recherche sur un seul axe que l’on pourrait
résumer en une question :

Quelle est la qualité que j’utilise, facilement, spontanément, avec plaisir


qui, quand je la mets en œuvre, produit un résultat,
et qui, à l’inverse, dès lors que je ne m’en sers pas,
conduit à l’échec (ou en tous cas, rend l’action plus laborieuse) ?

Chercher à répondre directement à cette question n’est pas chose


facile. Pour obtenir des réponses solides plus sûrement, je vous propose
quelques étapes simples.

■ Comment s’y prendre concrètement ?


1. Partir du « quoi »
Le « quoi » est la partie émergée de l’iceberg : ce que l’on voit le plus
facilement et qu’il est le plus simple à décrire. Pour cela, la question
pourrait être la suivante :
Quelles sont les activités, les domaines, les situations dans lesquels…
• Je me sens bien et aligné.
• J’ai le sentiment d’exprimer le plus ce que je suis.
• J’éprouve du plaisir à faire (motivation intrinsèque).
• J’ai une impression de liberté.
• Je me sens capable de créer quelque chose.
• J’éprouve un sentiment de facilité (c’est naturel et spontané).
• Je ne vois pas le temps passer.
• Je n’ai pas à faire de grands efforts de concentration.
• Je pourrais continuer même si rien ne m’y obligeait.
• J’acquiers facilement des compétences.
• Je progresse sans forcer.
• J’obtiens souvent de bons résultats.
• J’attire le regard des autres.
• Je suis valorisé par mon entourage.
• J’ai obtenu quelques succès remarquables.

L’idée de cette première liste est de « penser large » : peu importe la


nature des activités qui y figurent, professionnelles ou personnelles,
artistiques ou sportives, individuelles ou collectives…
Nul besoin bien sûr que chaque élément de cette liste réponde
absolument aux 15 critères énoncés dans la question ci-dessus :
en fonction de la nature des activités, certains critères pourront paraître
plus ou moins à propos.
Dans beaucoup de cas, d’ailleurs, la liste des activités pourra sembler
mettre en lumière une logique de complémentarité : certaines de ces
activités répondent à des motivations de progrès et d’apprentissage, là où
d’autres satisfont peut-être davantage un besoin de reconnaissance.
1. Creuser le « comment »
Dans cette deuxième étape, il s’agit d’aller explorer la partie immergée
de l’iceberg, où se cachent les « vrais » points forts que nous cherchons.
Pour chaque activité, cela implique de se poser ces quelques questions,
complémentaires, permettant de cerner des réponses devant évidemment
se recouper :
• Qu’est-ce que, dans cette activité, je réussis particulièrement bien à
faire ?
• Sur quelle capacité personnelle je m’appuie naturellement ?
• Dans la pratique de cette activité, quelle est l’aptitude/la qualité/la
ressource que j’actionne le plus spontanément ?
• Qu’est-ce que je prends particulièrement plaisir à faire quand je
pratique cette activité ?
• Quelle est exactement la nature des résultats obtenus ? Comment les
expliquer ?
• Qu’est-ce que cette activité m’apporte intrinsèquement ? Qu’apporte-t-
elle aux autres autour de moi ?

Ces différentes questions n’ont qu’un but : mettre en lumière les


qualités personnelles constituant des points d’appui naturels et spontanés
dans la pratique des activités dans lesquelles je me sens aligné. Selon la
nature des activités, ces forces pourront prendre la forme de traits de
caractère, de qualités relationnelles ou encore d’aptitudes physiques.
Pour vous aider à cerner ces qualités, et à mettre des mots dessus vous
pourrez vous inspirer des nombreuses listes disponibles sur internet ou
dans différents ouvrages. Nous en avons sélectionné quelques-unes
présentées en annexe.
À ce stade, vous devriez arriver à dresser une liste de 5 à 6 qualités-
clés maximum.
1. Reboucler et valider
La troisième et dernière étape consiste à affiner cette liste, tant dans le
nombre de forces identifiées que dans la définition même de chacune
d’entre elles.
Pour ce faire, voici quelques pistes de questionnement. Pour chacune
des qualités listées :
• Quels sont les autres domaines/situations/activités dans lesquels cette
qualité me sert également ?
• Me permet-elle alors d’éprouver les mêmes sensations (facilité, plaisir,
spontanéité, etc…) ?
• À l’inverse, que se passe-t-il quand je ne peux pas utiliser cette qualité
(situation particulière, activité qui exige plutôt la qualité
contradictoire, etc…) ?
• Qu’est-ce que les mauvaises expériences que j’ai pu vivre (échec,
erreurs, difficultés) peuvent m’apprendre sur cette qualité ?

Au bout de ce processus introspectif, l’objectif est de parvenir à


déterminer les trois à cinq qualités :
• Qui nous donnent de l’énergie, que nous pratiquons avec aisance et sur
laquelle nous nous appuyons fréquemment.
• Qui participent à l’atteinte de nos objectifs et à notre épanouissement.
• Construites à partir de capacités innées puis, au fil du temps,
développées grâce à nos efforts.
• Reconnues par les autres comme dignes de louanges, pour leur
contribution positive au développement d’autrui.

Précisons ici que mettre en exergue ces quelques qualités-clés ne


signifie pas pour autant que nous ne savons pas utiliser d’autres qualités :
l’enjeu, ici, consiste bien à déceler nos points forts, donc évidemment pas
tout ce que nous sommes capables de faire, mais bien ce qui nous
distingue des autres, ce que nous faisons avec plus de facilité, plus de
succès ou plus de plaisir que la moyenne.

■ Faire appel à un ami…


Dans les règles du jeu « qui veut connaître ses points forts », il est possible
de solliciter l’aide de son entourage. C’est même vivement recommandé !
Le regard d’un tiers (ou de plusieurs) qui nous connait bien est
précieux dans ce travail d’identification des qualités-clés, tant dans la
méthode empirique que dans les démarches plus outillées présentées un
peu plus loin.
L’idéal, est de proposer à ce tiers de suivre le même cheminement de
questionnement et de partager les mêmes grilles de lecture, pour le laisser
aboutir à ses propres conclusions sans l’influencer.
C’est du partage des résultats de chacun que pourra naître une
discussion souvent très fructueuse :
• D’où proviennent les éventuelles divergences ?
• Sont-elles seulement liées à une question de vocabulaire (façon de
nommer les qualités) ou bien plus fondamentalement à une question de
perception ?
• Quelles « preuves » chacun peut-il apporter (mise en œuvre de la
qualité dans telle ou telle situation/activité/domaine) ?

La fenêtre de Johari, créée par Joseph Luft et Harry Ingham,


psychologues américains, en 1955 – d’où son nom (Jo pour Joseph Luft,
hari pour Harry Ingham) – et inspirée de la Programmation Neuro-
Linguistique, peut, à cette occasion apporter une lecture intéressante des
écarts de perception.

La matrice de Johari

Ce qui est Ce qui est


connu de soi inconnu de soi

Zone publique Zone aveugle


Ce qui est
connu des Autres Ce qui est perçu par tout Ce que les Autres voient
le monde de moi, que je ne vois pas

Zone mystère
Ce qui est Zone cachée
inconnu des Autres Ce qu’on ignore ou qu’on n’a
Ce que je cache aux autres
pas encore exploré

S’il y a une grande cohérence entre les qualités citées par le ou les tiers et
celles que j’ai identifiées de mon côté, cela atteste d’une zone publique très
large : en l’occurrence, cela signifie que je suis déjà probablement très
centré sur mes points forts. Je joue souvent sur ces qualités-clés et mon
entourage me reconnait ces talents.
Quand les divergences de vue font apparaitre des qualités perçues par
mon entourage que je ne m’étais pas attribuées – en tous cas pas comme
un point fort – c’est qu’il y a une zone aveugle, comme une sorte d’angle
mort. Je ne suis pas conscient de posséder une qualité que les autres,
pourtant me reconnaissent. Il s’agit d’une situation somme toute très
logique : un point fort étant une qualité que nous utilisons spontanément
et naturellement, nous pensons souvent qu’elle fait partie de la nature
humaine et que tout le monde, autour de nous, la possède et sait la mettre
en œuvre de la même manière. Une fois encore, la culture corrective et le
peu d’attention portée aux qualités, encouragent cette tendance,
exactement comme elles favorisent la croyance inverse, consistant à
penser que nous avons plus de défauts ou que ceux-ci sont plus marqués
que la moyenne !
Dans la zone cachée, s’inscrivent les qualités que je me connais, mais
que l’entourage consulté ne m’a pas attribuées.
Il peut s’agir notamment de traits de personnalité ou de talents qui font
effectivement partie intégrante de ce que je suis, mais qui ont plutôt été
pointés comme des défauts que comme des qualités. Pour cette raison,
j’ai pu prendre l’habitude de les cacher, par exemple en ne les exprimant
que dans certaines activités privées.
C’est aussi le cas de certaines qualités que j’ai développées dans
certains domaines ou activités et qui, à première vue, ont pu me sembler
« décalées » ou « incongrues » dans d’autres domaines. En pratique, dans
certaines missions d’accompagnement d’équipes de Direction, dans le
but de favoriser une meilleure cohésion et de faire travailler le collectif
sur l’alliance et la complémentarité des qualités, il m’arrive de m’inspirer
de cette grille.
J’ai ainsi le souvenir d’une réunion Codir3 particulièrement
impliquante, dans laquelle chaque directeur, à la demande du directeur
général, s’était livré à un petit exercice d’ouverture aux autres, consistant
à partager le rêve qui était le sien à l’adolescence.
« Je dois vous faire une confidence, avait lancé le directeur général :
quand j’avais 15 ans, je ne rêvais pas de devenir DG d’une entreprise
agro-alimentaire… Je voulais être explorateur, découvrir des territoires
inconnus, vivre l’aventure, repousser les frontières, etc… Et finalement,
ajouta-t-il, je crois que ce qui me plait dans mon job aujourd’hui, ce sont
ces mêmes dimensions. Ce dont je prends conscience, c’est que cette
envie-là, je ne l’ai finalement jamais plus développée que ça dans ma
mission. »
« Et vous, c’était quoi votre rêve ? » avait alors enchaîné le DG en
s’adressant aux autres membres du Codir.
Parmi les réponses, celle du DRH m’avait marqué : « moi, à 15 ans, je
rêvais d’être clown : je voulais faire rire les gens, apporter du bonheur et
voir de la joie dans leurs yeux !… et finalement, dans ma carrière, j’ai
fait des plans sociaux, des négociations syndicales, des accords
d’entreprise, que des trucs pas drôles. »
De fait, bien que souvent souriant et toujours poli, l’homme n’avait
rien d’un clown, ni d’un clown blanc encore moins d’un Auguste.
D’ailleurs, autour de la table, ses collègues du Codir n’avaient pas pu
s’empêcher de sourire du décalage entre l’image renvoyée par le
professionnel et ce rêve intime qu’il venait de leur livrer.
D’ailleurs, avait ajouté le DRH, « vous ne le savez pas – et peu de gens
en dehors de ma famille le savent – j’ai longtemps consacré une partie de
mon temps libre à faire des spectacles. Je mets mon costume de clown, je
fais mon numéro et je fais rire des gens qui ne se doutent pas une seule
seconde que j’orchestre par ailleurs un plan de licenciements ! »
Il y eut, ce jour-là, un déclic intéressant dans cette équipe de Direction.
Au-delà des vertus relationnelles de tels échanges qui ont
immanquablement contribué à rapprocher les individus les uns des
autres, chacun a compris qu’il avait des qualités, cachées ou publiques,
développées ou endormies et qu’il pouvait certainement trouver à les
exprimer au sein de l’équipe, tant pour son épanouissement personnel
que pour la réussite collective.
Le DRH, au quotidien, découvrit qu’il pouvait, dans certaines
situations, investir bien davantage les qualités humaines qu’il n’osait le
faire avant, de peur de perdre en autorité. Certes, il lui fallait garder une
certaine distance dans les moments de négociation par exemple. Mais il
comprit aussi qu’il gagnait beaucoup, en plaisir et en influence, à jouer
sur ses points forts quand il s’agissait d’interagir avec les autres le reste
du temps.
Pour l’anecdote, sur l’idée d’un de ses camarades du Codir, il accepta,
quelques semaines plus tard, d’assurer une partie du spectacle de Noël
que l’entreprise, traditionnellement, offrait aux enfants des salariés.
Personne, ce soir-là, ne le reconnut. C’est en venant saluer son public, à
la fin du spectacle, une fois retiré son chapeau, son nez rouge et sa
perruque, que les salariés eurent la surprise de découvrir que le clown qui
les avait fait rire, était le DRH… ou l’inverse !
Enfin, pour finir de compléter cette matrice de Johari, si même avec
l’aide de tiers, je ne parvenais pas à identifier clairement des points forts,
qu’il y avait donc une très large zone mystère, cela pourrait révéler le très
fort impact de la culture corrective dans laquelle j’ai probablement
baigné. Dans ce cas d’ailleurs, il est frappant de constater que
n’apparaitraient dans cette matrice de Johari que les défauts et les points
faibles : ceux que je cherche à cacher, ce que je reconnais (trop)
volontiers et sans doute ceux que les Autres n’osent pas ajouter
(tellement ils craignent d’épuiser le peu de confiance qu’il me reste !).
En prenant un peu plus de recul encore, l’échange avec les tiers, au-
delà même de ce seul sujet des points forts, a le mérite d’aider à agrandir
la zone publique, soit en m’amenant à dévoiler ce que je cachais
(ouverture de soi), soit en prenant en compte ce que perçoivent les autres
(demander du feedback sur soi). S’affirme à nouveau ici la recherche
d’un plus grand « alignement », entre ce qu’on est et ce que l’on vit (ce
que l’on fait, ce pour quoi on est reconnu, etc…).
La méthode empirique a le mérite donc d’obliger à l’introspection et,
comme nous venons de le voir, la vertu également de nous amener à
chercher le regard des autres. L’intérêt, pour qui s’engage sur cette route,
n’est pas seulement d’arriver à destination et d’avoir donc identifié ses
qualités-clés : il est aussi de profiter de ce qu’il peut découvrir en
chemin, bien au-delà de ses seuls points forts.
Néanmoins la crainte de l’errance, le temps passé ou l’envie d’être
rassuré par un modèle éprouvé peuvent motiver à choisir d’autres
moyens d’apprendre à mieux connaître ses forces.

Tests en stock !
Sur le marché des tests de personnalité, l’offre est abondante. Différents
modèles se côtoient, et certains se complètent, offrant chacun la possibilité
de se découvrir sous un angle différent.

■ Avant de choisir
La plupart des modèles peuvent aider à identifier ses forces – et par la
même occasion, ses faiblesses.
Là est l’un des points-clés à valider pour qui est tenté de passer l’un de
ces tests :
Quelle est la philosophie qui le sous-tend ? Est-ce la traditionnelle
logique corrective qui en donnera une lecture « points faibles à
améliorer » ? Est-ce bien l’approche « points forts » qui visera à faire
ressortir les qualités à utiliser et à renforcer ?
Et, surtout, au-delà du choix du test lui-même, quelle est l’intention du
consultant qui débriefera les résultats ?
Rappelons-le ici, l’intérêt de ces tests, aussi bien construits soient-ils,
n’est pas seulement dans la lecture d’un rapport, mais dans l’échange
auquel invite l’analyse des conclusions. Comme je l’ai déjà souligné,
nous avons tous en nous les différents traits de caractère ou les
différentes aptitudes : même si nous nous contentons parfois, en parlant
de soi ou de quelqu’un d’autre, de le résumer en « tout ou rien », la
réalité est bien plus nuancée.
Il arrive ainsi souvent que les résultats à tel ou tel test ne fassent pas
ressortir de très forte aspérité, l’individu testé semblant avoir « un peu »
de toutes les qualités : symptôme de celui qui n’a pas, jusque-là,
résolument choisi de s’appuyer sur ses points forts ou capacité
« caméléon » de celui qui, avec les années, à appris, à utiliser ses qualités
en fonction des situations qu’il rencontre. Le seul moyen d’aider
l’individu à mieux se connaître est de le questionner : dans quelles
situations se comporte-t-il de cette façon ? Pourquoi ? Qu’est-ce qui peut
l’amener à se comporter différemment dans d’autres situations ? Etc…
À la logique psychométrique des questionnaires de personnalité, doit
venir s’ajouter l’éclairage empirique : les chiffres et les conclusions des
tests ne délivrant pas de vérité absolue, ne sont que des « prises »,
comme celles qui permettent à l’alpiniste de progresser dans son
ascension.
Dans beaucoup de modèles, les résultats positionnent la personne
testée sur des axes correspondant aux différentes qualités. Par exemple,
en fonction des réponses à un certain nombre de questions, le modèle
évalue le niveau d’introversion/d’extraversion.
Sur cet axe, il n’est pas rare de voir des résultats équilibrés, sans que
l’un de ces penchants ne semble plus développé que l’autre. En l’état, de
tels résultats n’apportent qu’assez peu d’enseignements, si ce n’est qu’il
serait tentant d’en déduire qu’aucun de ces deux traits de personnalité ne
constitue un point fort !
L’enquête à mener sur les bases de ce résultat doit permettre d’en
savoir plus, et par exemple, de découvrir qu’il y a bien, derrière la
capacité à activer également les deux qualités, une préférence.
Ainsi l’individu peut expliquer qu’il lui arrive souvent d’utiliser son
aptitude extravertie : dans de multiples situations, professionnelles ou
privées, il sait aller vers les autres, engager la conversation et nouer des
relations. Il le fait sans difficulté dès qu’il se trouve dans une situation
publique.
Mais peut-être, ajouterait-il que lorsqu’il en a le choix, il aime aussi
prendre du temps pour lui, être au calme pour réfléchir, rester seul.
Il préciserait sans doute que ces moments sont importants pour lui parce
qu’ils l’aident à se retrouver et à se ressourcer. Il dirait probablement
qu’il a besoin de se préserver suffisamment de temps de ce genre,
notamment quand il a par ailleurs un planning de sorties chargé.
À l’évidence, dans cette illustration, on comprend être plutôt en
présence d’une personne naturellement introvertie, qui puise son énergie
plutôt en elle-même. La relation aux autres ne lui pose pas pour autant de
difficulté : elle sait le faire, elle a appris à le faire, mais cela lui coûte en
énergie un peu plus que ça ne lui en apporte (Apport < Effort pour faire
le lien avec le mécanisme évoqué précédemment).

■ Les tests de personnalité génériques


Dans la catégorie « générique » peuvent être rangés tous les outils de
découverte et de connaissance de sa personnalité qui ne sont pas
spécifiquement liés à la notion de points forts.
Utilisés par les recruteurs, ou dans le cadre de processus d’évaluation
dans les entreprises, ils cherchent à décrire les différents aspects de la
personnalité, aussi bien les qualités que les « défauts ». Ainsi ils peuvent
tout aussi bien alimenter la logique des points forts que participer à
appuyer encore un peu plus la culture corrective. C’est malheureusement
sans doute dans cette dernière voie qu’ils mènent le plus souvent.
Toutefois, s’ils viennent aider la cause des points forts, les différents
modèles existants, plus ou moins complexes, s’avèrent très utiles.
Parmi les plus connus et les plus utilisés, citons le MBTI (Myers
Briggs Type Indicator), créé au début des années 1960 par Isabel Briggs
Myers et sa mère, Katherine Cook Briggs. Ce modèle, dérivé des travaux
du psychiatre suisse Carl Gustav Jung sur les « types psychologiques »4,
permet de déterminer le type psychologique d’une personne (parmi 16
types de personnalité possibles) en fonction de ses préférences de
fonctionnement : Extraversion/Introversion, Intuition/Sensation,
Pensée/Sentiment et Jugement/Perception.
Ce modèle MBTI, et plus largement les recherches de Jung, ont inspiré
une longue liste de déclinaisons.
Un autre psychologue, contemporain de Carl Gustav Jung, mérite
d’être également cité : il s’agit de William Moulton Marston, à l’initiative
d’un autre modèle fréquemment utilisé, le DISC, mais également créateur
du personnage de Wonder Woman, première super-héros féminine de
l’histoire des Comics. Le lien entre test de personnalité et super-héroïne
peut sembler a priori difficile à établir, et pourtant…
Au début des années 1940, quelques dix ans après la parution de ses
travaux sur le DISC5, Marston constate la force du sentiment d’infériorité
empêchant filles et femmes de l’époque de s’affirmer, de prendre
confiance en elles et de s’épanouir : « Les grandes qualités des femmes
ont été méprisées à cause de leur faiblesse »6, explique-t-il alors.
En créant un personnage féminin à l’égal d’un Superman ou de tout
autre super-héros masculin, Marston espérait alors promouvoir l’idée que
les femmes pouvaient prétendre aux mêmes qualités que les hommes,
accéder aux mêmes métiers, briller dans les mêmes sports ou les mêmes
activités. Déjà il s’agissait d’inverser la spirale : croire en ses forces et les
cultiver, plutôt que de rester attaché à ses défauts !
Revenons au DISC, que l’on connait souvent au travers de sa
déclinaison la plus répandue, la roue Success InsightTM à 4 couleurs
(rouge, jaune, vert et bleu). Cette roue associe ces 4 couleurs aux types
d’énergie de la théorie du DISC, qui seraient à l’origine des
comportements de l’individu : Dominance (D), Influence (I), Stabilité (en
anglais Submission, S), et Conformité (C).
Outre le MBTI et le DISC, il est fréquent également de croiser,
notamment dans les entreprises, l’approche Process Com (Process
Communication Model selon le terme d’origine), fruit des travaux du
psychologue Taibi Kahler, inspirés eux-mêmes par l’Analyse
Transactionnelle conçue par Eric Berne. Connu pour avoir été utilisé
dans les années 1970 par la NASA, dans le cadre du recrutement des
équipages d’astronautes, le modèle Process Com, centré sur les enjeux de
communication inter-personnelle, détermine six types de personnalité :
Travaillomane, Persévérant, Rebelle, Promoteur, Empathique et Rêveur.
Plus récemment, à partir des années 1980, puis dans la décennie
suivante, les travaux de Lewis Goldberg, repris et complétés par Costa et
McCrae, ont donné naissance au modèle des Big Five, visant à décrire la
personnalité au travers de 5 traits dominants, repris par l’acronyme
OCEAN (le modèle est d’ailleurs également connu sous ce terme) :
Ouverture, Conscienciosité, Extraversion, Agréabilité (Amabilité),
Neuroticisme (ou Névrosisme).
Citons aussi Hexaco (version enrichie d’OCEAN), l’Ennéagramme, ou
encore les Sosie et autres Papi, passages souvent obligés des processus de
recrutement.
À chacun de chercher l’approche dans laquelle il se reconnait le
mieux : les démos, les exemples, les explications abondent sur la Toile. Y
compris des versions gratuites de certains des tests qui peuvent avoir le
mérite d’illustrer le modèle. Mais, une fois le choix fait, mieux vaut s’en
remettre à l’expertise et l’expérience d’un tiers habilité pour pousser plus
loin l’exploration : je le répète, tout l’intérêt de ces différents modèles
n’est pas dans la lecture d’un rapport chiffré, mais bien dans l’échange,
l’interprétation et l’usage que l’on peut en faire.

■ Les approches spécifiques


À côté des tests de personnalité génériques, dans le sillage de la
psychologie positive, sont apparus des modèles pensés spécifiquement sur
la logique des points forts.
La promesse de ces approches est claire : identifier ses qualités
naturelles pour pouvoir ensuite résolument apprendre à les utiliser et les
développer.
En la matière, deux organisations américaines se partagent le
leadership.
La première est la Gallup Organization, société fondée en 1958.
D’abord connue pour ses activités de sondage, l’entreprise, rachetée en
1988 par la Selection Research Inc. (SRI), développe ensuite des activités
de conseil, sous l’influence de son nouveau président, le psychologue
Donald O. Clifton. Celui-ci est persuadé qu’au sein des entreprises, les
employés et ceux qui les dirigent pourraient réussir plus et plus
facilement, en se concentrant sur leurs forces plutôt que sur leurs seules
faiblesses.
En 1999, il met au point un outil, le Clifton StrengthsFinder,
aujourd’hui devenu évaluation CliftonStrengths : 177 questions sont
censées permettre d’aider à identifier sa propre combinaison de forces.
Le modèle recense 34 forces, réparties en quatre grands domaines.
Traduit en de nombreuses langues, le test aurait été passé par plus de
24 millions de personnes, ce qui permet à Gallup de disposer d’une base
de données incroyablement riche sur les forces les plus courantes ou au
contraire sur les moins répandues.
Outre le test et les offres d’accompagnement accessibles en ligne sur le
site Gallup, l’entreprise propose également divers ouvrages, dont
« Découvrez vos forces » de Marcus Buckingham et Don Clifton et sa
version actualisée en 2007 par Tom Rath, sous le titre « StrengthsFinder
2.0 ».
L’autre organisation américaine ayant développé un outil
d’identification des qualités, est le VIA Institute on Character. Organisme
à but non lucratif, créé par une équipe de psychologues et de chercheurs,
dont Neal H. Mayerson, et Martin Seligman (encore lui !7), cet institut
poursuit des recherches sur la compréhension des phénomènes liées aux
forces de caractères et propose d’aider les individus, enfants ou adultes, à
identifier leurs qualités naturelles.
À partir d’un ensemble de travaux réunis dans le livre « Character
Strengths and Virtues : A Handbook and Classification »8, l’institut VIA
a construit le VIA Inventory of Strengths. Accessible gratuitement (pour
sa version de base), l’enquête permet d’identifier ses « forces de
caractère » parmi les 24 recensées dans le modèle9.
Créés par des chercheurs de renoms, validés sur le plan
psychométrique et très largement éprouvés, ces deux outils américains, le
CliftonStrengths et l’enquête VIA, ont beaucoup d’atouts à faire valoir, si
ce n’est la difficulté peut-être de s’approprier certains des termes utilisés
dont la traduction en français n’est pas toujours explicite. Cela étant, il
s’agit d’une remarque qui vaut aussi pour nombre des approches
génériques évoquées auparavant.
Enfin, parmi les méthodes spécifiques, l’approche Action Types déjà
présentée page 67, mérite une attention particulière. Bien qu’utilisant le
modèle MBTI, elle est résolument orientée vers la détection des
« préférences », très alignée donc avec la logique des points forts.
Par ailleurs, et c’est bien là son originalité et son intérêt, cette
approche venue de l’univers du sport de haut niveau, se fonde sur
l’identification des « préférences motrices et cérébrales », au travers d’un
protocole de tests physiques révélateurs du fonctionnement spécifique de
notre cerveau. Cette manière de découvrir ses préférences est bluffante,
notamment lorsque chacun constate que l’exercice qui lui est si facile à
réaliser est autrement plus compliqué pour son voisin, doté de
préférences différentes. Elle permet aussi de contourner les biais associés
aux méthodes de testing classiques fondées sur des questionnaires. Enfin,
en associant les dimensions physiques et psychiques, elle ouvre des
perspectives passionnantes dans d’autres champs, de l’apprentissage des
langues à la pratique sportive, de la communication interpersonnelle au
traitement du mal de dos, contribuant à démontrer l’efficacité de la
logique des points forts : tenir compte de ses préférences motrices et
cérébrales, quelle que soit l’activité, est gage de progrès et de réussite.
Recherche empirique, en introspection ou dans l’interaction avec un
tiers, utilisation d’outils de connaissance de soi, génériques ou
spécifiques, ou bien sûr alliance des méthodes, à chacun de trouver le
cheminement le plus juste pour parvenir à éclairer au mieux les qualités
sur lesquelles il peut compter.
Cette quête n’est sans doute jamais achevée, chaque rencontre, chaque
nouvelle expérience, succès comme échec, pouvant rouvrir un autre
questionnement aidant à affiner, nuancer ou compléter la conscience et la
confiance en ses forces : d’abord très pixellisée par endroits, la
photographie deviendra plus nette au fil des ans.
Une meilleure connaissance de soi, même si elle reste encore
parcellaire, permet de se lancer dans la construction de son propre
« modèle de performance » : nul besoin de posséder la photographie en
version haute résolution pour avancer.
L’enjeu, maintenant, est double : apprendre à faire le meilleur usage
possible des qualités dont on pense être pourvu et continuer à les
travailler encore et encore… c’est que le début d’accord, d’accord
(hommage à Francis Cabrel !).

Miser sur ses qualités : travaux pratiques !


« Posséder de grandes qualités n’est pas suffisant, il faut encore
savoir s’en servir. »
Henri-Frédéric Amiel
Mettre en œuvre la logique des points forts consiste d’abord à savoir tirer le
meilleur parti possible des qualités que l’on possède de façon à pouvoir, le
plus souvent possible, jouer son jeu, et profiter ainsi du rendement, de la
confiance, du plaisir que cet alignement peut conférer.
Plus concrètement, il peut s’agir déjà de privilégier les activités dans
lesquelles ces points forts sont un indéniable atout. À défaut de pouvoir
choisir son terrain, miser sur ses qualités consiste, quelle que soit l’activité,
à concevoir et mettre en œuvre la stratégie de jeu la mieux adaptée à ses
ressources personnelles.

Bien choisir son terrain


Le bon général sait qu’il y a des champs de bataille qui, pour son armée,
seront des marécages : ce vieil enseignement de Sun Tzu et de son Art de la
Guerre pourrait inspirer ce premier principe, à la connotation guerrière
près…
Optons donc plutôt pour Albert Einstein et sa fameuse phrase : « Tout
le monde est un génie. Mais si vous jugez un poisson à sa capacité de
grimper à un arbre, il vivra toute sa vie en croyant qu’il est stupide ».
Au moins une partie de sa vie, pourrait préciser Patrick Mouratoglou.
C’est l’expérience que raconte celui qui est maintenant devenu un des
personnages les plus influents du tennis mondial, en tous cas l’un des
plus médiatiques10.
Dans l’épisode de la série Secrets de Coach11 que lui a consacré
Netflix, le coach dévoile le mal-être qui a terni son enfance. D’une
timidité maladive, incapable de tisser des liens avec les autres, souvent
paralysé d’angoisse, craintif et dépourvu de confiance, il fuyait les
interactions, restant le plus souvent à l’écart des autres. Même face au
psychologue que ses parents l’envoyaient consulter chaque semaine, il lui
était difficile de s’exprimer, au point qu’il lui fallut une année entière
avant d’oser prononcer un premier mot.
Il lui fallut plus de temps encore pour découvrir qu’en contrepoint de
ce point faible, il avait peu à peu développé un talent précieux. Le plus
souvent silencieux, à l’écart, il avait appris à écouter, à observer, à tenter
de décoder les comportements ou les réactions des gens, à deviner leurs
pensées, à comprendre ce qui pouvait se jouer dans leurs interactions
avec les autres, en prêtant attention à chaque détail, à chaque mot, chaque
expression, chaque attitude.
C’est bien cette aptitude à cerner les individus, qui a permis à Patrick
Mouratoglou de réussir dans son parcours de coach. « Ma plus grande
faiblesse est devenue ma plus grande force », résume-t-il dans une phrase
qui sonne comme un tour de magie.
Aucune prestidigitation dans cette histoire, mais plutôt du bon sens –
au sens littéral des mots, comme mettre dans le bon sens. Les traits de
caractère de Mouratoglou, en eux-mêmes, sont finalement neutres. Leur
tonalité dépend du domaine dans lequel il évolue. À l’école, tel que
l’intéressé le décrit, et dans son enfance en général, sa personnalité
d’observateur introverti était un handicap. Dans sa mission de coach, elle
est devenue un atout.
Constatant le personnage médiatique qu’il est aujourd’hui, coach, chef
d’entreprise, consultant télé, d’une grande assurance devant les caméras,
on devine qu’une fois retrouvé le bon sens – celui dans lequel il a pu
prendre conscience et confiance en son talent – l’homme a cumulé deux
victoires souvent indissociables. Il a non seulement réussi là où les forces
qu’il avait développées pouvait être reconnues, mais il est aussi
désormais capable de briller dans les situations qu’il fuyait à l’époque !
C’est en travaillant sur ses forces que l’on finit par se débarrasser de ses
faiblesses.
L’exemple de l’expérience d’une seule personne, qui plus est résumée
en quelques lignes pour servir un message, ne fait évidemment pas une
généralité. Elle ne fait ici qu’illustrer l’importance de dépasser, une fois
de plus, les limites de l’approche corrective. Parce qu’un ou plusieurs
traits de caractère peuvent constituer une faiblesse dans un domaine, la
logique des points faibles peut amener à poser un jugement global et
négatif sur la personne, éclipsant du même coup la ou les qualités dont
elle dispose pourtant. L’individu se résume alors entièrement à son ou à
ses défauts, vus comme un handicap absolu.
Le risque, nous l’avons déjà détaillé, est d’engager une bataille contre
cette faiblesse et d’amener l’individu dans la spirale du doute et de
l’échec, le dit défaut, et plus encore la conscience de ce défaut, devenant
rapidement un obstacle apparemment insurmontable.
Aucun défaut n’est un handicap absolu. Certes, telle ou telle
caractéristique (trait de caractère ou spécificité physique) peut s’avérer
handicapante dans un domaine ou une activité. Mais elle l’est rarement
pour toutes les activités ou dans tous les domaines.
Mieux, derrière ce qui est pointé comme un défaut, sur l’autre face de
la pièce, dans l’ombre, il existe une qualité. C’est bien cette qualité qu’il
est vital d’aller rechercher pour trouver ensuite le champ dans lequel elle
pourrait s’exprimer et se développer.
Je vous propose d’aller à la rencontre d’un autre personnage…
À première vue, cet homme est bizarrement bâti… Il mesure 1,93 m,
mais du fait de ses jambes relativement courtes (81 cm), il parait avoir un
torse démesurément long. La disproportion est d’autant plus frappante
que la nature l’a doté de bras immenses : écartés, ils lui donnent une
envergure de plus de 2 m, soit près de 10 cm de plus que sa taille. À cette
description, il convient d’ajouter des pieds de géant, taille 49,5 et des
articulations hyper-flexibles. Bref, un corps assez éloigné de celui de
l’Homme de Vitruve12 dessiné par Léonard de Vinci.
Côté caractère, le garçon a souffert d’un trouble hyperactif avec déficit
d’attention, très handicapant à l’école.
Pourtant, malgré ces défauts, ou grâce à ses qualités plutôt, il est
devenu l’un des plus grands champions sportifs de l’Histoire, tous sports
confondus : le plus titré et le plus médaillé de l’histoire des Jeux
olympiques, avec 28 médailles dont 23 en or, auxquelles il faut ajouter 26
titres de champion du monde et une longue liste de records dont certains
tiennent encore.
À première vue, et dans beaucoup d’autres disciplines sportives, les
caractéristiques physiques hors norme de Michael Phelps sont gênantes,
sauf en natation. Son torse particulièrement long par rapport à sa taille lui
confère une portance accrue. Ses bras lui procurent un effet de levier
précieux à chaque mouvement. Ses grands pieds, associés à des chevilles
très mobiles, lui permettent de fouetter l’eau un peu comme s’il possédait
des palmes.
Dans l’eau, Phelps est dans son élément, pour utiliser l’expression
consacrée que je trouve très à propos.
« Phelps n’est pas bon sur terre. Il est étrangement hyper-flexible, ce
que l’on appelle parfois à double articulation, et donc pas entièrement
stable. Il ne soulève pas de poids. Il avait l’habitude de courir mais
a abandonné à cause d’une tendance à entrer dans des trous ou à
trébucher sur rien. S’exercer sur terre, même modérément, c’est risquer
un péril orthopédique », confirme le journaliste Michael Sokolove qui lui
a consacré un long article en 200413.
Que se serait-il passé si Phelps, dans ses jeunes années, n’avait pas
suivi ses deux grandes sœurs, elles-mêmes bonnes nageuses, à la
piscine ?
Chacune de nos spécificités personnelles, qu’elle soit physique ou de
caractère, peut tout à la fois se révéler comme un défaut dans certaines
situations ou certaines activités tout autant qu’elle est un atout dans
d’autres.
Il est tentant de croire qu’il n’y a que hasard, chance ou destin dans les
parcours de ces gens qui, comme Phelps, semblent avoir trouvé leur
élément ou découvert leur vocation.
Il me semble en réalité que notre environnement nous offre de
nombreuses opportunités : une expérience nouvelle, une rencontre
intéressante, une lecture inspirante… Pour les voir comme des
opportunités, encore faut-il être conscient et confiant en ses qualités, et
non bloqué et aveuglé par ses faiblesses. D’où l’importance de la quête
que nous pouvons entreprendre pour identifier nos préférences.
Pour les saisir ensuite, il nous faut accepter de sortir du cadre
traditionnel auquel voudrait parfois nous réduire l’approche corrective :
vaincre le défaut sur le terrain même où il est le plus handicapant.
Choisir la voie des points forts, c’est en quelque sorte, déplacer le
débat : il ne s’agit plus d’affronter un problème là où il se pose le plus,
mais de construire un projet là où le terrain parait propice.
Mais est-ce vraiment le critère des qualités personnelles qui guide les
choix d’une matière à l’école, d’une orientation dans les études, d’un
métier, d’un projet, d’une mission ?
Plus souvent en réalité, nous faisons d’autres calculs : travailler une
matière pour accéder plus sûrement aux meilleures classes, opter pour
des études vers des métiers offrant des débouchés nombreux, privilégier
le métier le mieux payé ou celui qui garantit de bonnes conditions de
travail ou une sécurité d’emploi, nous investir dans le projet ou la
mission qui nous aideront peut-être à obtenir une promotion…
Par cette recherche de récompenses ou de bénéfices autres que ceux
apportés par la pratique de l’action elle-même, nous privilégions nos
motivations extrinsèques à notre motivation intrinsèque : choisir en
fonction de ce que l’on aime faire et de ce que l’on sait faire, en tenant
compte donc des qualités que l’on possède, c’est alimenter ce moteur
essentiel au rendement exceptionnel. L’obtention de la récompense
attendue ou du bénéfice escompté satisfait pour quelque temps avant de
laisser place à une nouvelle attente à satisfaire, dans une sorte de
mouvement sisyphien, là où la découverte de sa vocation – ce pour quoi
je suis fait – motive des années durant.
Les deux, bien sûr ne s’opposent pas. À la motivation intrinsèque, se
développant sur la mise en œuvre de ses qualités personnelles, vient
souvent s’ajouter le plaisir de satisfactions extrinsèques : celui qui trouve
sa voie, dans son progrès et ses succès, gagne en effet souvent au
passage, reconnaissance, réussite matérielle et autres récompenses
externes. L’inverse, en revanche, n’est pas assuré, la recherche de
satisfactions extrinsèques pouvant entraîner loin de ses terrains de
prédilection, où il faut lutter contre ses faiblesses plutôt qu’exploiter ses
forces.
Aider nos enfants à trouver leur voie devrait être un principe fondateur
dans leur éducation, à l’opposé de celui qui, en les évaluant par rapport à
un référentiel complet, tend à mettre en lumière leurs points faibles.
Levez le doigt ceux qui ont souvenir d’avoir pu lire, sur leurs bulletins
scolaires, la description de leurs qualités personnelles ! Pour les autres,
revenaient presque systématiquement, sur chaque appréciation,
indépendamment des notes, bonnes ou moins bonnes, la mention des
faiblesses, avec en prime une variété de termes et de formulation
remarquables. Voilà peut-être pourquoi nous possédons spontanément
plus de mots pour parler de nos points faibles que pour désigner nos
points forts !
Aider les enfants à trouver leur voie consiste d’abord à leur permettre
de prendre conscience de leurs qualités naturelles et non seulement de
leurs défauts.
Cela implique ensuite de leur ouvrir un champ d’expérimentation le
plus large possible, de façon à ce que chacun puisse découvrir des
activités, des domaines, des disciplines dans lesquels il pourra tirer le
meilleur profit de ses points forts. Si ce principe d’ouverture existe
s’agissant de quelques rares matières dans lesquelles le programme
permet de toucher un peu à tout (EPS, matières artistiques), de façon
générale, le principe dominant reste celui de l’accumulation d’un
ensemble de connaissance sur les bases jugées essentielles – principe par
ailleurs dont on comprend l’intérêt évidemment. L’un pourrait compléter
l’autre : le fait d’avoir trouvé un terrain d’expression de ses qualités, d’y
prendre confiance, d’y trouver également de la motivation et une
reconnaissance, constitue toujours un point d’appui pour continuer de se
développer en parallèle là où on ne brille pas.
Combien de cancres – désignés comme tels en tout cas – ont pu
finalement réussir dans des domaines qu’ils n’avaient pas eu l’occasion
d’explorer durant leur difficile scolarité ? Artistes, cuisiniers, artisans,
sportifs… parmi les personnalités connues, nombreuses sont celles à
avoir évoqué leurs difficultés scolaires et les complexes qui les ont
longtemps bloquées, avant qu’elles ne puissent trouver l’espace où
allaient se révéler leurs qualités jusque-là enfouies.
Mais combien d’autres de ces cancres se sont peu à peu éteints, réduits
à leurs manques et leurs défauts, sans jamais avoir pu trouver leur voie ?
Si le système scolaire peut très certainement être amélioré,
les évolutions à générer sont bien plus larges : elles touchent en premier
lieu à notre responsabilité en tant que parents. Elles impliquent également
tous les intervenants en contact avec nos enfants, dans les activités
ludiques, sportives, artistiques auxquelles ils ont accès, à charge pour eux
d’intégrer que leur rôle n’est pas exclusivement de transmettre aux
enfants un savoir ou une pratique, mais de voir comment l’activité en
question peut leur révéler leurs qualités.
Si choisir sa voie est un must, c’est peut-être néanmoins un luxe que
tout le monde ne peut pas se permettre. Nous n’avons pas toujours le
choix, et quand bien même nous l’aurions, les exemples de réussite, tout
particulièrement dans les univers sportifs ou artistiques, ne doivent pas
masquer les très nombreux échecs. Chacun mériterait d’être analysé pour
comprendre ce qui a pu manquer : des efforts pour l’un, un bon coach ou
un bon professeur pour l’autre, un talent pas assez grand possiblement…
ou peut-être un choix qui n’est pas le bon.
Choisir son terrain n’est en effet pas si simple que ça. L’identification
de ses qualités n’est pas évident, nous le savons. Et le choix du terrain
qui permettra de les exprimer pleinement ne l’est pas davantage.
Pour une personne en difficulté scolaire ou professionnelle, il peut
ainsi être tentant de s’engager dans un projet alternatif qui obéit bien plus
à une logique échappatoire qu’à une authentique vocation. Un simple
goût pour un sujet, le seul fait d’y trouver du plaisir ou un peu de
reconnaissance d’un cercle très rapproché de personnes, peuvent soudain
rendre l’alternative très attirante, notamment par contraste avec le terrain
d’échec. Le désir de fuite n’est pas toujours de bon conseil.
Pour exemple, on peut citer cette étude menée en 2002 auprès de 532
étudiants canadiens, par l’équipe du psychologue Robert J. Vallerand14.
Les résultats révèlent que 84 % d’entre eux disent avoir une passion
pour laquelle ils seraient prêts à s’investir, ce qui pourrait laisser penser
que ceux-ci ont très majoritairement trouvé leur voie. En réalité, parmi
les activités citées, seules 4 % étaient en rapport avec les études
poursuivies ou avec les professions sur lesquelles celles-ci pouvaient
déboucher. 96 % avaient trait à ce que l’on pourrait plutôt qualifier de
hobbies. Ainsi, figuraient dans le top 5 : la danse, le hockey (nous
sommes bien au Canada !), le ski, la lecture et la natation !
Comme pour identifier ses qualités, le regard des autres et
l’expérimentation seront de précieux garde-fous, qui peuvent aider à
différencier une simple attirance bercée de douces illusions, de la
vocation vraie, qui alliée à de réelles qualités, permet d’alimenter dans la
durée, cette pratique délibérée indispensable à la réussite.
Voici également quelques questions qui peuvent aider à confirmer le
choix d’une activité comme terrain privilégié d’investissement :
• Cette activité me permet-elle d’utiliser ma qualité essentielle ?
• Cette qualité me donne-t-elle un avantage certain dans l’activité en
question ?

Plus de facilité que d’autres, plus de performance, une originalité…


• Quand je pratique cette activité, je me sens :
– Aligné
– Cohérent
– Concentré
– Motivé
– En pleine possession de mes moyens
– Influent
• Serais-je capable de pratiquer cette activité même si elle devait ne rien
m’apporter ?
• Pourrais-je la pratiquer sans me fatiguer ?
• Me manque-t-elle quand il m’arrive de ne pas pouvoir la pratiquer ?

Construire sa stratégie
Et si, malgré tout, je n’avais pas trouvé ma voie ? Et si, comme la
plupart d’entre nous peut-être, j’avais choisi des terrains non pas en
fonction de ce critère des points forts, mais pour d’autres raisons ou tout
simplement par l’enchaînement des circonstances ?
La tentation pourrait être de changer de voie, cédant à l’attirance
superficielle et trompeuse du projet alternatif.
Je quitte mon poste de cadre dans une grande entreprise pour ouvrir un
restaurant, parce que oui, j’en suis sûr, il n’y a qu’un pas entre faire un
bon petit plat pour mes amis une fois par semaine et en faire son métier !
Je me lance dans la chanson parce que j’adore pousser la voix sous la
douche quand la maison est vide. Je me suis inscrit au casting de « The
Voice », c’est tellement plus motivant que d’avoir la tête dans les
bouquins à la fac !
J’aime beaucoup aider les autres. D’ailleurs, mes amis me le disent :
« tu devrais être coach, ça t’irait bien ! ». C’est décidé, je négocie une
rupture conventionnelle et je me mets auto-entrepreneur pour développer
mon activité de « coach de vie ».
Toute ressemblance avec des personnages existants ou ayant existé
serait purement fortuite… Échecs et déceptions, en marge desquels on
trouvera bien quelques exceptions.
À condition, une fois de plus, d’avoir pris le temps d’identifier ses
forces, il existe une bien meilleure alternative que celle de la rupture et
du changement de vie : rester sur le même terrain mais en adaptant la
stratégie.
Comme je le soulignais dans le premier chapitre du livre, il est courant
de croire qu’il n’y a, dans une activité donnée, qu’une seule façon de
faire, et pour réussir donc, qu’une seule combinaison possible de qualités.
Toute personne dépourvue de ces qualités serait fatalement condamnée à
échouer, raison pour laquelle il lui faudrait absolument combler ses
manques et travailler ses points faibles. L’issue est pourtant connue :
malgré de lourds efforts, au prix d’un doute envahissant et d’un plaisir
chaque jour décroissant, les progrès restent décevants. Peut-être tout
simplement n’est-elle pas faite pour ça !
Avant d’envisager le changement de voie, explorons un peu mieux le
terrain actuel. Qu’il y ait, dans chaque activité, des modèles de réussite
dominants, c’est évident. Que ces modèles favorisent la réussite des
individus doués des aptitudes sur lesquelles ces modèles sont bâtis, est
indéniable. Pour autant, cela ne démontre pas qu’il est impossible de
tracer d’autres chemins, en mettant en œuvre d’autres types de qualités.
« Pour moi, c’est une révélation ! », reconnait ce dirigeant
d’entreprise, en faisant le bilan de cette drôle d’année 2020. L’aveu a le
mérite d’être honnête mais il n’en est pas moins a posteriori inquiétant.
Il est en tous cas révélateur d’une part de notre culture managériale,
bousculée depuis mars 2020 par la crise sanitaire de la Covid-19.
En imposant le télétravail généralisé partout où le métier le permet, les
confinements successifs ont permis de fait à bon nombre de
collaborateurs d’accéder à un niveau d’autonomie inespéré, démontrant à
ce patron, comme à bien d‘autres managers sans doute, les bénéfices d’un
management moins directif.
Dans cette entreprise en tous cas, non seulement une grande majorité
des salariés ont rempli leurs missions avec succès, mais en plus avec
engagement et une productivité améliorés. Cette autonomie, expliquent
les personnes que nous avons rencontrées, nous offre enfin la possibilité
de faire à notre manière, de reprendre un peu la main sur notre travail,
d’y mettre de nous-mêmes, donc de retrouver une part de sens et de
créativité.
Cette entreprise n’avait pourtant pas, avant la crise, de problèmes
particuliers sur ce sujet : le patron, et la culture managériale qu’il avait
inspirée, n’était pas plus dure, plus contrôlante, plus directive qu’ailleurs.
Mais, sans mauvaise intention ni même conscience de ce qu’ils faisaient,
le DG et son encadrement investissaient néanmoins un rôle de
prescription du travail, distribuant les missions mais se mêlant aussi de la
façon de les jouer.
En janvier 2020, une enquête Ifop réalisée pour le media en ligne
Philonomist15, portant sur le bonheur et le sens au travail, semblait
confirmer la frustration des salariés : 46 % des employés interrogés à
l’époque se disaient infantilisés par leur hiérarchie. Dans une autre étude,
menée par Audencia en 201716, 74 % des personnes interrogées
regrettaient que leurs supérieurs hiérarchiques « ne leur imposent leurs
points de vue ».
Ces mois de télétravail imposés auront peut-être eu le mérite de
changer un peu la donne, révélant qu’à laisser chacun jouer selon ses
qualités, on pouvait allier contribution aux résultats collectifs et
motivation individuelle. Tout l’enjeu est de savoir si ces nouvelles
pratiques managériales « libératrices » pourront perdurer dans les mois à
venir ! Rêvons que les dirigeants s’inspirent de ce qu’affirmait déjà
Théodore Roosevelt (26ème président des États-Unis entre 1901 et 1909, à
ne pas confondre avec Franklin D. Roosevelt, le 32ème président de 1933 à
1945, malgré leur patronyme et leurs ancêtres communs) au tout début du
XX siècle : « Le meilleur manager est celui qui sait trouver les talents
e

pour faire les choses, et qui sait aussi réfréner son envie de s’en mêler
pendant qu’ils les font. »

■ La méthode égyptienne
(si Toutânkhamon avait connu les points forts)
Comment, dans l’activité que l’on pratique, donc sans changer de
terrain, construire une stratégie qui valorise le mieux possible les qualités
que l’on possède ? Comment, pour reprendre l’expression déjà utilisée
précédemment créer son propre « modèle de performance » ?
Voici des éléments de méthode pour y parvenir, illustrés d’un schéma
en forme de pyramide et de quelques exemples simples.
Au commencement est donc cette pyramide à trois étages, qui
correspondent aux 3 étapes principales de la réflexion.

Étape 1 : Concentration stratégique


La première étape est celle de la concentration stratégique.
Elle suppose, au préalable, de connaître ses points forts. Elle consiste à
mettre en lumière le lien entre mes ressources personnelles et les facteurs
de succès intervenant dans l’activité en question.
Le point de départ peut être l’activité et le recensement des facteurs
qui déterminent la réussite dans cette activité. Dans ce cas, il s’agit
ensuite d’évaluer en quoi mes aptitudes personnelles s’articulent avec ces
facteurs. La question pourrait être :
Quelles sont les conditions de succès dans cette activité ?
Qu’est-ce qui y détermine la réussite ?

Puis dans un second temps, comment mes qualités peuvent me


permettre de remplir certaines de ses conditions de succès.
L’autre angle d’attaque consiste à engager la recherche par les qualités
personnelles :
En utilisant mes qualités, qu’est-ce que je pourrais apporter de décisif
dans la pratique de cette activité ?

De ce travail de concentration stratégique, dans un sens où dans


l’autre, doivent émerger les deux ou trois atouts sur lesquels je pense
pouvoir miser.
Ainsi, par exemple, pour quelqu’un devant animer des sessions de
formation au management, on peut imaginer différents types de qualités
associées à des stratégies métier elles-mêmes différentes. Certains
accèdent à la formation après un solide parcours opérationnel,
notamment dans des fonctions d’encadrement d’équipes. Ils connaissent
leur sujet pour avoir vécu des situations variées et expérimenté nombre
des techniques ou outils qu’ils proposent. Ils auront certainement à cœur
de valoriser cet atout, en concevant une animation qui fait la part belle
aux situations concrètes et aux échanges d’expérience.
D’autres s’engagent plus jeunes dans cette activité, par passion pour la
matière mais sans nécessairement posséder une longue expérience de
management. Ils peuvent avoir pour eux une intelligence conceptuelle
développée et de très solides connaissances théoriques. En travaillant très
précisément la pertinence des contenus de leur formation, ils peuvent
réussir à passionner leurs participants, à les « embarquer » dans un
niveau de réflexion qu’ils n’avaient jamais eu jusqu’ici et, in fine, créer
des remises en cause profondes.
Enfin, certains formateurs sont mus par l’envie de se mettre au service
des autres, de les aider à trouver des réponses à leurs problématiques.
Qu’ils possèdent ou non une grande expérience de management eux-
mêmes, ils peuvent se différencier par leur capacité à écouter et
comprendre ce que vivent les gens qu’ils ont en face d’eux puis par leur
aptitude à co-construire des réponses véritablement sur-mesure.
Aucune de ces trois voies n’est a priori meilleure que les autres. Mais
dans un tel métier, qui demande un engagement renouvelé face aux
nouveaux groupes de stagiaires qui se succèdent, le formateur qui n’a pas
trouvé son style, s’épuiserait très rapidement à jouer un rôle de
composition.
Dans certains cas, la réflexion sur ce niveau stratégique pourra sembler
simple, signe peut-être que l’on est en réalité dans un type d’activité pour
lequel nous possédons des aptitudes naturelles adaptées. La construction
de la pyramide ne fera alors que confirmer globalement ce que je fais
déjà. Cette confirmation et pourquoi pas quelques enrichissements au
passage peuvent néanmoins ancrer et renforcer le sentiment
d’alignement.
Dans d’autres cas, l’articulation entre ressources personnelles et
facteurs de succès paraîtra autrement moins apparente. Dans ce constat
réside tout l’intérêt de la démarche : permettre de trouver un chemin là où
il n’y a pas d’évidence. Parfois il arrive qu’aucun de mes points forts ne
semble en mesure de satisfaire les conditions essentielles de succès :
aucun atout stratégique ne se dégage à première vue. Il faut alors
continuer de chercher dans des facteurs qui peuvent sembler moins
essentiels, voire très secondaires : ils peuvent permettre non pas d’aller
rivaliser avec les plus forts, mais de se différencier. Dans ce dernier cas,
l’alignement et la concentration stratégiques sont particulièrement
cruciaux : la cohérence peut compenser la puissance.
Cette articulation entre ressources internes et attentes externes, entre
ses forces et ce qu’implique l’environnement, est au cœur de la notion
même de stratégie.
Les choix stratégiques des entreprises, qui orientent leurs
investissements et leurs développements, illustrent cette dialectique entre
interne et externe. Si les grands groupes peuvent se permettre de choisir
des stratégies concurrentielles les amenant à rivaliser frontalement sur
des facteurs-clés de succès identiques à ceux de leurs concurrents,
beaucoup d’outsiders optent pour des stratégies différenciantes, préférant
les eaux plus calmes de l’océan bleu à celles, rouges du sang de la
bagarre que se livrent les géants du marché17.
C’est, par exemple ce qu’avaient décidé de faire à l’époque les
pionniers du transport aérien low cost, en choisissant résolument
d’aligner leur modèle sur l’atout prix tout en dégradant une grande partie
des autres éléments de l’offre traditionnelle.
Étape 2 : Alignement tactique
La deuxième étape est un travail d’alignement tactique, consistant à
décliner de façon opérationnelle, dans un plan d’action personnel, les
axes stratégiques choisis en haut de la pyramide.
Le principe qui guide cette étape consiste à optimiser l’action en
termes d’efficience : pouvoir passer le plus de temps possible, quand
j’agis, à me servir de mes aptitudes naturelles – et limiter au maximum
les occasions de me confronter à mes points faibles.
Concrètement, dans mon modèle de performance, à cet étage tactique,
apparaîtront d’abord ce que nous appelons généralement, des plans
d’actions préférentiels : il s’agit de schémas tactiques privilégiés parce
que me permettant d’exprimer pleinement mes qualités. Plaisir,
confiance, efficacité, facilité, authenticité… la cohérence entre ce que je
suis et ce que je fais me confère un avantage certain.
En s’inspirant de la célèbre loi des 20/80, il s’agit des 20 % d’actions
sur lesquelles je dois concentrer 80 % de mes efforts, de mon temps ou
de mon énergie.
Le sport, ici encore, peut apporter une illustration parlante de ce que
sont ces plans d’actions préférentiels.
Contrairement à ce qu’on peut parfois imaginer, les grands champions,
au tennis, ne réinventent pas de nouveaux plans de jeu en fonction de leur
adversaire du jour. Ils opèrent bien entendu des ajustements, cherchant à
tirer parti de leurs propres points forts tout en exploitant les points faibles
de l’autre joueur.
Mais ils comptent avant tout sur quelques schémas tactiques favoris,
leurs 20/80. Bien que connus de leurs adversaires, ces schémas
privilégiés construits sur des coups ou des aptitudes forts, créent des
situations de jeu dans lesquelles ils savent avoir un ascendant sur la
plupart de leurs rivaux. Aussi passent-ils beaucoup de temps à répéter ces
enchaînements à l’entraînement, à les peaufiner, à les améliorer, pour
pouvoir, dans les moments difficiles ou sur les points importants du
match, en faire un usage efficace.
Les 80 % d’actions restantes – toutes celles qu’il faut nécessairement
accomplir dans le cadre de l’activité en question – ne sont évidemment
pas abandonnées. Si elles ne figurent pas dans les 20/80, c’est bien que
j’ai considéré, jusqu’ici, qu’elles n’étaient pas une opportunité d’utiliser
mes points forts. Une bonne pratique consiste à les reprendre, une par
une, pour remettre en question la façon avec laquelle nous les jouons :
qu’est-ce que cette action donnerait si je la jouais à ma façon, c’est-à-dire
avec mes qualités naturelles ? C’est cette question qui nourrira l’étape 3,
détaillée ci-après, de consolidation basique, constituant le socle de la
pyramide.
Une fois de plus, on se rend souvent compte qu’au-delà des idées
convenues, il existe différentes manières de réaliser des actions. Si ces
actions revues et corrigées, qui exploitent désormais un peu mieux mes
qualités – et évitent de solliciter mes qualités manquantes – ne figureront
pas pour autant dans la catégorie préférentielle, elles pourront néanmoins
compléter très utilement le modèle de performance. Elles forment ce que
nous appelons les plans d’actions adaptés.
Prenons un exemple… Dans le cadre de sa mission d’animation
d’équipe, un manager sera forcément un jour ou l’autre confronté à des
situations d’annonce à ses collaborateurs d’une décision délicate, à
l’occasion par exemple d’un changement dont tout porte à croire qu’il
pourrait générer quelques résistances de la part de certains collaborateurs.
L’art de la conduite du changement stipule généralement qu’il lui faut,
dans cette situation, prévoir une réunion d’annonce à son équipe. Celle-
ci, à en croire les manuels, serait un temps de communication formel
impliquant un discours du manager sur le changement en question : outre
l’annonce de la décision elle-même, il faudrait expliquer les raisons qui
la motive bien sûr, mais aussi évoquer ce que les collaborateurs pourront
y trouver comme bénéfices, décrire les nouvelles attentes que cela génère
à leur égard, sans oublier de détailler le dispositif de mise en place et de
pilotage. La clé, dans ce moment, serait l’énergie de la conviction, la
capacité à persuader ses collaborateurs, l’aptitude à les « embarquer » par
la parole…
Autant dire que pour certaines personnalités, ce plan d’action apparait
comme un chemin impossible, tant il suppose des qualités que tout le
monde ne possède pas. Pour les managers d’un naturel introverti, plus à
l’aise dans le contact individuel que dans la prise de parole collective, ou
qui eux-mêmes abordent toujours les changements avec prudence et
réserve, ce type de réunion se solde souvent par un échec – qu’ils
réussissent d’ailleurs à rattraper généralement dans les jours suivants par
leur investissement dans des actions qui leur ressemblent davantage.
Pour ces managers, le travail d’alignement tactique consiste
notamment à envisager différemment ce type de situation. Comment
réussir l’annonce d’un changement compte tenu des qualités qui sont les
miennes ?
Et si au lieu d’organiser une réunion formelle, cette annonce
intervenait lors du rituel très informel du café habituellement partagé le
lundi matin ? Le contexte aiderait peut-être le manager à adopter, dans
son message d’annonce, un style plus direct, plus authentique et plus
congruent.
Et si, au lieu de chercher à convaincre, il se contentait d’annoncer le
strict minimum (la décision elle-même et son timing de mise en œuvre
peut-être), pour laisser plus de temps aux échanges avec l’équipe ? Il lui
serait certainement alors plus facile d’apporter les éléments nécessaires
au travers de dialogues directs plutôt que dans un monologue descendant.
Et si, au lieu de chercher à faire croire à une conviction qu’il ne
partage pas viscéralement en réalité, il se posait comme faisant partie de
l’équipe, aussi bousculé que tout le monde par cette décision de
changement ? Éviter de devoir mentir lui donnerait à n’en pas douter une
sincérité propre à susciter des réactions positives.
Bref, dans le management, comme dans toute activité, il existe des
situations comme celles-ci, renvoyant à des plans convenus et
standardisés qui, en réalité pourraient et devraient être adaptés aux
ressources de chacun.
Une fois ce travail accompli, il restera néanmoins quelques situations
dans lesquelles je ne peux échapper à la mise en œuvre d’actions que
nous appelons actions-limites : celles qui, par leur nature, me confrontent
à mes points faibles. Elles exigent, pour être réalisées, des aptitudes que
je ne possède pas, ou que je mets en œuvre avec beaucoup de difficultés
et, pour cette raison, elles me poussent au-delà même de ce que je suis –
d’où le terme actions-limites.
La recherche d’alignement tactique sur les forces vise à limiter le
temps passé sur ces actions-limites au strict minimum.
Ce strict minimum se définit par le caractère incontournable des
actions au regard de l’activité : ce sont des actions indispensables, dont la
non-réalisation induit un risque d’échec ou de blocage majeur.
Le manager que je prenais en exemple quelques lignes plus haut,
connaitra très certainement des situations qui le mettront face à ses
limites.
Il pourrait s’agir de la prochaine convention rassemblant toute
l’entreprise, au cours de laquelle il lui faudra prendre la parole devant
300 personnes, exercice dans lequel ses qualités naturelles ne lui sont pas
d’un grand secours. Ce pourrait être aussi cette période d’intérim qu’il
doit assurer en l’absence provisoire de son responsable hiérarchique, qui
l’obligera à animer chaque semaine une réunion d’équipe formelle : son
N+1 compte sur lui pour garder en place les rituels de management
existants.
Ce manager le sait : il y a des points de passage obligés. C’est bien
pour ça, pense-t-il, qu’il faut au maximum tirer le meilleur parti possible
de ses qualités dès qu’on le peut : jouer son jeu permet de prendre
l’énergie et la confiance en soi dont on a besoin pour affronter ces
situations-limites !
Dans nombre de cas, on se rend compte que ces actions-limites
incontournables sont en réalité moins nombreuses qu’on peut le craindre.
Soit parce qu’on se rend compte que finalement, toutes ces actions ne
sont pas indispensables dans la pratique de l’activité. Soit parce que
certaines d’entre elles peuvent être déléguées. Soit, enfin, parce que
l’engagement croissant sur les plans d’actions préférentiels crée, en
pratique, un supplément d’efficacité qui vient mécaniquement réduire les
occasions de devoir jouer ces actions-limites.
Restons dans l’univers du management et de la conduite du
changement. Imaginons que le manager décrit précédemment, ait
effectivement aligné ses pratiques de management avec ses qualités
naturelles.
Plus à l’aise dans la relation individuelle que dans l’animation
collective, il est attentif à multiplier les échanges avec chacun de ses
collaborateurs. Observateur, plutôt à l’écoute, il décode assez bien les
attentes des uns et des autres. Chacun dans l’équipe sait d’ailleurs qu’il
peut exprimer sa pensée sans crainte d’être jugé. Peu à peu, se sont ainsi
créées des relations de confiance : l’ambiance au sein de l’équipe s’en
ressent. La communication est facile, sans non-dits, ni arrière-pensées, ni
a priori négatifs.
De ce fait, quand apparait un nouveau changement, l’exercice de
l’annonce n’a plus le même niveau d’enjeu. Quelles que soient les
conditions de cette annonce, et même s’il devait se retrouver sur le terrain
inconfortable d’une réunion formelle, ce manager est confiant : il sait que
le niveau de bienveillance de son équipe est tel que celle-ci lui
pardonnerait d’éventuelles maladresses, et qu’au-delà de la forme, elle
prendrait cette annonce de changement comme un sujet à traiter, de façon
dépassionnée, sans confusion entre le message et le messager.
Cette même logique se retrouve dans le contexte sportif : plus un
champion ou une équipe réussit à imposer son jeu à son adversaire, plus
il ou elle diminue les occasions de se retrouver dans des positions
inconfortables.
En résumé, une fois réalisé ce travail d’alignement tactique, nous
devrions aboutir à un ensemble de plans d’action, au cœur de la
pyramide, formé donc de deux types d’actions :
• Mes 20/80, actions préférentielles, auxquelles je dois consacrer le plus
de temps et d’attention. Directement alignées avec mes qualités, elles
sont en quelque sorte mon moteur principal : fort rendement,
motivation intrinsèque, confiance en moi, authenticité…
• Les actions adaptées, dans lesquelles un travail technique m’a permis
de trouver comment les jouer pour pouvoir y exprimer le mieux
possible mes talents.
À ces actions, qui m’occuperont idéalement donc environ 80 à 90 % de
mon temps, viendront s’ajouter enfin les actions-limites, que je serai
obligé de réaliser dans le temps restant – dans des modalités que nous
détaillerons dans l’étape 3 ci-dessous.
Étape 3 : Consolidation basique
Bien qu’arrivant chronologiquement en fin de réflexion, cette étape est
en réalité la plus importante, puisqu’il s’agit de consolider le socle de la
pyramide et de compléter de façon très opérationnelle, le modèle de
performance.
Ce socle est « basique » parce qu’il désigne l’ensemble des gestes
techniques de base : toutes les opérations unitaires – on ne peut pas
diviser davantage chaque élément – dont la mise en œuvre est essentielle
pour réussir les actions identifiées à l’étage tactique. On pourrait aussi
parler de Fondamentaux.
Représenter ces Fondamentaux comme un socle, c’est rappeler que
toute performance se construit d’abord et avant tout par l’acquisition (la
découverte, l’apprentissage, la répétition, l’ancrage) de ces gestes de
base : rien ne sert d’avoir de belles intentions tactiques ou de grandes
ambitions stratégiques si l’on n’est pas en capacité de mettre en œuvre
ces Fondamentaux avec justesse et fiabilité.
Évidemment, en guise d’illustration, viennent spontanément à l’esprit
les activités manuelles.
Maîtriser les gestes de base de la cuisine est un prérequis pour tout
chef qui se respecte. Les nombreuses émissions télévisées culinaires nous
le rappellent. Elles montrent aussi que, des années plus tard, les étoilés
reconnus ou les meilleurs Ouvriers de France ne le sont pas seulement
par l’originalité de leur cuisine, la créativité de leurs plats ou l’inventivité
des goûts. Ils restent concentrés sur leurs fondamentaux, ou peut-être
mieux, ont poussé la perfection basique encore plus loin. L’attention
portée au geste (la cuisson, la présentation, le taillage du légume, le
découpage de la viande, etc…) et à sa réalisation est à la hauteur du
talent !
Peut venir aussi l’image de ces métiers à risque, dans lesquels la
qualité des gestes de base est une priorité, car un gage de sécurité :
chacun des points de la check-list du pilote d’avion ou encore, dans un
autre univers, le parfait ajustement de la tenue d’intervention du membre
du GIGN avant une interpellation potentiellement dangereuse.
En sport, l’évidence est aussi facilement partagée : pas un athlète qui
n’ait cette obsession de chercher encore et encore à fiabiliser, ciseler,
renforcer les gestes de base. À quoi sert un choix tactique – même bon –
si la réalisation des gestes ne suit pas ? Voyez d’ailleurs le nombre de
défaites, quels que soient le sport et le niveau des prétendants, qui
s’expliquent par des approximations basiques. Les meilleurs, là aussi, ne
sont pas seulement supérieurs du fait de stratégies géniales ou de
tactiques sophistiquées, mais souvent seulement d’un niveau de maîtrise
basique plus constant.
À côté de ces exemples évidents, il serait faux de croire que les
activités intellectuelles échappent à la notion de discipline basique. On
peut parfois croire que le management, la vente, l’innovation, la
formation ou la philosophie sont au-dessus de ça : une sorte de prétendue
noblesse dispenserait du caractère besogneux des basiques.
Et pourtant…
Prenons la vente. Savoir formuler un message sonar pour sonder le
client et l’amener à accepter la relation au début d’un acte commercial ;
savoir poser des questions ouvertes ; savoir se taire pour relancer ; savoir
dans quel ordre classer ses arguments ; savoir annoncer un prix, sans
laisser transparaître le doute sur son visage ouvrant ainsi la porte à une
négociation perdue d’avance, etc. Les bons vendeurs ne sont pas juste des
beaux parleurs, façon Jean-Claude Convenant avec gourmette plaquée or
et Citroën Xantia : ce sont des champions comme les autres, qui se
préparent et s’entraînent à maîtriser leurs techniques de base jusqu’à en
faire des automatismes. Alors seulement, une fois ces réflexes ancrés, il
leur est possible de consacrer ce temps de cerveau disponible aux aspects
tactiques : adapter la proposition aux attentes et besoins du client, ajuster
le budget, ajouter une offre optionnelle, etc.
Cette étape de consolidation basique consiste donc à revenir sur ces
Fondamentaux au regard des réflexions menées lors des deux premières
étapes.
En premier lieu, il faudra repartir des plans d’actions préférentiels.
Dans la mesure où il s’agit d’actions qui, par définition, sollicitent mes
qualités naturelles, il est probable que, sur le plan des gestes technique,
les bases soient déjà ancrées.
Celui qui possède un talent d’écoute, par exemple, maîtrise souvent
parfaitement les techniques de relance ou de reformulation. Il arrive
également très bien à décoder le non-verbal ou encore à se synchroniser
avec son interlocuteur. Il sait faire tout ça, mais dans bien des cas, il ne
sait pas qu’il sait le faire ! Il agit instinctivement et inconsciemment. Il
peut penser d’ailleurs que tout le monde fait spontanément de même, que
ce sont là des réflexes universels, propres à la nature humaine.
Prendre conscience des pratiques instinctives qui rendent nos talents
opérants revient à les appréhender comme des techniques, que l’on peut
reproduire de façon consciente, par exemple dans les jours sans, durant
ces périodes de méforme dans lesquelles le talent semble nous faire
défaut. C’est l’exemple que donnent parfois les grands champions qui,
dans leurs rares mauvais jours, loin de dominer leur adversaire avec leur
niveau d’aisance habituel, restent durs à battre : leur capacité à faire ce
qu’il faut faire, en se recentrant sur leurs bases, leur permet de ne pas
perdre, à défaut de gagner avec talent ! D’où le fameux mot d’ordre
souvent entendu dans la bouche des entraîneurs lorsqu’il s’agit de
remobiliser une équipe menée au score : « back to basics ! ». Faites ce
que vous savez faire, mais faites-le bien.
La consolidation basique consiste aussi à pousser plus loin son niveau
de maîtrise technique pour jouer les actions préférentielles. Au lieu de
passer du temps à se former sur ses points faibles – avec un faible retour
sur investissement – courrez vous former sur vos points forts ! La
motivation à progresser sera là. Les perspectives de trouver encore à
s’améliorer est sans limite. La capacité à créer, à mettre au point, à jouer
des techniques sans cesse plus justes, plus fines, plus ciselées est à la
hauteur du talent déjà naturellement présent.
La fameuse injonction à sortir de sa zone de confort peut prendre tout
son sens ici. Si elle se borne à nourrir l’approche corrective, en se
traduisant par la volonté de délaisser ses points forts pour affronter ses
points faibles, elle ne présente pas beaucoup d’intérêt… En revanche, si
elle enjoint à repousser sans cesse les frontières là où on est en mesure de
le faire, notamment sur ce terrain préférentiel, alors elle constitue un
précieux conseil.
L’incroyable carrière de Roger Federer en est une illustration.
Le champion suisse, malgré les années de pratique et le palmarès dont il
pourrait se contenter, n’a jamais arrêté de progresser, en utilisant ses
points forts comme moteur de cette dynamique.
Parmi ses qualités, il y en a une qui se révèle être au fil des années, un
atout majeur : ce que les spécialistes appellent « l’œil », en réalité ses
aptitudes cérébrales et non seulement visuelles à percevoir et analyser les
informations (la trajectoire, la vitesse ou l’effet de la balle). Ces capacités
hors du commun lui permettent d’anticiper ses déplacements donc
d’arriver à l’heure sur la balle, d’être placé avec justesse, et de
déclencher sa frappe au bon moment.
Roger, ou plutôt Rodgeur (il y tient beaucoup et peut, parait-il,
se fâcher d’entendre son prénom prononcé à la française !), a toujours
cherché à se muscler dans ce domaine.
Ainsi, sur ce simple basique « Regarde la balle ! », mille fois répété au
débutant, Federer a réussi à pousser le curseur très loin. À l’entraînement,
il s’est exercé des heures durant à aiguiser son œil, s’obligeant par
exemple, à distinguer dans un ensemble de balles envoyées aléatoirement
par son sparring-partner, celles marquées d’un point rouge tracé au
marqueur. Le but du jeu : ne frapper que les balles normales, et laisser
passer les balles marquées. À la vitesse à laquelle arrivent les balles, il
faut un couple œil-cerveau hors du commun pour être capable de détecter
la présence du point rouge, de prendre la bonne décision et d’organiser
l’éventuel mouvement de frappe. Tout se joue en quelques fractions de
secondes.
Cet œil incroyable, Federer l’a donc exercé encore et encore. Et c’est
sur cet atout qu’il a aussi continué à améliorer son jeu, notamment
en cherchant à prendre la balle un peu plus tôt que ses adversaires : en
gagnant quelques centièmes de seconde sur chaque frappe, il a pu, au fil
des années, raccourcir la durée des échanges et ainsi compenser des
capacités physiques d’endurance et de résistance qui diminuent avec
l’âge – il approche maintenant de la quarantaine tout de même !
C’est aussi grâce à son œil que le GOAT18 a même inventé un coup il y
a quelques années. Baptisé SABR, pour Sneak Attack By Roger (attaque
en douce signée Roger), le coup consiste à initier une course vers l’avant
sur la seconde balle de service de l’adversaire, pour exécuter un retour en
quasi demi-volée et se retrouver ainsi au filet d’entrée de jeu : mi-
provocant, mi-suicidaire, le SABR a surpris et déstabilisé ses plus fidèles
rivaux (Novak Djokovic enrage encore…).
Tous les univers animés par une forte ambition de performance ont ce
point commun de ne pas seulement compter sur le talent brut mais aussi
sur une impressionnante quantité de travail ajoutant au point fort naturel
des bases techniques d’une solidité à toute épreuve : un socle basique en
granit ! D’où cette recette :
Talent × Technique = Excellence
S’agissant toujours de Roger Federer, on ne sera pas surpris de lire ce
qu’en disait Pierre Paganini, son préparateur physique depuis 20 ans :
« c’est quelqu’un qui a un talent énorme, notamment une coordination
d’athlète qui est phénoménale. Cela ne veut pas dire qu’il a moins besoin
de travailler. Au contraire, comme c’est un point fort, il doit le travailler
plus encore pour faire la différence. »19
Si la consolidation basique doit d’abord s’appliquer aux actions
préférentielles, elle peut dans un second temps aider à l’adaptation
d’autres types d’actions, celles qui, à première vue, m’obligent à
solliciter mes points faibles. Pourront alors émerger ce que j’appelais
plus haut, les actions adaptées.
Comme je l’expliquais dans l’étape d’alignement tactique, un des axes
de travail à suivre, consiste à reprendre une par une les actions
indispensables dans la pratique de l’activité considérée, pour précisément
questionner la manière basique avec laquelle on les met en œuvre. En
dépit de ce que nous avons parfois appris, pour accomplir une action, il
n’existe pas qu’un seul geste efficace : pour croiser les bras, certains
préfèreront passer le gauche au-dessus du droit, d’autres feront
spontanément l’inverse… Il en est de même pour n’importe quelle autre
action, physique ou intellectuelle : il n’y a jamais une seule façon
d’engager un mouvement, de concevoir une idée, de prendre une
décision, d’exprimer une pensée ou, pour reprendre l’exemple déjà
développé précédemment, d’annoncer une décision de changement à une
équipe lorsqu’on occupe des fonctions de manager.
En redescendant explorer l’étage basique, l’enjeu est de trouver à
adapter sa technique à ses préférences, tant que la nature des actions le
permet. Cette exploration n’est pas tant intellectuelle qu’opérationnelle :
expérimenter est bien sûr la meilleure manière de chercher, de dresser des
hypothèses, de les mettre en œuvre pour les infirmer ou les valider, sur la
base des deux critères essentiels que sont l’efficacité et la facilité (suis-je
plus à l’aise dans cette gestuelle ?).
Pour autant, et comme je l’ai déjà souligné, il y a probablement des
actions à propos desquelles ce travail d’adaptation échoue. On retrouve
ici la notion d’actions-limites : leur accomplissement exige la mise en
œuvre de gestes qui sollicitent mes points faibles, sans qu’il n’y ait a
priori de chemin alternatif.
Traditionnellement, l’approche corrective nous engage à chercher une
solution qu’au regard de la pyramide, on pourrait qualifier de
stratégique : corriger nos défauts ou, dit positivement, développer les
qualités que nous n’avons pas, pour être à même de réussir ces actions-
limites. Développer plus d’assertivité, vaincre ta timidité, devenir plus
rigoureux,… en un mot : changer ! Nous savons maintenant que cette
approche est le plus souvent vouée à l’échec, ou qu’elle engage en tous
cas un travail psychologique ambitieux !
Dans cette voie de la consolidation basique, nous proposons d’aborder
ces actions-limites avec moins d’ambition et plus de pragmatisme. C’est
bien le sens du mot basique : il désigne à la fois le côté essentiel, la base,
et pointe à la fois l’aspect simple et peu sophistiqué du geste. Un basique
est facile à comprendre, facile à jouer, il ne demande ni moyens ni
compétences particulières. C’est par la répétition, l’entraînement,
l’ancrage réflexe qu’il acquiert sa valeur. La formule de Jean-Pierre
Raffarin pourrait assez bien résumer la philosophie du travail sur les
basiques : « la route est droite, mais la pente est forte ! »
S’il est illusoire – en tous cas difficile – d’espérer acquérir des qualités
que l’on ne possède pas, il est en revanche possible, moyennant un peu
d’entraînement, de réussir à maîtriser quelques gestes basiques – même si
le talent n’est pas là.
À nouveau, cette recherche peut passer par l’expérimentation,
notamment si l’on a la chance de bénéficier d’une aide extérieure,
du regard d’un expert, d’un coach ou tout simplement d’un pair. Dans la
plupart des cas, notre ennemi, dans la réalisation des actions-limites, est
notre point fort : nous avons naturellement tendance à aborder et jouer
ces actions en utilisant nos qualités naturelles qui, en l’espèce, ne sont
pas les ressources appropriées. Le regard d’un tiers peut nous aider
grandement à en prendre conscience, donc à trouver les quelques réflexes
basiques à adopter pour réorienter son action.
Un manager empathique par exemple, aura sans doute une capacité à
nouer des liens de confiance avec ses collaborateurs. Dans l’approche par
les points forts, il sera bien inspiré d’aligner ses pratiques de
management sur cette qualité. Plus il passera de temps à consolider ces
relations, moins certainement, il se trouvera confronté à ces situations de
tensions ou de conflits qu’il redoute tant.
Néanmoins, en dépit de l’excellente ambiance relationnelle qu’il aura
su créer, il pourra lui arriver de constater parfois des comportements
border line. Certains collaborateurs seront peut-être tentés d’abuser de ce
qu’ils prennent pour de la gentillesse, s’affranchissant des règles établies.
Rien de grave, mais le manager sait bien l’importance qu’il y a de ne
pas laisser ces micro-dérives s’installer ou se répéter. Pour cela, il lui
faudra, de temps en temps, réaliser des entretiens de recadrage. Compte
tenu du profil de ce manager, ce type d’acte de management constitue
une action-limite, à la fois indispensable et à la fois hors du registre
habituel de l’intéressé.
Mettre ce manager en situation, sur un cas fictif, est assez vite
révélateur : instinctivement, il engage l’entretien comme s’il s’agissait
d’un échange anodin. « Comment ça va ? », demande-t-il pour lancer la
discussion face à ce pair qui joue le rôle d’un collaborateur fautif, lequel
en profite pour évoquer des sujets opérationnels bien entendu très
éloignés du sujet-clé. N’osant pas le couper, le manager écoute à moitié,
visiblement inquiet de trouver le bon moment pour oser recadrer. Quand
enfin, il se lance, les mots sortent avec hésitation, de telle sorte que l’effet
d’autorité attendu parait tomber à plat…
Quelques basiques pourraient l’aider, non pas à trouver comme par
magie des qualités d’assertivité et d’affirmation de soi, mais déjà à
bloquer sa qualité naturelle, qui dans ce cas, l’amène à écouter, à porter
de l’attention, à penser à ce que son interlocuteur ressent : écrire mot à
mot, et le plus simplement possible, l’entrée en matière de l’entretien, en
l’occurrence le constat factuel du comportement hors-jeu, l’apprendre par
cœur, bloquer le réflexe de la question ouverte habituelle (« comment ça
va ? »), etc.
Pour nourrir cette expérimentation basique, on pourra bien entendu
aller puiser dans les ressources de référence pouvant exister sur l’activité
en question : les formations, fiches-techniques, manuels, etc. regorgent
de trucs & astuces dont certains peuvent, à l’usage, sur ces actions-
limites, devenir de bons basiques. Pris sous cet angle, il y a même moyen
de faire de ces actions-limites, un terrain de jeu, dans lequel ce qui prime
n’est pas tant la recherche d’efficacité, que le plaisir de tester ou
d’inventer.
Cela me rappelle ce professeur de physique-chimie qui, au lycée,
trouvait toujours, pour chaque nouvelle connaissance à acquérir, une
application très concrète de cette connaissance dans la vie courante. Ce
qui était théorique devenait immédiatement concret et pratique. Et alors
même que nous étions quelques-uns à ne pas avoir d’atomes crochus
avec les matières scientifiques, les cours et les devoirs devenaient un jeu
auquel nous nous prêtions avec plaisir… à défaut de brillamment y
réussir. Puisque nous ne sommes pas doués, essayons au moins de nous
amuser !
C’est tout l’enjeu du travail de consolidation basique qu’il faut
accomplir s’agissant des actions-limites : trouver les gestes les plus
simples possibles (un acte, une technique, une phrase, etc.), jouables
même sans talent – ce que par définition, ici, je ne possède pas – qui, à
défaut de briller, permettent de réaliser l’exigence de base. Les trouver
d’abord, puis les répéter et s’entraîner jusqu’à en faire des automatismes.
Il n’y aura peut-être jamais de génie dans la réalisation de ces actions,
mais il finira par y avoir le socle minimal nécessaire : le basique.
Dans ce socle basique, traduction la plus opérationnelle qu’il soit de
l’activité considérée, nous nous focalisons sur l’ancrage des gestes qui
permettront à chacun de réaliser les différentes actions avec la meilleure
alliance entre efficacité et facilité. La maîtrise de ces Fondamentaux, leur
consolidation réflexe, est essentielle à trois égards :
• Pour assurer fiabilité puis excellence dans la mise en œuvre des actions
préférentielles, là où chaque détail compte, là où l’enrichissement du
geste, aussi minime soit-il, peut apporter un progrès notable.
• Pour améliorer le rendement dans l’accomplissement des actions qui
peuvent être adaptées un peu mieux à ce que je suis.
• Pour permettre d’acquérir le niveau minimal requis dans les actions-
limites.

En synthèse, voici visuellement représentés, les différents éléments


découlant des trois étapes proposées :

Pour résumer très simplement le principe qui sous-tend cette méthode


pyramidale, je reprendrais les mots de Nick Bolletieri. Fondateur de la
célèbre Académie de Tennis éponyme, et « faiseur de champions »
(Andre Agassi, Jim Courier, Monica Seles, Anna Kournikova, Maria
Sharapova, pour ne citer que les plus célèbres). La clé, disait-il, consiste
à « s’efforcer de gagner sur ses points forts et de ne pas perdre sur ses
points faibles. »
Pour cela, retenons qu’il faut penser stratégique sur ses points forts et
se contenter d’être basique sur ses points faibles.

■ Le schéma du rocher sous la mer


Au travers de cette pyramide et des trois étapes de la méthode égyptienne
qui va avec, se forge une dynamique maintenant évidente, reposant sur une
sorte d’effet de levier : chaque effort investi dans le pilier central (aligné
avec mes qualités naturelles) produit des résultats plus grands et plus
durables que ceux engagés sur les côtés du schéma.
Ainsi, en choisissant de privilégier une stratégie résolument centrée sur
ses points forts – et non une stratégie imposée par l’environnement ou
l’activité elle-même – en prenant soin d’aligner ensuite la tactique et de
consolider le basique, on acquiert une aisance, une confiance et un niveau
de performance plus grands dans l’activité en question.
La métaphore du rocher sous la mer – souvent utilisée en psychiatrie
pour décrire des phénomènes bien plus lourds20 – peut assez bien
symboliser cette dynamique.
Dans ce schéma (ci-dessous), le rocher représente les points faibles :
des défauts, perçus comme tels, aussi solides que du granit.
L’existence de ces points faibles rend la navigation dangereuse : dans
mon activité, à plusieurs reprises, je me suis heurté à ces récifs. J’ai
échoué parfois, pour utiliser ce mot à connotation marine (Figure 1).

Schéma des rochers sous la mer – Figure 1

Nombreux d’ailleurs sont les tiers venant appuyer ce que ces


malheureuses expériences avaient révélé : pour progresser et réussir, il va
bien falloir accepter de s’attaquer aux rochers. Il n’y aurait pas d’autre
choix que de chercher à supprimer les points faibles.
Se faisant, ces tiers engagent la première partie du plan : me faire
prendre conscience que ces récifs constituent bien des défauts
rédhibitoires. Efficace ! À force, en effet, les rochers apparaissent,
comme chaque jour un peu plus dévoilés par la baisse du niveau de la
mer. La mer, dans cette métaphore, représente le niveau d’énergie vitale,
de motivation, de confiance en soi. Le fait est qu’à force de m’entendre
décrire de plus en plus précisément mes défauts, de réaliser qu’il me va
falloir réussir à m’atteler à les corriger, je me sens comme sur une plage
bretonne, à marée descendante, un jour de gros coefficient. Je touche le
fond !
La seconde étape du plan annoncé s’avère particulièrement difficile :
doute, angoisse, démotivation ne sont pas les meilleurs atouts pour
s’attaquer aux rochers. Le granit dont ils sont faits imposerait l’usage des
grands moyens : mais, en pleine marée basse, je n’ai que de maigres
réserves de volonté, de courage, et d’abnégation. Je reste alors souvent
échoué au pied du rocher, convaincu qu’il vaudrait sans doute mieux
trouver un autre projet de navigation ! (Figure 2)

Schéma des rochers sous la mer – Figure 2

La dynamique des points forts mise à l’inverse sur la marée haute.


En mettant l’accent sur la détection des talents, sur la concentration
stratégique, l’alignement tactique et la consolidation basique, elle vise à
me placer le plus souvent possible dans des situations préférentielles,
adaptées à ce que je suis, où plaisir, confiance et efficacité se rejoignent.
La plupart du temps donc, je navigue bien au-dessus du niveau auquel
culminent les fonds. (Figure 3)

Schéma des rochers sous la mer – Figure 3


Pour autant, les rochers n’ont pas disparu : ils sont juste masqués par le
niveau de la mer.
Ce que rappelle ce schéma, c’est que la réussite, dans une activité, ou
plus généralement dans tout ce que nous entreprenons, ne se donne pas
aux gens sans défauts : elle s’offre à ceux qui ont réussi à développer
leurs forces.
Les biographies des grands du monde présent ou de l’Histoire sont à ce
propos souvent éclairantes. Rares sont, parmi les artistes, sportifs,
dirigeants politiques, chefs d’entreprise les plus reconnus, les
personnalités sans relief. S’en dégagent généralement d’immenses
qualités – à l’origine de leur œuvre de quelque nature soit elle –
compensant et masquant de gros défauts.
Ainsi Steve Jobs est connu bien entendu comme un inventeur créatif et
un entrepreneur visionnaire. Mais ceux qui l’ont approché l’ont aussi
souvent décrit comme un patron caractériel, capable par exemple dans
ses accès de colère, d’humilier ses équipes en public.

Accompagner dans le bon sens


À plusieurs reprises, j’ai évoqué l’intérêt d’être aidé par un tiers : il est
évidemment difficile de parvenir seul à détecter ses points forts, à trouver
comment les utiliser au mieux, à prendre du recul sur ce que l’on fait et sur
la façon avec laquelle nous le faisons.
C’est le point de vue de ce tiers que je vous propose maintenant
d’adopter.
Quelles que soient notre profession ou notre situation personnelle, nous
sommes en effet tous amenés à jouer ce rôle de tiers, comme manager,
enseignant, entraîneur, coach, collègue ou équipier, parent ou ami. À ce
titre, il nous appartient d’essayer d’aider celui ou celle qui nous accorde sa
confiance, à progresser, à se relever d’un échec, à trouver sa voie ou à
s’épanouir.
Méfions-nous alors de nos habitudes et de nos réflexes, souvent nourris
de culture corrective quand ils ne sont pas purement et simplement la copie
conforme de ce que nous-mêmes avons vécu quand nous étions en posture
d’apprenant !
Voilà pourquoi j’aimerais ici ouvrir quelques pistes pratiques pour
orienter l’accompagnement dans le bon sens : celui du renforcement des
points forts.

Créer des opportunités


La simple discussion pour identifier ses forces est une première étape, nous
l’avons vu. Amener son interlocuteur, par le questionnement, à réfléchir sur
ses préférences, en s’aidant ou non d’un test de personnalité, est une piste
simple et accessible. Mais convenons que celle-ci peut vite tourner en rond
si elle ne mène pas sur le terrain de l’expérimentation.
C’est au travers de l’action que le rôle d’aidant apporte en effet tous
ses bénéfices. Les grands débats sur les qualités disent tout et rien.
On peut discuter longtemps du mot à employer pour désigner telle ou
telle capacité, mais l’essentiel n’est pas là. Le vrai sujet reste ce que j’en
fais : comment la mettre en œuvre dans telle ou telle activité ? Comment
l’exploiter ? Comment l’utiliser dans certaines situations ou au contraire
s’en méfier dans d’autres ?
Se confronter à l’action reste la meilleure manière de trouver des
réponses solides à ces questions.
Voici donc quelques pistes.

■ L’apprentissage différencié
Le principe de cette différenciation21 consiste à créer et proposer, dans le
cadre d’un travail d’apprentissage sur une situation donnée, des exercices,
des plans d’action, des entraînements les plus variés possibles, sollicitant
différentes aptitudes.
Loin de la logique traditionnelle qui, pour réaliser un quoi tend à
n’enseigner qu’un seul comment, il s’agit ici de permettre à l’individu
d’explorer plusieurs manières de faire, en proposant des comment variés.
Au travers de ces expérimentations différentes, l’idée est de s’intéresser
aux résultats, mais surtout aux ressentis de la personne, pour l’aider bien
sûr à cerner plus précisément les aptitudes, les préférences, les qualités
qui sont les siennes.
Ce principe explique pourquoi un bon expert de l’activité en question
n’est pas forcément le meilleur pédagogue. S’il n’a pas en tête cette
logique de diversité, s’il n’est pas conscient qu’il existe plusieurs
comment pour réussir un quoi, il peut s’obstiner parfois à vouloir
enseigner seulement sa façon de faire.
Aider quelqu’un à préparer une prise de parole devant un large
auditoire, quand il n’en a pas l’habitude, peut utilement faire intervenir ce
principe de différenciation.
Plutôt que de chercher à faire entrer cette personne dans le
moule imposé, pourquoi ne pas profiter d’un temps de préparation pour
lui permettre d’expérimenter différentes possibilités : parler avec notes
ou sans notes, sur la base d’une simple trame ou en répétant un discours
écrit et appris mot à mot, avec des supports à l’écran ou sans, derrière un
pupitre ou au milieu de la scène, en tenant un micro ou en s’équipant
d’un micro-casque, etc.
Bien sûr, quoiqu’il arrive, il y aura des basiques à respecter : articuler,
balayer le public du regard, se tenir droit les pieds bien ancrés dans le sol,
etc.
Mais, face à un exercice inhabituel et stressant comme celui-ci, adapter
tout ce qui peut l’être, et expérimenter ces différentes options, aide
l’orateur d’un jour à trouver ce qui lui convient le mieux, quitte à faire
des choix de mise en scène originaux.

■ Le principe d’intention
Depuis de nombreuses années, j’ai la chance de pouvoir passer certains de
mes week-ends en famille au Touquet-Paris-Plage. Chacun de ces séjours
est l’occasion d’un détour par le prestigieux club de tennis de la ville. Sur le
court, j’y retrouve toujours avec plaisir Patrice Kuchna et son père Stan,
lequel à l’approche de ses 80 ans continue d’enseigner le tennis avec
passion ! Au-delà de ses états de service plus qu’honorables – ex-125ème
joueur mondial en simple, un huitième de finale à Roland-Garros en 1987,
après avoir éliminé Andre Agassi au deuxième tour – Patrice est le
professeur de tennis attitré d’Emmanuel Macron qui, lui non plus, ne
manque jamais de passer au tennis-club lors de ses rares moments de repos.
Bref…
Face à Patrice Kuchna, aucun répit. Mieux vaut être « jeune et
vigoureux », comme il le dit ! Droite, gauche, devant, derrière, il faut
enchaîner les coups en rythme, tenir la cadence, défendre, attaquer,
volleyer, smasher…
Il arrive heureusement (pour mon cœur) que The Human Machine –
selon le surnom que lui vaut son autre activité de testeur pour un
fabricant de cordages – s’arrête. Jamais par fatigue, cette notion lui est
étrangère ! Non la machine s’arrête soit faute de balles bien sûr, soit pour
débriefer un coup raté. L’échange prend alors assez rarement la forme
d’un conseil technique, il s’engage plutôt par la question préférée de
Patrice : « quelle était ton intention ? »
Il faut avouer que, dans bien des cas, je n’ai pas la réponse. Parce
qu’effectivement, il s’agit d’un coup joué sans aucune autre intention que
de renvoyer la balle. En visant nulle part, j’ai toutes les chances que cette
balle atterrisse ailleurs !
Au tennis – mais c’est évidemment vrai dans n’importe quel autre
domaine – avoir une intention ne consiste pas seulement à viser un point,
mais à savoir ce que l’on veut provoquer pour son adversaire : lui
imposer un déplacement lointain ou le prendre à contre-pied, le forcer à
courir sur le côté, à avancer ou au contraire à reculer, à jouer un coup
difficile au-dessus de l’épaule ou plutôt une balle basse et rasante, etc.
Évidemment, tout l’enjeu, tactiquement, est d’avoir, selon la situation
de jeu du moment, l’intention la plus juste. Mais au-delà de ces
considérations tactiques, on s’aperçoit que le seul fait d’avoir une
intention est déjà déterminant. C’est cette intention qui oriente la
réalisation du geste, amenant le cerveau à ajuster et coordonner
l’ensemble des paramètres pour produire le coup adéquat.
Cette notion d’intention est une des clés de la méthode Nadal. Toni
Nadal, l’oncle et coach de Rafael, a souvent expliqué l’importance de ne
pas se contenter des classiques exercices de répétition au panier. Taper
des centaines de balles qui arrivent au même endroit, à la même vitesse,
avec le même effet, sans avoir d’autre objectif que de bien réaliser le
mouvement, peut permettre certes d’ancrer une gestuelle dans le cerveau.
Mais dans la réalité du jeu, rares seront les balles correspondant
exactement à celles proposées dans l’exercice. Et risqué serait de les
renvoyer sans intention tactique : il faudrait alors compter sur la capacité
du cerveau à trouver les solutions d’adaptation nécessaires, en plein
match, sans qu’il ait été entraîné à ça !
Toni Nadal l’assure : si l’une des forces de Rafael est de ne jamais
renoncer à chercher des solutions par lui-même, c’est qu’il a été depuis
toujours entraîné selon ce principe d’intention. À l’entraînement, les
consignes étaient de nature intentionnelle : des balles arrivant
indifféremment, sur le revers ou le coup droit, longues ou courtes, liftées
ou chopées, que Rafa devait envoyer selon l’intention indiquée.
Au joueur, selon ses aptitudes, de laisser son cerveau construire les
ajustements gestuels pour réussir les coups en question.
Vu différemment, cela revient à dire : ce n’est pas moi, coach, qui peut
te dire quel geste tu dois faire. C’est à toi, joueur, de le trouver, à partir
des intentions que tu as ou de celles que je te donne.
Ce principe d’intention complète celui de différenciation de
l’apprentissage. Si ce dernier permet de guider l’apprenant dès la
découverte de l’activité, la logique d’intention prend tout son sens à
partir d’un niveau de maîtrise minimum des bases techniques.
À nouveau, au travers de ce principe, on retrouve les niveaux de la
pyramide. En fonction de mes points forts (niveau stratégique), quelles
sont les intentions les plus appropriées (niveau tactique), et comment
trouver la bonne gestuelle/technique pour servir efficacement et
facilement chacune de ces intentions (niveau basique) ?
Si l’on reprend l’exercice de prise de parole en public, dans l’objectif
d’aider un orateur un peu plus expérimenté, il serait par intéressant de
travailler selon cette approche par intentions.
Que veut-il générer comme réaction chez ceux qui l’écoutent ? Les
faire rire, les surprendre, les faire réfléchir, bousculer leurs croyances ?
Et s’il voulait les surprendre, comment s’y prendrait-il concrètement ?
Charge à nous ensuite de tester et d’ajuster pour s’assurer que ce
comment fonctionne et, le cas échéant, trouver une meilleure intention.

■ L’approche par double objectif


Dans l’accompagnement orienté points forts, notamment lorsqu’il nous
semble avoir commencé à bien cerner les préférences de la personne à aider,
il peut s’avérer pertinent de proposer à celle-ci deux objectifs dans la
réalisation d’une même action.
Le premier objectif est connecté à l’intention : produire le résultat
attendu. Il oriente vers l’efficacité, et à ce titre, demeure incontournable.
Mais, dans certains cas, la volonté d’atteindre cet objectif peut créer une
pression qui tend à détourner l’individu de ses fonctionnements
préférentiels.
L’approche Action Types déjà citée à plusieurs reprises permet
d’expérimenter ce phénomène de façon très éclairante. Les différents
exercices qui constituent le protocole d’exploration de nos
fonctionnements moteurs et cérébraux, nous font en effet facilement
ressentir nos préférences. Compte tenu de celles-ci, nous réussissons avec
une grande aisance ce que d’autres, au même moment, juste à côté,
peinent à réaliser.
Mais il suffit de créer un peu de stress pour que nous nous décalions de
ces fonctionnements spontanés. Comme si la machine s’était déréglée,
nous nous retrouvons désormais en difficulté sur l’exercice qui, il y a
quelques minutes encore, nous paraissait si simple !
Voilà pourquoi, sous pression, il peut arriver – même aux meilleurs –
de ne plus sembler aussi impressionnants de facilité et d’efficacité :
le coup de pied arrêté du footballeur qui parait moins naturel,
le mouvement de service du tennisman moins rythmé, le discours du
conférencier aguerri devenu soudain moins fluide, etc.
L’approche par double objectif consiste à compléter le premier but
évident et centré sur le quoi (objectif final), par un second objectif qui
oriente le comment (objectif instrumental). Cet objectif de moyen impose
en quelque sorte le plan : l’utilisation de tel ou tel outil, la mise en œuvre
de telle ou telle pratique, etc. Il répond à un enjeu d’expérimentation,
pour mieux cerner un point fort ou pour ancrer son usage.
Ce pourrait être un formateur, par exemple, qui à l’occasion d’une
session de formation, sur une séquence particulière, s’obligerait à mettre
en œuvre des modalités pédagogiques différentes de celles qu’il utilise
habituellement.
Il pourrait aussi s’agir d’un commercial qui, pour progresser dans ses
pratiques, s’entraîne à laisser parler son client, à l’écouter 15 minutes
montre en main, en utilisant uniquement des relances mais sans poser de
questions.
Ce second objectif a une autre vertu que celle seulement de
l’expérimentation. Par la concentration à laquelle il oblige, le but
instrumental tend à diminuer la pression finale du 1er objectif : le souci de
bien faire – jouer le plan prévu – prend le pas sur la peur de ne pas réussir
– atteindre le résultat final. Aussi ce principe de double objectif peut-il
servir lorsqu’on se trouve confronté à un enjeu potentiellement stressant :
face à un défi, définir un objectif instrumental (évidemment dans ce cas
très aligné avec ses qualités) est une consigne bien plus utile que
d’accroître la pression sur l’objectif final ou à l’inverse de tenter de
relativiser l’enjeu.
Ces quelques principes, d’apprentissage différencié, d’intention ou
encore de double objectif, visent à nourrir les briefings que nous
pourrions partager avec l’individu que nous souhaitons accompagner.
Pour l’aider à mieux cerner ses points forts, à en mesurer également
l’efficience puis à ancrer leur mise en œuvre, il est également important
de porter le bon regard et de distiller les bons messages au fil de
l’expérimentation et de l’apprentissage. Car, là encore, nos habitudes
peuvent nous amener à jouer à contre-sens…

Apprendre à (bien) valoriser


Ce premier acte d’accompagnement dans l’action n’est pas notre réflexe le
plus spontané. Dans notre culture plutôt cartésienne, le tiers aidant se
distingue par la justesse de son analyse : il est celui qui sait, ce qui lui
confère toute la légitimité pour pointer ce qui doit être amélioré.
Loin de moi l’idée de jeter aux oubliettes cette aptitude : elle garde
évidemment tout son intérêt lorsqu’elle intervient au bon moment avec la
bonne intention. J’y reviendrai un peu plus loin.
La capacité à valoriser s’inscrit dans une logique mêlant plusieurs
mécanismes :
• Un mécanisme de reconnaissance d’abord, qu’à gros traits on pourrait
résumer de la façon suivante : la motivation d’un individu dans une
activité dépend du niveau de reconnaissance (attention, intérêt, etc.)
que les autres lui accordent quand il pratique ladite activité. Plus celle-
ci me donne le sentiment de prendre un peu plus de valeur dans le
regard des autres (et tout particulièrement de ce tiers en qui j’ai
confiance), plus j’ai envie de m’y investir.

Les enfants sont une illustration souvent criante de ce mécanisme. On


croit parfois, en jouant avec eux à tel ou tel jeu que celui-ci les intéresse.
Appelés par nos activités d’adulte, nous pensons alors pouvoir les laisser
jouer seuls. Peine perdue ! Il ne faut que quelques minutes au plus pour
les entendre réclamer notre présence à nouveau. Car au fond, pour
l’enfant, aucun jeu n’est intéressant en soi à moins que tous les jeux ne le
soient… ce qui compte, c’est l’attention que nous leur accordons ou pas à
l’occasion de ce jeu.
• Un mécanisme de confiance en soi22, par lequel on comprend que
chaque message que l’individu perçoit comme positif (le simple regard
qui ne juge pas, l’attention à ce qu’il fait, raconte ou ressent, mais
aussi les paroles d’encouragement ou de félicitation) vient alimenter le
sentiment d’être capable de réussir. À l’inverse, on peut se souvenir
que d’autre messages (en dépit de la louable intention de l’émetteur)
renforcent le doute et abîment la confiance : pointer une erreur,
souligner un manque, mettre en lumière un point faible, tous ces
messages que contiennent nos analyses cartésiennes, certes justes,
mais potentiellement démotivantes.
• Il est à noter l’importance du timing dans lequel interviennent ces
messages : « à chaud », c’est-à-dire dans l’action ou juste après
l’action, notre sensibilité aux regards extérieurs est particulièrement
marquée. La moindre critique est facilement ressentie comme un
reproche tandis qu’un simple encouragement nourrit grandement la
confiance en soi.
• Un mécanisme d’ancrage émotionnel : la leçon apprise dans le plaisir,
via une expérience regardée, encouragée et applaudie, s’enracine plus
sûrement que les enseignements associés à des émotions négatives. On
peut évidemment très bien apprendre de nos échecs, mais cela
n’empêche pas de constater que nous pouvons aussi beaucoup
apprendre de nos succès. Il est d’ailleurs à l’évidence plus facile pour
notre cerveau ou notre corps de reproduire ce qu’on vient de faire que
d’éviter de reproduire une erreur. Si je vous dis : « Ne pensez pas à un
éléphant rose ! », à quoi pensez-vous ?
• Un mécanisme d’induction enfin, sorte d’effet Pygmalion23 : le simple
fait de poser un regard positif sur la personne accompagnée, de mettre
par exemple en lumière une qualité ou une réussite – quand bien même
celle-là ou celle-ci n’ont pour l’instant rien de remarquables – tend à
créer une spirale positive qui permettra peut-être de constater demain
que cette qualité ou cette réussite sont devenues exceptionnelles.

Sans nous en rendre compte, nous faisons jouer ces mécanismes dans
l’éducation de nos enfants. Lorsqu’ils se lancent dans de premières
activités, qu’il s’agisse de dessiner ou de jouer au ballon, nous sentons
naturellement le besoin de les encourager. Et nous savons, dans ces
moments-là, bloquer nos réflexes cartésiens d’analyse de leur prestation
qui nous conduirait à des jugements justes sans doute, mais durs :
– « Ce gribouillis, tu appelles ça un dessin ? »
– « Même au PSG, ils ne voudront pas de toi si tu joues comme ça. Le
seul point commun que tu as avec Messi, c’est le tee-shirt ! »
Sauf pathologie grave, nous optons pour une valorisation, disons
même une survalorisation du prime essai. Ces pieux mensonges ont
d’ailleurs pour effet d’amener nos enfants à croire, pendant quelques
années peut-être, qu’ils ont un talent pour le dessin ou pour le foot…
avant que nous ne jugions qu’ils ont atteint l’âge de raison.
Dans ces quelques années, certains de ces enfants, motivés par
l’activité en question et par la croyance qu’ils y ont un talent particulier,
réussissent à en cultiver un. On pourra bien sûr dire que ce talent est un
don qui ne demandait qu’à se révéler. On peut aussi penser qu’en réalité,
l’enfant n’avait pas de plus grand potentiel que ses petits camarades,
mais juste une plus grande croyance en ses aptitudes !
Concrètement, mettre en œuvre ce principe de valorisation, c’est
acquérir quelques réflexes (puisque valoriser n’est pas notre point fort,
soyons basiques !) :
1. Aller vers l’autre « à chaud », le plus souvent possible
Nous attendons parfois, la porte ouverte, comme disent certains livres
de management, que l’autre ait besoin de nous – ce qui en dit long sur la
persistance de la posture d’expert sachant.
Puisqu’on parle ici de reconnaissance, il s’agit plutôt d’aller vers, pour
témoigner de l’intérêt qu’on porte à la personne.
Cette démarche est d’autant plus essentielle quand celle-ci devait
affronter une situation à fort enjeu ou simplement réaliser une action-
limite, pour reprendre ce terme. De façon générale, parce que la
valorisation est un acte très opérationnel, elle doit d’être un réflexe du
quotidien : un entretien annuel ne vaut pas valorisation.
Précisons enfin qu’il ne s’agit pas d’attendre le succès du siècle pour
valoriser ! S’il y a succès tant mieux : ce serait bien dommage de ne pas
en profiter. Mais sans doute est-il encore plus essentiel de valoriser dans
les périodes difficiles, quand au contraire les efforts ne produisent pas les
résultats attendus. C’est dans ces heures sombres qu’il est bon d’éclairer
un peu l’individu d’un regard bienveillant et confiant !
2. S’intéresser (en vrai)
Quand le regard de l’analyste cartésien juge (ce qui a marché, ce qui a
manqué, etc.), celui du tiers qui valorise se contente d’abord de
s’intéresser à l’interlocuteur et à la façon avec laquelle ce dernier a vécu
son expérience.
Il s’agit avant tout de regarder, faire raconter, écouter, laisser l’autre
parler bien sûr, sur son ressenti, sur ses difficultés ou ses fiertés, sur ce
qu’il a fait, sur les erreurs qu’il pense avoir commises s’il décide d’en
parler.
Ce qui compte, ce n’est pas ce que je vois de mon habituel
promontoire d’expert sachant, c’est d’accepter d’aller m’asseoir sur la
chaise à côté de l’autre, pour qu’il me décrive son paysage, de son point
de vue. Comment comprendre ce que sont réellement ses aptitudes, ses
préférences, ses points forts si je reste dans mon monde ?
3. Soutenir
Ce soutien peut revêtir deux formes complémentaires.
Des messages d’empathie d’abord, au sujet des difficultés rencontrées.
Ce n’est pas parce que l’acte de valorisation a une tonalité positive, qu’il
faut tout « positiver ». Mieux vaut se « synchroniser » avec son
interlocuteur, partager sa déception par exemple, comprendre sa colère,
ou s’inquiéter de sa fatigue, que de nier les ressentis négatifs quand ceux-
ci s’expriment. Une fois de plus, si je m’assois à côté de lui, je peux sans
doute parvenir à comprendre et partager son point de vue et donc ses
sentiments.
Des messages de félicitations ensuite, sur les points positifs.
Ces félicitations peuvent porter sur les résultats atteints, s’il y en a, mais
visent en premier lieu à mettre en lumière la manière. Car si les résultats
sont visibles, la façon d’y arriver peut l’être moins clairement. À propos
du comment, l’idée est d’éclairer non pas tant les qualités elles-mêmes
(ce qui amènerait à glisser de la félicitation au compliment), mais d’être
en mesure d’expliquer quels actes ont produit quels effets. Dire à un
joueur de tennis qu’il a un bon coup droit est une valorisation plaisante
certes, mais assez inutile – il le voit bien tout seul ! En revanche, savoir
lui expliquer pourquoi ce coup droit passe bien, c’est précieux.
Se contenter de dire à quelqu’un : « bravo, tu es très doué, tu es un bon
vendeur, tu as un bon relationnel, etc. » peut certainement faire du bien à
son ego. Mais, s’agissant de l’aide qu’on cherche à lui apporter sur ses
points forts, ces compliments n’ont pas qu’un intérêt limité. Plus
pertinentes sont les félicitations précises et ciblées, qui décrivent
comment, dans l’action en question, les qualités de la personne se sont
traduites : « C’est intéressant de constater qu’en posant des questions
ouvertes, les gens te parlent facilement. Tout le monde ne le fait pas. Or
c’est une très bonne pratique quand on veut s’appuyer sur son
relationnel comme tu le fais ». Aider mon interlocuteur à comprendre
comment marche son modèle de performance est le but essentiel.
4. Stop…
À ce stade, le risque est de se laisser aller au message de trop, celui qui
d’un seul coup d’un seul nous ramènerait sur la planète cartésienne et
corrective. Ce petit « tant qu’on y est… » prononcé du bout des lèvres
qui introduit une exigence de progrès, une remarque, un conseil, une
critique, indéniablement judicieuse sur le fond, mais qui n’aurait ici pour
effet que de démotiver ou braquer mon interlocuteur.
C’est le sens de ce stop ! Je devine déjà les réactions outrées : « il faut
bien quand même qu’on lui fasse remarquer ses erreurs ? » ou « et alors,
donc, je le laisse repartir sans lui faire prendre conscience de son point
faible ? »
Je persiste : à ce stade, si celui ou celle que j’accompagne a pu
comprendre un peu mieux comment il réussit, l’entretien a atteint son
objectif.
En guise d’étape 4 donc, conclure par « bravo », « bonne soirée »,
« repose-toi » suffiront amplement.
S’il le faut, nous prendrons plus tard, « à froid », un moment pour
retravailler plus en détail sur ce qui fonctionne et ce qu’il faut améliorer.
Je vais y venir.
Savoir valoriser « à chaud » puis savoir analyser « à froid » pourrait
constituer un bon résumé de la juste articulation entre l’indispensable
encouragement positif qui nourrit la confiance, l’envie et ancre les
bonnes pratiques et le traditionnel regard rationnel qui développe la
compréhension, l’intelligence et la conscience.

Apporter la bonne analyse


Parce que davantage établi dans notre culture, l’analyse nous parait plus
naturelle. Le registre plus rationnel nous rend l’exercice un peu plus
familier sans doute. Il y a pourtant quelques points-clés à se remettre en
tête, sur le fond ou sur la forme.

■ Le bon moment
Du fait de son caractère cartésien, précis, rigoureux, exhaustif, l’entretien
de débriefing, pour utiliser l’anglicisme consacré, suppose que les acteurs
concernés, le principal intéressé et son accompagnant, soient dans les
meilleures dispositions possibles : ouverts à un échange rationnel et
dépassionné, sans perturbation émotionnelle, ayant pu prendre du recul sur
les faits et avoir peut-être même chacun initié leur propre analyse de la
situation…
C’est la raison pour laquelle, le débriefing se joue plutôt « à froid », le
lendemain par exemple de l’entretien de valorisation réalisé lui
« à chaud » juste après l’action.
C’est pourquoi aussi il est toujours préférable que ces temps de
débriefing soient annoncés à l’avance et planifiés. Même si certaines
situations critiques peuvent obliger à déclencher un débriefing de la
veille pour le lendemain, l’idéal reste de convenir d’entretiens
séquentiels. L’avantage de ces rendez-vous, fixés à l’avance selon une
fréquence adaptée au sujet, est de systématiser la prise de recul et de bien
montrer qu’elle ne dépend pas des résultats de l’action mais bien d’un
souci de progrès permanent. Le risque sinon est de tomber dans nos
travers correctifs habituels : ne débriefer que les échecs ou les situations
difficiles… et oublier d’analyser les succès. Nous aurions alors plus de
mal à rester orientés dans l’axe points forts et finirions sans doute par ne
plus voir que les défauts de la personne. Du point de vue du principal
intéressé, on comprend aussi qu’un débriefing imprévu, qui plus est « à
chaud », aura toutes les chances d’être vécu comme un reproche : on sait
dans ce cas que les premiers réflexes de la personne exposée à un tel
débriefing, quand bien même le contenu de l’analyse est juste, sont ceux
de la justification, de la défense, de l’excuse bien plus que ceux
recherchés de l’analyse ou de la remise en question. Lorsque le
débriefing est prévu, qu’il revêt un caractère systématique – sans lien
avec le résultat de l’action – et qu’il se tient « à froid », il encourage une
posture de responsabilité : possibilité de se préparer, de prendre du recul,
de dépasser les premières émotions (négatives sans doute en cas d’échec,
ou positives et excessives peut-être en cas de succès : euphorie…), etc.

■ L’art du questionnement
Bien des débriefings se résument à une analyse (plus ou moins) brillante du
coach qui, de son œil extérieur et forcément bien avisé, explique ce qu’il
s’est passé, ce qui a été bien fait, ce qui pourrait l’être différemment ou ce
qui pourrait être amélioré.
Mais ce n’est pas d’avoir raison tout seul qui importe dans cet
exercice. C’est d’amener son interlocuteur à se rendre compte par lui-
même, de ce qui l’a fait échouer ou au contraire réussir.
Ce qui prime, en posture de débriefing, c’est la pertinence des
questions posées. S’il est intéressant d’avoir une analyse juste de la
situation, ce n’est pas tant pour la délivrer telle quelle, dans une attitude
de sachant qui éblouit de son intelligence (et de sa supériorité !), que
pour identifier les bonnes questions à poser à son interlocuteur. Ces
questions peuvent être des questions d’analyse – ce qui suppose déjà une
capacité de recul suffisante de l’individu – mais il peut aussi s’agir plus
basiquement de questions descriptives, visant à lui faire décrire tel ou tel
aspect de la situation vécue :
• Qu’a-t-il ressenti à tel moment ?
• Que s’est-il dit dans l’instant où ?
• Qu’est-ce qui l’a poussé à faire ceci ou cela ?
• Quelles réactions cela a-t-il généré de la part des protagonistes ?
• Comment a-t-il interprété ces réactions ?
• Etc.

Qui raconte se rend compte ! Le simple fait de se poser ces questions,


de revivre en quelque sorte l’action, amène peu à peu à une analyse plus
juste que la volonté d’obtenir d’entrée de jeu un décryptage très
sophistiqué de ce qu’il s’est passé.
Notons également que ces débriefings par questionnement ont
l’avantage de pouvoir être pratiqués même quand on n’a pas été en
mesure de voir l’action en question – ce qui est un cas très fréquent.
Enfin, l’art du questionnement rend l’exercice du débriefing accessible
à toute personne quel que soit son niveau de compétence dans l’activité
concernée. Peut-être même que le fait de ne pas être expert dans le métier
est gage d’une bonne posture en débriefing.

■ L’acceptation de la différence
Si l’expertise n’est pas toujours bonne conseillère en matière
d’accompagnement dans la logique des points forts, c’est parce qu’elle peut
conduire à croire qu’il n’existe qu’une seule façon de réussir : celle qui m’a
fait devenir expert !
Le risque est alors de concevoir le débriefing comme l’analyse des
écarts entre ce que l’individu a fait et la méthode que je tiens comme LA
seule possible.
Une fois de plus, dans ce type de posture, les situations d’échec feront
immanquablement apparaître des points faibles vite qualifiés de
rédhibitoires.
C’est ce qu’il peut arriver, à l’école, à ces enfants dits précoces,
appelés Enfants à Haut Potentiel (EHP) dans les référentiels de
l’Éducation Nationale.
Du fait de leurs facilités à apprendre et mémoriser, certains s’ennuient
rapidement : semblant « décrocher » du reste de leurs camarades, ils
chahutent ou se réfugient dans leurs pensées. Pour les enseignants, ces
comportements peuvent parfois apparaître comme un déficit de
l’attention avec hyperactivité, pour un manque d’éducation, pour de la
nonchalance ou encore de l’insolence.
Pour d’autres de ces élèves, la précocité peut expliquer une
hétérogénéité dans les apprentissages. À côté de leurs aptitudes naturelles
supérieures à la moyenne dans certains domaines (langage, abstraction,
raisonnement), ils peuvent se trouver en échec dans d’autres disciplines
comme l’écriture : celle-ci est illisible, irrégulière et il arrive que ces
élèves aient beaucoup de mal à investir l’écrit, un peu comme si le stylo
n’arrivait pas à suivre le rythme de leur pensée ! Là encore, ces enfants,
en dépit de leurs prédispositions, peuvent être vus comme des élèves en
difficulté.
L’Éducation Nationale connait évidemment parfaitement bien le sujet
et a mis en place différentes expériences et actions pour aider les
enseignants – et plus largement toutes les parties prenantes – à mieux
prendre en charge ces élèves, à l’instar de ce Vademecum « Scolariser un
élève à haut potentiel »24 qui rappelle l’enjeu :
« Les caractéristiques des enfants et adolescents à haut potentiel
montrent une grande diversité de profils. Ainsi, un élève pourra
notamment avoir un haut potentiel intellectuel ou créatif. Les besoins
spécifiques des élèves à haut potentiel et leurs différences doivent être
pris en considération pour qu’ils s’épanouissent et développent
pleinement leurs potentialités. »
Réaliser de bons débriefings suppose d’intégrer la notion de diversité
des talents : chacun réussit par une voie qui lui est propre. L’objectif de
l’accompagnement, et en l’occurrence du débriefing, est donc bien
d’aider l’individu à trouver cette voie, celle qui assure le meilleur
alignement entre ce qu’il est et ce qu’il fait.
Là encore, procéder par questionnement plutôt que livrer sa propre
analyse de la situation, est le plus sûr moyen d’incarner cette croyance
dans la différence. Il ne s’agit pas de réussir à confirmer sa vérité, mais
plutôt d’aider l’autre à découvrir la sienne.

■ Débriefer les succès


Le débriefing, nous l’avons dit, revêt un caractère systématique. Dans
l’approche visant à développer les points forts, il est en effet essentiel de
s’appuyer sur les réussites : nous savons qu’à ne débriefer que les échecs,
nous pourrions nous laisser leurrer par la trop évidente explication des
points faibles.
Débriefer les succès, c’est décortiquer la façon avec laquelle l’individu
a réussi, pour mettre en lumière, les différents aspects de la pyramide :
basique, tactique et stratégique. Certes, un échec peut, par effet miroir,
révéler à mon interlocuteur son « modèle de performance », mais la
situation de succès le met en lumière de façon bien plus évidente : elle
apporte une preuve expérimentale déterminante dans l’objectif d’ancrage
recherché.
En outre, parce qu’elle est associée à des émotions positives, l’analyse
des réussites assure un apprentissage plus durable. Les progrès réalisés
ces dernières années par les neurosciences ont conforté les constatations
empiriques réalisées à ce sujet, comme l’explique notamment le très
brillant Idriss Aberkane dans ses conférences ou ouvrages.25
Enfin, s’habituer à débriefer les actions réussies est la meilleure façon
d’éviter l’effet de confusion que peut générer le succès, entre ce que je
suis et ce que j’ai réussir à faire. En s’obligeant à débriefer les réussites
en détail et rigoureusement, et non seulement à les valoriser d’un simple
bravo, on aide à dissocier l’être des actes : « je n’ai pas réussi parce que
j’étais doué, génial, talentueux, etc… ; j’ai réussi parce que j’ai fait ceci
ou cela ».
Au-delà de la valeur morale de l’humilité, cela prépare l’individu aux
situations qui se présenteront. Face à un enjeu, il se préparera
soigneusement au lieu de compter sur son génie. Dans l’action, il se
concentrera pour faire le mieux possible ce qu’il sait important de faire,
plutôt que d’attendre le talent, l’inspiration ou les sensations. En cas
d’échec, il ne cherchera pas des excuses externes ou des justifications
foireuses : il assumera de ne pas avoir été capable de faire suffisamment
bien ce qu’il devait faire, sans pour autant se sentir accablé de ce doute
qui semble dire « et si, finalement, je n’avais en réalité aucun talent ? ».
Du débriefing des succès – qui bien entendu ne dispense pas de celui
des échecs dont je parlerai juste après – émergent deux vertus majeures :
• Confirmer par l’analyse rationnelle, le ressenti expérientiel du
« modèle de performance » : éprouver et comprendre comment on
réussit permet d’ancrer les automatismes et les préférences tactiques.
• Contribuer à forger un rapport sain au succès, à l’enjeu, au travail et
aux échecs, dans lequel l’individu place sa juste responsabilité : celle
de faire, d’agir ou de réagir.

Ce n’est sans doute par pour rien que ce principe de débriefing


systématique est appliqué avec soin dans les univers faisant de la
recherche de la performance une priorité : l’armée et ses fameux RETEX
(RETours sur EXpérience), ou encore le sport et ses analyses de matches
systématiques.
Rafael Nadal (toujours lui !) illustre parfaitement bien ces attitudes
d’humilité et de combativité, de souci constant du progrès et de confiance
en soi. Plus que tout autre, il est animé de cette responsabilité bien
posée : ne jamais se croire génial quand on gagne, ne jamais se croire
minable quand on perd, ne jamais chercher d’excuses, toujours chercher
des solutions.
Toni Nadal, l’oncle et coach de Rafael jusqu’à ces dernières années,
livre une anecdote qui illustre cet état d’esprit qu’il a su inculquer au
champion. Rafa a alors une quinzaine d’années. Il dispute un tournoi
quelque part en Espagne, opposé aux meilleurs joueurs de sa génération.
Parti regarder les rivaux de son neveu sur d’autres courts, Toni n’assiste
pas au début de match difficile de son protégé, contre un adversaire
pourtant à sa portée. C’est un de ses amis, croisé par hasard, qui l’alerte :
« tu devrais peut-être aller soutenir Rafael, il a l’air d’être en
difficulté ! ».
5 à 0 dans le premier set : arrivant au bord du court, Toni découvre en
effet que son neveu est largement dominé. Au-delà du score, il constate,
dans le jeu de Rafa, un nombre anormal de fautes directes. Le son des
frappes du jeune champion permet rapidement au coach d’identifier la
probable cause de cette contre-performance : le cadre de sa raquette
semble fendu, ce qui expliquerait à la fois le son anormal de chaque coup
et surtout la difficulté à tenir les balles dans les limites du terrain. Toni
fait immédiatement passer le message à son neveu, qui attrape une autre
raquette dans son sac. Malgré ce changement, Rafa perdra son match 6-0
/ 7-5.
« Mais comment un bon joueur comme toi, aussi expérimenté, a-t-il pu
jouer plus d’un set sans te rendre compte que ta raquette était cassée ? »,
lui demanda son coach à la sortie du court.
« Tu m’as tellement souvent dit que les choses dépendaient de moi que
je n’ai pas imaginé un seul instant que la raquette pouvait me faire
perdre ! », rétorqua Rafa.
Comme le dit l’expression anglaise : Losers complain, Champions
train !

■ Débriefer les échecs


Si le débriefing des succès est un point d’appui essentiel, celui des échecs
exige également un peu de méthode.
D’abord, pour des raisons psychologiques ou motivationnelles : nous
l’avons tous vécu un jour ou l’autre, l’épreuve de l’échec peut être
facteur de doute, de démotivation ou de découragement. L’attitude du
tiers dans ces moments-là, son regard et ses mots, ont alors une
importance considérable. Même si le fait d’intervenir « à froid » – après
l’étape de valorisation « à chaud » – atténue un peu l’effet de sensibilité,
celle-ci peut demeurer plus grande qu’on ne le pense.
Disposer d’une méthode claire pour débriefer les échecs est essentiel
également pour aider l’individu à tirer de sa mésaventure, les bons
enseignements, sans risquer de dériver dans la logique corrective. À la
base de cette vision du débriefing, il faut revenir à une notion déjà
abordée lors dans la partie consacrée à la persistance du réflexe des
points faibles (voir ici) : on n’échoue pas tant parce qu’on est faible sur
ses points faibles, on échoue souvent quand on n’est pas assez fort sur ses
points forts.
Je me souviens ainsi d’un dirigeant croisé lors d’une mission
d’accompagnement menée au sein d’une agence conseil en
communication. Cette agence avait connu des années de gloire avant
d’accumuler les revers.
Ce jour-là, confronté à un bilan comptable inquiétant, le patron, que
nous appellerons Paul, avait réuni son équipe rapprochée. En fait de
débriefing, la réunion virait à un règlement de comptes dont le dirigeant
faisait largement les frais. Manque d’intérêt pour la gestion, manque de
rigueur dans le pilotage des coûts notamment, manque d’anticipation,
manque d’organisation, etc. : l’homme avait tous les défauts et ces
insuffisances paraissaient expliquer à elles seules tous les déboires de
l’entreprise.
Un des participants, vieux compagnon de route du patron de l’agence,
ajoutait même, pour enfoncer le clou, que de toute façon : « Tous ces
constats ne sont pas nouveaux : en fait, Paul, tu n’as jamais été capable
de gérer cette boite comme il aurait fallu le faire ! »
En voyant cette dernière carte posée sur le château en réalité fragile de
ce débriefing en reproches, plusieurs questions me viennent pour
alimenter, ou plutôt réorienter les échanges.
« Si, en effet, ces défauts tant reprochés ont toujours existé, comment
expliquer les bons résultats que l’entreprise a connus il y a quelques
années alors qu’elle était déjà dirigée par Paul ? »
« Parce qu’à l’époque, osa un des participants, c’était différent : nous
gagnions beaucoup de compétitions et donc nous avions un tel volant
d’activité que la gestion n’était pas un problème ! D’ailleurs, Paul s’en
occupait sans doute encore moins qu’aujourd’hui ! »
« C’est vrai, coupa Paul… Tout vient du fait qu’avec notre succès
d’alors l’entreprise a grandi et mon rôle a changé. Vous le savez bien, je
me suis dégagé de l’opérationnel mais comme cela a été dit, je n’ai pas
été capable d’assumer ce rôle de patron : je suis bien conscient qu’il me
faut combler toutes ces lacunes… mais je crains malheureusement qu’il
ne soit trop tard. »
Silence de mort…
« Pardon, mais pour bien comprendre, j’ai encore quelques questions :
tu dis, Paul, que ton rôle a changé du fait de cette phase de croissance…
C’était quoi ton rôle avant ? », demandai-je au principal intéressé.
« J’étais à fond dans l’opérationnel, j’avais le feu sacré à l’époque :
je courais de prospects en clients, de campagnes en appel d’offres.
Les équipes étaient très courtes dans ces temps-là, j’étais souvent
directement impliqué, à apporter mes idées, ma créativité, mon énergie
aussi. »
« Dois-je comprendre, Paul, que tu ne fais plus tout ça ? »
« Non en effet, quasiment plus, je n’ai plus le temps… »
Nul besoin de poursuivre les échanges. La situation s’éclaire, et la
spirale infernale des points faibles apparait à nouveau, implacable. Paul
est passionné par son métier d’origine : en bon pubard, tendance créative,
il n’aime rien d’autre que s’imprégner de l’univers des annonceurs,
inventer des slogans percutants ou des concepts marquants. À lui seul,
sur son point fort, entouré des bonnes personnes, il a d’abord « tiré »
l’agence et en a fait la réputation. Puis, lentement, il s’est décalé, obligé
de partager son temps avec d’autres activités moins motivantes pour lui.
Évidemment, les tentatives d’intégration de créatifs talentueux n’ont pas
fonctionné : même s’il n’était plus tout à fait concentré sur le sujet en
question, et en dépit de sa volonté de renforcer l’agence sur cet aspect, il
n’a jamais été prêt en réalité à lâcher complètement cette dimension.
C’est son point fort : il sait mieux que quiconque… mais en pratique, n’a
plus le temps de s’occuper de chaque compte comme il le faisait avant.
D’ailleurs, l’effet ne tarde pas : quelques gros clients perdus, des
compètes manquées. Les signaux pourraient inquiéter mais chacun a
toujours une bonne explication. Et surtout, à côté de ces signaux, d’autres
voyants clignotent et attirent l’œil d’autant plus qu’ils correspondent à
des faiblesses déjà repérées : la gestion ne suit pas, les décisions prises en
la matière ne sont pas les bonnes, la rentabilité baisse, et surtout Paul
parait être en butée sur ces problèmes.
Très rapidement, ceux-ci prennent le pas sur le reste, mettant Paul au
pied de l’immense écueil de ses points faibles, auquel il aurait dû
s’attaquer depuis longtemps. CQFD.
Débriefer en situation d’échec ou de difficulté est un exercice toujours
délicat tant nous pouvons rester pris dans nos habituels raisonnements
« défectologiques », consistant à faire de la suppression des défauts
apparents, le seul axe de solution.
On retrouve parfois ce biais dans les études de satisfaction client, dont
l’interprétation peut conduire au contre-sens. En réponse
à la question « que devrions-nous améliorer au produit/au service que
nous vous proposons ? », les consommateurs dressent généralement une
liste de ce qu’ils considèrent comme des points faibles.
Jacques Horowitz, le regretté fondateur de Chateauform’ – entreprise
qui propose des lieux exclusivement dédiés à l’organisation de
séminaires ou événements d’entreprise – expliquait, il y a maintenant
plusieurs années, l’aspect potentiellement trompeur de ces enquêtes. Très
soucieux de répondre aux attentes des entreprises et des participants, les
hôtes des différents lieux de séminaire recueillaient les feedbacks de leurs
invités après chaque réunion, au travers de leur « billet doux ou acidulé »,
sorte de questionnaire de satisfaction.
Parmi les points faibles cités par les participants, revenaient
notamment l’absence de télévision dans les chambres ou encore
l’absence de baignoire – les chambres étant systématiquement équipées
de douches. Le bon sens aurait pu faire de ces points faibles, des axes de
travail, surtout dans une période difficile dans laquelle chaque détail peut
compter.
Pourtant, ce raisonnement est contestable si l’on se place du point de
vue du fondateur de l’entreprise. Comme aimait à le rappeler Jacques
Horowitz, Chateauform’ n’est pas un hôtel mais un lieu de séminaire,
dans lequel il s’agit de permettre aux participants de passer un maximum
de temps ensemble, pour travailler ou se former certes, mais aussi pour
profiter de toutes les activités proposées, de la piscine au karaoké, du
baby-foot au bar à cocktails. Tout est inclus, à volonté, on se sert, bref on
fait « comme à la maison » (slogan de l’entreprise). C’est l’ADN du
concept, et ce qui en fait indéniablement la force par rapport à la
concurrence hôtelière traditionnelle.
C’est d’ailleurs en ce sens qu’ont été pensées les chambres : il n’y a
pas de télévision pas plus que de baignoire, parce que la vocation de
Chateauform’ n’est pas d’encourager les participants à se retrancher dans
leur chambre pour regarder un match de foot ou macérer une heure
durant dans un bain moussant !
D’ailleurs, s’ils veulent regarder PSG-OM, il y a bien sûr, dans les
différents salons librement accessibles à tous, un grand écran qui permet
d’improviser une soirée foot collective. À moins que d’autres ne
préfèrent profiter des installations du spa pour se détendre, en compagnie
de ses collègues.
Même s’il arrive que les clients interrogés pointent ces faiblesses,
investir pour les corriger serait doublement risqué. D’abord cela
demanderait un investissement lourd, à faible rendement (avoir une
télévision ou une baignoire dans la chambre ferait-il venir plus de
clients ?), qui pourrait obliger à rogner sur d’autres budgets plus
essentiels (activités ou restauration, qui sont eux des points forts et
décisifs). Ensuite parce que cela pourrait finalement, peu à peu, dénaturer
le concept même de l’offre : quid de la promesse des moments informels
partagés en équipe si, après les réunions de travail, chacun est tenté de se
réfugier dans sa très confortable chambre ?
Le défaut, le manque ou la faiblesse, qui causent une difficulté ou
provoquent un échec ne sont pas nécessairement les reflets de ce qui
permet le succès. Les supprimer ne suffit pas à retrouver le chemin de la
réussite. Pire, ils peuvent même en éloigner. Nous pourrions ici reprendre
la métaphore déjà utilisée de mécanique automobile : si les freins peuvent
ralentir ou stopper la voiture, il n’y a bien que le moteur qui peut la faire
avancer ! L’approche « défectologique » nous amène parfois à ne voir
que ce qui freine en oubliant de vérifier le bon fonctionnement du
moteur.
En miroir de cette approche, Michel Lobrot, pédopsychologue,
spécialiste des questions d’apprentissage et de pédagogie prône ce qu’il
appelle l’approche « perfectologique », consistant à partir des conditions
de succès.
« Les facteurs qui expliquent l’absence de quelque chose ne sont pas
les mêmes qui expliquent la présence de cette chose. Cette remarque
capitale s’applique par exemple à la théorie de la “sélection naturelle”
de Darwin, qui explique parfaitement pourquoi des espèces ont disparu
mais non pas pourquoi elles sont apparues. Une espèce n’existe pas
seulement parce qu’elle n’a pas disparu, même si sa non-disparition est
une condition de son existence. Il existe des processus spécifiques qui
font apparaitre et naitre les choses, y compris les organes qui leur
permettent de se défendre. Ce sont ces processus qu’il faut découvrir
[…]. Je propose d’appeler perfectologie la méthode complétement
inverse à la méthode traditionnelle. Cette méthode consiste à essayer
d’expliquer pourquoi les sujets qui réussissent dans les apprentissages,
précisément réussissent. »26
Ainsi, débriefer l’échec implique d’avoir en tête ce qui,
habituellement, constitue le « moteur » de l’individu, son modèle de
performance pour reprendre cette expression, pour rechercher, en premier
lieu, d’éventuels écarts entre ce qui a été mis en œuvre par l’individu
dans la situation ayant mené à l’échec et son mode d’action préférentiel.
En cas d’écart avéré, la recherche pourra se poursuivre autour des
questions suivantes :
• Qu’est-ce qui l’a empêché de jouer sur ses points forts ?
• Comment se recentrer ?
• S’il avait pu jouer sur ses qualités, que ce serait-il passé ?
• Etc.

S’il n’y a pas d’écart, la réflexion devra se porter sur les interrogations
qui suivent :
• Qu’est-ce qui explique que les points forts habituellement efficaces
n’aient manifestement pas donné les résultats escomptés ici ?
• Faut-il les travailler mieux ? différemment ? dans l’absolu ou
seulement au regard de ce type de situation ?
• Dans ce type de situation, de quelle qualité faudrait-il disposer ? et
quels réflexes basiques, de ce fait, devons-nous construire ?
• Etc.

Reviennent ici les notions déjà évoquées au travers du schéma de la


pyramide : s’agit-il d’un problème d’alignement tactique (invitant à se
recentrer sur le plan d’action préférentiel) ou ce débriefing met-il en
exergue une situation-limite (qui oblige à acquérir des réflexes
basiques) ?
Qu’il s’agisse d’orienter le travail d’expérimentation, de valoriser et
encourager les efforts ou encore de débriefer les actions, l’assistance que
l’on apporte à l’individu misant sur ses qualités, est essentielle. Elle vaut
à la fois pour son caractère opérationnel, consistant à l’aider à ancrer ses
façons de faire, à trouver ses préférences et les exploiter le mieux
possible, en toute situation. Elle compte aussi par sa dimension
psychologique et motivationnelle, indispensable dans les périodes
d’échec, de difficulté ou de doute, comme à l’inverse dans les moments
parfois euphorisant du succès.
La dernière conquête
Miser sur ses points forts, c’est finalement compter sur ses propres
ressources qu’il nous arrive de méconnaître, ou peut-être simplement de ne
pas suffisamment bien exploiter, à force d’être réduits parfois à nos
manques ou à nos défauts.
Ainsi définis par nos insuffisances ou nos faiblesses, il nous arrive de
croire que le progrès implique une conquête hors de soi : réussir à aller
chercher des ressources que nous ne possédons pas, acquérir des qualités
que nous n’avons pas. Nous nous prenons alors à rêver de changer, à envier
ces talents dont brillent les autres, à vouloir devenir différents…
Miser sur ses points forts, c’est prendre conscience de la richesse de ce
que nous possédons. C’est entreprendre d’abord la conquête de soi,
découvrir ses aptitudes que d’autres n’ont pas, apprendre à créer les
situations dans lesquelles elles trouveront le mieux à s’exprimer, continuer
toujours à les développer.
En ce sens, se dessinent bien deux chemins : celui consistant à travailler
nos points faibles, celui privilégiant donc l’utilisation et le renforcement de
nos points forts.
À ce propos fait souvent écho la même croyance : ces deux chemins,
parce qu’opposés l’un à l’autre, mèneraient à des destinations différentes !
Celui des points faibles, plus difficile certes, aboutirait à devenir meilleur,
plus complet, parfait même, si l’on osait rêver. Celui des points forts serait
plus facile, mais ne conduirait qu’à une sorte de réussite individualiste
synonyme de renoncement confortable et moralement contestable : repli sur
soi, égocentrisme, défauts persistants…
En réalité, si le chemin diffère, la destination reste la même. Miser sur ses
ressources propres ne signifie pas renoncer à devenir meilleur. C’est même
le plus sûr moyen d’y parvenir !

La confusion objectif/moyens
Nos raisonnements, parfois un peu rapides, nous amènent souvent à
confondre objectif et moyens, en croyant que le but visé indique
nécessairement le moyen à mettre en œuvre, comme si le seul chemin
possible était toujours la ligne droite.
En l’occurrence, dans ce débat entre points forts et points faibles, on
peut croire qu’il faut, pour devenir meilleur, s’attaquer à ces défauts qui
nous empêchent de l’être.
Comme dans beaucoup de situations, la meilleure stratégie n’est bien
entendu pas la plus évidente ni la plus directe !
Négocier, motiver, communiquer, vendre sont autant d’activités qui
peuvent facilement illustrer cette logique.
Si l’on veut par exemple rassurer une personne inquiète, nous savons
bien qu’il faudra trouver mieux que le naïf et direct « Rassure-toi »,
finalement plus inquiétant qu’autre chose !
Comme je l’évoquais précédemment dans la partie consacrée au
débriefing des échecs, l’approche « perfectologique » doit primer la
« défectologique » : ce qui compte est de comprendre ce qui permet à un
individu de prendre confiance, bien plus que de chercher à lutter
frontalement contre son sentiment d’inquiétude.
Ce que j’ai voulu partager dans ce livre, c’est bien ce que nous
apprennent les observations, les recherches, les études sur les gens qui
réussissent. Leur stratégie suit la même ligne et met en exergue les
mêmes facteurs-clés de succès : maximiser ses ressources personnelles
pour alimenter confiance, motivation et progrès.

Effet collatéral
Partir de ses qualités revient donc à ne pas commencer par s’attaquer à la
correction des défauts.
Mais, en réalité, comme je l’ai indiqué en déclinant la pyramide du
modèle de performance, la stratégie des points forts ne peut totalement
les ignorer : privilégier résolument nos préférences tactiques (principe
des 20/80) n’évite jamais de devoir se confronter aux situations-limites
qui nous confrontent à nos manques ou nos faiblesses. On sait que dans
ces cas-là, la motivation et la confiance accumulées au travers des actions
préférentielles s’avèreront précieuses pour soutenir les efforts
nécessaires. Ceux-ci devront être les plus basiques possibles (mise en
œuvre de gestes simples, facilement jouables, plutôt que recherche
d’acquisition de qualités que par définition nous n’avons pas).
Il y a bien peu de chances que ces situations-limites deviennent des
points d’appui ou des zones d’aisance. Ce n’est d’ailleurs pas le but :
l’enjeu, rappelons-le, est d’assurer, quand nous y sommes confrontés, le
minimum syndical.
Il arrive pourtant qu’en empruntant cette voie, nous puissions
finalement aller plus loin que ce socle de base.
En acceptant de se livrer à l’entraînement basique que suppose
l’ancrage des bons réflexes, nous pouvons trouver une efficacité dans
l’action à laquelle nous ne nous attendions pas, loin des a priori peu à peu
consolidés par tous ces messages reçus sur nos prétendues faiblesses :
nous pensions que nous n’étions pas faits pour ça – et de fait, nous
n’avons pas les aptitudes naturelles adéquates – mais nous découvrons
qu’avec un peu de méthode et de travail, nous pouvons quand même
réussir honorablement.
Comme le suggèrent les travaux du psychologue Maurice
Reuchlin27, sur les processus vicariants, face à la même situation, chaque
individu met en œuvre des modes de fonctionnement différents.
En fonction de ses aptitudes naturelles, de ce qui lui est le plus spontané,
le plus facile, le plus accessible, il consolidera des conduites
préférentielles.
En reprenant ce terme de vicariance28, Reuchlin a montré qu’un
individu était néanmoins capable d’adapter son mode de fonctionnement
en fonction des situations : le coût cognitif est plus important (effort,
temps, anticipation d’une plus grande probabilité d’échec) et l’efficacité
moindre.
Par exemple un individu qui a des difficultés de rappel direct d’un
nom, d’une date, etc. tend à développer des activités de recherche dans
lesquelles il passe en revue une série de souvenirs qu’il sait être associés
à celui qu’il cherche, puis, si celui-ci se présente, il le reconnaît comme
correct.
À côté de l’idée habituelle qui peut laisser penser que de la présence
d’une aptitude découle ensuite le bon savoir-faire – et qui nourrit donc la
croyance qu’il faut développer les qualités que nous n’avons pas pour
réussir à faire ce qu’on ne sait pas faire – se pose une autre logique :
celle-ci part du basique pour aller au stratégique. C’est en forçant le
geste, en le répétant, en créant les réflexes que l’on finit par, en quelque
sorte, forger l’aptitude manquante ou seulement à en apprivoiser le
manque.
Nombreuses sont ainsi les personnalités publiques ayant révélé la
timidité, pour certains presque maladives, malgré laquelle ils ont pourtant
réussi à maîtriser l’exercice de prise de parole en public.
C’est le cas notamment de l’avocat et académicien Jean-Denis Bredin
qui raconte :
« Plaider fut toujours pour moi un exercice difficile. Ce juge qui
m’écoute, est-ce que je ne l’ennuie pas ? J’ai toute ma vie envié ceux qui
ne connaissent pas cette angoisse. Dans ma génération, dans la société
où je vivais, tout était fait pour que l’enfant devienne timide. « Tais-toi ou
dis quelque chose de meilleur que le silence », me répétait-on. Parler
était audacieux, il fallait travailler. À la faculté, j’ai eu d’admirables
professeurs, donc je suis devenu professeur de droit […] La timidité
s’efface, mais on ne s’habitue pas. Elle a aussi bien des avantages. Le
timide ne cesse de parfaire son argumentation, sa réfutation, tandis que
l’extraverti est tenté de faire confiance à son talent. »29
Réaliser que nous sommes capables finalement d’apprivoiser ces
situations-limites, crée une satisfaction d’autant plus forte que la
conscience du défaut est grande. Le fait qu’il nous ait été autant reproché,
le fait d’avoir tant rêvé de posséder cette qualité manquante, décuple la
fierté de ces petits succès, et peut susciter une motivation forte à pousser
plus loin l’exploration, comme s’il y avait une revanche à prendre.
Mais, même dans ce cas, la mécanique reste la même : elle consiste à
trouver le point fort, la qualité d’appui, le moteur qui fournit l’énergie, la
confiance, la motivation et qui permet d’aborder ces situations-limites,
certes techniquement maîtrisées mais toujours stressantes.
« J’y vais mais j’ai peur », disait Nathalie, le personnage joué par
Josiane Balasko dans les Bronzés font du ski. C’est un peu le ressenti que
l’on peut avoir quand, malgré des années de pratique, on continue à
redouter certaines situations nous mettant face à nos manques.
C’est, en substance, ce que me confiait, il y a quelque temps un grand
patron, souvent appelé à s’exprimer en public. Il confessait ressentir, à
chaque fois, un trac immense, le corps qui tremble comme une feuille, le
cœur qui bat, les mains moites, l’envie de fuir… Pourtant, concentré sur
la technique, il savait donner le change : la voix parfaitement assurée, le
débit maîtrisé, le rythme bien en place. Mais il ajoutait que la condition,
pour réussir cet exercice à contre-emploi, était d’avoir travaillé le
contenu du discours avec une attention particulière, jusqu’à sentir une
vraie force de conviction dans chacune des idées développées.
Si la stratégie des points forts invite donc d’abord à une conquête de
soi, ou peut-être faudrait-il dire à une reconquête des qualités ombrées
par la mise en lumière des points faibles, elle vise bien in fine à agrandir
le terrain de jeu. En partant de ce que nous sommes, elle dispose ensuite
à l’exploration de nouveaux territoires plus éloignés : ceux que nos
défauts nous rendent difficilement accessibles.
Affronter nos points faibles, tenter de maîtriser les situations dans
lesquels ceux-ci nous limitent, n’est pas la première bataille à mener :
c’est la dernière conquête d’une campagne menée d’abord en s’appuyant
sur nos forces.
Conclusion
« Ne vous demandez pas de quoi le monde a besoin.
Cherchez ce qui vous fait vibrer et faites-le.
Parce que ce dont le monde a besoin, c’est de personnes qui vibrent avec la vie. »
Howard Thurman

Au moment d’écrire ces dernières lignes, en cette fin de janvier 2021


un peu (beaucoup !) morose, au milieu d’un monde durement ébranlé par
le virus SARS-COV-2, les Français se préparent à encaisser l’annonce
d’une troisième période de confinement. Partagés entre l’espoir suscité
par la campagne de vaccination et la lassitude des privations à répétition,
entre l’envie de retrouver le plaisir d’être ensemble et le souhait de
préserver sa santé ou celle de ses proches, chacun se résigne à passer
de nouvelles semaines éprouvantes.
Ce débat entre points faibles et points forts semble bien dérisoire
quand nous en sommes réduits à (sur)vivre au jour le jour. Les questions
de développement personnel sont un luxe dans un tel contexte de crise.
D’autant que cet adjectif – personnel – évoque furieusement l’esprit
individualiste et égoïste qui parait sous-tendre l’objectif du dit
développement. Ce mot si souvent utilisé de force n’est-il pas d’ailleurs
la preuve que la démarche portée par ce livre, vient continuer d’alimenter
le règne des plus forts ?
En grand idéaliste – c’est mon point fort ! – je veux croire au contraire
que le développement des points forts est justement bien moins égocentré
que ne l’est l’approche corrective : celui qui s’obstine à lutter contre ses
points faibles est tellement préoccupé par ses problèmes qu’il n’a ni le
temps ni l’énergie pour se mettre en projet.
C’est bien là toute la valeur que me semble créer la dynamique des
forces : celle-ci n’est pas une stratégie de domination où il s’agirait de
performer pour écraser, elle s’inscrit dans une aspiration de contribution,
par laquelle ceux qui trouvent leur voie deviennent spontanément
désireux non pas d’user de leur excellence pour asservir mais au contraire
pour servir. Valoriser l’individualité ne renforce pas l’individualisme,
mais libère et encourage le désir d’être utile aux autres.
Le point fort est au cœur de la notion de sens : je ne me sens bien que
si j’ai trouvé ce que je peux apporter au monde. Aussi cette quête de
sens, qui semble préoccuper beaucoup d’entre nous en ces heures
sombres, doit-elle plutôt nous conduire non pas à attendre que
l’environnement nous le donne, mais bien plutôt nous amener à aller le
chercher là où il est : dans nos qualités sous-estimées, dans l’usage que
l’on sait en faire, dans la mission qu’elles indiquent, dans ce que parfois
on appelle la vocation.
« Il y a une vitalité, une force de vie, une accélération qui se traduit à travers l’action,
et parce que vous ne ressemblez à aucune autre personne dans l’éternité des temps, cette
expression est unique.
Si vous la bloquez, elle ne s’exprimera jamais plus. Elle sera perdue.
Le monde ne l’aura pas.
Ne vous préoccupez pas de savoir si elle est bonne, ce qu’elle vaut, ni de la comparer
aux autres expressions.
Ce qui importe, c’est de vous l’approprier clairement et pleinement, de rester ouvert et
conscient des élans qui vous motivent.
Gardez cette voie ouverte. »
Martha Graham Extrait de Martha : The Life and Work de Martha Graham, par
Agnes de Mille (Knopf, 1992)
Annexes :
outils et questionnaires

Bourse aux qualités


Il existe plusieurs types de référentiels de qualités. Il serait impossible de les faire tous figurer ici,
mais en voici 2 exemples pouvant vous aider à identifier vos forces.
La note va de 0 (ce n’est pas du tout moi) à 5 (c’est tout à fait moi).

Exemple 1

Domaine Qualité Note entre 0 et 5

Loyal

Solidaire

Rassurant

Esprit d’Équipe, relation aux autres (écoute, coopération,


Bienveillant
serviabilité…)

Protecteur

Patient

Attentif

Convivial

Intuitif

Charmeur

Relation au monde extérieur (énergie, enthousiasme,


Boute-en-train
motivation…)

Optimiste

Leader

Convaincant

Ouverture au monde (des idées, de l’innovation, de


Curieux
l’abstraction, de la stratégie, des changements, prendre des
initiatives…)
Combatif

Téméraire

Assuré

Prudent
Audacieux

Novateur

Synthétique

Sens du détail

Persévérant

Conscience professionnelle (se montrer rationnel,


Méticuleux
planificateur, méticuleux, persévérant…)

Logique

Méthodique

Structuré

Serein

Empathique

Calme

Stabilité émotionnelle (optimisme, gestion des échecs, gestion


Optimiste
du stress…)

Diplomate

Prévisible

Maîtrisé

Exemple 2

Ce référentiel reprend la classification de VIA Institute on Character. L’auto-évaluation est accessible gratuitement sur le site viacharacter.org.

Note
Vertus Forces de caractère
(0 à 5)

1 Créativité, ingéniosité et originalité

2 Curiosité et intérêt accordé au monde

Discernement, pensée critique et ouverture


Sagesse 3
d’esprit

4 Amour de l’étude, de l’apprentissage

5 Perspective

Courage
6 Courage et vaillance
7 Assiduité, application et persévérance

8 Honnêteté, intégrité et sincérité

9 Joie de vire, enthousiasme, vigueur et énergie

10 Capacité d’aimé et d’être aimé(e)

Humanité 11 Gentillesse et générosité

12 Intelligence sociale

13 Citoyenneté, travail d’équipe et fidélité

Justice 14 Impartialité, équité et justice

15 Leadership (capacité à diriger)

16 Pardon

17 Modestie et humilité
Tempérance
18 Précaution, prudence et discrétion

19 Maîtrise de soi et autorégulation

20 Reconnaissance de la beauté et de l’excellence

21 Gratitude

Transcendance 22 Espoir, optimisme et anticipation du futur

23 Humour et enjouement

24 Spiritualité, religiosité, but dans la vie et foi

Effeuillez l’artichaut
Répondez aux questions suivantes, en vous aidant si besoin de la bourse des qualités, et commencez à
cerner vos points forts essentiels :
1. Dans le contexte professionnel, quels sont les domaines/missions dans lesquels vous vous sentez
le plus à l’aise ?
..............................................................................................................................................................
..................................................................................................................................................................
...........................................................................................................
• Que ressentez-vous quand vous œuvrez dans ces domaines-là ?

..............................................................................................................................................................
........................................................................................................................
• Quelles sont les qualités que l’on vous reconnait ?
..............................................................................................................................................................
........................................................................................................................
• Sur quelles forces vous appuyez-vous pour faire bien votre travail ?

..............................................................................................................................................................
........................................................................................................................
2. Hors contexte professionnel, quelles activités aimez-vous le plus pratiquer ?
..............................................................................................................................................................
..................................................................................................................................................................
...........................................................................................................
• Que vous apportent-elles lorsque vous les pratiquez ?

..............................................................................................................................................................
.....................................................
• Quelles sont les ressources personnelles auxquelles ces activités font appel ?

..............................................................................................................................................................
........................................................................................................................
3. En prenant du recul, et à partir des réponses apportées aux questions précédentes, essayez de
trouver des points communs dans les qualités que vous utilisez dans vos activités professionnelles et
personnelles :
..............................................................................................................................................................
..................................................................................................................................................................
...........................................................................................................

Souvenirs d’éléphanteau
Installez-vous confortablement, fermez les yeux et faites appel à votre mémoire. Prenez conscience
des pieux qui ont empêché l’éléphanteau d’avancer.
1. Quels défauts vous reprochait-on d’avoir quand vous étiez enfant ?
..............................................................................................................................................................
..................................................................................................................................................................
..................................................................................................................................................................
...................................................
2. Pouvez-vous vous rappeler les mots qu’employaient vos parents, enseignants ou autres, à ce
propos ?
..............................................................................................................................................................
..................................................................................................................................................................
..................................................................................................................................................................
...................................................
3. Ces messages ont-ils influencé...
• Votre personnalité ?

..............................................................................................................................................................
..................................................................................................................................................................
..................................................................................................................................................................
........................
• Votre confiance en vous ?

..............................................................................................................................................................
..................................................................................................................................................................
..................................................................................................................................................................
........................
• Vos choix d’étude ou vos orientations professionnelles ou de vie ?

..............................................................................................................................................................
......................................................................................................................................
4. En quoi ces messages continuent-ils de vous influencer ?
..............................................................................................................................................................
..................................................................................................................................................................
...........................................................................................................

Tiers privilégiés
Prenez quelques instants pour penser aux personnes qui, dans votre parcours personnel ou
professionnel, vous ont le plus marqué. Prenez conscience des qualités qu’ils vous ont aidé à révéler
ou à travailler.

Vos tiers
Qui sont-ils ? Quelles qualités ont-ils souvent valorisées ?
privilégiés

TP « primaires »
Influence +++
........................................................................................ ........................................................................................
(parents
« nourriciers » ........................................................................................ ........................................................................................
présents durant
l’enfance)

TP
« secondaires »
Influence ++

(présents pendant ........................................................................................ ........................................................................................


la période ........................................................................................ ........................................................................................
éducative
ou le début de
votre carrière
professionnelle)

TP « tertiaires »
Influence + ....................................................................................... ........................................................................................
........................................................................................ ........................................................................................
(conjoint, enfants)

TP
« quaternaires »
Influence faible ........................................................................................ ........................................................................................
(croisés pendant ........................................................................................ ........................................................................................
une phase de vie :
amis, collègues,...)
À noter :
Certaines personnes peuvent être pour vous des tiers privilégiés : ils comptent pour vous au point
que vous cherchez à obtenir le plus de reconnaissance possible de leur part.
• Il se peut que ceux-ci vous la donnent, sous une forme positive : la valorisation des qualités
indiquée dans la dernière colonne. Ces messages positifs auront pour effet d’ancrer ces
qualités en vous et de renforcer votre niveau de confiance en vous.
• Il se peut aussi que ceux-ci vous accordent de l’attention, mais de façon négative, en
passant plus de temps à vous reprocher vos erreurs, vos échecs, vos limites ou vos points
faibles, générant alors plus de doute et de peur que de confiance (syndrome de l’éléphant).
• Il se peut enfin que ces tiers privilégiés ignorent votre besoin de reconnaissance et ne vous
accordent que peu d’attention, créant là aussi un sentiment d’abandon et d’angoisse
compensé le cas échéant par une motivation « revancharde » forte (obtenir leur attention à
tout prix).

Au-delà des différentes lignes, il est intéressant de repérer également la cohérence entre les
qualités valorisées par les TP (qualités fortement ancrées) ou au contraire, les éventuelles
discordances (qualités contradictoires, valorisées par l’un mais pas par l’autre, qui tendent à forger
une personnalité équilibrée, cherchant à investir le plus de qualités possibles pour « mériter » le
regard de tous ses TP).
NB. : il va de soi que ces quelques lignes ne suffisent à rendre compte de la complexité des
mécanismes liés à nos liens avec ces tiers privilégiés, et encore moins de ceux qui régissent la
constitution d’une personnalité. Ils sont donnés ici à titre de repères indicatifs et doivent donner lieu
à un travail plus approfondi que ne l’est ce simple tableau.

« Toumeuche » (Too much)


Entourez d’abord, dans la liste ci-dessous, les traits de personnalité dans lesquels vous vous
reconnaissez (ou complétez la liste en y ajoutant les qualités manquantes).
Puis, demandez-vous s’il peut vous arriver d’être « toumeuche » (too much = trop) parfois, et si
vous pensez que c’est le cas, essayez de préciser la ou les situations dans lesquelles vous l’êtes.

Dérive
Trait de personnalité Situations
« toumeuche »

Affectueux Etouffant

Aidant Envahissant

Audacieux Irresponsable

Autonome Incontrôlable

Calme Apathique

Chaleureux Familier

Lucide Anxieux

Confiant Crédule
Courageux Inconscient

Créatif Désorganisé

Curieux Indiscret

Déterminé Borné

Discret Absent

Discipliné Ennuyeux

Drôle Désinvolte

Energique Epuisant

Engagé Dispersé

Enthousiaste Illuminé

Fier Prétentieux

Franc Agressif

Gentil Faible

Généreux Gênant

Humble Effacé

Impertinent Méchant

Indépendant Indifférent

Minutieux Perfectionniste

Optimiste Naïf

Patient Attentiste

Persévérant Têtu

Poli Obséquieux

Prudent Angoissé

Original Marginal

Sérieux Froid

Spontané Inconsistant
Sensible Impressionnable

Vigilant Anxieux

Auto-diagnostic de votre niveau d’énergie (spirale de confiance/spirale de doute)


À l’instant T, notre niveau d’énergie dépend du différentiel existant entre la confiance en soi et le
doute sur soi (bilan doute/confiance). Il varie chaque jour dans notre confrontation à
l’environnement : les succès, les échecs, les activités dans lesquelles nous sommes à l’aise, celles
dans lesquelles nous sommes en difficulté, le regard des autres, etc. viennent accroître la confiance
ou au contraire renforcer le doute.
Mais parce que ce niveau d’énergie modifie notre façon d’agir et d’interagir, induisant alors ce que
nous renvoie l’environnement, peut s’établir un phénomène de spirale, soit positive (la confiance fait
le progrès, qui nourrit la motivation, qui favorise le succès, lequel nourrit la confiance, etc.), soit
négative (le doute crée l’erreur, qui génère du stress, lequel provoque l’échec qui confirme le
doute, etc.).
Il est alors intéressant d’identifier les différents signaux pouvant renseigner sur le niveau d’énergie
à l’instant T, et pouvoir favoriser la bonne spirale et bloquer la mauvaise (partie 1).
Puis, dans un second temps, de faire le point sur ce qui vous apporte/coûte de l’énergie, de façon à
pouvoir prendre les bonnes décisions (partie 2).
NB. : Ce questionnaire ne donne aucun élément sur la personnalité. Il est construit sur les
comportements les plus souvent observés au regard du niveau d’énergie d’une personne à l’instant
T. Il ne présume pas, de ce fait, non plus, de l’évolution du niveau d’énergie de l’individu dans
le futur.

Partie 1

Spontanément vous sentez-vous en accord avec ces Non Oui, très


C’est rare Oui, souvent
affirmations… jamais souvent

Je me sens capable de déplacer des montagnes ▲ ■ ● ◆


Je me dis souvent qu’il faudrait que je sorte, mais j’ai la
flemme de ressortir
▲ ◆ ■ ●

Je trouve que les journées sont trop courtes ▲ ■ ● ◆


Il m’arrive souvent de rentrer épuisé. e le soir et de
m’endormir sans même avoir diné ◆ ■ ● ▲

Je me trouve nul. le ◆ ■ ● ▲

J’attends les week-ends avec impatience ◆ ▲ ■ ●

Face aux épreuves, j’ai envie d’abandonner ◆ ■ ● ▲

Je sais analyser mes échecs ■ ▲ ● ◆


Je n’aime pas les gens insouciants ◆ ● ▲ ■

La météo influence mon humeur du jour ◆ ■ ▲ ●


J’aime l’imprévu et la surprise ▲ ■ ● ◆
Je crois que ce que je pense n’intéresse pas les autres ◆ ● ■ ▲

Les gens qui veulent m’apprendre des choses m’énervent ◆ ▲ ● ■

Je pense qu’il ne faut rien prendre à la légère : la vie


demande du sérieux ◆ ■ ▲ ●

J’ai plusieurs projets en cours ▲ ■ ● ◆


Je crois qu’il faut se battre pour réussir ▲ ◆ ● ■

Je trouve le changement plutôt stimulant ▲ ■ ● ◆


Je trouve que les autres ont la critique facile ▲ ◆ ■ ●

Je sors le soir après les journées de travail ▲ ■ ● ◆


Je trouve la vie plutôt pesante ◆ ● ■ ▲

Je trouve agréable de rester dans sa zone de confort ▲ ◆ ■ ●

Je m’enrichis à écouter les autres ■ ▲ ● ◆


Je me débats avec les problèmes causés par les autres ▲ ◆ ● ■

Je crois que le destin réserve de mauvaises surprises :


il faut l’accepter ! ◆ ■ ● ▲

Je maudis les météorologues incapables de prévoir le temps


qu’il fera demain ◆ ● ▲ ■

J’aime la stabilité : les changements incessants me fatiguent ◆ ■ ▲ ●

Je râle le soir contre ces émissions de télé ineptes, mais je


les regarde quand même ! ◆ ● ▲ ■

J’ai des projets souvent trop ambitieux auxquels je suis


obligé de renoncer
▲ ◆ ■ ●

Je ne pense pas être chanceux. se ◆ ● ■ ▲

Je crois que je ne cesserai jamais d’apprendre ▲ ■ ● ◆


J’ai beaucoup de mal à tolérer les erreurs des autres ▲ ◆ ● ■

Je touche du bois : ça porte chance ! ■ ◆ ▲ ●

Je cumule les échecs ◆ ● ■ ▲

Je n’aime pas trop que mon programme soit bousculé ▲ ◆ ■ ●

Je suis agacé. e par les défauts des autres ▲ ◆ ● ■

Quand il fait froid, j’ai envie de rester au fond de mon lit ◆ ■ ● ▲

Je trouve que c’était mieux avant ◆ ● ▲ ■

J’ai du mal à renoncer : j’aime finir ce que je commence ▲ ● ■ ◆


Je me méfie de ce que disent les gens ▲ ◆ ■ ●
Je ne sais pas quel temps il a fait aujourd’hui… ▲ ■ ● ◆
Je me bats contre les gens qui ne savent pas s’organiser et
qui font toujours tout au dernier moment
▲ ◆ ● ■

J’aime qu’on me rappelle mes qualités ▲ ■ ◆ ●

Je pense que meilleur moment de la journée, c’est quand on


se couche ! ◆ ● ■ ▲

Je reconnais facilement mes erreurs et j’apprécie d’ailleurs


qu’on me les fasse remarquer
■ ▲ ● ◆
Je suis à l’origine de mes nombreux problèmes : je pense
que je fais tout à l’envers ! ◆ ■ ● ▲

Je trouve que les gens sont rarement lucides sur leurs


échecs
▲ ◆ ● ■

Je suis fatigué. e de devoir lutter contre ceux qui


m’empêchent d’avancer
▲ ◆ ● ■

Je me sens de plus en plus décalé. e dans ce monde qui


change ◆ ● ■ ▲

Je renonce quand je vois que c’est difficile ◆ ■ ▲ ●

Je me retrouve débordé. e par le temps à cause des autres ▲ ◆ ● ■

Je trouve que les gens peuvent être stupides ▲ ◆ ● ■

Je me sens moins compétent. e que la plupart des gens ◆ ■ ● ▲

Je pense que ça va bien se passer ▲ ■ ● ◆


J’ai tendance à commettre beaucoup d’erreurs ■ ◆ ● ▲

Je considère que les échecs sont le fait d’une co-


responsabilité
▲ ◆ ■ ●

J’ai l’impression de m’amuser : la vie est un jeu ▲ ■ ● ◆




Indiquez ici le nombre de…

■ Grille d’analyse
Vous avez une majorité de ◆
Vous êtes manifestement dans une période de forme. Votre excellent niveau d’énergie vous permet de
voir la vie du bon côté. En dynamique de progrès et de projet, vous tracez votre route, sans prêter
trop d’attention à ce (ou à ceux) qui pourraient vous freiner.
Pour autant, confiants en vous, mais sans rien à prouver, vous entretenez des rapports sains avec
les autres, en étant très attentifs à eux d’une part et très ouverts à l’aide qu’ils peuvent vous
apporter et à la coopération en général.
Lucide, détendu, curieux, vous abordez le quotidien avec calme et recul, en profitant de chaque
occasion de plaisir qui se présente. Toujours proactif, vous allez au-devant des choses et des gens,
évitant ainsi de subir les événements.
L’environnement vous le rend : on loue vos qualités, on apprécie votre compagnie et votre
enthousiasme, on remarque vos succès, etc. et chaque jour vient alimenter la spirale de succès.
Vous avez une majorité de ●
Disposant d’un niveau d’énergie juste suffisant pour vos besoins d’interaction du quotidien, il vous
arrive de ressentir certains jours un peu de stress et de fatigue. Sensible à l’environnement, vous
préférez l’habitude, l’équilibre, la maîtrise et tentez d’éviter les situations impliquant changement,
remise en cause, prise de risque.
Encouragé par les autres, quand vous avez la possibilité de mettre en œuvre vos qualités, vous
êtes capable de fournir un travail conséquent mais vous supportez mal la critique et craignez d’être
pris en défaut, ce qui peut parfois vous amener à vous justifier plutôt qu’à chercher le progrès.
Souvent méfiant à l’égard du monde extérieur, il peut vous arriver de vous fermer, au risque de
ne pas recevoir en retour les signes de reconnaissance que vous espérez.
Efforcez-vous de rester acteurs pour éviter de subir. Soyez notamment attentif à cultiver vos
forces, en trouvant les moyens de vous engager sans retenue sur les terrains qui vous sont
favorables.
Vous avez une majorité de ■
Plus en doute qu’en confiance, vous semblez être en déficit d’énergie : vous vous sentez souvent
stressé, menacé, parfois comme agressé par le monde qui vous entoure.
Il peut vous arriver de rêver de fuir, de changer de vie par exemple. Mais, rattrapé par la réalité,
vous luttez avec courage contre votre environnement et contre tous ces problèmes qui semblent se
multiplier.
Cela vous prend d’ailleurs beaucoup d’énergie, au risque de vous amener dans une spirale
négative. Irritable, râleur, souvent en opposition, vous pouvez contribuer à générer des relations
difficiles autour de vous, vous attirant reproches, alimentant des polémiques voire des conflits eux
aussi coûteux en énergie. Dans cet état, vous avez tendance à rejeter la responsabilité de ce qui
survient sur les autres, vous posant parfois en position de victime.
Pour éviter de vous épuiser, et inverser la spirale, essayez de vous recentrer sur vos points forts :
ceux-ci vous permettront de montrer au monde vos capacités et de retrouver un peu de confiance.
Appliquez-vous à recréer des situations qui vous sont favorables et à en tirer plaisir et fierté.
Certains des problèmes contre lesquels vous vous battez peuvent attendre : demandez-vous si leur
suppression vous apporterait vraiment le bonheur, ou celui-ci n’est pas plutôt à chercher dans des
projets qui vous tiennent à cœur.
Vous avez une majorité de ▲
Vos batteries sont manifestement déchargées. À court d’énergie et empli de doutes, vous
appréhendez chaque jour avec un sentiment d’angoisse persistant et envahissant.
Il vous est difficile d’ailleurs de tenir le coup, ce qui vous oblige parfois à renoncer ou
abandonner certaines actions, volontairement ou involontairement – quand le corps notamment
vous lâche – ce qui n’est pas de nature à vous redonner confiance, bien au contraire.
Ne vous sentant pas à la hauteur, obnubilé par vos soi-disant défauts, vous avez tendance à vous
replier sur vous-même, fuyant les échanges et le regard des autres : vous craignez d’entendre leurs
critiques sans toutefois les croire s’ils vous valorisaient !
C’est pourtant eux qui pourraient vous aider. Renouez le contact, acceptez de leur parler et de
les écouter, prenez la main qu’ils vous tendront. Retrouvez le fil de vos envies, de vos passions, de
vos qualités et demandez-leur de vous aider à le tirer. Vos richesses n’ont pas disparu : elles sont
seulement enfouies et ne demandent qu’à s’exprimer.

Partie 2
Dans cette seconde partie, une fois évalué votre niveau d’énergie du moment, je vous propose de
faire le point sur ce qui peut expliquer votre forme ou méforme.
En regardant les 2 ou 3 semaines écoulées, évaluez le temps passé chaque jour sur chaque
activité à l’aide de ce cercle.

Exemple

Une fois réalisée une semaine-type, à l’aide de ce schéma, faites la somme du temps passé :
• sur des activités qui vous apportent plus d’énergie qu’elles ne vous en demandent (Apport > Effort) : activités
que vous maîtrisez, dans lesquelles vous êtes en succès, reconnu, valorisé, qui mettent en valeurs vos
qualités… ;
• sur des activités qui vous coûtent plus qu’elles ne vous rapportent (Apport < Effort) : activités souvent liées à vos
points faibles, dans lesquelles vous êtes souvent en difficulté, qui ne vous apportent pas de plaisir…

Si les premières vous occupent la plus grande partie de votre temps, vous êtes probablement en
spirale positive. Voyez comment préserver cet équilibre, par exemple en veillant à passer le plus de
temps possible sur les activités motivantes.
Dans le cas inverse :
1. Travaillez à augmenter le temps consacré aux activités motivantes, chaque jour ou peut-être
chaque semaine et « sanctuarisez » ces moments dans votre agenda.
2. Impliquez-vous davantage dans ces activités pour les rendre plus motivantes encore.
3. Pensez à d’autres activités motivantes que vous auriez peut-être sacrifiées et qui pourraient
réintégrer votre planning (le sport, une passion artistique, etc.).
4. Étudiez les possibilités de diminuer le temps passé sur les activités coûteuses : déléguer,
arrêter, reporter, les aborder autrement (en utilisant mieux vos qualités), etc.
5. Partagez vos nouveaux engagements de planning pour faire en sorte de mieux les respecter.
Notes
1. Linley P. A., Joseph S., Harrington S. et Wood A. M., « Positive psychology: Past, present and future », Journal of
Positive Psychology, 2006.
2. Dweck C. S., Changer d’état d’esprit : Une nouvelle psychologie de la réussite, traduit de l’anglais par J.-B. Dayez,
Mardaga, 2010.
3. Plusieurs programmes conçus pour amener les étudiants d’un état d’esprit fixe à un état d’esprit de croissance ont été
déployés, notamment en Afrique du Sud ou en Californie, impliquant des milliers d’étudiants mais également leurs
enseignants, démontrant l’impact de la mentalité positive sur les progrès et la réussite scolaire.
4. Aspinwall L.G. et Staudinger U.M., Une psychologie des forces humaines : quelques enjeux centraux d’un domaine
émergent, 2003.
5. Christian Lemoine était consultant en management, conférencier spécialiste de la motivation et fondateur du CRECI
(Centre de Recherches et d’Etudes sur le Comportement Individuel), cabinet au sein duquel j’ai travaillé quelques années.
6. Ça s’est fait comme ça, Gérard Depardieu, avec la collaboration de Lionel Duroy, XO éditions, 2014.
7. Ce terme a, semble-t-il, été inventé par Christian Lemoine, fondateur du CRECI et créateur du Management
Motivationnel®.
8. Jean-Laurent Cochet fait partie des victimes de la Covid-19. Il s’est éteint le 7 avril 2020, dans sa 86ème année.
9. Extrait d’une interview donnée au journal La Croix, paru le 21 mars 2020
10. Extrait d’un entretien donné par Boris Cyrulnik au e-mag NousVousIls, l’e-mag de l’éducation, juin 2015.
11. Voir par exemple le livre de Vincent Rémy, Un prof a changé ma vie, Vuibert, 2014, dans lequel l’auteur demande à
diverses personnalités d’évoquer l’influence de certains enseignants sur leur parcours.
12. Pietschnig J., Penke L., Wicherts J. M., Zeiler M., & Voracek M., « Meta-analysis of associations between human brain
volume and intelligence differences: How strong are they and what do they mean? », Neuroscience & Biobehavioral
Reviews, 2015.
13. Voir à ce propos l’article de Franck Ranus, « Les surdoués ont-ils un cerveau qualitativement différent ? », A.N.A.E.,
2018.
14. Malcolm Gladwell, Outliers, The Story of Success, Editions Little, Brown and Company 2008.
15. Extrait de la revue Spirale 2012/3 (no 63), « Le chemins de l’apprentissage », éditions ERES.
16. Voir ici.
17. Évangile selon Matthieu, chapitre 25, versets 14 à 30.
18. Sir Thomas Fowell Buxton (1786-1845) fut député du Parlement britannique, resté célèbre pour son engagement en
faveur de l’abolition de l’esclavage au Royaume-Uni.
19. Auteur de Successful Aging: A Neuroscientist Explores the Power and Potential of Our Lives, Dutton/Penguin Random
House, 2020.
Notes
1. Ken Robinson, anobli par la Reine d’Angleterre en 2003, est notamment connue pour sa conférence TED « L’école tue la
créativité » (Monterey, 2006), la plus vue et la plus partagée de l’histoire ! Il est aussi l’auteur de plusieurs ouvrages dont
Changez l’école ! (Play Bac, 2017) et Trouver son élément (Play Bac, 2015).
2. Je conseille à ceux qui ne connaîtrait pas la définition d’origine du mot « bougre » de se précipiter vers un dictionnaire…
3. Voir à ce propos les développements sur la pédagogie différenciée, page 183.
4. Jacques Lecomte est l’un des principaux experts francophones de la psychologie positive. Docteur en psychologie, il a été
chargé de cours à l’université Paris Ouest Nanterre La Défense (sciences de l’éducation) et à la faculté des sciences sociales
de l’Institut catholique de Paris.
5. Martin E.P. Seligman est chercheur en psychologie et professeur à l’Université de Pennsylvanie. Lors de son passage à la
présidence de l’American Psychological Association, en 1998, il lance le mouvement de la « psychologie positive », assisté
de ses collaborateurs, tels Mihaly Csikszentmihalyi, Ed Diener, Kathleen Hall Jamieson, Christopher Peterson et George
Vaillant.
Pour en savoir plus sur l’œuvre de Seligman : Conférence
www.ted.com/talks/martin_seligman_the_new_era_of_positive_psychology
Seligman M., La force de l’optimisme, InterEditions, 2008. Seligman M., La fabrique du bonheur, InterEditions, 2011.
Pour un exposé documenté et rigoureux sur la psychologie positive : Shankland R., La psychologie positive, 2e éd,
coll. « Psycho Sup », Dunod, 2014.
6. Si ce terme a été popularisé par Seligman et son équipe, son invention semble revenir à Maslow qui l’a utilisé le premier,
en 1954, dans le dernier chapitre de son livre Motivation and Personality.
7. Voir notamment Happycratie, d’Edgar Cabanas et Eva Illouz, Premier Parallèle, 2018 ; Le syndrome du bien-être de Carl
Cederström et André Spicer, L’Echappée, 2016 ; ou Développement (im)personnel de Julia de Funès, l’Observatoire, 2019.
8. Sur ce thème de la motivation, je vous recommande la lecture du livre de Daniel H. Pink, La vérité sur ce qui nous
motive, Leduc, 2011.
9. J’ai développé cette notion dans mon précédent livre : Le manager presque parfait… et qui ne cherche surtout pas à le
devenir ! Dunod, 2016.
10. Tom Rath est un chercheur et auteur américain, né en 1975. Au sein de la société Gallup, il a notamment développé des
études et des outils sur l’efficacité personnelle, en particulier basés sur l’utilisation des points forts. On lui doit plusieurs
best-sellers dont Strength Finder 2.0, publié en français chez Pearson France sous le titre Découvrez vos points forts, 2019.
11. Version reprise par Valérie Jacquemin-Ngom et Nicolas Dugay dans leur ouvrage Cultivez vos points forts, Jouvence
éditions, 2018.
12. Pour en savoir plus, je vous recommande de vous référer à l’ouvrage très complet de Bertrand Théraulaz : Approche
action-types – Le corps révèle nos forces ! Amphora, 2020.
13. Dans le cadre de nos missions de conseil et de formation en management, au sein d’Animae, nous faisons régulièrement
appel aux compétences de l’équipe d’Axel Conseil, composée d’experts Action Types®. Leur aide est précieuse, par exemple
pour identifier les forces individuelles au sein d’un CODIR et favoriser une meilleure communication et une meilleure
coopération.
14. « Carbohydrate sensing in the human mouth: effects on exercise performance and brain activity » J. Physiol, 2009.
15. « Mental fatigue impairs physical performance in humans », Journal of Applied Physiology, 2009, vol. 106.
16. « Sundial : Theoretical Relationships Between Psychological Type, Talent, And Disease », Ph.d. Bryden, Barbara E. –
(Anglais), éditions CPAT – Center for Applications of Psychological Types – 2004.
17. Pellerin F., Accédez au sommet. Le chemin est en vous, Michel Lafon, 2013.
18. Vous trouverez un développement plus complet sur cette notion de doute/confiance dans les annexes proposées à la fin
du livre.
19. Voir la partie consacrée aux « Tiers Privilégiés » dans le chapitre 1.
20. Ancona D., Malone W. T., Orlikowski J. W., Senge M. P., Ode au Leader Imparfait, HBR France, 2020.
Notes
1. Cultivez vos forces : l’éducation positive au quotidien, J-C. Lattès, 2019.
2. « Franck Cammas, marin de haute précision », Le Monde, 9 mars 2012.
3. Étude Gallup « State of the Global Workplace » 2017, chiffres Europe de l’Ouest.
4. Extraits d’une interview donnée au magazine Grand Chelem no 30 (sept-oct.2012).
5. La distinction entre motivation intrinsèque et motivation extrinsèque revient à Edward L. Deci, professeur de psychologie
et de sciences sociales à l’université de Rochester, qui publie Intrinsic Motivation en 1975, avant d’enrichir son travail, en
association avec Richard M.Ryan, au cours des années 1980 puis 2000.
6. Pink D., La vérité sur ce qui nous motive, Flammarion, 2016.
7. Edward L. Deci, Richard M. Ryan, Richard Koestner, « A Meta-Analytic Review of Experiments Examining the Effects
of Extrinsic Rewards on Intrinsic Motivation », Psychological Bulletin, 125, Nº 6, 1999.
8. Blondin A., L’Ironie du sport. Chroniques de L’Équipe, 1954-1982, François Bourin, 1994.
9. Le terme Imoca désigne une classe de voiliers monocoques de 60 pieds de longueur (18,28 m) spécialement destinés aux
courses océaniques en solitaire ou en double, comme la Route du Rhum et le Vendée Globe.
10. L’association Mécénat Chirurgie Cardiaque, fondée par le professeur Francine Leca (première femme devenue
chirurgien cardiaque en France) et Patrice Roynette, permet à des enfants atteints de malformation cardiaque, de se faire
opérer en France lorsque cela est impossible dans leur pays faute de moyens techniques ou financiers. Accueillis et hébergés
par des familles d’accueil bénévoles, plus de 3 000 enfants ont ainsi été pris en charge depuis la création de l’association en
1996.
Notes
1. Cette phrase est souvent attribuée à Pierre Desproges, à tort semble-t-il, puisqu’en dehors d’un post abondamment relayé
sur les réseaux sociaux, attribuant diverses citations au regretté humoriste, il n’est trouvé aucune trace de ces mots dans son
œuvre ni dans ses déclarations. Plusieurs sources semblent indiquer qu’il s’agirait en fait de la traduction d’un vieux trait
d’humour anglais : « One day, I’ll go live in ’Theory’! Because in Theory… everything is fine! »
2. Cultivez vos points forts, Valérie Jacquemin-Ngom, en collaboration avec Nicolas Dugay, Jouvence, 2018.
3. Codir, pour les lecteurs qui ne parleraient pas encore couramment la novlangue, veut dire « Comité de Direction ». On dit
aussi parfois Codi et Codirel, quand l’assemblée est élargie à d’autres cadres subalternes. Dans certains patois
professionnels, l’équipe de Direction constitue un Comex pour « Comité Exécutif ».
4. L’ouvrage de C.G. Jung Types Psychologiques est paru en 1921.
5. William Moulton Marston développe sa théorie du DISC dans le livre Emotions of Normal People, publié en 1928.
6. Extrait d’un article paru en 1943 dans The American Scholar Magazine.
7. Voir ici.
8. Peterson C. et Seligman M., Character Strengths and Virtues: A Handbook and Classification, OUP USA, 2004.
9. Cet inventaire est présenté dans l’annexe « Bourse aux qualités », à la fin du livre.
10. Patrick Mouratoglou, né en 1970, a fondé une première académie de tennis à l’âge de 26 ans, après avoir dû renoncer à
la carrière de tennisman dont il avait rêvé. Dans les années 2000, il se fait connaître grâce aux succès remportés par le
champion chypriote, Marcos Baghdatis, qu’il entraîne. Mais c’est en devenant le coach de Serena Williams, en 2012, qu’il
rentre dans le cercle fermé de l’élite mondiale du tennis : à ses côtés, l’américaine a depuis remporté 9 titres du Grand
Chelem, s’ajoutant aux 14 de son palmarès d’alors. Aujourd’hui, il est également le coach de Stefanos Tsisipas ou encore
d’Alexeï Popyrin entre autres.
11. Secrets de Coach (titre original en anglais : Playbook) est une série-documentaire disponible sur la plateforme Netflix
depuis 2020, mettant en lumière quelques-uns des plus célèbres coach sportifs du moment de différentes disciplines.
L’épisode 4 est intitulé « les leçons de Patrick Mouratoglou ».
12. Ce dessin réalisé par Léonard de Vinci vers 1490, est sans doute la représentation la plus connue de la perfection des
proportions anatomiques.
13. « Built to swim », The New York Times Magazine, 8 août 2004.
14. Robert J. Vallerand est professeur titulaire en psychologie à l’Université du Québec à Montréal. Il est reconnu comme
l’un des chercheurs les plus influents dans le secteur des processus motivationnels. Il a développé des théories sur la
motivation intrinsèque et extrinsèque ainsi que sur la passion envers des activités. Il a publié ou édité douze livres et
monographies et plus de 350 publications scientifiques.
15. Enquête menée auprès d’un échantillon de 970 salariés des secteurs public et privé extrait d’un échantillon de 2023
Français représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus.
16. Enquête réalisée en juin 2017 auprès d’un échantillon représentatif de 1 001 salariés français non cadres et non
managers, à travers toute la France.
17. Je reprends bien sûr ici l’image utilisée par W. Chan Kim et Renée Mauborgne, chercheurs au Blue Ocean Strategy
Institute à l’INSEAD dans leur ouvrage Stratégie Océan Bleu : Comment créer de nouveaux espaces stratégiques (Ed.
Pearson, 2015).
18. GOAT est l’un des surnoms amusants souvent donnés à Federer, pour Greatest Of All Times ou chèvre, selon que l’on
développe l’acronyme ou que l’on préfère la traduction littérale !
19. Extrait d’une interview accordée à la Tribune de Genève, parue le 14 avril 2017
20. Cette image est par exemple décrite dans l’ouvrage Psychiatrie de la personne âgée, sous la direction de Jean-Baptiste
Clément (Editions Médecine-Sciences / Flammarion), s’agissant des tendances dépressives des personnes âgées.
21. C’est Louis Legrand, responsable des recherches pédagogiques à l’INRDP (Institut National de Recherche et de
Documentation Pédagogique), qui en 1970 crée l’expression « pédagogie différenciée », partant du constat que, face à des
élèves aux aptitudes hétérogènes, l’enseignant devait proposer des modalités d’apprentissage variées.
22. Voir le bilan Doute/Confiance présenté dans le chapitre 3, notamment page 76.
23. Également connu sous le nom d’effet Rosenthal et Jacobson, l’effet Pygmalion tire son nom de la légende de ce
sculpteur de la Grèce Antique qui, tombant amoureux de la statue d’ivoire qu’il avait créée, finit par lui donner vie.
Rosenthal et Jacobson ont notamment étudié l’effet des a priori que les enseignants avaient sur chacun de leurs élèves,
montrant qu’un a priori positif induisait des comportements propices à la réussite de l’élève et inversement.
24. Vademecum « Scolariser un élève à haut potentiel », éditions MEN (Ministère de l’Éducation Nationale), 2019,
notamment disponible sur le site Eduscol du Ministère.
25. Lire par exemple Libérez votre cerveau, éditions Robert Laffont, 2016.
26. Extrait du livre de Michel Lobrot : À quoi sert l’école ? Armand Colin, 1992.
27. Notamment développés dans son ouvrage : Évolution de la psychologie différentielle, PUF, 1999.
28. Le terme vicariance est habituellement employé pour désigner le mécanisme par lequel un organe sain supplée, par son
propre fonctionnement, à l’insuffisance fonctionnelle d’un autre organe.
29. Extrait de l’article « La revanche des timides » de Marie Huret, publié par le magazine l’Express, le 22 août 2002.

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