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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

SOMMAIRE PAGES
Remerciements……………………………………………………………… I
Introduction………………………………………………………………….. 1
Chapitre I : Education……………………………………………………. 2 à 139
I.1 Adéquation Formation/Emploi……………………………..…….…… 2 à5
I.2 A Propos De La Baisse Du Niveau Des Enseignants………………... 6à8
I.3 Ethique Et Déontologie De L’enseignement……………….……. 9 à 12
I.4 N’accusez Pas Le Système Educatif !.............................................. 13 à 16
I.5 La « Crise » De L’école, Discours Creux Ou Réalité ?..................... 17 à 20
I.6 La Place Des Arts Dans Le Curriculum………………………….…… 21 à 27
I.7 5 Mille Enseignants Dès Mai 21…………………………………..…… 28 à 31
I.8 Pour Une Nouvelle Perception De L’inspecteur De l’Enseignement 32 à 34
I.9 Les Avantages Du Bilinguisme………………………………….…….. 35 à 39
I.10 Comment Passer Du Savoir Savant Au Savoir Scolaire ?................ 40 à 43
I.11 La Maltraitance Des Enfants………………………………………..….. 44 à 47
I.12 Le Niveau Des Élèves : Interminable Mur Des Lamentations…..….. 48 à 51
I.13 Jeunesse « Malsaine »Ou Désemparée ?........................................ 52 à 56
I.14 Responsabilités Des Parents……………………………………..…… 57 à 61
I.15 Enfants A Besoins Educatifs Spéciaux (EBES)………………..……. 62 à 65
I.16 Où Va Le Système ?......................................................................... 66 à 69
I.17 Impact Du Divorce Sur Les Enfants…………………………………… 70 à 74
I.18 Ces Maux Qui Gangrènent Le Système !......................................... 75 à 80
I.19 Et Si L’on Revigorait La Conscience Professionnelle ! …………….. 81 à 85
I.22 Un Secteur En Crise ! La Toile De Pénélope ?................................ 86 à 90
I.23 Parents et élèves observent les enseignants………………………… 91 à 94
I.24 La Saga d’un adjectif……………………………………………..……. 95 à 97
I.25 Redoutée ou contestée, l’inspection dérange………………...……… 98 à 101
I.26 L’école prépare –t-elle à la vie ?....................................................... 102 à 106
I.27 L’honneur d’un adolescent…………………………………………….. 107 à 114
I.28 Faut-il utiliser nos langues nationales ?............................................ 115 à 119
I.29 Ce que raisonner veut dire…………………………………..…………. 120 à 123
I.30 Evaluer, pour quoi faire ?.................................................................. 124 à 126
I.31 Philosophie de la vie familiale et violence…………………………….. 127 à 133
I.32 Fausses compréhensions des élèves…………………………...……. 134 à 139
Chapitre II : Pédagogie…………………………………………………. 140-147
II.1 Le Défi De La Lecture A L’école Elémentaire…………………..……. 140 à 143
II.2 L’enseignement Des Mathématiques A L’école Elémentaire……….. 144 à 147
A
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Chapitre III. : Syndicalisme…………………………………………….. 148-152


III.1 Le SIENS Ou La Défense D’un Corps En Déliquescence…………... 148 à 152
Chapitre IV : Sociologie ………………………………………………..… 153 -180
IV.1 Questions Aux Sociologues……………………………………………. 153 à 175
IV.2 Société : Et Si L’on Revoyait Les Comportements !......................... 176 à 180
Chapitre V : Epistémologie………………………………………………. 181-188
V.1 Révolution Scientifique…………………………………..…………….. 181 à 188
Chapitre VI : Politique……………………………………………………… 189- 244
VI.1 La Crise Du Militantisme Politique………………………………….…. 189 à 192
VI.2 Le Respect De La Parole Donnée : Ventre Mou De Nos Gouvernants …….…. 193 à 196
VI.3 Que Demande Le Peuple ?............................................................... 197 à 200
VI.4 Les Sages Du Conseil Constitutionnel………………….…………….. 201 à 204
VI.5 Incivilités, Délinquances Et Violences Politiques…………………….. 205 à 208
VI.6 Présidentielle 2024 : Le Droit N’est-Il Pas Suffisant ?....................... 209 à 212
VI.7 La Constitution : « Trop Simple Pour Prêter A Discussion »…….….. 213 à 216
VI.8 Opposition Politique Est-Elle Synonyme De Nihilisme ?................... 217 à 220
VI.9 Quelle Sorte De Démocratie Est La Nôtre ?..................................... 221 à 224
VI10 Peut-On Arriver Au Pouvoir Sans Perdre Son Ame ?....................... 225 à 228
VI. 11 Et Si Nos Gouvernants Apprenaient La Stratégie !........................... 229 à 232
VI.12 La genèse du message à la nation…………………………………….. 233 à 236
VI.13 L’électeur, cet inconnu…………………………………………..……… 237 à 240
VI.14 Une démocratie hautement inflammable ! …………………………… 241 à 244
Chapitre VII : Administration……………………………………………. 245-250
VII.1 Le Système De Rémunération De La Fonction Publique………….. 245 à 250
Chapitre VIII : Actualité……………………………………………..……. 251-273
VIIII.1 Médicaments Frauduleux : Arrêtons Les Charlatans……...………... 251 à 252
VIII.2 Débat A La Télévision…………………………………………...……… 253 à 255
VIII.3 Le Péril Identitaire : Chassons Les Oiseaux De Mauvais Augure … 256 à 258
VIII.4 Pour Une Culture De La Paix…………………………………………. 259 à 262
VIII.5 Comprendre le phénomène de la guerre……………..………………. 263 à 267
VIII.6 Guerre et paix dans l’islam……………………….……….…………… 268 à 273
Chapitre IX : Psychologie…………………………………………..….. 274-276
IX.1 Les Deux Instincts Fondamentaux Du Subconscient : EROS Et Thanatos……. 274 à 276

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Remerciements
Je remercie Monsieur Omar Duffo, Inspecteur de l’Enseignement
Elémentaire de son état, qui a eu la patience de lire attentivement bon nombre
des articles qui constituent la quintessence de ce livre. Ces remarques,
pertinentes et utiles m’ont, sans contexte, permis d’améliorer mon manuscrit.
Il a été pour moi, un lecteur critique et vigilant. Néanmoins, j’assume seul les
positions défendues dans cet ouvrage.
Mes remerciements vont aussi à l’endroit de Monsieur Alassane Amadou Ba,
responsable de la cellule informatique du collège Amadou Coly Diop, grâce à
qui toutes les saisies ont été effectuées avec beaucoup de soin. En tant
qu’informaticien, je salue son professionnalisme.
Mention aussi spéciale à Madame Diop née Déguène Bop, Principale du
CEM Amadou Coly Diop, pour qui j’ai eu un respect eu égard à sa grande
courtoisie ainsi qu’à son attitude particulièrement obséquieuse envers
l’autorité.
Je pense aussi à tous mes lecteurs, des différents articles. Leurs
encouragements ainsi que leurs félicitations pour la teneur des articles m’ont
mis du baume au cœur et m’incite à toujours mieux faire.
Je n’oublie pas les journaux : LAS ; le Quotidien ; 24 Heures et Walf Quotidien
qui ont consenti à publier bon nombre de mes articles.

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Introduction :
Cet ouvrage est une compilation. Il traite des sujets les plus divers. Son
caractère hybride lui confère sa nature de document de culture générale. Son
contenu particulièrement bigarré vous offre des sujets relevant de disciplines
qui touchent presque, à toutes les branches du savoir : De la philosophie à
l’économie en passant par la science, la pédagogie, la psychologie, des
articles de presse, déjà publiés dans les journaux les plus prisés de la place.
Il s’adresse à toute personne assoiffée de culture, aux étudiants, aux élèves,
aux journalistes, aux enseignants mais aussi aux hommes politiques en
général mais particulièrement à ceux qui exercent le pouvoir : Président de la
République, Ministres et Députés.
Mon ambition n’était pas de donner des leçons à qui ce soit mais bien de
contribuer au progrès de mon peuple en donnant mes opinions sur l’ensemble
des sujets qui ont intéressé la République, surtout pendant les moments
chauds dont elle a eu à faire face à un moment ou à un autre.
J’espère que le lecteur, de quelque bord qu’il se situe, y trouvera les
informations dont il a besoin à des fins personnelles.

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ADÉQUATION FORMATION/EMPLOI
J’ai eu l’honneur, le vendredi 6 Août 2021, d’avoir été l’invité de la chaine
TV Prestige Thiès sur le thème : « Impact de l’éducation et de la formation sur
le développement économique ». Cette émission, animée par Monsieur
Mansour Guèye, Professeur de techniques économiques de son état, a été
conduite avec perspicacité et compétence. Cette clairvoyance qui est le
propre des enseignants expérimentés, m’a inspiré cet article que j’intitule :
Adéquation Formation/emploi.
Mon ambition n’est point de sombrer dans les théories les plus radicales.
Loin s’en faut. D’autres cadres plus versés que moi, en la matière, le feront
certainement. En tant qu’acteur du système pendant près de quatre décennies,
je voudrais tout simplement apporter ma modeste contribution sur la
problématique, en mettant le doigt sur un problème clé de notre Education
Nationale.
Comme l’écrit Philippe Delmas, « c’est la qualité de l’articulation entre les
systèmes éducatif et économique qui distinguera nettement les pays les uns
des autres ». En un mot comme en cent, il faut rapprocher, absolument, l’école
et l’entreprise. Sans doute même, peu ou prou, les marier.
Cela ne se fera ni en un jour, ni sans heurt. Il me semble que nous ferions,
déjà, un pas important dans la bonne direction si nous arrivions, davantage à
substituer au concept unique d’Education, ceux, complémentaires,
d’instruction et de formation. Parce qu’il faut bien constater qu’à vouloir tout
unifier sous le même chapeau, l’Education nationale est en train de conduire à
l’échec, de plus en plus tôt, un nombre d’enfant de plus en plus important.
La simple création d’un Ministère chargé de la formation professionnelle, à
mon sens, ne suffit pas. L’identification des besoins des entreprises en matière
de main-d’œuvre qualifiée doit commander les filières de formation dans les
différentes structures. Autrement dit, il faut mettre en œuvre une véritable

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économie de l’éducation dans le fonctionnement d’un département ministériel


qui s’occupe de formation professionnelle.
Branche à part entière des sciences économiques par la mise en œuvre de
raisonnements, de concepts et d’outils qui leur sont propres, l’économie de
l’éducation traite des différentes dimensions du phénomène, de l’offre et la
demande des services éducatifs à l’orientation et la gestion des systèmes de
formation.
De ce point de vue, la théorie du capital humain – Becker 1964 – construite
par analogie avec la théorie du capital physique doit offrir toutes ses
ressources. Dès lors que l’éducation y est présentée comme un investissement
que l’individu effectue en vue de la constitution d’un capital humain dont il tirera
des bénéfices futurs.
Tout apprentissage est coûteux, surtout par le temps qu’on lui consacre et
qui ne peut être utilisé à d’autres activités, notamment productives. On parle
alors de coût d’opportunité. En retour, ces connaissances procurent à l’individu
un flux durable de bénéfices : satisfactions psychologiques, bénéfices
marchands ou non marchands.
L’existence du coût d’opportunité annonce une décroissance de la rentabilité
d’investissement éducatif successif. Plus le capital humain accumulé est
important, plus grande est la valeur des bénéfices auxquels on renonce en
consacrant du temps à l’acquisition des connaissances.
L’assimilation de l’éducation et de la formation à un investissement constitue
une représentation hypothétique de la réalité qui n’a de sens qu’à travers la
confrontation des prédictions de la théorie aux faits. On a pu aussi vérifier que
l’éducation constituait un investissement individuel rentable, et constater la
réalité du comportement d’investissement que la théorie prête aux individus en
observant la sensibilité des choix d’éducation à l’évolution de la rentabilité des
filières d’études.

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Aussi, les réflexions sur l’offre de services éducatifs, l’orientation et la gestion


des systèmes de formation font partie intégrante de l’économie de l’éducation
à travers l’examen de l’efficacité externe – adaptation des produits du système
aux besoins de la société – et de l’efficacité interne – choix des modes de
production les plus efficaces pour un niveau donné de dépense.
Comme on le voit, tout est basé sur le savoir, sur la connaissance – « xam-
xam » - Et ce n’est pas nouveau ! Si des racines de la notion d’éducation
permanente ont pu être désenfouies par les historiens, de Socrate jusqu’à
Condorcet en passant par les commentaires du Coran, le terme « d’éducation
tout au long de la vie » - Lifelong Learning – comme disent les anglo-saxon
semble être apparu dans le vocabulaire anglophone vers 1920. C’est à partir
du milieu du XXe siècle que les notions relatives à la formation vont prendre
leur essor international. Elles sont, aujourd’hui, plus que jamais de mise.
L’évolution donc vers l’éducation et la formation tout au long de la vie doit
accompagner une transition réussie vers une économie et une société
essentiellement fondées sur la connaissance. « Xam-Xam Rek ». Autrement
dit, la promotion d’une citoyenneté active et la promotion d’une capacité
d’insertion professionnelle.
Concrètement comment y parvenir ?
Par la formation, très tôt d’un esprit scientifique aiguisé, dès la maternelle.
C’est cette ambition qu’avait le projet de renforcement de l’Enseignement des
Mathématiques, des Sciences et de la Technologie – PREMST – le préjugé
négatif que les élèves ont des matières scientifiques doit être dissipé. C’est le
rôle des enseignants en la matière de construire une nouvelle représentation
plus attractive de leurs disciplines.
De ce point de vue, les exemples persuasifs ne manquent pas : C’est à
Pythagore qu’on attribue vers le sixième siècle avant Jésus – Christ, l’invention
du premier instrument de traitement des nombres : la table de multiplication.
Les choses en restèrent là très longtemps. La naissance, bien plus tard, de la
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série d’institutions qui ont conduit à l’informatique, est d’abord due au cerveau
de Pascal. N’oublions pas que la puissance de l’esprit de Pascal avait été
aiguisée par la volonté paternelle, à l’âge de onze ans, en 1634.
Autre exemple, Leibniz qui élargit avec intrépidité le champ et la
perspective : il y introduit les données astronomiques et les fonctions
trigonométriques.
Il y mêle bientôt une autre intuition féconde, ce qu’il appelle dès ce moment-
là « le système nouveau de la nature et de la communication ». Il est porté à
un optimisme fondamental sur l’homme et sa destinée, le dynamisme de sa
nature, sa capacité cérébrale et le lien essentiel qui le rattache à l’univers
environnant. « Il n’y a rien de l’intelligence qui ne vienne des sens, si ce n’est
l’intelligence elle-même », écrit-il dans une formule célèbre.
Ce sont ces grands esprits qui doivent inspirer nos élèves durant tout leur
cursus. La tâche nous incombe à nous enseignants, qui avons la lourde tâche
de les former. Une fois cette formation réussie, je l’espère, comment dès lors
les insérer dans le tissu économique ? Ne nous faisons pas d’illusions ! Rares
sont les pays, y compris ceux développés, à réussir le couple « universel »
Formation/Emploi, exceptés le Japon, l’Allemagne et les Etats-Unis,
pratiquement tous les autres se trouvent dans une situation de recherche
permanente. Nous ne devons pas être en reste. En quoi faisant ?
D’abord, si ce n’est pas déjà fait, introduire dans les programmes de
formation professionnelle, durant tout le cursus, des modules de formation à
l’entrepreneuriat, afin de les préparer à la prise en charge de leur propre destin
au cas où l’état ou le secteur privé n’étaient pas à même d’absorber tous les
sortants. Ce qui du reste est fort probable.
Ensuite, aider davantage à la promotion du secteur privé non seulement par
l’attraction de l’investissement étranger mais aussi et surtout la valorisation de
nos produits locaux par les nationaux. Ces petites et moyennes unités
industrielles sont de nature, à n’en point douter, à résorber le chômage.
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Décomplexer certains intellectuels à s’engager dans l’agriculture. Wade a écrit


sur la pensée économique du Mouridisme ; à mon sens, la voie est tout aussi
tracée.
Enfin, éviter certains projets de prestige, « comme le TER – Train express
Régional – qui, en réalité n’arrange que le bailleur. Les 450 milliards qui y sont
investis, traduits en millions pourraient financer 450 000 jeunes à hauteur de 1
(Un) million par jeune dans le secteur de l’Agriculture.
Pour y parvenir, il faut un système rigide, cloisonné, planifié, décentralisé –
le rôle des collectivités locales – uniforme, qui est le nôtre, pourtant,
aujourd’hui ; donner aux élèves adultes et déjà engagés dans la vie active,
l’accès à une offre de formation diversifiée en fonction des besoins exprimés
par les entreprises, en fonction des âges, des expériences, des projets
bancables – je pense à la DER.
Cela, aucune bureaucratie ne peut l’organiser. Seul un marché décentralisé
– renforcement des fonds de concours des collectivités locales – en est
capable, même s’il faut que l’Etat supervise, contrôle, oriente, puisque c’est
l’argent public qui continuera pour l’essentiel, de financer les études.
Voilà, sans doute, une simple contribution, modeste, à la limite, que je livre
aux décideurs en leur conseillant, d’abord, de relire cette « instruction » que
Jules Ferry adressait il y’a un siècle aux « hussards noirs » de la République,
bien sûr en France : « L’école doit préparer les enfants à la vie qui les attend. »

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A propos de la baisse du niveau des enseignants


La rengaine du niveau des enseignants qui baisse est une des controverses
les plus récurrentes en éducation. Elle est apparue récemment avec l’examen
du budget de l’Education. En effet, le ministre, faisant part aux députés des
résultats d’un test de connaissance du français réalisé sur un échantillon, a
déclaré qu’il ressort dudit test les données suivantes 9% des enseignants
peuvent enseigner le français, 39% peuvent enseigner en français, à peu près
7% sont des novices du français.
Ces propos ont déclenché une réaction de la part des syndicats d’enseignants
qui ont imputé la médiocrité au ministre responsable des recrutements. Ce
problème, tel qu’il est posé, n’est pas nouveau. Il est ancien, très ancien même.
Déjà au 18e siècle, en 1763 précisément, dans son Essai d’éducation ou plan
d’études pour la jeunesse, la Chalotais écrivait : « on n’acquiert dans la plupart
des collèges aucune connaissance de notre langue… sur mille étudiants qui
ont fait ce qu’on appelle leurs cours d’Humanité et de philosophie, à peine en
trouvera-t-on dix… qui savent écrire une lettre. » Plus tard, en 1858 le doyen
de faculté Olleris constatait amèrement, à Clermont : « Les candidats ignorent
et la biographie et le titre des principaux ouvrages de Montesquieu, de
Bossuet, de Racine. » Il confirmait en 1859 : « La valeur des mots, leur sens
propre et leur sens figuré sont rarement compris. » Enfin, en 1864, s’irrite le
doyen Bouiller de l’Université de Lyon : « Les copies sont presque toutes
médiocres et quelques-unes ont des fautes grossières à toutes les lignes en
latin et en français… »
C’est dire que la baisse du niveau est une véritable rengaine. Nous devrions
en conséquence chercher à situer la signification de cette rengaine ou de ce
radotage séculaire – comme le qualifiaient irrévérencieusement Baudelot et
Establet – sur la crise ou la baisse de niveau, trop aisément admise quoique
la notion même du niveau reste confuse et difficilement mesurable. En fait, et

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mises à part les études des chercheurs et experts, qui restent encore
confidentielles, les enseignants et même responsables au plus haut niveau,
qui parlent si fréquemment du niveau qui baisse, ne se réfèrent à aucun
fondement critique ni à aucune référence sérieuse. C’est un tic culturel ou
professionnel qui peut expliquer dans la convergence de mobiles divers.
Tentons d’en identifier quelques-uns. Mais auparavant, je voudrais marquer
mon opposition la plus forte à ceux qui soutiennent que « le niveau de français
des enseignants est comparable à celui de tous les autres corps de métier ».
Nous ne devons pas accepter de tomber si bas, car si nous avons le même
niveau que ceux que nous sommes censés former au point de nous confondre
à eux, où va le système ? Nous devons à tout prix sauvegarder notre image
d’homme de culture et nous situer aux antipodes de toute forme de médiocrité.
Sous ce rapport, quelle thérapeutique pour améliorer constamment le niveau
de langue, le français ? On a tendance à incriminer le recrutement, cet
argument à mon avis ne tient pas la route, étant entendu que les bacheliers
sont désormais recrutés par voie de concours ; même avant, avec le « quota
sécuritaire », il n’y avait pas lieu de s’alarmer, car on a vu des moniteurs
auxiliaires gravir les échelons jusqu’aux fonctions d’inspecteurs,
d’administrateur civil ou de professeur agrégé. Ce qui manque cruellement
chez nos enseignants d’aujourd’hui, c’est la vocation. Ils embrassent le métier,
en font un gagne-pain. Cette attitude tue l’ambition et bloque l’enseignant dans
sa quête du savoir.
Dans mes lectures, je n’ai rencontré, jusqu’ici, nulle part où il est dit que, plus
le niveau du diplôme est élevé, plus l’enseignant est meilleur et
conséquemment, possède un niveau de langue plus élaboré.
Pour avoir un bon niveau en français, il faut absolument beaucoup lire. La
pratique d’une langue précède toujours la prise de conscience des lois
d’organisation de cette langue, c’est connu. Il ne faut pas avoir peur de parler

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français. Le parfait n’est pas de ce monde. Dites-vous bien aussi, qu’on


améliore immanquablement son style en lisant les bons auteurs.
Alors, mes chers enseignants, à vos livres et journaux ! Il est temps de conclure
par une interpellation aux décideurs, au ministre de l’Education.
Monsieur le ministre, je suis ulcéré par la banalisation d’un diplôme aussi
prestigieux que le Cap (Certificat d’aptitude pédagogique). Aujourd’hui, tout le
monde est titulaire de ce diplôme et comment ? Cela inéluctablement va
contribuer davantage à la baisse de niveau que vous déplorez, car rien que la
lecture des œuvres de littérature africaine et française inscrites aux
programmes était de nature à relever à la fois le niveau de langue et de culture.
Enfin, il est grand temps que les stages de recyclage soient exhumés. Les
centres régionaux de formation des personnels de l’éducation (Crfpe)
devraient avoir aussi vocation à en recevoir, chaque année, tous les
enseignants ayant obtenu une note d’inspection inférieure ou égale à 7 sur 20.
Ils devraient obligatoirement passer en recyclage pour être plus performants.
L’efficacité du système en dépend pour une grande part.

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Ethique et déontologie de l’enseignement


La question de l’éthique et de la déontologie n’a jamais cessé d’être
liée au métier d’enseignant.la raison en est peut-être que
contrairement à d’autres professions, la nôtre n’a pas été d’abord
caractérisée par des compétences précises susceptibles de la définir,
précisément comme un métier.
On le sait, pendant longtemps, la détention d’un savoir de type
académique a semblé suffisante pour attester la capacité de
l’enseignant. Mais en un cas, rien ne pouvait distinguer l’enseignant
du savant ou de l’homme simple cultivé.
Le recours à l’éthique apparaîtra comme la solution à ce phénomène.
L’enseignant se distingue par des exigences morales, par une attitude
existentielle qui a essentiellement trait, non pas à la détention ou à
l’acquisition de connaissances- comme c’est le cas du chercheur ou
de l’ingénieur – mais au rapport à autrui. La déontologie a ainsi
pendant longtemps supplée l’absence de compétences strictement
« professionnelles » ; elle a constitué pour ainsi dire une
« professionnalisation par défaut » de la pratique enseignante. Mais
qu’est-ce que l’éthique ? Qu’est-ce que la déontologie ? L’élucidation
de ces deux concepts nous permettra de mieux cerner le profil requis
pour être enseignant.
Selon le Larousse, l’éthique concerne les principes de la morale. C’est
la partie de la philosophie qui étudie les fondements de la morale,
l’ensemble des règles de conduite. Et quant à la déontologie, elle
regroupe l’ensemble des règles et des devoirs qui régissent une
profession, la conduite de ceux qui l’exercent, Exemple : déontologie
éducative ; déontologie médicale ; déontologie journalistique etc.

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Aussi l’ouvrage de pédagogie intitulé DENIR ENSEIGNANT, sous-


titré : « A la conquête de l’identité professionnelle » qui fut depuis le
début des années 2000, le livre de référence de bon nombre
d’instituteurs mais surtout d’élèves-maitres en formation initiale dans
les CRFPE, marque bien cette place privilégiée de l’exigence éthique
dans le statut de l’enseignant.
De même que l’école vise moins l’inculcation de connaissances que
la réalisation d’une éducation à la fois morale et civique, de même
que le maitre enseigne moins, en fin de compte, par sa culture et les
savoirs qu’il a acquis par sa personne.
La première exigence de l’éducateur est bien la maitrise de soi, car
« on ne règne sur les âmes que par le calme ». L’instituteur doit
« s’imposer à lui-même les disciplines dont il doit être le
protagoniste » : ponctualité, patience, sens de l’effort et du travail
toujours bien fait, goût de l’ordre, de l’épargne, sont ainsi des
nécessités déontologiques, parce qu’on ne peut enseigner aux autres
des vertus que l’on ne pratiquerait pas soi-même. L’enseignant est
d’abord un « modèle » ; et à ce titre il enseigne moins parce qu’il dit
que par ce qu’il fait, et en dernier ressort parce qu’il est.
C’est pourquoi la seconde exigence déontologique est de manifester
un dynamisme, « une sorte de chaleur communicative, un reflet d’âme
qui pénètre la classe toute entière.
Si l’acte d’enseigner n’est pas, comme dans les autres métiers, une
pratique transformatrice fondée sur la possession d’un certain nombre
de techniques et de savoir-faire, mais plutôt une relation étique
d’imprégnation, de pénétration et de séduction, alors le
« rayonnement » n’est plus pour l’enseignant une caractéristique
personnelle contingente, un tempérament parmi d’autres possibles,

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mais pour ainsi dire une obligation professionnelle dont l’absence est
rédhibitoire, autrement dit qui constitue un obstacle radical.
En dernier ressort, il est impossible de distinguer, dans le cas de
l’enseignant, ce qui revenait à une déontologie professionnelle et ce
qui relève de la morale tout court. Car l’enseignement est peut-être le
seul « métier » où activité publique, vie privée, existence
professionnelle et personnelle ne saurait être dissociées.
Contrairement aux autres travailleurs, l’instituteur est enseignant
partout et toujours, même et surtout hors de la classe. « L’éducateur
doit être irréprochable dans sa tenue et sa conduite privée… celui qui
a accepté la mission d’éducateur doit mettre sa tenue en harmonie
avec son enseignement » nous dit Jean Andrews dans Devenir
enseignant.
Aussi bien, les termes employés à son propos n’appartiennent pas,
comme c’est le cas aujourd’hui, au vocabulaire des métiers
(compétences, savoir-faire, technique etc.), mais à celui du
sacerdoce ecclésiastique : « vocation », « mission », « service »,
« apostolat », « disciple » signifient clairement le caractère religieux
sacerdotal, de l’activité enseignante. Comme on le voit, donc, on entre
dans ce métier comme on entre dans une religion. Si on est
essentiellement grisé par des considérations tout à fait pécuniaires, il
vaut mieux aller voir ailleurs, car on risque de porter un grand tort à
l’éducation nationale.
En somme, si la notion de déontologie évoque l’idée de devoirs
spécifiques à une pratique déterminée, celle-ci est habituellement
toujours liée à celle de droits corrélatifs de ces devoirs. Or, dans le
cas de l’enseignant, on a l’exemple d’un état où ce couple classique
ne joue pas.

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Ma modeste expérience de dix années de pratique pédagogique dans


les classes, du CI au CM2 et de vingt-huit ans dans le corps de
contrôle, m’autorise à adresser ce conseil aux jeunes enseignants :
ne pensez pas trop à vos droits : souvenez-vous que l’exercice
inconsidéré d’un droit équivaut à une faute et que l’on a parfois tort
d’avoir raison. C’est donc une éthique « sacrificielle » qui régit
l’enseignant, invité à un sacrifice total et sans contrepartie de sa
personne à sa tâche, à un dévouement sans retour, à un complet oubli
de soi-même. Un métier ingrat mais noble !

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

N’accusez pas le système éducatif !


Au cours de ces dernières années, la question de la relation entre
l’enseignement et la vie professionnelle est devenue prioritaire ; on est de
plus en plus conscient de l’inadéquation institutionnelle qu’il y’a entre les
deux. Il s’agit là, d’un problème aux implications énormes pour la politique
socio-économique. Il est impossible aujourd’hui, d’éviter le problème
crucial constitué par la façon dont le système éducatif se rattache au
système professionnel.
C’est dans ce cadre, que l’union des conseils économiques et sociaux et
institutions similaires d’Afrique (UCESA) qui s’est réunie à DAKAR autour
du thème : « Quel système éducatif pour favoriser l’insertion
professionnelle des jeunes en Afrique ? » s’est accordé pour dire que le
chômage des jeunes est dû à l’inadéquation de la formation à l’emploi. En
clair, le système éducatif est remis en question. Quoi de plus normal ?
Cependant, il serait inexact de soutenir que le chômage des jeunes résulte
exclusivement de ce constat. Et l’article publié dans l’observateur n° 3126
du Vendredi 21 Février 2014, intitulé « Les conseils économiques et
sociaux remettent en cause le système éducatif » a suscité en moi
quelques réflexions. Mieux vaut tard que jamais.
Il faut d’abord se rendre à l’évidence que le problème tel qu’il a été posé,
non seulement n’est pas nouveau mais se révèle au grand jour sous des
conceptions totalement opposées. Tout d’abord, il y’a ceux qui disent que
l’école devait « préparer » à la société et à l’enseignement, tout le monde,
avec bien sûr la scolarisation universelle, devait, sur un pied d’égalité,
acquérir les compétences nécessaires afin de prendre pied sur le marché
de l’emploi et, ensuite, d’occuper un emploi conforme à ses qualifications.
Ensuite, il y'a ceux qu’disent que l’école, dans une économie de marché,
ne sert qu’à reproduire les relations sociales qu’on trouve dans les

13
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

schémas de production ; dans cette optique, l’école ne sert qu’à conserver


la hiérarchie entre propriétaires des moyens de production et salariés.
De quelque bord que l’on se situe, la réalité est là : les diplômés du
système sont là, en chômage chronique. Ce phénomène est-il imputable
exclusivement au système ? De toute façon, ce système quoi qu’on puisse
en dire, a produit d’éminents cadres à tous les niveaux et dans tous les
domaines de la vie économique et sociale- Nos gouvernants, depuis
l’indépendance ont compris très tôt qu’un pays qui se respecte doit bâtir
sa crédibilité sur l’école, et celle-ci dans notre pays, malgré les
soubresauts qu’elle connait de temps à autre, a généré de bons produits.
Aussi la vie professionnelle pour qu’elle soit réellement corrélée aux
performances du système éducatif doit-elle être soutenue par de bonnes
politiques publiques, notamment celles relatives à l’emploi. Dans nos
pays, ce ne sont pas les formés, les qualifications qui font défaut mais bien
les débouchés. Les profils souhaités existent partout où on en a besoin,
mais malheureusement, les structures d’accueil se font de plus en plus
rares, à travers des entreprises qui mettent la clé sous le paillasson faute
de matière première, exemple les industries textiles.
Sans vouloir épouser les thèses d’Ivan Illich qui vont sans équivoque, vers
la suppression pure et simple de l’institution scolaire et par son
remplacement par ce qu’il appelle des « réseaux de communication », je
reste persuadé que la fermeture de toutes les écoles sur une période de
dix ans n’affecterait nullement le fonctionnement socio-économique du
pays dans la mesure où dans tous les domaines de la vie, existent
suffisamment de ressources humaines disponibles et de qualité, pour la
bonne marche des affaires de la cité. Evidemment, un tel scénario n’est
pas envisageable car de facto, il porterait préjudice à des générations qui
ont droit à l’éducation et à la formation. C’est dire tout simplement que le
système a assez formé mais malheureusement, n’est pas assisté par une
14
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

bonne politique de l’emploi. Ce n’est donc pas le système qu’il faut


accuser mais bien les politiques publiques mal conçues et mal adaptées
aux produits que génère l’école.
Comment y remédier ? Il ne faut pas se faire d’illusions quant à l’insertion
des jeunes dans le circuit économique, quel que soit par ailleurs la qualité
du profil présenté ; c’est une question de capacité d’absorption à laquelle,
même les pays industrialisés sont aujourd’hui confrontés. Exemple : la
crise des gilets jaunes en France. Cependant, il est possible de voir les
secteurs qui à présent sont de nature à pouvoir accueillir les jeunes et
occasionner une impulsion nouvelle à notre économie, car sur l’aile
enjouée du temps, il n’y a pas de plus affreux désastre que la mort de
l’imagination. Le premier secteur qui s’offre à l’œil est celui, naturel, de
l’agriculture. Nous avons des terres, nous avons l’eau et nous avons les
jeunes. Il ne reste qu’à leur donner la formation requise et les mettre au
travail. C’est à ce niveau que la formation doit être bien pensée au niveau
de la structure qui la dispense, de manière à ce qu’elle ne soit pas en
déphasage avec les besoins du terrain.
Au sujet de la formation professionnelle, la loi d’orientation de l’Education
nationale 91 -22 du16/02/1991 stipule en son article
premier : « l’éducation nationale tend : « à préparer les conditions d’un
développement intégral, assumé par la nation toute entière : elle a pour
but de former des hommes et des femmes capables de travailler
efficacement à la construction du pays ; elle porte un intérêt particulier aux
problèmes économiques, sociaux et culturels rencontrés par le Sénégal
dans son effort de développement et elle garde un souci constant de
mettre les formations qu’elle dispense en relation avec ces problèmes et
leurs solutions ».Voilà qui est, on ne peut plus clair. Pourtant cette
formulation jure d’avec le constat sur le terrain. En effet, qui peut soutenir
que l’agriculture au Sénégal qui devait constituer la rampe de lancement
15
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

de l’économie n’a pas besoin aujourd’hui de cadres moyens pour sa


formation ? Alors comment expliquer la mise en rade des sortants de
l’école d’agriculture et des eaux et forêts de Ziguinchor au point que ceux-
ci se livrent à une grève de faim ? Et ceci n’est point un épiphénomène ;
car d’autres structures de formation très utiles à l’économie ont subi le
même sort. Dès lors ; n’est-il pas urgent, de bien revoir les types de
formation à dispenser en fonction des besoins réels du tissu économique
et social, seul gage de résorber le gap entre formation et emploi.

16
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

La « crise » de l’école, discours creux ou réalité ?


Aujourd’hui, presque partout, aussi bien dans les villes que dans les
campagnes, dans les pays industrialisés que ceux dits en voie de
développement, la « crise » de l’école a bien pignon sur rue dans le
paysage éducationnel. Aussi, s’agit-il d’un discours creux ou d’une réalité
vécue ?
Mais avant de tenter de répondre à cette interrogation, précisons pourquoi
le mot « crise » est-il mis entre guillemets.
Au vu de l’expérience vécue ces dernières années, il ne fait plus de doute
que l’école-institution a des problèmes, certains disent même de sérieux
problèmes. Qualifier ces problèmes de « crise », c’est peut-être
dramatiser à l’excès, mais il est significatif de constater que le terme
revient fréquemment dans des titres de manuel et dans le langage de
personnes qui font autorité en matière d’éducation. Certains trouvent le
terme « crise » sujet à caution en ce qu’il tend à dissimuler les vrais
problèmes. C’est cela qui explique la mise entre guillemets du mot
« crise » eu égard aux interprétations multiples.
Aussi, l’enseignement élémentaire connut-il une expansion sans
précédent au XIXe siècle. Vers la fin des années 60, on commence à
envisager sérieusement l’éducation universelle. C’est justement à ce
moment-là, qu’on émit à son encontre de sévères critiques et des doutes
quant à la finalité de l’école. L’école en tant qu’institution fut l’objet d’une
attaque en règle ; certains, alors, parlent de crises et même d’une crise
mondiale. On a remis en question l’école en tant qu’intuition, et on l’a
même tellement remis en question que certains ont pris au sérieux le
mouvement de « déscolarisation » dont Ivan ILLICH (1970 - une société
sans école – s’était positionné en tête de file. Dès lors, l’euphorie qu’avait
suscitée la naissance de l’institution avait cédé la place au
désenchantement. Mais quels ont été les symptômes de la crise ?
17
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Celui le plus évident était le rapport qui existait entre éducation et politique.
On ne croyait plus que l’éducation était l’instrument obligé de l’avènement
d’une société meilleure. Quand les conservateurs reprochaient à l’école
ses niveaux académiques de plus en plus bas, les radicaux, au contraire,
lui reprochaient d’être oppressive, autocratique et assommante.
Aussi, les libéraux, au XIXe siècle, voyaient l’école comme un instrument
d’égalisation. Elle serait comme Horace MANN le disait : « l’égalisateur de
la condition humaine, le palonnier de la machine sociale… elle fait mieux
que simplement désamorcer l’hostilité des pauvres envers les riches : elle
prévient la pauvreté… » Autrement dit, on considérait que l’éducation
était, pour celui qui était né humble l’instrument majeur de l’ascension
sociale ; tout le monde avait les mêmes possibilités de réussite : il suffisait
pour cela d’avoir du talent et de l’énergie. Dans nos sociétés actuelles,
l’égalité apparente ne garantit pas l’égalité de chance dans la vie, même
dans les sociétés qui, à l’époque, étaient dites socialistes qui ont fait de
l’égalité un de leurs buts premiers.
Par ailleurs, on note des attitudes plus ou moins négatives dans le local
même de la classe. Les exemples des pays hyperindustrialisés tel que les
Etats-Unis, les Pays-Bas, ou l’Allemagne, montrent à profusion que les
attitudes des étudiants vis-à-vis de l’école deviennent de plus en plus
négatives au fur et à mesure qu’ils gravissent les échelons de la scolarité.
Mais ce phénomène n’est-il pas lié en partie à la diminution de
l’importance donnée à l’éducation ?
Il apparaît clairement que, dans l’échelle des priorités politiques,
l’éducation est descendue de quelques échelons. Ne soyons pas étourdis
par le mirage des chiffres. La moitié du budget au Sénégal était consacrée
à l’Education avait-on l’habitude de nous rabattre les oreilles ; si oui,
pourquoi autant de remous récurrents dans le système ? Quatre-vingt-dix
pour cent (90%) du budget de l’éducation sont consacrés au personnel.
18
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Très peu pour le fonctionnement. Il en est de même pour l’aide publique


au développement dont une portion congrue est affectée à l’éducation.
Ces restrictions budgétaires sont le signe évident de cette perte de
confiance. On parle même d’une « gestion de déclin » de l’éducation. Les
coûts de fonctionnement, je l’ai signalé plus haut, de nos jours, on atteint
un seuil critique. Les répercussions de la croissance sur l’éducation, si
croissance, il y a, deviennent très préoccupantes, surtout au niveau de
l’éducation préscolaire et de l’enseignement élémentaire, sinon de
l’ensemble du cycle fondamental. Au final, quelles conséquences
l’institutionnalisation de l’école a-t-elle entrainées ?
Depuis les années 60, on publie des rapports inquiétants à propos de la
saturation au niveau de la classe. Le plus connu de ces rapports a été
écrit par Charles SILBERMANN La crise en classe. SILBERMANN
présente dans ces rapports une longue série d’exemples vécus au jour le
jour dans les écoles et les rattache au cadre plus large du rôle social de
l’école.
En résumé, on peut dire qu’il y a trois grandes conséquences majeures
pour lesquelles les écoles en général se sont transformées en terrains de
combats socio-politiques.
D’abord, les dépenses en matière d’éducation se sont élevées
rapidement : deux fois plus vite que le produit national brut (PNB) et une
fois et demi à deux fois plus vite que les dépenses des secteurs publics
(ce qui amène des demandes de compte, de réévaluation, de réforme du
système tout entier ; et également d’un contrôle public ; avec tout ce que
cela implique de controverses politiques).
Ensuite, l’éducation a été souvent perçue comme un instrument pour
augmenter ses chances dans la vie et pour faire carrière. Ces aspirations
étaient contrecarrées du fait même de la situation de haute compétition

19
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

qui régnait ; ceux qui réussissaient le mieux dans cette compétition étaient
ceux provenant des familles privilégiées au niveau culturel.
Enfin, il y a conflit entre, d’une part, l’administration traditionnellement
bureaucratique et hiérarchisée qui avait la charge de diriger l’école, et,
d’autre part, les demandes de participation exprimées par les étudiants
comme les parents.
Au demeurant, ces caractéristiques de l’école d’hier s’observent de nos
jours dans le fonctionnement quotidien de nos établissements ; il n’y a
absolument rien d’évolutif sinon le contexte socio-culturel.
Qui ne se souvient pas du passé est condamné à le répéter.

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

La place des arts dans le curriculum


Comme le dit si bien Victor Hugo : « l’art pour l’art peut être beau mais
l’art pour le progrès est plus beau encore ». Ici, il allie l’utilité et la beauté,
l’art et l’engagement. L’école, dans la conception de ses programmes,
notamment le curriculum de l’éducation de base n’a pas perdu de vue
cette approche de la didactique de l’art aux différents niveaux.
En matière de planification des programmes, le Sénégal a connu deux
réformes majeures avant l’option pour le curriculum. La première est
connue sous le nom « d’entrée par les contenus » et la deuxième,
désignée par l’expression « entrée par les objectifs ».
L’entrée par les contenus est la plus classique. Elle a été empruntée
lors des programmes qui ont eu lieu en 1962, en 1972, et en 1979. Leur
faiblesse reposait sur une accumulation de savoir sans se soucier de leur
mobilisation dans des situations-problèmes de la vie courante.
Pour pallier cette limite et ainsi améliorer la qualité de la formation, les
programmes des classes pilotes de 1987 ont opté pour l’entrée par les
objectifs avec comme stratégie la PPO. La ppo a le grand mérite d’installer
une rigueur jusqu’alors inconnue lorsqu’il s’agit de construire les
programmes d’enseignement, mais il paraît qu’au terme de leur formation,
les élèves se révèlent incapables de mobiliser les connaissances acquises
pour résoudre les situations problèmes auxquelles ils sont confrontés.
Justement, c’est cet objectif qui sera assigné au curriculum. Mais,
qu’est-ce qu’un curriculum ? Il n’est surtout pas un programme classique
tel que nous l’avons connu depuis 1962. Un curriculum est un ensemble
planifié de finalités, d’objectifs, de contenus, de méthodes pédagogiques,
de manuels, de stratégie de formation des maîtres et de modalités
d’évaluations.
Son ambition est de répondre aux questions suivantes afin de rendre le
système performant :
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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Qu’est-ce que les élèves apprennent ?


Comment l’apprennent-ils ?
A quoi leur sert ce qu’ils apprennent ?
Qui enseignent ?
Avec quoi enseignent-ils/ apprennent-ils ?
Le curriculum répond à ces questions sous l’angle :
De la pertinence des contenus ;
De l’efficacité des stratégies pédagogiques ;
De la motivation des élèves (puissant levier pour l’action) ;
De la vision systématique relative à la prise en compte, dès le départ, de
l’ensemble des dimensions de l’acte d’éducation qui sont :
Les objectifs et les contenus d’enseignement ;
Les méthodes didactiques et les manuels scolaires ;
Les méthodes pédagogiques et les formes d’évaluation ;
Le profil de recrutement et de formation des enseignants. Bref, tout ce
qui entre dans le processus évolutif d’un curriculum, tel que défini plus
haut.
Cependant, pour y arriver, il faut absolument une vision claire des
champs disciplinaires ainsi que le schéma intégrateur. Ils se dressent
ainsi :
Langue et communication :
Communication orale : langage
Communication écrite : Lecture CI ; Vocabulaire ; Grammaire
/Orthographe/Conjugaison ; Graphisme/Production D’écrits
Mathématiques : activités numériques ; activités de mesure ; activités
géométriques ; activités de résolution de problèmes
Education à la science et à la vie sociale (ESVS) :
Découverte du monde : Histoire ; Géographie ; Initiation Scientifiques et
Technologique (IST)
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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Education au développement durable : Vivre dans son milieu ; Vivre


ensemble
Education physique, sportive et artistique(EPSA).
Mettons l’accent sur le dernier volet d’EPSA pour mieux situer la place
des arts dans le curriculum. L’éducation artistique se subdivise en trois
branches : les arts plastiques ; l’éducation musicale et les arts scéniques
ou dramatiques.
Pour mieux appréhender ces différents types d’activités dans le
curriculum, essayons de voir quelle est leur conception pédagogique
d’ensemble dans chaque étape de l’enseignement élémentaire en se
fondant tour à tour sur le sens de la compétence visée ainsi que les
données psychopédagogiques qui les sous-tendent.
Pour les arts plastiques (dessin et peinture) notamment à la première
étape il s’agit d’initier les élèves à la discrimination des formes et des
couleurs et à leur utilisation dans la réalisation d’objets de décoration
simples et variés.
De ce point de vue, il y a lieu de tenir compte de certaines données
psychopédagogiques : le dessin de l’enfant est d’abord l’expression d’une
subjectivité, sa pensée reste dominée par le réalisme intellectuel.
Ce n’est que graduellement et par de longues étapes qu’il passera, vers
neuf ans, du réalisme intellectuel au réalisme visuel. C’est par le sens que
l’enfant appréhende le monde et se l’approprie.
Ainsi l’activité plastique permet-elle d’apprendre à observer et à rendre
les enfants sensibles aux éléments naturels, aux couleurs, aux formes et
aux matières. Elle développe le sens du toucher et mobilise tout le corps ;
l’enfant met en œuvre son imagination et sa créativité.
A la deuxième étape, il s’agit d’initier les élèves aux techniques de
reproduction et d’expression artistique – formes, couleurs et volume –

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

sensiblement, les mêmes considérations psychopédagogiques observées


en première étape, demeurent valables à ce stade.
Enfin, à la troisième étape, il s’agit d’initier les élèves aux techniques de
décoration. La compétence se manifeste dans des situations scolaires et
préscolaires où l’élève est appelé à produire des objets pour la décoration.
Le soubassement psychopédagogique sera le prolongement de l’étape
précédente. Là, l’enfant confirme son passage du réalisme intellectuel au
réalisme visuel.
Quant à l’éducation musicale, le sens des différentes compétences
visées varie en fonction de l’étape considérée.
En première étape, il s’agit d’éveiller la sensibilité de l’enfant aux bruits,
aux sons et aux rythmes qu’il doit reconnaître et apprendre à reproduire.
La situation se manifeste dans des situations scolaires ou préscolaires
où l’enfant est appelé à interpréter des chants. Ces activités, bien sûr, ont
un soubassement psychopédagogique. En réalité, l’enfant chante et
danse avant d’entrer à l’école.
Toutes les sociétés humaines pratiquent la musique dans le cadre des
loisirs ou à des fins religieuses ou scolaires.
A l’école ; l’éducation musicale vise principalement la formation du goût
à travers le développement de la mémoire, de la voix, la familiarisation
avec le patrimoine culturel.
Elle aide aussi au développement sensori-moteur de l’enfant : affinement
de la perception auditive spatio-temporelle, relation entre rythme propre et
rythme extérieur.
L’éducation musicale participe à l’amélioration de la maitrise de soi par
une régulation des rythmes biologiques, l’enrichissement de l’imagination
avec l’appel continu à la création et à l’improvisation.
Dès la deuxième étape, s’amorce la sensibilité musicale de l’enfant aux
sons, aux rythmes, aux mélodies et à la gestuelle qu’il doit reconnaître et
24
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

apprendre à reproduire. La manifestation de la compétence s’observera à


travers des situations scolaires ou de la vie constante.
Remarquons cependant que les données psychopédagogiques
retenues à l’étape précédente demeurent, dans l’ensemble, valables pour
la présente étape. L’affinement de la perception reste une valeur
dominante.
Quant à la troisième étape, la compétence qu’elle vise est subdivisée en
quatre (4) paliers. Les deux premiers sont traités au niveau 1 et les deux
autres au niveau 2.
Les paliers du niveau 1 portent sur l’interprétation et la création de
chants tirés ou inspirés du répertoire national.
Les paliers du niveau 2 abordent l’interprétation et la création de chants
de façon générale. Aussi, les données psychopédagogiques demeurent-
elles semblables à celles de l’étape précédente.
Enfin, les arts scéniques ou dramatiques occupent eux aussi une place
de choix dans le schéma intégrateur du curriculum.
En première étape, il s’agit là d’initier l’enfant à des techniques
d’initiation et de jeu de rôles.
La compétence se manifeste dans des situations de la vie scolaire et
préscolaire ou l’enfant est appelé à dramatiser des scènes de vie courante
ou imaginaire.
Pointé sur le registre des données psychopédagogiques, de façon
spontanée, l’enfant chante, dans cette période, les personnages
atypiques de son milieu immédiat. La dramatisation est une activité quasi
naturelle chez l’enfant ; tout n’est pas un don de l’école.
Lorsque l’enfant s’exprime par son corps, ses gestes, son mouvement,
il extériorise et signifie aussi bien ses sentiments, sa vie affective que son
intelligence et sa compréhension du monde environnant. La relation entre
le geste et la parole a un caractère formateur indiscutable. Ce qui illustre
25
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

parfaitement, le mot du philosophe ALAIN : « les sentiments intérieurs ont


besoin de mouvements extérieurs ».
En deuxième étape, l’enfant est initié à des techniques d’interprétation
de rôle. La compétence se manifeste dans des situations de vie scolaire
et préscolaire comme l’étape précédente.
Au plan psychopédagogique, on notera que lorsque l’enfant s’exprime
par son corps, ses gestes, son mouvement, il extériorise et signifie aussi
bien ses sentiments, ses émotions, sa vie affective que son intelligence et
sa compréhension du monde environnant.
Enfin à la troisième étape, il s’agit d’initier l’enfant à la présentation des
sketchs. La compétence se manifeste dans des situations de la vie
scolaire et préscolaire ou l’enfant est appelé à se produire sur scène.
Comme on le voit, les arts dans ses différents aspects sont bien
présents dans le curriculum de l’éducation de base. Il ne reste qu’à les
prendre bien en charge dans les planifications mensuelles pour ensuite
les exécuter régulièrement et correctement.
Ce faisant, le maitre averti, sera à même de détecter en temps réel, les
futurs MOZART, ce compositeur allemand, un des plus grands maîtres de
l’opéra, mais aussi PICASSO, ce grand peintre graveur et sculpteur
espagnol, et pourquoi pas, tout près de chez nous, des Youssou NDOUR
et des Fatou GUEWEL, des Kalidou KASSE et des Ablaye NDIAYE
THIOSSANE, tant d’artistes de renom qui ont fait la fierté de notre peuple
sur le plan international. Ainsi face aux réformes récurrentes et aux
multiples interventions, l’école a besoin de redéfinir ses contours. Elle ne
peut pas continuer d’être le champ d’essai ouvert à toute sorte
d’interventions.
Il se passe un besoin de mise en cohérence et de règlementation des
interventions pour éviter d’imposer un système où l’on demande trop aux

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

maîtres et aux élèves, parfois même, au détriment des acquisitions


fondamentales.
Tout projet éducatif qui peut participer à l’amélioration de la qualité de
l’éducation aura simplement besoin :
De produire une documentation relative notamment aux manuels pour
clarifier les concepts et les notions spécifiques à son thème.
De fournir des explications sur ses méthodes et stratégies d’intervention
privilégiées.
D’élaborer des supports didactiques appropriés.
De contribuer à l’amélioration de l’environnement scolaire en fonction de
son domaine d’intervention.
Perçue de la sorte, l’école deviendra un lieu de concertation où les
acteurs et les partenaires trouveront leurs places respectives dans des
actions concertées et complémentaires.
Les apprentissages retrouveront des contours bien définis. Une certaine
stabilité des programmes sera garantie aux enseignants. Les réécritures
à des fins d’amélioration relativement à la réorganisation, à l’élimination,
à l’enrichissement … se feront à intervalles réguliers, programmés pour
tenir en compte de l’évolution des connaissances, de l’actualité des sujets
d’études et des tendances nouvelles dans les stratégies d’enseignement-
apprentissage. Tel me semble être, l’esprit d’un curriculum dynamique.

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

5 Mille enseignants dès Mai 21.


Le président de la République, lors de sa traditionnelle adresse à la
Nation, le 3 Avril 2021, la veille de la commémoration de l’indépendance
a annoncé que 65 mille jeunes vont être recrutés dans différents
domaines. Sur ce nombre, 5000 emplois seront réservés au secteur de
l’éducation Nationale.
Décision tout à fait salutaire compte tenu du déficit chronique du secteur
en matière de personnel « craie en main » - 40 mille enseignants au
primaire d’ici 2023 – c’est un chiffre, certes impressionnant, mais n’a rien
d’extraordinaire quand on l’analyse sous le prisme des besoins éducatifs
aussi bien dans les pays développés qu’en développement, toutefois à
des niveaux différents de leurs structures éducatives, n’allaient cesser de
se creuser.
Quand on y regarde de près, on peut retenir au moins trois raisons qui
expliqueraient l’intensification de la demande d’éducation :
- La première est que « les parents et les enfants aspirent sans cesse
d’avoir davantage à l’instruction » l’école étant considérée comme un
ascenseur social.
- La deuxième raison est que « les gouvernements de presque tous les
pays voient aujourd’hui dans le développement de l’enseignement une
condition préalable du progrès national, et cherchent à accroître le
« taux de participation à l’éducation ». Ce qui signifie un plus grand
nombre d’élèves dans chaque tranche d’âge et une durée des études
plus longue.
- La troisième raison est due à l’explosion démographique qui a joué le
rôle de multiplicateur quantitatif de la demande sociale – bête noire des
gouvernants – Elle a fait tomber bon nombre de régime – Diouf et

28
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Wade, notamment, l’actuel est confronté au même scénario ! s’en


sortira-t-il ?
C’est dire donc que le chiffre « 40 mille enseignants en 2023 » ; c’est
normal ! la demande d’éducation, trouvant en elle-même son aliment, crée
sa propre dynamique. Un peuple à qui soudain l’on offre un peu
d’instruction ne tarde pas à en réclamer d’avantage – les effectifs de 1960
n’étant pas comparable à ceux de 2021.
Le jeune sénégalais, fils de parents illettrés, qui apprend à lire et à compter
à l’école primaire voudra entrer ensuite au collège, au lycée et de là si
possible, à l’université. Mais s’il ne peut lui-même dépasser le certificat de
fin d’étude élémentaire CFEE il aura l’ambition que ses enfants montent
plus haut.
Ainsi la demande sociale d’éducation ne peut-elle que croitre en
progression géométrique, sans égard pour l’économie du pays et quelque
soient les moyens alloués à l’enseignement. Wade avait consenti 40% du
budget à l’éducation ; malgré tout, les besoins vont chaque année
crescendo.
Sous ce rapport, comment utiliser l’offre du Président de la République ?
Les 5 mille enseignants, quel usage en faire ? Comment les recruter ?
Au moment où le Président faisait l’annonce des 5 mille enseignants, le
concours de recrutement des élèves-maitres (CREM) était déjà bouclé et
les résultats disponibles. Cela signifie que le quota alloué à cette
compétition ne relève pas des nouveaux à recruter.
Aussi, dois-je confesser que je suis tout à fait d’avis avec les syndicats –
notamment le SIENS et la COSYDEP – pour accorder la priorité aux
concurrents des sessions de 2019 et 2020 qui étaient consignés sur les
listes d’attentes. Ainsi, le caractère juste et équitable serait préservé.
En tout état de cause, le quota de 5000 enseignants ne s’épuisant pas
avec le passage des recrues des listes d’attente, il ne serait pas
29
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

impossible de procéder à la cooptation en dehors de la voie normale,


traditionnelle – le concours – c’est là, à mes yeux que le social prend tout
son sens, sans considération de couleur politique.
En effet il existe bien des familles qui comptent trois ou quatre diplômés
de l’enseignement supérieur et qui n’ont pratiquement aucune ressource
financière. En choisir un ou deux « directement » avec une formation
accélérée sur le tas, à confier aux inspecteurs au niveau des IEF avec
toute la logistique qui sied serait un grand soulagement pour lesdites
familles.
Qu’on ne me rétorque pas l’efficacité de ces genres d’interventions ! Le
système éducatif ainsi que d’autres secteurs de la fonction publique en
ont déjà connu. Je n’en veux pour preuve, les expériences suivantes :
La suppression des corps intermédiaires – instituteurs-adjoints et
Inspecteurs-adjoints- a donné lieu à des passages automatiques au
CRFPE pour les premiers et à l’ENS pour les seconds. En sont-ils sortis
moins performants que ceux qui y avaient été admis par voie de
concours ? Pas du tout ! Bon nombre d’administration ont connu ce mode
de recrutement, et pas des moindres, dont la gendarmerie qui fait passer
à tour de bras des auxiliaires à élèves-gendarmes. L’ENAM, la plus
prestigieuse école d’administration de l’histoire du Sénégal, à ses débuts
ne recrutait pas sur concours mais bien sur sélection de dossiers et
pourtant ce sont ceux-là qui ont eu à occuper les plus hautes fonctions
publiques de ce pays.
Par ailleurs, il y’a tout lieu de croire que le monde en développement sera,
dans les années à venir, le berceau privilégié de l’accroissement massif
de la population si les prévisions de l’organisme Deagel – dépopulation
mondiale massive de 50% à 80% d’ici 2025 – se révélaient inexactes –
sinon il n’y’aura pas raison de croire à une récession de la demande
d’éducation.
30
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

A ce propos, on peut rappeler la prudence d’ARISTOTE qui affirmait


qu’aucun sujet ne mérite qu’on lui apporte plus de précision qu’il n’en
autorise. Les besoins d’apprentissage sont si variés et fluctuants qu’il est
impossible de les mesurer avec une précision mathématique.

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Pour une nouvelle perception de l’inspecteur de

l’Enseignement.
Dans son ouvrage intitulé : « Le vade Mecum de l’enseignant » Cherif Tall,
Inspecteur de l’Enseignement Elémentaire de son état et ancien Directeur
des Etudes de l’Ecole Normale supérieure, écrit : « De toutes les autorités
scolaires, l’Inspecteur de l’Enseignement Primaire est la plus impopulaire,
la plus vivement critiquée. Ses propos, sa conduite, son tempérament et
même sa compétence sont l’objet de commentaires les plus divers, les
plus tendancieux quelquefois. Se montre-t-il exigeant vis-à-vis de son
personnel, très vite, il apparaît comme un ogre, un homme au cœur de
pierre noire. Les examens professionnels qu’il préside tirent-ils en
longueur tout de suite, comme une traînée de poudre, la réputation de
bourreau impitoyable se répand dans la circonscription et précède le
pauvre inspecteur dans les autres circonscriptions ». Cette perception de
l’Inspecteur est-elle toujours de mise ? Oui, elle est restée intacte !
Aucun inspecteur ne doit s’en offusquer ! C’est normal. Il faut dire que la
critique des inspecteurs n’est pas nouvelle. Elle est dans la nature des
choses : celui qui accepte d’assumer une fonction de jugement – et c’est
bien de cela qu’il s’agissait naguère- doit accepter par la même d’être jugé
à son tour. Mais la mise en question de l’institution est à la fois récente et
fondamentale.
Rappelons seulement qu’autrefois, au XVIIIe siècle notamment, les
« petites écoles de lecture, écriture, arithmétique, grammaire » étaient
placées sous le contrôle d’ecclésiastiques. Ils exerçaient non un contrôle
pédagogique, mais un contrôle sur la moralité des maitres et sur leur
respect des règlements édictés par les autorités religieuses. La pédagogie
était, alors, à inventer, et il s’agissait seulement de faire apprendre les
rudiments aux jeunes élèves.

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Mais l’inspection a beaucoup évolué. Elle remplit plusieurs fonctions :


- Une fonction d’information à l’intention des autorités hiérarchiques – de
l’inspecteur départemental IEF au Ministre - en tant que structure
déconcentrée.
- Une fonction de contrôle : contrôle administratif, contrôle de l’assiduité
et de la régularité du fonctionnement de la classe – visite de classe
effectuée inopinément sur place et sur pièces – ce contrôle s’intéresse
notamment au respect des instructions officielles pour tout ce qui a
rapport à la vie de la classe ; des « programmes » ou usage correct
des différents guides ainsi que leur mise en œuvre en terme de pratique
pédagogique mais aussi le respect des horaires impartis aux
différentes activités .
- Une fonction d’assistance et de soutien, en vue d’améliorer l’efficacité
et « le rendement » de l’enseignement, dans l’intérêt des élèves et
dans celui de la nation, et en vue de contribuer au perfectionnement et
au progrès des maitres.
- Une fonction d’animation pour favoriser la réflexion des maitres, le sens
de la responsabilité, et l’application responsable des directives
officielles - Exemple ; les normes qui sous-tendent la mise en œuvre
correcte du curriculum de l’Education de Base (CEB). Sous ce rapport,
retenons que l’animation pédagogique n’est pas une simple rencontre,
se réduisant à un échange de vues, à une confrontation d’expériences
ou théories. Elle est démarche de formation, assumée ensemble par
des personnes aux fonctions distinctes : les enseignants et les
inspecteurs.
Ainsi, on voit se dessiner une nouvelle image de l’Inspecteur de
l’enseignement : nouvelle image ? Ce n’est pas évident. On peut y voir
l’aboutissement normal de la conception que les inspecteurs eux-
mêmes se font de leur fonction, et l’adaptation à une situation nouvelle :
33
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

l’école considérée comme un système dans lequel, équipe, maitres pris


individuellement, élèves, environnement social, inspecteurs, sont en
interaction constante.
Mais il n’en subsiste pas moins, dans le public, élèves et maitres, une
image mythique très négative de l’Inspecteur.
C’est cette image, « mythe et stéréotype » que AMOROS résume
ainsi : « Sous cette image stéréotypée se dissimule un personnage
mythique qui réveille en l’instituteur la crainte d’une menace
d’infantilisation. Est ainsi exhumée une structure de tutelle où
l’Inspecteur revêt l’image paternelle. »
En définitive, quel que soit l’angle sous lequel on le perçoit, l’Inspecteur
de l’Enseignement apparaît, incontestablement, comme un homme de
culture, un cadre de conception et d’impulsion pour tout ce qui touche
à la promotion et à l’épanouissement du système.

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Les Avantages du bilinguisme


La question du bilinguisme à l’école demeure une préoccupation
étatique. La volonté affirmée par les autorités au plus niveau ayant en
charge la gestion du système et qui s’est récemment traduite par un intérêt
particulier apporté au cours EBJA (Education de Base des Jeunes
Adultes) en est l’illustration la plus parfaite. Ce cours est aujourd’hui
pressenti comme un département à part entière dans l’organigramme des
CRFPE (Centres Régionaux de Formation des Personnels de
l’Education).
Reconnaissons que cet intérêt pour les langues nationales ne date pas
d’aujourd’hui. Au moment de son accession à l’indépendance, le Sénégal,
comme la plupart des Etats africains francophones, a choisi la langue
française comme langue officielle.
A cette époque, toute la politique linguistique écrite du Sénégal tenait
essentiellement à l’article 1 de la Constitution, qui faisait du français la
langue officielle. Devenu Chef de l’Etat Sénégalais en 1960, Léopold
Sédar Senghor a multiplié les déclarations officielles soulignant la
nécessité de recourir aux langues nationales. C’est grâce à Senghor que
les six langues les plus importantes du Sénégal ont été codifiées et se
sont dotées d’un alphabet. En 1971, le décret n° 71560 du 21 Mai 1971
retenait six langues promues au rang de « langues nationales » : le wolof,
le peulh, le sérère, le diola, le malinké et le soninké. Par la suite, Senghor
choisit pour le Sénégal, « une politique d’éducation bilingue comprenant
le français d’une part, et les six langues nationales, d’autre part ».
Dans le décret de Mai 1971, il expose les motifs de son choix : « Tout
d’abord remplacer le français, comme une langue officielle et comme
langue d’enseignement, n’est ni souhaitable, ni possible. Si du moins nous
ne voulons pas être en retard au rendez-vous de l’an 2000… »

35
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Cette volonté politique est clairement exprimée dans son ouvrage


intitulé Liberté 1 et sous-titré Négritude et Humanisme à travers l’article
formulé ainsi : « le problème des langues vernaculaires ou le bilinguisme
comme solution ».
Dans son développement, Senghor souligne : « le bilinguisme s’impose à
nous. Il ne peut y avoir de doute sur le point. Le problème est de choisir
une méthode pour concilier ce qui paraît, au premier abord,
inconciliable. »
Aussi, Cheikh Anta Diop, dans Nations nègres et culture, tome 2, a-t-
il abordé la question en ces termes : « Il est plus efficace de développer
une langue nationale que de cultiver artificiellement une langue
étrangère ; un enseignement qui serait donné dans une langue maternelle
permettrait d’éviter des années de retard dans l’acquisition de la
connaissance. » Ceci s’inscrit en droite ligne dans la pétition officielle que
le Conseil régional du Val d’Aoste a adressée au Gouvernement italien, le
20 Septembre 1980, lui demandant de proposer à l’assemblée générale
des Nations-Unies d’ajouter les clauses suivantes à la déclaration
universelle des Droits de l’homme : « Toute personne a droit à la :
connaissance approfondie de la langue maternelle ; connaissance utile
d’une langue vivante de communication mondiale, qui, par-delà la culture
nationale que tout homme reçoit et doit recevoir, lui permettre de participer
pleinement et directement à la culture mondiale et au dialogue universel ».
Nous vivons dans un monde que l’on peut traverser en avion en
quelques heures, où l’on peut se parler à des milliers de kilomètres de
distance, et déjà communiquer visuellement par écrans interposés, un
monde où aucune économie ne peut fonctionner en autarcie ; un monde
où il suffirait d’appuyer sur un bouton pour déclencher une guerre
mondiale. Et, dans ce monde, les hommes communiquent en… quatre à
cinq mille langues différentes !
36
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Dans ces conditions, la proposition du Conseil italien évoqué plus haut,


apparaît non seulement pertinente, mais d’une nécessité absolue !
Comme le disait Léopold Sédar Senghor : « Il ne saurait exister de
coopération réelle entre les peuples sans possibilité minimale de
communication linguistique. C’est un besoin universel et vital ».
Il y a un siècle, la plupart des gens ne s’éloignaient jamais de leur
terroir, encore moins leur pays. En conséquence, la vision du monde de
l’individu moyen était bornée par les frontières de sa nation, modelée par
l’école, l’église et des contacts personnels directs en nombre limité. La
distinction entre le connu et l’inconnu, le familier et l’étranger s’imposait
avec évidence.
De nos jours la situation est radicalement différente. Grâce à l’avion, les
pays les plus éloignés sont devenus proches et l’automobile a mis le
voyage à la portée des masses. L’alphabétisation généralisée a permis à
un public croissant de commencer à connaître d’autres pays, d’autres
cultures.
Avec la radio, le cinéma et surtout la télévision, un déluge
d’informations, de voix et d’images venues d’ailleurs a déferlé sur tous les
foyers, même les plus modestes. Le téléphone a également contribué à la
désintégration des barrières culturelles. Ce développement, sans
précédent des communications, des voyages et des transports, a conduit
à une exclusion et une diversification sans précédent du commerce
mondial.
Mais, parallèlement aux développements techniques que voilà,
l’homme a acquis une autre possibilité, inimaginable il y a cent ans. Il peut
détruire en l’espace de quelques minutes la vie et la civilisation sur terre.
A notre époque, le moindre conflit local peut se généraliser, embraser la
planète et provoquer la conflagration finale.

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Il devient donc urgent d’abattre les barrières des préjugés, de dépasser


notre peur de l’inconnu qui épouvante, certes, comme dit Saint-Exupéry,
mais une fois abordé, il n’est plus l’inconnu. Il urge de mieux connaître nos
semblables, de les comprendre et de communiquer avec eux. Seul
l’apprentissage des langues étrangères, selon les méthodes, les plus
efficaces et les plus perfectionnées, peut répondre à cette exigence. Cela
est hautement souhaitable à la fois pour la société et pour l’individu.
Sous ce rapport, les avantages professionnels sont tellement évidents
qu’il est à peine nécessaire de les énumérer. La communication
internationale s’est étendue à tous les aspects de la vie. Partout se fait
ressentir le besoin urgent d’interprètes, de traducteurs, de professeurs de
langues étrangères.
Dans le monde des médias, le bi ou multilinguisme sont utiles et fort
appréciés. Si l’on veut faire carrière dans le corps diplomatique ou une
organisation internationale, il est indispensable de parler au moins une
langue étrangère.
Enfin, l’internationalisation du commerce et de l’industrie a créé
d’innombrables occasions de mettre à profit la maîtrise de plusieurs
langues. Une telle qualification est fortement valorisée et peut se révéler
utile même dans les secteurs où elle n’est pas fortement exigée. Il va sans
dire qu’il est plus facile, plus gratifiant et plus agréable de voyager – que
ce soit pour des motifs professionnels ou personnels l’on est capable de
converser les autochtones soit dans leur propre langue, soit dans une
langue commune aux deux interlocuteurs.
Ainsi, comme on le voit, les avantages du bilinguisme sont nombreux et
évidents en ce qu’il engage la compréhension, la tolérance et l’ouverture
d’esprit à l’égard des autres peuples et coutumes.

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

L’une des objections soulevées contre le bilinguisme peut se résumer


ainsi : le potentiel linguistique d’un individu serait limité, et la session de
deux langues réduire automatiquement son niveau chacune d’entre elles.
Un tel cas peut, certes, se présenter. Mais il n’est nullement inévitable
de fait, c’est souvent la contrainte qui se passe. Comme l’écrivait Go
« Seul celui qui comprend les langues étrangères peut comprendre sa
langue maternelle. » Alain confirme cette intuition lorsqu’affirme :
« connaître une langue étrangère, c’est enrichir la sienne en confirmant
les deux langues approfondit sa compréhension chacune d’entre elles.

A ce propos, un bilingue écrit : « Il me semble d’ailleurs le fait d’être


bilingue confère d’aisance dans la parole écrite dans les deux langues.
Pour ce qui nous concerne-t-on un peu puriste, dans le bonheur.
Ainsi, je m’efforce, par exemple à m’exprimer dans un langage simple tant
en français qu’en allemand et j’évite, autant que possible les germanismes
dans le langage racine et les gallicismes dans la langue de Goethe.
Ne peut-on pas dire de même Molière et Kocc Barma par exemple.

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Comment Passer du savoir Savant au Savoir Scolaire ?


Dans le schéma intégrateur du curriculum de l’Education de Base au
Sénégal consacré à l’E.S.V.S (Education à la Science et à la Vie Scolaire)
il est bien mentionné au Sous domaine 1 – Découverte du monde –
comme activité entre autres : Initiation Scientifique et technologique
(I.S.T). Excellent cadre pour, non seulement cultiver chez les enfants une
attitude scientifique, faite notamment d’observation réelle des
phénomènes ambiants relevant de leur milieu de vie, de leur
environnement, mais aussi, leur offrir l’opportunité de jeter un pont entre
la culture scolaire et la culture savante.
Force est de constater que les observations effectuées sur le terrain et à
toutes les étapes ne vont pas dans le sens de favoriser l’émergence
progressive de l’esprit scientifique chez les élèves.
Et pourtant, les enseignants, ironie du sort, se plaignent eux-mêmes, que
la curiosité a tendance à s’estomper derrière des gammes de
« problèmes » qui se posent à leur milieu de vie : Exemple : classifier des
êtres vivants selon le régime alimentaire (type d’aliment) : les herbivores
(régime alimentaire ; relation entre l’organe et le régime alimentaire). Idem
les carnivores. Des exemples de ce genre font légion dans le tableau des
compétences des différents guides du CEB sont-ils bien enseignés ? C’est
peut-être là, la question. En tout cas, les séquences que j’ai eu
l’opportunité d’observer, affichent beaucoup de faiblesses.
Certes, culture scolaire et culture savante ne se recouvrent pas toujours,
mais un effort doit toujours être fait pour les rapprocher. Exemple :
comment enseigner à l’école élémentaire ou même maternelle, « la
poussée d’ARCHIMEDE. Rappelons que quand celui-ci, courait à travers
les rues en criant « EUREKA » il n’avait qu’une idée imparfaite des corps
flottants. Ce savoir savant qui, aujourd’hui est à la base de tout ce qui

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

glisse sur l’eau peut-être enseigné à de jeunes marmots en termes très


simples avec un matériel approprié. C’est le passage du savoir savant au
savoir scolaire.
Cependant, l’école, c’est avant des tâches et des exercices
conventionnels que les maîtres fixent pour les élèves. Les savoirs sont
traduits en leçons, en activités, en situations d’apprentissage.
Théoriquement, cette réduction n’est pas destinée à appauvrir la culture
savante. Théoriquement, ce que les élèves apprennent à l’école ne sert
pas seulement à réussir à l’école. Pour cela, il faudrait que les savoirs ne
soient pas collés à la route. Exemple : le calcul du taux bien intégré par
l’élève a nécessairement un prolongement quant à l’usage dans la vie de
tous les jours. C’est cela l’intégration.
Or l’école secrète sa culture interne, comme l’a montré le sociologue
Suisse Philippe Perrenoud. Les enfants y apprennent beaucoup de
choses – vivre ensemble, patience d’attendre, accepter les hiérarchies
etc. – qui ont peu à voir avec les « programmes ».Ce qui apparait comme
la transmission par l’école d’une culture définie en dehors d’elle, et qu’on
lui a donné mandat d’inculquer, est passible d’une interprétation :
assimiler le curriculum – entendons ici les règles et programmes ; voir
différents guides – c’est devenir l’indigène de l’organisation scolaire,
devenir capable d’y tenir son rôle d’élève. L’apprentissage du sens
commun remplace alors celui de la culture.
De plus, cette réduction opérée par l’école incite souvent à une vision
nouvelle de la culture, avec ses grands auteurs et ses mouvements
obligés comme s’il s’agissait d’un patrimoine éteint auquel chaque
nouvelle génération devait pieusement rendre hommage. Les textes
littéraires ou les mouvements historiques, même très anciens, méritent
mieux que des vitrines de musée, surtout si l’on souhaite que les jeunes
apprennent à penser et non seulement à répéter.
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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Les enseignants de l’Elémentaire et du Collège, notamment, devraient, de


manière constante, exprimer le souci de transmettre une relation vivante
à la culture. La fréquentation de la bibliothèque de l’école en témoigne.
Selon Philippe Meirieu, la réduction des « savoirs savants » à des savoirs
scolaires – Archimède cité plus haut, en simple « savoir scolaires » : « ça
coule, ça flotte » - n’est pas, sous certaines conditions, un
appauvrissement.
A travers l’apprentissage de ces tâches, « toute la question est de savoir
si le sujet acquiert aussi autre chose et parvient à la maitrise d’outils
intellectuels qui lui permettront de comprendre et de résoudre les
problèmes qu’il est susceptible de rencontrer ailleurs » précise notre
auteur.
Cette maîtrise est à sa portée, affirme – t –il, si le pédagogue réussit à
« élaborer des dispositifs didactiques qui rendent possible le transfert de
connaissances ».Pour les innovateurs, il ne s’agit donc pas tant de
privilégier le « rendement »ni les méthodes, au détriment des savoirs,
mais plutôt d’intégrer à l’enseignement des éléments actuellement peu
traités.
Selon la même logique, un courant dominant chez les innovateurs
rejettent l’idée d’une assimilation de tous à un modèle culturel unique,
rejoignant les préoccupations si merveilleusement complexes de l’Inde ait
une moindre vertu éducative que celle de Rome, que l’humanité qu’elle
représente soit une moindre humanité ».
L’appel du sociologue à une meilleure connaissance des civilisations non
occidentales n’a guère été entendu.
La conception du progrès reste celle des sociétés évoluant vers le modèle
occidental, les autres cultures étant réduites « à l’état de répliques,
inégalement arriérées de notre civilisation ».Selon l’expression de Claude
Lévi-Strauss dans Anthropologie structurale. Les innovateurs cherchent
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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

plutôt à dessiner les contours d’une nouvelle culture, en rupture avec les
apprentissages scolaires classiques, permettant aux élèves une mise en
perspective des savoirs grâce à des apports multiples (scientifiques,
anthropologiques…)
C’est là le classique antagonisme entre l’école républicaine, gommant les
différences – si l’on se réfère à la métropole – pour faire émerger une
identité nationale, et ses détracteurs attentifs à d’autres identités
culturelles. Cependant, la donne a changé depuis un siècle : la nation
française d’où ces observations ont été originellement faites n’est pas
menacée d’éclatement, comme la nôtre du reste.
En revanche, l’institution scolaire, ici comme ailleurs, doit faire face à un
défi sans précèdent, puisqu’elle accueille des publics particulièrement
hétérogènes, notamment du point de vue des couches
sociales. « Différencier » les matières d’enseigner est un leitmotiv des
pédagogies nouvelles depuis des décennies. En ce sens, elles fournissent
peut-être de meilleures armes que l’enseignement classique pour réussir
à faire travailler les classes telles qu’elles sont aujourd’hui.

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

LA MALTRAITANCE DES ENFANTS


Le mercredi 23 Décembre 2020, j’ai eu l’honneur et le plus grand plaisir
d’avoir été l’invité de la chaine THIES-TV autour du thème : la maltraitance
des enfants. Cette opportunité m’a inspiré cet article que je voudrais moins
psychopédagogique que purement éducatif voire familial. Au demeurant
je souhaiterais que son audience dépasse largement le cadre scolaire
pour intégrer l’ensemble de la société sénégalaise. Donc Etat collectivités
locales, enseignants, chercheurs maitres coraniques et parents, je
m’adresse à vous.
On a coutume d’entendre que le « moi est haïssable » soit. Toutefois, il
l’est moins pour l’enseignant. Voilà un personnage qui adore évoquer des
souvenirs de son parcours. Voilà pourquoi cet article va démarrer par une
anecdote.
En Octobre 1978, je prenais service pour la première fois à Mboudaye
Sérère après une année de formation pédagogique au centre de formation
pédagogique (CFP) de Thiès. Ce premier poste se situe dans le
département de Kaolack, dans l’arrondissement de Ndiedieng, localité à
l’époque assez déshéritée et enclavée.
Un matin du mois de juin je quittais mon poste pour me rendre à
Ndiedieng, quand, à travers les chemins broussailleux, j’aperçus un grand
troupeau de mouton. Mon attention fut attirée par les soins attentifs que le
berger donnait à l’une de ses bêtes. Celle-ci était couchée et son maitre,
tout en la caressant et en lui parlant doucement, lui faisait un pansement
à la pâte.
Je m’approchai, intrigué, et demandai ce qui s’était passé. Le berger parut
d’abord visiblement ennuyé de répondre puis, mis en confiance par mon
attitude amicale m’expliqua :

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Ce mouton a toutes les qualités d’un merveilleux conducteur. Lorsqu’il


était en bon état il prenait la tête du troupeau et savait se faire obéir et se
faire suivre.
Malheureusement, il était si sûr de lui qu’il ne prêtait aucune attention aux
ordres que je lui donnais et conduisait le troupeau selon sa fantaisie.
Mes essais pour lui substituer un autre chef plus docile furent infructueux
car il battait et repoussait énergiquement celui qui faisait mine de prendre
sa place. La situation du troupeau devenait critique. Je fus donc obligé
d’avoir recours à un moyen assez douloureux.
Ici le berger s’arrêta en proie à l’émotion.
- Qu’avez-vous fait ? lui demandai-je.
- C’est bien simple. Mais très pénible.
J’ai de mes propres mains cassé sa patte d’un coup sec.
Je crois, poursuivait-il, que cela m’a fait plus de mal encore qu’à lui, mais
c’était un traitement nécessaire.
Dès ce moment, le mouton blessé dépendait entièrement de moi. Je le
portais sur les épaules chaque matin au pâturage et le soir, je le ramenais
de même. Le mouton ne pouvait pas brouter lui-même, voici un mois qu’il
prend sa nourriture dans ma main. Ces soins constants ont établi entre lui
et moi des liens que je pense qualifier d’affectueux, presque de tendres. Il
sait maintenant qu’après l’avoir blessé j’ai tout fait pour atténuer sa
douleur.
Nombreux sont les parents, enseignants, maitres coraniques et que sais-
je encore qui ont vécu ces moments douloureux. Je pense que tous ceux-
là qui lisent ceci éviteront désormais en tous points l’exemple du berger.
Mais faut-il infliger des châtiments corporels ? Je ne suis ni de l’ancienne
école, qui en abusait, ni de la nouvelle qui ne les emploie plus tout. « Les
châtiments corporels sont formellement interdits » mentionne le décret 79-
1165 du 20-12-1979. C’est connu. Cependant dix ans de pratique et
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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

d’expérience dans les classes et vingt-huit ans dans le corps de contrôle


ont achevé de me convaincre que les enseignants en usent
toujours. « Gouné Xamul Yalla Waye Xame na Yar » nous dit l’adage.
C’est dire qu’il y’a des cas extrêmes où le châtiment corporel devient le
seul moyen efficace. Mais plus que tout autre, il doit être infligé
calmement. Il faut que l’enfant comprenne que la volonté des parents
passe avant la sienne et alors ceux-ci n’auront pas à user souvent de ce
châtiment.il est vrai qu’au cours de ma carrière, j’ai essayé à maintes
reprises de combattre le zèle exagéré et la rudesse de certains parents.
Cela ne m’empêche pas d’être parmi le petit nombre d’éducateurs qui
croient qu’une correction physique, appliquée calmement mais d’une
manière décidée et dans l’intention bien précise de faire comprendre que
papa et maman, le maitre et le « serigne dara » auront toujours le dernier
mot, peut rendre les plus grands services.
Les générations du siècle dernier et même plus récemment ont connu
largement fessés, claques, coups de bâton et cravache. Si, de nos jours
de tels traitements se sont singulièrement atténués il semble bien que la
gifle à toute volée soit restée en honneur dans bien des familles, ce qui ne
signifie pas pour autant que les enfants d’aujourd’hui soient plus
raisonnables et plus sages que ceux d’autrefois.
Quand j’étais instituteur, j’ai toujours enseigné et mes conseils aux parents
se sont constamment inspirés de cet enseignement, que dans certaines
circonstances on est bien obligé d’avoir recours à un châtiment corporel
lorsque tout autre moyen de remettre l’enfant dans le bon chemin a
complètement échoué.
Si les psychopédagogues d’aujourd’hui en viennent à condamner de telles
corrections, ce n’est pas exactement parce que la science en aurait décelé
la nocivité mais c’est parce que les gens qui les appliquent aujourd’hui ne
ressemblent plus à ceux qui s’en servaient autrefois.
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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Il y’a cent ans, les pères de famille châtiaient rudement, mais ils le faisaient
avec calme, dignité, à bon escient, pour le bien de l’enfant et non pour leur
tranquillité personnelle, voir Samba Diallo dans l’Aventure Ambiguë de
Cheikh Amidou Kane : « verges, bûches enflammées… » Ainsi, l’enfant
pouvait comprendre qu’on avait en vue son éducation, son succès dans
la vie et la douleur cuisante qu’il éprouvait sur le moment était atténuée
par le bénéfice qu’il en tirerait plus tard. Comme disent les wolofs : « bala
ni nux nux ni war war .»
De nos jours il en va tout autrement. Les parents fatigués, inquiets,
énervés, s’irritent devant une résistance ou un insuccès et déchargent par
les moyens les plus rapides le trop-plein de leur indignation.
Cette attitude fait beaucoup plus de mal que de bien et c’est une des
raisons principales pour lesquelles les châtiments corporels sont suivis de
si peu de bon effet.
Appliqués d’une manière excessive, inconsidérée à un moment ou dans
des circonstances qui ne conviennent pas, ils infligent une terrible
blessure d’amour propre ou un choc émotif qui risque de donner lieu à
d’amères conséquences : irritation, résistance ouverte ou alors ruse,
duplicité, fourberie.
En termes de leçons apprises et comme viatique de mon expérience
professionnelle je proscris sans réserve cette manière de faire qui offre
tous les éléments de la maltraitance que personnellement, je condamne
avec la dernière énergie.
Je veux bien qu’on corrige un enfant même sévèrement s’il y’a lieu, mais
je m’oppose à ce qu’on le maltraite.

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

LE NIVEAU DES ELEVES : INTERMINABLE MUR DES

LAMENTATIONS
Dans un article précédent, relatif à la baisse de niveau dans nos différents
ordres d’enseignement, et répondant au Ministre de l’Education de
l’époque, j’avais intitulé ma contribution ainsi : la rengaine du niveau qui
baisse. Mon souci était de montrer que la baisse du niveau est un
phénomène ancien, séculier même, et il est toujours possible de penser
que les nouvelles générations traînent des niveaux de plus en plus faibles
par rapport aux anciennes, tant il est habituel chez les intellectuels de
s’indigner du niveau de nos élèves et étudiants d’aujourd’hui, de
stigmatiser leurs cuistreries et d’en accuser les temps ou le système.
Dans celui-ci, je tenterai de mettre l’accent, plutôt sur un ordre
d’enseignement qui me paraît fondamental : l’enseignement moyen. Il est
vrai que la baisse de niveau est une notion sociologiquement confuse,
mais compte tenu de l’intérêt que je lui porte depuis mon admission à la
retraite, je me suis évertué à privilégier la démarche « en quête », en
approchant directement les acteurs de terrain – professeurs et Principaux
– en l’occurrence – oui, pour qui hasarde la sempiternelle et indispensable
question à propos du niveau des élèves, c’est un véritable et interminable
mur des lamentations. Et la monotonie des réponses des acteurs cités
plus haut, ne laisse guère de doute sur, l’ampleur du désastre.
Quels que soient le type d’établissement, le département, la région, la
matière, les professeurs s’accordent sur un point : une proportion
importante d’enfants qui entrent aujourd’hui au collège NE SAIT PAS
LIRE.
Sous ce rapport, laissons parler les témoins qui, pour la plupart ont requis
l’anonymat. M. D : » Nous accueillons presque une tranche d’âge, sans
considération de niveau. J’ai l’habitude de dire en plaisantant – confesse

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

ce principal expérimenté – que nos sixièmes s’apparentent davantage à


un CM3 qu’a une sixième ancienne ; un enfant sur quatre ne sait pas lire
des yeux, est incapable de comprendre un texte, si bref soit-il. »
Monsieur G.S professeur de collège : « 20 à 25% » des enfants sont
analphabètes en sixième. » Monsieur K, principal : « Environ 20% des
élèves ne savent pas lire couramment.
Au lieu de rechercher des alibis commodes et des explications qui
tournent court, il vaut mieux regarder encore une fois la réalité : Après six
années d’école élémentaire, un quart des enfants sénégalais ânonnent
encore. Les enseignants de CEM sont confrontés à un phénomène massif
dont l’intensité varie selon les lieux. Ne l’oublions pas, l’environnement
social, culturel et familial détermine souvent le niveau des élèves.
Ces lacunes, surtout dans le maniement des mots rejaillissent sur
l’ensemble des matières et exercent leurs effets pendant toute la scolarité.
La pratique écrite et parlée du français est une condition de réussite des
études secondaires et même supérieures.
Devant un désastre, le réflexe naturel est de distinguer un coupable. Il ne
manque pas de professeurs du moyen pour faire porter le chapeau aux
instituteurs. Après tout, si les enfants arrivent en sixième avec l’alphabet
en vadrouille et la grammaire trouée, c’est bien parce que les maîtres de
l’élémentaire ont perdu la main. La rumeur court les salles de professeurs,
et les doigts accusateurs mettent à l’index des collègues du Primaire jugés
incapables.
Au point de départ de ce jugement sévère et entier, une vérité : Le collège
est le révélateur de handicaps qui se sont formés beaucoup plus tôt, et
souvent dès le cours d’initiation. Lors de la toute première année de
l’aventure scolaire, des écarts se creusent entre les enfants qui
apprennent à lire. Pour une part, comme déjà souligné plus haut,
l’environnement socio-culturel explique ce phénomène.
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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Globalement pertinente, l’analyse sociologique, ne rend toutefois pas


compte de la totalité du phénomène. Au-delà de l’héritage culturel, force
est de recourir à des explications plus psychologiques, imprécises et
complexes en termes d’aptitude individuelle, de profil particulier, de
rapport affectif à l’école. Les pédagogues insistent aussi sur les variations
– très sensibles d’un enfant à l’autre – de l’âge « idéal » pour apprendre à
lire.
L’échec à l’orée des études signifie pratiquement une condamnation. Un
élève qui redouble le CI, n’a aucune chance d’avoir le bac. La destinée se
joue à sept ans.
Les professeurs que j’ai eu l’opportunité de rencontrer dépeignent une
sorte d’apocalypse : « Le niveau ne baisse pas, il s’effondre »,
s’accordent-il à dire. Une des explications qu’ils donnent à ce phénomène
est encore l’admission massive en sixième (6e) sans critère
rigoureusement choisis : tous désormais vont au collège.
Ce fait simple dans sa nudité, bouleverse et relativise la question du
niveau : la disparité entre les établissements et les élèves est telle que la
notion même de niveau moyen ne signifie plus grand- chose ; Les bons
élèves existent, dans la même portion qu’avant le déluge, mais les faibles,
les traînards, les handicapés sont incontestablement légion. Il faut
regarder cette réalité au fond des chiffres puisqu’ils en pèsent chaque jour,
les conséquences sur l’ensemble du système. Et elles sont lourdes.
Que faire ? Devons-nous nous arrêter au simple constat ? Nous
tomberions sur la passivité qui avait conduit Antonio Gramsci à émettre ce
cri d’alarme : « sur l’aile enjouée du temps, il n’y a pas de plus affreux
désastre que la mort de l’imagination. »
De ce point de vue, il nous faut promouvoir une réelle politique de la
lecture. Cultiver très tôt chez les enfants le goût de la lecture, l’amour du
livre. « J’ai commencé ma vie nous dit Jean Paul Sartre, comme je la
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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

finirai sans doute : au milieu des livres. » Cette conviction de l’auteur « les
mots » devrait habiter chacun de nos élèves et étudiants.
Revoir le passage massif en 6e sans faire preuve du niveau requis. On
comprend les mobiles d’un tel état de fait avec l’obligation scolaire jusqu’à
16 ans, l’application automatique de cette disposition de la loi d’orientation
fait qu’on alphabétise plus qu’on ne scolarise.
Prévoir des filières intermédiaires entre la 6e et la 3e pour les élèves qui
présentent des lacunes au niveau conceptuel et spéculatif afin de les
reconvertir dans l’enseignement moyen pratique.
Ne confier les cours d’initiation qu’à des maîtres expérimentés ayant fait
leurs preuves dans ces classes névralgiques. A ceux qui affichent une
réelle vocation, qui aiment le métier et les enfants et non point à ceux qui
le considèrent, simplement, comme un « gagne-pain ».
Aussi, l’encadrement pédagogique en a-t-il un rôle prépondérant. Pour ce
faire l’effectif des inspecteurs doit être étoffé pour en arriver à un ratio tout
à fait raisonnable. Ceux-ci doivent toujours s’évertuer à faire preuve de
compétence et d’efficacité afin de gagner la confiance des enseignants.
Finalement, la querelle du niveau, ne sert à personne, et surtout pas aux
élèves qui en sont au bout du compte, les victimes. Les mesures pour
sortir de l’imbroglio qui en résulte, même si celui-ci plaît à nos habitudes,
ne peuvent être établies que si on tente de démythifier le débat, en
dépassant une bonne fois, controverses émotionnelles et rêves d’un âge
d’or mythique.
Il importe de rompre avec la délectation morose sur un obscurantisme des
jeunes et sur l’annonce d’une dégradation de l’enseignement en tentant
d’établir l’état présent et la problématique de notre système éducatif :
tâches ardues, s’il en est possible, mais indispensable. Il faut, autant qu’il
est possible, en venir aux faits. Le salut de nos différents ordres
d’enseignement en dépend.
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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Jeunesse « malsaine » ou désemparée ?


Dans une des émissions « Guis-Guis » qui passent à SEN/TV et que je
suis régulièrement ; l’acteur principal dont je tairai le nom, s’apitoyait pour
le Président de la République, en ces termes : « Pauvre Macky Sall ! » Et,
il précisait aussitôt qu’il avait pitié du chef de l’Etat, pour la simple raison,
qu’il a une « jeunesse paresseuse ». L’oisiveté n’est-elle pas la mère des
vices ? Tout part de là ! Ces manifestations sont multiples et multiformes,
et les qualificatifs, dès lors ne manquent pas ; « jeunesse paresseuse » ;
« jeunesse malsaine » ; « jeunesse inadaptée » ; jeunesse frustrée » …
et les noms d’oiseaux ne se tarissent pas.
Il n’est pas facile de percevoir le pourquoi d’un tel phénomène. Soyons
francs, lequel d’entre nous n’a jamais d’angoisse devant l’avenir, ni de
frisson, sinon devant l’inconnu ? Les psychanalystes j’imagine,
expliqueraient cela mieux que moi. Mais tentons tout de même de
comprendre.
On peut le prévenir, ce phénomène sous l’angle des inadaptés sociaux
qui se caractérisent par l’impossibilité dans laquelle se trouvent ces
jeunes, de faire face normalement aux problèmes qui se posent à eux.
Devant les difficultés de la vie, ils se montrent paresseux – cf. propos
de l’acteur principal de Guis-Guis - apathiques, dépourvus de volonté,
prêts à chercher certaines consolations dans la mythomanie, les fugues
et les débordements sexuels, y compris, bien sûr l’homosexualité. Pour ce
dernier travers, l’apologie menée par les réseaux sociaux et certaines
séries télévisées qui le rendent fascinant et captant, oriente le
comportement de la jeunesse qui singe ses « héros » de la vie courante.
Sans doute, le problème de l’adolescence a toujours attiré l’attention et
inspiré des inquiétudes, car elle a toujours été un tournant dangereux.
Mais, de nos jours, le problème se pose différemment, le comportement

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

actuel des jeunes n’étant plus ce qu’il était-il y’a cinquante ou cent ans.
« Les jeunes, disent certains experts de L’UNESCO qui ont sondé la
question, ne semblent pas seulement franchir une phase comme à toutes
les époques, ils paraissent installés dans un état. » On peut donc dire que,
s’ils ont beaucoup changé par rapport à ceux d’autrefois, ce doit-être
parce que le temps présent est très différent des époques antérieures.
Il est facile de le constater. La jeunesse d’aujourd’hui souffre de
diverses circonstances que l’on ignorait au siècle dernier. La promiscuité
urbaine, l’absence d’air pur, les nourritures dévitalisées, les intoxications
pharmaceutiques, les logements trop étroits – DAKAR notamment, le bruit
et autres nuisances, la tension nerveuse doivent nécessairement
fabriquer des êtres ne ressemblant guère à ceux des générations
précédentes.
Cette atmosphère entraîne naturellement une agitation inhabituelle, de
l’insomnie, une sorte d’amertume et une incapacité toujours croissante de
goûter le calme et la paix intérieurs.
A cela s’ajoutent d’autres causes qui ont noms : alcoolisme, trouble
psychique, inconduite et désaccord chez les parents, influences néfastes
de la rue, les lectures immorales, les dancings, le cinéma, les séries
télévisées, la perversité de certains milieux, constituent autant de facteurs
pour lesquels nos jeunes se trouvent DESEMPARES en face de cette
variété aussi abondante de difficultés et d’anomalies.
De tous temps, les jeunes gens et les jeunes filles ont dû s’adapter au
milieu social dans lequel, comme adultes, ils étaient appelés à se vendre
utiles et à travailler.
Cette adaptation devient de plus en plus difficile. L’affaiblissement des
notions de justice, de devoirs, d’honnêteté, de ridicule si souvent jeté sur
les vertus les plus respectables – FULLA AK FAIDA, JOMM – le
relâchement des mœurs affiché sans vergogne – homosexualité – les
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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

complications croissantes de l’existence, les compétitions en vue d’obtenir


toujours plus d’argent, de notoriété ou de pouvoir ont relégué à l’arrière-
plan la notion de devoir de la société d’aujourd’hui envers ceux qui forment
la société de demain.
Pire encore, l’abaissement du niveau intellectuel général, entrainé par
ces divers facteurs, l’aboutissement progressif qui résulte de l’usage des
boissons alcooliques, le manque d’intérêt de la plupart des familles pour
l’éducation véritable des enfants, le rôle des soucis que l’on cherche à
neutraliser par des amusements plus stupéfiants encore que stupides sont
en train de faire une génération de révoltés – véritable bombe à
retardement – de fugueurs, de désespérés, de « débrouillards » dans le
mauvais sens du mot, bref, des gens qui seront demain des éléments
difficiles à contenir, des semeurs de désordre, des exemples néfastes
pour ceux qui les suivent.
Il s’agit là, d’une véritable crise du bien social qui se manifeste par la
montée des incivilités, des actes de délinquance et du sentiment
d’insécurité.
C’est ce que Sébastien Roché appelle « la société incivile » -cf.
Sébastien Roché, la société incivile, qu’est-ce que l’insécurité ? Paris,
seuil, 1996, page 47 et qu’il définit comme « rupture de l’ordre en public,
dans la vie de tous les jours, de ce que les gens ordinaires considèrent
comme la loi ». Roché cite, pêle-mêle les « dégradations, bruits, odeurs,
vitres brisées, impolitesses, insultes, actes de vandalisme, sacs arrachés,
voitures caillassées, pneus brûlés » bref, des actes manifestant une
véritable « crise des mécanismes sociaux d’apprentissage du contrôle de
soi et du respect naturel », une « crise du lien civil ». Les spasmes sociaux
du mois de Mars dernier en sont une illustration parfaite.
C’est très grave, car il s’agit ni plus ni moins, d’une régression du
processus de civilisation qui se manifestent par des manquements
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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

systématiques au « code des relations entre les personnes. » Elle


constitue une menace, génératrice d’un sentiment d’insécurité, « pour soi,
pour le corps propre, mais aussi pour le corps social. » Bref, un danger
social et un risque personnel qui met en cause les règles même de la vie
sociétaire en jetant le doute sur la possibilité du bien social.
Loin de moi la pensée de loger tous les jeunes à la même enseigne et
de les envelopper tous dans un même jugement. Il y a beaucoup de
braves jeunes gens, beaucoup de jeunes filles honnêtes, beaucoup
d’adolescents qui ont le sens du devoir et qui recherche un idéal. Nous en
rencontrons constamment qui aiment ce qui est juste et vrai, qui sont
disposés à sacrifier leurs aises ; leurs goûts et leurs ambitions lorsqu’il
s’agit de répondre à un appel en faveur d’une tâche noble et généreuse.
Le constat est clair : cet état d’esprit se perd et qu’il faut faire quelque
chose. Mais quoi faire ?
Bien des solutions peuvent être tentées :
Prévention par l’éducation familiale, dépistage précoce, rééducation
compréhensive, amélioration du terrain organique par les hormones – voir
spécialistes – les vitamines, l’hygiène physique et mental, création de
service spécialisés en cas de présences de jeunes inadaptés sociaux etc.
Dans tous les cas, je ne pense pas que notre jeunesse soit « malsaine »
comme le faisait entendre, en 1988, le Président Diouf, quand il a essuyé
à Thiès des jets de pierres au cours d’un meeting. C’est une jeunesse
plutôt désemparée.
Que de parents « vivent leur vie » et ne pensent qu’à eux, qu’à leur
plaisir, qu’aux droits de leur propre corps et de leur propre personne,
rejettent dans un oubli tragique le droit de leurs enfants à vivre, eux aussi,
pleinement, dans la tendresse, la sécurité, la stabilité dont ils ont besoin !
De ce point de vue, le Docteur Edouard Pichon déclare : « Pour qu’un
enfant se développe normalement au point de vue physique, intellectuel,
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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

mental, caractériel et affectif, il faut qu’il soit issu d’un couple légitime, uni
par un solide amour et formant devant lui un bloc indissoluble qui
l’accompagne jusqu’à son âge adulte. » cela suffirait pour expliquer bien
des écarts de conduite de notre jeunesse actuelle, puisque des quantités
de familles de nos jours, sont bien loin de réaliser ces conditions de vie et
cet idéal.
En somme, nos enfants ont besoin de savoir que la société dans
laquelle ils vont jouer leur rôle est malheureuse plus encore que blâmable,
qu’elle est plus sotte et plus vaine que vraiment méchante et qu’il faut voler
à son secours.
Si nos jeunes comprennent cela, ils s’adapteront fort bien à la société
actuelle, non pour la suivre et l’imiter, pas d’avantage pour la fustiger de
leur mépris, mais pour l’aider et y jouer le rôle de flambeaux éclairant,
chaque jour un peu plus le chemin menant vers le progrès, au grand
bénéfice de notre cher Sénégal.
Jeunesse malsaine, non ! Jeunesse désemparée, Oui !

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Responsabilités des parents.


Dans les attelages gouvernementaux connus, depuis l’Indépendance, on
a toujours noté un ministère constant qui s’occupe de l’Enseignement, dit :
Ministère de l’Education. Dénomination pompeuse qui, en réalité n’est
qu’une photocopie de la conception française de son système éducatif.
On oublie souvent que ce ne sont pas les mêmes réalités qui se trouvent
à la base de l’impulsion et de la marche des deux systèmes.
Le Ministère Sénégalais de l’Education, aussi bien dans sa structure que
son fonctionnement, n’a rien de « national ». C’est plutôt de l’instruction
publique dont il s’agit que d’éducation au sens premier du terme. La
véritable éducation, elle est de base et incombe plus aux parents, à la
famille qu’à l’école. Certes, celle-ci en a une part non négligeable mais
encore il est nécessaire qu’on puisse faire la part des choses.
Le curriculum de l’Education de base CEB a tenté d’apporter des correctifs
par rapport aux programmes précédents en introduisant le concept de
ESVS – Education à la science et à la vie sociale – non seulement, la
maitrise de la pratique pédagogique par les enseignants est
particulièrement lacunaire mais les disciplines qu’elle regroupe – vivre
dans son milieu et vivre ensemble, notamment, ne font même pas l’objet
d’une évaluation au CFEE. Où est alors l’éducation au sens propre du
terme ?
Comme on le sait, celle-ci fait l’objet de diverses conceptions. Et la
question de la légitimité de l’action éducative se pose. De quel droit
intervenons-nous dans la vie présente et future d’un être humain ? Oui
nous autorise à essayer de le former, à prendre en main la conduite de
son développement – c’est le sens du mot éducation – et à l’élever selon
nos conceptions ?

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Mais malgré tout, si l’on devait hasarder une entreprise de ce genre, quelle
est la structure qui devrait avoir le primat ? Bien sûr la famille, les parents
en l’occurrence.
De ce point de vue, il est admis que l’un des plus grands avantages
accordés à la majorité des enfants est celui d’avoir à la fois un père et une
mère. Tous deux sont indispensables pour une action éducative
équilibrée.
Pour s’occuper de ses enfants, il faut que le père soit présent à la maison
le plus possible. La vraie famille, complète, active, n’existe que lorsque les
parents sont tous deux-là.
Dans les milieux ouvriers, le travail arrache le père à son foyer le plus clair
de son temps et il devient un méconnu, dont l’autorité est singulièrement
ébranlée. Cela a nécessairement des répercussions sur le comportement
des enfants. En effet, les devoirs des parents sont si difficiles et si délicats
que personne n’oserait prétendre s’en acquitter sans se tromper.
Le père n’est pas un « dompteur ». Devant un tel idéal, on conçoit le non-
sens des méthodes d’éducation dont font usage certains pères de famille
et qui s’apparentent à celles d’un dompteur dans une cage de fauves :
ceux qui « forcent » l’enfant, par la menace, à se soumettre sans réplique,
aux ordres qu’ils donnent et ceux qui « achètent », si j’ose dire, la bonne
volonté et les bonnes grâces de l’enfant par des remerciements, des
félicitations, des récompenses.
Que demande-t-on à l’enfant qu’on éduque ? Tout simplement de revenir,
à travers de multiples expériences, à sa véritable nature. Il n’y a donc pas
lieu de lui faire violence, ni de faire intervenir de bas intérêts. Il faut l’aider
patiemment, avec fermeté et douceur, à ranimer la nature parfaite que le
créateur a consentie pour lui.
Voilà pourquoi il est non seulement inefficace et cruel, mais aussi anti
pédagogique de chercher à « dompter », à « dresser » un enfant.
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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

L’éducation véritable consiste à le mettre en contact avec la puissance


divine, à disposer son cœur, par le précepte et par l’exemple, à recevoir
des leçons que Dieu lui donne. Un père de famille ne doit pas être un
dompteur.
Et la mère dans tout ça ?
Sa présence au foyer est une nécessité. Cependant la femme
d’aujourd’hui tend de plus en plus à s’en détacher. Elle ne voit pas
pourquoi elle vivrait dans l’ombre alors que son mari sort, rencontre du
monde et joue un rôle infiniment moins effacé.
« Tota mulier in utero » disent volontiers les savants, c’est-à-dire tout ce
que fait la femme et tout ce qu’elle est, résulte de sa possibilité d’avoir des
enfants. Cette formule parait étroite ; en réalité, elle est aussi vaste que
peut le souhaiter un être humain conscient de sa valeur et de sa dignité.
Elle devrait donc regarder plus loin que les tâches immédiates. Lorsque,
grâce à son action sage et patiente, une maman aura pu « mettre en
circulation », si j’ose dire, un fils de vingt ans bien préparés à sa tâche de
fonder un vrai foyer, elle pourra contempler le résultat de son travail.
Ce travail consiste, il est vrai, en un nombre incalculable de « petits riens »
accomplis avec patience et régularité. L’exemple de l’ordre et de la
propreté, de l’activité toute simple, de la bonne humeur devant les
contretemps aura contribué, souvent bien mieux que les longs et
solennels discours paternels, à la formation d’une âme et d’une
conscience.
L’influence de la femme au foyer est surtout d’ordre moral. On a fini par
comprendre que les hommes de demain seront ce que les font les femmes
d’aujourd’hui, que demain la situation sera prospère ou inquiétante selon
que les mères de famille auront bien ou mal préparé le corps, le cœur et
l’esprit de leurs enfants –« LIGUE YOU NDEYE, AGNOUB DOME », a-t-
on l’habitude d’entendre.
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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Telle est la véritable mission de la femme et de la mère. C’est ce que


Pierre – Henri Simon a exprimé dans « la femme et sa mission » en ces
termes : « on peut supposer tous les progrès sociaux, toutes les
révolutions, tous les ordres de civilisation qu’on voudra, il restera deux
faits contre lesquels aucune théorie de l’esprit, aucune contrainte de l’Etat
ne pourront jamais rien : cet instinct qui pousse l’homme et la femme à
chercher dans l’amour partagé la plus intense joie terrestre, et cette loi qui
fait que le drame de l’humanité de demain se décide aujourd’hui, sur les
genoux des mères. » Lourde responsabilité ! En ont-elles conscience ?
En tout cas, si ce travail qui incombe tant à la femme, comme le décrit si
bien notre auteur, est mené de la façon la plus habile, on ne devrait pas
observer, dans la vie de tous les jours, des comportements déplorables,
de la part de certains jeunes, tels : Lever la main sur un professeur est un
acte qui frise l’infamie. Il est condamnable à plus d’un titre. Un élève qui
se livre à de tels actes n’a plus sa place dans le milieu scolaire.
Il en est de même pour l’étudiant qui pousse l’outrecuidance jusqu’à
l’audace d’arracher le micro de son professeur en plein cours.
L’humiliation ainsi faite à un universitaire, dépositaire d’un savoir si
respectable, ne doit pas rester impunie.
Que ceux-là qui procèdent ainsi comprennent qu’ils sont en train de se
sacrifier eux-mêmes, car on ne récolte que ce qu’on a semé. On ne peut
pas maltraiter ainsi, en tant que « talibé », son « serigne » et espérer
connaitre plus tard la « baraka ». On le leur rendra, tôt ou tard, d’une
manière ou d’une autre.
Stoetzel écrivait, dans son commentaire d’une enquête sur les valeurs qui
doivent être les fondements de comportement citoyen des jeunes dans le
monde actuel : « les certitudes morales sont en train de s’effondrer, chez
les jeunes, les normes sont désacralisées ». Déjà les différences
d’opinions entre générations étaient hautement perceptibles : elles n’ont
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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

fait que s’approfondir au point que beaucoup de sociologues ou d’experts


parlent aujourd’hui de « fracture ». Il faut agir pendant qu’il est temps.

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Enfants à besoins éducatifs spéciaux (EBES)


Les enfants vivant avec un handicap ont été pendant longtemps ignorés
dans les systèmes éducatifs. Tout était prévu pour les enfants dits
normaux dans la configuration des structures et infrastructures.
Les enfants handicapés sont dits anormaux et le plus souvent, ils sont
livrés à la mendicité ou considérés comme des cas n’ayant besoin que
d’une assistance sociale ponctuelle.
C’est ainsi que l’UNESCO à l’issue d’une conférence tenue en Espagne
1994 déclaration de SALAMANQUE – a impulsé la prise en charge des
enfants à BES à travers une éducation dite intégratrice ou inclusive.
De quoi s’agit-il ? Il s’agit d’offrir aux personnes handicapées (physique –
social – affectif des chances égales de participation au sein des structures
d’enseignement et d’éducation ordinaires, dans la mesure du possible,
tout en donnant la possibilité d’un choix personnel et en prévoyant une
aide ou des infrastructures pour ceux qui en ont besoin.
L’éducation intégratrice est une approche qui permet d’offrir à tous les
enfants et à tous les adolescents, sans discrimination aucune, la
possibilité de bénéficier d’une éducation dans un environnement
intégré et adéquat
Elle a tout de même une histoire :
1948 : Déclaration universelle des droits de l’homme qui prône l’égalité de
tous les êtres humains sans aucune distinction.
1990 : Déclaration Mondiale sur l’Education pour tous à la conférence de
JOMTIEN en Thaïlande
1993 : Assemblée générale de l’ONU : charte universelle des droits de
l’homme pour les personnes Handicapées avec des instruments
juridiques spécifiques à celles-ci avec 22 règles intitulées règles

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

universelles des Nations Unies pour l’égalisation des chances des


personnes handicapées dans sa résolution 48/96 du 20/12/1993.
1994 : Conférence de SALMANQUE (Espagne) conférence mondiale sur
les BES : Accès et qualité, qui a produit le Déclaration de Salamanque et
le cadre d’Action pour le BES.
Il s’agit de créer une école pour tous appelée Ecole Intégratrice ou école
inclusive.
2005 : Convention des Nations Unies sur le handicap.
Pourquoi l’exclusion ?
Etre exclu d’une participation significative à la vie économique, sociale,
politique et culturelle de la collectivité est l’un des plus graves problèmes
auxquels soient confrontés les individus dans la société contemporaine-
Cela n’est ni judicieux ni souhaitable.
Un handicap, quelle qu’en soit la nature (physique, social et/ou affectif) ne
saurait donc être un élément disqualifiant – l’inclusion implique l’adoption
d’une vision large de l’Education pour tous, couvrant toute la gamme des
besoins de tous les apprenants, et notamment de ceux qui sont les plus
vulnérables à la marginalisation et à l’exclusion.
NB : L’inclusion est un concept théorique positif mais elle est difficile à
appliquer en pratique.
L’inclusion exige des compétences et des capacités particulières qui sont
difficiles à mettre en place – l’inclusion ne concerne que les handicaps.
La population du Sénégal en 2006 selon le dernier recensement est
estimée à 11 000 000 hbts, avec un taux de croissance de 2,89% par an.
Taux assez élevé par rapport aux populations à moins de 16 ans, 56% ont
moins de 20 ans – 52% sont constitués de femmes.
Par ailleurs 10% de la population totale est constituée de handicapés dont
¼ de handicapés moteurs et 18% de handicapés visuels.

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

La Loi d’orientation 91-22 du 16 Février 1991 modifiée, définit les


orientations du Système éducatif.
Le système est composé d’un secteur formel et d’un secteur non formel.
Le taux brut de scolarisation est à 85%. Le taux d’achèvement du primaire
est seulement de 51%.
Pendant cette période, l’Education Intégrale n’était pas encore envisagée
– En revanche, les enfants « à problèmes » étaient accueillis dans des
structures spécialisées :
Centre pour les sourds – muets
Centre pour les aveugles
Centre pour les déficients mentaux
Centre pour les handicapés moteurs
Ces réformes et innovations étaient appuyées par des partenaires
Techniques et Financiers (PTF) principalement, la banque mondiale à
travers le projet Education 4 et le PDRH.
Le programme Décennal de l’Education et de la formation (PDEF) a
quelque peu rompu avec cette approche « projet » et s’est inscrit dans une
approche « programme ».
La conception que l’Etat du Sénégal a de l’Education Intégratrice est la
même que celle dégagée dans le cadre d’Action de SALAMANQUE en
1994. « Les écoles intégratrices partent du principe fondamental que tous
les élèves d’une communauté doivent apprendre ensemble, dans la
mesure du possible, quels que soient leurs handicaps et leurs difficultés…
Cette option traduit une évolution des enfants à BES.
Comme souligné précédemment, ce sont des structures spécialisées qui
prenaient en charge séparément les différents handicaps
Pour les handicaps visuels INEFJA
Pour les handicaps auditifs Centre verbo-tonal
Pour les handicaps moteurs Talibou Dabo
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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Il ne s’agissait donc pas d’une éducation Intégratrice, mais bien d’une


éducation spéciale dans des centres spéciaux avec des enseignants
spéciaux dont les limites sont vite apparues : insuffisance des capacités
d’accueil, centralisation dans les centres urbains, perception des enfants
handicapés comme étant à part, en marge de la société. La conception a
beaucoup évolué allant dans le sens de la déclaration de Salamanque
(Espagne 1994)
Quelle planification stratégique pour l’inclusion ? Elle repose sur un certain
nombre d’éléments clefs :
Pour faire de l’inclusion un principe directeur, il faut généralement modifier
le système éducatif, processus qui se heurte à des difficultés. Cette
démarche implique d’importants infléchissements et changements. Les
obstacles suivants doivent être franchis :
Attitudes et valeurs, existantes
Manque de compréhension
Absences des compétences nécessaires
Ressources limitées
Organisations inadaptées – (Ressources)
Que faire concrètement ?
Suivons les axes ci-après
Politique, buts, objectifs, revoir loi d’orientation 91-22
Modification des structures actuelles
Formation initiale et continue
Développement partenariat
Information/sensibilisation
Suivi évaluation :
Au total, l’éducation intégratrice ou inclusive, système d’éducation où tous
les élèves ayant des BES reçoivent leur éducation à l’école du quartier,
dans les classes ordinaires, avec des services de soutien doit être une
réalité dans le système éducatif.
Une éducation où tous apprennent ensemble dans la même classe quelles
que soient leurs différences.

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Où va le Système ?
Où va le système éducatif sénégalais ? La rue a-t-elle exercé une
influence néfaste sur le comportement de la jeunesse ? Toute porte à le
croire. Des élèves qui cognent sur leurs professeurs, qui déchirent
ostensiblement leurs cahiers dans l’enceinte de l’établissement, qui
piétinent leurs blouses sous le regard médusé de leurs professeurs et de
tout le personnel administratif, qui renversent des tables-bancs, des
étudiants qui arrachent le micro à leur professeur en plein cours ; qui
bloquent l’entrée de l’université au point que les très respectables
enseignants soient contraints à rebrousser chemin. Voilà le décor qui fait
triste figure que nous offre, ces derniers temps, l’école sénégalaise.
Qu’est- ce qui pourrait expliquer de tels comportements ? Les parents,
comme on dit, ont-ils démissionné ? La rue a-t-elle pris le pas sur le
« peu » que ceux-ci ont tant bien que mal installé au niveau du foyer, dès
le jeune âge ? Tentons de répondre à ces différentes interrogations qui,
assurément, nous installent devant une amphibologie fondamentale.
A mon sens, on ne peut pas dire que l’éducation de base dont les parents
ont en charge a été escamotée. Certes, ils ont fait ce qu’ils ont pu, mais
on ne peut pas nier l’existence d’autres facteurs plus ou moins négatifs
qui sont de nature à contrarier leurs actions de la vie de tous les jours ;
parmi ceux-ci : la rue.
Il fut en temps où les enfants bien élevés n’allaient jamais jouer dans la
rue. Les transformations profondes qui se sont produites dans les idées
et dans les conditions d’existence ont rendu presque risible de nos jours
ce genre de précautions. La rue n’est pourtant pas moins dangereuse
aujourd’hui qu’autrefois ; elle l’est même bien d’avantage à tous points de
vue.

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Ce qui a changé, c’est la manière de faire face à ces dangers, ou plus


exactement d’y céder avec une croissante insouciance. Aussi les
problèmes de la rue prennent-ils à l’heure actuelle un caractère plus grave
et parfois plus tragique que jamais.
Il n’est certainement pas utile de donner ici une liste plus ou moins
complète, avec une description détaillée, des dangers auxquels la rue
expose les enfants. Rencontres douteuses, affiches équivoques,
indécentes ou malsaines, devantures suggestives, kiosques à journaux
tentateurs et que sais-je encore, font de ces artères de nos villes des lieux
qu’il vaudrait mieux ne pas être obligé de fréquenter, car tous ces
phénomènes laissent immanquablement des impacts négatifs sur le
comportement des enfants, qui les traînent jusqu’au collège, au lycée
voire l’université. C’est justement ce qui explique, en partie, les travers
notés dans ces structures éducatives.
Et pourtant, l’enfant va dans la rue. Dans un sens il est bien obligé, au
fond, il ne demande pas mieux. Il y a pour cela des raisons diverses et en
général totalement indépendantes de sa volonté. Il passe dans la rue pour
aller à l’école et pour en revenir. On favorise pour lui les occasions de
sortir afin de lui donner un peu plus d’air dans les appartements exigüs
comme ceux de Dakar. D’ailleurs l’enfant aime être dans la rue et si
aucune raison pratique ne l’obligeait à s’y rendre, il demanderait quand
même le privilège d’y passer du temps.
La rue, c’est le mouvement, c’est la vie, l’imprévu, le spectacle toujours
changeant et souvent pittoresque de l’activité humaine.
Faut-il comme le souhaitent certains moralistes, réduire au minimum les
instants que l’enfant sera autorisé à passer dans la rue ? Je crois qu’on
fera toujours bien de ne pas l’y laisser errer à son gré et sans but. Sinon
le foyer construit, la rue déconstruit et l’école s’ennuie.

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Pour résoudre un problème, il ne faut pas commencer par le supprimer.


En empêchant l’enfant d’aller dans la rue, on le priverait d’un certain
nombre d’avantages. Il n’y a pas de lien où il soit possible de mieux
comprendre le sens et la diversité des activités humaines. La rue offre
certains contacts avec le public, qui obligent à tenir compte de la présence
et des intentions d’autrui, tels les règlements de la circulation.
Dans le domaine de la vie sociale et de la vie normale il en est de même.
Les parents feront donc bien d’accompagner les enfants dans la rue, et
de ne pas se borner à tenir énergiquement une main récalcitrante. Il sera
bon de parler avec lui, d’attirer son attention sur ce qui est joli, commode,
intéressant, de le laisser voir, sans doute, ce qui est moins
recommandable, mais de lui explique, pourquoi telle affiche était laide, le
titre de journal tendancieux, tel geste déplacé, ou, au contraire, telle
attitude d’un passant digne de louanges.
La rue, comme on le voit, est un livre ouvert. Elle est incontestablement
une école de haute valeur à la condition que les enfants y soient instruits
par des parents qui sachent leur apprendre à aimer ce qui est bien, juste
et beau.
Autrement, que se passera-t-il ? Une véritable crise du lien social ! Crise
qui va se manifester par une montée des incivilités, des actes de
délinquance et d’un sentiment d’insécurité. Ce comportement
désobligeant est de nature à entraîner une sorte de rupture de l’ordre
public, dans la vie de tous les jours. Ce que nous avons observé dans les
établissements scolaires – Collèges et lycée – et universitaires s’inscrit en
droite ligne dans cet ordre. Ces déséquilibres sociaux peuvent prendre
d’autres formes plus poussées : dégradations, bruits intempestifs, vitres
brisées, impolitesses, insultes, actes de vandalisme, sacs arrachés,
voitures brulées etc. qui n’épargne point l’école et son personnel.

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Il s’agit, ni plus ni moins, d’une régression du processus de civilisation qui


se manifeste par des manquements systématiques au code des relations
entre les personnes - administrer un coup de poing à son professeur ou
lui arracher le micro dont il se sert pour transmettre le savoir – Elle
constitue, cette régression, une menace, génératrice d’un sentiment
d’insécurité pour tout le corps social ;
Cette dimension identitaire de l’incivilité serait à relier à l’envahissement
d’un sentiment de peur exprimant « l’impossibilité de vivre ensemble, de
se faire confiance, de respecter les droits ». – Cf. Sébastien Roché, la
société incivile, qu’est-ce que l’insécurité ? Paris, seuil, 1996, page 47 –
Bref, un danger social et un risque personnel de dérapage qui mettraient
en cause les règles mêmes de la vie sociétaire en jetant le doute sur la
possibilité du lien social.
Dès lors, la paix, fondement de toute société qui aspire au développement
n’est-elle pas gravement menacée ?
La paix est une construction patiente du génie spirituel de l’homme : « La
paix est l’une des réalisations les plus hautes de la culture, et pour cette
raison mérite toute l’énergie intellectuelle et spirituelle. » Hervé Carrier.
Tout citoyen doit se consacrer, totalement à sa défense, qui du reste, est
l’un des biens les plus précieux de la culture humaine. Les espaces
scolaires et universitaires le méritent amplement.

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Impact du divorce sur les enfants


Les salles d’audiences au niveau des tribunaux départementaux
refusent du monde, les jours qui sont consacrés aux affaires civiles. Les
dossiers relatifs au divorce font légion. Oui, il y’en a beaucoup, que se
passe-t-il ? Je me suis surtout intéressé à ce sujet en tant qu’éducateur,
la main à la pâte pendant au moins une décennie avant de passer au
corps de contrôle. Mon souci est de partager mes observations sur
l’impact que ce phénomène qui prend de plus en plus d’ampleur sur les
enfants.
Oui, le divorce est un phénomène social de plus en plus fréquent. Or,
les difficultés qu’il implique, le malaise qu’il entraîne dans la société, les
désordres qu’il introduit dans la famille, le tort immense qu’il fait aux
enfants en font un fléau dont il est urgent de limiter les ravages.
Les divorces prononcés par les tribunaux ne sont que la face visible de
l’iceberg. Il faut songer sans pouvoir les inclure dans une statistique, aux
cas très nombreux d’époux qui, sans demander la séparation, ont cessé
de s’entendre normalement, et vivent un véritable enfer au sein de leur
foyer. Beaucoup de divorces sont prononcés de façon « coutumière »
sans passer par le tribunal.
Mon objectif, en abordant cette question, n’est pas de discuter de
l’opportunité des lois relatives au divorce, mais bien de dénoncer les
causes profondes de celui-ci et d’essayer d’y remédier, au grand bonheur
des enfants dont l’épanouissement s’en ressent.
Ce que nous devons donc étudier avant tout, c’est l’état d’esprit des
époux qui songent à se séparer. C’est très désagréable. Personnellement,
j’en ai souffert terriblement ! Ce martyre, je ne le souhaite à aucun de mes
concitoyens. Que se passe-t-il chez un être qui a désiré le mariage, y a
consenti de tout son cœur, y a mis le meilleur de ses espérances mais

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

qui, à un moment donné, répudie tous ces sentiments parce qu’ils ont
cessé de correspondre à ses goûts où à ses aspirations intimes ?
Mais quelles sont les causes du divorce ?
Elles sont relativement nombreuses, mais tentons d’en cerner les plus
habituelles. Quand on songe à la futilité de certains détails qui dressent
deux époux l’un contre l’autre, on est obligé de se dire que leur séparation
provient beaucoup moins de leurs défauts que leur mauvaise volonté à s’y
adapter réciproquement.
Ce sont les petites agaceries quotidiennes plus que les grands états qui
minent les bases du foyer. Et des foyers ainsi compromis, il y en a plus
qu’on ne le pense. Il est inévitable que certains malentendus se
produisent, non pas des brouilles et des disputes, mais simplement des
divergences de vue ou que des circonstances surviennent dans lesquelles
la conduite de l’un ne pouvant pas explicable à l’autre.
Lorsque l’enchantement des premiers temps a fait place à la régularité
parfois monotone de la vie, les défauts prennent peu à peu plus d’ampleur
et de liberté dans leurs manifestations. Il en résulte très souvent, surtout
chez la jeune épouse, le sentiment de s’être trompé de choix, d’avoir
cultivé des illusions dont la disparition laisse un vide douloureux.
C’est pourquoi les auteurs s’accordent généralement pour dire que la
première année du mariage est loin d’être, comme on le croit
généralement, une année d’enchantement et de délices, mais une année
cruciale et décisive, parfois pénible, de la vie à deux.
Vous connaissez tous des ménages qui semblaient devoir être heureux
et l’ont été en effet … pendant toute la lune de miel. Mais peu à peu, le
mari s’est lassé du désordre qui règne au sein de la maison, de la
négligence dans la préparation des repas, du peu de soin apporté à
l’entretien du linge, des vêtements. On croit d’abord que ces choses-là ont

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

peu d’importance quand on s’aime. Mais l’amour le plus sincère finit par
se fatiguer quand il se heurte chaque jour aux mêmes déceptions.
Bien des maris en prennent leur parti et concourt largement au travail
ménager ; mais beaucoup d’autres finissent par trouver que leur foyer est
un des lieux les moins agréables et ils y passent le moins de temps
possible. Ainsi, petit à petit, le fossé se creuse et devient parfois si profond
que les époux préfèrent vivre chacun de leur côté ?
Il est aussi une cause de divorce assez fréquente quoique rarement tout
à fait justifiée : La jalousie. Elle s’empare de l’un des époux. Certes, il y a
une forme de jalousie parfaitement normale, j’oserais même dire
désirable, c’est elle qui montre que l’on tient par-dessus tout à celui ou à
celle qu’on aime, qu’on n’est pas disposé à céder les droits et les privilèges
acquis par l’amour, qu’on veut préserver l’être aimé de certaines
entreprises regrettables de la part d’hommes ou de femmes sans
scrupules.
Mais dès que la jalousie devient égoïste ou tyrannique, elle sort de ses
limites normales, elle est un défaut grave, capable de ruiner une vie noble
et un grand bonheur. Il n’y a pas de sentiment plus terrible que la haine,
mais avec elle, au moins, on sait à quoi s’en tenir.
La jalousie égoïste, au contraire, laisse ses victimes perplexes et
désemparées parce qu’elle prétend agir au nom de l’amour, dont elle n’est
en réalité qu’une dangereuse imitation.
L’époux soupçonné a beau donner aucun élément à cette méfiance, par
exemple, en restant toujours avec son conjoint, il a beau se montrer
indiffèrent et presque incivil à l’égard des autres, il aura toujours assez de
mots, de regards, de gestes qui seront mal interprétés. Un jour viendra
peut- être où, excédé, il décidera de n’en faire qu’à sa tête, sans écouter
les récriminations habituelles. Alors ce sera la catastrophe !

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Hélas ! Le divorce est entré dans les mœurs ! Il est très fréquent
maintenant ! Dommage. Quels sont les troubles psychologiques de
l’enfant de parents divorcés ?
Le problème du divorce examiné sous cet angle est beaucoup plus
tragique. L’enfant ne peut guère rencontrer de souffrance plus grave, au
cours de son existence, que celle de la séparation des parents.
Cette souffrance aux multiples aspects peut avoir, des répercussions
psychologiques et morales parfois très lourdes de conséquences.
Dès avant le divorce, l’enfant est une espèce de champs de bataille sur
lequel se heurte la haine que se vouent les époux. L’enfant, beaucoup
plus sensible qu’on ne le croit ordinairement à la qualité de l’atmosphère
dans laquelle il vit, peut s’habituer, en apparence, à ces conflits, à ces
disputes, à ces scènes de ménage dont il est témoin, aux remarques
désobligeants, aux commentaires amers et désabusés qu’il entend.
En réalité, dans de telles conditions, il est plus malheureux qu’un
orphelin. L’orphelin sait pourquoi sa famille est brisée ; sa solitude peut
être adoucie par le souvenir d’un foyer uni et toute sa vie peut être
illuminée. L’enfant de parents divorcés comprend mal ce qui s’est passé,
mais il en garde l’impression d’une catastrophe dont il peut souffrir
pendant longtemps.
Mais souvent cette situation intolérable fait naître d’autres réactions
bien regrettables :
Ne sachant plus très bien à qui il peut se fier, il devient insociable ; afin
de s’attirer le minimum de questions et de reproches, il tombe dans
l’hypocrisie.
Préoccupé plus qu’on ne pourrait le supposer, il se détache de son
milieu et, pensant à autre chose, devient distrait, rêveur.
Obligé de se surveiller, de calculer ses réponses et de choisir ses mots,
il est rendu irritable par ses séjours successifs chez ses divers parents.
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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Peu à peu, les comparaisons qu’il fait entre les deux branches de sa
famille, ses constatations lorsque des enfants sont issus du second
mariage de ses parents le rendent jaloux et même vindicatif.
L’inutilité des efforts qu’il a d’abord déployés pour maintenir une
certaine harmonie, puis pour éviter les conflits, le pousse alors à
l’indolence, à l’indifférence, à la paresse.
Enfin, pour couronner le tout, ses déceptions affectives qui
s’accumulent ébranlent son système nerveux et l’expose aux névroses,
aux psychoses et même, le terrain aidant, aux maladies mentales les plus
graves.
Ces conséquences du divorce ne sont pas exhaustives, loin s’en faut.
Elles pourraient s’allonger à l’infini ; Ces quelques indications qui
entravent sérieusement la scolarité des enfants, suffisent pourtant pour
faire réfléchir non seulement ceux qui songent réellement au divorce mais
aussi ceux qui, sans s’en douter, s’engagent sur la pente qui y conduit.
Fût-ce pour la protection de l’enfance, je ne demanderais cependant
pas des lois qui rendent plus difficile la séparation des époux. Je dirais
donc volontiers : Sentez-vous libres de divorcer, mais, de grâce, ne le
faites pas !

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Ces maux qui gangrènent le système !


Dans un passé récent, à la Mairie de THIES, une rencontre d’échanges
avait été organisée sur les maux dont souffre l’éducation. Choix d’un
thème ne pouvait être plus opportun que celui-là. Mais que pouvait-il
apporter de neuf par rapport à ce que nous connaissions déjà ? Pas
grand-chose ! Cependant puisque la répétition est pédagogique, allons-y.
Tentons de jeter un regard nouveau sur une crise ancienne.
Il faut se rendre à l’évidence que la dynamique interne de la crise est à
peu près la même partout, d’autant qu’elle frappe tous les pays sans
distinction, qu’ils soient vieux ou jeunes, riches ou pauvres, qu’ils soient
dotés d’institutions stables ou qu’ils s’efforcent, contre vents et marées,
d’édifier l’infrastructure dont ils sont dépourvus.
Depuis 1945, le milieu humain s’est transformé avec une rapidité
stupéfiante sous l’effet de plusieurs révolutions qui, dans le monde entier,
ont simultanément affecté les sciences et les techniques, l’économie et
les relations politiques, la démographie et les structures sociales. Les
systèmes d’éducation se sont eux développés et transformés de façon
accélérée, mais pas assez vite pour suivre le rythme. Ce décalage, sous
ses multiples formes, est au cœur même de la crise.
D’une manière générale, cette crise a été engendrée par les facteurs
suivants : l’intensification soudaine de la demande d’éducation, une grave
pénurie de moyens, l’inertie inhérente aux systèmes éducatifs et last but
not least, l’inertie du corps social, lui-même. Ces défis ne sont pas
simples. Aussi, toutes les sociétés industrielles avancées – même le japon
– s’interrogent sur les déficiences de leur système éducatif. Définir la place
de l’éducation dans le vaste effort qui doit permettre de se réaliser au plus
grand nombre des individus de notre société ne constitue en rien un
problème facile et dont la solution serait déjà connue. Cette solution, les

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

membres de notre société la construiront ensemble, plus ou moins bonne,


à travers leurs coopérations et leurs conflits dans l’avenir.
L’avenir, en effet, n’est pas écrit. Il est le fruit de la nécessité, du
hasard, pour celui qui y croit et de la volonté. Nécessite des tendances
lourdes qui ne peuvent être infléchies que lentement sur des horizons
longs. Hasard des découvertes, des conjonctions d’évènements et des
apparitions de personnalités exceptionnelles et non point par la promotion
des médiocres. Volonté des acteurs d’influencer le futur en poursuivant
des plans à priori contradictoires… aussi, à terme, l’avenir du système
éducatif sénégalais, loin d’être donné, dépendra-t-il largement de ce que
nous en ferons.
Ce qu’il faut surtout pour notre éducation, est que l’argent seul ne peut
pas tout procurer, ce sont des idées et du courage, de la révolution, ainsi
qu’un nouvel esprit autocritique renforcé par le goût du risque et la volonté
d’innover, car sur l’aile enjouée du temps, il n’y a pas de plus affreux
désastre que la mort de l’imagination.
Aussi, disons-nous bien que ce n’est pas seulement par la force des
choses que s’accomplira le progrès social, mais bien, par la force des
hommes. L’histoire ne dispensera jamais les hommes, de la vaillance et
de la noblesse individuelle. Mais qui sont ces hommes et ses femmes ?
Qui sont les acteurs du système éducatif ? Comment se comportent-ils ?
Que font-ils ?
Naturellement, l’Etat et les collectivités locales passent en tête des
acteurs. Avec ces instances, disons-le tout net, les dimensions de la crise
se sont intensifiées à cause de l’existence, par leur fait même, d’une
véritable crise de confiance dans l’éducation elle-même. L’Etat qui ne
respecte jamais ses engagements et du coup se discrédite aux yeux de
ses principaux partenaires.

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Quant aux syndicats des enseignants, il est symptomatique, quelle qu’ait


été leur attitude à l’égard des lois à caractère social, celles-ci ont le plus
souvent été adaptées sous la pression, directe ou indirecte. Directe quand
une série de mesure, pour lesquelles ils ont lutté, sont adaptées à la faveur
d’une agitation sociale ou d’un changement politique. Indirecte, lorsque
pour contrebalancer leur influence sur les militants, pour empêcher leur
développement, le Gouvernement lâche quelques avantages.
Aussi, sur divers plans, l’enseignant a-t-il acquis des garanties qui ont
transformé sa vie, dans un sens positif. C’est le rôle de tout syndicat que
de défendre les intérêts de sa corporation. Mais est-ce une raison de
« paralyser » le système ? C’est un terme qui revient très fréquemment
dans leur langage. Est-ce honorable de leur part de paralyser le
fonctionnement normal du système ? Si baisse de niveau, il y a, les
enseignants en ont une grande part de responsabilité ! Et ce qui est
dégradant, c’est uniquement pour satisfaire des intérêts bassement
matériels.
Cher camarade enseignant, si tu as embrassé ce métier, uniquement
pour de l’argent, je te conseille de changer immédiatement de corporation,
car assurément, tu ne seras jamais riche. On entre dans ce métier comme
on entre dans une religion. Il faut y croire !
Chers parents, ne démissionnez pas ! En laissant longuement les
enfants devant le poste téléviseur, jusqu’à des heures indues, vous avez
démissionné. Si vous ne prenez pas l’initiative d’aller rencontrer son
maître ainsi que son directeur de temps à autre, vous avez démissionné.
S’il va à l’école ; le matin sans prendre son petit déjeuner, vous avez
démissionné. Et que sais-je encore. Les enfants sont l’avenir de la Nation ;
nous devons en prendre soin, sinon nous aurions failli à notre devoir.
Mes chers élèves et étudiants ! C’est votre droit légitime de réclamer des
conditions d’études décentes mais dites-vous bien que vous n’avez pas le
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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

droit de casser l’outil de travail dont vous disposez – restaurants, bloc


administratif et autres… Ces infrastructures sont les vôtres. Penser
qu’elles sont la propriété de l’Etat, c’est se faire une représentation
tronquée. C’est avec les contributions diverses de vos parents qu’elles ont
pu être édifiées. C’est manquer de civisme que de les mettre à sac. Il en
est de même pour les bus Dakar « Dem Dik ».
Mon cher camarade Inspecteur ! Tu as droit à mettre sur pied un
syndicat pour défendre les intérêts de ta corporation, encore que le
syndicalisme des cadres n’est pas en soi, un fait nouveau. Dès le siècle
dernier apparaissent les premières amicales. L’histoire nous apprend
qu’un regroupement se produit en 1892 avec l’Union des Ingénieurs
Catholiques, qui devient en 1905 l’Union Social des Ingénieurs
Catholiques. Le terrain est donc largement déblayé.
Mais es-tu cadre réellement Monsieur l’Inspecteur ? Sais-tu que tu es
aujourd’hui contesté par tes propres subordonnés jusqu’à ton autorité, à
savoir ta compétence ? C’est pas moi qui le dit, ce sont les instituteurs qui
le disent. As-tu lu l’article d’un certain Ousmane Gueye, Instituteur de son
état, paru dans l’observateur N° 3097 du Samedi 18 et Dimanche 19
janvier 2014 ? Moi qui suis ton collègue, quand je l’ai lu, crois-moi, j’ai eu
des sueurs froides. Je n’ai pas dormi de la nuit. En effet, que dit Ousmane
Gueye ? Je t’en livre quelques extraits : « les inspecteurs, ce corps, jadis
de prestige est en perte de valeur due surtout à leur pouvoir démystifié
par des agents véreux inconscients et insouciants ».Il est difficile d’aller
au contre-courant de Ousmane, dans la mesure où il va en droite ligne
dans celui de l’ancien Ministre de l’Education sous Wade qui a taxé les
IDEN de l’époque de « voleur », publiquement, au conseil Régional de
THIES, au cours d’un CRD Spécial, sans qu’aucun d’entre eux, n’ait osé
lever le plus petit doigt. Pourtant, ils étaient tous là !

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Et Ousmane de poursuivre : « Ce n’est plus le croquemitaine d’hier,


Monsieur l’Inspecteur mais plutôt actuellement un agent traité
d’incompétent, comparable à un instituteur, férule à la main face à une
nation de cancres. » Quelle hérésie, si on compare ce réquisitoire à ce
que doit être le profil d’un inspecteur ! Si c’est ça l’Inspecteur, moi, je
préfère rendre le tablier aujourd’hui même car on est inspecteur à vie.
Mais écoute mon cher ami, quand on recrute les Inspecteurs avec une
explication de texte de niveau 5e, pouvait-on s’attendre à autre chose que
cela ? Depuis l’avènement du « probatoire », c’est la massification du
corps qui n’est plus que l’ombre de ce qu’il fût. Ce ne sont que des
instituteurs améliorés !
En effet, il n’est pas rare de voir des Inspecteurs faire des fautes de
langue des plus banales ou tenir des arguments aussi saugrenus les uns
que les autres, au cours d’un débat pédagogique, devant les enseignants.
Dès lors, quel respect, quelle considération peux-tu attendre de ces
derniers, camarade Inspecteur ? Pour jouir de tout cela, tu dois rester un
étudiant à vie, un vrai mutant qui soigne constamment « sa mise
intellectuelle et vestimentaire », car assurément, tu n’es pas n’importe qui,
tu dois être une référence, à tout point de vue.
Ce faisant, tu ne pourras pas être exempt de reproches mais tu auras
au moins sauvé l’essentiel. Le milieu enseignant, on le sait, est caractérisé
par les commérages, les coups bas et la mesquinerie. Qu’importe !
Comme dit le poète : « fais énergiquement ta longue et lourde tâche, dans
la voie où le sort a voulu t’appeler ». Comme on le voit, le système éducatif
sénégalais est malade de ses ressources humaines, des hommes et des
femmes qui l’animent, et cela, à tous les niveaux. Oui, les hommes et les
femmes !
Il faut qu’on arrête de promouvoir la médiocrité sur la base du copinage
et de relations interpersonnelles. L’efficacité et l’efficience du système
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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

sont à ce prix car comme le dit Gaston BERGER dans l’homme moderne
et son éducation : « il faut, constamment penser à l’homme comme finalité
de notre action ». N’est-ce pas cela l’objet de l’économie de l’éducation ?

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

ET SI L’ON REVIGORAIT LA CONSCIENCE

PROFESSIONNELLE !
Pendant les quatre années auxquelles j’ai été appelé comme formateur
au CRFPE (centre régional de formation des personnels de l’Education)
de Thiès, j’ai toujours accordé une attention particulière au cours sur la
conscience professionnelle, dans le cadre du module de législation et de
déontologie qui m’a été confié.
Educateur, une fois qu’on affuble ce titre, on l’est à vie. Voilà un
personnage qui ne prend jamais sa retraite. Sous ce rapport, il peut
s’inscrire à travers plusieurs créneaux pour la poursuite de son action
éducative, au grand bonheur des bénéficiaires dont l’épanouissement en
dépend pour une grande part.
Personnellement, j’ai opté pour l’écriture, car s’agissant justement de
l’éducation, telle qu’elle se déploie, ici et ailleurs, écrire, c’est aussi agir,
non pas seulement pour les générations actuelles mais aussi futures.
L’enseignant occupe une place privilégiée et délicate dans la société à
laquelle il appartient. Il y assume de lourdes responsabilités au niveau
social. Le contrat moral qui le lie à la collectivité lui impose des
contraintes : rigueur morale, assiduité, droiture, probité mais surtout la
conscience professionnelle. Cette dernière se définit par une tension
permanente de la volonté de l’enseignant vers un meilleur
accomplissement de sa tâche. C’est aussi une application persévérante
dans l’exercice de sa profession, un amour du métier, le sentiment
esthétique et moral du travail bien fait.
La conscience professionnelle est le sens aigu et profond des
responsabilités. Elle cultive la détermination à bien faire et à toujours
mieux faire son travail. Pour bien mesurer l’importance, il faut se référer
au contrat qui lie le maître à l’élève et à la société. Considéré comme un

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

éveilleur de conscience, le maître exerce parfois une influence très


profonde sur l’intelligence et la sensibilité de l’enfant. A cet effet, il doit
veiller scrupuleusement à sa conduite, sans perdre de vue que l’action de
l’école se prolonge et s’élargit dans le milieu. La conscience
professionnelle exige de l’enseignant un indispensable don de soi pour
servir la collectivité dans toute la mesure de ses possibilités, car que ce
soit en salle de classe ou en dehors, au travail ou au repos, chaque
enseignant est chargé de relation publique. C’est lui qui aide à créer ou
détruire l’image de marque de la profession enseignante. A ce titre, il faut
que les enseignants aient une pleine conscience de leurs responsabilités,
qu’ils comprennent les exigences de la société et de l’école d’aujourd’hui
où ils ne sont plus les seuls à enseigner. L’importance sociale de la
fonction est devenue plus grande qu’elle n’a jamais été. Aussi les
enseignants se doivent –ils de se montrer toujours dignes. La condition
enseignante n’est pas seulement un apostolat. Elle exige aussi de ceux
qui choisissent cette fonction, d’être des modèles de vertus, des exemples
de connaissances et de compétences, mais aussi de fraternité et de
solidarité agissante.
L’exercice du métier d’enseignant renvoie à des tâches obligatoires et à
une astreinte dans leur accomplissement quotidien. Cependant, il ne s’agit
pas d’obéir à un règlement par pure soumission à l’autorité mais d’une
application librement consentie. Ce pilier impose : assiduité et ponctualité
dans le travail, loyauté et désintéressement, régularité du service,
application et efficacité.
EIle se caractérise par une farouche détermination à bien faire son travail.
Il ne s’agit pas de faire du « zèle » encore moins de faire illusion auprès
des autorités pour avoir une renommée ou un droit à des avantages
matériels et honorifiques. Un souci permanent doit habiter l’enseignant «
toujours mieux faire son travail et par acquit de conscience ».
82
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Ce dévouement devrait s’étendre aussi aux actions péri et post scolaire.


En définitive, l’instituteur est responsable aussi de l’éducation de la
population locale. Ce serait donc avoir une conception très étroite de la
profession, que de considérer que l’on a suffisamment accompli sa tâche
quand on a mené les élèves au CFEE ou à l’entrée en 6e avec réussite.
Le but jamais atteint mais dont il se faut se rapprocher, c’est de former
des hommes.
C’est un principe majeur de la conscience professionnelle ; l’enseignant
doit partout veiller à la formation morale et civique qu’il dispense. Il doit
donc être d’une conduite exemplaire dans une grande rigueur morale, la
droiture et la probité physique et intellectuelle.
La vocation et la volonté ne suffisent plus pour garantir le succès de
l’action éducative mais elles constituent des préalables nécessaires à
l’attachement à la profession et à la tension vers le travail bien fait. Volonté
et vocation, bien qu’indispensables ne suppléent pas la compétence. Si
l’enseignant a besoin d’une force morale et civique pour surmonter
beaucoup d’obstacles (paresse ; égoïsme…) il a besoin d’être compètent
pour dispenser correctement son enseignement. Ainsi, la formation
professionnelle doit donc tenir compte de ces deux aspects de la
responsabilité. Ces piliers constituent des moyens aptes à susciter et à
pérenniser la conscience professionnelle.
Dans l’ensemble, l’exigence morale de la conscience professionnelle est
semblable à celle que la conscience impose à la conduite en général. Il
s’agit toujours d’être soucieux de bien faire, d’avoir le désir du progrès en
s’appliquant intelligemment à le déterminer, de juger aussi exactement et
aussi objectivement que possible de la valeur de son travail et d’imaginer
avec autant de hardiesse que de prudence les améliorations nécessaires.
L’instituteur devrait être beaucoup moins facilement satisfait de lui-
même que de tout autre travailleur, du moins s’il n’est pas totalement
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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

dépourvu de clairvoyance. Et si celle-ci s’allie à une conscience


scrupuleuse, il éprouvera toujours quelques doutes quant à la précision
de son enseignement, à l’efficacité de ses méthodes et de ses procédés,
à l’influence morale qu’il peut avoir sur ses élèves.
Dans son travail, le maître ou la maitresse est son propre juge. Les
jugements extérieurs les plus objectifs et les plus justes ne seront jamais
qu’approchés, ne comportant sans doute que beaucoup de
vraisemblances et de probabilités. Mais la valeur réelle de son mérite et
de son efficacité, l’instituteur et l’éducateur en général, ne peuvent la
trouver que dans l’examen honnête et franc de la conscience
professionnelle.
La société, l’Etat, la famille, ont confié à l’enseignant ce qu’ils ont de plus
précieux : la jeunesse, qui est l’humanité en fleur, c’est un redoutable
honneur et un devoir contraignant. Que fera-t-il de ces enfants ? Des
hommes libres formés dans leur intégralité ou des êtres marginaux et
inferieurs ?
L’enseignant est responsable devant l’Etat qui l’investit de son autorité,
lui trace les cadres de son travail, lui en indique les méthodes et en
apprécie la qualité, enfin lui assure son traitement. De ce fait, il est agent
de l’Etat et partant, respectueux des textes et des instructions qui éclairent
son action.
L’enseignant doit respecter l’élève au sens où il reconnaît dans l’enfant
ou l’adolescent une personne avec son originalité, ses désirs, ses besoins,
ses difficultés, ses ambitions et ses résistances internes ; c’est donc lui
reconnaître ce qu’il peut devenir, l’accepter tel qu’il est et l’aider à faire
épanouir toutes ses potentialités. Ceci ne sera possible que si l’enseignant
fait preuve de dévouement, de générosité, d’altruisme, de tolérance, de
solidarité. Ainsi par sa formation du caractère, il doit faire acquérir aux
jeunes une solide armature morale : éthique de l’effort et du travail,
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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

respect de soi et d’autrui, respect de l’autorité. Il doit développer le sens


civique, le patriotisme et les sentiments de solidarité et de fraternité entre
les peuples.
L’objectif essentiel de l’école rend indispensable le contact école/foyer.
Ainsi l’enseignant est responsable devant les parents dont la contribution
au développement de l’école est reconnue nécessaire. L’enseignant
apportera son adhésion aux consensus sociaux et aux objectifs de l’Etat
qui fixe les finalités de son activité. Il doit pleinement coopérer avec les
parents et leurs organisations dans l’intérêt des uns et des autres mais
surtout de l’élève et de la collectivité.
La fonction enseignante est sans doute l’un des métiers les plus difficiles
qui soient, mais peut être aussi l’un des plus passionnants.
Le respect qu’inspire le corps à l’ensemble de la communauté est
fonction de ce qu’il fait pour les enfants et les adolescents du pays.
L’œuvre de l’enseignant est attrayante pour la société dans la mesure où
elle donne à la jeunesse une éducation qui facilite son intégration sociale
et sa participation à la création d’une société de paix, de bonheur, de
prospérité et d’équilibre dans un monde dynamique.

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Un Secteur en crise ! La toile de Pénélope ?


La crise de civilisation marque largement la société moderne. Ce
phénomène est expliqué partout par le poids des institutions qui écrasent
l’homme et ne répondent point à sa nature. Parmi ces institutions, l’école
qui participe à « séparer » l’homme de son milieu et accapare du seul
moyen d’éducation face aux autres institutions qu’elle contamine de par
ses lacunes.
Devant cette crise, bon nombre de gouvernements tentent des
expériences nouvelles. Mais qu’est-ce qu’une crise ? Selon le Larousse,
« une crise est une phase difficile traversée par un groupe social ».
Exemple crise de l’université, crise économique… L’on notera le caractère
temporaire voire passager de la crise pour ensuite retrouver la situation
normale d’avant, sinon une situation tout à fait meilleure. D’où
l’interrogation sur la toile de Pénélope.
Or donc, la crise de l’école sénégalaise, tout le monde en convient, elle
est endémique, elle n’est plus conjoncturelle mais bien structurelle ! On vit
chaque année le même scénario. Les mêmes causes qui produisent les
mêmes effets. On n’avance pas ! Dès lors, ne doit-on pas creuser plus
profondément afin d’espérer trouver réellement là où le bât blesse.
La crise n’est pas tombée du ciel. Elle est générée par les hommes et les
femmes qui animent le secteur et à tous les niveaux. Le ver est dans le
fruit. Osons le dire sans ambages.
Les forces et les faiblesses d’un système éducatif sont difficiles à évaluer
correctement, de même qu’on ne peut prévoir de façon rationnelle l’avenir
de l’éducation sans tenir compte des grands courants d’action qui
affectent l’éducation et qui en façonnent l’organisation présente et future.
Certaines de ces forces prennent naissance à l’intérieur du pays, d’autres
ont une portée internationale. Considérons un peu, la situation à l’intérieur.

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Quel est le problème ? A mon sens il est essentiellement humain !


Comment ?
Pour répondre à cette interrogation courte mais qui me taraude,
admettons au moins que pour venir à bout des tares qui gangrènent le
système, une synergie d’action est indispensable pour améliorer les
performances scolaires et du coup parvenir à la pacification de l’espace
scolaire et universitaire.
Que faire maintenant ? Avec qui ?
D’abord et avant tout, l’Etat. Les articles 21 et 22 de la constitution sont,
on ne peut plus claire à ce sujet : « L’Etat et les collectivités publiques
créent les conditions préalables et les institutions publiques qui
garantissent l’éducation des enfants. », « L’état a le devoir et la charge de
l’éducation et de la formation de la jeunesse par des écoles publiques. »
Par conséquent, cet état peut-il se permettre d’adopter des attitudes de
nature à perturber le fonctionnement normal de l’institution scolaire et
universitaire ? Pourtant c’est le cas ! Des accords avec les syndicats
d’enseignants qui ne sont jamais respectés. Le respect de la parole n’est-
il pas le ventre mou de nos gouvernants ? Une évolution dans un sens
positif est plus que jamais nécessaire pour la stabilisation du système
dans son ensemble.
Peut-on avec une démarche aussi lacunaire de la part de l’Etat, dictée par
une absence totale de volonté politique, éviter les contre-performances
notées en matière de résultats scolaires et universitaires ? Assurément
non ! Et le bouillonnement sur le plan syndical n’est pas là pour faciliter
les choses. Au contraire ! Les grèves à répétition sont de nature à
compromettre, sérieusement, la bonne marche de l’institution scolaire.
Syndicalisme, il le faut ! La défense des intérêts de la corporation
commande la nécessité de la lutte. Si j’ai à me positionner par rapport au
bras de fer qui oppose l’Etat et les syndicats d’enseignement, je serais
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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

certainement du côté de ces derniers. Après avoir servi l’éducation


pendant près de quatre décennies, il serait paradoxal qu’il en soit
autrement.
J’ai moi-même connu les affres de la lutte syndicale à des périodes où
l’attitude de l’état vis-à-vis des syndicalistes était particulièrement aigre.
On se souvient de la grève du SUDES de 1980. Les fonctionnaires de
l’époque, de l’éducation nationale entretenaient des rapports difficiles
avec leur employeur ; il suffisait d’une critique acerbe, d’une revendication
impertinente ou l’observance d’un mot d’ordre, pour qu’un syndicaliste fût
suspendu, muté ou même radié ! Beaucoup n’osaient pas aller en grève.
A présent que les choses ont changé, la lutte est toujours là avec, toutefois
une allure tout à fait nouvelle. Comme l’observe dans son beau
rapport : « Education et société demain » Jacques Lesourne, « Rien ne se
fera sans la confiance des enseignants, et elle ne sera pas accordé
facilement. » Comme on le voit, la tapisserie de l’Eduction est sans cesse
faite et défaite mais où la sage Pénélope sait résister à des prétendants
entreprenants. Mais qui est Pénélope ?
Dans la mythologie grecque, Héroïne de l’Odyssée, femme d’Ulysse et
mère de Télémaque. Pendant les vingt ans d’absence d’Ulysse, elle
résista, en usant de ruse, aux demandes en mariage des prétendants,
remettant sa réponse au jour où elle aurait terminé la toile qu’elle tissait :
chaque nuit, elle défaisait le travail de la veille.
Si elle est le symbole de la fidélité conjugale, sa toile est bien celui d’une
activité marquée par un éternel recommencement. La cathédrale de notre
éducation n’est-elle pas dans un tel engrenage ? Pour quelles
perspectives ?
Actuellement, les perspectives se résument à la plateforme revendicative
des enseignants dont l’élément le plus saillant reste le système de
rémunération de la fonction publique avec comme point focal, le régime
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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

indemnitaire, déséquilibré, voire injuste. Personne ne conteste que ce soit


là, une revendication légitime. Tout procède de la générosité légendaire
du Président Wade. Le Sénégal n’a jamais connu un Président aussi
prodigue !
Aussi, dans la structure de la Fonction Publique le fonctionnaire s’y intègre
–t-il pour faire carrière doublement.
D’abord une structure administrative générale dominée par les notions de
ministère, Direction générale. Direction, service, Division, Bureau etc.
Ensuite, une structure interne à la fonction publique, spécifique à celle-ci,
que l’on entend en termes de cadre, Hiérarchie, corps, Grade, Echelon,
Emploi etc.
Cette double structure entraîne une hiérarchie. La hiérarchie repose sur
un ordonnancement des structures aussi bien internes qu’externes de la
Fonction Publique. Aussi sert-elle de fondement au principe de la
déconcentration et à un système de classement des emplois qui, de ce
point de vue sont considérés, en fonction de leur mode de recrutement,
selon un ordre pyramidal allant de l’emploi le moins important à l’emploi le
plus élevé.
Ainsi les fonctionnaires de la hiérarchie A sont-ils les agents de conception
chargés de propulser la machine administrative. Sous ce rapport, il ne doit
pas y avoir de discrimination dans le régime indemnitaire. C’est cela le
principe !
Cependant, est-ce réaliste pour un professeur de collège ou de lycée –
PEM ou PES – de réclamer la même indemnité allouée à un magistrat ?
À un député ? Non, je ne le pense pas ! Ceux-ci relèvent d’un pouvoir au
même titre que le Président de la République. Il ne s’agit plus ici de
hiérarchie mais bien de fonction. Sinon les professeurs agrégés pourraient
aspirer aux indemnités du président de la république parce que lui-même
n’étant pas agrégé. Le pouvoir exécutif, législatif et judiciaire doivent jouir
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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

de privilèges que n’ont pas les fonctionnaires ne relevant pas de ces


stations, même s’ils sont de niveau académique supérieur. C’est comme
ça dans tous les pays du monde.
Et puis, que l’on arrête de nous distraire en nous comparant au Tchad ou
au Burkina Faso ! Ces pays-là ne sont pas des références pour le
Sénégal. Le Tchad, malgré son pétrole n’arrive même pas à payer ses
fonctionnaires, encore moins ses retraités. En est-il de même pour notre
pays ? Le Burkina Faso possède un régime salarial et indemnitaire,
nettement en deçà de celui du Sénégal. Sans aucun relent
condescendant, ces pays-là n’ont aucune longueur d’avance sur le
Sénégal. Au contraire ! Ils copient sur nous à bien des égards ! Par
ailleurs, ceux-là qui réclament ces indemnités ont-ils vraiment pensé à la
masse de jeunes diplômés sans emploi ? Parfois même plus diplômés
qu’eux ! Ont-ils pensé à ces désemparés qui affrontent les flots au péril de
leur vie ? Mes chers amis, soyons réalistes quand même ….
Tenez, rares sont les pays qui ont hissé les enseignants au rang des
cadres du secteur privé. Il s’agit de l’Allemagne de Angela Merkel ; des
dragons noirs – Taiwan, Hongkong, Singapour et Corée du Sud – Il s’agit
aussi du Sultanat de Brunei, un petit état d’Asie du Sud-Est qui s’étend
sur une superficie de 5765 Km2 avec une population de 335 000 hbts, et
particulièrement riche en pétrole et en gaz. Ces économies-là sont-elles
comparables à celle du Sénégal ? Il faut savoir raison garder.
Nous voilà donc devant une amphibologie fondamentale – L’Etat d’un côté
et les syndicats de l’autre - Ils sont condamnés à s’entendre, au grand
bonheur du secteur de l’éducation dont l’épanouissement en dépend.

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Parents et élèves observent les enseignants

Avec la réforme de l’Inspection, c’est toute la pyramide des


fonctionnaires chargés d’évaluer les enseignants qui s’est réorganisé. Les
Inspecteurs d’académie, qui ne sont pas forcément des inspecteurs de
formation- professeurs de toutes disciplines, sauf d’Arabe, du moins,
jusqu’ici exercent cette fonction. Leur rôle strictement administratif, ne
sont pas en contact direct avec les enseignantes « craies en main ». Ils
ne notent pas les professeurs dont les structures – lycées – relèvent
directement des Inspections d’Académie. Celles-ci peuvent être perçues
comme des « Ministères déconcentrés de l’Education », du moins
théoriquement.
Ces structures – Inspection d’académie – si elles fonctionnaient comme
cela se devait, devraient nourrir le Ministère de l’Education nationale
d’analyses en profondeur sur le système. Est-ce le cas ? Jugez-en !
Les instituteurs continuent d’être jugés, évalués par les inspecteurs de
l’Enseignement Elémentaire (I.E.E). Les enseignants du Moyen
secondaire, quant à eux sont à présent évalués et notés par des
inspecteurs de spécialité. Y arrivent-ils ?
Mais, au-delà du cadre formel, les enseignants sont-ils réellement
contrôlés ? Surtout ceux du moyen secondaire ! Mes investigations en la
matière révèlent que la présence des inspecteurs est très inégale selon
les circonscriptions, notamment dans le secondaire, selon les matières.
Quant à leur efficacité en cas de difficultés avec un professeur « à
problème », elle semble plutôt faible. Pourtant, d’autres formes de
contrôle, plus inattendues, s’exercent sur les enseignants. Le regard des
collègues, des élèves et des parents joue un rôle non négligeable.

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

« Je m’en – foutistes » ou vraiment malades, les professeurs inaptes


sont peu nombreux. Et l’Inspection ne peut pas grand – chose contre eux.
Quant à la masse des enseignants, elle est très peu contrôlée par la
hiérarchie de l’éducation Nationale, sinon à l’occasion d’examens
professionnels – CEAP et CAP – par exemple, qui interviennent une ou
deux fois durant toute une carrière. La qualification à vie n’existe nulle
part ! Cependant, il existe un contrôle comme signalé plus haut qui
s’exerce bien davantage par le regard des élèves et l’attention des
familles.
Mais qui contrôle les professeurs ? Personne ! Au terme de mes
recherches auprès de tous les étages de la hiérarchie de l’éducation
nationale, voici à première vue la réponse qui s’impose. C’est ainsi que
nul ne peut rien contre un enseignant notoirement incompétent ; et chaque
responsable tente de « repasser le bébé » à un autre. Heureusement, les
cas « lourds » sont rares. Les enseignants vraiment malades –
alcooliques notamment – ou ceux qui arrivent à chaque cours avec quinze
minutes de retard ou ne donnent pas régulièrement de devoirs ne sont
pas légion.
Face à ces situations d’exception, les responsables font souvent le gros
dos. « Pensez-donc, ce n’est pas à moi à faire la police » répond-on en
assurant qu’on a signalé le problème. Ainsi, le chef d’établissement –
Principal ou Proviseur en l’occurrence a fait venir l’Inspecteur de
spécialité, qui a alerté, qui… etc.
Prenons un exemple, relaté par un inspecteur de l’enseignement
élémentaire, membre du syndicat des inspecteurs – SIENS- . Dans la
circonscription dont il était alors responsable. I.E.F- il connaissait un
directeur d’école très politisé et solidement structuré dans la mouvance
présidentielle, hélas alcoolique notoire : « Dès l’ouverture de l’école, il
était hors d’état d’assurer son travail. »
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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Réellement désireux de protéger les enfants et les instituteurs de


l’établissement, l’inspecteur a cherché d’abord à résoudre le problème à
l’amiable. En vain. Il a tenté ensuite de soumettre le directeur à un contrôle
médical. Rien à faire ! Bref, après plusieurs mois de ce jeu du chat et de
la souris, notre inspecteur obtient… la mutation qu’il avait demandée bien
avant ces problèmes : « J’ai quitté la région ! Mais le directeur, lui, il est
toujours à son poste. », constate-t-il amèrement.
Le plus souvent, tant qu’il n’y a pas de scandale majeur – et, en
particulier, tant que les parents ne protestent pas bruyamment, -
l’administration ferme les yeux.
Au total, la fonction répressive d’un inspecteur est très modeste. Et
certaines brebis galeuses, le sachant font avec ! Tout au plus, l’inspecteur
abaissera-t-il la note du fonctionnaire inapte. Ce qui lui privera de
l’avancement au grand choix.
Quant au chef d’établissement - Principal ou Proviseur ou Directeur
d’école – il lui parait souvent difficile d’affronter un enseignant, c’est-à-dire
un collègue.
Ainsi, ce professeur de lettres qui n’arrivait plus à faire des cours
convenables – à cause, une fois de plus, de l’alcool – n’a jamais été
sanctionné : son principal avait enseigné pendant quinze ans dans le
même établissement que lui. De toute façon, le pouvoir d’un chef
d’établissement se résume à solliciter une intervention de son chef
hiérarchique direct – I.E.F pour les collèges, I.A pour les lycées.
Ainsi, les enseignants semblent assez peu contrôlés par ceux-là mêmes
qui en ont la charge. Echappent-ils pour autant à tout contrôle ? Certes
non.
Peu de professions sont à ce point soumises à d’innombrables regards
extérieurs. Regard sur leur présence au travail, tout d’abord. Lorsque le
cadre de la poste ou l’ingénieur de la SENELEC est malade, qui s’en
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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

aperçoit, hormis ses collègues ? Mais qu’un enseignant soit au lit avec de
la fièvre, et tout un réseau de personnes est alerté : les élèves concernés
sont au courant, de même que leurs parents et éventuellement d’autres
adultes.
Pour peu que l’enseignant ne soit pas remplacé rapidement, l’affaire
devient un sujet de conversation chez le boulanger ou le marchand de
journaux.
« Deux mois après mon retour d’un court arrêt maladie, je croisais encore
des inconnus dans la rue qui me demandent si j’allais mieux », se souvient
une institutrice de la ville de Thiès.
Regard sur l’efficacité du travail, ensuite. Si un enseignant consacre tous
ses cours à parler aux élèves de ses dernières vacances ou de choses
qui n’ont rien à voir avec l’objet de son activité du jour, le phénomène se
sait et se répand très vite.
Au fond, le travail de l’enseignant est constamment exposé aux regards :
les cahiers, les devoirs à la maison, les corrections, le cahier de textes
sont autant d’informations qui transitent de l’intérieur vers l’extérieur de
l’école. Les résultats obtenus par les élèves aux examens jouent, à tort ou
à raison, le même rôle.
Qu’ils s’en réjouissent ou qu’ils le déplorent les instituteurs et les
professeurs sont donc sous les feux de la rampe à longueur d’année. Une
telle « visibilité » n’est pas sans rappeler celle des médecins. Et les
polémiques sans fin sur le sérieux des enseignants évoquent
inévitablement celles sur le degré de confiance à accorder à un praticien.
Élèves, parents, collègues, chef d’établissement : tout l’environnement
pousse l’enseignant à exercer pleinement son métier.

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

La saga d’un adjectif


Comment expliquer la force des liens qui existent entre l’école et l’État ?
Notamment en France et dans ses anciennes colonies. Pourquoi l’État
s’est-il fait éducateur et a-t-il cherché à centraliser, les institutions
scolaires ?
Dans sa palpitante Histoire des institutions scolaires – 1798 -1989 – que
j’ai eue l’opportunité de savourer, Claude Lelièvre, professeur d’histoire
de l’éducation, retrace l’épopée qui va de la naissance du concept d’«
éducation nationale » à la constitution d’un véritable système organisé
comme un tout cohérent.
Alors que sous l’Ancien Régime l’école dépend pour l’essentiel de l’Eglise,
le Parlement de Paris décide en 1762 la fermeture des collèges jésuites
et la suppression de la célèbre compagnie ;
Pour combler le vide ainsi laissé, le pouvoir royal se voit contraint
d’intervenir. Pour timide et limitée qu’elle soit, cette intervention est
l’occasion d’un vif débat sur la responsabilité de l’Etat en matière
d’enseignement : livres et « plans d’études pour la jeunesse » dont le
célèbre Essai d’éducation nationale, dû au parlementaire La choletais –
1763 – en témoignent abondamment.
Après la Révolution, la question scolaire passe des gazettes et des
salons aux assemblées révolutionnaires. Il faut rompre avec la tutelle de
l’Eglise, tout le monde en est d’accord ; mais le monopole clérical doit-il
être totalement remplacé par un monopole d’Etat, ou un partage du
pouvoir susceptible d’entretenir une concurrence bénéfique entre les deux
n’est-il pas plus judicieux ?
Aprement discutés, projets et contre-projets se multiplient. Cependant, le
Directoire succède à la Convention, c’est la réalité même des institutions
en place, explique Claude Lelièvre, qui pose le problème de la dualité

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

entre le public et le privé. Car les écoles publiques se développent moins


vite que les établissements privés dont la création, avec le soutien de
l’Eglise catholique, s’est poursuivie pendant toute cette période.
En 1806, pour consacrer le droit exclusif de l’Etat en matière d’instruction
publique Napoléon fonde l’« Université impériale »dirigée par un « grand
maitre »qu’il nomme. C’est elle qui confère les grades – dont le fameux
baccalauréat institué en 1808 ; c’est-elle aussi qui aménage subtilement
le dispositif d’accès des enseignants aux différents postes, de façon à ce
qu’il y’ait corps et esprit de corps – « parce qu’un corps ne ment jamais »,
commentera l’empereur.
Essentiellement préoccupé par le secondaire il abandonne le primaire aux
communes – Napoléon destine ses lycées, entretenus par l’Etat, à la
formation des cadres administratifs et militaires du pays.
Mais aucun enseignement d’Etat n’est prévu pour les filles ; ni secondaire
ni primaire. Et « la surveillance de l’Université ne s’étend point aux écoles
tenues par des femmes », décide le grand maitre Fontanes.
Avec Guizot – 1833 – c’est le primaire qui devient une affaire d’Etat. Le
ministre de l’institution publique met en place un puissant service
d’enseignement centralisé dans lequel coexistent - seulement distingués
par leur source de financement – un primaire public, laïc ou congréganiste,
et un privé qui peut également être confessionnel ou pas.
Avec la loi Falloux – 1850 – la liberté de l’enseignement est à son tour
consacrée dans le secondaire. Cette loi impose aussi aux communes de
plus de 800 habitants d’entretenir une école de filles. Mais si, dans les
quinze ans qui suivent, le nombre d’élèves inscrites dans le primaire
s’accroît considérablement – de 1 529 000 en 1850 à 2 130 000 en 1865
– c’est dans une proportion au bénéfice du public – devenu gratuit,
obligatoire et laïc – atteigne le taux qu’avait déjà celui des garçons en
1879 : 75%.
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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Tandis que s’affrontent tenants du public et partisans du privé, apôtres de


l’enseignement laïc et adeptes d’une éducation confessionnelle, on
assiste à une curieuse et discrète guerre au sein même du public : celle
qu’oppose à l’enseignement secondaire ce « primaire supérieur » destiné
aux enfants des classes moyennes, qui y reçoivent une formation courte
après l’obtention du certificat d’études primaires élémentaires – CEPE.
Ecole du peuple contre « ordre » réservé à une élite sociale ; la lutte
féroce qui sévit depuis 1830 entre les deux types d’enseignement public
durera jusqu’à l’avènement de la Ve République.
C’est elle qui réalisera en effet, développe l’auteur, « l’école unique par
une mise en système généralisée de toutes les institutions scolaires » : on
passe d’une école par ordres à une école par degrés – l’élémentaire, le
collège, le lycée – C’est exactement comme cela que fonctionne notre
système éducatif, depuis l’indépendance. Nous n’avons rien inventé, rien
crée, nous restons les champions du mimétisme ! jusqu’à quand ?
Quant à la biséculaire querelle entre le public et le privé, il semble, estime
Claude Lelièvre, que la notion de « service privé d’utilité publique » soit
aujourd’hui bien admise. Les écoles privées jouant un rôle non négligeable
sinon fondamental dans le fonctionnement du système. Avec les
soubresauts que ce dernier enregistre chaque année – grèves récurrentes
– le privé est en passe d’être plus crédible que le public.
Mais qu’est-ce-qui refait surface derrière les idées d’autonomie, de
compétitive et de réduction du contrôle de l’Etat centralisateur – ici chez
nous, l’éducation étant un domaine transféré : Acte III de la
décentralisation – agitées, ces derniers temps, là-bas chez les
« toubabs » à propos des établissements scolaires ? « Les principes
libéraux… d’avant la loi Guizot » Conclut l’auteur.

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Redoutée ou contestée, l’inspection dérange.


« Humiliante », « archaïque » : la visite de l’Inspecteur ne plaît guère
aux enseignants. Mais à leurs yeux, « avoir un type dans sa classe une
fois tous les deux ans », c’est un moindre mal. Car tous l’admettent :
fonctionnaires, nous devons être contrôlés.
« L’inspection ressemble à la démocratie vue par Churchill : c’est le pire
des systèmes… à l’exception de tous les autres » : par une savante
réponse, Jean-Marc Deray, professeur d’histoire – géographie, résume ce
que pensent nombre de ses collègues. Certes, les critiques pleuvent dès
qu’instituteurs ou professeurs abordent la question de l’inspection. Mais la
remise en cause de cette institution leur paraît souvent plus dangereuse
encore.
Redoutée ou contestée, l’inspection ne laisse nul enseignant indifférent.
« C’est un sujet délicat » répondent fréquemment les enseignants
interrogés. Et sa simple évocation est parfois douloureuse même si
l’inspection s’est conclue par une bonne note.
Dans la carrière d’un enseignant, presque tout est fixé par des grilles
administratives qui s’appliquent automatiquement, c’est-à-dire de façon
impersonnelle. L’inspection est la seule sanction professionnelle, positive
ou négative qui retentisse sur la carrière.
Lorsqu’un instituteur est inspecté, l’usage veut que M. l’inspecteur
assiste à des activités pédagogiques, à des « leçons » comme on dit
communément, assis dans le fond de la classe. Puis vient le temps du
« confessionnal », un terme du jargon enseignant qui désigne le face-à-
face entre le maitre et l’inspecteur bien installé au bureau du directeur,
obligeamment libéré par celui-ci. « Infantilisant », « archaïque » : les
reproches, remarques, observations ou critiques ne manquent pas pour

98
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

désigner cet entretien qui semble mettre tout un chacun sur des charbons
ardents, à l’exception de quelques enseignants en fin de carrière.
L’avancement d’un enseignant se fait en fonction de son ancienneté,
mais aussi sa note attribuée par son chef hiérarchique direct – directeur,
principal, proviseur – la note d’inspection étant très déterminante quand
on aspire à un poste à responsabilités - une bonne note entraine une
progression accélérée, dite « au grand choix ».
La note attribuée à un enseignant en début de carrière joue un rôle
décisif. De par l’inertie du système, les inspections suivantes ne la
modifieront guère : un point ou deux en plus si l’enseignant a semblé
génial à son examinateur ; aucun point supplémentaire s’il lui a semblé
mauvais.
En vertu d’une règle non écrite, mais sur laquelle on veille, quand
même, une note n’est jamais baissée sans motif valable, quelle qu’elle
soit, tout le monde termine sa carrière au dernier échelon si l’ancienneté
vous le permet.
Mais les heureux bénéficiaires du « grand choix » atteignent cette étape
ultime après une vingtaine d’années de métier environ, tandis que les mal
– notés ne progressent qu’à l’ancienneté, attendent une dizaine d’années
supplémentaires.
« Humiliante » : le mot revient souvent à propos de la visite d’inspection,
ressentie comme un jugement à la fois rapide et arbitraire. Lorsque
l’inspecté ne manque pas de confiance en lui-même, il vit cela comme un
mauvais moment à passer. Si au contraire, sa personnalité est fragile, il
en ressort… en larmes, surtout chez les femmes.
Entre ces deux attitudes extrêmes, chacun s’adapte tant bien que mal à
la situation. Et les réactions sont évidemment influencées par le style, la
façon de faire de l’inspecteur lui-même.

99
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Les inspectés ont souvent le sentiment que le jugement dépend des


modes d’expression de leur examinateur. A l’école élémentaire que je
connais mieux pour y avoir servi pendant près de quatre décennies, les
instituteurs d’une même circonscription s’échangent les tuyaux.
Et comme le souligne Feu Cherif Tall, ancien Inspecteur de
l’Enseignement élémentaire, je le cite : « De toutes les autorités scolaires,
l’Inspecteur de l’Enseignement Primaire est la plus impopulaire, la plus
vivement critiquée. Ses propos, sa conduite, son tempérament et même
sa compétence sont l’objet de commentaires les plus divers, les plus
tendancieux quelque fois… » Le vade Mecum de l’enseignant page 99.
Pauvre inspecteur !
Inquiets ou révoltés, sereins ou résignés, les enseignants ne rejettent
cependant pas l’idée d’être contrôlés : car ce sont eux-mêmes qui
deviennent inspecteurs : « c’est normal, puisqu’on est des
fonctionnaires » répètent-ils. « Après tout, c’est un moindre mal d’avoir un
monsieur dans votre classe… » reconnaît un enseignant avec qui
j’échangeais sur la question.
Isolement dans la classe, difficultés pédagogiques : c’est une réponse à
ces maux classiques que les enseignants attendent plutôt de la part des
inspecteurs. Un bon inspecteur, plein d’expérience, n’hésite pas à prendre
la craie et montrer à l’enseignant désemparé, comment il faut faire
correctement.
Ils apprécient en général que l’inspecteur ne se déplace pas seulement
pour le rituel de l’évaluation et de la notation, mais qu’il y ajoute une
réunion pédagogique qui rassemble tous les enseignants des cours visités
ce jour-là ainsi que le directeur pour faire le point sur des questions
pédagogiques précises. Ces pratiques se développent d’ailleurs de plus
en plus.

100
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Mais les inspecteurs devraient par-dessus tout chercher à aider les


enseignants débutants. Les rencontres pédagogiques animées par les
inspecteurs représentent certes un mieux par rapport à la sacro-sainte
inspection mais le véritable progrès se réaliserait s’ils écoutaient le plus
souvent les enseignants pour recueillir les avis de la base. Pour une fois,
les échanges ne se feraient pas « de haut en bas ». C’est à cette
démarche d’une inspection rénovée à laquelle, il faut désormais consentir.
Le contrôle, oui mais compte tenu du niveau de plus en plus faible,
davantage d’encadrement, même à la carte.
Cela suppose bien sûr que le corps de contrôle soit étoffé avec un
ratio raisonnable.

101
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

L’école prépare-t-elle à la vie ?


C’est la Constitution de la République du Sénégal qui donne mission à
l’école, en son article 22, la charge d’éduquer tous les enfants, garçons
ou filles en tous lieux du territoire national. L’article précité stipule : « L’état
a le devoir et la charge de l’éducation et de la formation de la jeunesse
par des écoles publiques ». L’article 23 précise : « Des écoles privées
peuvent être ouvertes avec l’autorisation et sous le contrôle de l’état ».
La loi d’orientation de l’Education Nationale N° 91-22 du 16/02/1991
abonde dans le même sens et précise en son article
premier : « L’Education nationale, au sens de la présente loi, tend : à
préparer les conditions d’un développement intégral, assumé par la nation
tout entière… à promouvoir les valeurs dans lesquelles la nation se
reconnait… à élever le niveau culturel de la population… »
Comme on le voit, il est posé ici les contours des finalités de l’Education
qui sont à la fois cognitifs, comportementaux et pratiques.
Cette option est bien sûr influencée par de grands philosophes des
temps modernes dont le plus illustre en la matière est sans conteste,
l’américain John Dewey. Son école – laboratoire fut historiquement à la
lettre une école où l’on expérimentait des méthodes d’enseignement. Mon
ambition n’est pas d’exposer ici l’histoire de cette école, mais de présenter
les idées pédagogiques de Dewey qui vont nous permettre de répondre à
notre interrogation titrée.
Ce serait une erreur de voir en Dewey un éducateur que la pratique de
l’enseignement a amené à proposer un certain nombre de recettes
pédagogiques qui lui auraient réussi.
La théorie pédagogique de Dewey ne comporte aucune recette. Elle est
un ensemble de principes qu’il appartient aux enseignants de mettre en
œuvre dans le cadre de l’école en expérimentant par eux-mêmes et avec

102
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

les élèves les formes correctes qu’ils peuvent prendre au moment de leur
application.
La pédagogie de Dewey n’est cependant pas une pédagogie de
l’improvisation. Dewey ne donne pas de recettes pédagogiques, parce
que l’éducation est une expérience que le maitre et l’enfant vivent
ensemble à l’école où ils la vivent dans le pays. Une pédagogie à recette
est au mieux une pratique de circonstances, pas nécessairement
mauvaise, au pis et le plus fréquemment une contre éducation.
La pédagogie de Dewey est l’expression de sa philosophie de
l’expérience. Elle en constitue en fait l’application et la mise en œuvre.
Dans un de ses tous premiers articles, après avoir montré que ce qui
importe, ce n’est pas ce qui est une chose en tant qu’existence, mais ce
qu’elle fait.
Et Dewey procèdera toujours ainsi. Ses articles sur la psychologie de
la sensation comme fonction de l’intérêt comme impulsion, du
développement mental auront pour pendant son crédo pédagogique et
ses écrits sur l’école et la société, sur l’école et l’enfant.
En d’autres termes, pour Dewey, la philosophie est « la théorie générale
de l’éducation » et l’éducation « une reconstruction ou réorganisation
continue de l’expérience de manière à accroitre sa signification et son
contenu social, ainsi que les capacités des individus comme garants et
promoteurs de cette organisation.
La pédagogie de Dewey, philosophe de l’expérience, repose sur les
deux principes de son naturalisme ; le principe de continuité et le principe
de transaction. Continuité /Transaction. Ces deux principes sont
inséparables. « Le principe de la continuité de l’expérience signifie que
toute expérience garde quelque chose des expériences antérieures et
modifie d’une manière ou d’une autre la qualité des expériences
ultérieures. »
103
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Le principe de continuité permet de distinguer les expériences qui sont


éducatives de celles qui ne le sont pas. Qu’est-ce une expérience
éducative ? Elle est une expérience qui est de nature à renforcer l’initiative
de l’enfant. Il appartient à l’enseignant de juger, et c’est évidemment bien
plus difficile que de décider si l’élève a bien ou mal appris sa leçon.
Le principe de la transaction régit l’expérience externe comme le
principe de la continuité l’expérience interne. Toute expérience met en jeu
les deux facteurs. Ensemble, ils forment une situation en transaction. Ces
deux principes constituent les « aspect longitudinaux et latéraux de
l’expérience ».
Pour l’éducation, telle que la conçoit Dewey il n’y a pas de valeurs
éducatives idéales qui se seraient imposées d’autorité de l’extérieur. Ce
sont la continuité et la transaction de l’expérience qu’en union agissante
fournissent la mesure de leur portée éducative et de la valeur de
l’expérience. Ici, chez nous, on peut appliquer ceci à notre réforme
« programmatique » qu’est le curriculum de l’éducation de base – CEB –
on ne peut rien préjuger de bon ou de mauvais, aussi longtemps que
l’innovation ne soit pas soumise au processus continuité / transaction.
C’est-à-dire, l’évaluation.
Naturellement, le lieu de cette expérience dont l’enfant est le centre est
l’école. Ce sont les intérêts et les activités aussi bien manuelles
qu’intellectuelles de l’enfant qu’il s’agit de développer comme le prescrit la
psychologie – Regardez bien ce qui se passe au niveau de la maternelle.
Mais c’est dans le contexte de l’école qu’ils vont s’exprimer. Aussi
importe-t-il de savoir quel rôle doit et peut jouer l’école dans l’éducation. Il
est évident que l’éducation étant pour Dewey « une vie et non une
préparation à la vie » l’école ne peut avoir pour raison d’être la formation
du citoyen de demain.

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Elle ne peut au mieux que recréer à la dimension de l’enfant les


situations dans lesquelles l’enfant se trouverait aujourd’hui s’il était adulte.
C’est cela qui explique dans le cadre du curriculum, l’importance
accordée aux situations significatives d’intégration (SSI) qui ont un sens,
qui donnent prise à la vie : une transaction à la boutique par exemple.
Aussi, devons –nous être conscients, nous éducateurs, d’une certitude :
on ne peut préjuger ce que demain sera, mais on peut être certain que
c’est en vivant aujourd’hui sa propre expérience continue et
transactionnelle que l’enfant se préparera le mieux à vivre les expériences
qui seront les siennes demain, qu’il ne peut certes pas prévoir, mais qui
prolongerait inévitablement celles qu’il vit aujourd’hui à l’école. C’est cela
qui, à mon sens, constitue la réponse à la question initiale.
C’est aussi à ce sens que l’école est un laboratoire : l’expérience de
l’enfant y est mise à l’épreuve, reconstruite d’une manière continue
comme elle le sera dans la « vie sociale » l’enfant est appelé à vivre,
quelle que soit la structure de la société dans laquelle il vivra.
Comme vous le devinez certainement, j’ai appuyé mon analyse sur la
conception éducative de John Dewey; auteur qui a exercé sur moi une
grande fascination, depuis l’Ecole Normale Supérieure.
L’influence qu’a exercée et qu’exerce l’œuvre de Dewey sur la pensée
américaine est inestimable.
Elle est le miroir et la lumière de bon nombre de systèmes éducatifs à
travers le monde entier – Turquie et Japon par exemple.
Oui, ses théories pédagogiques ont porté son nom aux quatre coins du
monde. Sa lutte pour que soit respectée partout la personnalité humaine
et s’instaure dans le monde une démocratie authentique a forcé
l’admiration de tous les hommes épris de justice. La philosophie de Dewey
se mesure au degré de validité de son principe scientifique de la continuité
expérimentale.
105
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

C’est sur l’étonnante puissance de ce principe que Dewey nous invite à


méditer avec l’espoir que, conformant nos actions et nos pensées à ce
principe qui est l’âme même de la vie et de la pensée, nous assurons le
salut de l’humanité démocratique.

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

L’honneur d’un adolescent…


L’honneur n’est plus ce qu’il était pour les adolescents. Mais cette notion
est loin d’avoir disparu chez eux. Des entretiens que j’ai eus récemment
avec de jeunes lycéens en font foi. Je remercie infiniment tous les
proviseurs et censeurs qui ont bien voulu me recevoir, cordialement,
fraternellement et me permettre ainsi d’avoir un contact direct avec les
élèves. Partout où je suis passé, le mot était le même : « Inspecteur, vous
êtes chez vous. » C’est cela la famille enseignante.
L’honneur. Il fut un temps où, tout bien considéré, cette valeur constituait
un des fils, sinon le fil rouge, de l’éducation. Retournons un peu à la
tradition. De fable – sérère ; Joola ; hal pular et autres – en poèmes
épiques, de tragédies classiques en chansons de geste qui inondent notre
patrimoine culturel, de contes et légendes, et de leçon de morale, en cours
d’histoire – Lat Dior, Alboury, Déthié Fou Ndiogou…, tout résonnait de
leçons d’honneur.
Au long des années et des matières enseignées, se succédaient et
s’entrechoquaient mille récits exemplaires : celui de Diery Dior Ndella ;
celui de Aline Sitoé Diatta ; celui de la Linguère Madjiguène, celui des
braves femmes de NDer qui ont librement et lucidement consenti le
sacrifice suprême pour sauver l’honneur.
Ces temps sont périmés. Les transformations du système et des
programmes scolaires, les changements de contextes historiques,
l’évolution des mentalités, ont fait disparaitre les occasions et la volonté
de « parler » explicitement de l’honneur.
Le registre de l’honneur n’est plus celui de la référence première et
dernière. Du reste, les lycéens sollicités de décrire, dans des
« rédactions », des situations mettant l’honneur en jeu, et d’expliciter leurs
représentations de l’honneur, l’affirment d’entrée de jeu, et d’expliciter

107
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

leurs représentations de l’honneur. Pour nombre d’entre eux, surtout les


plus âgés, l’honneur est une notion qui n’a plus cours ; au mieux, elle
renvoie à un passé révolu, celui des affrontements entre royaumes –
« Maba laisse le Sine » par exemple.
L’honneur, valeur gommée, blanche, surannée mais pas pour autant
disparue ? Est-ce un mot qui n’évoque plus rien chez les enfants ? Ou fait-
il encore sens pour eux, même s’il leur sert plus de référence et de code
de conduite explicite ? A voir.
Il n’existe pas de travaux aujourd’hui sur les représentations de
l’honneur chez les jeunes… mes recherches en la matière ont été
laborieuses et vaines. J’ai dû donc me résoudre à prendre contact
directement avec des lycéens.
Les jeunes ne récusent pas l’honneur : la plupart d’entre eux affirment
« aimer » ce qu’évoque le mot lui-même ; et c’est à peine si des voix
discordantes se font entendre chez les plus âgés d’entre eux.
L’honneur et le déshonneur ont leur couleur. Noir pour le déshonneur,
sans guère d’hésitation, puisque les deux tiers des lycéens le voient ainsi.
Plus distinctes pour l’honneur : le blanc l’emporte dans un tiers des
réponses.
L’honneur et le déshonneur ont aussi leur bestiaire – le type de vision
représenté par un animal, une bête- Exemple : Au lion l’apparat de
l’honneur – Ce n’est pas hasard que cet animal soit l’emblème de la
république du Sénégal, avec le baobab. Le corbeau, et même l’araignée,
les oripeaux de la honte, chez les occidentaux. Celle-là positive chez les
musulmans.
Honneur et déshonneur, enfin ont leurs figures emblématiques.
Sollicités de choisir entre plusieurs personnages celui qui incarne le
mieux, à leurs yeux, l’honneur, les lycéens citent d’abord Nelson Mandela,
puis Thomas Sankara.
108
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Ces choix manifestent que la notion d’honneur est d’abord associée à


l’histoire plus ou moins récente ou si l’on préfère à la culture scolaire, fait
que confirme la nature des héros spontanément choisis par les élèves.
Par contre, les personnages de fiction contemporaine créés par le
cinéma, la télévision sont nettement moins cités. Le reste des réponses
se répartit entre diverses figures comme De Gaulle, Martin Luther King.
S’agissant des personnages incarnant le déshonneur, Hitler est toujours
cité en tête.
Sollicités de décider entre dix-huit (18) mots ceux qui évoquent le plus
l’honneur et le déshonneur, les enfants n’hésitent guère. Dans quatre cas
sur dix un couple majeur s’impose, celui de la loyauté et de la trahison.
Deux autres notions surgissent : celles de courage et d’humiliation.
Les réponses des lycéens ne font que peu de place, en revanche, aux
mots qui évoquent la violence – vengeance, passion -, la démesure –
orgueil - ; l’exploit et son contraire – gloire, échec, honte – ou même la
justice et l’injustice.
Cette hiérarchie révèle une réduction et une réflexion de la conception
traditionnelle de l’honneur. Rien ou presque n’évoque ici l’exploit, le
dépassement ou la passion.
Les situations susceptibles de susciter la plus grande honte chez les
jeunes précisent ce que doivent être l’honneur et le déshonneur. En tête
de la liste des hontes viennent les trahisons : attaquer ou laisser attaquer
un ami – Blaise Compaoré et Thomas Sankara – citent-ils ; trahir un
secret.
Avec l’atteinte de la pudeur, ce sont même les seules situations
apparaissant comme source de très grande honte à la majorité des
jeunes. Figurent ensuite, mais très loin derrière, l’ensemble des situations
suggérant le mensonge et la tricherie.

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Quant aux faits concrets ou quotidiens – être mal habillé, être mauvais
élève, avoir peur, avoir un père au chômage, être dans la rue avec
quelqu’un qui se fait remarquer, ils apparaissent comme hors du domaine
de la honte.
L’humiliation, seconde note associée au déshonneur, se lit pour sa part
dans l’indignation soulevée par l’atteinte à la pudeur, mais aussi à travers
les hiérarchies établies par les enfants entre les apparences et la réalité
du comportement : être pris en train de tricher ; se faire traiter de lâche est
plus grave que montrer qu’on a peur ou qu’avoir peur.
L’ensemble de ces réponses marque les limites données par les lycéens
au territoire du déshonneur. Toutes les trahisons sont motif de honte, mais
toutes n’occupent pas le même rang dans le déshonneur.
Chez les lycéens, tous âges et milieux confondus, le comble du
déshonneur c’est sans aucun doute possible trahir sa famille ou même un
membre de sa famille qui vous a aidé à réussir dans la vie, suivi, mais loin
derrière par trahir ses idées, ses convictions, ses amis comme il est de
coutume en politique.
Quant à la trahison de la patrie, elle fait figure de bonne dernière avec
la trahison de la parole donnée.
L’honneur a un coût et pour préciser et compléter l’inventaire des
représentations, il faut apprécier celui que les lycéens lui assignent... le
comble de l’honneur renvoie chez les jeunes à l’idée de renoncement :
abandon pour un sportif d’une compétition afin d’aider un concurrent en
difficulté ; refus, pour un soldat, de faire une guerre qu’on reçoit injustice ;
rejet pour un savant, d’une découverte qui risque d’être dangereuse…
L’examen des transgressions acceptées marque, d’une façon nouvelle,
le prix accordé par les jeunes à l’idée du renoncement, mais en précise
les conditions. Seuls les manquements à l’honneur d’ordre altruiste sont
tolérables. C’est-à-dire généreuse envers les autres.
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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

L’individu peut, doit déroger à la norme et donc renoncer à ses propres


principes si autrui est en question : la quasi-unanimité des lycéens jugent
acceptable de mentir pour protéger quelqu’un, de voler pour nourrir
quelqu’un.
En revanche, une forte majorité d’entre eux jugent inacceptable de se
protéger en menaçant les autres ou en renonçant à ses propres valeurs –
cacher le fait d’avoir une maladie contagieuse, céder au chantage.
Les transgressions acceptées disent –elles aussi, une fois encore, l’âge,
l’origine sociale et, les systèmes de valeur des jeunes. Au vu d’une
échéance qui avance, les élèves de Première acceptent plus souvent que
ceux de quatrième l’idée de tricher pour ne pas faire le cours d’éducation
physique et sportive –EPS- ; quelle que soient les situations évoquées,
les enfants de cadres, c’est-à-dire ceux dont les parents ont le plus grand
capital culturel et le plus grand sentiment de compétence sociale, se
montrent les plus tolérants de tous à l’égard du non-respect du code
social.
Les évocations spontanées associées au mot honneur laissent
supposer l’existence d’un autre régistre de compréhension et d’un autre
usage des notions, plus personnelles et plus quotidiennes. Elles
suggèrent des interprétations de ce que peut être l’honneur au jour le jour
pour un lycéen, en bref, une manière d’être au monde et de se situer parmi
les autres.
On assiste ainsi à une forme de resserrement intimiste de la notion,
donnant corps à une nouvelle acceptation de l’honneur, centrée sur l’idée
de fierté ; il s’agit moins d’une valeur liée à la reconnaissance sociale ou
à la gloire que l’on peut tirer d’un acte courageux que d’une fierté fondée
sur l’accord avec soi-même ; cet accord se cherche dans la concordance
entre l’image que l’on a ou que l’on veut donner de soi et le regard
qu’autrui porte sur soi.
111
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

C’est dans ce jeu complexe d’effets de miroir que s’inscrit cette notion
de fierté toute personnelle qu’on pourrait nommer également estime de
soi. Quand celle-ci se trouve mise en cause, alors s’impose le
déshonneur, c’est-à-dire le sentiment de honte.
Que recouvre ce sentiment de honte ?
S’y entremêlent l’humiliation, la blessure morale, le sentiment d’une
infériorité, autant d’états qui attestent l’importance et la fragilité de l’image
de soi au regard d’autrui.
Les insultes jugées les plus graves sont celles qui portent atteinte à cette
image : « me faire passer pour quelqu’un que je ne suis pas »,
« m’ignorer », « me ridiculiser », « ne pas me faire confiance », ou encore
celle qui laissent entrevoir l’échec et le préjudice associé au fait d’être
accusé à tort : « me traiter d’incapable », « dire que j’ai trahi
quelqu’un », « dire que je suis un menteur », « l’insulte sur mon travail »
Mais la suprême insulte est celle qui touche à la famille et à l’ensemble
de ses membres : « Ay deume nguène ! » de l’anthropophagie ou
cannibalisme ! « Le plus grave qu’on puisse me faire n’est pas envers moi
mais envers mes proches » précise un élève.
La mise en cause de la famille est un sujet majeur de honte ; celle-ci
apparaît comme un ilot de sauvegarde, un rempart de protection auquel
nul ne saurait toucher…
La famille est davantage évoquée par les garçons. Ils sont soucieux de
ne pas décevoir leurs parents, c’est-à-dire de ne pas trahir leur propre
image au sein de leur famille, et se montrent particulièrement sensibles
aux insultes dont elle peut faire l’objet.
D’autres différences encore apparaissent selon le sexe. Le courage et
la bravoure sont moins souvent absents des réponses des garçons, tandis
que les filles, surtout les plus âgées d’entre elles, accordent plus
d’importance à l’image de soi et à l’apparence.
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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Au terme de cette tentative d’explication de ce que peut représenter une


valeur telle que l’honneur dans l’univers moral et culturel des lycéens
aujourd’hui, que retenir ?
Tout d’abord, l’idée d’une transformation profonde du contenu de la
notion, d’un déplacement de ses attendus permettant l’actualisation de
son usage. L’honneur est encore un principe moral évident et même
fondamental, une valeur instamment désirée pour ses gratifications et
repoussée à cause de son prix.
Mais s’il était un code de conduite explicitement énoncé autrefois, la
place qui lui est faite aujourd’hui apparaît comme implicite et masquée.
On en retient le sens, certains fondements, mais on en change la forme,
et même on oublie le mot pour en permettre, en quelque sorte un usage
plus quotidien et plus ordinaire.
L’honneur, aujourd’hui, n’a plus rien d’héroïque – Lat Dior, Samory,
Behanzin – et trouve ses applications dans les situations concrètes de la
vie de tous les jours.
Il faut retenir, enfin, l’idée d’une forte ambivalence. Si l’honneur fait
toujours sens, il se trouve en même temps dépouillé de certains des
attributs essentiels qui la constituait, tel l’héroïsme, l’abnégation ou le
devoir.
L’individualisme qui a infiltré l’honneur, comme d’autres valeurs, jette
certaines ombres au tableau. Accusé injustement de quelque délit, les
lycéens dans leur très grande majorité répondent sans hésiter qu’ils
dénonceraient le coupable.
De la même façon, pour décrire le déshonneur au quotidien c’est la
honte en tant qu’atteinte à soi-même qui est invoquée, et non des
situations mettant en jeu l’injustice sociale ou la violation des droits de
l’homme.

113
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Cet apparent retrait du civisme relève-t-il d’un relatif effacement des


principes constitutifs de l’identité collective ? Ou bien manifeste –t-il une
autre façon d’envisager la régulation des conflits où la négociation et la
médiation seraient préférées à l’exposition directe de soi ? Autant de
questions et points d’honneur à l’ordre du jour de nos sociétés.
Tout cela n’explique-t-il pas la devise de nos armées : « on nous tue ;
on ne nous déshonore pas. »

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Faut-il utiliser nos langues nationales ?

Le coordonnateur d’une organisation intersyndicale d’enseignants,


récemment, face à la presse, a soutenu que pour un meilleur
épanouissement de l’école sénégalaise, en lieu et place du français il faut
utiliser nos langues nationales. C’est un mot d’esprit, j’allais dire une
boutade bien connue, mais a-t-on réfléchi, suffisamment sur la question
avant de tenir de tels propos ?
Revoyons un peu l’histoire et peut être la géographie avant de
reconsidérer la sortie de cette centrale.
Les politiques dites sectorielles correspondent à des objectifs bien
circonscrits en matière de langue. Contrairement à une politique globale,
qui s’appuie sur tout un projet de société, lequel comporte une vision
d’ensemble ; une politique sectorielle se limite très souvent à un seul ou
parfois deux aspects de la langue. Ici donc, il s’agit bien d’une politique
sectorielle : les langues nationales à l’école.
D’une superficie de 201000 Km2, le Sénégal comporte, selon le dernier
recensement dix-sept (17) millions d’habitants. Cette population se répartit
une vingtaine de langues nationales, dont les six (6) plus importantes
sont : le Wolof, le Peul, le Sérère, le Diola, le Malinké et le Soninké.
Toutefois, au moment de son accession à l’indépendance, le Sénégal,
comme la plupart des Etats africains francophones, a choisi la langue
française comme langue officielle.
Les dirigeants politiques d’alors ont ainsi privilégié la langue qui leur
paraissait la plus immédiatement disponible et opérationnelle : la langue
du colonisateur.
A cette époque, toute la politique linguistique écrite du Sénégal était
essentiellement de l’article 1 de la constitution, qui faisait du français la

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

langue officielle. Le français prenait toute la place dans l’espace politique


et socio-économique.
Aussi, bon nombre d’intellectuels et pas des moindres, ont-ils dénoncé
très tôt cet état de fait ; parmi ceux-ci, le professeur Cheikh Anta Diop.
Celui-ci, dans Nations Nègres Et Culture – Tome II – page 415 disait ceci :
« Il est plus efficace de développer une langue nationale que de cultiver
artificiellement une langue étrangère ; un enseignement qui serait donné
dans une langue maternelle permettrait d’éviter des années de retard dans
l’acquisition de la connaissance ». Voilà qui est ; on ne peut plus clair.
Venons-en maintenant à la valorisation des Langues nationales en
éducation.
Devenu chef de l’Etat Sénégalais en 1960, Léopold Sédar Senghor a
multiplié les déclarations officielles soulignant la nécessité de recourir aux
langues nationales du pays.
Il s’est mis lui-même à la tâche en participant pendant vingt (20) ans aux
travaux des différentes commissions chargées d’élaborer les alphabets
officiels et les terminologies sénégalaises.
Le Sénégal est probablement, le seul pays, qui avait à ce moment-là, à
sa tête, à la fois un linguiste et un poète. C’est grâce à Senghor si les six
langues les plus importantes du Sénégal ont été codifiées et se sont
dotées d’un alphabet. En 1971, le décret présidentiel n°71566 du 21 Mai
retenait les six langues citées plus haut, comme promues au rang de
« langues nationales ».
Par la suite, Senghor choisit une politique d’éducation bilingue
comprenant le français, d’une part, et les six langues « nationales »,
d’autre part.
Dans son décret de mai 1971, il expose les motifs de son choix : « Tout
d’abord remplacer le français, comme langue officielle et comme langue
d’enseignement, n’est ni souhaitable, ni possible…En effet, il nous faudrait
116
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

au moins deux générations pour faire d’une de nos langues nationales, un


instrument efficace pour l’enseignement des sciences et des
techniques… »
Dans la pratique, l’enseignement des langues nationales n’a pu
commencer qu’en 1978 et s’est limité aux deux premières années de
l’élémentaire – CI/CP- ; en 1980-1981, on ne comptait qu’une quinzaine
de classes, toutes en Wolof, à une exception près : une classe
expérimentale de Sérère avait été permise, par le ministère de l’éducation
« pour calmer certains esprits inquiets de la prééminence accordée en
wolof ».
On semblait s’acheminer vers un enseignement trilingue qui consiste
d’abord à alphabétiser l’enfant dans sa langue maternelle, puis lui
enseigner le Wolof, c’est-à-dire la langue nationale dominante, avant de
passer au français pour le reste des études.
Dans cette perspective, les langues sénégalaises ne seraient, selon
l’hypothèse de Pierre Aumont « qu’un moyen pédagogique
supplémentaire destiné à améliorer l’enseignement du français. Plusieurs
indices permettent de croire que telle fut et telle est effectivement la
politique linguistique de nos gouvernants :
- L’alphabétisation des enfants en français a donné jusqu’ici de
piètres résultats.
- Toutes les études démontrent que seule l’alphabétisation en langue
maternelle est efficace ;
- Le Wolof est déjà employé comme langue véhiculaire par au moins
80% de la population et est donc tout indiqué comme langue
importante à l’école.
- La plupart des travaux terminologiques portent sur le Wolof.
- La majorité des parents n’approuvent pas qu’on enseigne à l’école
une langue – sa langue maternelle – qu’on parle déjà.
117
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

- Quatre-vingt-dix pour cent (90%) des sénégalais analphabètes


veulent apprendre le français pour obtenir une bonne situation.
- L’état ne peut se passer du français au point de vue administratif,
commercial, technologique et scientifique.
- Un enseignement intensif des langues nationales codifiées
entraînerait une réforme complète et trop coûteuse du système
éducatif.
- Même en wolof, les recherches terminologiques ne sont pas
achevées ; celles des autres langues sont à peine amorcées.
Pour toutes ces raisons ; la perspective d’introduire comme langue
d’enseignement l’une des langues nationales, voire les six, est donc bien
lointaine.
Jusqu’à maintenant, toute la politique de valorisation des langues
nationales a porté exclusivement sur l’éducation ; il faut avouer que les
résultats sont encore maigres même si des progrès considérables ont été
faits. Quant à croire que l’une des langues sénégalaises remplacera un
jour le français, c’est une autre histoire.
D’abord, il faudrait que tout le système éducatif soit « sénégalisé » et
« wolofisé », ce qui n’est pas fait ; ensuite, il faudrait choisir l’une des
langues nationales – probablement le wolof – pour en faire un instrument
de communication dans l’administration, le commerce, les affaires, au
travail, dans les sciences, au parlement etc. Or, rien ne laisse croire, bien
au contraire, que les autorités veulent aller jusque-là.
A la lumière de ces observations, qui constituent de vrais obstacles, la
politique linguistique du Sénégal semble être la suivante : harmoniser à
long terme la coexistence des langues du pays et du français pour assurer
à la fois, la paix sociale et le développement économique du pays.
En somme, au lieu de s’installer dans la métaphysique la plus plate pour
dire : « en lieu et place du français, utilisons nos langues nationales »,
118
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

pensons d’abord à la mise en œuvre, aux préalables. Sinon c’est mettre


la charrue devant les bœufs.
Nous sommes tous des acteurs du système, des cadres de conception
dans nos différentes branches. La bonne marche du système dépend de
nous, exclusivement. La technostructure, c’est nous.
Pour l’heure, la réflexion se poursuit, car ce qui a été fait pour nos langues
ne constitue nullement un point d’arrivé, mais un point de départ. C’est
une opération qui demande, à la fois, hardiesse et prudence.

119
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

PARENTS/ENFANTS : CE QUE RAISONNER VEUT DIRE.


Il est classique de dire que l’adolescence est une période charnière,
marquée par des remaniements de la personnalité. Si les modifications
des sentiments et de la conduite à cet âge-là ont été abondamment
traitées, les évolutions dans le domaine du raisonnement restent peu
connues du grand public et est controversées dans les milieux
scientifiques. Ceci explique peut-être cela. Voici le résultat de mes
recherches en la matière.
Les parents habitués à discuter en famille perçoivent qu’au moment de
la préadolescence, autour de onze ans, leur enfant devient capable de
généraliser et de décrire la vérité en des termes plus larges.
Là où il définissait un concept général, par exemple la guerre,
puisqu’elle est d’une brûlante actualité – Russie/Ukraine – en se servant
de données concrètes – comme les bombes qui tombent, les gens qui
meurent, et le manque de nourriture – blocage du blé dans les ports
Ukrainiens de la mer noire – il va utiliser des idées s’articulant les unes
aux autres. Il intègrera, par exemple, la pénurie de pain dans une série
plus étendue : Rareté du blé, donc appauvrissement des belligérants et
même de ceux qui sont touchés de près ou de loin par les hostilités.
Tout en tenant ce raisonnement, le pré-adolescent devient capable de
déterminer les raisons du conflit – lutte d’influence, domination
économique ou politique -, et ses conséquences. Il utilise donc les
abstractions, et se détache peu à peu du strict maniement du réel.
Cette nouvelle approche lui permet de discriminer entre le possible et
l’impossible. Au cours de la période précédente, le possible se manifeste
sous la forme d’un prolongement de la réalité. Les bombes qui tombent
en Ukraine signifient qu’il y’a la guerre. Maintenant c’est le réel qui est
subordonné au possible.

120
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

D’où l’intérêt que montrent les ados pour les théories sociales,
politiques et philosophiques. Ils peuvent aussi se passionner pour des
problèmes métaphysiques et exprimer leurs valeurs par des termes
abstraits comme égalité, justice, loyauté. Ils manient des symboles,
accèdent aussi bien à l’algèbre qu’à la notion de loi.
Bref, tout se passe comme s’il y’avait à l’adolescence une accélération
du développement cognitif semblable à la croissance physique.
Or si nous connaissons tout, ou presque, des goûts, des habitudes, du
vocabulaire de nos ados, nous restons assez peu renseignés sur leur
fonctionnement intellectuel.
Qu’est-ce qui peut rendre compte de cet élargissement spectaculaire
des horizons de la pensée, si caractéristique de cette période ?
Pour Jean Piaget, le développement de l’intelligence se ramène à la
construction d’un système ou ensemble de structures logiques élaborées
par l’individu en interaction avec le milieu. Ce sont les fameuses
« stades », au nombre de quatre.
Le stade de la pensée « formelle », qui apparaît progressivement à
partir de onze – douze ans ou même treize – quatorze – comme un état
d’équilibre final du développement cognitif serait la marque de
l’adolescence. Cette pensée « formelle » permettrait le raisonnement
hypothético – déductif ; à partir de données pour parvenir à des
conclusions éventuelles.
Chez l’enfant de six à douze ans, la pensée s’exerce par opérations de
logique concrète encore attachées au matériel sur lequel s’exerce le
raisonnement ; l’adolescent, lui, est théoriquement capable, devant un
problème comportant non plus des données de la réalité mais des
formulations contenant des données, d’isoler toutes les variables et
d’étudier toutes les combinaisons possibles.

121
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Selon Jean Piaget et Barbel Inhelder, cet accès à la pensée formelle


serait accompagné par une phase durant laquelle l’adolescent pense qu’il
va transformer le monde par la toute-puissance de son raisonnement.
C’est là une phase que reconnaîtront sans peine de nombreux parents
avant que les sanctions scolaires et la confrontation avec les pairs ne
viennent calmer les ardeurs logiques de leurs adolescents !
Plus sérieusement, la logique – qui est, pour adultes, un moyen d’agir
le monde – constituerait pour les adolescents une fin en soi.
De nombreuses critiques ont été apportées à Piaget. On met en doute
l’universalité d’une telle conception, trop souvent isolée par les chercheurs
des structures socio-économiques et culturelles.
Pour Gérard Lutte dans son ouvrage intitulé – Libérer l’adolescence –
Lutte fut professeur de psychologie de l’enfant et de l’adolescent à
l’université de Rome. Pour lui donc, « le stade formel est une forme de
pensée typique des personnes qui ont fréquenté longuement l’école et qui
sont entrainées dans le raisonnement mathématique et scientifique dans
les sociétés occidentales. »
Malgré le nombre d’études sur le sujet, il n’est pas facile de se faire
une idée précise sur les modalités du développement intellectuel pendant
l’adolescence. Aucune théorie ne rend compte à elle seule des
changements quantitatifs et surtout qualitatifs d’observation fréquente.
Quoi qu’il en soit, avec son nouveau bagage, l’adolescent atteint assez
rapidement les potentialités des adultes de son milieu. Il s’en aperçoit
aisément puisque, dans bien des épreuves – l’ordinateur ! – il se débrouille
aussi bien sinon mieux que ses ainés.
Toutefois, à ses performances dans le domaine du raisonnement et de
la logique, la société adulte oppose souvent l’expérience, la mémoire, la
confiance en soi.

122
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

On attend des adolescents un comportement plus responsable en


fonction même des capacités qu’on leur reconnaît ; et, en même temps,
on leur dénie le droit de s’en servir pour gouverner leur vie.
Il s’ensuit un malentendu qui pèse très lourd sur les rapports entre les
jeunes et leurs parents. Sans doute est-ce là le tribut que notre culture
paie pour sa complexité croissante et la prolongation de l’apprentissage
et de la formation qui s’ensuit… Si la « mondialisation » est en fait, une
universalisation de la civilisation occidentale, alors n’a-t-elle pas fait ici son
effet ?

123
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Evaluer, pour quoi faire ?

A la question « qu’est-ce que l’intelligence ? » Alfred Binet, inventeur


avec Théodore Simon – « Le couple » Binet – Simon – du célèbre test,
répondrait : « C’est ce que mesure mon test. » Etait- ce vraiment une
boutade ? Autrement dit un propos vif et imprévu ? L’évaluation a trouvé
droit de cité, aujourd’hui, dans l’éducation nationale. Du préscolaire à
l’université en passant par les lycées et collèges, de plus en plus, on
évalue.
Mais en transposant dans le domaine de l’école les méthodes et les
valeurs de l’entreprise, ne risque-t-on pas de créer autant de problèmes
qu’on cherche à en résoudre ?
Comme le rappelle Anne Carvalho, une spécialiste de l’évaluation,
celle-ci nous dit-elle est apparue dans le cadre de la pédagogie dite « par
objectif » - aujourd’hui phagocytée par le curriculum – dont le principe
consistait à « décomposer le comportement de l’élève en un ensemble de
capacités distinctes pouvant – supposait-t-on-s ’acquérir
indépendamment les unes des autres ».
Et donc se mesurer. Une telle démarche fait de l’élève un objet
d’analyse. Elle permet au mieux d’effectuer un contrôle – comme dans
l’évaluation du niveau en français et en mathématiques des élèves de 6ème
par exemple.
Mais elle ne possède aucune finalité proprement pédagogique : « Elle
ne sert ni l’élève, qui par ces tests, est simplement classé dans une
catégorie, ni le maître – pourquoi – le test vient seulement concrétiser un
résultat que souvent il connaît déjà » assure l’auteur.
Pour Anne Carvalho, l’opinion publique et les partenaires sociaux
inquiets de la « rentabilité » du système éducatif, sont en réalité les
véritables destinataires de l’opération.
124
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Pour l’auteur, l’évaluation manque donc d’objectif et d’objectivité : « Elle


devient le bilan des échecs et des lacunes passées, mais elle est bien peu
porteuse de solutions. Elle tendrait en fait à se réduire à une évaluation
des besoins … de la société.
L’inspection, à l’issue de laquelle, le maître se voit attribuer une note
pédagogique, ressortirait-elle davantage à l’évaluation ?
Non ! Il s’agit d’un simple contrôle : des connaissances et de leur
articulation mais aussi de la cohérence et de la rigueur de la démarche
pédagogique, du suivi des élèves et de leur travail – cahiers de devoirs
journaliers, roulement – cahiers d’exercices – compositions etc.
C’est pourquoi comme le dit Marc Henriot, l’inspection peut prendre,
pour le maître, la forme tragi-comique d’un « rite de passage »
La véritable évaluation se situe donc à un autre niveau. Pour Marie –
Thérèse Céard, Doyen des inspecteurs pédagogiques, en France, il n’y a
d’évaluation qu’avec la prise en compte du projet d’établissement,
expérimenté ici au Sénégal, sans succès !
L’inspecteur peut alors établir des comparaisons entre les classes de
même niveau : les CI, les CP, les CE, les CM -, les enseignants, les
méthodes pédagogiques mises en œuvre, les écoles même ainsi, il peut
apprécier la « pertinence d’un projet » et les moyens déployés pour le
réaliser.
En tout état de cause, les méthodes de l’entreprise ne s’appliquent
pas facilement au monde scolaire. Pourtant Hervé Desprez directeur du
groupe dénommé Consulting Group se disait, à l’époque prêt à aider
l’éducation.
Quel est pour lui, le portrait du bon pédagogue ? « Quelqu’un qui soit
capable d’écouter les autres, de se servir de ce qu’ils disent pour articuler
un enseignement et transmettre clairement un message. Si le candidat

125
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

enseignant ne possède pas ces qualités, même agrégé, il ne sera pas fait
pour ce métier. »
Mais en quoi consiste, au fait, le travail du recruteur ? Si l’on en croit
Hervé Desprez, il s’agit moins d’évaluer les candidats que de conseiller
les chefs d’entreprise au moment de prendre la décision d’engager
quelqu’un, « en les empêchant de fantasmer ». En clair, le recrutement,
pour l’essentiel, aide les responsables… à évaluer leur propre demande.
C’est également, somme toute, la conclusion à laquelle aboutit, Anne
Carvalho. L’évaluation doit être abandonnée au profit de l’auto-évaluation
tant de l’élève que du maître. Elle seule peut faire de la relation
pédagogique « une relation vivante de sujet à sujet. »

126
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Philosophie de la vie familiale et violence.


La vie familiale ne peut exister et durer que si elle s’appuie sur un
nombre d’idées fondamentales. Je l’ai vécue personnellement comme tant
d’autres. On a le droit, en effet, de se demander quelles sont les raisons
profondes pour lesquelles l’union d’un homme et d’une femme dans les
liens de mariage est quelque chose d’aussi foncièrement différent de celle
de deux animaux.
Il y d’abord, à mon sens, à cela des raisons d’ordre biologique : chacun
sait que, contrairement à ce qui se passe en général dans le règne animal,
l’être humain éprouve en tout temps, et non seulement à l’occasion d’une
saison particulière de l’année - la période de rut chez les mammifères – le
besoin de rapprochement physique avec son ou sa partenaire.
Cette première considération explique déjà à elle seule la tendance de
l’homme et de la femme à vivre ensemble d’une manière permanente.
Le second fait biologique, me semble-t-il, c’est la longueur considérable
du temps nécessaire à l’éducation des enfants.
C’est pour ces derniers une question de vie ou de mort que de pouvoir
compter sur les soins d’une mère attentive et d’un père prévoyant.
L’éducation est un besoin humain à la fois mental et moral ; qui ne se
retrouve chez les animaux que sous une forme extrêmement réduite et
simplifiée. Le milieu familial est le seul dans lequel il rencontre ce qui lui
est nécessaire dans ce domaine en vue de sa préparation à la vie adulte.
La vie de famille a été et est encore quelque fois considérée comme une
certaine forme historique de l’union de l’homme et de la femme, conçue
comme pouvant être remplacée par d’autres formes peut être supérieures.
Cependant, certaines remarques nous obligent à penser que la forme
ouvertement adoptée de nos jours dans les pays civilisés est la meilleure.

127
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Lorsque l’homme moderne vit en famille, il ne le fait pas par nécessité


physiologique ou contrainte légale, mais en vertu de son libre choix.
Il pourrait vivre d’une manière différente, mais il ne le fait pas, car il ne
lui suffit pas de prolonger son existence, il veut surtout vivre bien. Or, pour
vivre bien, il faut s’y être préparé, avoir reçu une certaine éducation et il
n’y a pas de milieu dans lequel celui-ci puisse être impartie avec plus
d’efficacité et de profit qu’au sein de la famille.
Comment aussi pourrait-on rendre compte de la solennité avec laquelle
nous estimons nécessaire de célébrer un mariage alors qu’aucune idée
de ce genre ne nous vient à l’esprit à propos des animaux ?
Un mariage ne nous paraît pas complet s’il n’a pas été contracté
légalement, certifié par les officiers d’Etat-Civil et béni religieusement.
C’est avec une émotion très forte que les nouveaux mariés pénètrent
dans le lieu où la cérémonie doit se dérouler. Aucune transaction humaine
n’est comparable à celle-là.
En effet, ils sentent, que quelque chose de nouveau s’accomplit, qu’un
foyer inexistant dans les minutes précédentes va être fondé, que des
créatures humaines nouvelles pourront être appelées à l’existence, non
seulement pour la vie présente, mais aussi pour celle après la mort et la
résurrection.
Il y a lieu de considérer aussi l’extraordinaire solidarité qui existe entre
les époux. Si le mari ne réussit pas dans son travail, la femme en partage
entièrement les conséquences – ou du moins logiquement – S’il commet
une action sanctionnée par la loi ou réprouvée par l’opinion publique, elle
en subit le douloureux contrecoup.
Lorsqu’une femme se conduit mal et néglige ses devoirs, son mari sent
peser sur lui une bonne moitié de la responsabilité. C’est la raison pour
laquelle on ne se marie pas sans consentir à de sérieux et graves
sacrifices.
128
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

La femme abandonne souvent de passionnantes études, un métier


lucratif, et toujours son indépendance mondaine. Elle sait fort bien qu’elle
devra porter toutes les charges physiques, économiques et morales de la
grossesse et des soins à donner aux enfants.
Parfois aussi, elle devra s’éloigner, même à de grandes distances, de
ses parents, de son milieu, de ses amis, pour accompagner son mari dont
la carrière exige un déplacement peut être définitif.
L’homme aussi, d’ailleurs, doit abandonner bien des choses. L’argent
qu’il gagne, par exemple, ne sera plus le sien en toute priorité et qu’il ne
pourra plus s’en servir uniquement pour lui-même.
Il ne pourra plus même donner à sa profession toute son attention, car
les besoins de sa famille dépassent de beaucoup l’argent qu’elle lui
apporte.
Et malgré tous ces sacrifices, on continue à se marier ! Des quantités de
gens trouvent, sans même s’en rendre compte, non seulement le courage
d’y consentir, mais la fois profonde d’y avoir recours. C’est parce que le
mariage n’est pas un contrat mais un don réciproque qui dépasse de
beaucoup les données biologiques, économiques, psychologiques,
juridiques et sociales.
Aussi, les liens qui unissent deux époux sont-ils établis sans condition
et, comme le dit l’expression traditionnelle, « pour le meilleur et pour le
pire ». C’est pourquoi, le mariage est en réalité un acte de foi dans lequel
chacun donne tout ce qu’il a et tout ce qu’il est.
Les gens véritablement mariés sont beaucoup plus préoccupés du
bonheur du conjoint que de leur bonheur personnel. C’est aussi la raison
pour laquelle le divorce, sans pouvoir être totalement éliminé, ne peut être
considéré que comme une anomalie infiniment regrettable.
On parle beaucoup, à propos du divorce, de l’incompatibilité d’humeur et
de caractère, sans se rendre compte que deux personnes qui se marient
129
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

ne sont jamais totalement compatibles et que si toutes les divergences


d’inclination étaient prises en considération, aucune famille n’échapperait
au divorce.
Ainsi, une séparation pour incompatibilité d’humeur est essentiellement
illogique. La plupart des ménages s’en rendent compte et c’est pourquoi il
y a tant de familles qui demeurent plus ou moins unies malgré les
difficultés, le travail très dur ; la pauvreté et les souffrances qui en
résultent.
Voilà, à mon sens – comment le mariage devrait-il être conçu et la famille
établie. Cette philosophie du mariage et de la vie familiale est-elle de nos
jours, toujours de mise ? Loin s’en faut ! L’imam de la Grande mosquée
de la Mecque confirme : voici une traduction approximative et un résumé
du prêche de l’Imam El Shu Rain de la mosquée Sacrée à la Mecque :
« les prix sont en hausse ! Et les femmes sont dévêtues et les mosquées
sont vides : Et les femmes devenues autoritaires sur les hommes… La
fornication rendue licite et le mariage délaissé… »
L’imam n’est pas venu au Sénégal. Ce constat est fait au cœur même de
la société arabe. Dès lors, doit-on s’étonner de ce qui se passe chez
nous ? La violence dont-on parle et qui est faite aux femmes n’a-t-elle pas
pour origine la dépravation des mœurs ? Violence qui du reste, n’est pas
que seulement physique ! Elle est aussi comme l’a souligné récemment le
chef de l’Etat à la conférence de l’U.A, morale. Le harcèlement, les
menaces, les insultes et autres propos désobligeants et humiliants qui
blessent autant, sinon que les violences physiques. Personne ne peut
encourager un tel phénomène dans une société !
Cependant, est-ce un arsenal juridique des plus contraignants et punitifs
qui arrivera à bout d’une telle fracture ? On le sait, après la conférence de
Kinshasa dont la Déclaration et l’appel à l’action ont été endossés par le
Sommet de l’Union africaine, de Février dernier, la voie est tracée pour
130
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

l’élaboration d’une convention sur la lutte contre les violences faites aux
femmes.
La plus haute autorité de l’Etat – le Président de la République – a appelé
récemment à une unité d’actions pour mettre fin à ces violences – tous
ensemble, pouvoirs publiques, leaders religieux et traditionnels, membres
de la société civile et citoyens – sont invités à élever la voix et dire « ça
suffit ».
Il existe aussi des instruments internationaux : l’Agenda 2063 de l’Union
africaine et la Résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies
qui visent l’élimination de toutes les formes de violence contre les femmes,
sont toujours brandis à des fins dissuasives.
Malgré toute cette panoplie de mesures tant au niveau national
qu’international, le phénomène prend de l’ampleur, chaque jour
davantage.
Dans certains états, c’est devenu même un tabou d’en parler – Cote
d’Ivoire par exemple – En France, pays des Droits de l’Homme, une
femme meurt toutes les trois minutes sous les coups de son conjoint.
Alors que faire ? Une seule réponse : l’éducation. Car, au-delà des Lois
et règlements, ce qui compte par-dessus-tout, c’est l’évolution des esprits
dans un sens positif. Evolution des esprits des femmes et des filles envers
elles-mêmes, et évolution des esprits des hommes envers les femmes et
les filles, pour conforter l’égalité en droit et la complémentarité sociale
homme-femme.
Je suis musulman. Je me nomme Yahya qui correspond chez nos
parents chrétiens à Jean Baptiste – celui qui a baptisé Jésus dans les
Eaux du Jourdain – Je lis le coran comme la Bible.
En lisant celle-ci, je me suis rendu compte que toutes les causes de
destruction de la famille tiennent en réalité à une seule, dont elles sont la

131
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

conséquence fatale : l’humanité s’écarte de plus en plus des


enseignements de la bible concernant le mariage, tels les suivants :
« L’homme quittera son père et sa mère, et s’attachera à sa femme, et
ils deviendront une seule chair » Genève 2 : 24 –
« Que chacun de vous aime sa femme comme lui-même et que la femme
respecte son mari » - Ephésiens 5 : 33 –
« Mais, aimez vos femmes et ne vous aigrissez pas contre elles » -
Colossiens 3 : 19 –
« Mais, montrez à votre tour de la sagesse dans vos rapports avec vos
femmes comme avec un sexe plus faible ; honorez-les comme devant
hériter avec vous de la grâce de la vie » Pierre 3 :7
« L’homme n’a pas été à cause de la femme, mais la femme a été à
cause de l’homme, peut-être une aide semblable à lui » - 1 Corinthiens
11 : 19
Mais est-ce, parce qu’on est femme qu’on se permet d’insulter
publiquement un homme ? Est-ce parce qu’on est femme que l’on
s’autorise à déverser toutes sortes d’insanités sur un homme ?
Est-ce parce qu’on est femme que l’on doit se livrer à des actes
d’escroquerie tous azimut ?
La loi est-elle là pour tout le monde ou y a –t-il loi pour homme et loi pour
femme ? Dans la réalité des faits, il y en a tout l’air.
Aussi, les coups administrés par un député à une députée, et qui ont
provoqué un tollé d’indignations sont-ils issus d’un ex-nihilo ? Qu’a dit la
femme ? Si on condamne la violence physique, et la violence verbale,
psychique qui l’a provoquée, qu’en dit-on ? Il existe bien dans le code de
procédure pénale, une disposition qui condamne les injures publiques au
même titre que les voies de fait ! Notamment – les coups et blessures
volontaires –

132
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Quand donc l’homme comprendra-t-il que les chevaux de bataille


haletants et les armes qui font jaillir un feu de mort et de destruction ne
peuvent détruire que l’homme physique, jamais le principe même du mal
qui habite l’esprit méchant dépourvu de charité.
Le mal est comme un souffle mystérieux. Lorsque l’on tue par la violence
ou par les armes un homme animé par le mal, le principe du mal bondit
du cadavre qu’il ne peut plus habiter et pénètre dans le meurtrier par ses
narines dilatées. Il prend en lui une racine nouvelle et devient plus tenace
encore en redoublant ses forces.
Le mal doit être combattu par les armes du Bien et de l’Amour. Quand
c’est l’Amour qui détruit un mal, ce mal est tué pour toujours.
La force brutale ne fait qu’enterrer provisoirement le mal qu’elle veut
combattre et détruire. Or, le mal est une semence tenace. Une fois
enterrée, elle se développe en secret, germe et réapparait plus
vigoureusement encore.
Alors, mes chers compatriotes, retournons-nous à nos textes religieux
pour l’éradication de ce fléau.

133
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Fausses compréhensions des élèves.


Quatre décennies au service de l’Education ont achevé de me
convaincre que les élèves, le plus souvent, malgré les efforts louables de
nos braves enseignants, comprennent mal ou difficilement.
Mais qu’est-ce comprendre ?
Cette question aurait également pu être formulée ainsi : « qu’est-ce
qu’apprendre ? » ou « comment avons-nous appris ce que nous
savons ? »
Si j’ai choisi la première, en utilisant le terme comprendre au lieu
d’apprendre, c’est pour bien marquer que je la pose dans une perspective
purement pédagogique : comprendre se réfère à une norme, implicite ou
explicite, celle qu’on impose soi-même ou qui est imposée par un
interlocuteur ou par la situation dans laquelle on se trouve.
Dans une situation d’apprentissage instituée qui est celle qui nous
intéresse – c’est bien une certaine compréhension qui est valorisée
comme étant la plus profitable.
Comment faire pour que chacun comprenne la même chose ? C’est
effectivement la perspective pédagogique qui nous intéresse et c’est la
seule qui nous permet d’avoir un regard informé et donc une certaine
compréhension de ce que veut dire comprendre.
Cette compréhension est le fait d’observations d’interactions effectuées
lors de situations d’apprentissages instituées. Observations de ces
moments mêmes où quelques choses prennent sens pour quelqu’un, où
sa vision d’un objet de pensée se modifie.
C’est ce moment intense de « changement conceptuel » que Bachelard
décrit si bien : c’est quand un concept change de sens qu’il a le plus de
sens, c’est alors qu’il est en toute vérité un événement de

134
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

conceptualisation. » Ce que rend la question pédagogique si délicate est


que c’est vrai même quand le sens est faux !
Les premières observations réalisées ont été centrées sur les fausses
compréhensions des élèves, telles qu’elles se sont révélées lors de leurs
contrôles – oraux ou écrits – de connaissances en classe. Leur analyse a
révélé trois types de confusions. Les trois types de confusions peuvent
être décrits de la façon suivante :
Confusion entre le mot et le sens.
Les enfants utilisent un symbole abstrait, par exemple « rectangle » ou
« carré » sans vraiment comprendre son sens, avec l’idée que le mot lui-
même est le sens.
La fonction du mot abstrait en tant que symbole du sens n’est pas
comprise. Si, de plus, le mot lui-même est mal compris – comme cette
petite fille qui a appris les nombres « pères » et « grands-pères » - la
confusion est totale.
Confusion entre les éléments pertinents et non pertinents par rapport à
un problème donné.
Les enfants pensent à tort qu’un élément non pertinent a une
importance, comme par exemple la couleur ou l’orientation dans la
définition du « rectangle ». Ils interprètent l’exemple à partir de leurs
propres références et arrivent à une autre signification que celle prévue
par l’enseignant.
Confusion dans le mode de raisonnement.
Ils procèdent par association verbale – stimulus réponses – en associant
un mot à quelques exemples, mais sans avoir saisi la nature des liens
entre le mot et les exemples ; ils sont par exemple capables d’énoncer le
mot « verbe » devant quelques exemples comme de verbes, mais ils ne
savent ni distinguer les éléments qui permettent de dire pourquoi ce sont
des verbes, ni en reconnaitre de nouveaux exemples.
135
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Ces « confusions » se sont traduites par de fausses conceptions.


Autrement dit, les enfants n’ont pas compris ce qu’il fallait comprendre, ni
ce qu’il fallait faire pour comprendre. Ils cherchaient simplement à
reproduire les « bonnes réponses » mais des réponses à quoi ? Si l’on ne
comprend pas les questions fondamentales à l’origine de ces
« réponses » celles-ci n’ont pas de valeur : Elles sont des éléments isolés,
vides de sens, donc vite oubliés. Pourtant, ce n’est pas la capacité des
enfants à conceptualiser qui est en cause.
En fait, quelle est la relation entre les fausses compréhensions et
l’enseignement donné ?
Ces difficultés de compréhension proviennent-elles des élèves ou de
l’enseignant ? La réflexion m’a conduit à trois constats : d’abord les façons
« d’émettre » le message – savoir qui se subdivise en quatre sous
ensemble, ensuite l’attitude des élèves face au savoir et enfin la relation
entre le savoir et la façon dont il est compris.
Le premier constat, comme souligné plus haut, est composé de quatre
éléments :
- L’explication d’une notion est donnée en utilisant des catégories plus
générales, donc à un niveau supérieur d’abstraction : exemple : le
carré est un parallélogramme ou un quadrilatère…
- L’explication peut aussi se donner à un niveau d’abstraction
inférieur : Exemple : le carré est une figure qui a quatre cotés égaux
et quatre angles droits.
- L’enseignant présente un ou, rarement, deux exemples, mais sans
que les élèves comprennent de quoi l’exemple est un exemple….
Parfois les exemples n’explicitent que partiellement ce qu’ils sont censés
illustrer, le reste étant implicite.

136
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Pire encore : l’exemple n’est pas un exemple, mais un autre symbole


abstrait, vide de sens pour celui qui ne sait pas – un synonyme, par
exemple.
- Une explication sous forme d’analogie est utilisée : exemple : le
carré est comme un tableau que vous voyez ici. Ils voient le tableau
comme le tableau, regardent peut-être son motif ; sa couleur ou
d’autres éléments sans rapport avec le sujet qu’est le carré. Voilà
pour le premier constat.
Le deuxième constat concerne l’attitude des élèves face au savoir.
Pendant la situation d’apprentissage, ils n’ont pas souvent l’occasion
de vérifier leur compréhension du « message ».Ils écoutent.
L’action et l’explication ne sont pas confrontées, elles se succèdent,
que ce soit dans un sens ou dans un autre.
Ces « travaux pratiques » ont donc plutôt une fonction – et non de
mise en relation – et sont ressentis comme tel par les élèves. A la
question « Avez-vous compris ? », les enfants répondent en général
« oui ». Le manque total de questions de leur part témoigne en fait d’un
manque de compréhension.
Le troisième constat concerne la relation entre le savoir et la façon
dont il est compris. Quelque chose me frappe encore, et c’est là sans
doute le paramètre le plus important : le plaisir réel que les enfants
semblent avoir aux moments où ils ont conscience d’avoir compris
quelque chose, après avoir cherché, ensemble, à comprendre.
Le problème est d’ailleurs qu’ils n’ont pas assez souvent l’occasion
de chercher et d’échanger et qu’ils se conforment à une idée reçue de
réception passive du savoir-enseigné.
Aux moments rares où ces échanges actifs se produisent, il est
étonnant d’observer à quel point ils « se débrouillent » autrement avec

137
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

le savoir en question : ils savent s’en servir pour discuter, pour poser
des questions, pour convaincre, pour rejeter…
J’ai pris ainsi conscience du lien étroit entre le savoir et la façon dont
on sait s’en servir. Le savoir n’existe pas en dehors de la façon dont il
est « su ». On oublie vite ce qu’on a « appris » mais on n’oublie guère
ce qu’on a « trouvé ».
Sous ce rapport, nous pouvons tenter de tirer quelques conclusions
provisoires.
Les trois types de confusions des enfants dont il a été question plus
haut – semblent ainsi être en relation directe avec le mode
pédagogique.
On peut constater, en particulier, un lien étroit entre la conception
pédagogique de l’enseignant et l’attente des élèves sur ce qu’il faut
faire pour comprendre.
La façon dont les élèves s’y prennent réellement et la qualité du savoir
appris sont à leur tour, guidées par ces attentes ; d’où l’importance de
la conception pédagogique de l’enseignant.
D’une manière générale, les conceptions pédagogiques sont
traversées par trois constantes :
D’abord le manque d’activités et de réflexion commune, durant
lesquelles les compréhensions des uns et des autres pourraient se
dégager et se comparer pour aboutir à une compréhension commune.
Ensuite, une conception trop statique du savoir – vu comme une suite
de bonnes réponses sans relation avec le processus par lequel on y
arrive et s éparé de son contexte d’utilisation.
Enfin, l’emploi de mots d’un haut niveau d’abstraction, fréquemment
vides e sens pour les élèves. L’apprentissage est souvent passif et
manque d’implication intellectuelle et affective d’autant plus que les
élèves n’ont pas la possibilité réelle de formuler des questions
138
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

productives ou d’exprimer leurs doutes ou « fausses »


compréhensions- dont ils ne sont en général pas conscients.
Il n’y a, de fait, pas eu de véritable apprentissage ou modification du
savoir ancien : celui-ci était toujours là, intact.
L’obstacle que constituent les fausses conceptions de l’apprenant a
été maintes fois démontré – Astolfi J. P et Develay. M, dans la
didactique des sciences, PUF, « Que sais-je ? » 1989 – par exemple.
Mais dans les conditions d’apprentissage qui ont été analysées
précédemment, pouvait-il en être autrement ?
Quel est au fond l’obstacle le plus sérieux ? Les fausses conceptions
des élèves ou la non- prise en compte de celle-ci ? En tout cas, les
deux réunies ont plutôt pour effet de les garder intactes.

139
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Le défi de la lecture à l’école élémentaire


Comme toute activité intellectuelle, la lecture, à tous les niveaux,
correspond naturellement à un besoin. L’enfant, laissé à lui-même, est
attiré par la lecture. Ce besoin de lire s’exprime dès la tendre enfance.
C’est le désir d’être grand, ce levain si puissant dans toute éducation, qui
motive au début une activité encore mystérieuse pour le jeune enfant dans
sa technique et dans ses fins. Le jeune enfant cherche, par la lecture, à
satisfaire sa curiosité et son besoin de comprendre.
Dès lors, n’est-il pas légitime de se demander qu’a fait l’école ; jusqu’ici,
pour aider l’enfant à satisfaire ce besoin ?
Pour tenter d’y arriver, plusieurs méthodes ont été conçues et mise en
œuvre. Il a été expérimenté, au début des Indépendances, la méthode
dite syllabique, le B-A-BA, que nous avons – ceux de ma génération –
connue dès le Cours d’Initiation (C.I) et qui nous a appris à lire. On connaît
les reproches et limites qui ont été faits à cette méthode. En gros, on disait
que lire, c’est avant tout chercher à comprendre ce qui est écrit, or les
censeurs de cette méthode soutenaient que cette voie négligeait
totalement toute motivation naturelle.
Par la suite, compte tenue de cette « insuffisance » - vous comprendrez
plus tard pourquoi le mot insuffisance est mis entre guillemets – l’on a
essayé la méthode dite synthétique, à quoi les mêmes reproches ont été
faits. Finalement, on a abouti à la méthode mixte à point de départ global.
On a pensé ainsi régler le problème avec la conjonction des différentes
remarques et exigences qui ont conduit à rechercher une méthode de
lecture capable à la fois de satisfaire le désir de comprendre ce qui est lu
et d’obéir aux lois naturelles. C’est ce phénomène qu’on a appelé en son
temps, la querelle des méthodes.

140
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Mais en réalité, est-ce que tout cela a permis aux enfants de lire ? La
réponse est bien sûr non. Bon nombre d’enfants franchissent le seuil du
Cours Préparatoire (CP) sans savoir déchiffrer encore moins lire. Que
faut-il faire ?
Le curriculum de l’Education de Base (C.E.B) a proposé une démarche
qui, en substance, consiste à partir d’un texte ; ce qui, a bien des égards,
s’apparente à la méthode globale dont on a souligné les limites. Ce qui est
curieux, c’est que les concepteurs de cette « manière », la préconise
même au CI tout en oubliant que les enfants apprennent dans une langue
étrangère et seconde.
Le résultat est là. Les enfants ne lisent pas. Ce départ par le texte n’est
pas pertinent au C.I. Mais pourquoi, que diable ont-ils confiné les
enseignants au départ par le texte ? La pédagogie ne s’accommode pas
de milieu guindé. Au lieu de s’installer dans la métaphysique la plus plate
pour dire « partez exclusivement du texte », il vaut mieux s’inscrire dans
une logique ouverte et dynamique, et non point, statique et fermée.
Un curriculum, par définition, est ouvert et non hermétique. Il est défini
comme un « ensemble planifié de finalités, d’objectifs, de contenus, de
méthodes pédagogiques, de manuels, de stratégies de formation des
maîtres et des modalités d’évaluations ». Pourquoi ne pas l’appliquer à la
lecture ? « Méthodes pédagogiques » est bien au pluriel. Si on part du son
pour que les enfants lisent et comprennent, pourquoi pas ? Si on part du
« texte » pour que les enfants lisent et comprennent, pourquoi pas ? La
seule préoccupation qui vaille est que les enfants lisent ! Peu importe la
couleur du chat pourvu qu’il attrape la souris. Veillons à ce que la méthode
utilisée soit pertinente là où on en fait usage. Dans le guide du formateur
à la page 15 au paragraphe intitulé « quelles sont les modalités
d’imprégnation ? », il est dit explicitement ceci « l’approche par des
compétences ne dispense pas des objectifs spécifiques. On continue à
141
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

les développer en prenant soin toutefois de les rendre significatifs afin que
les apprenants sachent à quoi ils s’adonnent. » Ils poursuivent en
précisant d’avantage : « Dans la pédagogie de l’intégration, seule une
partie des apprentissages change par rapport aux pratiques actuelles. En
plus de la réalisation des apprentissages ponctuels, le maître doit
aménager des moments d’intégration de ces apprentissages. La
démarche de la pédagogie de l’intégration n’élimine donc pas les
pratiques actuelles ; elle a pour vocation de les compléter et nécessite un
apprentissage. Cet apprentissage peut revêtir différentes modalités ».
Alors, pourquoi tenir rigueur à ceux qui ont opté à partir du « son » et non
du « texte » - comme le préconise le PALME (Partenariat pour
l’Amélioration de la Lecture et des Mathématiques à l’école élémentaire).
Qu’en est-il pour ce programme financé par l’USAID ?
Aussi, d’autres programmes tel le PALME a-t-il tenté de voler au secours
du C.E.B. Le volet mathématique étant pris en charge par le PREMST
(programme de Renforcement de l’Enseignement des Mathématiques,
des sciences et de la Technologie) – le PALME met l’accent sur cinq (5)
éléments fondamentaux, pour l’apprentissage efficace de la lecture. Ces
éléments sont les suivants :
1. La conscience phonétique,
2. Le principe alphabétique,
3. Le vocabulaire,
4. La compréhension,
5. La fluidité,
Voyez, sans entrer dans les détails, le PALME tente notamment de
concilier « lecture » et « compréhension », mais avec un point de départ
nettement mis en évidence, à savoir le son par la conscience phonétique
et le principe alphabétique.

142
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Pour ma part, je dois dire, que cette manière de procéder me persuade


plus au C.I. En fait, c’est presque un retour au B-A-BA qui a fait ses beaux
jours.
Toutefois, pour rendre efficace cette « méthode », quand on en informe
les maîtres qui seront chargés de la mettre en pratique dans les classes,
il convient de simplifier les procédures. Simplifier ne veut pas dire
banaliser. Il s’agira tout simplement de rendre le savoir accessible en
utilisant des termes moins savants, l’exprimer dans une forme concrète,
engager le maître et l’apprenant dans un processus d’élaboration de
connaissance, guider le processus de Co-construction de sens et enfin
préparer au transfert des connaissances et à la capacité d’abstraction – la
lecture étant la clef des connaissances. Bien sûr le débat reste ouvert. Ma
conviction profonde est qu’il faut absolument qu’on retourne au B-A-BA ;
au t-p-n-m-r-v-l-d-b tout en veillant scrupuleusement au sens qui génère
la compréhension.
Là-dessus, j’interpelle les décideurs, en l’occurrence, le Ministre de
l’éducation, pour une reconsidération de la méthode d’enseignement de
la lecture au CI/CP, car partir du texte, encore une fois au niveau de ces
cours là, n’est pas, à mon avis, une option pertinente. On se souvient du
débat en France en 2006. Dans ce pays, c’est le retour au B-A-BA, il y a
bientôt dix ans, et dans leur propre langue ! Pourquoi pas nous ?

143
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

L’enseignement des mathématiques à l’école élémentaire


Introduction :
L’enseignement des mathématiques comprend, à côté de l’apprentissage
des opérations arithmétiques, du système métrique (mesure) et des
structures spatiales (la géométrie), l’entrainement au raisonnement par la
résolution de problèmes.
Comment l’enfant d’âge scolaire parvient-il à résoudre les problèmes ?
Quels types de problèmes et quelles méthodes de résolution
correspondent à sa psychologie ?
C’est à ces questions que nous allons tenter de répondre dans le
développement qui suit :
I. Quelques éléments de définition
1. Qu’est-ce qu’un problème
Les livres de calcul sont, en général, des recueils de « problèmes ».Mais
ce terme banal cache une grande ambiguïté.
L’emploi d’une opération simple n’est pas un problème. Le vrai problème
commence avec l’enchaînement de deux opérations et réside
précisément dans la recherche de cet enchaînement. Aussi, trop souvent,
le problème est-il confondu avec une simple application, voire une simple
reproduction.
Pour qu’il y’ait vraiment problème, il faut nécessairement un caractère de
nouveauté, de surprise de désadaptation. Ce caractère de nouveauté est
fortement lié à un contexte particulier.
De nombreux auteurs se sont penchés sur la définition d’un problème.
GOGUELIN (1976) envisage qu’il y’a problème : « lorsque un écart existe
entre une situation de départ non satisfaisante dans laquelle on se trouve
est une situation dite « but » dans laquelle on voudrait se trouver ;

144
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Problème Information Rts Fin

Départ Arrivée
Quelle que soit la nature du problème, il est essentiel de réduire l’écart
entre les deux situations.

2. Comment l’enfant comprend- il les problèmes ?


Le pédagogue rencontre à ce sujet deux sortes de difficultés : le
niveau d’abstraction et la compréhension.
a) Le niveau d’abstraction :
La première difficulté, la plus importante dans le cadre de la pédagogie
traditionnelle, est le caractère délibérément abstrait de la problématique
proposée.
Sous ce rapport, notons dès à présent que le raisonnement mathématique
pur, comme recherche d’une congruence entre des données
arithmétiques, est inaccessible à plus de 25% des sujets avant 14 ans.
b) La compréhension :
C’est un second obstacle. Il est plus fondamental encore. Il réside dans
l’impossibilité où peut se trouver l’enfant de comprendre le sens des
opérations concrètes évoquées par l’énoncé.
Cette difficulté est accentuée par le fait que les livres de calcul proposent
toujours, des situations problématiques qui font appel à des activités
d’adulte et qui, du coup sont la plupart du temps inaccessibles aux élèves
qui doivent les résoudre.
II. Objectifs du raisonnement mathématique.

145
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Les objectifs de cette discipline, plus méthodologiques que notionnels,


sont de développer chez les élèves, un comportement de recherche et
des compétences d’ordre méthodologique.
Parmi ces objectifs, un des principaux est de rendre l’enfant capable
d’aborder une situation nouvelle. C’est même là, l’essence de la
mathématique. L’activité mathématique est une activité de résolution
de problèmes. Faire du calcul n’est, de très loin, pas suffisant pour faire
de la mathématique.
Il est dès lors, naturel que la pratique pédagogique soit elle-même
orientée vers le développement progressif de l’autonomie de l’enfant.
Elle repose sur un principe simple : pour qu’un enseignement soit
efficace, tout peut et doit poser problème. Tout part du problème et
revient du problème.
III. La méthodologie :
Acquérir un esprit logique, c’est apprendre à raisonner. L’objet de l’activité
de résolution de problèmes est le raisonnement avec ses deux facettes :
La conscience du problème et les stratégies de résolution.
Pour résoudre le problème, il faudra réunir les informations nécessaires et
suffisantes, et les gérer jusqu’à ce que l’écart entre la situation de
DEPART et celle de d’ARRIVEE soit réduit à ZERO.
Pour Louis D’HAINAUT (1983) outre la situation de Départ et la situation
d’arrivée, il faut également prendre en compte le PROCESSUS.IL fait
aussi référence aux trois « moments » de la résolution de problème :
l’ENTREE, le PROCESSUS et le PRODUIT

ENTREE PROCESSUS PRODUIT

146
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

a) L’entrée : elle représente l’appréhension du problème par


l’enfant. On pourrait dire que c’est la façon dont le problème
passe du support utilisé (feuille de papier, manuel, tableau…) à
son cerveau.
b) Le Processus : le processus de résolution de problème est
l’ensemble des activités et opérations mentales nécessaires pour
passer de la situation initiale à la situation finale.
c) Le Produit : ou situation finale, représente ce que l’enfant a
construit en réponse à la consigne ou à la question. On pourrait
dire que c’est la « solution » du problème, mais ce terme fait trop
penser aux problèmes à solution unique et déterminée à
l’avance ; ce qui est très restrictif au regard de la diversité des
produits que l’on peut obtenir au terme d’une activité de
résolution de problème.
En somme, le raisonnement mathématique s’inscrit en droite ligne dans
les finalités formatives de la pratique de la mathématique en général qui
vise essentiellement le développement de la personnalité et plus
spécialement certaines aptitudes intellectuelles qui ont noms : goût de
l’effort, volonté, jugement et esprit critique.

147
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

LE SIENS OU LA DEFENSE D’UN CORPS EN


DELIQUESCENCE
Le syndicat des Inspecteurs et Inspectrices de l’Education nationale du
Sénégal (SIENS) auquel j’ai été membre jusqu’à une date récente, s’est
doté d’une plateforme revendicative en quatre points se résumant ainsi :
1. Amélioration du traitement salarial des Inspecteurs de l’Education,
2. Des conditions matérielles des Inspecteurs de l’Education,
3. Révision des textes fondamentaux qui, dans l’ensemble, régissent
la corporation,
4. Et enfin une meilleure prise en charge de la carrière des Inspecteurs
de l’Education.
Apparemment, quoi de plus légitime comme revendications ? Mais
n’allons pas trop vite en besogne. Examinons en détails chacun de ces
points pour identifier leurs forces et leurs faiblesses.
Pour l’amélioration du traitement salarial, la plateforme fait état de l’octroi
d’une indemnité de responsabilité particulière de 500 000 francs CFA à la
place de l’Indemnité de Contrôle et d’Encadrement Pédagogique (ICEP).
Il y est demandé aussi que l’indemnité de logement soit relevée à 200 000
francs CFA. En ce qui concerne l’ICEP, même si le plafond indiqué s’avère
correct au vu de la lourdeur des fonctions auxquelles l’inspecteur est
assujetti, cette indemnité n’est pas méritée dans la réalité actuelle du
travail effectué par les inspecteurs, corps auquel j’ai appartenu pendant
presque trente ans.
En effet, il n’est de secret pour personne que le taux d’encadrement des
maîtres reste encore très bas par rapport aux clauses du cahier des
charges des inspecteurs. Les maîtres, eux-mêmes, le disent très
clairement : « Nous ne voyons pas les inspecteurs ».
Il y a plus grave, ces maîtres qui, somme toute, sont nos subordonnés
nous perçoivent comme des incompétents. Qu’en dit Monsieur Ousmane

148
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Gueye, instituteur de son état, dans son article intitulé : « Si l’on se disait
la vérité », publié dans l’observateur n°3067 du Samedi 18 et Dimanche
19 Janvier 2014 : « les inspecteurs, ce corps, jadis de prestige est en
perte de valeur due surtout à leur pouvoir démystifié par des agents
véreux, inconscients et insouciants ». Il poursuit, plus loin en ces
termes : « ce n’est plus le croquemitaine d’hier, Monsieur l’Inspecteur,
mais plutôt, actuellement un agent traité d’incompétent, comparable à un
instituteur, férule à la main face à une nation de cancres ».
Alors, mes chers collègues, quelle hérésie a-t-on collée à notre peau ! Si
c’est cela l’inspecteur, moi, j’aurai préféré jamais être inspecteur, car on
peut tout reprocher à l’inspecteur sauf d’être incompétent !
Mais écoute, Monsieur l’Inspecteur, pouvait-on s’attendre à autre chose
que cela ? Depuis l’avènement du « Probatoire » avec la mise sur pied de
la « FASTEF », c’est la massification du corps par des gens qui portent
majestueusement le titre prestigieux d’inspecteur mais qui en réalité ne
sont, pas plus que des instituteurs améliorés.
En effet, il n’est pas rare de voir des inspecteurs faire des fautes de langue
des plus banales ou tenir des arguments aussi saugrenus les uns que les
autres, lors des débats pédagogiques avec les enseignants notamment
sur le Curriculum de l’Education de Base ainsi que d’autres innovations
dont bon nombre ne maîtrisent pas les tenants et les aboutissants. Dès
lors, quel respect, quelle considération pouvait-on attendre de ces
derniers ? Assurément, les cabris se promènent ensemble mais ils n’ont
pas le même prix. Tous les inspecteurs, heureusement, ne sont pas
dépeints de la sorte ! Ils ne sont pas tous de cet acabit.
Aussi, existe-il un autre paramètre et pas des moindres qui affaiblit ce
corps des inspecteurs : ils ne sont pas solidaires. Ils s’entre-bouffent
comme des poissons dans l’eau. Il suffit d’avoir un petit strapontin pour se
voir comme un manitou et s’employer à écraser ses propres collègues. Ce
149
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

milieu pourri est caractérisé par les coups bas, les commérages, le croc-
en-jambe et la mesquinerie. Sous ce rapport, nous devons faire
sérieusement notre introspection et nous métamorphoser si nous voulons
retrouver notre prestige d’antan. « Inspecteur Louko naxari, moromoume
Inspecteur mokokotek. »
En ce qui concerne l’indemnité de logement qui, aujourd’hui, n’est que de
100 000 franc CFA et que l’on veuille relever à 200 000 franc CFA,
reconnaissons que c’est légitime. En effet, dans quel corps de métier
alloue-t-on une indemnité de logement au même taux, de la hiérarchie C2
(Instituteur adjoint) à la hiérarchie A1 (Inspecteur) ? Il n’y a que dans le
cadre de l’enseignement que l’on voit cela. C’est inacceptable !
Si l’on observe les avantages accordés à ce titre aux fonctionnaires de
même niveau d’études, et de diplômes que nous- Magistrats,
Administrateurs civils, Inspecteurs des Impôts, des Douanes et du Trésor
– on se rend vite compte qu’ils sont mieux lotis que les Inspecteurs de
l’Education. Pourquoi ? Quelles capacités ont-ils de plus que nous ?
Quelles études ont-ils faites que nous n’avons pas suivies ? Quel rôle
positif, plus utile, jouent-ils dans la société que nous ne sommes pas à
même de jouer ? Par conséquent, ces interrogations qui nous taraudent
et dont on a pas jusqu’ici de réponses, devraient nous conduire à mener
avec détermination la lutte jusqu’au bout même si nous comptons dans
nos rangs des renégats qui se connaissent parfaitement.
Bien sûr, on nous fera encore la chanson : « Oui, c’est encore les
enseignants… » Qu’importe ! Car le propre de l’éducateur, et nous en
sommes les premiers, est de n’être jamais « satisfait », de ne jamais
s’endormir dans les situations existantes. Il est très vrai que l’homme est
un « puit d’inquiétudes » et on le savait bien avant que Péguy ne
l’annonçât solennellement. Mais, disons-nous bien qu’il est très vrai que
les satisfaits n’ont jamais fait avancer l’humanité ; que le doute intime, la
150
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

remise en question permanente de sa situation, de tout l’acquis sont au


cœur même de la pensée vivante. C’est cela qui justifie notre combat !
Que je mène personnellement, même à la retraite !
Examinons à présent, l’amélioration des conditions matérielles des
Inspecteurs de l’Education. Cette amélioration devra commencer par
l’installation correcte des Inspecteurs dans les Inspections de l’Education
et de la Formation (IEF).
La construction de nouvelles infrastructures n’a pas tenu compte, dans
leur design, du recrutement massif d’inspecteurs, ces dernières années.
La promiscuité dans les bureaux, trois ou quatre, parfois plus est une
réalité. Cette situation est encore de nature à dégrader la fonction. Aussi,
n’est-il pas rare de voir des inspecteurs emprunter les taxis clandos ou
enfourcher les motos-Djakarta. Pour un cadre de la hiérarchie A1, cela est
insupportable. Il s’y ajoute que le comportement de certains IEF qui, en
réalité ne sont que des arrivistes, des parvenus, laisse à désirer. Ils
accaparent tout et ne laissent rien à leurs collègues.
Par ailleurs, la révision de certains textes, notamment celui relatif à la
création des centres régionaux de Formation des Personnes de
l’Education (CRFPE) est une urgence. Ce texte, aussi bien dans sa lettre
que son esprit, ne cadre pas du tout avec la réalité du fonctionnement de
ces structures. Pour dire vrai, il n’y a que les élèves maîtres français et
arabes qui y sont reçus. Sont-ils les seuls personnels de l’Education ? Et
les autres, où sont-ils ? Quant à l’indemnisation des formateurs, aucun
changement n’a été noté. Elle s’effectue toujours selon l’ancienne formule
malgré le décret de 2011 (D2011-625 du 11 mai 2011). D’ailleurs, cette
indemnité-là ne se justifie pas pour les inspecteurs car ils ont déjà une
indemnité de contrôle et d’Encadrement Pédagogique (ICEP). C’est cela,
peut-être, qui motive la revendication relative à son augmentation
substantielle. L’inspecteur a bel et bien vocation à enseigner, à former. Il
151
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

a reçu une formation complète qui le prédispose à toutes les fonctions


relatives à la gestion du Système Educatif et cela à tous les niveaux. Il ne
reste qu’à bien le motiver pour qu’il soit davantage opérationnel. Ce qui
du reste, irait en droite ligne dans l’optique d’une meilleure prise en charge
de la carrière des Inspecteurs de l’Education.
Justement, à propos de cette carrière, on note une entorse grave quant à
l’attribution des postes à responsabilités (IEF et IA). Ce qui s’est passé
récemment n’est qu’une aberration. On ne peut pas fouler au pied
l’expérience et l’ancienneté si l’on cherche vraiment à atteindre l’efficacité
et l’efficience dans la gestion des problèmes de l’école ; ceux-ci, sont par
nature, complexes. Il y a lieu de revoir le profil défini et d’être plus
transparent dans la gestion des dossiers au niveau du Secrétariat général
du Ministère. Quand un dossier n’est pas retenu à l’étape de la
présélection, la moindre courtoisie voudrait que notification soit faite à
l’intéressé pour lui indiquer clairement les motifs de la disgrâce, afin qu’il
puisse se ressaisir et se préparer en conséquence à la prochaine session,
avec plus de chance de succès. L’opacité actuelle notée dans la gestion
de ces dossiers, à ce stade, n’augure rien de bon, sinon suspicion et
incertitude dans le choix définitif des responsables qui seraient mal à l’aise
dans l’exercice de leurs fonctions.

152
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Questions aux sociologues.


Plan
Introduction
I. Essai de définition
II. Objet de la pensée sociologique
III. La pensée sociologique
A) Les précurseurs
a) Auguste Comte
b) Karl Marx
c) Alexis de Tocqueville
B) La génération au tournant du XXe siècle
a) Emile Durkheim
b) Vilfredo Pareto
c) Max Weber
IV. Interpellations des sociologues contemporains sur les problèmes
sociaux actuels
Conclusion

153
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Références Bibliographiques
1. PIAGET, (jean), logique et connaissance scientifique
Sous la direction de jean Piaget
Paris, Gallimard, 1967
2. PIAGET ; (Jean), Epistémologie des sciences de l’homme
Paris, Gallimard, 1970
3. FOUCAULT, (Michel), les Mots et les choses, une archéologie des
sciences humanes
Edition ? Année ?
4. DICTIONNAIRE critique de sociologie, Paris, PUF, 1982, 2e ed revue
et augmentée
5. VERNIERE (P) , Montesquieu et l’Esprit des lois ou la raison impure
Paris , S.E.D.E.S, 1977
6. RAPHAEL, (F) , « Max Weber et le judaïsme antique » Archives
européennes de sociologie, Xl (1970) pp 297-336
7. COMTE Auguste, Sociologie textes choisis par J. Laubier, Paris, PUF,
1957, extraits du système de politique positive
8. COMTE, Auguste, Cours de philosophie positive, 5e édition evol, Paris,
Schleicher Frères éditeurs 1907-1908
9. MARX (K) et ENGELS (F) , Etudes philosophiques, nouvel ed, Paris,
ed Sociales, 1961
10. ŒUVRES complètes de KARL MARX, Paris Costes 1960
11. MARX (K), Œuvres, Bibliothèque de la Pléiade, Paris, Gallimard,
1963 Vol 1 et 2
12. TOCQUEVILLE, (Alexis), de la Démocratie en Amérique
Paris, Gallimard, 2 vol, 1856
13. TOCQUEVILLE, (Alexis), L’Ancien Régime et la révolution
Paris, Gallimard, 2 vol, 1856
14. DURKHEIM, (Emile) les règles de la méthode sociologique,
Paris ; Alcau ; PUF ; 1909
15. DURKHEIM, (Emile) Sociologie et Sciences Sociales
Paris ; Alcau ; 1909
16. PARETO, (Vilfredo), Traité de Sociologie générale
Droz Genève ; 1 vol ; 1968
17. WEBER, (Max) , Le Savant et le Politique, (Traduit J Freud) Paris,
Plon ; 1959
18. DANIEL (A) Philosophie des Sciences Tome 1 et 2
154
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

19. STŒTZEL (Jean) Psychologie sociale.


20. CHATELET (François) la Philosophie
21. JASPERS (Karl) les grands philosophes
22. ROSMODUC (Jean 25 mots chefs de la culture scientifique)
23. WALKER (Kenneth) Histoire de la médecine
24. BEDARIDA – l’école qui décolle
25. Hamon (Hervé) Tant qu’il y’aura des profs
26. LA ROCHEFOUCAULD – Maximes et réflexions diverses.
27. Russel (Bertrand) Histoire de mes idées philosophiques
28. GARAUDY (Roger) Parole d’homme
29. CARRIER (Hervé) Evangile et culture
30. FOULIN (J.N) – Psychologie de l’éducation
31. MALINOWSKI – une théorie scientifique de la culture
32. ORAISON (Marc) le hasard et la vie
33. DESCARTES (Discours de la Méthode)
34. Dubar (Claude) La crise des identités
35. PASQUA (Charles) Que demande le peuple…
36. KANT (Emmanuel) Projet de Paix perpétuelle
37. WITTGENSTEIN (Ludwig) Tractatus Logic – Philsophicus
38. KOUCHNER (Bernard) le premier qui dit la vérité
39. Minc (Alain) La grande illusion
40. GUILLEBAUD (Jean Claude) La refondation du Monde

155
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Introduction
Dès que l’on aborde en sciences humaines un problème quelconque à un
niveau suffisamment général, on se trouve à l’intérieur d’un cercle qui est
l’expression du fait que le chercheur fait lui-même partie de la société qu’il
se propose d’étudier et qui joue un rôle prépondérant dans l’élaboration
de ses catégories intellectuelles – Jean PIAGET a montré l’existence de
ce cercle sur de multiples plans et notamment dans la classification des
sciences et leur dépendance mutuelle.
C’est ce même cercle que nous rencontrons en abordant l’étude de
l’épistémologie de la sociologie, car la sociologie est une science qui se
fonde, comme toutes les autres disciplines scientifiques sur un ensemble
de catégories qui forment une structure – Ne l’oublions pas, il y’a une unité
méthodologique de la science quel que soit son domaine d’application.
Cette méthode, fondée sur l’observation méticuleuse et sans préjugés des
« faits » est non seulement valable en physique par exemple, mais aussi
dans ce que nous appelons les sciences sociales, comme la sociologie.
Mais comment épistémologiquement, cette pensée sociologique se
présente-t-elle ?
I. DEFINITION ET OBJET
Le concept de « conscience collective » est une notion opératoire qui
désigne un ensemble de consciences individuelles et leurs relations
mutuelles, il ne correspond à une réalité qui pourrait se situer en dehors
de ces consciences. Il faut avant tout éviter de fixer la société comme
abstraction par rapport aux individus. L’individu est d’essence sociale. La
vie de l’homme individuel et la vie de l’espèce ne sont pas différentes (cf
MARX, dans Manuscrit économico – philosophique, 1844)
Il est nécessaire à la sociologie d’envisager la société comme un tout,
encore que ce tout, bien distinct de la somme des individus, ne soit que
l’ensemble des rapports ou des interactions entre ces individus.
156
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Mais quelles conséquences peut-on tirer d’une telle perception ?


Tout d’abord, se convaincre que tout fait de conscience est étroitement
lié de manière immédiate ou plus ou moins médiatisée à la praxis, de
même que toute praxis est liée médiatement ou immédiatement,
explicitement ou implicitement, à une certaine structure de conscience.
Ensuite, de même que le psychologue doit concevoir la vie psychique de
l’individu comme un effort complexe vers un équilibre unitaire et difficile à
établir entre le sujet et son milieu, le sociologue doit étudier tout groupe
social comme un effort pour trouver une réponse unitaire et cohérente aux
problèmes communs du groupe par rapport à leur milieu social et naturel.
Il va de soi que pour chacun des individus, ces problèmes ne sont que le
secteur plus u moins important de sa conscience dont la totalité est reliée
à tous les autres groupes auxquels il appartient ; chaque individu est aussi
un mélange et un effort de structuration différent par rapport aux autres
membres du groupe.
Il n’en reste pas moins vrai que le sociologue peut faire abstraction de ces
différences pour dégager la réalité d’un processus commun, d’une
tendance plus ou moins contrecarrée dans chaque conscience
individuelle mais néanmoins commune à tous les membres du groupe
vers la solution cohérente d’un ensemble de problèmes.
A l’intérieur de ces constatations, valables pour tous les groupes sociaux,
certains groupes présentent un caractère privilégié tant par leur vie
consciente que par leur praxis sociale et historique. Ce sont ceux dont la
praxis est orientée vers une structuration globale de la société, c’est-à-
dire vers un certain équilibre d’ensemble entre les groupes constitutifs de
la société totale et entre celle-ci et le monde physique.
Il nous paraît aussi établi qu’au moins en ce qui concerne une très longue
période de l’histoire moderne, ce sont les classes sociales qui ont
constitué ces groupes privilégiés.
157
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Par ailleurs, la plupart des travaux concrets concernant la société depuis


Marx sont d’inspiration structuraliste génétique, c’est-à-dire, sont partis
des hypothèses mentionnées plus haut, c’est-à-dire que toute vie
physique est étroitement liée à la praxis, qu’elle se présente ensuite sur le
plan individuel comme sur le plan collectif sous la forme de réalités
dynamiques orientées vers un équilibre cohérent entre le sujet et le milieu
ambiant.
Aussi, dans sa recherche pratique, le sociologue se trouve –t-il d’emblée
devant le problème le plus difficile : celui du découpage synchronique et
diachronique de l’objet de son étude.
Car, comme nous l’avons déjà dit, toute réalité humaine est constituée par
des processus d’équilibration qui transforment le monde ambiant et se
dépassent eux-mêmes par un processus d’autorégulation en processus
d’équilibration nouvelle.
La réalité sociale est en effet beaucoup trop riche et beaucoup trop
complexe pour qu’il soit possible d’analyser l’ensemble des données
concrètes, même dans le cadre d’un objet découpé de manière plus ou
moins valable.
En sociologie, de pareilles schématisations de type « société féodale »,
« société capitaliste » ; « totémisme » ; se trouvent à la base de toutes les
recherches importantes.
C’est- à l’intérieur de ce type d’analyse qu’il faut mentionner l’importance
particulière que présente le fait de centrer la recherche sur les groupes
orientés vers une structuration globale de la société.
Des analyses du même genre pourraient sans doute être élaborées pour
une série d’évènements politiques contemporains ;
Enfin, nous voudrions clore ces considérations épistémologiques de la
sociologie par le rapport étroit que devraient entretenir une sociologie
dialectique et toute sociologie positiviste ou mécaniste.
158
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Marx qui s’en rendait parfaitement compte l’a formulé dans la troisième
« thèse sur Feuerbach » : « la doctrine matérialiste qui veut que les
hommes soient des produits des circonstances et de l’éducation…. »
Dans son ouvrage intitulé : « le Totémisme aujourd’hui » et « la pensée
sauvage », Lévi-Strauss a beaucoup insisté sur le caractère structurel de
toute pensée humaine. Il a cependant donné à ces structures un caractère
purement intellectuel, en éliminant presque entièrement le problème de
leur relation fonctionnelle avec la praxis.
Il s’est agi d’une sociologie qui, pour avoir voulu se déplacer à un point de
vue strictement objectif, a tout simplement perdu le contact avec une
grande partie de la réalité.
Dans cette perceptive, tentons de voir comment la pensée sociologique
s’est-elle manifestée chez les précurseurs que sont Auguste COMTE,
Alexis de TOCQUE ville et Karl Marx.
II. La Pensée Sociologique
a) Les fondateurs
Auguste Comte est d’abord et avant tout le sociologue de l’unité humaine
et sociale, de l’unité de l’histoire humaine .Il pousse cette conception de
l’unité jusqu’au point où finalement, la difficulté est inverse : il a peine à
retourner et à fonder la diversité.
Contrairement à Montesquieu sociologue qui est conscient de la diversité
humaine et sociale. Puisqu’il n’y a qu’un seul type de société absolument
valable, dit COMTE, toute l’humanité devra, selon sa philosophie, aboutir
à ce type de société.
Mais nous pouvons mieux saisir le mouvement de la pensée de COMTE
en revisitant même sommairement les trois étapes de sa pensée.
Il nous semble que l’on peut présenter les étapes de l’évolution
philosophique d’Auguste COMTE comme représentant les trois manières
dont est affirmée, expliquée, et justifiée la thèse de l’unité humaine. Il faut
159
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

dire que ces trois étapes sont marquées par les trois œuvres principales
d’Auguste COMTE
Opuscules de philosophie sociale : Sommaire appréciation sur
l’ensemble du passé moderne (Avril 1820)
Prospectus des travaux scientifiques nécessaires pour réorganiser
la société (Avril 1822)
Considérations philosophiques sur les sciences et les savants (Nov
– Dec 1825) . Ces trois œuvres ont marqué la première étape.
La deuxième étape est marquée ou plutôt constitue par les leçons du
« cours de philosophie positive (parue de 1830 à 1842) »
La troisième étape par le « système de politique positive » ou Traité de
sociologie instituant la religion de l’humanité (Pau de 1851 à 1854).
A la première étape dans les opuscules (republiés à la fin du tome IV du
système politique positive par Auguste Comte qui va aussi marquer l’unité
de sa pensée. La plupart des sociologues ont pour point de départ une
interprétation de l’époque à laquelle ils appartiennent. Auguste Comte est
à cet égard exemplaire. Les opuscules sont la description et
l’interprétation du moment historique que traverse la société européenne
au début du XIXe siècle.
Flétrir : (1er Sens) faire perdre sa couleur, sa forme, sa fraîcheur (une
plante ; une fleur). Exple : la sècheresse flétrit les fleurs
(2e sens) Marquer (un criminel) d’une empreinte infamante au fer
rouge – stigmatisé, vouer au déshonneur

Selon Comte, un certain type de société, caractérisé par la société


médicale avait pour ciment les deux adjectifs théologique et militaire est
en train de mourir.
160
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

La société médiévale avait pour ciment la foi transcendante interprétée


par l’église catholique. Le mode de penser théologique était contemporain
de la prédominance de l’activité militaire qui s’exprimait par le premier rang
accordé aux hommes de guerre. Un autre type de société qui naît est
scientifique au sens où la société qui meurt était théologique. Les savants
remplacent les prêtres et les théologies en tant que catégorie sociale qui
fournit la base intellectuelle et morale de l’ordre sociale.
Dans la deuxième étape celle du cours de philosophie positive les idées
directrices n’ont pas changé, mais la perspective est élargie. Dans les
opuscules Auguste Comte considère essentiellement les sociétés
contemporaines et leur passé, c’est-à-dire l’histoire de l’Europe. Il serait
facile de faire observer par un non européen, dans ses premiers
Opuscules, Auguste Comte à la naïveté de penser que l’histoire de
l’Europe comme absorbant en elle l’histoire du genre humain.
Au cours de la deuxième étape, c’est-à-dire le « cours de philosophie
positive », Auguste COMTE ne renouvelle pas ces thèmes mais il les
approfondit. Il passe en revue les diverses sciences, et il développe et
confirme les deux lois essentielles, qu’il avait d’ailleurs déjà exposées
dans les opuscules : la loi des trois états et la classification des sciences.
Selon la loi des trois états, l’esprit humain serait passé par trois états, trois
phases successives Dans la première l’esprit humain expliquent les
phénomènes en les attribuant à des êtres ou à des forces comparables à
l’homme lui-même. Dans la deuxième étape, il évoque des entités
abstraites comme la nature. Dans la troisième l’homme se borne à
observer les phénomènes et à fixer les liaisons régulières qui peuvent
exister entre eux. Il renonce à découvrir les causes des faits et se contente
d’établir les lois qui les commandent.
Que déduire d’un tel échafaudage qui part de l’âge théologique à l’âge
positif en passant par l’âge métaphysique ?
161
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Cette idée du primat du tout sur l’élément qui doit être transposée en
sociologie. Sous ce rapport, il est impossible de comprendre l’état d’un
phénomène social particulier si on ne le replace pas dans tout le social.
On ne comprend pas la situation de la religion ou la forme précise que
revêt dans une société. Mais cette priorité du tout sur l’élément ne vaut
pas seulement pour un moment artificiellement découpé du devenir
historique.
A titre d’exemple, on ne comprend l’état de la société française du début
du XIXe siècle que si l’on replace ce moment historique dans la continuité
du devenir français. La Restauration ne se comprend que par la
Révolution, et la Révolution par les siècles de régime monarchique. Le
déclin de l’esprit théologique et militaire ne s’explique pas que si l’on en
retrouve l’origine dans les siècles écoulés.
De même, qu’on ne comprend un élément du tout social qu’en considérant
ce tout lui-même, de même on ne comprend un moment de l’évolution
historique que si l’on considère le tout de l’évolution historique.
Mais en constituant à penser dans cette ligne, ou se heurte à une difficulté
évidente ; c’est que pour comprendre un moment de l’évolution de la
nation française, il faudra se référer à la totalité de l’histoire de l’espèce
humaine.
Auguste comte était un logicien, formé aux disciplines de l’Ecole
polytechnique. Puisqu’il avait posé la priorité de la synthèse sur l’analyse,
il devait conclure que la science sociale qu’il voulait fonder avait pour objet
l’histoire de l’espèce humaine ; cette histoire étant considérée comme
une ; ce qui était indispensable pour comprendre soit des fonctions
particulières de tout social, soit un moment particulier du devenir.
A la troisième étape de sa pensée, il en vient à justifier par une théorie
tout à la fois de la nature humaine et de la nature sociale cette unité de
l’histoire humaine ;
162
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Passons au deuxième grand précurseur de la pensée sociologique


➢ Karl Marx
Quelle est l’interprétation que Marx donne de son temps ? quelle est sa
théorie de l’ensemble sociale ? Quelle est sa vision de l’histoire ? Quelle
est la relation qu’il établit entre sociologie, philosophie de l’histoire et
politique ?
En tentant de répondre à ces différentes interrogations, nous pensons
arriver à saisir le mouvement de la pensée sociologique de Marx
relativement à son époque ;
Marx est d’abord et avant tout, le sociologue et l’économiste du régime
capitaliste. Il avait une théorie de ce régime, du sort qu’il infligeait aux
hommes et du devenir qu’il connaîtrait. Sociologue-économiste de ce qu’il
appelait le capitalisme. Il n’avait pas de représentation précise de ce que
serait le régime socialiste et il n’a cessé de dire que l’homme ne pourrait
pas connaître à l’avance l’avenir.
L’œuvre du penseur est immense, mais il faut se référer surtout au petit
livre classique appelé Manifeste Communiste, chef d’œuvre de la
littérature sociologique de propagande.
A partir de 1848, et jusqu’à la fin de ses jours, Marx a cessé apparemment
d’être un philosophe, il est devenu un sociologue et surtout un économiste.
C’est pourquoi, nous pensons que l’analyse socio-économique du
capitalisme tel que vu par le sociologue MARX a sa place dans le cadre
de cet exposé : « questions aux sociologues »
La pensée de MARX est une analyse et une compréhension de la société
capitaliste dans son fonctionnement. En effet, toutes les sociétés ayant
été divisées en classes ennemies, la société capitaliste ne diffère pas en
un sens de celles qui l’ont précédée. Elle présente cependant certaines
caractéristiques sans précèdent.

163
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Tout d’abord, la bourgeoisie, la classe dominante, est incapable de


maintenir son régime sans révolutionner en permanence les instruments
de production. « La bourgeoisie ne peut exister, écrit MARX, sans
bouleverser constamment les instruments de production, donc les
rapports de production, donc l’ensemble des conditions sociales. Au
contraire, la première condition d’existence de toutes les classes
industrielles antérieures était de conserver inchangé l’ancien mode de
production. Au cours de sa domination de classe à peine séculaire, la
bourgeoisie a créé des forces productives plus massives, plus colossales
que ne l’avaient fait dans le passé toutes les générations antérieures dans
leur ensemble.
C’est justement ce qui va expliquer la différence de nature de toutes les
révolutions du passé. Toutes les révolutions du passé étaient faites par
des minorités au profit des minorités. La révolution du prolétariat sera faite
par l’immense majorité au profit de tous. La révolution prolétarienne
marquera donc la fin des classes et de caractère antagoniste de la société
de classe.
A partir de ces thèmes marxistes majeurs que nous avons trouvé dans le
Manifeste Communiste, nous pouvons toutes d’expliquer un peu sa
théorie générale de la société.
Marx lui-même, dans le texte qui est peut-être le plus célèbre de tous ceux
qu’il a écrit, a résumé sa conception sociologique d’ensemble dans la
préface à la « contribution, à la critique de l’économie politique » publié à
BERLIN en 1859, il s’exprime aussi ; « voici, en peu de mots, le résultat
général auquel j’arriverai et qui, une fois obtenu, me servit de fil
conducteur dans mes études. Dans la production sociale de leur
existence, les hommes nouent des rapports déterminés, nécessaires,
indépendants de leur volonté ; ces rapports de production correspondent
à un degré donné du développement de leurs forces productives
164
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

matérielles. L’ensemble de ces rapports forment la structure économique


de la société, la fondation réelle sur laquelle s’élève un édifice juridique et
politique, et à quoi répondent de formes déterminées de la conscience
sociale… » Cf. contribution à la critique de l’économie politique, Avant-
propos, œuvres, tome I page 272-275.
On trouve dans ce passage toutes les idées essentielles de l’interprétation
économique de l’histoire, avec la seule réserve que ni la notion de classes
ni le concept de luttes de classes n’y figurent explicitement. Cependant, il
est facile de les introduire dans cette conception générale.
Pour clore donc le chapitre sur la sociologie de MARX, nous disons tout
simplement, au moins sous sa forme prophétique, elle suppose la
réduction de l’ordre politique, c’est-à-dire le dépérissement de l’Etat à
partir du moment où s’impose la propriété collective des instruments de
production et la planification. Mais l’ordre de la politique est
essentiellement irréductible à l’ordre de l’économie. Quel que soit le
régime économique et social, le problème politique subsistera, parce qu’il
consiste à déterminer qui gouverne, comment sont recrutés les
gouvernants, comment est exercé le pouvoir, quelle est la relation de
consentement ou de révolte entre les gouvernants et les gouvernés.
L’ordre du politique est aussi essentiel et autonome que l’ordre de
l’économie. Ces deux ordres sont en relations réciproques.
Que nous propose ALEXIS DE TOCQUEVILLE ?
Tocqueville ne figure pas d’ordinaire parmi les inspirateurs de la pensée
sociologique. Cette méconnaissance d’une œuvre importante nous parait
injuste. A la différence d’Auguste Comte et Marx qui s’accordaient pour
insister sur les traits génériques de toute société, soit industrielle, soit
capitaliste, en sous-estimant la marge de variation que comporte la
société industrielle ou le régime capitaliste, Tocqueville constate certains
caractères liés à l’essence de toute société moderne ou démocratique,
165
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

mais il ajoute qu’à partir de ces fondements, il y’a une pluralité de régimes
politiques possibles.
Les sociétés démocratiques peuvent être libérales ou politiques. Elles
peuvent et doivent prendre des caractères différents aux Etats Unis ou en
Europe, en Allemagne ou en France, Au Sénégal ou Nigéria. Tocqueville
est par excellence, le sociologue comparatiste, qui essaie de dégager ce
qui est important, par confrontation des espèces de sociétés appartenant
à un même genre ou à un même type.
Si Tocqueville qui, dans les pays anglo-saxons est considéré comme un
des plus grands penseurs politiques, l’égal de MONTESQUIEU au XVIIIe
siècle n’a, en France, jamais été retenu par les sociologues, c’est que
l’école moderne de DURKHEIM est sortie de l’œuvre d’Auguste Comte.
De ce fait, les sociologues français ont mis l’accent sur les phénomènes
de structure sociale aux dépens des phénomènes d’institutions politiques.
Probablement, pour ce motif, Tocqueville n’a pas figuré au nombre de
ceux qui étaient considérés comme des maîtres.
A propos de la DEMOCRATIE et de la LIBERTE, Tocqueville a écrit deux
livres principaux, « la démocratie en Amérique et l’Ancien Régime et la
Révolution, il veut répondre à la question ! Pourquoi la France a-t-elle tant
de peine dans le cours d’une évolution vers la démocratie à maintenir un
régime politique de liberté ?
Il faut donc au point de départ définir la notion de démocratie ou de société
démocratique, qui se trouve un peu partout dans les œuvres de
Tocqueville, de même que nous avons défini la notion de société
industrielle chez Auguste Comte ou celle de capitalisme chez MARX.
Or, en fait cette tâche ne va pas sans quelque difficulté, et l’on a pu dire
que Tocqueville employait constamment l’expression sans la définir
jamais avec vigueur.

166
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Le plus souvent, il emploie le mot pour désigner un certain type de pouvoir.


Ecoutons cet extrait de son ouvrage de « la Démocratie en Amérique »,
tout à fait révélateur de la manière de Tocqueville : « S’il vous semble utile
de détourner l’activité intellectuelle et morale de l’homme sur les
nécessités de la vie matérielle, et de l’employer à produire le bien-être ; si
la raison vous paraît plus profitable aux hommes que le génie ; si votre
objet n’est point de créer des vertus héroïques, mais des habitudes
paisibles ; si vous aimez mieux voir des vices que des crimes et préférez
trouver moins de grandes actions à la condition de rencontrer moins de
forfaits, si , au lieu d’agir dans le sein d’une société brillante, il vous suffit
de vivre au milieu d’une société prospère ; si ; enfin ; l’objet principal du
gouvernement n’est point , suivant vous, de donner au corps entier de la
nation le plus de force ou de plus de gloire possible, mais de procurer à
chacun des individus qui le composent le plus de bien-être, et de lui éviter
le plus de misère ; alors égalisez les conditions, et constituez le
gouvernement de la démocratie … ».cf La Démocratie en Amérique, tome
I, 1er volume, page 256.
Cet extrait, fort éloquent, plein d’antithèse rhétorique est caractéristique
du style, de l’écriture et nous dirons même du fond de la pensée de
Tocqueville. A ses yeux, la démocratie est l’égalisation des conditions. Est
démocratique, la société où ne subsistent plus les distinctions des ordres
et des classes où tous les individus qui composent la collectivité sont
socialement égaux, ce qui ne signifie d’ailleurs pas intellectuellement
égaux, ce qui serait absurde, ni économiquement égaux, ce qui, d’après
Tocqueville serait impossible.
L’égalité sociale signifie qu’il n’y a pas de différence héréditaire de
conditions et que toutes les occupations, toutes les professions, toutes les
dignités, tous les hommes sont accessibles à tous. Sont donc impliquées

167
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

dans l’idée de démocratie, à la fois l’égalité sociale et la tendance à


l’uniformité des modes et niveaux de vie.
Dès lors, dans la vision sociologique de Tocqueville, les inégalités de
richesse, si accentuées puissent-elles être, ne sont pas contradictoires
avec l’égalité fondamentales des conditions, caractéristiques des sociétés
modernes.
Au total, Auguste COMTE, Alexis de TOCQUEVILLE et Karl MARX ont
été les sociologues ayant marqué la révolution de 1848.
Mais quels ont été ceux qui ont émergé au tournant du siècle.
Nous en retenons trois principalement : EMILE DURKHEIM ;
VILFREDO PARETO et MAX WEBER.
b) Les sociologues du milieu du XXe siècle
 EMILE DURKHEIM :
Ce survol de la pensée de DURKHEIM sera essentiellement centré sur un
de ses principaux livres : « De la division du travail social publié en
1893.C’est la thèse de doctorat qu’il a publié comme son premier grand
livre. C’est aussi celui dans lequel l’influence d’Auguste Comte est la plus
nette. Le thème de ce livre est le thème central de la pensée
Durkheimienne – celui de la relation entre les individus et la société.
Comment une collection d’individus peut-elle constituer une société ?
Comment ceux-ci peuvent-ils réaliser cette condition de l’existence sociale
qui est un consensus ?
A cette question fondamentale, Durkheim répond par la distinction entre
deux formes de solidarité. La solidarité dite mécanique et la solidarité dite
organique.
La solidarité mécanique est une solidarité par similitude. Quand cette
forme de solidarité domine une société, les individus différents peu les uns
des autres. Membres d’une même collectivité, ils se ressemblent parce
qu’ils éprouvent les mêmes sentiments, parce qu’ils adhèrent aux mêmes
168
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

valeurs, parce qu’ils reconnaissent le même sacré. La société est


cohérente parce que les individus ne se sont pas encore différenciés.
La forme opposée de solidarité, dite organique, est celle dans laquelle le
consensus, c’est-à-dire l’unité cohérente de la collectivité résulte de, ou
s’exprime par, la différenciation. Les individus ne sont plus semblables
mais différents – et d’une certaine façon, c’est parce qu’ils sont différents
que le consensus se réalise.
Durkheim appelle organique une solidarité fondée sur la différenciation
des individus par analogie avec les organes des êtres vivants qui
remplissent chacun une fonction propre et, ne se ressemblant pas, sont
tous cependant également indispensables à la vie.
L’opposition de ces deux formes de solidarité se combine avec l’opposition
entre les sociétés segmentaires et les sociétés ou apparaît la division
moderne du travail. En un sens, une société à solidarité mécanique est
aussi une société segmentaire.
Mais la définition de ces deux notions n’est toutefois pas exactement la
même.
Dans le vocabulaire de Durkheim, un segment désigne un groupe social
dans lequel les individus sont étroitement intègres. Mais le segment est
aussi un groupe localement situé, relativement isolé des autres et menant
une vie propre.
Cette idée se trouve exprimée dans un passage curieux où Durkheim écrit
que l’Angleterre, bien qu’elle comporte une industrie moderne très
développée et, de ce fait, une division économique du travail, a conservé
le type segmentaire et le système alvéolaire, plus que d’autres sociétés
où pourtant la division économique du travail est moins poussée.
Durkheim voit la preuve de cette survivance de la structure segmentaire
dans le maintien des autonomies locales et dans la force de la tradition.

169
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

De cette analyse, Durkheim déduit une idée qu’il a maintenue toute sa vie
et qui est aussi au centre de toute sa sociologie, celle qui veut que
l’individu naisse de la société et non pas la société des individus.
 Qu’en est-il de VILFREDO PARETO ?
Apres avoir étudié la nature de l’homme social, PARETO passe à l’analyse
du fonctionnement de la société prise dans son ensemble. Cet effort de
synthèse sociologique correspond aux trois derniers chapitres du « traité
de sociologie générale » : « Propriétés des résidus et des dérivations » ;
« Forme générale de la société » ; « l’équilibre social dans l’histoire ».
Pareto a été influencé, à une certaine époque de sa vie par le darwinisme
social, c’est-à-dire par les idées de lutte pour la vie et de la sélection
naturelle appliquées aux sociétés humaines. Il a été tenté d’expliquer les
luttes entre les classes et les sociétés par la lutte pour la vie, ceux qui
survivent ou l’emportent étant les mieux doués.
Pareto précise ailleurs qu’il est possible de concevoir dans l’abstrait deux
« types extrêmes » de sociétés :
1) Une société où agissent exclusivement les sentiments, sans
raisonnements d’aucun genre. Très probablement les sociétés
animales se rapprochent beaucoup de ce genre.
2) Une société où agissent exclusivement les raisonnements logico-
expérimentaux ».
Alvéolaire : des alvéoles – ex : gaz alvéolaire – contenu dans les
alvéoles pulmonaires intermédiaires entre l’air et le sang.se dit d’un
article au niveau des alvéoles des dents d’en haut. Dans le texte alvéole
signifie tout simplement sectaire.

La « société humaine », ajoute alors l’auteur du « traité de sociologie


générale, se trouve en un état intermédiaire des deux types indiqués.

170
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

« Le traite de sociologie générale », et de façon plus générale, l’œuvre


sociologique de Pareto, débouche donc sur un diagnostic porté sur les
sociétés dites démocratiques que lui-même appelle d’ailleurs Pluto-
démocratiques, afin de rappeler que la caractéristique en est la liaison
entre la classe politique, ou élite au sens étroit du terme, et les cadres
dirigeants de l’individu et de la finance. Selon Pareto, ces régimes
Pluto-démocratiques sont gouvernés par des élites utilisant la ruse de
préférence à la force. PARETO constate d’autre part le développement
des idéologies humanitaristes et en estime l’excès dangereux pour
l’équilibre social. Enfin il note l’expansion progressive de la gestion
administrative de l’économie et de resserrement corrélatif du domaine
de l’initiative privée et des mécanismes du marché. Il vit les sociétés
occidentales évoluer, comme la société romaine du Bas-Empire, vers
la cristallisation bureaucratique.
Bouclons ce long périple des précurseurs de la pensée sociologique
ainsi que de leurs continuateurs s’ils ne sont pas purement et
simplement leurs disciples, par MAX WEBER.
L’œuvre de MAX WEBER est considérable et diverse. Sommairement,
on peut ranger les travaux de MAX WEBER en quatre catégories.
1) Les études de méthodologie, de critique et de philosophie
2) Les ouvrages proprement historiques
3) Les travaux de sociologie et de religion
4) Enfin, l’œuvre maitresse, le traité de sociologie générale dont le titre
est économie et société.
Il est impossible de résumer cette œuvre d’une richesse exceptionnelle en
quelques pages. Tentons cependant d’investir quelque peu sa pensée
sociologique à travers son traité de sociologie générale.
MAX WEBER, comme Pareto, tient la sociologie pour une science de la
conduite humaine, dans la mesure où celle-ci est sociale. WEBER étudie
171
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

les conduites sociales, met l’accent sur le concept de signification vécue


ou de sens subjectif. Son ambition est de comprendre comment les
hommes ont pu vivre dans des sociétés diverses, en fonction des
croyances différentes, comment, selon les siècles, ils se sont consacrés à
une activité ou à une autre, mettant leurs espoirs tantôt dans l’autre monde
et tantôt dans celui-ci, obsèdes tantôt par leur salut et tantôt par la
croissance économique.
Chaque société a sa culture, au sens que les sociologues américains
donnent à ce terme, c’est-à-dire un système de croyance et de valeurs.
Le sociologue s’efforce de comprendre comment les hommes ont vécu
aussi d’innombrables formes d’existence qui ne sont intelligibles qu’à la
lumière du système propre de croyances et du savoir de la société
considérée.
Sous ce rapport, MAX WEBER considère par exemple ; il n’y a pas un
capitalisme mais des capitalismes. Autrement dit, toute société capitaliste
présente des singularités qui ne se retrouvent pas telles quelles dans les
autres sociétés de même type.
Le capitalisme selon Max WEBER se définit par l’existence d’entreprise
(betrieb) dont le but est de faire le maximum de profit et dont le moyen est
l’organisation rationnelle du travail et de la production.
Plus qu’Emile DURKHEIM ou Vilfredo PARETO, MAX WEBER est encore
notre contemporain. Pourquoi MAX WEBER, plus d’un demi-siècle, après
sa mort, éveille-t-il encore tant de passion ? Est-ce à cause de son œuvre
ou bien à cause de sa personnalité ?
En tout cas, la tentative Wébérienne pour analyser la structure de l’action
sociale, pour élaborer une typologie des conduites. Pour comparer les
systèmes religieux, économiques, politiques, sociaux, si critiquable qu’elle
nous paraisse en certaines de ses méthodes et de ses résultats, est
encore de notre temps.
172
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Comme on le voit, en interrogeant, en questionnant, en persécutant ces


différents sociologues sur le rôle, la préoccupation qui ont été les leur tout
au long de leur existence, ils n’ont puisé la réponse ou les réponses nulle
part ailleurs sinon sur les grands problèmes, de nature diverse, qui ont
marqué leur époque. Dès lors, ne serions-nous pas dans une légitime
doléance de réclamer des sociologues actuels, une réflexion, une quête
plus percutante des problèmes sociologiques contemporains.
4. interprétation des sociologues contemporains sur les problèmes
sociologiques actuels
A la lumière des grands penseurs de la sociologie moderne, les
sociologues de notre temps, sous le label « Penser local, Agir global »
devraient arriver à fournir des réponses, même provisoires, aux grands
défis sociologiques qui marquent l’évolution des sociétés contemporaines
en ce siècle finissant – Défis qui ont nom= démocratie ; justice sociale,
fracture sociale, pauvreté, presse à la dérive etc… La liste n’est pas
exhaustive.
Nous voilà donc échoué devant une amphibologie fondamentale pour
paraphraser notre formateur en épistémologie. Amadou Tidiane TALLA
dans son cours du 14-01-1999 car au moment où nous pensions que
l’analyse qui précède nous avait fourni les ressources nécessaires aux
questions aux sociologues ; ou se rend compte que les questions qui
interpellent notre époque se posent avec beaucoup plus d’acuité.
Pour tenter de sortir de cette ambiguïté, il nous faut nous adresser aux
sociologues de notre temps – du pain sur la planche pour des hommes de
bonne volonté.
A propos de la DEMOCRATIE, qu’advient-il de cette même démocratie et
de la bonne gouvernance que l’on brandit en face des petits pays dits en
voie de développement avant tout accord de coopération ou d’aide quand
la logique du marché ou des affaires prédomine sur celle des droits
173
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

humains ? Questions entre autres spécialistes mais aussi aux


sociologues !
Aussi, singularité de notre temps. L’Afrique au Sud du Sahara fait
l’expérience depuis les années 80 d’un double mouvement de
libéralisation économique et de libéralisation politique pour les plus
pessimistes et de transition démocratique, pour les plus euphoriques. Ce
double mouvement est justiciable d’un double questionnement qui tente
de rendre compte de manière différente la situation africaine. On a d’une
part la lecture proposée par les chercheurs et d’autre part celle des
politiciens, des responsables d’agence de financement international et de
bailleurs de fonds. La préoccupation commune qui guide ces réflexions et
prescriptions est la suivante : comment réduire les écarts économiques,
politiques, sociaux et culturels entre l’Afrique et l’occident développé ?
Question qui interpelle entre autres spécialistes, les sociologues.
❖ A l’heure de la Mondialisation et de la globalisation, après la chute
du mur de Berlin en Décembre 1989 et la publication de l’ouvrage
de Francis FUKUYAMA sur la « fin de l’Histoire ». est-ce la fin de
l’histoire de la pensée économique sur le développement et le
triomphe définitif du néo-libéralisme ? Question aux sociologues !
❖ La mondialisation a été aussi le révélateur d’un processus depuis
longtemps engagé : le déclin de l’état comme structure exclusive de
toute organisation politique. Annonce-t-elle pour autant sa
disparition ? Question aux sociologues !
❖ Quant à la presse, devenue acteur économique, est contrainte de
concilier de plus en plus information et profit. Ce qui n’est pas sans
poser des problèmes éthiques sinon de réelle moralité- un certain
public devient de plus en plus méfiant à l’égard des réseaux
communicationnels – D’aucuns se pensent la question de savoir
jusqu’où peut-on concilier la question relative à la rigueur de
174
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

l’information et recherche du profit – jusqu’où ne faut-il pas aller ?


Question au sociologue !
❖ Il est temps de clore ! Oh que dis-je ! Peut-on clore un sujet aussi
vaste que celui de la question aux sociologues. Le terme conclure
ne convient-il pas ici le mieux. Empruntons la conclusion à Jean
JAURES, fondateur du parti socialiste français, homme de culture et
grand orateur, harmonie rare, de beauté, d’élégance, de talent et de
profondeur dans la pensée comme celle-ci : « Ce n’est pas
seulement par la force des choses que s’accomplira le progrès
social c’est par la force des hommes, l’histoire ne dispensera jamais
les hommes de la vaillance et de la noblesse individuelle. »

175
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Et si l’on revoyait les comportements !


Comme tous les soirs, à 20h, j’arpentais la Nationale 1 ; dans le cadre du
respect rigoureux d’une hygiène de vie reposant sur le triptyque, selon les
spécialistes –Sommeil, alimentation, activité physique régulière – quand,
sur mon trottoir se dressa un amoncellement de motos jakarta, qui en
marche qui en panne. Mon chemin était complètement bouché. La
circulation, de ce 25 Décembre, particulièrement dense, je n’osais pas
poser pied sur la chaussée.
Je décidais de m’adresser, sur un ton courtois mais ferme, au responsable
de l’atelier, sur les désagréments que cette situation occasionnait aux
piétons, pour qui, les trottoirs étaient installés. Pour toute réponse, il me
répliqua ceci : « Fii Sénégal la, lu nééx way def » ; « c’est le Sénégal
chacun fait ce qu’il veut ! ». Incroyable mais vrai ! Voilà des genres de
comportements qui ne nous mènent nulle part. Qui osait tenir un tel
langage du temps de Mamadou Dia ? Qui osait tenir un tel langage en
Gambie, du temps de Yaya Diamé ? Qui ose, à présent tenir de tels
propos au Rwanda avec Paul Kagamé ? Trop c’est trop ! Il est temps que
nos gouvernants se ressaisissent et soient plus punitifs à l’égard des
comportements de cet acabit ! Sinon où va la République ? C’est à croire
que c’est le déclin des croyances religieuses, de l’effondrement des
anciens repères. Ce que certains sociologues appellent la
désinstitutionalisation est bien plus qu’un brouillage des repères et un
éclatement des références socioculturelles.
Aussi, s’agit-il d’une véritable crise du lien social qui se manifeste d’abord
par la montée des incivilités, des actes de délinquance et du sentiment
d’insécurité – violence sous toutes ses formes, notée dans notre pays, ces
derniers temps – c’est ce que Sébastien Roché (1996) appelle « la société
incivile » et qu’il définit comme « une rupture de l’ordre en public, dans la

176
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

vie de tous les jours, de ce que les gens ordinaires considèrent comme la
loi ».
Il cite, pêle-mêle : « les dégradations, les odeurs, les bruits, les vitres
brisées, les impolitesses de tout genre, les insultes en public, les actes de
vandalisme, les sacs arrachés, l’occupation illégale de la voie publique,
les entraves à la circulation, les voitures brulées. » Bref, des actes
manifestant une véritable « crise du lien civil ».
Il s’agit, ni plus ni moins, d’une régression du processus de civilisation !
« waaw, nitt ku civilisé du wax yène yi, du ko def ». – qui se manifeste par
des manquements systématiques au « code des relations entre les
personnes ».
« La société incivile » constitue, à n’en point douter, une menace,
génératrice d’un sentiment d’insécurité « pour soi, pour le corps propre,
mais aussi pour le corps social, l’identité sociale des individus ».
Cette dimension identitaire de l’incivilité serait selon Roché, à relier à
l’envahissement d’un sentiment de peur exprimant « l’impossibilité de
vivre ensemble, de se faire confiance, de respecter les droits ». Bref, un
danger social et un risque personnel qui mettrait en cause les règles
mêmes de la vie sociétaire- « Lu nééx way def » selon mon interlocuteur
– en jetant le doute sur la possibilité de ce lien social.
Aujourd’hui, toutes les analyses des statistiques de délinquance,
criminalité, délit… s’accordent à reconnaitre que la montée des indicateurs
– infractions pénales, atteintes aux personnes et aux biens, plaintes
enregistrées – ne date pas de la crise économique des années 70 mais
bien des années 50 et qu’elle ne peut donc simplement être imputée à la
« montée des frustrations causées par la difficulté de gagner de l’argent.
Ce phénomène est ancien.
Il a cependant pris de l’ampleur avec l’explosion démographique. C’est un
véritable problème d’éducation qui se pose ici ! Le fait de ne pas occuper
177
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

une place dans la société ou de ne pas grimper dans l’échelle sociale,


justifie-t-il certains comportements déviants ?
De toute façon, osons le dire, les questions d’insécurité ont nettement
envahi la société sénégalaise – les violences y sont monnaie courante.
Pour un oui ou pour un non, on tue. Où allons-nous ? Où sont les
croyances religieuses ? Où sont nos valeurs ancestrales ?
Il est impossible de ne pas relier cette sorte de « cercle vicieux de la
sensibilité civile » à des évolutions lourdes du rapport à l’autorité que l’on
démythifie et démystifie de plus en plus ; aux valeurs désuètes et à la
norme fourvoyée !
Encore faut-il être prudent et bien prendre la mesure des divers facteurs
de ce processus qui touche à la fois le rapport des individus aux
institutions et le rapport des différents groupes d’âges (mak mu rew), de
classe (xalé bu amul yar), de niveau (ku jangam soriwul), de lieu,
d’habitation … entre eux. Si ces questions ont bien à voir avec une crise
des identités, c’est dans un sens particulier qui mérite bien des
éclaircissements et c’est là où les intellectuels sont attendus.
En attendant, un premier constat des plus éclairants me paraît être celui-
ci : « le rapport aux normes sociales et morales est devenu très différent
selon les générations. Ainsi, lorsqu’on demande à un échantillon de
Sénégalais de tous âges s’il est grave de voler un petit commerçant, bon
nombre répondent négativement. L’âge est la variable la plus corrélée aux
opinions sur les normes. Stœtzel, le géant de la psychologie sociale, en
1983, dans son commentaire d’une enquête sur les valeurs en Europe
écrivait ceci : « les certitudes morales sont en train de s’effondrer, chez
les jeunes, les normes sont désacralisées. » C’est exactement, ce que
nous observons au Sénégal en 2022 ! Déjà les différences d’opinions
entre générations étaient hautement perceptibles : elles n’ont fait que

178
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

s’approfondir au point que beaucoup de sociologues ou experts parlent


aujourd’hui de « fracture ».
Par ailleurs, la délégation passive et massive des citoyens à l’Etat n’a fait
que croitre depuis, déjà, plusieurs années. Mais que fait la police ? Cette
interrogation pourrait servir de slogan à toute campagne sur l’insécurité.
Lorsqu’on s’approche des victimes ou des témoins d’infractions ou
d’incivilités, on constate le même type dominant de réaction : « on n’est
pas protégés », « ce n’est pas à nous de faire la police », « moi, que
voulez-vous que je fasse ? » etc. Les citoyens n’ont plus confiance en leur
police.
Quant aux inégalités sociales et les situations de précarité et de misère,
tout le monde sait qu’elles ont progressé malgré l’instauration de bourses
de sécurité familiale. Ces situations se concentrent dans certains milieux
qui sont de plus en plus stigmatisées – quartiers pauvres, de relégation,
etc., où les jeunes sont confrontés à l’échec scolaire, au chômage, à la
« galère ».
En fait, ils sont déchirés entre leur milieu et la société sénégalaise de plus
en plus matérialiste. Et les manifestations de « petite délinquance » sont
des expressions de ces rapports sociaux d’exclusion, d’envie et de
malaise identitaire lié au chômage prolongé, à l’exclusion scolaire.
L’identité citoyenne est devenue problématique incertaine, conflictuelle.
Les brouillages de repères, les pertes de référence symbolique ne font
qu’accentuer le processus. Chaque famille, chaque individu doit gérer
pour son propre compte cette mutation des rapports aux valeurs, aux
normes et aux règles de la vie commune.
En définitive, être citoyen ne peut pas signifier attendre passivement que
l’Etat prenne en charge tous les problèmes, qu’il vous accorde tout ce
auquel vous avez droit – prestations sociales, emplois, sécurité, école, etc.
– sans jamais remplir aucun devoir volontairement assumé.
179
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Mais cette réciprocité suppose qu’on puisse donner un sens à son


engagement citoyen ou solidaire, qu’on puisse relier ses projets
personnels à un projet collectif. Or celui-ci n’est-il pas affaibli, voire en
panne, dans la société sénégalaise ? Les débouchés après un cycle de
formation, de plus en plus rares l’illustrent parfaitement. Est-ce une raison
d’avoir certains comportements ? Bien sûr que non !

180
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Révolution Scientifique
Quand, en 1988, l’année de mon admission au concours de recrutement
des élèves inspecteurs-Adjoint C.R.E.I.A, mon Groupe de travail et moi,
avions l’ambition d’aller au-delà des ouvrages à caractère scientifique,
inscrits au programme de l’époque.
Aussi, dans le cadre de la préparation active de l’épreuve d’épistémologie,
en sus de l’ouvrage de l’Américain KUHN T.S intitulé « La Structure des
révolutions scientifiques », avions-nous consenti, quoique lourd, la lecture
d’autres ouvrages scientifiques pour un approfondissement de nos
connaissances en la matière.
Ce qui fut fait. Le travail supplémentaire nous avait permis de mettre le
maximum de chance à nos côtés pour espérer réussir l’épreuve de culture
générale d’un concours qui, sans conteste, était particulièrement sélectif.
C’est dire donc, que c’est l’ensemble de la culture que nous avions
engrangée à l’issue de ce travail harassant, dont je compte, ici, dans le
cadre de cet article, faire l’économie, à l’intention des candidats au
probatoire actuel, en guise de modeste contribution de ma part. Le
développement sera essentiellement axé sur le concept de Révolution
Scientifique. Pour y parvenir les points suivants seront développés :
➢ Que sont les sciences ?
➢ L’obstacle de la perception première
➢ Les modèles et paradigmes
➢ Une révolution scientifique globale.
Nous terminons par une bibliographie indicative pour qu’une fois la « porte
d’entrée » ouverte, le lecteur puisse, dans le domaine qui l’intéresse plus
particulièrement, poursuivre l’édification de sa culture scientifique
amorcée par le présent article.

181
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

La science ne constitue pas une description et une explication exacte de


la réalité, mais une représentation que les êtres humains construisent par
le raisonnement, à partir de leurs perceptions.
La représentation spontanée que l’individu se forme initialement est
rarement conforme à l’explication scientifique qu’il devra assimiler par la
suite. Cette représentation initiale est souvent un obstacle dont il lui faudra
s’affranchir, sans jamais y parvenir totalement.
Pour rendre compte des propriétés d’une catégorie de l’univers matériel,
la communauté scientifique se construit un modèle, opératoire et efficace
dans des limites précises.
Quand son domaine de validité est dépassé, quand des contradictoires
insurmontables apparaissent, un autre modèle est nécessaire, la rupture
est importante, le passage de l’un à l’autre se traduit par une révolution
scientifique, d’amplitude variable. L’exemple type d’une révolution globale
est la révolution copernicienne (1543- fin du XVIIe siècle).
Certains auteurs (L’Américain T.S KUHN, par exemple), utilisent des
concepts différents, notamment celui de paradigme emprunté à la
linguistique.
La représentation de l’évolution des sciences qui est retenue aujourd’hui
est celle d’un progrès parfois continu, coupé par des mutations
périodiques. Il s’agit, bien sûr, de la thèse épistémologique actuellement
la plus répandue pour décrire l’évolution des idées scientifiques. Ce n’est
pas une loi établie, ni de l’histoire, ni- encore moins – de la nature.
Le public contemporain, inondé d’informations par des médias souvent à
la recherche de sensationnel, n’est plus étonné d’apprendre telle
découverte ou telle innovation technologique extraordinaire.
Par ailleurs, le terme « révolution » est galvaudé au point d’être
complètement affadi. Ce qui nous intéresse ici n’est pas, cependant, de

182
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

savoir si les sciences progressent grâce à une succession de


« découverte » et s’il en a toujours été aussi.
Il suffit d’ailleurs de jeter un coup d’œil sur des tableaux chronologiques
qui figurent à la fin d’un ouvrage sur l’histoire des sciences, pour constater
que le processus n’est pas aussi simple.
Pour peu que l’on soit à même de juger de l’importance des différents
évènements, on voit rapidement que certains d’entre eux sont plus
marquants, plus « révolutionnaires » que d’autres.
Les objectifs de cet article sont de préciser ce que sont les sciences – ce
qui n’est pas aussi évident qu’il peut paraitre au premier abord – et
comment elles changent.
Il y’a eu, au début du présent siècle et à propos de l’histoire des sciences,
deux thèses opposées : celle des continuistes et celle des
discontinuistes.
La première dont le représentant le plus éminent était le physico-chimiste
français PIERRE DUHEM – prétendait que les secteurs progressent grâce
à une accumulation de travailles et de théories successives sans que ce
processus connaisse des ruptures.
La seconde dont les partisans sont A. KOYRE, PAUL LANGEVIN,
GASTON BACHELARD et tous les historiens des sciences d’inspiration
marxiste pensaient que les transformations se produisent par des
accumulations régulières, séparées par des mutations brutales,
d’ampleurs et d’importances différentes. Il n’y a plus guère de défenseurs
des idées de Pierre Duhen . De la même façon personne ne prétend plus
que les sciences évoluent en vase clos, sans interaction avec l’histoire
des sociétés.
Que sont les sciences ?
Au XIXe siècle, s’est constituée, s’inspirant pour partie de la philosophie
des lumières du XVIIIe siècle une idéologie – le SCIENTISME dont les
183
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

chantres ont souvent été, notamment en France, les disciples du


philosophe Auguste Conte (les positivistes) .Parmi ses inspirateurs
figurent aussi Saint-Simon (dont comte fut d’ailleurs, le secrétaire), auteur
du « système industriel», dans lequel il prônait l’avènement d’un
capitalisme harmonieux, où s’uniraient les forces du capital et celles du
travail.
En France, le courant scientiste, porté par la bourgeoisie triomphante,
rassemblait des intellectuels très influents comme Ernest Renan, Littré
etc.
En résumant sa doctrine, ou peut la réduire à une phrase : Les sciences
et leurs applications technologiques sont capables de tout
résoudre ; cela conduit, en fait, à une religion où la science remplace
Dieu, mais une science que l’on a privée de l’esprit critique qui en fait la
force.
Une science à laquelle on a, en même temps imposé des limitations assez
étroites. Elle doit, par exemple, expliquer les processus en évitant de
s’interroger sur leurs causes. Et, pour reprendre donc une formule de
Renan. « Elle est indépendante de toute forme sociale », donc de la
société.
Le but de la science ainsi conçue est de « dire le vrai ». Elle permet tout,
y compris de gouvernement. La forme du capitalisme de la fin du XIXe
siècle et du début du XXe siècle (le taylorisme en est une composante
idéologique marquante) l’a associée, sur le plan économique et social,
à un productivisme industriel sans frein, dont le tiers monde paie
aujourd’hui les frais ainsi que l’environnement dans les pays industrialisés.
Influencés comme les autres, les groupes et les mouvements d’opposition
ont été aussi scientiste et productiviste que leurs adversaires.
Les applications militaires monstrueuses du XXe siècle, plusieurs
catastrophes (l’Amoco-Cadiz, Bhopal, Tchernobyl…) ont amené
184
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

quelques interrogations mais le scientisme existe et subsiste toujours,


même s’il prend des formes plus subtiles que précédemment.
Pour définir les sciences, il serait justifié de généraliser les définitions que
Max Planck (père de l’hypothèse quantique) appliquait à la physique. Il
écrivait : « il existe trois mondes ; le monde réel, présent
indépendamment de nous et de la conscience que nous en avons : le
monde de nos sens, constitué par ce que nous percevons et par la
représentation que nous avons, mieux que nous nous en faisons
spontanément ; le monde de la science, qui est construit par les
scientifiques pour essayer de rendre compte et d’expliquer le monde réel.
La science est donc une construction de l’esprit humain. La science
n’est pas la réalité, mais elle tend à s’en approcher au fur et à mesure
où elle progresse. Elle est « l’asymptote de la vérité » écrivait Victor
Hugo.
L’obstacle de la perception première.
« Quand il s’intéresse aux sciences, écrivait Gaston Bachelard, l’esprit
est toujours vieux, il a l’âge de ses préjugés ». Depuis la publication
par ce philosophe français, en 1930, de la formation de l’esprit scientifique,
les didacticiens se sont intéressés, notamment au cours des dernières
décennies, à « l’obstacle épidémiologique » (l’expression est de
Bachelard) que constitue l’observation spontanée, commune, d’un
phénomène.
Constatant (ou croyant constater) pour la première fois un fait- ou qu’il
pense être fait, l’individu s’en construit mentalement une représentation il
en retient certaines caractéristiques, ébauche inconsciemment une
première explication, etc.
A l’époque actuelle, les médias et surtout la télévision, participent
largement à l’information de l’intéressé. Le milieu dans lequel il vit peut
accentuer sa perception, ou au contraire la combattre. Le domaine
185
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

scientifique concerné peut se prêter plus ou moins à la confection de ces


représentations : La physique, par exemple, y est en général assez
appropriée. Un exemple caractéristique est celui des modèles de l’univers
et du mouvement de la terre.
La question n’est pas inhérente à la seule compréhension scientifique et
Bachelard n’est pas le premier dans l’histoire à avoir attiré l’attention
sur ce phénomène. Lénine, par exemple, met en garde contre ce qu’il
appelle la spontanéité dans le domaine politique et montre qu’il s’agit,
pour l’essentiel, d’une réaction dictée par l’idéologie dominante.
Modèles et paradigmes
Pour se représenter un objet scientifique quelque- objet- étant précise ici
au sens large et pouvant figurer un ensemble de phénomènes se
rapportant à une même catégorie du réel, le chercheur se construit un
modèle. Celui-ci peut être, pour une première approche, uniquement ce
que le physicien est didacticien F. Halbavachs appelle un « modèle-
image », c’est-à-dire une représentation figurative et qui, dans un cas
simple, se limite à cette figuration. Exemple : l’atome des philosophes
grecs ou même des chimistes du XIXe siècle.
Les connaissances progressant, ce schéma peut continuer à convenir,
mais il devient insuffisant. Le modèle inclut alors toutes les propriétés, les
lois que l’on connait. Le modèle de l’atome de carbone de 1890, par
exemple, inclut les propriétés que l’on connait depuis l’apparition de la
stéréochimie.
Les « modèles planétaires », notamment celui de Bohr, peuvent être
particulièrement considérés comme des « modèles-images ».
On peut effectivement les dessiner, à condition de préciser par écrit le
nombre de protons et de neutrons dans le noyau, le nombre d’électrons
sur les différentes orbites, etc.

186
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Une révolution scientifique globale


Il est différents types de résolutions scientifiques : certaines ne concernent
qu’un phénomène et qu’une théorie – passage de l’hypothèse
corpusculaire à l’hypothèse ondulatoire à propos de la lumière- le
processus peut dans certains cas, interne à la science considérée. Le
darwinisme a joué un rôle important dans l’histoire des idées, très au-delà
des conceptions scientifiques.
Mais, sauf dans le cas le plus restreint, avec révolution scientifique est ce
que l’on appelle aujourd’hui un phénomène de société. Elle l’est
particulièrement quand elle constitue à la fois une conséquence et une
composante du changement. L’exemple le plus caractéristique est ce que
l’on nomme habituellement la révolution copernicienne qui va en fait de
1543 à l’œuvre de Newton. On peut rapidement énumérer les
révolutions de grande ampleur :
- La révolution néolithique (8000 à 1050 A.C selon les contrées).
Incontestablement, à dominante technique.
- Eventuellement la période qui voit les grands empires orientaux
(Mésopotamie, Egypte, Chine, puis Inde) et celle de la Métallurgie. A
dominante technique, à un moindre degré que la précédente toutefois.
Constitution d’une administration faite, d’un degré puissant et organisé,
d’une armée, et donc d’un Etat.
- La révolution grecque classique à dominante philosophique.
- La révolution copernicienne, déjà évoquée plus haut.
- La révolution était à dominante scientifique. Et j’en passe…
Dans notre imagination, la représentation spontanée de la révolution est
le « Grand soir » cher aux groupes révolutionnaires du XIXe Siècle. Il faut
revoir cette conception et admettre que pour des transformations d’une
grande ampleur, du temps est souvent nécessaire et qu’un

187
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

changement des mentalités ne se fait pas en un jour. La science est


donc, une réalité sociale.
Il est temps de conclure. Comme on le voit, à n’en point douter, une
révolution s’impose, chaque fois, pour le progrès de l’humanité. Mais pas
une révolution politique économique ou même technoscientifique. Ce
siècle en a assez connu pour que nous sachions, désormais, qu’une
approche purement extérieure ne saurait suffire. Le COVID-19 est là pour
nous l’apprendre. Il devait mettre fin à l’arrogance et à l’orgueil de
l’humanité. Ce que je propose, c’est une révolution spirituelle, humanitaire.

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

La Crise du militantisme politique.


Deux siècles après la révolution industrielle, les sociétés modernes sont
toujours secouées par des crises et pas seulement économiques et
sociales. Elles se manifestent dans tous les domaines de la vie sociale
comme toutes les sphères de l’existence humaine : familles et relations
amoureuses, emploi et relations de travail, mais aussi politique et relations
publiques. C’est de ce dernier aspect dont il s’agit ici : la crise du
militantisme politique.
Dans le champ politique, les partis politiques ont toujours constitué les
lieux naturels, prévus pour la participation des citoyens à la vie politique.
Le militantisme en était la forme « normale », impliquant une forte
extérioration des valeurs collectives et une participation efficace à la chose
publique.
Vraiment, c’était la manière républicaine et démocratique, pour les
citoyens que nous sommes d’affirmer nos opinions – pour ceux qui
militaient bien sûr – de les défendre, de faire triompher la cause de son
parti qui est aussi sa « cause ». On se souvient des méga-meetings du
PDS, du PS, de l’opposition radicale, j’ai nommé la LDMPT, And Jef et
PIT, notamment.
Ce modèle semble être entré, au Sénégal, du moins, dans une crise
profonde. Qu’est-ce qui l’explique ?
A mon humble avis, l’identité partisane n’est qu’une identité militante
dans la mesure où l’engagement dans un parti politique constitue la
manière tout à fait légitime de lutter pour faire triompher des idées, un
projet de société – quand on est homme politique et non simplement
« politicien » - en même temps de pouvoir représenter des groupements
de base.

189
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

C’est ce modèle associatif qui a assuré, pendant longtemps, ici au


Sénégal et ailleurs, la connexion entre des liens de proximité – dans la
cellule de base, la section ou l’association locale – et un bien d’adhésion,
sinon d’allégeance aux grands « partis de masses » - Voir la structure des
grands partis tels le PS et le PDS à l’époque de leur apogée.
La fonction principale des grands partis est aussi celle de la
représentation électorale fondée sur le réseau de ses associations locales
et régionales, fédérées par le haut, notamment le bureau politique. Ce
modèle permet de relier la sociabilité locale à la citoyenneté nationale, les
« petites causes » concrètes aux grands objectifs politiques incarnés par
les « grands dirigeants ».
Que deviennent ces partis et ce type de militantisme politique, ces
dernières années, au Sénégal ? Que deviennent les mécanismes de la
représentation ? Il me semble que le constat est général : une baisse
régulière de la participation à la vie politique, un déclin de l’ancien tissu
associatif lié au modèle du « parti de masses » - PDS et PS à l’époque,
une chute du « militantisme classique ».
Pour les partis dits « communistes », c’est connu, leurs scores
électoraux n’ont cessé de dégringoler depuis la chute du mur de Berlin et
la dislocation de l’Empire soviétique. Les journaux communistes ont
disparu. Le militantisme communiste, forme « classique » du militantisme
populaire, a subi une chute en tout point. Ils sont phagocytés par BBY
(Benno Bok Yaakar). Qui l’eût cru ? Des marxistes qui se liguent avec des
libéraux ! Ironie de l’Histoire ?
Qu’en est-il des autres partis ? Il semble bien que le nombre de leurs
adhérents, même s’il a fluctué au gré des évènements de la vie politique
– profond désir au changement se traduisant par deux alternances – ait
aussi connu une baisse significative sur une période plus ou moins longue.

190
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Il faut en fait, distinguer les militants des simples adhérents : ces


derniers ne font que voter ou venir appuyer leur leader. Les premiers
contribuent à propager les idées, à diffuser les « programmes », à
convaincre les électeurs.
La « fin des militants » n’est rien d’autre que celle d’un modèle
d’organisation, d’une forme de mobilisation qui touche tous les
« appareils » politiques. Tout se passe comme si la configuration militante
connue jusqu’ici avait cessé d’être pertinente.
Les campagnes électorales ne sont plus l’occasion de « porte à porte »
ou de meetings dans les places publiques – place de France, actuelle
promenade des Thiésois ou place de la Cité Pilot par exemple – elle se
résume souvent, pour l’immense majorité des citoyens, aux interventions
des leaders à la télévision avec les temps d’antenne et à quelques tracts
jetés par des voitures sillonnant les rues.
Aussi, les élections ne sont-elles plus des moments forts de rencontres
avec des militants, de vrais débats en face à face, tant souhaités – les
deux finalistes ou leurs « lieutenants » - ; elles ne sont plus des occasions
de réactiver des liens sociaux ayant une dimension politique.
Vraiment, comme l’écrivaient Jacques Ion et Lucien Kapik, « le modèle
politique classique de militantisme entre dans une crise généralisée » - cf
les révolutions invisibles, Paris, Calmann – Lévy, 1998, page 301.
Pareillement, de nouvelles formes d’engagement et « participation
sociale » semblent être à l’œuvre ou, du moins, en gestation. Elles sont
très différentes des anciennes : plus pratiques, plus limitées, plus
spécialisées, plus distanciées aussi. Je pense au mouvement « y en a
marre » de Fou malade, de France dégage de Guy Marius Sagna ; de
M2D entre autres.
Ces mouvements concernent des actions collectives de proximité, des
mobilisations locales, circonstanciées, souvent liées à des désagréments
191
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

qui touchent directement les populations – Exemple : problème de terre


ou d’impactés du TER – une caractéristique commune de tous ces
nouveaux mouvements est leur recherche de médiatisation. L’accès à la
télévision, à une heure de grande écoute – 20h ou un peu avant à SEN/TV,
TFM, 2STV ou WALF/TV – est devenue un enjeu majeur.
Il ne s’agit plus d’idéologie faisant appel à des valeurs transcendantes
mais d’émotions jouant principalement sur les sentiments. La recherche
d’efficacité immédiate est devenue prioritaire : il s’agit d’approvisionner en
eau, une localité qui en est dépourvue pendant une période donnée ; de
faire cesser des prélèvements abusifs lors du payement des rappels des
enseignants, par exemple. De ce fait, la mobilisation est à la fois
émotionnelle et plus pragmatique que le militantisme classique.
On voit bien tout ce qui sépare ces nouvelles formes de « militance »
des anciens modes de « militantisme partisan ». Les leaders de ces
mouvements peuvent même n’avoir aucune coloration politique. Les
« petites causes » ont remplacé les « grands projets révolutionnaires ».
Les partis politiques « de masse » sont dépréciés, délaissés au profit de
coalitions hétéroclites, bien secoués par ces mouvements qui donnent
primat aux actions concrètes, de réseaux d’une extrême labilité.
Finalement, c’est l’efficacité immédiate qui est recherchée. Elle prime
sur la protestation, les lamentations et l’utopie. Ce qui importe avant tout,
c’est le sens de l’action partagée, l’engagement direct, sans intermédiaire
et sans délégation. Ce sont des formes d’action localisées qui accordent
une valeur éminente aux relations intersubjectives, à la qualité
émotionnelle et à l’authenticité personnelle. Vivement, que ces
mouvements salvateurs perdurent !

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Le respect de la parole : ventre mou de nos gouvernants.


Les observations faites sur les différents régimes sénégalais, depuis
plusieurs décennies, ont achevé de me convaincre qu’il existe pour
chacun d’eux, considéré, individuellement et collectivement, un
dénominateur commun : ils ne disent jamais la vérité au peuple ; ils ne
respectent jamais la parole donnée ; en un mot, ils trompent toujours leurs
mandants pour rester le plus longtemps possible aux délices du pouvoir.
De Senghor à Sall, en passant par Diouf et Wade, le phénomène est resté
constant.
Jacques ATTALI dans VERBATIM 1 le décrit ainsi : « l’exercice du
Pouvoir ramène à l’essentiel. Il grossit les caractères des êtres comme
la loupe ceux de l’imprimerie. Il est une drogue qui rend fou quiconque y
touche, qui corrompt quiconque s’y installe, qui détruit quiconque s’y
complaît. Aveuglés par les phares de la renommée, les chenilles
dévouées ont tôt fait de se métamorphoser en vaniteux papillons. »
Mais il faut qu’ils comprennent, comme disait Ahmed Sekou
Touré : « qu’on peut tromper une partie du peuple, une partie du temps
mais pas tout le peuple tout le temps. » Les Sénégalais sont fatigués de
la politique politicienne à cause des promesses non tenues. Et ce qui est
plus grave est que l’homme politique de ce pays n’a plus aucun crédit aux
yeux de ses compatriotes. Il a complètement perdu le rapport de confiance
qui, naturellement le liait à son peuple.
Il est vrai, comme dit KANT, que l’homme est une créature imparfaite et
par conséquent, tout ce qui émane de sa faculté d’abstraction subira sans
nul doute, pour une part, l’empreinte de cette imperfection.
Autrement dit, on ne peut pas toujours faire exactement, ce que l’on dit,
conformément à ses désirs ; cela relève de l’attribut de Dieu, nul n’en
disconvient mais, cela les dédouane-t-il pour en abuser ? Je ne le pense

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

pas ! A y réfléchir de près, « ce modus operandi » de faire porte en elle


même le germe de leur insuccès voire de leur perte même du pouvoir.
Slogans ne pouvait être plus persuasifs, plus convaincant, plus porteurs
d’espoirs que ceux arborés par le candidat Macky Sall : « La patrie avant
le parti » ; « Gouvernance sobre et vertueuse. » C’est exactement le
contraire que nous observons depuis son arrivée à la magistrature
suprême. Dommage ! Pourtant il était bien parti. Pourra-t-il réussir là où
ses devanciers, ainsi que d’autres mouvements au plan mondial, ont
échoué ? Wait and see comme disent les anglo-saxon.
En tout cas, le mouvement de l’histoire nous offre des exemples de ce
type qui, in finé, ont mal tourné. Le marxisme en a fait les frais. A ces
débuts, Marx préconisait le « dépérissement de l’Etat ». Qu’est-il arrivé
par la suite ? Le Stalinisme et ses crimes abominables étaient inscrits
dans la perversion que Lénine avait fait subir à la théorie de Marx : ni
« association d’hommes libres » ; ni « dépérissement de l’Etat » ; le
socialisme soviétique, devenu stalinien, se transformait en processus
inverses : terreur de masse imposant le communisme et renforcement
continu d’un Etat bureaucratique et policier provoquant des millions de
morts, y compris et d’abord parmi les militants communistes. De ce point
de vue, l’effondrement du « communisme établi », du Mur de Berlin à
l’Union Soviétique, représente bien une revanche spectaculaire des
formes sociétaires sur les formes communautaires communistes,
devenues totalitaires. Vous conviendrez avec moi, que tout cela est
consécutif au non-respect de la parole donnée au peuple. Que ceux-là qui
procèdent ainsi se le tiennent pour dit que le mouvement de l’Histoire n’est
pas irréversible. L’Histoire se répète, curieusement parfois.
Le peuple laisse faire mais il comprend tout ; il attend toujours le
moment opportun pour réagir. Ceux qui nous gouvernent ne sont pas plus

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

instruits que nous ; ne sont pas plus intelligents que nous, car le groupe
restera toujours plus intelligent que le plus intelligent du groupe.
Quoi de plus simple de rester à l’écoute de son peuple et d’avoir toujours
le courage de lui tenir le langage de la vérité, car comme disent les
Wolofs : « Degay mouj ». Mais, que demande le peuple ? Comme disait
Charles PASQUA, ancien ministre français de l’Intérieur, dans son
ouvrage du même nom. Que demande le peuple Sénégalais ? On n’a pas
besoin d’être politicien pour le savoir. Il n’existe pas d’école qui forme des
« ministres ».C’est une question d’écoute, de méthode et d’organisation,
mais surtout d’imagination car, sur l’aile enjouée du temps, comme disait
Antonio Gramsci, il n’y a pas de plus affreux désastre que la mort de
l’imagination. En usant de la méthode cartésienne SORA- Situation ;
observation ; réflexion ; Action – tentons d’identifier les besoins clefs du
peuple auxquels nos gouvernants ont l’obligation individuelle et collective,
d’apporter des réponses positives. Cela ne se fera qu’en mettant
efficacement en œuvre, des politiques publiques rapides et
systématiques ; Allons à l’essentiel : le peuple demande à manger à sa
faim ; car selon la hiérarchie des besoins d’Abraham MASLOW, les
besoins physiologiques occupent le premier palier – denrées de première
nécessité disponibles et à des prix abordables pour tout le monde – ventre
creux n’a pas d’oreille – comme disent les anglo-saxon : « The hunger
man is the angry man » « l’homme qui a faim est un homme fâché ».
Le peuple demande un bon système sanitaire ; la couverture maladie
universelle dont on parle ne doit pas être un slogan mais une réalité
palpable où chaque sénégalais trouve son compte ;
Le peuple demande une éducation de qualité pour tous ses enfants. Pour
ce faire, un traitement correct pour ses enseignants est indispensable.
Ces derniers, à tous les niveaux, doivent être placés dans de bonnes
conditions de vie et de travail avec un salaire décent digne de leur rang et
195
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

du rôle crucial qu’ils jouent dans la société. A ce propos, rappelons-nous


le mot de Jean Pierre CHEVENEMENT : « un peuple qui néglige ses
enseignants est un peuple qui se suicide ».
Le peuple demande pour ses enfants des emplois, cependant,
comprenons-nous bien. L’Etat à lui seul ne peut pas fournir des emplois à
tous ces jeunes dont le nombre croît d’année en année. Je pense que la
promotion du secteur privé est indispensable pour la création d’emplois.
Pour y arriver l’Etat doit absolument créer les conditions
d’épanouissement du secteur en attirant les entreprises par une législation
adéquate, une bonne fiscalité ainsi que des infrastructures de qualité pour
l’écoulement des produits.
Le peuple demande des infrastructures. Des ponts et chaussées en bon
état pour le déplacement fluide des personnes et des biens en moins de
temps. « Time is money. »
Le peuple demande la paix ! Tout ce qui est de nature à l’entraver doit être
combattu sans ménagement. Il n y a pas de paix sans culture humaine.
Sans elle, aucune action de développement n’est possible.
Le peuple demande… le Peuple demande…. Eh oui ! C’est vous qui avez
sollicité ses suffrages, par conséquent, vous êtes tenus de vous mettre à
ses doléances. Même si le père est pauvre, il faut que l’enfant demande
quand-même.

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Que demande le peuple Sénégalais…


On n’a pas besoin de porter le titre de Président de la République, de
ministre ou de député pour comprendre ce que demande le peuple. Ceux-
là qui arborent fièrement et ostensiblement ces casquettes sont avant tout,
des citoyens comme nous autres. Il n’existe pas d’école d’où l’on sort avec
ces titres. Le hasard a fait qu’ils soient à ces stations, provisoirement, en
attendant que la providence en décide autrement. Mais pendant qu’ils sont
là, ils ont l’obligation d’écouter le peuple grâce à qui, ils sont là où ils sont.
Que demande le peuple sénégalais ?
Il ne me paraît pas, particulièrement laborieux, d’apporter des éléments
de réponse, pour le citoyen qui sait prendre le pouls de son peuple. Mais
au paravent, je voudrais tenter de cerner les rapports qui, à l’heure
actuelle, unissent les sénégalais à leurs politiciens ; autrement dit, quelle
perception ont-ils de leurs dirigeants.
Quand ceux-ci ne disent plus la vérité au peuple au point que la confiance
qui, naturellement devrait les lier s’étiole, il y a nécessairement crise et
c’est le cas. Entre ce qu’ils disent et ce qu’ils font il y a toujours un grand
gap. C’est cette appréhension qui fait, au Sénégal, qu’il n’y a pas
dépolitisation, mais bien désaffection. Encore ces politiciens, a-t-on
l’habitude d’entendre. On ne les voit que quand ils ont besoin de nos
suffrages, en période électorale pour disparaitre, ensuite, comme fumée
au vent, dans la nature.
L’homme politique est devenu tour à tour comédien, spectateur,
commentateur de la vie politique que lui modèlent les médias. Il n’en est
plus l’auteur par manque d’imagination, tellement ils sont absorbés par les
lambris dorés. A de rares exceptions près, qui donnent le meilleur, comme
le pire.

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

C’est cette attitude qui éveille chez nous concitoyens, l’intuition que les
partis politiques évacuent sciemment ou par ignorance, les vrais
problèmes – ceux qui pourraient créer de vrais clivages- excellents dans
le diagnostic, mais répugnent aux solutions, qui succèderaient accords et
désaccords. Bref, qu’ils semblent tous s’être ralliés à la célèbre maxime
du Docteur Queuille : « Il n’est pas de problème assez urgent qu’une
absence de décision ne puisse résoudre ».
Pour quoi dire finalement ? Que les hommes politiques ou « politiciens »
sont coupés des sénégalais même si leur patron estime « comprendre »
les jeunes. Vraiment, ils n’apportent pas de réponses crédibles aux
problèmes auxquels le peuple est confronté quotidiennement. Ou, pire,
que le peuple ne les croit plus, capable d’en apporter les réponses
adéquates. Ils sont directement mis en cause sur leur responsabilité
d’homme public. C’est de leur capacité à agir sur les choses qu’il est
question.
Mais agir sur quelles choses ?
L’emploi, pour combattre efficacement le chômage massif des jeunes.
Sous ce rapport, je suis tout à fait en phase avec le Président qui oppose
une fin de non-recevoir, aux syndicalistes qui réclament la retraite à 65
ans. Et les jeunes qui ne demandent qu’à être insérés dans le tissu
économique, et qui ont toutes les qualifications requises ? Seulement, là,
il faut savoir raison gardée ; l’Etat, à lui seul, ne peut pas absorber toute
la masse de jeunes qui frappent aux portes de l’emploi. C’est là que le
privé doit aussi jouer son rôle ; il ne pourra le faire que lorsque l’Etat créera
les conditions de son épanouissement. Celles-ci ont noms fiscalité
favorable, infrastructures, énergie suffisante et disponible, entre autres.
Aussi, la santé publique doit-elle constituer un enjeu majeur pour nos
gouvernants. Son budget doit être constamment revu à la hausse. « La
couverture maladie universelle » dont on parle, doit être une réalité
198
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

palpable. Les agents de santé de quelque bord qu’ils se situent doivent


faire l’objet d’un traitement digne de leur rang, tant au plan de leur vie
quotidienne que celui du travail, par une nette amélioration des conditions
d’exercice. Sans eux rien n’est possible. La santé avant tout.
L’éducation, axe majeur de tout développement économique et social !
« … De tous les métiers, au monde, j’en choisirais un seul : L’éducation »
disait en substance Jules Ferry.
De ce point de vue, une attention toute particulière doit lui être accordée,
tant au plan des infrastructures, du personnel que des innovations
pédagogiques. Ne jamais mépriser les enseignants, car comme
avertissait Jean Pierre CHEVENEMENT : « un peuple qui néglige ses
enseignants, est un peuple qui se suicide. »
Par ailleurs, la crise économique et sociale qui sévit dans le pays, surtout
au niveau des couches sociales les plus défavorisées doit préoccuper
d’avantage les gouvernants. « La bourse de sécurité familiale, oui, c’est
bien mais » « peut mieux faire » comme dirait le maitre d’école.
En conséquence, la rudesse de la vie qui se traduit par les denrées de
première nécessité en termes de prix, doit être améliorée. Riz, huile,
sucre, gaz disponibles et à des prix accessibles à tous. Les produits
agricoles qui entrent directement dans la nourriture des populations et qui
sont cultivés en zones rurales doivent pouvoir être acheminés dans les
centres urbains à travers des pistes de production de plus en plus
carrossables, pour éviter leur pourriture dans les lieux de culture.
Les sénégalais ont aussi besoin de paix. Les échéances électorales en
perspective laissent planer beaucoup de doutes et du coup, entrainent des
incertitudes quant à leur déroulement, en toute transparence et dans la
sérénité absolue. Pour y arriver, il faut que les intérêts du Sénégal passent
avant tout intérêt personnel ou partisan. Sous ce rapport, l’injustice sociale

199
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

doit être combattue, sur toutes ses formes ainsi que la corruption tant sur
nos routes que dans l’administration.
Voilà ce que demande le Peuple. Il va falloir que les gouvernants
répondent. Il va falloir choisir les priorités bien sûr. Il va falloir proposer. Il
va falloir « oser », comme l’a écrit Alain MINC dans la « Grande illusion. »
Ne plus se contenter d’attendre, cyniquement, que l’oiseau nous tombe
tout rôti dans le bec. Par ce qu’il n’y aura pas d’oiseau, sinon un oiseau
de malheur.

200
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Les Sages Du Conseil Constitutionnel.


L’article 3 de la Loi n° 2016-23 dispose que le conseil constitutionnel comprend
sept (7) membres nommés par décret pour six (6) ans non renouvelables, dont
un président et un vice-président.
Sept (7) sages. C’est sur ce vocable que je voudrais m’appesantir pour montrer
oh ! Combien, leur statut est honorable ; digne de respect et de considération.
Le rang de sage est magistral. J’espère qu’ils en ont hautement conscience et,
conséquemment ont pesé la lourde responsabilité qui pèse sur leurs épaules.
Qu’est-ce qu’un sage ?
Le sage est celui qui est capable de bien conduire sa vie et par là d’atteindre
au vrai bonheur. Homme d’expérience, observateur des choses humaines, il
est expert dans l’art de bien vivre.
En un sens limité, on appelle sage celui qui est habile dans un métier – ici le
droit, la magistrature – comme dans le cas de l’orfèvre et du menuisier qui
confectionne l’Arche d’Alliance.
Mais revenons au sens le plus courant. Expert dans l’art de bien vivre, le sage
est apte à guider les autres – Nous qui sommes à votre écoute « NGUIR JAMM
AM » - à faire fonction d’éducateur – Formateur des esprits et des cœurs –
quelle noble mission !
Cette sagesse est d’abord d’ordre pratique, elle permet de faire face aux
diverses situations de l’existence. Le sage, c’est encore celui qui a touché
expérimentalement les extrêmes de la condition humaine.
Aussi ne donne-t-il pas seulement des conseils de mesure qui, en certains cas,
peuvent sembler quelque peu terre-à-terre. Il a goûté la vérité profonde des
choses du temps et leur déception – DEGAY MOUJ – ou les profondeurs du
mal et de la souffrance et leur scandale, l’angoisse même devant la mort –
DÉÉ DU JASS – et la tentation de la révolte.

201
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Nous musulmans, nous ne pouvons répondre valablement de ce nom que si


nous croyons en Dieu et en son Prophète Mohamed (PSL) mais aussi à tous
les prophètes qui l’ont précédés, y compris bien sûr Jésus (Insa ibn Mayram).
Ce qui m’autorise à me référer à Paul, l’apôtre.
Dieu de sauver les croyants… car ce qui est « folie » de Dieu est plus sage
que les hommes, et ce qui est « faiblesse » de Dieu est plus fort que les
hommes… « Folie et faiblesse » étant prises ici comme des perceptions de
l’homme en tant que créature imparfaite.
Pour cette raison, Paul n’est pas venu annoncer le témoignage de Dieu « avec
le prestige de la parole ou de la sagesse » ; il n’a voulu savoir que Jésus christ.
Sa parole et ses discours n’étaient pas des « discours persuasifs de la
sagesse ; afin que la foi reposât, non sur la sagesse des hommes, mais sur la
puissance de Dieu. – Yalla rek – Autrement dit le sage comparé à un sculpteur
qui sculpte son propre statut. Le sage conquiert lui-même sa sagesse il se la
donne, il se fait sage. Comme on le voit, la sagesse est l’artisan ou le sage tout
court est l’artisan de son propre salut qui s’opère essentiellement par la voie
de la connaissance. Dans la pensée moderne, Spinoza me semble avoir
poussé ces thèmes à l’extrême. – Yééna yor xam-xam bi – Le Ve livre de
l’éthique, qui porte le titre significatif.
De la puissance de l’entendement ou de la liberté de l’homme, est clair à ce
sujet : « l’essence de notre âme consiste dans la connaissance seule. Donc,
c’est parce que les sages du conseil constitutionnel ont la connaissance, qu’on
les a mis là. Dès lors, surgit une autre propriété de la sagesse - un autre titre
de noblesse – c’est d’être désintéressé, d’être un savoir aimé pour lui-même.
Elle n’appartient pas à l’ordre des moyens, mais à celui des fins – « Degue
rek », elle constitue une activité terminale, qui s’accomplit dans l’immanence
de l’esprit.
A partir de ce moment, on est sage ! On est JUGE ! redoutable fonction.
Pourquoi ? La fonction de juge est majestueuse et est une charge des plus
202
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

graves. Le juge incarne la justice de DIEU et de son prophète (PSL) pour nous
musulmans – lequel a mis en garde celui qui aspire à ce poste, en disant : « les
juges sont de trois sortes : un seul d’entre eux ira au Paradis et les deux autres
sont passibles de l’Enfer. Celui qui va au Paradis est le juge qui possède le
SAVOIR et institue la JUSTICE. Le deuxième et celui qui possède le savoir,
mais il n’institue pas la justice. Le troisième rend ses jugements sans
discernement et faute de savoir ». (Tirmidhi).
Mes chers sages, j’ai beaucoup de respect et de considération pour vous. Je
ne me positionne nullement en donneur de leçons. Loin s’en faut ; car je
connais l’étendue de votre science et de votre érudition. J’ai simplement voulu
partager avec vous, la gravité d’un concept, celui de SAGE qui vous colle à la
peau et qui dès lors, doit déterminer votre démarche de la vie de tous les jours.
Celle-ci, à mon sens, doit être synonyme de PAIX. Notre pays en a fort besoin
avec ces perspectives sombres qui s’offrent à nous.
La paix. Oui la paix !
Le président Mao a dit un jour :« que le pouvoir politique était au bout du fusil ».
Je suis foncièrement contre une telle conception du pouvoir malgré le respect
immense que je voue à ce dirigeant hors pair. La violence peut atteindre des
objectifs à court terme, bien sûr, mais elle n’obtient rien de durable.
Quand nous considérons l’Histoire, nous voyons qu’avec le temps, l’amour de
la paix, de la justice et de la liberté triomphe toujours de la cruauté et de
l’oppression. C’est pourquoi je suis un si fervent adepte de la non-violence. La
violence engendre la violence. Et la violence ne signifie qu’une chose :
SOUFFRIR.
Théoriquement, on peut concevoir une situation où le seul moyen d’empêcher
l’accomplissement de telle ou telle ambition politique soit de recourir à la
violence. L’ennui, c’est qu’il est extrêmement difficile, sinon impossible, d’en
prévoir les conséquences, et qu’on ne peut jamais être sûr d’y recourir avec
raison. Les choses ne deviennent claires que rétrospectivement.
203
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

La seule certitude que nous ayons c’est que, là où il y a violence, il y a toujours


aussi inévitablement souffrance. Nous devons l’épargner à notre peuple.
Mes chers sages du conseil constitutionnel, retenez que l’injustice mine la
vérité, et sans vérité, il ne peut y avoir de paix durable. Pourquoi ? Parce que
la vérité donne une confiance en soi qui ne peut exister sans elle. En revanche,
quand la vérité est absente, la force est le seul moyen d’action. C’est à éviter
à tout prix.

204
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Incivilités, délinquances et violences politiques


J’ai peur. J’ai bien peur pour mon pays. Je n’ai même pas hâte d’arriver à
Février 2024. Tout est possible avec ces attitudes de défiance que l’on
note, tant du côté du pouvoir que celui de l’opposition. Dans bon nombre
de mes articles, je n’ai cessé, comme d’autres sénégalais épris de paix,
de tirer sur la sonnette d’arme. Il faut que les politiciens, de quelque bord,
qu’ils se situent, comprennent que ce pays-là, ne leur appartient pas. Ils
n’ont pas le droit de le brûler ! Et tous les « ingrédients » pour que ce
sinistre macabre arrive, sont désormais en place.
Tout part d’un constant : une véritable crise du bien social qui se manifeste
d’abord par la montée des incivilités, des actes de délinquances et du
sentiment d’insécurité – Pour un oui ou pour un non, on tue – dans les
familles, dans la rue et dans certains milieux malsains – C’est ce que le
sociologue Sébastien Roché appelle « rupture de l’ordre public, dans la
vie de tous les jours, de ce que les gens ordinaires considèrent comme la
loi ».
Parmi ces incivilités, on peut citer entre autres, les dégradations de toutes
sortes – destruction de biens publics ou privés, voitures et maisons
d’autrui – vitres brisées, impolitesses, insultes, bruits intempestifs, actes
de vandalisme. Des actes manifestant une véritable « crise des
mécanismes sociaux d’apprentissage du contrôle de soi et du respect
mutuel », une « crise du lien civil ».
Devant une telle situation, le sentiment le plus partagé est celui, ni plus ni
moins, d’une régression du processus de civilisation qui se manifeste par
des manquements systématiques au « code des relations entre les
personnes ». Oui, sinon qu’est-ce- qui peut expliquer le réflexe de donner
l’ordre de brûler la maison d’un paisible citoyen.

205
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Cette régression constitue une menace grave, génératrice d’un sentiment


d’insécurité, « pour soi, pour le corps social, mais aussi pour le corps
propre ». Cette dimension identitaire de l’incivilité serait selon Roché, à
relier à l’envahissement d’un sentiment de peur exprimant « l’impossibilité
de vivre ensemble, de se faire confiance, de respecter les droits des uns
et des autres ». Sous ce rapport un danger social et un risque personnel
qui mettrait en cause les règles de la vie sociétaire en jetant le doute sur
la possibilité de ce lien social – violence à l’Assemblée Nationale :
« Booma toppé, diassi sapila ». Quelle bassesse ! Un type de cet acabit
ne mérite même pas d’être membre d’une assemblée aussi auguste.
Au moment où l’on traduit au conseil de discipline, des étudiants porteurs
d’armes blanches à l’Université, que devrait-on faire à l’endroit de
« députés », qui connaissent le même forfait au sein de l’hémicycle ?
Par ailleurs, toutes les analyses des statistiques de délinquance,
criminalités et délits… s’accordent à reconnaître que la montée des
indicateurs – infractions pénales, atteintes aux personnes et aux biens –
constitue un fait réel. Ce phénomène a-t-il motivé le durcissement de la loi
65 – 61 du 21 Juillet 1965, portant code pénal et celle portant code de
procédure pénale avec les mêmes références que la précédente ? Les
points de vue divergent bien sûr selon qu’on se situe du côté du pouvoir
ou de l’opposition, ou même simplement du citoyen Lambda, tout à fait
neutre dans ses analyses. Je ne suis pas juriste, mais ma conviction
profonde est que, les destructions des biens privés et publics du mois de
mars dernier justifient amplement l’adoption d’une telle loi. Pourquoi brûler
les magasins d’Auchan ?
En tout cas, les questions d’insécurité ont envahi la société sénégalaise
avec toutes les conséquences qu’on connaît bien : obsession de la
protection avec le recrutement des nervis, appels à l’Etat-gendarme replis
individualistes etc…
206
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Les questions d’insécurité sont bien réelles dans notre société. Il est
impossible de ne pas relier cette sorte de « cercle vicieux de la sensibilité
civile » à des évaluations lourdes par rapport à l’autorité, aux valeurs et à
la norme sociale. Encore faut-il être prudent et bien prendre la mesure des
divers facteurs du processus qui touche à la fois le rapport des individus
aux institutions – Présidence de la République, notamment et prise de
certaines décisions qui déclenchent une avalanche de réactions – « bou
peunde bi wouré, jamm am ».
Mais si l’on y prend garde, ces formes d’incivilités et de délinquances,
même « mineures » peuvent être de mature à constituer les véritables
prémices d’une violence politique rampante.
Aussi, la violence et les remous du mois de mars dernier ont-ils perturbé
de manière traumatisante notre société dont l’opinion dominante
prétendait qu’elle était parvenue à un état de tranquillité intérieure et à un
consensus permanent. Il est à mon avis irresponsable, de la part de
quelqu’un qui aspire à diriger ce pays, de tenir des propos du genre : « la
deuxième vague sera plus meurtrière ». En sera-t-il, lui-même épargné ?
Jeunesse de mon pays, refusez systématiquement d’obéir aux injonctions
de tel personnage. La violence doit cesser. Ses partisans ont tort. Aucun
progrès n’est possible dans une société où prévaut la violence.
Pour parvenir à l’éradication de la violence, chacun doit prendre ses
responsabilités : certains pensent que la loi telle qu’elle est « forgée »,
actuellement est de nature à engendrer des émeutes, donc la violence,
d’autres incombent la faute à la société et non aux émeutiers ; autrement
dit l’inadaptation des institutions et non la délinquance, et proposent la
mise en œuvre de politiques publiques à caractère social, qui aboutiraient
à donner aux émeutiers potentiels - masse de jeunes chômeurs – une plus
grosse part du gâteau sénégalais. Il faut donc procéder à une modification

207
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

véritable des pratiques sociales et politiques. « Inutile de mettre un


sparadrap sur une tumeur cancéreuse ! »
UNISSONS-NOUS : LE SENEGAL EST NOTRE BIEN COMMUN !

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Présidentielle 2024 : le droit n’est-il pas suffisant ?


La date fatidique de Février 2024 s’approche « dangereusement ». Les
sénégalais sont inquiets. Parce qu’elle est pleine d’incertitudes. Que va-t-
il se passer ? Qui sera candidat ? Qui ne le sera-t-il pas ? y’aura-t-il
remous ? autant de questions que l’on se pose, à l’heure actuelle, sans
aucune réponse en perspective.
Aujourd’hui, la seule personne qui détient la clef de l’énigme reste le
Président de la République.
Monsieur le Président, je ne formulerai pas des critiques à votre endroit –
vous avez quand même à votre compte, bien des réalisations ; ne soyons
pas nihiliste – car je ne veux point être perçu comme un besacier selon le
mot de Jean de la Fontaine : « Dieu nous créa besacier, la proche de
devant pour les défauts d’autrui, et celle de derrière pour nos propres
défauts ».
Cependant, Monsieur le Président, je souhaiterais que vous soyez,
compte tenu du grand espoir qui vous avez suscité, lors de votre élection
en 2012, le premier Président du Sénégal à réaliser ce que le philosophe
Alain Finkielkraut préconisait pour la France : « un pays dont les plus
hautes valeurs éthiques ou spirituelles sont proposées à l’adhésion
consciente de ses membres. » ; Pour ce faire, Monsieur le Président, vous
devez faire preuve de supplément d’âme pour paraphraser BERGSON ,
en démontrant à tout le monde, même les plus sceptiques que vous aimez
le Sénégal plus que quiconque, comme en atteste le titre de votre
ouvrage : « le Sénégal à cœur. »
Mais que signifie aimer le Sénégal ?
Aimer le Sénégal veut dire avant tout, toujours œuvrer pour que règne la
paix, quelles que soient les circonstances, car comme nous l’enseigne
Hervé Carrier : « c’est dans l’intériorisation de la paix que réside le

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

véritable humanisme, la véritable civilisation. » Je vous connais humain,


hautement humain car vos proches disent à qui veut l’entendre que « vous
pardonnez beaucoup. »Aussi quand on est épris de paix, on ne peut pas
penser un seul instant à brûler son pays. Non, Monsieur le Président, vous
ne le ferez pas ! Vous n’êtes pas de cet acabit !
Donc Monsieur le Président, restez grand. Les biens, les honneurs de ce
bas monde n’en valent pas la peine. En son temps, créez la surprise…
Aimer le Sénégal, c’est, Monsieur le Président, ne pas s’accrocher vaille
que vaille au Pouvoir. Procéder ainsi serait tout simplement, ignorer ce
qu’est le pouvoir. « DU NGUUR REK.» Oui le pouvoir, cela signifie la
responsabilité envers tous ceux qui vous ont confié ce pouvoir et faire de
son mieux pour eux. C’est une grande responsabilité. Je pense que
quelqu’un qui est intelligent doit alors admettre que s’il n’a plus la légitimité
ou n’est plus à la hauteur de la tâche doit se dire « je ne suis pas assez
bon » et se retirer dignement. Ce n’est rien d’occuper le pouvoir. Il s’agit
de le mériter.
Malheureusement, ce n’est pas ce que le pouvoir signifie pour beaucoup
de ceux qui le détiennent ou aspirent à l’exercer. Pour eux, le pouvoir
signifie privilège – sinécure et non sacerdoce. Mais si vous partez du
principe que le pouvoir signifie responsabilité, alors le pouvoir pourrait
vous attirer beaucoup moins. Vous ne vous y accrochez pas. C’est à cela
que j’invite à tout ce qui exerce un pouvoir. Seuls les gens qui manquent
de maturité pensent qu’ils peuvent faire tout ce qu’ils veulent dans la vie.
Aimer le Sénégal, c’est éviter à tout prix, de le mettre à feu et à sang. A
ce titre il faut absolument dissoudre toute forme de milice constituée de
« gros bras », de « nervis », avec des prérogatives qui surpassent même
parfois, celles des forces républicaines de défense et de sécurité – Police
et Gendarmerie, notamment, voire l’armée – Il faut laisser à celles-ci la
mission régalienne qui est la leur, d’assurer la sécurité des personnes et
210
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

des biens avec toute la mesure qui sied. Autrement, si le camp d’en face
procède de la même manière en recrutant lui aussi ses « forces », cela
peut constituer un précédent dangereux dans la mesure où l’affrontement
pourrait être fatal.
Aimer le Sénégal, c’est, Monsieur le Président, restaurer l’indépendance
de la magistrature qui a été bafouée. Restaurer ? Que dis-je ! Etablir, oui,
car, en réalité, elle n’a jamais été indépendante. Jamais dans l’histoire
récente, on aura vu un pouvoir installer sans gêne, à tous les postes de
responsabilités, autant de magistrats dévoués à sa cause. Parmi eux, on
compte même des juges ayant atteint l’âge de la retraite.
Quant à l’action publique, c’est-à-dire la faculté d’engager des poursuites
judiciaires, elle a été régulièrement détournée de sa vocation pour servir
d’arme dans le combat politique- cas dit-on de Khalifa Sall et de Karim
Wade, notamment – Bref, la justice est aujourd’hui « colonisée », elle est
vraiment sous ordre. Elle ne retrouvera son indispensable prestige qu’en
recouvrant son indépendance. Les magistrats eux-mêmes le savent
mieux que quiconque. La démission fracassante du Juge Dème, en est
une illustration parfaite. La justice ne mérite ce nom que lorsqu’elle est
égale pour tous.
Et nos juges dans tout ça ! Surtout ceux du conseil constitutionnel. Pour
les échéances à venir, surtout la Présidentielle de 2024, il faudra qu’ils
prennent leur courage à deux mains et dire sans ambages le droit, sinon
nos textes n’auront pas servi à grand-chose. C’est cela qui justifie le choix
de mon titre. Est-ce que le Président est éligible ou ne l’est pas, c’est à
eux de se prononcer clairement pour 2024.
L’actuelle constitution, en son article 27 stipule ceci : « nul ne peut exercer
plus de deux mandats consécutifs. » Est-ce une formulation on ne peut
plus claire ? Son caractère dissuasif est-il sujet à des interprétations et
nuances ? Ça c’est affaire de juges constitutionnalistes ! On vous écoute !
211
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Dans son ouvrage intitulé : « Le Pouvoir et la vie » sous-titré


« l’affrontement », VALERY GISCARD D’ESTAING, élu très jeune ,
Président de la République Française s’exprime ainsi : « l’expérience
humaine que j’ai vécue au pouvoir, celle d’un président qui arrive à la
Magistrature Suprême, très jeune, ayant à se hausser à la dimension de
ses grands prédécesseurs, et vivant avec ses impulsions, ses croyances,
ses faiblesses, ses désirs… C’est ce jeune âge qui m’a fait ressentir avec
une intensité aussi violente l’aspect vécu de ma fonction : le poids réel du
pouvoir. Je le rendrai intact.
Le Président Macky Sall aurait pu être l’auteur de ces lignes.
« SUNU REEWMI DAAL, BUKO KENE TALL »

212
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

La Constitution : « Trop simple pour prêter à discussion »


Comparée aux autres constitutions des grandes démocraties modernes
et avancées – Etats-Unis et France notamment – celle du Sénégal est
assez courte : quelque 13 titres et 103 articles chapeautés par un
préambule.
Mais la brièveté d’une constitution, comme l’obscurité des oracles,
entraîne, d’innombrables controverses quant au sens et aux intentions
qu’elle dissimule. Et c’est cela qui rend opâque ce qui à première vue
paraissait relativement claire.
En matière d’intentions et de signification, de quoi pouvons-nous être sûr ?
La réponse peut se résumer à « peu de choses » ou « beaucoup de
choses » ; cela dépend de ce qu’on entend par signification et de ce que
nous avons l’intention de considérer comme une intention – Exemple :
ceux qui soutiennent que l’actuel Président a droit à une troisième
candidature, et ceux-là qui défendent la thèse inverse.
Si le « véritable sens » est établi en fonction de notre avenir qui doit être
fondé sur la stabilisation de notre constitution afin de nous mettre à l’abri
de tous remous, ne devons-nous pas par conséquent, tenter chaque fois
de supputer l’intention initiale et idéale des rédacteurs ? Sinon, il se peut
que nous alléguions une signification et des intentions qui ne seront pas
forcément celles dont nous avions fait état pour notre cher Sénégal que
nous voulons de paix.
Mais après que ces idées nous ont fait très souvent dériver vers des mers
incertaines, remettons le cap sur les rivages des certitudes présumées,
en affirmant, en guise de prémisse, que les rédacteurs étaient bien
intentionnés. Leur souci n’était point de bouleverser la République !
Pour eux, à mon sens, leur préoccupation aura été d’édifier un système
politique durable à l’intérieur du cadre et des rouages établis par la

213
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

constitution – vous vous souvenez quand l’actuel Président parlait de


« verrouillage ». Pour mettre fin aux tripatouillages ?
Il me semble aussi que les rédacteurs ont voulu créer un régime politique
du multipartisme intégral.
Sous ce rapport, nous n’avons rien à envier aux démocraties américaines
ou occidentales. Là où nous devons faire des efforts notables, c’est
précisément par rapport au respect que nous devons avoir aux
dispositions de la constitution. Visons toujours plus haut.
Les Américains, dit-on souvent, n’ont pas de religion d’Etat ; ils ont en
revanche le culte de leur constitution. C’est exactement le contraire chez
nous. Si nous voulons la stabilité, nous devons croire en notre constitution
comme nous croyons en nos religions. Chez les américains, tout ce qui
entoure la rédaction de la constitution a été vénéré par eux, au fil des
générations. Les rédacteurs ont laissé le souvenir d’hommes très versés
dans l’histoire et la philosophie. Et nous nous plaisons à penser que leurs
successeurs étaient des gens cultivés. Notre pays regorge d’intellectuels
de cet acabit. Pourquoi eux, alors, et pas nous ?
Dans tous les cas, le gouvernement, selon mon avis de profane, car je ne
suis ni juriste ni juge, devrait en toute légitimé, s’acquitter des trois
missions essentielles que voici : d’abord, maintenir l’ordre civil c’est-à-dire
faire en sorte que justice soit dûment rendue ; confiner les conflits à
l’intérieur de l’appareil de l’Etat et ne pas les laisser déborder dans la rue
avec surtout intervention illégale de « nervis » ; effectuer les changements
sans recourir à la violence.
Ensuite être attentif à l’opinion publique et légiférer en tenant
suffisamment compte de cette opinion.
Enfin, introduire les changements avec lenteur – pas brusquement,
comme c’était le cas avec les modifications adoptées sur le code pénal et
le code de procédure pénale - ; autrement dit, les faire progresser à pas
214
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

mesurés, de manière à ne pas violer ce qui paraît être l’un des sentiments
les plus fondamentaux du genre humain : le besoin de continuité, dans la
vie en général et dans les objectifs de la vie de chacun.
Dès lors, la voie est balisée pour effectivement « entrer » dans la
constitution de la république du Sénégal. Ne l’oublions jamais ; la culture
politique actuelle du peuple est marquée par son attachement à la
démocratie. Ceci est clairement exposé dans le préambule de la
constitution : « … La volonté du Sénégal d’être un Etat moderne qui
fonctionne selon le jeu loyal et équitable entre une majorité qui gouverne
et une opposition démocratique… »
Cette option nous mène droit à l’article 27 qui a fait couler tant d’encre et
de salive et qui n’en finit pas d’en faire couler. Cet article stipule ceci : « la
durée du mandat du Président de la République est de cinq (5) ans. Nul
ne peut exercer plus de deux (02) mandats consécutifs » Voilà, qui est, on
ne peut plus clair. A-t-on besoin d’être docteur en Droit ou agrégé pour
comprendre une formulation aussi simple ? En dehors de certaines
théories qui ne sont que pures élucubrations, je ne dis même pas un élève
du moyen mais celui du cours élémentaire peut parfaitement comprendre
le sens de ces formulations.
Donc, si l’on traduisait, on pourrait obtenir ceci : « Nul ne peut exercer plus
de deux (02) mandats consécutifs de cinq (05) ans. » Un point, c’est tout.
L’actuel Président a-t-il fait deux (02) mandats consécutifs de cinq (05)
ans ? Assurément Non ! Par conséquent, j’estime qu’il a droit, bel et bien,
à une troisième candidature ; je dis bien candidature et pas un troisième
(3e) mandat. Celui-ci est accordé par le peuple souverain et lui-seul. C’est
exactement le cas de Wade à la Présidentielle de 2012. Laissons le
peuple trancher. Le dernier mot lui revient.

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Qu’on ne me rétorque pas que le Président « a dit ou a écrit » ; car ce qu’il


dit ou écrit est nettement en deçà de ce que dit la constitution. N’avait-il
pas dit qu’il allait réduire son mandat de sept ans à cinq ans ?
La constitution ne le lui a-t-il pas interdit ? Apprenons à respecter, comme
les américains, notre constitution. Je précise au passage que je ne suis
d’aucune formation politique. « Fouma Fek degue, dama koy wax ». En
tout cas, il est temps qu’on se ressaisisse pour un Sénégal de paix. C’est
la tâche surtout des hommes politiques.
Pour que ceux-ci réussissent, il ne suffit plus maintenant qu’ils se
redonnent une âme, un frisson nouveau, il faut, absolument qu’ils s’offrent
ce « supplément d’âme » que Bergson, déjà, réclamait. L’homme debout,
c’est celui dont l’esprit, entièrement libre, commande à la sensibilité et au
corps.

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Opposition Politique est-elle synonyme de nihilisme ?


Au titre V de la constitution sénégalaise, l’article 58 stipule ceci : « la
constitution garantit aux partis qui s’opposent à la politique du
Gouvernement le droit de s’opposer. La constitution garantit à l’opposition
un statut qui lui permet de s’acquitter de ses missions. La loi définit ce
statut et fixe les droits et devoirs y afférents ainsi que ceux du chef de
l’opposition. » Voilà qui est, on ne peut plus clair.
D’ores et déjà, je me veux clair comme l’eau de roche : je ne suis d’aucune
formation ou de coalition de partis politiques. Je suis un citoyen qui
observe la vie politique de son pays, qui émet des opinions personnelles
pour un meilleur fonctionnement de celle-ci.
Ma conviction est que l’avenir de notre culture politique sinon notre culture
tout court sera fonction en grande partie du fait qu’il y aura suffisamment
de Libres penseurs pour nous éclairer sur ce qui est vrai et ce qui est faux.
N’est-ce pas le rôle de l’intellectuel ? Celui-ci a donc une lourde
responsabilité, plus grande que ce que l’on veut bien admettre. Seule la
vérité peut nous rendre libres.
Sous ce rapport, tentons d’examiner les relations, qui en notre sens
doivent prédominer entre opposition et pouvoir pour l’exercice d’une
démocratie saine et apaisée.
L’opposition critique le gouvernement. Quoi de plus normal ? C’est son
devoir et son métier. A mes yeux, deux tactiques lui sont ouvertes :
critiquer ce qu’elle ne ferait pas si elle était au pouvoir, ou bien contester
en bloc, et par principe, toutes les décisions du gouvernement.
En adoptant cette seconde tactique sans réserve, en exploitant à fond les
possibilités qu’elle offre à court terme, l’opposition en vient
nécessairement à condamner non seulement les erreurs du

217
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

gouvernement mais ses actions utiles. Tout ne peut pas être mauvais,
quand même dans une action gouvernementale !
Aussi, non seulement ses actions positives sont-elles condamnées mais
aussi les transformations inévitables et indépendantes de sa volonté. Elle
s’insurgera contre les faiblesses, par exemple en matière d’électrification
rurale ou de la gestion lacunaire d’inondations.
Au départ, la cible était le gouvernement. A l’arrivée, elle risque d’être tout
simplement tout ce qui touche au changement – TER par exemple –
L’opposition peut devenir ainsi l’expression politique de ce que Mendras
appelle la « contre-société ».
Il est juste que l’opposition épouse la cause des « éclopés de la
croissance », de ceux qui souvent par la faute d’une société mal
organisée, n’arrivent pas à suivre le rythme. Ils ont besoin plus que jamais
d’avocats habiles et de représentants efficaces. Mais ce n’est pas toujours
le sort concret des victimes que l’opposition prend en charge, c’est
souvent leurs protestations à l’état brut.
La source de la crédibilité de l’opposition ne serait-elle pas dans un
monopole de la non-compromission ? Non compromission avec le pouvoir
notamment. Or il est coutumier d’entendre des propos du genre :
« critiquer le jour et négocier la nuit ».
Cela n’a-t-il pas abouti au « Mbourou ak Sow » ?
On attend toujours le Gloria qui ne pointe pas. Quand celui qui est arrivé
deuxième à la présidentielle précédente avec toute la virulence du propos
qu’on lui connait en arrive à une telle compromission, que devient alors le
respect de la parole donnée ?
Quant à l’opposition radicale qui tente vaille que vaille d’arriver à une
coalition, et qui ne râte aucune occasion pour tacler le gouvernement ; je
les invite à plus de mesure dans leur attitude car, demain, elle peut arriver
aux affaires et serait confrontée aux mêmes réalités.
218
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Des exemples, à ce sujet ne manquent pas : pour nous l’augmentation


des denrées de première nécessité. Tout le monde en souffre ; et c’était
prévisible, compte tenu des déséquilibres budgétaires que la pandémie a
occasionnés.
De ce point de vue, le gouvernement était entre le fer et l’enclume.
Comment ? N’oublions pas que le budget n’est qu’un instrument
prévisionnel ; une fois établi, il reste à trouver les ressources qui
l’alimentent. Celles-ci peuvent être tirées, notamment, des recettes
douanières et fiscales mais aussi par les taxes pour une grande part. Si
l’état se prive de ces ressources, où va-t-il trouver la mâne financière dont-
il a besoin pour payer les pensions de retraite ainsi que les salaires ?
Imaginez des mois, sans payer les fonctionnaires et les retraités, dans ce
pays ! La critique est facile mais l’art est difficile. Apprenons à assortir nos
critiques de propositions convaincantes et utiles.
N’est-ce pas là le rôle d’un intellectuel ? Dommage ! On l’est de moins en
moins dans ce pays en dépit des diplômes que l’on brandit à tout bout de
champ. Pourtant notre credo doit être d’éclairer le peuple et non de le
fourvoyer pour des desseins inavoués. Cessons d’être des intellectuels de
circonstance ! Celui qui affuble ce manteau doit éviter de penser, de
critiquer, de questionner, de subvenir, uniquement en fonction de ses
intérêts et de sa chapelle politique. L’intellectuel, c’est avant tout
l’argumentation.
De ce point de vue, quand on aborde une question, quelle qu’elle soit,
nous devons, à mon sens, nous poser quelques interrogations : le
problème que je pose, qui suscite en moi, quelque critique, est-il vraiment
un problème ?
L’argumentation que je vais tenir, tant dans sa teneur que sa progression
est-elle recevable ?

219
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Est-ce que je ne suis pas en train de négliger des aspects importants de


la question qui pourtant pourraient être de nature à éclairer d’avantage
l’opinion ? Ce n’est que dans cette perspective que l’on peut être utile à
son auditoire.
Donc le jeu, l’opposition, la dialectique entre le pouvoir et ses adversaires
sont aussi essentiels à la croissance qu’à la démocratie mais à condition
que cela se passe avec élégance et objectivité – La politique, c’est-à dire
le couple vivant pouvoir-opposition est toujours davantage, la source
irremplaçable de fécondité au grand bénéfice du peuple dont
l’épanouissement en dépend pour une grande part.
Mais enfin, reconnaissons, avec certain grand chef moderne comme M.
Valery Giscard d’Estaing que le pouvoir est institué pour agir et que
l’opposition est faite pour critiquer. N’est-ce pas exact ?

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Quelle sorte de démocratie est la nôtre ?


Le Président Senghor, en quittant volontairement le pouvoir, a tenu, dans
son dernier message à la nation, le 31 Décembre 1980, à recommander
aux sénégalais, la démocratie. En substance, il disait ceci : « Si vous vous
adonnez à la démocratie, le pays sera promis à un avenir radieux. » Nous
n’avons pas le droit d’oublier cette parole de sage, quelles que soient les
circonstances auxquelles nous seront confrontées. La démocratie et la
démocratie seulement pour accéder au pouvoir.
Mais quelle sorte de démocratie avons-nous ? Une démocratie s’apprécie
surtout à son fonctionnement. La majorité gouverne et l’opposition
s’oppose, mais dans l’élégance, le respect mutuel comme cela se passe
dans les grandes démocraties tels les Etats-Unis, la France, l’Allemagne
ou le Royaume-Uni, par exemple.
Notre démocratie repose sur une constitution, des partis politiques, des
élections, des tribunaux, mais aussi sur le parlement dit Assemblée
Nationale. Chacun de ces piliers, joue sa partition dans la marche de notre
expérience démocratique.
La constitution, en tant que texte juridique qui présente des lois et des
règles et qui organise l’exercice du pouvoir politique est l’élément
fondamental de la démocratie. Les « Toubab » sur qui nous copions
presque tout en ont un respect quasi religieux. Il ne la taille pas, ni à la
mesure de ceux qui exerce le pouvoir, ni à ceux de l’opposition mais à
l’intérêt exclusif du peuple. Cependant, elle doit s’adapter à l’évolution des
mœurs. Sa protection est assurée par le conseil constitutionnel. Tout le
monde doit se confronter à ses arrêts. « BUKO DEFE, JAMM AME. »
Une démocratie, c’est aussi des partis politiques. Il en existe à foison au
Sénégal. Même les grandes démocraties n’en comptent pas autant. Mais
cela témoigne tout de même de la vitalité de notre démocratie. Le rôle des

221
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

partis, entre autres, est d’inviter les citoyens à participer activement à la


vie politique. De ce point de vue, la démocratie ne se limite pas au choix
des dirigeants. Elle ne se ramène pas à l’obtention d’un résultat politique
particulier, comme certains le croient – Président de la République, député
ou conseiller municipal – C’est un processus grâce auquel le citoyen
s’instruit par sa propre participation.
Aussi, découvre-t-il son aptitude à diriger ; mais en outre concertée au
processus gouvernemental – notamment au niveau local – il contribue à
son éducation personnelle. Comme l’affirme Aristote, celui qui porte la
chaussure sait où elle blesse. Que veut dire le philosophe ? A mon sens,
il veut dire par là que, dans une démocratie, celui qui fait le mauvais choix
peut en subir les conséquences ; il veut également dire qu’en portant la
chaussure on apprend à mieux choisir la prochaine fois. Ou, comme le dit
John Stuart Mill, la fin dernière de la démocratie n’est pas de produire des
Lois, mais de développer l’entendement des citoyens.
Donc, mes chers concitoyens, Attention au choix de 2024 ! « Bu Lèène
Kène nax » !
Une démocratie qui fonctionne bien, c’est aussi et surtout des élections
régulières et transparentes à date échue. Le calendrier électoral doit être
respecté et rigoureusement. Il ne doit obéir à aucun calcul « politicien ».
Sous ce rapport, nous devons aspirer à atteindre le niveau, pourquoi pas,
des grandes démocraties américaines et européennes.
En matière d’élection, quelle qu’elle soit, du reste, l’attitude de l’électeur
est simple. Il doit se dire ceci : « J’échange mon vote contre une promesse
contenue dans un « programme » – « Yonu Yokuté » - par exemple : si
les dirigeants tiennent cette promesse, je renouvellerai l’échange. Sinon,
la prochaine fois – 2024 -, j’échangerai mon vote contre les promesses et
le « programme » d’un autre candidat. » Ce modèle de démocratie est
logique et sensé, et il tient compte des complexités de la vie moderne.
222
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Par ailleurs, dans une démocratie digne de ce nom, le rôle majeur que
doivent jouer les cours et tribunaux doit être sans équivoque. Ici, celui du
conseil constitutionnel, épine dorsale de notre vie démocratique, ne doit
souffrir d’aucune suspicion.
Sur la question d’une « éventuelle candidature », les « sages » sont bien
sûr, attendus. Rappelons qu’une constitution n’est que l’ensemble des lois
fondamentales qui dans un pays tel que le nôtre règle l’organisation et les
rapports du gouvernement – pouvoirs publics – et qui éventuellement
détermine les principes qui régissent les relations entre les gouvernés et
les gouvernants – droit de manifester par exemple –
Une démocratie, c’est aussi une Assemblée Nationale. Nous l’avons.
L’Assemblée Nationale, pour rappel, est un corps législatif dont les
membres sont les députés qui représentent l’ensemble de la nation – et
pas un président. Elle est investie d’une double mission, qui sont le rôle
législatif et le rôle budgétaire.
En effet, elle élabore, amende et vote les Lois, contrôle le budget ainsi que
l’action du gouvernement, dans le cadre de la séparation des pouvoirs –
Théoriquement – Mais tout de même, elle existe et fonctionne tout bien
que mal, en tant qu’institution.
Au Sénégal, toutes les institutions fonctionnent sous l’œil vigilant de la
presse. Autrement dit, la liberté de la presse, d’expression qui est une
garantie constitutionnelle est une réalité chez nous.
Comme on le voit, tous les piliers qui soutiennent une démocratie digne
de ce nom, sont bien en place au Sénégal. Dès lors ne peut-on pas dire
que le Sénégal est une démocratie ? Si, elle l’est ! Elle est même une
démocratie moderne et pluraliste !
Aussi, dois-je marquer mon désaccord avec ceux qui soutiennent que le
Sénégal est en recul démocratique. Pas du tout ! Sa démocratie est
bouillonnante. Sinon, les Etats-Unis, avec l’invasion du capitole seraient-
223
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

ils en recul démocratique ? Non quand même ! Comme toute œuvre


humaine, la démocratie n’est pas parfaite. Elle est toujours à faire.
J’invite les acteurs politiques – moi, je suis loin d’en être un – pouvoir
comme opposition, à jouer le jeu avec élégance et démocratie ; mus par
un seul souci : Le bien-être et l’intérêt supérieur du Sénégal ;
« Ni balles, ni pierres ! »

224
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Peut-on arriver au pouvoir sans perdre son âme ?


En politique, la promesse n’engage que ceux qui y croient, a-t-on
l’habitude d’entendre. Comme si le respect de la parole donnée n’a plus
aucun sens, aucun crédit aux yeux des populations auxquelles nos
hommes politiques, j’allais même dire, nos politiciens s’adressent quand
ils sollicitent leurs suffrages.
C’est à croire qu’il n’y a plus de rapport entre morale et politique.
Pourtant si ! les principes de la politique, ne peuvent se réduire au calcul
utilitaire, ne serait-ce qu’en raison du halo d’incertitude qui entoure les
conséquences ultimes de toute décision.
L’action politique doit nécessairement s’inscrire dans un cadre moral, donc
dans un système de valeurs enracinées dans la culture. « Nioune sounu
ada ak cossane dafa fonk kaddu ». C’est pourquoi, notre culture nous
indique, chaque fois, la direction à suivre.
Malheureusement, ce que nous observons durant les campagnes, tant en
actes qu’en paroles, est aux antipodes de l’image qu’offrent leurs auteurs,
une fois passés de l’autre côté. Certes, les règles morales ne s’incarnent
pas de la même manière chez l’homme d’Etat et chez le particulier, le
citoyen lambda.
Montesquieu l’a si bien dit : « c’est une expérience éternelle que toute
personne qui a du pouvoir est porté à en abuser ». Mais la sagesse en
politique n’est pas nécessairement celle des philosophes et des savants.
Peu avant Machiavel, Erasme, en 1509, dans l’Eloge de la folie, écrivait :
« Admire qui voudra cette belle sentence de Platon : « les républiques
seraient heureuses si les philosophes gouvernaient, ou si ceux qui
gouvernent philosophaient. »
Fausse idée ! Consultons un peu l’histoire, elle nous apprendra que le plus
grand malheur qui puisse arriver à un empire, c’est de tomber entre les

225
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

mains d’un de ces pédants, d’un homme enterré dans les livres. » De fait,
les plus grands savants firent rarement de grands ministres. « mbirmi
nekul foofu : » Le Président Lula n’était qu’un petit ouvrier, pourtant, il a
fait de bonnes choses ; Wade, bardé de diplômes n’a pas su réaliser son
« sopi », changement, slogan bien connu.
Le fond du problème est que l’on n’accède ni ne se maintient au pouvoir
sans une ambition personnelle forte ni sans une maitrise parfaite de l’art
de manipuler les passions humaines et contrôler les siennes propres.
Mais ce faisant, dans l’exercice d’une opposition politique, on affiche une
image attractive dans la quête ou conquête du pouvoir que l’on trahit, sans
scrupule, une fois au perchoir. Où est la morale ?
Des exemples qui illustrent un tel état de fait font légion dans l’Histoire
politique relativement ancienne et contemporaine. La vie de Richelieu
montre un homme dévoré d’ambition personnelle et capable de toutes les
fourberies pour arriver à ses fins.
En tout domaine, un homme exceptionnel se caractérise moins par tel ou
tel don que l’harmonie de la combinaison de ses talents. Sous ce rapport,
revoyez un peu, les quatre présidents que notre pays a connus, jusqu’ici,
ils se sont tous comportés de la sorte. Le prochain, n’échappera pas à la
règle.
Ceux qui le prendront pour un messie, seront tout simplement déçus !
Pourtant, il ne leur échappe pas que le grand homme d’Etat est celui qui
sait à la fois parvenir puis se maintenir au pouvoir et utiliser son pouvoir
pour le bien de son peuple dont il a la charge. Il n’y a pas lieu de choisir
entre Machiavel – qui, dans le Prince, s’intéresse essentiellement à la
première question – et Kant.
Aussi, les amateurs de maximes peuvent bel et bien approcher Chamfort
et Mencius : « on gouverne les hommes avec la tête car on ne joue pas
aux échecs avec le cœur. » dit le premier, tandis que le second
226
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

affirme : « celui qui est un grand homme, c’est celui qui n’a pas perdu la
candeur de son enfance – parfaite innocence. »
Autrement dit, l’ambition ne doit pas faire perdre de vue que le pouvoir ne
se justifie que par les œuvres, où il s’agit du bien des hommes. Richelieu,
cité plus haut, l’ambitieux, pouvait légitiment dire : « Je ne dors pas la nuit
pour que les autres puissent dormir à l’ombre de mes veilles. » Nos
actuels dirigeants l’ont-ils entendu ?
Toute politique se réfère explicitement ou implicitement à un système de
valeurs, à des normes ; jeux de puissances et jeu de valeurs se trouvent
intimement liés.
L’âme d’une nation s’exprime dans sa culture. « La culture ; le domaine
où se déroule l’activité spirituelle et créatrice de l’homme. Ma culture :
l’esprit du peuple – sénégalais – auquel j’appartiens et qui imprègne à la
fois ma pensée la plus haute et les gestes les plus simples de mon
existence quotidienne. » « Coosane bobu, begoul wor. » Il bannit toute
forme de trahison.
Dans bon nombre de cultures, il en est ainsi, bien sûr en des formes
différentes. Par exemple, au cœur de la culture ou de la civilisation
européenne, se trouve l’idée des droits de l’homme, fondée sur le
RESPECT de la personne individuelle. La valeur d’un individu quelconque
ne serait se réduire à une milliardième fraction de l’humanité.
On ne trahit pas une personne ou une communauté qu’on
respecte ! « Naniou Goré ! » Interrogeons un peu l’histoire. Dans l’œuvre
intitulé les PERSES la tragédie d’ESCHYLE, l’ennemi vaincu est reconnu
par le vainqueur comme son semblable. Quel humanisme ! Dans la même
veine, on peut citer le « connais-toi toi-même de socrate. C’est déjà le
thème de l’universalité de l’homme. Nos hommes politiques ont-ils
vraiment compris tout cela ?

227
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Or donc, l’impératif pratique – c’est-à-dire moral, sera de fait celui-ci : agis


de telle sorte que tu traites l’humanité, aussi bien dans ta personne que
dans la personne de tout autre, toujours en même temps comme une FIN,
et jamais simplement comme un moyen. - « begue Fallou rek ! »
Comme on le voit, le rapport entre morale et politique, loin d’être un
fantasme, est une réalité tangible. Mais ce rapport est-il toujours
observable dans les pratiques politiques ? Les opposants qui aspirent à
l’exercice du pouvoir conservent-ils leur âme, une fois parvenus à leur fin ?
Ce n’est pas l’avis de Jacques Attali dans son ouvrage intitulé VERBATIM.
Jacques Attali, nous dit en substance, qu’il a découvert que le pouvoir
politique donne à celui qui y accède l’illusion de disposer de quelque
chose comme un gage d’éternité : insouciance, impunité, flagornerie, tout
concourt à laisser l’homme de se croire affranchi des contraintes de
l’humain, donc de la loi et de la morale.
Notre auteur précise : « … J’y ai appris que l’exercice du pouvoir ramène
à l’essentiel. Il grossit les caractères des êtres comme la loupe ceux de
l’imprimerie. Il est une DROGUE qui rend fou quiconque y touche, qui
corrompt quiconque s’y installe, qui détruit quiconque s’y complaît.
Aveuglées par les phares de la renommée, les chenilles dévouées ont
tantôt fait métamorphoser en vaniteux papillons. » Voilà qui est, on ne peut
plus clair ! Difficile de conserver son âme, une fois au pouvoir !
Mais enfin, nos hommes politiques, nos gouvernants ne doivent –ils pas
méditer sur leur finitude ? Comme l’a écrit Thomas Gray dans un poème,
« les sentiers de la gloire ne mènent qu’à la tombe. »

228
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Et si nos gouvernants apprenaient la stratégie !


Pour nous enseignants, les termes stratégie, objectifs, moyens et
planification constituent le soubassement de notre action de la vie de tous
les jours. On ne fait rien sans en avoir une idée précise. On n’initie aucun
acte sans au préalable se fixer des objectifs clairs à atteindre. Chaque
chose en son temps et un temps pour chaque chose !
Nos gouvernants ont-ils cette culture ? La crise scolaire qui,
heureusement vient de connaitre son épilogue a révélé beaucoup de
faiblesses dans la manière de gérer les affaires de la cité. On ne gère pas
un pays en procédant simplement au pilotage à vue. Les perturbations sur
le plan éducatif que nous avons connues auraient pu être évitées si nous
avions un gouvernement prospectif.
Dans l’attelage gouvernemental du 1er novembre 2020, composé de 33
ministres et de 4secretaires d’états, le Ministère des Finances et du
Budget occupe la deuxième place et celui de l’économie, du plan et de la
coopération, la septième place. Budget et plan devraient travailler
étroitement, à défaut de les compiler. La notion de plan me semble
importante dans la conception et l’exécution budgétaire. Or on a
l’impression que le plan est traité en parent pauvre dans la structure de ce
ministère. On l’entend rarement. Il y’a lieu de lui apporter une attention
plus soutenue si on veut réellement éviter les atermoiements qui donnent
l’impression qu’on a pas une vision claire des objectifs à atteindre.
On le sait, la structure de la loi de finance de l’année offre que de parties
– voies et moyens de l’équilibre financiers, montant prévisionnel des
recettes et des dépenses ; les comptes spéciaux du trésor ; les
dispositions diverses – C’est au niveau de la seconde qu’il faut, en amont,
inscrire les montants prévus pour le règlement des accords à incidence
financière avec les enseignants ; ce qui éviterait de procéder à des

229
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

accords sans suite. C’est là que l’on attend nos gouvernants en tant que
stratégies !
Aussi, dois-je avouer, que tout au long de ma carrière de membre du
contrôle de l’enseignement, je me suis toujours, pendant près de trois
décennies, intéressé à la méthodologie de l’analyse stratégique.
Chierry de Montbrial, dans son ouvrage intitulé Que faire ? est sous-titré
« les grandes manœuvres du Monde » nous propose la définition suivante
de la stratégie : « C’est l’art, pour la direction individuelle ou collective
d’une organisation simple ou complexe, de préparer et de mettre en
œuvre, réellement ou virtuellement, les moyens nécessaires pour
surmonter ou réduire les obstacles de toute nature – physiques, heurts de
volontés – qui s’opèrent à la réalisation d’un objectif atteignable – et ce
faisant, d’anticiper correctement, selon un processus d’ajustement
continu, l’évolution dans le temps du rapport des forces physiques et
morales en jeu. »
Comme on le voit, cette définition met l’accent sur les obstacles.
Naturellement, dans différentes stratégies mises en œuvre par nos
gouvernants, il y a des obstacles. Mais ont-ils toujours les bons réflexes ?
Au sujet de la crise scolaire que le système a récemment connue, peut-
on dire, qu’en amont que leur stratégie aura été la bonne ? Bien sûr que
non !
Les formes les plus simples, les plus élémentaires de l’action montrent
qu’aucun objectif ne peut être atteint sans efforts. A dire vrai, la
satisfaction des légitimes revendications des enseignants, au plan
budgétaire ne pose pas problème car le Président de la République, lors
de son adresse à la nation du 31 Décembre 2021 a bien dit ceci : « Nos
finances publiques se portent bien », sans compter les entrées de fonds à
hauteur de 70 Milliards par an à l’horizon 2023.Le problème fondamental
est que pour eux, l’Education n’est pas une priorité. Erreur ! Je les invite à
230
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

revoir Jean-Pierre Chevènement qui, en la matière est, on ne peut plus


clair : « Tout peuple qui néglige ses enseignants va tout droit vers le
suicide. »
Donc la stratégie ne doit s’occuper que des objectifs atteignables. Cela
semble évident, et pourtant nombreux sont les échecs dus à l’irréalisme
des objectifs. La notion d’objectifs atteignables est en fait délicate.
Prenons des exemples.
Les lois de la physique permettent d’affirmer qu’il est impossible de
concevoir à fortiori de réaliser le mouvement perpétuel, ou encore un
véhicule qui se déplacerait à une vitesse supérieure à celle de la lumière.
Si on fait la relation sur le plan économique ou politique, il y a toujours lien
de procéder à des accords justes, « réalistes et réalisables » selon les
termes même du Président.
En définitive, la « faisabilité » d’un objectif dépend d’un jugement
d’ensemble où intervient, selon un processus d’ajustement continu,
l’évolution dans le temps du rapport des forces physiques et morales en
jeu.
En tout cas, l’importance des forces morales est reconnue depuis
longtemps par les stratèges militaires et, beaucoup plus récemment, par
les stratèges d’entreprise. N’est-il pas temps que nos gouvernants les
intègrent dans leur stratège politique ? Etant entendre que la relation entre
morale et politique n’est plus à démontrer.
Aussi, la définition de Montbrial souligne-t-elle que la stratégie doit
préparer et mettre en œuvre virtuellement les moyens nécessaires pour
réduire les obstacles. Il est licite de parler de stratégie individuelle – celle
de l’étudiant qui se prépare à un concours, ou de l’ambitieux homme
politique qui veut s’introduire dans les sphères du pouvoir, mais les cas
les plus intéressants sont relatifs aux objectifs d’organisations, simples –
une famille, une petite entreprise – ou complexe – grandes entreprise,
231
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

bureaucraties mais surtout Etat. La distinction est importante, car les


modes de prise de décision dépendent du degré de complexité des
organisations.
Enfin, la définition de Chierry de Montbrial présente la stratégie, selon moi,
comme un art. En tant que méthodologie, la stratégie, comme l’économie,
constitue un savoir qui peut-être considérer comme une science. En tant
que pratique, elle s’apparente au savoir-faire, c’est –à-dire un art.
Il est à noter cependant, qu’il y a une bonne chose de hasard dans la
stratégie, quelle qu’elle soit. « Les trois quarts des éléments sur lesquels
sr fondent l’action, écrit Clausewitz, restent dans les brumes d’une
incertitude plus ou moins grande ». L’action est inséparable de la
prévision. Paul Valery qui, toute sa vie a médité sur l’histoire et sur la
prospective, avait noté la symétrie et la complémentarité entre ces deux
activités : « Revoir et prévoir » L’une que nous suppose le passé, l’autre
qui nous propose un avenir.
Chers gouvernants, pensez-y !

232
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Politique : La genèse du message à la nation.


Au lendemain du grand Magal de Touba, exactement le 16 Septembre
2022, son Excellence, le Président de la République s’adressait à la
nation : il était question du nouveau gouvernement. C’est une disposition
constitutionnelle qui le lui reconnait. En effet l’article 48 de l’actuelle
constitution stipule ceci : « le Président de la République peut adresser
des messages à la nation ».
C’est devenu une tradition, mais une tradition – 31 Décembre de
chaque année ; veille de la fête de l’indépendance ou à l’occasion de
certains grands événements – qui originellement n’a rien, absolument de
Sénégalaise. Nous n’avons fait que copier sur la France ! Sous ce rapport,
n’est-il pas légitime de se poser la question à savoir, sommes-nous
réellement indépendants ?
Quelle est l’origine du droit de message ? C’est une origine ancienne. Son
exercice traditionnel est aujourd’hui de portée limitée. Mais il connaît des
résurgences, pour ainsi dire en marge du droit.
Pour comprendre la signification ancienne du droit de message, il faut se
souvenir des origines du parlementarisme. Le pouvoir des parlements
s’est en effet affirmé d’abord contre les rois. Il leur fallait conquérir ce que
l’on appelle aujourd’hui un « espace de liberté » ; leurs prérogatives,
souvent durement arrachées, étaient précaires et chacun le ressentait.
D’où la volonté de restreindre au minimum les relations entre le parlement
et le roi. On interdisait purement et simplement à celui-ci de paraitre dans
l’enceinte parlementaire, comme en Grande-Bretagne, ou on entourait sa
venue de précautions complexes à la fois symboliques et paralysantes,
comme dans la constitution française de 1791.
L’intention est claire, quoiqu’elle nous semble étrange : on craint que le
roi ; s’il jouit d’un trop libre accès au corps législatif, n’en profite pour

233
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

influencer des parlementaires, accroitre, le nombre de ses partisans,


rallier les indécis, nouer des intrigues.
Nous serions enclins à penser que tout ceci peut se faire de l’extérieur,
et que la personne physique du roi en ce lieu symbolique changerait peu
à l’affaire.
Les contemporains étaient d’un autre avis. Ils savaient que le prestige de
la monarchie était encore grand et appréciaient en professionnels le poids
des sentiments dans la dynamique de groupe, fut-il parlementaire : le roi
parlant à l’assemblée pourrait susciter l’enthousiasme et retourner les
âmes indécises. Le péril n’était pas tout à fait illusoire, il était sage de se
prémunir contre lui.
Seulement, en pratique et à la longue, il est apparu que le chef de l’Etat ;
le roi constitutionnel ou Président républicain, devait en certaines
circonstances s’adresser au Parlement, ne serait-ce que pour lui
transmettre les banalités d’usage.
Ainsi est né le droit de message qui existait sous la IIIe et IVe République-
en France, bien sûr. Ce droit s’exerçait évidement sous contreseing, sauf
en cas de message annonçant la démission du Président.
Certains sont restés célèbres, tels les derniers messages successifs et
contradictoires – ils n’étaient pas contresignés de la même main ! – de
Mac – Mahon, par lesquels il justifiait d’abord sa position au début de la
crise du 15 Mai, puis à la fin, manifestait sa mission. Ou celui de Poincaré,
en 1914, qui affirmait la nécessité de l’ « Union sacrée ».
La constitution de 1958 reprend cette tradition mais en supprimant le
contreseing de la nouvelle stature de l’institution. Si le chef de l’Etat estime
devoir s’adresser au Parlement, il est normal que ce soit là une démarche
personnelle, n’exigeant l’accord de quiconque. Il est en effet contradictoire
de donner au Président le droit de parler et de lier le contenu de ses
paroles à l’assentiment d’autrui. Seul l’abaissement, réel et symbolique,
234
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

de la fonction pouvait rendre vivable une telle contradiction sous les


précédentes républiques.
Mais quelle est la portée du droit de message ? On ne s’aventurerait
guère en la qualifiant de limitée. Aucun message présidentiel, sous la Ve
République, n’a laissé le souvenir d’un fait marquant. Le premier d’entre
eux, en janvier 1959, eût certes une portée symbolique : le Général de
Gaulle, qui venait d’être élu à la présidence, exprimait sa confiance au
parlement.
Au-delà l’usage des messages présidentiels s’est d’ailleurs, sans tomber
à proprement parler en désuétude, peu à peu estompé, quantitativement
et qualificativement : de moins en moins de messages, et de portée
toujours moindre. C’est que l’épicentre de la vie politique a changé.
Le droit de message présente en effet, dans sa forme et dans son nom,
un je-ne-sais quoi de formel, protocolaire, vénérable et dépassé. Il évoque
un temps où les institutions politiques, communiquaient sur un mode
courtois.
Le Général de Gaule participait encore de cet esprit. Il avait le sens de
la courtoisie à l’égard des corps, même s’il entendait réduire leur
omnipotence. Mais l’évolution du temps n’a pas été favorable – c’est une
litote – à la perpétuation de ce style.
Mais tout cela a changé ! Au moins l’avons-nous vu changer ; le Président
pratique le discours télévisé – le Général de Gaule fut l’initiateur de la
technique – N’est-ce pas ce que nous observons jusqu’à ce jour dans nos
états ? Mimétisme ? Suivisme politique ?
Que conclure ? Le Président de la République dispose, aux termes de la
constitution – article 48, rappelons-le – d’un droit formel et propre, mais
pour ainsi dire résiduel, celui d’adresser des messages à la Nation.

235
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

L’important est cependant qu’il possède ou s’octroie, en marge du droit


plutôt qu’en contradiction avec lui, un droit beaucoup plus essentiel : parler
librement, comme il l’entend, aux citoyens.
Force immense, car elle lui donne la capacité d’intervention illimitée,
égale à celle de tous les acteurs politiques sans abdiquer pour autant la
supériorité qu’il a sur eux. Cette liberté d’expression n’est, en un sens, que
le droit reconnu à tout citoyen. Mais on a vu que les chefs d’Etat des
précédentes républiques – en France – en avaient été privés.
Faut-il dire que cette liberté de parole n’est qu’une conséquence du
pouvoir général d’arbitrage ?
Si l’on veut, mais ce pouvoir visait à l’évidence des prises de positions
solennelles et rares.
La vérité est plus simple. Elle résulte de la confluence de deux
phénomènes. L’un est la stature acquise par l’institution présidentielle, qui
procède de la constitution. L’autre est l’évolution du système médiatique,
proprement imprévisible si on se réfère bien sûr à 1958 en France qui
aujourd’hui a fortement influencé la conception et la rédaction de notre
constitution.
Là-bas- en France- on a bataillé ferme, sur les possibilités offertes aux
oppositions de répliquer aux paroles présidentielles. On a d’ailleurs pas
fini car la question est délicate : les opposants ont le droit, mais le
Président, c’est le Président.
Dites-moi où est la différence entre ce qui se fait en France et ce que
nous observons ici ? Aucune ! Aussi, ne devez-vous pas vous laisser
impressionnés par les titres tels que : « Licencié en… », « Docteur en… »,
« Agrégé de … ». L’essentiel se trouve ailleurs.

236
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Politique : L’électeur, cet inconnu…

Au Sénégal, on sait destituer mais on ne sait pas trop bien élire. Les
institutions de la République sont trop sacrées, trop solennelles pour qu’on
y envoie n’importe qui.
Ce qui s’est passé à l’Assemblée Nationale lors de l’installation de la
XIVe législature est indigne d’un député – Représentant du peuple – que
certains ne méritent pas d’être affublés.
De ce Point de vue, l’article de Me Diallo, Avocat au Barreau de Paris,
docteur en droit, intitulé « Quand la dignité oublie de nous gouverner. »
est on ne peut plus significatif – le spectacle désolant que nos
représentants nous ont servi est plus que regrettable. J’invite nos
compatriotes à lire cet article publié dans 24 H du Mardi 20 Septembre
2022 page 10. Bravo Maitre ! Et bonne continuation.
Mais si certains députés sont-là, qui les a mis là ? Nous électeurs !
L’électeur, justement, que pense-t-il d’une institution comme le
Président de la République ? Comme l’Assemblée Nationale ?
Jusqu’ici nous n’avons guère songé à lui.
Nous sommes allés au plus facile, qui est d’écouter les gens qui
parlent. Il va falloir tenter d’entendre ceux qui ne parlent pas. Mais, avant
il convient de s’interroger un instant sur cette répartition des rôles.
Les partis politiques, les groupes organisés – les coalitions – ont une
pratique simple. Elle consiste à poser en postulat que les citoyens au nom
desquels ils parlent pensent ce qu’eux-mêmes disent à leur nom.
Il en résulte que les électeurs dans l’isoloir, vont suivre les « consignes »
des politiciens. Consigne est d’ailleurs un mot malheureux – ce qui
explique les guillemets – que les partis n’exploitent pas ; il évoque trop
une relation hiérarchique.

237
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Il vaudrait mieux dire – ce serait cependant plus long – que les électeurs,
appliquent des observations identiques à des postulats identiques vont en
tirer une conclusion semblable à celle de leur parti.
Le parti adverse ne saurait évidement entendre cela : virtuose de la
manipulation, expert en pratiques antidémocratiques, il ne peut imaginer
la relation de confiance réciproque qui unit l’électeur et ses interprètes
légitimes.
Donc il va s’efforcer de débaucher – mot technique – les électeurs qui
restaient auparavant pour un parti de voter dorénavant pour un autre.
C’est un acte d’une extrême perversité, car l’électeur est influençable :
sensible aux promesses démagogiques, il ne perçoit pas avec la lucidité
souhaitable ses véritables intérêts – tout ceci est technique – s’il vous plait,
qu’à prendre la formule au pied de la lettre, l’électeur est susceptible
d’avoir des intérêts qui ne sont pas véritables. C’est ainsi que les citoyens
votent sans savoir véritablement les véritables enjeux de leur acte, une
fois dans l’urne.
Que dit l’adversaire, dans le même temps ? Il accuse l’autre de se
considérer comme propriétaire de ses électeurs. Son indignation n’est pas
moins grande. Montherlant a écrit que : « l’indignation n’est pas un
système de gouvernement ». Mais c’est, parmi les systèmes de
rhétorique, celui qui produit le plus d’effet au moindre coût : maximum de
bruit pour un minimum d’investissement intellectuel. Ainsi, on mythifie et
mystifie les électeurs.
Si les politiques y retrouvent leurs marques, l’électeur en est-il
impressionné ?
La réponse est difficile. Car l’électeur ne parle que par le bulletin de vote
et celui-ci pose autant de questions qu’il apporte de réponses. Il ne dit rien
des motivations de l’électeur. Il ne dit rien de son degré d’adhésion, qui
peut aller de l’enthousiasme à la morne résignation.
238
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Toute reconstitution de l’état d’âme des électeurs est donc aléatoire. Il


existe certes des individus qui se déterminent en fonction de motifs
conscients et raisonnés. – Mieux vaut ne pas parler de choix rationnels –
ce mot, d’usage courant chez les spécialistes du comportement électoral,
est équivoque. Il exigerait en lui-même une longue discussion.
Aussi, les exemples ne manquent – ils pas. Tel est le cas du juriste qui
étudie un projet de constitution et se détermine en fonction de ses
conclusions. Tel est aussi le cas de l’individu qui fait un choix partisan pour
ne pas dire « idéologique » : il obéit aux directives partisanes ou arrive
spontanément, par ses propres voies, à la même attitude que celle prônée
par son parti.
La différence, à supposer qu’elle existe, relève de la psychologie
individuelle et n’affecte pas l’essentiel : L’électeur sait pourquoi il vote pour
ou contre quelqu’un. Si on lui demande ses motifs, il dispose d’un discours
tout prêt trompeur, mais organisé.
La majorité des électeurs ne sont pas prédéterminés par des choix
politiques antérieurs. Ils ne se livrent pas non plus à une analyse
minutieuse de la situation – cause d’analphabétisme – non qu’ils soient
toutefois dépourvus d’opinion.
Il n’est donc pas tout à fait exact de dire, comme le faisait Valery, que la
politique consiste à faire décider les gens de ce qu’ils ignorent. Certes, la
connaissance qu’ont les électeurs du sujet sur lequel on leur demande de
formuler un avis est imparfaite.
Mais qui peut se prévaloir en l’espèce d’une connaissance parfaite ? Le
droit constitutionnel n’a rien de commun avec les mathématiques : il ignore
les procédures de preuve. On peut en discuter, échanger des arguments
rationnels, s’inspirer de l’expérience, on ne peut parvenir à la certitude. Le
recours à des experts est donc raisonnable, mais l’opinion de ceux-ci

239
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

comportera toujours une part d’incertitude et d’aléa : C’est pourquoi il


n’existe pas d’experts en mathématiques.
Telle est la situation de l’électeur, cet aventurier forcé du monde
moderne. Il est confronté à un choix qu’il n’a pas choisi de faire – c’est là
qu’il doit agir avec beaucoup de discernement, j’allais dire de perspicacité
– sinon, on aboutit toujours au triste spectacle du genre que nous avons
observé lors de la prise de fonction de la XIVe législature.
C’est vrai que les responsables politiques ont décidé de le consulter
mais, ce faisant, ils ne sont que les interprètes d’une conjoncture
historique.
L’électeur sait qu’elle le concerne et qu’elle peut avoir sur sa vie les
répercussions les plus directes et les plus graves. Il peut choisir de
s’abstenir et laisser à autrui et au destin le soin de trancher. Mais ce
fatalisme ne conjure rien.
Chaque président inaugure son mandat avec émotion et emphase,
devant le peuple impressionné et sceptique, admiratif et railleur. Mais ceci
relève de plus en plus du style, de moins en moins du fond et c’est ce
dernier qui est important – prendre à bras le corps ce que demande le
peuple afin d’y apporter des réponses idoines. Autrement le vote des
électeurs n’a plus de sens.

240
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Une démocratie hautement inflammable !


La date du 25 Février 2024 s’approche dangereusement ! que va-t-il se
passer ? Personne ne sait, malgré les supputations qui vont bon train,
c’est l’incertitude. La seule délivrance attendue ne peut provenir que du
Président de la République qui pour le moment garde le mystère sur sa
candidature. Où allons-nous ?
En tout cas, la violence et les remous consécutifs aux problèmes politico-
judiciaires du leader de Pastef et qui perturbent la quiétude de l’ordre
public sont très traumatisants pour une société dont l’opinion dominante
prétend qu’elle est parvenue à un état de stabilité, de tranquillité intérieure
et à un consensus permanent.
Les émeutes du 16 Mars derniers ainsi que celles qui les ont précédées
qui se sont traduites par des affrontements violents entre les services de
défense et de sécurité d’un côté et les manifestants de l’autre firent, aux
yeux de maints observateurs, figure de lendemain incertain pour notre
pays.
Elles oblitèrent l’avenir dans la mesure où on a l’impression que notre
société est fracturée en deux blocs non pas seulement adverses mais
ennemis et se regardent en chien de faïence. Quel dommage ! Les
Sénégalais se sont dressés contre leur propre société.
Les arrestations toutes azimuts, les tentatives d’assassinat – cas Dame
Mbodj du CUSEMS – sont largement interprétées comme l’aube d’une
période dangereuse où personne ne serait plus à l’abri des balles d’un
assassin. « Ay du Yam ci boppu boroom ».
Pis encore, les émeutes de rue sont de nature à amplifier de telles
forfaitures, véritables déchirures sociales qui peuvent mener loin. Ne le
perdons pas de vue, ces situations désastreuses sont le lit de gens
jusqu’ici sans histoire et qui profitent du chaos pour semer davantage le
désordre.
241
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

La violence doit cesser parce que ses partisans de quelque bord qu’ils
se situent ont tort. Aucun progrès n’est possible dans une société où
prévaut la violence.
A mon sens, il faut absolument privilégier le dialogue et la concertation.
Rappelons-nous le mot du Premier Président de la République du Sénégal
lors de son départ volontaire du pouvoir en Décembre 1980 : « le Sénégal
est un pays de dialogue. Avec notre démocratie, notre pays est promis à
un avenir radieux » Pensez-y, mes chers hommes politiques. Le jeu ne
vaut pas la chandelle.
En même temps, il faut reconnaitre que le principe de la contestation et
de la protestation pacifique est inhérent à toute démocratie digne de ce
nom. Sinon, les positions se radicalisent et personne n’y gagne !
Notre nation, à travers les prismes des affrontements actuels se dirige
gravement vers une scission entre deux sociétés – pouvoir et opposition
qui sont nettement séparées et inégales en termes de force. Il est temps
de se ressaisir avant qu’il ne soit trop tard.
La faute, de mon point de vue, incombe à la société tout entière et non
aux émeutiers, qu’il est besoin, pour assurer l’avenir, non de répressions
policières contre les fauteurs de troubles, mais de changements sociaux
considérables.
Il est vrai, pour le pouvoir, les émeutes sont une violation de la loi et de
l’ordre public. Elles sont considérées comme des délits. Ce qui explique
les arrestations massives. Certains pensent que les délinquants doivent
être arrêtés par la police et jugés par les tribunaux surtout ceux-là qui
s’attaquent aux commerces et emportent les provisions. Émeutes de la
faim que le pays a connues en mars 2021.
Certains radicaux, cependant rejettent ce point de vue. Ils voient dans
les émeutes la conséquence d’un défaut du système et la preuve de

242
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

l’échec pur et simple des institutions avec à leur tête, bien évidemment le
Président de la République.
Si la société était vraiment prête à y remédier, ce ne serait pas en
appliquant des « programmes – remèdes » ni des mesures sociales
bricolées mais en procédant à une modification véritable des pratiques
sociales et politiques. Inutile de mettre un sparadrap sur une tumeur
cancéreuse.
Il faut aller plus loin que le permettent les connaissances humaines pour
expliquer et prévenir les violences. Pour l’essentiel, on estime que la
violence a ses racines dans la frustration et par conséquent l’agressivité.
Le remède à la violence consiste à prendre les mesures nécessaires
pour améliorer les conditions de vie de la communauté et de la famille
pour tous ceux qui vivent dans nos villes et campagnes. Construire des
ponts et chaussées, oui c’est bien, mais aussi manger à sa faim, se
soigner et dormir dans un habitat décent – cf. hiérarchie des besoins
d’Abraham Maslow – est aussi plus que nécessaire.
Tout cela peut paraître simple rabâchage, mais le rôle des intellectuels
dans leurs différentes contributions doit permettre de faire passer dans le
discours public la théorie du conflit et l’idée qu’il convient de modifier
l’angle d’observation.
Notre actualité est marquée, ces derniers temps par des violences
récurrentes notamment sur le plan politique qui malheureusement ont
entrainé des morts ! jusqu’à quand ? J’espère qu’on en arrivera pas
comme le craint Alioune Tine à la guerre civile.
Pour juguler un tel désastre, nous devons, nous penseurs, inclure dans
nos réflexions, une théorie sur la récurrence de la violence, et que cela
puisse contribuer grandement à la solution du problème. Nous avons
toujours été au cours de notre histoire, un peuple pacifique, peu porté à la
violence…malgré quelques épisodes regrettables.
243
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

« La violence » est une expression ambiguë dont la signification se


trouve surtout établie par le processus politique – Exemple ; Réforme des
retraites en France ; troisième candidature au Sénégal – les actes tenus
pour des violences… varient selon celui qui fournit la définition et dispose
des plus grands moyens de répandre et faire respecter sa définition.
L’ordre fait toujours l’objet d’une « définition politique ». Au point de vue
d’un certain « ordre », la violence apparait comme la pire des conditions
sociales et l’on présume qu’elle est la plus couteuse quant aux valeurs
humaines.
Ainsi, le citoyen se voit proposer un nouvel angle d’observation par les
partisans de la théorie du conflit s’il l’adopte, il se trouve coupé de ses
façons additionnelles de considérer la violence. Il lui faudra réfléchir
longtemps et intensément avant de se décider à applaudir la police et
condamner le délinquant.
Au terme de cette réflexion, ma pensée n’est tournée que vers une
seule personnalité : le Président de la République. Je ne pense pas qu’il
y est, un seul sénégalais qui aime ce pays mieux et plus que lui, comme
il l’atteste lui-même dans son ouvrage intitulé : « le Sénégal au cœur ».
Ce Sénégal va-t-il brûler ? le risque est gros car les positions tranchées
d’un côté comme de l’autre sont somme toute inquiétantes. Le seul et
l’unique pompier reste le Président de la République Macky Sall, aussi
bien dans son propos et en ses actes. Ce faisant, j’emprunte ma
conclusion à Cheikh Yérim Seck dans son récent ouvrage : Macky Sall
face à l’histoire, page 225 : « Tant il est vrai que, comme a dit Albert
Einstein « l’effort d’unir sagesse et pouvoir aboutit rarement et seulement
très brièvement (in Comment je vois le monde, éd Flammarion). Et Antoine
de Saint Exupéry de renchérir : « le malheur de notre temps, c’est que
tous nos ambitieux aiment le pouvoir pour lui-même. » (In Carnets, publie
en 1953, éd Gallimard). Que Dieu préserve le Sénégal !
244
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

LE SYSTEME DE REMUNERATION DE LA FONCTION

PUBLIQUE.
J’ai eu l’honneur, le 28 Août 2018, de faire partie des invités, au panel sur
l’amélioration du système de rémunération de la fonction publique au
conseil départemental de Thiès.
Aussi, les communications des trois panélistes ont-elles toutes été
intéressantes mais plus particulièrement celle portant sur les taux alloués
à certains corps et corporations, notamment ceux des magistrats et
députés entre autres ainsi que les références prises sur le Burkina Faso
et le Tchad, ont singulièrement attiré mon attention.
Je dois avouer que si je me suis résolu à prendre la plume, c’est parce
que ce jour-là, le temps qui était imparti au débat était si réduit que chaque
intervenant n’avait droit qu’à trois minutes pour donner son avis sur
l’ensemble des questions qui ont été agitées. J’espère pouvoir trouver,
dans le cadre de cet article, l’espace souhaité afin de livrer à l’opinion,
aussi bien ma perception et mes convictions sur la question du traitement
dans la fonction publique.
Pour y parvenir, je me propose d’axer le développement sur trois grandes
articulations : d’abord, mon point de vue, sur ce que j’ai entendu ce jour-
là des panélistes, mais aussi de l’intervention des syndicats ; ensuite sur
l’organisation et le fonctionnement de la fonction publique Sénégalaise ;
et enfin mes réflexions personnelles sur l’amélioration du système de
rémunération.
Mais auparavant, je voudrais faire remarquer la communication sur les
augmentations que l’Ancien régime a octroyées aux Magistrats, aux
députés, à l’Administration territoriale et autres, n’était pas nouvelle à mes
yeux, dans la mesure où le panéliste avait auparavant livré un article
intéressant là-dessus et que j’avais parcouru avec beaucoup d’intérêt.

245
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Si l’on examine le profil et l’emploi des bénéficiaires et des augmentations


intempestives parce que faites d’un coup de tête en des circonstances où
tout semblait ne reposer sur aucune réflexion mûrement menée, on se
rend vite compte, que non seulement , ils constituent des pouvoirs tels que
MONSTESQUIEU dans de « l’esprit des lois » (1748) l’a bien défini mais
aussi et surtout, ils jalonnent tout le processus électoral, car au Sénégal,
on ne peut pas parler d’élections sans les Magistrats et l’Administration
territoriale. Imaginez le reste…..
Quant à la communication qui a débouché sur les modeles Bourkinabé et
Tchadien sur lesquels, le panéliste a invité le Sénégal à s’inspirer pour
régler ses problèmes de traitement dans sa Fonction Publique a suscité
en moi, un sentiment de honte et d’indignation ; car au moment où l’on
parle de Sénégal Emergent avec tout ce que nos gouvernants sont en
train de faire comme effort pour que cela devienne une réalité, on en arrive
à ce que le Sénégal prenne l’exemple de ces deux pays, n’est pour moi
que sacrilège. Loin de moi, l’idée de les traiter avec condescendance !
Cependant, force est de constater que le BOURKINA qui n’a que son
coton et n’a aucun accès à la mer ; et le Tchad qui, malgré son pétrole
n’arrive même pas à payer ses fonctionnaires, ne constituent nullement
des modelés pour notre Cher pays. Ma conviction profonde est qu’en
matière de conception et de mise en œuvre des politiques Publiques, nos
cadres, dans leurs domaines respectifs n’ont rien à envier à ces pays-là.
Le mot d’ANTONIO GRAMSCI reste toujours d’actualité : « sur l’aile
enjouée du temps, il n’y a pas de plus affreux désastre que la mort de
l’imagination ».
Par ailleurs, nul ne peut contester le rôle des syndicats d’enseignants en
matière d’amélioration des traitements de cette corporation, notamment
de ce qui concerne l’indemnité représentative de logement. Les acquis,
l’ont été de haute lutte. Précédemment allouée aux enseignants de
246
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

l’élémentaire, étendue par le décret N° 81-842 du 20 Août 1981 à tout


enseignant titulaire a connu une évolution notoire. Le taux, faut-il le
rappeler, après être passé de 2500 f à 12 000 f puis 25 000 f a, par la
suite a été porté à 35 000 f pour compter du 1er Juillet 1990 puis 40 000 f
et à 60 000 f, conformément aux conclusions des Etats Généraux de
l’Education et de la formation de 1981 acceptées par le régime de Maître
Abdoulaye Wade. Son successeur Macky Sall qui dit ne vouloir pas faire
moins que ce dernier l’a porté à 100 000 f.
C’est ce genre d’actions concrètes auxquelles on s’attendait, sous forme
de propositions « réalistes et réalisables », selon le mot du Président Sall.
Ce jour-là conformément au thème : « Système de rémunération de la
Fonction Publique : quelles solutions gagnantes, équitables et durables ?
Je dois dire que sous ce rapport, tous les syndicats qui se sont succédé à
la tribune m’ont déçu. Certes, ils ont été brillants dans leur présentation
mais pas une proposition concrète, recevable n’a été enregistrée. La
montagne a accouché d’une souris.
Pourtant, le sujet était suffisamment clair, les qualificatifs, on ne plus
précis.
Voyons à présent, comment la Fonction Publique est-elle organisée en
tant que structure, quels sont ses organes, les hiérarchies qui la
composent et conséquemment les grilles de salaire qui en découlent. A
coup sûr, on pondrait un fascicule là-dessus si l’on se proposait d’épuiser
chacun de ces points, néanmoins, il est possible d’en faire l’économie pour
en avoir un aperçu.
Le statut actuellement en vigueur, la Loi 61-33 du 15 Juin 1961 s’est
inspiré largement de la loi française du 19 Octobre 1946 portant Statut
Général des Fonctionnaires de l’Etat et ultérieurement modifiée par la loi
du 4 Février 1959.

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

La Loi 61-33 plusieurs fois modifiée est parfaitement adaptée à la


nécessaire distinction entre la Loi et le règlement. De ce fait elle constitue
le cadre dans lequel se meut la Fonction Publique même. Celle-ci se
définit en organismes. Il s’agit des organes chargés de la conception puis
de la mise en œuvre de la politique nationale en matière de Fonction
Publique. Ce sont : les organes exécutifs.
❖ Le Président de la République : D’après les dispositions de l’article
42 de la Loi constitutionnelle, le Président de la République, Gardien
de la constitution détermine la politique de la Nation.
❖ Le Premier Ministre, nommé par le Président de la République est
chargé, sous l’autorité de celui-ci et le contrôle de l’institution
parlementaire de conduire la politique de la nation et de coordonner
l’action gouvernementale.
❖ Les ministres qui sur le fondement des dispositions des articles 50
et 57 alinéa 5 de la constitution sont délégataires de certains
pouvoirs du Président de la République et / ou du premier Ministre.
Mais de plus en plus, le législateur, sensible à la dynamique des
mouvements sociaux a pris des dispositions pour faire participer les
fonctionnaires à la gestion de la Fonction Publique.
Aussi a-t-il été institué des organes consultatifs au sein desquels des
représentants des organisations syndicales siègent aux côtés des agents
mandatés par l’administration. Les organes consultatifs ainsi rattachés au
Ministère de la Fonction Publique sont les suivants :
➢ Les conseils supérieurs de la Fonction Publique
➢ Les commissions administratives
➢ La commission nationale de classement des diplômes
➢ La commission nationale des contrats
➢ Le conseil de santé ;

248
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Voilà le cadre institutionnel de la Fonction Publique ; le fonctionnaire


l’intègre pour y faire carrière dans une double structure : une structure
administrative générale, Direction, Service, Division, Bureau etc. et une
structure interne à la Fonction Publique spécifique a celle-ci, que l’on
entend en terme de cadre, Hiérarchie, corps, Grade, Echelon, Emploi etc.
La hiérarchie notamment, repose sur un ordonnancement des structures
aussi bien internes qu’externes de la Fonction Publique. Les
fonctionnaires sont repartis en cinq (5) hiérarchies : A, B, C, D, E.
Remarquons qu’aucun corps ne figure encore moins ne fonctionne,
actuellement à la hiérarchie E.
Conséquemment, il existe une grille des salaires pour chaque Hiérarchie.
Ces grilles comportent différents éléments débouchant sur la solde totale
brute.
Voilà de façon très ramassée, comment fonctionne la Fonction Publique.
Aussi longtemps qu’il en fut ainsi, il n’y avait pas de problèmes majeurs.
Qu’est ce qui les a provoqués ? Ce sont les augmentations hors normes
et démesurées qui ont provoqué ces déséquilibres tant décriés.
C’est KARL MARX qui disait : « l’humanité ne se pose que des problèmes
qu’elle peut résoudre ». Toutefois la solution ne sera pas facile à trouver.
Quand les Magistrats disent : « On ne touche pas à nos huit cent mille
(800 000 f). Les députés disent : « on ne touche pas à nos privilèges ».
L’administration territoriale tient le même langage. D’un autre côté, les
enseignants se braquent et disent qu’ils ne vont pas se contenter de Cent
mille francs (100 000f) ; et ils argumentent, comme ils savent si bien le
faire d’ailleurs. Dans ces conditions, où est la solution ?
A mes yeux, le seul compromis possible, est de maintenir le statu quo
actuel tout en faisant monter progressivement l’indemnité des enseignants
comme cela a toujours été le cas. N’oublions pas que l’indemnité
représentative de logement est partie de 2500 f.
249
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Pourquoi une telle proposition ? Parce que je n’imagine pas que le Prince
– en l’occurrence le Président de la République – se réveille un beau jour
pour signifier aux Magistrats, Députés et autres bénéficiaires des
prodigalités de Wade que les avantages que vous avez obtenus de
l’Ancien régime sont supprimés au nom de revendications syndicales qui
me taraudent. Ce serait un scandale ! Une telle mesure équivaudrait, à
coup sûr, à une abolition de privilèges. Et l’abolition de privilèges, on sait
ce qu’elle a engendré comme remous, comme soubresauts, comme
spasme social dirais-je même. En Europe et principalement en France.
Ce ne sont pas les professeurs d’histoire qui me démentiront- Que dieu
nous en protège !
En somme, chers collègues enseignants, ne nous berçons pas d’illusions.
Notre métier est un sacerdoce et non point une sinécure. Nous ne serons
jamais riches. Nous n’aurons jamais les privilèges des magistrats et des
députés. Nous ne constituons pas un pouvoir ; nous gérons à peine un
bureau de vote. Je conclus en rappelant en tant que croyant un Hadith du
Prophète Mohamed (PSL) : « Contente toi de ce qu’Allah t’a attribué, tu
seras le plus riche du monde.»

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Médicaments frauduleux : Arrêtons les charlatans ! :


Dans la nuit du mardi 13 au mercredi 14 Avril, la police a démantelé un
vaste réseau de trafiquants de faux médicaments à la patte d’oie Builders,
dans une maison abandonnée non loin de l’agence de la SENELEC. Un
groupe composé de sept personnes a été arrêté ; parmi eux deux
étrangers et deux agents de la santé.
Maître Massokhna Kane, Président de SOS consommateurs du Sénégal
réagissant à ce scandale n’a pas mâché ses : « Il s’agit d’un crime dont
les conséquences sont désastreuses aussi bien sur le plan économique
que sur le plan de la santé publique. Ce sont des réseaux de criminels qui
se font beaucoup d’argent sur le dos des populations en mettant en
danger leur santé. »
Moi, ce qui me blesse, c’est surtout les « deux agents de santé » qui font
partie des interpellés ! Ceux-là ne méritent pas ce titre ! Quelle que soit
leur qualification, à mes yeux, ils ne sont que des charlatans ! Ils ont trahi
le serment d’Hippocrate !
Ce sont des criminels qui doivent être sévèrement sanctionnés, châtiés
même ainsi que leurs complices, quel que soit leur rang.
Charlatan !oui ! Ils n’ont pas compris que les relations entre le soignant et
son malade sont d’un ordre tout particulier, - qui peut parler de soins sans
médicaments ? – et totalement différentes de celles qui unissent l’avocat
et son client.- En prononçant le serment d’Hippocrate, le docteur en
médecine a juré de faire passer les intérêts du malade avant toute chose,
et notamment avant les siens. Ces deux « agents de santé » l’ont-ils
compris ainsi, eux qui font passer l’argent avant la santé des populations ?
J’aurais eu moins mal, s’ils n’étaient pas de la santé.
Il y’a eu, il y’a encore des hommes qui font passer leurs intérêts matériels
en premier lieu, et qui sont prêts à tirer profit de la crédulité des bonnes

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

gens. Tels sont les charlatans ; et, ceux-là qui trafiquent ces médicaments
frauduleux sont pires que les charlatans.
Mais comment définir le terme « charlatan » ? Le dictionnaire Larousse
nous enseigne que ce mot est d’origine italienne et que ciarlatano vient du
verbe ciarlare, qui signifie bavarder ou, mieux « tenir des
boniments »…Hélas, beaucoup d’hommes se montrent trop bavards, le
médecin n’y fait pas toujours exception. Le Larousse continue sa
description fallacieuse en nous disant que le charlatan est un imposteur
qui exploite la crédulité publique, et qui vend des drogues – faux
médicaments de la patte d’oie Builders – se servant de remèdes
empiriques – faux médecins – avec des prétentions « frauduleuses et
hâbleries. En quoi cette description ne s’applique- t – elle pas aux agents
de santé interpellés dans cette affaire de faux médicaments ?
Chose étrange, le charlatan et le médicastre parviennent à nous éviter
toutes les complications. Le charlatan ne recrute pas sa clientèle
uniquement parmi les simples et les ignorants. L’intellectuel se sent attiré
vers lui, car il a presque toujours la conviction intime que la seule jalousie
professionnelle – Pharmacie nationale d’approvisionnement et pharmacie
parallèle – empêche le corps médical de reconnaître le charlatan. C’est ce
phénomène qui, au XVIe siècle, avait conduit le philosophe anglais
Francis Bacon (1561 – 1626), l’un des créateurs de la méthode
expérimentale à écrire : « Nous voyons que la faiblesse et la crédulité des
hommes sont telles, qu’ils préfèrent souvent un rebouteux ou une sorcière
à un médecin expérimenté. »- Voir les citoyens qui s’approvisionnent sur
les médicaments de la RUE, par exemple.
Finalement ce long tour d’horizon sur le charlatanisme et l’irresponsabilité
qui frise même l’inconscience de certains agents véreux de la santé
publique justifie amplement la demande de Me Massokhna Kane,
demande relative à une réactivation diligente du comité sénégalais de lutte
contre les faux médicaments et l’exercice illégal de la pharmacie. Le salut
des populations en dépend.

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

DEBAT A LA TELEVISION :
Echanger avec l’autre, c’est d’abord écouter
De la même manière que je suis particulièrement féru de romans, je le
suis autant pour les débats d’idées. J’en raffole. C’est ce qui explique le
grand intérêt que je porte aux débats télévisés qui passent, notamment à
TFM et SENTV.
Dans la vie de tous les jours, les hommes passent beaucoup de temps à
discuter, et y dépensent beaucoup d’arguments, de forces et de réserves
nerveuses. Ils discutent partout : à la maison, au bureau, à l’atelier, dans
l’autobus, dans les multiples réunions, aux carrefours mais aussi et surtout
à la télévision.
Oui, à la télévision, et c’est là que des efforts notoires doivent être faits
tant du point de vue de la forme que du fond. Il n’est pas donné à n’importe
qui de parler à la télé, par conséquent quand on a l’opportunité d’y
paraître, on doit se soucier de soigner son image à tout point de vue. Force
est de constater qu’il y’a, en la matière beaucoup de faiblesses.
N’avez-vous pas remarqué que dans beaucoup de discussions – voir
« l’essentiel » SEN TV ; « grand plateau », « Ndoumbélane », « les
grandes gueules » et autres……chacun se retire presque du débat, plus
fermement convaincu que jamais, d’être dans le vrai ?
C’est peut-être parce qu’il n’y a pas que des arguments en présence mais
des hommes, des femmes et des convictions derrière ces arguments.
Ainsi, une discussion de cette nature, n’est pas seulement un échange
d’idée, de raisonnement, mais la plupart du temps une lutte entre deux
hommes ou femmes, et spécialement entre deux sensibilités.
Dans la discussion, mes chers débatteurs, pensez toujours à l’autre – non
pas seulement à celui à qui vous cherchez à démonter le propos mais à
tous les nombreux téléspectateurs. Si vous « démolissez », dites-vous

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

bien que neuf fois sur dix, vous blessez en même temps l’homme qui les
avait bâtis. Avez-vous gagné ? Non !
Vous devez aider l’autre à se convaincre lui-même de ce dont il n’était
peut-être pas sûr. Vous le contraignez à tourner de nouveaux arguments
plus forts que les précédents. Mais discutez encore, votre logique est
implacable, vous le poussez dans ses derniers retranchements. Il est enfin
réduit au silence. Cette fois, vous êtes vainqueur ? Pas d’avantage. Vous
n’avez pas vaincu sa sensibilité, au contraire.
Mais ce qui est surtout à éviter, c’est de blesser ! Vous blessez l’autre
lorsque vous le condamnez en bloc surtout en le tutoyant en dehors de
toute familiarité. Exemples : « ton argumentation ne tient absolument pas
debout ! » ; « tu es complétement à côté de la question ! » ; « ça n’a rien
à voir avec le problème » ; « tu n’as pas les pieds sur terre ! » ; « Mon
pauvre vieux, tu n’y es plus ! » ; « tu rêves bien sûr ! » ; « tu raisonnes
comme un gosse ! » ; « tu devrais te faire soigner !» ; « tu es
complètement fou ! » et que sais-je encore. De tels propos sont
regrettables mais hélas fréquents dans les plateaux de télévision. Et dire
que cela émane de personnages dits « cadres », c’est simplement
scandaleux. Mon inquiétude est grande et se justifie quand je pense que
ce sont ceux-là qui, aspirent à diriger le pays ! N’est pas cadre qui veut,
même si l’on est bardé de diplômes. Un instruit n’est pas forcément un
intellectuel. Celui-ci est surtout un état d’esprit doublé d’une attitude
responsable, une expression limpide et intelligible.
En définitive, mes chers débatteurs, mon ambition n’était pas de donner
des leçons à qui que ce soit, mais bien de partager une expérience de
vingt-huit années dans le corps de contrôle de l’éducation nationale où les
débats, dans les séminaires et autres rencontres sont monnaie courante
.Si vous voulez réussir dans vos discussions oubliez-vous, respectez

254
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

l’autre, ne soyez pas le riche qui fait l’aumône au pauvre, mais celui qui
vient au-devant de l’ami pour s’unir à lui, et avec lui découvrir la vérité.

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Le Péril identitaire : chassons les oiseaux de mauvais

augure.
Attention ! Ces esprits retors qui tentent d’opposer, voire dresser Sérères
contre Diola ou Toucouleurs veulent mettre la république en danger. Ils
doivent être combattus avec la dernière énergie ! Personne ne doit leur
prêter la moindre oreille attentive, encore moins les suivre.
Aussi, ces pyromanes doivent-ils être démasqués et définitivement
disqualifiés. Leur attitude mesquine n’a d’égal que leur étroitesse d’esprit
et leur manque de culture ; car, la grandeur d’un homme ne se mesure
pas, par rapport à son sectarisme, mais bien par rapport à sa capacité à
rassembler ainsi que ses dispositions au dépassement et au pardon.
Que ces oiseaux de mauvais augure comprennent que l’unité de la nation
sénégalaise que les générations précédentes ont patiemment constituée,
est sacrée et ne se négocie pas. Le sérère se sent chez lui sous le toit du
Diola et vice-versa. Ce cousinage à plaisanterie qui remonte la nuit des
temps constitue, à n’en point douter, le ciment de notre société.
Ces démons de la division ont-ils conscience des désastres que leurs
propos et attitudes peuvent provoquer au sein de la concorde et de la
cohésion nationale ? Il n’est que de promener le regard dans la sous-
région pour s’en convaincre. Des états déchiquetés, un tissu social en
lambeaux, une insécurité quasi permanente. Que Dieu nous en préserve !
Cet incident qui s’est produit à l’université et qui en a été le déclencheur,
n’était qu’un épiphénomène. Sous ce rapport, n’est-il pas sage de se
référer à la pensée profonde d’un « présocratique », aux aphorismes
célèbres comme Héraclite qui écrivait : « Tout coule » ; « on ne se baigne
deux fois dans le même fleuve » De ce point de vue, je suis tenté de crier :
plus jamais ça !

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Oui, mes chers concitoyens, il n’y a pas d’essence éternelle. Tout est
soumis au changement. L’identité n’est pas ce qui est nécessairement
« identique » mais le résultat d’une identification contingente. C’est normal
qu’il y est des différences dans une société. C’est même souhaitable.
Cette unité dans la diversité est une source de richesse. Ce sont les
apports fécondants des uns et des autres qui génèrent la prospérité.
J’attends le mil du Sérère et le riz du Diola pour me mettre à l’abri de la
disette. Ainsi l’identité devient une appartenance commune.
Par ailleurs, une analyse sociologique de cette affaire, pourrait nous
renvoyer d’abord à la conception de DURKHEIM, par rapport à ce qu’il
appelait les « manières de faire » ; « de sentir, de penser » qui définit
même l’individu et sa place dans le processus social. Ce point de vue ne
peut plus, de nos jours, suffire, dès lors, par exemple, qu’on passe, selon
la formulation de Weber, de formes massivement « communautaires » à
des formes de plus en plus « sociétaires ».Reste à savoir, mieux à
comprendre quelle est la nature de cette nouvelle forme de bien social qui
émerge du processus historique des différentes communautés –
ethniques, religieuses etc…C’est ce que ne semblent pas comprendre,
ceux qui tentent de semer le germe de la discorde. C’est finalement et très
simplement une question de culture. Un homme instruit n’est pas
nécessairement un homme cultivé.
L’heure n’est plus à la division mais à l’union des cœurs et des esprits
pour la construction de notre cher Sénégal. Et pour ce faire, un
changement d’attitude, mieux un nouvel état d’esprit, consistant à ne dire
ou faire, que ce qui unit ou rassemble, est plus que jamais nécessaire.
N’oublions jamais la formule de NORBERT Elias : « Il n’y a pas d’identité
du « je » sans identité du « nous » .Elias propose même l’expression
« Identité » « Nous – je ».Ce choix délibéré à la « communauté » par
rapport à la « singularité » de Elias est tout à fait noble ; j’allais même dire,
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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

tout simplement humain. Le sérère que je suis ne peut pas aller sans son
Diola ou son mbidou .
N’oublions jamais aussi que pendant tout le XIXe siècle, les Etats-Nations
vont progressivement s’imposer comme forme prédominante du Nous
sociétaire.
L’invention du nationalisme va notamment permettre de légitimer l’identité
nationale comme forme identitaire dominante.
Ce mouvement va conduire au XXe siècle, à deux guerres mondiales qui
seront les plus meurtrières de l’Histoire. Cet « âge des extrêmes » verra
au nom du nationalisme le plus exacerbé et le plus totalitaire, s’accomplir
des crimes identitaires contre l’humanité et notamment le plus impensable
et le plus horrible : l’Holocauste, synonyme de forme rationalisée et
bureaucratisée d’extermination de l’Autre. La monstruosité nazie
s’enracine dans la plus radicale des revendications identitaires : celle qui
définit l’Autre – le Juif – comme le Mal absolu à éliminer absolument .Vous
voyez donc pourquoi je parle de « péril identitaire ».
En somme, tout revient à améliorer sans cesse son attitude
comportementale vis-à-vis de l’autre. Mais qui est l’autre ? L’autre, c’est
celui que tu rencontres sur la route – qu’il soit Sérère, Diola, Toucouleur,
Soninké : mouride, Tidiane, Layenne, Chrétien, Musulman….ou tout
autre.
L’autre, c’est celui auquel tu dois t’unir pour devenir l’homme « total », le
frère « universel ».Celui auquel tu dois t’unir pour réussir et te sauver
avec tout ton peuple.
L’autre, c’est celui avec qui tu collabores chaque jour pour perfectionner
la création sans distinction de race ni de religion.
L’autre, c’est ton prochain, celui que tu dois aimer de tout ton cœur, de
toutes tes forces, de toute ton âme ; qu’il soit du Nord ou du Sud ; de l’Est
ou de l’Ouest. C’est cela l’amour de la Nation. Luttons farouchement
contre toute velléité tendant à fissurer notre beau peuple pour que vive
notre Sénégal éternel.

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Pour une culture de la paix


Je me suis toujours tenu hors de l’arène politique. Aucune formation
politique de quelque obédience qu’elle soit, ne m’a jamais compté parmi
ses membres. Mon indépendance d’esprit ainsi que mon libre arbitre, sont
et ont toujours été ma marque de fabrique. Je dis ce que je pense, là où
le pense et tel que je le pense, tout en l’assumant pleinement.
Aussi, en tant qu’intellectuel, même étant à la retraite, pour mes fonctions
d’inspecteur de l’enseignement élémentaire, je n’ai jamais cessé d’être à
l’écoute de mon peuple, car un homme de culture ne prend jamais sa
retraite.
Je suis ulcéré, meurtri, matraqué par ces basses histoires de mœurs qui
présentement secouent la république. Cette république, celle de Cheikh
Anta Diop, de Mamadou Dia, de Léopold Sédar Senghor est
complètement défigurée, malmenée, blessée. Cette grande nation
sénégalaise qui aux heures les plus sombres a su s’inspirer des valeurs
cardinales qu’incarnaient un Lat Dior Diop, un Cheikh Ahmadou Bamba,
un El hadji Malick Sy, un Bay Niass, un Seydina Limamoulaye, un Cardinal
Thiandoum, cette république-là, disais-je ne sombrera pas ! Jamais ! Pour
une simple affaire de mœurs dont l’effectivité n’est même pas encore
prouvée !
Attention ! La paix dans notre cher Sénégal est menacée, gravement. Il
est bien difficile d’en traiter avec objectivité, dans une perspective
purement éthique.
C’est ici que les religieux peuvent et doivent apporter une contribution
indispensable. La paix est essentiellement une œuvre de justice, d’amour,
de culture humaine. C’est dans l’intériosation de la paix que réside le
véritable humanisme, la véritable civilisation. La paix est constructive
patiente du génie spirituel de l’homme. Elle est présente dans tous les

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

écrits religieux. La paix est une des réalisations les plus hautes de la
culture et pour cette raison mérite toute notre énergie intellectuelle et
spirituelle.
Aussi, cette paix si sacrée mérite-t-elle d’être malmenée à cause d’une
banale affaire de sexe ? Je ne le pense pas ! Rappelons-nous l’histoire de
Youssoupha, le prophète, dans le noble coran. Le prophète Yussif est le
fils du prophète Jacob, petit-fils du prophète Ishâq (Issac) et l’arrière-petit-
fils du prophète Ibrahim (Abraham).Cette histoire nous montre à
suffisance combien les perfidies des femmes sont vraiment redoutables.
Elles cachent toujours un désir de nuire. C’est pourquoi, personnellement,
jusqu’à ce que des preuves formelles soient établies contre le Député
Sonko, je n’en croirais pas un mot. Je m’en tiens là. Quant à la thèse du
complot, .Je ne m’y étendrai pas car je n’ai aucune preuve en la matière.
Pour la jeunesse, je l’invite à plus de calme et de sérénité. A quoi bon
de brûler des pneus et de déverser des ordures sur la voie publique ?
Pourquoi saccager des magasins AUCHAN et détruire des stations de
service TOTAL ?Pourquoi caillasser, pour ensuite brûler des véhicules
particuliers dont le seul tort des propriétaires est d’être là, au mauvais
endroit et au mauvais moment ?Pourquoi mettre à sac la Radio RFM ?Et
que sais-je encore –A-t-on mesurer le grand préjudice qu’ils ont porté à
ces nombreux pères et mères de famille qui travaillent dans ces
différentes structures, leur désarroi n’a d’égal que la furie de ces jeunes
dominés par l’instinct de destruction. Sous ce rapport, peut-on les
percevoir, comme en 1988, sous l’angle d’une jeunesse malsaine ? Je ne
le pense pas. Je les appréhende surtout comme une jeunesse éprise de
justice juste, impartiale, équitable et sans parti-pris.
Mais malgré ces soubresauts, ces spasmes sociaux, inquiétants à plus
d’un titre, la République est toujours là ! Debout tel le roseau de la
Fontaine : « je plie et ne romps pas. »
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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Mes chers concitoyens, a-t-on besoin d’aller creusé dans d’autres cultures
pour saisir dans ses différents contours la pensée de nos sages en
matière d’exercice du pouvoir ? Non ! Ndamal Gossas et Kocc Barma sont
toujours là pour nous éclairer sur l’état d’esprit de nos dirigeants .Ce
dernier ne disait-t-il pas : « Bour dou Mbokk ».Cette pensée profonde se
vérifie en tout lieu et en tout temps. KANT dans son fameux ouvrage
intitulé : « projet de paix perpétuelle.» Nous gratifie comme à son habitude
de cette pensée profonde : « on ne doit pas s’attendre à ce que les rois
deviennent philosophes ou à ce que les philosophes deviennent rois, mais
on ne doit pas non plus le souhaiter, parce que le pouvoir corrompt
inévitablement le libre jugement de la raison. »Oui, observons les
quatre chefs d’état que nous avons connus depuis l’indépendance :
Senghor a-t-il été le même personnage avant 1960 ? Abdou Diouf ?
Wade ? Président Macky Sall ne peut pas échapper à la règle. Pour
neutraliser ses adversaires, on lui reproche son mode opératoire .Mais
c’est de bonne guerre. Au moins lui, il ne tue pas !
N’allons pas trop loin pour s’en convaincre. Au Tchad, où est l’opposant
le plus irréductible. J’ai nommé Ibn Oumar Saleh ? Où est celui qui a eu
le malheur de se substituer à lui : Yaya Doli ? Où sont les candidats qui
s’étaient inscrits à la présidentielle d’Avril prochain ? Il n’en reste que sept
et à leur risque et péril. Pour cause d’insécurité totale, les deux tiers des
candidats se sont retirés, uniquement pour sauver leur vie.
Un peu plus au Sud, en franchissant la frontière centrafricaine, nous
sommes au Congo BRAZZA. Où est Bernard Kolélas ? Où est Pascal
Lissouba ? Ce dernier, élu démocratiquement a été contraint, de quitter le
pouvoir, suite à une guerre civile sanglante menée par l’actuel chef de
l’état qui, sans état d’âme aspire à un quatrième mandat ! Voilà l’Afrique !
Mais tout cela dédouane-t-il le Pr Macky Sall ? Assurément non !
Toutefois, je voudrai rappeler à l’opposition, que le tombeur du colosse
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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

wade n’est pas un nain politique. Il est très futé et ne vous offrira
absolument rien sur un plateau d’argent. Il vous combattra jusqu’au bout
et ne cèdera en rien.
La politique Sénégalaise, dans ses pratiques, c’est le « ôtes-toi que je m’y
mette ! »Mais il faut que tout se passe dans les règles de l’art. C’est à dire
démocratiquement. A-t-il droit ou n’a-t-il pas droit à une nouvelle
candidature ?ça, c’est affaire de constitutionnalistes et surtout du conseil
constitutionnel. En son temps, respectons et conformons-nous, tous à son
arrêt. Le dernier mot reviendra au peuple sénégalais.
Je termine cette modeste réflexion par le mot avec lequel je l’ai introduite :
la paix. Dans la conjoncture actuelle, construire la paix apparait comme la
réalisation la plus haute de notre nation. Cette paix est essentiellement
l’œuvre de notre conscience éclairée à nous tous, femmes et hommes de
ce pays. Et sans la paix, le Sénégal ne saurait survivre. Personne n’y
gagne !

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Comprendre le phénomène de la guerre


Quatre décennies d’activités et de réflexions autour d’un seul thème :
éduquer, ont achevé de me convaincre que nous enseignants,
éducateurs, tout part de nous et revient à nous. En méditant sur la stabilité
des sociétés humaines, je n’ai pu m’empêcher de penser à la guerre.
Qu’est-ce que la guerre ? Une approche trop idéologique ne permet pas
à mon sens, de comprendre le phénomène de la guerre.
Certains de mes concitoyens ne manqueront pas de se poser la question
de savoir, que vient faire un Inspecteur de l’Education et de la Formation
dans le domaine de l’armement et de la guerre. La réponse est simple.
L’Inspecteur de l’Enseignement est avant tout un homme de culture. A
défaut d’être un mandarin, il doit être un vrai mutant.
Justement à propos de culture, le Général De Gaulle, dans son ouvrage
intitulé : Mémoires d’espoir, nous retrace le cheminement de sa méditation
sur le « chef » qui doit posséder, intelligence, instinct et intuition, autorité,
prestige et surtout caractère ; dont la pensée doit être ancrée dans une
vaste culture générale : « La véritable école du commandement est la
culture générale ». Puisse tous les inspecteurs de l’enseignement
s’identifier à cette réflexion De Gaulle.
Venons-en maintenant au phénomène de la guerre. Mes lectures m’ont
conduit aux idéologues de la Révolution française. Ceux-ci croyaient que
les guerres passées n’étaient que des affaires de princes, dont les peuples
faisaient les frais. En éliminant les rois, on devait supprimer la guerre.
Pour Lénine, par exemple, la première guerre mondiale fut la
conséquence « logique » de l’impérialisme. Et pour lui, à l’époque,
l’extension du socialisme devait mettre un terme au fléau de la guerre.
Toutefois, l’exemple le plus remarquable d’une approche objective du
phénomène de la guerre me paraît être vom Krieger, le grand traité de

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Carl Von Clausewitz, publié entre 1832 et 1834, après la mort de l’auteur.
Ce livre difficile et inachevé a été, à mon sens, mal lu par des générations
de militaires qui n’en retenaient que des vues sur des stratégies
particulières, et d’intellectuels ne voyant que la théorie de la « guerre
absolue » et de la « guerre du peuple ».
Une lecture plus attentive du Général prussien permet de découvrir une
contribution exceptionnelle à la connaissance du phénomène de la guerre,
qui transcende ce qu’on appelait les idéologies et peut-être même par
certains aspects les particularismes culturels.
A ce titre, elle mérite d’être qualifiée de « scientifique ».Il n’est pas
surprenant que malgré « l’âge nucléaire » que nous vivons
dangereusement – Guerre Russie-Ukraine – les meilleurs analystes
contemporains de la guerre aient consacré d’importants travaux à cette
œuvre considérable.
Je voudrais préciser le jugement qui précède par une tentative assez
brève d’analyse du traité selon mon niveau de compréhension, afin
d’illustrer l’idée que l’action possède sa sphère propre.
Dans le livre I consacré à « la nature de la guerre »Clausewitz se garde
bien de théoriser sur la dimension métaphysique du sujet. L’expérience
des conflits entre unités politiques est une expérience aussi vieille que
l’humanité.
Aussi, la guerre est-elle définie d’une manière opératoire comme un « acte
de violence destiné à contraindre l’adversaire à exécuter notre volonté »-
Russie-Ukraine, Iran-Irak – par exemple. Il s’agit donc d’une modalité
particulière de résolution des conflits.
Clausewitz parle encore de la guerre comme d’un « conflit de grands
intérêts réglés dans le sang, et c’est seulement en cela qu’elle diffère des
autres conflits. Exemples : toutes les guerres connues jusqu’ici.

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Les autres conflits portant sur de petits intérêts sont directement traités
par voie de négociations et le droit international n’est autre que la
construction empirico-rationnelle du cadre correspondant. « La violence,
précise Clausewitz, c’est –à-dire la violence physique est donc le moyen ;
la fin est d’imposer notre volonté à l’ennemi.
Et ce désarmement est par définition l’objectif proprement dit des
opérations de la guerre. La politique « est l’intelligence de l’Etat
personnifié ».Toute critique politique est en effet dirigée et c’est cette tête
qu’il faut comprendre, en un sens général, comme « l’Etat personnifié »
selon Clausewitz.
L’auteur revient longuement sur le sujet dans le livre VIII – le « plan » de
guerre-où il souligne en particulier la primauté du politique pour la
conception d’ensemble de la guerre, et observe que les objectifs de la
guerre sont par essence limités.
Dans cette approche, la place de l’idéologie se situe à la fois dans la
définition des objectifs de la guerre – qu’il s’agisse des croisades pour les
temps anciens, du djihâd islamique pour les temps actuels, des guerres
coloniales entre la France et l’Algérie par exemple, des conflits territoriaux
etc.
Clausewitz insiste en effet, tout au long du traité, sur le facteur moral
comme force de cohésion, tant au sein de l’armée elle-même que dans
les arrières que constitue la nation – soutien indéfectible du peuple – la
démarche aboutit de la sorte à un modèle assez général pour englober
et classer tous les types de guerres possibles.
Le génie de Clausewitz consiste dans une combinaison exceptionnelle de
capacité théorique et donc d’abstraction, de connaissances historiques et
d’expériences vécues. Il montre que la « tendance philosophique » de la
guerre est d’aller vers la « forme abstraite » d’une « poussée aux
extrémités ». Ce point de vue a généralement été mal compris par les
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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

interprètes et commentateurs du général prussien. J’ai eu la curiosité d’en


parcourir quelques-uns, et mon sentiment est que souvent, ils sont peu
préparés intellectuellement à saisir la démarche de l’auteur.
Dans le chapitre II du livre VIII intitulé « Guerre absolue et guerre totale »,
le général se demande au contraire « quel est le milieu non conducteur
qui empêche une décharge complète », mais il précise que la théorie doit
« donner la première place à la forme absolue de la guerre comme à un
point de référence ». Il procède de la sorte comme les physiciens ou ceux
de l’économie. Le propre de la théorie scientifique n’est-elle pas, en effet,
de fournir des points de référence auxquels la critique peut se
raccrocher ?
Clausewitz dissèque les facteurs qui, écartant la guerre du modèle
abstrait, agissent dans le sens de la modération. Ces analyses sur le rôle
de la durée, sur celui du hasard, sur ce qu’il appelle la « friction en guerre »
- Livre I, chapitre VII – sont magistrales.
Le chapitre III dans le livre I est l’un des plus beaux de l’ouvrage. Personne
n’a probablement décrit avec plus de précision et d’universalité
« l’essence du génie militaire ». Des notions comme le « jugement », le
« coup d’œil », la « résolution », la « force de caractère », sont disséquées
par le menu.
Au début du livre II, Clausewitz définit sobrement la tactique comme la
« théorie relative à l’usage des forces armées dans l’engagement » et la
stratégie comme « la théorie relative à l’usage des engagements au
service de la guerre»
Sa conception est d’ailleurs assez large pour inclure l’idée que nous
représentons aujourd’hui par le mot « dissuasion ». Exemple : force
nucléaire de dissuasion, surtout en Korée du Nord.
Extrayons encore quelques joyaux de l’admirable traité. Dans le chapitre
IX du livre IV, Clausewitz définit la notion de bataille principale » et montre
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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

que ce qui entraine la victoire, c’est la destruction de l’organisation de


l’adversaire et pour cela, il faut s’en prendre à son « centre de gravité ».
Dans le chapitre suivant, le général prussien montre que dans une bataille
principale, la différence entre le nombre des victimes de chaque côté est
très faible. Ce n’est donc pas cela qui explique la discontinuité entre l’état
du vainqueur et celui de vaincu, mais l’effondrement unilatéral d’une
organisation, ce qui inclut les éléments psychologiques ou moraux.
Le chapitre XXX du livre VI montre ce qui se passe lorsque de part et
d’autre, on oublie les objectifs politiques de la guerre, qui devient alors une
sorte de jeu autonome où l’on essaie seulement de limiter les dégâts.
C’est là que la guerre devient véritablement absurde.
Ces observations sur l’ouvrage célèbre de Clausewitz ne visent pas à en
présenter un résumé complet. Loin s’en faut. Par exemple, j’ai laissé de
côté la question des mérites respectifs de la défense et de l’attaque à
laquelle on réduit trop souvent la portée du traité.
Aussi, ai-je voulu simplement montrer avec un minimum de précision,
qu’on peut étudier le phénomène de l’action, dans cette modalité forte
qu’est la guerre, en usant de mes dispositions à l’analyse, affinées lors de
la préparation de la fameuse épreuve d’étude de cas au CREI-A
(Concours de recrutement des élèves-inspecteurs Adjoints) et du résumé
et commentaire de texte au CREI (concours de recrutement des élèves-
Inspecteurs)
Ce faisant, j’ai tenté d’exposer quelques-unes des raisons qui autorisent
à juger que Clausewitz y est largement parvenu. La contribution de
Clausewitz enrichit la connaissance du phénomène de la guerre. C’est ce
qui explique le renouveau contemporain des études clausewitziennes.

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

GUERRE ET PAIX DANS L’ISLAM


La guerre en Ukraine fait rage. L’appui de l’occident à ce pays contre la
Russie accentue l’escalade. Jusqu’où ? Où allons-nous ?
Depuis son éclatement, je n’ai jamais cessé d’y réfléchir. Etant
musulman, ressortissant d’un pays à 95% musulman, ne doit-on pas
considérer le point de vue islamique relativement à la guerre et à la paix ?
Comment l’Islam les perçoit-il ?
Mais auparavant, je voudrais faire quelques considérations sur la
nécessité de la maitrise de soi, car me semble-t-il, elle est à la base de
toutes les exactions.
La faculté propre à l’être humain de pouvoir se dominer fait de plus en
plus défaut et doit être rétablie. Bien qu’elle constitue la principale
différence entre l’homme et l’animal, la mentalité des temps modernes
semble l’avoir sérieusement perturbée.
Récemment, au cœur de Paris, un homme, français du reste, a abattu
trois kurdes et en a blessé tant d’autres. Il n’a eu d’autres explications à
donner que : « j’ai une haine pathologique envers les étrangers ».
Cet exemple n’est pas isolé, les statistiques de la criminalité, surtout
aux Etats-Unis, indiquent clairement que les comportements agressifs
incontrôlés et destructeurs sont devenus un phénomène social courant
plutôt qu’une exception comme peut le constater quiconque regardant les
informations à la télévision ou lisant les pages des faits divers des
journaux. C’est monnaie courante chez nous, ici au Sénégal.
L’absence ou l’abandon de système de valeurs solide et le manque
flagrant de résistance aux impulsions et aux tentations, qui en est la
conséquence sont des facteurs sous-jacents qui ont conduit à une
destruction progressive de la société.

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

De mon point de vue, les clefs du changement sont à chercher dans


l’Education et dans les médias. Nous qui affublons ce manteau
d’éducateurs, nous avons une lourde responsabilité devant l’histoire.
L’éducation ne doit pas seulement transmettre le savoir, mais
également sensibiliser à ce qui est juste et à la conscience que nous
aurons des comptes à rendre à Dieu. Ce n’est qu’ainsi que la plupart des
gens redeviendront sensibles aux incitations de leur conscience.
S’il existe un jour du Jugement dernier, comme nous le croyons, nous
musulmans, on ne peut envier les magnats de médias qui devront rendre
compte de leur rôle dans la propagation et la promotion de la violence, la
pornographie et la dépravation des mœurs. Banalisez l’impensable, il
deviendra tout simplement pensable. Nos jeunes explorent et
expérimentent jusqu’à ce que la débauche et la criminalité deviennent des
addictions sociétales.
Malheureusement, de façon subtile, certains Etats donnent à leur
jeunesse l’exemple du recours à la violence pure et simple, surtout
lorsqu’ils sont en position de force extrême et leurs adversaires en position
de faiblesse extrême. Les exemples ne manquent pas dans la
géopolitique mondiale. Et de fil en aiguille, notre jeunesse, par le biais des
médias, s’en trouve contaminée.
Le masque que l’on nomme valeurs et principes tombe souvent lorsque
les géants militaires ripostent à des « agressions présumées » de toute
leur puissance contre une résistance quasiment inexistante.
Quand il s’ensuit une riposte plus énergique, les mêmes colosses font
marche arrière car « la tâche ne serait pas aisée ». Le manque de respect
pour la vie humaine est épouvantable, tant qu’ils l’attaquent que quand ils
manquent à leur devoir de la protéger. Rappelez-vous l’un des
commentaires des plus crus, mais révélateurs, d’un haut responsable

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

militaire durant la guerre du Golfe : « Nous ne sommes pas là pour


compter des corps ».Il parlait, évidement, des corps de l’autre camp.
Justement, à propos de la guerre, mais aussi de la paix, qu’en dit
l’Islam ?
Les règles en matière de guerre sont très claires, que je sache, dans
l’Islam et ont été explicitement stipulées par le prophète Mohamed (PSL)
en personne.
La guerre peut-être défensive – Ukraine qui se défend à l’agression –
Russe – ou avoir pour but de mettre fin à une oppression – guerres
coloniales – conjointement à ce qui est appelé de nos jours – une juste
cause – et elle doit être menée sans porter atteinte ni aux civils innocents
ni à l’environnement.
L’alliance visant à mettre fin à l’agression est mentionnée dans le verset
coranique : « Si deux groupes de croyants en viennent aux mains,
réconciliez-les ! Mais si l’un d’eux se montre intransigeant, combattez
alors l’agresseur jusqu’à ce qu’il s’incline devant l’ordre de Dieu. S’il s’y
conforme, réconciliez-les avec justice et impartialité, car Dieu aime les
gens équitables. »
Une alliance avec des non musulmans pour une juste cause est
permise. Le traité passé par le Prophète avec les juifs de Médine en vue
de défendre conjointement la ville contre les incroyants en est un exemple.
Autre exemple : le Prophète mentionna un pacte entre les tribus de la
Mecque, bien avant l’islam, par lequel ces dernières avaient convenu de
s’unir pour secourir les opprimés.
A ce sujet, le Prophète commenta : « Ce fut un pacte d’avant l’Islam
mais, si, dans l’islam j’y avais été invité, je l’aurais accepté. »Les
instructions formelles du prophète à ses armées étaient sans équivoque :
elles ne devaient combattre que les belligérants et épargner les femmes,
les enfants et les personnes âgées.
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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Du reste, aucun tort ne saurait être causé aux religieux des autres
cultes, dans leurs monastères ou leurs temples, ni aucun arbre ne devait
être coupé ni brûlé en territoire ennemi, en tant qu’acte de guerre, ni aucun
animal ne devait être délibérément abattu, excepté pour se nourrir.
Quand on considère ces préceptes, on se rend compte que l’application
de la noble éthique de guerre propre à l’Islam est très éloignée des réalités
de la guerre moderne – voyez le spectacle désolant que nous offre la
guerre en Ukraine.
La première guerre mondiale fut peut-être la dernière dans laquelle les
combats ont été restreints aux seuls militaires. A partir de la guerre civile
espagnole, dans les années trente, les règles ont commencé à changer,
comme on a pu le voir également au cours de la seconde Guerre
mondiale, de la guerre de Corée et celle du Viêt-Nam.
Aussi, les deux bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki parlent-
elles d’elles-mêmes, tout comme les « tapis de bombes » -
bombardements intensifs et systématiques par zone – lors de la guerre du
Viêt-Nam et les « zones de combat libre – zones vidées de civils – où
étaient anéantis humains, animaux et végétation, et jusqu’à la terre.
Nombreux sont ceux qui pensent que l’éthique musulmane de guerre
n’est que théorique et qu’elle ne saurait s’appliquer dans le monde actuel.
Les musulmans, et ils ne sont pas les seuls en cela, ont néanmoins un
point de vue différent sur la question.
Puisque les méthodes de guerres modernes sont si dévastatrices, la
guerre devrait cesser d’être une option pour résoudre des conflits. La
guerre devrait être obsolète tout comme l’esclavage !
Il est de mauvais augure que le Nouvel ordre Mondial ait été promulgué
à l’occasion d’une écrasante frappe militaire. Les décisions qui s’en
suivirent laissent à penser le Nouvel Ordre Mondial n’est en fait que
l’ancien ordre dirigé par une seule puissance au lieu de plusieurs.
271
YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

En tout cas, on s’achemine vers l’émergence d’autres puissances pour


un monde multipolaire !
L’humanité se trouvant à un niveau de civilisation jamais atteint au
paravent, proclamant et célébrant, à l’entrée de ce millénaire un nouvel
ordre mondial à l’ère d’internet, un monde exempt de guerre offrant des
modes alternatifs de résolution des conflits n’est plus à mon sens, une
vaine illusion.
Pourquoi les conflits entre nations ne pourraient-ils être réglés par des
tribunaux indépendants ? Il faut que le principe élémentaire de droit : « Nul
n’a le droit de se faire justice soi-même » soit appliqué systématiquement
aux Etats.
On le sait, la guerre ne tranche pas entre le vrai et le faux mais révèle
seulement qui est le plus fort et possède le plus grand pouvoir destructeur.
Aussi, un règlement juste et équitable des conflits serait-il parfaitement
possible si des tribunaux compétents et désireux de résoudre les conflits
de manière honnête et impartiale étaient établis – cela exclut l’organisation
des Nations-Unies et son conseil de sécurité – La clé du succès d’une telle
proposition serait que les pays dits civilisés se décident à être civilisés
vraiment.
Personne ne dirait jamais qu’il est contre la vérité et pourtant, tel est le
cas. La vérité est une valeur et, lamentablement, la politique est aveugle
aux valeurs. Voilà, selon moi, la vraie menace à laquelle nous faisons face
aujourd’hui.
Les plus forts auront-ils recours à la justice en conformité avec la loi ou
persisteront ils à croire que force fait la loi ? Le complexe militaro-industriel
renoncera-t-il à sa raison d’être, justifiée par quelques guerres de temps
à autres.
Peut-on accepter une justice qui répartit le gâteau des ressources
mondiales et le coût de leur renouvellement ? Non, bien sûr, cela serait
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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

un blasphème aux yeux des maitres de l’ordre actuel, à moins qu’il n’y ait
un changement et le changement ne se produira pas par le haut. Il viendra
du bas, des mouvements citoyens.
Allons sœurs et frères, unissons nos efforts ; que jamais la troisième ne
nous tombe !

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Les deux instincts fondamentaux du subconscient


Il n’est pas rare dans nos sociétés d’entendre des jugements de ce
genre : « C’est un fumier ; c’est un fumiste ; il est mauvais ; c’est un
tartuffe ; il est pingre ; il ne rend pas service… » Que du mal émis sur ses
semblables ! Comme si Dieu nous créa parfait ! Mais, et le côté positif où
est-il ? C’est peut-être pourquoi, Jean de la Fontaine nous qualifiait de
Besacier, déjà au XVIIe siècle. Dieu nous créa Besacier « la poche de
devant pour les défauts d’autrui, celle de derrière pour nos propres
défauts ».
Mais a-t-on cherché la racine du mal ? Si mal il y a car tout procède d’une
nature dont on n’a en réalité aucune prise. Nous subissons, en fait.
Il a fallu attendre que la psychanalyse fasse des progrès remarquables
pour comprendre le phénomène.
En la matière, quel que soit l’intérêt des recherches l’évènement majeur
survenu dans l’histoire de la psychologie au cours du dernier demi-siècle
reste l’apparition et le développement des doctrines auxquelles FREUD a
attaché son nom.
Elles n’ont pas seulement proposé des voies nouvelles à l’investigation
psychologique : elles ont exercé une très grande influence sur la pensée
contemporaine ; elles ont popularisé la notion d’inconscient, et, en levant
les tabous qui pesaient sur la sexualité, elles ont provoqué de profonds
changements dans les mœurs.
Signalons cependant que la notion d’inconscient ne date pas de Freud.
Leibniz fut le premier à l’introduire en psychologie, en observant qu’il
existe dans l’esprit des zones inégalement éclairées. Cette piste va
énormément servir les recherches de FREUD qui va l’explorer avec
beaucoup de génie et de talents. Voulant mieux comprendre pourquoi le
mal et le bien – en acte et en parole- dont se livre la personne humaine,

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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

FREUD va aller en profondeur, surpassait ainsi ‘l’inconscient » de Leibniz


pour explorer les deux instincts fondamentaux du subconscient.
Vers la fin de sa vie, Freud était arrivé à la conclusion que les différentes
impulsions fondamentales du subconscient pourraient se réduire à deux
grandes impulsions primaires : un instinct créateur et un instinct
destructeur. Comme Freud identifiait l’instinct positif et créateur avec
l’amour, il l’appel EROS, quant à l’intérêt négatif, destructeur, il le baptise
THANATOS, ou instinct de mort.
Ainsi, Freud se représentait ces deux grands instincts primitifs comme en
lutte permanente l’un contre l’autre, tout au long de la vie de l’être humain,
l’un prenant le dessus pour être ensuite vaincu par l’autre. Le premier de
ces instincts nous confère le don de la santé, le second nous impose la
maladie.
Certaines personnes trouvent difficile, voire impossible, d’accepter l’idée
qu’il puisse y avoir en nous un instinct capable d’œuvrer à notre propre
destruction. Mais si nous considérons avec objectivité notre manière de
vivre ou celle de nos amis, force nous est de reconnaître que ce n’est pas
entièrement improbable- Rappelons-nous le mot de Jean ROSTAND :
« toute vie porte en elle-même un gène de létalité » - le comportement
humain est si énigmatique –tellement plus que celui des animaux !-Les
actions d’une bête sont plus conséquentes et logiques, car elles sont
toujours axées vers sa considération et son bénéfice personnels. Voilà qui
ne peut guère être dit du comportement de tous les êtres humains. Il existe
des hommes – et des femmes – qui préfèrent le côté négatif et sombre de
la vie, qui ont un goût inné pour la tragédie, la maladie et le malheur. Ils
se dirigent d’instinct, comme le papillon attiré par la chandelle, vers la
maladie et la mort, plutôt que vers la santé et la vie. Ce n’est pas une
boutade, mais la constatation d’un comportement humain nullement
exceptionnel.
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YAKHYA DIOUF INSPECTEUR A LA RETRAITE : CHOSES DE LA VIE

Tous les médecins connaissent des patients obsédés par un instinct


négatif, destructeur d’eux-mêmes. Pareils malades résistent à toute forme
de traitement médical ; ils prennent un malin plaisir à déjouer les efforts
de leurs médecins, se cramponnent à leur propre misère et meurent, pour
la simple raison qu’ils n’ont pas la volonté de vivre .A ce propos le Docteur
HUTSCHNECKER écrit : « si nous voulons comprendre la dynamique de
l’instinct destructeur, nous devons le considérer comme un principe actif
qui n’est retenu que par l’impulsion plus importante de l’instinct
créateur… »
C’est exactement de la même manière qu’il faut comprendre, sans leur en
vouloir, les individus – hommes et femmes – qui ne disent que du mal sur
les gens, qui ne perçoivent que le côté négatif, sombre de leur semblable.

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