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Antoine Paulet

Dissertation : La fondation de Bagdad et l’État abbasside

Bagdad a tant fasciné par sa croissance fulgurante que par son plan architectural circulaire.
Comment expliquer qu'une ville fondée à partir de rien au VIIIème siècle soit devenue une des plus
peuplées et prospères de l'Islam ?
Quand al-Mansur fit construire sa nouvelle capitale, il la nomma Madinat al-Salaam,
littéralement « la cité de la paix ». Pourtant, c'est le nom de Bagdad qui est resté. En effet, il
semblerait que le lieu choisi par al-Mansur ait conservé son nom pré-islamique pour la population
locale. Les lettrés musulmans ont tenté de retrouver l'étymologie du toponyme et s'accordent pour
affirmer que Bagdad vient du persan et signifie « donné par dieu ».
Bien que les premiers plans semblent dater de 755, la construction de Bagdad ne débute
qu'en 762 et s'achève en 768. Néanmoins, des aménagements importants se poursuivent jusqu'en
773, toujours sous le règne d'al-Mansur. C'est la période que nous étudierons.
En 750, les Omeyyades sont vaincus et remplacés par les Abbassides. Alors que les
Omeyyades se reposaient sur les Arabes de Syrie, les Abbassides, eux, ont remporté le pouvoir
grâce au Khorassan, une région dans l'actuel nord-est de l'Iran. C'est un tournant dans l'Empire
musulman qui avance les convertis, notamment iraniens, dans l'échelle sociale. Al-Saffah devient le
premier calife abbasside. A sa mort, c'est son frère, al-Mansur, l'héritier désigné, qui pris sa
succession. Se poursuit alors un cycle de violence où al-Mansur doit réprimer son neveu Isa b.
Musa, son oncle Abd Allah b. Ali et divers personnages comme Abu Muslim, etc. C'est dans ce
contexte de révolte permanente et de légitimation d'une dynastie encore fragile et récente qu'al-
Mansur lance la construction de Bagdad.
Bien que la dynastie ait changé, les frontières du nouvel État abbasside sont les mêmes que
celles de l’État omeyyade. Il s'étend de l'Ifriquiya à l'Indus en passant par l’Égypte, le Hedjaz, la
Syrie, l'Irak, la Perse et le Khorassan.
Étant donné les nombreuses destructions de Bagdad, depuis le pillage des Mongols en 1258
jusqu'à l'intervention américaine de 2003, les sources archéologiques ne suffisent pas toujours à se
faire une idée de ce à quoi pouvait ressembler Bagdad lors de sa fondation. Il est alors nécessaire de
se pencher sur les textes des chroniqueurs musulman de l'époque.
Pourquoi al-Mansur avait-il besoin d'une nouvelle capitale et pourquoi à cet endroit ?
Tout d'abord, nous verrons pourquoi cette nouvelle capitale était devenue nécessaire à la
sécurité d'al-Mansur. Puis, nous étudierons l'importance de Bagdad pour légitimer le souverain.
Enfin, nous aborderons le poids économique de cette ville.
Au lendemain de la révolution abbasside, la question du choix de la nouvelle capitale fut
l'objet d’hésitations de la part des souverains successifs. Rester à Damas, ancienne capitale
omeyyade, était exclu, tant d'un point de vue symbolique que stratégique. Les Omeyyades avaient
encore beaucoup de soutiens parmi les Arabes de Syrie et gouverner au milieu d'eux était trop
risqué. Al-Saffah, le premier calife abbasside, avait donc fait le choix logique : installer sa capitale
dans la ville d'où était partie la révolution abbasside, Kufa, en Irak. Il n'y resta néanmoins pas
longtemps et déplaça sa capitale à Anbar. Al-Mansur, au début de son règne, fit de même et
s'installa près de Kufa, à Hashimiyya. Néanmoins, ce n'était pas sûr de rester près de Kufa puisque
de la même manière qu'elle avait lancé la révolte contre les Omeyyades, elle pouvait se révolter
contre les Abbassides, d'autant qu'Hashimiyya n'était pas assez bien défendue pour résister à une
attaque. Vers 754-757, un rassemblement du groupe chiite al-Rawandiyya tourne à l'émeute à
Hashimiyya et al-Mansur est en danger de mort. La foule est réprimée dans le sang mais le calife est
convaincu qu'il a besoin d'une nouvelle capitale, à l'abri.
Bagdad a été pensée pour résister à toutes sortes de menaces, y compris les moustiques. Tout
d'abord, les menaces extérieures d'armées traditionnelles. Des fossés entouraient la ville, suivis de
deux murs et cent quatorze tours. La forme circulaire de la ville ne laissaient pas d'angle mort et les
quatre grandes portes étaient solides et surveillées. Mais plus important encore, les soldats ne
logeaient pas à l'intérieur des murs. On voit la méfiance d'al-Mansur pour sa propre armée qui peut
le renverser à tout moment. De la même manière, tout est fait pour éviter les troubles civils au sein
de la ville. Les quartiers sont divisés en professions et en ethnies. En 774, alors que la ville
commence à prendre un essor commercial, des petits marchés existent dans les murs mais les grands
marchés doivent avoir lieu soit hors des murs, soit dans une ville voisine, pour éviter d'attirer trop
de chaos dans Bagdad.
Cette ville permet aussi de loger ses troupes originaires du Khorassan sans causer de
troubles avec les populations autochtones.

Bagdad ne se contente pas d'être un gigantesque campement militaire pour protéger le calife.
C'est aussi un symbole fort de puissance pour assurer la légitimité de la nouvelle dynastie. Le lieu
de fondation de la ville n'a pas été choisi au hasard. Il se trouve à quelques kilomètres de l'ancienne
capitale sassanide Ctésiphon. Le but n'est pas de se réclamer des Sassanides mais d'éclipser leur
grandeur passée avec une capitale encore plus somptueuse. La forme circulaire de la ville est
quasiment unique pour une ville musulmane. D'habitude autour de la Méditerranée, les villes soit
n'ont pas de forme cohérente à cause de l'amoncellement de bâtiments au fur et à mesure de
l'histoire, soit une forme carrée ou rectangulaire. Néanmoins, le choix du cercle n'est pas une
invention des architectes d'al-Mansur pour autant. Non seulement le cercle est considéré comme
une forme parfaite pour les Musulmans mais on le retrouve dans les plans de villes du croissant
fertile antérieures à Bagdad et à l'Islam.
Plusieurs constructions monumentales dans Bagdad cherchent à surpasser les constructions
omeyyades. Le dôme vert, de quarante-six mètres de haut, avec une statue équestre à son sommet,
qui surplombe le palais résidentiel d'al-Mansur en est un exemple. Le calife et ses descendants n'y
habitent que très peu et al-Mansur fait construire, en 775, le palais d'al-Khuld, en dehors de la ville.
Cette deuxième résidence est dit plus fraîche et moins sujette aux moustiques.
L'architecture s'inscrit plus dans une tradition mésopotamienne et perse qu'arabe ou
islamique. Le « palais du dôme vert », aussi appelé « palais de la porte dorée », a été construit
d'après un modèle sassanide, comme les palais que l'on peut voir à Gor ou Sarvestan. La mosquée
était entourée de colonnes, rappelant aussi l'architecture gréco-perse. Il y a un désir de désarabiser
l’État abbasside.

Certes, être capable de fonder, à partir de rien, une capitale et en faire une mégalopole est
impressionnant mais elle n'a certainement pas été bâtie dans un désert. Bagdad se trouve entre le
Tigre et l'Euphrate, dans une région fertile. Cette ville est aussi à la croisée de routes commerciales
préexistantes car des caravanes traversent la région et des foires y sont régulièrement organisées.
Bagdad devient un passage obligé pour aller de la Méditerranée à l'Orient, et notamment le
Khorassan qui est en pleine croissance à cette époque. La Mésopotamie et le Khorassan sont en
plein boom démographique, ce qui est parfait pour attirer une forte population dans une nouvelle
ville où l'on a besoin de tous les métiers. Pour la construction de la mosquée, al-Mansur a mobilisé
cent mille ouvriers et artisans.
On peut se demander si la construction de cette capitale a plus été une dépense nécessaire ou
un investissement. Al-Mansur a dépensé quatre millions et neufs cents dirhams au total pour la
construction de sa ville. Étant donné l'abondance d'hommes et de provisions aux alentours, ni la
main d’œuvre, ni le ravitaillement n'ont coûté cher. Peu à peu, al-Mansur a délaissé Bagdad, devenu
trop peuplé et économiquement vivant, pour vivre dans un camp militaire sur la côté est du Tigre,
loin du peuple.
La menace constante d'une révolution populaire ou d'un coup d’État par un de ses proches
ou par ses troupes ont poussé al-Mansur à se protéger derrière une forteresse. La construction d'une
nouvelle capitale était aussi l'occasion de montrer sa puissance en éclipsant les empires passés et
surpassant les Omeyyades. Il y a néanmoins une volonté de désarabiser l’État abbasside pour
contenter les convertis conquis, toujours plus nombreux, qui sont le socle des Abbassides. Enfin, la
capacité à fonder une ville et la voir prospérer témoigne d'une très bonne santé économique de
l’État abbasside.

Bibliographie :
I] Instruments de travail :
H. Kennedy, « al-Mansur », Encyclopédie de l'Islam, 2e édition.

II] Manuels :
Th. Bianquis, P. Guichard, M. Tillier (dir.), Les débuts du monde musulman, VIIe-Xe siècle, paris,
PUF, 2012.
A. Ducellier, M. Kaplan, B. Martin et F. Micheau, Le Moyen Âge en Orient. Byzance et l'Islam,
Paris, 2003 (rééd).

III] Ouvrages généraux :


C. Bosworth, Historic Cities of the islamic world, Leiden-Boston, Brill, 2007.
D. Sourdel, L’État impérial des califes abbassides, VIIIe-Xe siècle, Paris, PUF, 1999.

IV] Ouvrages et articles spécialisés :


R. Arnaldez, Les grands siècles de Bagdad, Volume I, De la fondation de Bagdad au début du
IVème au Xème siècle, SNED, 1985.

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