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L'homme face à la nature

Chaque siècle est traversé par un GROS problème :


– XVIIIe siècle : question politique
– XIXe siècle : question sociale avec les révolutions industrielles et la naissance des ouvriers
– XXe siècle : question nationale en Europe
– XXIe siècle : ce serait la question « naturelle » selon Michel Serres (né en 1930)

3 grands phénomènes conjuguent leurs effets : le progrès technique + la croissance démographique +


la mondialisation de l'économie. C'est de bonnes nouvelles sur certains aspects : plus de famines. Mais
tensions environnementales.
Donc assurer une protection nécessaire à la nature semble impossible dans ce contexte. Catastrophes
écologiques sont de plus en plus nombreuses et de plus en plus graves. Le problème : c'est le rapport de
l'homme à la nature, un rapport de pure prédation. L'homme se construit sur la culture en opposition à
la nature.
Faut-il renverser le rapport qui place l'homme au centre du monde?

I – Pour s'affranchir des contraintes de la nature, l'homme a déployé des techniques multiples,
qui semblent aujourd'hui menacer de se retourner contre lui

A. Le rapport de l'homme à la nature se place d'abord sous le signe de l'affrontement

1. L'histoire humaine semble s'inscrire sur le fond d'une lutte contre la nature

Nature apparaît à l'homme comme une malédiction : c'est elle qui le limite parce qu'elle est beaucoup
plus puissante (la mort, la faim, le froid sont des choses de la nature).
Episode du chant XXI de l'Iliade est un symbole de cet affrontement originel : c'est le combat d'Achille
contre le fleuve Scamandre. Moralité : l'homme est encore soumis aux éléments.

L'homme cherche à atténuer cette toute-puissance par la technique. Il compense le fait d'être démuni
par la technique. C'est ce que dit Platon dans le Protagoras : la technique sauve l'homme en lui
permettant de se procurer le nécessaire. On revient sur le mythe de Prométhée et du feu. C'est
l'intelligence technique de l'homme qui lui permet de surpasser les animaux qui peuvent mieux se
défendre face à la nature.

Antiquité : enthousiasme devant les succès remportés par l'homme.


Sophocle dans Antigone (442 av. J-C.) vante l'habileté humaine. Sophocle ne voit qu'une seule limite : la
mort.
Travail est un élément central. C'est ce qui est dit dans la Genèse : « c'est à la sueur de ton visage que tu
mangeras du pain, jusqu'à ce que tu retournes dans la terre d'où tu as été pris. »
Le travail est une malédiction qui permet à l'homme de survivre. Mais la technique vient l'aider à se
libérer du travail.

2. A partir de l'époque moderne, l'humanité s'est donné pour objectif spécifique la


domination de la nature

Antiquité + Moyen Âge : approche contemplative de la nature.


Sciences : la théorie l'emporte sur la pratique. La technique n'est pas valorisée : Gaston Bachelard
(1884-1962) parle d' « obstacles épistémologiques » pour en expliquer la cause.
Ex : Héron d'Alexandrie créé une machine à vapeur mais il ne pense pas à diffuser son invention.

Epoque moderne : programme élaboré de domination de la nature. On passe au règne des sciences
appliquées. Causes : on relativise le discours de l'Eglise + grandes découvertes.
Pic de la Mirandole (1463-1494) – Discours sur la dignité de l'Homme : théorie de l'homme qui se définit par
lui-même. Idée d'une absence de borne à la volonté humaine : sky is the limit.
L'homme sera ce qu'il fera de sa propre histoire.

XVIIe siècle : apparition de l'idée de progrès.


Francis Bacon – Novum Organum (1620) : distingue trois types et trois degrés d'ambition.
1) Ceux qui veulent accroître leur puissance au sein de leur pays : pas top
2) Ceux qui veulent accroître la puissance de leur patrie au sein du genre humain : ça va
3) Ceux qui veulent accroître la puissance du genre humain dans l'univers : super
Pour Bacon, l'homme peut y arriver par les arts et les sciences : natura enim non nisi parendo
vincetur (on ne gagne d'empire sur la nature qu'en lui obéissant).
Bacon : « le savoir, c'est le pouvoir ».

Bacon – La nouvelle Atlantide (1627) : imagine une cité idéale gouvernée par des scientifiques. Problèmes
réglés par la technique.

Descartes – Discours de la Méthode (1637) : souligne combien la technique peut être nécessaire à
l'espèce humaine. La technique nous rend comme maîtres et possesseurs de la nature.
On peut y voir un écho dans le jardin à la française, façon Le Nôtre (1613-1700).
Descartes : corrélation entre technique et rallongement de l'espérance de vie. La technique est là pour
améliorer la santé des hommes.
Avec la modernité, le rapport à la mort change. Si elle était vue comme une fatalité, avec la technique
elle devient de moins en moins comprise et acceptée. La médecine est un peu le cheval de Troie des
nouvelles inventions.

3. Dès lors, l'empreinte de l'homme sur la nature n'a fait que croître

Progrès technique = croissance économique. Le monde se transforme.


L'Economie mondiale : Une perspective millénaire – Angus Maddison paru en 2001 : croissance économique
continue à partir du XVIe siècle.
Espérance de vie s'allonge et vie des hommes de + en + confortable.
Paul Valéry – Propos sur le progrès (1929) : les hommes de condition médiocre d'aujourd'hui ont plus
de pouvoir sur la nature que n'en possédait Louis XIV.

Autre conséquence moins désirable : la planète porte de plus en plus l'empreinte de l'homme.
Victor Hugo dans Les travailleurs de la mer (1866): « l'homme est un rongeur ». Avec lui, tout est modifié
en bien ou en mal d'ailleurs. « Tout borne l'homme, mais rien ne l'arrête. »
Cette emprise de l'homme est à relativiser : elle ne s'exerce que sur la planète, pas sur l'univers.

En France aujourd'hui il n'y a plus d'espace sauvage : 99% du paysage est anthropique. Les cimes des
montagnes sont épargnées, et encore le réchauffement climatique les transforme.
Réserves naturelles créées par l'homme comme Yellowstone en 1873 montrent que l'homme est le
gardien et le maître de la nature.

Mais la nature peut se venger : catastrophes naturelles.


Jules Verne – L'île mystérieuse (1874) : cinq personnages s'échouent en ballon sur une île avec rien en
poche. Grâce à la technique ils vont réinventer l'agriculture, l'élevage, la métallurgie... Mais ils ne se
rendent pas compte qu'ils tuent des espèces (singes) et maltraitent la nature.
Le roman est ambigu parce qu'il témoigne à la fois d'une fois en le positivisme mais la nature se
retourne contre eux (ils sont obligés de quitter précipitamment l'île à cause d'une explosion volcanique).
B. Aujourd'hui, la domination de l'homme sur la nature semble menacer de se retourner contre lui

1. Le processus de domination de la nature semble échapper largement à l'Homme

Aujourd'hui : sentiment de ne plus maîtriser notre propre maîtrise. La science est devenue autonome et
la maîtrise est devenue quasi impossible pour plusieurs raisons :
– difficultés de se mettre d'accord sur une régulation au niveau international (Etats plus
conservateurs que d'autres)
– extension des droits qui sont sans cesse opposés à toute tentative de régulation
– marché donne une diffusion immédiate aux techniques
Exposition universelle de Chicago en 1933 : « la science trouve, l'industrie applique, l'homme s'adapte ».

Pourtant les textes anciens nous mettaient déjà en garde contre la démesure :
– tradition grecque : dénonce l'hybris, la démesure, qui débouche sur le nemesis
– Genèse : le serpent-tentateur dit « vous serez comme des dieux »
Olivier Rey – Une Folle Solitude (2006) : fantasme de l'homme auto-construit. Aujourd'hui l'homme
entend se débarrasser de son passé et de se construire seul mais il n'est pas sage pour autant parce qu'il
n'est pas délivré de son inconscient et de ses passions.
Si l'homme se créait lui-même :
– il n'aurait pas de recul et subirait directement les conséquences de ses modifications vu qu'il est
immergé dans la nature
– la créature risque d'échapper à son créateur comme dans Frankenstein ou le Prométhée moderne de
Mary Shelley

Il y a aussi des catastrophes industrielles terrifiantes : explosion de l'usine chimique de Bhopal en Inde
en 1984 (3500 morts) ou encore Tchernobyl, Seveso, AZF...

Ulrich Beck – La société du risque (1986) : met en évidence le lien entre technique et risque. On échange
plus seulement des biens mais aussi des maux : les sociétés sont devenues des « manufactures du
risque ». Y'a plus de misère, mais de la peur.
Projet prométhéen a échoué sur au moins un point : il n'a pas délivré l'homme de la crainte.

2. Surtout, cette maîtrise aboutit aujourd'hui à des destructions irréparables

Pollution des eaux et de l'atmosphère est contenue dans les pays développés mais pas dans les pays en
développement.
Marées noires : Torrey-Canyon en 1967, Exon Valdez en 1989 ou Erika en 1999.
La diversité biologique se réduit à cause de la déforestation, des échanges internationaux et du
réchauffement climatique. Surexploitation des ressources naturelles.
Une vérité qui dérange d'Al Gore en 2006 ou Home de Yann Artus-Bertrand en 2009
Anticipations : Les fils de l'homme – Alfonso Cuaron (2006)

Perspective d'un brutal retour aux conditions de vie d'antan ou même d'une mise en péril de l'existence
de l'homme se précise. C'est ce dont parle Jared Diamond dans Collapse paru en 2005: certaines
civilisations ont causé leur propre perte en détruisant elles-mêmes leur environnement comme les
Mayas ou les habitants de l'île de Pâques. Thèse qui a été contestée : en fait l'effondrement de la
civilisation pascuane a vraisemblablement été causée par l'arrivée des Européens.

Hypothèse Gaïa présentée en 1970 par James Lovelock : disparition de toute vie sur terre, la biosphère
étant un tout, la disparition d'un seul de ces éléments causerait la disparition de tous. Pronostic
alarmiste quant à l'avenir de la biosphère.

Avec la technique, notre rapport traditionnel à la nature disparaît : on ne voit les paysages que dans une
conception utilitariste. C'est jamais contemplatif.
Thème développé par Heidegger (1889-1976) dans sa conférence « La question de la technique » où il
réfute l'idée que la technique libère l'humain. Il dit que nous sommes « enchaînés à la technique et
privés de liberté ».
Interprétation métaphysique de la technique par Heidegger : elle soumet l'être à une violence par la
contrainte. La technique est désormais totalement étrangère à la nature.

Rapport au monde dépoétisé : réification de la nature : on ne voit plus la nature que dans une
perspective utilitariste mais jamais contemplative.

3. Cette situation est d'autant plus inquiétante que la maîtrise de la nature pourrait
s'étendre prochainement à l'homme lui-même

Prochaine frontière de la technique est la mutation de l'homme lui-même.


Courant transhumaniste aux USA : l'objectif c'est de planifier et d'amplifier les mutations futures de
l'homme en l'augmentant par des manipulations génétiques. A terme, l'objectif c'est de vaincre la mort.
Problème d'éthique considérable.

L'Utérus artificiel d'Henri Atlan paru en 2005 : il dit qu'au XXIe siècle l'ectogenèse sera possible.
Ectogenèse : possibilité du développement de l'embryon hors du corps humain. On pense tout de suite
à Aldous Huxley avec Le meilleur des mondes.
Atlan fait référence au mythe de Dédale : ce serait le premier biotechnicien puisqu'il permet la naissance
du Minotaure.

II – Dès lors, l'homme doit placer son action sur la nature sous le signe de la précaution et du
souci du long terme, sans jamais pour autant renoncer à l'exercice de la raison individuelle

A. La toute-puissance de l'homme sur la nature s'accompagne de responsabilités nouvelles

1. La peur suscitée par la technique peut conduire l'homme à s'autolimiter

Années 60-70 : prise de conscience des ravages de l'homme sur la nature.


Mot « écologie » vient du grec « maison ».
Rachel Carson – Printemps silencieux (1962) : décrit les conséquences de l'utilisation de pesticides en
masse. Après cela, le pesticide DDT est interdit.

Après 1945, la réflexion philosophique prend la mesure de la puissance de la technique.


Günther Anders (1902-1975) – L'Obsolescence de l'homme, sur l'âme à l'époque de la deuxième révolution
industrielle : s'interroge sur les conséquences politiques de la bombe atomique.

La plus grande influence, c'est Le Principe de responsabilité de Hans Jonas (1903-1993), publié en 1979. Le
point de départ, c'est la « transformation radicale de l'agir humain ». Nos comportements induisent que
l'on peut affecter les générations futures. On ne peut pas condamner nos descendants. Donc urgence
d'une éthique pour que l'humain s'auto-limite. Ce sera une éthique de la peur car c'est la plus puissante
des passions selon Hobbes dans Le Léviathan.

2. Le développement durable s'impose comme une nécessité

Définition donnée en 1987 par la Commission mondiale sur l'environnement et le développement dans
le rapport Bruntland :

« Développement qui répond aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures
à répondre aux leurs ».
Employé pour la première fois en France par Edith Cresson en 1991.
2ème sommet de la Terre en juin 1992 consacre le développement durable.
Deux concepts :
– priorité donnée aux besoins les plus essentiels
– souci de limiter l'impact de nos techniques sur l'environnement

Equilibre entre environnement, efficacité économique et justice sociale.


1992 : Adoption de la Convention de Rio (27 principes autour de l'environnemental et du social)

3. Certains courants de pensée préconisent d'aller plus loin encore et d'organiser la


décroissance des économies occidentales

Décroissance : veulent aller encore plus loin que le développement durable.


Arguments de la décroissance développés par Yves Cochet (né en 1946).
Principe : relocalisation des activités économiques, démarche de simplicité volontaire.
Selon les partisans de la décroissance, c'est inévitable et il vaut mieux s'y préparer.

Origine du mouvement de la décroissance : les mouvements anti-industriels du XIXe siècle de type


luddisme.
Influences : Ivan Ilich – Energie et équité (1975). Il développe le principe de contre-productivité des
institutions industrielles. L'industrie finit par être un obstacle à son propre développement.
Exemple des transports automobiles : la voiture réduit les distances, on les parcourt plus facilement. Du
coup on allonge les distances entre chez soi et son lieu de travail, du coup on perd du temps alors qu'à
la base la voiture faisait en gagner. La voiture ne répond pas à un besoin mais impose des contraintes.
C'est donc très aliénant.

B. Toutefois, ces évolutions nécessaires ne doivent pas entraîner l'abandon de l'exigence rationnelle

1. Le principe de précaution peut cautionner des attitudes excessivement craintives et


démobilisatrices

Principe de précaution : apparaît dans le droit allemand dans les années 70. Consacré par des textes :
– déclaration de Rio de 1992
– Article 130 du traité de Maastricht
– loi Barnier du 2 février 1995
– Article 5 de la Charte de l'Environnement en 2005

Application parfois très extensive de ce principe, d'où des critiques chez les libéraux :
François Ewald et Denis Kessler dans un article « Les noces du risque et de la politique » en 2000 dans
Débat disent qu'en fait l'idée de risque est constitutif de la modernité. Il ne faut pas le remettre en cause
sous peine de briser la dynamique avec une certaine « démobilisation ».

C'est un principe qui doit être abordé avec souplesse : il faut le préciser et l'encadrer. Plusieurs correctifs
possibles :
– la charge de la preuve de l'inocuité d'un produit ne doit pas reposer sur ceux qui la développent
– le principe ne joue que s'il y a de bonnes raisons de craindre (donc travail de recherche)
– il doit y avoir une notion de risque acceptable

2. La technique apportera peut-être une solution aux dommages qu'elle a elle-même


provoqués

Ca arrive que le progrès fasse disparaître les dégâts qu'il a causés.


La géo-ingénierie peut apporter des solutions au problème du réchauffement climatique : fertilisation
des océans ou injection de soufre dans les hautes zones de l'atmosphère. Mais bon, ça laisse penser que
ces techniques vont entraîner d'autres problèmes qu'il faudra résoudre avec d'autres techniques encore
plus avancées...

On peut aussi être optimistes :


– le marché peut orienter le développement humain (ex : on peut rendre l'énergie plus chère et
ainsi faire diminuer les stocks de pétrole). C'est un mouvement qui est déjà en cours (il faut 70%
de moins d'énergie qu'en 1970 pour produire un point de PIB).

Les mouvements écologistes ont une approche malthusienne donc ils sous-estiment la possibilité pour
la technique d'inventer de nouvelles formes d'énergie. Le problème, c'est de savoir si ces techniques
vont arriver avant la catastrophe.

Pas d'opposition nette entre l'enrichissement des sociétés et la protection de la nature : la préoccupation
écologique est propre aux sociétés industrielles/post-industrielles, donc on peut espérer que les sociétés
qui deviennent riches (Chine et Inde par exemple), développent une forte préoccupation écologique
également.

Il ne faut pas oublier les avantages de la technique : accroissement de l'espérance de vie + les techniques
modernes sont moins polluantes que les anciennes (le charbon a tué plus de gens que le nucléaire).

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