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CONIEZ - Homme Face À La Nature
CONIEZ - Homme Face À La Nature
I – Pour s'affranchir des contraintes de la nature, l'homme a déployé des techniques multiples,
qui semblent aujourd'hui menacer de se retourner contre lui
1. L'histoire humaine semble s'inscrire sur le fond d'une lutte contre la nature
Nature apparaît à l'homme comme une malédiction : c'est elle qui le limite parce qu'elle est beaucoup
plus puissante (la mort, la faim, le froid sont des choses de la nature).
Episode du chant XXI de l'Iliade est un symbole de cet affrontement originel : c'est le combat d'Achille
contre le fleuve Scamandre. Moralité : l'homme est encore soumis aux éléments.
L'homme cherche à atténuer cette toute-puissance par la technique. Il compense le fait d'être démuni
par la technique. C'est ce que dit Platon dans le Protagoras : la technique sauve l'homme en lui
permettant de se procurer le nécessaire. On revient sur le mythe de Prométhée et du feu. C'est
l'intelligence technique de l'homme qui lui permet de surpasser les animaux qui peuvent mieux se
défendre face à la nature.
Epoque moderne : programme élaboré de domination de la nature. On passe au règne des sciences
appliquées. Causes : on relativise le discours de l'Eglise + grandes découvertes.
Pic de la Mirandole (1463-1494) – Discours sur la dignité de l'Homme : théorie de l'homme qui se définit par
lui-même. Idée d'une absence de borne à la volonté humaine : sky is the limit.
L'homme sera ce qu'il fera de sa propre histoire.
Bacon – La nouvelle Atlantide (1627) : imagine une cité idéale gouvernée par des scientifiques. Problèmes
réglés par la technique.
Descartes – Discours de la Méthode (1637) : souligne combien la technique peut être nécessaire à
l'espèce humaine. La technique nous rend comme maîtres et possesseurs de la nature.
On peut y voir un écho dans le jardin à la française, façon Le Nôtre (1613-1700).
Descartes : corrélation entre technique et rallongement de l'espérance de vie. La technique est là pour
améliorer la santé des hommes.
Avec la modernité, le rapport à la mort change. Si elle était vue comme une fatalité, avec la technique
elle devient de moins en moins comprise et acceptée. La médecine est un peu le cheval de Troie des
nouvelles inventions.
3. Dès lors, l'empreinte de l'homme sur la nature n'a fait que croître
Autre conséquence moins désirable : la planète porte de plus en plus l'empreinte de l'homme.
Victor Hugo dans Les travailleurs de la mer (1866): « l'homme est un rongeur ». Avec lui, tout est modifié
en bien ou en mal d'ailleurs. « Tout borne l'homme, mais rien ne l'arrête. »
Cette emprise de l'homme est à relativiser : elle ne s'exerce que sur la planète, pas sur l'univers.
En France aujourd'hui il n'y a plus d'espace sauvage : 99% du paysage est anthropique. Les cimes des
montagnes sont épargnées, et encore le réchauffement climatique les transforme.
Réserves naturelles créées par l'homme comme Yellowstone en 1873 montrent que l'homme est le
gardien et le maître de la nature.
Aujourd'hui : sentiment de ne plus maîtriser notre propre maîtrise. La science est devenue autonome et
la maîtrise est devenue quasi impossible pour plusieurs raisons :
– difficultés de se mettre d'accord sur une régulation au niveau international (Etats plus
conservateurs que d'autres)
– extension des droits qui sont sans cesse opposés à toute tentative de régulation
– marché donne une diffusion immédiate aux techniques
Exposition universelle de Chicago en 1933 : « la science trouve, l'industrie applique, l'homme s'adapte ».
Pourtant les textes anciens nous mettaient déjà en garde contre la démesure :
– tradition grecque : dénonce l'hybris, la démesure, qui débouche sur le nemesis
– Genèse : le serpent-tentateur dit « vous serez comme des dieux »
Olivier Rey – Une Folle Solitude (2006) : fantasme de l'homme auto-construit. Aujourd'hui l'homme
entend se débarrasser de son passé et de se construire seul mais il n'est pas sage pour autant parce qu'il
n'est pas délivré de son inconscient et de ses passions.
Si l'homme se créait lui-même :
– il n'aurait pas de recul et subirait directement les conséquences de ses modifications vu qu'il est
immergé dans la nature
– la créature risque d'échapper à son créateur comme dans Frankenstein ou le Prométhée moderne de
Mary Shelley
Il y a aussi des catastrophes industrielles terrifiantes : explosion de l'usine chimique de Bhopal en Inde
en 1984 (3500 morts) ou encore Tchernobyl, Seveso, AZF...
Ulrich Beck – La société du risque (1986) : met en évidence le lien entre technique et risque. On échange
plus seulement des biens mais aussi des maux : les sociétés sont devenues des « manufactures du
risque ». Y'a plus de misère, mais de la peur.
Projet prométhéen a échoué sur au moins un point : il n'a pas délivré l'homme de la crainte.
Pollution des eaux et de l'atmosphère est contenue dans les pays développés mais pas dans les pays en
développement.
Marées noires : Torrey-Canyon en 1967, Exon Valdez en 1989 ou Erika en 1999.
La diversité biologique se réduit à cause de la déforestation, des échanges internationaux et du
réchauffement climatique. Surexploitation des ressources naturelles.
Une vérité qui dérange d'Al Gore en 2006 ou Home de Yann Artus-Bertrand en 2009
Anticipations : Les fils de l'homme – Alfonso Cuaron (2006)
Perspective d'un brutal retour aux conditions de vie d'antan ou même d'une mise en péril de l'existence
de l'homme se précise. C'est ce dont parle Jared Diamond dans Collapse paru en 2005: certaines
civilisations ont causé leur propre perte en détruisant elles-mêmes leur environnement comme les
Mayas ou les habitants de l'île de Pâques. Thèse qui a été contestée : en fait l'effondrement de la
civilisation pascuane a vraisemblablement été causée par l'arrivée des Européens.
Hypothèse Gaïa présentée en 1970 par James Lovelock : disparition de toute vie sur terre, la biosphère
étant un tout, la disparition d'un seul de ces éléments causerait la disparition de tous. Pronostic
alarmiste quant à l'avenir de la biosphère.
Avec la technique, notre rapport traditionnel à la nature disparaît : on ne voit les paysages que dans une
conception utilitariste. C'est jamais contemplatif.
Thème développé par Heidegger (1889-1976) dans sa conférence « La question de la technique » où il
réfute l'idée que la technique libère l'humain. Il dit que nous sommes « enchaînés à la technique et
privés de liberté ».
Interprétation métaphysique de la technique par Heidegger : elle soumet l'être à une violence par la
contrainte. La technique est désormais totalement étrangère à la nature.
Rapport au monde dépoétisé : réification de la nature : on ne voit plus la nature que dans une
perspective utilitariste mais jamais contemplative.
3. Cette situation est d'autant plus inquiétante que la maîtrise de la nature pourrait
s'étendre prochainement à l'homme lui-même
L'Utérus artificiel d'Henri Atlan paru en 2005 : il dit qu'au XXIe siècle l'ectogenèse sera possible.
Ectogenèse : possibilité du développement de l'embryon hors du corps humain. On pense tout de suite
à Aldous Huxley avec Le meilleur des mondes.
Atlan fait référence au mythe de Dédale : ce serait le premier biotechnicien puisqu'il permet la naissance
du Minotaure.
II – Dès lors, l'homme doit placer son action sur la nature sous le signe de la précaution et du
souci du long terme, sans jamais pour autant renoncer à l'exercice de la raison individuelle
La plus grande influence, c'est Le Principe de responsabilité de Hans Jonas (1903-1993), publié en 1979. Le
point de départ, c'est la « transformation radicale de l'agir humain ». Nos comportements induisent que
l'on peut affecter les générations futures. On ne peut pas condamner nos descendants. Donc urgence
d'une éthique pour que l'humain s'auto-limite. Ce sera une éthique de la peur car c'est la plus puissante
des passions selon Hobbes dans Le Léviathan.
Définition donnée en 1987 par la Commission mondiale sur l'environnement et le développement dans
le rapport Bruntland :
« Développement qui répond aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures
à répondre aux leurs ».
Employé pour la première fois en France par Edith Cresson en 1991.
2ème sommet de la Terre en juin 1992 consacre le développement durable.
Deux concepts :
– priorité donnée aux besoins les plus essentiels
– souci de limiter l'impact de nos techniques sur l'environnement
B. Toutefois, ces évolutions nécessaires ne doivent pas entraîner l'abandon de l'exigence rationnelle
Principe de précaution : apparaît dans le droit allemand dans les années 70. Consacré par des textes :
– déclaration de Rio de 1992
– Article 130 du traité de Maastricht
– loi Barnier du 2 février 1995
– Article 5 de la Charte de l'Environnement en 2005
Application parfois très extensive de ce principe, d'où des critiques chez les libéraux :
François Ewald et Denis Kessler dans un article « Les noces du risque et de la politique » en 2000 dans
Débat disent qu'en fait l'idée de risque est constitutif de la modernité. Il ne faut pas le remettre en cause
sous peine de briser la dynamique avec une certaine « démobilisation ».
C'est un principe qui doit être abordé avec souplesse : il faut le préciser et l'encadrer. Plusieurs correctifs
possibles :
– la charge de la preuve de l'inocuité d'un produit ne doit pas reposer sur ceux qui la développent
– le principe ne joue que s'il y a de bonnes raisons de craindre (donc travail de recherche)
– il doit y avoir une notion de risque acceptable
Les mouvements écologistes ont une approche malthusienne donc ils sous-estiment la possibilité pour
la technique d'inventer de nouvelles formes d'énergie. Le problème, c'est de savoir si ces techniques
vont arriver avant la catastrophe.
Pas d'opposition nette entre l'enrichissement des sociétés et la protection de la nature : la préoccupation
écologique est propre aux sociétés industrielles/post-industrielles, donc on peut espérer que les sociétés
qui deviennent riches (Chine et Inde par exemple), développent une forte préoccupation écologique
également.
Il ne faut pas oublier les avantages de la technique : accroissement de l'espérance de vie + les techniques
modernes sont moins polluantes que les anciennes (le charbon a tué plus de gens que le nucléaire).