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Cerveau & Psycho N°153
Cerveau & Psycho N°153
N°153
LES ANTIDÉPRESSEURS
Avril 2023
SONT-ILS EFFICACES ?
COMMENT FAIRE
Les découvertes de la psychologie pour convertir la pression en énergie
DU STRESS UN ALLIÉ
Les découvertes de la psychologie
pour convertir la pression en énergie
COMMENT FAIRE DU STRESS UN ALLIÉ
EFFET KARDASHIAN
QUAND LES INFLUENCEUSES
SAPENT L’ESTIME DE SOI
DES JEUNES FILLES
DOULEUR
CHRONIQUE
LE POUVOIR DE
L’AUTOHYPNOSE
ÉDUCATION
COMMENT OBTENIR
LE CALME EN CLASSE
LE CERVEAU CRÉDULE
POURQUOI LE TERME « QUANTIQUE »
NOUS FAIT ADMETTRE N’IMPORTE QUOI
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bien
Grand
vous
fasse
ALI REBEIHI
!
10H / 11H
DE LA PSYCHO
DU QUOTIDIEN
© Photo : Christophe Abramowtiz / Radio France
DU SOURIRE
3
N° 153
p. 12-14
Patrick Lemoine SÉBASTIEN
Psychiatre, docteur en neurosciences, spécialiste du
sommeil, il s’est intéressé aux applications médicales
BOHLER
du placebo et au sevrage des médicaments. Rédacteur en chef
Le cerveau
p. 32-34
Sandra Heldstab
Biologiste évolutionniste à l’université de Zurich,
de Kim Kardashian
elle étudie les variations de l’anatomie cérébrale
des êtres humains depuis le Paléolithique et retrace
N
l’évolution de notre cerveau.
on, vous ne lirez rien ici sur le cerveau de Kim
Kardashian. Je l’avoue, c’était une honteuse manœu
vre uniquement destinée à vous faire lire la suite. Car
maintenant, je le sais, vous allez continuer, selon le
principe du « pied dans la porte », astuce bien connue
des démarcheurs qui veut qu’une fois qu’on a ouvert sa porte à un
représentant commercial, on est quitte pour écouter son boniment.
p. 44-49 Cela dit, il y a réellement un article sur Kim Kardashian dans ce
David Gourion Cerveau & Psycho, et ce n’est pas un prétexte pour vendre du boni
Psychiatre, docteur en neurosciences, ment, c’est un article sérieux sur les conséquences d’un certain cou
il est spécialiste des techniques de gestion du stress rant d’influenceuses sur les représentations du corps des jeunes
et nous explique comment exploiter ce dernier filles, un phénomène suffisamment préoccupant pour que l’on
pour accomplir ce qui nous tient à cœur.
cherche activement des moyens de sortir de cette obsession du
corps parfait – et souvent retouché sur Instagram.
Mais vous verrez bien que vous avez eu raison de ne pas
refermer rageusement cette page dès la deuxième ligne. En effet,
dans ce numéro vous apprendrez comment ne plus vous laisser
intimider par les mathématiques, soigner vos douleurs chro
niques par autohypnose, chasser la culpabilité par simple effet
placebo, faire revenir le calme dans votre classe si vous êtes
p. 88-91 enseignant, arrêter de vous coucher trop tard, développer votre
Bernard Calvino intelligence numérique pour mieux vivre avec les écrans et faire
Professeur d’université honoraire en neurophysiologie de votre stress votre meilleur allié dans toutes les situations de
et ancien membre du conseil scientifique de l’institut votre vie. Le tout étayé par les recherches les plus récentes et
UPSA de la douleur, il a dirigé une équipe
de recherche, Neuroplasticité et douleur, dans
validées par les meilleurs neuroscientifiques et psychologues.
des laboratoires de recherche de l’Inserm puis Vous voyez, un titre un brin racoleur peut avoir du bon. Allez !
du CNRS sur les mécanismes de la douleur chronique. Promis, un jour on vous parlera du cerveau de Kim… £
SOMMAIRE
N° 153 AVRIL 2023
p. 37-54
Dossier
p. 6 p. 12 p. 22 p. 30
p. 6-34
DÉCOUVERTES
p. 6 ACTUALITÉS p. 22 PSYCHIATRIE p. 37
Les antidépresseurs
COMMENT
Faut-il courir pour oublier ?
Exprimez vos préférences !
sont-ils dépassés ?
Couple doublement malade…
Une quatrième enveloppe
Face à la hausse des cas de dépressions,
les antidépresseurs sont sur la sellette.
FAIRE DU STRESS
autour du cerveau
L’émerveillement rend
Doit-on (et peut-on) les remplacer ?
Tanguy Sourd
UN ALLIÉ
les enfants altruistes
p. 38 PSYCHOLOGIE
p. 12 FOCUS p. 30 L’INFOGRAPHIE
DES « MINDSETS »
Le placebo Comment le cerveau POUR CONVERTIR
qui ôte la culpabilité humain s’est LA PRESSION EN ÉNERGIE
Une pilule, et la culpabilité s’envole ? développé Les effets du stress dépendraient de la
C’est l’étonnante découverte façon dont on le considère : barrière ou
de chercheurs suisses… p. 32 ANTHROPOLOGIE tremplin pour nos projets ?
Patrick Lemoine
« Un gros cerveau Catherine de Lange
Ce numéro comporte comporte un courrier de réabonnement, posé sur le magazine, sur une sélection d’abonnés.
En couverture : © Sasin Paraksa/Shutterstock
p. 94
p. 56 p. 66 p. 70 p. 80
p. 92
Actualités
Par la rédaction
NEUROSCIENCES
Faut-il courir
pour oublier ?
La tentation est grande de chausser ses baskets pour se vider la tête.
Mais si le sport devient un moyen de ne plus penser aux problèmes,
l’addiction n’est pas loin, et les problèmes ne font qu’empirer.
RETROUVEZ-NOUS SUR
Oublis, ratés,
étourderies…
A. Hartanto et al.,
British Journal of Psychology,
vol. 114, pp. 70-85, 2023.
V
cognitif d’expansion de soi – on s’y réalise, on
repense de façon dynamique à ce qui compte pour
soi, à ses projets, ses envies ; la seconde se rap-
porte à un processus opposé, dit « de suppression
de soi », par lequel on tient à distance des pensées
ou émotions désagréables. La nature du sport
change – l’activité devient un moyen d’échapper ous oubliez vos rendez-vous ? Vous avez fait une
à un état mental pénible (on parle d’« échap- remarque déplacée, sans comprendre pourquoi, dans une
pisme »), que cet état soit lié à l’anticipation de conversation ? Vous n’arrivez pas à trouver les pâtes au super-
problèmes (« Comment vais-je faire avec ma marché ? Vous jetez un objet à la poubelle par inadvertance ?
banque ? ») ou à la rumination d’épisodes passés Tous ces ratés occasionnels, ces moments où notre cerveau
particulièrement pénibles (divorce difficile, licen- semble sortir de ses gonds, font partie d’un spectre de troubles
ciement, agression physique ou verbale). C’est appelés « défaillances cognitives quotidiennes », ou DFQ. Le
que l’effort physique prolongé provoque une plus souvent, elles ne sont pas le fait d’une quelconque patho-
baisse de l’activité frontale du cerveau appelée logie, mais plutôt d’une fatigue ou d’un surmenage. Depuis
« hypofrontalité », qui allège le retour de ces pen- quelques années, les chercheurs en psychologie suspectent
sées tyranniques… un effet de l’usage des écrans sur ces sorties de routes men-
Mais l’étude des chercheurs norvégiens révèle tales, avec des résultats contradictoires. Une étude de l’univer-
que cette pratique sportive est alors associée à sité de Singapour semble avoir trouvé où le bât blesse : ce n’est
une baisse du bien-être, qui se répercute souvent pas le temps d’écran en tant que tel qui provoque les DFQ, mais
par une augmentation des doses d’exercices phy- la fréquence à laquelle on consulte ses messages ou répond
siques pour oublier qu’on se sent mal. La quasi- à ses alertes sur son smartphone. En demandant à des volon-
définition d’une addiction. taires de tenir un relevé quotidien de leurs vérifications, de leur
Pour sortir de cette spirale, une seule solution : temps d’écran et de leurs défaillances cognitives, ils ont constaté
identifier la motivation première de l’activité phy- une corrélation entre le taux de vérifications et les oublis, ratés
sique compulsive. Si l’on se rend compte que cou- et étourderies. D’où un moyen simple de réduire ces bugs : se
rir est devenu nécessaire pour fuir les problèmes, réserver des moments déterminés, par exemple trois fois par
© iluistrator/Shutterstock
il faut s’attaquer à ces derniers en tant que tels, jour, pour passer en revue ses messages. Le reste du temps,
éventuellement en sollicitant une aide thérapeu- n’y pensez pas. Car si les DFQ ne sont pas forcément dange-
tique, et réserver le sport à une dynamique d’ex- reuses pour votre cerveau, leurs conséquences risquent de
pansion de soi. Car l’oubli, même en baskets, ne l’être pour vous : entretien d’embauche zappé, bébé oublié dans
dure qu’un temps. £ une voiture ou gaz mal éteint, mieux vaut vérifier ce genre de
Sébastien Bohler choses qu’un post sur Instagram. £ S. B.
PSYCHOLOGIE
Exprimez
vos préférences !
N. Y. Jeung Kim et al., You must have
a preference : The impact of no-preference
communication on joint decision making,
Journal of Marketing Research, 2023.
qui sur presque n’importe quoi, l’idée d’entraîner GPT-3 à détecter en étant 20 % plus performant que
fait aussi parler d’elle en médecine ces erreurs – principalement des les tests cliniques utilisés aujourd’hui
préventive pour la détection hésitations de la parole, des fautes pour poser un diagnostic. Un outil
des premiers signes de démence, de grammaire et de prononciation, précieux qui facilitera la détection
comme dans la maladie ainsi que des oublis sur le sens précoce des patients. £
d’Alzheimer. En effet, des mots – à l’aide de la Bénédicte Salthun-Lassalle
SANTÉ
Couple
doublement malade…
M. R. Shrout et al.,
Psychoneuroendocrinology, 2023.
les particules fines de diamètre inférieur moins efficace. ou d’évitement au quotidien, plus leur
à 2,5 microns, en majorité issues C’est ce que viennent de montrer taux d’interleukine-6 est élevé et
des industries du tertiaire, l’Organisation Rosie Shrout, de l’université Purdue, moins leur système immunitaire est
mondiale de la santé (OMS) avait fixé jusque-là aux États-Unis, et ses collègues efficace, car leur processus de cica-
une limite annuelle à 10 microgrammes auprès de 42 couples mariés hétéro- trisation des blessures, observé par
par mètre cube (µg/m3) d’air respiré, valeur sexuels vivant ensemble depuis les chercheurs pendant douze jours,
que la France a seulement réussi à atteindre douze ans en moyenne. Pour ce faire, est plus lent que chez les personnes
en 2020. Mais l’OMS vient de l’abaisser, les chercheurs ont provoqué de discutant de façon constructive.
en 2021, à 5 µg/m3… Il serait à nouveau petites cloques sur les avant-bras des Selon Rosie Shrout, « la négativité
crucial de tout mettre en œuvre pour suivre partenaires pour simuler des plaies des conversations diminue à la fois le
cette nouvelle recommandation, car une récente et évaluer l’efficacité de la cicatrisa- moral et le système immunitaire,
étude d’Ehsan Abolhasani, de l’université tion, tout en dosant leur taux sanguin davantage pour les femmes que pour
Western, au Canada, et de ses collègues vient d’une molécule, l’interleukine-6, les hommes, d’ailleurs. Le mariage est
de confirmer qu’à chaque microgramme par impliquée dans l’inflammation et la souvent associé à une meilleure santé
mètre cube supplémentaire d’exposition annuelle défaillance du système immunitaire. mentale et physique… Oui, mais à
à ces particules fines, le risque de démence Les volontaires renseignaient aussi condition que des difficultés conju-
augmente de 3 %. Une analyse établie auprès leur mode de communication habi- gales chroniques ne viennent pas
de 91 millions de personnes âgées de plus de tuel dans le couple, décomposé sui- inverser la tendance » ! Car les bles-
40 ans, dont 6 %, soit 5,5 millions, ont souffert vant trois aspects : les stratégies de sures cicatrisent moins bien, au sens
de démence, le risque augmentant fortement avec demande et de retrait (comment on propre comme au figuré, quand le
la pollution de l’air aux particules fines. £ B. S.-L. sollicite quelque chose auprès de couple ne s’entend plus. £ B. S.-L.
NEUROBIOLOGIE
Une quatrième
Os crânien
Dure-mère
Arachnoïde
du cerveau
K. Møllgård et al., A mesothelium
divides the subarachnoid space into
functional compartments, Science,
le 6 janvier 2023.
1
Première confiance, charisme et mise
en avant de soi (maîtrisée) seront
L’émerveillement
Directrice des rédactions : Cécile Lestienne
CERVEAU & PSYCHO
Rédacteur en chef : Sébastien Bohler
L
ABONNEMENTS
www.boutique.groupepourlascience.fr
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Téléphone : 01 86 70 01 76
Du lundi au vendredi de 8 h 30 à 12 h 30 et de 13 h 30 à 16 h 30
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Service abonnement Cerveau & Psycho
Groupe Pour la Science
’enfant est assis devant d’animation sur les palettes émotion- 235, avenue Le-Jour-se-Lève
Le Chant de la mer, un film d’anima- nelles des enfants, et ont ensuite testé 92 100 Boulogne-Billancourt
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des scientifiques lui présentent des Résultat : de toutes les émotions évo- MLP
ISSN 1639-6936
palettes d’émojis représentant une quées par les films, seul l’émerveille- Commission paritaire n° 1227K83412
large gamme d’émotions qu’il peut ment se traduisait par une volonté Dépôt légal : Avril6 2023
ressentir. À mesure que les accents accrue des enfants de consacrer du N° d’édition : M0760153-01
envoûtants du film résonnent dans la temps à cette tâche ennuyeuse mais N° imprimeur : 268 655
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CERVEAU & PSYCHO
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ment, l’admiration et même une forme Les chercheurs font l’hypothèse Toutes les demandes d’autorisation de reproduire, pour le public français ou
de crainte. Un mélange d’émotions que l’état d’émerveillement induit un francophone, les textes, les photos, les dessins ou les documents contenus
dans la revue Cerveau & Psycho doivent être adressées par écrit à « Pour la
que l’anglais réunit sous le terme de oubli de soi et un sentiment de Science S.A.R.L. »,
170bis, bd du Montparnasse, 75 014 Paris.
awe, état que le français traduit le plus connexion avec « quelque chose de © Pour la Science S.A.R.L.
souvent par « émerveillement », mais plus grand ». L’impression de faire Tous droits de reproduction, de traduction, d’adaptation et de représentation
auquel il faut ajouter une connotation partie d’un même « tout » avec les réservés pour tous les pays. Certains articles de ce numéro sont publiés en
accord avec la revue Spektrum der Wissenschaft (© Spektrum der Wissen-
de peur face à quelque chose de puis- autres et un décentrage de l’ego schaft Verlagsgesellschaft, mbHD-69 126, Heidelberg). En application de la loi
du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement la
sant. Comme lorsque nous assistons seraient les ressorts fondamentaux présente revue sans autorisation de l’éditeur ou du Centre français de l’exploi-
© Philippe Put/Shutterstock
au spectacle des éléments en furie du comportement prosocial dans tation du droit de copie (20, rue des Grands-Augustins — 75 006 Paris).
ou des vagues gigantesques qui cette expérience. Ce qui n’est pas Origine du papier : Finlande
Taux de fibres recyclées : 0 %
s’abattent sur la côte. sans rappeler le rôle du sublime et « Eutrophisation » ou « Impact sur l’eau » :
Ptot 0,005 kg/tonne
Dans cette expérience, les cher- de la grandeur dans les liturgies reli- La pâte à papier utilisée pour la fabrication
cheurs de l’université d’Amsterdam gieuses, censées également créer du du papier de cet ouvrage provient de forêts
certifiées et gérées durablement.
ont testé l’impact de quinze films liant entre les individus. £ S. B.
PATRICK LEMOINE
Psychiatre et docteur en neurosciences.
PSYCHOLOGIE
Le placebo
qui ôte la culpabilité
Croire qu’un médicament, même inactif,
enlève la culpabilité suffit à la faire
disparaître ! Une astuce « placebo » étonnante,
mais dont les applications restent à définir…
Je m’en
fiche !
C’est ce que j’ai moi-même constaté sur des symptômes extrêmement variés considérer que ce sont des « symptômes »,
dans ma pratique dès 1996 : je venais de et souvent non pathologiques : faciliter c’est-à-dire des signes d’une maladie…
publier un ouvrage intitulé Le Mystère du la confiance dans les autres, diminuer la Ici, il s’agit d’un travail concernant
placebo, qui a connu un certain succès au timidité, augmenter la joie de vivre, 109 volontaires en bonne santé, répartis
point que certains de mes patients réduire le stress et la dépression, amé- par tirage au sort en trois groupes de
l’ayant lu me demandaient, quand je leur liorer le bien-être à court et à moyen même taille, dont les âges, ainsi que la
prescrivais du magnésium : « Mais doc- terme, diminuer la tristesse, la rumina- répartition par genre, étaient compa-
teur, n’avez-vous pas écrit dans votre tion, le dégoût, et même augmenter le rables. Les différents groupes étaient :
livre qu’il s’agit d’un placebo impur ? » plaisir de boire du vin ! placebo divulgué (35 sujets), placebo
(je voulais dire par là que le bénéfice du Il faut cependant reconnaître que les mensonger (35 sujets), pas de traitement
magnésium était dû à son effet placebo). études sur l’effet de la divulgation du du tout (39 sujets). Dans le cas du pla-
Légèrement embarrassé, je leur répon- placebo contre la douleur engendrée cebo mensonger, le message délivré
dais : « Oui, en effet. » Mais j’ai alors expérimentalement par la chaleur ou était : « Nous allons vous donner une
constaté à maintes reprises que le traite- l’électricité sont particulièrement nom- plante efficace. » Dans un deuxième
ment marchait tout aussi bien pour les breuses, alors que celles contre, par temps, les chercheurs demandaient aux
patients avertis que pour ceux persuadés exemple, l’induction de tristesse en participants de rédiger un texte où ils
que le magnésium était actif dans leur regardant un film mélancolique ou en devaient décrire un épisode de leur vie
cas du fait de mon discours positif. lisant des commentaires d’autodéprécia- dont ils n’étaient vraiment pas fiers, de
tion ou en écoutant une musique triste, façon à déclencher un sentiment de
QUE GUÉRIT LE PLACEBO ? ou bien l’induction d’anxiété grâce à des honte ou de culpabilité. Et l’on mesurait,
Logiquement, puisque la divulgation images d’épouvante, sont rares. au moyen d’échelles appropriées, l’évo-
de la nature du placebo n’annule pas son lution de ces sentiments avant et après
efficacité, de nombreuses équipes se sont HONTE ET CULPABILITÉ le rappel de l’épisode déplaisant de leur
demandé quels étaient les symptômes les AU BANC D’ESSAI vie, ainsi que, à l’opposé, de la fierté.
© cosmic_pony/Shutterstock
plus accessibles à l’effet placebo open D’où cette nouvelle étude de Dilan Résultat : les personnes du groupe
label, c’est-à-dire divulgué, en dehors de Sezer et de ses collègues : les chercheurs « pas de traitement » ont exprimé plus
la douleur qui a toujours été, et reste, son se sont attelés à des symptômes non dou- de culpabilité tout au long de l’expé-
champ d’action favori… du moins dans loureux liés à notre vie sociale, à savoir la rience que celles des groupes « placebo
la tête des chercheurs. De fait, de nom- culpabilité, la honte et la fierté, ainsi qu’à divulgué » et « placebo mensonger », ces
breuses études ont révélé son efficacité leur ressenti. Pour autant que l’on puisse derniers ne différant pas l’un de l’autre.
Chaque année, 400.000 nouveaux cas de cancer, tout type confondu, sont dépistés.
Statistiquement, il y a un peu plus de 1000 nouveaux malades par jour,
Luc Fer r y, P h i l osoph e, écr i v ai n , an ci en Mi n i s t re d e l a Jeu n es s e, d e l ’E d u ca t i on
parmi lesquels N600 vont
a t i on al e et dguérir et 400
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16
Des neurones
d’homme dans
la tête d’un rat
Par Allison Whitten, neuroscientifique et journaliste aux États-Unis.
EN BREF
£ Une nouvelle façon
d’étudier les neurones
Q u’est-ce que le cerveau ?
Comment fonctionne-t-il ? Ou comment « dys-
fonctionne-t-il », notamment dans le cas de
semblables à du tissu – de cerveau humain dans le
cerveau de rats âgés de quelques jours seulement,
quand ce dernier n’est pas encore complètement
humains consiste maladies psychiatriques ou neurologiques ? Les formé. Sergiu Paşca et ses collègues ont ainsi mon-
à les transplanter
dans un cerveau de rat. scientifiques qui tentent de répondre à ces ques- tré que des neurones humains et d’autres cellules
tions se heurtent depuis longtemps à des difficul- cérébrales se développent et s’intègrent correcte-
£ Les amas de neurones tés techniques et éthiques dès lors qu’il s’agit ment chez leurs hôtes animaux, intervenant même
transplantés – appelés d’observer, directement, des neurones humains dans certains circuits cérébraux fonctionnels des
« organoïdes » –
se développent en train de se développer, de se connecter les uns animaux qui analysent des sensations ou contrôlent
correctement, créent avec les autres et d’échanger des informations. des comportements.
des connexions Pourtant, réaliser de telles observations permet-
neuronales avec le tissu trait de résoudre bien des mystères du cerveau QUE SONT LES ORGANOÏDES ?
© Paşca Lab, Stanford University, USA
de l’animal et s’intègrent humain et donc de mieux prendre en charge cer- Cette technique très innovante devrait per-
à ses réseaux cérébraux.
taines pathologies cérébrales. mettre aux scientifiques de créer de nouveaux
£ Les chercheurs Or aujourd’hui, dans la revue Nature, des « modèles » du vivant et surtout de l’homme, afin
pourront alors tenter neuroscientifiques de l’université de Stanford, aux d’étudier et de mieux comprendre de nombreuses
de comprendre pourquoi États-Unis, annoncent qu’ils ont trouvé un nouveau maladies du développement neurologique, comme
des neurones humains
« maturent » mal moyen d’étudier des neurones humains afin de les certaines formes du trouble du spectre autistique.
dans certaines regarder grandir et vieillir. Comment ? En trans- Ce seraient donc des modèles « humains » proba-
pathologies cérébrales. plantant des « organoïdes » – des amas de cellules blement tout aussi pratiques pour les études en
laboratoire que les modèles animaux actuels, mais n’importe quel type de cellule – sont capables de La région brillante
qui auraient l’avantage de mieux correspondre aux s’auto-organiser et de se développer en petites à gauche de ce cliché
montre une ébauche de
anomalies de l’homme puisqu’ils seraient consti- sphères contenant différents types de cellules et cerveau humain, d’abord
tués de véritables cellules humaines insérées dans ressemblant à du tissu cérébral. Ce qui a déjà produit dans une boîte
des circuits neuronaux fonctionnels. Par exemple, permis de mieux comprendre l’activité électrique de culture, puis inséré
dans le cerveau d’un rat.
on pourrait appliquer des outils neuroscientifiques et les connexions des neurones humains, mais Le minicerveau humain
modernes, comme l’optogénétique (nous y revien- pas beaucoup plus. Car si des amas de neurones fonctionne et
communique avec celui
drons), aujourd’hui trop invasifs pour être utilisés dans une « boîte de culture », en laboratoire, du rat qui l’environne.
dans de vrais cerveaux humains. peuvent se connecter les uns aux autres et com-
« Cette approche constitue une avancée en neu- muniquer « électriquement », ils sont incapables
rosciences et offre une nouvelle façon de com- de former des circuits véritablement fonctionnels
prendre les troubles du fonctionnement neuronal », ni d’atteindre le développement complet ou la
déclare ainsi Madeline Lancaster, neuroscientifique puissance de calcul de neurones sains dans leur
au laboratoire de biologie moléculaire de l’Institut habitat naturel, à savoir notre cerveau.
MRC de Cambridge, au Royaume-Uni. Ces travaux Il y a quelques années, des chercheurs ont
ouvriraient alors un nouveau chapitre passion- donc eu l’idée d’insérer ces organoïdes de cer-
nant dans l’histoire des organoïdes neuronaux. veau humain dans le cerveau de rats adultes : les
En effet, il y a près de quinze ans, des biolo- minicerveaux humains y ont survécu. Mais cette
gistes ont découvert que les cellules souches fois, les chercheurs de Stanford montrent que
humaines – qui peuvent se différencier en c’est le cerveau « en gestation » d’un rongeur
nouveau-né qui accepte l’organoïde humain et Dès lors, l’équipe de Sergiu Paşca, mais aussi
lui permet, de surcroît, d’y maturer, de s’y déve- de Felicity Gore, Kevin Kelley et Omer Revah, a
lopper et d’intégrer des circuits cérébraux locaux inséré des organoïdes de cortex humain (la couche
pour contrôler le comportement du rat. Selon la plus externe du cerveau) dans le cortex somato-
Sergiu Paşca, il y avait « mille raisons de croire sensoriel de très jeunes ratons, avant que leurs
que cela ne marcherait pas » étant donné que les circuits cérébraux ne soient complètement établis.
systèmes nerveux des deux espèces ne se déve- Les neurones humains ont ainsi pu recevoir des
loppent pas du tout de la même façon ni à la connexions à longue distance d’une autre région
même vitesse. Pourtant, cela a fonctionné : les cérébrale de l’animal qui traite les informations
cellules humaines ont trouvé, dans le cerveau sensorielles entrantes. Ensuite, les chercheurs ont
du rongeur, tout ce dont elles avaient besoin observé et attendu : l’organoïde allait-il se dévelop-
pour grandir. per de concert avec le reste du cerveau du raton ?
Les rats transplantés plus performants ces circuits… C’est juste que les
neurones humains en font désormais partie. »
constituent des modèles En revanche, dans ce nouvel environnement,
« humanisés » permettant
les cellules transplantées n’ont pas parfaitement
imité les neurones naturels du tissu cérébral
d’étudier les maladies, dans la tête d’un homme ou d’une femme. Par
exemple, elles ne se sont pas organisées en
avec l’avantage de mieux couches pour former la même structure que
dans le cortex humain. De même, elles n’ont
correspondre aux anomalies pas suivi l’exemple des neurones murins autour
de l’homme.
d’elles, qui se sont organisés en colonnes carac-
téristiques du cortex somatosensoriel de rat.
Mais les neurones implantés ont que, jusqu’à présent, ces change-
conservé de nombreuses proprié- Dans une boîte de culture ments subtils dans des neurones
tés électriques et structurales des en maturation, qui conduisent à
neurones humains « normaux ». des troubles neurologiques ou psy-
Pourquoi ? Ils ont pu profiter de chiatriques, nous étaient large-
l’avantage majeur qu’il y a à se ment cachés.
retrouver dans un environnement « Ces résultats sont très intéres-
naturel, à savoir le fait de s’associer sants », a déclaré Bennett Novitch,
au système vasculaire du cerveau neuroscientifique et biologiste spé-
du rat : des vaisseaux sanguins ont cialiste des cellules souches à l’uni-
pénétré en profondeur le tissu versité de Californie, à Los Angeles.
humain pour le nourrir en oxygène, « Les études in vitro des tissus neu-
nutriments et hormones (voir la ronaux seront toujours plus rapides
figure page 20). L’absence d’approvi- et plus pratiques pour diverses
sionnement en sang serait une des expériences ou pour tester des
raisons pour lesquelles les neurones médicaments, mais cette nouvelle
humains cultivés in vitro peinent à technique révèle l’importance de la
atteindre leur pleine maturité ; le maturité des neurones humains…
manque de connexions et de signaux Qui est toujours meilleure in vivo. »
électriques, probablement néces-
saires pour diriger le développe- DES EXPÉRIENCES ÉTHIQUES
ment, serait une autre cause. Sergiu Paşca espère que la pos-
Conséquence d’une évolution sibilité d’étudier des neurones
dans ce milieu naturel : en compa- Dans un cerveau de rat humains matures à l’intérieur de
rant les neurones humains trans- rats vivants éclairera les méca-
plantés à ceux vivant dans une boîte de culture, Un neurone humain nismes des troubles psychiatriques et de leurs
l’équipe de Sergiu Paşca a constaté que les pre- se développant traitements. D’autres spécialistes du domaine
à l’intérieur d’un
miers étaient six fois plus grands que les seconds, organoïde dans sont aussi optimistes. « Si cette stratégie de trans-
avec une taille et un profil d’activité électrique une boîte de culture plantation d’organoïdes imite vraiment les signa-
assez semblables à ceux des neurones du tissu en laboratoire (en haut) tures d’une maladie, cela devrait accélérer la
est six fois plus petit
cérébral humain naturel (voir la figure ci-contre). et bien moins complexe découverte de thérapies plus efficaces », a déclaré
« Quelque chose dans l’environnement in vivo, qu’un même neurone Joel Blanchard, neuroscientifique à l’école de
certainement les nutriments et les signaux élec- transplanté dans le
cerveau d’un rat (en bas).
médecine Icahn de Mount Sinai, à New York.
triques qu’ils reçoivent, amène les neurones Mais qu’en est-il du bien-être des animaux
humains à un autre niveau de maturation », soumis à ces transplantations ? Dès le début de
insiste le chercheur de Stanford. leurs expériences, Sergiu Paşca et ses collègues
ont longuement discuté avec différents comités
LE SYNDROME DE TIMOTHY EN ORGANOÏDE d’éthique. La loi américaine exigeait que les rats
Voyant que les neurones humains se dévelop- soient surveillés de près par des techniciens de
paient bien dans le cerveau de rats, l’équipe de laboratoire habilités à arrêter l’expérience à tout
Sergiu Paşca est allée encore plus loin : elle a moment si quelque chose n’allait pas. Mais, lors
transplanté des organoïdes cérébraux issus de d’une série de tests comportementaux et cogni-
personnes atteintes d’une maladie génétique tifs, on n’a constaté aucune différence chez les
rare, le syndrome de Timothy, qui provoque, rats greffés, en comparaison avec des rongeurs
entre autres, des troubles neurodéveloppemen- sans organoïde.
taux, comme l’autisme et l’épilepsie, sans que l’on Insoo Hyun, bioéthicien au Centre de bio-
sache vraiment pourquoi. éthique de la faculté de médecine de Harvard, à
Des différences sont apparues dans le déve- Boston, a déclaré n’avoir aucune préoccupation
© Paşca Lab, Stanford University, USA
loppement de ces neurones portant les gènes du d’ordre éthique à propos des expériences de
syndrome de Timothy et celui des neurones l’équipe de Paşca. Cette dernière a en effet suivi
humains non mutés. Dans le cerveau des rats, ils toutes les directives de la Société internationale
ont développé des prolongements, ou dendrites, pour la recherche sur les cellules souches, qui
anormaux, notamment parce qu’ils ont établi des contrôle également celle sur les organoïdes de cer-
connexions inhabituelles. Un fait que l’on n’avait veau humain et le transfert de cellules humaines
pas pu établir en étudiant les mêmes neurones chez des animaux. « Pour moi, la question est tout
dans des boîtes de culture. Sergiu Paşca souligne autre : où va-t-on à partir de là ? »
cortical organoids,
l’instant, le tissu obtenu est dépourvu de nom- Nature, 2022. Sergiu Paşca. « Des difficultés scientifiques que
breuses cellules cérébrales très importantes qui l’on a aujourd’hui, comme le fait de comprendre
A. A. Mansour et al.,
ne sont pas des neurones, comme la microglie An in vivo model les troubles psychiatriques et neurodéveloppe-
et les astrocytes, ainsi que de neurones inhibi- of functional and mentaux, des maladies surtout “humaines”,
teurs (qui diminuent l’activité des autres vascularized human nécessiteront des approches audacieuses,
neurones). De plus, l’équipe de Sergiu Paşca brain organoids, Nature conclut le chercheur de Stanford. La transplan-
travaille actuellement à la transplantation Biotechnology, 2018. tation d’organoïdes de cerveau humain en est
d’« assembloïdes », des ensembles d’organoïdes déjà une. » £
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22
Les antidépresseurs
Par Tanguy Sourd, journaliste à Cerveau & Psycho.
EN BREF
£ Les antidépresseurs
font actuellement l’objet
d’une remise en question,
face à la montée des
cas de dépression dans
E ntre 2000 et 2020, la
consommation d’antidépresseurs a explosé
dans le monde, et notamment en Europe. Selon
une étude menée par l’OCDE au sein de 18 pays
européens, il s’en prescrirait 2,5 fois plus
aujourd’hui qu’il y a vingt ans sur le continent,
ces traitements ne seraient souvent pas plus effi-
caces que de simples placebos…
L’HEURE DU QUESTIONNEMENT
Il y a à peine plus d’un an, en février 2022,
une métaanalyse, publiée dans la très prestigieuse
le monde. pendant que, dans le même temps, le nombre de revue à comité de lecture World Psychiatry, allait
dépressions y était également en progression. de nouveau en ce sens. Quelques mois après seu-
£ De fait, leur efficacité
varie selon les patients. Une tendance similaire à celle relevée par l’Orga- lement, une autre étude a fait grand bruit dans les
Un phénomène mieux nisation mondiale de la santé (OMS) à l’échelle médias généralistes et au sein de la communauté
compris, ce qui devrait mondiale : le nombre de personnes anxieuses et/ scientifique. Joanna Moncrieff, psychiatre à l’Uni-
améliorer les prescriptions ou dépressives aurait en effet augmenté de 18 % versity College de Londres (UCL), et ses collègues
et le suivi.
entre 2005 et 2015 et aurait même bondi lors de y remettent tout bonnement en question la théo-
£ Parallèlement, des la première année de la pandémie de Covid-19, rie dite « sérotoninergique », selon laquelle la
traitements alternatifs, en 2020, avec 25 % de malades en plus qu’en 2019. dépression serait due à un déficit en sérotonine,
tels que les psychédéliques, Derrière ces chiffres se pose une question cen- un important neuromédiateur du cerveau.
vont compléter la trale : les antidépresseurs sont-ils de plus en plus L’insuffisance de ce messager chimique perturbe-
panoplie des thérapies.
prescrits car il y a de plus en plus de personnes rait la communication entre neurones et se tra-
£ Les psychothérapies souffrant de dépression, ou bien peut-on considé- duirait par les symptômes classiques de la dépres-
© mujijoa79/shutterstock
ont une place essentielle rer que l’augmentation du nombre d’antidépres- sion, comme l’humeur triste, la difficulté à se
à tenir, à quoi s’ajoutent seurs délivrés n’améliore pas vraiment la situation motiver, à faire des projets, la perte de plaisir et
des recommandations
portant sur l’exercice des patients ? Cette dernière hypothèse gagne en les pensées d’autodévalorisation. Ce point est cru-
physique ou une meilleure tout cas du terrain, tant sur internet que chez cer- cial car à l’heure actuelle, la classe d’antidépres-
l’alimentation. tains chercheurs ; lesquels laissent entendre que seurs la plus utilisée, celle dite des « inhibiteurs
sont-ils dépassés ?
c’est un rôle complexe, lié à Dans les faits, une étude antérieure menée
sur plusieurs milliers de personnes montre qu’en-
des mécanismes de régulation viron 40 % des patients voient leurs symptômes
s’améliorer dès le premier antidépresseur de type
faisant intervenir plusieurs ISRS prescrit. Parmi les 60 % qui ne répondent
récepteurs neuronaux.
pas à ce premier traitement, à nouveau 40 %
répondent à un deuxième antidépresseur ISRS,
ou à un antidépresseur d’une autre classe. C’est
finalement six personnes sur dix qui voient leurs
décalage par rapport au courant dominant des symptômes régresser après un à deux traitements
recherches sur la dépression, en interprétant cette antidépresseurs correctement suivis. A priori,
dernière comme résultant systématiquement d’un loin d’une réelle inefficacité, donc.
trauma, là où des études épidémiologiques font Néanmoins, il apparaît malgré tout que la
aussi intervenir de plus larges causes de stress dépression perdure chez quatre personnes sur
ainsi que des vulnérabilités biologiques.
Du reste, Alexis Bourla, psychiatre à l’hôpital
Saint-Antoine (Paris, AP-HP), ne voit pas de quoi
forcément enterrer les antidépresseurs. « L’analyse
est intéressante, reconnaît le spécialiste en psycho- LA QUESTION EST PLUTÔT : QUEL
pharmacologie et dépressions résistantes (qui ANTIDÉPRESSEUR PRESCRIRE ?
résistent aux traitements médicamenteux), mais
N
elle est relativement orientée dès le départ. Elle
laisse entendre, en effet, que les études publiées ’étant pour l’instant pas capables de déterminer quels
jusqu’à présent pointent une carence en sérotonine neurotransmetteurs sont impliqués dans la dépression d’un patient
comme cause chimique unique de la dépression. » donné, il faut parfois essayer différentes classes d’antidépresseurs
Sur leur site internet, ses collègues et lui détaillent : avant de trouver le plus efficace.
« Lorsqu’on s’intéresse plus particulièrement à la Les antidépresseurs de première intention sont les inhibiteurs sélectifs
dimension biologique de la dépression, certains de recapture de la sérotonine (ISRS), dans la grande majorité des cas :
auteurs ont certes émis, depuis plusieurs décen- ces traitements bloquent le fonctionnement de molécules localisées dans
nies déjà, l’hypothèse que la sérotonine pouvait les neurones et appelées « transporteurs de la sérotonine », qui évacuent
avoir un rôle important dans les épisodes dépres- la sérotonine des synapses et font baisser ses taux ; de ce fait, les concentrations
sifs, et notamment qu’une diminution de la séro- de sérotonine remontent, ce qui est supposé rehausser l’humeur. Mais outre ces
tonine dans les synapses pouvait être une cause, ISRS, il y a les IRSNa (inhibiteurs de la recapture de la sérotonine-noradrénaline),
parmi d’autres, de dépression. Mais depuis cette qui agissent de façon similaire aux ISRS, mais qui visent également la recapture
époque il a été mis en évidence que d’autres neu- d’un autre neuromédiateur, donc, la noradrénaline. Viennent ensuite d’autres
romédiateurs avaient également un rôle (dopa- classes d’antidépresseurs, dont les tri- et les tétracycliques, qui inhibent
mine, noradrénaline, NMDA, GABA, etc.) et il est les pompes moléculaires, à l’origine, dans les neurones, de la recapture
maintenant clair que si la sérotonine joue un rôle, de la sérotonine et de la noradrénaline, mais aussi un grand nombre d’autres
il s’agit d’un rôle complexe, lié à des mécanismes récepteurs, conduisant à davantage d’effets secondaires. En dernière intention
de régulation et d’interactions entre différents peuvent être prescrits des inhibiteurs de la monoamine oxydase (IMAO),
récepteurs neuronaux dans le cerveau, et que ce qui empêchent l’action de certaines enzymes dégradant naturellement
n’est pas seulement une baisse de sérotonine qui des neurotransmetteurs spécifiques comme la sérotonine, la dopamine ou encore
est responsable de la dépression. » Mais invalider la noradrénaline, ce qui permet ainsi d’en augmenter la quantité dans la fente
la participation de la sérotonine dans la maladie synaptique. Ces derniers ne sont toutefois conseillés qu’en dernier recours,
dépressive, et en conclure que les antidépresseurs car ils comportent de nombreuses interactions biochimiques dangereuses,
classiques sont à mettre au rebut, serait probable- que ce soit avec d’autres médicaments ou même avec certains aliments.
ment une erreur.
Taux de sérotonine
Vésicule augmenté
contenant dans la synapse
la sérotonine Recapture
de la sérotonine
par un transporteur
de sérotonine
Sérotonine L’antidépresseur
libérée dans Synapse bloque la recapture
la synapse de la sérotonine
Récepteur
de la sérotonine
dix après deux traitements antidépresseurs bien L’hypothèse confèrent une activité métabolique plus ou moins
conduits : c’est ce qu’on appelle des « dépressions sérotoninergique importante. » De récents travaux laissent entre-
résistantes ». Il leur faudra alors essayer d’autres de la dépression stipule voir qu’il serait possible de doser le taux des
que les symptômes
antidépresseurs, sans aucune garantie qu’ils se résultent en partie d’un antidépresseurs dans le sang, voire d’étudier le
montrent plus efficaces. Alors que les dépres- manque de sérotonine phénotype des cytochromes chez un sujet
dans les synapses, entre
sions résistantes restaient mal comprises jusqu’à les neurones pré- et donné, autrement dit les variations pharmaco-
récemment, de récents travaux commencent à postsynaptique. Cette génétiques impliquées dans le métabolisme
entrevoir les raisons de cette faible réponse aux insuffisance résulterait médicamenteux. Quand bien même cela pour-
en partie de la
traitements. réimportation (recapture) rait aider à identifier les patients qui excrètent
de la sérotonine dans le le traitement trop rapidement, il ne faut toute-
L’EFFICACITÉ PARTIELLE A SES RAISONS neurone présynaptique fois pas espérer un remède miracle contre la
par des molécules
Car on dispose aujourd’hui de plusieurs pistes appelées « transporteurs pharmacorésistance à ce jour…
pour expliquer l’efficacité partielle des antidé- de la sérotonine » En effet, en ce qui concerne plus spécifique-
(à gauche).
presseurs. La première concerne la durée de vie Les antidépresseurs ment les antidépresseurs, de nombreux défis
de ces molécules dans l’organisme, et leur capa- de type ISRS bloquent sont encore à relever. L’un des principaux, et pas
cité à atteindre le cerveau pour y exercer leurs les transporteurs des moindres, est de franchir la barrière hémato-
et favorisent
effets ! En effet, afin de pouvoir être mobilisé par l’accumulation encéphalique, à savoir les parois filtrantes des
le cerveau, tout traitement – qu’il s’agisse d’un de sérotonine dans minuscules vaisseaux sanguins irriguant le cer-
antidépresseur ou non – doit subir un long trajet la synapse (à droite). veau, et qui veillent à n’y laisser entrer aucun
Celle-ci peut alors
une fois qu’il a été ingéré par le patient. Il lui faut transmettre l’information agent potentiellement dangereux, qu’il s’agisse
notamment passer l’étape de la digestion et de la au neurone post- de toxines, d’anticorps ou de microorganismes
synaptique en se fixant
métabolisation, qui dégrade une certaine quan- sur les récepteurs étrangers. Concrètement, avant de pouvoir
tité du principe actif, notamment au niveau du présents à sa surface. exercer leur effet thérapeutique, les molécules
foie. Wissam El-Hage, psychiatre et chercheur à d’antidépresseurs doivent passer par des récep-
l’université de Tours, dont les recherches portent teurs spécifiques présents naturellement au
sur les circuits neuronaux de la dépression résis- niveau de cette barrière, et qui sont respon-
tante et sur la pharmacorésistance aux antidé- sables de laisser ou non entrer des composés
presseurs, explique : « Même si tous les méca- chimiques du sang vers le cerveau. Or on
nismes de résistance ne sont pas encore connus, observe, chez un individu donné, des diffé-
on a toutefois constaté que la vitesse à laquelle rences au sein de ces récepteurs qui ne vont, de
un médicament était éliminé du corps variait fait, pas tous laisser passer les mêmes molé-
© Blamb/Shutterstock
grandement selon les individus. Pour une même Sérotonine cules. Enfin, les chercheurs ont récemment mis
dose de médicament ingérée, deux patients au jour, pour un récepteur similaire, des varia-
pourront donc avoir un taux sanguin en principe tions génétiques d’une personne à une autre, et
actif bien différent. Cela est dû à des mutations donc, pour un médicament identique, une bio-
d’enzymes hépatiques, les cytochromes, qui leur disponibilité inégale entre les patients.
C Les psychédéliques. Parmi eux, la kétamine est utilisée DE QUOI REMPLACER LES ANTIDÉPRESSEURS ?
usuellement comme anesthésique, analgésique, hypnotique À ce jour, bien que précieuses, ces approches n’ont pas vocation
et dans le traitement des graves crises suicidaires. Depuis 2019, à remplacer entièrement les antidépresseurs. La rTMS nécessite
aux États-Unis, une forme particulière de kétamine appelée une machine de haute technologie, qui ne peut pas être utilisée chez
« eskétamine » est même commercialisée sous la forme d’un… son médecin généraliste, et difficilement chez un psychiatre libéral,
spray nasal ! Elle est également disponible en France, réservée qui doit disposer d’un plateau technique particulier. En outre,
à l’usage hospitalier, en association avec un antidépresseur, peu d’hôpitaux disposent de cet appareil très onéreux, même si son
après un avis favorable de la Haute autorité de santé (HAS) utilisation se démocratise progressivement. Enfin, c’est la répétition
en 2020. Pas plus tard qu’en novembre 2022, une équipe de des séances qui produit des effets notables – en d’autres termes, une
chercheurs a montré les effets spectaculaires sur la dépression machine ne peut être utilisée que par un très petit nombre de patients
de la psilocybine, une substance présente dans un champignon par jour, qui vont de surcroît devoir se présenter tous les jours pendant
hallucinogène. Il suffirait d’une simple dose pour réduire six semaines pour voir de réels effets, et auront possiblement besoin
significativement les symptômes dépressifs. de séances de consolidation quelques mois, à raison d’une séance
par mois à une séance par semaine… Il faut en moyenne une machine
pour quinze patients à peine. Quand on sait que 280 millions de
C personnes seraient en dépression dans le monde, selon l’OMS, et que
pas moins de 20 % de la population française souffrirait de dépression
au moins une fois dans sa vie, selon l’Inserm, on voit bien que
l’utilisation de la rTMS, par exemple, ne peut pas être généralisée
à l’ensemble des personnes malades. Du côté des psychédéliques,
des essais cliniques sont encore en cours pour définitivement valider
leur efficacité et leur innocuité. « Depuis 2011, explique Wissam
El-Hage, elle a été testée chez 187 patients décrits dans six
publications internationales. Il y a aussi deux études en cours
prévues pour 333 patients. » Une dose d’eskétamine coûte environ
200 à 250 euros, soit près de 10 000 euros pour une année de cure.
Elle ne peut en outre être administrée qu’à l’hôpital. Il reste enfin
un obstacle légal : le cadre juridique entourant l’utilisation de
substances hallucinogènes, qui freine déjà parfois les chercheurs
dans leurs travaux dans les pays qui en interdisent la consommation.
Le CBD thérapeutique, par exemple, extrait du cannabis, n’a été
autorisé que très récemment en France.
cette fin que de nombreux laboratoires ont lancé, concevoir des approches pour contourner cette
depuis une dizaine d’années environ, plusieurs difficulté, plutôt que de les remettre totalement
axes de recherche prometteurs, certains au stade en question. « Les nouvelles classes d’antidépres-
expérimental, d’autres déjà engagés dans des seurs sont globalement très bien tolérées, ou pro-
essais cliniques, voire – pour une minorité d’entre duisent des effets secondaires mineurs qui sont
eux – récemment commercialisés. négligeables par rapport au bénéfice thérapeu-
Face aux dépressions résistantes graves, qui tique qu’elles confèrent », précise Christophe
s’accompagnent par exemple d’une torpeur, d’une André, psychiatre et psychothérapeute depuis
incapacité de s’alimenter, voire de bouger, de quarante ans, dont vingt-six ans à l’hôpital
nouvelles techniques ont vu le jour, et d’autres, Sainte-Anne à Paris. « Et s’il est vrai que certains
parfois beaucoup plus anciennes, ont été réadap- patients semblent se sentir un peu mieux sans
tées (voir l’encadré ci-dessus). doute par un simple effet placebo, on voit chez
Mais il ne faut pas compter sur ces approches d’autres des progrès nets et durables, tels que ça
pour remplacer entièrement les antidépresseurs. ne peut être que lié à l’efficacité des traitements.
© Kichigin/Shutterstock
« Ces médicaments restent le traitement de pre- Les résultats obtenus en épidémiologie doivent
mière intention pour traiter la dépression sévère », être associés aux observations cliniques pour
insiste Alexis Bourla. Selon le praticien, il serait avoir une idée globale sur la question. »
plus pertinent d’étudier les mécanismes à l’ori- Et le psychiatre d’ajouter que même si cer-
gine de la résistance aux antidépresseurs et de tains patients souffrant d’une dépression légère
peuvent espérer aller mieux sans antidépresseur Alexis Bourla nuance toutefois : « Il faut
pour peu qu’ils suivent une thérapie adaptée et savoir qu’on estime qu’un patient sur deux qui
adoptent des habitudes de vie plus saines, ils consomme des antidépresseurs ne devrait pas
restent minoritaires. On le voit notamment chez en prendre. Et que d’autres pour lesquels ces
des patients qui refusent les antidépresseurs ou traitements seraient indiqués n’en bénéficient
ont une observance moindre du traitement. Ces pas… », déplore-t-il. Un constat que fait égale-
derniers rechutent en effet statistiquement plus ment Wissam El-Hage. C’est souvent le cas de
souvent. On estime aujourd’hui qu’un traitement personnes diagnostiquées à tort comme souf-
antidépresseur suivi sur au moins deux à cinq ans frant de dépression, mais qui souffrent en réalité
s’avérera plus à même de prévenir les rechutes. d’un trouble bipolaire. Or les antidépresseurs
pris seuls dans ces cas ont tendance à intensifier
LE PROBLÈME DE FOND : la fréquence et l’intensité des phases maniaques
L’OBSERVANCE DU TRAITEMENT et hypomaniaques, autrement dit les périodes
Et c’est plutôt là que résiderait souvent le pro- d’excitation et d’accélération anormales qui
blème, explique Wissam El-Hage : « On estime risquent de conduire à des mises en danger, une
qu’un patient sur cinq à un patient sur deux ne désinhibition comportementale, des dépenses
suivrait pas correctement son traitement. Soit impulsives… et tout autant de manifestations
parce qu’il se sent mieux, soit parce qu’il n’obtient très graves. À terme, cela fragilise parfois pro-
pas de résultats suffisamment rapidement selon fondément le bon pronostic de la maladie et ce
lui, ou parce qu’il refuse d’accepter sa maladie. » de façon durable. Chez les patients âgés, on note
Parfois, c’est aussi parce que ses symptômes également une efficacité qui met parfois plus de
empirent les premiers jours qui suivent la prise
d’antidépresseurs. Un résultat qui n’est pas illo-
gique, selon Alexis Bourla, qui pointe un phéno-
mène par lequel les neurones eux-mêmes, devant
un afflux de sérotonine, enclenchent des méca-
MANQUE D’EFFICACITÉ :
nismes de régulation visant à la faire baisser (voir LES AUTORÉCEPEURS EN CAUSE ?
l’encadré ci-contre).
I
Toujours d’après Bourla, les solutions se
l existe, sur les neurones sérotoninergiques présynaptiques,
trouvent plutôt dans la stratégie d’ajustement
des molécules appelées « autorécepteurs », qui détectent la quantité de
employée par le praticien. Augmenter les doses
sérotonine dans la fente synaptique et ajustent à la baisse ou à la hausse la
d’antidépresseur pour surmonter une éventuelle
quantité de sérotonine libérée. Au début d’un traitement, les antidépresseurs
dégradation enzymatique trop importante, puis
vont provoquer une hausse du taux de sérotonine, mais celle-ci va tout de suite
éventuellement associer deux antidépresseurs
chuter à cause des autorécepteurs qui la réabsorbent ou freinent sa libération !
aux propriétés différentes, voire un antidépres-
Jusqu’à ce qu’un équilibre se crée et que l’on puisse bel et bien y observer
seur et un antipsychotique ou un régulateur d’hu-
une quantité de sérotonine accrue, capable d’exercer son plein effet. Le plus
meur, comme le lithium… C’est seulement en cas
difficile est alors de se montrer patient, et de persévérer dans le traitement
d’échecs répétés qu’un malade se verra proposer
en attendant des effets positifs qui mettront plus de temps à se manifester.
des séances d’électroconvulsivothérapie ou de sti-
mulation magnétique transcrânienne (voir respec- Neurone présynaptique
tivement les points A et B de l’encadré page 26),
souvent en complément des antidépresseurs. Vésicule
Enfin, d’autres substances thérapeutiques, comme Autorécepteur contenant
la kétamine, l’eskétamine ou les amphétamines qui laisse entrer la sérotonine
(voir le point C de l’encadré page 27), pourront être la sérotonine
dans le neurone
prises avec un antidépresseur dont elles vont postsynaptique
potentialiser les effets. « Ce qui est vraiment nou-
veau et prometteur en revanche, continue Wissam Autorécepteur Sérotonine
El-Hage, c’est bien le mode d’action de la psilocy- qui détecte libérée dans
bine, dont les effets se manifestent sans prendre la quantité la synapse
le moindre antidépresseur. Cela s’observe tant de sérotonine
© Kichigin/Shutterstock
dans la synapse
d’un point de vue clinique que par imagerie,
laquelle montre des modifications cérébrales
importantes et rapides. » Reste à définir le profil Récepteur
de la sérotonine
de patients pour lesquels ce type de thérapeutique Neurone postsynaptique
est le plus efficace et le plus adapté.
40 %
accrus, notamment de possibles chutes, lesquelles
entraînent souvent des conséquences extrême-
ment graves dans cette population. Cela nécessite
un meilleur encadrement et un suivi plus spécia-
lisé, afin de soupeser à la fois les résultats béné-
fiques espérés et les effets néfastes possibles.
DES PATIENTS
AU-DELÀ DE LA CHIMIE,
LA PSYCHOLOGIE
Si la prise en charge de la dépression ne donne
voient leurs symptômes s’améliorer dès le premier antidépresseur de type ISRS prescrit.
pas entièrement satisfaction aujourd’hui, c’est
40 % des autres répondent bien à un deuxième antidépresseur…
peut-être à cause de la complexité de la maladie.
De plus en plus, on s’accorde à dire qu’elle résulte
à la fois de causes neurochimiques, environne-
mentales et psychologiques. C’est pourquoi, sou-
lignent Christophe André et Alexis Bourla, il faut pratique régulière de la méditation et une bonne
envisager une prise en charge globale, intégrative, Bibliographie hygiène de vie pourraient avoir des effets compa-
qui ne se limite pas aux antidépresseurs et, dans rables aux ISRS, à condition de maintenir cette
tous les cas, ces traitements ne devraient pas être F. Leichsenring et al., pratique dans la durée, y compris une fois la
prescrits de manière orpheline et sans suivi. The efficacy of dépression passée.
Fait marquant ces dernières années, la psychotherapies and
recherche a souligné plus que jamais l’impor- pharmacotherapies COMBINER PSYCHOTHÉRAPIES
tance d’une hygiène de vie saine et notamment for mental disorders ET MÉDICAMENTS
in adults : An umbrella
le rôle capital de notre alimentation et de notre Christophe André utilise souvent cette méta-
review and meta-
microbiote intestinal, l’influence du sommeil et analytic evaluation phore pour expliquer le rôle des antidépresseurs à
du rythme circadien dans la régulation des émo- of recent meta-analyses, ses patients : « Lorsque quelqu’un tombe à l’eau et
tions, la nécessité d’une activité physique régu- World Psychiatry, 2022. commence à se noyer, impossible de lui apprendre
lière… Plus récemment, la pandémie nous a éga- à nager pour qu’il s’en sorte. Il faut lui jeter une
J. Moncrieff et al.,
lement montré que les relations sociales, The serotonin theory bouée de sauvetage pour gérer l’urgence. Une fois
l’équilibre entre travail et loisirs étaient cruciaux of depression : l’urgence et le choc de l’accident dépassés, on peut
pour notre santé mentale… Elle a aussi révélé A systematic umbrella commencer à lui expliquer comment se débrouil-
l’apport de la psychothérapie en cas de difficultés review of the evidence, ler dans l’eau, tout en gardant la bouée. Puis, à
psychiques. Des crédits de recherche supplémen- Molecular Psychiatry force d’entraînement, la personne saura nager de
taires ont d’ailleurs été alloués pour lutter contre (Nature), 2022. mieux en mieux jusqu’à ce qu’on puisse prudem-
les maladies psychiatriques, qui représentent la A. Bourla et F. Ferreri, ment retirer la bouée. » Dans la dépression, l’anti-
première cause d’invalidité dans le monde, et Ordonnances dépresseur fait office de bouée ; et la thérapie,
occasionnent chaque année des pertes écono- en psychiatrie et d’apprentissage de la nage. Même si cette der-
miques considérables. pédopsychiatrie. nière n’empêche pas une future noyade, elle en
Christophe André, qui est l’un des chefs de file 101 prescriptions réduira toutefois les risques.
des thérapies comportementales et cognitives courantes, 4e édition, Finalement, chercher à traiter les symptômes
Maloine, 2022.
(TCC) en France, et l’un des premiers à avoir de la dépression sans prendre le temps d’une éva-
introduit l’usage de la méditation de pleine W. El-Hage et al., luation initiale exhaustive des difficultés rencon-
conscience (mindfulness based cognitive therapy, Ketamine for the trées réduit les chances de guérison, car cela prive
plus connue en France sous le terme de thérapie acute treatment le patient de la possibilité de recevoir les meilleurs
of severe suicidal
MBCT) en psychothérapie, affirme que ces deux soins. Quel médecin traiterait aujourd’hui de la
ideation : Double
approches sont les plus efficaces pour traiter la blind, randomised même façon une angine bactérienne qu’une
dépression et l’anxiété qui y est souvent associée, placebo controlled trial, angine virale, malgré la similitude des symp-
voire qui y conduit. Dès 1992, pour les troubles The British Medical tômes ? Aussi, il est important de bien identifier la
obsessionnels compulsifs (TOC), de nombreuses Journal, 2022. part que représente chacune des causes neurochi-
études ont démontré de réels effets sur les patho- C. André et miques, environnementales et internes pour un
logies psychiatriques, correspondant à un remo- Mademoiselle Caroline, malade donné. Le futur du traitement de la
delage profond du cerveau par les mécanismes Mon programme dépression reposera sans doute, comme cela se
de neuroplasticité. Des travaux de recherche très anti-dépression, développe pour d’autres pathologies, sur une
récents laisseraient même penser que, chez cer- L’Iconoclaste, 2018. médecine plus personnalisée et sur la découverte
tains patients souffrant de dépressions légères, la de marqueurs biologiques fiables. £
Comment le cerveau
humain s’est développé
Le cerveau des premiers hominines, il y a quelque 7 millions d’années,
pesait environ le poids d’une mangue. Celui des hommes modernes,
largement trois fois plus. Les causes possibles de cet essor : une alimentation
plus riche et un mode de vie plus économe en énergie pour l’organisme.
Homo erectus
1000
Texte : Anna von Hopffgarten – Illustration : Yousun Koh
Homo habilis
700
Australopithecus africanus
460
Sahelanthropus
Volume du cerveau 380
(en cm3)
Homo sapiens
1350
1500
1000
100
Un gros
celui du Prix Nobel de littérature
Anatole France, doté de l’un des
plus petits cerveaux jamais mesu-
cerveau
rés, ndlr.] Chez de nombreuses
espèces animales, y compris chez
les humains, il faut en outre tenir
coûte cher
compte du dimorphisme sexuel, à
savoir que les hommes ont en
moyenne un cerveau plus volumi-
neux que les femmes, mais ne sont
en énergie
pas plus intelligents. Leur corps
tout entier est simplement plus
volumineux en moyenne.
vers le sol et auraient ainsi com- mutuellement. C’est vraiment un sources de nourriture, même dans
mencé à marcher sur deux jambes. fait extraordinaire chez nous, les de mauvaises conditions. En outre,
Or là encore, comme le montrent humains, que même des individus elles s’adaptent mieux à un nouvel
diverses études, les animaux qui non apparentés se soutiennent. Y environnement et forment des
vivent au sol peuvent se lester de compris ceux qui ne se connaissent groupes plus importants, car elles
plus de graisse corporelle que ceux pas bien. Par exemple, nous n’avons développent des aptitudes sociales
qui doivent évoluer dans les cimes normalement aucun lien de parenté plus complexes. Tout cela présente
des arbres. De plus, la marche sur ou d’amitié avec les employés de la des avantages pour la survie.
Alors pourquoi le volume des arguments selon lesquels le cer- système immunitaire a certaine-
du cerveau n’augmente-t-il veau humain serait sur le déclin et ment dépensé beaucoup d’énergie ;
pas avec le temps chez toutes aurait commencé à rétrécir depuis il en restait peut-être moins pour le
les espèces animales ? environ 3 000 ans. Mais comme vous cerveau. C’est du moins ce qu’on
Comme toutes les machines très pouvez l’imaginer, cette étude est observe chez les chauves-souris et
puissantes, un gros cerveau est aussi controversée, notamment parce que certains poissons : plus le système
très coûteux en énergie ! Les ani- seuls 23 crânes fossiles étaient dis- immunitaire est actif, plus le cer-
maux qui en sont dotés ont besoin ponibles pour la période concernée veau est petit. On n’a toutefois pas
d’une nourriture particulièrement et que la dispersion des points de trouvé de lien de ce type chez
riche, et de surcroît disponible toute données était considérable. Quoi d’autres espèces animales, c’est
l’année. Car les cellules nerveuses qu’il en soit, certains hominines pourquoi je resterais très prudente
doivent être alimentées jour et nuit. comme l’homme de Néandertal ou à ce sujet.
Que l’on fasse de l’exercice intellec- l’homme de Cro-Magnon – l’Homo
tuel ou que l’on dorme, le cerveau sapiens européen qui a vécu entre On dit que de nombreuses
humain consomme environ 20 à 45 000 et 10 000 ans avant notre espèces d’animaux
25 % de nos besoins quotidiens en ère – possédaient un cerveau plus domestiques ont un cerveau
énergie – alors qu’il ne représente grand que celui des humains d’au- plus petit que leurs cousines
que 2 % de notre poids corporel. Pour jourd’hui, même par rapport à la les espèces sauvages.
l’évolution d’un grand cerveau, il ne taille du corps. La domestication aurait-elle
sert à rien à une espèce animale de également influencé la taille
trouver beaucoup de nourriture en Quelles pourraient être les du cerveau chez l’homme ?
été si c’est pour ensuite souffrir de la raisons pour lesquelles nous Prenons le cas de l’espèce humaine
faim en hiver. C’est pourquoi les avons un cerveau plus petit elle-même ! Il existe des preuves que
mammifères qui ont le plus gros cer- que celui de l’homme l’homme s’est « autodomestiqué ». Je
veau relativement à leur masse cor- de Néandertal ? m’explique : lorsque nos ancêtres se
porelle sont ceux qui subissent le Nous ne pouvons que spéculer à ce sont réunis en groupes plus impor-
moins de variations dans la disponi- sujet, car il n’existe aucune preuve. tants, l’agressivité, qui était aupara-
bilité de la nourriture et qui mangent Une partie de la différence tient vant un trait de caractère essentiel
des aliments riches en calories peut-être au fait que nous nous à la survie, est devenue un pro-
comme les fruits, les noix et la sommes sédentarisés et que nous blème. Ceux qui étaient trop comba-
viande. Les espèces qui n’ont pas un avons pratiqué l’agriculture [même tifs ont été exclus, ce qui, au cours
accès permanent à une nourriture si les Homo sapiens du Paléolithique, de l’évolution, a rendu l’homme plus
riche en énergie ont un cerveau plus ne pratiquant pas l’agriculture, pacifique. L’hypothèse selon laquelle
petit et ont tendance à hiberner. avaient déjà un cerveau légèrement cela aurait influencé la taille de son
plus petit que l’homme de Néandertal, cerveau me semble toutefois très
Le cerveau humain ndlr]. Cela a entraîné l’apparition de spéculative.
continue-t-il à croître ? nombreuses nouvelles maladies
Ce n’est pas encore définitivement infectieuses, appelées « zoonoses », Vous attendez-vous
prouvé. Récemment, une étude a fait qui se transmettent de l’animal à à ce que nos cerveaux
couler beaucoup d’encre en avançant l’homme. Pour les combattre, le rétrécissent à l’avenir ?
C’est difficile à dire. Le fait que cer-
taines espèces humaines pré-
historiques (comme l’homme de
Néandertal) possédaient un cer-
veau plus grand que le nôtre
aujourd’hui ne permet pas de
démontrer scientifiquement une
La bipédie permet
tendance stable. Si le cerveau
devait vraiment rétrécir, cela ne se
p. 38
Des « mindsets »
pour convertir la pression
en énergie
p. 44 Interview
« Donnez du sens
à votre stress ! »
COMMENT
p. 50
Pourquoi l’angoisse
nous tord l’estomac
FAIRE DU STRESS
UN ALLIÉ Difficile à maîtriser, dangereux voire
destructeur, mais aussi l’une des plus formidables
sources d’énergie mises entre nos mains… Le feu ?
Non, le stress ! Car malgré sa mauvaise réputation, il
a une utilité profonde : c’est l’un des principaux moteurs
psychiques qui nous poussent à l’action.
Soyons clairs : cette mauvaise réputation ne vient pas
de nulle part. Nous ressentons tous régulièrement le
poids du stress sur nos épaules, avec des effets
potentiellement délétères sur notre humeur et sur
notre santé. La tentation est alors forte d’essayer de
le neutraliser par tous les moyens. Mais il y a erreur,
nous disent les psychologues : s’il est certes essentiel
de maintenir le stress à un niveau raisonnable, le
piège serait de tomber dans des stratégies d’évite-
ment émotionnel ; mieux vaut se confronter à ce res-
senti négatif et l’exploiter pour avancer dans ce qui
nous tient à cœur. Ce dossier vous présentera les
techniques développées par les chercheurs pour
gérer tous ces aspects. L’objectif : apprendre à utiliser
le stress pour vous enflammer sans vous consumer.
Guillaume Jacquemont
DES « MINDSETS »
POUR CONVERTIR
LA PRESSION EN ÉNERGIE
Par Catherine de Lange, journaliste scientifique.
Traduit de l’article en
l’anglais « How to hack
your stress and turn
it into a positive force
in your life », publié dans
la revue, New Scientist
le 1er décembre 2021.
© 2021 New Scientist Ltd/
All rights reserved.
Distributed by Tribune
Content Agency.
EN BREF
£ Un stress chronique
entraîne de multiples
risques pour la santé
S i vous avez été stressé ces der-
nières années, vous n’êtes pas le seul. Person-
nellement, ce sont mes dents qui me l’ont fait
comprendre : quatre d’entre elles ont mal sup-
porté des mois de crispation au niveau de la
mâchoire, et mon dentiste l’a bien vu. La cause ?
entre corps et esprit. Selon eux, le stress présen-
terait certains avantages à condition de changer
notre façon de l’appréhender. En utilisant
quelques astuces simples, il pourrait même deve-
nir notre allié. À la clé : meilleure santé physique,
pensée plus claire, résistance mentale et produc-
corporelle et Une pression (dans tous les sens du terme) liée aux tivité accrues.
psychologique. échéances professionnelles et à l’éducation de Pas question ici de nier qu’un excès de stress
£ Toutefois, ceux qui deux jeunes enfants, le tout dans le contexte est dangereux pour le corps et pour l’esprit –
considèrent le stress éprouvant de la pandémie de Covid-19… cancers, maladies cardiaques, maladies du foie,
comme positif plutôt Rien de dramatique, dans mon cas. Mais plu- accidents, maladies pulmonaires et suicides : les
que comme paralysant sieurs organisations de santé ont alerté sur les six principales causes de décès en Occident lui
le supportent bien mieux,
voire s’en servent niveaux de stress élevés subis par la population sont associées… Avec des atteintes potentielles
pour améliorer pendant la pandémie, au point que l’association qui vont d’un affaiblissement du système immu-
leurs performances. psychologique américaine prédit « une crise de nitaire (d’où une plus grande vulnérabilité aux
santé mentale susceptible d’avoir de graves infections et une moindre efficacité des vaccins)
£ Diverses interventions conséquences sanitaires et sociales pour les à une inflammation des intestins (à l’origine de
permettent d’acquérir cet
© Sasin Paraksa/Shutterstock
état d’esprit (ou mindset) années à venir ». diverses maladies), sans oublier les impacts psy-
positif, notamment Concrètement, en cas stress excessif, vous ris- chiques puisque le stress entrave les perfor-
en insistant sur les atouts quez diabète, dépression et maladies cardiovas- mances cognitives et augmente le risque de
du stress : après tout, culaires – liste non exhaustive. Stressant, non ? troubles mentaux comme la dépression, tout en
il nous donne de l’énergie
et nous renseigne sur Il serait peut-être plus intéressant d’envisager nous poussant à des choix de vie malsains
ce qui compte vraiment le stress différemment. C’est la conclusion sur- comme le tabagisme ou la malbouffe. Rien
pour nous ! prenante des chercheurs qui étudient les liens d’étonnant à ce que l’Organisation mondiale de
cela comme une corvée… Moralité : la vision qu’il améliore les performances, l’immunité et le
que vous avez d’une activité ou d’une qualité va bien-être au travail. Comme prévu, les partici-
modifier cette dernière. pants à qui on présentait le stress comme béné-
C’est lorsqu’elle était doctorante et qu’elle fique ont subi moins d’effets néfastes que ceux en
croulait sous une montagne de pression liée à sa ayant lu une description négative.
thèse que la chercheuse a développé un intérêt Lorsque ces travaux ont été publiés en 2013,
pour l’état d’esprit face au stress. « J’ai compris d’autres chercheurs étaient déjà arrivés à des
que la véritable nature du stress était complexe conclusions similaires. Dans une étude parue
et que nous nous faisions des idées trop simples en 2011, qui avait suivi plus de 28 000 Américains
à son sujet, explique-t-elle. Même si ces croyances sur une période de huit ans, les participants sou-
ne sont pas totalement fausses, elles risquent mis à un stress important, mais considérant ce
d’avoir un effet négatif. » dernier comme bénéfique, avaient moins de pro-
blèmes de santé par rapport à ceux qui subis-
LE BON STRESS, J’Y CROIS ! saient moins de stress, mais jugeaient celui-ci
Pour tester cette hypothèse, elle a mené une néfaste. Le pire étant de combiner pression
expérience avec des employés de bureau, qui ont intense et mauvaise opinion sur le stress : le
été répartis en deux groupes : les membres du risque de décès prématuré était alors accru de
premier ont regardé de courtes vidéos qui leur 43 % sur la période étudiée.
expliquaient que le stress est mauvais, qu’il Une autre étude, qui a suivi 7 000 personnes
entraîne des erreurs au travail et des maladies, au Royaume-Uni pendant dix-huit ans, a conclu
tandis que ceux du second groupe découvraient que le risque de maladie cardiaque était
notablement plus élevé chez celles qui pensaient étudiants et les policiers. Ceux qui présentaient
que le stress était mauvais pour elles, quel que un état d’esprit positif face au stress se concen-
soit le niveau réel qu’elles déclaraient. traient davantage sur les problèmes et sur leur
Alia Crum estime que les mindsets exercent résolution, tout en ressentant moins négative-
leurs effets par le biais de quatre mécanismes ment la pression. « Autant d’éléments prédictifs
distincts. Tout d’abord, un déplacement de l’at- du bien-être et des performances, tous deux liés
tention : un état d’esprit positif concentre notre à la gestion du stress », détaille le chercheur.
attention sur les possibilités qui s’ouvrent à nous Le dernier mode d’action des mindsets passe
plutôt que sur les effets désagréables du stress. par les hormones. Dans des études préliminaires,
Puis, le mindset positif favorise l’émergence Alia Crum et ses collègues ont constaté que chez
d’émotions également positives, comme l’affec- les personnes qui considèrent le stress comme une
tion ou la joie, en parallèle des ressentis négatifs. source d’amélioration, plutôt que comme un fac-
Si ces derniers ne disparaissent pas – vous vous teur invalidant, l’organisme régule mieux la libé-
sentirez toujours triste, en colère ou bouleversé ration de cortisol et d’un composé appelé « sulfate
face à une situation difficile –, ils se combinent à de déhydroépiandrostérone ». Il s’agit d’une hor-
un sentiment d’espoir, de connexion aux autres mone qui serait impliquée dans des phénomènes
ou de résilience. Grâce à ces affects agréables, de régénération nerveuse après le stress.
l’état d’esprit positif atténue la part inutile du L’idée qu’une simple disposition mentale
stress – le stress causé par l’idée que le stress a puisse exercer semblable influence est difficile à
des effets néfastes – et a un impact très important croire, mais il n’y a rien de magique là-dedans,
sur notre motivation et notre physiologie. précise la chercheuse : « Nos esprits, nos cerveaux
sont connectés à tous les organes de notre corps.
QUATRE MÉCANISMES EN JEU Ils représentent une plaque tournante entre le
Un troisième mécanisme est d’ordre compor- monde extérieur et le monde intérieur, et il est Affaiblissement
du système immunitaire,
temental. Les personnes qui considèrent le stress donc tout à fait logique que notre façon d’envisa- inflammation des
comme délétère ont tendance à se comporter de ger les événements influence nos réactions et la intestins, augmentation
deux manières : soit elles « pètent un plomb », ce manière dont nous nous sentons. » du risque de dépression…
Quand il est chronique,
qui s’apparente à la réaction de lutte, soit elles le stress est dangereux
abandonnent, ce qui constitue une sorte de réac- COMMENT ACQUÉRIR pour le corps et pour
l’esprit. Apprendre à le
tion de fuite. Un exemple ? En sentant approcher UN ÉTAT D’ESPRIT POSITIF ? réguler permet alors non
la date limite de remise de cet article, je pourrais Les efforts se concentrent désormais sur les seulement de s’appuyer
m’énerver, me sentir tellement sur les nerfs que je moyens d’exploiter notre état d’esprit pour tourner dessus, mais aussi
de préserver sa santé !
n’arriverais plus à me concentrer sur mon travail, le stress à notre avantage. Petar Jerčić et ses col-
ou alors je procrastinerais sauvagement dans l’es- lègues de Jamzone ont créé Stressjam, un jeu de
poir que la cause de mon stress disparaisse comme réalité virtuelle, pour s’y exercer : le principe est
par magie. Une fuite hors de la réalité qui, pour de plonger les joueurs dans un environnement
certains, prend la forme d’une vraie addiction, périlleux, en l’occurrence une île tropicale truffée
note Alia Crum. Alors que les personnes dotées de dangers, en leur fournissant un retour en temps
d’un état d’esprit positif, sans éviter les désagré- réel sur les modifications de leur rythme car-
ments du stress, s’en servent pour faire avancer les diaque et de leur respiration – qui renseignent sur
choses. Les recherches de la psychologue révèlent l’action des hormones du stress. Le jeu a été testé
ainsi que ces personnes reçoivent plus facilement dans divers environnements, notamment profes-
des commentaires négatifs, et sont plus disposées sionnels ou cliniques, avec des résultats positifs,
à persévérer dans les moments difficiles. En 2020, indique Petar Jerčić [une étude préliminaire,
son équipe a mis en évidence les bénéfices de cet publiée par Bernard Maarsingh, de l’université de
état d’esprit chez des étudiants qui s’entraînaient Groningue, aux Pays-Bas, et ses collègues en 2019,
pour entrer dans les forces spéciales de la marine indique par exemple que les participants ont un
américaine. Les individus développant cette apti- mindset plus positif après une session de jeu, sans
tude se montraient plus persévérants, termi- doute parce qu’ils ont constaté que leur stress les
naient plus vite les parcours d’obstacles et rece- a aidés à être plus performants, ndlr].
vaient de meilleurs commentaires de leurs pairs Malgré l’intérêt des mesures physiologiques,
et de leurs formateurs. Alia Crum estime important de se concentrer éga-
Jacob Keech, de l’université de la Sunshine lement sur le comportement – notamment parce
Coast, en Australie, a obtenu des résultats simi- que les pics hormonaux et autres modifications à
laires au sein de deux catégories traditionnelle- court terme ne vous aideront pas à gérer des stress
ment soumises à des niveaux de stress élevés : les plus durables, comme ceux que la pandémie de
(voir l’encadré page 39). Après tout, cette réponse Psychology, 2013. Mieux vaut donc essayer d’envisager la situation
a été sélectionnée par l’évolution parce qu’elle le plus sereinement possible. « Votre état d’esprit
A. Keller et al., Does the
nous aide à affronter les situations les plus diffi- perception that stress est potentiellement déterminant pour rendre la
ciles. Vous pouvez aussi tenter de « réévaluer » affects health matter ? réalité plus positive et moins préjudiciable »,
votre anxiété, en essayant de la considérer comme The association with affirme la chercheuse. Étant donné la multitude
une forme d’excitation : il a été démontré que cela health and mortality, de conséquences négatives du stress, nous avons
permet de mieux réussir les tests cognitifs, les Health Psychology, 2011. tout à y gagner. Mon dentiste serait probable-
négociations et les prises de parole en public. ment d’accord. £
INTERVIEW
DAVID
GOURION
MÉDECIN PSYCHIATRE
ET DOCTEUR EN NEUROSCIENCES.
DONNEZ DU SENS
À VOTRE STRESS !
au service de ce qui
tant qu’espèce, car nos ancêtres se
seraient fait dévorer depuis long-
temps par les prédateurs qui cou-
raient la savane.
niveau de stress. Les pertes de collègues, médecin hospitalier d’un Vous décrivez des moments
concentration ou de plaisir ren- tempérament très calme, a par où l’on est déjà très tendu
seignent aussi. Le retour des autres exemple failli se battre avec un auto- et où il faut réagir vite. Mais
est également un indice précieux : mobiliste qui klaxonnait derrière sa n’est-il pas possible d’être
si vos proches vous trouvent un voiture, alors qu’il était bloqué à la plutôt dans la prévention,
peu tendu, mieux vaut les écouter sortie du parking ! Il se trouve qu’il pour que notre organisme
– même si ce n’est pas facile, car avait subi un stress considérable engendre un stress qui soit
nous avons tendance à être dans le dans la journée, avec beaucoup de naturellement productif ?
déni. Tous ces marqueurs indiquent cas difficiles à traiter. C’est bien sûr l’idéal. Toute une série
que vous parvenez à un niveau de Ces phases d’introspection, d’obser- de règles d’hygiène de vie s’ap-
stress qui sera plus nocif que bienfai- vation de soi, présentent un autre pliquent : prenez par exemple soin
sant. En les repérant, vous éviterez atout majeur : le simple fait de de vos nuits, car la qualité du som-
en outre le risque qu’une goutte prendre conscience de son stress meil est absolument majeure pour la
d’eau ne fasse déborder le vase. entraîne son atténuation. C’est régulation du stress. Il est d’autant
Nous connaissons tous des exemples d’ailleurs une des bases des tech- plus important d’y être attentif que
de gens qui finissent par « péter un niques de méditation de pleine le stress a tendance à nous empêcher
plomb » soudainement : un de mes conscience. de dormir, comme nous l’avons vu,
Performances
ter – se coucher à horaires réguliers, Stress contreproductif
Zone optimale : et fatigant
limiter l’alcool en soirée… – sont à stress stimulant
l’opposé des « solutions faciles » que
nous avons tendance à choisir spon-
tanément : un petit verre pour se
détendre, rester debout jusqu’à tom- Risque de paralysie,
ber littéralement de sommeil… Une de crise de panique,
alimentation équilibrée aide aussi le de burn-out…
Relâchement
cerveau à maintenir une certaine excessif
stabilité émotionnelle. Autres excel-
lents régulateurs du stress : les rela-
tions sociales – essayez donc de voir
vos amis dans les moments de ten-
sion, leur soutien sera précieux – et
l’activité physique, plus spécifique-
Niveau
ment les sports d’endurance. En cas
de stress
de stress, un footing, une marche
rapide ou une séance à la piscine
vous feront ainsi le plus grand bien !
La relation entre le stress
À répéter régulièrement, dans l’idéal et les performances forme une courbe
deux ou trois fois par semaine, si le
stress est chronique. Le yoga et la en U inversé : autrement dit, le stress nous
méditation, même pratiqués seule-
ment cinq à dix minutes par jour, aide tant qu’il reste à un niveau modéré.
sont aussi très apaisants.
Sachant que si vous voulez faire du
stress un allié, il ne faut pas non
plus chercher à éviter tout ressenti Mieux vaut alors se confronter à son
négatif… stress, c’est une condition essentielle
pour s’en faire un allié. Pour mieux
Et pourquoi pas ? supporter cette confrontation, la
Est-il vraiment nécessaire thérapie dite « d’acceptation et d’en-
de se sentir mal ? gagement » (ACT, pour acceptation
Sans aller jusqu’à se sentir mal, la and commitment theory) propose des
crainte par rapport à ce qui pourrait outils efficaces. Le principe de cette
arriver, source du stress, est précisé- thérapie est précisément d’accepter
ment ce qui fait de ce dernier l’un des nos ressentis négatifs, plutôt que
principaux moteurs pour l’action d’engager une lutte stérile – voire
(avec la recherche de plaisir). Si vous contreproductive dans le cas du
tentez de la neutraliser à tout prix, stress – contre eux. Par exemple en
vous risquez de tomber dans des luttant contre ce qu’on appelle la
stratégies d’évitement émotionnel. « fusion cognitive » : il s’agit de notre
Ces stratégies – procrastiner, boire tendance à croire qu’une pensée ac-
quelques verres pour se détendre… – compagnée d’émotions intenses, ty-
soulagent temporairement, mais c’est piquement « Je vais me planter »
un piège. D’une part, elles com- quand on est stressé par une
portent leurs propres risques – typi- échéance importante, est une ex-
quement l’addiction en cas de recours pression directe de la vérité. Vous
systématique à l’alcool –, et, d’autre pouvez alors imaginer que cette pen-
© VectorMine/Shutterstock
part, le ressenti négatif revient plus sée est un nuage et visualiser ce der-
fort ensuite. Et ce, pour une simple nier en train de s’éloigner, jusqu’à
raison : là où le stress nous aide à sur- devenir tout petit. Ou la prononcer
monter les problèmes et les défis aux- plusieurs fois, très rapidement et en
quels nous sommes confrontés, ces imaginant que ce n’est que du bruit,
stratégies ne résolvent rien. une sorte d’arrière-plan sonore au-
POURQUOI L’ANGOISSE
NOUS TORD L’ESTOMAC
P
et intestinaux, diarrhées – le bol alimentaire –, après qu’un vaste réseau
ou douleurs.
de capteurs l’a informé de la localisation de ce
£ Ces symptômes dernier. Il contrôle en outre l’émission des sécré-
s’expliquent par un tions digestives et l’absorption des nutriments.
ensemble de réactions Le cerveau n’intervient que très peu dans la
nerveuses et hormonales digestion, même si des fibres sensorielles l’infor-
que déclenche le cerveau
lorsqu’il perçoit ment du degré de remplissage de l’estomac et de
un danger. l’intestin, ainsi que de soucis éventuels le long
du trajet. Si on retire l’intestin d’un cochon
£ Plusieurs techniques er Mertesacker est un footballeur alle- d’Inde et qu’on le place dans une solution nutri-
et thérapies ont fait leurs
preuves pour les soulager, mand qui a joué plus de cinq cents matchs pro- tive, il continue d’ailleurs à fonctionner presque
par exemple l’hypnose fessionnels au cours de sa carrière. Avant cha- normalement pendant plusieurs jours…
dans le cas du syndrome cun d’entre eux, il endurait un calvaire : « En me Même les substances toxiques sont directe-
de l’intestin irritable. levant, je devais aussitôt passer aux toilettes, puis ment gérées par le système nerveux entérique. Ce
à nouveau après le petit déjeuner, encore une fois système « ordonne alors au tube digestif d’enclen-
sitôt le déjeuner avalé, et rebelote en arrivant au cher une élimination forcée », explique Alexandra
stade », avouait-il au magazine Der Spiegel Kranzeder, spécialiste en médecine psychosoma-
en 2018. Quelques secondes avant le coup d’en- tique et psychothérapie à l’hôpital universitaire
voi, la tension était à peine supportable : « Mon d’Ulm, en Allemagne. En d’autres termes, nous
estomac se retournait, comme si j’allais vomir. » vomissons ou avons la diarrhée. Cela passe par un
Les footballeurs professionnels gagnent beau- programme de contractions musculaires qui per-
coup d’argent, mais ils sont aussi soumis à une met d’évacuer rapidement les toxines du corps.
pression immense : chaque perte de balle est
enregistrée par les caméras, chaque erreur com- LE CERVEAU SONNE L’ALARME
mentée par des centaines de milliers de fans. Le Mais le système nerveux entérique est inca-
corps de Per Mertesacker a toujours réagi de la pable de percevoir un facteur de stress externe –
même manière, pendant quinze ans. Une réac- un prédateur ou, plus communément aujourd’hui,
tion qui est familière à bien des gens, même si un examen ou une réunion à venir. C’est alors le
© ProStockStudio/Shutterstock
leurs symptômes ne sont pas toujours aussi cerveau qui sonne l’alarme, notamment via un
extrêmes. De fait, le stress affecte l’estomac et ensemble de nerfs appelé « système nerveux sym-
l’intestin. Comment l’expliquer ? pathique ». Partie intégrante du système végétatif,
Ce phénomène est plutôt étonnant, car notre il régule un certain nombre de processus automa-
système digestif fonctionne en grande partie de tiques dans le corps, comme la digestion mais
manière autonome. Il dispose de son propre aussi la respiration et la circulation sanguine.
réseau de neurones, le système nerveux Lorsque nous sommes tendus, « le système
sympathique incite l’estomac et l’intestin à réduire sur le gros intestin, dont elle accroît les mouve-
considérablement leur activité », explique la spé- ments. Comme elle y provoque en plus un afflux
cialiste. C’est la raison pour laquelle nous perdons d’eau, cela provoque des diarrhées. » Et donc l’éva-
l’appétit ou sommes pris de nausées. cuation accélérée des aliments qui s’y trouvent.
De façon générale, le stress est synonyme de La corticolibérine active donc des programmes
danger. Face à cette menace, le corps se place en moteurs différents dans l’estomac et dans l’intestin
état d’alerte et redirige ses ressources vers les afin de suspendre un complexe – et énergétique-
muscles et le cerveau. Le système nerveux sym- ment coûteux – processus de digestion tant que
pathique les alloue en premier lieu à la circulation dure le danger. Cependant, la voie hormonale fonc-
sanguine, qui va ainsi distribuer énergie et oxy- tionne plus lentement que le système sympathique,
gène aux tissus qui en ont besoin. « Les vaisseaux de sorte que la corticolibérine n’agit qu’avec un
qui traversent les organes moins importants se certain retard. La diarrhée nous frappe donc plutôt
contractent pour faire face au danger, réduisant avant des dangers prévisibles, comme une bataille
leur apport d’énergie », détaille Alexandra planifiée à l’avance ou un examen universitaire
Kranzeder. L’organisme se prépare ainsi à une – voire un match de football ! –, et non lors d’une
réaction de combat ou de fuite, fight or flight, menace qui nous prend par surprise.
selon l’expression du physiologiste américain
Walter Bradford Cannon (1871-1945). Ce dernier UN TROU DANS LE VENTRE
avait déjà compris que la digestion ne ferait que L’idée selon laquelle les émotions influeraient
perturber cette réaction : quand il s’agit de vie ou sur notre système digestif n’est pas nouvelle.
de mort, le sang est plus utile ailleurs, écrivait-il L’une des premières études scientifiques sur le
dans son autobiographie. sujet est l’œuvre du médecin militaire américain
Mais pour freiner encore la digestion, il existe William Beaumont. Le 6 juin 1822, il est appelé
une autre solution : limiter au maximum la pré- sur les lieux d’un grave accident : Alexis Saint-
sence d’aliments dans l’intestin. Le cerveau com- Martin, un jeune trappeur, a reçu un coup de
mande alors une série d’actions dans ce but, cette fusil qui a provoqué une perforation de la taille
fois par le biais d’hormones, l’une des plus impor- d’une main dans son flanc. Le médecin parvient
tantes étant la corticolibérine (ou CRH, de l’an- à sauver le jeune homme de 18 ans, mais ce der-
glais corticotropin releasing hormone). « En cas de nier conserve une « fistule », sorte de tuyau
stress, cette hormone est notamment sécrétée par connectant l’orifice de la blessure à l’estomac,
l’hypothalamus, explique Andreas Stengel, direc- lequel est ainsi accessible de l’extéreur.
teur médical adjoint à la clinique universitaire de William Beaumont voit là l’occasion d’en
Tübingen, en Allemagne. Elle inhibe alors les apprendre davantage sur la digestion… Il prend
contractions de l’estomac, et donc le transport des le jeune homme à son service et, au cours des
aliments dans l’intestin. Mais elle a l’effet inverse années suivantes, réalise sur lui de nombreuses
Un stress aigu
provoquera
des diarrhées ;
un stress chronique,
des inflammations
intestinales
ou des ulcères
gastriques.
expériences, parfois assez douloureuses. Par la ces cellules déclenchent à leur tour des réactions
fistule, il introduit par exemple dans son estomac inflammatoires », poursuit la spécialiste.
des morceaux de viande attachés à un fil, qu’il Les mastocytes sont aussi directement stimu-
retire après un certain temps pour examiner leur lés par la corticolibérine sécrétée lors du stress,
état. Au cours de ses expériences, il remarque que ce qui affaiblit encore la barrière intestinale. Il
l’état mental du patient a une influence sur sa en résulte parfois une maladie inflammatoire
production de sucs digestifs : « La peur et la colère chronique de l’intestin, qui cause des douleurs
contrôlent leur sécrétion », écrit-il. abdominales et des diarrhées récurrentes, éga-
Non moins discutables au regard des critères lement douloureuses.
éthiques actuels sont les méthodes employées par Autre maladie potentiellement déclenchée
le médecin américain Thomas Almy. Dans les par un stress chronique, le syndrome de l’intestin
années 1950, au cours d’une rectoscopie (un exa- irritable. Au moins 5 % des Français seraient tou-
men du rectum) réalisée sur un étudiant en chés. Les principaux symptômes sont des crampes
médecine, il lui fait croire qu’il a découvert une intestinales, des ballonnements, une diarrhée, et
tumeur. Le côlon de l’infortuné – dont les mou- parfois de la constipation. Des désagréments qui
vements étaient par ailleurs mesurés –, jusque-là ne passeraient qu’en partie par des causes orga-
détendu, réagit aussitôt par des crampes. À l’in- niques : « Nous n’observons pas de modifications
verse, dès que l’étudiant apprend que cette infor- physiologiques capables d’expliquer l’ampleur
mation est fausse, les symptômes disparaissent. des symptômes, rapporte Andreas Stengel, de
l’hôpital universitaire de Tübingen. On trouve
ATTENTION AU STRESS CHRONIQUE certes des signes d’inflammation dans l’appareil
La réaction à un stress aigu s’apaise en général digestif, mais ils sont extrêmement faibles, rien
assez vite. Mais quand le stress devient chronique, à voir avec les maladies inflammatoires chro-
le système digestif est exposé à un risque de dom- niques de l’intestin. »
mages permanents. Selon Alexandra Kranzeder,
la diminution de l’irrigation sanguine est par HYPERSENSIBLE… DES VISCÈRES !
© Alphavector/Shutterstock
exemple susceptible de modifier la composition L’un des principaux responsables serait ail-
de la muqueuse qui tapisse l’intérieur de l’intestin. leurs : « Chez de nombreux patients, nous obser-
« Elle devient alors plus perméable aux bactéries vons un phénomène qualifié d’“hypersensibilité
et aux autres substances présentes dans cet viscérale”, raconte Gabriele Moser, chef de la
organe, ce qui active les mastocytes, des cellules section de gastroentérologie psychosomatique à
immunitaires insérées dans la paroi intestinale ; l’université de médecine de Vienne. Cela signifie
fier l’interprétation des perceptions corporelles, détendre, des repas plus légers… Pour revenir au Pharmacological
afin qu’elles ne soient plus perçues comme mena- footballeur Per Mertesacker, il lui arrivait de ne targets and novel
çantes. » Un changement d’alimentation est égale- manger que des pâtes assaisonnées d’un peu treatments, Journal of
ment parfois utile. Gabriele Moser recommande d’huile d’olive avant les matchs. Et par mesure de Neurogastroenterology
quant à lui l’hypnose, souvent très efficace : le sécurité, il n’avalait plus rien durant les quatre and Motility, 2016.
principe est d’élever son seuil de perception par heures précédant le coup d’envoi… £
Une lecture
adaptée
aux écrans
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Belle comme
Kim Kardashian ?
Par Martin Hecht, docteur en sciences sociales, à Mayence, en Allemagne.
C
au physique « parfait » sont souvent retouchées
et inimitables. Ce qui pèse de plus en plus
sur la confiance en soi de leurs jeunes suiveuses.
onnaissez-vous le vieil adage EN BREF ce réseau chaque mois, dont 26,5 millions en
en sociologie selon lequel « votre corps n’appar- £ L’idéal féminin France ou encore 29 millions en Allemagne selon
tient pas qu’à vous » ? Car la société a son mot de beauté, aujourd’hui, les estimations. Ce sont surtout les adolescents et
à dire. Notamment sur la façon dont on se com- est le corps slim thick les jeunes adultes, les « 15-25 ans », qui scrollent
porte, se met en scène, et « décore » son corps à (« mince épais »), présent sur Instagram, en faisant défiler verticalement les
sur nombre de photos
l’aide de tatouages, voire dont on le transforme par diffusées sur les réseaux images et vidéos de leur « Insta ». Et parmi eux,
des piercings, opérations ou autres modifications. sociaux, comme celles une majorité d’adolescentes.
Mais, à la fin, qui érige les canons de la beauté ? de l’influenceuse
Autrefois, le cinéma, la télévision et les Kim Kardashian. LE RÈGNE
magazines sur papier glacé jouaient en grande £ Mais les images DE LA RETOUCHE
partie ce rôle. Aujourd’hui, ce sont surtout les sont souvent retouchées Le temps moyen passé sur Instagram est de
réseaux et médias sociaux sur internet qui déter- – en plus de présenter 53 minutes par jour – 48 minutes sur Tiktok, où les
minent ce qui est considéré comme « tendance », les traditionnels « filtres ». mannequins sont aussi très représentés, et
et ce qui ne l’est pas. 34 minutes sur Facebook. Durant tout ce temps, les
£ De sorte que
la confrontation régulière jeunes publient leurs propres photos et vérifient,
© Sky Cinema/Shutterstock
avant de la publier sur Instagram. De sorte que savent que l’on a la possibilité d’utiliser des filtres
le résultat est en général clean. De nombreuses et d’autres programmes, mais beaucoup d’entre
jeunes filles et jeunes femmes scrollant les profils elles sont incapables de préciser les changements
Instagram de mannequins et d’influenceuses que cela entraîne sur l’apparence des modèles. »
voient donc de nombreuses photos artificielle- Toutefois, tous les utilisateurs des réseaux
ment parfaites, certes qui peuvent paraître sociaux ne s’en « servent » pas de la même façon.
authentiques, mais qui le sont rarement. Les personnes qui suivent assidûment des
En 2019, la pédagogue des médias Corinna influenceuses de beauté ne vont pas forcément
Les adolescentes
Schaffranek a étudié, pour son mémoire de mas- soumises au flot presque les imiter en tout. Certaines spectatrices lisent
ter à l’université du Danube à Krems, en ininterrompu d’images leurs posts ou regardent leurs vidéos pour se
corporelles idéalisées
Autriche, les conséquences de l’utilisation d’Ins- sur Instagram, comme divertir, ou apprendre des techniques de maquil-
tagram pour les adolescentes âgées de 12 à les photos de Beyoncé lage, et trouvent parfois ce qu’elles voient fina-
16 ans. Sa conclusion : « Toutes les filles de cet âge Knowles, se sentent lement embarrassant, drôle ou inutile, de sorte
souvent « trop grosses,
ne sont pas conscientes que les photos sont retou- trop laides ou pas qu’elles ne lui accorderont pas trop d’impor-
chées, même quand c’est patent. Certes, elles assez musclées ». tance. Mais d’autres jeunes filles voient les
choses très différemment.
En effet, des psychologues ont montré que le
flot presque ininterrompu d’images corporelles
idéalisées sur Instagram a un impact réel sur les
spectateurs – et surtout les spectatrices. Les
études réalisées en ligne arrivent presque tou-
jours à la conclusion que la comparaison de sa
propre apparence avec celle de modèles aux
formes parfaites est problématique : elle colore
négativement l’image corporelle, en diminuant
l’estime de soi et la satisfaction vis-à-vis de sa
propre personne. On se sent alors « trop grosse,
trop moche, ou pas assez musclée ».
plus leur satisfaction vis-à-vis de leur corps était formes généreuses, tel que le reconnaissent Sarah
influençable. Alors que la plupart des participantes McComb et Jennifer Mills.
à cette expérience n’avaient pas conscience que
des photos Instagram avaient ce pouvoir. « SLIM THICK BODY » ET FACE DE CANARD
De tels résultats ne sont pas étonnants. Ils Les chercheuses considèrent que le slim
correspondent tout à fait à la théorie dite « de la thick body est l’un des looks les plus marquants
de notre époque. Bien entendu, les modes d’atteindre un niveau supérieur, du moins simi-
changent souvent rapidement et se superposent, laire, à une autre personne. Voilà pourquoi
elles sont donc présentes en parallèle de nom- l’insatisfaction vis-à-vis de son propre corps,
breuses années. D’ailleurs, cette nouvelle appa- déclenchée par des comparaisons, peut non seu-
rence correspond aussi en général au style duck lement frustrer, quand il s’agit d’une envie des-
Et si l’on revenait
face (« face de canard »), à savoir des lèvres et tructive, mais aussi motiver à se rapprocher de au naturel ? C’est
un nez retroussés, de gros seins et un postérieur l’idéal au prix d’un effort accru. Toutefois, si le ce que propose
aussi sphérique que possible, ainsi qu’un résultat souhaité ne peut pas être obtenu avec l’appli française BeReal,
nouveau réseau social
maquillage et un teint parfaits, avec des ongles un régime particulier ou un entraînement phy- de type Instagram,
très très longs… Le tout agrémenté de piercings sique intensif – comme c’est souvent le cas avec mais où l’on a deux
et de tatouages. la mode slim thick –, il ne reste plus qu’à recourir minutes pour prendre
une photo du lieu
Kim Kardashian a popularisé cet idéal comme à une aide artificielle… où l’on se trouve…
aucune autre star actuelle. Mais Kylie Jenner, une Et le smartphone
prend en même temps
de ses demi-sœurs, et la diva de la pop, Beyoncé EN PASSER PAR LA CHIRURGIE ESTHÉTIQUE un selfie, le tout publié
Knowles, ne sont pas en reste. Nul ne sait exac- De fait, le nombre d’opérations de chirurgie en ligne pour ses amis.
tement ce qui est vrai et ce qui est trafiqué sur esthétique chez les femmes ne cesse d’augmenter Sans retouche.
Peut-être un moyen
leurs photos. Ce qui est sûr, c’est que toute appa- depuis des années – rien qu’en 2021, il a bondi de revigorer l’estime de
rition de Kim Kardashian, aujourd’hui âgée de d’environ 15 % en Europe. En France, selon deux soi des instagrameuses ?
42 ans, sur les réseaux sociaux engendre un
nombre considérable de vues dans le monde
entier. Rien que sur Instagram, elle fait partie des
dix influenceuses les plus populaires, avec plus
de 343 millions d’abonnés au 2 février 2023.
Mais quel est l’impact sur les jeunes filles de
ce nouveau style, quasi inatteignable pour la plu-
part d’entre elles sans une bonne dose de séances
de sport, de régimes à répétition et quelques
interventions de chirurgie esthétique ? Les psy-
chologues Sarah McComb et Jennifer Mills ont
voulu le savoir. En 2022, comme en 2020, elles
ont recruté 400 étudiantes et leur ont, première-
ment, demandé d’indiquer à quel point elles se
sentaient bien dans leur corps. Puis, elles ont
montré à un premier quart d’entre elles des pho-
tos d’appartements joliment aménagés, tandis
que les autres, constituant le groupe « Instagram »,
voyaient des photos de trois types de look diffé-
rents : l’idéal classique de minceur, le corps ath-
létique et musclé et le slim thick body.
sondages indépendants en 2020 et 2022, 11 % des d’autres, soulignent plutôt le souhait de se sin-
femmes ont déjà eu recours à la chirurgie esthé- gulariser qu’un désir d’imiter les autres.
tique et 40 % des Français l’envisageraient. Selon Aujourd’hui, un adulte français ou allemand sur
un rapport de l’Association allemande des chirur- cinq et un Américain sur quatre portent un ou
giens plastiques et esthétiques (VDÄPC), la plusieurs tatouages.
demande de traitements peu invasifs, c’est-à-dire Imiter tout en étant unique ? Ce n’est pas
d’injections de toxine botulique et d’acide hyalu- forcément contradictoire. De nombreux aficio-
ronique – essentiellement pour masquer les rides nados du tatouage ne semblent pas vraiment
et raffermir la peau – a augmenté de plus de 13 % dérangés quand, après s’être orientés vers des
en 2021 par rapport à 2020. Par ailleurs, les lipo- Bibliographie dessins ou symboles qu’ils ont eux-mêmes ima-
succions et les corrections des lèvres sont les opé- ginés, ils finissent par opter pour un tatouage
rations de chirurgie esthétique les plus popu- S. E. McComb commercial préfabriqué du catalogue… C’est le
laires, en augmentation de 26 %, suivies des et J. S. Mills, The effect paradoxe de l’« individualité à la mode » qui
augmentations mammaires, en progression de of physical appearance entrave l’expression de sa propre personnalité
perfectionism and
22 %. Détail fourni par l’association : les clientes plutôt qu’elle ne la facilite. Mais elle a un avan-
social comparison
sont de plus en plus jeunes. to thin-, slim-thick-, tage indéniable : on n’est pas seul avec son look,
Autrefois, ce genre d’interventions artificielles and fit-ideal Instagram qui est parfois audacieux et donc déconcertant
était plutôt réservé aux épouses de millionnaires imagery on young pour les autres. Le sentiment d’appartenance à
ou aux actrices vieillissantes ; aujourd’hui, le désir women’s body image, un groupe stylistique fonctionne comme une
d’améliorer son physique concerne de plus en plus Body Image, 2022. forme de protection mentale.
de monde. Les opérations de chirurgie esthétique G. Fioravanti et al.,
ne servent plus seulement à cacher les signes How the exposure DU NORMAL AU PATHOLOGIQUE
naturels de l’âge, comme les rides ou le relâche- to beauty ideals on Toutefois, le besoin d’optimisation de son
ment des tissus, mais transforment aussi des corps social networking sites corps engendre parfois une insatisfaction si pro-
tout à fait normaux et jeunes. De sorte que, de nos influences body image : fonde qu’elle en devient pathologique ; on parle
jours, pour un nombre de plus en plus important A systematic review alors de « trouble dysmorphique du corps » ou
de femmes, l’harmonie avec soi-même ne peut of experimental studies, « dysmorphophobie ». La personne concernée est
plus s’obtenir facilement par du sport et une ali- Adolescent Research si obsédée par le moindre « défaut » (à ses yeux)
Review, 2022.
mentation saine, et doit aussi faire l’objet d’une de son corps, qu’elle se construit une image très
intervention chirurgicale. V. Piccoli et al., négative de son apparence et ne pense qu’à deve-
The relationship nir plus attrayante.
PAREIL, MAIS DIFFÉRENT ! between Instagram Jusqu’à présent, peu d’études ont examiné les
activity and female body
Toutefois, dans cette nouvelle tendance liens entre l’utilisation des réseaux sociaux
concerns : The serial
d’« auto-optimisation » de son propre corps, toutes mediating role of comme Instagram et ce trouble mental. Les psy-
les jeunes femmes ne cherchent peut-être pas appearance-related chologues Francesca Ryding et Daria Kuss, de
seulement à atteindre la beauté de Kardashian. comparisons and l’université de Nottingham Trend, en Angleterre,
Certaines mettent en avant une recherche d’ori- internalization of beauty s’y sont toutefois intéressées récemment en ana-
ginalité, d’exception. Un désir qui a, lui aussi, une norms, Journal of lysant 40 études sur le sujet. Leur conclusion : le
histoire. En 2007, la psychologue australienne Community and Applied scrolling fréquent en ligne est « un facteur de
Marika Tiggemann montrait déjà que les femmes Social Psychology, 2022. risque potentiel pour le développement de symp-
ayant des tatouages cherchaient à être uniques. S. E. McComb tômes de dysmorphophobie ».
Elle avait recruté 50 personnes tatouées et 50 ne et J. S. Mills, Young Une solution à ce phénomène ? Revenir au
l’étant pas, et leur avait proposé différents ques- women’s body image naturel peut-être… En effet, en 2019, Marika
tionnaires pour évaluer les efforts que chacune following upwards Tiggemann et sa collègue Isabella Anderberg ont
faisait pour améliorer son apparence et à quel comparison to Instagram présenté à 300 volontaires des photos Instagram
models : The role de femmes soit corrigées, soit réalistes, où la cellu-
point elle voulait se distinguer d’autrui, c’est-à-
of physical appearance
dire leur besoin d’unicité. lite et les bourrelets étaient parfois visibles ; cer-
perfectionism and
Résultat : toutes les participantes, en cognitive emotion taines images étaient même identiques, aux
moyenne, consacraient le même effort à leur regulation, Body retouches près. Résultat : le fait de regarder des
physique, mais le besoin d’originalité des Image, 2021. photos réalistes ne changeait en rien la satisfaction
tatouées était bien plus important que celui des R. Cohen et al., #body- des femmes vis-à-vis de leur apparence. Au
non-tatouées. De même, la psychologue a aussi positivity : A content contraire, les « vrais » posts avaient même tendance
révélé que plus les participantes avaient envie analysis of body positive à l’augmenter, alors que les photos retouchées la
de se distinguer des autres, plus la probabilité accounts on Instagram, diminuaient. Plus de naturel, c’est donc plus d’ac-
qu’elles soient tatouées augmentait. De sorte que Body Image, 2019. ceptation de son propre corps et donc moins de
ces modifications corporelles, et probablement pression, et aussi moins de stress… £
YVES-ALEXANDRE
THALMANN
Professeur de psychologie au collège Saint-Michel
et collaborateur scientifique à l’université
de Fribourg, en Suisse.
L’IGNORANCE,
C’EST QUANTIQUE…
Pourquoi les discours charlatans ont-ils
autant de succès sur internet (par exemple,
tout ce qui fait appel au concept de « quantique ») ?
L
Un étrange effet psychologique,
l’effet Dunning-Kruger, nous faire croire
que tout est clair quand on n’y comprend rien.
u récemment sur le Je pourrais arrêter ici ma chronique quantique était à ce point évidente qu’il
net : « Nous sommes en train de faire un et considérer que l’humanité a fait son était superflu de l’expliquer. Pour rappel,
saut quantique. Le saut quantique se temps. Des siècles de développement le saut quantique, en physique, désigne la
passe en ce moment de manière harmo- intellectuel auraient abouti finalement transition d’un électron d’une orbite ato-
nieuse, puisque nous avons atteint la à des galimatias obscurs et inutiles à mique à une autre. En effet, celui-ci ne
masse humaine critique pour ce proces- quiconque. peut se trouver qu’à des « endroits » déter-
sus. La terre a augmenté sa vibration Il va de soi que ce que vous venez de minés autour du noyau (à condition qu’il
énergétique qui est passée de 7 Hz [hertz] lire n’a aucun sens. Dans le même temps, se comporte comme une particule et non
à 40 Hz et ne cesse d’augmenter reflétant il est tout aussi évident qu’il s’y trouve comme une onde, ce qui est loin d’être
les ondes gamma qui permettent l’activa- une concentration impressionnante de toujours le cas) : dès lors, la transition ne
tion de notre ADN et la création de nou- concepts sérieux. Plus inquiétant, ce peut se faire que sous forme de sauts, et
velles connexions neuronales depuis le mélange suscite souvent beaucoup d’in- non pas de passages graduels. Dire que
lobe frontal et néocortex. Le temps dispa- térêt parmi les millions de spécimens nous autres, êtres humains, effectuons un
raissant, nous sentons bien qu’une jour- d’Homo sapiens qui sillonnent le net. saut quantique n’a donc, tout simplement,
née à [sic] beaucoup moins de vingt- pas la moindre signification. Ou bien,
quatre heures. […] Tout ce processus ÉTAPE NUMÉRO 1 : tout au plus, sur un plan métaphorique,
affecte beaucoup d’animaux qui détectent LE SAUT QUANTIQUE faudrait-il comprendre que nous subis-
les changements électromagnétiques. Penchez-vous sur ce qui est écrit. On sons une transition brutale d’un état à un
Insectes et moutons tournent en cercle commence par un peu de physique quan- autre, totalement différent. Mais dans ce
dans le sens des aiguilles d’une montre, tique – sans la nommer explicitement – cas, vous en conviendrez, cela ne pourrait
reflétant le changement de pôles qui se afin de signaler que le propos se veut se produire d’une « manière harmo-
fait graduellement… » scientifique. Comme si la notion de saut nieuse », comme le veut cet extrait.
Vient ensuite l’idée d’une masse cri- E = MC2, n’est-ce pas ? – rendu plus Une pincée de vocabulaire neuroscienti-
tique pour qu’une réaction ait lieu, concret par des valeurs chiffrées. Et cela fique, rien de tel pour asseoir la crédibi-
concept clé en chimie et en physique tombe bien puisque celles-ci font écho lité d’un propos, surtout s’il est vide !
classique. En dessous de cette quantité, aux ondes cérébrales que l’on peut mesu- Passons sur l’idée du temps qui dis-
pas de réaction ; au-dessus : boum ! On rer avec un électroencéphalogramme. paraît, tout simplement incompréhen-
peut supposer que la fameuse masse cri- Une fréquence de 7 Hz correspond aux sible, et sur les nouvelles journées de
tique humaine correspond au chiffre de ondes thêta, associées à la rêverie et à la vingt-trois ou vingt-deux heures. Sans
8 milliards d’habitants sur la planète, le méditation, pour faire très court. Et les parler des animaux qui tournent en
texte suggérant que nous venons de le 40 Hz ? Ici, ça se complique puisque cette rond. Comment se fait-il que ce texte ait
dépasser. Selon ce raisonnement, il bande de fréquence est actuellement pu avoir un quelconque écho sur inter-
semble logique de s’attendre au pire, ce l’objet de recherches. Sur Wikipédia, on net ? Faut-il y voir l’hégémonie du bull-
que suggère le qualificatif « critique ». apprend qu’elle serait associée aux fonc- shit ? Que le rapport à la réalité ou à la
Mais non, il faudrait au contraire s’en tions cognitives élaborées, comme la vérité n’a plus la moindre importance
réjouir. Allez savoir pourquoi ! conscience. D’ailleurs, tant qu’à faire, pour son auteur ? Que l’on assiste à l’apo-
mieux vaut avoir une vibration supé- calypse cognitive annoncée par le socio-
ÉTAPE NUMÉRO 2 : LA TERRE VIBRE ! rieure, cela semble couler de source. logue Gérald Bronner ?
On apprend ensuite que la Terre, en Mais rien, dans l’état actuel de nos
plus de ses mouvements de rotation sur connaissances, ne permet d’affirmer que L’EFFROYABLE APLOMB
elle-même et de révolution autour du ces ondes ont un effet quelconque sur DES IGNORANTS
Soleil, vibre. Mais que signifie donc notre ADN, en tout cas pas sous forme Une autre piste mérite aussi d’être
« vibration énergétique » ? Un concept d’une activation qui favoriserait la créa- inspectée : l’effet Dunning-Kruger, du
vaseux – mais tout est énergie puisque tion de nouvelles connexions corticales. nom des deux chercheurs qui l’ont
Décembre 2022
SUR LES RÉSEAUX
SOCIAUX ?
NOTRE CERVEAU
BIEN-ÊTRE
PRATIQUER
LE « BON »
VAGABONDAGE
MENTAL
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PSYCHOLOGIE
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N°144
COMMENT BOOSTER
N°146 N°145 N°141
Mars 2022
Septembre 2022
Juillet-août 2022
SELF-CONTROL
DES VISIOS ?
ÊTES-VOUS
ÉVALUEZ
BIEN VIVRE EN
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PERSONNALITÉS
SENSIBILITÉ
Comment dépasser les injonctions contradictoires
ET RÉAGISSEZ
Comment le cerveau peut-il fabriquer plusieurs identités ?
TÉLÉTRAVAIL
PAGE 56 PAGE 41
Les clés de la psychologie pour un équilibre durable
OU
MULTIPLES LÂCHER-PRISE ? HYPERSENSIBLE ?
IS É
BIEN VIVRE EN TÉLÉTRAVAIL
contradictoires
PERSONNALITÉS MULTIPLES
plusieurs identités ?
HYPNOSE
ÉPU
AUX FRONTIÈRES
DE LA CONSCIENCE
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ÊTES-VOUS HYPERSENSIBLE ?
MANIPULATION BIEN-ÊTRE
LES SECRETS DE LA COMMENT LE BONHEUR À QUOI SERVENT-ILS PERSONNALITÉS
PROPAGANDE RUSSE VIENT EN VIEILLISSANT VRAIMENT ? BORDERLINES
LE RÔLE INSOUPÇONNÉ
ÉDUCATION TÉLÉPATHIE ANXIÉTÉ DES TRAUMAS D’ENFANCE
COMMENT LE CERVEAU SE QUAND LES MÉDIAS
RÉGULER TROMPE LUI-MÊME ! RENDENT MALADE
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pouvez nous contacter par courriel à l’adresse protection-donnees@pourlascience.fr.
66 ÉCLAIRAGES Raison et déraison
NICOLAS GAUVRIT
Psychologue du développement
et enseignant-chercheur en sciences cognitives
à l’université de Lille.
AU SECOURS,
DES MATHS !
Les maths sont l’exercice par excellence
de la raison. Pourtant, elles suscitent très souvent
des réactions irrationnelles. Alors, comment
remettre ses neurones dans le bon sens ?
vations publiées l’an passé. de prendre le temps d’une lecture atten- tenait, le pourcentage de participants
tive de la question. Cette hypothèse est- s’engageant dans le calcul mental devrait
DÉBANDADE GÉNÉRALE elle solide ? baisser, parce que, désormais, il serait
Une première hypothèse est celle de Pour le savoir, les chercheurs ont pro- pour certains moins fatigant de lire
la paresse : les personnes interrogées posé le même problème, mais avec cette attentivement l’énoncé que de réaliser un
pourraient considérer qu’il est moins fois des nombres un peu plus compliqués calcul mental fastidieux. Pourtant, on
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70 VIE QUOTIDIENNE
p. 76 Comment avoir le calme en classe ? p. 80 L’intelligence numérique : vivons mieux avec nos écrans ! p. 88 Moins souffrir grâce à l’autohypnose
Pourquoi
se couche-t-on
souvent trop tard ?
Par Janosch Deeg, journaliste scientifique
à Heidelberg, en Allemagne.
I
EN BREF
£ Smartphones,
télévisions, mais
aussi d’autres activités,
envahissent notre
quotidien et souvent
nos soirées, ce qui
raccourcit nos nuits.
l est 23 heures. Je vais bientôt me D’où un manque régulier
coucher. Juste un dernier message rapide à mes de sommeil.
amis, sur Whatsapp, pour organiser le week-end
prochain. Comme j’ai mon smartphone en main, je £ Les scientifiques
vérifie aussi mes fils d’actualité sur les réseaux commencent à découvrir
ce trouble, de plus
sociaux, Instagram, Facebook et Twitter. Et pour- en plus fréquent,
quoi pas regarder le nouvel épisode de ma série qu’ils nomment
Netflix, au lit… En un clin d’œil, une heure s’est « procrastination
écoulée, voire deux ou trois. Pourtant, il était déjà de l’heure de coucher ».
l’heure de s’endormir. £ Néanmoins, quelques
Vous vous reconnaissez ? En fait, ce genre de règles simples permettent
comportement – assez récent mais, semble-t-il de limiter les dégâts.
ÊTES-VOUS
UN « BEDTIME PROCRASTINATEUR » ?
Quoi qu’il en soit, pourquoi certaines per-
sonnes procrastinent-elles avant d’aller au lit et
d’autres, jamais, éteignant tout écran ou lumière
quand elles ont décidé qu’il était l’heure de s’en-
dormir ? Ces différences pourraient tenir en par-
tie à la personnalité de chacun. En 2014, Floor
Kroese et son équipe ont trouvé un lien entre le
fait de repousser l’heure du coucher et le contrôle
de soi : moins les sujets disposaient d’une bonne
aptitude à l’autorégulation – déterminée à l’aide
de questionnaires –, plus ils procrastinaient
l’heure du coucher régulièrement.
L’autorégulation et le contrôle de soi sont des
concepts relativement proches : ils correspondent
à la capacité d’adapter ses pensées, ses émotions
ou ses actions à une situation donnée, afin d’at-
teindre ses propres objectifs. Cette faculté varie
non seulement d’une personne à l’autre, mais
QU’EST-CE QUE
LA PROCRASTINATION ?
L a procrastination est la tendance à remettre
à plus tard des tâches jugées urgentes et nécessaires
– par exemple, finir un travail – et à faire quelque chose
de moins prioritaire à la place, comme jouer sur ordinateur
ou regarder la télévision. La procrastination occasionnelle
est normale : rien de grave ! Mais il existe aussi une forme
pathologique : il s’agit d’un trouble de l’autorégulation
qui perturbe considérablement la vie quotidienne.
Certaines personnes y seraient plus sujettes que d’autres,
du fait de leur prédisposition génétique à produire
davantage de dopamine, un neurotransmetteur considéré
comme « molécule du plaisir et de la motivation » ; c’est
ce qu’ont montré, en 2019, des chercheurs des universités
de la Ruhr et de Dresde, en Allemagne.
aussi selon que l’on est en forme ou non. Dès lors, circadien de chacun. Pour ce faire, les psycholo-
il peut être plus ou moins facile de résister aux gues ont analysé, à l’aide de questionnaires de
tentations à court terme et de réprimer des com- psychologie, les habitudes de sommeil et la
portements indésirables – comme de scroller sur faculté d’autorégulation de 108 employés issus de
internet ou les réseaux sociaux. différents secteurs.
Les personnes disposant d’une aptitude au Résultat : les personnes qui sont plutôt du soir
contrôle de soi plus faible que les autres ont ten- et ont donc un chronotype tardif, encore nom-
dance à procrastiner (à remettre au lendemain ce mées « hiboux », ont davantage tendance à
qu’elles pourraient faire le jour même), tout repousser le moment du coucher que celles qui
comme celles remettant souvent à plus tard le sont plutôt du matin, les « alouettes », dotées d’un
moment d’aller se coucher. L’explication la plus chronotype précoce. En effet, « les hiboux
simple, selon Floor Kroese et ses collègues, serait fatiguent plus tard le soir et ont plus de difficultés
un trait de personnalité associé à un faible contrôle à s’endormir tôt », explique Jana Kühnel. C’est
de soi, ce qui favoriserait tous types de procrasti- pourquoi ils sont davantage sujets à la procrasti-
nation. Dans ces conditions, le sujet traverserait nation de l’heure de coucher. Et, fait surprenant :
de fréquents états d’inconfort psychologique si les couche-tard de cette étude ont jugé qu’ils
regroupés sous le terme d’intention-behavior gap, avaient manqué de volonté un soir – présentant
l’écart entre les intentions et les actions… Un phé- donc une plus faible aptitude à l’autorégulation –,
nomène fréquent lorsqu’on souhaite adopter un ils ne repoussaient pas davantage leur endormis-
comportement bénéfique pour sa santé : on veut sement ; au contraire, ils se couchaient plus tôt !
faire plus de sport, manger plus sainement ou « Nos résultats contredisent donc l’idée selon
arrêter de fumer, mais on n’y parvient pas. laquelle la bedtime procrastination est surtout
due à un manque de ressources pour se contrô-
HIBOUX VERSUS ALOUETTES ler », ajoute la psychologue.
Toutefois, tous les scientifiques ne sont pas En 2019, deux chercheurs de l’université de
convaincus que la procrastination du sommeil pédagogie de Cracovie, en Pologne, ont cherché
soit simplement une question de contrôle de soi. d’autres facteurs qui favoriseraient cette procras-
En 2018, Jana Kühnel et ses collègues ont exa- tination du sommeil. Ni le lieu de résidence, ni le
miné de plus près ce lien et ont exploré un autre niveau d’éducation, ni la situation familiale ne
facteur : le chronotype, à savoir la préférence des jouaient un rôle. Les femmes semblaient juste
gens pour des activités plutôt matinales ou ves- plus concernées que les hommes. Tout comme les
pérales, qui est définie par le rythme biologique étudiants par rapport à la population générale.
Une lecture
adaptée
aux écrans
399€
JEAN-PHILIPPE
LACHAUX
Directeur de recherche à l’Inserm, au Centre
de recherche en neurosciences de Lyon.
Comment avoir
le calme en classe ?
Rien de pire qu’une classe agitée pour faire cours.
Alors, comment obtenir l’attention des élèves ?
Pour le professeur, la voix est un canal important.
Mais la recette du succès est de savoir trouver le bon ton.
C
manière d’un berger s’aidant de son Ce terme technique, emprunté à
chien pour guider son troupeau. Daniel Stern, désigne chez Giacomo
Car parler, c’est agir, au sens propre, Rizzolatti tout ce qu’une action révèle de
puisque chaque parole prononcée l’état d’esprit de son auteur (un sujet
implique la parfaite orchestration de plu d’intérêt constant chez ce chercheur, à
sieurs dizaines de muscles à l’échelle du l’origine de la découverte d’une des clés
omme un footbal- centième de seconde. À cette échelle de de voûte de la théorie de l’esprit, les neu
leur utilise avant tout ses pieds, et un temps, ces enchaînements musculaires rones miroirs). La vitalité concerne la
lanceur de fléchettes ses bras, un ensei- échappent largement au contrôle volon manière dont un geste est réalisé ; par
gnant exerce principalement son métier taire, qui ne peut donc s’exercer qu’à un exemple la façon brutale dont votre voi
avec sa voix. C’est par ce canal qu’il véhi niveau plus global : sur le message que sin de table vous a plaqué le sel sous le
cule l’essentiel de ce qu’il cherche à l’on souhaite communiquer bien sûr, mais nez ce midi après que vous lui avez
enseigner à sa classe, et avec elle qu’il également sur les modulations de la voix, demandé poliment. Le message était
régule la connexion avec ses élèves, en et notamment sur ce que le grand neuro clair : il était d’humeur exécrable et n’ap
orientant leur attention et en les rame scientifique italien Giacomo Rizzolatti préciait guère votre compagnie, et vous
nant avec lui quand ils se dispersent, à la désigne sous le terme de « vitalité ». avez prudemment cessé d’interagir avec
lui. Selon Giacomo Rizzolatti, la vitalité de la voix : Paul Atréides l’utilise avec confiance en eux qu’elle leur procure, et
est décodée dans une petite partie de une force quasi mystique pour obtenir leur volonté de confier des aspects per
l’insula, au cœur du cerveau, impliquée l’obéissance immédiate de son interlo sonnels de leur vie au professeur (ce qui
dans le choix de nos actions dans un cuteur… sans doute le rêve caché de peut être important dans des situations
environnement social (notamment pour certains enseignants ! Pourtant, une de harcèlement). Les participants
éviter les ennuis…). Il est donc essentiel étude récente devrait les inciter à aban devaient écouter des consignes données
de savoir interpréter, et de savoir donner donner cette idée : une voix autoritaire avec trois types de voix – trois « vitali
une certaine vitalité à nos actions dans un ne mène à rien de bon, bien au contraire. tés » (autoritaire, neutre ou chaleu
environnement social, et la parole – en Deux chercheuses britanniques, Silke reuse) – et répondre ensuite à plusieurs
© GoodLifeStudio/iStock photo
tant qu’action – ne fait pas exception. Paulmann et Netta Weinstein, viennent questions concernant les aspects que je
d’étudier expérimentalement, chez viens d’évoquer (formulées de la façon
UN TON QUI SUSCITE L’ADHÉSION 250 enfants et adolescents, l’effet de suivante : « Si votre enseignant s’adres
Mais comment donner à sa voix la l’intonation sur plusieurs facteurs : la sait à vous de cette manière, seriezvous
bonne vitalité pour bien guider les motivation pour suivre l’instruction disposé(s) à… »). L’analyse des réponses
élèves ? La saga de Frank Herbert, Dune, donnée par l’enseignant, l’impression de a confirmé l’intuition selon laquelle les
fournit un exemple extrême de vitalité proximité avec celuici, le sentiment de élèves sont très sensibles à la vitalité de
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80 VIE QUOTIDIENNE Cognition
L’intelligence
numérique
Vivons mieux avec nos écrans !
Par Didier Courbet, professeur et chercheur en sciences
de l’information et de la communication à l’université
d’Aix-Marseille, et psychologue de la santé.
P
EN BREF apportent de nombreux bénéfices (se divertir,
communiquer avec nos proches, acheter en ligne,
£ Nous passons entre s’informer…), la manière dont on les utilise
7 h 30 et 10 h par jour, contribue en premier lieu à altérer la santé et le
selon les enquêtes, à
interagir avec des écrans. bien-être chez ceux qui ne s’y adaptent pas
Conséquence : troubles de correctement.
l’attention, du sommeil, Mais au fond, que disent ces signes ? Ils sont
our vivre mieux, apprenons à de l’alimentation… les témoins d’un dysfonctionnement. Celui d’une
développer notre intelligence numérique ! Le intelligence humaine encore trop peu capable
£ Pour préserver
développement des réseaux sociaux et de l’intel- notre bien-être, voire d’adapter son système de pensées, ses affects et
ligence artificielle, l’omniprésence des jeux vidéo l’augmenter, la parade ses comportements à ce nouvel environnement
et des écrans qui nous accompagnent à chaque pourrait consister à digital en mutation. C’est un appel à une nouvelle
moment de notre vie représentent un défi pour développer une nouvelle forme d’intelligence. Et pour préserver notre
forme d’intelligence,
notre cerveau. Et si nous ne faisons rien, nous l’intelligence numérique. santé physique et psychologique, nous n’avons
risquons d’en payer le prix ! Les signes sont là, d’autre choix que d’y répondre. Avec la digitali-
connus de la plupart d’entre nous : difficultés de £ On la définit sation de notre société, tout se modifie à une
concentration, de sommeil, augmentation du comme une capacité à vitesse croissante, depuis notre travail quotidien
stress, de l’anxiété, des syndromes dépressifs, du comprendre les enjeux jusqu’à notre vie nocturne la plus intime où notre
et limites du digital,
surpoids et de l’obésité, des risques d’addiction à maîtriser nos usages smartphone nous accompagne. Interagir avec les
© Master1305/Shutterstock
et d’accidents cardiovasculaires… Les publica- et à utiliser les supports écrans et leurs contenus est devenu notre pre-
tions s’enchaînent depuis plus d’une décennie numériques de façon mière activité (entre 7 h 30 et 10 h par jour, selon
pour dénoncer les effets délétères du numérique à atteindre un bien-être les enquêtes). L’urgence est palpable, notamment
« eudémonique », qui
quand il est utilisé de manière excessive ou non harmonise les actions chez les plus jeunes. Et pourtant, il n’existe
raisonnée. Si les médias numériques et les tech- de l’individu et ses aucune « école » pour apprendre à développer son
nologies de l’information et de la communication besoins fondamentaux. intelligence numérique.
Alors comment faire ? Avec ma collègue psychologique et son bien-être. En effet, les
Marie-Pierre Fourquet-Courbet, nous avons com- récentes recherches montrent que, selon la
mencé par définir cette « intelligence numérique » manière dont on les emploie et ce qu’on regarde,
comme la capacité de s’adapter, grâce à des pro- les écrans et leurs contenus peuvent autant alté-
cédures mentales (cognitives) spécifiques, à un rer qu’améliorer sa santé à court et long termes.
environnement numérique en mutation perma- Alors comment faire concrètement pour amélio-
nente et d’interagir avec lui, dans notre propre rer sa santé grâce à l’intelligence numérique ?
intérêt. En d’autres termes, l’intelligence numé- Trois grands processus doivent être mis en œuvre.
rique se définit, d’un côté, par notre faculté de
bien comprendre les fonctionnalités, enjeux et BIEN IDENTIFIER LES RISQUES
limites des médias numériques et, de l’autre, D’abord, s’informer. Connaître les problèmes
d’utiliser ces médias et technologies de manière liés à la pratique excessive ou inadaptée des
optimale, en fonction de nos objectifs dans notre écrans. Le surpoids et l’obésité sont parmi les
vie quotidienne et professionnelle, en étant auto- risques les plus étudiés en santé physique.
nome et responsable. Plusieurs mécanismes seraient impliqués : d’une
Et cela requiert des aptitudes spécifiques.
Comme celle de savoir analyser, comprendre,
apprécier et évaluer de manière critique les dif-
férents contenus et les stratégies des multiples
acteurs de l’internet (les entreprises qui vendent
des produits et font de la publicité, les influen-
ceurs, les journalistes…). Ou de réaliser, de
manière pertinente, des actes spécifiques (recher-
cher et produire des informations, interagir en
Il s’agit d’accéder à un certain
situation de communication dans des contextes niveau de maîtrise de soi, pour
variés, acheter en ligne ou effectuer des tâches
administratives…) tout en préservant, voire en ne pas se laisser entraîner dans
améliorant, notre santé physique et psycholo-
gique. Cela demande de considérer le numérique des pratiques addictives. Et, en
sous toutes ses dimensions : à la fois économiques sachant que cette maîtrise est
faillible, de ne pas trop s’exposer
(internet est financé par la publicité, ce qui
implique la collecte de données personnelles sur
les usagers), juridiques (l’importance d’être
conscient des problèmes de cybersécurité, de aux situations « tentantes ».
connaître la réglementation), démocratiques
(avec l’émergence des fake news complotistes), part, l’usage des écrans incite à des prises calo-
psychologiques (savoir que le multitâche pro- riques immédiates (distrait, on mange davantage
voque du stress), sociales, éthiques (savoir qu’un de manière compulsive, derrière son écran) ;
message qu’on veut humoristique peut en fait d’autre part, les effets de la publicité pour les pro-
blesser le récepteur) et environnementales duits de mauvaise qualité nutritionnelle sont bien
(impacts écologiques néfastes). établis et passent le plus souvent par un état non
conscient ; il faut ajouter l’augmentation de la
PRÉSERVER SA SANTÉ sédentarité liée à l’utilisation des écrans ; et
PHYSIQUE ET MENTALE enfin, leur usage le soir affecte la qualité et la
Pour poser les bases de l’intelligence numé- quantité de sommeil de plus d’une heure par nuit.
rique, nous avons procédé à un état de l’art et Outre le surpoids, c’est aussi l’attention qui
analysé la majeure partie des publications scien- fait les frais d’une mauvaise pratique numérique.
tifiques dans le domaine. Notre objectif ? Faire En partie, d’ailleurs, à cause des troubles du som-
émerger les meilleurs comportements à adopter meil, lesquels diminuent les capacités de concen-
pour bien vivre sa révolution digitale. Car, oui, tration et d’apprentissage. Mauvais cocktail pour
des solutions existent ! l’école, mais aussi pour l’activité professionnelle
Dans l’ensemble des dimensions de l’intelli- et le bien-être qui en découle.
gence numérique, celle qui nous a semblé La liste serait incomplète sans mentionner les
aujourd’hui la plus importante à développer est troubles de la vision (myopie, conjonctivite), ou
la capacité d’utiliser les technologies en préser- musculosquelettiques (tendinite, densité osseuse
vant, voire en améliorant, sa santé physique, réduite), ainsi que les accidents de la circulation
et de la vie courante (chutes provoquées par des recherches sont en cours pour savoir s’il est pos-
selfies, accidents de piétons absorbés par leur sible de développer des troubles addictifs vis-à-vis
smartphone…). d’autres contenus ou technologies. De toute évi-
La santé psychologique est aussi en première dence, il existe un lien de causalité entre ces
ligne. Des études menées sur de larges popula- comportements excessifs ou problématiques
tions ont montré que plus on utilise les réseaux avec internet et l’apparition de ces troubles.
sociaux, plus le risque est élevé de souffrir de Seulement, comme de multiples facteurs à la
troubles anxieux et dépressifs. À ce propos, le fois biologiques, psychologiques et sociaux
psychologue Dong Liu, de l’université Renmin, entrent en considération, il reste pour l’heure
en Chine, et ses collaborateurs ont synthétisé un difficile à quantifier précisément.
grand nombre d’articles publiés dans ce domaine.
Ce travail permet de mieux comprendre les rai- DÉVELOPPER UNE CAPACITÉ
sons de ces problèmes. Certains usages « passifs », DE MAÎTRISE
c’est-à-dire consistant essentiellement à regarder Venons-en au deuxième grand processus à
ce que postent les autres sans chercher à commu- mettre en œuvre pour développer son intelli-
niquer, seraient par exemple liés à de la jalousie gence numérique : savoir concrètement comment
ou à de la peur d’être exclu socialement. Ici, deux gérer ses usages pour éviter les problèmes. Les
mécanismes joueraient alors un rôle important. plateformes numériques proposent des offres
Premièrement, la Fomo (fear of missing out), divertissantes et « addictogènes » de manière que
cette « peur envahissante » que les autres pour- DÉVELOPPEMENT les usagers restent le plus longtemps possible
raient vivre des expériences enrichissantes aux- connectés (jeux, vidéos ludiques, actualités amu-
quelles nous ne participerions pas. Elle est sou- santes, notifications surprenantes…). Il est donc
vent associée à la crainte de n’être pas assez parfois difficile de se déconnecter. Pour ce faire,
populaire ou reconnu socialement si on fréquente on peut donner deux conseils. En premier lieu,
moins les réseaux sociaux. développer la maîtrise de soi. Il s’agit de la capa-
Dès lors, la personne se met à analyser en cité de contrôler l’expression de ses pensées, ses
détail, et sans attendre, tous les messages et émotions ou ses comportements immédiats
notifications entrants, ce qui accroît, en pour réaliser des objectifs à plus long terme.
outre, le risque de stress. En second INTELLIGENCE Elle est proche de ce qu’on appelle
lieu, voir les autres poster des NUMÉRIQUE habituellement la volonté.
photos où ils vivent appa- Cependant, de nombreuses
remment de superbes recherches en psychologie,
moments donne l’impres- comme celles de Mark
sion que sa propre vie est SAVOIR MAÎTRISE Griffiths, de l’université
moins intéress a n t e q u e de Nottingham Trent, au
l a l e u r. Évidemment, Royaume-Uni, ont mon-
ces photos sont savam- tré que la maîtrise de soi
ment construites pour valo- est loin d’être suffisante
riser ceux qui les diffusent. Le pour gérer tous nos compor-
problème est que ces comparaisons sociales Les trois facettes tements, notamment dans le cas des écrans. Nous
favoriseraient l’émergence de sentiments néga- de l’intelligence devons donc connaître les limites de notre
collective sont le savoir
tifs comme l’envie ou la jalousie, feraient bais- – la connaissance volonté et être capables de changer de stratégies
ser l’estime de soi et provoqueraient l’appari- des bénéfices et cognitives ou comportementales lorsque les pré-
tion de troubles anxio dépressifs, notamment dangers de différentes cédentes ont échoué.
pratiques –, la maîtrise
chez les personnes les plus isolées socialement, (capacité de réguler ses Pour changer des habitudes ou des compor-
dans la « vraie vie », qui bénéficient de moins propres comportements tements ancrés, et c’est le second conseil, la
et à mettre en place
de soutien social. des garde-fous stratégie dite d’« implémentation des inten-
D’autres difficultés psychologiques ont été par anticipation) et le tions » s’avère souvent efficace. Celle-ci consiste
mises en évidence comme les dépendances psy- développement, qui vise à mettre en place, par anticipation, des plans
à accorder les besoins
chologiques au smartphone, aux réseaux sociaux de la personne et ses concrets avec une règle du genre « quand telle
usages digitaux, sur
© Kuliperko/Shutterstock
ou aux jeux vidéo. Aline Wéry, de l’université de situation se produit, je fais ceci ». Par exemple,
Louvain, en Belgique, étudie également la dépen- le long terme. connaissant les limites de ma volonté, je me fixe
dance aux images pornographiques. Actuellement, la règle : « Quand je vais sur les réseaux sociaux,
selon l’Organisation mondiale de la santé, seuls je ne dépasse pas quinze minutes » ou « quand
les jeux vidéo peuvent faire l’objet de « troubles il est 20 heures, je mets mon mobile en mode
addictifs », au sens pathologique du terme. Des avion et je l’enlève de ma vue pour ne pas être
DIDIER COURBET
Didier Courbet, l’émergence le monde fonctionne) et sans cette capacité la communauté éducative. Sciences Po Paris
de ChatGPT, est-ce pour vous à jongler avec ces connaissances et certaines universités ont réagi rapidement
une bonne ou une mauvaise et à les intégrer dans des raisonnements et en ont interdit l’usage ; d’autres
nouvelle ? analytiques ou critiques, les compétences s’interrogent. Le danger est là. S’il était facile
Quand une nouvelle technologie sort, ne peuvent pas exister. de repérer les « copier-coller » de textes
personne ne peut en anticiper les usages. extraits de sites web, il est désormais
On peut juste élaborer des scénarios. Cela dit, Comment l’enseignement impossible d’apporter la preuve
l’émergence de ChatGPT constitue pour moi doit-il s’adapter ? qu’un individu a effectivement eu recours
un formidable outil d’apprentissage. Il va nous À mon sens, deux approches pédagogiques à ChatGPT, car le système est ainsi fait :
permettre de gagner du temps, mais surtout complémentaires sont nécessaires. la plateforme apprend en temps réel
de comparer notre raisonnement à celui de Une première sans recours à l’intelligence et génère des réponses chaque fois
l’intelligence artificielle et, parfois, de prendre artificielle, pour les élèves de l’école différentes. Alors comment s’y préparer ?
modèle sur les réponses obtenues pour élémentaire jusqu’au collège. Calquée Les examinateurs ou les logiciels antiplagiat
améliorer le nôtre. Bref, d’accélérer sur le système actuel, elle viserait toujours sauront-ils repérer les contrevenants ?
considérablement certains apprentissages. à décentrer l’élève, lui apprendre à écrire, Oui, si la production comporte des erreurs
D’autres enseignants sont plus circonspects, lire et calculer, à l’aider à construire significatives, par exemple factuelles,
c’est vrai. Quoi qu’il en soit, nous n’aurons des processus cognitifs abstraits et à penser ou si plusieurs étudiants utilisent cet outil
d’autre choix que de nous former très vite à par lui-même (théorie du développement et que les textes comportent des similitudes
ses usages, ses apports et ses limites pour de l’enfant portée par Jean Piaget et les repérables (la construction grammaticale
apprendre aux jeunes à bien l’utiliser. philosophes humanistes). Et une seconde ou l’articulation du raisonnement), comme
pédagogie, réservée aux lycéens et étudiants, cela a été le cas récemment dans certaines
Serait-ce la fin de la transmission capable d’intégrer et de s’enrichir des outils universités. Dans d’autres contextes, nous
des savoirs ? issus de l’environnement technologique dans ne pourrons pas repérer la fraude. Il y a donc
Sous l’impulsion d’internet, nous avons lequel le jeune évolue, et donc de l’intelligence urgence à réglementer et à nous adapter.
déjà appris à recentrer nos enseignements artificielle, pour l’aider à acquérir d’autres L’émergence de ces outils va sans doute
sur l’acquisition de compétences plutôt types de compétences et à se construire pousser notre société à transférer l’évaluation
que sur celle d’un corpus étendu une vision analytique et critique du monde de certaines compétences sur l’oral spontané
de connaissances. Nous devons aller plus qui l’entoure, selon la théorie dite (compétences relationnelles, compétences
loin, sans pour autant signer la fin de la « du développement social » du psychologue à s’exprimer avec justesse et précision
transmission du savoir. Sans connaissances Lev Vygotski. C’est pourquoi nous devons en public…) et, comme la triche est toujours
conceptuelles en mémoire (des définitions, nous former très vite à ces outils. possible, à réserver l’évaluation
des notions d’histoire et de sociologie pour des compétences écrites à des demandes
mettre en contexte un problème, des outils Comment contenir le risque spécifiques. Par exemple, des études
mathématiques pour former notre de plagiat inhérent à ce système ? de cas originaux ou des écrits à réaliser quasi
raisonnement cognitif et des notions Pour moi, certaines solutions existent. Mais instantanément devant l’examinateur.
de sciences pour comprendre comment le risque est palpable et ébranle déjà Propos recueillis par Séverine Duparcq
Sur le temps long, un autre facteur important donnent la possibilité de se questionner sur le
de bien-être eudémonique est d’avoir le sentiment sens de la vie en offrant des propositions fort
que l’on « grandit », c’est-à-dire que l’on améliore variées où chacun puisera en fonction de ses
toujours plus, d’une part, ses connaissances et propres valeurs et préoccupations existentielles.
compétences, et, d’autre part, ses qualités et ver- Le film Avatar, par exemple, nous propose de nous
tus. Et d’avoir le sentiment de donner un sens à sa rapprocher de la nature et de rejeter le matéria-
vie, en accord avec ses valeurs. Comment les lisme, alors que le film Les Gamins, sur un ton
écrans peuvent-ils y contribuer ? Internet est un humoristique, invite à réfléchir aux grandes prio-
formidable dispositif pour accroître ses connais- rités, familiales, professionnelles ou hédonistes,
sances et compétences par l’intermédiaire de pla- que l’on va donner à sa vie en fonction de son âge.
teformes d’actualités, de magazines, de diction- Reste qu’il convient, bien sûr, de savoir jeter
naires en ligne, de blogs, de vidéos documentaires des ponts entre ces modèles et la réalité. De quitter
ou autres tutoriels. Les domaines sont extrême- les écrans pour effectivement mettre en œuvre des
ment variés : de la connaissance de l’actualité actions spécifiques dans sa vie quotidienne. Par
locale à la compréhension d’une grande théorie en exemple, s’investir en actes dans des associations
sciences physiques, en passant par la possibilité humanitaires et caritatives, dans la vie politique,
d’apprendre une nouvelle recette de cuisine ou à dans la protection des animaux et de l’environne-
faire la vidange de sa voiture. ment ou dans la lutte contre les inégalités… C’est
En outre, certains films ou séries interrogent cela qui donne du sens à la vie, accroît le bien-être
les vertus humaines (le courage, la gratitude, la individuel et contribue in fine à améliorer la
persévérance), la moralité (comment apporter plus société, c’est-à-dire le bien-être social.
de justice à ce monde ? Comment aider les autres ?)
ou encore le sens de la vie. Ils peuvent dès lors ENTRE FANS DE JOHNNY
fournir aux spectateurs une expérience de vie Avoir des relations sociales constructives est
quasi identique à celle qu’ils éprouveraient par une autre dimension importante du bien-être eudé-
eux-mêmes, une certaine « sagesse » ou une plus monique. Elles ne sont pas liées au nombre d’amis,
grande maturité dans divers domaines : par mais plutôt fondées sur la qualité des relations
exemple, les travaux de Jonathan Cohen, de l’uni- enrichissantes, respectueuses de soi et de l’autre,
Après le décès
versité de Haïfa, en Israël, et de ses collaborateurs l’altruisme, la coopération, l’entraide et la solida- de Johnny Hallyday,
montrent que la personne qui s’identifie au héros rité. D’une façon générale, si les réseaux sociaux ne des milliers de
d’un film voit comment il se sort de difficultés, ce sont pas associés à de « vraies » interactions hors personnes désemparées
ont pu surmonter
qui l’aide à résoudre certains problèmes qu’elle ligne, ils ne contribuent pas au développement de leur épreuve en se
rencontre dans sa propre vie. En permettant de relations sociales véritablement constructives, retrouvant dans des
vivre une expérience eudémonique qui produit des conduisant au bien-être eudémonique. groupes de discussion
et de soutien sur
émotions complexes, de tels divertissements Cependant, les recherches ont mis en évi- Internet. Un exemple
incitent également à réfléchir sur leur sens pro- dence des exceptions notoires qui dépendent, en d’usage « intelligent »
de la sphère digitale.
fond, leur message, stimulant ainsi la réflexion fait, du type d’usage et du contexte psychosocial
au-delà du film. Bien choisis, ils induisent alors des utilisateurs. Pour les adolescents qui ne sou-
une véritable croissance personnelle, consolidant haitent pas se confier à leur entourage direct, par
les valeurs, les forces de caractère et les vertus de exemple, la pratique active des réseaux sociaux
celui qui les regarde. les aide parfois à apaiser leurs émotions néga-
tives, à percevoir un certain soutien social de la
LA MORALE DE « WALKING DEAD » part de leurs « amis » en ligne, possiblement béné-
À l’inverse, dans des séries à succès comme La fique pour leur bien-être.
casa de papel ou The Walking Dead, il arrive, par Dans une de nos recherches, nous avons aussi
exemple, que les actions des héros soient morale- montré que lorsqu’un groupe d’individus vit collec-
ment discutables. Le spectateur est alors amené à tivement un drame hors du commun, très impli-
questionner les valeurs des personnages princi- quant ou source d’émotions négatives intenses,
paux, et finalement, à mieux réfléchir à ses comme lors des attentats terroristes de Paris
propres valeurs et au sens de sa vie. Un tel ques- en 2015, de Nice en 2016 ou, dans un tout autre
tionnement serait à long terme bénéfique pour le registre, lors du décès de stars comme Michael
bien-être. Regarder de tels divertissements favo- Jackson ou encore Johnny Hallyday, il est probable
riserait aussi une meilleure acceptation de soi, de que les réseaux sociaux permettent de mieux gérer
ses qualités et de ses défauts, de la vie telle qu’elle les émotions collectives majeures. Dans notre
se présente pour mieux, ensuite, lui donner un étude, nous avons mené des entretiens en face-à-
sens. Nombreux sont les films de cinéma qui face avec de grands fans de Michael Jackson,
leur entourage direct, des personnes aptes à les aux personnes âgées. À condition de jouer pen-
When a celebrity dies…
comprendre ou les aider. Outre ces quelques cas dant plusieurs semaines, ils auraient également,
Social identity, uses
particuliers et si, globalement, les réseaux of social media, and chez elles, des effets bénéfiques sur la santé phy-
sociaux ne permettraient pas d’établir, à eux the mourning process sique, les troubles dépressifs et la qualité de vie.
seuls, des relations sociales constructives, ils ont among fans : The case Les recherches sur les effets bénéfiques des exer-
tout de même trois fonctions sociales. of Michael Jackson, games sur la santé donnent une belle illustration
Tout d’abord, ils favorisent le maintien des Celebrity Studies, 2014. du potentiel offert par les médias pour conserver
contacts et la consolidation des relations déjà ou améliorer sa santé physique. £
Moins souffrir
grâce à l’autohypnose
Par Bernard Calvino, professeur d’université honoraire en neurophysiologie
et ancien membre du conseil scientifique de l’institut UPSA de la douleur.
EN BREF
£ Toute douleur
qui perdure n’est pas
forcément soulagée par
les médicaments ou les
techniques antalgiques
L es personnes qui ne ressentent pas la douleur sont
rarissimes ! Il faut pour cela des anomalies génétiques qui rendent cette
sensation impossible – ce qui est d’ailleurs dangereux, car la douleur dite
« aiguë », à la suite d’un coup, d’une blessure ou parce que l’un de nos
organes souffre, par exemple, est le symptôme que quelque chose ne va
pas, donc il s’agit d’un signal d’alarme fort, et utile, la plupart du temps.
dont nous disposons Nous sommes tous familiers de la douleur « salutaire », donc, celle qui
aujourd’hui. nous prévient d’une lésion, d’un choc ou d’une brûlure. Mais quand une
£ Ce qui incite parfois douleur persiste, pendant des semaines ou des mois, alors que la cause
à se tourner vers des initiale est traitée, ou dans le cas de maladies prolongées, comme l’arthrose,
© Benjavisa Ruangvaree Art/Shutterstock
méthodes plus douces les cancers ou les troubles neuropathiques, elle est dite « chronique ». C’est
que l’on sait efficaces, alors un syndrome qui, selon le chirurgien et physiologiste français René
comme l’hypnose
et la méditation Leriche (1879-1955), « ne protège pas l’homme, mais le diminue ». En effet,
de pleine conscience. très vite, toute douleur mine le moral…
modulation électrique des nerfs, que nous conscience corporelle dont il est question ici est
connaissons ? Non. Force est de constater que « une conscience construite grâce à notre senso-
30 % des Français présentent toujours des dou- rialité qui nous permet de percevoir notre envi-
leurs chroniques que rien ne semble soulager et ronnement, nous-mêmes et la relation entre nous
cela ne s’arrange en général pas avec l’âge. et ce contexte dans lequel nous nous trouvons ».
Reste que : No brain, no pain ! « Pas de cerveau, Comment la modifier ? En formulant des sug-
pas de douleur ! » C’est par cette plaisanterie que le gestions, l’hypnothérapeute détourne l’attention
neuroscientifique britannique Patrick Wall (1925- du patient – qui est souvent installé en position
2001), l’un des experts du sujet, concluait souvent allongée, les yeux fermés, afin de se détendre –
ses conférences, révélant ainsi l’importance du cer- vers des événements ou des contextes associés à
veau dans le ressenti douloureux. Bien avant lui, du plaisir que le patient a connus dans sa vie et a
René Descartes, dans ses Principes de la philosophie donc choisis au préalable. Ce qui lui permet pro-
(1644), avait déjà proposé l’idée selon laquelle « la gressivement d’entrer dans un état de « sidéra-
douleur de la main n’est pas ressentie par l’âme en tion » caractéristique de l’état hypnotique.
tant qu’elle est dans la main, mais en tant qu’elle Puis le praticien utilise l’expérience de la dou-
est dans le cerveau ». leur vécue par le sujet et lui suggère des repré-
sentations métaphoriques permettant de la « res-
« NO BRAIN, NO PAIN » : L’IMPORTANCE sentir » autrement – par exemple « imaginez que
DU CERVEAU DANS LA DOULEUR la sensation que vous connaissez dans votre dos
En effet, toute douleur est issue du fonctionne- n’est que la pression exercée par les mains d’un
ment du système nerveux et est centralisée et res- masseur ». Antoine Bioy précise que « l’hypnose
sentie dans le cerveau. Bien sûr, avec les avancées joue particulièrement sur les composantes affec-
de la science et de la médecine, les moyens phar- tive et cognitive de la douleur, en donnant accès
macologiques ou technologiques de la soulager ont à une compréhension individuelle différente de
largement progressé. Mais d’autres pratiques plus la douleur qui fait souffrance ».
respectueuses de l’intégrité du cerveau et dépour-
vues d’effets secondaires existent et sont mainte- CHANGER LA CONSCIENCE CORPORELLE
nant utilisées efficacement en clinique. Toutes Mais l’hypnothérapeute a souvent un autre
reposent sur un dialogue entre le corps et l’esprit, objectif : il peut aussi apprendre au patient dou-
le premier étant comme un point d’ancrage pour loureux à s’hypnotiser lui-même, sans aide exté-
intervenir sur les sensations du second. rieure. Cette technique – l’autohypnose – est
Les plus utilisées sont l’hypnose et la médita- aujourd’hui utilisée régulièrement pour la prise
tion de pleine conscience, des pratiques aujourd’hui en charge des douleurs chroniques : on fait prati-
très « codifiées » que l’on sait efficaces contre la quer le sujet lors de dix séances d’entraînement,
douleur. Par exemple, on utilise l’hypnose au cours nécessaires pour déterminer s’il répond bien au
d’interventions chirurgicales, combinée à une traitement et si ce dernier est efficace, puis l’effet
anesthésie locale et à une sédation consciente des antalgique dure au moins six mois, voire davan-
patients, ce qui améliore notablement leur confort, tage si le patient continue de s’autohypnotiser,
mais aussi celui des chirurgiens, avant, pendant et seul chez lui.
après les opérations. Pour ce faire, le sujet doit se préparer à vivre
L’avantage, c’est que presque n’importe qui est un moment de détente totale, psychique et corpo-
capable d’apprendre à utiliser ces pratiques relle, qui se doit d’être ritualisé en créant un espace
« naturelles », avec l’aide d’un psychothérapeute spécifique confortable où se poser, comme dans
par exemple, afin de diminuer son ressenti de la un fauteuil, et dans une ambiance appréciée, par
douleur, comme en cas de mal de dos ou d’ar- exemple avec de la musique ou une lumière tami-
throse, et ainsi de vivre mieux au quotidien. Voici sée. Il s’agit également de s’isoler complètement
comment l’hypnose et la méditation agissent en de l’environnement, en particulier de toute per-
tant qu’antalgique. turbation sonore. Se laissant aller, le patient peut
L’hypnose est un « mode de fonctionnement ainsi orienter son activité mentale vers sa douleur
psychologique par lequel un sujet, en relation pour la mettre en relation avec des émotions
avec un praticien, fait l’expérience d’un champ de agréables – comme il l’a appris avec le théra-
conscience élargi », selon les termes du professeur peute –, ce qui déplace ses sentiments de rejet à
de psychopathologie français Antoine Bioy. La l’égard de sa douleur vers une expérience vécue
pratique modifie en effet l’« état de conscience dans un endroit où il aime se retrouver.
corporelle » du patient douloureux en changeant Peu à peu, la personne souffrante apprend
son fonctionnement cérébral « classique ». La donc à se familiariser avec sa douleur, c’est-à-dire
patients douloureux chroniques, également pour le praticien, gique endogènes de la douleur et qu’elles sont
anxieux ou dépressifs dans de nombreux cas, Elsevier-Masson, 2020. suffisamment efficaces pour que l’on oriente les
améliorent ainsi considérablement leur qualité de A. Bioy, gens vers ces techniques de soin. Mais il faut
vie, grâce à un changement cognitif, une modifi- Découvrir l’hypnose, aussi davantage informer les médecins spécia-
cation de leurs schémas de pensée. Mais cela InterEditions, 2013. listes de la douleur afin qu’ils les prescrivent plus
prend du temps… Le sujet se doit d’être patient, car régulièrement, en accord avec leurs patients. £
A N A LY S E SÉLECTION
Par Laurent Bègue-Shankland
PATHOLOGIE
PSYCHOLOGIE Mieux vivre avec une
La Vérité sur le bonheur maladie chronique
Marie de Bonnières
John Haidt Larousse, 2022,
Mardaga, 2022, 304 pages, 19,90 € 272 pages, 18,95 €
J «Ê
onathan Haidt, professeur à l’université de New York, tre malade, c’est
est une figure éminente de la psychologie positive. Le titre comme être
de son ouvrage offre une promesse pour le moins obsédé par un même NEUROSCIENCES
ambitieuse : la vérité sur le bonheur ! Est-elle tenue ? refrain agaçant, par une Neurosapiens
D’un côté, le contenu est captivant, le spectre d’analyse très large. mélodie entêtante, qui Anaïs Roux
Les Arènes, 2023,
L’auteur décrit plusieurs déterminants du bien-être humain, comme accompagne chacun de 320 pages, 22,90 €
la capacité à changer d’état d’esprit (par exemple en luttant contre nos sentiments, qui nous
les pensées automatiques du type « Je ne suis bon à rien » qui nous
envahissent dès que nous échouons à quelque chose), l’importance
des liens sociaux ou les biais qui nous portent à d’aveuglantes
interdit d’être vraiment
présents à nos propres
pensées, qui colonise
C omment le cerveau
gère-t-il les ruptures
amoureuses ? À quoi
autovalorisations (la tendance à se croire plus doué qu’on ne l’est notre intériorité. » Les servent nos rêves ?
se révélant étonnamment positive pour le bien-être, même si elle témoignages cités par Comment développer
complique parfois les relations avec les autres). L’originalité de ses la psychologue clinicienne sa créativité ? Voilà
travaux tient aussi à l’intérêt accordé à des phénomènes qui façonnent Marie de Bonnnières quelques-unes des
massivement la société, comme les émotions morales ou le sens trahissent tout questions explorées
du sacré. Il fut en effet l’un des premiers psychologues à s’attaquer l’envahissement intime par cet ouvrage de la
de manière expérimentale à des thèmes fétiches de l’anthropologie que représente une psychologue Anaïs Roux.
culturelle, comme le sentiment d’élévation que l’on éprouve après maladie chronique. C’est Fondé sur les épisodes
s’être « bien comporté ». Son analyse part d’une ambitieuse perspective qu’une telle pathologie de son podcast
évolutionnaire, examinant pourquoi la sélection naturelle a favorisé bouleverse le rapport « Neurosapiens », il est
l’apparition de comportements d’entraide parfois défavorables au corps, au temps, agréablement ouvert
à l’individu, et ouvre de passionnantes discussions. aux autres, au travail… par quelques pages
Évidemment, on aurait aimé une mise à jour récente de l’ouvrage À travers les explications de bande dessinée
(puisqu’il est traduit de la version anglaise de 2006). Car entre-temps, et les exercices qu’il sur l’histoire des
la science du bonheur a remis en cause certaines de ses découvertes propose, cet ouvrage neurosciences et sur
et en a fait bien d’autres, pointant par exemple les effets secondaires aidera alors les patients les origines évolutives
des approches purement médicamenteuses contre la dépression qui en souffrent à repartir du cerveau. Accessible
ou l’intérêt de voies alternatives comme l’activité physique – autant à la conquête d’eux- et documenté, il informe
de points peu ou pas du tout évoqués dans ces pages. Ce texte est mêmes, pour trouver une tout en étonnant : vous
donc à prendre comme un ouvrage inspirant, qui fourmille d’idées nouvelle façon de vivre. y découvrirez notamment
et d’études, de la part d’un auteur qui a marqué la psychologie. Mais les tentatives des
pour trouver « la vérité sur le bonheur », ou du moins ce qu’on en sait chercheurs pour guérir
aujourd’hui, il gagnera à être complété par des lectures plus récentes. les cœurs brisés avec
Laurent Bègue-Shankland est professeur de psychologie sociale un spray nasal à base
à l’université Grenoble-Alpes et membre de l’Institut de France. d’eau salée…
COUP DE CŒUR
Par Christophe André
NEUROSCIENCES
Le Beau et la splendeur PSYCHOLOGIE ANIMALE
du vrai L’Âge sauvage
Jean-Pierre Changeux
et François L’Yvonnet Barbara Natterson-Horowitz et Kathryn Bowers
Odile Jacob, Albin Michel, Markus Haller, 2023, 416 pages, 28 €
2023, 352 pages, 22,90 €
S
pécifique de l’espèce humaine, l’adolescence ? Oubliez les
PSYCHOLOGIE
Apprivoiser sa colère
D epuis plus de
cinquante ans,
Jean-Pierre Changeux
clichés sur les ados en sweat à capuche, vautrés sur leur lit,
en train d’avaler des séries et de scroller sur les réseaux
sociaux ! Et lisez plutôt la description du comportement
Sylvie Rousseau est un témoin et un acteur des bandes de loutres de mer adolescentes dans la baie de Moss
Eyrolles, 2023,
160 pages, 18 € privilégié de l’essor Landing, en Californie, qui ouvre ce livre passionnant : nageant avec
des neurosciences. Dans inconscience dans des eaux où prolifèrent de grands requins blancs,
SEBASTIAN DIEGUEZ
Chercheur en neurosciences au Laboratoire
de sciences cognitives et neurologiques
de l’université de Fribourg, en Suisse.
Clochemerle
L’urinoir de la discorde
L’installation d’une pissotière dans un village peut-elle
déclencher une guerre civile ? Cette situation imaginée par
le romancier Gabriel Chevallier permet de mieux comprendre
un phénomène central de nos sociétés : la polarisation,
S
ou opposition irréconciliable des points de vue.
Au départ,
confie-t-il à l’instituteur, Ernest mondiale »…
Tafardel, un anticlérical acharné. Comment un événement aussi
« Sûr et certain […] que votre projet
va porter un rude coup auprès de
anodin que l’installation d’une vespa-
sienne peut-il à ce point attiser les il n’existait pas
l’opinion publique ! » répond celui-ci, passions ? Peu de chances que les dis-
d’« urinophiles »
et d’« urinophobes »
ne croyant pas si bien dire. sensions s’ancrent dans des convic-
De fait, ce « fatal urinoir » devien- tions personnelles profondes et
dra rapidement « un motif de guerre
civile ». Inauguré triomphalement
préexistantes : avant ces sombres
événements, il n’existait pas d’« uri- à Clochemerle.
lors d’une cérémonie pompeuse, il
est installé juste à côté de l’église du
nophiles » et d’« urinophobes » à
Clochemerle ! Pour autant, il y avait Pour autant, il y avait
curé Ponosse, et sous l’appartement bien deux groupes idéologiques diffé- bien deux groupes
idéologiques
de Justine Putet, une grenouille de rents, les « catholiques » et les « répu-
bénitier particulièrement pudique blicains », autour desquels vont se
qui bénéficiera bientôt du défilé
continu des Clochemerlins venant se
structurer les oppositions (voir l’ex-
trait). Ce que l’installation de la pis- différents, autour
soulager en ces lieux sacrés… Une
mécanique infernale s’enclenche
sotière apporte, c’est alors un motif
fortement connoté moralement, par
desquels vont
alors et deux « camps acharnés » se sa nature scatologique et sa proxi- se structurer
les oppositions.
forment autour de cette innovation. mité délibérée avec un lieu de culte,
Il s’ensuivra une bagarre générale qui déclenche le processus polarisa-
dans l’église, une récupération par la teur entre ces groupes préexistants.
presse partisane (évoquant un « épi-
sode des guerres de Religion »), une UN BESOIN PRIMAIRE : qu’avance la polarisation, les idées
intervention de l’armée, quelques S’IDENTIFIER À UN GROUPE elles-mêmes comptent de moins en
balles perdues et un mort. Toujours EN S’OPPOSANT À UN AUTRE moins, l’important étant de s’identi-
plus loin dans le grotesque, les Peu importe que ce motif soit fier à tel ou tel groupe – une identi-
ministres présents à une conférence particulièrement dérisoire : les fication que l’auteur de Clochermerle
internationale sur le désarmement à recherches montrent qu’à mesure retrace d’une plume savoureuse
dans l’extrait ci-contre. On parle de
polarisation affective pour désigner
EXTRAIT le fait que chaque groupe va pro-
gressivement nourrir des sentiments
de plus en plus négatifs vis-à-vis des
« ET PISSARE LEGITIMUM ! » autres. Tandis que le groupe interne
(« nous ») est aveuglément valorisé,
le groupe externe (« eux ») tend à
L ’instituteur avait conservé sur la tête son fameux panama, en homme bien décidé
à ne pas baisser pavillon devant le fanatisme et l’ignorance. […] Ce n’étaient plus
de simples personnalités qui allaient s’affronter, mais les principes eux-mêmes, dans leur
être diabolisé : ce n’est pas seule-
ment qu’« ils » pensent différem-
ment, c’est qu’ils sont fondamenta-
totalité. Tafardel ne faisait qu’un avec la Révolution et sa charte émancipatrice. L’homme lement différents, et à ce titre il
des barricades et de la liberté au grand jour venait combattre sur son terrain l’homme de convient de s’en méfier, de les détes-
l’Inquisition, de la résignation cafarde et de la persécution hypocrite. Ne tenant aucun compte ter et de les percevoir comme immo-
des gens qui se trouvaient là, sans même les saluer, l’instituteur fonça en direction de l’abbé raux. Chacun se base souvent sur
Ponossse, avec les discours enflammés : – Si vis pacem para bellum, monsieur Ponosse ! […] des stéréotypes calqués sur les
Trahit sua quemque voluptas… et pissare legitimum ! Sans doute, Monsieur, pour mieux figures les plus radicales de tel ou tel
asseoir votre domination, préféreriez-vous voir se multiplier, comme aux siècles d’oppression, parti, qui se livrent à des excès bien
les flaques immondes formées du trop-plein des vessies ? visibles dans les médias et sur les
Clochemerle, Gabriel Chevallier, 1934, réseaux sociaux. En outre, les
Le Livre de Poche, pp. 212-213. membres de chaque bord semblent
penser que ce sont les autres qui les
p.
32 LE PIED ! p.
70 « BEDTIME »
PROCRASTINATEUR
La bipédie aurait permis aux humains
de développer de plus gros cerveaux De plus en plus de personnes
en consommant moins d’énergie pour la marche.
L’autre apport énergétique décisif aurait déclarent ne plus arriver à se coucher
été un régime en grande partie carné. à l’heure qu’elles souhaitent, parce
qu’elles repoussent le moment
DÉLESTAGE…
p.
50 d’aller au lit. En cause dans la plupart
Le stress provoquerait des diarrhées, car en situation des cas : la difficulté à décrocher
de danger extrême toute l’énergie de l’organisme
doit être consacrée à fuir ou combattre. Celle qui d’un écran. Un phénomène découvert
est mobilisée pour la digestion doit être sacrifiée : en 2014 et qui prend de l’ampleur :
l’intestin décide de se délester, comme un avion
de son kérosène en cas d’atterrissage d’urgence. la procrastination du sommeil…
EFFET DUNNING-KRUGER
p.
62
« Cet effet désigne le fait que les personnes les plus ignorantes ignorent… leurs lacunes,
et croient de ce fait en savoir plus que les autres ! » Yves-Alexandre Thalmann, université de Fribourg
p.
56 15 %
d’augmentation
p.
16 HOMME-RAT
des opérations Un rat a reçu une greffe de neurones humains
de chirurgie esthétique
en Europe en 2021. dans son cerveau. Un minicerveau humain a poussé
Un phénomène tiré par dans sa tête, et ces cellules importées prennent
la mode slim thick body
(littéralement « corps partiellement le contrôle de certains comportements,
mince-épais »), dont
des influenceuses le poussant notamment à lécher compulsivement
comme Kim Kardashian une tétine.
sont le fer de lance.
AUTORÉCEPTEUR
30 %
p. p.
22 88
p i s o d e
12 é ème
one
s P es s igli
athia
avec M bastien Bohler
p ar Sé
interviewé
Chercheur
en neurosciences
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