You are on page 1of 21

COLLECTION « FEUILLETS DE VIE SPIRITUELLE » N° 26

Abbé Gaston COURTOIS


des Fils de la Charité

UNE VALEUR OR :

LE SILENCE
3è édition

EDITIONS FLEURUS 31-33, RUE DE FLEURUS PARIS VIe

AVANT-PROPOS
Le monde moderne oblige les hommes à un labeur intense et à une vie trépidante. D'une part, la
vitesse accélérée, jamais satisfaite d'elle-même puisque c'est une course échevelée à la recherche du
temps qui fuit ; d'autre part, la domination sans vergogne du bruit sous toutes ses formes, depuis les
sonneries de téléphone jusqu'aux mugissements des sirènes, finissent par user les nerfs les plus solides.
Le rythme haletant des villes est épuisant.
Cela explique bien des névroses et des déséquilibres, surtout chez les jeunes. Cela explique aussi
les difficultés éprouvées par certains quand il s'agit de concentrer leur attention, et la tendance de
beaucoup à vivre à la superficie d'eux-mêmes, happés qu'ils sont par les appels extérieurs agissant sur
eux à la manière d'une drogue.
On peut dire qu'il y là une véritable maladie du siècle.
Les médecins ont dénoncé les dangers psychologiques et physiologiques des bruits abusifs 1. Les
physiciens ont étudié scientifiquement les différents genres de bruits et ont étalonné en phones leur
intensité nocive
L'O. N. U. a institué, à côté des salles de commissions, une chambre de silence où les diplomates
peuvent se recueillir pour prier ou méditer à l'aise.
Les militaires ont inventé la minute de silence en souvenir des morts tombés au champ d'honneur.
Les journaux ont prêché une véritable « croisade du silence ».
Les autorités religieuses ont accepté de réduire les sonneries de cloches dont la multiplicité, dans
certains quartiers riches d'églises et de couvents, devenait indiscrète.
Les autorités civiles ont pris, elles aussi, des mesures spectaculaires, et automobilistes et motocy-
clistes ont fait des efforts qui les ont étonnés eux-mêmes.

Mais quels que soient les progrès et les résultats obtenus, nous sommes encore loin de compte. Le
vrai silence, celui qui permet de retrouver son âme, n'est pas qu'une absence de bruit et de paroles : il
est d'un ordre plus subtil et tout intérieur ; en vérité, il est plénitude et richesse. Ce n'est pas sans raison
que la Sagesse des nations lui attribue une valeur comparable à celle du métal le plus précieux :
La parole est d'argent, mais le silence est d'or.
Si le monde le croyait vraiment, ce serait la « ruée vers le silence » comme il y a de temps en temps
des ruées vers l'or, que celui-ci soit jaune ou noir, en pépites, en paillettes ou en nappes.
Le silence, comme toute valeur authentique, demande à être l'objet d'une conquête. C'est à cette
conquête, ami lecteur, que ces pages vous convient ; puissent-elles vous donner le goût du silence et, en
vous guidant dans sa recherche, vous aider :
A VOUS VALORISER,
A RENCONTRER DIEU,
A SERVIR PLUS EFFICACEMENT VOS FRÈRES.
G. C.
LISEZ LENTEMENT CHACUNE DES PENSÉES QUI VOUS SONT SUGGÉRÉES, EN VOUS
MÉNAGEANT QUELQUES MINUTES DE SILENCE AVANT DE PASSER À LA PAGE
SUIVANTE, NE CRAIGNANT PAS DE REVENIR EN ARRIÈRE POUR EN EXTRAIRE LA
MOËLLE.

A LA FIN VOUS TROUVEREZ, EN GUISE DE CONCLUSION, QUELQUES SUGGESTIONS


PRATIQUES. A VOUS DE CHOISIR SELON VOTRE CAS, PERSONNEL ET LES BESOINS DE
VOTRE ÂME.

1
Communication du Dr TRÉMOLIÈRE à l'Académie de Médecine, le 11 janvier 1955.
I

LE SILENCE
contribue
à nous valoriser

« Plus l'âme a relu dans le silence,


plus elle donne dans l'action ».

Ernest Hello.
Rien n'est bruyant comme l'homme moderne ; il aime le bruit, il veut en faire autour des autres ; il
veut surtout que les autres en fassent autour de lui. Le bruit est sa passion, sa vie, son atmosphère ; la
publicité remplace pour lui mille autres passions qui meurent étouffées sous cette passion dominante, à
moins qu'elles ne vivent d'elle et ne s'alimentent de sa lumière pour éclater plus violemment. Notre
siècle parle, pleure, crie, se vante et se désespère. Il fait étalage de tout. Lui qui déteste la confession
secrète, il éclate à chaque instant en confession publique. » (Ernest HELLO.)
■ Les bains de silence nous sont nécessaires pour faire taire en nous les voix discordantes de l'orgueil et
de l'égoïsme, vider toutes les poches cachées d'amertume et de fiel, écouter surtout la Parole intérieure,
celle qui purifie, qui pacifie, qui unifie.
■ « Il y a des minutes dans nos vies précipitées et dispersées où l'on voudrait se recueillir en son fond,
retourner en quelque sorte à sa source, et de là mieux voir où l'on va, où l'on doit aller, et rectifier son
cours. » (Maurice BARRÈS.)
■ « Nous sommes pleins de choses qui nous jettent au dehors », a dit Pascal. Le surmenage,
l'extériorisation constante de nos vies déterminent, si nous n'y prenons garde, une usure vorace de notre
vitalité intérieure.
■ Le développement des techniques modernes qui tendent à mécaniser, sinon à matérialiser, les hommes
postule pour le monde d'aujourd'hui, comme l'a demandé Bergson, un supplément d’âme. Pour que
l'humanité se spiritualise, il faut qu'elle se mette aux 'écoutes de l'Esprit du Dieu Vivant, cet Esprit
infiniment discret et délicat qui n'inspire que dans la mesure où, dans le silence, on prend le temps de
L'aspirer.
■ Toute tâche qui exige une application sérieuse de nos facultés suppose le recueillement et le silence
qui le rend possible. Le savant a besoin de silence pour préparer ses expériences, pour en noter avec soin
les conditions et les résultats. Le philosophe se recueille dans la solitude pour ordonner et pénétrer ses
pensées.
■ « Quand je me suis mis, quelquefois, à considérer les diverses agitations des hommes et les périls et
les peines où ils s'exposent... j'ai découvert que tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui
est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre... 2 »
■ Si le silence nous pèse, c'est que nous en avons terriblement besoin.
■ Les nécessités de l'action tendent non seulement les muscles du corps, mais les énergies de l'âme. Le
retour au silence est une condition physique et morale pour se décontracter et se retrouver soi-même.
■ Quand on ne sait pas se ménager de temps en temps quelques instants de silence, on finit par ne
considérer comme réellement valables que des réalités perceptibles aux sens. Ne compte à nos yeux, - et
bientôt hélas ! à notre cœur - que ce qui se voit, ce qui se palpe, ce qui s'entend. L'Invisible, plus
profondément réel pourtant que le visible, devient bientôt lettre morte et se confond - ô sacrilège ! - avec
le néant.
■ « Les hommes en se jetant hors d'eux-mêmes ont la faculté de ne pas penser au problème de leur
destinée. Faculté merveilleuse, semble-t-il d'abord, par laquelle nous nous arrachons aux réflexions
moroses et paralysantes et qui s'exerce à peu de frais. Quelques cartes ou quelques jetons agités sur un
tapis vert, un ballon poussé sur un terrain de jeu, un cheval qui franchit les obstacles dressés sur une
piste, un pantin, une poupée, la vitesse des coups de la boxe, les narcotiques et le reste. Et puis les
affaires, les relations mondaines ne nous laissent jamais le temps de rentrer en nous-même et d'y sentir la
mesure de l'inquiétude. Tout cela, c'est la faculté de se divertir sur laquelle Pascal a tant insisté. Par elle,
les hommes se mettent à l'écart de leur tâche d'homme et bientôt ils l'oublient. Bien plus, ils se mettent à
l'écart d'eux-mêmes et tâchent de s'oublier aussi. Les dérivatifs auxquels ils ont recours, remarque fort
2
PASCAL, Pensées, n° 139 (Éd. Brunschvicg).
justement Maine de Biran, les font passer du temps à l'éternité sans qu'ils s'en aperçoivent, et c'est
justement ce qu'ils veulent, ne redoutant rien de plus que de passer du temps à l'éternité en s'en aper-
cevant 3. »
■ « Loin de chercher à me connaître, je me suis toujours efforcé de m'ignorer. Je tiens la connaissance
de soi comme une source de soucis, d'inquiétudes et de tourments. Je me suis fréquenté le moins
possible. Il m'a paru que la sagesse était de se détourner de soi, de son image, de s'oublier soi-même...
Petit et grand, jeune et vieux, j'ai toujours vécu le plus loin possible de moi-même 4. »
■ « Il n'est rien que je craigne tant que le silence, disait une célèbre artiste de music-hall. J'ai besoin du
bruit des applaudissements, des papotages, de l'agitation d'une vie fiévreuse. Quand je me trouve seule
avec moi-même, je m'ennuie. Si cela dure plus d'un jour, je prends peur. »
■ Ce qui souvent effraie dans le silence ou la solitude, c'est la crainte de rencontrer, par le dedans, cet
inconnu que tout homme est généralement pour lui-même. Villon n'avouait-il pas : « je connais tout,
fors que moi-même » ?
■ Pour l'homme toujours tourné vers l'extérieur, ce qui paraît prend plus d'importance que ce qui est. Le
bruit, l'agitation lui deviennent comme des drogues dont il ne peut plus se passer.
■ Le bruit disperse, éparpille et gaspille. Le silence recueille, récupère et condense. Qui ne sait pas
mettre dans sa vie des zones de silence ne tarde pas à vivre à la superficie de son âme.
■ Les moments de silence que nous nous rnénageons, même s'ils sont douloureux, donnent à notre
pensée une acuité nouvelle, à notre parole des résonances plus profondes, à notre action une fécondité
décuplée. Le silence ne ment jamais. Le silence paie.
■ Comme la germination se fait à l'insu du semeur, dans le secret de la terre, l'incubation de la pensée
s'opère à l'insu même du penseur, dans les profondeurs du silence.
■ On ne peut se représenter un monde où il n'y aurait que la parole, mais on peut se représenter un
monde où il n'y aurait que le silence.
■ Le silence nous permet de mieux contrôler nos pensées. C'est de nos pensées, claires ou obscures, que
jaillissent nos paroles et nos actes. Si, délibérément, nous n'avons que des pensées humbles, pures,
bienveillantes, notre vie sera humble, chaste et bienfaisante. Si Dieu nous faisait la honte - ou peut-être
la grâce - de marquer sur notre front les pensées stupides qui nous agitent, nous n'oserions plus nous
montrer ou bien nous comprendrions mieux notre fragilité et l'importance du silence pour purifier nos
désirs.
■ Le silence est un besoin pour l'homme. Qui se donne sans jamais se remplir finit par se vider.
■ « Le monde dans son état présent, la vie entière sont malades. Si j'étais médecin et si l'on me
demandait ce que je conseille, je répondrais Faites le silence ; faites taire les hommes. La parole de Dieu
ne peut être entendue ainsi. Et si, usant de moyens bruyants, on crie assez tumultueusement pour être
entendu, même dans le bruit, ce n'est plus la parole de Dieu. Donc, faites le silence. »
(KIERKEGAARD.)
■ « Celui qui ne prend pas conseil auprès de l'Invisible et du silence, celui-là ne produira jamais rien de
réel dans le domaine du visible ou de l'exprimé. » (CARLYLE.)
■ C'est le silence qui donne de la densité aux mots que nous disons.
■ « Les âmes se pèsent dans le silence comme l'or et l'argent dans l'eau pure, et les paroles que nous

3
R. P. SANSON, L'Inquiétude humaine, pp. 108-109, Carême 1925
4
Anatole FRANCE, cité dans la Revue des Lectures du 15 novembre 1925, P. 876
prononçons n'ont de sens que grâce au silence où elles baignent 5. »
■ Les âmes à qui le silence pèse sont celles dont la teneur en spiritualité est trop faible.
■ Se taire, c'est exercer une maîtrise. La maîtrise de sa langue est une forme de la maîtrise de soi. Le
bavard est un faible qui gaspille ses richesses intérieures et s'achemine vers l'évaporation pour aboutir au
vide de la stérilité.
■ Nous avons besoin du silence pour nous retrouver nous-mêmes, non seulement pour « penser à notre
action », mais pour « penser notre action », prévoir, préparer, organiser, ce qui est le propre du chef - car
le chef est essentiellement celui qui ordonne, non pas tant dans ce sens qu'il doit être celui qui donne des
ordres, mais celui qui met en ordre : chaque homme à sa place, chaque chose en son temps, en vue d'un
but toujours présent à son esprit.
■ « Lorsque l'activité déborde dans la vie journalière au point de n'y pas laisser de place ou qu'une place
minime, insuffisante pour le retour silencieux vers Dieu, elle se transforme en activisme. Cet activisme
se couvre de nombreuses et souvent nobles excuses : nécessités de la vie, devoirs d'état urgents,
trépidation de l'ambiance qui entraîne et dissipe, joies de l'action qui épanouit et dilate, sécheresses et
anéantissements apparemment inutiles de la prière, surtout la grande pitié des âmes qui nous entourent et
dont la misère matérielle ou spirituelle extrême est un appel constant à notre charité chrétienne.
« L'activisme se présente ordinairement comme une tendance à laquelle on cède. Il peut être parfois
une erreur non plus seulement pratique, mais spéculative. Il devient alors une sorte de positivisme
religieux qui ne croit qu'à la valeur de l'activité humaine pour la production des effets surnaturels et pour
l'édification du Corps Mystique du Christ. Il ne comprend et n'admet donc pas que dans une journée une
part notable soit réservée à la prière silencieuse, et surtout que des vies entières soient vouées exclu-
sivement à la prière et au sacrifice pour faire jaillir des sources de vie profonde dans l'Élise.
« L'hérésie des œuvres, qu'elle s'appuie sur une tendance naturelle ou sur une conviction, parce qu'elle
nie pratiquement, en la négligeant, l'action de l'Esprit-Saint dans l'âme et dans l'Église, anémie toute vie
spirituelle, stérilise l'apostolat même paré de succès extérieurs brillants, et elle conduit souvent à de
lamentables catastrophes morales et spirituelles 6. »
■ « L'activité est bienfaisante à l'âme qui en fait une communion à la volonté de Dieu. Elle devient
nuisible si elle est accompagnée de fièvre. « Qui ne connaît cette fièvre qui saisit les facultés parfois
avant qu'elles agissent, le plus souvent dans le cours de l'action, les soustrait à la domination de la
volonté, au contrôle de la raison et à l'influence du motif surnaturel, les livre, aveugles et trépidantes, à
la fascination du but à atteindre et du travail à fournir dans un temps déterminé, déréglant ainsi l'activité
elle-même et supprimant toute mesure ? La fièvre est nuisible à la vie spirituelle car elle coupe le contact
entre l'activité des facultés et les vertus surnaturelles qui devraient les guider et les informer. L'ordre est
renversé, c'est le travail qui a pris la direction de l'activité des puissances.
« On ne peut rétablir l'ordre et replacer les activités sous la dépendance des facultés supérieures de
l'âme qu'en brisant la fièvre qui a tout troublé et renversé l'ordre des valeurs. Pour cela, un choc est
ordinairement nécessaire : le choc réalisé par une diversion énergique ou un arrêt brutal de l'activité.
L'âme se recueille un instant, impose le silence et le repos à ses puissances, les reprend en mains,
retrouve Dieu et repart vers sa tâche qui sera désormais mieux remplie parce que réalisée dans le calme
et dans l'ordre, Ces chocs ne se font pas sans violence; souvent répétés ils pourraient briser et épuiser les
énergies en les exaspérant. Renouvelés avec une sage discrétion, ils disciplinent les flots débordants de
l'activité naturelle et assurent à l'âme une certaine maîtrise d'elle-même. Ils sont surtout devant Dieu un
témoignage de la bonne volonté de l'âme qui attiré les emprises divines et prépare ainsi la victoire
complète de Dieu sur les puissances actives de l'âme les plus rebelles 7. »

5
MAETERLINCK, Le Trésor des âmes.
6
Père Marie-Eugène de l'Enfant-Jésus, je veux voir Dieu, p. 365 (Éd. du Carmel).
7
Père Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus, Op. cit., p. 371.
II

LE SILENCE
nous facilite
la rencontre de Dieu

« Mon âme adore son Dieu au centre


De moi-même ».

Sainte Thérèse d’Avilla.


Le silence est la grande loi de la vie surnaturelle aussi bien que naturelle. C'est en silence que la
sève monte, que l'arbre bourgeonne et fructifie. C'est dans le silence que Dieu communique la vie à notre
être. C'est dans le silence que s'opèrent la génération éternelle du Verbe et la spiration de l'Esprit. C'est
dans le silence que s'effectuent dans l'âme les opérations de la grâce, participation à la vie divine. C'est
dans le silence que s'étend, à l'intérieur du Corps Mystique, le royaume de Dieu. S'il y en a qui ne
l'entendent pas, c'est qu'ils ne prennent pas le temps ou ne se mettent pas dans les conditions favorables
pour l'écouter.
■ Nous avons besoin du silence pour retrouver le sens de l'Invisible et entendre les voix qui crient dans
le désert, ou mieux encore la voix de Celui qui ne crie que dans le désert. Quand Moïse descendait du
plateau désertique où il avait contemplé Dieu, des rayons s'échappaient de son front.
■ « Tous les fondateurs de communauté ont prescrit le silence comme l'âme et le gardien de l'observance
régulière. Silentium est custos religionis (S. Basile)... Pour réformer une maison et chacun de ceux qui
sont venus s'y sanctifier, le silence suffit. Car celui qui l'observe bien demeure dans sa cellule et n'en sort
que pour aller aux actions de la communauté ; occupé à la prière, à l'étude, aux lectures spirituelles, il
devient homme d'oraison et reçoit de Dieu toutes sortes de grâces 8. »
■ C'est dans le silence intime des âmes que se jouent les destinées du monde. Quelle pitié quand ces
âmes, encombrées de bagatelles, sont vides de l'Unique Nécessaire !
■ Le silence nous met en état d'accueil au message de l'Esprit, ce message silencieux qu'Il nous transmet
à travers les choses, les événements, les hommes.
■ « Il faut que l'âme retrouve le silence pour que Dieu se découvre à elle et se dise Lui-même en elle »,
disait Maître Eckhart. Dieu parle à chaque âme. S'il y en a qui ne L'entendent pas, c'est parce qu'elles ne
L'écoutent pas.
■ Relisons l'épisode de Marthe et Marie :
« Or il arriva, tandis qu'ils étaient en chemin, qu'Il entra dans un bourg ; et une femme, nommée
Marthe, Le reçut dans sa maison. Et elle avait une sœur, nommée Marie, qui, assise aux pieds du Seigneur,
écoutait sa parole ; mais Marthe s'empressait aux soins multiples du service. Elle s'arrêta, et dit : Seigneur,
n'avez-vous aucun souci de ce que ma sœur me laisse servir seule ? Dites-lui donc de m'aider. Le Seigneur,
répondant, lui dit : Marthe, Marthe, tu t'inquiètes et tu te troubles pour beaucoup de choses. Or, une seule
est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part qui ne lui sera pas ôtée 9. »
Certes, Jésus apprécie notre travail... Il attend notre pénitence... Il aime notre prière... Mais Il juge
notre amour à la manière dont nous L'écoutons.
■ Dieu aime le silence. C'est dans le silence qu'Il s'est incarné ; c'est dans le silence qu'Il est né, loin de
la ville, loin du bruit, en plein milieu de la nuit. C'est dans le silence qu'Il a vécu la plus grande partie de
son passage sur la terre. Et même quand l'heure fut venue pour Lui de prêcher, Il a commencé par faire
40 jours de retraite au désert. Son ministère a été entrecoupé de nombreuses haltes nocturnes et
silencieuses. Pendant la Passion, au lieu de se défendre, Il s'est tu, et dans l'Hostie, Il reste le grand silen-
cieux.
■ Le silence est comme le climat de Dieu. C'est dans le silence que le Père engendre le Verbe et que le
Verbe chante le Père. C'est dans le silence que jaillit de leur don mutuel l'Esprit de sainteté; c'est dans le
silence que leur vie intime se joue, s'exprime et se réjouit. C'est aussi dans le silence que l'Amour infini
se révèle à nous. C'est dans le silence qu'une âme peut saisir les battements du cœur de son Dieu.
■ Si le grain de froment ne tombe en terre, il reste seul et ne fructifie pas. S'il est enfoui dans le silence
de la glèbe, il meurt apparemment ; en réalité, il va germer et fructifier. L'homme doit s'enfoncer de
temps en temps dans le silence de son cœur pour permettre à Dieu de féconder ses pensées, ses paroles,
ses actions.
8
R.P. CORMIEN, Retraite fondamentale.
9
Luc, X, 38 à 42.
■ Dans l'Apocalypse 10 Dieu se compare à l'ami qui frappe à la porte. Il faut se mettre à même d'entendre
sa voix et de L'accueillir pour qu'Il veuille bien pénétrer chez nous et révéler les secrets de son intimité.
■ C'est l'amour du silence qui conduit au silence de l'Amour. Le silence n'est pas Dieu, c'est le Verbe qui
est Dieu. Mais c'est dans le silence que le Père dit son Verbe et que le Verbe se dit. C'est le plus souvent
sans bruit de paroles que la Parole incréée se fait entendre à sa créature, dans la mesure où celle-ci se
tient à son écoute, disponible de cour, attentive d'esprit.
■ Le cœur a un langage que les lèvres ignorent. Deux êtres qui s'aiment profondément n'ont pas besoin
de pauvres mots humains pour se le dire. Le silence de l'amour est plus éloquent que tous les
bavardages, surtout quand l'un des deux interlocuteurs est Dieu, qui est l'Amour même.
■ « Une âme d'oraison se recueille, se sépare, se détache, se mortifie, se renonce pour trouver Dieu ;
d'autre part, cette âme Le donne. Un centre lumineux éclaire, une source d'énergie se répand, un foyer
d'amour embrase. Vous n'avez pas besoin de vous inquiéter, ni de chercher comment cela se fera. Par le
fait même que vous serez une âme d'oraison, vous compterez parmi ces âmes vraiment mortifiées et
apostoliques qui répandent dans le monde un peu plus de connaissance de Dieu, un peu plus de
charité 11. »
■ « Je me suis tellement accoutumé à la présence de Dieu en moi que j'ai toujours au fond du cœur une
prière montant à fleur de lèvres. Cette prière, à peine consciente, ne cesse pas, même dans le demi-
sommeil que rythme la marche d'un train ou le ronronnement d'une hélice, même dans l'exaltation du
corps ou de l'âme, même dans l'agitation de la ville ou la tension d'esprit d'une occupation absorbante.
C'est, au fond de moi-même, une eau infiniment calme et transparente que ne peuvent atteindre ni les
ombres, ni les remous de la surface 12. »
■ « Le silence est la loi même et l'habitude de Dieu. De toute éternité il existe une vie intense qui va du
Père au Fils et à l'Esprit-Saint ; et cette vie se passe dans le silence absolu. La vie aussi que Dieu
communique à la nature organisée est une vie silencieuse : la sève monte, l'arbre bourgeonne et fructifie
en silence. Si Dieu s'approche pour parler à ses créatures, c'est dans le silence qu'Il se manifeste. Le
silence, c'est de l'amour, c'est l'aide que nous donnons à Dieu pour qu'Il puisse nous combler comme Il le
veut 13. »
■Celui qui cherche Dieu fidèlement et ardemment finit toujours par Le trouver. Mais Il a plusieurs
façons de se découvrir et ce n'est pas toujours sur-le-champ qu'on Le remarque. En tout cas, le temps
donné authentiquement à Dieu n'est jamais du temps perdu. C'est du temps qui, d'une manière ou d'une
autre, a permis la croissance divine en nos vies.
■ « C'est dans le centre de l'âme, dans les régions les plus spirituelles de l'âme que Dieu vit, agit, réalise
les opérations mystérieuses de son union avec nous. Qu'importe donc le bruit et l'activité extérieure
pourvu que le silence règne en ces régions spirituelles profondes ! Le silence intérieur est donc le plus
important. Le silence extérieur n'a de valeur que dans la mesure où il le favorise 14. »
■ Ce n'est pas parce qu'on est en silence qu'on trouve fatalement Dieu, mais le silence facilite la
rencontre de Celui qui parle sans bruit de paroles, à l'intime de l'âme. Pour tout dire, le vrai silence est
celui qui résulte de l'absorption d'une âme en Dieu. Loin d'être une absence ou un vide, le silence
procure alors un sentiment de plénitude qui provient d'une participation à la richesse divine.
■ Toutes les âmes intérieures ont tiré les conséquences pratiques du fameux verset de saint Jean : « Si
quelqu'un M'aime, il gardera ma parole, et mon Père l'aimera, et Nous viendrons à lui, et Nous ferons
chez lui notre demeure 15. »
10
Apocalypse, III, 20.
11
R. de LANGEAC, La Vie cachée en Dieu, p. 56 (Éd. du Seuil).
12
Guy de LARIGAUDIE, Étoile au grand large, p. 36 (Éd. du Seuil).
13
Mère Marie de Jésus.
14
Père Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus, Op. cit. p. 373.
15
Jean XIV, 23.
■ « Mon âme est un sanctuaire où Dieu repose », disait Sœur Élisabeth de la Trinité, qui ajoutait : « Ce
qui a fait de ma vie un ciel anticipé, c'est d'avoir cru qu'un être qui s'appelle l'Amour habitait en moi, à
tout instant du jour et de la nuit, et qu'Il me demandait de vivre en société avec Lui. »
■ « Les âmes contemplatives recherchent le silence ; ce n'est pas qu'elles mettent le silence pur et simple
au-dessus de la parole : c'est que dans le silence de toute parole humaine elles entendent au fond d'elles-
mêmes la Parole Vivante qui donne l'être à tout ce qui est. » (Jacques MARITAIN.)
■ Le silence est l'attitude normale de l'âme en face du mystère. « Le silence éternel de ces espaces infinis
m'effraie 16 », disait Pascal. Certes il est bon de se dégager de temps en temps du bruit ambiant et des
préoccupations courantes, mais il ne faut pas se laisser effrayer par le silence de l'infini lorsque cet infini
est l'Amour.
■ Il est des minutes privilégiées où l'homme, saisi d'admiration, ne trouve aucun mot assez fort pour
exprimer ce qu'il éprouve. Henri Bremond, dans L'Histoire du sentiment religieux en France, note
l'impression de saisissement qu'éprouva le Père de Condren lorsque, un jour, la grâce de Dieu lui fit
apercevoir quelque chose de l'immensité divine.
■ « Notre instinct nous fait sentir qu'il faut chercher notre bonheur hors de nous. Nos passions nous
poussent dehors, quand même les objets ne s'offriraient pas pour les exciter. Les objets du dehors nous
tentent d'eux-mêmes et nous appellent, quand même nous n'y pensons pas. Et ainsi les philosophes ont
beau dire : « Retirez-vous en vous-mêmes, vous y trouverez votre bien », on ne les croit pas, et ceux qui
les croient sont les plus vides et les plus sots. Les Stoïques disent : « Rentrez au dedans de vous-mêmes,
c'est là que vous trouverez le repos. » Et cela n'est pas vrai. Les autres disent : « Sortez au dehors,
recherchez le bonheur en vous divertissant. » Et cela n'est pas vrai. Les maladies viennent. Le bonheur
n'est ni hors de nous ni dans nous; il est en Dieu, et hors et dans nous 17. »
■ « Que fait-on le plus souvent lorsqu'on parle à Dieu ? On laisse les paroles s'orienter vers une certaine
région obscure, vers je ne sais quels espaces interstellaires et vides. Ce n'est pas là parler à Dieu.
Lorsque je parle à un homme que j'estime et que j'aime, je le regarde en face; ou tout au moins je
cherche son visage et, derrière son visage, son cœur. C'est le vrai but de la parole, c'est là seulement
qu'elle trouvera audience. Il en va de même avec Dieu. Il faut que je cherche sa face. Mon âme Te
cherche, ô Seigneur, s'écrie le Psalmiste ; en tout temps je cherche ta face ! » (Romano GUARDINI.)
■ « Dès son entrée au Carmel (âgée de 15 ans et demi), sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus s'applique à ne
jamais manquer à la loi du silence, le silence qui fut et demeurera toujours une des premières assises de
la vie ascétique, le silence sans lequel il n'est pas de vie intérieure vraiment profonde. Elle en comprend,
aussi parfaitement que pourrait le faire un fondateur d'Ordre, toute l’efficacité souveraine. C'est
pourquoi elle professe pour le silence religieux une estime capable de nous surprendre et surtout de nous
confondre ; elle lui voue un véritable culte. Voici un paragraphe d'une déposition au « Procès de canoni-
sation » qui mériterait d'être écrit en lettres d'or au frontispice de toute étude sur la vie ascétique et
mystique de la sainte :
« Son grand moyen était le silence. Elle l'avait appris de la Sainte Vierge dont l'exemple la ravis-
sait, principalement lorsqu'elle préféra être soupçonnée plutôt que de s'excuser auprès de saint
Joseph en lui révélant le mystère de l'Incarnation... Comme Marie, elle aimait garder toutes choses
en son cœur, ses joies comme ses peines. Cette réserve fut sa force et le départ de sa perfection
comme aussi son cachet extérieur qui la distinguait du commun par sa grande pondération 18. »

■ Quand vous récitez une prière, qu'elle soit lue, inventée par vous ou apprise par cœur, de grâce, prenez
le temps de respirer ! Arrêtez-vous quelques secondes; faites silence; vous repartirez à l'assaut avec
l'énergie de la vague à la marée montante, qui avance et recule pour mieux avancer encore.
■ « Mon âme est une cellule où je vis en companie de Dieu. » (Sainte Catherine de Sienne).
16
Pensées, n° 206 (Éd. Brunschvicg).
17
PASCAL, Pensées, n° 464-465 (Éd. Brunschvicg).
18
H. PETITOT, sainte Thérèse de Lisieux, p. 48.
■ Le silence facilite la rencontre avec Dieu. Certes, on peut trouver Dieu partout, même au milieu de la
foule. Mais le Seigneur Jésus, qui connaît admirablement les lois de la psychologie humaine, a
recommandé la solitude :
« Lorsque tu voudras prier, entre dans ta chambre et, ayant fermé la porte sur toi, prie ton Père dans
le secret, et ton Père, qui voit dans le secret, t'exaucera 19. »

■ Le silence, pour ne point devenir contention, appelle la détente. La détente aux récréations fait partie
de l'ascèse du silence. « Qui veut aire l'ange fait la bête », disait pascal. Et sainte Thérèse d'Avila
n'hésitait pas à organiser elle-même les récréations et à mener le chœur joyeux de ses filles à l'aide de
castagnettes ou d'un tambourin. Ne blâma-t-elle pas un jour vigoureusement la dévotion importune d'une
sœur qui eût préféré faire oraison que se récréer avec la communauté ? Tout est affaire de mesure,
d'équilibre et... de charité. Il n'en est pas moins vrai que les zones et les heures de silence sont indis-
pensables pour féconder l'action comme pour assurer la contemplation.
■ « Le génie du moyen âge est essentiellement silencieux », écrit Barbey d'Aurevilly. Cette remarque est
profondément juste. Les architectes et les sculpteurs du moyen âge n'ont pas voulu signer leur œuvre ;
l'auteur de l'Imitation a voulu rester inconnu. A la passion de la gloire, au goût souvent morbide de la
célébrité et de la popularité, la sagesse chrétienne préfère le jugement de Dieu. A celui des hommes elle
oppose l'Ama nesciri et le pro nihilo reputari.
■ Fuyant la colère de Jézabel et réconforté par le pain de l'ange, le prophète avait marché pendant
quarante jours dans le désert et était parvenu à l'Horeb, la montagne de Dieu par excellence, sur laquelle
Yahweh s'était manifesté plusieurs fois à Moïse. Et
« Voici que la parole du Seigneur se fait entendre, lui disant : Sors, et tiens-toi sur la montagne
devant le Seigneur ; voici que le Seigneur passe. Et il se fit un vent violent et impétueux, renversant les
montagnes et brisant les rochers. Le Seigneur n'est pas dans le vent. Et après le vent il y eut un trem blement
de terre. Le Seigneur n'est pas dans le tremblement de terre. Après le tremblement de terre il y eut du feu.
Le Seigneur n'est pas dans le feu. Après le feu, il y eut le souffle léger de la brise. Lorsqu'Élie l'eut entendu,
il se couvrit la face de son manteau, et étant sorti de la caverne, il se tint à l'entrée 20. »

Le Seigneur était dans le murmure léger du zéphyr.

19
Matthieu, VI, 6.
20
I Rois, XIX, 11 à 13.
III

LE SILENCE
nous aide à devenir
plus utiles aux autres

« Ne donner de soi que ce qui peut


être reçu avec profit par les autres ».

Elisabeth Lesueur.
Si notre parole se nourrissait dans le silence de l'oraison, si elle était l'expression d'une vérité divine
goûtée, assimilée, vécue, elle trouverait plus facilement le chemin des cœurs.
■ Qui dira le mal que fait à une âme d'apôtre l'agitation stérile ? Certes, il y a un temps pour parler et un
temps pour se taire. Mais quand Dieu envoie l'apôtre travailler à sa vigne, il faut, au moins de désir, qu'il
se garde uni à Celui qui l'envoie.
■ « Il y a deux espèces d'hommes : ceux qui savent écouter et ceux qui en sont tout à fait incapables.
Pour écouter, il faut commencer par se taire. Lorsqu'on fait le silence en soi, on ne tarde pas à percevoir
le son d'une certaine mélodie. A l'origine de toute révélation, il y a un silence préalable. Ce silence de
l'âme est comme un lac d'eaux dormantes ; et si rien ne vient troubler leur tranquillité, l'on pourra voir
s'y refléter le ciel et les étoiles, la mobile frondaison des saules sur les bords, et, dans les profondeurs
glauques, l’algue verte et la pierre blanche. Ce silence nécessaire à la connaissance des choses
profondes, on pourrait encore l’appeler un état de disponibilité. » (Jacques MADAULE)
■ « Les contemplatifs qui, ayant à agir, se trouvent gênés pour contempler, ne sont pas bien avancés
dans la contemplation. Et ceux qui, habitués à agir, ne savent pas contempler en agissant, ne sont pas
bien avancés dans l’action 21. »
■ Le bavardage est souverainement nuisible à la vie spirituelle et à l’action féconde. Un bavard n’a plus
le temps – et bientôt plus le goût – de se recueillir, de penser ni de vivre profondément. Bien plus, par
l’agitation qu’il crée autour de lui, il empêche chez d’autres le travail et le recueillement féconds.
Superficiel et vain, le bavard est un être dangereux.
■ La parole de l’apôtre n’est rien si ce n’est pas Dieu qui la prononce. La mission de l’apôtre n’est rien
si ce n’est pas Dieu qui l’inspire. Le dévouement de l’apôtre n’est rien si ce n’est pas Dieu qui le
féconde.
■ Nous avons besoin de retrouver des yeux frais qui au-delà d’une liste de noms, au-delà de visages
connus ou inconnus, au-delà de chacun des éléments d’une foule anonyme, nous fassent voir des âmes
en qui le Christ vit ou veut vivre ; nous fassent voir aussi en ces âmes des pierres vivantes de la Cité de
Dieu, des cellules de son Corps Mystique, avec leur rôle, leur mission, leur vocation propre, en un mot
le Christ en croissance, la Chrétienté en marche.
■ Le silence nous donne un regard neuf sur toutes choses, quelque chose du regard même de Dieu qui
atteint jusqu’aux profondeurs des êtres.
■ « Tu es maître des paroles que tu n’as pas prononcées. Tu es esclave de celles qui t’on échappé. »
(Proverbe arabe.)
■ « Tu te repentiras rarement d’avoir peu parlé, très souvent d’avoir parlé trop. » (LA BRUYÈRE).
■ « Il est des moments graves où il y a quelque chose de plus éloquent que l’éloquence : le silence. »
(MARTHA.)
■ « Combien de discussions – entre peuples aussi bien qu’entre individus – s’égarent dans les clameurs
de l’amour-propre ou dans les subtilités de la mauvaise foi, parce que les mots s’abattent du dehors,
comme des coups de béliers, au lieu de naître du silence, comme les témoins de la Vérité 22. »
■ « Nous nous taisions. Heureux ceux, heureux deux amis qui s'aiment assez, qui veulent assez se plaire,
qui se connaissent assez, qui s'entendent assez, qui sont assez parents, qui pensent et sentent assez de
même, assez ensemble en dedans chacun séparément, assez les mêmes, chacun côte à côte, qui
éprouvent, qui goûtent le plaisir de se taire ensemble, de se taire côte à côte, de marcher longtemps,
longtemps, d'aller, de marcher silencieusement le long des silencieuses routes. Heureux deux amis qui
s'aiment assez pour (savoir) se taire ensemble. Dans un pays qui sait se taire. Nous montions. Nous nous
21
Wladimir I. GHIKA, Pensées pour la suite des jours, p. 126 (Nouv. Lib. Nat. Paris).
22
Maurice ZUNDEL, L’Évangile intérieur, p. 124.
taisions. Depuis longtemps nous nous taisions. » (Charles PÉGUY.)
■ Quand on s'aime vraiment, il n'est pas besoin de tellement de paroles pour exprimer ce que l'on veut
faire comprendre. Le bavardage est parfois plus nuisible à la bonne entente que le silence générateur de
mots qui portent. On connaît ce mot du lieutenant de Foucauld à la petite Cardinal, décontenancée de le
trouver insatisfait : « Vous n'avez jamais l'air content. Qu'attendez-vous donc de moi ? - Le silence ! »
■ Dans l'amour, il y a plus de silence que de paroles. On a comme besoin de silence pour capter les
ondes qui émanent de l'être aimé, et. qui parlent plus au cœur accordé sur la même longueur d'ondes que
de longs bavardages qui risquent de tout brouiller.
■ Celui qui n'a pas pris l'habitude du silence risque de manquer sans y penser à la plus élémen taire
discrétion. Il n'est personne qui, d'une manière ou d'une autre, ne soit amené, un jour, à recevoir des
confidences : les secrets des autres ne nous appartiennent pas. Manquer de discrétion peut être une
trahison.
■ « Ne dis à personne ce que tu ne veux pas que l'on sache. Si tu n'es pas maître de toi, comment
comptes-tu sur le silence des autres ? » (SÉNÈQUE.)
■ Il n'est rien de plus contraire au bien de l'enfant qu'une atmosphère bruyante qui exaspère ses nerfs et
le fait s'évader de lui-même. Voici le conseil que donne à ce sujet Maurice Zundel :
« Un enfant, sans doute, a besoin d'être formé, mais par le développeraient de sa vie intérieure avant
tout, en apprenant à écouter le Maître qui l'enseigne au dedans. Au lieu de le gronder en exaspérant un
système nerveux déjà surexcité, au lieu de le rendre encore plus extérieur à son âme qu'il ne l'est déjà, il
faudrait s'efforcer bien plutôt de le ramener à sa vie profonde, en l'investissant de la Présence divine par
le rayonnement du silence qui est le acteur essentiel de toute éducation véritable. Il ne s'agit pas, en
effet, de se substituer à l'enfant ni de le rendre semblable à soi, mais de le remettre à son Guide intérieur
en s'effaçant continuellement en Lui 23. »
■ Il y a plusieurs formes d'humilité. Celle qui dit notre néant et répète notre indignité en est une... Mais
il en est une autre, peut-être supérieure : celle qui consiste à ne pas parler de soi parce qu'on s'oublie soi-
même et qu'on ne pense qu'à Dieu et aux autres...
■ L'humilité de Marie éclate dans le Magnificat où elle proclame la bassesse de la servante du Seigneur.
Elle éclate aussi dans le silence qu'elle garde au retour d'Hébron, attendant que Dieu Lui-même, par son
ange, vienne apaiser l'angoisse de Joseph.
■ Rien n'est plus vain que de parler de soi pour en dire du bien ou du mal.
■ « C'est à Dieu qu'il faut chercher à plaire pour qu'Il porte sur nous un regard tous les jours plus
favorable, au lieu de nous ingénier pour que les autres aient toujours bonne opinion de nous, faisant
valoir non seulement nos dons naturels, mais même les grâces surnaturelles. Or, la vanité spirituelle est
la pire de toutes et elle prouve par un signe certain que ces grâces ne viennent pas de Dieu ou qu'Il ne les
donnera plus. Il est impossible d'entrer ainsi dans son Royaume 24. »
■ C'est par le dedans que le monde se perd. C'est par le dedans aussi que le monde se sauve. C'est dans
le silence et par le dedans que s'exercent les mystérieux enfantements de la Communion des Saints.
■ Etre silencieux ne veut pas dire être muet ou taciturne. Autant il faut se méfier du bavardage, autant il
faut se méfier du mauvais silence, car le silence n'est pas un absolu ni une fin en soi. Il peut être, à cause
de notre état de conscience intérieur et des circonstances extérieures, la pire comme la meilleure des
choses. Il y a, par exemple, un silence de bouderie qui est indigne d'un adulte, un silence d'orgueil
froissé, un silence d'indifférence ou d'égoïsme, alors que notre parole pourrait apporter lumière, paix ou
réconfort ; un silence d'évasion, alors que nous avons un devoir de présence aimante et active vis-à-vis

23
Notre-Dame de la Sagesse, p. 62 (Éd. du Cef).
24
R. de LANGEAC, Op. cit.
de notre entourage. Il y a aussi un silence de lâcheté, alors qu'on devrait avoir le courage de défendre
l'honneur de Dieu, la réputation d'un de nos frères, alors que nous aurions peut-être aussi l'obligation de
nous accuser quand un autre est injustement soupçonné d'une faute commise.
■ L'eau et le feu sont des éléments bienfaisants lorsqu'ils accomplissent leur mission de purifier ou de
réchauffer. Ils peuvent être dangereux en cas d'inondation ou d'incendie.
Le silence est un bienfait et un ressourcement; mais dans certains cas il peut être meurtrier.
■ « Je ne veux pas être une bavarde spirituelle, écrit Élisabeth Leseur. Je veux conserver ce grand calme
de l'âme... Ne donner de soi que ce qui peut être reçu avec profit par les autres, garder le reste dans les
coins profonds comme l'âme garde son trésor, mais avec l'intention de le donner lorsque l'heure sera
venue. »
■ Qu'est-ce que la musique, sinon le silence qui se met à devenir sonore ? Jamais on n'entend mieux le
silence que lorsque s'est évanoui le dernier son du dernier accord.
■ Si quelqu'un a, comme saint Paul, perçu des paroles ineffables qu'il n'est pas permis à un homme de
prononcer, ces paroles auront dans les cœurs une résonance qui est comme le signe ou la marque de
Dieu.
■ « Chez celui qui ne peut se défendre de parler, les paroles s'appauvrissent de plus en plus. Et comme il
faut bien pourtant qu'elles contiennent quelque chose, c'est la méchanceté, l'envie, la jalousie qui s'y
insinuent et qui viennent alimenter le moulin à paroles. » (Romano GUARDINI.)
■ Ne critiquez jamais. Toute parole de dénigrement est encore plus nocive à celui qui la profère qu'à
celui qui en est l'objet. Vous ne savez tout le mal que vous pouvez faire, non seulement en lançant des
attaques, justifiées ou non, mais même en énonçant des doutes sur la réputation du prochain. Soyez
assuré que ces suspicions seront transformées en médisances et amplifiées en calomnies. A des années et
à des vingtaines de lieues de distance, elles resteront dans l'esprit de ceux qui les auront entendues et
vous seriez effrayé, si vous pouviez les voir, des ravages dont vous aurez été responsable.
■ L'esprit de critique, c'est un venin, un ver rongeur, un cancer dans un organisme sain. Il absorbe les
énergies vitales de celui qui critique, de celui qui entend la critique, et de ceux qui sont critiqués. L'esprit
de critique, c'est l'esprit de Satan.
■ Pour clarifier l'eau bourbeuse, il faut la laisser reposer et se garder de l'agiter. Pour désarmer une
attitude hostile, mieux vaut souvent douceur, patience, silence, que réaction violente.
■ « Nous avons beau commettre tous beaucoup de fautes, si quelqu'un ne pèche point en paroles, c'est
un homme parfait, capable dès lors de réfréner le corps tout entier. Quand nous avons passé le frein à la
bouche d'un cheval pour nous en faire obéir, nous en sommes maîtres, et nous gouvernons à plaisir toute
la bête. Voyez encore les navires, tout grands qu'ils sont et poussés par des vents impétueux : ils sont
conduits par un simple gouvernail, au gré du pilote. Ainsi la langue, bien qu'elle soit un membre exigu,
compte à son actif de grandes choses. N'est-ce pas une étincelle qui met le feu à une grande forêt ? La
langue elle aussi est un feu... Bêtes sauvages et oiseaux, reptiles et animaux marins, toutes les espèces en
ont été domptées et le sont encore par l'homme ; la langue, elle, nul homme ne peut la dompter... Si elle
nous sert à bénir le Seigneur notre Père, nous nous en servons aussi pour maudire les hommes faits à la
ressemblance de Dieu. Il ne faut pas, mes frères, qu'il en soit ainsi... 25. »

25
Épître de saint Jacques, III, 2-11.
IV

Conclusions
et suggestions

« Ne parlez que si ce que vous avez à dire vaut mieux que le silence ».
Efforcez-vous de vous réserver chaque jour quelques instants de silence authentique, ne serait-ce
que trois ou quatre minutes, pour reprendre contact avec ce qu'il y a de meilleur en vous, surtout pour
retrouver le regard de Dieu en votre cœur.
■ Dans toute la mesure du possible, ordonnez votre travail et votre temps. L'examen de prévoyance par
demi-journée, avec le minutage et l'ordre optimum des occupations, vous permettra plus facilement de
garder votre sérénité et de faire face calmement à l'imprévu.
■ De temps en temps, prenez un « comprimé » d'Évangile, c'est-à-dire, après avoir lu quelques versets
du texte sacré, faites une minute de silence; tirez les conclusions d'une des phrases que vous venez de
lire ; écoutez au moins ce que votre cœur vous en dit. Votre cœur ? Plutôt le Seigneur.
■ Saint Paul nous dit que nous sommes les temples du Saint-Esprit et que l'Esprit-Saint s'adresse en nous
au Père en termes d'amour qu'il appelle des « gémissements inénarrables ». Au lieu d'enfiler des mots à
la suite les uns des autres, pourquoi ne pas nous unir à l'Esprit, nous insérer en Lui, et rester là, en
silence, à réfléchir à ce qu'Il nous suggère ? N'est-Il pas par excellence le Maître à prier ?
■ Quand vous vous sentez débordé par une activité qui risque de devenir fébrile, interrompez-vous
courageusement, ne serait-ce que quelques secondes, et essayez de reprendre contact avec l'Hôte
intérieur de votre âme.
■ Le Rosaire, c'est l'excellente prière. Quelle puissance sur le cœur de Notre-Dame pour obtenir son
intercession auprès de Dieu. Mais, de grâce ! ne le transformons pas en exercice de vélocité. Disons-le
calmement, posément, dans la contemplation de la scène évangélique qui comporte toujours un fruit
mystérieux mais réel. Au besoin, surtout si nous le disons seul, arrêtons-nous quelques secondes de
temps à autre, pour mieux en presser tout le suc caché.
■ Sachons apprécier le bienfait des retraites et des récollections. Les Mouvements d'Action Catholique,
en échange, en ont été les, premiers bénéficiaires. Elles leur ont valu grâces d'approfondissement pour
mieux comprendre l'intention de Dieu sur chaque milieu. Mais ne les transformons pas en sessions ou en
cercles d'études ; ce serait mélanger les genres et enlever à la retraite ce qui constitue son essence, à
savoir le silence un peu prolongé qui seul permet le contact personnel avec Dieu et le bienfait des
mystérieux échanges.
■ Créez autour de vous, autant que faire se, peut, une ambiance de calme; évitez les cris, les gestes
désordonnés, les paroles inutiles.
■ Évitez de parler de vous-même sans raison suffisante, mais aidez les autres à parler de ce qui les
intéresse.
■ « Profiter d'un bruit... l'écouter en silence et prier avec ce bruit :
- bruit d'une enclume par exemple : écouter et offrir en silence le travail des ouvriers ;
- une cloche qui tinte dans le soir : en suivre les ondes, les charger de notre prière ;
- le vent qui souffle et siffle... en silence prier pour ceux qui ont froid ;
- le rapide qui déchire la nuit à 100 km.-h, le train de banlieue qui draine la population ouvrière,
etc.
Un souvenir personnel : sur la colline de Bellevue, près de Paris; dans le calme du matin, des bruits
précis : le bourdonnement sourd de la vaste usine Renault... le halètement des remorqueurs sur la Seine...
le bruit des trains... J'écoutais... Un instant après, à la messe, comment ne pas joindre à l'offrande du
Christ celle de tout un peuple au travail... Ce peuple, il portait ma prière... Ce bruit, il était pour moi
silence, silence lourd, riche de vie. Qui donc disait : Le silence, c'est l'écho que les choses ont en nous ?
26
»

26
Abbé Norbert MARCHAND, dans la Revue En chrétienté (édition urbaine), de novembre 1952. Numéro épuisé.
V

Epilogue
É P I L O G U E 27

L'éternelle Parole est le Verbe qui écoute, le Verbe silencieux.


Et Marie à son tour est disciple du Verbe. Elle garde dans son cœur toutes les paroles de son Fils
28
. Elle écoute, elle adhère, elle se donne, elle se perd dans ses abîmes :
Fais-moi entendre Ta voix, car Ta voix est pleine de douceur 29.
Toutes les fibres de son être retentissent de cet appel où sa vie tout entière donne audience à
l'unique Vérité : Jésus, Jésus, Jésus !
Sa chair est le berceau de l'éternelle Parole qui sourd de la « fontaine scellée » de son âme ; son
Magnificat est l'exultation du Verbe au plus intime de son cœur : Dum medium silentium tenerent
omnia... Tandis qu'un profond silence enveloppait toutes choses, et que la nuit parvenait au milieu de
sa course, Votre Verbe tout-puissant, Seigneur, descendit des cieux et du trône royale 30.
N'est-ce pas Marie, en effet, ce trône royal, elle dont les puissances résonnent des mystères de
clameur qui s'accomplissent dans le silence de Dieu 31, elle dans la nuit de l'inconnaissance à l'égard
d'elle-même, toute perdue dans la clarté divine de son Enfant.
Elle ne dit rien d'elle-même, elle ne fait rien d'elle-même, elle ne mêle rien d'elle-même. Aucune
idée, aucune image, aucune parole ne limite l'Ineffable en elle, et la splendeur de la lumière n’y
rencontre point d'ombre.
Elle ne comprend pas, sans doute, ni ne désire comprendre ce que l'Infini peut seul épuiser. Elle
offre sa transparence comme aux feux du soleil fait un pur vitrail, et le mystère de Jésus y flambe tout
entier.
Les rares occasions où Marie apparaît dans la vie publique du Sauveur ne semblent rapportées que
pour manifester la rigueur de son effacement 32.
On n'a d'elle aucune parole dite à l'Église après le départ de son Fils. Elle apportait un
enseignement autrement plus précieux. Tandis que les apôtres parlaient, son silence conduisait les âmes
à la Sagesse dont elle est la Mère.
C'est dans les espaces de son Cœur que les premiers fidèles sentaient naître la liberté mystérieuse
où ils se reconnaissaient avec bonheur : fils du Père et frères de Jésus.
C'est elle, en effet, le jardin fermé et le parvis solitaire, la nef pacifique et la lampe recueillie,
l'abside triomphale et l'autel translucide,
Elle, le vivant tabernacle et l'éternel reposoir,
Elle enfin :
Hâgia Sigê,
la Basilique du Silence.
27
Maurice ZUNDEL, Op. cit., p. 67.
28
Luc, II, 51.
29
Cantique des cantiques, II, 14.
30
Introït du dimanche dans l'octave de Noël. Cf. Sagesse, XVIII, 14 et 15.
31
Saint Ignace d'Antioche, Ephésiens, XIX, I.
32
Comme elles manifestent d'ailleurs l'effacement infiniment plus rigoureux de la sainte Humanité du Sauveur dans le Verbe qui est son
vrai Moi. Aussi bien quand Jésus, à Cana, semble décliner l'intervention de sa Mère, Il se borne à lui rappeler qu'Il n'entreprend rien de
Lui-même et que sa nourriture est de faire la volonté de son Père. De même que sa doctrine n'est pas sa doctrine, ses œuvres ne sont pas
ses œuvres. Son humanité est a en la main du Saint-Esprit qui donne au Verbe », comme « le grand sacrement de piété ». Elle ne saurait
se soustraire un instant à la motion divine qui règle tous les mouvements de son être sans cesser d'être elle-même. « Mère, pourquoi
vous inquiéter ? Nous sommes dans la main du Père, c'est assez de nous remettre à Lui. » Marie le comprend mieux que personne ; elle
adhère à l'obéissance de son Fils et le prodige résulte de cette double démission. (Cf. BREMOND, Histoire du sentiment religieux, III,
pp. 63, 84).
VI

Prière

SAINTE Vierge Marie, modèle des âmes contemplatives, apprenez-nous à garder notre
recueillement au milieu des complications de la vie active. ♦♦ Préservez-nous aussi bien de la fièvre de
l'activisme que des repliements subtils de l'égoïsme. ♦♦ Que jamais le bruit des choses qui passent ne
nous fasse oublier la silencieuse Présence de Celui qui en nous demeure. ♦♦ Que jamais la fascination
des choses visibles ne détourne notre cœur des splendeurs cachées du monde invisible. ♦♦ Développez
en nous le goût du silence et apprenez-nous, à votre exemple, à faire de notre action une communion
fidèle à la volonté du Père pour l'humble service de jésus dans les âmes. ♦♦ Ainsi soit-il.
TABLE DES MATIÈRES

AVANT-PROPOS
1. Le silence contribue à nous valoriser.
2. Le silence nous facilite la rencontre de Dieu .
3. Le silence nous aide à devenir plus utiles aux autres.
4. Conclusions et suggestions
5. Épilogue .
6. Prière

You might also like