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Chapitre 1 Théorie de Drude des métaux Hypotheses de base du modéle Temps de relaxation Conductivité électrique en courant continu Effet Hall et magnétorésistance Conductivité électrique en courant alternatif Fonction diélectrique et résonance plasma Conductivité thermique Effets thermoélectriques ie METAUX OCCUPENT une place assez particulidre dans etude des solides et partagent. de nombreuses propriétés qui sont inexistantes dans d'autres solides, comme le quartz, le soufre, ou le sel. Ce sont d’excellents conducteurs de chaleur ot d’électricité, ductiles et malléables ; ils présentent un lustre écla- tant sur des surfaces récemment exposées. Le défi que représente l'explication de ces propriétés est 4 Vorigine de la théorie moderne des solides. Malgré le fait, que la plupart des solides dans la nature ne sont pas mé- talliques, les métaux ont toujours joué un rdle prépondérant dans la théorie des solides depuis la fin du XIX® siécle jusqu’a nos jours. En effet, Pétat métallique s'est _avéré étre l'un des plus importants états fondamentaux de la matiére. Les éléments chimiques, par exemple, préférent l'état métallique plus des deux tiers le sont. Méme pour comprendre les non-métaux, on doit d’abord comprendre les métaux, puisque pour expliquer pourquoi le cuivre est si bon conducteur, il faut commencer par comprendre pourquoi le sel ne Pest pas. Durant le siécle dernier, les physiciens ont essayé de construire des modéles simples pour expliquer, de maniére qualitative et méme quantitative, les pro- priétés caractéristiques des métaux. Ces essais ont connu autant de brillants 2 Chapitre 1: Théorie de Drude des métaux suceés que d’échees désespérants. Méme les premiers modéles, pourtant er- ronés par certains aspects, continuent a étre, quand ils sont. correctement utilisés, d’une grande valeur pour les physiciens du solide d’aujourd’hui. Dans ce chapitre, nous allons étudier la théorie de la conduction métal- lique avancée par P. Drude? au tournant du siecle. Les succés du modéle de Drude furent considérables et_on l'utilise encore aujourd’hui en tant que ‘moyen pratique ét rapide pour se faire une idée simple et, obtenir des estima- ‘tions grossitres de certaines propriétés, dont la compréhension approfondie nécessiterait une analyse tres complexe. Les échecs de ce modéle dans la re- production des résultats expérimentaux et les difficultés conceptuelles qu'il a soulevées ont défini les problémes que la théorie des métaux allait affronter pendant les quatre décennies qui suivirent. Ceux-ci ont trouvé leur solution dans le concept riche et subtile de la théorie quantique des solides. 1.1 Hypothéses fondamentales du modéle de Drude La découverte de l’électron en 1897 par J. J. Thomson eut un impact im- médiat sur les théories de la structure de la matiére et suggéra un mécanisme évident de la conductivité dans les métaux. Trois ans aprés la découverte de ‘Thomson, Drude construisit sa théorie de la conductivité électrique et ther- mique par application de la théorie cinéti s gaz A un mél un gaz d’électrons._ Dans sa forme la plus simple, la théorie cinétique traite les molécules d’un gaz comme des sphéres solides et identiques, se déplacant en ligne droite jusqu’a ce qu’elles entrent en collision les unes avec les autres*. Le temps une seule collision est: supposé négligeable, et les forces qui interviennent de fagon momentanée dans chacune de ces collisions sont les seules forces qui agissent sur les particules Bien qu'il n’existe qu’un seul type de particules dans les gaz les plus simples, un métal doit comprendre au moins deux types de particules, puisque les électrons possédent une charge négative, alors que le métal est neutre. Drude supposa que la charge positive manquante pouvait étre attribuée & des particules beaucoup plus lourdes et considérées comme fixes. A son époque, il n’existait pas de notion précise sur lorigine des électrons, légers et mobiles, et des particules plus lourdes, chargées positivement et fixes. La résolution de ce probléme est l'un des succés fondamentaux de la théorie quantique des solides moderne. [Xu cours de cette étude du modéle de Drude, nous allons Simplement supposer (ce qui peut étre justifié pour de nombreux métaux) 1. Annalen der Physik 1, 566 et 3, 369 (1000) 2. Ow avec les parois du récipient qui les contient. Ceite possbilité est en général ignorée dans etude des metaux, sauf quand on s'intéresse a des fils trés fins, des couches fines ou des effets cle surface. Physique des solides 3 = © e FIG. 1.1 — (a) Représentation schématique d’un atome isolé (Véchelle n'est. pas réelle). (b) Dans un métal, le noyau et le coeur ionique maintiennent la configuration de Patome libre, mais les électrous de valence quittent 'atome pour former un gaz d’électrons. que lorsque les atomes d'un élément métallique se rassemblent pour former un métal, les électrons de valence se détachent et se déplacent librement dans le métal, pendant que les ions métalliques restent intacts et jouent le réle des particules immobiles de charge positive de la théorie de Drude. Ce modéle est schématisé sur la LL, ‘Un atome isolé d'un élément métallique a un noyan de charge eZ, 0 Za est le numéro atomique et ¢ la valeur absolue de la charge de Pélectron® : € = 4,80 x 10-"? unités électrostatiques (esu) = 1,60 x 10-2°C, Autour du noyau, il y a Z, électrons de charge totale —eZ,. Quelques-uns de ceux- ci, au nombre de_Z, sont des électrons de valence assez faiblement liés. Les Z, ~ Z électrons restants sont, eux, fortement liés au noyau et jouent un role beaucoup moins important dans les réactions chimiques. Is sont conus sous Quand Tes atomes a nt liés au noyau pour former I’ion métallique, alors que les électrons de valence ont la possibilité de se déplacer librement dans le métal et de s’éloigner de leurs atomes d'origine. Dans le contexte métallique, ils sont appelés électrons de conduction’. Drude a appliqué la théorie cinétique & ce « gaz» @électrons de conduction de masse m, qui, contrairement aux gaz ordinaires de molécules, se déplacent & |. Nous prendrons toujours e positis. 4, Lorsque les électrons de coeur, comme dans la théorie le Drude, jouent un role passif et que lion agit comme une entité inerte, on désigne habituellement les électrons de conduction tout simplement par « les électrons'», en gardant le terme complet pour des situations nécessitant une distinction entre les éectrons de conduction et les électrons de cxmur. 4 Chapitre 1: Théorie de Drude des métaux Vencontre d'un fond d’ions lourds et immobiles. La densité du gaz d'électrons Aber, peut étre calculée comme s Un métal ‘contient 0, 6022 x 104 atomes par mole (nombre d’Avo- gadro) et pm/A moles par cm, pm étant la masse volumique (en grammes par centimetre cube) et A la masse atomique de l’élément. Puisque chaque atome contribue avec Z électrons, le nombre d’électrons par centimetre cube, [RENT fost donne par & Leak: Uthihns Lilvo n= 0,6022 x 19% 26m (1a) 4 10° 40°? m-®, La table 1.1 présente les densités d’électrons de conduction de quelques métaux. Elles sont de Vordre de 10”? électrons de conduction par centimétre cube, variant de 0,91 x 10”? pour le césium, jusqu’a 24,7 x 10”? pour le béryllium®. Dans la méme table se trouve la mesure, largement. utilisée, de densité électronique, rs, définie comme étant le rayon d’une sphére dont le volume est égal au volume par électron de conduction, c’est-a-dire : (1.2) La table 1.1 donne r, en angstréms (10~! m) et en _unités de rayon de Bohr ao = f2/me? = 0,529 x 10“? m ; cette longueur, qui est la valeur du rayon de l'atome d’hydrogéne dans son état fondamental, est une unité ‘de mesure des distances atomiques. Remarquons que le rapport r,/ao a une valeur comprise entre 2 et 3 dans la plupart des cas. Cependant, il prend ‘des valeurs entre 3 et 6 pour les métaux alcalins, et | ak aaa Aa ire 10 dans certains composés métalliques. Ces densités sont typiquement mille fois plus grandes que les densités d’un gaz classique dans des conditions normales de température et de pression. Malgré cela et malgré les interactions électromagnétiques fortes entre élec- trons et entre les électrons et les ions, le modele de Drude décrit, de maniére audacieuse, le gaz métallique dense d’électrons avec les méthodes de la théorie cinétique d’un gaz dilu€ neutre, moyennant quelques modifications mineures. Les hypothéses fondamentales sont : (G1 Entre deux collisions, interaction d’un électron donne avec, d’une part, les autres électrons et, d’autre part, les ions est négligée. Donc, en absence je tout champ électromagnétique externe, les électrons se dépl: ‘un mouvement rectiligne uniforme. En présence de champs extérieurs, le ‘mouvement de chaque électron est déterminé par le principe fondamental de la dynamique de Newton, en tenant compte de ces champs, mais en négligeant les autres champs provenant des interactions mutuelles entre électrons et entre 5. C'est Pintervalle pour les éléments métalliques dans des conditions normales. Des densités plus élevées peuvent étre atteintes en appliquant une pression qui tend a favoriser état métallique. Des densités plus faibles sont trouvées dans les composts. Physique des solides 5 ‘TAB. 1.1 ~ Densités Blement— Z Li(@K) 1 4,70 172 3,25 Nak) 1 2.65 208 3.93 K(K) 1 1,40 257 4,86 Rb(5K) 1 115 275 5,20 Os(5K) 1 0,91 2,98 5,62 <— Max (G/a,) = $62, Cu 1 847 141-267 Ag 1 5,86 160 3,02 Au 1 5,90 159 301 z Be 2 24,7 099 187 ¢— min (a, )= 49? Mg 2: 8,61 141 266 Ca 2 461 173 (3,27 Sr 2 3.55 189 3.57 Ba 2 3,15 196 3,71 Nb 1 5,56 163 3,07 Fe 2 170 12212 Mn(a) 2 165 113214 Zn 2 13,2 122 2'30 Cd 2 9,27 1,37 2,59 Hg (78K) 2 8.65 140-265 Al 3 18,1 110.207 Ga 3 154 V6 219 In 3 115 1,27 2,41 Tl 3 105 131 2,48 Sn 4 148 172,22 Pb 4 13.2 122 2;30 Bi 5 141 119 2.25 Sb 5 16,5 113, 2,14 “A température ambiante (environ 300K) et a pression atmosphérique, sauf in- dication contraire. Le rayon rs de la sphére d’électron libre est défini dans Véquation (1.2). Nous avons sélectionné de maniére arbitraire une valeur de Z pour les éléments ayant plus d'une valence chimique. Le modéle de Drude ne donne ‘aucune justification théorique de ces choix. Les valeurs de n ont été extraites de R. W. G. Wyckoff, Crystal Structures, 2° éd., Intersciences, New York, 1963. les électrons et les ions®. L’approximation consistant a négliger les interactions électron-électron entre les collisions est, connue sous le nom d’< approximation. 6. A strictement parler, on ne néglige pas complétement Vinteraction électron-ion, puisque le modéle de Drude suppose, de maniére implicite, que les électrons sont confi- nés a Pintérieur du métal, En effet, ce confinement est engendré par l'attraction des ions chargés positivement. On peut prendre en compte les effets de telies interactions électron- électron et électron-ion en ajoutant aux champs extérieurs un champ interne bien défini représentant, en moyenne, les interactions électron-électron et électron-ion. 6 Chapitre 1: Théorie de Drude des métaux FIG. 1.2—Trajectoire d’un électron de conduction diffusé par les ions, selon l'image naive de Drude. des électrons indépendants », et celle correspondant aux interactions électron- jon est dite « approzimation des électrons libres ». Nous verrons aux chapitres suivants que gnéme si approximation des électrons indépendants est, dans différents contextes et de maniére étonnante, trés bonne, l'approximation des “dectrons libres doit étre abandonnée pour pouvoir obtenir ne serait-ce qu'une compréhension qualitative du comportement métallique. [2A tes collisions dans le modéle de Drude, comme dans la théorie cinétique, sont des événements instantanés qui changent. de maniére abrupte la vitesse ‘@'un électron, Drude les attribua aux rebonds des électrons sur les coeurs impénétrables des ions, et non aux collisions électron-électron qui constituent le mécanisme prépondérant des collisions dans un gaz ordinaire. Nous verrons par la suite que la diffusion électron-électron est en effet l'un des mécanismes de collision les moins importants dans un métal, sauf sous certaines conditions particulidres. Cependant, le mécanisme simple schématisé sur la figure 1.2 d’un élec- tron rebondissant d’ion en ion est loin de décrire la réalité’. Heureusement, pour nombre de nos objectifs, c’est sans importance : on peut comprendre de maniére qualitative (ot souvent quantitative) la conduction métallique en supposant simplement Vexistence d'un certain mécanisme de diffusion, sans vraiment en préciser la nature. En faisant uniquement appel, dans notre analyse, & certaines genéralités sur les processus de collision, nous évitons de nous compromettre en adoptant un point de vue particulier concernant la fagon dont la diffusion des électrons se produit. Ces caractéristiques imprécises sont décrites dans les hypotheses qui suivent. Nous supposons qu'un électron prend part a une collision (c’est-a-dire subit un changement abrupt de sa vitesse) avec une probabilité par unité de temps 1/r. Ce qui signifie que la probabilité pour qu’un électron subisse une “Zollision dans un intervalle de temps infinitésimal dt est simplement dé/r. Le temps 7 est connu sous différentes dénominations, telles que temps de 7 Pendant. un certain temps, les physiciens ont été amenés a considérer des problémes dificiles mais sans interet concernant le pointage correct d’un électron sur un ion dans chaque collision. Une interprétation si littérale de la figure 1.2 doit étre impérativement vine. Physique des solides 7 relaxation, ou temps de collision, ou encore, temps de libre parcours moyen, et joue un réle fondamental dans la théorie de la conduction métallique. Tl ressort de cette hypothese qu'un électron pris au hasard A un instant donné va, en moyenne, se déplacer pendant. un temps r avant sa prochaine collision, ot a, en moyenne, voyagé pendant un temps 7 depuis sa derniére collision.® Dans les applications les plus simples du modéle de Drude, le temps de col- lision 7 est: supposé indépendant. de la position et de la vitesse de l'électron. Nous verrons plus tard que ceci s’avére étre une bonne hypothése pour de nombreuses applications (mais certainement pas toutes). C4] On suppose que les électrons établissent un gquilibre thermique avec leur entourage uniquement par le biais des collisions”. Ces collisions sont, suppo- sées maintenir V'équilibre thermodynamique local de maniére particuliérement simple :,immédiatement aprés chaque collision, l’électron émerge avec une vi- {esse indépendante de sa vitesse immédiatement avant la collision, mais ayant ‘une direction aléatoire et une vitesse correspondant A la température domi- nante au lieu od la collision s’est_produite. Done, plus la température de Ja région od se déroule Ia collision est grande, plus la vitesse de V’électron émergeant est importante. Dans le reste de ce chapitre, nous allons illustrer ces notions par leurs applications les plus importantes, en indiquant. dans quelle mesure elles ont. réussi ou échoué a décrire les phenomeénes observés. 1.2 Conductivité électrique d’un métal en courant continu D’aprés la loi d’Ohm, le courant J dans un fil métallique est proportionnel & Ia chute de tension V le long du fil: V = RI, oi R, la résistance du fil, dépend de ses dimensions, mais est independante de V'intensite du courant ou de la chute de tension. Le modéle de Drude permet d’expliquer ce comportement et également de donner une estimation de la résistance du fil. On peut, en général, se débarrasser de la dépendance de R vis-a-vis de la forme du fil en introduisant une quantité caractérisant la matiére dont le fil est constitué. La résistivité est définie comme étant la constante de ortionnalité entre le champ électrique Een un point du métal et la densité de courant j qu’il induit’® : La densité de courant j est un vecteur, paralléle au flux de charges, dont la norme donne Ja quantité de charge traversant une unité de surface normale ‘8. Voir probleme 1 9. Compte tenu de approximation des électrons libres et indépendants, c’est le seul mécanisme restant. 10, Bn général B et j ne sont pas obligatoirement paralléies. On définit alors un ter da nested (oly Sea = Os at mone 4. 8 Chapitre 1: Théorie de Drude des métaux au flux par unité de temps. Alors, si un courant uniforme traverse un fil de longueur L et de section S, la densité de courant est j = I/S. La chute de ‘tension le Jong du fil étant V = EL, alors V = IpL/S, et ainsi on obtient ji maintenant n électrons par unité de volume se déplacent ensemble avec une vitesse v, alors la densité de courant quvils engendrent est proportionnelle av. De plus, en un temps dt, les électrons se sont. déplacés d’une distance égale udt dans la direction de v, de telle maniére que n(vdt)S électrons traversent la surface $ normale a la direction du flux. Puisque la charge portée par chaque électron est ~e, la charge totale traversant S pendant V'intervalle de temps dt est —nevSdt, et par conséquent Ja densité,d/électrons est donnée Bw ee ‘En tout point d'un métal, les électrons se déplacent dans différentes direc] > tions et avec différentes énergies thermiques. Le courant résultant est don 1.4) oi v est maintenant la vitesse électronique moyenne! Tabsence de champ électrique, la vitesse d’un électron a autant de chance = etre orientée dans un sens que dans un autre, si bien que la vitesse moyenne Ess op Vo=o est mulle, et, comme on pouvait s'y attendre, il n’y a aucune densité de cou- = rant résultante. En revanche, la présence d’un champ électrique E induit une vitesse électronique moyenne dirigée dans le sens opposé de celui de E (la charge électrique étant négative), vitesse que nous pouvons calculer comme suit. idérons un 6k instant. zéro. ion. La vitesse de Péectron a Vinstant véro est done Ta somme 5 Fo de sa vitesse vo immeédiatement apres cette collision et, de la vitesse supplé- “> F=~€ & mentaire —eE¢/m qu’il a acquise pendant le temps t. Puisque nous supposons. = t & que l’électron émerge de la collision dans une direction aléatoire, vp ne contri- « de bue pas a la vitesse électronique moyenne, qui est done donnée uniquement de par la moyenne de ~eEt/m. Or la moyenne du temps t est égale a oe de relaxation 7. Alors o> Ve Ve-gEb => Vem = —S 2 Heap eee i= (* je (1.5) m m On réécrit, habituellement ce résultat, en termes de Vinverse de la résistivité, Cest-a-dire de la conductivitélo = 7] (1.6) Ceci établit une dependance linéaire de j vis-a-vis de E et donne une esti- mation de la conductivité en fonction des quantités qui sont toutes connues,

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