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MISE AU POINT

P. Tzaut Sciarini [ L’art-thérapie en psychiatrie de l’âgé


L’idée que la vieillesse est un obstacle majeur le, puis l’élaboration des problématiques au
à la créativité est controversée. La présente travers des interactions groupales. La repré-
contribution suggère qu’il est possible de mobi- sentation est favorisée par la richesse et la
liser le potentiel créatif de l’âgé. Utilisées avec polysémie du langage artistique. Les effets thé-
une visée thérapeutique, les médiations artis- rapeutiques observés sont notamment la mise
tiques peuvent faciliter l’expression des émo- en perspective des événements passés, la réaf-
tions quand il est trop difficile pour le patient firmation de l’identité par l’acte de signature,
âgé de parler directement de sa souffrance. Le le réinvestissement de la vie imaginaire et d’un
recours à différents modes d’expression non espace propre et l’accroissement des échan-
verbale rend possible l’émergence de la paro- ges verbaux groupaux.

Mots-clés : Introduction présumée inhibitrice peut être au contraire


쐌 psychiatrie gériatrique mobilisatrice et devenir par là une source de
e développement récent de l’art-thérapie en créativité. Recourir à l’art pourrait être pour le



art-thérapie
créativité
groupe L psychiatrie de l’âgé participe de l’intérêt
porté depuis quelques années à la souffrance
psychique de la personne âgée et aux défis que
sujet âgé un moyen de manifester son besoin de
survie, une sorte «d’assurance contre la mort».3
Cette conception selon laquelle le vieillisse-
celle-ci nous impose. A titre d’exemple, on peut ment et l’angoisse de mort peuvent être une
mentionner les difficultés d’expression et de source de créativité peut paraître un peu provo-
communication des émotions chez les sujets catrice. Elle renvoie pourtant aux relations
atteints sur le plan cognitif. L’appréhension de la mieux connues que Mélanie Klein4 et Didier
dépression, si fréquente chez l’âgé, est rendue Anzieu5 ont établies entre l’expérience de perte
plus difficile : des «expressions psychologiques ou de deuil, le désir de réparation, et les phéno-
différenciées sont perdues»,1 ce qui amène cer- mènes de création : la créativité aiderait à sup-
tains gériatres à préconiser des outils nouveaux, porter la perte et permettrait de lutter contre la
dont fait partie l’art-thérapie. Cette approche offre dépression. Dans le même ordre d’idées, et dans
des possibilités de communication non verbale le contexte de l’apparition en gériatrie du
quand la parole, perturbée par exemple dans la concept de fragilité, Hermans6 suggère qu’il
démence, ne suffit plus.2 Pourtant, parler d’art- existe des rapports intimes entre la fragilité et la
thérapie chez l’âgé ne va pas de soi. D’abord créativité. L’expérience pilote menée à l’Hôpital
parce cela renvoie implicitement à la notion de Charles-Foix d’Yvry-sur-Seine, en France, sem-
Art-therapy in psychiatry with créativité, laquelle est sujette à controverse ble en témoigner. Depuis les années 70, cet
the elderly quand il s’agit de l’envisager à un âge avancé : hôpital propose aux personnes âgées des ateliers
The idea that old age hinders on associe volontiers processus de vieillissement où elles peuvent venir librement s’initier à la
creativity is controversial. The et involution des capacités créatrices. La ques- peinture, à la sculpture ou à d’autres techniques
present contribution maintains tion de la créativité de la personne âgée est dis- artistiques. Un maximum d’autonomie est laissé
that the creative potential of
the elderly can be mobilized.
cutée au début de cette contribution. Elle est aux patients dans leur travail de création, afin de
Applied to therapeutic purposes, suivie d’une présentation de l’art-thérapie et de compenser la dépendance dans laquelle les
the artistic mediations can ses applications possibles auprès de personnes place souvent leur dégradation physique et
facilitate the expression of âgées. Une expérience dans un service de psy- intellectuelle.
emotions, when it is too difficult chiatrie gériatrique permet ensuite d’illustrer Pour Colin, qui a travaillé comme artiste
for the elderly to talk about
his/her suffering. The use of notre pratique clinique en art-thérapie et d’en pendant de nombreuses années dans ces ate-
non verbal expression modes décrire les principales indications. liers, «l’imaginaire ne semble jamais vieillir, au
helps patients to voice their contraire, les années semblent l’enrichir».7 De
emotions and to elaborate on manière similaire, Lizotte8 considère qu’invo-
them through group’s inter-
actions. The richness and
Créativité et grand âge lution cérébrale et involution créatrice ne vont
polysemy of the artistic pas forcément de pair : il semble que l’on puis-
a vieillesse est facilement associée aux se observer un vieillissement différentiel des

L
language helps representation.
Our experiments reveal various notions de passivité, de résignation et de fonctions. Si l’on en croit ces différents auteurs,
therapeutic effects such as the repli sur soi. De même, l’idée selon laquelle les médiations artistiques n’apparaissent pas
putting in perspective of past
events, the reaffirmation of la personne âgée est hostile au changement et à plus ni moins indiquées pour des personnes
one’s self through the act of la nouveauté, a tendance à se replier sur des âgées que pour des personnes plus jeunes.
signing, the reinvestment of rituels et des habitudes – attitude qui aurait une Même si l’on observe une diminution du
one’s imaginary life and own fonction de défense contre l’angoisse de mort – potentiel créatif à partir de la soixantaine, ce
space and the increase of
verbal interactions within the
est aussi largement répandue. Ces caractéris- potentiel peut être mobilisé. Il révèle alors l’o-
group. tiques seraient des obstacles majeurs à la créativi- riginalité expressive du sujet âgé,9 comme en
té. Pourtant, des auteurs comme Laforestrie et témoigne le très beau livre de Laforestrie, inti-
Med Hyg 2004 ; 62 : 1438-42 Lizotte renversent cette perspective : l’angoisse tulé précisément «L’âge de créer».10 Il s’agit

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dès lors de voir comment cette créativité peut tions des personnes âgées figurent les deuils dif-
être mise au service d’une démarche explicite- ficiles à faire, l’incapacité à s’adapter aux pertes
ment art-thérapeutique. successives, l’absence de perspectives d’avenir
si ce n’est celle de la mort. Wilks et Byers15
considèrent que les médiations artistiques sont
Qu’est-ce que l’art-thérapie ? très utiles et facilitatrices pour aider les patients
âgés à aborder ces problématiques difficiles, et
’art-thérapie utilise les techniques artis- pour les élaborer. Un autre type de travail auquel

L tiques telles que le collage, le dessin, la pein-


ture, le modelage – souvent associées à l’é-
coute musicale ou à l’écriture poétique – comme
l’art-thérapie chez l’âgé se prête bien est ce qu’on
pourrait appeler la création d’un récit de vie. Une
vie humaine est faite d’incohérences autant que
mode d’expression de la vie émotionnelle du d’événements qui font sens, et «les années de
sujet. On peut discerner schématiquement deux vieillesse sont souvent consacrées à l’explora-
grandes approches dans le vaste champ des thé- tion de ces incohérences, à la recherche d’une
rapies artistiques. structure compréhensible dans l’écheveau des
Premièrement, l’approche qui s’intéresse au erreurs passées».16 Les médiations artistiques
processus de mise en forme. Cette approche pri- sont un bon moyen de faire ce travail : «des ima-
vilégie l’expérience vécue dans la création de ges du passé peuvent être représentées.
l’œuvre. Elle repose sur l’idée que la force de D’autres images peuvent faire resurgir des sou-
donner une forme peut tirer un facteur productif venirs par le biais des associations d’idées et de
du processus destructif de la maladie.11 S’im- la discussion. Le thérapeute et les membres du
pliquer pleinement dans une réalisation, les élans, groupe peuvent apporter des points de vue nou-
les hésitations, les essais, les erreurs, les décep- veaux sur d’anciens conflits».17 Ce travail de
tions, la satisfaction voire le plaisir intense que cet «révision de vie» permet par ailleurs de retrou-
acte procure, c’est traverser un processus structu- ver des éprouvés heureux qui sont une source
rant et organisateur pour la personnalité de celui de plaisir très gratifiante.
qui est «en train de faire». Dans cette approche, la Enfin, Soler et Sudres18 proposent une
mobilisation de la créativité du sujet apparaît application intéressante de l’art-thérapie avec
comme le principal facteur de changement. des patients Alzheimer. Ils observent notamment
Deuxièmement, l’approche qui utilise la une valorisation narcissique repérable dans l’ap-
production comme médiation pour un travail ver- propriation par les patients de leur production,
bal. Cette approche considère la production une mobilisation des mnésies originaires et des
comme un langage non verbal, un moyen de se relations d’objet, un accroissement des échanges
représenter avant de se dire.12 La représentation verbaux groupaux et une diminution des condui-
sous forme d’image peut faciliter, dans un tes d’agitation motrice.
deuxième temps, l’émergence de la parole.
Dans cette approche, le travail de secondarisation,
soutenu par le cadre et le thérapeute, est le prin- L’art-thérapie en psychiatrie
cipal facteur thérapeutique. A noter toutefois que gériatrique : une expérience
l’art-thérapie explore toujours un espace d’entre-
deux, qui se situe entre le corps (les couleurs, les
clinique
matières, les sonorités, etc.) et les mots. A ce titre,
s’il est vrai que le langage plastique peut aider à n 1995, un atelier expérimental d’art-théra-
dire, cet espace intermédiaire accorde aussi une
place à tout ce qui est exprimé de manière non
verbale et qui ne peut pas toujours être dit.
E pie19 a été ouvert dans une unité intra-hospi-
talière du service de psychiatrie gériatrique
des Hôpitaux universitaires de psychiatrie de
Genève. Cette expérience s’est poursuivie,
depuis 1999, par l’introduction de différents
L’art-thérapie avec les personnes groupes d’art-thérapie dans un hôpital de jour.
âgées Ceci nous a amené à développer un modèle de
pratique20 qui s’inspire de la deuxième appro-
a peur de l’échec est un premier obstacle à che en art-thérapie évoquée précédemment, à

L surmonter dans les ateliers d’art-thérapie


avec des personnes âgées. La détérioration
des facultés physiques ou intellectuelles est à
savoir celle qui utilise la production comme
médiation pour un travail verbal.
Un atelier d’art-thérapie se divise en deux
l’origine de cette peur. Par ailleurs, les personnes temps. Premièrement, un temps de réalisation,
âgées n’ont pas avec les modes d’expression personnel et individuel, où chacun est centré
artistiques la même familiarité que peuvent sur sa production et fait en quelque sorte corps
avoir les personnes des générations suivantes.13 avec elle. Deuxièmement, un temps de parole
Ces particularités exigent une attitude active- et d’échange, plus collectif, où chacun est invité
ment soutenante et revalorisante de la part de à évoquer les sentiments, émotions ou pensées
l’art-thérapeute.14 qui ont pu émerger lors de la première partie.
Parmi les thèmes récurrents dans les produc- Une distance s’établit par rapport à la produc-

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tion, ne serait-ce que parce qu’elle est livrée au çant pour le patient, comme on l’observe sou-
regard d’autrui. Il est important de noter ici que vent dans la psychose. Les mots sont pris pour
la recherche d’un objet esthétiquement réussi des choses, ils peuvent être vécus comme très
n’est pas le but de la démarche. L’image regar- dangereux. En revanche, les patients psychoti-
dée après coup agit simplement parfois comme ques se lancent souvent volontiers dans une
un révélateur, la personne réalisant par exemple activité picturale, même s’ils ne parlent pas faci-
que certains choix (couleurs, formes, contenus) lement de ce qu’ils ont fait. On essaiera ensuite
sont en liens avec sa réalité, actuelle ou passée de mettre en mots ce qui a été exprimé par la
(humeur, événements, etc.). La présence d’un peinture, mais si le patient ne souhaite pas en
tiers (thérapeute, groupe) facilite ces activités parler, on respectera absolument sa réserve. La
psychiques d’élaboration, au travers des échan- médiation peut néanmoins faciliter l’entrée en
ges et des interactions. relation avec les autres membres du groupe,
Le rôle central du groupe doit être souligné sans avoir à s’impliquer trop ouvertement.
ici. L’expression spontanée et les associations L’exemple de Mme Z., qui souffre d’un trou-
d’idées des participants autour des productions ble psychotique, est une bonne illustration de ce
des autres sont un élément important des effets type d’indication. Mme Z. se sent très facile-
thérapeutiques que l’on observe dans l’atelier. ment persécutée, si bien qu’elle s’efface dans
C’est une approche qui se démarque fortement les groupes, parle le moins possible, voire s’en-
d’une approche interprétative venant du théra- dort. Elle participe à un groupe d’art-thérapie
peute. Il est d’ailleurs très productif de redistri- dans lequel chaque participant est invité à réali-
buer les problématiques soulevées ou les ques- ser la pièce d’un puzzle pour aboutir à une pein-
tions posées à l’intérieur du groupe chaque fois ture collective. Dans l’atelier, Mme Z. est réti-
que s’observe une tendance à se focaliser sur le cente à choisir une partie et laisse les autres
thérapeute. Si une question est posée par exem- choisir avant elle. Puis elle trace simplement le
ple par rapport à une difficulté particulière, on pourtour de sa pièce. A la séance suivante, elle
demandera aux autres membres du groupe ce amène quelques couleurs à l’intérieur. Puis elle
qu’ils en pensent et ce qu’ils feraient s’ils étaient se lance dans un coloriage plus audacieux, qui
confrontés à une difficulté similaire. provoque beaucoup d’excitation chez elle. Son
excitation est mêlée de la crainte de faire de
l’ombre aux autres. Loin de se montrer jaloux,
Quelques exemples d’indication ceux-ci admirent ce que Mme Z. a peint et lui
témoignent leur satisfaction de voir sa pièce occu-
otre pratique clinique nous a amenés à per sa place dans l’ensemble. Elle raconte alors

N préciser pour quels types de problèmes


l’art-thérapie peut être indiquée. Pour les
patients souffrant de troubles psychiques avec
de précédentes occasions en psychiatrie, puis
chez elle, où elle a modelé des figurines en argi-
le pour «sortir ce qu’il y a au-dedans quand elle
ou sans troubles cognitifs associés, on peut dire bout à l’intérieur». Quand on lui demande pour-
qu’il s’agit toujours de faciliter l’expression des quoi elle n’essaie pas plutôt de parler dans ces
émotions quand il est trop difficile de parler direc- moments-là, elle explique que dire les choses
tement de sa souffrance, de ses difficultés. avec des mots est beaucoup trop compliqué,
Premièrement, l’art-thérapie peut être indi- qu’on risque de ne pas être compris et de se
quée quand le patient paraît confronté à une dif- faire des ennemis. Utiliser une médiation aide
ficulté indicible, qui échappe au langage. C’est le cette patiente à entrer en relation avec les autres
cas par exemple dans certains troubles psycho- membres du groupe sans avoir à s’impliquer
somatiques, où les difficultés sont déplacées trop ouvertement. Leurs commentaires positifs la
vers une symptomatologie somatique ; ou encore rassurent, elle constate qu’elle peut se faire plai-
dans la psychose où le sujet est aux prises avec sir et prendre sa place sans gêner les autres.
une angoisse «pure» qu’il n’arrive pas à formu- Troisièmement, l’art-thérapie peut être indi-
ler. Dans les deux cas, le problème vient de ce quée quand l’usage des mots est perturbé par
que l’affect n’est pas lié à une représentation, l’inhibition et le ralentissement psychomoteur
laquelle permettrait de donner un sens à l’an- que l’on rencontre dans la dépression. Les asso-
goisse. Aulagnier21 suggère alors de proposer au ciations d’idées sont pauvres, le patient a l’im-
sujet un support extérieur, une médiation aux- pression d’avoir la tête vide, de manquer d’idées,
quels relier l’affect envahissant. Par exemple : etc. Ici, le recours au langage non verbal peut
«Vous vous sentez très mal ? Prenez un crayon, aussi être utile. Les symboles plastiques sont un
à quoi cela ressemble ? A un gribouillage con- mode de représentation indirecte et figurée d’une
fus ? Pouvez-vous décrire ce gribouillage» ? Un idée. Ils n’ont pas de définition aussi exacte et
dialogue peut alors s’instaurer. En d’autres ter- codée que le langage verbal, où le signifiant ren-
mes, il s’agit de proposer des représentations à voie à un seul signifié. Il y a dans les symboles
lier aux affects qui soient plus adéquates que le plastiques une polysémie qui permet parfois de
délire ou les plaintes psychosomatiques. déparalyser l’expression.22 La représentation
Deuxièmement, l’art-thérapie peut être sous forme d’image peut alors faciliter l’émer-
indiquée quand l’usage des mots est trop mena- gence de la parole.

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L’exemple de Mme B., qui souffre d’un trou- souvent privée d’un espace où exprimer ses
ble bi-polaire, nous semble parlant. Cette patien- désirs, sa singularité, son originalité. L’art-théra-
te oscille entre des périodes de dépression pen- pie offre une occasion de s’exprimer et d’agir de
dant lesquelles elle ne parle quasiment pas, disant manière autonome sans prendre trop de risques.
simplement qu’elle ne «se sent pas bien», et des Dans les ateliers, nous constatons que les échan-
périodes d’intense activité où elle parle beaucoup ges verbaux et l’intérêt des patients augmentent
plus facilement. Dans ces moments-là, elle n’a quand il s’agit de savoir «qui a fait quoi», puis,
plus accès au contenu des pensées qui caractéri- pour chaque patient, de reconnaître sa propre
sent ses phases dépressives. Il lui est donc très dif- production et de la signer. Cet acte de signature,
ficile d’élaborer quelque chose de sa souffrance: loin de laisser les patients indifférents, est sou-
soit elle n’en parle pas, soit tout va bien. Dans un vent réalisé avec beaucoup de sérieux. Il semble
atelier d’art-thérapie du même type que dans que ces «traces» peintes soient favorables à la
l’exemple précédent, Mme B. choisit une esquis- réappropriation par le sujet du sentiment de son
se où figure un personnage immergé dans l’eau identité, de ce qui lui appartient en propre, quel
qui a les mains en porte-voix. Mme B. peint dans que soit son degré de dépendance.
la hâte, comme pour avoir fini le plus vite possible L’exemple de Monsieur F., qui souffre d’un
[ Bibliographie et paraît ne pas avoir le moindre plaisir. La séan- état dépressif avec anxiété et d’une démence
ce suivante, elle s’attarde sur l’image du baigneur débutante, permet d’illustrer notre propos. M. F.
1 Strnad J. La pertinence du concept
de dépression chez les personnes qu’elle trouve bâclée, la retravaille, la «soigne». est totalement dépendant de son épouse et se
âgées. Med Hyg 2002 ; 60 : 11514. Pour elle, c’est un enfant qui appelle. Elle l’asso- sent un poids pour elle. Il est atteint d’une poly-
2 Hermans P. Art-thérapie en court
séjour gériatrique : places et fonc- cie à son petit-fils qui lui manque beaucoup et arthrite rhumatoïde qui rend sa motricité fine
tions. In Créativité et art-thérapie en qu’elle n’ose plus inviter quand elle est dépressi- autant que ses déplacements très difficiles. A son
psychiatrie (Moron P, Sudres J-L,
Roux G éd.), Paris : Masson, 2003 ;
ve. Une discussion s’ensuit dans le groupe au arrivée à l’hôpital de jour, il s’exprime rarement
158-66. sujet de la honte de la maladie mentale et de la dans les groupes sans sollicitation. Quand il
3 # Lizotte A, Bendjilali D, Gaborit De tendance à la cacher, même à sa propre famille. prend la parole, la peur, l’inquiétude, l’auto-
Montjou L, Moreira F. Utilisation de
l'art en gériatrie. Actualités Psy- Après en avoir parlé devant des témoins qui par- dévalorisation sont au premier plan, très souvent
chiatriques 1985 ; 10 : 86-94. tagent le même genre d’expérience qu’elle, elle liés à la perte de son autonomie qu’il évoque
4 Klein M. Envie et gratitude. Paris :
Gallimard, 1968. paraît soulagée, se sentant probablement moins comme un problème douloureux. Quand il par-
5 Anzieu D. Le corps de l'œuvre. seule, moins isolée. ticipe pour la première fois à un groupe d’art-
Essais psychanalytiques sur le travail
créateur. Paris: Gallimard, 1981.
Dans cet atelier, l’image de l’enfant semble thérapie, il manifeste du plaisir à explorer la pa-
6 Hermans P. Les maladies rhumatis- avoir «soutenu la pensée» de cette patiente pen- lette des couleurs, plaisir qui s’accentue quand
males du 4e âge. Proceedings, 15th dant tout le temps où elle l’a travaillée. Elle lui nous l’encourageons à peindre avec les mains,
Winter Meeting Oostende 1992.
Société belge de gérontologie et de a permis d’identifier une des raisons de sa souf- compte tenu de ses difficultés à tenir un pin-
gériatrie. Leuven: Apeldoorn. Garant. france, la honte de la maladie, ce qu’elle n’aurait ceau. Un jour, il peint un chemin d’une forme
J.-P. Baeyens (Ed), 1992.
7 Colin B, Laforestrie R, Missoum G, peut-être pas pu faire sans le support d’une ondulée. Il le commente en disant que «ce che-
Berthaux P. Un atelier de peinture image. Surtout, elle n’aurait peut-être tout sim- min, c’est tout lui, c’est sa vie : tourmentée, faite
dans un hôpital pour personnes
âgées. La revue de gériatrie 1979 ; plement pas pris la parole. de creux et de bosses», de hauts et de bas. Quel-
7 : 359-68. Une quatrième indication concerne les qu’un remarque que de chaque creux du che-
8 Op. cit.
9 Sudres J-L. La créativité de l'âgé : de
patients qui ont des troubles cognitifs associés à min émergent des arbres. Nous suggérons que
l'identification de la notion aux appli- leur pathologie psychiatrique: quand les capacités les «creux de la vague», comme tous les épiso-
cations. Homo. Psychologie, éduca- langagières se détériorent, il apparaît opportun des de crise, sont très douloureux mais peuvent
tion, anthropologie 1993; 23: 33-
52. de recourir à un langage non verbal, moins élabo- aussi être féconds. Les échanges dans le groupe
10 Laforestrie R. L'âge de créer. Paris : ré, moins complexe mais plus immédiat que le s’organisent alors autour du thème des dangers
Ed. Centurion, 1991.
11 Prinzhorn H. Expression de la folie. langage verbal. Notre expérience clinique nous et des opportunités que représentent les épreu-
Paris : Gallimard, 1922 (traduction amène d’ailleurs à constater que les patients ves de la vie. M. F. est très impliqué dans cette
française : 1984).
12 # Duflot C. L'art, la thérapie. Atten-
souffrant de démence abordent les médiations discussion. Par la suite, il prend de plus en plus
tion... ne pas confondre! Le journal artistiques avec une moins grande inhibition que de liberté et d’assurance, parlant avec fierté de
des psychologues 1992-1993; 103: les patients souffrant de troubles psychiques sans ce qu’il fait, tenant à dater et signer ses produc-
26-30.
13 Laurin P. Intervention artistique dans troubles cognitifs associés, «comme si le proces- tions. Il exprime son souhait de poursuivre une
un service de gérontologie : un ate- sus de dégénérescence créait une perte d’inhi- activité picturale après la fin de son suivi à l’hô-
lier d'art-thérapie pour des patients
atteints de maladie d'Alzheimer. bition propice à la création».23 Pour ce type de pital de jour. Cette expérience dans les groupes
NPG Neurologie-Psychiatrie-Gériatrie patients, les productions sont souvent l’occasion d’art-thérapie est probablement une découverte
2004 ; 19 : 29-40.
14 # # Wilks R, Byers A. Art therapy d’évoquer, à partir de leur contenu, des souve- importante qu’il a pu faire lors de son suivi à
with elderly people in statutory care. nirs anciens. Cette observation peut être rap- l’hôpital de jour, en termes de possibilités de
In Art therapy : A handbook (Waller
D, Gilroy A éd.), Buckingham – Phi-
prochée de l’activation des mnésies originaires dépassement de ses difficultés et d’investisse-
ladelphia : Open University Press mentionnée par Sudres.24 ment d’un espace propre, malgré sa perte d’au-
1997 ; 90-104. Enfin, toujours pour les patients souffrant de tonomie.
15 Ibid.
16 Hillman J. La force du caractère. troubles cognitifs, une dernière indication a trait
Paris: Ed. Robert Laffont, 2001 ; 15. à la perte d’autonomie et de repères identitaires
17 Wilks R, Byers A. op. cit., p. 96.
18 Soler C, Sudres J-L. Maladie d'Al- auxquels conduit progressivement leur maladie. Conclusion
zheimer et psychothérapie médiati- La personne âgée démente devient toujours plus
sée plastique : impacts cliniques et
perspectives. Revue française de
dépendante, elle est confrontée à un rétrécisse- La personne âgée, particulièrement si elle
psychothérapie et psychologie médi- ment progressif de son champ d’action et se voit souffre d’une atteinte cognitive, est confrontée

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cale 1998 ; 20 : 54-6. à toutes sortes de pertes irréversibles. Elle doit occupant une place aussi importante que la
19 Tzaut P, Baron U. Art-thérapie en
psychiatrie gériatrique : perspecti- «faire avec» sa maladie, et ce souvent dans une médiation artistique proprement dite. Sa fonc-
ves et pistes de recherche. Psycho- situation de précarité relationnelle, si ce n’est tion dépasse largement un simple but de sociali-
thérapies 1998 ; 18 : 151-7.
20 Tzaut P. Pour une art-thérapie en dans la solitude. La blessure narcissique est telle sation : le groupe peut servir de levier dans un
gérontopsychiatrie : exemples clini- qu’il est parfois très difficile voire impossible processus de changement, au sens où il amène la
ques et réflexions. In Créativité et art-
thérapie en psychiatrie (Moron P, Su-
d’en parler. Nous avons voulu illustrer comment personne à voir autrement ce qu’elle fait et ce
dres J-L, Roux G éd.), Paris : Masson, l’art-thérapie peut aider le patient à sortir de son qu’elle est. Enfin, l’acceptation de la maladie ne
2003 ; 193-206. isolement et à exprimer sa souffrance, ses émo- semble pouvoir s’envisager sans une valorisation
21 Aulagnier P. Du langage pictural
au langage de l'interprète. Topique tions, ses désirs. Cette approche thérapeutique des ressources existantes. Ces ressources peuvent
1981 ; 26 : 29-54. nouvelle apparaît souvent comme une excellente s’éprouver ou se découvrir dans un espace où il
22 Wiart C. De l’utilisation de l’ «art» –
création ou expression plastique – médiation pour parler de soi de manière indirec- est encore possible d’agir, de jouer, d’inventer et
en psychothérapie, de sa spécificité te, symbolique, imagée. Notre pratique clinique d’établir des relations de manière autonome : un
et de ses relations avec les psycho- 쎱
thérapies verbales. Soins psychiatrie
nous amène par ailleurs à considérer le groupe espace de créativité.
1985 ; 56-57 : 5-7. comme un outil thérapeutique à part entière,
23 # Lairez-Sosiewicz N. Peindre et
communiquer avec les personnes
âgées désorientées. Lyon : Ed.
Chronique Sociale, 2002 ; 27.
24 Op. cit
Implications pratiques
쐌 L’art-thérapie offre des possibilités élargies raissent inappropriés ou trop menaçants (psy-
[ Adresse de l’auteur : d’expression de la souffrance psychique de chose), ou quand les capacités langagières se
Mme Pascale Tzaut Sciarini l’âgé, quand le recours au langage devient dif- détériorent (démence)
Service de psychiatrie ficile 쐌 Les problématiques telles que les pertes, les
gériatrique
쐌 L’art-thérapie est utile quand l’usage des mots deuils, l’absence de perspectives d’avenir peu-
Belle-Idée
2, Chemin du Petit Bel-Air est perturbé par l'inhibition et le ralentissement vent être représentées de manière symbolique
1225 Chêne-Bourg psychomoteur (dépression), quand les mots pa- et imagée, puis élaborées en groupe

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PROVE IT-TIMI 22 – Evidence based medi- avec LDL inférieur à 3,2 mmol/l en
termes de réduction du risque
la sélection des patients à mettre
sous traitement hypolipémiant
cine et ses conséquences pour la pratique d’accident cardiovasculaire. Pour agressif doit être faite avec le plus
quotidienne les collègues exerçant en cabinet, grand soin.» 쎱
cette étude souligne une fois de
plus l’importance d’un traitement
systématique par des doses suffi-
L’étude PROVE IT-TIMI 22 a exami- doses élevées d’atorvastatine (80 samment élevées de statine. Il
né la question de savoir si les mg). La réduction du risque relatif reste à montrer dans quelle mesu-
patients atteints d’un syndrome atteignait 16% (p = 0,005). Pour les re les patients coronariens, en rè-
coronarien aigu (SCA) bénéficiaient cliniciens que nous sommes, ça gle générale âgés et présentant
davantage après deux ans d’un signifie que nous devrions démar- une morbidité multiple, sont capa-
traitement hypolipémiant (LDL) pré- rer un traitement intensif de stati- bles de tolérer un traitement hypo- - Cannon CP, Braunwald E, et al. for the
coce sous forte dose d’atorvasta- ne encore pendant le séjour hospi- lipémiant (LDL) aussi agressif en Pravastatin or Atorvastatin Evaluation and
Infection Therapy – Thrombolysis in Myo-
tine 80 mg/jour versus une dose talier des patients après SCA. Les pratique. Seulement 1,1% des pa- cardial Infarction 22 Investigators. Com-
standard de pravastatine 40 mg/ valeurs de LDL conservent toute- tients sous doses standards de parison of Intensive and Moderate Lipid
Lowering with Statins after Acute Coronary
jour. Ne manquez pas de lire l’in- fois toute leur importance : chez pravastatine 40 mg et 3,3% sous Syndromes. N Engl J Med 2004 ; 350 :
terview avec le Pr T. F. Lüscher les patients dont le taux de LDL atorvastatine 80 mg présentaient 1495-504
- PROVE IT-TIMI 22. PRavastatin Or Ator-
(USZ) : «Le fait que les patients qui était > 3,2 mmol/l la réduction du des valeurs d’ALAT, une enzyme Vastatin Evaluation and Infection Therapy –
avaient des valeurs basses de LDL risque relatif était de plus de 30%, hépatique, supérieure à 3 fois la Thrombosis in Myocardial Infraction 22.
bénéficient significativement d’un tandis que les effets du traitement norme supérieure (p<0,001). J’au-
traitement précoce de statine est étaient moindres en cas de valeurs rais tendance à rejoindre les au-
de LDL plus basses (7%). En fait, teurs de l’étude, qui estiment que Informations :
en soi très remarquable. Le taux
d’accidents vasculaires à deux chez près de trois quarts des pa- les risques d’effets indésirables et www.just-medical.com
Eveline Cornacchia
ans était en moyenne de 26,3% tients inclus dans l’étude, les effets d’interactions doivent être pesés dr-ouwerkerk ag
sous doses standards de pravasta- des deux statines étaient pratique- dans chaque cas face aux bénéfi- 6340 Baar
tine (40 mg) et de 22,4% sous ment équivalents chez les sujets ces potentiels du traitement et que Tel. 041 766 11 46

1442 Médecine&Hygiène 2489, 30 juin 2004 쐌 www.medhyg.ch www.medhyg.ch 쐌 Médecine&Hygiène 2489, 30 juin 2004 0000

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