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FREUD,
LA V I O L E N C E ET LA D É P R E S S I O N

L ' œ d i p e e t le n a r c i s s i s m e
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LE FAIT PSYCHANALYTIQUE
Collection dirigée par
Pierre Luquet
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FREUD,
LA V I O L E N C E ET LA D É P R E S S I O N

L'œdipe et le narcissisme
PAR

JEAN B E R G E R E T

PRESSES UNIVERSITAIRES DE F R A N C E
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OUVRAGES DÉJA PUBLIÉS

Bergeret (J.) et coll., Abrégé de psychologie pathologique, Paris, Masson, 1972,


5 édition, éd. revue et corrigée, 1994.
Bergeret (J.), La dépression, Paris, Payot, 1975, rééd. 1992.
Bergeret (J.), La personnalité normale et pathologique, Paris, Dunod, 1978, 3 édi-
tion.
Bergeret (J.) et coll., Le toxicomane et ses environnements, Paris, Presses Universi-
taires de France, 1980.
Bergeret (J.), Le psychanalyste à l'écoute du toxicomane, Paris, Dunod, 1981 (en
collaboration avec Michel Fain et Marc Bandelier).
Bergeret (J.), Toxicomanie et personnalité, Paris, Presses Universitaires de France,
1982, 4 édition, 1994.
Bergeret (J.), Leblanc (J.) et coll., Précis des toxicomanies, Paris, Masson, 1983;
rééd. 1984.
Bergeret (J.), La violence fondamentale, Paris, Dunod, 1984.
Bergeret (J.), Les interrogations du psychanalyste, Paris, Presses Universitaires de
France, 1987.
Bergeret (J.), Reid (W.) et coll., Narcissisme et états-limites, Paris, Dunod, 1986.
Bergeret (J.), Le Petit Hans et la réalité, Paris, Payot, 1987.
Bergeret (J.), Le toxicomane parmi les autres, Paris, Odile Jacob, 1990.
Bergeret (J.), La violence et la vie, Paris, Payot, 1994.

ISBN 2 13 046430 0

Dépôt légal — 1 édition : 1995, mars


© Presses Universitaires de France, 1995
108, boulevard Saint-Germain, 75006 Paris
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Introduction

Au cours des séminaires ou des colloques que j'anime assez


régulièrement en France ou à l'étranger, beaucoup de collègues
m' ont fait part de leur désir de me voir présenter un recueil facile-
ment utilisable de mes principaux travaux de manière à ouvrir et
éclairer davantage encore un débat sur différents ordres de
réflexion envisageables de nos jours en matière de clinique et de
théorie psychanalytiques.
Je suis reconnaissant aux Presses Universitaires de France
d'avoir accepté de publier un ouvrage répondant à cette demande,
en reprenant des articles parus au cours de ces dernières années et
auxquels j'ai pensé nécessaire d'ajouter deux chapitres inédits
résumant, pour l'essentiel, plusieurs de mes autres travaux.
Après un certain nombre d'années de pratique de l'analyse, je
me suis senti insatisfait de toute une partie du discours tenu sur
notre clinique quotidienne et sur les points de vue théoriques qui
entendent en expliquer les données. De plus, ce discours en géné-
ral trop limitatif parce que trop répétitif ne me semble pas
répondre aux différents niveaux d'investigation suggérés par
Freud, et à tous les développements qu'il nous a lui-même propo-
sés, en bien des directions.
Il ne s'agit pas en effet d'adresser des reproches à Freud et ni
aux principaux auteurs qui l'ont suivi sous le prétexte qu'ils n'au-
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raient pas d'emblée tout conçu d'une façon complète et définitive-


ment élaborée. On ne peut tenir rigueur à Pasteur de n'avoir pas
décrit les causes de l'allergie ; on ne saurait de même faire grief à
Freud, ou à ses successeurs immédiats, de ne pas nous avoir livré
une théorie achevée du développement et du fonctionnement affec-
tif et relationnel humain tout autant à l'état normal qu'à l'état
pathologique.
Mais à notre époque il paraît difficile de nous limiter à des atti-
tudes défensivement fermées sur les seules données mises en avant
au début de ce siècle, si nous ne voulons pas être rangés parmi
ceux que Freud lui-même accusait de se contenter « de faire cuire
leurs petits potages sur le feu de la psychanalyse »
Diluer le potage dans un flot de rhétorique ou y ajouter quel-
ques ingrédients biologiques ou techniques ne permet pas un pro-
grès des idées, surtout devant la passivité et la docilité des appren-
tis cuisiniers ; si bien qu'à son tour la transmission des principes
essentiels risque de se voir progressivement pervertie par l'accen-
tuation de la répétition des acquis et le renforcement de la dénéga-
tion des ouvertures induites à chaque instant dans l'œuvre de
Freud.
Il n'est pas question d'émettre des points de vue révolution-
naires lors de chaque colloque ou dans chaque publication mais
inversement on ne peut enfermer la pensée freudienne dans des
limites trop facilement conventionnelles, ni momifier Freud sous
les bandelettes de principes déjà largement vérifiés et banalisés,
sans chercher à aller de l'avant dans les multiples voies ouvertes
tout au long des écrits freudiens les plus classiques, voies qui n'ont
pas encore pu être suffisamment explorées.
Le modèle structurel imposé par le « complexe d'Œdipe »,
incestueux et génital, doit sans contexte se voir considéré comme
l'oméga vers lequel tend normalement toute psychogenèse. Mais
après l'introduction en 1914 des repères narcissiques du fonde-
ment des relations aux autres et à soi-même, nous ne pouvons

1. S. Freud, Les nouvelles conférences, 1932 ( 1 conférence).


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indéfiniment faire c o m m e si F r e u d n ' a v a i t pas mis en question d u


même c o u p son idée première faisant de la forme limitée à la
conclusion d u m y t h e qu'il conféra à ce m ê m e « complexe
d'OEdipe » l'alpha, c'est-à-dire le p o i n t de d é p a r t de t o u t e psycho-
genèse.
Il en est de m ê m e q u a n d F r e u d n o u s p r o p o s e de travailler plus
avant sur l ' h y p o t h è s e de l'étayage des pulsions sexuelles sur les
pulsions d ' a u t o c o n s e r v a t i o n ; ou encore q u a n d il n o u s m o n t r e q u e
sa théorie des pulsions ne p e u t que boiter en ne p a r v e n a n t pas
encore à s'articuler de façon pertinente sur la brutalité originaire
d o n t il a si souvent parlé ; c'est-à-dire cette sorte de « s t r u c t u r e
Psychique héréditaire, a n a l o g u e à l'instinct des a n i m a u x qui
constitue le n o y a u de l'inconscient »
C e q u ' u n e longue p r a t i q u e clinique m'incite à p r o p o s e r à la
réflexion entre analystes p e u t être exprimé en termes assez simples
qui devraient, de m o n p o i n t de vue, c o r r e s p o n d r e à la mise en
représentation d ' u n m a n q u e à percevoir é p r o u v é p a r le p s y c h a n a -
lyste et d o n t il c o n v i e n d r a i t d'éclairer et le c h a m p et les origines.
U n préalable scientifique assez a b s o l u n o u s impose l'obliga-
tion d'estimer que t o u t e é l a b o r a t i o n t h é o r i q u e ne p e u t j a m a i s être
regardée c o m m e complète ni définitive. Sans remettre en question
l' essentiel des f o n d e m e n t s métapsychologiques freudiens, il
demeure évident q u ' a p r è s les découvertes de 1914 sur l ' i m p o r t a n c e
des facteurs narcissiques n o u s a v o n s encore b e a u c o u p à dire sur le
chemin qui c o n d u i t a u f o n c t i o n n e m e n t m e n t a l d o n t la seconde
topique e n t e n d r e n d r e c o m p t e . Il en est de m ê m e p o u r envisager
une théorie des pulsions réunissant de façon pertinente et utili-
sable cliniquement les éléments épars i m p o r t a n t s mis en a v a n t p a r
Freud et d o n t les essais d ' a f f r o n t e m e n t s y n c h r o n i q u e à la libido
n' ont j a m a i s p u être satisfaisants p o u r lui.
N o u s a u r o n s u n e tâche plus facile en p r o p o s a n t de r e c o n n a î t r e
l'impasse clinique o ù n o u s c o n d u i t u n e utilisation t r o p é t e n d u e de
la n o t i o n de « névrose » p a r les analystes, alors que F r e u d enten-

1. Cf. Métapsychologie, « L'inconscient » (cf. VI), 1915.


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dait sans a u c u n d o u t e d a n s la seconde partie de son œ u v r e réser-


ver ce terme a u x économies v r a i m e n t organisées sous le p r i m a t
triangulaire œdipien.
U n e lecture attentive des textes de référence nous force à
r e c o n n a î t r e que F r e u d avait p a r f a i t e m e n t conscience des princi-
pales lacunes élaboratives présentes d a n s certaines de ses recher-
ches, alors qu'il n o u s offrait p a r ailleurs les repères nécessaires
p o u r p o u r s u i v r e plus a v a n t nos p r o p r e s synthèses.
C'est ainsi que je me suis t r o u v é conduit, parallèlement à d ' a u -
tres auteurs, à p r o p o s e r u n e réévaluation du potentiel s t r u c t u r a n t
( n o r m a l ou p a t h o l o g i q u e ) résultant de la façon d o n t s'est mis en
place le narcissisme chez tel o u tel sujet. M a théorie des états-
limites et de la dépression en découle ; mais aussi d ' a u t r e s h y p o -
thèses corrélatives t o u c h a n t t a n t a u modèle de f o n c t i o n n e m e n t
imaginaire q u ' à la psychogenèse originale d a n s telle o u telle struc-
t u r e de la personnalité.
M o n p r o p o s sans d o u t e le plus délicat p o r t e sur m o n souci de
m o n t r e r , d a n s u n e étude a t t a c h é e à un m o t à m o t rigoureux, que
F r e u d avait lui-même signalé l'existence d ' u n instinct de base
p u r e m e n t b r u t a l c o m m u n à l ' h o m m e et a u x a n i m a u x et qu'il avait
n e t t e m e n t pointé en m ê m e temps les radicales différences existant
entre cette violence instinctuelle d ' u n e p a r t et d ' a u t r e p a r t la
haine, le sadisme o u l'agressivité. D u m ê m e c o u p les hypothèses
psychogénétiques réduites a u x seuls derniers actes d u m y t h e
d ' Œ d i p e doivent se voir r é a m é n a g é e s et on ne p e u t plus passer
sous silence les c o n t r a d i c t i o n s existant entre le fait que F r e u d ait
p a r f a i t e m e n t mis en évidence l'aspect universel d ' u n m y t h e et le
fait qu'il scotomisait ensuite le f o n d e m e n t symbolique a b s o l u m e n t
indissociable t o u c h a n t a u x conditions de la naissance d u héros ; en
particulier le premier oracle d ' A p o l l o n et l'épisode d u Cithéron.
P a r voie de conséquence il ne n o u s est plus possible de
c o n f o n d r e les fantasmes dits « des origines » ( d o n t J. L a p l a n c h e et
J.-B. Pontalis n o u s o n t m o n t r é la n a t u r e secondaire et œdipienne)
avec les f a n t a s m e s v r a i m e n t primaires f o n d a t e u r s de l'inconscient
p r i m a i r e selon les écrits m é t a p s y c h o l o g i q u e s de 1915 et d o n t
F r e u d s'est employé, sous u n e forme déguisée, à postuler l'exis-
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tence d a n s ses c o n s t r u c t i o n s imaginaires p o r t a n t sur u n e préhis-


toire essentiellement violente, a u registre de l ' h u m a n i t é , p o u r à la
fois n o u s dire et n o u s m a s q u e r qu'il s'agissait d ' u n e préhistoire
individuelle, d o n t l'évocation plus directe lui p o s a i t v r a i m e n t de
trop sérieux p r o b l è m e s sur le plan personnel.
Les hypothèses sur lesquelles je p r o p o s e de travailler o n t d o n c
été, p o u r l'essentiel, mises en a v a n t p a r F r e u d lui-même. Je pense
que les craintes parfois manifestées à l'égard de telles hypothèses
tiennent d a v a n t a g e à la n a t u r e m ê m e des zones d ' o m b r e qu'elles
entendent explorer, c'est-à-dire les racines narcissiques des fonde-
ments de la violence, p l u t ô t q u ' à un éventuel m a n q u e de solidité
de leur ancrage t h é o r i q u e a u sein de la pensée freudienne. O r ce
genre de réflexe défensif p a r a i t difficile à justifier étant d o n n é la
multiplicité des références explicites g a r a n t i s s a n t a u psychanalyste
l' orthodoxie d ' u n e telle d é m a r c h e exploratrice.
Je c o m m e n c e r a i d a n s le présent recueil p a r r a p p e l e r de façon
volontairement assez élémentaire quelles o n t été les assises clini-
ques de mes réflexions, d u côté de la dépression et des états-
limites. Je serai ensuite c o n d u i t à explorer d u p o i n t de vue
m é t a p s y c h o l o g i q u e et psychogénétique les aspects f o n d a t e u r s de
l' étape narcissique de t o u t e psychogenèse avec les aléas assez
particuliers qui en découlent. C o m m e F r e u d n o u s le rappelle à
différents m o m e n t s , le mythe d ' Œ d i p e est à la fois global et uni-
versel. Bien qu'il se soit plus spécialement consacré à l'étude des
conflits figurés d a n s les derniers actes d u d r a m e , F r e u d n ' a cessé
de se m o n t r e r t o u r m e n t é p a r les d o n n é e s symboliques concer-
nant le p r e m i e r oracle d ' A p o l l o n , qui m e t n a r c i s s i q u e m e n t en
garde les deux p a r e n t s c o n t r e la venue a u m o n d e d ' u n e n f a n t qui
les m e n a c e r a l'un et l ' a u t r e ; et F r e u d s'est m o n t r é t o u r m e n t é
aussi p a r l'évocation de l'infanticide figuré d a n s l'épisode d u
Cithéron qu'il a finalement laissé de coté avec t o u t le d é b u t d u
mythe d ' Πd i p e .
Je passe r a p i d e m e n t en revue d a n s cet ouvrage les articles pré-
sentant les hypothèses qui m ' o n t semblé devoir découler d ' u n e
étude attentive des étapes narcissiques i n a u g u r a n t le c h e m i n sym-
bolique p a r c o u r u p a r Πd i p e . Je terminerai, ce q u i t i e n d r a lieu de
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conclusion, par une réflexion portant sur les exigences qu'un ana-
lyste peut formuler en matière de recherche scientifique.
Après une longue fréquentation des chercheurs opérant dans
des secteurs de sciences humaines voisins de notre domaine, je suis
persuadé que plus les années s'écoulent après l'impact éclatant du
message freudien original moins la psychanalyse risque à la longue
de se voir prise au sérieux si elle demeure limitée aux seuls aspects
techniques tout autant que si elle dissout la rigueur de ses prin-
cipes dans un élitisme rhétorique. Il nous faut radicalement régé-
nérer le cadre de nos hypothèses de travail.
On ne peut non plus se contenter d'ajouter ou de déplacer ça
et là une virgule à des textes devenus « sacrés » ; il nous faut aussi
procéder à de constantes et rigoureuses évaluations, de même qu'à
d'obligatoires « contestations » de type poppérien de certaines de
nos formulations anciennes visiblement périmées. Pour demeurer
crédibles, les psychanalystes ne peuvent reculer indéfiniment le
temps d'évaluation et de mise à jour des hypothèses et même des
postulats envers lesquels il est de bon ton de continuer à témoi-
gner d'un respect, ou plutôt d'une croyance dont O. Kernberg a
dénoncé, au sein même de l'Association psychanalytique interna-
tionale, l'aspect religieux assez inattendu chez un psychanalyste.
La vie ou la mort de la psychanalyse dépendent non pas de
nos brillants discours mais de notre rigueur épistémologique et de
notre libre volonté d'aller de l'avant dans les recherches engagées
par Freud et portant sur l'ensemble du fonctionnement psychique
humain.
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Première partie

NARCISSISME, ŒDIPE
ET V I O L E N C E
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L a dépression
et les é t a t s v r a i m e n t limites
d a n s la clinique p s y c h a n a l y t i q u e c o n t e m p o r a i n e

L'ensemble des problèmes tournant autour de ce qu'on appelle


globalement « la dépression » pose de délicates questions aux psy-
chopathologues de tous statuts.
Tout d'abord, en raison du nombre en constante augmenta-
t des patients qui viennent consulter pour des symptômes
dépressifs de modes divers ; que ce soient des symptômes d'ordre
mental, d'ordre corporel ou d'ordre comportemental. En raison
aussi des distinctions de plus en plus précises opérées entre des
formes cliniques fort différentes de dépressions quant à leur
contexte structurel. Et en raison enfin des provocations au dépla-
cement des vrais problèmes fonciers auxquels procèdent les
Patients déprimés, comme des déplacements consécutifs des
réponses qui se voient induites chez le thérapeute quel que soit son
registre ou sa technique d'intervention ; et le psychanalyste
n échappe pas à cette tentation entretenue par le déprimé de s'en
tenir à des modes d'expressions à la fois très bruyants et purement
manifestes de la souffrance éprouvée; de façon à laisser dans
l' ombre (comme on le voit par ailleurs dans « la belle indifférence
de l'hystérique ») les motifs réels de cette souffrance qu'il nous faut

1. Texte inédit. Une partie ayant fait l'objet d'une conférence au Colloque sur
les états-limites (1992).
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pourtant connaître si nous prétendons traiter le déprimé autre-


ment qu'en pure surface.
Pour le psychanalyste une difficulté supplémentaire s'ajoute
encore aux trois difficultés précédentes. Cette difficulté résulte de
la nécessité de poser un diagnostic spécifique et précis de chaque
variété clinique de dépression rencontrée.
Mais si nous entendons adapter à chacune de ces variétés clini-
ques une stratégie thérapeutique efficiente, car correctement liée
aux véritables problèmes latents, un diagnostic spécifique de la
variété clinique dont il s'agit ne pourra être basé ni sur une des-
cription même fine des symptômes, ni sur une seule description
des comportements, ni sur les résultats immédiats ou passagers
d'un traitement envisagé de façon trop générale.
Le diagnostic précis de la variété clinique à traiter ne pourra
être établi par le psychanalyste qu'en fonction des repères méta-
psychologiques et psychogénétiques définis dans la ligne de la pen-
sée freudienne.
Le psychanalyste se voit ainsi contraint de reconnaître que
dans le plus grand nombre des cas qui l'interrogent par le moyen
de la dépression il ne s'agit pas de simples symptômes dépressifs
surajoutés à une économie foncièrement névrotique. Il est certes
bien banal de rencontrer quelques mouvements dépressifs plus ou
moins passagers au sein de toute organisation classiquement réali-
sée sous le primat de l'Œdipe et du génital. Ce sont là des modèles
d'organisations auxquels les psychanalystes ont manifesté une
particulière prédilection, bien reposante intellectuellement, depuis
les travaux incontournables de Freud ; mais ce genre d'organisa-
tion ne peut tout de même être considéré comme recouvrant l'en-
semble de la psychopathologie.
Il ne s'agit pas d'ignorer non plus la fréquence de symptômes
dépressifs venant simplement colorer le mode d'expression d'une
organisation foncièrement psychotique soit sous la forme d'une
psychose maniaco-dépressive, soit sous la forme d'une mélancolie
dont Freud a parfaitement éclairé les mécanismes inconscients
depuis 1918.
Nous remarquons par contre que, dans un nombre sans cesse
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croissant à l'heure actuelle de situations dépressives, le psychana-


lyste s'aperçoit que, loin de constituer un symptôme destiné à
exprimer une souffrance d'ordre névrotique ou d'ordre psycho-
tique, le symptôme dépressif au contraire traduit en signes visibles
et provocateurs un modèle de fonctionnement particulier de la
personnalité; ce sont des sujets fragiles narcissiquement, ayant
fort mal intégré l'imaginaire œdipien et limités par voie de consé-
quence à un mode de relation d'objet décrit par Freud comme
d 'ordre essentiellement anaclitique.
La véritable personnalité dépressive, c'est-à-dire celle qui
dépasse le cadre de la simple manifestation dépressive d'ordre
névrotique, et qui n'entre pas non plus dans le cadre des manifes-
tations d'ordre psychotique, s'est trouvée rarement évoquée par
Freud de façon directe, mais c'est à propos de ce modèle de per-
sonnalité que ce sont sans doute développés depuis Freud, chez les
Psychanalystes, le plus grand nombre de travaux originaux faisant
considérablement avancer nos réflexions sur les avatars des
constructions imaginaires n'ayant pas encore été soumises au pri-
mat organisationnel œdipien.
Du même coup, tout en demeurant en droite ligne dans l'axe
des conceptions freudiennes essentielles, les psychanalystes ont pu,
grâce à tous ces travaux, beaucoup avancer dans la compréhen-
sion de certaines hypothèses seulement ébauchées dans l'œuvre
même de Freud.
Les premières recherches nous apportant d'intéressantes don-
nées de base sur les mécanismes dépressifs ont été marquées par
les efforts d'élargissement de la théorie freudienne proposés par
Abraham, puis par M. Klein surtout. On a vu par la suite
apparaître progressivement les prises de position d'E. Jacobson,
de P. Greenacre, de E. Bibring, de R. Greenson, et, bien sûr, de
R.Spitz. En France de nouveaux courants de réflexion ont été
introduits par de nombreux auteurs et principalement par
B.Grunberger et P.-C. Racamier, puis par B. Schmitz. Ces cou-
rants ont donné naissance à de féconds développements pour
contester que toute économie dépressive se voit d'emblée placée
sous le primat de l'Œdipe et pour mettre en évidence le rôle joué
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par les déficiences narcissiques, la faiblesse du Moi, l'importance


jouée par les instances idéales archaïques dans l'ensemble des
mécanismes dépressifs.
Beaucoup d'auteurs contemporains mettent l'accent mainte-
nant sur un modèle de psychogenèse propre aux sujets menacés de
dépression, en particulier sur un blocage évolutif précoce rendant
le potentiel imaginaire œdipien encore peu actif structurellement.
Un tel blocage affectif résulterait du faible degré d'efficience des
stimulations libidinales ayant émané de l'environnement précoce.
L'écoute clinique nous montre en effet que cette faiblesse de l'inci-
tation libidinale va s'allier à une intense pression exercée par les
idéalisations imposées de l'extérieur qui demeurent extériorisées
dans leurs références.
Nous nous trouvons donc ramenés, pour le grand nombre des
patients dépressifs qui nous consultent, dans le cadre de ce que,
depuis déjà plusieurs décennies, nous appelons les « états-
limites ». Il est certain que tous les dépressifs ne sont pas des états-
limites ; par contre la manifestation la plus fréquente et la plus évi-
dente rencontrée chez les états-limites est d'ordre soit directement
dépressif, soit d'allure antidépressive, ce qui correspond au même
sens profond.
En dehors d'une pratique clinique des états-limites au registre
de la psychopathologie proprement dite et à partir de cette pra-
tique clinique nous avons aussi à nous intéresser à des désordres
privés ou collectifs d'un registre plutôt sociopathique qui pertur-
bent toute une partie de la vie de notre jeunesse et indisposent
l'opinion publique bien davantage que le font les formes plus men-
tales de pathologie dépressive.
Il s'agit des comportements concernant les toxicomanies, l'al-
coolisme, les troubles des conduites (en particulier alimentaires),
les violences agies, les délinquances systématisées et surtout des
suicides sur toutes leurs formes directes ou indirectes manifestes
ou cachées.
Toutes ces variétés de difficultés symptomatiques ou compor-
tementales tirent très exceptionnellement leur origine d'un conflit
névrotique. Un petit nombre d'entre elles (les plus bruyantes
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c répondent à des modèles de fonctionnement psychotique


longtemps masqués par le brouillard du collectif ou du comporte-
mental. Mais le plus grand nombre de ces désordres affectifs et
relationnels repose sur une économie à la fois dépressive et antidé-
pressive de modèle « limite », selon divers types d'aménagements
économiques.
Il paraît donc indispensable de chercher à bien comprendre ce
que peut être un modèle « limite » de fonctionnement de la per-
sonnalité non seulement du point de vue de la psychopathologie,
mais aussi du point de vue de l'impact collectif et social d'un tel
fonctionnement, qui sollicite souvent le psychanalyste et auquel
celui-ci est en mesure de répondre après une juste évaluation de la
situation affective et relationnelle.

Le modèle évolutif dépressif-limite

Le psychanalyste est assez bien informé des différents modèles


économiques rencontrés en clinique quotidienne pour comprendre
et vérifier dans sa pratique que la prédisposition à l'évolution de
type dépressif-limite commence de façon assez précoce ; de façon
Plus précoce que les évolutions névrotiques puisqu'il s'agit chez
l' état-limite dépressif de conflits essentiellement narcissiques et
préœdipiens, c'est-à-dire principalement prégénitaux. Mais l'évo-
lution de l'économie dépressive de type « limite » débute égale-
ment plus tardivement que les fixations typiquement prépsychoti-
ques de type schizophrénique ou paranoïaque.
Dans l'enquête rétrospective qu'on peut mener chez un adulte,
on a l'occasion de vérifier que les dépressifs-limites n'ont pas béné-
ficié au cours de leur enfance de parents pouvant constituer des
cibles identificatoires suffisantes pour permettre que l'organisation
de la personnalité s'effectue selon un modèle plus solide, de type
génital, triangulaire, et œdipien ; même avec tous les conflits
Potentiels qu'il est classique de rencontrer chez un sujet de struc-
ture névrotique.
Les psychanalystes se rendent facilement compte que l'enfance
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des sujets dépressifs-limites ne s'est pas déroulée dans un environ-


nement aussi toxique, aussi persécuteur et aussi sadique que l'en-
vironnement qui est reconnu comme favorisant une évolution pro-
gressive orientée vers une organisation de type psychotique. Mais
le psychanalyste est à même de reconnaître que l'environnement
précoce des dépressifs-limites n'a rien présenté de particulièrement
stimulant sur le terrain de la tendresse et de l'épanouissement de
l'imaginaire œdipien.
De leur côté, les psychanalystes d'enfants se voient, de nos jours,
interrogés souvent assez tôt à l'occasion de tel ou tel symptôme
insolite ou atypique qui autrefois aurait été négligé. Ceci en raison à
la fois d'une heureuse évolution des esprits et en raison aussi du
développement des systèmes institutionnels de prévention.
Les psychanalystes d'enfants ont acquis des connaissances et
bénéficient d'une expérience qui leur permet de confirmer les ori-
gines d'une évolution à allure dépressive et d'observer de façon
assez directe parfois les conditions interactionnelles initiales qui
vont jouer un rôle essentiel dans le modèle de développement
affectif lacunaire engagé dans l'enfance, confirmé au cours de ce
qui aurait dû être l'adolescence et souvent perpétué ensuite à l'âge
adulte. Ces psychanalystes détectent assez vite les différents rôles
complémentaires joués par les environnements successifs, à des
moments divers et concentriques exerçant leur pression à des dis-
tances diverses. Il ne s'agit pas simplement des mères, bien sûr.
Ces environnements ont protégé l'enfant contre une menace psy-
chotique, mais sans lui apporter toutefois d'autre part les bases
assez solides qui auraient été nécessaires pour lui permettre d'éla-
borer un imaginaire intégrant la génitalité et la triangulation œdi-
pienne dans une mesure suffisante pour atteindre l'état d'adulte
organisé selon le mode « névrotique » idéal tel qu'il se voit défini
par le psychanalyste.
L'état-limite dépressif supporte les conséquences d'une enfance
au cours de laquelle il n'a rencontré dans ses environnements suc-
cessifs et concentriques ni une excitation trop forte de ses pulsions
agressives ni une stimulation suffisante de la libido pour évoluer
vers une organisation de la personnalité permettant d'accéder à un
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plein épanouissement libidinal. Par contre, dans les environne-


ments qu'a rencontrés l'état-limite dépressif, ce sont surtout les
actions de pare-excitations et d'inhibition qui l'ont emporté sur les
stimulations pulsionnelles ; tout autant en direction des pulsions
violentes, ce qui entraîne un risque dépressif, qu'en direction des
poussées libidinales ce qui génère également la morosité affective
rencontrée chez tout sujet essentiellement dépressif.
Le psychanalyste a l'occasion de constater par l'écoute du dis-
cours actuel comme par l'écoute de l'anamnèse telle qu'elle nous
est rapportée que l'apparition d'une symptomatologie de type
limite-dépressif est assez souvent marquée de façon plus ou moins
évidente sur une personnalité déjà connue comme fragilisée anté-
rieurement par un traumatisme affectif important mais ayant
laissé parfois peu de souvenir.
Ce traumatisme n'a pas pu se voir suffisamment négocié men-
talement et il a donné naissance par la suite, et tardivement par-
fois, à une soudaine poussée d'angoisse fort bien décrite dès 1955
Par J.-A. Gendrot et P.-C. Racamier. Il s'agit d'une angoisse de se
voir abandonné, impuissant, inefficace, devant des menaces dont
l' origine se trouve projetée sur l'extérieur mais qui partent, en réa-
lité, des contenus pulsionnels intérieurs au sujet, contenus impos-
sibles à intégrer, à réguler et à médiatiser objectalement d'une
façon convenable.
Dans son Abrégé de psychanalyse, Freud signale qu'à côté des
Personnalités névrotiques et psychotiques il existe « d'autres états
Proches des névroses » mais qui ne peuvent parvenir à un mode
vraiment « névrotique » d'organisation de la personnalité. On
retrouve les mêmes allusions à une situation limite-dépressive
quand Freud évoque les problèmes évolutifs particuliers qui
conduisent aux névroses actuelles ou aux névroses traumatiques.
Je n'ai cessé, depuis le début de mes travaux sur la question
en 1969, d'insister sur l'importance des éléments traumatiques qui
se voient repérables comme signant l'origine des psychogenèses de
modèle dépressif-limite.
Pour un psychanalyste la définition du traumatisme affectif est
simple. Freud nous a clairement montré qu'il s'agissait de la
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conjonction d'un excès d'excitations et d'une carence des systèmes


pare-excitations agissant à un moment de faiblesse privilégiée de
l'évolution de la personnalité du sujet.
Le premier traumatisme affectif rencontré chez les sujets
dépressifs de modèle limite se situe à un moment assez précoce
pour que le moi en cours de constitution n'ait pas pu encore se
voir organisé sous le primat de la génitalisation triangulaire œdi-
pienne. Tout se passerait donc comme si ce premier traumatisme
figeait les choses juste avant que l'élaboration œdipienne soit pos-
sible sur le plan imaginaire et symbolique.
Nous serons donc très près de la position « dépressive » qui
constitue un repère kleinien de base. Mais du même coup on
aurait dépassé l'effet relationnel paradoxal enregistré plus précoce-
ment encore dans la position décrite comme « schizoparanoïde »
par M. Klein et qui, elle, semble réservée à une psychogenèse déjà
préorganisée selon une vectorisation psychotique.
Le blocage évolutif précoce enregistré chez les dépressifs-
limites semble favorisé à l'heure actuelle par un excès socioculturel
de provocations représentatives d'allure sexuelle, en réalité défen-
sives pour les adultes mais reçues par l'enfant comme vraiment
sexuelles, c'est-à-dire étranges et étrangères à son champ imagi-
naire sur l'instant, c'est-à-dire comme encore inassimilable à ce
moment prégénital de leur maturation affective et imaginaire. Et
l'évolution dépressive serait favorisée aussi par la sidération dont
souffrent les milieux familiaux contemporains en matière de pare-
excitation.
J'ai montré que le résultat de ce premier traumatisme était
d'entrer d'emblée dans une période de congélation affective parti-
culière à l'évolution dépressive-limite et j'ai proposé de définir
cette sorte de limpidité affective précoce comme constituant une
« pseudolatence » qui va recouvrir à la fois ce qui aurait dû être la
période d'élaboration habituelle, puis la véritable latence et enfin
la période d'élaboration définitive constituée logiquement par
l'adolescence.
De telles évolutions dépressives de modèle limite ne présentent
pas tellement des « crises d'adolescence » au sens où on l'entend
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en général mais une impossibilité fonctionnelle d'entrer vraiment


dans la situation à la fois conflictuelle et structurante représentée
par une adolescence authentique.
Cette psychogenèse originale ouvre la voie aux évolutions bien
connues de tout le groupe des états-limites. Ce sont soit la dépres-
sion franche en cas de décompensation brutale d'une pseudolatence
plus ou moins prolongée, sous le coup d'un nouveau traumatisme
affectif important et plus ou moins tardif, soit un aménagement
défensif de dépressivité contre une décompensation franchement
dépressive ; les modèles les plus courants d'efforts de consolidations
que j'ai décrit orientent l'évolution soit en direction des aménage-
ments dits « caractériels », ce qui semble assez banal, soit en direc-
tion des aménagements pervers qu'on est porté à croire « sexuels » et
dont les racines demeurent essentiellement narcissiques. J'ai montré
aussi à partir d'exemples cliniques assez courants comment les
choses pouvaient encore évoluer après un second traumatisme affectif
beaucoup plus tardif induisant un passage du côté névrotique (sur-
tout par l'intermédiaire des processus phobiques) ou du côté psy-
chotique (mélancolie ou psychose maniaco-dépressive, mais prati-
quement jamais schizophrénie ou paranoïa).
L'état-limite dépressif cherche à se coller affectivement à
l' autre pour en recevoir protection. En réalité ce « collage » a
Pour fonction, aussi, d'éviter l'affrontement avec l'objet potentiel.
La situation de dépendance tempère d'autre part les prises de
conscience agressives.
Les principaux symptômes affichés par l'état-limite dépressif
sont, pour l'essentiel, rattachables à l'ensemble des tableaux clini-
ques concernant la dépressivité. Une dépressivité en cours d'évolu-
tion plus ou moins avancée en direction de la dépression franche.
Qu'il rencontre l'état-limite au début de son évolution, c'est-à-
dire dans une situation d'incertitude structurelle encore, ou bien
en cours d'évolution, c'est-à-dire à un stade où l'angoisse affective
et les inhibitions commencent à le paralyser, ou bien encore à un
stade où s'établissent des complications encore plus sérieuses et
Plus spécifiées, le psychanalyste se trouve toujours confronté à des
signes assez évidents déjà de la lignée dépressive.
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Très vite apparaît en effet un sentiment de ne pas être à même


de faire face à une situation conflictuelle, à une épreuve, et à un
effort prolongé ou imprévu. L'estime de soi se voit donc toujours
diminuée ; il s'agit surtout chez le dépressif-limite de honte et pas
tellement de culpabilité. La capacité créative est, par voie de
conséquence, singulièrement atteinte. La morosité des pensées
entrave peu à peu tout désir et tout élan aussi bien amoureux que
simplement violent qui irait dans le sens d'un nécessaire combat
pour la vie.
L'état-limite dépressif ne pense pas être en mesure de survivre
sans l'aide et sans l'appui matériel et moral des autres. Ceci peut
prendre l'allure d'une aide réclamée à des personnages considérés
comme privilégiés comme à des institutions ou des collectivités et
aussi d'une aide exigée des pouvoirs publics. Un sentiment d'une
défaillance parentale réelle ou imaginaire conduit à réclamer l'as-
sistance à des représentations symboliques parentales qui sont
vécues comme plus puissantes d'abord, puis comme aussi déce-
vantes ensuite que les parents réels.
Ceux qui sont conçus comme puissants aux registres social,
médical, administratif, associatif, etc., sont vécus par le dépressif
essentiel comme devant apporter un renfort indispensable, immé-
diat, prolongé et conséquent. Tout délai, toute restriction dans la
réponse (et à plus forte raison un refus) déclenchent aussitôt un
sentiment de frustration, voire d'abandon pouvant se prolonger
dans une dépression franche ou accroître la dépression dans la
mesure où celle-ci est déjà installée.
On constate chez le dépressif-limite la crainte d'un échec qui
lui paraît inéluctable. Or, en regardant les choses de plus près,
dans certains cas, on détecte même un désir inconscient de cet
échec, désir corrélatif à la fois à une surestimation des pouvoirs de
l'autre et à un besoin de répéter les déceptions et les doléances
antérieures. Ces doléances concernent les parents et l'environne-
ment précoce. Mais de manière à ne pas trop condamner ceux-ci,
il ne convient pas que les nouveaux interlocuteurs s'avèrent meil-
leurs dans leurs apports. Cette sorte de manipulation subtile de
l'échec n'entraîne cependant pas chez le dépressif-limite un vécu
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vraiment persécutoire. Il s'agit d'une forme de maintien de la


dépendance de l'autre et non pas d'un véritable sentiment d'être
livré à un partenaire sadique qu'il s'agirait de fuir. Autrement dit,
on ne saurait parler de masochisme, tout au plus d'autopunition
mais surtout de processus répétitif jugé protecteur. La répétition
des frustrations engendre peu à peu une sorte d'état de manque.
Cet état de manque qui concerne un objet extérieur doté de pou-
voirs magiques peut se déplacer de l'objet relationnel privilégié sur
une cible accessoire dont le sens devient plus difficile à cerner. On
sait que le dépressif-limite est particulièrement prédisposé à des
évolutions allant vers l'alcoolisme, comme vers toutes les formes
de pharmacodépendances ; y compris bien sûr celles du tabac et
surtout, la plus subtile, celle du médicament. Les généralistes ne
s' en rendent pas toujours compte.

Hypothèses métapsychologiques

La clinique psychanalytique de la dépression de modèle


« limite » repose sur les données tout à fait classiques de la méta-
Psychologie freudienne, c'est-à-dire les trois points de vue classi-
ques topique, dynamique et économique auxquels le psychana-
lyste a à se référer de façon constante. Il n'y a rien à ajouter à de
tels postulats, mais il s'agit seulement de les faire travailler de
façon différente et complémentaire par rapport à l'usage qu'on en
fait habituellement.
On constate tout d'abord chez le sujet dépressif-limite une
impossibilité de faire fonctionner un « moi » qui correspondrait
vraiment aux définitions freudiennes ; donc possédant des capaci-
tés d autonomies d'action et de synthèse de la personnalité, et
aussi des capacités de médiation entre l'univers pulsionnel naturel
et un surmoi correctement intériorisé secondairement, ainsi que
es capacités d'organiser des défenses à la fois souples et efficientes
au regard d'une correcte évaluation des réalités intérieures et exté-
rieures du moment.
On sait que B. Grunberger a parlé à ce propos d'une véritable
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« maladie du moi » et A. Jeanneau d'un « moi incapable ». De


telles conceptions s'appliquent tout particulièrement à la clinique
de la dépression. On a donc douté depuis longtemps chez les psy-
chanalystes de la possibilité de déjà parler vraiment du « moi »
chez le sujet enclin à la dépression-limite. Les Anglo-Saxons envi-
sagent le fonctionnement d'une instance prémoïque qu'ils dénom-
ment le « self » et qui semble bien correspondre à cet état encore
imparfait de fonctionnement du moi. S. Lebovici a d'ailleurs
parlé, il y a un certain nombre d'années, d'un « soi » considéré
comme un précurseur narcissique du moi.
On a pu décrire chez le sujet dépressif-limite une opposition
pulsionnelle entre les tendances orientées vers les réalisations libi-
dinales et celles qui sont orientées vers la destructivité. On s'est
peu à peu demandé si, chez le dépressif-limite, il s'agissait vrai-
ment d'une agressivité authentique induisant la présence d'un
plaisir trouvé dans l'attaque de l'autre. Il semble en effet que le
sujet vraiment déprimé ne prenne aucun plaisir à attaquer l'autre
et qu'il se situe seulement en position défensive même quand il est
contraint d'attaquer. Dans ses attaques du monde extérieur, le
sujet dépressif demeure purement violent dans une fixation à l'ins-
tinct primitif de survie mis en évidence par Freud dès sa première
théorie des pulsions. On ne pourrait pas parler chez le dépressif
d'une véritable lutte entre les tendances libidinales et les tendances
violentes à l'égard de l'objet. La pression exercée par le sujet sur
ses productions imaginaires concernerait ici de façon identique les
deux grands groupes pulsionnels à la fois dont il s'agit de protéger
et l'entourage et la personnalité du sujet elle-même.
Les conflits principaux se situeraient donc chez le sujet déprimé
de modèle « limite » entre un univers pulsionnel encore mal intério-
risé et des instances idéales demeurant très extériorisées et non inté-
grées au sein d'un authentique surmoi. Faute d'une mise en œuvre
organisatrice suffisante de l'imaginaire œdipien on ne pourrait par-
ler de culpabilité véritable. Ce serait la honte éprouvée devant le
jugement des autres et le dégoût de soi-même faute de pouvoir
atteindre les idéaux exigés par l'environnement puis par soi-même
qui domineraient dans le mouvement dépressif.
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DANS LA MÊME COLLECTION

Athanassiou C., Le sûrmoi. Poursuivant ses recherches sur la théorie et la clinique du

Bergeret J., Clinique, théorie et technique. Les narcissisme, recherches développées dans le même axe que
interrogations du psychanalyste. les travaux de H. Kohut et O. Kernberg aux Etats-Unis et de
Bergeret J., Freud, la violence et la dépression. B.Grunberger en France, Jean Bergeret a été un des premiers
analystes à tenter de réaliser une synthèse des conséquences
Bril J., L'«Affaire Hildebrand» ou le
meurtre du fils. méthapsychologiques et psychogénétiques de la découverte
par Freud, en 1914, d'une étape de l'évolution du fonction-
Caïn J., Le champs psychosomatique.
nnement affectif ayant dépassé l'auto-érotisme sans avoir
Caïn J., L'incohérent, l'inachevé, le plaisir.
atteint encore un développement imaginaire place sous le
Christe R., Christe-Luterbacher M.-M., primat de l'hétérosexuel et du triangulaire, donc de l'œdipien.
Luquet P., La parole troublée. La clinique de la dépression, la théorie des Etats-Limites,
Cosnier J., Destins de la féminité. la mise au claire des propositoins de Freud, portant sur
l'existence d'un instinct violent primitif (et non sadique ni
Gillibert J., Dialogue avec les
schizophrénies. agressif) commun à l'homme et aux animaux, la nature

Godfrind J., Les deux courants du transfert. spécifique de l'imaginaire primaire, la rigueur indispensable
dans l'emploi du terme de «névrose» sont les thèmes que
Jeammet N., La haine nécessaire.
développe Jean Bergeret dans un ouvrage qui reprend et
Jeammet N., Les destins de la culpabilité.
réactualise l'essentiel de ses travaux antérieurs en débou-
Jeanneau A., Les délires non psychotiques. chant sur un certain nombre d'interrogations difficilement
Le Gouès G., Le psychanalyste et le vieillard. contournables pour un psychanalyste attaché à sa problé-
Marbeau-Cleirens B., Le sexe de la mère. matique propre ainsi qu'à sa méthodologie particulière.

Merle-Béral A.-M., Le corps de la cure. Jean Bergeret, psychiatre, psychanalyste, a été le cofon-
Nicolaïdis N., La force perceptive de la dateur de l'Institut de Psychanalyse de Lyon. Il est professeur
représentation de la pulsion. émérite de psychologie pathologique à l'Université de Lyon II.

Parat C., L'affect partagé.


Potamianou A., Un bouclier dans l'économie
des états limites. L'espoir.
Quinodoz D., Le vertige, entre angoisse et
plaisir.
Quinodoz J.-M., La solitude apprivoisée.
Roussillon R., Paradoxes et situations limites
de la psychanalyse.
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