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ee ae iFetnral JESER Imhotep CET Ene] ttn aTo) ay RT eves te( 09 a degrés Ala mémoire de Jean-Philippe Lauer ‘Sur dimple demande adresse aux Editions Pygmation/Gérard Watelet, 70, avenue de Breteuil, 75007 Paris ‘gratuitement notre: ‘vous recevrez. notre catalogue qui vous tiendra au courant de nos demnidres publications. © 2002 Editions Pygmalioa/Gérard Watelet, Paris, ISBN 2-85704-779.7 1 propriété inellecele nvumiodsant, aux teres de Tarte L. 1225 oust Sense Snes copie et on nae cee eee = eee et mic ge roi ue ce sot. constmarit done se reco etn, es eae oats poplar Carte générale de I’Egypte et de Sud-Canaan (@’opres Kemp et Miroschedji lac Fayoum daprés Harel) DJESER LA DYNASTIE DES PYRAMIDES A DEGRES Lorsque Djéser, le fondateur de la III dynastie égyptienne, monte sur le trine vers 2650 avant J-C., la monarchie nilotique a dja six & sept siécles d'existence. On ne sait si les premiers rois identifigs jus- 4qv'ici, dont on ne connait guére que les noms (Scorpion I et II, Ke, Iny-Hor, etc.), se partageaient de grandes entités régionales ou 1égnaient sur l'ensemble de la vallée du Nil, de la Méditerranée & la Premiére Cataracte. Les sources montrent qu'ils ont déja commencé & développer l'appareil coercitif et idéologique grace auquel la monar- cchie devait s'imposer, peu & peu, comme une réalité incontoumable du paysage politique et social égyptien. A I’origine de cette évolution se trouvent des villes qui ont sans doute constitué de véritables cités- Etats, comme Abydos, Thinis, Nagada ou Higrakonpolis, toutes situées au cour de la Haute-Egypte. L’unification politique de la ‘Vallée, dont on pergoit & présent qu'elle fut le résultat d'un processus long terme, fut peut-éure parachevée par Narmer (sans doute,littéra- Jement, le « poisson-chat » a I'origine), qui apparait dans les sources comme une figure exceptionnelle. La tradition historique, millénaire, ui attribue 1a fondation du premier des groupes de souverains, c’est-2- dire la I" dynastie. Ses prédécesseurs, rejetés dans l"ombre — quitte & les classer comme « demi-dieux » —, sont arificiellement regroupés en 9 DIESER Bf LAID DAENASE IE: une « dynastie zéro » par l'égyptologie modeme, qui a activement tra- vaillé, depuis deux décennies, & comprendre cette période fondamen- tale de I’émergence du pouvoir pharaonique. Lal dynastie de la tradition est donc ta quatriéme en l'état actuel de la recherche, méme si, fort heureusernent, la numérotation n’en a pas été changée pour autant, avantage du zéro initial. Ce classement des groupes de pouvoir est d’autant plus commode que la chronolo- gie absolue reste mal assurée pour cette période. Les incertitudes sur Ja longueur des regnes de. la plupart des monarques du II millénaire, les marges d'erreur trés importantes de la datation par carbone 14, ‘empéchent de parvenir & un meilleur résultat qu'une approximation d'un sigcte, Si Djéser est donc monté sur le tréne en 2650 avant J-C., il faut s'empresser d'ajouter que cette date n'est valable qu’a plus ou ‘moins cinquante ans prés. Mentionner un événement en termes ddynastiques permet done de faire 'économie de dates incertaines, méme si leur ancrage absolu demeure un objectif fondamental de la recherche historique. La période des trois premieres dynasties, avant I’érection des pyra- ides géantes de Dahchour puis Giza, présente une certaine unité, {qui explique un traitement généralement commun dans les syntheses historiques. La toisitme d'entre elles, & I'évidence, inaugure par ailleurs des conceptions et des pratiques qui lui survivront tres large~ ‘ment, et qui contribueront a faire de I’Ancien Empire, de la TV* & la VE dynastic, une sorte d’age d'or célébré dans la tradition €gyp- tiene, qui accorde A Djéser une place éminente. En termes culturels, I’ évolution est donc nettement moins tranchée que la division dynas- tique ne semble l'imposer. Etudier I'un ou I’autre de ces groupes de pouvoir conduit alors & se placer dans un trés long terme, afin d'esti- mer le poids respectif de la continuité et du changement, de l'inno- vation sans lendemain et de la nouveauté fondatrice. A l’'avénement de Djéser, l'invention de la pyramide & degrés et de I'architecture en pieme de taille, la construction d'un immense complexe funéraire aux multiples batiments, la finesse atteinte dans l'art du relief, offrent une de ces oésures majeures dont ’historien est friand. Est-ce pour autant une révolution autre que matérielle et technique ? C’est I& qu’il faut ceroiser, selon la démarche de I’histoire sociale, les données les plus diverses pour apprécier ce changement en profondeur, évolution de architecture royale et des conceptions funéraires sous-jacentes, transformation du pouvoir monarchique et de ses moyens d’expres- sion, impact sur I'économie et la société du pays. Capitale et province, villes et nécropoles, culture de cour et culture populaire, sont autant 10 de champs d’i mettent de restituer l'histoire d'une époque dans sa complexité. Dans cette conception qui privilégie structures et systémes, il ne s'agit pas pour autant d’évacuer la dimension plus traditionnelle de l'histoire, orientée vers les « grands hommes », les événements et les dates. Placer des rois dans le bon ordre chronologique et estimer leur Jon- gueur de régne ne sont pas que des exercices fastidieux issus d’une conception routiniére de la chronologie. C'est grdce & ces recherches que I’on peut mieux comprendre les évolutions, juger de leur rapidité ‘ou de leur lenteur, et apprécier le réle moteur joué par V'un ow I'sutre des acteurs majeurs de la période. UNE DYNASTIE PATIEMMENT MISE AU JOUR Lhistoire d'une dynasti, civilisation pharaonique oblige, commence par celle de ses rois. Cette conception la plus traditionnelle en histoire 16 partagée par les Egyptiens eux-mémes, qui tenaient scrupuleu- sement a jour la liste de leurs souverains, non seulement & des fins historiques et commémoratives, mais aussi chronographiques, pour la mesure du temps. Au commencement est donc le roi. Ou plutdt son nom, qui, dans la plupart des cas pour les périodes les plus anciennes, restera la seule trace de son identité. Le nom comme biographie, & défaut de mieux. Acet égard, 1a reconstitution de 'histoire de la III dynastie commence Parla redécouverte, aprés des millénaires de silence, des noms de ses ‘Monarques. Encore faut-il pouvoir les lire, c'est-A-dire posséder la clé du déchiffrement des higroglyphes. La vole est ouverte en 1822, grice au génie de Jean-Francois Champollion. L’histoire peut désormais s°écrire & la lecture méme ‘monuments égyptiens, ct non plus a l'aide des seules (rares) Sources classiques, ont la part ne cessera de reculer, I est vrai que la Sécheresse de Ia documentation, pour les périodes les plus anciennes, Ikisse encore de l'avenir & Ja paraphrase des ouvrages antiques. AU Premier rang de ceux-ci figurent les Aegyptiaca de Manéthon, ce 13 DALSOEIS EE LA HE DYNASTIE Prétre égyptien qui écrivit, en grec, peu aprés la conquéte 4’ Alexandre le Grand, une histoire de son pays. Il ne nous en est par- Yenu qu'une table des matitres assortée de quelques notices concises, Pour la Ilr dynastic, on y apprend que Necherdphes, son fondateur, cut mater des voisins turbulents: « les Libyens se révoltérent contre Egypte, et quand Ia June crit au-dela de ses limites, ils se rendirent, terrorisés ». Son successeur, Tosorthros, «cut auprés des Egyptiens, en raison de ses compétences médicales, la réputation d'Asclépios, et fut l'inventeur de I’art de la construction en pierre ; il consacra aussi son attention & I’écriture ». Ces abrégés faisaient, faute de mieux, le bonheur des historiens du xix sidcle, La IIIf dynastie n'est encore pour eux, par force, qu'une suite de rois aux noms hellénisés. Dans un des premiers Ouvrages modemes consacrés au passé pharaonique, I'Histofre d’Egypte de Henri Brugsch (publié & Leipzig en 1859), le contenu des notices est reproduit in extenso, moyennant une reformulation adaptée au style de Ihistorien, et l'introduction d”une personnalité sous son nom d'ori- gine : « Sous le régne du premier roi de la troisitme dynastie, Néche- rophés, les Libyens se révoltérent contre les Egyptiens leurs maitres, Mais ce roi parvint a les soumettre, aidé par la frayeur que leur causa un phénoméne extraordinaire I'immense accroissement de la lune. Le successeur de ce pharaon, Tosorthros [...] sé distinguait par ses ‘connaissances en médecine, qui lui valurent chez les Egyptiens le sur- nom honorifique d’Esculape, ou comme ce dieu s'appelle higrogly- | phiquement, Imhotep. De plus, il inventait la manigre de construire des édifices en pierre de taille. {...] Les auteurs, qui ont puisé dans. Touvrage historique de Manéihon, ne disent rien des demiers rois de Ja troisiéme dynastic, successeurs de Tosorthros. Nous sommes done également foreés de les passer sous silence » (p. 33-34). 11 fallut du temps pour briser ce silence, identifier les deux rois en question & Nebka et Djéser et, peu A peu, rétablir la vérité historique. I fallut surtout déployer, & la source, une inlassable activité de terrain, Alors que la récolte des monuments commence & battre son plein en ce milieu de xnc siecle, et & enrichir les aventuriers les plus audacieux, une nouvelle soif de comprendre le passé pharaonique, griice aux clés adéquates, se fait progressivement jour. Eté 1839, Netjerikhet et la « pyramide d degrés » Crest au colonel Howard Vyse et & son assistant John . Perring, ingénieur civil, que l'on doit les premieres explorations scientifiques 4 PAPERS Sok EAN SAE SPEINASE EES, dos pyramides d’Egypte. Apres celles de Giza, effectuées en commun en 1837, le second examine seul I'ensemble de la zone memphite jusqu’en 1839. Les résultats de ces travaux furent publigs conjointe- ‘ment entre 1840 ct 1842, & Londres, dans un ouvrage en trois volumes, Operations carried on at the Pyramids of Gizeh. Perring y joignit des plans et coupes déja tres précis, assortis d’observations variées sur la nagonnerie et architecture des monuments. ‘Ala fin da mois de juillet 1839, Perring s'installe & Saqqara dans la fournaise de I'été, Le site n'est qu'un paysage désol6, fait de monti- cules sableux & perte de vue, signalant autant de tombes et d’enclos sacrés. C’est «la plaine » ou « les sablons des momies », sinon « les momies » tout court, od gisent gd et 18 des restes humains et animaux, tant le site a déja éx pllé de longue date a la recherche de trésors fabvu- Jeux ov, tout simplement, de corps bien momifiés, qui se vendent alors ‘assez. cher. Un passage obligé pour les voyageurs occidentaux, ama- teurs de vieilles choses et de sensations. Le gigantisme de la nécropole les saisit, en ce liew « oi les corps de plusieurs milliers d’hommes de la cité de Memphis ont été mis, et ob ils se sont conservés en leur entier jusqu’a ce jourd’hui » ', Loin de cette momie-mania, Perring étudie successivement les pyramides de Téti (VI dynastic), qu'il ne parvient pas & ouvir, ’Ouserkaf (V* dynastic), ob il est plus chanceux, avant de porter son attention sur celle que l'on nomme localement Haram el-Modargeh, «la pyramide & degrés », de loin Ja plus imposante. Il mesure les dimensions de la pyramide et son orientation, évalue la hauteur de chacun de ses six degrés et calcule leur pente. Le travail se poursuit & Tintéricur du monument, dont le caveau a déja été visité par le Baron Heinrich von Minutoli en 1821, aprés d'autres sans doute. L'exploration de Viramense réseau de galeries étagées reste & faire. Perring en dégage deux nouvelles au cours du mois d'aott, sur plusieurs niveaux, et lbve Jeplan de ce qui ressemble des « catacombes étendues (comportant...] lune grande quantité de fragments de marbre, de vases d'albatre et de Sarcophages ». Au fond du puits principal qui abrite le grand caveau £n granit, il parvient au déambulatoire qui l’entoure, sur lequel s"em- branche une série de couloirs. Ceux du sud et de I'ouest ont déja été Yisités, comme le début du couloir oriental, qui donne sur deux pices Suceessives dessinant un «L.». 1] ne poursuit pas I'exploration des Rgdip fO#t#eS du Seigneur de Villamont, in Serge Sauneron 64,, Voyages en "eppte des années 1589-1591, Le Caite, 1971, p. 207. 15 DJESER ET LA IlP DYNASTIE Fig. 1: Encadrement de porte des appartements souterrains de Netjerikhet Djéser (muste de Betlin ; copie schématique de Schoen). A Vintérieur : le serekh de Netjerikhet (gauche : inscription sur vase, d'aprég Koplony ; droite : montant de porte, d'aprés Hawass) appartements qui les suivent, et qui devaient livrer sous la conduite de Cecil Firth, prés d'un sidcle plus tard, une série de magnifiques reliefs représentant le propristaire des lieux. Pour I'heure, Perring, comme ses prédécesseurs des années 1820, a de quoi satisfaire sa curiosité: le passage qui reli les deux pices du «L» comporte un superbe encadrement de porte en calcaire décord inscriptions, dont les murs voisins sont recouverts de plaquettes de faience bleue imitant des roseaux bottelés. Il fait de cet ensemble un relevé assez précis, mais von Minutoli (1821), James Burton (1825- | 1828) et d'autres ont déja préoédé dans cet exercice. Deux ans avant son passage, Geronimo Segato avait méme publié & Florence, dans son Atlante Monumentale, une superbe planche en couleurs de l'en- semble, inspirée de ces ouvrages. L’inscription a beau posséder deux: ‘cartouches, qui signalent en principe le nom du souverain, ils somt {otalement circulaires et vides de tout signe hiéroglyphique. Mystére. erring suppose donc que la porte « comporte le titre, mais pas Te nom, d'un foi trés ancien ». Samuel Birch, un des premiers grands ‘«lecteurs » de hiéroglyphes aprés Champollion, est chargé par Perring d’étudier, & Londres, les textes découverts. I en livre la premiére inter- prétation savante. Dans « |'étendard du monarque » — ce que nous appelons & présent le nom d’Horus, premier de Ia série des noms royaux et historiquement le plus ancien ~ il reconnaft deux mots, «. La tombe du souverain manque toujours & l'appel. 11 n'est guére douteux qu'il s’agisse d'une pyramide a degrés, d’ autant que Houni a conduit une vaste politique d’implantation de monuments similaires, en taille réduite, le long du fleuve (ch. 5), Pendant longtemps, on a ‘cru que ce prédécesseur de Snéfrou avait été enterré, comme lui, & Dahchour. La pyramide dite rhomboid, c’est-A-dire & double pente, Paraissait convenir, en représentant I'ultime étape qui conduisait & 1a pyramide a pente lisse et rectiligne. Telle était au moins la thése défen- due par le premier fouilleur de la nécropale, Jacques de Morgan, au milieu des années 1890, et qui recut encore longtemps un accueil favorable. 1] fallut attendre tes fouilles d’ Abdel Salam Hussein, dans les années 1940, pour réviser cet avis non étayé : des marques peintes sur les blocs portaient le nom de "Horus Neb-maat, c’est-d-dire de Snéfrou, Aussi surprenant que cela pouvait paraltre, ce roi s'éait fait construire deux pyramides & Dahchour ! TLrestait pourtant & Houni une seconde chance, pour ainsi dire, dans la plus méridionale des nécropoles royales memphites : Meidoum. La pyra- ide du site y présente en effet des caractéristiques qui la rattachent & a7 DJESER ET LA ITF DYNASTIE ses sceurs de la TI dynastie, comme une structure & degrés, Avec une difficulté majeure : les marques de chantier peintes sur certains blocs sont, & nouveau, au nom de Snéfrou. On suppose donc que ce roi s'est approprié, en I'achevant, le monument funéraire de son prédécesseur, en le convertissant méme en une pyramide lisse dont enter le modéle & Dahchour. Cette hnypothése de L'usurpation est ‘encore tr’s largement acceptée aujourd"hui, alors qu’aucun élément ne vient la confirmer, Nul monument de ce type n’a jamais été dO A deux hypothe qui s'est révélée erronée pour Nebka/Djéser Alla pyramide & degrés, sanis compler que les monuments de Sekhem- Khiet et de Khabs, laissés inachevés A un stade pourtant avancé, n'ont jamais été repris. Une pyramide est bien I'affaire d'un régne, et, trop marquée de ce sceau, qu'elle soit Isissée inachevée en raison d'un décés prématuré, ou qu'elle soit menée a terme, elle reste identifiée & son commanditaire. Il est d'ailleurs probable que des interdits reli- gieux, 1a réprobation générale ou une simple réticence personnelle ‘aient constitué un obstacle A ce type dusurpation. La nécropole de Particuliers qui s'est installée aux abords du monument de Meidoum date d'ailleurs, elle aussi, du rtgne de Snéfrou, scuverain auxquels ‘sont apparentés certains des personnages. Il ne sufft pas d'inventer de tels liens entre Houni et Snéfrou, que rien ne vient documenter jusqu’a présent, pour rattacher cette élite & la génération de Houni. La pyra- mide & degrés de Meidoum est donc bien un monument érigé par Snéfrou. III’ achevée en méme temps qu'il conduisait le second cchantier de Dahchour, celui de la pyramide rouge qui fut son veritable tombeau, comme les travaux de la mission allemande, dirigée par Rainer Stadelmann, ont permis de le démontrer. Selon certaines hypothises, il reste encore un candidat possible pour abriter le corps de Houni. Ce tombeau se trouverait, cette fois, & Vopposé du site précédent sur la carte des nécropoles memphites, 2 Vextréme nord : Abou Rawash. Un monument de briques, édifié sur tune colline juste au bord de la Vallée, y avait &é vu, entre autres, par Texpédition Lepsius, qui lui donna le numéro I de sa liste des pyra- ides, Le massif de briques, déja bien entamé a I'époque, a depuis lors totalement disparu, mais il reste les traces, dans le rocher, damé- nnagements de terrasses, de tranchées et de rampes, ainsi qu'un couloir en pente d'orientation polaire donnant sur une chambre funéraire. [Nabil Swelim, qui aeffectué un examen poussé du site en 1986, consi dice & juste titre qu'il s‘agit de travaux préparatoires & I'installation d'une pyramide, qu’il suppose A degrés. Tout en reconnaissant l'inté- rét de son analyse, sur un site jusque-Ia passé & peu prs inapergu, les 28 ‘DJESER ET LA Hl DYNASTIE- dimensions probables du monument achevé, d'une base supérieure & 200 m, I'emploi massif de la brique crue, ainsi que la réduction des appartements souterrains & une chambre unique, ne plaident pas en faveur d'une si haute date. 11 est vrai que le demier roi de la II dynas- tie a pu poursuivre te mouvement amoreé par Sckhemkhet puis Khaba dans la réduction des appartements proprement dits, qui restent néan- ‘moins encore, & cette époque, associés & un vaste complexe de maga- sins (ch. 4). I1n’est pas certain qu’un réexamen du site, tel qu'il se pré- sente actuellement, permettrait de résoudre I’énigme de la date et de Tapparence de ce grand monument, ainsi que I'identité de son com- ‘manditaire royal. Dans ces conditions, le complexe funéraire de Houni reste encore a identifier. Printemps 1911, Khaba et la « pyramide a tranches » anonyme Aprés Netjerikhet « Djéser » et sa pyramide de Saqqara, ses deux suecesseurs Sanakht Nebka et Nésout-hé (2) « Houni » demeuraient sans tombeau conmu, quelles qu’aient été les hypothtses sur le dernier. Dans une immense nécropole memphite en cours d’exploration, les ‘monuments encore anonymes ne manquaient pourtant pas pour pour- voir & de telles lacunes. C'est l'un d'eux, dans la partie sud de Zaouyet el-Aryan, qu'une mission américaine s'attaque en 1910-1911, La pyramid, située en rebord de plateau & un kilometre et demi de la Grande Excavation qui éuisa Barsanti et ses équipes, regut des visiteurs informés bien avant, cette date. Comme la précédente, elle est répertoriée par Perring ds 1837, qui en décrit I’éat lamentable : son « apparence générale (...] est celle d'une colline circulaire », ce qui lui vaut, de la part des autochtones, le surnom d°El Medawarah, «la ronde ». Perring Constate que le monument, comme tant d’ autres, a servi de carriére. Quelques parties mises & nu lui permettent de faire les premidres ‘observations scientifiques du monument, construit en petits blocs irré- Buliers de calcaire local, joints & aide d'un mortier d'argile et de sable. Karl Richard Lepsius ne fait qu'y passer en décembre 1842, en ‘Tépertoriant le monument sous le numéro xIV. Les premiéres fouilles connues, sans que des comptes rendus n'en soient jamais publiés, furent mendes par le Service des Antiquités entre 1881 et 1885, lors de la grande campagne des pyramides conduite par son directeur, Gaston Maspero. Aprés la découverte par son prédé- ‘cesseur, Auguste Mariette, de textes funéraires dans les caveaux des 29 DJESER ET LA IF DYNASTIE pyramides de Pépi Iv et de Mérenré (VI dynastie), Maspero se lance en effet a I'assaut de ensemble des pyramides de Ia région memphite. 11 recherche passionnément de nouvelles versions de ces « Textes des Pyramides », le plus ancien corpus de textes funéraires et religieux cconnus de Ihistoire de I'humanité, dont il allait devenir le premier édi- tour. Et c'est bien un assaut qu'il conduit, selon Jes métaphores militares trés « ligne bleue des Vosges » qui sont dans lair du temps : il s'agit de «diriger I'attaque sur le front entier de 1a nécropole memphite », de pro- ‘céder des « campagnes dirigées contre les Pyramides » '. Test vrai que la fiche est ardue, et qu'il est aussi difficile que téméraire de pénéirer dans des chambres funéraires partiellement effondrées et protégées de ce fait par des amas de blocs lourds et instables qui ont découragé nombre de ses prédécesseurs. Le «front» est ouvert par les pyramides de Saggara, de février & juillet 1881, avant de porter les efforts sur les autres nécropoles, & partir de décembre. Pour la « pyramide ronde » de Zaouyet el-Aryan, c’est I'échec : « je n'ai pas méme réussi a découvrit entrée », précise Maspero. Logique : elle ne doit pas étre cherchée dans la structure, comme celles de I' Ancien Empire, mais nettement en dehors, 18 oi s'ouvre Ia descenderie qui conduit sous le monument, Aprés une bonne décennie d’accalmie, celle-ci est enfin mise au jour par Jacques de Morgan, en 1896... mais l'exploration n’est pas pous- sée plus avant. Ce n'est qu’en 1900 que Tinfatigable Alexandre Barsanti peut enfin pénétrer dans les vastes appartements souterrains, Déception : ils ne fivrent aucun nom de souverain, ni d'ailleurs aucun objet. Les couloirs, gaferies et pitces-magasins apparaissent désespéré- ment vides & la fouille :« j'examinai les trente-deux cellules l'une aprés autre, mais sans trouver nulle part la moindre trace d" occupation ; out ait nu et propre, comme si les ouvriers en étaient sortis récemment » 2 Alors que Barsanti tente sa chance plus au nord & la « Grande Excavation », Ie Service accorde la concession du site & une mission américaine dirigée par George Andrew Reisner et Clarence Fisher, qui ‘se sont surtout consacrés & la nécropole de Giza. C'est cette mission ‘qui, dans son unique campagne de I’hiver et du printemps 1910-1911, déermine qu'il s'agit, en superstructure, d'un monument & tranches. Ils en dénombrent quatorze autour du noyau de 11 x 11 m, reposant les tunes sur les autres, et évaluent I'épaisseur de chacune & 2,60 m, soit 1. «Sur les fouilles exécutses en Egypte de 1881 2 1885, Bulletin de Vinstine d’Egypte 6, 1886, p.6 et 8. 2. « Ouverture dela pyramide-de Zaouit El-Aryan », Annales du Service des Antiquités de U Egypte 2, 1901, p. 94 30 DJESER ET LA II DYNASTIE 5 coudées. Compte tenu de cette structure, et de Ia forte pente des tranches, de 68° par rapport & V'horizontale, Reisner et Fisher concluent qu'il ne peut s'agir que d'une pyramide & degrés (ch. 4). Forts du paralléle offert par Ia pyramide de Netjerikhet Djéser & ‘Saqgara, ils déduisent que le monument doit dater de la IL dynastie. D’autres observations, en particulier sur le plan des appartements sou- terrains et leur grande galerie en « U», renforcent cette conclusion, méme si par la suite, sans raison valable, Reisner devait faire remonter Je monument a la I dynastie dans sa grande symthése consacrée & Tévolution de I'architecture funéraire, The Development of the Egyptian Tomb (1936). Pas plus que Barsanti néanmoins, ni le réexa~ men de infrastructure, ni le dégagement partiel des faces de la pyra- mide, ne rév@lent de document portant un quelconque nom de roi. D’un sumom a T'autre, Ia « pyramide ronde » est pourtant désormais deve- nue ta « pyramide & tranches » (Layer pyramid) de Zaouyet el-Aryan. Sur leur lancée, Reisner et Fisher étendent leurs investigations aux tombes qui environnent le monument sur une distance de plus de 500m, De dates trés diverses, des dynasties thinites jusqu’a la période romaine, elles restent mal documenées & Mheure actuelle, faute des publications adéquates. En particulier, aucun plan détaillé de la nécro- pole n’a jamais para, quoique Mark Lehner, qui a récemment examiné les archives de fouilfe conservées atu Museum of Fine Arts de Boston, ait découvert la série des mesures d’angles et de distances collectées & cette fin. Au printemps 1911, 8 200 m environ au nord de la pyramide, Ja fouille se porte sur un petit groupe de mastabas datant, selon les archéologues, de la fin de la IH dynastie. Parmi ces tombes, une struc- ture de taille moyenne (environ 15 & 17 m par 8, mesures exactes {inconnues !), baptisée Z500, devait livrer une information capitale. I ‘agit d'un mastaba en briques, classiquement orienté nord-sud, dont la facade occidentale comporte des niches pour le culte. Deux puits per- és dans 1a superstructure conduisent aux appartements funéraires. Lihypothése d’une tombe royale, hativement formulée par la suite, doit eure définitivement écartée & la lumidxe du nouvel examen des archives de Reisner, qui montrent que le monument posséde toutes les caracté- tistiques d'un mastaba de particulier, dont fe nom reste inconnu. Fait Temarquable, qui lui a valu une certaine célébrité dans le cercle des spé- sialistes, la tombe a livré prés d'une centaine de pidces de vaisselle en pierre dure, dont huit ~ chiffre indiqué par Reisner, cing seulement sont ubliées ~ portaient le nom dun roi quasiment inconnu, I'Harus Khaba. Annouveau, de rares monuments du souverain étaient apparus dans 4a décemnie précédente, qui n'avaient pas permis d'assurer sa place; a (= sg 8) DJESER ET LA It DYNASTIE. Fig. 6: Le nom d’Homus de Khaba (d'apres Kahl etal). sein de 'histoire égyptienne, Le plus anciennement découvert, sans provenance établie (peut-€tre Dahchour), est un bol en diorite gravé du serekh royal. Acquis dés 1895-1896 en Egypte par un collection- eur, ce qui correspond effectivement a la date des fouilles menées & Dahchour par Jacques de Morgan, il ne fut pourtant connu de I'égyp- tologie qu’en 1958, date de sa publication ! Ce n'est done pas, en réalité, avant 1899 que le nom de Khaba sort enfin d'un Tong silence, d'abord sous la forme d'une simple empreinte de sceau en argile, elle aussi sans provenance connue. Acheiée par Petrie, elle figure dans la 4* édition de son History pour documenter le nouveau régne, Maintenue dans quelques-unes des éditions suivantes, Fig. 7 : Lenom de faucon d'or de Khaba (sceau de Petrie, d'aprés Kahl et ol) 32 DIESER ET LA II DYNASTIE elle disparatt par la suite de l'ouvrage, ce qui témoigne des doutes du savant britannique sur la place de ce roi. Petrie, faute de mieux, le classait dans les premitres dynasties, sans plus de précision. Henri Gauthier, dans son Livre des rois, e placait & la dynastic, & Paide du méme document. Une autre découverte, quasi simultanée mais cette fois en contexte, est pourtant effectuée, dans la ville de Higrakonpolis, pendant I'hiver 1898-1899. Passée presque inapergue et boudée par Petrie, elle fut pourtant riche d'enseignements. Le document fut en effet retrouvé dans une strate que la céramique, ainsi que d'autres empreintes de terre sigillaire au nom de Djéser et de Snéfrou, dataient dune fourchette chronologique allant de la I au début de la TV" dynas- tie. Les similitudes avec d'autres sceaux, ainsi que les particutarités d'un des titres royaux, permettaient dailleurs 4 Raymond Weill, dans sa thése publige en 1908, de placer le nouveau venu entre Djéser et Snéfrou, c’est-A-dire sous ta II dynaste. Entre 1902 et 1908, ce fist au tour de la mission allemande d’Abousir de mettre au jour, dans le temple de Sahouré (début V* dynastie), une coupe en calcite au nom du méme Horus Khaha, que la présence de trois vases de diorite au nom de Snéfrou rattachait, A nouveau, & la méme fourchette chronologique. Un autre bol, en diorite, fut découvert dans tune tombe de Naga ed-Deir, une vaste nécropole de la région d'Abydos fouillée par Reisner 2 partir de 1901 (ch. 6) '. Avec le lot du mastaba 2500, la série de vases devenait done tr’s étendue. I était clair présent ue ces productions de prix avaient été pour partie accordées en cacleau des membres de élite du regne (Zaouyet el-Aryan, Naga ed-Deir), et our partie conservées par la monarchie, avant d’étre successivement dispersées dans certains temples funéraires royaux (Snéfrou & Dahchour, si cette provenance est avérée ; Sahouré-& Abousit). Le mas- taba 7500, dont tout démontre qu'il s'agit d'une tombe de particulier, se rattache clairement au premier type. association entre un roi, une élite enterrée & proximité de la pyramid et un matériel funéraire comportant des cadeaux royaux, est une pratique suffisamment bien documentée our que I'identification de Ia pyramide voisine avec le roi-donateur présente une trés grande vraisemblance, Sans atteindre la certitude abso- ue, Ia « pyramide & tranche » fut dane généralement considérée comme 1. Draprds G.A, Reisner, Bulletin of the Museum of Fine Arts 9, 1911, sans 4qu'l en soit fait mention dans les publications de la néeropole. Sil ne sagt pas ¢une erreur, il faut peut-ure identifier au vase de la collection MacGregor, sans Provenance conne, entré en 1922 'University College de Londres, publiélong- temps spres par A.J. Arkell, Journal of Egyptian Archarology 42, 1936, 116, 1° a 33 ee Eee EEE ORNATE ERS celle de Khaba. Avec un monument aussi caractéristique de I"époque, ce souverain trouvait, par la méme occasion, une place assunée au sein de la TI dynastic. La liste de ses ris, apres « Djéser», Nebka et « Houni », s'allongeait d'un quatritme nom, Automne 1924, retour & la « pyramide & degrés » Aprés une trés longue pasenthése, le complexe du roi embléma- tique de la période, Netjerikhet « Djéser », atire & nouveau I'attention dans la seconde décennie du x0 sitcle. Non que ce roi ne se soit mani- festé entre-temps dans la documentation, de la découverte des reliefs d'un temple érigé & Hcliopolis (ch. 6) & celle des scellements d'argile de Beit Khallaf. Le retour Saqgara se fait sur de nouvelles bases : exploration ne conceme plus exclusivement la pyramide et ses appartements, mais le vaste enclos et les nombreux monticules qu'il comporte, sous lesquels se cachent, selon toute vraisemblance, autant de bitiments. Cecil Firth, sur mandat du Service des Antiquités, en commence examen systématique en 1924. Il s‘attaque d'abord a deux émi: nences, désignées jusqu’ici comme des petites pyramides. Ce qu’ croit étre des mastabas, avant de devenir les « maisons du Sud et du Nord » consacrées au culte royal, révele une architecture inattendue, Les facades colonnes engagées, terminées en chapiteau floral, dont les fits de certaines sont cannelées, émerveillent 'archéologue : elles «sont totalement différentes de tout ce qui est connu de l'architecture égyptienne et, étant de la II dynastie, elles constituent le plus ancien témoin de constructions en pierre aprés la Pyramide A degrés elle- méme ». Ce n'est que le début d'une longue suite de découvertes exceptionnelles, tant du point de vue de l'architecture et de l'histoire de Vart que des sources écrites, Dans le serdab accolé ita face nord de la pyramide, apparaft ainsi, és 1924, une statue quasiment intacte de Netjerikhet assis, un des Joyaux du Musée du Caire (photo 2). Deux ans plus tard, les fragments d'une autre statue royale, en pose debout cette fois, sont mis au jour hors les murs, prés de I'entrée du complexe (fig. 31). L'inscription du socle, outre celui du roi, livre un nom qui enthousiasme le monde scientifique : celui d"Imhotep, seulement connu jusqu'alors par une abondante documentation postéricure. Le voila donc associé & son maitre dans une inscription gravée sous ce régne méme, et qui assure Vhistoricité du personnage, alors que "étude détaillée de la pyramide allait permettre de mesurer I'étendue du génie du grand architecte, 4 DJESER ET LA IIF DYNASTIE- La saison suivante est celle de Ta découverte du « tombeau sud », avec ses encadrements de portes portant la titulature royale, ses st2les de caleaire décorées de représentations du roi pendant la féte jubilaire, et ses murs de faiences bleues. Une réplique moins achevée appa- rait, dans la foulée, dans les appartements royaux de la pyramide, qui suivent les deux pidces aux faiences bleues tant de fois admirées: au xix sitele, Cette nouvelle exploration s"accompagne de celle des galeries paralléles inférieures od, dans l'une d'elles, des empreintes de sceaux au nom de Netjerikhet sont découvertes, Réalisées dans le mortier frais des joints de blocs de la paroi, elles portent en outre les titres du fonctionnaire ~ anonyme — qui fut le détenteur du sceau- cylindre, un « chancelier du roi (-bity) et sous-ordre du roi (-nésout) » (waductions conventionnelles) qui pourrait bien étre Imhotep. Seules les cing galeries les plus au nord sont visitées ; leur état de délabre- ment et les dificultes du travail & plus de 30 m sous terre découragent Firth, qui suspend les investigations souterraines pour se- concentret sur les batiments de surface. Ala mort de ce demier, en 1931, James E. Quibell reprend le chan- tier, dont la direction de terrain est confide & Jean-Philippe Lauer, chargé depuis 1926 des relevés d’architecture. L'exploration des sou- terrains reprend, Six nouvelles galeries sont explorées, toujours plus au sud, dans des conditions de travail extrémement pénibles et dange- reuses, Dans les galeries VI et VIL, dont la fouille s"étend sur plusieurs saisons de novembre 1933 a janvier 1936, la moisson est exception- nelle. Des milliers de vases en pierre sont découverts, entassés du sol au plafond ; pris dans une gangue d’argile, ils ont souvent été écrasés sous la pression du plafond affaissé, taillé dans la roche (photo 10). Certains sont inscrits, mais, surprise, ils ne portent que des noms de Tois des deux premieres dynasties, de certains de leurs fonctionnaires etd’institutions diverses, jusqu'au premier souverain de la F* dynastic, le fameux Narmer. Une sorte de conservatoire constitué par Djéser, dont le nom reste désespérément absent, AI'exception... dune unique empreinte de sceau fermant un sac. Tout n'est pourtant pas encore dit, En 1993, a l'occasion de la fouille du temple funéraire d'une reine de Téti (VIF dynastie), situé au nord-est du complexe de Djéser, un superbe montant de porte & motifs animaliers, ponctué du nom d’Horus Netjerikhet, était mis au jour par Ja mission égyptienne dirigée par Zahi Hawass, Cing ans plus tard, Ja mission polonaise de Carol Mysliwiec découvrait, & Vouest du Complexe cette fois, plusicurs petits fragments d'une stéle cintrée, d'un type déja connu par de nombreux exemplaires, qui se rattache 35 EUEOER Bf LA EP INAS LIE sans aucun doute au méme régne. En dehors du complexe de Djéser lui-méme, de semblables fragments avaient déja &é récolés par Zakaria Goneim 3 la pyramide de Sekhemkhet (1953), et, sans contexte clair, dans une tombe de la VI" dynastie de la nécropole de Téti. L’ensemble monumental exceptionnel que constituent la pyramicle A degrés et les bétiments attenants ne doit pourtant pas effacer les nombreux documents qui sont appanus sur d'autres sites, et qui font de Djéser le roi le mieux connu de 1a Tilt dynastie. Les fouilles de I'Institut allemand du Caire & Abydos, dans la tombe de son prédéoes- seur et pre Khasekhemouy, viennent d’en apporter une nouvelle illus- tation. Les dizaines d'empreintes de sceaux au nom de Djéser, retrouvées dans les magasins nord, permettent désormais de fixer ordre de la succession royale du début de la TI dynastie. Aw total, ce sont plus de cent cinguante fragments ou monuments complets de toute nature, du roi et de ses contemporains, qui ont été récemment sépertoriés par Jochem Kahl dans son édition des inscriptions de la période (mais antérieure aux demnitres découvertes susmentionnées), soit plus des trois quarts du total que l'on peut nommément attribuer aux rois de cette dynastic. Automne 1951, Sekhemkhet et la « pyramide enterrée » Alors que la fouille et la restauration du complexe de Djéser se poursuivaient inlassablement, une grande masse rectangulaire, située au sud-ouest de cet enclos, restait en marge de l'exploration. Suffi- samment peu marquée pour avoir longtemps échappé & attention des premiers explorateurs de Saqqara, elle ne figurait sur aucune des pre- mires cartes de la vaste nécropole. La réalité d'une telle construction ne faisait pourtant plus de doute depuis les premidres photographies aériennes du site, prises dans les années 1920 et 1930, alors que divers débris de magonnerie, sur le périmétre, suggéraient la présence de monuments importants. Tel fut 'avis d'un égyptologue égyptien, Zakaria Goneim, ancien assistant de Selim Hassan & Sagara et nommé, aprés plusieurs postes en Haute-Egypte, conservateur de ce site en 1951. Apres de rares précurseurs comme Hassan, il appartient A une premitre génération d' archéologues et de savants égyptiens, for- més & l'Université du Caire dans les années 1930, auxquels le grand conflit mondial et le retrait des missions étrangéres offtirent I'ooca- sion de prendre en main une part importante des activités archéolo- giques de leur pays. La tache sur le site pressenti par Goneim est immense, et, faute des moyens technologiques qui sont actuellement 36 DJESER ET LA IIF DYNASTIE les nOtres, de maigres indices de surface et le flair du fouilleur pou- vaient seuls guider I'implantation des premiers sondages. Ils débutent ‘du c6té ouest en septembre 1951. Tres rapidement, a I"imérieur de Fenclos dont les dimensions sont établies 2 536 x 194 m, de grandes structures en pierre apparaissent en divers points du chantier, en parti- ‘culier un mur d'enceinte en pierres de revétement appareillées, a ap- parence ts similaire celui de Djéser- Cette découverte de bon augure se poursuit, A partir de février 1952, par un sondage destiné a repérer une éventuelle pyramide. Dans les semaines qui suivent, une portion d’une structure arasée est mise au jour, «composée de ‘couches indépendantes de magonnerie reposant l'une sur l'autre, et sinelinant vers 'intérieur (de la structure) & un angle de 75 degrés, les assises s’inclinant elles aussi vers l"intérieur ». C’est la fameuse struc- ture a tranches caractéristique des pyramides & degrés, qui signe une date sous la II dynastie, analyse que Jean-Philippe Lauer, rameuté sur le site, confirme immédiatement. Il reste & découvrir l'entrée du monument pour en explorer les appartements funéraires, ce que la situation politique complique singuligrement. La Révolution des Officiers, qui renverse la monarchie, repousse la réouverture du chan- tier d'un an, et impose de nouveaux comportements. Socialisme oblige, toute découverte doit étre celle d'un nouveau régime, dune collectivité nationale, et non l'exploit de quelque individualiste m0 par des intéréts personnels. En février 1954, une grande et profonde galerie & ciel ouvert est localisée dans I'axe de la pyramide, du cote nord, puis déblayée. Elle s’acheve sur une porte, soigneusement blo- quée par une magonnerie, dont il ne fait aucun doute qu'elle conduit & une ou plusieurs galeries souterraines. Les travatex sont interrompus une seconde fois, afin d'organiser une cérémonie officielle d’ouver- ture, en présence du ministre de I"éducation et du directeur du Service des Antiquités qui, pour la premizre fois aprés un long régne des Frangais, est un Egypticn, Le cdté droit du blocage bipartite est atta- Qué Ia pioche. On se faufile par !'ouverture, mais la galerie se trouve, une vingtaine de métres plus loin, obturée par un amas considérable de blocs. Les politiques ayant fait demi-tour, 'archéologie reprend ses, droits. Aprés quelques tentatives infructueuses, dangereuses et méme fatales & un ouvrier pour franchir l’obstacle par des voies détournées, Tamas est attaqué frontalement. Les demiers blocs enlevés, puis une €aisse couche d'argite dégagée, les premiers éléments du mobilier funéraire royal apparaissent, dispersés sur le sol du couloir: céra- miques scellées, vases en pierre (photo 11) et bijoux, dont 21 bracelets en or. Avec la découverte tant attendue : sur des empr 37 Fig. 8: Le nom d’Horus de Sekhemkhet (a'aprés Kah! et Bommas) Je nom du propriéiaire des lieux: Sekhemkhet, «le puissant de comps». La III dynastie vient de gagner un nouveau roi. Un nouveau vem, mais pas un inconnu, comme il apparaft rapide- ment aprés un réexamen de 1 documentation. Deux reliefs rupestres ddes mines du Ouadi Maghara, dans le Sinai, ont en effet déja livré, au début du x sicle, le nom de ce souverain (fig. 75c). Mais &"époque de leur découverte, ct jusqu’a celle de Zakaria Goneim & Saqgara, Ja lecture proposée en était Semerkhet, un roi de la I* dynasti, Il est vrai que la confusion entre les deux signes hiéroglyphiques verticaux sekher et mer est aisée pour peu que I'écriture en soit schématique, Yun représentant un sceptre A emmanchement rectangulaire, l'autre un ciseau & bois, Le réexamen des inscriptions du Sinai ne laisse pourtant aucun doute sur I"interprétation du signe : il s‘agit bien du premier. ‘Voila donc Sekhemkhet qui retrouve une place de choix au sein de la Ill dynastic, commanditaire d’expéditions minitres et bitisseur d'un complexe fundraire dominé par une pyramide A degrés. La fouille 38 PALERMO EE IAL IEE LAE ININO ENS devait démontrer que celle-ci comportat sept degrés, soit un de plus que celle de Djéser, mais qu'elle est restée inachevée, indice d'un régne sans doute bref, ‘Le matériel exhumé dans le couloir pouvait laisser espérer d'autres découvertes de premier plan dans les appartements funéraires du roi. Passé l'obstacle du bouchon de blocs, Goneim accéde & des galeries latérales, dont la forme en «U » semble, vue en plan et sans tenir ‘compte de la différence de niveau, enserrer la pyramide sur trois de ses c6tés. Sur une distance de plus de 400 m, a intervalles néguliers, les murs latéraux des galeries s'ouvrent sur des pidces en vis-2-vis, 132 au total. Autant que la fouille, incomplete, ait permis de le démontrer, ‘ces pices sont vides, contrairement au couloir principal et &I'aceds & la galerie en U, qui contenaient des amas de vaisselle en pierre. En retourant au couloir principal dont il poursuit péniblement le déga- ‘gement partel, le plafond devant Gtre systématiquement étay€ par une ‘maconnerie approprige, !'archéologue finit par aboutir & un nouveau blocage masquant une porte, Il en force cette fois I'entrée sans aitendre le feu vert officiel. Le voici dans le caveau. C'est une chambre inachevée, grossi@rement taillée dans le rocher et de pidtre apparence. Au milieu, pourtant, repose encore un magnifique sarco- phage d’albétre, monolithique, qui comporte, au liew de I'habituel couvercle, une curieuse porte coulissante sur l'un des petits cotés (photo 12). L’ensemble est intact et semble encore scellé. I faut en dif- férer l'ouverture, qui se doit cette fois d’étre solennelle. Une nouvelle cérémonie est projetée, & laquelle Gamal Abd El-Nasser assiste en personne, le 26 juin 1954, avec une partie de son gouvernement et la presse internationale. Il ne s'agit pas moins, en effet, que de réveiller lun monarque. Qui se dérobe au rendez-vous : Ie sarcophage, pénible- ‘ment ouvert, se révele absolument vide. La déception est immense, ui ferait presque passer inapergue I"étendue de la découverte, un nou- ‘eau roi et son complexe funéraire, et, surtout, une pice importante du puzzle de la II" dynastic, La saison suivante, le couloir principal, incomplétement dégagé jusque-la pour accéder plus rapidement au caveau, est fouillé jusquau sol. Dans les débris, de nouveaux vases en Céramique et en pierre apparaissent, ainsi que d'autres empreintes @'argile au nom de Sekhemkhet (restées inédites). Une tablette rec- tangulaire & liste d*offrandes, d'usage rituel, livrait un autre nom du Toi, Djoserti-ankh, de premiére importance pour son identification dans la documentation postérieure. Malgré Ia déconvenue du sarcophage vide, Goneim n'en a pas ‘moins gagné une renommée internationale, qui déborde le cadre de la 39 seule égyptologie, et suscité bien des jalousies parmi ses collegues égyptiens. Une accusation infondée de recel d'antiquités Jui vaut un procs, puis fa prison ; fragilisé, il se suicide par noyade dans le Nillen 1959. Le volume Il des fouilles ne paraitra jamais, mais son soutien de toujours, Jean-Philippe Laver, reprend ses travaux sur le complexe & partir de 1963, et met au jour, en particulier, un « tombeau sud » qui Tapproche encore davantage ce complexe de celui de Netjerikhet Djéser. Depuis ces travaux majeurs & Sagqara, seul le site d"Eléphan- tine a livré un document supplémentaire du régne, sous forme dune empreinte de sceau d'un fonctionnaire chargé de I'administration de la ville, 1967, Qahedjet au musée du Louvre En 1967, le musée du Louvre se portait acquéreur d'une sttle reo- tangulaire, sans provenance déterminée, auprés d'un antiquaire du Caire. Taillée dans un calcaire lithographique, haute d'un demi- mitre, elle porte la représentation d'un roi au nom d'Horus inconnu Jusque-1a : Qahedjet, linéralement « (celui qui est) élevé de couronne blanche». Le roi, qui se présente avec cette coiffe, est étreint par le dieu & te de faucon qui lui fait face, Horus «dans la Grande demeure » (how-adi), le sanctuaire du démiurge d Héliopolis. Le style du monument et certaines de ses particularités iconographiques ont permis & Jacques Vandier, qui en a supervise l'achat et assuré la publi- cation, de démontrer sa forte parenté avec les reliefs de Djéser, et de Je dater par conséquent de la II dynastie. Lattitude du roi, poignard la ceinture, massue piriforme dans la main droite, baton mi-long & ‘extrémité pointue dans la gauche, n’est d’ailleurs pas sans rappeler la visite de Sanakht au sanctuaire d'Horus de Higrakonpolis, représentée sur un relief du Sinai. Cette sidle s'insérait probablement dans une niche de sanctuaire, dont tout porte & croire qu'il se dressait 2 Haliopolis méme, comme ta chapelle de Djéser, dont une partie du parement de calcaire, décorée de scdnes et de textes, a été découverte dans Ja méme ville & la fin du xix" sidcle. Cette mention unique de I'Horus Qahedjet ne fait pas forcément de Jui un inconnu. Vandier, astucieusement, a proposé de identifier & Tun des rois de la IN* dynastie dont le nom n'est commu que parun car- touche. L’état des sources est en effet tel qu'il est bien difficile de ras- sembler les divers éléments de la titulature royale, nom d'Horus et cartouche compris, sous une: méme identité. Deux candidats sont pro- posés parl'ézyptologue, Nebka (qu'il dédouble sans raison valable) et 40, Fig. 9 : La sttle de Quhedjet (mnusée du Louvre, 'aprés Ziegler), Houni, en montrant une préférence pour le second. La récente colla- tion d'un sceau de Beit Khallaf, effectuée par Stephan Seidlmayer, Permet A présent d'assurer que le premier est bien I'Horus Sanakht, comme Sethe l'avait montré das la publication du document, en 1902 (voir ci-dessus, hiver 1900-1901). Houni reste donc effectivement le seul candidat possible, & moins que la liste des rois de la dynastie ne doive etre étendue. Sur le cOne d’Eléphantine évoqué plus haut, on a cru voir dans l'inscription mutilée du bord inféricur les traces d'un nom d’Horus, dont I'hypoihétique serekh porterait le signe de la eou- ronne blanche, curieusement inversé, Cette lecture n'est pas convain- ante, car le peu qu’il reste de cette inscription semble identique au texte central, qui en serait une copie plus récente ; I"éat ancien n’ajoute par conséquent aucun renseignement supplémentaire sur Videntité royale. L’équivalence Qahedjet — « Houni », vraisemblable, en garde pas moins un caracttre hypothétique. Quoi qu'il en soit, 4. EMBSER BE LA EE DENASIIS: vel Horus, la III dynastie gagne un cinquiéme nom, aprés la réapparition de Netjerikhet, Sanakht, Khaba et Sekhemkhet. La tra- dition conservant, pour cette période, la mémoire de cing souverains (mais sous des noms qui ne correspondent pas toujours a ceux dori- gine, voir ch. 2), la liste sen trouverait close. Fouille en cours dans « lenclos du directeur » De ces cing souverains, seuls les complexes funcraires de Khabe, Netjerikhet « Djéser » et Sekhemkhet ont éé identifiés, le premier & Zaouyet el-Aryan Sud, les deux autres 2 Saqgara-Nord. Suivant le modele de ces demiers, il est tentant de rechercher la demeure d'éter- nité de leurs successeurs sur le méme site. Saggara abrite en effet la sépulture royale depuis le début de ta Ur dynastie, sachant que les grands mastabas de la T* dynastie, que certains chercheurs ont voulu attribuer A des souverains de cette poque, sont en fait des tombes de particuliers de haut rang. Le pre- mier roi assurément enterré & Sagqara, qui ouvre aussi la IF dynastie, est donc Hetepsekhemouy, dont la tombe a été particllement appro- visionnée et fermée par son successeur Réneb, La découverte d'une stéle de celui-ci 4 Memphis, hors contexte mais typiquement funéraire, prouve sans doute que Réneb fut lui aussi inhumé dans la nécropole voisine. La tombe de son successeur, Ninetjer, y a @ailleurs été identifiée, juste al'est de celle de Hetepsekhemouy. Les deux tombes, & suivre leur impressionnant réseau de galeries souter- raines, sont orientées de la méme fagon, selon un axe nord-sud, Juste au nord de ces deux monuments, au-deld d'un fossé large et profond, se situe le vaste enclos funéraire de Djéser, sans doute installé 1d dans un souci de continuité, apres le retour & Abydos de ses prédécesseurs immédiats, Le complexe de Sekhemkhet poursuit ce mouvement, cette fois du c6té sud et ouest du périmétre royal. Or, plus & l'ouest encore, deux autres enclos ont été repérés, dont Ia date n'est encore assurée, mais hésite logiquement entre la I" et la HI? dynasti Signalés depuis la fin du xn sitcle, ils n'ont fait I’ objet que de son- ages tres ponctuels et sans lendemain, jusqu’é ce qu’une mission des Musées royaux d’Ecosse, dirigée par ian Mathieson, s'y intéresse & partir de 1990, Conduite a la fois par des géophysiciens et des archéo- Jogues, elle s'est donné un double objectif. L’un consiste évidemment ‘2 déterminer fa nature et la date de ces mystérieux enclos. L’ autre vise 2 tester T'efficacité des méthodes de prospection subsurface en contexte désertique, afin de permettre aux archéologues de porter 42 DIJESER ET LA IF DYNASTIE leurs efforts sur les zones les plus prometteuses ; les structures sont en effet invisibles a l'oeil nu, masquées par d’épaisses couches de dépéts naturels ou humains. Sur de vastes périmétres comme ceux des enclas, il est en effet hors de question de pracéder 4 un dégage- ment complet, cofiteux en temps et en moyens pour un résultat @ priori extrémement pauvre, puisqu’ils sont sans doute constitués, pour I'essentiel, d'une grande cour a ciel ouvert. Comme le dit Ian ‘Mathieson en des termes économiques ~ mais le nerf de 1a guerre est aussi celui de Tarchéologie : « les fouilles sur une surface étendue deviennent un luxe codteux appartenant au passé», alors qu'une poli- tique de sondages bien menée, au moins dans un premier temps, livre d’excelients résultats. Le sous-sol de la zone a donc été analysé selon les méthodes les plus diverses, résistivité, magnétométrie, conduc- tivité, écho radar, impulsions électromagnétiques, qui en mesurent les Emissions magnétiques et les propriétés électriques. Dans un second temps, les « anomalies » détectées, susceptibles de livrer des structures ou des dép6ts d'origine humaine ~ mais it peut aussi s'agir de simples accidents naturels du terrain -, ont été testées par des sondages, Lrenclos Je plus proche du complexe de Djéser, dit de « Ptah- hotep » en référence aux tombes voisines de cette famille de vizirs de Ja fin de la V" dynastie, n'est gure pour I'heure qu'une structure en «L-~, c'est-’-dire deux élévations & angle droit, et non un périmetre ectangulaire totalement fermé, Elle figure dja sous cette forme sur les cartes du xix’ sidcle, depuis les relevés schématiques de Vyse et Perring en 1837. La prospection de surface conduite par la mission Gcossaise a montré que les élévations, pour éviter de parler « d’en- ceinte », se composaient simplement de sable et de gravier. Rien & voir, a priori, avec une muraille de pierres appareillées, similaire & celle de Djéser ou de Sekhemkhet, La ot une pyramide ou un monti- cule est éventuellement attendu, & I"intérieur de cet enclos aux dimen- sions incertaines, ne figure topographiquement qu’ une grande cuvette, associée & une structure rectangulaire de briques crues et des murs adjacents, encore trop partiellement repérés, Pour l'heure, ni sa fonc- tion ni sa relation & T'enclos n'ont pu étre déterminées ; le mystére reste donc entier, en particulier sur la question chronologique. Pour- ‘unt, la présence de nombreuses tomes & T'intérieur méme du péri- métre, dont certaines sont datées des V'-VI' dynasties sur des cartes du xox sigcle, rend peu probable I’ attribution & un roi de cette époque (Menkaouhor a é1é proposé), mais au contraire & un souverain plus ancien, 43 DJESER ET LA i? DYNASTIE- Le second enclos, localement @énommé le Gisr el-Moudir, «la levée de terre du directeur », est le plus grand du groupe, avee un péri- mitre presque du double de celui de Djéser (2,5 ha contre 1,5 ha, enceintes comprises). Repéré dés le xne sidcle lui aussi, il figure sur les premiers plans de la nécropole de Saqgara. Effleuré par Jacques de Morgan dans les années 1890, il n’attire plus I'attention avant 1947, date A laquelle Abdel Salam Hussein, aprés d’importants travaux & Dahchour, décide de s'y attaquer. Les sondages font rapidement appa- raitre des portions de l’enceinte en pierres de formes irrégulidres et de tailles diverses, mais soigneusement magonnées, Les choses en restent pourtant Ia, en raison du déces de l'archéologue égyptien, qui met un terme, pour quarante ans, 2 I’exploration & peine entamée de l'enclos. Celui-ci fait actuellement l'objet d'une investigation poussée, Conduite par la mission des Musées royaux d’Ecosse, la prospection géophysique initiale ayant céde la place & une active politique de son- dages, Alors que le tracé approximatif de I'enceinte est aisément recon- naissable sur le terrain, aucune structure n’émerge de la vaste étendue sableuse du périmétre intéricur. La prospection géophysique n'a permis de détecter aucune anomalie au centre de l'enclos, de sorte qu'il est peu probable qu'une pyramide y ait jamais été construite. La logique vou- drait qu'un tel monument ait été érigé avant I'achévement de l’en- ceinte, ou que les deux chantiers aient été menés en paralléle. ‘Complexe & tombeau royal projeté, enclos funéraire ou aréne cultuelle, la question reste done ouverte, rs de l'angle sud-ouest, en revanche, les mesures du sous-sol ont permis de localiser un grand pavé de briques, haut d'une seule assise et particllement revétu de mortier, Cette étrange construction ne semble pas avoir supporté de murs, et doit constituer les vestiges une rampe ou d'une glissiére pour de gros blocs, témoignant, par sa seule présence, de I"inachévement du complexe. Une prospection de surface a, de son c6té, révélé une concentration de fragments de cal- ‘caire, de schiste et de quartzite rouge sur une assez grande superficie aux abords de l'angle nord-ouest, dont la présence & lair libre a, semble-til, €té due au brassage du terrain par des engins explosifs, dans ce qui fut longtemps une zone d'entrainement militaire — un champ de tir un pew particulier. Elle n'a pas encore été sondée, et pourrait évidemment révéler des surprises, surtout si l'on songe Al'en- trée de I'enclos de Khasekhemouy & Hiérakonpolis, décorée de reliefs seulptés dans des blocs de granit rouge. Les sondages, dont les résultats ont été livrés dans deux rapports préliminaires, se sont concentrés jusqu’a présent sur lenceinte, Large 44 DJESER ET LA fIF DYNASTIE de 15 m environ a la base, elle se compose de deux murs de retenue en pierre, contenant un remplissage de dép6ts et de debris divers, sable, gravier et blocs jetés péle-méle ; les angles, néanmoins, sont construits en pierre sur toute la largeur du mur. Sur une portion des murs nord et ouest de l'enceinte, un épais doublage en pierre, large de 647 met, lui aussi, entitrement magonné, venait renforcer le mur principal. Si la hauteur des assises est assez régulitre, de 25 430 cm de haut (jusqu'a 15 sont conservées, sur une hauteur de plus de 3 m), Ja taille des pierres est trés variable en longueur comme en largeus, et les joints assurés par d’épais paquets de mortier argilo-sableux. Quoique l'on ait suggéné que I'absence de blocs travaillés et finement ajustés joue en faveur d'une date antérieure au complexe de Djéser, cette conclusion ne s'impose pas, comme le montre, par exemple, le mur d'enceinte du complexe de Rédjedef a Abou Rawash, construit, en plein milicu de la TV" dynastie, de manigre tes similaire, De méme, les maladresses de construction repérées par les fouilleurs, avec des murs disjoints aux angles, ou des alignements verticaux de blocs qui fragilisent la structure en créant de potentielles lignes de fracture, ne peuvent pas davantage offrir de critére de datation, les techniques adéquates d'appareillage et de liaison éant connues depuis longtemps dans architecture en brriques. Il paratt done pré- ‘maturé de conclure que I'enclos présente un stade balbutiant dans V'art de la construction en pierre, qui le situerait avant Djéser, alors qu'il témoigne plut6t d'une certaine bite dans sa réalisation. La date pro- posée par les fouilleurs, le rgne de Khasekhemouy, reste done conjec- turale, quoique les annales royales et les témoignages archéologiques (entrée du « fort » de Higrakonpolis, appartements funéraires de sa tombe d’Abydos) démontrent que ce roi a effectivement érigé des bitiments en pierre, ou comportant des éléments en pierre. La céramique mise au jour jusqu’ici ne semble pas non plus déci- sive sur cette question chronologique, quoique les eéramologues de la mission alent avancé, pour les jarres A bire découvertes dans les couches de remblai de construction du mur, une date préférentielle entre la fin de la Il dynastie et le début de la IIK. Ces jarres, dont la forme évolue peu au cours du II millénaire, appartiennent effective- ‘ment au type le plus ancien, & corps ovoide plutot que cylindrique, qui S¢ prolonge a la partie supérieure par une petite lAvre légtrement Tecourbée vers l'extérieur (fig. 69). Ce type, en Iétat actuel des études, est fabriqué sur l'ensemble des I-EV* dynasties, ce qui confirme bien Nancienneté de I’enclos, sans pour autant le caler chronologiquement avec une précision suffisante. En revanche, la présence de vases de 45 PAID MOILAGE LAL ADE TINIE divers types, découverts &"intérieur du périmetre sous les rmurs effon- deés, montre que les activites cultuelles, quelles qu'elles aient été. se sont poursuivies jusqu’aux V-VI' dynasties, témoignant d'une remar- guable longévité, Aucun complexe de la III" dynastic n'a apparem- ‘ment livré de semblables témoignages, y compris celui de Djéser, dont la réoccupation trés partielle a la VI" dynastie est d’ordre administra- tif, avec linstallation d'un bureau cle la construction (voir ch. 3), Les sources écrites montrent toutefois que le culte de Flouni est vraisem- blablement toujours eélébré & la VW dynastie, comme I'attestent les annales royales, tout comme celui de Sanakht Nebka, dont un domaine funéraire est encore en activité au milieu de ta V* dynastic. S'il n'est pas exclu que le Gisr el-Moudir représente une étape inter- médiaire entre les enclos funéraires thinites d' Abydos, construits en briques (voir ch. 4), et I'enceinte de pierres appareillées de Djéser, et puisse revenir par conséquent & I'un des prédécesseurs immédiats de ce roi, ses deux autres successeurs susmentionnés n‘en représentent ppas moins des candidats tout aussi sérieux. Liusage de Ia pierre A ‘grande échelle, ainsi que la démesure du périmétre de 'enclos, font en effet songer & la HII" dynastie pour une tele construction, et il faut espérer que, dans les campagnes & venir, 1a mission pourra faire la lumiére sur cette question intrigante. Deux détails intéressants doivent étre ajoutés. L’orientation de l'en- clos, 7° & louest du Nord, est presque identique & celle de Sekhemkhet, mais tés dissemblable de celle de Djéser, 4°. est peu probable que des facteurs topographiques aient seuls guidé cette orientation, de sorte que cette donnée pourrait avoir un sens pour la chronologie. Par ailleurs, dans trois des sondages qui ont mis au jour des portions du mur d'en- cceinte, plusieurs manques de construction, peintes &l"ocre rouge, ont é1é découvertes (elles sont encore inédites). Ce type de procédé, qui témoigne en particulier d’ une organisation assez, poussée du travail, est bien documenté & la IF dynastic, qu'il s’agisse du complexe de Djéser, de celui de Sekhemkhet ou de certaines petites pyramids des régnes de Houni et de Snéfrou. Elles sont encore trés simples, réduites le plus sou- Vent & un seul signe (d'équipe d’ouvriers ?), et different en cela des marques datées, ou de noms d’équipes plus complexes, tels qu'on les retrouve ala TV dynastie. Pratique de précurseur dans « I’enclos du directeur », ow inscrit dans la tradition de la I dynastie, cet élément pourrait lui aussi devenir un indice de datation précieux. Tel est le bilan d'un sitcle et demi de fouilles, au sein duquel les découvertes de ta premitre moitié du x0 siécle représentent un apport 46 EN EE EAS EE AEE ERE capital. Au total, ce sont done cing rois qui renaissent, Netjerikchet ««Djéser », Sanakht Nebka, Qahedjet « Houni » (si cette association est la bonne), Sekhemkhet et Khaba. Trois. complexes funéraires ont €i¢ identifiés, qui comportent tous une pyramide a six ou sept degrés, signature d'une époque. Deux sont inachevés et ont réservé des sur- prises : les appartements totalement vides de Khaba, et le sarcophage tout aussi vide de Sekhemkhet, dont le caveau était pourtant scellé par des blocages successifs. Le premier n’a sans doute jamais été enseveli dans son monument, ce qui nest pas certain pour le second, car la chambre a pu étre Forcée par une galerie Intérale. A l'ouest de T'en- semble de Djéser, un ou deux grands enclos, s'ils se rattachent & la TIF dynastie, pourraient bien constituer les projets avortés de deux autres complexes, pour lesquels Nebka et Houni constitueraient des candidats idéals. C'est la question majeure qui reste posée & I’archéo- logie de ta I dynastie, dont il faut espérer, grace aux travaux en cours, que Ia résolution est en chemin. Sans compter sur les travaux qui seraient encore nécessaires au complexe de Djéser lui-méme, Puisque ses immenses galeries occidentales sont encore largement inexplorées. Tl UNE DYNASTIE, CINQ ROIS, UN ORDRE INCERTAIN Les Egyptiens ont dressé trés tot, par got du passé, volonté mémo- rielle et nécessité de mesurer le temps, la longue liste de leurs rois, Cconstamment tenue-& jour. L'identité des souverains, leur ordre de sue- cession et leur durée de régne étaient scrupuleusement enregistrés et transmis de génération en génération. Les grands temples dynastiques, comme celui de Ptah a Memphis, faisaient office de conservatoire de la mémoire historique. Les documents Tes plus informatifS & cet égard ne sont pas anté- rieurs au xur sicle av. J-C., qu'il s'agisse du papyrus de Turin (daté de Rams?s T1), sorte d'annuaire officiel des souverains passés, ou des listes cultuelles du temple de Séthi I" a Abydos et de la tombe de ‘Tjounroy & Saqgara, un prétre de Ptah (Ramses II & nouveau). Que de ruptures de tradition, d’accidents probables et d’arrangements volon- taires sont donc 41’ euvre pendant ce millénaire et demi qui les sépare de la III dynastic ! A cet égard, I'Histoire d'Egypte écrite en grec, dans la premitre moitié du ur sicle av. 5.-C., par le prétre égyptien Manéthon, alors que le pay's est dirigé par les successeurs d' Alexandre Je Grand, permet A nouveau de toucher du doigt I'ampleur de ces déformations, & I’échelle d'un millénaire supplémentaire. 48 DIESER ET LA II DYNASTIE La tentation est done grande de prendre ici et 18, selon des choix ins personnels, les données qui arrangent. et de laisser de c6té celles qui génent. La chronologie devient alors une science paralléle A ta méthode incertaine, qui n'est plus celle des faits établis & partir des sources contemporaines des €vénements, mais Ia glose complexe d'un fourre-tout documentaire. I ne s'agit pas, bien str, d'écaner tes sources tardives d'un revers de la main, mais de rétablir l'ordre adé- quat de l'étude : ce sont les sources les plus anciennes qui permettent de juger de a validité de la documentation postérieure, et d'en expli- quer les déformations, et non I'inverse, en reconstitwant cles modéles plausibles pour le IT millénaire d’aprés de prétendues constantes, éta- blies par comparaison avec les documents plus nécents. Il ne faut pas ire plus chronologue que les sources ne le permettent, sans pour autant, au nom d'une histoire sociale et culturelle, renoncer & ce type de projet. L’évaluation des durées, méme dans une telle perspective, reste un objectif fondamental, Des décennies de recherche ont montné que tes dynasties éayp- tienes ne sont pas des lignées de sang, selon un modéle répandu clans les monarchies. 1 s’agit de groupes de souverains rassemblés, autant qu'il est possible de le reconstituer. sur le critre de l'emplacement de la résidence royale et de I'identité du dieu-patron, Cela n’exclut pas que, dans nombre de cas, Jes monarques soient apparentés, mais le cri- tre ne se révéle pas déterminant pour composer une « maison », per selon le vocable égyptien, que les Grecs ont rendu par « (groupe de) pouvoir », dynastie, avec des connotations qui ne sont pas celles de la tradition pharaonique. La II dynastie, un découpage fictif ? Les contours de ces «maisons», encore utilisés aujourd'hui lorsque l'on se référe aux divisions de I’histoire antique de l'Egypte, suivent le découpage des Aegyptiaca de Manéthon. L’ouvrage ne nous est parvenu qu’a travers des abrégés d'auteurs nettement postérieurs, du 1 au var sigcle ap. J-C., mais dont la teneur permet de reconsti- {uer les listes royales et les divisions dynastiques de I'édition originale avec une assez grande précision. Ecrit em grec pour des. maitres de culture grecque; les Ptolémées, le travail de Manéthon n’en puise pas ‘moins ses sources dans une longue tradition indigéne. La tenue de listes royales, I'enregistrement des événements monar- cchiques caractéristiques de chaque année, le calcul des durées de régne, Femontent sans doute au début du I millénaire. A partir de Narmer, 49 DJESER ET LA IF DYNASTIE- que la tradition considre & juste ttre, sous le nom de Méni ou Ménts, ‘comme le pére de la mémoire monarchique, les sources nous montrent que le détail des faits marquants de l'année éiait systématiquement enregistré. Ce got pour les dates, qui conerétise un long proces- sus dl'appropriation du temps par Ia monarchie, va de pair avec un controle de 1'Etat sur la distribution des denrées. C'est ainsi qu’a Tépoque de Narmer, comme sous tous ses successeurs de la I* dynastie, les tombes des rois et de I'élite sont dotées de jarres contenant des pro- Guits jugés essenticls pour la survie dans I’au-del’, Parmi ceux-ci, hnuiles et onguents ant la primeur. Afin de les identifier plus pr ‘ment, une étiquette carrée d’os ou d'ivoire était attachée au récipient par une cordelette, Outre le nom dv produit stocké et sa quantié, I'éti- quette comportait systématiquement le nom du roi pourvoyeur et la designation d'une année du regne, caractérisée par un événement mar- quant. Cette pratique nous permet de supposer que ces années succes- sives étaient enregistrées regne apres régne, afin de ne pas en perdre la mémoire. Les scribes archivistes de I'Etat, & l'aide des documents appropriés, avaient donc acces aux événements passés avec un certain luxe de détails, dans ordre chronologique: de Ia succession royale, Des récapitulatits étaient dressés sur de grands monolithes rectangu- laires de basalte, Cette monumentalisation correspond & un souci d'inscription dans a durée, auquel ne pouvaient prétendre les compi- lations sur papyrus, support fragile et périssable. Lun de ces monuments, dont on posséde essentiellement deux ‘grands fragments, I'un au musée du Caire, V'autre & celui de Palerme, date du milieu de la V* dynastic. La dalle dont ils proviennent était probablement installée dans le grand temple memphite de Ptah « au sud de son mur, patron des artisans et dieu majeur de la capitale. Sur ce monument inscrit recto-verso figure, dans un format tabulaire, histoire détaillée de la monarchie, case annuelle aprés case annuelle, depuis le régne de Narmer ou de son successeur Aha, incertitude due AT'état des documents. Un premier registre de noms reconnaissait bien 2 la royaut€ des origines plus anciennes, dont une tradition orale a pu ‘maintenir longtemps le souvenir, mais aucun détail €vénementiel n’en est donng, sinon une simple liste de noms, La Il dynastiefigurait sur ta seconde moitié du S* registre du recto, Le fragment du Caire est effacé & cet endroit, a quelques traces prés qui ne livrent rien de concret, sinon des traits d’encadrement qui signalent la succession de trois rois, et qui ne sont pas sans consé- ‘quence pour définir ta longueur de la dynastie. Le morceau de Palerme conserve les premitres cases d'un régne qu'une étude minuticuse de 50 fragment de Londres (University College) ‘Fragments du Caire ;L-= P= fragment de Palerme 5 1-5 NARSCER ttre pretenders y comp com de de de NARMCER nate re en repre cennSesces tnt MARAE : naar pone ent sot opts ore cone Fig. 10 : Les annales de Palerme-Caire, hypothése de restitution de la dalle (d’aprés von Beckerath). DJESER ET LA TIP DYNASTIE: Ja dalle permet & présent d’atribuer avec certitude & Djéser, Ie fonda- ‘teur de Ia dynastie. Hasard des découvertes sans doute, ce n'est qu’avee le papyrus royal de Turin, de la XIX* dynastie, que la II! dynastie se manifeste & nouveau dans sa réalité historiographique. Encore le nouveau format adopté a cette époque exclut-il le détail des années de régne, pour se limiter ala liste des monarques, assortie de leur longévité au pouvoir, Les noms, déformés au fil des sidcles, ne sont pourtant pas tous iden- lifiables, et certaines longueurs de régne paraissent bien suspectes. ‘Surtout, aucune division historique d'aucune sorte n’est signalée pour Ja dynastie en question ; tout au plus le nom de Djéser apparait-il en rouge, pour le démarquer, mais les autres attestations de cette pratique en écartent un usage comme signe de césure dynastique, Celle-ci ne s¢ concrétise donc vraiment qu’avec I"historien Manéthon, prés d'un millénaire plus tard. L’a-t-il inventée, ou est-clle le fruit d’une réflexion indigéne, dont l’ancienneté réelle resterait & évaluer ? Liéayptologue se réfere, encore aujourd*hui, & cette périodisation, tout en ayant conscience qu’élle est probablement trés tardive. II n’en ‘est pas moins clair, pour certaines périodes, que cette division est bien un héritage de la pensée indigene, puisqu’elle correspond déja aux groupes délimités sur le canon royal de Turin. Le probléme, cepen- dant, est que foutes les divisions n'y sont pas encore & l'aeuvre, parti- cculigrement pour les débuts de histoire Egyptienne. Nulle trace de TIF dynastic & proprement parler: le canon royal. ramesside fait un ‘groupe unique de la quarantaine de premiers rois « dynastiques », [2 o} Manéthon en distinguera cing ; de méme, le papyrus ne fait qu'un seul ensemble des VI'-VIII' dynasties distinguées dans les Aegyptiaca. Dans ces conditions, compte tenu de I'antériorité du papyrus, il est Jogique de conclure que les premiers souverains d’Egypte n'ont pas &é initialement répartis en groupes aussi réduits que par la suite. Seule une longue réflexion sur le passé, en touches successives bénéficiant du recul du temps, aurait fini par produire ce fameux découpage « dynastique:». La TIF dynastie n’aurait d’autre réalité que celle d’un regard lointain porté, a partir indices divers, sur une période reculée. ‘Du moons est-ce la thése qui prévalait jusqu’A une date récente, alors qu'un désintérét pour ces questions entérinait un découpage somme toute commode, quand il n’était pas question de I'abandonner pure- ‘ment et simplement. 52 DIESER ET LA It DYNASTIE Un groupe de rois bien individualisé Liéwde du papyrus de Turin montre que te découpage en « mai- sons » royales a di effectué selon des critéres géographiques. Ceux- ci sont particuli@rement pertinents lorsqu'il s'agit de caractériser deux groupes rivaux, installés dans deux capitales distinctes, qui se parta- gent le pays, une situation inaugurée entre Hérakléopolis et Thebes & Ja Premidre. Période intermédiaire. Comme Jaromir Malek I'a récem- ment montré, si le canon fe porte aucune division avant la VP dynas- tie, c"est en raison de la stabilité de la capitale, installée a Memphis : Je document est simplement logique avec lui-méme et son crittre de découpage z2éographique. Trois voies s'offrent alors : Jes cing premitres dynasties sont te fruit d'une réflexion de Manéthon, d'une époque immédiatement antérieure, ou sont constituées dés l'origine, Un simple examen des Aegyptiaca permet d'écarter la premitre solution. La liste des monarques de fa III dynastie s'y trouve artificiellement gonflée pour comprendre neuf souverains, en raison de dédoublements de rois ou d'emprunts & la TV‘ dynastie. Cette manipulation qui affecte aussi, moins radicalement, les groupes de souverains antéricurs, vise sans doute ase conformer au modéle hétiopolitain, qui vénére un groupe de neuf dieux apparentés, I'Ennéade (voir ci-dessous, Manéthon), Ce fai- st clair que ce modele tient compte d’un découpage hérité, dont il s'agissait d'épouser les frontitres deja définies, quitte & ce que Je nombre de rois & ajouter soit conséquent : quatre sur neuf pour la II: dynastic, les sources ne révélant que cing noms (ch. 1). La documentation ne permet pas de dater ce rearrangement, guidé par des considérations théologiques, ni de déceler déventuelles étapes intermédiaires. L'examen des sources les plus anciennes, contempo- taines des dynasties en question, et l'étude des compilations annalis- tiques, qui ne sont gutre plus tardives, réservent pourtant une surprise. Crest d'abord vers le pére de la mémoire monarchique, Ménés, qu'il faut se tourner. C'est & lui, premier roi de la I" dynastie, que les, Egyptiens ont tres tot fait remonter le début de I'époque dynastique, alors que le pays a déja connu une longue lignée de souverains, la ynastie < zéro », I est actuellement admis que ce roi, qu’il faut pro- bablement identifier & Narmer, doit sa place de fondateur, non pas 8 unification de "Egypte, sans doute accompli avant lui et encore fragile sous ses successeurs, mais 4 invention de I'éponymic des années, sysitme par lequel une année est désignée par une action Temarquable du roi en place. Derritre I'émergence d'une véritable 53 DJESER ET LA IP DYNASTIE. figure historique, digne de marquer l'entrée dans "histoire vue dans sa conception dynastique, il faut donc voir en Narmer un réformateur du calendrier, grice auquel la monarchie manifeste son appropriation du temps. On peut alors se demander si, sur cette lanoée, les frontidres chronologiques entre les premigres dynasties n'ont pas été dessinées sur ce critére, c’est-d-dire sur ia base de réformes de la dénomination des années, dont les annales et leurs copies sur papyrus ont pu garder Ja trace pendant des sidcles. On constate justement que les annales alternent deux types de déno~ ‘minations des années de régne, 'un par référence & un événement mar- quant de l'année, ou mode événementiel, |"autre 4 une série de recen- sements désignés par un numéro d’ordre, ou mode numérique. Dans T'un et l'autre cas, une année sur deux est désignée comme « année de suivre Horus » (renpet chémes Hor) ; il s'agit d'une tournée royale effectuée en barque le long du Nil, au cours de laquelle un inventaire des ressources était dress€ qui, plus tard, sera désigné comme « recen- sement du grand et du petit bétail » (genout ih dou). Sous certains rgnes, année X était done désignée comme «I'année de massacter tel peuple », «1'année de fabriquer la statue de tel dicu », etc. Autant dire qu'il fallait une bonne mémoire pour retenir cette suite dans l'ordre, et que les archivistes royaux devaient en enregistrer scrupuleusement le Af\ \|Af)\ Ab ” |e —@ ott a8 Fig, 11 : Deux types de désignation des années sur les annales : les modes événementiel (A) et numérique (B). 54 OSESER ET LA IP DYNASTIE

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