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ÉPINE

0,578 po

RICALENS-POURCHOT
Les facéties des

NICOLE
expressions NICOLE RICALENS-POURCHOT
françaises
Avez-vous le cœur sur
la main ? Avez-vous déjà Les facéties des
expressions
donné votre langue au chat ?

Les facéties des expressions françaises


De nombreuses expressions servent à imager

françaises
le quotidien et témoignent de la vitalité de la
langue française. Si ces phrases se transmettent le plus
souvent à l’oral, il faut parfois remonter bien loin pour percer leurs mystères.
Facétieuses nos expressions ? Certaines se comprennent facilement (être dans
le pétrin, l’échapper belle), d’autres sont imprégnées de références culturelles
(ne pas filer, avoir la tête enflée) ou paraissent pour le moins absurdes (râler
comme un pou, copains comme cochons).
Plaisantes et souvent surprenantes, ces expressions colorent la langue et
s’approprient le vocabulaire d’une drôle de façon. Mais à la différence des
dictons ou des proverbes, le côté cocasse prend le pas sur l’aspect moralisateur.
Alors, feuilletez ce livre avant de jeter l’éponge et de parler français comme
une vache espagnole.

Nicole Ricalens-Pourchot a enseigné la linguistique et la


littérature française au collège Marianopolis et à l’Université
McGill de Montréal. Chez Bayard Canada, elle a déjà publié
Les facéties de la francophonie.
28,95 $ / 21 €

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NICOLE RICALENS-POURCHOT

Les facéties des


expressions
françaises

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Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec
et Bibliothèque et Archives Canada

Ricalens-Pourchot, Nicole
Les facéties des expressions françaises
ISBN 978-2-89579-590-2
1. Français (Langue) - Idiotismes. 2. Français (Langue) - Mots et locutions. I. Titre.

PC2460.R52 2013 448 C2013-942165-3

Dépôt légal – Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2013


Bibliothèque et Archives Canada, 2013

Direction éditoriale : Yvon Métras


Mise en pages et couverture : Mardigrafe inc.

© Bayard Canada Livres inc. 2013

Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds


du livre du Canada (FLC) pour des activités de développement de notre entreprise.

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Cet ouvrage a été publié avec le soutien de la SODEC. Gouvernement du Québec –


Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres – Gestion SODEC.

Bayard Canada Livres


4475, rue Frontenac, Montréal (Québec) H2H 2S2
Téléphone : 514 844-2111 ou 1 866 844-2111
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bayardlivres.ca

Imprimé au Canada

978-2-89579-916-0

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NICOLE RICALENS-POURCHOT

Les facéties des


expressions
françaises

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Les facéties des
expressions françaises

« Une locution est […] une expression d’origine marginale –


le plus souvent technique, argotique ou affective, stylistique – qui
est passée dans la langue commune avec une valeur métapho‑
rique et s ’ y est conservée sous une forme figée et hors de l ’ usage
normal. […] Une langue est sans doute « le miroir d ’ un peuple »,
mais moins qu ’ on ne le croit et autrement qu ’ on ne le croit et,
à chercher derrière chaque mot une cause externe et matérielle, on
finit par fausser les faits. »

Pierre Guiraud, Les locutions françaises, p. 7, 13

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Préface

L es facéties des expressions françaises est le troisième ouvrage


consacré aux facéties de la langue française, après Les facéties du
français et Les facéties de la francophonie.

Facétieuses nos expressions ? Certaines le sont, certes ! Entendons


par là qu ’ elles sont plaisantes, mystérieuses ou surprenantes par
leur origine ou leur signification, cachottières par leur sens ou leur
vocabulaire, parfois trompeuses parce qu ’ elles sont forgées sur des
blagues, porteuses de confusion ou même d ’ erreur.

Nous nous limiterons ici à n ’ utiliser que le terme expression et non


pas locution, la différence de sens existant entre l’ un et l ’ autre termes
est nulle ; ce sont des synonymes sauf que la locution « manière de
parler » recouvre un aspect formel qui ne vaut pas pour l ’ expres‑
sion « manière de s ’ exprimer » : en effet, si une préposition, une
conjonction ou un adverbe est forgé de plusieurs mots et non pas

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d ’ un seul, on aura affaire à une locution prépositionnelle (ex : le
long de), une locution conjonctive (ex : de sorte que) ou adverbiale
(ex : au‑delà de).

En rhétorique, une expression est d ’ abord « un segment figé »,


c ’ est‑à‑dire qu ’ il représente une unité de forme et de sens et l ’ on
ne peut remplacer un des éléments par un équivalent de même
sens : par exemple dans tenir pour acquis, tenir ne peut être
remplacé par prendre, ce qui serait un anglicisme et casser sa pipe
ne peut être remplacé par briser sa pipe. L ’ expression présente
ensuite bien souvent des écarts par rapport à la norme gramma‑
ticale : faire chou blanc (suppression de l ’ article), l  ’ échapper belle
(un adjectif féminin qui se réfère à un pronom l  ’ , sans antécédent).
« Cette unité de forme et de sens, dit Guiraud, constitue la marque
de toute expression. »

De plus, et c ’ est un des traits importants de nombreuses expres‑


sions, elles ont recours à un sens figuré, à une image ou métaphore,
ce qui lui donne un caractère pittoresque. Une expression « n ’ est
donc qu ’ une manière de parler d ’ origine marginale passée dans
la langue commune bien souvent avec une valeur métaphorique
et conservée sous une forme figée » (P. Guiraud). Ce sont ces
expressions spécifiques à chaque langue que les linguistes appellent
idiotismes, soit les gallicismes pour le français, et qui présentent
beaucoup de difficultés aux apprenants étrangers car traduire

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une expression mot à mot dans une autre langue n ’ apporte géné‑
ralement aucune compréhension satisfaisante et conduit à une
impasse.

Notons qu ’ un grand nombre d ’ expressions se comprennent


aisément : tenir compagnie, mettre en doute, chercher midi
à 14 heures, faire bonne chère, mettre le pied à l ’ étrier, avoir le cœur
sur la main… D ’ autres sont tout à fait compréhensibles pour qui
possède un certain bagage culturel : montrer patte blanche, pleurer
comme une madeleine, tomber dans les bras de Morphée, se reposer
sur ses lauriers, séparer le bon grain de l ’ ivraie…

Ce ne sont pas ces expressions‑là qui retiennent notre attention


dans cet ouvrage mais celles qui sont facétieuses. En effet, certaines
sont parfois surprenantes se composant de mots imprévisibles,
et connaître le sens de chacun des mots n ’ aide pas à connaître
le sens du groupe, ainsi croquer le marmot, avaler des couleuvres,
les carottes sont cuites…

Certaines paraissent tout à fait plaisantes et même absurdes à la


lecture comme fier comme un pou ou faire des gorges chaudes de
quelqu ’ un, fagoté comme l ’ as de pique, copains comme cochons…
si l ’ on en ignore l ’ étymologie.

D ’ autres sont exposées à de fausses interprétations : le fait que


certains des termes qui la composent aient un sens ancien qui
n ’ est plus perçu aujourd ’ hui pose des pièges : ainsi demeure dans

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il n ’ y a pas péril en la demeure, manteau dans agir sous le manteau,
couvert dans donner le gîte et le couvert, soupe dans trempé comme
une soupe… si bien qu ’ il en est fait une lecture erronée… qui à la
longue est acceptée. « Il est nécessaire de repérer la date de l ’ entrée
du mot ou de l ’ expression dans la langue, en trouver alors le sens le
plus fréquent qui aurait donné naissance à l ’ expression », suggère
avec raison Pierre Guiraud.

D ’ autres expressions comprennent des termes qui ne s ’ emploient


plus aujourd ’ hui et le sens en reste sibyllin ainsi à tire‑larigot, avoir
maille à partir, prendre ses cliques et ses claques, à brûle‑pourpoint…

D ’ autres encore ont glissé de sens au cours des siècles et peuvent


même signifier le contraire du sens original : tirer les marrons du feu,
avoir du pain sur la planche…

Certaines font appel à des coutumes qui n ’ ont plus cours ou font
allusion à des faits historiques plus ou moins occultés les rendant
ainsi mystérieuses : aller au diable vert, compter pour du beurre,
casser sa pipe, être Gros Jean comme devant, les Anglais sont
arrivés, payer en monnaie de singe, tomber en quenouille, c ’ est un
nom à coucher dehors, être dans de beaux draps, reprendre du poil
de la bête…

Il en est aussi dont les constructions grammaticales anciennes sont


difficiles à décoder : à qui mieux mieux, de guerre lasse, l ’ échapper
belle, de but en blanc…

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De nombreuses origines obscures font discourir les linguistes :
laisser pisser le mérinos, c ’ est la fin des haricots, se faire appeler
Arthur, vingt‑deux, v ’ la les flics…

Il existe aussi des expressions peut‑être mal comprises au départ et


qui aboutissent à des contresens : mariage pluvieux, mariage heureux
ne serait‑ce pas plutôt « mariage plus vieux, mariage heureux », qui
dort dîne ne serait‑ce pas « celui qui prend chambre à l ’ auberge doit
aussi prendre le repas… » ?

Réservons pour la fin celles dont l ’ étymologie n ’ est que blague :


courir comme un dératé, aux calendes grecques, à la saint Glinglin…

Dans ce recueil nous avons tenté, à l ’ aide de documents existants,


de donner aussi clairement que possible l ’ origine de certaines
expressions courantes et souvent assez mystérieuses, les différentes
interprétations qui en sont faites au cours des siècles et d ’ expliquer
en quoi elles sont facétieuses tout en les illustrant d ’ anecdotes
ou de citations. De plus, dans la mesure du possible nous avons
recherché dans la francophonie des expressions équivalentes sans
toutefois donner leurs origines qui, pour la plupart, sont récentes et
évidentes, mais elles n ’ en sont pas moins un important enrichisse‑
ment pour notre langue commune internationale.

Nicole Ricalens‑Pourchot

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À bâtons rompus

« De manière peu suivie »

Faut‑il prendre cette expression dans son sens littéral ? Évidem­


ment non ! Car dans une conversation à bâtons rompus, il ne s ’ agit
pas, comme on pourrait l ’ imaginer, de casser du bois sur le dos de
son interlocuteur mais plutôt d ’ entretenir une conversation peu
suivie avec interruptions et changements de sujet.

L ’ origine de cette expression est obscure. Son histoire semble


avoir traversé les siècles : elle pourrait être lointaine et remonter
au Moyen Âge. En effet, par extension, le bâton désigne une « ligne
linéaire » et dès le XIIe siècle, il s ’ applique en héraldique à « une
bande verticale représentant des bâtons embrouillés ». On retrouve
également ce bâton en architecture et en tapisserie : les bâtons
rompus sont des « baguettes brisées servant de motifs décoratifs ».

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Une autre explication pourrait se trouver dans le vocabulaire de
la menuiserie où un parquet à bâtons rompus en est un dont les
lames sont posées par rangées formant un angle droit.

Quelle que soit son origine, cette expression fait allusion ultérieure‑
ment à la musique militaire (XIXe siècle), en l ’ occurrence aux batte‑
ments de tambour à bâtons rompus, ce qui consistait à donner deux
coups successifs avec chaque baguette sans produire le roulement
continu habituel, autrement dit « interrompre une forme de musi‑
calité pour lui en substituer une autre ».

Aujourd ’ hui, le caractère haché, discontinu de cette musique ne


qualifie plus que l ’ écriture et surtout les propos décousus… même
si jadis, on pouvait aussi travailler ou dormir à bâtons rompus,
c ’ est‑à‑dire de manière peu suivie.

« Cette conversation se faisait à bâtons rompus


à travers la partie et au milieu des appréciations
que chacun se permettait. » (Balzac, Modeste Mignon, 1844)

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À brûle‑pourpoint

« Brusquement, sans ménagement »

Pourquoi cet anachronisme vestimentaire dans notre français


d ’ aujourd ’ hui ? Le pourpoint en effet, ne se porte plus depuis des
siècles… et pourtant l ’ expression demeure même si parmi ses utili‑
sateurs, certains ne savent pas que ce vêtement d ’ homme, souvent
brodé, couvrait le torse jusqu ’ au dessous de la ceinture ; toutefois,
il se portait encore du temps de Molière :

« […] une femme en sait toujours assez


Quand la capacité de son esprit se hausse
À connaître un pourpoint d ’avec un haut‑de‑chausse. »
(Molière, Les femmes savantes, acte II, scène VII, Chrysale)

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Pour brûler l ’ habit de son adversaire, lors d ’ un duel au pistolet,
il fallait donc s ’ approcher soudainement de celui‑ci « à bout
portant », c ’ est‑à‑dire « de très près », et le surprendre. L ’ idée
de brusquerie et de surprise demeure dans l ’ expression au figuré
employée d ’ abord lors d ’ une conversation puis dans un contexte
quelconque.

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Agir sous le manteau

« Agir secrètement, clandestinement »

S’agit‑il du vêtement chaud à longues manches que nous portons


en hiver ? Détrompez‑vous, ce serait une erreur de le croire ! Il s ’ agit,
en fait, du manteau de la cheminée, cette partie en saillie au‑dessus
du foyer.

Dès le Moyen Âge, les cheminées étaient construites très vastes


et certaines d ’ entre elles comprenaient des bancs de chaque côté
de l ’ âtre sous le manteau. Ce confort permettait la conversation
intime et même secrète : on se faisait ainsi des confidences bien au
chaud. C ’ est de là que viendrait l ’ expression parler sous le manteau.
Au sens figuré, plusieurs activités peuvent se pratiquer clandestine‑
ment : circuler, publier, et tout particulièrement vendre des ouvrages
ou des objets interdits.

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Il y eut toutefois confusion avec les homonymes sur le sens de cette
expression et c ’ est le plus souvent « le vêtement » auquel pense
le locuteur… au point qu ’ au Gabon, là où le manteau trop chaud
ne se porte pas, lui est substitué le chemisier et, dit‑on, les produits
de beauté circulent sous le chemisier, c ’ est‑à‑dire « en secret », « en
cachette ». Dans cette nouvelle expression, se trouvent à la fois un
glissement de sens (passer de la cheminée au vêtement) et la substi‑
tution de manteau par chemisier !

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À la bonne franquette

« Tout simplement, sans façon »

Quiconque, à la lecture de cette expression et sans en connaître


l ’ emploi précis, serait peut‑être tenté de demander : Pourquoi fran‑
quette ? Qui est franquette ? S ’ agirait‑il ici d ’ une enseigne de restau‑
rant ou d ’ hôtel dont la tenancière s ’ appellerait Franquette ?

Il n ’ en est rien ! Il n ’ est pas question d ’ une personne mais d ’ un


diminutif populaire féminin d ’ un mot normando‑picard franc, « de
condition libre », « sans entrave ni gêne » ; sens que l ’ on retrouve
encore par exemple dans franchise postale, « exemption de la taxe
sur la correspondance ».

Initialement, au XVIIe, on disait soit à la franquette… soit à la bonne


franquette, comme Molière :

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« Confessez à la bonne franquette que vous êtes
médecin. » (Le Médecin malgré lui)

Ce sens de « franchement, tout bonnement », qui était plus proche


du sens initial étymologique de franc, glisse avec le temps vers « sans
façon », « sans cérémonie » et c ’ est ainsi que l ’ emploie Louis Aragon :

« En redingote, une cravate moutarde et un col cassé


[...] c ’était un peu ridicule sous cette chaleur [...] le
laisser‑aller du docteur à la bonne franquette était
autrement sympathique. » (Les Beaux Quartiers)

Aujourd’hui, cette expression s’emploie le plus souvent pour une


invitation à dîner d’un hôte ou d’une hôtesse qui ne mettra pas les
petits plats dans les grands mais recevra en toute simplicité, « à la
fortune du pot ».

N.B. Cette expression, pense Duneton, pourrait apparaître en opposition à celle


du XVIe siècle : à la française qui signifiait « avec beaucoup d ’ obligeance et
d ’ arrangement » et même « luxueusement ».

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À la Saint‑Glinglin

« À une date hypothétique… ou jamais »

C onnaissez‑vous un saint du calendrier du nom de Glinglin ?


Soyez rassuré, personne ne le connaît car le nom de ce saint est non
seulement fictif dans cette expression, mais il n ’ est même pas du
tout question d ’ un saint ! Le terme saint est un calembour de sein,
terme qui n ’ a rien à voir non plus avec son homonyme, l ’ organe
féminin le sein, lui issu du latin sinus, « pli, courbe ».

Ici, le terme sein est une déformation de seing, dérivé du latin


signum, « signal », « signature »… que l ’ on retrouve encore dans
les expressions sous seing privé, blanc‑seing. En ancien français, le sein

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était une « batterie de cloche » ou « la cloche elle‑même » qui
émettait un signal, terme que l ’ on retrouve dans le mot composé
tocsin.

Comme l ’ est froufrou rappelant le froissement de tissu, Glinglin


serait, une onomatopée imitant le bruit d ’ une cloche et dérivé d ’ un
mot de l ’ Est de la France glingen, lui‑même dérivé de l ’ allemand
klingen, « sonner ».

Où en sommes‑nous ? Nous savons maintenant que Glinglin n ’ est


pas un saint ! « La sein glinglin est donc une cloche, dit Pierre
Guiraud, ce qui est un jeu subtil : payer, remettre à la Saint‑Glinglin,
c ’ est s ’ offrir de payer à une cloche et non pas à une date de calen‑
drier 1 ! » Pas de date, pas de paiement !

Claude Duneton, lui, interprète cette expression un peu diffé‑


remment en nous rappelant que jadis, on repérait les jours par
les fêtes des saints : Saint‑Valentin, Saint‑Médard, Saint‑Fiacre,
Saint‑Sylvestre… et payer le jour d ’ un saint qui n ’ existe pas, c ’ est ne
jamais payer !

N .B. Il existe en français plusieurs expressions synonymiques : la semaine des


quatre jeudis, aux calendes grecques, quand les poules auront des dents, tous les
36 du mois…

1. Guiraud, Pierre. Les locutions françaises, coll. Que sais‑je ?, Paris, PUF, 1973, p. 89.

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Aller au diable vert

« Aller dans un endroit très éloigné…


si ce n ’ est perdu »

Un diable vert ? Généralement, ce démon est représenté tout


noir brandissant un trident et crachant du feu, mais il est vrai que
l ’ imagerie populaire l ’ habille parfois de vert. Quelle que soit la
couleur du diable, cette expression est faussée et il sied pour la com‑
prendre de la rétablir sous sa forme originale. En effet, le mot vert
a subi ici une aphérèse (suppression d ’ une lettre ou d ’ une syllabe
en début de mot), car il ne s ’ agit pas de la couleur verte mais d ’ un
nom de lieu : Vauvert.

Néanmoins, les origines de cette expression sont mal définies et


donnent lieu à plusieurs interprétations… tout en excluant le rap‑
prochement avec le nom de cette petite ville du département

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du Gard. Il fait plutôt allusion au château Valvert ou Vauvert
à Gentilly près de Paris… et comme on y arrivait par la rue d ’ Enfer 2,
l ’ idée de diable pourrait donc pour les uns avoir un rapport avec
la toponymie, « ensemble des noms de lieux ». Pour d ’ autres,
ce château abandonné serait devenu le repaire d ’ une bande de
mauvais sujets qui répandaient la terreur à l ’ entour. Pour d ’ autres
encore, le sieur Vauvert étant mort sans héritier, son bien revenait
au roi Louis XI qui, ne sachant qu ’ en faire, voulut le céder aux
moines chartreux… mais cela déplut fort à un riverain qui convoi‑
tait ce château et qui, pour dissuader les moines de l ’ acquérir,
organisa dans les couloirs du bâtiment des apparitions de diables
et de revenants pour faire croire qu ’ il était hanté. Le prieur qui
ne l ’ entendait pas de cette oreille, découvrit le subterfuge, ce qui
permit aux religieux d ’ arriver à leurs fins.

Une autre interprétation voudrait que ce château ait la réputation


d ’ être hanté par le diable depuis que le roi Philippe Auguste y avait
trouvé refuge après son excommunication, ses aventures conjugales
lui ayant attiré les foudres de l ’ Église.

Quoi qu ’ il en soit, dans son sens actuel, l ’ idée de diabolique ne


se retrouve plus que dans la formulation de l ’ expression… mais
de toute évidence, en allant au diable Vauvert, vous irez dans un
endroit très éloigné.

2. Cette rue s ’ appelle aujourd ’ hui l ’ avenue Denfert‑Rochereau, après avoir reçu, entre autres noms, au
cours des siècles ceux de rue des Chartreux, chemin de Vauvert, chemin d ’ Issy, chemin de Vanves.

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Aller de concert

« Aller en accord, en harmonie »

C ette expression n’a rien à voir avec la musique comme on


pourrait le croire mais plutôt avec la conserve ! Aller de concert
évoque de nos jours une promenade, une sortie ou une expé‑
dition, à deux ou à plusieurs, peut‑être même agrémentée de
musique… mais rétablissons l ’ expression qui remonte au vocabu‑
laire de la marine du XVIe siècle et qui a pour origine : aller, voyager
de conserve comme des bateaux en mer prêts à se secourir les uns
les autres pour se conserver et à se défendre des pirates éventuels
venant les attaquer. Les capitaines faisaient donc jouer leur instinct
de conservation lorsqu ’ ils voyageaient ensemble dans le but de
s ’ escorter, de se secourir, selon Furetière.

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Naviguer de conserve (1559) signifiait donc d ’ abord « suivre la
même route », puis par la suite « ensemble, de compagnie ». « Mais
comme le mot conserve, à notre époque, est tellement lié aux boîtes
de sardines ou de petits pois, dit Claude Duneton, il est plus normal
d ’ aller boire de concert au café du coin. »

Dites ce que vous voulez ! Mais aller de conserve est étymologique et


appartient à l ’ expression la plus authentique. Employez‑la… même
au risque de paraître inculte !

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À qui mieux mieux

« À qui fera mieux que l ’ autre »

C omment comprendre cette expression ? Même si elle est


encore relativement courante aujourd ’ hui, sa structure paraît parti‑
culièrement étrange et nous confond ! Déjà attestée au Moyen Âge,
on la retrouve au cours des siècles et en particulier chez Étienne de
La Boétie (XVIe siècle) :

« Chez les hommes libres, au contraire, c ’est à l ’envi,


à qui mieux mieux, chacun pour tous et chacun pour
soi : ils savent qu ’ils recueilleront une part égale
au mal de la défaite ou au bien de la victoire. »
(Discours de la servitude volontaire)

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Nous utilisons cette expression sans même chercher à l ’ analyser
au point qu ’ un jour au jeu télévisé Qui veut gagner des millions ?
(janvier 2004), il était proposé aux concurrents, sur un ton badin, de
choisir l ’ expression juste parmi les suivantes :

À qui mieux mieux, à qui plus plus, à qui pire pire ou


à qui bien bien ?

La deuxième et la troisième de ces propositions comprenant des


adverbes au comparatif (pire, comparatif de mauvais, plus, de
beaucoup) pourraient avoir leur raison d ’ être puisque mieux est
aussi un comparatif, celui de l ’ adverbe bien.

Cette expression s ’ est aussi retrouvée momentanément sous la


forme : à qui plus et mieux.

Pour forger à qui mieux mieux, il semblerait qu ’ il y ait eu combi‑


naison de deux tournures : à qui mieux et qui mieux mieux, d ’ après
le D.H.L.F. 3. Puis, on a adjoint à la deuxième de ces expressions la
préposition à de la première pour traduire une idée d ’ aspiration,
de tendance… et le redoublement de mieux correspondrait à une
phrase superlative qu ’ il faut comprendre ainsi :

À qui fera mieux et encore mieux que l ’autre !

… autrement dit « à l ’ envi ».

Que cette ancienne expression demeure et c ’ est tant mieux !

3. Dictionnaire historique de la langue française, sous la direction d ’ Alain Rey, Paris, Le Robert, 1994.

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Arriver comme mars/
marée en carême

« Inéluctablement »
ou
« À propos »

C es deux expressions seraient‑elles synonymes ? Certainement


pas, mais elles sont souvent employées l ’ une pour l ’ autre comme
s ’ il y avait confusion entre les termes mars et marée.

Comment les employer à bon escient ? Pour ce, précisons ce que


nous cherchons à dire : ou bien il s ’ agit d ’ un évènement qui
arrive « inéluctablement », car le carême arrive toujours en mars,
du moins partiellement, ou bien l ’ événement arrive « à propos »

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comme la marée, autrement dit le poisson frais bienvenu à cette
époque de l ’ année chrétienne puisque manger de la viande était
interdit aux fidèles.

Historiquement, « nous inclinons, dit Maurice Rat, à penser


que l ’ apparition de l ’ expression mars en carême a précédé celle
de marée en carême et la confusion est assez ancienne […] ».
« Au XVIIe siècle (1640 Oudin), disent Rey et Chantreau, l ’ expres‑
sion arriver comme mars en carême prend étrangement le sens de
“arriver à propos” passant ainsi de l ’ idée de “moment inévitable”
à celle de “moment propice”. Mais, même si elle est soucieuse de
conserver à l ’ expression [arriver comme mars en carême] sa valeur
initiale [“d ’ inévitable”], l ’ Académie attend cependant un bon siècle
pour introduire dans son édition de 1762 une nouvelle expression
arriver comme marée en carême à laquelle est dévolue plus logique‑
ment l ’ acception de “arriver à propos”. »

Alors ne confondons plus : les deux expressions existent, chacune


pour une situation particulière.

La marée n ’ est certes pas arrivée à propos pour Vatel, maître d’ hôtel
du Grand Condé alors qu ’ il l ’ attendait à Chantilly pour un repas
offert au roi Louis XIV. Le poisson n ’ étant pas arrivé à temps, il se
sentit déshonoré et se transperça de son épée, d ’ après une lettre de
Madame de Sévigné.

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À tire‑larigot

« Boire, manger beaucoup,


en grande quantité »

« Depuis que sa femme était morte, il buvait


à tire‑larigot. » (Restif de la Bretonne)

Qu ’est‑ce qu ’ un larigot ? Ce terme, qui n ’existe plus dans


notre vocabulaire contemporain, peut paraître mystérieux. Il s ’ est
appliqué jadis, selon Christine de Pisan et Ronsard, à une « flûte
rustique » ou un « flageolet », existant d ’ abord sous la forme de
harigot puis, à la suite de la soudure des article/nom et de la dispari‑
tion du h, ce terme se retrouve sous la forme larigot paraissant ainsi
dans un ancien refrain :

« Larigot va, larigot Mare, tu ne m ’aimes mie » (1403)

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L ’ origine de cette expression qu ’ on daterait du XVIe siècle est très
controversée.

Maurice Rat en propose une plus ancienne encore, origine possible


mais non établie, et dont la forme graphique serait tire la Rigaud.
Voici pourquoi : un archevêque de Rouen du nom d’Odon Rigaud
aurait fait don à la cathédrale de la ville d ’ une grosse cloche, baptisée
la Rigaud pour faire honneur à son donateur ; sa forme gigantesque
nécessitait plus de dix personnes pour la faire sonner. Pour désal‑
térer les sonneurs de cette cloche, l ’ archevêque acheta ensuite
une vigne parce que « comme le premier son tardait à arriver, les
sonneurs avaient le temps de se saouler » (Cosimo Campa). Or de
là, boire à tire la Rigaud, autrement dit boire comme un sonneur de
cloche… le rapprochement peut être aisé.

Toutefois, on pense plutôt que cette expression viendrait de


l ’ association du verbe tirer, « faire sortir un liquide de son
contenant », et larigot, « la flûte ». Comme on fait sortir les sons
d ’ une flûte, les buveurs faisaient sortir le vin des bouteilles…
et « les joueurs de flûte avaient, comme on le sait, une réputation
de buveurs solidement établie depuis la plus haute antiquité »,
affirme Maurice Rat. Les flûtistes usant, en effet, de beaucoup de
salive ont facilement soif.

Boire à tire larigot serait donc « boire beaucoup », à la façon dont


un joueur tire les sons de sa flûte.

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Au pied de la lettre

« Selon le sens strict des mots »

Peut‑on parler du pied d’une lettre ? Et quel sens donné à pied ?


Dans cette expression, ne commettons pas l ’ erreur de donner son
sens premier à ce terme soit « extrêmité du membre inférieur »,
sens que l ’ on retrouve dans coup de pied, bon pied, bon œil, le pied de
grue, mettre à pied. Dans ce dernier cas, il s ’ agit alors d ’ une sanction
dans la cavalerie, « être privé de son cheval pour un certain temps
et donc obligé de se déplacer à pied ». De nos jours, cette expres‑
sion a pris le sens figuré de « destituer, renvoyer ».

Ce n ’ est pas non plus le deuxième sens de pied, soit celui de « partie
inférieure d ’ une chose », ainsi mettre au pied du mur. Référons‑nous
plutôt à son troisième sens (ainsi classé par Le Petit Robert) et pour

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ce, remontons à l ’ époque où le pied (dès 1080) était une unité de
mesure de longueur, soit 0,3248 mètre, et servait d ’ étalon, mesure
encore utilisée dans certains pays anglo‑saxons. C ’ est bien ce sens
de pied dans l ’ expression qui nous intéresse ici. Prendre au pied
de la lettre, c ’ est « prendre la mesure exacte de ce qui est écrit »,
autrement dit « prendre le texte dans son sens premier, textuel,
sans chercher un sens au‑delà des mots ».

Cette expression attestée depuis le XVIe siècle s ’ explique, disent


Rey et Chantreau, par un passage du Nouveau Testament dans
la deuxième lettre de Paul aux Corinthiens (3, 6) où l ’ on trouve
l ’ opposition entre la lettre, « le sens littéral et strict du mot » et
l ’ esprit, « l ’ intention véritable dissimulée sous les mots » : « C ’ est
Lui [Dieu] également qui nous a rendus capables d ’ être ministres
d ’ une nouvelle alliance, non de la lettre mais de l ’ esprit ; car la lettre
tue, l ’ esprit vivifie. »

N.B. C ’ est ce dernier sens d ’ « unité de mesure » qu ’ il faut donner aussi aux
expressions telles que vivre sur un grand pied, « mener un grand train de vie »,
vivre sur un pied d ’ égalité, « être l ’ égal de quelqu ’ un », un petit pied pour signifier
« en raccourci ». Et faire un pied de nez « symbolise une distance en mettant ses
mains sur son nez pour montrer volontairement que les espoirs sont loin de la
réalité » !

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Aux calendes grecques

« Jamais »

L es calendes appartiennent‑elles au calendrier grec ? Eh bien


non ! C ’ est une vue de l ’ esprit car le mois grec commence avec la
nouvelle lune et se divise en trois périodes de dix jours appelées
décades.

Les calendes, soyez‑en sûrs, n ’ ont jamais été ni grecques, ni turques ;


elles ne peuvent être que romaines. Dans le calendrier romain, seuls
trois jours ont un nom : le premier du mois est appelé les calendes, le
cinquième, les nones et le treizième, les ides. Les calendes marquaient
donc le premier jour du mois, jour où les débiteurs devaient régler
leurs dettes. Mais les débiteurs insolvables préféraient renvoyer

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leurs dettes aux calendes grecques pour ne pas avoir à payer, usant
de cette expression mise à la mode par Auguste si l ’ on en croit
Suétone (D.H.L.F.).

Notons toutefois que c ’ est bien à tort qu ’ on assimile trop souvent


ces calendes grecques à une époque « indéterminée ou lointaine »,
c ’ est‑à‑dire « à plus tard » alors qu ’ en réalité, c ’ est une époque
« qui ne viendra jamais ». Et Rabelais estime bon de le souligner :
« L ’ arrêt sera donné aux prochaines calendes grecques, c ’ est‑à‑dire
jamais » (cité par Rey et Chantreau).

N.B. « Il est intéressant, remarque Daniel Burnant (Qu ’ est‑ce à dire ? espacefranco‑
phone.com), de noter que c ’ est du mot calendes que vient le mot calendrier. Il est
issu du mot latin calendarium qui désignait le registre où étaient consignées les
dettes « à payer aux calendes avec les intérêts ». Ce n ’ est guère avant le XIIe siècle
que le mot calendrier a pris le sens que nous lui connaissons aujourd ’ hui.

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Avaler des couleuvres

« Subir des affronts sans protester,


croire n ’ importe quoi »

S ’agit‑il vraiment d’avaler des couleuvres ? Laissons cet exploit


au Livre Guinness des records et essayons de comprendre ce que
veut dire Chateaubriand qui, comme Madame de Sévigné, était un
habitué de cette expression :

« Il faut savoir regarder d ’un œil sec tout événement,


avaler des couleuvres comme de la malvoisie. »

Il s ’ agit donc de « croire à des choses mensongères » et Furetière


de définir ainsi l ’ expression qui semble dater du XVIIe siècle : « On
dit qu ’ un homme a bien avalé des couleuvres lorsqu ’ on a dit ou fait

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devant lui plusieurs choses fâcheuses qu ’ il se peut appliquer, ayant
cependant été obligé d ’ en cacher le déplaisir qu ’ il en avait. »

Mais pourquoi des serpents ? Et des couleuvres en particulier ? Rey et


Chantreau essaient de nous éclairer en expliquant qu ’ au XVIe siècle,
la couleuvre était le symbole de ce qui est tortueux, sinueux et ce
terme permettait ainsi d ’ exprimer l ’ hypocrisie mensongère.

Autre origine possible d ’ après le D.H.L.F. : il y aurait eu un croi‑


sement entre la couleuvre et le sens figuré de couleur, « fausse
apparence qu ’ on donne à quelque chose », sens très courant du
XVe au XVIIe siècle.

Pour Claude Duneton, enfin, cette expression serait née dans les
cuisines où les chefs, jouant sur la ressemblance des deux animaux,
faisaient avaler des couleuvres au lieu d ’ anguilles dont la chère était
très estimée. Et attention ! « Qui avale trop de couleuvres, dit‑il, finit
toujours par cracher du venin ! »

Encore faudrait‑il que les couleuvres secrètent du venin !

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Avoir du pain
sur la planche

« Avoir beaucoup de travail »

C ette expression ne signifiait‑elle pas à l’origine « avoir assez


de réserves alimentaires » ? Alors, comment a‑t‑elle évolué pour
prendre le sens actuel ?

À la première lecture, on comprend qu ’ il y a suffisamment de


provisions pour voir venir et c ’ est bien le sens qu ’ on lui donne
au XIXe siècle où il fait allusion aux paysans qui autrefois faisaient
leur pain d ’ avance, pour un mois parfois, et le plaçaient sur une
planche généralement fixée aux poutres du plafond. C ’ était encore
le cas dans les hameaux du Queyras au siècle dernier… Tant que la
planche était garnie de pain, inutile de travailler pour se le procurer !

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Mais à partir de 1900, le sens de pain s ’ est étendu et ce terme « était
alors, dit Monique Brylinski, synonyme de “salaire”, de “travail”
au point que le mot boulot, utilisé familièrement dans le sens de
“travail, emploi, métier” pourrait venir du nom donné à un pain, le
pain boulot » 4. Encore en vente en Belgique, le pain boulot est un
pain court et cylindrique, métaphore d ’ ailleurs toujours employée
pour qualifier de boulottes certaines personnes petites et rondes.

Ce qui précède pourrait peut‑être expliquer que cette expression


ait changé de sens au siècle dernier, ne signifiant plus désormais
qu ’ il y ait des ressources en abondance – au point même qu ’ il
y aurait possibilité de vivre sans travailler – mais au contraire
qu ’ il y aurait « du travail en réserve », c ’ est‑à‑dire beaucoup à faire
et qu ’ il faut donc s ’ y mettre sans tarder. Une chose est certaine, que
ce soit du pain ou du travail, l ’ idée d ’ abondance demeure !

En dehors de cette explication traditionnelle, il en existe une autre


faisant référence au menuisier travaillant sur une planche de pin,
ce qui demanderait de lire ainsi l ’ expression : « Il y a du pin sur la
planche », c ’ est‑à‑dire « de quoi travailler ». Y aurait‑il eu confusion
entre les homonymes ? Rien n ’ est prouvé.

Au Québec, il s ’ agit toujours de pain mais plus du tout en


abondance. On dira plus volontiers : « J ’ ai encore des croûtes
à manger avant d ’ obtenir mon diplôme ! », autrement dit « devoir
prendre de l ’ expérience ».

4. Brylinsky, Monique. « Avoir du pain sur la planche », Défense de la langue française, no 233, p. 31.
Voir site : <langue‑francaise.org/dlf233.pdf>.

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Avoir du sang bleu

« Être d ’ origine noble »

L e sang est rouge, sans aucun doute. Dans quel cas peut‑il être
bleu ?

Plusieurs explications ont été données à cette expression.

Il semble qu ’ elle soit la traduction d ’ une expression espagnole


sangre azul et qu ’ elle fut introduite dans notre langue au XVIIe siècle.
Elle fait référence aux grandes familles castillanes qui s ’ enorgueillis‑
saient de n ’ avoir que du sang pur, c ’ est‑à‑dire qui n ’ est mêlé ni de
sang arabe ni de sang juif. Rappelons que la population de l ’ Espagne
était composite : ce pays fut conquis en grande partie par les
Maures (du VIIIe au XVe siècle) et les Juifs y demeurèrent jusqu ’ au
règne d ’ Isabelle la catholique, reine de Castille. Cette couleur bleue

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fait référence non seulement à la couleur bleue des yeux, caractère
prêté aux personnes de la noblesse, mais aussi au fait que c ’ était
la couleur que laissaient apparaître les veines des personnes qui
avaient le teint clair. En effet, une peau foncée pouvait aussi indiquer
que la personne passait son temps dehors au soleil… sort réservé
aux paysans et non aux nobles.

Une autre explication, plus subtile, est celle qui considère que le
terme bleu remplacerait le nom Dieu ; avoir le sang bleu signifierait
alors appartenir à une lignée royale ou noble, de sang divin. Cette
déformation de Dieu ne serait pas unique, elle se retrouve dans
morbleu (mort de Dieu) ou dans le juron sacrebleu (sacré Dieu).

Quelle est l ’ explication la plus convaincante ?

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Avoir la tête près
du bonnet

« Se mettre facilement en colère »

« Dans bien des cas, l’analyse de la motivation initiale est


rebelle à toute étude historique et nous devons renoncer à savoir
pourquoi on dit avoir la tête près du bonnet ou tirer le diable par
la queue, pourtant l ’ image est fort claire… » Cette déclaration de
Furetière est peu encourageante pour tenter de trouver les origines
de cette expression.

Celle‑ci, qui est apparue dès le XVIe siècle et qui a toujours gardé
son sens initial, semble vouloir dire : le bonnet trop serré ou trop
enfoncé sur la tête échauffe les oreilles, autrement dit « met en

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colère », ce qui permet d ’ en déduire qu ’ avoir la tête près du bonnet
signifie « être prompt à se fâcher, être irascible ».

Il est particulièrement intéressant de constater que la plupart du


temps, tout ce qui couvre la tête prend un sens abstrait, que ce soit
le bonnet, le béguin, la toque, la coqueluche ou la coiffe, tous ces
termes ont donné lieu à des expressions où la tête semble repré‑
senter « l ’ intellect » et la coiffure, « les sentiments, les émotions
ou la manière d ’ agir ». Ainsi, mettre son bonnet de travers signifie
« être de mauvaise humeur », opiner du bonnet « approuver »,
jeter son bonnet par‑dessus les moulins, c ’ est renoncer à une bonne
conduite… être la coqueluche de quelqu ’ un « être marqué par
une préférence », avoir le béguin pour quelqu ’ un ou en être toqué
« marquer une préférence », être toqué « être dérangé », être né
coiffé « avoir de la chance »…

Que conclure ?

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Avoir maille à partir

« Avoir un différend avec quelqu ’ un »

Oublions les aiguilles à tricoter et leurs mailles ; oublions aussi


que partir signifie aujourd ’ hui « quitter un lieu », « s ’ éloigner ».

Référons‑nous plutôt à l ’ époque des Capétiens où la maille, la plus


petite des monnaies, donc indivisible, valait un demi‑denier et où
partir, à l ’ origine départir, signifiait « diviser en parts », « séparer »,
verbe qu ’ emploie Philippe de Commynes en parlant de Louis XI et
de sa sœur Yolande, duchesse de Savoie qui doivent se quitter :

« Tous deux furent bien joyeux de départir l ’un de


l ’autre et sont demeurés comme bon frère et sœur
jusques à la mort. »

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Puis, partir signifia « diviser, répartir » et c ’ est ce sens qu ’ il
faut donner à cette expression : vouloir diviser la plus petite de
toutes les monnaies ne pouvait conduire qu ’ à des querelles,
des contestations, des démêlés puisque cette pièce n ’ avait pas
de divisions. Plus tard, partir dans ce sens fut concurrencé puis
éliminé par le terme partager.

La forme de cette expression, fixée depuis le XVIIe siècle, se retrouve


chez Molière dans L ’ Étourdi (Acte I, scène VII) :

« Toujours de son devoir, je tâche de l ’avertir.


Et l ’on nous voit toujours avoir maille à partir. »

N.B. Le terme maille apparaît également dans une autre expression n ’ avoir ni sou
ni maille, « être sans argent ».

Il est étrange, remarquent certains contemporains, de retrouver dans l ’ argot


récent des jeunes qu ’ avoir de la maille (ou de la thune), c ’ est « avoir de l ’ argent ».
Est‑ce une réapparition du sens du terme ancien ou est‑ce fortuit ?

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Avoir/mettre
la puce à l ’oreille

« Se douter de quelque chose »

Vénérable expression s’il en est ! Elle se lisait d’abord avoir la puce


en l ’ oreille et sa signification a complètement changé au cours des
siècles ! Au début du XIIIe siècle jusqu ’ au XVIe siècle, elle symbolisait
exclusivement le désir érotique que l ’ on pouvait ressentir pour une
personne.

« J ’ay la pusse en l ’oreille, je me veulx marier. »


(Rabelais, Tiers Livre, ch. 7, Panurge)

La Fontaine connaît encore ce sens grivois lorsqu ’ il écrit :

« Fille qui pense à son amant absent/Toute la nuit,


dit‑on, a la puce à l ’oreille. »

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En premier lieu, pourquoi des puces ? Parce que jadis, ces insectes
très familiers qui sautaient sur toutes les classes de la société sans
exception, provoquaient des démangeaisons qui donnaient un air
troublé, inquiet à tous ceux qui les ressentaient. De ce malaise
provoqué par des puces, on passe à celui provoqué par les déman‑
geaisons amoureuses, et c ’ est dans son sens érotique que cette
expression eut le plus de succès. Et pourquoi à l ’ oreille spécia‑
lement ? « Ce n ’ est pas d ’ hier, affirme Claude Duneton, que l ’ on
compare l ’ oreille à une coquille […] et que la coquille désigne le
sexe de la femme – sexe qui justement signale son désir par des
démangeaisons plus ou moins tenaces. » Ce sens initial fut très
vivant au moins jusqu ’ au XVIIe siècle :

« J ’ai bien la puce à l ’oreille/Depuis trois ou quatre


jours/Cent fois la nuit, je m ’éveille/Pour penser
à mes amours. » (Parnasse des Muses, 1627, p. 127)

Parallèlement, dès le XVIIe siècle, on disait que les oreilles déman‑


geaient quand quelqu ’ un parlait de vous.

Toujours est‑il que de fil en aiguille, la signification serait devenue


dans le courant du XVIIe siècle « être inquiet, agité » et aujourd ’ hui
« se douter de quelque chose, avoir des soupçons ». De plus, en
l ’ oreille devient à l ’ oreille et ainsi s ’ éloigne le sens érotique initial,
fait encore accentué par la substitution fréquente du verbe mettre
par avoir.

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Au Québec, certains médecins recevaient les confidences de leurs
patientes qui ne leur disaient pas J ’ ai la puce à l ’ oreille, mais J ’ ai le feu
dans le passage, expression qui demande moins d ’ explication !

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Avoir un chat
dans la gorge

« Être enroué, éprouver


une gêne soudaine à parler »

« Cette locution ne semble pas embarrasser ceux qui


l ’emploient alors que l ’image qu ’elle comporte est
monstrueuse ; elle est un bon témoin aux métaphores
les plus insolites… » (Rey et Chantreau)

Pourquoi spécialement un chat ? Quitte à avoir un animal dans


la gorge, pourquoi pas un animal plus facile à y loger ? La seule
explication vraisemblable même si elle paraît un peu lointaine est
la suivante : à partir du XIe siècle, dans certaines régions de France,
on utilise le terme maton pour désigner les grumeaux de lait caillé,

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« ce lait suri qui se décompose en petit‑lait et en petits amas de
caséine ». Puis ce terme s ’ est appliqué à toutes sortes de grumeaux
formés dans diverses substances. On ne trouve plus trace de maton
dans les dictionnaires d ’ aujourd ’ hui mais on trouve moton ou
motton qui aurait la même signification que maton puisqu ’ il s ’ agit
d ’ une petite boule de farine mal délayée dans un liquide. Ce mot
est encore très vivant au Québec et Bélisle, dans son dictionnaire 5,
en donne plusieurs exemples : la pâte à crêpe est pleine de mottons,
« grumeaux » ; le chemin est plein de mottons, « petites mottes de
terre » ; cette laine est mal cardée, elle est pleine de mottons, « petits
nœuds ou amas de laine emmêlée »…

Comme le terme matou était peut‑être plus populaire que maton


ou moton, et donc plus expressif pour les gens, la prononciation
glissa vers le nom de cet animal domestique mâle, puis à chat,
vocable plus familier encore.

Que l ’ on passe de maton ou motton à matou avec des accents


régionaux divers, cela fait partie du vraisemblable. À tout prendre,
l ’ explication de cette locution n ’ est pas si fantaisiste !

En Suisse, une personne enrouée a avalé la queue du chat, c ’ est


moins encombrant et moins monstrueux que le chat tout entier !

5. Bélisle, L. A. Dictionnaire général de la langue française au Canada.

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Avoir voix au chapitre

« Avoir son mot à dire


dans une discussion »

De quel chapitre peut‑il être question ? Dans le langage courant


d ’ aujourd ’ hui, on ne connaît que le chapitre d ’ un livre… ou même
le sujet dont on parle : « Sur ce chapitre, vous en avez assez dit ! »
Ce sont sans doute ces sens que donnent les usagers modernes à ce
terme mais qui ne sont pas ceux à l ’ origine de l ’ expression.

Pour trouver l ’ explication originelle, il faut remonter au XVIIe siècle,


époque où le chapitre était d ’ abord « le lieu de réunion pour
les chanoines d ’ une cathédrale ». Ce terme désigna ensuite « les
moines d ’ une abbaye », puis « l ’ assemblée elle‑même », ce qui
permit alors de parler de la salle du chapitre et qui donna naissance
à l ’ expression avoir voix au chapitre, autrement dit « prendre part

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aux délibérations, aux discussions et se faire entendre » dans cette
assemblée de chanoines, puis ultérieurement d ’ une façon plus
générale « avoir autorité pour prendre part à une délibération, à une
discussion ». Sachez que les moinillons et les serviteurs n ’ avaient
pas voix au chapitre.

Le verbe chapitrer a la même origine : c ’ était « réprimander »


un religieux en plein chapitre, en pleine assemblée. Aujourd ’ hui,
il n ’ est plus nécessaire d ’ assister à ce genre de réunion pour se faire
chapitrer.

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Battre à plates coutures

« Vaincre, écraser, battre complètement »

Que viennent faire des coutures, et de surcroît plates (!) dans une
bataille guerrière ou bien dans une partie de cartes ? L ’ explication
est assez laborieuse et les détours de la langue ne sont pas toujours
faciles à discerner. Essayez de vous y retrouver.

Cette expression daterait déjà du XVIe siècle faisant référence aux


techniques du tailleur. Les vêtements étaient souvent faits de tissu
très épais dont il fallait écraser les ourlets et les coutures saillantes,
boudinées et fort inélégantes « soit en les cousant une deuxième
fois, dit Furetière, soit en les écrasant avec un gros fer qu ’ on appelait
carreau, soit avec une latte ». Plus tard, l ’ expression est reprise au
théâtre dans les farces du XVIIe siècle où celui qui tient le rôle de

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tailleur se permet de rosser tel autre personnage sous prétexte qu ’ il
est mal fagoté, de le battre comme s ’ il voulait aplatir les coutures
saillantes de son vêtement.

« C ’ est une expression fort curieuse, nous dit Pierre Guiraud, et


difficile à expliquer encore qu ’ elle soit ancienne et qu ’ on en possède
plusieurs variantes... » Il y aurait eu, semble‑t‑il, un « croisement de
forme » entre deux expressions : rabattre la couture à quelqu ’ un,
« rabaisser son orgueil » et rompre ou défaire à plates coutures,
« vaincre complètement ». De plus, il y aurait eu contamination
entre les deux sens de défaire, « découdre » et « vaincre ». Mais
pourquoi, se demande ce linguiste, cette expression signifie‑t‑elle
« défaire complètement » ? Peut‑être parce que le tailleur qui
défait complètement un habit aplatit le rabat des vieilles coutures
avant d ’ en remonter les parties ? C ’ est aussi l ’ explication possible
que donnent Rey et Chantreau où rompre signifierait concrètement
« déchirer, mettre en pièces une étoffe en mettant les coutures bien
à plat » et au sens figuré « abattre, démolir, enfoncer une armée »,
« vaincre totalement ».

De plus, l ’ idée de coups donnés a fait que battre aurait remplacé


rabattre.

Au Québec, quand une équipe de hockey est écrasée, elle peut être
battue à plates coutures mais si elle ne s ’ inscrit pas au pointage,
elle est alors blanchie, expression du vocabulaire sportif américain
« blanked » ou « whitewashed ».

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Bon comme la romaine

« Bon, trop bon, bon jusqu ’ à la faiblesse ;


se trouver en situation de victime »

« Allons, quoi, Romain ! Sois bon comme la romaine ! »


(Goscinny et Uderzo, Le Tour de Gaule d ’ Astérix, p. 12)

De qui ou de quoi s’agit‑il ? D’une Italienne de Rome ? Si c’était


le cas, romaine qui est un gentilé « nom d ’ habitant ou de lieu »
devrait s ’ écrire avec une majuscule.

Mais voilà un jeu de mots (du moins à l ’ oral) entre le sens propre de
cette expression où il s ’ agit d ’ une habitante de Rome et celui qui fait
intervenir une salade (XVIe siècle), car c ’ est bien d ’ une salade qu ’ il

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s ’ agit ici, d ’ une laitue à feuilles allongées, rigides et croquantes… qui
semble n ’ avoir rien de romain sinon qu ’ elle aurait été offerte à un
pape qui lui a trouvé bon goût !

La genèse de cette expression paraît obscure mais le D.H.L.F.


propose celle‑ci : « Cette salade passait pour avoir été introduite par
le chambellan de Charles V et de Charles VI, Bureau de La Rivière,
qui l ’ aurait apportée d ’ Avignon où siégeait alors la cour pontifi‑
cale. [Rappelons qu ’ Avignon était alors la cité des papes de l ’ Église
catholique et romaine au XIVe siècle]. C ’ est à cette laitue “papale”
que fait allusion la locution populaire dans l ’ expression bon comme
la romaine (1915) qui se dit “d ’ une personne bonne à toute épreuve
puis d ’ une personne qui se trouve dans une situation fatale” par un
renforcement d ’ un sens populaire de bon “dupé”. Sa motivation est
à chercher dans le cri des marchands des quatre‑saisons : “Qu ’ elle
est bonne, qu ’ elle est bonne, ma romaine !” »

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Casser sa pipe

« Mourir »

D ’ où nous vient cette expression ? Son origine reste obscure ou


du moins floue. Une seule chose est sûre : la pipe en est une de terre
cuite blanche, bon marché et fragile, donc se cassant facilement.

Cette expression, nous dit Maurice Rat, se retrouve déjà au temps


de Mazarin dans les Mazarinades avec le sens de « mourir » (littéra‑
lement : « casser son tuyau »), mais Rey et Chantreau voient plutôt
dans ces textes le sens de « enrager », « crever de rage ».

Quoi qu ’ il en soit, cette expression est employée dès le XIXe siècle


dans son sens actuel, à savoir « mourir ». Si vous visitez le Musée de
la Médecine de Hautefort (Dordogne), le guide vous expliquera que
durant les guerres napoléoniennes, les chirurgiens ne disposant pas

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d ’ anesthésiants pour opérer plaçaient une pipe en terre entre les
dents du patient pour qu ’ il la mordît et qu ’ elle l ’ empêchât de crier.
Celui qui succombait à l ’ opération laissait tomber à terre la pipe qui
évidemment se cassait.

L ’ expression est toujours vivante dans le vocabulaire militaire


puisque quand les soldats partaient pour la guerre, ils allaient au
casse‑pipe, autrement dit « au devant de la mort ».

Ce n ’ est qu ’ une hypothèse, toutefois plus convaincante que celle


attribuée à l ’ acteur Mercier qui, pour interpréter au théâtre le rôle
de Jean Bart, avait toujours une pipe en bouche. La pipe tomba un
jour, se brisa et l ’ acteur s ’ affaissa mort.

Faites votre choix car ce ne sont que des hypothèses !

Il existe une autre expression de même sens : passer l ’ arme à gauche,


« équivoque sur le sens de passer, nous dit Maurice Rat, équivoque
double puisque en passant l ’ arme à gauche, le soldat se met au
repos ».

D ’ autres expressions synonymiques circulent dans la francophonie,


de même niveau de langue, c ’ est‑à‑dire familier : Le vieux a cassé sa
cuillère à tirer du riz dit‑on à la Réunion ; Avant de lâcher définitive‑
ment sa cuillère, il veut retourner voir son village se dit au Gabon, et
au Québec, on lève les pattes !

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C ’est la fin des haricots

« C ’ est la fin de tout »

« Voici une expression archiconnue des plus de quarante ans et


que les jeunes – en saisissent‑ils le sens – n ’ emploient plus » nous
dit Bernard Pivot. Mais d ’ où vient‑elle… même si elle paraît relative‑
ment récente (fin XIXe siècle).

Son origine n ’ est pas claire et plusieurs hypothèses s ’ affrontent.


La première hypothèse voudrait que cette expression trouve son
origine dans l ’ alimentation sur les navires : jambon et haricots arri‑
vaient en troisième et dernière position après les aliments frais et
les poissons salés et fumés. Quand les haricots étaient finis, c ’ était
la famine.

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La deuxième hypothèse fait allusion aux internats : quand la
provision de haricots était terminée, on ne savait plus quoi donner
à manger aux élèves ; cet aliment étant considéré comme banal et
médiocre, sa fin signifierait le commencement de la disette.

Il est une troisième hypothèse : des haricots, c ’ est‑à‑dire « rien du


tout » correspondraient probablement aux haricots ou aux fèves
comme enjeu lorsqu ’ on ne joue pas sérieusement aux cartes et
qu ’ on compte les gains avec des haricots.

Claude Duneton serait favorable à cette dernière hypothèse


rappelant que haricoter ou harigoter selon Littré, c ’ est
« spéculer mesquinement au jeu ou dans les affaires, faire des
affaires minimes ». Ce verbe avait d ’ abord signifié « couper la
viande en morceaux » issu de hariôn, mot francique signifiant
« gâcher, abimer en déchirant » et qui a donné naissance au haricot
de mouton, autrement dit « un plat fait avec des morceaux de
mouton, de pommes de terre et de navets ». Il semble plus logique
pour Duneton de penser que la « fin des haricots » s ’ est créée de ce
côté‑là, – affaires ou parties de cartes – plutôt que dans les collèges
ou autres casernes… mais cela n ’ est pas prouvé.

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C ’est un nom
à coucher dehors

« Un nom difficile à prononcer


ou à retenir »

« Elles étaient trop petites pour se rendre compte qu ’elle


portait un prénom à coucher dehors et l ’adoptèrent
malgré quelques problèmes de prononciation. »
(Amélie Nothomb, Robert des noms propres, 2002)

L ’origine de cette expression, si elle est exacte, est assez sur‑


prenante et difficile à deviner. Plusieurs variantes se recoupent
mais le fond est le même : il vaut mieux avoir un nom convenable,
c ’ est‑à‑dire un patronyme qui reflète le rang social ou à consonance

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« chrétienne » ; c ’ est du moins ce que pensait, au Moyen Âge et
jusqu ’ au début du XIXe siècle, l ’ aubergiste qui devait classer ses
clients. Étaient placés en tête de liste ceux qui avaient un haut rang
social reconnu ou une appartenance noble et s ’ il n ’ y avait plus de
place pour les derniers de liste, ils devaient coucher dehors. Il en était
de même pour les personnes qui s ’ étaient perdues et qui, pour
demander asile à des inconnus pour passer la nuit, devaient crier
leur nom pour se faire ouvrir la porte ; leur chance d ’ obtenir une
chambre dépendait de leur patronyme sinon eux aussi devaient
coucher dehors !

On en disait autant pour les armées napoléoniennes dont les soldats


étaient souvent recrutés à l ’ étranger. Dans les villes où ils station‑
naient, les officiers avaient « un billet de logement » qui leur per‑
mettait d ’ aller dormir chez l ’ habitant qui était tenu de les recevoir.
Or, certains de ces officiers avaient un nom dont la consonance
n ’ était pas française et l ’ on disait d ’ eux qu ’ ils avaient « un billet de
logement avec un nom à coucher dehors ».

Le Québécois, quant à lui, peut aussi coucher dehors mais dans


ce cas, il passe la nuit sur la corde à linge. Ici, pas question de
patronyme ! Cette expression s ’ emploie surtout pour celui qui se
retrouve « enfermé dehors » à la porte de chez lui dans la cour ou

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dans le jardin où, seule, la corde à linge lui permet de s ’ accrocher et
de « dormir debout », lorsqu ’ il rentre très tard après une soirée ou
après une nuit mouvementée, nous dit Jacques Cellard :

« L ’autre soir, il est retourné à taverne, pis il est resté


un peu tard avec ses chums ! Ben, elle lui a fait passer la
nuit sur la corde à linge ! »

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C ’est une autre
paire de manches !

« C ’ est une tout autre histoire,


une autre affaire »

Que viennent faire des manches pour désigner une chose tout
à fait différente d ’ une autre ?

« On dit à ceux qui font quelque nouvelle proposition,


c ’est une autre paire de manches. » (Furetière)

Il ne s ’ agit pas ici de manches de balai ni de cuillère mais de manches


de vêtements puisqu ’ il est question de paire. Il semblerait que cette
expression ait été attestée dès le XVIe siècle, époque où les hommes
portaient une cotte aux manches amovibles qu ’ ils devaient rat­
tacher au corps de l ’ habit en les recousant. « Les élégants, note

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Claude Duneton, portèrent longtemps dans un aiguiller attaché
à leur ceinture le fil et les aiguilles nécessaires à la mobilité de leur
parure ». Ces manches protégeaient généralement du coude au
poignet et il suffisait donc de les changer pour donner à l ’ habit une
tout autre allure par la couleur, la forme ou le tissu lui‑même. Elles
donnaient ainsi l ’ impression de porter un nouveau vêtement
« à une époque où l ’ on achetait guère un habit que deux ou trois
fois dans sa vie ».

Cette méthode avait le grand avantage de permettre non


seulement de changer les manches sans changer d ’ habit mais
aussi de les échanger ; c ’ est ainsi qu ’ on échangeait ses manches en
gage de fidélité amoureuse. Une tradition médiévale voulait que
les dames remettaient, en gage de fidélité, leurs demi‑manches
à leur soupirant qui les arborait avec fierté sur leur lance ou sur leur
bouclier lors d ’ un tournoi.

Passer d ’ une paire de manches à une autre signifiait « passer d ’ une


activité à une autre, d ’ un sujet à un autre n ’ ayant rien en commun
entre eux »… et aujourd ’ hui, il en est encore ainsi, souvent avec
une nuance de « non comparable » et peut‑être aussi de « plus
compliqué » et « plus difficile ».

De nos jours, détail vestimentaire, on ne change plus de manches,


on se contente de les retrousser !

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Chanter la pomme

« Faire la cour »

Pourquoi chanter une pomme plutôt qu’une chanson ? Dans


quel contexte cette activité est‑elle possible ?

Voici une expression québécoise qui n ’ a pas vraiment son équiva‑


lent en français standard… Même si elle est fréquemment employée
et que la pomme est le fruit par excellence de la belle province, son
origine reste confuse. De quelle pomme s ’ agit‑il ? Peut‑être de la
pomme qu ’ Ève a offerte à Adam, symbole de la tentation et objet
de séduction depuis le jardin d ’ Éden… mais « pourquoi la chanter
plutôt que l ’ offrir », se demande Jacques Cellard.

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Une autre hypothèse serait celle proposée par l ’ historien R.L.
Séguin qui a étudié les manèges amoureux clandestins qui se pra‑
tiquaient autrefois au cours des danses carrées (calque de l ’ anglais
square dances, « quadrilles ») et l ’ un d ’ eux consistait pour le garçon
à presser la paume de la fille, code permettant de draguer en toute
discrétion ; un glissement vocalique aurait fait pomme à partir de
paume.

Quelle que soit son origine, cette expression, dans certaines situa‑
tions, a le sens de « conter fleurette » :

« Tu ne vois pas qu ’il essaie de te chanter la pomme ? »


« Je t ’ai vu hier au bar en train de chanter la pomme. »

Mais bien souvent, elle n ’ a pas ce sens romantique, elle est plutôt
péjorative et signifie « tromper par de belles paroles » et les
chanteurs de pomme ne sont pas toujours recommandables :

« Aussitôt que je vais avoir fini de me ramasser une


petite fortune… en vous chantant la pomme, j ’vas
sacrer mon camp, j ’vas disparaître dans les airs… »
(Michel Tremblay, Sainte Carmen de la Main, p. 78)

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Compter pour
du beurre

« N ’ avoir aucune importance,


compter pour rien »

É trange expression où le beurre a ici une valeur péjorative alors


que bien souvent, il exprime la richesse et l ’ abondance ! Comment
l ’ expliquer ?

Référons‑nous à la petite histoire du beurre, produit connu


depuis l ’ antiquité qui à cette époque, n ’ avait pas de valeur : c ’ était
la graisse du pauvre, servant souvent d ’ onguent, beaucoup plus
facile à produire que l ’ huile d ’ olive qu ’ on ne fabriquait qu ’ une fois
l ’ an. Jules César, dit‑on, n ’ appréciait guère cette matière grasse qu ’ il
ne trouvait bonne qu ’ à graisser ses sandales et cette connotation

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négative se retrouve dans l ’ expression récente compter pour du
beurre, « ne pas être pris en considération ». Il existe d ’ ailleurs une
forme ancienne de beurre à valeur d ’ adjectif qui signifie « sans aucune
valeur » et qui doit être probablement à l ’ origine de l ’ expression
qui nous intéresse et dont la connotation péjorative d ’ aujourd ’ hui
pourrait être attribuée « à la mollesse, la fusibilité du beurre », selon
Rey et Chantreau.

Le Grand Larousse du XIXe siècle nous rappelle que l ’ expression


vendre du beurre signifiait « être ignoré, délaissé, en marge de la
société » et que les jeunes filles qui, disait‑on, vendaient du beurre
dans les bals étaient celles que personne n ’ invitait à danser. Cette
valeur négative a donc survécu dans l ’ expression qui nous intéresse,
même si déjà à partir du XVe siècle le beurre devient un produit de
luxe dans les régions du Nord et de l ’ Ouest de l ’ Europe, ce qui lui
donne dès lors une connotation positive ; le côté riche du beurre
est effectivement incontestable et se retrouve dans mettre du
beurre dans les épinards « améliorer ses conditions », ou faire son
beurre « faire fortune », ou encore l ’ assiette au beurre, « source de
profits ».

Des expressions utilisant le beurre apparaissent dans d ’ autres pays


francophones ! Les copains sont dans le beurre, disent les Ivoiriens,
« s ’ ils sont dans une bonne situation ! ». En Belgique, si tu tombes
dans la jatte de beurre, « tu as de la chance », mais si tu le bats,

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« tu es confus, tu dérailles ». Au Québec, si t ’ es dans le beurre, « t ’ es
dans la lune », si tu pédales dans le beurre, tu « fais des efforts inuti‑
lement » et si tu es passé dans le beurre, « t ’ es passé à côté ».

Avec du beurre, on fait de tout : du très bon et du moins bon,


semble‑t‑il !

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Copains comme
cochons

« Amis intimes »

A ‑t‑on jamais vu une paire de cochons se lier d’amitié et


devenir inséparables ? Comment se fait‑il que cet animal qui donne
lieu à tant d ’ expressions péjoratives intervienne pour signifier « une
grande amitié » comme celle de « deux larrons en foire » ? Sachez
alors que le cochon n ’ a absolument rien à voir dans cette expres‑
sion qui est due à une sorte de calembour !

En effet, cochon pourrait être ici une déformation du mot soçon


– parfois modifié en chochon –, dérivé du terme latin socius qui
donna soçon signifiant « camarade », « associé ». De plus, Rey

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et Chantreau notent « l ’ existence du mot cosson (cochon dans
le Nord de la France) venant du latin coctio, désignant divers
marchands ou courtiers du XIIe au XVIIIe siècle ».

Le terme cochon, quelle que soit son origine exacte, n ’ a donc rien
à voir avec l ’ animal dans cette expression qu ’ on trouve d ’ abord
sous la forme amis comme cochons, puis camarades comme cochons
(XVIe siècle) et enfin au XIXe siècle copains comme cochons, forme
qui reste la plus vivante, sans doute du fait de l ’ importance de la
répétition de la syllabe co dans les trois mots.

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Couper les cheveux
en quatre

« Être trop tatillon,


prendre un soin excessif »

« Vous m ’aviez montré une œuvrette un peu


tarabiscotée où vous coupiez les cheveux en quatre.
Je vous ai donné franchement mon avis : ce que vous
aviez fait ne valait pas la peine de le coucher sur le
papier. » (M. Proust, À la recherche du temps perdu)

Nous employons cette expression machinalement, sans trop


y penser, semble‑t‑il et sans savoir qu ’ elle est tronquée.

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Est‑ce une entreprise si difficile de couper un cheveu en quatre ?
Faut‑il être particulièrement minutieux ? Il semble, en effet, que
l ’ affaire soit délicate mais qu ’ il ne soit pas tout à fait impossible
à l ’ aide de ciseaux de couper un cheveu suffisamment épais en
quatre morceaux plus ou moins égaux ; alors pourquoi ce sens
et cette expression ? Parce que celle‑ci est incomplète : ou bien il
faudrait lui ajouter dans le sens de la longueur ou bien tout simple‑
ment remplacer couper par fendre.

C ’ est sous cette forme que l ’ expression est apparue dès le


XVIIe siècle : fendre les cheveux en quatre, ce qui est une tout autre
histoire ! Couper un cheveu en quatre dans le sens de la longueur,
c ’ est‑à‑dire dans son épaisseur, n ’ est pas donné à tout un chacun !
Pour ce faire, il faut des personnes particulièrement méticuleuses
munies d ’ instruments d ’ une précision extrême pour tenter
l ’ aventure… perdue d ’ avance et surtout inutile.

Cette expression désigne donc une opération d ’ une minutie


excessive, perdue d ’ avance et qui n ’ est pas nécessaire pour obtenir
le résultat recherché.

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Courir comme
un dératé

« Courir très vite »

Pourquoi cette comparaison ? Y a‑t‑il beaucoup d’êtres humains


qui se sont mis à courir à toute vitesse après l ’ ablation de la rate ?
Vérification faite, c ’ est une blague ! On ne sait toujours pas si un
dératé court particulièrement vite !

Une blague qui a pour origine une croyance des Anciens qui
pensaient que « le point de côté », que nous connaissons tous et
qui nous oblige à nous arrêter dans notre course, était une douleur
causée par la rate ; les Grecs et les Romains croyaient pouvoir

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pallier cet inconvénient en faisant boire, comme le relate Pline, une
décoction de feuilles de prêle qui desséchait l ’ organe… mais ne
l ’ extirpait pas.

Désireux de vérifier la véracité de cette croyance, certains chirur‑


giens tentèrent plus tard l ’ ablation de la rate sur des chiens espérant
améliorer la performance de ceux‑ci à la course… « Les chiens
dératés, enregistre Lavater au XVIIIe siècle, sont, pense‑t‑on, plus
alertes que les autres ». De là vient l ’ expression : courir comme un
dératé. Mais faut‑il reconnaître que les chiens moururent peu de
temps après l ’ opération sans avoir pu prouver finalement qu ’ un
animal dératé courait plus vite qu ’ un autre. Il allait de soi qu ’ aucun
être humain n ’ acceptât dans ce but de subir cette ablation, mais
l ’ expression a survécu au traitement radical de la « dératation »
nous dit Maurice Rat… et la blague a fait fortune puisqu ’ on
continue de dire courir comme un dératé.

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Croquer le marmot

« Attendre en se morfondant »

« Oui, j ’ai une heure devant moi […]. Je croquerai le


marmot à la station pendant une demi‑heure, mais c ’est
plus sûr. » (E. Augier, cité par Rey et Chantreau)

Certes, une chose est sûre : il n’est pas question ici d’un ogre
croquant à belles dents un jeune enfant.

Cette expression datant de la fin du XVIe siècle fit couler beaucoup


d ’ encre chez les linguistes et donna lieu à des explications
souvent fantaisistes. En effet, son origine peut se retrouver dans
le passe‑temps des compagnons‑peintres qui, pour tromper une
trop longue attente, se désennuyaient en traçant sur les murs

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quelques marmots ou traits grossiers de quelque figure (Furetière) ;
car croquer signifie « dessiner » (croquis) et une belle à croquer
est une femme dont la beauté mériterait qu ’ on en fasse un dessin.
Au XVIIe siècle, d ’ ailleurs croquer une femme était une expression
à double sens pour les artistes, car c ’ était aussi en « obtenir les
faveurs ».

Cette expression peut aussi se rapporter à la fable qui veut que la


mère promette de donner au loup l ’ enfant qui crie et c ’ est attendre
le moment où l ’ on permettra à cet animal de croquer le marmot
(M. Boucherie)… ou peut‑être aussi au fait que marmot serait un
synonyme de « menton » (marmotter, « claquer des dents »), ce
qui permettrait d ’ en déduire que croquer le marmot signifierait
alors « grogner d ’ impatience », « pester entre ses dents » (Sainéan).

Toutefois, l ’ origine la plus vraisemblable serait celle proposée


par Pierre Guiraud : « En ce qui nous concerne, nous croyons
que l ’ expression signifie « attendre devant une porte close en
cognant impatiemment le heurtoir » 6. Il ajoute que croquer (fin
XVIe siècle) signifiait alors « frapper » (sens que l ’ on retrouve
dans croque‑note « mauvais musicien », croque‑mouche « géant
vantard »), mais ce sens tomba peu à peu en désuétude pour céder
la place à « manger » ; et à cette même époque, le marmot, ou le
marmouset, était une « petite figure grotesque en pierre ou en bois

6. GUIRAUD, Pierre. Op. cit., p. 72.

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ornant le heurtoir ». Cette expression signifierait donc « attendre
devant une porte close en cognant impatiemment le heurtoir »
puis, par extension, « attendre longtemps en se morfondant ».

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Damer le pion

« Avoir l ’ avantage sur quelqu ’ un »

S ’agit‑il ici d’un pion, élément d’un jeu ? Oui certainement et


les jeux, surtout les jeux nobles et les jeux de salon nous ont laissé
plusieurs expressions métaphoriques telle damer le pion qui nous
vient du jeu de dames et fut repris au jeu d ’ échecs.

Guiraud nous dit que damer a ici le sens ancien de « dominer »,


couvrir le pion de son adversaire et le lui prendre. D ’ autres lin‑
guistes tirent l ’ origine de damer du terme « dame » signifiant ainsi
« transformer en dame ». Est‑ce alors une bonne affaire ? Au jeu de
dames sans aucun doute, c ’ est ce qui peut arriver de mieux à un
pion. Quand celui‑ci arrive sur le damier sur la huitième rangée de
son camp, il doit se transformer immédiatement en une figure plus
forte que lui mais autre que celle du roi ; on dit que le pion « va à la

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dame » c ’ est‑à‑dire que de pièce mineure il se transforme en dame
(1688). Il ne prend pas un pion à son adversaire en le dominant,
comme le suggère Guiraud, mais il acquiert un avantage soudain
qui lui permet de renverser une situation qui pouvait être à son
désavantage si bien qu ’ il a de grandes chances de remporter la
victoire sur son adversaire…

Voltaire jouait aux échecs, raconte Claude Duneton, avec un jésuite


qu ’ il avait invité chez lui, ce qui attira l ’ inquiétude de son ami
d ’ Alembert : « Je crains – écrivait‑il – que le prêtre ne joue quelque
mauvais tour au philosophe et ne finisse par lui damer le pion, et
peut‑être le faire échec et mat. »

De ce fait, l ’ expression prend au figuré le sens de « l ’ emporter sur


son adversaire, le surpasser » :

« Pour le sentiment en revanche, il n ’en est aucun à qui


nous ne damions le pion. » (Diderot)

Il existe au Québec une expression à peu près équivalente : faire


manger de l ’ avoine à quelqu ’ un, « devancer quelqu ’ un, surtout en
amour, lui damer le pion sans lui laisser le beau rôle » :

« J ’te dis qu ’elle lui en fait manger de l ’avoine


à Alphonse depuis quelque temps. » (Le Gros Bill,
film de René Delacroix, 1949, cité par P. DesRuisseaux)

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Cette expression se réfère à une coutume amusante que l ’ on
trouvait dans les anciennes provinces françaises : la jeune fille qui
voulait mettre fin à une relation amoureuse, mettait une poignée
d ’ avoine dans la poche du jeune homme à son insu. Il n ’ avait pas
besoin d ’ un dessin pour comprendre la signification de ce geste.

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De but en blanc

« Brusquement, sans détour »

C ette expression ne se comprend pas à la lecture immédiate et


résiste à l ’ analyse !

D ’ où vient‑elle et comment l ’ expliquer ? Nous la devons au voca‑


bulaire de la guerre, et plus spécialement du tir qui lui a donné
naissance. En effet tirer en bute (XVIe siècle), porter et tirer de but en
blanc (XVIIe siècle) signifie tirer « en ligne droite », c ’ est‑à‑dire tirer
d ’ après la trajectoire la plus courte. Autrement dit, c ’ est tirer d ’ une
butte où est installé le tireur qui vise le centre de la cible, générale‑
ment peinte en blanc, ce qui explique qu ’ elle soit parfois appelée
« le blanc ».

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Ce tir n ’ exige aucune mise au point et l ’ on visait la cible sans hausse
mobile (qui n ’ existait pas à l ’ époque), « appareil qui permettait de
régler le tir d ’ une arme à feu à grande distance en inclinant plus
ou moins la ligne de mire pour faire décrire au boulet une courbe
en hauteur ». On a ensuite employé l ’ expression, de but en blanc,
tronquée de son verbe, signifiant alors « sans préparation », ce qui
explique l ’ idée de brusquerie que l ’ on retrouve dans son emploi
métaphorique.

Toutefois, une question se pose : but et blanc sont synonymes


et signifient tous deux « cible » ; il est donc bon de se demander
s ’ il ne faudrait pas lire plutôt de butte, c ’ est‑à‑dire depuis le petit
monticule sur lequel était placé le canon… mais cette forme n ’ est
pas attestée. Pourtant, « l ’ orthographe correcte serait de butte en
blanc, comme le disait Furetière » d ’ après A.V. Thomas 7.

7. Cité par P. Dupré. Encyclopédie du bon français dans l'usage contemporain, Éd. de Trévise, 1972,
p. 339.

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De guerre lasse

« À bout de résistance »

Curieuse expression s’il en est ! La guerre peut‑elle être lasse ? Cet


adjectif au féminin qualifie‑t‑il vraiment la guerre ? La question se
pose et beaucoup d ’ encre a coulé sur ce sujet chez les linguistes.
Les explications passent de la simplicité à une certaine complexité.

Pour Grevisse, l ’ adjectif aurait été mis par erreur au féminin car
le s de las, étant anciennement prononcé à la pause, aurait peu à peu
conduit à l ’ orthographe phonétique. Pour Maurice Rat, le féminin
se justifie comme épithète de guerre à condition de donner un sens
actif à lasse, « qui lasse, qui fatigue ».

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Toutefois, l ’ une et l ’ autre hypothèses que propose Guiraud
semblent les plus crédibles et les plus séduisantes. L ’ une voit
dans cette expression un vestige de « l ’ ablatif absolu » du latin
correspondant à armis lassis ou bello lasso (rappelons que dans
cette tournure l ’ accord de l ’ adjectif se fait avec le substantif) et le
sens serait « par suite d ’ une guerre ayant épuisé ses effets et ses
moyens ».

L ’ autre hypothèse fait le parallèle avec la structure de l ’ expression


à cœur joie où la place de substantifs est inversée pour signifier
« à (avec) joie de cœur ». Ainsi, de guerre lasse s ’ écrirait de lasse
de la guerre avec le sens de « par suite de lassitude de la guerre »
car « lasse, nous dit Guiraud, pourrait être le substantif dérivé du
verbe lasser, mot bien attesté dans l ’ ancienne langue avec le sens
de “lassitude” ».

Le sens initial de cette expression serait alors « par fatigue de


guerre » et par extension « à bout de résistance ».

« De guerre lasse, je quitte l ’endroit […]. Tout seul,


je vais et je viens. » (Alain‑Fournier, Le Grand Meaulnes, p. 338)

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Dès potron‑jacquet/
Dès potron‑minet

« Dès l ’ aube, au point du jour »

Que signifient potron et jacquet ? Peu d’entre nous sauraient


répondre de nos jours.

En effet, potron n ’ appartient plus à notre vocabulaire si bien que


peu d ’ usagers de la langue y voient aujourd ’ hui une altération de
l ’ ancien français poitron, lui‑même dérivé du latin posterio, « posté‑
rieur », « cul »… et ce terme « est très répandue dans de nombreux
patois sous des formes patron, potron, petron, pitron », note Pierre
Guiraud.

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Et pour qui un jacquet est‑il encore « un écureuil » si ce n ’ est
peut‑être un Normand d ’ un âge certain ? Avouons que peu de
gens, sinon des lève‑tôt, même des lève‑très‑tôt, ont ainsi l ’ occasion
de voir l ’ écureuil, animal particulièrement matinal, relever sa queue
à l ’ aube naissante laissant voir son arrière‑train, car c ’ est bien de cela
qu ’ il s ’ agit dans cette expression : « au point du jour », c ’ est‑à‑dire
dès que l ’ écureuil relève sa queue.

Peu à peu, le terme de jacquet, considéré comme dialectal et diminutif


populaire de Jacques, sobriquet donné à l ’ écureuil (tel Jacquot au
perroquet), fut remplacé par minet, le chat, animal également très
matinal, plus commun et plus familier surtout en ville.

« Dès le potron‑minet, j ’étais assis, seul, et libre sur le


talus, au bord de l ’étang. » (Duhamel, cité par Le Petit Robert)

Une autre hypothèse, moins satisfaisante, est rapportée par


Maurice Rat où certains veulent voir dans potron, une corruption
de « paître » et comprennent ainsi cette expression : « dès l ’ instant
où les chats vont paître ».

De toute façon, ce mot de potron, de moins en moins bien compris,


fut parfois remplacé par patron‑minet ou patron‑minette (Balzac,
le Père Goriot) ou même par poltron‑minette !

Au Québec et à la Réunion, on se lève plutôt de façon plus poétique


à la barre du jour, allusion faite à la barre lumineuse du soleil se
levant à l ’ horizon.

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Donner sa langue
au chat

« Renoncer à deviner »

Quel est donc l’intérêt de donner sa langue à un chat lorsqu’on


renonce à deviner ? Pourquoi donner sa langue ? Et pourquoi au
chat ? L ’ explication de cette expression est plutôt floue d ’ autant
plus qu ’ on jeta d ’ abord sa langue aux chiens comme le fit Madame
de Sévigné :

« Ne sauriez‑vous deviner ? Jetez‑vous votre langue


aux chiens ? »

Mais plus tard, Eugène Sue, lui, ne la jette pas mais la donne :

« Vous n ’y êtes pas ; donnez votre langue aux chiens. »

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Rappelons que couper la langue était un genre de mutilation qui se
pratiquait en guise de châtiment de même que couper les oreilles,
le nez, les mains… Non seulement, cette cruelle automutilation,
donner sa langue, rendait définitivement muet et donc dans l ’ inca‑
pacité de répondre mais jeter cet organe aux chiens était en plus
une marque de mépris, car c ’ est à eux que l ’ on donne les déchets,
ce qui ne vaut plus rien… Peu à peu, l ’ action devient moins cruelle
puisqu ’ elle ne s ’ applique plus que sur le plan figuré pour signifier
« incapable de répondre, avouer son ignorance ».

Avec le temps, jeter est donc devenu donner, ce qui caractérise un


acte bienveillant, le chien est devenu un chat, animal moins terri‑
fiant pour les enfants et plus câlin et ceux‑ci lui donneront plus faci‑
lement leur langue lorsqu ’ ils ne pourront répondre aux devinettes.

Une autre explication serait que le chat est évoqué lorsqu ’ il s ’ agit
de confidences …et mettre un secret dans l ’ oreille d ’ un chat pour
George Sand (La petite Fadette), c ’ est « oublier ». Le chat a donc
connaissance de beaucoup de choses qu ’ il ne peut divulguer
puisqu ’ il est privé de parole ! Et donner sa langue au chat serait ainsi
« prêter la parole au chat », lui qui détient tant de secrets, afin qu ’ il
nous donne la réponse à une devinette. Cette explication en vaut
bien une autre !

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Donner/offrir le
gîte et le couvert

« Donner le vivre et le couvert »

S avez‑vous que donner le gîte et le couvert, c’est donner deux


fois la même chose ? Du moins, ce le fut jadis. Et ceux qui profitent
de cette offre risquent peut‑être de rester sur leur faim car cette
expression est un pléonasme, gîte et couvert ont à l ’ origine le même
sens.

En effet, de nos jours, le couvert est tout ce qui couvre une table
pour un repas, entendons par là : nappe, assiettes, verres, serviettes,
fourchettes, cuillères et couteaux, en somme le nécessaire pour
mettre à l ’ aise le convive… avec le repas en prime.

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Mais il faut retourner au XVIe siècle, alors que ce participe passé du
verbe couvrir devient nom pour retrouver le sens de « logement »
puis de « toit ». Donner le couvert, c ’ était donc « mettre à l ’ abri des
intempéries », « offrir un toit ».

Le couvert dans de nombreux pays francophones, et encore dans


certaines régions de France, est aussi un « couvercle », autrement
dit ce qui couvre, qui protège :

N ’oubliez pas de remettre le couvert sur la marmite

À l ’ île Maurice, le couvercle se dit plutôt couverture :

Je viens de casser la couverture du sucrier

Au féminin, ce participe passé a pris le sens de « couverture de lit »


– c ’ est‑à‑dire ce qui couvre, protège – dans de nombreux pays fran‑
cophones comme en Acadie, à la Réunion, au Québec et en Suisse :

Il tire toujours la couverte de son côté

Somme toute, dites plutôt donner le gîte et le vivre (ou la nourriture)


et non pas le gîte et le couvert si vous voulez respecter le sens premier
de couvert de cette expression. Toutefois, vous passeriez peut‑être
pour un puriste ou un fantaisiste car aujourd ’ hui le couvert n ’ est
plus compris comme un « toit » !

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En cinq sec

« Rapidement et efficacement »

En cinq sec et non pas en cinq sept comme cela se dit souvent.
Ce serait tellement plus simple de continuer dans l ’ énumération
des nombres même si, en apparence, l ’ une des expressions n ’ a pas
plus de sens que l ’ autre ! Qu ’ en est‑il exactement ? Que vient faire ce
chiffre 5 associé à cet adjectif sec non accordé grammaticalement ?

Un habitué du jeu de l ’ écarté saurait vous répondre, mais ces


joueurs ne sont plus nombreux aujourd ’ hui même si le jeu était
très en vogue au XIXe siècle. Quand on joue aux cartes une partie
sèche, c ’ est une partie sans revanche ni belle, c ’ est‑à‑dire sans partie
décisive entre joueurs à égalité. À l ’ écarté, jouer en cinq sec, c ’ est
jouer une seule manche de cinq point secs (= sans suite, sans
revanche ni belle) sans perdre un seul coup, ce qui est la manière

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la plus rapide de gagner. C ’ est alors une partie qui se joue très vite,
et c ’ est le sens qu ’ il faut donner à cette expression qui a pris cette
valeur métaphorique vers la fin du XIXe siècle, « rapidement et
efficacement » :

« Les efforts qu ’il avait multipliés avec son air de ne


pas y toucher pour empêcher Joseph Pasquier de se
débarrasser, en cinq sec, de cette affaire impossible. »
(Georges Duhamel, Chronique des Pasquier)

Mieux vaut s ’ en tenir à la graphie cinq sec où sec, devenu adverbe


– comme dans aussi sec, couper sec – ne prend pas la marque du
pluriel et signifie « sans rien de plus », telle l ’ expression du pain
sec… où le pain n ’ est pas forcément rassis mais « sans accompagne‑
ment habituel ».

Aujourd ’ hui, on entend la variante en cinq sets, influencée par


le terme de tennis, sport plus pratiqué et regardé que le jeu de
l ’ écarté… ce qui est un contresens car un match en cinq sets n ’ est
vraiment pas rapide et peut durer très longtemps.

L ’ expression synonymique en deux coups de (trois) cuillères à pot


est d ’ origine incertaine et, selon Bernard Pivot, est peut‑être « issue
de cantines de soldats ou de prisonniers où l ’ on avait vite fait de
vider la marmite ou la gamelle en deux coups de louche ou de
cuillère », la cuillère à pot étant alors une sorte de louche servant
à écumer le pot.

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En espèces sonnantes
et trébuchantes

« En pièces de monnaie,
en argent liquide »

Qu’est‑ce qu’une espèce trébuchante ? C’est une expression


dont le vocabulaire ne trouve pas beaucoup d ’ écho, de nos jours.
Elle date du Moyen Âge, époque où les billets de banque n ’ exis‑
taient pas ! Le seul moyen de payer si ce n ’ était pas « en nature »,
c ’ était « en espèces », c ’ est‑à‑dire avec des pièces de monnaie
métalliques. Ce qui n ’ empêchait pas les faussaires d ’ exister comme
aujourd ’ hui. L ’ un des deux moyens qui permettaient de vérifier si
la monnaie était fausse ou non – c ’ est‑à‑dire si elle correspondait
à la proportion de métal précieux défini par la loi – était de faire

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tinter les pièces en les entrechoquant ou en les faisant vibrer, ne
serait‑ce qu ’ au coin d ’ une table pour vérifier si les pièces sonnaient
juste !

L ’ autre moyen consistait à trébucher les pièces, c ’ est‑à‑dire à « les


peser sur un trébuchet 8 », petite balance à plateaux très précise
utilisée par les pharmaciens ou par les orfèvres. Elles devaient cor‑
respondre à un certain poids en tenant compte qu ’ en les frappant,
on leur donnait volontairement un trébuchan, autrement dit « un
excès de poids », « ce qui permettait que l ’ usure de la pièce la
ramène un jour au poids exact ».

Les espèces sonnantes et trébuchantes étaient donc de « véritables


bonnes pièces » ; par la suite cette expression signifia « payer en
argent liquide » et non en billets de banque, encore moins par carte
bancaire.

8. Ne pas confondre cette petite balance avec la catapulte aussi appelée trébuchet, « machine de
guerre pour abattre les murailles », bien évidemment disparue de l ’ usage mais dont la miniature
est « une cage pour oiseaux dont le haut est garni d ’ une bascule sur laquelle on met des graines »
(Le Petit Robert).

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Être au trente‑sixième
dessous

« Tomber bien bas, être bouleversé »

Pourquoi le nombre 36 ? Existe‑t‑il une réponse satisfaisante ? Et


de quel dessous s ’ agit‑il ?

Certainement pas de sous‑vêtement, difficile d ’ en superposer 36 !


Mais il est plutôt question ici de chacun des étages situés sous la
scène d ’ un théâtre à l ’ italienne… même s ’ il n ’ y en a pas 36 ! « Un
théâtre sans dessous, ce serait comme une maison sans cave »,
affirme le journaliste Francisque Sarvey.

D ’ après Les expressions décortiquées (www.expressio.fr), les dessous


d ’ un théâtre représentent l ’ espace s ’ étendant sous toute la surface
du plancher de la scène, espace nécessaire à la manœuvre des

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décors. Verticalement, les dessous se divisent en trois étages que
l ’ on compte à partir de la scène. Le premier dessous est réservé aux
trappes et aux chariots de costières, « ces rainures pour la manœuvre
et l ’ installation des décors ». Le plus profond est le troisième. Dans le
vocabulaire du théâtre, on dit d ’ une pièce qui fait un four qu ’ elle est
dans le troisième dessous, c ’ est‑à‑dire « au plus bas » et c ’ est là que
se réfugient les acteurs malheureux. Au figuré, au XIXe siècle, cette
expression signifie aussi « tomber bien bas dans la misère financière
ou psychologique », « être dans une position catastrophique ».

Si le terme dessous s ’ explique par le vocabulaire du théâtre,


pourquoi le nombre ordinal trente‑sixième ? Reconnaissons toutefois
que les nombres troisième (au théâtre) et quatorzième ont précédé
trente‑sixième :

« Les Montesquiou descendent d ’une ancienne famille,


qu ’est‑ce que ça prouverait même si c ’était prouvé ?
Ils descendent tellement qu ’ils sont au 14e dessous. »
(Proust, À la recherche du temps perdu, cité par Rey et Chantreau)

Ce nombre de trente‑six, préféré par la suite à trois ou à quatorze,


est devenu synonyme de « beaucoup ». L ’ amplification prend
souvent la forme d ’ une hyperbole (procédé linguistique qui
consiste à exagérer sa pensée) comme ici : troisième devient
trente‑six ; ce nombre se retrouve dans voir trente‑six chandelles,
il n ’ y a pas trente‑six solutions… L ’ explication serait‑elle qu ’ on compte
souvent par dizaines ou par douzaines et que la valeur de trente‑six,

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ce multiple de douze, a une valeur intensive ? La question n ’ a pas
de vraie réponse ! Et comment expliquer alors tous les 36 du mois,
c ’ est‑à‑dire « très peu souvent » ou « jamais », aussi souvent qu ’ un
mois a trente‑six jours ?

Notons que Daninos a écrit Le 36 e dessous qui n ’ est autre que ce mal
étrange et sans cesse croissant qu ’ est « la dépression nerveuse ».

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Être Gros Jean
comme devant

« Ne pas être plus avancé


qu ’ avant, subir une désillusion »

Qui est Gros Jean ? Et que signifie ici devant qui rend l’expression
assez énigmatique ?

Un Gros Jean, désignant jadis « un paysan, un personnage un peu


rustre », prit peu à peu un sens plus péjoratif et devint synonyme de
« niais », de « lourdaud ». Il était déjà au Moyen Âge un personnage
de farce, un benêt qui se faisait toujours duper. De plus, si l ’ on sait
que devant est la forme archaïque de « avant », « auparavant »,
cette expression se comprend mieux et s ’ applique à « celui qui ne
comprend rien à rien », même si on lui a donné les informations

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nécessaires et qui ne se trouve pas plus avancé qu ’ avant, avec en
surcroît un sentiment de mécontentement pour avoir raté son
coup. Cette expression se retrouve de préférence à la fin d ’ une
histoire morale comme dans La Laitière et le Pot au lait de Jean de
La Fontaine (livre VII, fable 10) :

« Quelque accident fait‑il que je rentre en moi‑même/Je


suis Gros Jean comme devant. »

Rabelais avait déjà créé un personnage stupide nommé Gros Jan.


Alexandre Dumas a intitulé un de ses Contes pour enfants : Petit‑Jean
et Gros‑Jean. Les Frères Jacques en firent une chanson Gros Jean
comme devant.

Cette expression reste populaire dans la langue familière.

Une autre expression devenue désuète, Gros‑Jean en remontre à son


curé, avait le sens de « il ne sait rien mais il prétend en remontrer
à celui qui sait ».

N.B. Maurice Rat nous rappelle que les prénoms Jean, Jeannot, Jacques avaient la
même signification que Gros Jean, noms de paysan synonymes de « lourdaud ».
On dit aussi faire le Jacques, « faire l ’ idiot ». Rappelons que Jacques Bonhomme
était le surnom du paysan typique à la fin du XIXe siècle.

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Être la coqueluche
de quelqu ’ un

« Être le favori de quelqu ’ un, son idole »

C omment peut‑on associer un certain « engouement » à la


coqueluche, cette maladie parfois mortelle et caractérisée par de la
fièvre et des quintes de toux convulsive particulièrement pénibles.
Comment en arriver à ce sens ?

Il faut savoir qu‘une coqueluche – dont l ’ étymologie longtemps


obscure est confirmée par Wartburg et le D.H.L.F. – désignait
anciennement (1414) une sorte de capuchon que les médecins
conseillaient de porter pour garder la tête bien au chaud et en par‑
ticulier à ceux atteints de la coqueluche, ce qui explique le passage

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du nom du bonnet à celui de la maladie. Notons qu ’ une étymolo‑
gie populaire plus tardive évoque le coq, car cette toux convulsive
rappelle le chant du coq, signe diagnostique de cette maladie.

Ce terme de coqueluche, désignant un bonnet, a pris un emploi


métaphorique à partir de 1625 pour désigner une « personne
qui est aimée, dont tout le monde s ’ éprend », et être la coque‑
luche a le même sens qu ’ une autre expression existante déjà : être
coiffé. Celle‑ci a pour origine le fait que certains bébés, qu ’ on appelle
des enfants coiffés, portent au moment de la naissance une coiffe
constituée par une partie de la membrane fœtale, signe de réussite
et de bonheur dans la vie. Cette expression prend ensuite un sens
figuré : « séduire quelqu ’ un en lui mettant une idée dans la tête »,
« être amoureux », sens que l ’ on retrouve aussi dans une troisième
expression synonymique avoir le béguin, le béguin étant le bonnet
porté par des religieuses belges et hollandaises – les Béguines – puis
plus tard porté par des enfants.

Ces trois expressions auxquelles on peut ajouter être toqué, se


toquer de, ont pris le même emploi métaphorique. En effet, coiffe,
coqueluche, béguin, toque, qui sont tous des chapeaux, gardent au
chaud votre tête… de même que toutes vos amours ?

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Être (se mettre) dans
de beaux draps !

« Être, dans une situation très difficile,


très inconfortable »

C ette expression est plutôt facétieuse, car elle nous laisse croire
à une situation faste nous permettant de vivre dans le luxe. Or, il
n ’ en est rien ! Toujours exclamative, elle est d ’ abord une antiphrase :
figure de style qui consiste « à employer un mot, une phrase dans
le sens contraire au sens véritable par ironie ou euphémisme »
(Le Petit Robert). Ainsi, beau est pris ironiquement comme dans cela
me fait une belle jambe, voilà la belle affaire ! On peut en dire autant
des termes bien et propre : Nous voilà bien ! Nous voilà propres ! Il faut

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donc imaginer qu ’ être dans de beaux draps, c ’ est plutôt être dans
de mauvais (sales) draps, « dans une situation critique » comme
cela se dit d ’ ailleurs… et c ’ est plus logique.

De plus, cette expression a été écourtée car on disait autrefois être


dans de beaux draps blancs ! Ici, il ne s ’ agit pas de draps de lit bien
que l ’ expression le laisse croire. Rappelons que dans l ’ Antiquité
jusqu ’ au Moyen Âge, le drap désignait le tissu dont on faisait les
vêtements ; il y eut par la suite glissement de sens vers le drap de lit
qu ’ on appelait alors le drap linge.

Quelle est l ’ origine de cette expression ? Jusqu ’ au XVIIe siècle, mettre


un homme en beaux draps blancs, signifiait, d ’ après Furetière, « en
faire bien des médisances, en découvrir tous les défauts ». Cette
expression décrivait une situation honteuse. En effet, on habillait
de drap blanc les gens accusés de luxure, les forçant à assister à la
messe ainsi vêtus, « le blanc faisant ressortir la noirceur du pénitent
tourné en ridicule et sujet aux moqueries ». C ’ est d ’ ailleurs exac‑
tement, rappelons‑le, ce que fit Hérode dans l ’ évangile selon saint
Luc (23,11) : « Après l ’ [Jésus] avoir revêtu d ’ un habit éclatant, il le
renvoya à Pilate. » Ceux qui étaient ainsi habillés de blanc étaient
donc dans une situation peu enviable, puis peu à peu dans une
situation très difficile dont on ne parvient pas à sortir. Même si
l ’ adjectif blanc a disparu de l ’ expression, le sens n ’ a pas changé si
ce n ’ est qu ’ il a pris plus d ’ intensité aujourd ’ hui. Une expression

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presque équivalente serait être dans le pétrin, c ’ est‑à‑dire dans ce
contenant où l ’ on brasse une matière pâteuse dont il paraît difficile
de se défaire.

Les Belges préféreront parfois dire être (ou se trouver) dans le


mauvais orchestre.

Au Québec, on dira plutôt être dans la marde ou être dans l ’ eau


chaude (ou même bouillante, de l ’ anglais « to be in hot water ») :

« Ses malversations nous ont mis dans l ’eau bouillante.


Comment nous en sortir ? »

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Être/mettre
sur la sellette

« Exposer ou être exposé à un


interrogatoire… pour avouer un secret »

S ’agit‑il d’une petite selle pour faire de l’équitation comme on


pourrait le croire ?

Pas exactement ; il s ’ agit plutôt d ’ un petit siège sans dossier, terme


venant du latin sella, « siège ». C ’ était une sorte de tabouret, fort
bas, où l ’ on obligeait les accusés à s ’ asseoir pour subir le dernier
interrogatoire. L ’ accusé s ’ y asseyait les fers au pied et se trouvait
dans une position fort inconfortable et humiliante. Toutefois, cette
sellette pouvait être recouverte d ’ un tapis quand l ’ accusé était
de haut rang ; elle fut même rehaussée lors du procès à Toulouse

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de Henri II de Montmorency, maréchal de France (1595‑1632) et
l ’ accusé n ’ avait pas les fers aux pieds (d ’ après les Mémoires de
Pontis) contrairement à l ’ usage de ce parlement. C ’ est d ’ ailleurs
dans ce même parlement qui siégeait à Rieux que fut jugé Martin
Guerre, que l ’ on voit dans le film du même nom, sur une sellette
lors de son procès. Ce petit siège, en usage depuis le XIIIe siècle,
fut aboli en 1788 par le Garde des sceaux, Lamoignon, « au profit
du box [ou du banc] et de la célèbre formule tout à fait inverse :
“Accusé, levez‑vous” » (Claude Duneton).

Même si la sellette a été abolie, l ’ expression demeure et Furetière


la définit ainsi : « soumettre à un interrogatoire serré ». Elle a été
ensuite largement supplantée par être sur la sellette à partir du
XVIe siècle avec le sens d ’ « être exposé à la critique ou aux questions
pour avouer un secret »… même si Boileau l ’ emploie encore avec
l ’ ancienne signification :

« Et mis sur la sellette au pied de la critique ! Je vois bien


tout de bon, qu ’il faut que je m ’explique. »

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Fagoté/fichu comme
l ’as de pique

« Être mal habillé »

Avez‑vous déjà remarqué dans un jeu de cartes comment l’as de


pique est mal habillé ? C ’ est fort douteux car l ’ as de pique ne porte
jamais de vêtement à l ’ encontre du valet, de la reine et du roi ! Alors,
d ’ où vient cette expression ?

Son origine est inexpliquée par les linguistes mais on retrouve l ’ as


de pique comme qualificatif dès le XVIIe siècle ; c ’ était une façon
de nommer « un niais » et Molière s ’ en prévalait. Dans le Dépit
amoureux, Marinette s ’ adresse ainsi à Mascarille :

« Taisez‑vous, as de pique ! » (Acte V, scène 9)

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C ’ était ainsi une expression péjorative et injurieuse alors en usage
qui ne signifiait pas seulement « homme nul », « homme sans
conséquence », mais aussi « homme mal bâti ».

Au XIXe siècle, le fer de lance stylisé que représente l ’ as de pique


fut comparé par sa forme au croupion d ’ une volaille, plutôt mal
tenu et sale autour duquel restent toujours quelques petites
plumes… à vérifier sur l ’ étal des volaillers ! Et de ce fait, celui qui était
traité d ’ as de pique n ’ était autre qu ’ un « trou de cul ». Aujourd ’ hui
si vous faites quelque chose à l ’ as de pique, « c ’ est fait sans soin, dit
Bernard Pivot, c ’ est fait un peu n ’ importe comment » et la formule
s ’ applique tout particulièrement au « laisser aller vestimentaire ».

« Sur le palier, elle l ’arrêta pour replier le col de sa veste


et tasser sa pochette extravagante.

– Ficelé comme l ’as de pique. C ’est bien la peine de


surveiller les Beaux‑Arts, dit‑elle. »
(Daniel Boulanger, La Poste de nuit, cité par B. Pivot)

Les Québécois ont leur propre expression avec la même significa‑


tion : attelé comme la chienne à Jacques. Celle‑ci serait née dans
le « bas » du fleuve Saint‑Laurent (en aval du fleuve) où vivait
un certain Jacques Aubert, propriétaire d ’ une chienne à laquelle
une maladie de peau faisait perdre tout son poil. Pour qu ’ elle ne
souffrît pas du froid en hiver, son maître l ’ emballait de vieux gilets
usés, loqueteux et devenus immettables. On voyait passer ainsi
cette chienne à Jacques toute de vieux habits vêtue. Les Québécois

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emploient aussi l ’ expression avoir l ’ air quétaine, « être mal habillé,
de mauvais goût ». Ce mot fait allusion à une famille Keating
(quétaine, prononcé à la française), écossaise et parcimonieuse,
toujours mal fagotée.

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Faire chou blanc

« Ne pas réussir ce qu ’ on
entreprend, échouer »

« Une fois de plus, la maréchaussée avait fait chou


blanc. » (Mérimée)

Pourquoi un chou blanc ? Au marché, n’achète‑t‑on pas plus


souvent des choux verts ou rouges que des choux blancs ! Le Petit
Larousse ignore ces derniers mais Le Petit Robert les mentionne.

Toujours est‑il que cette expression bizarre, et toujours vivante de


nos jours, n ’ a rien à voir avec le chou, légume, quelle que soit sa
couleur ni même avec le chou à la crème… mais plutôt avec le jeu
de quilles ; du moins, c ’ est l ’ explication la plus convaincante bien

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que non attestée. Ce jeu était le passe‑temps traditionnel très en
vogue au XVIe siècle – et l ’ est encore, surtout en hiver, au Québec.
On disait ainsi d ’ un joueur qui n ’ avait abattu aucune quille qu ’ il
avait fait « chou blanc ». Pourquoi ? Parce que coup se prononçait
choup en dialecte berrichon. Faire chou blanc, si cette explication
est la bonne, ce serait donc très exactement « faire coup nul » ;
blanc ayant souvent, comme on le sait, le sens de « vain », « nul »
et qu ’ on retrouve dans les expressions mariage blanc, examen blanc,
tir à blanc, nuit blanche, cartouche à blanc…

Cette explication est tirée du dictionnaire du comte Jaubert, note


Maurice Rat et « si on ne l ’ accepte pas, dit Littré, l ’ expression reste
tout à fait obscure ».

Quelle que soit son origine, faire chou blanc signifie aujourd ’ hui
« échouer ». Au Québec, on ne fait pas chou blanc mais on passe
dans le beurre : « Il a pris son élan pour frapper la balle mais il a passé
dans le beurre », autrement dit « il a raté son coup ».

N.B. Il existe quelques expressions faisant intervenir le chou en tant que légume
cette fois : faire ses choux gras, « tirer profit » ; bête comme chou, « facile à faire
comprendre » ; une feuille de chou, « journal de peu d ’ importance ».

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Faire des gorges
chaudes

« Se régaler de plaisanteries
faites au détriment de quelqu ’ un
ou de quelque chose »

« Il y avait à Paris […] deux procureurs au Châtelet,


appelé l ’un Gorbeau, l ’autre Renard […]. L ’occasion
était trop belle pour que la basoche n ’en fit point gorge
chaude. » (Victor Hugo, Les Misérables)

Faut‑il donner à gorge le sens de « partie avant du cou » ou


« intérieur du cou » ? C ’ est ce dernier sens qui est le bon mais
pourquoi chaudes ? Qui pourrait se douter de nos jours que cette

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expression remonte au XIVe siècle, du temps de la fauconnerie,
cette chasse qui se pratiquait avec des oiseaux de proie ? Car c ’ est
bien le cas.

Suivons l ’ évolution de ce mot gorge. « En terme de fauconnerie,


il s ’ agit du sachet supérieur de l ’ oiseau, qu ’ ailleurs on nomme poche ;
et lorsque l ’ oiseau s ’ est repu, on dit qu ’ il s ’ est gorgé. On appelle gorge
chaude la bouchée de viande chaude qu ’ on donne aux oiseaux, part
du gibier qu ’ ils ont pris », explique Furetière. C ’ est donc « la curée
des oiseaux de proie » qu ’ il fallait bien récompenser et encourager ;
c ’ est pourquoi l ’ expression a d ’ abord signifié au figuré « s ’ appro‑
prier quelque chose ».

Il est incontestable en lisant ce qui précède qu ’ il s ’ agissait de se


régaler. Mais comment expliquer le glissement de sens de gorges
chaudes vers « la moquerie » et même vers « la plaisanterie plutôt
méchante » ? Guiraud nous assure que gorge signifiait aussi en
ancien français « insulte, raillerie ». « L ’ expression est très intéres‑
sante, dit‑il, car elle montre comment le changement de sens est lié
d ’ une part au changement de construction (gorge � des gorges,
“des railleries”) et d ’ autre part aux valeurs stylistiques de l ’ adjectif, la
chaleur étant un caractère du rire et de la moquerie ». Cette super‑
position de sens aurait donc transformé la voracité de l ’ oiseau en
raillerie.

Même si cette interprétation de Guiraud peut paraître satisfai‑


sante, le glissement de sens ne paraît pas aussi évident pour tous :
certains linguistes font plutôt un rapprochement possible avec une

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autre expression rire à gorge déployée qui aurait contaminé faire des
gorges chaudes pour désigner une moquerie bruyante et hilare et de
ce fait, sans ménagement pour la victime.

Qui a raison ?

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Faire/ne pas
faire long feu

« Durer longtemps ou pas »


ou
« Réussir ou ne pas réussir »

Faire long feu, est‑ce « durer » ou « ne pas durer » ? « Échouer »


ou « réussir » ? Et ne pas faire long feu ? Est‑ce « ne pas durer »
ou « durer » ? « Réussir » ou « échouer » ? L ’ une des expressions
est‑elle vraiment la négation de l ’ autre ? Interprétation erronée ?
Piège ? Voilà toute la question ! Que de subtilités !

Qu ’ en est‑il de ces expressions si controversées et d ’ apparence si


souvent employées à mauvais escient ?

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Soit faire long feu : cette expression s ’ employait du temps des armes
à feu dans l ’ artillerie en parlant d ’ une cartouche dont l ’ amorce
brûle trop lentement ou s ’ éteint en cours de route de sorte que
le projectile, si par bonheur il part, est envoyé sans force et à peu
de distance. Le coup « a donc duré longtemps, il a fait long feu »
et de ce fait, « a manqué son but », « il a échoué ». Par la suite, par
métaphore, ce projet a fait long feu signifie ou bien que le projet « a
duré longtemps », ou bien « qu ’ il est un échec » ou les deux. Sous
cette forme, il s ’ agit donc ici d ’ une idée affirmative (idée de longue
durée) en plus d ’ une idée négative (un échec) !

Soit ne pas faire long feu : Si l ’ on s ’ en tient au sens de la forme affir‑


mative, ce projet qui n ’ a pas fait long feu devrait signifier « qu ’ il n ’ a
pas duré » et de ce fait, « qu ’ il a réussi », « qu ’ il a atteint son but ».
Or, il n ’ en est rien : cela signifie bien qu ’ il « n ’ a pas duré », mais de
ce fait c ’ est « un échec » !

Pourquoi en est‑il ainsi ? Parce que cette forme négative n ’ est,


semble‑t‑il, pas la négation de la forme affirmative. Il s ’ agirait de
deux métaphores différentes. L ’ expression négative ne tire pas
son origine du fonctionnement des armes mais se réfère au feu en
général et en particulier « au feu de paille » qui brûle très vite et de
façon passagère, sans conséquence.

Si bien qu ’ une des expressions n ’ étant pas la négation de l ’ autre,


ce sont deux expressions, d ’ origine différente : il se trouve qu ’ elles
s ’ opposent quand il s ’ agit d ’ exprimer la durée : son projet a fait

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long feu, « il a duré longtemps » ; son projet n ’ a pas fait long feu,
« n ’ a pas duré » mais ne s ’ opposent plus lorsqu ’ il s ’ agit d ’ exprimer
l ’ échec car il y a échec dans les deux cas. Ce qui permet d ’ en arriver
au paradoxe suivant :

« Son projet a fait long feu (a duré, a échoué, n ’a pas


produit l ’effet attendu), c ’est donc qu ’il n ’a pas fait long
feu (il n ’a pas duré, il a échoué). » (D ’ après Fanny Vittecoq,
L ’ Actualité langagière, volume 7/4, décembre 2010)

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Faire un pas de clerc

« Commettre une erreur par


inexpérience ou ignorance »

L es clercs, qui, à l’origine, sont des érudits, ont‑ils une démarche


spéciale ?

Pour le savoir, précisons d ’ abord ce qu ’ est un clerc. Jadis, les clercs


étaient, en opposition aux laïques, du côté des ecclésiastiques
(clerc � clergé) : était clerc toute personne étudiant pour entrer
à l ’ état ecclésiastique et se faire tonsurer. Par extension, ce terme
a pris le sens de « tout homme lettré ou savant » car celui‑ci était
recruté bien souvent dans le monde religieux qui seul, à une
certaine époque, avait de l ’ instruction. Être grand clerc, c ’ était donc

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« être très savant » et l ’ expression suivante vit encore de nos jours
souvent à la forme négative : il ne faut pas être grand clerc pour
savoir à quoi s ’ en tenir.

Le clerc peut donc prêter à confusion si l ’ on s ’ en tient aux ecclé‑


siastiques érudits. Pour y voir plus clair, dirigeons‑nous plutôt vers
le droit, la science juridique, où, contrairement aux expressions pré‑
cédentes, le clerc est ici « un novice », « un apprenti » : les clercs
de notaire, d ’ avoués, d ’ huissiers sont des stagiaires se préparant
à exercer le métier et sont par conséquent sujets à commettre des
erreurs, des bévues.

Et pourquoi un pas… de clerc ? Le pas est ici « une démarche », sens


que l ’ on retrouve dans l ’ expression métaphorique faire un faux‑pas.
Faire un pas de clerc signifie donc « faire une démarche inutile,
maladroite », « commettre une erreur, une bévue par manque
d ’ expérience » :

« Les nations étrangères se moquent souvent des pas


de clercs que fait la France en fait de révolutions et des
déconvenues qui la font revenir tout bonnement au
point d ’où elle était partie après avoir payé chèrement
sa promenade. » (Ernest Renan, L ’ avenir de la science)

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Fier comme un pou

« Très orgueilleux, prétentieux »

A vez‑vous déjà vu ce parasite minuscule bomber le torse et se


pavaner ? Bien trop petit pour se redresser avec fierté ! D ’ ailleurs,
d ’ où lui viendrait cette fierté ? Difficile à imaginer !

C ’ est une de nos expressions mal comprises parce que son origine
est généralement ignorée. En effet, quelle étrange comparaison
pour qui ne sait pas que ce pou n ’ a rien à voir avec l ’ insecte mais
avec le coq dont une forme dialectale est poul ou pouil (du latin
« pullus ») ; cette famille de gallinacés était jadis composée du poul,
de la poule et du poulet. Tout paraît alors logique puisque le coq
régnant sur la basse‑cour est le symbole de l ’ orgueil !

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Cette expression est d ’ ailleurs incomplète : fier comme un poul
sur son fumier. Employé dans sa totalité, elle n ’ aurait peut‑être pas
conduit à la confusion issue de l ’ homonymie entre le nom de cet
oiseau de basse‑cour… terme qui est d ’ ailleurs tombé en désuétude
pour laisser la place à coq et le nom de la vermine pou (qui se disait
jadis pol du latin pédiculus, diminutif de pedis « pou » ou pouil
qui a donné le dérivé pouilleux et l ’ expression chercher des pouilles
à quelqu ’ un, « chercher querelle »).

Il existe d ’ autres expressions synonymiques : Fier comme un


paon, dit‑on aussi, ou fier comme Artaban (non pas un souverain
parthe mais un personnage important du roman de Gautier de la
Calprenède : Cléopâtre).

Pour décrire un prétentieux, les Belges préfèrent l ’ expression : être


grand tablier sans cordon ou faire de son nez. En Côte d ’ Ivoire, on
fait son ronron et en Afrique subsaharienne, on fait son gros dos !
Au Québec, on retrouve des expressions imagées de sens équiva‑
lent : avoir la tête enflée, se (faire) péter les bretelles ou péter de la
broue (archaïsme pour « écume, mousse ») si bien qu ’ un péteux de
broue est celui qui cherche à « se faire mousser »… et le pétage de
bretelles, c ’ est de « l ’ autosatisfaction ».

N.B. Dans l ’ expression râler comme un pou, il s ’ agit certainement d ’ un coq et le


verbe râler, « faire un bruit rauque », se dit de certains animaux qui font entendre
un bruit de gorge comme un coq enroué qui essaie de chanter… Mais dans
l ’ expression laid comme un pou, c ’ est bien de l ’ insecte qu ’ il s ’ agit !

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Fort comme un Turc

« Doué d ’ une grande vigueur physique »

L es Turcs sont‑ils tellement plus forts que les autres hommes du


monde ? Seraient‑ils eux aussi tombés dans la potion magique ?

Cette expression qui apparut au XVIIe‑XVIIIe siècle, sans connota‑


tion péjorative, encore vivante aujourd ’ hui, désignait « l ’ homme
fort par excellence ». D ’ où viendrait cette hypothèse ? Dans le
milieu de la marine circule une explication précise : les condamnés
aux galères, souvent des protestants de France, étaient peu sportifs,
plutôt chétifs alors que les Turcs, eux aussi galériens, récupérés
parmi les soldats de la Sublime Porte, plutôt forts et en meilleure
santé, étaient pour cette raison placés en haut de l ’ aviron, là où la

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course du bras était la plus longue. De ce fait, ils avaient à déployer
plus d ’ énergie et de force que les autres rameurs ; de là, la réputa‑
tion des Turcs d ’ être des hommes particulièrement forts.

Dans l ’ imaginaire chrétien, se trouve une autre explication : le Turc


comme le Maure, symbolisait, sans doute depuis les croisades,
l ’ ennemi redoutable qui impressionnait par sa force, son courage
mais aussi par sa brutalité et sa cruauté. C ’ était l ’ incroyant brutal
à abattre… du moins en simulation, ce qui expliquerait ce jeu de
tête à l ’ œil noir et coiffée d ’ un turban, la tête de Turc, que l ’ on vise
dans les foires et qui permet ainsi de mesurer sa force et sa dextérité.
Aujourd ’ hui, une tête de Turc est un souffre‑douleur : objet de raille‑
ries, de moqueries abusives et qui souvent paie pour les autres.

N.B. En Turquie moderne, la racine populaire du mot turc serait synonyme du


terme français « fort, puissant ». Toutefois, cette étymologie ne semble pas
attestée.

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Fumer comme
un pompier

« Fumer du tabac à l ’ excès »

L es pompiers ont‑ils tendance à fumer beaucoup de tabac ?


Pas jusqu ’ à nouvel ordre ! Alors, quel est le sens caché de cette
expression ?

Il serait directement lié aux vêtements des pompiers. De nos jours,


ces hommes portent des uniformes imperméables et ignifuges en
goretex, « matériau souple spécial protégeant contre les hydrocar‑
bures et la chaleur tout en permettant l ’ évacuation de l ’ humidité
due à la transpiration ». Mais il n ’ en fut pas toujours ainsi ; il fut un
temps où ces « hommes du feu », comme les nomment les Suisses,
portaient des vêtements de coton ou de laine qui s ’ enflammaient

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rapidement. Pour éviter d ’ être eux‑mêmes la proie des flammes, ils
se faisaient copieusement arroser d ’ eau avant d ’ entrer en action
si bien qu ’ en ressortant du brasier, leurs vêtements en se refroi‑
dissant laissaient alors échapper fumée et vapeur d ’ eau en telle
quantité qu ’ ils étaient entourés d ’ un nuage blanchâtre. L ’ effet était
le même s ’ il leur arrivait de porter une veste de cuir car le matériau
se dilatait à la chaleur et absorbait humidité et fumée qui en refroi‑
dissant s ’ échappaient à profusion. Cette expression fut, par la suite,
transposée aux fumeurs invétérés qui s ’ entourent d ’ un nuage de
fumée comme le furent les pompiers d ’ autrefois… mais pas pour
les mêmes raisons.

Une autre explication serait que cette expression vienne des


pompes actionnées par des machines à vapeur traînées par les
pompiers allant au feu.

On trouve des expressions synonymes : fumer comme une cheminée,


fumer comme une locomotive ou fumer comme un sapeur (premier
élément du nom de ces agents chargés du service public du secours
contre les incendies : les sapeurs‑pompiers). À propos de cette
dernière expression, fumer comme un sapeur, se trouve parfois
donnée une autre origine, assez peu vraisemblable de nos jours. Les
sapeurs mineurs du génie recevaient une allocation de cigares pour
conserver le feu qui devait toujours être à leur disposition pour faire
partir les explosifs : ce pourquoi ils allumaient leur cigare avec le
mégot du précédent et ainsi de suite si bien qu ’ ils n ’ arrêtaient pas
de fumer. À croire ou ne pas croire !

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Il y a/il n ’ y a pas
péril en la demeure

« On peut/on ne peut pas attendre,


rester sans agir, sans qu ’ il y ait danger »
(Furetière, 1690)

Ya‑t‑il danger à rester chez soi ? À voir !


Cette expression très ancienne (XIIe siècle) encore utilisée de nos
jours, qu ’ elle soit à la forme affirmative ou négative, est souvent
mal comprise. En effet, le terme demeure au sens d ’ « habitation »
n ’ existe que depuis le XVIe siècle. Pour bien saisir le sens de cette
expression, il faut donc donner son sens premier à demeurer venant
du latin classique demorari « tarder, rester » (Block et Wartburg) :

« Voyons donc ce que c ’est sans plus de demeure. »


(Corneille, Mélite, Acte III, scène 6)

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Ici, il faut donc comprendre par ce terme demeure « sans plus
tarder, sans plus attendre ».

Ce sens se retrouve encore dans le vocabulaire juridique : mettre en


demeure (1835, Académie) signifiant « mettre dans une situation
où l ’ on est responsable du retard à remplir une obligation »
(D.H.L.F.) et par extension, « mettre du retard dans l ’ acquittement
d ’ une dette » puis « sommer, ordonner ». Une mise en demeure
n ’ est autre qu ’ un ultimatum.

Revenons à notre expression qui ne signifie pas « il y a danger


à rester dans la maison » mais bien « il y a péril dans le retard »,
« il y a danger à attendre ».

À la forme négative, plus fréquemment employée encore, elle


signifie donc « rien ne presse, il n ’ y a pas d ’ urgence ».

Pourquoi précipiter la réforme municipale,


il n ’y a pas péril en la demeure.

« Par fausse synonymie, dit Pierre Guiraud, l ’ expression a été refaite


en : il n ’ y a pas le feu à la maison, où l ’ idée de péril se concrétise en
incendie ; la hâte étant toujours liée à l ’ idée de feu. » Les Suisses, eux
et particulièrement à Genève, disent plus volontiers Il n ’ y a pas le
feu au lac.

Certaines expressions, comme on le voit ici, sont exposées à de


fausses interprétations dues bien souvent à de fausses étymologies.

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Il y a belle lurette

« Il y a bien longtemps »

D ’ où nous vient cette lurette qui n’existe que si elle est belle ?
Certains aimeraient voir en lurette, le féminin de luron « bon vivant,
insouciant »… mais il n ’ en est rien, car le féminin de luron est bien
luronne. Ce nom n ’ a non plus rien à voir, malgré les apparences,
avec les Lurons et les Luronnes habitants de la petite ville de Lure,
dans l ’ Est de la France ! D ’ autres voudraient faire venir ce mot de
lurette d ’ un dialecte picard lures, lurettes signifiant « sornettes » et
lurer « dire des sornettes », mais notre belle lurette n ’ est pas appa‑
rentée à cette forme régionale. Ce terme de lurette n ’ existe tout
simplement pas et ne s ’ utilise que dans cette expression. Pourquoi ?

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À l ’ origine, il s ’ agissait d ’ il y a belle heurette (1875), avec le sens de
« il y a une durée indéterminée ». Au XIXe siècle, une heurette signi‑
fiait « une petite heure ». La contraction de la fin de l ’ adjectif belle
et du début du nom heurette a donné d ’ abord leurette puis lurette,
permettant ainsi de forger cette expression utilisée surtout dans le
Nord et l ’ Est de la France :

« Je vous ai attendu depuis belle lurette/Vous m ’avez


ordonné à midi d ’être prête/À subir vos assauts dès
treize heures sonnées/Et pour vous bel ami, je m ’étais
pomponnée. » (Lettre de Juliette de Montaucieux au comte
Bonaventure, 15 septembre 1780)

Rey et Chantreau précisent que « la combinaison de beau et du


diminutif ette […] correspond à un intensif (cf. Il y a un sacré bout
de temps) où l ’ idée diminutive correspond en fait à l ’ idée d ’ un
temps important ».

Pour signifier « il y a très longtemps », quelles expressions


emploie‑t‑on dans le reste de la francophonie ? Dans l ’ ancienneté,
dit‑on à l ’ île de la Réunion ; Depuis les vieilles guerres ou du temps

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du vieux bon Dieu, dit‑on en Belgique, et au Québec, il s ’ est déjà dit
de l ’ année du siège : « ce sont des biscuits de l ’ année du siège » (très
secs ; il s ’ agit du siège de Québec par les Anglais en 1759).

N.B. Un des livres du conteur québécois, Fred Pellerin, s ’ intitule : Dans mon village,
il y a belle Lurette… Remarquons que dans ce titre se trouve une antanaclase
(figure donnant deux sens différents du même mot), belle lurette signifiant « il y
a longtemps » et Lurette avec une majuscule, étant le prénom d ’ un personnage
féminin.

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Jeter l ’éponge

« Abandonner le combat, renoncer »

Pour pouvoir jeter l’éponge, il faut donc en avoir une sous la


main… mais professionnellement qui se sert d ’ une éponge ? Mis
à part les grands nettoyages ménagers, on retrouve des éponges
dans l ’ enseignement pour effacer les tableaux noirs et dans le sport
de la boxe… et c ’ est bien de là que vient cette expression !

L ’ entraîneur du boxeur a toujours une éponge sous la main ; il s ’ en


sert pour rafraîchir son poulain, lui nettoyer le visage ruisselant de
sueur ou même le désaltérer pendant les moments de pause. Elle
est toujours à sa portée.

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Quand a‑t‑il donc l ’ occasion de la jeter ? Quand son protégé
éprouve de grandes difficultés au cours du combat, spécialement
s ’ il se fait massacrer par son rival et qu ’ il continue à se battre sans
aucun espoir de vaincre et sans demander grâce. L ’ entraîneur qui
juge alors la partie perdue, lance l ’ éponge au milieu du ring pour
signifier l ’ arrêt du combat et pour déclarer forfait.

Cette expression est un calque de l ’ anglais to throw up, to chuck


the sponge (or the towell « la serviette ») et fut employée pour la
première fois en 1918.

Au Québec et en Louisiane, on dira plus volontiers lâcher la patate


et plus fréquemment à la forme négative ne lâche pas la patate
« n ’ abandonne pas, ne renonce pas ». C ’ est d ’ ailleurs le titre d ’ une
chanson cajun pour encourager à tenir bon : « Lâche pas la patate ! »

N.B. L ’ éponge est employée dans d ’ autres expressions comme avoir une éponge
dans le gosier, « boire plus que de raison » ou passer l ’ éponge, « oublier ».

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Laisser pisser
le mérinos

« Attendre que ça se passe »

Absurde sinon amusante cette expression ! C’est le moins qu’on


puisse dire !

Que vient faire un mérinos, race de mouton dont la laine est parti‑
culièrement appréciée ? Et pourquoi le laisser pisser ?

Guiraud parle de fausse étymologie après avoir eu l ’ occasion de


mener une enquête sur cette expression et reçu des témoignages
de curés, de notaires, de colonels « attestant la diurèse des ovidés et
particulièrement des mérinos », mais « c ’ est tout à fait faux, dit‑il,
les mérinos n ’ ont pas en ce domaine de comportement spécial ».
Il faut chercher ailleurs !

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Cette expression, qui daterait au moins du XIXe siècle viendrait d ’ un
calambour bien gaulois où passer – dans la locution laisser passer
– aurait glissé vers pisser, « motivé a priori par l ’ image d ’ animaux
pisseurs » d ’ après Guiraud et Rey. Avant d ’ identifier la race animale,
on disait laisser pisser la bête faisant ainsi allusion à ceux qui condui‑
saient des attelages et qui devaient s ’ arrêter et patienter quand
les animaux avaient besoin d ’ uriner (mais pas quand ils avaient
besoin de déféquer !), ce besoin naturel ne pouvant se faire en
marchant ! Rappelons que pisser était un terme courant et n ’ avait
pas la connotation de « très familier » qu ’ il a aujourd ’ hui, et
qu ’ uriner était plutôt le terme médical. De nos jours, on raccourcit
l ’ expression en se contentant de dire laisser pisser.

Pourquoi la bête s ’ est‑elle précisée en un mouton de race mérinos ?


Par plaisanterie, semble‑t‑il. Cet animal était alors très en vogue
à l ’ époque pour la qualité de sa toison.

Une autre origine de cette expression viendrait d ’ une anecdote


rapportée par Bernard Pivot et attribuée à Louis XVI : alors que
le roi visitait, sans doute à Rambouillet, un troupeau de moutons
mérinos dont il voulait apprécier la qualité de la laine, l ’ un d ’ eux se
mit à pisser à ses pieds ; aux témoins qui s ’ offusquèrent devant ce
crime de lèse‑majesté, le roi, débonnaire, aurait dit : « Laissez pisser
le mérinos. »

L ’ anecdote est jolie, certes pas invraisemblable, mais que vaut‑elle ?

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L ’échapper belle

« Échapper par chance


à un péril imminent »

S urtout, la belle ne te dévoile pas, le charme serait rompu… Et


pourtant, on aimerait savoir quel est le référent de ce l ’ échapper
belle, expression figée datant de 1640 !

En vérité, aucune belle ne se cache !

Pour expliquer cette expression, certains se réfèrent au jeu de


paume lorsqu ’ une belle balle facile à rattraper aurait échappé
à l ’ adversaire qui n ’ aurait pas su la renvoyer. Mais le glissement de
sens vers « échapper à un danger menaçant » serait, en fait, difficile
à saisir et c ’ est sans doute Pierre Guiraud qui a raison en donnant
une autre explication, un peu complexe.

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Pour lui, le pronom l ’ signifie « cela », « la chose en question »,
représentant un neutre (qui n ’ existe plus en français moderne),
et belle est davantage considéré comme un adverbe que comme
un adjectif, de même sens que bellement avec le sens archaïque de
beau, c ’ est‑à‑dire « opportun », terme ne désignant pas comme
aujourd ’ hui « la qualité de ce qui plaît ». Mais « c ’ est la construc‑
tion, dit Guiraud, qui est ici intéressante ; l ’ échapper belle signifie
“l ’ avoir belle de s ’ échapper”, c ’ est‑à‑dire “s ’ échapper au bon
moment, opportunément” ». L ’ explication ne tombe pas sous le
sens mais elle est pleine de bon sens lorsqu ’ elle est expliquée à partir
de l ’ ancien français.

La construction de verbe échapper comme verbe transitif direct ne


survit que dans cette expression avec le sens d ’ « éviter » et comme
régionalisme canadien (Le Petit Robert).

N.B. Dans l ’ expression vous me la baillez belle, il ne faut pas non plus voir de
terme de jeu sous‑entendant une belle balle, mais bien comprendre « vous me
dites une belle chose » où le pronom la représente un neutre comme le l ’ dans
« l ’ échapper belle ».

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Le nerf de la guerre

« L ’ argent »

Pourquoi s’arrêter ici à cette expression si bien installée dans


la langue française depuis près de cinq siècles ? Parce que de plus
en plus fréquemment lui est donné le sens d ’ un de ses éléments,
nerf, et non plus son sens global… et cela paraît plutôt troublant et
facétieux pour la plupart des usagers de la langue.

Rappelons d ’ abord ce qu ’ est un nerf. Étymologiquement parlant, ce


terme, issu du latin nervus signifie d ’ abord « tendon », « ligament »
mais aussi au figuré « vigueur » et par extension « ce qui donne
de l ’ efficacité » (Le Petit Robert). C ’ est ce dernier sens que retint
Rabelais, qui sait bien qu ’ une guerre, les caisses vides, est particuliè‑
rement difficile à gagner, et qui serait le parrain de notre expression
en écrivant dans Gargantua (Ch. XLVI, Leçon de sagesse poétique) :

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« Attendez la fin de cette guerre car l ’on ne sait quelles
affaires pourraient survenir et guerre faite sans bonne
provision d ’argent n ’a qu ’un soupirail de vigueur. Les
nerfs des batailles sont les pécunes. »

Le terme pécunes, ici, signifie « l ’ argent » (du latin pécunia,


« richesses ») et celui de nerf « ressort, moyen d ’ action ». Plus tard,
Madame de Sévigné reprendra à son tour cette même formule :

« Le nerf de la guerre, c ’ est l ’ argent. »

Commettent donc un faux‑sens – qui se généralise dans la franco‑


phonie – ceux qui troquent impunément le sens de toute l ’ expres‑
sion contre celui d ’ un seul terme nerf comme dans l ’ exemple
ci‑dessous :

« On veut clairement pousser pour une révision de la


formule de financement et de la grille de pondération.
C ’est le nerf de la guerre. » (Martine Desjardins, Le Devoir,
le 12 janvier 2013)

Il n ’ est donc pas question ici d ’ argent en soi mais de l ’ importance,


comme moyen efficace, de réviser une formule et une grille !

Où s ’ en va le français avec ce laxisme linguistique ?

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Les Anglais sont
arrivés/ont débarqué

« Avoir ses règles »

Cette expression est vraiment facétieuse et son sens ne peut être


saisi sans explications ! Elle serait originaire de la région parisienne
et de Normandie où l ’ emploi est encore relativement fréquent et
daterait des guerres napoléoniennes du XIXe siècle. Rappelons qu ’ à
cette époque, les fantassins anglais habillés de rouge envahissent la
France après la bataille de Waterloo en 1815 et cet ennemi séculaire,
qui demeurera sur le sol français jusqu ’ en 1820, n ’ est pas du tout
apprécié. Dans le parler populaire parisien, ce mauvais souvenir de
l ’ occupant compare ainsi au flot menstruel le flot de soldats en
tuniques rouges débarquant sur nos côtes.

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Ce qui peut paraître étonnant, c ’ est que cette expression s ’ emploie
aussi au Québec et surtout en Mauricie (Pierre DesRuisseaux,
Dictionnaire des expressions québécoises, p. 27), région située sur la
rive nord du Saint‑Laurent, pays où les Anglais n ’ étaient pas non
plus les bienvenus. Son apparition est alors difficile à dater ! Elle se
retrouve davantage sous la forme, les Anglais sont au port ou parfois
avoir ses Anglais, mais il s ’ agit toujours d ’ Anglais et de menstruation.
Cette expression vient‑elle de France, colportée par l ’ immigration ?
Ou la traduction verbale de cette manifestation anglophobe sur
les deux continents est‑elle fortuite ? Et alors de quand date‑t‑elle ?
L ’ expression québécoise serait‑elle antérieure à la française ? Notons
que certains régiments anglais avaient déjà des tuniques rouges dans
les guerres contre les Américains et au moment du traité de Paris
en 1763 quand ils ont conquis le Québec… Quoi qu ’ il en soit et
d ’ où qu ’ elle vienne, cette expression évoque à la fois la soudaineté
d ’ une « invasion » ennemie, l ’ « occupation » du territoire et le
« flot » qui amène l ’ ennemi. Le même euphémisme fondé sur le
rouge du sang menstruel a été utilisé au XVIIIe siècle sous la forme
attendre/recevoir un courrier de Rome, par allusion au rouge de la
robe cardinalice » (Dictionnaire du français non conventionnel, p 10).

Dans certains pays, surtout africains, on entend dire être dans ses
lunes ou avoir ses lunes. Les anciennes croyances quant à l ’ influence
de la lune sur le comportement humain seraient à l ’ origine de ces
expressions (D.H.L.F.).

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Les carottes sont cuites

« Tout est fini, tout est perdu,


il n ’ y a plus d ’ espoir »

« C ’est quand les carottes sont cuites que c ’est la fin


des haricots ! » (Pierre Dac)

Que vient faire ce légume dans cette expression sibylline ?


L ’ origine en est obscure et aucune explication n ’ est vraiment
satisfaisante.

Que savons‑nous sur ce légume, si ce n ’ est qu ’ au XVIIe siècle la


carotte avait une valeur péjorative et représentait l ’ aliment du
pauvre ? Et ne vivre que de carottes signifiait vivre pauvrement,
chichement.

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Cuites, les carottes n ’ ont plus de rigidité et il n ’ en faut pas plus pour
que certains fassent allusion à l ’ impuissance masculine. Furetière,
lui, y verrait une métaphore scatologique fondée sur la paronymie
avec crotte : chier des carottes signifiait « être constipé ». Et alors ?
Cela ne signifie pas la fin du monde comme le voudrait l ’ expression !

À la fin du XIXe siècle, avoir ses carottes cuites a signifié « être


mourant ». Pourquoi cette association d ’ une situation désespérée
avec des légumes cuits ?

Marianne Tillier, dans son ouvrage Les expressions de nos grands-


mères, propose encore une autre explication et affirme que la
carotte désignait un menu larcin au XIXe siècle d ’ où viendrait le
verbe carotter, « extorquer par ruse ». Pris dans ce sens, ce légume
aurait été associé à l ’ expression c ’ est cuit, autrement dit « c ’ est
raté ». « Les carottes sont cuites signifie donc, dit‑elle, que même les
petites entourloupettes n ’ ont plus une chance de réussir. »

Toujours est‑il que de nos jours cette expression s ’ utilise dans une
situation désespérée.

Quelle qu ’ en soit son origine difficile à cerner, cette expression


s ’ entendait pendant la guerre à Radio‑Londres, comme « message
personnel » destiné à déclencher une action de résistance en France :
« Les carottes sont cuites, je répète, les carottes sont cuites. »

Une expression à peu près synonyme se retrouve au Québec sous la


forme son (ton) chien est mort, « c ’ est fini », « il n ’ y a plus d ’ espoir ».

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Mariage pluvieux,
mariage heureux

« Pluie pour le mariage,


gage de bonheur »

La pluie est‑elle vraiment une garantie du bonheur ? Quel couple


souhaiterait se marier sous la pluie ? Sûrement aucun ! Bien au
contraire. Les futurs mariés consultent la météo longtemps à l ’ avance
pour s ’ assurer la pleine réussite de leur journée. Hélas ! Il arrive parfois
qu ’ il pleuve bien malgré eux.

Il faut donc bien consoler ces jeunes gens qui se marient sous la
pluie et qui auraient tant souhaité le soleil pour que cette journée
soit parfaite et les photos radieuses… en leur assurant un mariage
heureux.

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Mais il semble bien que la météo n ’ ait rien à voir avec la destinée du
mariage et que pluvieux s ’ écrivait à l ’ origine plus vieux. Autrement
dit, une certaine expérience de la vie rend le mariage plus solide et
peut, de ce fait, être une garantie de bonheur.

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Mener une vie
de bâton de chaise

« Avoir une vie agitée, désordonnée,


une vie de fêtard »

« Quoi ! Vous menez, mon gendre une vie de bâton


de chaise… ! » (Musset, cité par Maurice Rat)

Quelle vie peut bien donc mener un bâton de chaise ? Ne


confondons surtout pas avec le barreau des chaises d ’ aujourd ’ hui.

Remontons dans le temps car cette expression date de 1643. Pour


mieux la comprendre, il est bon de la compléter par le syntagme
à porteur. Il s ’ agit de bâtons latéraux, ces montants de bois qui per‑
mettaient de porter ces chaises ambulantes : deux grands bâtons

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barrant la porte de la chaise qu ’ on ôtait vivement quand l ’ occupant
en descendait pour les replacer quand un autre y était monté.
Appelées à des déplacements incessants, ces chaises avaient une vie
très remuante et « remuée » sur les pavés des rues de la ville, de jour
et de nuit et dans tous les quartiers résidentiels ou de débauchés.
À l ’ occasion, ces bâtons permettaient même aux porteurs de se
défendre : constamment manipulés, soulevés, ôtés et remis, servant
d ’ armes défensives et offensives au besoin, ils ne menaient donc pas
une vie de tout repos !

C ’ est l ’ idée de déplacements incessants puis de déplacements


désordonnés, d ’ agitation excessive qu ’ on a assimilés métaphorique‑
ment au mode de vie d ’ une personne pour dire d ’ elle qu ’ elle mène
une vie de bâton de chaise.

Mener une vie de patachon est une autre expression plus récente
(XIXe siècle), mais de même signification et qui fait référence à la
patache, cette diligence fort peu confortable, sans suspension, se
déplaçant par monts et par vaux et conduite par le patachon, per‑
sonnage toujours sur les routes et buvant copieusement aux relais ;
sa vie, comme celle des bâtons de chaises, symbolisait une vie tour‑
mentée et dissolue en proie à toutes sortes d ’ excès.

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Mi‑figue mi‑raisin

« À la fois satisfait et mécontent »

Pourquoi opposer ces deux fruits pour qualifier une attitude


humaine ?

Cette expression, très ancienne, a subi au cours des âges des modifi‑
cations de sens et pour mieux la comprendre, il est bon de la suivre
dans son évolution.

Aux XIVe et XVe siècles, elle signifiait « moitié bon, moitié mauvais ».
Le rapprochement de ces deux fruits était courant car on les
mangeait secs pendant le carême, mais pourquoi les mettre en
opposition ? Simplement parce que les raisins doux et sucrés

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étaient beaucoup plus prisés que les figues. D ’ ailleurs, la figue avait
une connotation négative ayant souvent le sens de « crotte » ou
« fiente ».

Au XVIe siècle, cette expression signifiait « moitié sérieux, moitié


plaisantant » puis au XVIIe siècle « moitié forcé, moitié consen‑
tant », et Madame de Sévigné d ’ écrire :

« Il courut chez Ninon, et moitié figue et moitié raisin,


moitié par adresse, moitié par force, il retira les lettres. »

C ’ est au XVIIe siècle que cette expression prend le sens qu ’ elle


a aujourd ’ hui et depuis le XVIIIe siècle, on dit plus volontiers mi‑figue
mi‑raisin que moitié figue moitié raisin.

Une explication anecdotique, sans support authentique, voudrait


que les Grecs envoyaient leurs magnifiques raisins de Corinthe
aux Vénitiens qui en étaient très friands… mais pour faire plus
de profit, ils truffaient leurs caisses de raisins secs avec des figues
séchées plus lourdes et qui ne leur coûtaient rien puisqu ’ elles pous‑
saient chez eux à l ’ état sauvage. Les Vénitiens auraient eu des sen‑
timents partagés lorsqu ’ ils découvrirent la supercherie, ce qui serait
à l ’ origine de l ’ expression.

Cette explication est plaisante, vraisemblable mais non attestée.

Quant à l ’ expression ni figue ni raisin, elle semble une altération


populaire, qu ’ est‑ce alors ? « Ni bon ni mauvais », entre les deux !

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Monter sur ses
grands chevaux

« S ’ emporter, le prendre
de haut et avec agressivité »

« On dit aussi, dit Furetière, qu ’un homme monte sur


ses grands chevaux pour dire qu ’il parle en colère
et d ’un ton hautain. »

Pourquoi monter sur un cheval et par surcroît un grand lorsqu’on


se met en colère ? On ne montait autrefois sur son grand cheval que
pour se préparer au combat.

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L ’ origine de cette métaphore remonte à la fin du XVIe siècle quand
il n ’ y avait guère d ’ autres moyens de locomotion que le cheval
dont il existait plusieurs sortes : le palefroi, le cheval des tournois,
de parade et que montaient aussi les dames, le sommier, la bête
de somme qui transportait armes et bagages et le destrier, ainsi
appelé car lorsque le chevalier ne le montait pas, l ’ écuyer le tenait
de la main droite (de l ’ ancien français destre, issu du latin dextra ou
destera, « main droite »). Ce cheval haut et fort se montait pour
les batailles et plus il était haut, plus il dominait l ’ adversaire. On ne
le montait que pour combattre l ’ ennemi, défendre ses droits ou
venger une imposture.

Rey et Chantreau soutiennent que cette explication est donnée


à posteriori, car avant l ’ apparition de l ’ expression monter sur ses
grands chevaux, « on trouve plus normalement les grands chevaux
de quelqu ’ un, les grands arguments, les grandes raisons ».

De nos jours, au figuré, cette expression est donc signe d ’ affronte‑


ment, de bataille menée avec fougue et arrogance.

Une autre explication de cette expression serait la suivante : « Au


XVIe siècle, des souliers à talon haut furent appelés grands chevaux.
Par analogie à la cour de Lunéville, quatre anciennes familles de rang
élevé, les Lenoncourt, de Châtelet, de Ligniville et de Haraucourt,
portèrent le titre de Grands Chevaux de Lorraine. La prétention
des autres familles à rejoindre les quatre grands, les petits chevaux,

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donna naissance à notre expression si bien que l ’ insistance serait
mise davantage sur un combat prétentieux et arrogant que sur
l ’ emportement » (www.expressio.fr).

Au Québec, on ne fait pas que monter sur ses grands chevaux


mais on grimpe aussi dans les rideaux ! En France, cette expression
a forme et sens différents : Il n ’ y a pas de quoi grimper aux rideaux,
c ’ est‑à‑dire « il n ’ y a pas de quoi se réjouir ni pavoiser ». Ou plus
familièrement à la forme affirmative, « manifester une exaltation,
un plaisir extrême ; jouir sexuellement » (Le Petit Robert).

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Mou comme
une chique

« Sans énergie, faible de caractère »

É tonnante cette comparaison avec une chique qui peut être


une enflure de la joue provoquée par un mal de dent ou, comme
ici, ce morceau de tabac que l ’ on mâchait et remâchait, un peu
comme de la gomme, que l ’ on faisait passer d ’ une joue à l ’ autre et
que l ’ on recrachait sous la forme peu ragoûtante d ’ un jus noirâtre.
Paraît particulièrement étrange cette référence à la boule de tabac
mâchée correspondant à une habitude perdue depuis longtemps
chez nous… mais qui persiste encore chez certains cowboys.

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En fait, il semble qu ’ il y ait eu confusion : plutôt que d ’ une chique,
il s ’ agit d ’ une chiffe, « étoffe molle de mauvaise qualité (chiffon) ;
cette expression, mou comme une chiffe, datant du XVIIIe siècle
s ’ employait pour qualifier un objet ou une personne physique. Son
sens s ’ est étendu ensuite au figuré pour désigner une personne de
« caractère faible »… et la métaphore chiffe molle convient mieux
pour désigner une « personne » veule que la mollesse gluante du
tabac mâchouillé.

À la fin du XVIIIe siècle, la chiffe moins usitée et la chique devenue


pratique courante, la confusion était facile entre ces deux mots de
consonance presque équivalente, confusion vraisemblablement
faite il y a une centaine d ’ années, mais à éviter. Toutefois, cette
confusion de mots ne s ’ est pas faite pour l ’ expression une chiffe
molle qui n ’ est pas une chique molle.

Compliquant davantage l ’ explication de cette expression, Guiraud


affirme que le sens ancien de chique est un « vieux chiffon » et
qu ’ il y a souvent confusion spontanée entre le sens ancien et le sens
moderne.

Que croire ?

N.B. Ce mot chique a gardé une certaine vitalité peu explicable dans notre langue
et voici ce que nous en dit le D.H.L.F. : « Le sens initial de “morceau de tabac
à mâcher” est devenu archaïque quand l ’ habitude de mâcher du tabac s ’ est
perdue. Aussi les expressions figurées encore vivantes ne sont‑elles pas interpré‑
tées clairement : poser sa chique, “se taire” ; couper la chique, “interloquer, inter‑
rompre” ; avaler sa chique, “mourir”… »

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Ne pas être dans
son assiette

« Ne pas se sentir bien,


ne pas être en forme »

I l paraît normal qu’on ne soit pas dans son assiette si celle‑ci


désigne « cette vaisselle plate dans laquelle nous mangeons ». Mais
ce n ’ est pas d ’ elle qu ’ il s ’ agit ici.

En effet, au XVIe siècle, date de cette expression, ce plat individuel


qu ’ est l ’ assiette (attesté pourtant depuis 1507) n ’ était pas encore
entré dans les mœurs et l ’ on se servait alors dans le plat commun
avec les doigts, car la fourchette mise à la mode par les mignons de
Henri III, dont on connaissait le raffinement, restait un objet très
peu connu et peu prisé. Ce terme d ’ assiette dérive du sens ancien

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« manière dont les convives étaient assis autour de la table »,
autrement dit près ou loin du seigneur (XIVe siècle) d ’ après Block
et Wartburg. Il vient donc du verbe asseoir, du latin assedere avec le
sens de « manière d ’ être assis » puis celui de « disposition physique
d ’ une chose, d ’ équilibre », sens qu ’ il a eu et gardé de nos jours ;
il peut s ’ agir de l ’ assiette d ’ un cavalier, c ’ est‑à‑dire « sa tenue en
selle », « sa manière d ’ être assis » :

« Je ne démonte pas volontiers quand je suis à cheval


car c ’est l ’assiette en laquelle je me trouve le mieux. »
(Montaigne)

ou de l ’ assiette d ’ un avion dans les airs ou d ’ un navire en mer.


Dans un sous‑marin, au commandement l ’ assiette à zéro, c ’ est
« le bateau à l ’ horizontale parfaite » ; il peut être aussi avec « une
assiette négative » ou « positive » d ’ un certain nombre de degrés.

Par extension, ce terme, tout en gardant son sens originel, a aussi


pris le sens de « forme physique ou disposition mentale d ’ un
individu » :

« La Cène : Ils sont à table/Ils ne mangent pas/Ils ne


sont pas dans leur assiette/et leur assiette se tient toute
droite/verticalement derrière leur tête. » (Prévert, Paroles,
p. 16, cité par Rey et Chantreau)

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Au Québec, on préfère une autre expression : Tu as l ’ air maussade
aujourd ’ hui, tu ne files pas ? Ne croyez pas qu ’ on lui demande
s ’ il ou elle file de la laine mais s ’ il ou elle « se sent mal », « n ’ est
pas en forme ». Même si cette expression très courante est issue
de l ’ anglais to feel good or bad, le verbe a adopté l ’ orthographe
française, ce qui est heureux mais peut porter à confusion.

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Noir comme un geai

« Noir comme jais »

« L es cheveux des Andalouses ou les yeux des gitanes sont


souvent décrits comme la couleur du geai. Cela part d ’ un bon
sentiment car toute comparaison entre une jolie fille et un bel oiseau
ne peut qu ’ être agréable à celle qui en est l ’ objet. Encore faudrait‑il
qu ’ elle soit justifiée ! Faux… tout faux » nous dit Claude Gagnière.

Le geai est un charmant oiseau au plumage gris et bleu apparte‑


nant à la famille du corbeau. Il est certainement plus flatteur de
ressembler à un oiseau qu ’ à « un lignite dur et fibreux d ’ un noir
luisant » appelé jais… car c ’ est bien de ce terme qu ’ il s ’ agit dans
cette expression. De ce jais, on faisait jadis des bijoux de deuil :

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« Là, sur le grand tapis resplendit quelque chose
Ce sont des médaillons argentés noirs et blancs
De la nacre et du jais aux reflets scintillants
Des petits cadres noirs, des couronnes de verre
Ayant trois mots gravés en or “À notre mère”. »
(Rimbaud, Poésies, 1871, p. 38)

Il y eut un jour confusion entre les homonymes homophones jais


et geai (mots de prononciation identique mais de graphie et de
sens différents), confusion qui subsiste même s ’ il y a un non‑sens
à vouloir qu ’ un geai soit noir ! Peut‑être y eut‑il aussi rapproche‑
ment dans le monde des oiseaux avec l ’ expression noir comme un
corbeau ?

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On n ’est pas sorti
de l ’auberge

« On n ’ en a pas fini avec les ennuis »

Une auberge a pourtant la réputation d’accueillir tout le monde


pourvu qu ’ on soit solvable. On y entre donc facilement, pourquoi
est‑il si difficile d ’ en sortir ? Celui qui prend la maison d ’ un ami pour
une auberge, s ’ y installe sans crier gare, et y dîne souvent sans y être
invité ou désiré. Alors comment expliquer cette expression récente
du XIXe siècle ?

Elle semblerait avoir deux explications possibles. L ’ une d ’ elles est


donnée par Gilles Henry dans son Petit Dictionnaire des expressions
françaises nées de l ’ histoire. Elle serait née à la suite d ’ une affaire
criminelle dans l ’ Ardèche où les tenanciers de l ’ Auberge rouge

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auraient, pour s ’ enrichir, assassiné cinquante de leurs clients. Ceux‑ci
ne sont certes pas ressortis de l ’ auberge ! Cette affaire a d ’ ailleurs
inspiré Balzac dans son conte philosophique L ’ auberge rouge et le
cinéaste Claude Autant‑Lara, dans un film du même nom.

Une autre explication tout aussi vraisemblable viendrait de l ’ argot


où auberge prend une valeur péjorative signifiant « prison ». Le pri‑
sonnier est à l ’ auberge dans le sens où il reçoit le vivre et le couvert
sans plus et il lui est fort difficile d ’ en sortir.

Le Québécois pour qui cette dernière explication paraît sans doute


obscure, cet argot n ’ étant pas le sien, préfère dire on n ’ est pas sorti
du bois, ce qui répond mieux à son environnement passé, habitué
qu ’ il était au métier de bûcheron ; travaillant dans le bois à défricher
et à débiter les arbres, il n ’ était pas au bout de ses peines :

« Avec tous tes problèmes, t ’es pas sorti du bois ! »

Dans le français international, sortir du bois a un sens différent, car


c ’ est « se manifester pour intervenir après être resté caché ».

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Parler français comme
une vache espagnole

« Parler mal le français »

Que cache cette expression amusante et originale ? Elle ne


cherche certainement pas à nous convaincre que les vaches espa‑
gnoles ont le don de la parole et de plus qu ’ elles parlent français…
mais laisse sous‑entendre que le langage utilisé par le locuteur est
incompréhensible, que c ’ est du charabia.

Les origines de cette expression sont incertaines mais l ’ une d ’ elles,


la plus connue, serait une altération du mot vaces, issu du latin
« vasco, vasconis », terme représentant la population du Sud‑Ouest
de la France et qui a donné le terme de Gascon et Basque. La répu‑
tation des Basques espagnols était d ’ avoir beaucoup de difficultés

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à parler le français et l ’ expression devrait être parler français comme
un(e) vace espagnol(e), c ’ est‑à‑dire comme un(e) basque espagnol(e)
parle le français… et non comme une vache !

Cette hypothèse n ’ est pas attestée et n ’ est pas forcément la bonne


car l ’ expression parler français comme un(e) Basque espagnol(e),
dit‑on, est apparue après l ’ expression comme une vache espagnole,
celle‑ci attestée en 1640 par Oudin. De toute façon, les Basques
dont la langue n ’ est pas indo‑européenne sont difficiles à com‑
prendre si l ’ on en croit le dicton :

« Tous les Basques iront au ciel. Le diable lui‑même


n ’entend rien à ce qu ’ils disent. » (Les Usuels du Robert,
Dictionnaire des proverbes et dictons)

D ’ après une autre hypothèse proposée par Pierre‑Marie Quitard,


la population du Nord de l ’ Espagne parlait le français tandis que
celle du Sud de ce pays parlait une autre langue. Celui du Nord
entendant celui du Sud parler le français avec de grossières erreurs
disait de lui qu ’ il parlait comme un baxo. Ce mot, qui désignait un
Espagnol du bas pays, se prononçait baco et fut vite changé en vaco,
et de là viendrait l ’ expression.

Une autre explication serait une altération du mot basse, ancien‑


nement « servante » et dont on ne trouve de traces que dans les
parlers régionaux, et l ’ expression primitive serait alors parler français
comme une basse espagnole, c ’ est‑à‑dire mal.

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Quoi qu ’ il en soit, Rey et Chantreau affirment que ces altérations ne
sont pas nécessaires, que se justifie facilement la valeur très négative
prêtée à la vache, confirmée par l ’ expression Il est sorcier comme
une vache espagnole, « incapable », et le qualificatif espagnol, qui
avait alors une valeur péjorative au XVIIe siècle, vient renforcer la
médiocrité du sens de la comparaison.

Que l ’ incertitude concernant son origine ne nous empêche pas


d ’ utiliser cette expression telle quelle sous sa forme obscure mais
amusante.

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Passer/sauter
du coq à l ’âne

« Passer sans raison


d ’ un sujet à un autre »

« Coq à l ’asne, nous dit Furetière, est un propos rompu


dont la suite n ’a aucun rapport au commencement :
comme si quelcun, au lieu de faire un discours qu ’il
aurait commencé sur son coq, parloit soudain de son
asne dont il n ’était point question. »

À la simple lecture de cette ancienne expression, on comprend


vite qu ’ il s ’ agit de deux sujets n ’ ayant absolument rien en commun
et en donner une explication paraît superflu. Mais l ’ exercice n ’ est
pas si aisé et certains y voient une mauvaise compréhension étymo‑
logiquement parlant.

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En premier lieu, on se pose la question : pourquoi ce choix d ’ un coq
et d ’ un âne ? Est‑ce fortuit ? Ou raisonné ? Qu ’ est‑il écrit à ce sujet ?

Certains feraient remonter cette expression à un conte des frères


Grimm paru en 1815 : Les musiciens de Brême, musiciens qui
seraient représentés par quatre animaux dont un âne et un coq et
qui, pour épouvanter et faire fuir des brigands, montaient sur le dos
des uns des autres, l ’ âne en bas et le coq perché sur les autres… et
ce spectacle aurait pu suggérer que passer du coq à l ’ âne signifierait
« passer d ’ un extrême à l ’ autre sans transition » !

Mais cette explication ne semble pas tenir car, selon Rey et


Chantreau, l ’ auteur Ménage attribuait déjà cette expression
à Marot (1496‑1544) qui « avec Villon était une des rares références
à l ’ ancienne langue pour les classiques ». Mais si Marot a utilisé
cette expression, il n ’ en serait pas l ’ auteur puisqu ’ on la retrouve au
XIVe siècle avec le verbe saillir, saillir du coq en l ’ asne et au XVe siècle
avec le verbe sauter.

Claude Duneton propose alors une explication non attestée mais


possible : saillir signifiait, et signifie toujours en ce qui concerne le
règne animal, « s ’ accoupler » et l ’ asne désignait jusqu ’ au XIIIe siècle
« la cane ». Le coq, paraît‑il, était connu pour ne pas se contenter des
poules pour ses ébats et pouvait saillir la femelle du canard, ce qui
peut paraître incongru et manquer de cohérence et aurait donné
ainsi la signification à l ’ expression. Pour tenter de corroborer cette
hypothèse, Claude Duneton rappelle que le mot asne, « la cane »,

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se retrouve plus tard sous la forme ane (sans accent circonflexe)
avant de disparaître, tandis que l ’ âne, autrement dit le baudet,
dérivé aussi d ’ asne a subsisté (avec accent circonflexe)… et la
confusion entre le nom de ces deux animaux était alors possible.

Si elle n ’ est pas vraie, cette explication est du moins plaisante sinon
grivoise.

Quoi qu ’ il en soit de son origine, cette expression reste très vivante


et a même forgé un nom : le coq‑à‑l ’ âne.

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Payer en monnaie
de singe

« Payer en fausse monnaie ou en paroles


moqueuses ; ne pas payer du tout »

Nous connaissons généralement comme moyens d’échange


la monnaie d ’ or, d ’ argent, de papier, de change… mais monnaie
de singe ?

Même si cette monnaie est étonnante, l ’ origine de cette expres‑


sion ne fait aucun doute : elle date du Moyen Âge lorsque le roi
Saint‑Louis décida au XIIIe siècle de créer un péage pour ceux
qui voulaient traverser la Seine pour aller de l ’ île Notre‑Dame au
quartier Saint‑Jacques en passant par le Petit Pont. On retrouve
le décret concernant ce péage dans l ’ Establissement des métiers
de Paris, par Estienne Boileau, chapitre Del plage du Petit Pont.

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Ainsi, tous les marchands, qui passaient par le Petit Pont pour aller
en la Cité vendre des marchandises, payaient quatre deniers, mais
certains corps de métiers en étaient exemptés : ainsi les montreurs
d ’ ours et de singe faisaient exécuter quelques tours, pirouettes
et jongleries à leur animal devant les préposés au péage et c ’ était
leur façon de payer leur passage ; jongleurs, bateleurs ou forains qui
n ’ avaient pas de singe ni autre animal ne payaient pas non plus de
péage à condition d ’ exécuter un tour à leur façon. Les uns et les
autres payaient, disait‑on, en monnaie de singe.

De nos jours, les grimaces ne sont plus guère de mise et payer en


monnaie de singe, c ’ est bien souvent se moquer de son créancier et
ne pas le payer :

« Le vieux filou paya ses créanciers en monnaie de


singe. » (Sébastien Mercier, cité par Maurice Rat)

D ’ autres expressions de même signification sont apparues au cours


des siècles :
Ainsi « payer (+ un complément de fantaisie), nous disent Rey
et Chantreau, exprime l ’ idée d ’ un “paiement fictif, sans valeur ou
insuffisant” : payer d ’ une paire de souliers (1640), payer en chats et
en rats (1690), en cabrioles (fin du XVIIe siècle)… »
Au Québec, on paie davantage en fricassée :

« T ’es pas gêné de me payer en fricassée ! »


(Pierre DesRuisseaux)

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Pisser dans un violon

« Ne servir à rien »

Quelle expérience incongrue s’il en est ! Mais quiconque a tenté


de pisser dans un violon s ’ est bien rendu compte qu ’ aucun son
musical n ’ en sortait et que l ’ essai était d ’ une inutilité flagrante !

Ce verbe pisser ne serait toutefois pas à l ’ origine de l ’ expression :


il serait intervenu par plaisanterie pour remplacer souffler ou siffler,
et l ’ expérience de souffler dans un violon est tout aussi concluante
que celle de pisser… mais par contre, si vous soufflez dans une
trompette, il peut en sortir au moins des sons harmonieux !

Que dit‑on dans la francophonie ? En Belgique, on dira plutôt péter


dans une buse et au Québec frapper de l ’ air !

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Pleurer des larmes
de crocodile

« Pleurer des larmes hypocrites


pour tromper son entourage »

C omment peut‑on imaginer qu’un animal aussi cruel et vorace


puisse verser des larmes de compassion en dévorant ses proies ?
Sont‑ils si tristes de manger leurs victimes… qui correspondent
pour eux à un besoin vital ? Ces sentiments humains de tristesse
prêtés aux animaux paraissent bien incongrus !

Cette expression vient de loin et date de l ’ Antiquité ; pleurer des


larmes de crocodile était déjà un proverbe grec et cette expression
est apparue dans le vocabulaire français au XVIe siècle. Notons que

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crocodile est un mot issu du latin et du grec ; en ancien français,
on disait crocodrille et en moyen français cocodrile.

Il est une hypothèse qui veut que les crocodiles pleurent lorsqu’ ils
mangent leur proie, ce qui serait dû au fait que leurs glandes lacry‑
males aient les mêmes circuits neuromoteurs que leurs glandes
salivaires et gastriques. Ainsi, lorsqu ’ ils mangent, leurs glandes
lacrymales sont activées. Or, cette explication paraît fausse car
« il n ’ y a que les alligators américains, donc loin de l ’ Egypte, où
les mâchoires sont faites de telle manière qu ’ elles effectuent une
pression sur les glandes lacrymales » (www.expressio.fr).

Il faut voir ailleurs. Cette expression viendrait plutôt d ’ une légende


grecque, correspondant au mythe du chant des sirènes qui atti‑
raient les hommes dans les flots. On sait que les crocodiles à demi
plongés dans l ’ eau, se tiennent immobiles, leurs yeux sont humides
mais ce n ’ est pas un signe de souffrance ; on pense plutôt que
vivant dans les eaux saumâtres, ils rejettent leur excès de sel par les
glandes lacrymales. La légende veut que les crocodiles du Nil, qui
étaient jadis très nombreux, attiraient leurs proies en poussant des
gémis­sements à fendre l ’ âme, et les naïfs qui s ’ approchaient pour
connaître la cause de ces pleurs se faisaient prendre, emmener sous
l ’ eau et conserver jusqu ’ à ce qu ’ ils se décomposent.

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Fait remarquable : cette expression est presque universelle avec le
même sens « faire la comédie des larmes pour émouvoir et tromper
comme fait le crocodile pour attirer sa proie et la dévorer » ; on
la retrouve traduite dans de très nombreux pays : en Allemagne,
en Angleterre, en Argentine, au Brésil, en Bulgarie, au Danemark,
en Espagne, en Italie, en Norvège, en Pologne, en Russie, en Serbie,
en Suède…

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Prendre ses cliques
et ses claques

« Se sauver sans demander son reste, puis


prendre toutes ses affaires et partir »

Que cachent ces mots, cliques et claques, qui ne paraissent pas


avoir les sens qu ’ on leur donne de nos jours où clique est soit une
« coterie, cabale » soit un « ensemble de tambours et de clairons »,
et claque, une « gifle », un « échec ».

Notons d ’ abord que cette expression s ’ emploie dans un contexte


de départ précipité ; son origine n ’ est pas certaine. Quelques‑uns y
voit les onomatopées clic et clac, produisant le bruit que font des
sabots qui s ’ éloignent rapidement. D ’ autres affirment que dans
certains dialectes les cliques désignaient « les jambes » et que les

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claques désignaient au XVIIIe siècle « des couvre‑chaussures » que
mettaient surtout les femmes, sortes de sandales qu ’ elles portaient
par‑dessus leurs chaussures pour les protéger des intempéries et
qu ’ elles attachaient avec des cordons. Somme toute, il s ’ agissait
donc de rassembler ses jambes et les chaussures que l ’ on met pour
sortir, pour s ’ en aller à toute vitesse, expression équivalente de
prendre ses jambes à son cou. Et le sens s ’ est généralisé pour signifier
« prendre toutes ses affaires et s ’ en aller ».

« On ne tue pas une femme même si elle vous emmerde ;


ensuite, on ne sait pas où cela peut vous mener ! Je n ’ai
pas envie de monter sur l ’échafaud en vue de donner ma
tête au son. Aussi ai‑je pris mes cliques et mes claques et
me voilà ici […]. » (Raymond Queneau, Le vol d ’ Icare)

Au Québec, cette expression ne s ’ emploie guère et l ’ on dira plus


facilement sacrer son camp :

« Y avait trop d ’enfants dans la maison !


C ’est pour ça que t ’as sacré ton camp ! »
(Yvon Deschamps, Monologues, p. 86)

Remarquons que les claques existent toujours au Québec


mais surtout pour les hommes : ce sont des chaussures en caout‑
chouc à mettre par‑dessus les chaussures ordinaires pour se garantir

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de l ’ humidité et de la gadoue… et il vous arrivait, il y a quelques
années, de recevoir en prime une paire de claques lors de l ’ achat d ’ un
complet ! À bon entendeur salut !

N.B. Un claque, attesté en 1823, est toujours un terme de cordonnerie qui désigne
pour le spécialiste « la partie avant du soulier » et claquer signifie « garnir des
chaussures de claque » (Block et Wartburg).

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Qui dort, dîne

« Le sommeil fait oublier la faim »


ou
« Si tu manges, tu dors,
si tu ne manges pas, tu sors »

Voilà une expression à variantes.


Communément parlant, il est courant de dire que celui qui n ’ a
pas de quoi se sustenter, se rassasie en dormant. Du moins c ’ est
l ’ hypothèse que font souvent la plupart des gens et en particu‑
lier des spécialistes comme Alain Rey en se basant sur une pensée
ancienne attribuée à Ménandre, auteur grec de La nuit porte conseil :

« Le sommeil nourrit celui qui n ’a pas de quoi manger. »


(Maurice Maloux, Dictionnaire des proverbes, sentenses et maximes)

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Il est une autre hypothèse, plus tardive, qu ’ Alain Rey passe sous
silence : au Moyen Âge, le voyageur qui s ’ arrêtait pour dormir
dans une auberge était contraint de prendre le repas sous peine de
se voir refuser le gîte ! Cette explication est tout à fait valable et
se comprend fort bien, correspondant aux forfaits que font certains
hôteliers de nos jours.

Ces deux explications ne se contredisent pas et l ’ une et l ’ autre


sont satisfaisantes pour l ’ esprit même si l ’ une précède l ’ autre de
plusieurs siècles.

Laquelle est la bonne ? La plus ancienne a certainement préséance,


mais elle n ’ enlève rien à l ’ existence et à la véracité de la deuxième !

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Remède de
bonne femme

« Remède simple et populaire, désuet…


voire inefficace »

R emède de bonne femme ou remède de bonne fame ? Les avis


sont très partagés.

Voici ce que dit Fabrice Bardeau à ce sujet : « C ’ est intention‑


nellement que nous écrivons fame et non femme car l ’ origine
authentique de cette expression vient du latin fama qui signifie
“renommée, réputation”. Il s ’ agissait de remèdes réputés et bien
connus qui n ’ étaient pas l ’ apanage de quelques bonnes femmes
comme le fait supposer le sens populaire » (Fabrice Bardeau, 1973,
La pharmacie du Bon Dieu).

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De son côté, Claude Gagnière précise que la traduction en vieux
français d ’ « un remède de bonne fâme » est devenu un « remède
de bonne femme » lorsque l ’ usage du mot « fâme » s ’ est perdu ;
seuls nous restent encore l ’ adjectif fameux et l ’ expression mal famé.
Ce remède aurait pris ensuite une connotation péjorative, venue
sur le tard, avec le sens de « remède peu fiable » par analogie avec
une histoire de bonne femme.

Cette explication est séduisante mais certains linguistes contestent


la validité de cette reconstruction a posteriori car l ’ expression
remède de bonne femme dont on retrouve des traces écrites, serait
antérieure à remède de bonne fame dont on ne retrouve aucune
trace écrite. L ’ emploi de bonne fame existe, certes, mais jamais
associé à une médication quelconque. Par contre, on retrouve
l ’ emploi remède de bonne femme dans les dictionnaires depuis
le XVIIIe siècle ainsi que dans un texte de Nicolas Alexandre (La
médecine et la chirurgie des pauvres, 1714), emploi qui correspond
bien au sens que donne Pierre Larousse : « des remèdes populaires
ordonnés et administrés par des personnes étrangères à l ’ art de
guérir ». C ’ est à cette explication qu ’ il faut s ’ en tenir, semble‑t‑il.

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Reprendre du
poil de la bête

« Reprendre le dessus, rétablir sa santé,


se ressaisir »

De quelle bête s’agit‑il ? Et pourquoi lui reprendre du poil ?


Cette expression est très ancienne et Pline en parlait déjà : elle
remonte à une antique croyance populaire qui veut qu ’ on guérisse
la morsure d ’ un chien enragé par un poil de la queue de ce même
animal, autrement dit c ’ est un remède homéopathique puisqu ’ il
s ’ agit de guérir le mal par le mal.

Cette expression est commune à la plupart des langues euro‑


péennes. Les Espagnols disent, par exemple, Cursare con los mismos
palos, « se guérir avec les mêmes poils »… et les Anglais to take

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one hair of the dog that bit you, « prendre un poil du chien qui
vous a mordu », expression que ces derniers emploient surtout
pour désigner le petit verre d ’ alcool à boire à jeun le lendemain
d ’ une cuite, sens que l ’ on retrouvait jadis en France : « On dit aussi
à celui qui a mal à la tête le lendemain qu ’ il a fait débauche, qu ’ il
faut reprendre du poil de la bête, qu ’ il faut recommencer à boire »
affirme Furetière.

Si l ’ expression anglaise n ’ a sémantiquement pas changé, l ’ expres‑


sion française, elle, s ’ est modifiée non seulement dans sa forme – au
XVIe siècle, on disait plutôt aller au poil du chien, « faire de nouveau
ce qui nous a causé certaines incommodités » – mais aussi dans son
sens au cours des siècles. « À l ’ époque moderne, nous dit Guiraud,
le sens évolue et on emploie surtout l ’ expression avec le sens de
“reprendre le dessus”. » Pourquoi ? Parce que cette expression s ’ est
trouvée influencée par d ’ autres expressions comme avoir le poil ou
du poil à quelqu ’ un, « surpasser quelqu ’ un, avoir l ’ avantage sur lui »,
si bien que reprendre du poil est alors senti comme « prendre de la
vigueur » renforcé par le verbe reprendre… D ’ où deux significations
modernes : « se ressaisir après une maladie ou une mauvaise passe,
aller de l ’ avant » et « reprendre avantage sur un adversaire après un
échec » (d ’ après Guiraud, Les locutions françaises, p. 83‑84).

Quelle évolution tourmentée pour cette expression depuis sa signi‑


fication première !

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Se faire appeler Arthur

« Se faire réprimander, enguirlander »

Pourquoi ce nom d’Arthur retient‑il l’attention en cas de


réprimande ?

L ’ origine de cette expression est obscure : elle est assez usuelle à la


première personne et à la deuxième, plus rarement à la troisième.
« Je vais me faire appeler Arthur si j ’ arrive en retard ! »

Voilà un prénom masculin noble porté par des rois et des ducs,
plus célèbre au Moyen Âge qu ’ au XXe siècle : ainsi le roi Arthur
dans les Chevaliers de la Table Ronde. Pourquoi ce prénom en est‑il
arrivé à cette déchéance ? En voici une explication amusante mais
pas attestée. Elle daterait de la Deuxième Guerre mondiale et ferait
référence à l ’ occupation de la France par les Allemands. Ceux‑ci

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devaient faire respecter le couvre‑feu à 8 heures du soir et les
citoyens français qui n ’ obtempéraient pas se faisaient réprimander
par les occupants qui, en indiquant l ’ heure sur leur montre, disait :
« Acht Uhr », 8 heures en allemand. Ils se faisaient donc rappeler
à l ’ ordre et le terme Arthur serait une déformation de Acht Uhr.
Notons ici l ’ importance du couvre‑feu qui signifiait « volets fermés
et sans aucun interstice sur toutes les fenêtres pour que la ville ne
soit pas repérable par l ’ aviation alliée ».

Toutefois, Cellard et Rey ne sont pas d ’ accord à propos d ’ Arthur


et ne retiennent pas l ’ explication précédente: « [Apparition de
l ’ expression] vers 1920 ? Le prénom masculin le plus à la mode et
par conséquent le plus usuel pour une période donnée devient
souvent, une fois la mode passée et alors qu ’ il n ’ est plus choisi que
par des familles retardataires, un terme dévalorisant, comme faire le
Jacques, se faire appeler Jules (début du XXe siècle). Prénom “noble”
dans la première moitié du XIXe siècle, Arthur a sans doute été
dévalorisé à travers des chansons de soldats. »

Les explications proposées pour la déchéance momentanée de ce


nom, semble‑t‑il, ne sont pas tellement convaincantes.

Le Québécois, lui, ne se fera pas appeler Arthur mais se fera brasser


le canayen.

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Se mettre en rangs
d ’oignons

« Se placer sur une seule ligne, à la file »

Depuis quand les oignons se mettent‑ils en rang ou sont‑ils mis


en rangs ?

En 1611, cette expression signifiait « s ’ agréger à une compagnie où


l ’ on n ’ a pas sa place ».

Et c ’ est en 1654 qu ’ elle prend son sens concret moderne :


« personnes rangées sur une même ligne quelle que soit la taille
ou le rang ». Quelques années plus tard, cette expression signifiait
aussi « s ’ inviter à une réunion à laquelle on n ’ était pas convié ».

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Puis en 1690, Furetière en donne cette définition : « On dit qu ’ un
homme se met en rang d ’ oignons quand il se place en un rang où il
y a des gens de plus grande condition que luy. »

D ’ où vient donc cette expression ? Selon une explication anec‑


dotique proposée par Tuet, Artus de La Fontaine Solaro, baron
d ’ Oignon et seigneur de Vaumoise, lieutenant général du gouver‑
nement de l ’ Île de France, avait pour rôle, lors des États généraux
qui se tinrent par deux fois au château de Blois en 1576 et en 1585,
d ’ attribuer leur place aux seigneurs et à chacun selon son rang pro‑
tocolaire et en fonction de celui‑ci. Le baron avait coutume de leur
crier « serrez les rangs, serrez les rangs, Messieurs ». Embarrassé par
cette tâche, il avait fini, dit‑on, par les mettre tous les uns à côté des
autres. De ce fait, les seigneurs n ’ appréciaient pas cette science du
placement ; certains se trouvaient mal placés et se moquaient alors
du baron en se considérant ironiquement placés en rang d’ Oignon…
Et par homonymie en rangs d ’ oignons. On supprime la majuscule et
on ajoute un S !

Une autre explication, « la plus évidente et la plus simple » disent


Rey et Chantreau, n ’ est pas d ’ origine noble mais d ’ origine agricole,
proposée par Leroux de Lincy. Cette expression se réfère à la
manière dont les agriculteurs assemblent et lient les oignons en
fonction de leur grosseur, en mettant les plus imposants au centre
et en les entourant des bulbes plus petits… et, métaphoriquement,

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on aurait les petites gens avec des gens de haut rang. Reconnaissons
toutefois que ces oignons liés avec des brins de paille ne forment
plus un rang mais un bouquet !

Quoi qu ’ il en soit, la définition reste un peu énigmatique. S ’ agit‑il


d ’ être côte à côte sur une même ligne ou l ’ un derrière l ’ autre, en
file indienne ? Ou les deux ? Le Littré et Le Petit Larousse nous disent
« sur une seule ligne » et Le Petit Robert : « rangés en file sur une
seule ligne ».

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Se mettre sur son
trente et un

« Mettre ses plus beaux habits »

Pourquoi ce nombre de 31 et pourquoi se mettre dessus ? Voici


une ancienne expression datant de 1867 (Delvau) dont l ’ origine
laisse un peu perplexe.

Certains linguistes, comme Maurice Rat, voient en trente et un


une déformation de trentain, nom d ’ un ancien drap de luxe fait
de trente fois cent fils qui, uni à l ’ ancienne tournure se mettre sur,
« mettre sur soi », donne naissance à cette expression signifiant
« mettre ses plus beaux atours, ses habits de cérémonie ». Rarement
employé, ce mot de trentain qui du XIIe au XVe siècle a désigné ce

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drap de luxe ! Qu ’ il réapparaisse dans une expression populaire
relativement récente peut surprendre et créer quelques doutes sur
cette origine proposée.

Une autre hypothèse fait allusion au jeu de cartes trente et un, jeu
très à la mode au XIXe siècle où le 31e point était le gagnant, donc
le plus beau.

Une autre explication encore, celle‑ci proposée par Claude Duneton,


peut‑être la plus vraisemblable, se retrouve dans cette citation du
journal officiel du 9 septembre 1872 : « Le vieux dicton : trente et un,
jour sans pain, misère en Prusse est encore vrai en ce qui concerne
la solde de ce jour du mois ! On n ’ accorde qu ’ extraordinairement
aux troupes cantonnées le supplément d ’ entretien et le montant
du versement du repas de midi. » Pour faire des économies, le roi de
Prusse, ne payait donc pas la solde à ses troupiers le 31 du mois, ce
qui arrive sept fois par an. Si toutefois, ce jour‑là, les troupiers rece‑
vaient un supplément dit « supplément de subsistance », la caserne
devait être nettoyée de fond en comble, semble‑t‑il, et les soldats
devaient se présenter dans leurs plus beaux vêtements. Mais alors,
comment se fait‑il que cette expression existe en français ? Il faut
se rappeler qu ’ à cette époque la majorité des officiers étaient des
huguenots émigrés qui parlaient français et cette expression aurait
peut‑être été répandue par les troupiers.

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Ce qui est troublant c ’ est qu ’ on dit aussi se mettre sur son trente-
six qui paraît antérieur à trente et un. On trouve en 1783 se mettre
sur son dix‑huit qui, nous disent Rey et Chantreau, « s ’ explique
plus aisément par un calembour sur neuf (deux fois neuf) »… et
trente‑six (quatre fois neuf) serait encore plus beau ! On aurait
ramené ce chiffre ensuite au maximum des jours du mois, soit trente
et un. Quoi qu ’ il en soit, les Québécois, eux, emploient trente‑six :

« Y est toujours sur son trente‑six, pas un cheveu


qui dépasse… un vrai monsieur ! »
(Michel Tremblay, Les Belles‑sœurs, cité par Pierre DesRuisseaux)

N.B. On dit aussi tous les 36 du mois, voir trente‑six chandelles, je vous l ’ ai dit
trente‑six fois, le trente‑sixième dessous…

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Tirer les marrons
du feu

« Se donner de la peine pour


le seul profit d ’ autrui »
ou
« Tirer avantage d ’ une situation pour
soi‑même, parfois malhonnêtement »

D ’où nous vient cette expression facétieuse… puisque le sens


s ’ est aujourd ’ hui inversé ?

Dans Les jours caniculaires, Simon Maioli raconte comment un


singe se servit de la patte d ’ un chat pour tirer des châtaignes hors
des charbons ardents. Puis, l ’ incident se retrouve sous la forme

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d ’ une expression chez Oudin : Tirer les marrons du feu avec la patte
du chat (Curiosités françaises, 1640). Celle‑ci se répandit plus tard
avec la fable de La Fontaine :

« Raton avec sa patte/D ’une manière délicate/Écarte


un peu la cendre, et retire les doigts/Puis les reporte
à plusieurs fois/Tire un marron, puis deux et puis trois
en escroque [en décroche]/Et cependant, Bertrand les
croque. » (Le Singe et le chat, 1671)

Si c ’ est le chat qui se brûle les doigts, c ’ est le singe qui se régale ;
autrement dit c ’ est se donner de la peine, prendre des risques pour
le seul profit d ’ un autre ; il y a toujours un sot ou un naïf qui se
dévoue ! Ce sens originel attesté depuis trois siècles se retrouve
ainsi dans le Trésor de la langue française : « entreprendre une
action difficile, risquée pour le seul profit d ’ autrui, sans bénéfice
personnel ». C ’ est le point de vue du chat ! Mais le sens n ’ est plus
le même aujourd ’ hui : ce n ’ est plus au profit d ’ autrui mais au
détriment d ’ autrui. La troncation de cette expression (suppres‑
sion de avec la patte du chat) a pu en fausser l ’ interprétation qui
bien souvent correspond à ceci : « c ’ est faire une bonne affaire au
détriment d ’ un autre », c ’ est « tirer un gros avantage de la mise en
péril d ’ autrui ». C ’ est donc devenu le point de vue du renard et non
plus celui du chat.

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Ce sens actuel s ’ illustre clairement dans cet extrait du Figaro :

« Si la gauche court après Nicolas Sarkozy, je vous


laisse deviner qui va tirer les marrons du feu. Ce sera
probablement Jean‑Marie Le Pen. » (27 mars 2007)

« Le premier journaliste qui se décidera à employer cette expression


dans son sens correct [disons originel], dit Claude Gagnière, sera
décoré : On lui épinglera une citation à l ’ ordre de La Fontaine et on
lui offrira quelques marrons… glacés. »

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Tomber dans
les pommes

« S ’ évanouir, se trouver mal »

C ette expression, datant de 1889 et très fréquemment utilisée,


reste d ’ origine inconnue ou du moins suscite encore des débats.
Autrefois, on tombait en pâmoison ou dans les pasmes. Il se
trouve que ce mot de pasme ou pâme est tombé en désuétude
et a disparu au XVe siècle. Aurait‑il pu renaître quatre siècles plus
tard pour entrer « déformé » ou « corrompu » dans cette expres‑
sion ? De nombreux linguistes y croient même si le fait paraît assez
invraisemblable.

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Voici ce que pense Gagnière : « Le mot pâmes devenant de moins
en moins usité, le parler populaire l ’ a remplacé par le mot voisin de
pommes qui n ’ avait rien à faire là mais dont on s ’ est accommodé. »
Pierre Guiraud est du même avis mais Claude Duneton reste plus
nuancé remarquant que le dialecte normand « dit toujours paumé
pour “pâmé” de même que paumaison pour “pâmoison” ». De là
à conclure qu ’ on préfère, en cette province de Normandie, son
homonyme pommes beaucoup plus commun et dont on connaît
le sens !

L ’ explication la plus reconnue viendrait toutefois de George Sand


(1804‑1876) écrivant une lettre à madame Dupin dans laquelle
elle lui disait être dans les pommes cuites pour dire qu ’ elle était
« extrêmement fatiguée », à rapprocher de l ’ expression être cuit,
« être vaincu, perdu » ; l ’ état de fragilité face aux pommes cuites
était à l ’ époque de notoriété publique. Philibert LeRoux cite déjà en
1691 cette hyperbole :

« On dit pour exagérer la faiblesse d ’une place


qu ’on l ’abattrait à coups de pommes cuites. »
(Internet, Encyclopédie des expressions)

Cette expression de George Sand peut avoir été ensuite influencée


par celle ancienne et retrouvée se pâmer et tomber en pâmoison
pour forger l ’ expression actuelle tomber dans les pommes,
« s ’ évanouir ».

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Tomber en quenouille

« Être laissé à l ’ abandon en parlant d ’ un


pouvoir, d ’ un privilège, d ’ un domaine »

L es gens d’aujourd’hui savent‑ils encore ce qu’est une que‑


nouille ? Ce « bâton garni dans le haut d ’ une matière textile » ?

Il est loin le temps des rouets ! Le temps où nos aïeules, à l ’ aide du


fuseau ou du rouet, filaient de la laine en la dévidant de la que‑
nouille. Ce terme, tiré du latin médiéval « conucula », devenu le
symbole de la femme s ’ oppose à l ’ épée noblement maniée par les
hommes.

« À la quenouille, le fol s ’agenouille. » (proverbe « il se plie


à la volonté d ’ une femme », Meurier, 1568)

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Cette expression a‑t‑elle gardé aujourd ’ hui sa nuance antiféministe
d ’ autrefois ? C ’ est à voir.

Tomber en quenouille avait, au Moyen Âge, le sens précis de


« tomber par succession entre les mains d ’ une femme en parlant
d ’ un domaine ». Cette expression, dit Furetière, « se dit figuré‑
ment en terme de généalogie pour signifier “la ligne féminine” ».
Les royaumes d ’ Espagne et d ’ Angleterre tombent en quenouille,
c ’ est‑à‑dire que les femmes y accèdent à la couronne. Celui de
France, lui, ne tombe jamais en quenouille ; la loi salique est là pour
les empêcher d ’ en hériter :

« La couronne de France était un trop noble fief


pour tomber en quenouille. » (selon Philippe le Long,
Michelet, Histoire de France)

Cette expression a été attestée dès le XVIe siècle dans son sens
originel, c ’ est‑à‑dire « passer par succession dans les mains d ’ une
femme » puis elle a évolué pour sous‑entendre que « le patrimoine
était l ’ affaire des hommes », car une femme était incapable de bien
le gérer et son domaine se restreignait aux travaux ménagers et à la
quenouille.

Par extension, en 1913, tomber en quenouille est devenu synonyme


d ’ « être abandonné, laissé à l ’ abandon en parlant d ’ un pouvoir ou
d ’ un privilège, perdre de sa valeur »… et semble‑t‑il, le lien direct
avec la femme paraît heureusement oublié.

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Toutefois, s ’ il arrive qu ’ on utilise encore cette expression en lien
avec la femme pour dire, par exemple, le ménage tombe en que‑
nouille, elle prend un sens mélioratif : « la femme est maîtresse dans
son ménage ou plus habile ».

L ’ expression équivalente en Algérie reste péjorative pour la femme


et très parlante : Il se fait brouter par la chèvre.

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Travailler pour
le roi de Prusse

« Travailler pour rien ; ne pas être payé


pour ses peines alors que d ’ autres en
tirent profit »

Travailler pour un roi devrait être honorifique et lucratif ! Mais


quand il s ’ agit du roi de Prusse, semble‑t‑il, ce n ’ est vraiment pas
payant ! L ’ origine de cette expression dès le début de son apparition
est incertaine.

Quelques‑uns l ’ attribuent à Voltaire qui avait trouvé refuge en


1750 chez le roi de Prusse, Frédéric Le Grand (1712‑1786), despote
éclairé, cherchant la compagnie des philosophes. Les deux hommes
se brouillèrent et Voltaire plein d ’ amertume se plaignit d ’ avoir

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dépensé son temps et sa peine pour un homme aussi ingrat :
il avait travaillé pour le roi de Prusse. Toutefois cette expression
semble antérieure au séjour de Voltaire en Prusse et aurait été déjà
employée lorsqu ’ il s ’ agissait des mercenaires ou des agents que ce
même roi de Prusse rétribuait chichement. On raconte au sujet de
ce même Frédéric qu ’ il ne payait ses soldats que trente jours par
mois quel que soit le nombre de jours du mois pour économiser
sept fois dans l ’ année, tous les trente et unième jours (voir l ’ expres‑
sion se mettre sur son 31).

Cette expression s ’ est ensuite répandue après la guerre de succes‑


sion d ’ Autriche (1741‑1748). En 1745, la France était abandonnée
une deuxième fois par son allié, ce roi de Prusse Frédéric II qui se
retirait du conflit sans scrupules. La France poursuivit la guerre seule
pendant trois ans encore… pour le roi de Prusse, car c ’ est bien lui
qui tira le plus grand profit de cette guerre et non pas la France
qui dut rendre les territoires conquis par ses armées. En effet, au
traité d ’ Aix‑la‑Chapelle (1748), le comte de Saint‑Séverin n ’ exigea
rien pour la France : « Sa majesté très chrétienne, dit‑il, a le souci de
faire la paix non en marchand mais en roi. » De ce fait, on reprocha
beaucoup à Louis XV de s ’ être retiré de cette guerre sans profit.
C ’ est à la suite de ce traité que naquit l ’ expression proverbiale bête
comme la paix et une chanson (1757) se moquant de la défaite
du prince de Soubise à Rosbach avait pour refrain : Il a travaillé,
il a travaillé pour le roi de Prusse…

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Cette expression ne trouva guère d ’ échos chez les Réunionnais qui
eux travaillent pour des épluchures de manioc… ni chez les Québécois
qui travaillent pour des pinottes (peanuts = cacahuètes). Notons que
les Français, eux, peuvent aussi travailler pour des prunes !

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Trempé comme
une soupe

« Ruisselant de pluie »

S i l’on voulait prendre cette expression au pied de la lettre


aujourd ’ hui, on penserait « aussi mouillé qu ’ une soupe peut
l ’ être » ! Mais le sens originel n ’ est pas là. Retournons au Moyen
Âge où l ’ on trempait la soupe, où la soupe ne représente pas « le
potage », mais « la tranche de pain » imbibée de bouillon. « Soupe
se dit des tranches de pain fort déliées qu ’ on met au fond du plat
sur lesquelles on verse le bouillon. Donnez‑moi une soupe de pain
pour dire une tranche… Dans les gargotes, pour un sou l ’ on trempe
la soupe », rapporte Furetière. On trempait d ’ ailleurs le pain de tous
les liquides chauds, de bouillon, de sauce, de jus de viande et même
de vin.

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Ce terme soupe viendrait du francique suppa, issu du latin
classique supinus « tourné vers le haut, couché sur le dos » en
parlant du pain et dans les premiers textes (fin XIe siècle) le verbe
tremper signifiait « plonger dans un liquide » puis « imbiber
quelque chose d ’ un liquide » (1213).

« Au XVIe siècle, c ’ est encore la tranche de pain trempée dans une


sauce qui est le seul usage de ce terme ; on parle de soupe de prime,
celle du premier déjeuner » nous dit Duneton. Mais il semble que
déjà au milieu du XIVe siècle, la soupe soit devenue un potage ou
un bouillon épaissi par des tranches de pain ou des aliments solides
non passés. Et au XVIIIe siècle, on comparaît une personne qui avait
marché sous une averse à une tranche de pain trempée.

Aujourd ’ hui, on se contente de penser que la soupe est un liquide


plus ou moins épais et qu ’ elle est mouillée en soi :

« Ton vieux a été hier soir trempé comme une soupe,


mouillé jusqu ’aux os, à ne pas remettre mes habits. »
(Flaubert, Correspondance, cité par Rey et Chantreau)

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Vingt‑deux, v ’ là le
chef/v ’ là les flics !

« Attention ! Danger ! »

Pourquoi ce nombre 22 ? Que signifie‑t‑il ?


L ’ origine de cette expression (1874) est inconnue, nous disent Rey
et Chantreau et dans le même contexte, l ’ Anglo‑Américain dit
twenty‑three « vingt‑trois », l ’Italien seidici « seize » et l ’ Allemand
Achtzehn « dix‑huit ». Cette expression familière, même argotique
employée lorsqu ’ on veut prévenir d ’ un danger un groupe auquel
on appartient, se retrouve dans les argots de métiers et d ’ écoliers
de 1874 à 1900 comme simple équivalent de « Attention » ;

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elle est restée vivante jusqu ’ en 1900. Après cette date, elle devint un
signal d ’ alerte au danger dans le milieu de la pègre ou des truands,
dans les films noirs par exemple.

Il est toutefois des explications amusantes, presque incroyablement


farfelues. L ’ une d ’ elles est donnée par Henriette Walter :

« C ’est ainsi, dit‑on, que les premiers typographes


avaient pris l ’habitude de prévenir leurs collègues
de l ’arrivée de leur chef d ’atelier par un signal codé
que ce dernier ne pouvait pas comprendre. En effet
si vingt‑deux correspond à chef, c ’est que ce mot est
composé d ’un c (troisième lettre de l ’alphabet), d ’un
h (huitième lettre), d ’un e (cinquième lettre), d ’un f
(sixième lettre) : 3+8+5+6 = 22. » (Le français dans tous
les sens, p. 284‑285)

Il faut le savoir et y croire ! Bien entendu, ce compte ne vaut que


pour le chef et non pour les flics ; il y aurait eu transfert d ’ un repré‑
sentant de l ’ autorité à un autre.

Une autre hypothèse est proposée, toujours chez les linotypistes :


ceux‑ci utilisent des caractères de 9 à 10 pour former un texte. Pour
les titres, la taille est de 22, nombre suffisamment important pour
désigner le chef d ’ atelier et le double, soit 44, pour le grand patron.

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Certains autres expliquent ce nombre 22 par le fait qu ’ à la fin du
XIXe siècle, il y avait onze boutons sur la vareuse des policiers… et
comme ils se baladent toujours par deux, le compte est bon, cela
fait vingt‑deux !

Ou bien encore, vingt‑deux serait une déformation du juron « Vain


Dieu »… Et pourquoi ne serait‑il pas une allusion au couteau des
voyous avec sa lame de 22 cm, appelé vingt‑deux, le couteau des
arsouilles ?

Choisissez l ’ explication qui vous paraîtra la plus vraisemblable.

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Bibliographie

Bélisle, L.A. Dictionnaire général de la langue française au Canada

Bloch, O. et W. Von Wartburg. Dictionnaire étymologique de la


langue française, Presses Universitaires de France, 1968

Cellard, J. et Alain Rey Dictionnaire du français non conventionnel,


Hachette, 1980

Cellard, J. Ça mange pas de pain, Hachette, 1982

Campa, Cosimo. Expressions populaires françaises, Studyrama, 2010

DesRuisseaux, Pierre. Dictionnaire des expressions québécoises,


Bibliothèque québécoise, 2003

Dictionnaire historique de la langue française, sous la direction


de Paul Robert, rédaction dirigée par Alain Rey, Le Robert,
2 vol., 1992

Duneton, Claude. La Puce à l ’ oreille. Anthologie des expressions


populaires avec leur origine, Ed. Stock, 1978

233

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Gagnière, Claude. Au bonheur des mots, Ed. Robert Laffont, 1989

Galey, Bernard C. Du coq à l ’ âne, Ed. Taillandier, 1995

Germa, Pierre. Dictionnaire des expressions toutes faites, Libre


Expression, 1987

Guiraud, Pierre. Les locutions françaises, PUF, coll. Que sais‑je ?, 1962

Le Petit Larousse illustré, Larousse, 2011

Le Petit Robert, 2010

« L ’ origine des expressions en 365 jours », Ça m ’ intéresse, création


playBac

Pivot, Bernard. 100 expressions à sauver, Le Livre de Poche, 2008

Rat, Maurice. Parlez français. Petit dictionnaire des expressions


françaises, Garnier frères, 1966

Rey Alain et Sophie Chantreau. Dictionnaire d ’ expressions et


expressions, Le Robert, 1997

Ricalens‑Pourchot, Nicole. Les facéties du français, A. Colin, 2005

Ricalens‑Pourchot, Nicole. Les facéties de la francophonie,


A. Colin/Bayard Canada, 2009

Site Internet consulté : www.expressio.fr

Tillier, Marianne. Les expressions de nos grands‑mères, Ed. Points,


novembre 2008

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Index

Les expressions marquées d ’ un astérisque


sont citées dans un article.

A
À bâtons rompus ...................................................................................................................................... 13
À brûle‑pourpoint ................................................................................................................................... 15
À la barre du jour* ................................................................................................................................... 94
À la bonne franquette .......................................................................................................................... 19
À la Saint‑Glinglin ..................................................................................................................................... 21
À qui mieux mieux .................................................................................................................................. 27
À tire‑larigot .................................................................................................................................................. 31
Agir sous le manteau ............................................................................................................................. 17
Aller au diable vert .................................................................................................................................. 23
Aller de concert .......................................................................................................................................... 25
Aller de conserve* .................................................................................................................................... 26
Arriver comme mars/marée en carême ............................................................................... 29
Attelé comme la chienne à Jacques* .................................................................................... 118

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Attendre/recevoir un courrier de Rome* ........................................................................ 154
Au pied de la lettre .................................................................................................................................. 33
Aux calendes grecques ........................................................................................................................ 35
Avaler la queue du chat* .................................................................................................................... 52
Avaler des couleuvres ........................................................................................................................... 37
Avaler/poser sa chique* ................................................................................................................... 168
Avant de lâcher définitivement la cuillère* ....................................................................... 60
Avoir de la maille* .................................................................................................................................... 46
Avoir du pain sur la planche ........................................................................................................... 39
Avoir du sang bleu ................................................................................................................................... 41
Avoir encore des croûtes à manger* ....................................................................................... 40
Avoir l’air quétaine* ............................................................................................................................. 119
Avoir la tête enflée* ............................................................................................................................. 134
Avoir la tête près du bonnet .......................................................................................................... 43
Avoir le béguin* ............................................................................................................................. 44, 110
Avoir le feu dans le passage* ........................................................................................................... 49
Avoir maille à partir ................................................................................................................................ 45
Avoir ni sou ni maille* .......................................................................................................................... 46
Avoir ses lunes* ....................................................................................................................................... 154
Avoir un chat dans la gorge ............................................................................................................. 51
Avoir voix au chapitre .......................................................................................................................... 53
Avoir/mettre la puce à l ’ oreille ..................................................................................................... 47

B
Battre à plates coutures ....................................................................................................................... 55
Bête comme chou* .............................................................................................................................. 122
Bête comme la paix* ........................................................................................................................... 224
Bon comme la romaine ...................................................................................................................... 57

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C
Casser sa pipe ............................................................................................................................................... 59
C ’ est la fin des haricots ....................................................................................................................... 61
C ’ est un nom à coucher dehors ................................................................................................. 63
C  ’est une autre paire de manches ! ........................................................................................... 67
Chanter la pomme .................................................................................................................................. 69
Compter pour du beurre .................................................................................................................. 71
Copains comme cochons ................................................................................................................. 75
Couper la chique* ................................................................................................................................. 168
Couper les cheveux en quatre ...................................................................................................... 77
Courir comme un dératé ................................................................................................................... 79
Croquer le marmot ................................................................................................................................. 81

D
Damer le pion .............................................................................................................................................. 85
Dans l ’ ancienneté* ................................................................................................................................ 142
De but en blanc ......................................................................................................................................... 89
De guerre lasse ............................................................................................................................................ 91
Depuis les vieilles guerres* ............................................................................................................. 142
Dès potron‑jacquet/Dès potron‑minet ............................................................................... 93
Donner sa langue au chat ................................................................................................................. 95
Donner/offrir le gîte et le couvert ............................................................................................. 97
Du temps du vieux bon Dieu* ................................................................................................... 142

E
En cinq sec ...................................................................................................................................................... 99
En deux coups de cuillères à pot* ........................................................................................... 100
En espèces sonnantes et trébuchantes .............................................................................. 101
Être (se mettre) dans de beaux draps ! ................................................................................ 111
Être au trente‑sixième dessous .................................................................................................. 103
Être blanchi* .................................................................................................................................................. 56

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Être dans l ’ eau chaude* .................................................................................................................... 113
Être dans la marde* .............................................................................................................................. 113
Être dans le beurre* ................................................................................................................................. 71
Être dans le mauvais orchestre* ................................................................................................ 113
Être dans le pétrin* ............................................................................................................................... 113
Être dans ses lunes* .............................................................................................................................. 154
Être Gros Jean comme devant ................................................................................................... 107
Être la coqueluche de quelqu ’ un ............................................................................................ 109
Être né coiffé/toqué* .......................................................................................................................... 110
Être/mettre sur la sellette ................................................................................................................ 115

F
Fagoté comme l  ’as de pique ....................................................................................................... 117
Faire chou blanc ...................................................................................................................................... 121
Faire de son nez* .................................................................................................................................... 134
Faire des gorges chaudes ................................................................................................................. 123
Faire/ne pas faire long feu .............................................................................................................. 127
Faire manger de l’avoine* ................................................................................................................... 86
Faire ses choux gras* ........................................................................................................................... 122
Faire son gros dos* ................................................................................................................................ 134
Faire son ronron* ................................................................................................................................... 134
Faire son beurre* ....................................................................................................................................... 72
Faire un pas de clerc ............................................................................................................................ 131
Faire un pied de nez* ............................................................................................................................. 34
Feuille de chou* ....................................................................................................................................... 122
Fier comme un pou ............................................................................................................................. 133
Fort comme un Turc .......................................................................................................................... 135
Fumer comme un pompier ......................................................................................................... 137
Fumer comme un sapeur, une cheminée, une locomotive* .......................... 138

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G
Grand tablier sans cordon* ........................................................................................................... 134
Grimper dans les rideaux* ............................................................................................................. 165
Gros-Jean en remontre à son curé* ....................................................................................... 108

I
Il n ’ y a pas le feu à la maison* ..................................................................................................... 140
Il n ’ y a pas le feu au lac* ................................................................................................................... 140
Il y a belle lurette .................................................................................................................................... 141
Il y a/il n ’ y a pas péril en la demeure .................................................................................... 139

J
Jeter l ’ éponge ............................................................................................................................................. 145

L
L ’ échapper belle ...................................................................................................................................... 149
L ’ année du siège* ................................................................................................................................... 142
L ’ assiette au beurre* ............................................................................................................................... 72
La bailler belle* ......................................................................................................................................... 150
La semaine des quatre jeudis* ....................................................................................................... 22
Lâche pas la patate* ............................................................................................................................. 146
Laid comme un pou* ......................................................................................................................... 134
Laisser pisser le mérinos ................................................................................................................... 147
Le nerf de la guerre ............................................................................................................................... 151
Le vieux a cassé sa cuillère à manger du riz* ..................................................................... 60
Les Anglais sont arrivés/ont débarqué ................................................................................ 153
Les Anglais sont au port* ................................................................................................................ 154
Les carottes sont cuites .................................................................................................................... 155
Les copains sont dans le beurre* ................................................................................................. 72
Lever les pattes* ......................................................................................................................................... 60

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M
Mariage pluvieux, mariage heureux ................................................................................... 157
Mener une vie de bâton de chaise ......................................................................................... 159
Mener une vie de patachon* ...................................................................................................... 160
Mettre du beurre dans les épinards* ....................................................................................... 72
Mettre son bonnet de travers* ..................................................................................................... 44
Mi‑figue mi‑raisin .................................................................................................................................. 161
Monter sur ses grands chevaux ................................................................................................ 163
Mou comme une chique ............................................................................................................... 167

N
Ne pas être dans son assiette ...................................................................................................... 169
Ni figue ni raisin* .................................................................................................................................... 162
Noir comme un geai ........................................................................................................................... 173

O
On n ’ est pas sorti de l ’ auberge ................................................................................................. 175
On n ’ est pas sorti du bois* ........................................................................................................... 176

P
Parler français comme une vache espagnole ............................................................... 177
Passer dans le beurre* ............................................................................................................... 72, 122
Passer l ’ éponge* ...................................................................................................................................... 146
Passer la nuit sur la corde à linge* .............................................................................................. 64
Passer/sauter du coq à l ’ âne ........................................................................................................ 181
Payer en fricassée* ................................................................................................................................. 186
Payer en monnaie de singe ........................................................................................................... 185
Pédaler dans le beurre* ........................................................................................................................ 73
Péter dans une buse* .......................................................................................................................... 187
Péter de la broue* .................................................................................................................................. 134
Pisser dans un violon .......................................................................................................................... 187
Pleurer des larmes de crocodile ................................................................................................ 189

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Poser sa chique* ...................................................................................................................................... 168
Prendre ses cliques et ses claques ........................................................................................... 193

Q
Quand les poules auront des dents* ...................................................................................... 22
Qui dort, dîne ........................................................................................................................................... 197

R
Remède de bonne femme ............................................................................................................ 199
Reprendre du poil de la bête ....................................................................................................... 201

S
Sacrer son camp* .......................................................................................................................... 70, 194
Se faire appeler Arthur ...................................................................................................................... 203
Se faire brasser le canayen* ........................................................................................................... 204
Se faire brouter par la chèvre* .................................................................................................... 221
Se mettre en rangs d ’oignons ..................................................................................................... 205
Se mettre sur son trente et un ................................................................................................... 209
Se mettre sur son trente-six* ....................................................................................................... 211
Se (faire) péter les bretelles* ......................................................................................................... 134
Son chien est mort* ............................................................................................................................ 156

T
T ’ es dans le beurre* ................................................................................................................................ 73
Tête de Turc* .............................................................................................................................................. 136
Tirer les marrons du feu ................................................................................................................... 213
Tomber dans la jatte de beurre* .................................................................................................. 72
Tomber dans les pommes ............................................................................................................. 217
Tomber en quenouille ....................................................................................................................... 219
Tous les 36 du mois* ....................................................................................................... 22, 105, 211
Travailler pour des pinottes* ....................................................................................................... 225
Travailler pour des épluchures de manioc* .................................................................... 225

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Travailler pour des prunes* ........................................................................................................... 225
Travailler pour le roi de Prusse ................................................................................................... 223
Trempé comme une soupe .......................................................................................................... 227
Trente-six solutions* ............................................................................................................................ 104

V
Vingt‑deux, v ’ là le chef/v ’ là les flics ! ..................................................................................... 229
Vivre sur un grand pied* .................................................................................................................... 34
Vivre sur un pied d’égalité* .............................................................................................................. 34
Voir trente-six chandelles* ............................................................................................................. 104

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Table des matières

Les facéties des expressions françaises .................................................................... 5


Préface ................................................................................................................................................... 7
À bâtons rompus ...................................................................................................................... 13
À brûle‑pourpoint ................................................................................................................... 15
Agir sous le manteau ............................................................................................................. 17
À la bonne franquette .......................................................................................................... 19
À la Saint‑Glinglin ..................................................................................................................... 21
Aller au diable vert .................................................................................................................. 23
Aller de concert .......................................................................................................................... 25
À qui mieux mieux .................................................................................................................. 27
Arriver comme mars/marée en carême ............................................................... 29
À tire‑larigot .................................................................................................................................. 31
Au pied de la lettre .................................................................................................................. 33

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Aux calendes grecques ........................................................................................................ 35
Avaler des couleuvres ........................................................................................................... 37
Avoir du pain sur la planche ........................................................................................... 39
Avoir du sang bleu ................................................................................................................... 41
Avoir la tête près du bonnet .......................................................................................... 43
Avoir maille à partir ................................................................................................................ 45
Avoir/mettre la puce à l ’oreille ...................................................................................... 47
Avoir un chat dans la gorge ............................................................................................. 51
Avoir voix au chapitre .......................................................................................................... 53
Battre à plates coutures ....................................................................................................... 55
Bon comme la romaine ...................................................................................................... 57
Casser sa pipe ............................................................................................................................... 59
C ’ est la fin des haricots ....................................................................................................... 61
C ’ est un nom à coucher dehors ................................................................................. 63
C ’ est une autre paire de manches ! ........................................................................... 67
Chanter la pomme .................................................................................................................. 69
Compter pour du beurre .................................................................................................. 71
Copains comme cochons ................................................................................................. 75
Couper les cheveux en quatre ...................................................................................... 77
Courir comme un dératé ................................................................................................... 79
Croquer le marmot ................................................................................................................. 81

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Damer le pion .............................................................................................................................. 85
De but en blanc ......................................................................................................................... 89
De guerre lasse ............................................................................................................................ 91
Dès potron‑jacquet/Dès potron‑minet ............................................................... 93
Donner sa langue au chat ................................................................................................. 95
Donner/offrir le gîte et le couvert ............................................................................. 97
En cinq sec ...................................................................................................................................... 99
En espèces sonnantes et trébuchantes .............................................................. 101
Être au trente‑sixième dessous .................................................................................. 103
Être Gros Jean comme devant ................................................................................... 107
Être la coqueluche de quelqu ’ un ............................................................................ 109
Être (se mettre) dans de beaux draps ! ................................................................ 111
Être/mettre sur la sellette ................................................................................................ 115
Fagoté/fichu comme l  ’as de pique ........................................................................ 117
Faire chou blanc ...................................................................................................................... 121
Faire des gorges chaudes ................................................................................................. 123
Faire/ne pas faire long feu .............................................................................................. 127
Faire un pas de clerc ............................................................................................................ 131
Fier comme un pou ............................................................................................................. 133
Fort comme un Turc .......................................................................................................... 135
Fumer comme un pompier ......................................................................................... 137

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Il y a/il n ’ y a pas péril en la demeure .................................................................... 139
Il y a belle lurette .................................................................................................................... 141
Jeter l ’ éponge ............................................................................................................................. 145
Laisser pisser le mérinos ................................................................................................... 147
L ’ échapper belle ...................................................................................................................... 149
Le nerf de la guerre ............................................................................................................... 151
Les Anglais sont arrivés/ont débarqué ................................................................ 153
Les carottes sont cuites .................................................................................................... 155
Mariage pluvieux, mariage heureux ................................................................... 157
Mener une vie de bâton de chaise ......................................................................... 159
Mi‑figue mi‑raisin .................................................................................................................. 161
Monter sur ses grands chevaux ................................................................................ 163
Mou comme une chique ............................................................................................... 167
Ne pas être dans son assiette ...................................................................................... 169
Noir comme un geai ........................................................................................................... 173
On n ’est pas sorti de l ’auberge .................................................................................. 175
Parler français comme une vache espagnole ............................................... 177
Passer/sauter du coq à l ’âne ......................................................................................... 181
Payer en monnaie de singe ........................................................................................... 185
Pisser dans un violon .......................................................................................................... 187
Pleurer des larmes de crocodile ................................................................................ 189

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Prendre ses cliques et ses claques ........................................................................... 193
Qui dort, dîne ........................................................................................................................... 197
Remède de bonne femme ............................................................................................ 199
Reprendre du poil de la bête ....................................................................................... 201
Se faire appeler Arthur ...................................................................................................... 203
Se mettre en rangs d ’ oignons ..................................................................................... 205
Se mettre sur son trente et un ................................................................................... 209
Tirer les marrons du feu ................................................................................................... 213
Tomber dans les pommes ............................................................................................. 217
Tomber en quenouille ....................................................................................................... 219
Travailler pour le roi de Prusse ................................................................................... 223
Trempé comme une soupe .......................................................................................... 227
Vingt‑deux, v ’ là le chef/v ’ là les flics ! ..................................................................... 229
Bibliographie .............................................................................................................................. 233
Index .................................................................................................................................................. 235

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De la même auteure

Lexique des figures de style, Armand Colin, 1998‑2010

Dictionnaire des figures de style, Armand Colin, 2002‑2011

Les facéties du français, Armand Colin, 2005‑2012

Les facéties de la francophonie, Armand Colin/Bayard Canada, 2009

L ’ orthographe est un jeu, Librio, 2010

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19990_Faceties_Int_ep04.indd 4 2013-10-29 12:12
ÉPINE
0,578 po

RICALENS-POURCHOT
Les facéties des

NICOLE
expressions NICOLE RICALENS-POURCHOT
françaises
Avez-vous le cœur sur
la main ? Avez-vous déjà Les facéties des
expressions
donné votre langue au chat ?

Les facéties des expressions françaises


De nombreuses expressions servent à imager

françaises
le quotidien et témoignent de la vitalité de la
langue française. Si ces phrases se transmettent le plus
souvent à l’oral, il faut parfois remonter bien loin pour percer leurs mystères.
Facétieuses nos expressions ? Certaines se comprennent facilement (être dans
le pétrin, l’échapper belle), d’autres sont imprégnées de références culturelles
(ne pas filer, avoir la tête enflée) ou paraissent pour le moins absurdes (râler
comme un pou, copains comme cochons).
Plaisantes et souvent surprenantes, ces expressions colorent la langue et
s’approprient le vocabulaire d’une drôle de façon. Mais à la différence des
dictons ou des proverbes, le côté cocasse prend le pas sur l’aspect moralisateur.
Alors, feuilletez ce livre avant de jeter l’éponge et de parler français comme
une vache espagnole.

Nicole Ricalens-Pourchot a enseigné la linguistique et la


littérature française au collège Marianopolis et à l’Université
McGill de Montréal. Chez Bayard Canada, elle a déjà publié
Les facéties de la francophonie.
28,95 $ / 21 €

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