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Université d’Antananarivo

Faculté de Droit, d’Economie, de Gestion


et de Sociologie
****
Département Droit

Mémoire de fin d’étude de Master 2, option Sciences Politiques

« LA SEPARATION DES POUVOIRS


POUVOIRS A
MADAGASCAR »

Présenté par : RAZANATSOA Solofomiandra


Soutenu publiquement le : Mercredi 25 mars 2015 à 14 heures
Salle : 412 B, Faculté DEGS - Université d’Antananarivo

Membres du Jury : - Madame ESOAVELOMANDROSO Faratiana ;


- Monsieur ANDRIAMAMPIANINA Henri ;
- Monsieur Randrianarimanana Tsanta ;

Année universitaire : 2013-2014


INTRODUCTION

La séparation des pouvoirs est définie comme le « principe qui tend à prévenir les abus du
pouvoir en confiant l’exercice de celui-ci non à un organe unique, mais à plusieurs organes,
chargés chacun d’une fonction différente et en mesure de se faire mutuellement contrepoids.
Principe formulé pas Locke et surtout par Montesquieu »1.

Il faut souligner que le principe n’est pas né avec ces deux auteurs, Locke et Montesquieu,
c’est un principe qui remonte déjà à l’antiquité. Cependant, Montesquieu
nes’estpasbornéàreprendreavecquelqueinfidélitélaclassificationd’Aristote,maisilaédifiéuneœu
vrenouvelle.»2.

Selon Montesquieu donc,


Ilya,danschaqueÉtat,troissortesdepouvoirs;lapuissancelégislatrice,lapuissanceexécutricedesch
osesquidépendentdesdroitsdesgens,etlapuissanceexécutricedecellesquidépendentdudroitcivil.[.
..]Toutseraitperdusilemêmehomme,oulemêmecorpsdesprincipaux,oudesnobles,oudupeupleexe
rçaientcestroispouvoirs.»3 Et d’ajouter, «
Iln’yapointdelibertésilapuissancedejugern’estpasséparéedelapuissance législativeetde
l’exécutrice.»4

Mais comment cette théorie serait-elle matérialisée dans la pratique ? Un tel concept devrait
organiser le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif en fonction de l’autonomie de leurs
compétences politiques respectives. Alors, si chaque pouvoir a une fonction propre, une
sphère politique spécifique, il ne peut et il ne doit exister aucune interférence entre le législatif
et l’exécutif. Une théorie de la séparation des pouvoirs devrait donc engager cette
conséquence: il n’existe pas d’empiétement du législatif vis-à-vis de l’exécutif et,
réciproquement, de l’exécutif vis-à-vis du législatif.

Mais est-ce que c’est vraiment ce qui se passe dans la pratique ?


1
Lexique des termes juridiques, 13è édition, Dalloz, 2001.
2
« É. Durkheim, Montesquieu et Rousseau précurseurs de la sociologie, Paris, M. Rivière, 1966,p.73.».
3
« Montesquieu, De l’Esprit des lois, livre XI, chap.VI,p.294.».
4
Ibid

1
La théorie de Montesquieu se basait sur trois thèses : La première était distinction des
pouvoirs, la deuxième est la balance des pouvoirs et enfin il y a la séparation des pouvoir au
sens stricte.

Pour la distinction des pouvoir, elle consiste en une définition ainsi qu’une classification des
fonctions constitutionnelles. « Il y a, dans chaque État, trois sortes de pouvoirs : législatif,
exécutif et judiciaire». C’est de cette distinction des fonctions constitutionnelles que les
droits du système romano-germanique, surtout dans le droit français et allemand, ont tiré la
distinction entre fonction administrative et fonction judiciaire, ainsi que la nécessité de les
subordonner à la législative.

Dans la balance des pouvoirs, on ne parle plus de fonctions constitutionnelles mais des
organes qui sont chargés de le mettre en œuvre. La balance des pouvoir va alors servir à
organiser l’attribution des fonctions entre les différents organes. Montesquieu affirmait que
seul le pouvoir peut arrêter le pouvoir, et que les fonctions législative et exécutive doivent être
attribuées à des organes ni spécialisés ni indépendants5.

Car « C’est une expérience éternelle, que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ;
il va jusqu’à ce qu’il trouve des limites […]. Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut
que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir »6.

L’auteur veut ainsi poser le principe selon lequel pour pouvoir fonctionner de façon optimale,
les deux pouvoirs doivent travailler de concert. En clair, ce que Montesquieu prône, c’est le
refus du monopole des pouvoirs et la séparation du judiciaire pour assurer un équilibre de
nature à prévenir les abus de la par des gouvernants.

Et enfin pour ce qui est de la séparation des pouvoirs au sens stricte, elle signifie
spécialisation des fonctions et indépendance réciproque des organes. Pour démontrer sa
théorie, l’auteur s’inspire du droit anglais. Et il avance que si le législatif et l’exécutif anglais
participent exceptionnellement à la fonction judiciaire,les juges ne participent jamais aux

5
Voir Charles Eisenmann, « Écrits de théorie du droit, de droit constitutionnel et d’idées politiques », réunis par
Charles Leben, Paris, Panthéon-Assas, 2002, et Michel Troper, La Séparation des pouvoirs et l’Histoire
constitutionnelle française [1973], Paris, LGDJ, 1980.
6
Voir Bernard Manin, « Les deux libéralismes. La règle et la balance », in Christian Biet et Irène Théry (dir.), La
Famille, la Loi, l’État. De la Révolution au Code civil, Paris, Imprimerie nationale et Centre Pompidou, 1989, p.
372-389.

2
fonctions législatives et exécutives :ils sont donc organes spécialisés et indépendants par
rapport aux autres.

Et c’est là que l’on s’aperçoit que la théorie de Montesquieu souffre quelques critiques. Ainsi
dans sa thèse de la distinction des pouvoirs, la faille vient de ce que dans la réalité, la
distinction en soi ne dicte aucune distribution des fonctions, ni rigide ni souple, parmi les
organes constitutionnels. Quant à la distribution, elle ne concerne que le pouvoir législatif et
exécutif et ne poursuit qu’un seul but, celui de gagner et de garantir cette liberté politiquequi
est conçue par Montesquieu comme sûreté de l’individu parrapport aux autres individus, soit
particuliers soit gouvernants.

Mais c’est surtout au niveau de la séparation des pouvoirs au sens stricte que les lacunes
transparaissent le plus. En effet, sinouslisonslecélèbrepassage « Dela constitution
d’Angleterre»,forceestdereconnaîtrequecetteconséquencen’est
absolumentpasrespectée.Montesquieuorganiselerapportentrelelégislatifetl’exécutifàpartirdelad
istinctionentre«lafacultédestatuer»et«lafacultéd’empêcher»:«J’appellefacultédestatuer,ledroitd
’ordonnerparsoi-
mêmeoudecorrigercequiaétéordonnéparunautre.J’appellefacultéd’empêcher,ledroitderendrenu
lleunerésolutionpriseparquelque autre.»7.
Lelégislatifpossèdebienlafacultédestatuerpuisqu’il«faitleslois »8.

Maiscettefacultén’estpasautonomecarelleestmisesouslatutelledupouvoirexécutifquipossède«la
facultéd’empêcher»unerésolutionadoptéeparlepouvoirlégislatif.Loind’êtreunepuissanceautono
me,lelégislatifsubitl’empiétementdelapuissanceexécutrice.Cetempiétementfaitbienapparaîtreq
u’iln’existepasdeséparationentrelesdeuxpouvoirs.C’estpourcette
raisonqueMontesquieuaffirme:«Lapuissanceexécutricefaitpartiedela législative.»9.
Parrapportàlapuissanceexécutrice,lelégislatifestdoncunpouvoir subordonné.

Malgré les failles dans la théorie, le principe de la séparation des pouvoirs n’a jamais
vraiment été remis en cause. Il est même présenté depuis longtemps comme un des articles du

7
Montesquieu, « De l’Esprit des lois », livre XI, chap.VI,
8
Ibid.
9
Ibid, p. 302.

3
credo de la démocratie libérale10. La raison de ce succès s’explique par le but poursuivi par les
théoriciens qui était la suivante : il s’agissait d’endiguer le danger de l’abus du pouvoir
étatique, et pour ce faire de susciter un contrôle mutuel des différents détenteurs de fonctions
dans le système d’une perception des fonctions étatiques fondée sur la division du travail
durant l’exercice du pouvoir ; finalement, si possible, de faire en sorte qu’ici aussi les intérêts
concurrents de la couronne, de la noblesse et du peuple s’équilibrent réciproquement.

Notons qu’à côté de la théorie de Locke et de Montesquieu, il y a également la théorie de


Kant qui explique que tout État comprend dans son idée trois pouvoirs, à savoir le législatif,
l’exécutif et le judiciaire. A première vue, rien de bien différent de la théorie que nous venons
de disséquer. Cependant, il faut rappeler que chez Locke, ainsique chez Montesquieu, il n’est
pas précisément question des trois pouvoirs cités. Kant quant à lui ne parle ni d’un frein ou
d’un contrôle réciproque de ces pouvoirs, ni d’un équilibre obtenu par ce moyen entre
lesintérêts sociaux concurrents.

Dans la théorie kantienne, en ce qui concerne le sens de la différenciation de diverses


fonctions du pouvoir étatique (et de sa partition en différents pouvoirs), il est nécessaire de
garder distinctement à l’esprit pour tout ce qui suit de quoi il retourne ici : il ne s’agit pas
seulement de différencier les unes des autres les fonctions partielles de l’activité étatique et de
les attribuer à tel ou tel vecteur responsable – qu’il y en ait plusieurs ou un seul ; il ne s’agit
pas simplement non plus d’attribuer de telles fonctions en vue de leur exercice efficace, à
différents vecteurs agissant de façon coordonnée et dotés de rôles spécifiques, comme nous le
faisons couramment à partir du contexte de la division du travail ; il ne s’agit même pas de
modérer l’exercice de telles fonctions grâce au fait qu’il s’effectue en séparant les rôles selon
un but externe (même si celui-ci consiste dans l’empêchement de l’abus de pouvoir).

Aucun de ces points de vue ne pourrait justifier que l’on prévoie une répartition du pouvoir
étatique en différents pouvoirs publics dès le début d’une constitution et selon des principes
de droit tout généraux. En tant que mesure dirigée contre l’abus de pouvoir, la partition serait
liée aux mécanismes de contrôle et d’ « entravement » réciproques ; ces mécanismes seraient
du point de vue de l’efficience hautement suspecte. Quoi qu’il en soit, il ne viendrait pas à

10
Il n’y a pour cela qu’à lire l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789
et qui dispose que« Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée, ni la séparation des
Pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ».

4
l’esprit d’un conseiller en management de procéder ainsi pour améliorer la productivité de son
entreprise.

Il ne s’agit pas ici non plus d’une question d’accord commun arbitraire ou de convention ; ni
d’un compromis entre des forces sociales antagonistes.

Dans la théorie kantienne, le sens fondamental d’une répartition du pouvoir étatique en


plusieurs personnes (« morales », c’est-à-dire juridiques) dotées chacune d’une responsabilité
spécifique ne peut être que celui-ci : éviter que, comme dans le cas contraire, la perception
des fonctions publiques contrevienne eo ipso à des principes tout à fait élémentaires du droit.
C’est seulement si la partition est déjà entreprise pour des raisons de principe que le rapport
mutuel des parties peut être déterminé, grâce à des présuppositions additionnelles (la
subordination d’un pouvoir à un autre), comme celui qui prévient les abus, donc qui prévient
l’exercice non conforme au droit du pouvoir.

Il faut comprendre dans cette théorie qu’il ne saurait s’agir uniquement de la séparation des
pouvoirs (et de leur répartition entre plusieurs personnes), mais qu’en même temps il s’agit
d’unifier les activités des pouvoirs en vue d’un but suprême commun.

Mais comment se matérialise cette théorie dans la pratique ? De toute évidence, pas seulement
par le fait qu’il s’agit de distinguer, en vue de la réalisation du but d’une justice distributive,
trois fonctions du pouvoir public, et qu’il est besoin, pour l’exercice de chacune de ces
fonctions, du pouvoir requis en chaque cas, de telle façon que l’on puisse parler également,
cum grano salis, de trois pouvoirs.

Ces trois pouvoirs ne sont effectivement distincts que lorsque leur exercice incombe à trois
personnes distinctes qui sont dépositaires de tel ou tel de ces pouvoirs et qui, en tant que
personnes, sont elles-mêmes responsables de cet exercice. Que, en l’absence d’une telle
division (c’est-à-dire d’une répartition du pouvoir de droit public en trois personnes
différentes), l’exercice des trois fonctions ne soit pas possible, en vue de la mise en place
d’une justice distributive, d’une paix sociale pour le bien-être du peuple.

Mais même s’il est dit que les trois pouvoirs sont coordonnés comme autant de
personnesmorales11, cela ne passe pas réellement ainsi dans la pratique. En effet, les trois
pouvoirs ne peuvent pas être répartis idéalement entre trois personnes, et cette affirmation,
11
Suivant déduction de la théorie de Montesquieu.

5
toujours selon Kant, ne fournit aucun argument contraignant en faveur de la nécessité d’une
division etd’une répartition des pouvoirs entre différentes personnes.

Le droit malgache ne dispose pas d’une doctrine élaborée sur le sujet de la séparation des
pouvoirs. Comme dans les autres branches du droit (notamment civil et commercial), nous
devons beaucoup à la doctrine étrangère dans l’élaboration de cette théorie, son explication et
sa justification.

Mais même si la doctrine malgache n’est pas très prolixe sur le sujet, le principe n’en est pas
moins clairement affirmé dans nos Constitutions, mais l’affirmation varie cependant d’une
République à une autre.

Le principe de la séparation des pouvoirs est donc bien présent dans la Constitution malgache,
bien qu’il ne fasse pas l’objet de la même attention. Si le sujet a attiré notre attention, c’est
que peu importe la valeur qu’on attribue au principe, cela n’a jamais semblé réellement
efficace pour prémunir la République contre les abus dans le comportement des politiciens.
D’où la défiance du peuple envers les gouvernants et qui est toujours aussi tenace, sinon plus,
après 55 ans d’indépendance, et qui a pour résultat de favoriser la récurrence des crises dans
le contexte politique général de Madagascar. Ce qui explique aussi pourquoi les gouvernants
(ou plus précisément le Président de la République) s’évertuent à assoir leur pouvoir en
écartant savamment les opposants, ou grignotant sur la compétence des autres institutions de
la République pour avoir plus de marge de manœuvre, le tout par de savantes manipulations
législatives. On assiste donc à la volonté de l’exécutif de se prémunir contre les insurrections
populaires, et à la concrétisation de cette volonté par l’intervention grandissante de l’exécutif
dans l’élaboration des textes.

Cela nous pousse à faire le constat selon lequel, finalement « la séparation et l’équilibre des
pouvoirs à travers des procédés démocratiques » affirmée dans le préambule de la
Constitution en vigueur aujourd’hui n’est pas respectée12. Ce constat nous pousse à chercher
jusqu’à quel point cette séparation des pouvoirs n’est pas respectée, jusqu’où va la confusion
de pouvoir ?

Pour répondre à ces questionnements, nous allons diviser notre travail en deux parties : dans
la première, nous allons discuter de l’existence d’un déséquilibre entre les pouvoirs

12
Constitution Malgache de la Quatrième République, paragraphe 9, alinéa 7.

6
constitutionnels à Madagascar (Titre I). Nous y verrons que le déséquilibre profite surtout à
l’exécutif. Cela est dû tout d’abord au fait que le régime politique à Madagascar le permet,
mais également à la défaillance des organes qui doivent assurer les pouvoirs (Chapitre I), ainsi
qu’à la volonté de ne pas reconnaître l’existence d’un troisième pouvoir, tel que le préconisait
la doctrine de Montesquieu, à savoir le pouvoir judiciaire (Chapitre II).

Dans la deuxième partie, nous allons discuter de l’émergence de ces nouveaux pouvoirs que
l’on retrouve déjà dans la doctrine moderne de la séparation des pouvoirs (Titre II). Nous
verrons alors que les nouveaux pouvoirs émergent surtout du secteur économique et financier,
le constat peut sembler bassement mercantile, mais on ne peut pas ignorer le fait que la
puissance d’un Etat aujourd’hui se mesure, non plus seulement sur l’importance de son armée
et son pouvoir militaire, mais surtout sur ses capacités du point de vue économique. La crise
financière de 2008 qui a encore des répercussions dans le monde jusqu’à aujourd’hui nous
aura montré l’importance de l’économie d’un pays dans la détermination de la place qu’il peut
occuper sur l’échiquier mondial. Mais est-ce que cela vaut aussi pour Madagascar ? (Chapitre
I), et dans quelle mesure ? Et peut-on vraiment parler d’un pouvoir financier dans un pays qui
n’est pas doté d’un système de bourse ? Dans quelle mesure ce secteur peut influer sur la
séparation des pouvoirs à Madagascar ? (Chapitre II).

7
TITRE I. UN DESEQUILIBRE EN FAVEUR DE L’EXECUTIF

Tout Etat de droit doit reposer sur deux grands principes : la hiérarchie des normes et la
séparation des pouvoirs. Nous n'exposerons pas dans le cadre nécessairement limité de cette
étude la hiérarchie des normes, même si la question est également intéressante quand on sait
que le débat survient de manière récurrente sur l’applicabilité ou non de tel ou tel texte dans
les querelles politiques à Madagascar.

En ce qui concerne la séparation des pouvoirs, force est de constater que le droit malgache a
beaucoup copié sur le droit français en la matière. Or dans le droit français, les idées de
Montesquieu n'ont pas connu le retentissement attendu car elles ont été amplement déformées
par les exigences de la Révolution et de l'Empire, c'est-à-dire celles d'un Etat unitaire,
centralisé et fort, s'opposant à la reconnaissance de tout contre-pouvoir aux juges, qui, sous
l'Ancien Régime, avaient paralysé l'administration royale, en se dressant contre le pouvoir
central.

Dans l'esprit des hommes de la Révolution de 1789, il s'agissait de faire des juges non les
défenseurs de l'individu mais les serviteurs fidèles de la loi, « expression de la volonté
générale » au sens de Rousseau, puis avec le Consulat et l'Empire, les bras séculiers de la
puissance d'Etat.

La « séparation des pouvoirs à la française » a donc pris la forme soit du régime d'assemblée,
c'est-à-dire de la domination du Corps législatif (ce qu'un juriste français, Carré de Malberg,
appelait le « parlementarisme absolu »13), soit d'un monisme de type dictatorial, à
prépondérance de l'Exécutif, faisant du Parlement un simple instrument de légitimation de
l'activité gouvernementale. Mais à aucun moment, la France n'est devenue une « République
des juges » ; à aucun moment, l'idée d'un pouvoir juridictionnel n'a pu s'affirmer.

C'est très précisément cette image traditionnelle qui est aujourd'hui toujours en application à
Madagascar, malgré les grandes annonces sur le renforcement de l'Etat de droit, dont la Haute
Cour Constitutionnelle est le principal promoteur.

Le droit constitutionnel jurisprudentiel, droit des procédures et des compétences (qui en est
13
Raymond Carré de Malberg, « Contribution à la théorie générale de l'État », Paris, CNRS Éditions, 1985,
1530 p. (ISBN 978-2-222-00579-7)

8
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pratiquement encore au stade embryonnaire à Madagascar), ne permet pas encore à la


séparation des pouvoirs d'apparaître dans sa véritable dimension, comme une collaboration
des pouvoirs publics constitutionnels, Exécutif, Législatif, Juridictionnel.

Alors que dans le droit français, le Conseil constitutionnel indique désormais à chaque
autorité, exécutive, législative ou juridictionnelle, quels sont sa fonction et son domaine
d'intervention ; chacune de ces autorités exprime, dans ces limites, la souveraineté nationale.

La séparation des pouvoirs apparaît donc désormais en France dans sa forme épurée, image
que jusqu'à présent ni le juge administratif, ni le juge judiciaire, serviteurs et non censeurs des
lois, ne pouvaient restituer. Image qui n’a vraiment pas encore sa place dans le système
juridique malgache qui en est resté au schéma traditionnel.

Schéma traditionnel qui se traduit par la prééminence du pouvoir exécutif sur le législatif
(chapitre I), et sur l’inexistence du pouvoir judiciaire (chapitre II).

Chapitre I. La prééminence du pouvoir exécutif sur le législatif

Pour pouvoir appréhender de manière objective cette question de la prééminence de l’exécutif


sur le législatif, il nous faut d’abord revenir sur le régime politique qui régit l’Etat malgache.
Il est tout d'abord nécessaire de s'entendre sur le sens de certaines formules telles que
Constitution au sens formel du mot, Constitution au sens matériel, forme de gouvernement, ou
encore le régime politique.

• Au sens formel du mot, la Constitution est un document écrit, c'est la Charte


fondamentale de l'Etat, c'est un ensemble de règles de droit édictées selon une procédure
solennelle qui n'est pas celle, beaucoup plus simple, par laquelle sont élaborées les lois
ordinaires. Au sens matériel du mot, une Constitution est l'ensemble des règles qui, dans un
Etat donné, déterminent les structures politiques. On peut encore définir la Constitution au
sens matériel du mot (on emploie aussi, dans le même sens, la formule «forme de
gouvernement»14) comme l'ensemble des règlesrelatives à l'attribution et à l'exercice du

14
Ibid.

9
pouvoir. En ce sens, tout Etat a nécessairement une Constitution, écrite ou non écrite, puisque
dans tout Etat il y a, par définition, des règles d'organisation politique.

Voici donc une première approche des structures internes des Etats mais qui ne donne pas une
image complète de la situation car un régime politique est beaucoup plus qu'un système
constitutionnel. Un tel système nous révèle des règles de Droit, importantes certes pour le
fonctionnement de la vie politique, mais qui ne sont pas toujours déterminantes ni essentielles.

A côté des structures constitutionnelles, c'est-à-dire juridiques, un régime politique renferme


beaucoup d'autres éléments. Il faut considérer aussi la situation internationale du pays: si le
gouvernement est entièrement indépendant ou s'il subit l'influence d'une Puissance étrangère;
il faut considérer aussi la pratique politique, les structures politiques concrètes et, notamment,
le « système des partis »15, le rôle de l'armée, le rôle de groupements paramilitaires ou
paragouvernementaux, les mœurs politiques, les croyances, le niveau de l'éducation civique,
l'opinion en éveil, l'opinion engourdie ou l'opinion chloroformée. Donc, le mot structure doit
être entendu dans son sens le plus large: il comporte à la fois des structures d'organisation et
des structures mentales, des phénomènes de psychologie collective ou même individuelle,
lorsqu'il s'agit de gouvernants.

• Une première classification des régimes — classification fort vague par sa généralité
mais tout de même essentielle, — pourrait se fonder sur la thèse-antithèse : régimes
démocratiques — régimes anti ou non-démocratiques.

Pour les régimes non-démocratiques, nous pouvons notamment recenser les régimes
autocratiques. Il s'agit d'un régime dans lequel le détenteur unique du pouvoir situe le
fondement de ce pouvoir dans sa personne même, ou dans la famille à laquelle il appartient.
La monarchie absolue, la monarchie de droit divin du type classique est une des variétés de
l'autocratie.

De même ne sont pas démocratiques les régimes oligarchiques qui réservent la possession et
l'exercice de la souveraineté à une fraction seulement de citoyens: oligarchie aristocratique si
l'aptitude à la participation au pouvoir est suspendue à des conditions de naissance; oligarchie
censitaire si la participation au pouvoir dépend de conditions de fortune.

15
Voir notamment à ce sujet Yohann Aucante, Alexandre Dézé « Les systèmes de partis dans les démocraties
occidentales », Presses de Sciences Po | Académique , avril 2008.

10
Mais nous n’allons pas nous étendre sur cette question qui n’est pas très pertinente pour ce
travail.

Le régime démocratique implique le choix du gouvernement par la majorité des citoyens, la


libre expression de la minorité, le respect de toutes les tendances et de toutes les croyances,
l'égalité de tous les hommes, le respect de la dignité de la personne humaine.

Dans une dictature, gouverner c'est commander — et se faire obéir. Dans une démocratie,
quelle qu'en soit la forme, gouverner c'est exercer le pouvoir avec vertu et dans l'intérêt de
tous, gouverner c'est prévoir, c'est choisir, c'est expliquer, donc instaurer le dialogue pour se
faire comprendre — et se faire obéir; c'est donner à chacun tous les moyens de développer
pleinement toute la richesse humaine qu'il porte en lui; c'est, en d'autres termes, préparer et
assurer un plein épanouissement de l'homme, de tous les hommes. La démocratie est
considérée dans la doctrine comme «l'identification maxima des gouvernés aux gouvernants
»16.

Dans la conception démocratique, l'Etat se présentera non pas comme un mécanisme de force,
mais comme un mécanisme de coopération volontaire entre individus libres et égaux, dont
chacun donne son avis. Dans ce régime il est entendu que le rôle de l'Etat est moins de faire
ou de forcer à faire que de protéger, de garantir.

• Pour ce qui est de la question du régime politique finalement, il s’agit d’un « mode de
gouvernement d’un Etat. Le régime politique résulte de la combinaison de multiples éléments,
les uns juridiques (cadre constitutionnel, qui forme le régime politique stricto sensus), les
autres extrajudiciaires (système des partis, personnalisation du pouvoir, idéologie, etc…)17.

Il existe deux sortes de régimes politiques démocratiques, il y a les régimes de confusion de


pouvoir qui peut être au profit soit de l’exécutif18, soit du législatif19. Et il y a aussi les
régimes de séparation de pouvoir, au rang desquels on peut notamment compter les régimes
parlementaires et les régimes présidentiels. Mais il y a aussi le milieu qui bascule entre les

16
Voir notamment BONOMI, I. « L'influence du régime intérieur des nations sur les rapports internationaux,
L'Esprit International», 1929, pp. 163-175.
17
Lexiques des termes juridiques, 13è éditions, Dalloz, 2011.
18
Il existe une version plus moderne de la dictature, c'est celle, par exemple, que l'on a vue à l'œuvre avant la
guerre, en Italie, en Allemagne, en Union Soviétique sous la forme stalinienne.
19
Qu’on appelle aussi régime conventionnel ou régime d'assemblée (ex: la Terreur en France 1793-1794).

11
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deux, on parle alors de régime semi-présidentiel. C’est un régime mixte empruntant des
caractéristiques au régime parlementaire et au régime présidentiel.

Le régime politique malgache fait partie de cette dernière catégorie. Nous avons ici ce que
l’on appelle régime semi-présidentiel. Dans le régime semi-présidentiel, on assiste à un
partage des responsabilités des deux organes de l’exécutif. Cependant, la responsabilité du
Gouvernement est bien plus prononcée que celle du Président de la République.

Ainsi, dans l’article 63 de la nouvelle constitution malgache, il est clairement affirmé que le
Gouvernement est responsable devant l'Assemblée nationale, alors qu’il n’en est fait mention
nulle part pour le Président. De plus, la Constitution définit les compétences présidentielles
qui sont très étendues et importantes. La Constitution de 201020attribue en effet au Président
des pouvoirs qui peuvent être exercés directement, sans contreseing ministériel. Il s'agit là
d'une innovation majeure.

Le Président de la République étant politiquement irresponsable (le Parlement ne peut lui


demander des comptes et le forcer, le cas échéant, à démissionner), chacun de ses actes était
jusqu'alors contresigné par des membres du gouvernement qui, ce faisant, en endossaient la
responsabilité.

En rompant avec la tradition parlementaire, les constituants ont placé le président de la


République dans une position très particulière : à côté de nombreuses attributions
« partagées », pour lesquelles l'accord du gouvernement, symbolisé par le contreseing, est
obligatoire, il dispose dorénavant de ce qu'on a appelé des « pouvoirs propres », dispensés de
contreseing.

Entrent dans cette catégorie : la nomination du Premier ministre (art. 54), le référendum
législatif (art. 55, alinéa 5), la dissolution de l'Assemblée nationale (art. 60), le recours aux
pouvoirs exceptionnels (art. 16), le droit de s'adresser aux parlementaires (art. 59, art. 94), la
nomination de membres du Conseil constitutionnel (art. 114).

Cette situation correspond à une innovation copiée du droit français lors de la première
constitution. En effet, la nouvelle Constitution française de 1958 mettait en œuvre une

20
Constitution consultable sur https://www.google.mg/search?sclient=psy-
ab&biw=1366&bih=643&noj=1&q=constitution+madagascar+2010&oq=constitution+ma&gs_l=serp.1.4.0l10.1
11345.117803.1.120465.21.18.1.0.0.0.764.3459.3-
1j4j1j1.7.0.msedr...0...1c.1.64.serp..13.8.3473.eg4OEfU6BC4#

12
nouvelle conception du rôle du président de la République (art. 5), conçu à la fois comme un
arbitre entre le législatif et le gouvernement (d'où son pouvoir de dissoudre l'Assemblée
nationale ou d'engager un référendum législatif), comme un gardien de la Constitution (d'où
sa faculté de saisir le Conseil constitutionnel). Il n’est donc pas étonnant, étant donné notre
passé très lié, que l’on retrouve trace de cette innovation dans la Constitution malgache qui a
été rédigée à la même période.

Ce petit développement nous permet déjà de faire le constat selon lequel, « l’accaparement
des pouvoirs par l’exécutif » peut bien signifier « accaparement du pouvoir par le Président de
la République »21 au vue des compétences et pouvoirs accordés par la Constitution. Et c’est ce
qui rend les choses très paradoxales dans le système politique malgache et qui conduit
souvent à la polémique à chaque décision contestable prise par la personne du Président de la
République.

Il y a un paradoxe car c’est la Constitution elle-même qui lui offre la possibilité de se mettre
en porte-à-faux avec certaines de ses dispositions, notamment en ce qui concerne la séparation
des pouvoirs. La volonté individuelle, aussi forte soit-elle, n’est donc pas la seule responsable
de cet accaparement des pouvoirs.

Une fois cette démonstration faite, nous allons maintenant étudier la manifestation concrète de
la prééminence du gouvernement sur le législatif. Cette prééminence qui se manifeste de deux
manières, une prééminence en amont (Section 1), mais également une prééminence en aval,
dans le sens où l’exécutif participe activement dans l’élaboration des textes de loi (Section 2).

21
Les deux termes sont de nous.

13
Section I : une prééminence qui se manifeste en amont

En amont dans le sens où l’exécutif peut déjà procéder à la nomination de certains membres
du Parlement en fonction de sa ligne politique, de façon à ne pas avoir à trop batailler pour
faire passer les lois dont ils ont besoin pour mettre en œuvre leur politique (Paragraphe 1),
mais il y a également une prééminence de fait qui se manifeste par le fait majoritaire
(paragraphe 2).

Paragraphe 1. Par le pouvoir de nomination et de dissolution

Dans ce paragraphe, nous allons voir, une fois encore que le président de la République, Chef
de l’exécutif, joue un rôle très important et qui peut apparaître comme contestable, sans
toutefois constituer une réelle violation de la Constitution, du moins d’un point de vue
strictement textuel.

A. La nomination des membres du Sénat selon l’article 81 de la Constitution

« Le Sénat représente les Collectivités Territoriales Décentralisées et les organisations


économiques etsociales. Il comprend, pour deux tiers, des membres élus en nombre égal pour
chaque Province, et pour un tiers, des membres nommés par le Président de la République,
pour partie, sur présentation des groupements les plus représentatifs issus des forces
économiques sociales et culturelles et pour partie en raison de leur compétence
particulière »22.

L’article 81 est ainsi libellé. Les membres du sénat sont élus au suffrage universel indirect
pour la plus grande partie, et pour le reste ils sont « intronisés » sur nomination du Président
de la République. Nomination qui va logiquement traduire la ligne politique adopté par le

22
Article 81 de la Constitution malgache de la quatrième Republique.

14
Président élu et ses partisans.

Cette compétence du Président, ainsi que la compétence pour nommer le Premier ministre et
les membres du gouvernement est souvent au cœur de la discussion politique dans le système
malgache23, on y voit souvent une manifestation d’un abus de la part d’un seul homme
pourtant, ce sont des compétences qui ont été attribuées au Président dans toutes les
Constitutions malgache depuis la première République

Il ne s’agit pas pour nous de défendre qui que ce soit, ni une vision politique, mais seulement
de faire le constat que, au vue de la Constitution, il est logique que les membres du
gouvernement, qui partage les fonctions d’Exécutif avec le Président de la République, ainsi
que les membres nommés du Sénat soient choisis dans l’entourage politique du chef de
l’exécutif, ou parmi ses alliés qui partagent les même visions politiques que lui.

On voit mal, en effet, comment il pourrait réaliser les programmes politiques pour lesquels il a
été élu au sein d’un exécutif aux voix discordantes, dont les membres seraient guidés par des
membres radicalement opposées. Quant au fait de « se prémunir » du contrôle parlementaire,
cela nous semble également logique et fait partie du jeu politique.

Mais dire que ces compétences qui sont celui du Président sont logiques ne signifie pas qu’il
n’y a pas quelque chose qui pêche. Car dans notre régime politique, on constate l’énorme
puissance du chef de l’État et l’ambiguïté de fond du système qui emprunte des éléments
typiques du régime parlementaire et du régime présidentiel. Sans oublier que, dans la réalité,
il n’y a pas de garanties suffisamment fortes pour assurer effectivement un minimum de
séparation, équilibre et contrôle réciproque entre les pouvoirs.

Il n’est donc pas étonnant d’assister assez régulièrement à des empiètements des institutions
dans l’exercice de leurs rôles respectifs. Il n’est pas étonnant non plus si de plus en plus de
voix s’élèvent venants des différents acteurs de la vie sociale malgache, soulevant les

23
Il suffit encore de voir la dernière polémique en date qui a entouré la nomination du nouveau Premier ministre
Mr RAVELONARIVO Jean et la contestation devant la HCC par une partie des membres de l’Assemblée
Nationale.

15
dangereuses dérives autoritaires.

Nous sommes en train d’assister ici à une confusion dans les pouvoirs de l’Etat qui les
dégrade et les paralyse24. Preuve en est les « crises institutionnelles » avérées ou supposées à
répétition qui rend délétère l’atmosphère politique à Madagascar et qui joue un rôle non
négligeable dans la récurrence des crises politiques.

B. La dissolution de l’Assemblée nationale selon l’article 60

La dissolution de l’Assemblée nationale est une des attributions du chef de l’Etat, et elle
résulte de ce que l’on appelle, le « pouvoir d’arbitrage du Président de la République »25.
C’est un pouvoir qui lui permet d’intervenir dans le fonctionnement des autres pouvoirs. Qui
se matérialise notamment dans la nomination des ministres, par exemple. C’est un pouvoir qui
est reconnu dans tout régime parlementaire, ou même seulement semi-présidentiel comme le
cas de Madagascar.

C’est un pouvoir reconnu mais sujet à beaucoup de discussion dans la mesure où le Président
est, dans les faits, acteur et non spectateur, engagé et non arbitre. C'est un régulateur du
système politique qu'il oriente dans la direction voulue en fonction des circonstances du
moment aux fins d'assurer « par son arbitrage le fonctionnement régulier des pouvoirs publics
ainsi que la continuité de l'État »26.

Ce rôle d’arbitre est donc également reconnu dans le droit malgache, c’est la Constitution en
son article 45, alinéa 3 qui pose le principe, où il est dit qu’il est investi du pouvoir d’arbitrage
qui fait de lui le garant « du fonctionnement régulier et continu des pouvoirs publics, de
l'indépendancenationale et de l'intégrité territoriale. Il veille à la sauvegarde et au respect de la
souveraineté nationale tant à l'intérieurqu'à l'extérieur ».

24
Voir notamment à ce sujet Année politique, 1946 et in J.-L. Quermonne, D. Chagnollaud, « Le Gouvernement
de la France sous la Ve République », Paris, Dalloz, 1991, pp. 649 s. également L. Blum, L’Œuvre de Léon
Blum, 1945-1947, Paris, A. Michel, 1958, p. 218 ; O. Duhamel, « Les logiques cachées de la Constitution de la
Cinquième République », Revue française de science politique, 1984, pp. 615 s., en particulier p. 623.
25
Voir http://www.assemblee-nationale.mg/?page_id=40 , consulté le 14 février 2015.
26
Art. 5, constitution Française.

16
La même Constitution prévoit que le Chef de l’Etat a le pouvoir de procéder à la dissolution
de l’Assemblée Nationale. Et cela sans avoir besoin de suivre une procédure particulière,
puisque la loi fondamentale prévoit seulement l’information du Premier Ministre et la
consultation des présidents des Assemblées. La dissolution de l’Assemblée nationale est la
manifestation par excellence du pouvoir d’arbitrage du Chef d’Etat.

Par ce pouvoir, le Président est censé pouvoir trancher un conflit entre le Parlement et le
gouvernement en organisant des élections législatives anticipées. Il s’agit ici d’un pouvoir
discrétionnaire, un « pouvoir propre », qui ne requiert, pour s'exercer, qu'une simple
consultation préalable du Premier ministre et des présidents des Assemblées, et qui peut être
mis en œuvre à tout moment (sauf pendant l'intérim présidentiel).

On note ici l’absence de contreseing par le Premier ministre qui s’explique par l’histoire
même de la technique de la dissolution présidentielle qui trouve, bien évidemment, son
origine dans le droit français.

Cette absence de contreseing prévu pour l’engagement de la procédure fait partie des
compétences éminemment politiques parmi les actes du Chef de l’État pour lesquels il n’a pas
besoin de solliciter la signature du Premier ministre27. Cette absence du contreseing ne
correspond pas au souci de rendre le Président plus vulnérable mais, au contraire, de lui
donner davantage d’indépendance en constatant, quelle que soit la docilité du Chef du
gouvernement qu’il a nommé, qu’il ne dépend de personne pour certaines décisions
importantes.

Bien que perçu avec inquiétude par les différents acteurs de la vie politique, cette compétence
du Chef d’Etat s’explique par le fait que la dissolution signée par le seul Chef de l’État
comme une technique destinée à empêcher que la dissolution n’apparaisse comme une arme
du gouvernement contre le Parlement28. On est au cœur du problème et les ambiguïtés d’une
dissolution présidentielle apparaissent.

Et pour la doctrine, la dissolution qui devrait être prioritairement utilisée pour permettre aux
électeurs de trancher une question importante opposant exécutif et législatif, devenue
prérogative du Chef de l’Etat « ne peut remplir cette fonction. Elle dépend du seul Chef de

27
Comme pour la nomination du Premier ministre, organisation d’un référendum
28
Voir à ce sujet François Bastien, Le régime politique de la VeRépublique, Paris, La Découverte , «Repères»,
2008, 128 pages.

17
l’État qui peut l’esquiver s’il craint son issue électorale et, même s’il en use, il le fait sans
risque pour son propre mandat. Cumulée avec la possibilité de recourir au référendum
législatif ou constituant, elle met aux mains du Président un arsenal écrasant qui va au-delà du
but recherché en assurant non le concert entre les deux pouvoirs, mais la maîtrise de l’un sur
l’autre »29.

C’est malheureusement une crainte qui s’est réalisée à maintes reprises en ce qui concerne
Madagascar, et pour appuyer ces dires, nous allons procéder à une petite comparaison du
système malgache et du système français qui nous a servit de modèle lors de l’édification de
l’Etat au lendemain de l’indépendance jusqu’à maintenant.

Dans le droit français, le droit de dissolution du Chef de l’Etat a été mis en œuvre pour la
première fois en 1962 suivant un scénario « classique » : le gouvernement est renversé par
l'Assemblée Nationale qui, à son tour, est dissoute, les législatives servants à trancher le
conflit. La seule originalité de cette configuration est que le conflit concerne en fait une
initiative présidentielle : la décision d'organiser un référendum pour modifier la Constitution.

La deuxième dissolution obéit également à un scénario que l'on retrouve dans d'autres
démocraties parlementaires. À défaut de réaliser un « arbitrage », il s'agit, en 1968, de trouver
un dérivatif, par une procédure solennelle et symbolique, à une crise politique et sociale que
les forces politiques, dans leur ensemble, ne maîtrisent plus.

Dans le droit malgache, on note malheureusement une mise en œuvre presque systématique
de ce droit de dissolution à chaque changement de « régime ».

Ainsi, en 1972, à l’issue de la révolte estudiantine et de la chute du régime du Président


Philibert Tsiranana, on assiste à la dissolution de l’Assemblée Nationale par voie de
référendum à l’initiative de celui qui était devenu le chef de l’exécutif, le Général Gabriel
Ramanantsoa qui était alors resté au pouvoir de 1972 à 1975.

Ensuite il y a eu nouvelle crise avec l’assassinat du Colonel Ratsimandrava, qui va porter le


Capitaine de frégate Didier Ratsiraka à la tête de l’Etat. Ce dernier va initier un autre
référendum qui va aussi aboutir à la dissolution de cette nouvelle structure et ériger une
nouvelle Assemblée organe d’Etat, délégataire suprême du pourvoir législatif du régime en
place et qui est sensé être le haut lieu de concertation permanente pour exprimer les
29
« Vers le régime présidentiel ? », Revue française de science politique, 14 (1), février 1964, p. 31.

18
aspirations légitimes de la Nation malgache.

Les cas de dissolution les plus récents sont intervenus le premier en 2006 et le dernier à
l’issue de la dernière crise politique qui a mené Andry Rajoelina à la tête de l’Etat en 2009.
Dans le premier cas de dissolution, la Chambre basse fut dissoute le 26 juillet 2006 selon le
décret n° 2007-717 du 24 juillet 2007 de la Présidence de la République de Madagascar. Donc
à l’initiative du Chef de l’Etat. Dans le deuxième cas de dissolution, c’est le nouveau Chef de
l’Etat porté par l’insurrection populaire qui va suspendre d’abord puis dissoudre l’Assemblée
Nationale pour mettre en place selon l’Ordonnance n° 2010-010 un nouveau Parlement, le
Congrès de la Transition30.

De cet historique, nous pouvons tirer la conclusion selon laquelle le Président de la


République est devenu une sorte de chef d'une majorité politique dont il dépend tout autant
qu'il cherche à la faire dépendre de lui. On le voit, l'arbitrage présidentiel par la dissolution
n'est pas autre chose, et ne peut sans doute pas être autre chose, qu'un arbitrage partisan dans
un système où les rapports de force au sein d'un exécutif bicéphale dépendent des rapports de
force au sein du Parlement.

Paragraphe 2. Responsabilité politique

En matière de responsabilité dans le régime semi-présidentiel, il faut savoir qu’il se décline de


deux manières, cela étant dû au bicéphalisme de l’exécutif avec un Chef de l’Etat et un
Premier Ministre. Mais ce clivage, nous le verrons, n’enlève rien à l’ascendance de l’exécutif
sur le législatif. Ascendance qui se confirme d’ailleurs avec le fait majoritaire.

Cette partie doit être abordée avec l’idée que l’exécutif malgache, à l’instar de l’exécutif
français, est bicéphale et que la responsabilité du Président de la République et du
gouvernement ne se présente pas de la même manière.

30
Sur toutes ces informations voir sources http://www.assemblee-nationale.mg/?page_id=40 , consulté le 16
février 2015.
http://www.madagascarica.com/Politiquede1990_a_nosjours.html , consulté le 16 février 2015.

19
A. Le gouvernement responsable devant l’Assemblée Nationale

C’est l’article 63, alinéa 2 de la Constitution qui pose le principe que le Gouvernement est
responsable devant l'Assemblée Nationale. Cette responsabilité est mise en œuvre soit par le biais de la
question de confiance (art. 100 de la Constitution), soit par le biais d’une motion de censure.

Ainsi selon les dispositions de l’article 103 de la loi fondamentale, « L'Assemblée Nationale
peut mettre en cause la responsabilité du Gouvernement par le vote d'une motion de
censure », et « Si la motion est adoptée, le Gouvernement remet sa démission au Président de
la République ; il sera procédé à la nomination d'un Premier Ministre… ».

Il y a donc, du moins en théorie, un contrôle effectif des actions du gouvernement par


l’Assemblée Nationale. Contrôle qui se matérialise dans la possibilité de contester les
objectifs et l’action de l’exécutif.

Cependant, dans la pratique, le contrôle lié à la mise en jeu de la responsabilité


gouvernementale ne peut pas toujours être effectif, en tout cas, pas jusqu’à entraîner la
dissolution du Parlement devant l’Assemblée Nationale en vertu de l’article 103, et pas à
Madagascar.

Car au vue de la constitution du Parlement aujourd’hui, il apparaît que l’exécutif et le


Parlement ont cessé d’être des centres autonomes de pouvoir. Il n’y a pas l’antagonisme qui
caractérise le paysage politique de pays comme la France, car les deux pouvoirs sont liés par
leur unité d’appartenance au(x) parti(s) porté(s) au pouvoir.

«Bien qu’elle soit encore souvent considérée comme l’issue normale, en raison de la
définition même du régime parlementaire, la chute devant le Parlement apparaît
statistiquement comme une situation rare»31.

Voilà donc en ce qui concerne la responsabilité du gouvernement devant l’Assemblée


nationale, mais pour le Président de la République, il en va autrement.

31
Jean-Claude Colliard, « Les Régimes parlementaires contemporains », PFNSP, 1978.

20
B. Irresponsabilité du Président de la République ?

Notre première remarque, c’est qu’il n’est mentionné nulle part dans la Constitution que le
Chef de l’Etat est responsable devant l’Assemblée Nationale. Dans notre système politique, le
Président de la République est investi de pouvoirs autonomes très importants.

Mais comment se manifeste cette irresponsabilité de l’Etat et qu’est-ce qui la justifie ?

En réalité, dans sa logique de fonctionnement, la Constitution actuelle place le président de


la République dans un nécessaire rapport de confiance devant le suffrage universel.
Cette responsabilité politique du chef de l'État procède alors du fait «que le Président ait la
confiance de la majorité du peuple. Sans cette confiance, il ne peut rien et doit se retirer »32.

Notons que l’irresponsabilité du Chef de l’Etat n’a pas toujours été telle que nous la
connaissons ici à Madagascar. Dans ses débuts, le principe s’accompagnait de certaines
implications, notamment celle selon laquelle celui qui exerce le pouvoir doit assumer la
décision qu'il prend devant le corps électoral33.

Ainsi, sa pratique du pouvoir présidentiel consiste à engager, lorsqu'il le décide, son


sort politique aux résultats des élections législatives et à l'issue des référendums. Cependant,
une mutation progressive du paysage politique a entraîné le fait que les Présidents de
la République n'engagent plus leur responsabilité politique. Le décalage entre « se dire
responsable » et « être responsable » traduit le nouvel état d'esprit des successeurs : «
Le président se dit responsable pour assumer la réalité du pouvoir, mais c'est le Premier
ministre qui l'assume pour lui »34.

32
Voir notamment à ce sujet R. Capitant, Écrits politiques, Un président responsable, op. cit., p. 54. V.
également M. Clapié, Propos décalé sur la Ve République. Une apologie nimbée de nostalgie, Mélanges J.-P.
Colson, PUG, 2004, p. 101.
33
Mais bien entendu, l'engagement de la responsabilité politique suppose que le Président de
la République utilise fréquemment les compétences propres afin de vérifier la pérennité de la confiance
populaire.
34
Voir à ce sujet M.-C. Ponthoreau, « Pour une réforme de la responsabilité politique du Président », in La
responsabilité politique des gouvernants», (sous la dir.) O. Beaud et J.-M. Blanquer, Descartes et Cie, 1999, p.
303.

21
L’irresponsabilité du Président se concrétise également par le biais du système de contreseing,
en effet, le contreseing signifie que le Président de la République édicte des actes qui, pour
être juridiquement parfaits, doivent être signés par le Premier ministre (et, le cas échéant, les
ministres). La responsabilité liée aux conséquences de ces actes contresignés est ainsi
transférée du Président vers le Premier ministre (et éventuellement les ministres). La règle du
contreseing reste un moyen pour le Chef de l'État d'échapper à toute responsabilité politique.

L'irresponsabilité politique crée un malaise au plus haut sommet de l'État. Affranchi des
contraintes liées à la responsabilité politique durant l'exercice de son mandat, le Président de
la République peut utiliser ses prérogatives discrétionnaires à des fins tactiques, partisanes et
dilatoires sans subir de sanction. Ce sont des critiques que nous entendons malheureusement
assez souvent aujourd’hui. Et c’est assez néfastes car ces usages négatifs des compétences
présidentielles, proche du droit de veto, ont un seul but : « conserver quelques pouvoirs »35.

Cette irresponsabilité du Chef de l’Etat est une particularité qui peut être assez effrayante eu
égard au fait que nous somme dans un pays démocratique où le Chef de l'État est à la fois si
puissant et, dans le même temps, politiquement irresponsable. Nous faisons partie de ces rares
pays où le chef (réel) de l'exécutif peut prononcer la dissolution d'une assemblée législative
sans mettre en jeu, par là même, son propre mandat. Nous somme dans une République, pour
le dire plus crûment, où le bon plaisir du Président soit considéré comme un principe normal
d'exercice du pouvoir, voire une marque d'excellence.

35
M.-A. Cohendet, « Droit constitutionnel », 2eéd., Montchrestien, 2002, p. 23.

22
Section II : une prééminence dans l’élaboration législative

Les pouvoirs de l’exécutif lui permettent également d’avoir une influence directe sur le
processus de l’élaboration de la loi. Une prééminence qui est facilitée par une défaillance au
niveau de l’organe législatif, mais aussi par les réalités politiques. Une défaillance qui
favorise la substitution de l’exécutif au législateur.

Paragraphe 1 : Dans l’initiative de la loi

Dans la majorité des pays démocratiques, l’initiative de la loi revient à la fois au législateur et
à l’exécutif, avec une nette prééminence de celles venant de l’Assemblée Nationale qui est
censée concrétiser la volonté de la Nation. Mais à Madagascar, il en va autrement.

A. Une prééminence dans l’initiative du fait de la défaillance de l’organe


législatif

Le principal rôle de l’exécutif est de déterminer et conduire la politique de la Nation, ce qui


signifie qu’il constitue un rouage essentiel au sein des pouvoirs publics, en tout cas c’est le
résultat de la lecture que nous faisons du climat politique actuel. Ce n’est pas le Parlement qui
détermine la politique nationale, mais le gouvernement politiquement responsable (en théorie)
devant lui.

Cela signifie clairement que le Parlement a perdu sa faculté d’initiative au profit d’un
gouvernement seul à même, par la capacité d’expertise dont il est porteur, de fixer les grandes
lignes d’une politique que le Parlement se contentera d’approuver. On assiste alors à une
maximisation des pouvoirs et compétences du gouvernement qu’on essaye de conjuguer
efficacement avec l’indispensable légitimité qui doit porter cette action : le gouvernement

23
détermine, mais avec l’accord du Parlement représentant la Nation36.

Dans la pratique, ce mécanisme se traduit automatiquement par une restriction aux pouvoirs
du Parlement, pouvoir de contrôle, mais surtout à la capacité de proposition législative. Ce fait
se trouve encore accentué par le fait que l’organe législatif malgache souffre d’une défaillance
très handicapante qui se traduit par un nombre de proposition de loi minime en comparaison
avec le nombre de projets de lois élaborés par le gouvernement.

Techniquement, la prééminence de l’exécutif va se traduire par l’élaboration des projets de


lois dont il est alors parfaitement logique d’exiger qu’ils puissent être inscrits prioritairement
à l’ordre du jour, et surtout discutés et adoptés sans être fondamentalement modifiés, au
risque de mettre en péril la politique voulue par le gouvernement avec l’accord de sa majorité.

Mais cette prééminence ne viole cependant pas la Constitution dans la mesure où il y est
clairement prévu que « L'initiative des lois appartient concurremment au Premier Ministre,
aux Députés et aux Sénateurs », (art. 86). Elle pose un principe d’égalité entre le droit
d’initiative gouvernemental et parlementaire. Mais dans les faits, presque la totalité des lois
votées découlent d’un projet déposé par le gouvernement.

B. Une prééminence facilitée par le fait majoritaire

Deux points méritent notre attention ici, d’abord la définition du fait majoritaire et les
conséquences sur la séparation des pouvoirs.

1. Essai de définition du fait majoritaire

Le plus souvent, le fait majoritaire est considéré comme une force de contrainte unilatérale
qui s'exerce sur la majorité parlementaire dont elle postule l'unité avec le gouvernement. Vu
sous cet angle, il apparaît que le fait majoritaire est un élément qui peut saper les fondements
du régime parlementaire en ruinant le principe de la responsabilité gouvernementale.

Cependant, aussi courante soit-elle devenue, l'expression « fait majoritaire »37 ne se laisse pas

36
Voir à ce sujet : M.-A. Cohendet, « Droit constitutionnel », 2eéd., Montchrestien, op. cit.

24
facilement définir38. Si elle a obéi à la conjonction de conditions objectives et favorables,
l'apparition elle-même du phénomène comporte une part d'énigme pour le juriste.

Dans la mesure où il est un fait, le fait majoritaire ne peut être assimilée à une règle, ni même
à une loi naturelle de la vie politique. Par l'expression « fait majoritaire », on désigne
communément une série de phénomènes ordonnés autour de la majorité parlementaire. Dans
notre système, il apparaît que la majorité reste une donnée précaire de la vie politique
malgache dont la persistance résulte de la mutation des comportements politiques. Phénomène
éminemment contingent, tributaire du jeu politique, le fait majoritaire résiste dans ces
conditions à toute tentative de systématisation.

On peut cependant affirmer que le fait majoritaire est réalisé par l'union du gouvernement et
de la majorité dans l'exercice du pouvoir, par leur solidarité réciproque. En somme,
le fait majoritaire décrit cette relation symbiotique qui unit le gouvernement à sa majorité
parlementaire, cette « soudure »39 entre deux pouvoirs théoriquement séparés et dont la fusion
va donner naissance au pouvoir majoritaire.

37
Notion reprise du droit constitutionnel français, elle est apparue pour la première fois en 1962 au 1962 au
moment où le Président de la République est éligible au suffrage universel direct.
38
Cependant, dans le droit français on note quand même des essais assez significatifs : la dernière édition du
Dictionnaire du droit constitutionnel de Michel de Villiers et Armel Le Divellec qui comporte désormais une
entrée à «fait majoritaire» (Sirey, 2007, p. 145), les lexiques de droit constitutionnel préfèrent renvoyer à la
notion plus familière de majorité parlementaire (v. par exemple, P. Avril et J. Gicquel, Lexique de droit
constitutionnel, PUF, 2003, p. 53). Très significative aussi de la difficulté à appréhender le phénomène est
l'abondance d'articles faisant référence, dans leur intitulé même, au fait (ou au système) majoritaire sans que
leurs auteurs ne s'estiment tenus d'en donner une définition, préférant user de formules du type «l'apparition en
1962 de ce que l'on a appelé le fait majoritaire». Tout se passe en somme comme si, le fait majoritaire renvoyant
à une situation désormais reconnue, il était devenu inutile de le définir.
39
J. Gicquel, Essai sur la pratique de la Ve République. Réflexions sur la seconde décennie du régime, LGDJ,
1977, p. 328.

25
2. Le fait majoritaire et l’atteinte à la séparation des pouvoirs

Le phénomène majoritaire repose, on l'a dit, sur une solidarité entre le gouvernement et sa
majorité dont les destins politiques sont fondamentalement liés. Dans un tel système, sauf
dérèglement exceptionnel du fait majoritaire, il ne peut y avoir par définition de crise
institutionnelle. Mais dans le même temps, le principe de responsabilité politique n'a, à
l'évidence, plus aucune pertinence dans un système dont la validité même dépend de cette «
union sacrée » entre le gouvernement et sa majorité.

Il faut alors en tirer les conclusions, notamment en admettant que le rôle essentiel du
Parlement semble aujourd’hui être, non plus de légiférer, mais de porter une appréciation
éclairée sur les conditions mêmes de mise en œuvre des politiques déterminées par le
gouvernement.

Le fait majoritaire fait également apparaître un nouveau problème, la dictature de la majorité.


Parfaitement illustrée par la célèbre admonestation « Vous avez juridiquement tort, parce que
vous êtes politiquement minoritaire ! »40. Une situation qui nous fait poser la question
suivante, à quoi bon confier au Parlement des pouvoirs, des compétences et des moyens
d’action, sachant que, de toute façon, la majorité parlementaire renoncera à les utiliser dès lors
qu’ils sont susceptibles de remettre en cause tout à la fois la cohérence de la majorité
parlementaire et, plus encore, le soutien indéfectible accordé au gouvernement ?

Désormais, du fait de ce fait majoritaire, nous n’avons plus deux institutions opposées censées
incarner chacune une logique propre, faites de projets, d’ambitions et de politiques. En effet,
la majorité parlementaire soutient le gouvernement et cette mission est devenue quasiment
exclusive de toute autre ; dès lors, pourquoi mettrait-elle en œuvre des prérogatives
constitutionnelles qui seraient susceptibles de bouleverser cette architecture ? Pourquoi
exercer ses prérogatives au risque de porter atteinte à la pérennité de l’action gouvernementale
et au sacro-saint principe de discipline majoritaire.

Ce qui est paradoxale dans cette situation c’est que dans la pratique de la vie politique, le
soutien de la majorité législative est la condition de la prééminence présidentielle. Sans elle,
le Président de la République ne saurait prétendre être un acteur engagé de la vie politique

40
Célèbre admonestation lancée par un député français après les élections législatives de 1981.

26
même si, pour autant, il n'est pas condamné au mutisme et à l'inaction.

Quoi qu’il en soit, dans le cas de Madagascar, au vue de la situation, du nombre très faible des
proposition de loi qui arrivent en discussion devant le parlement et la fantaisie de celles qui y
parviennent, il ne nous semble pas erroné de dire que ce fait majoritaire favorise la
déresponsabilisation des élus qui abandonnent leurs prérogatives au profit de l’exécutif qu’ils
soutiennent contre vents et marrées, et dont les rares initiatives prêtent, presque toujours, à
discussion.

Paragraphe 2 : la substitution à l’organe législatif

La prééminence de l’exécutif sur le législatif peut également se manifester par la substitution


à l’organe législatif. Une substitution qui consiste alors à légiférer à la place de l’organe
législatif, dans les domaines qui lui sont normalement réservés, dans les domaines de la loi
donc, mais aussi à opérer un contrôle sur ledit organe législatif.

A. Une substitution qui peut être très forte : la procédure législative


d’urgence

Nous vivons aujourd’hui dans ce que l’on pourrait qualifier de « parlementarisme


rationnalisé » où l’on s’est assuré que de gouvernement dispose de « moyens de diriger
effectivement le travail législatif [car] gouverner, c'est légiférer, l'action politique se
traduisant toujours par l'édiction de normes »41.

C’est une formule qui permet d’éviter les blocages parlementaires, dans la mesure où l’on
offre au gouvernement le moyen d'intervenir tout au long du processus législatif. Fixation de
l'ordre du jour, vote bloqué, mise en jeu de la responsabilité gouvernementale ou déclaration
d'urgence en sont autant d'exemples.

41
P. Avril, « Le parlementarisme rationalisé », Revue 1998, p.1509.

27
1. Qu’est-ce qu’une procédure législative d’urgence ?

Par procédure législative d'urgence, on se réfère à la procédure régie par le troisième alinéa de
l'article 96 de la Constitution42. Il faut cependant faire attention à ne pas la confondre avec des
circonstances exceptionnelles de l'article 61 de la Constitution. Enfin, cette étude ne porte pas
sur les procédures d'urgence de droit, qui régissent le vote des lois de finances, celle-ci
présente une différence de nature plus que de degré avec la procédure législative d'urgence
ordinaire.

Mais qu’entend-on par urgence alors ? L'urgence est « la qualité de ce qui est urgent », c'est-à-
dire « qui ne souffre point de retardement », qui est « pressant »43. L'urgence suppose une
nécessité qui commande l'action rapide. Elle ressort ainsi d'une conception finaliste du droit;
la validité des actions entreprises pour répondre à une situation urgente se mesure en effet à
l'aune du bien commun. En outre, l'urgence est une notion qui contient une part de
subjectivité, car la capacité de l'évidente nécessité « à être partagée ne peut se penser que in
situ et dépend largement des intérêts (variables) que l'on entend défendre absolument »44.

Dès lors, de manière générale, l'urgence est conçue en droit public comme justifiant, sous
contrôle de son existence par le juge, une légalité d'exception45.

La conception de l'urgence dans l'article 96 de la Constitution semble quelque peu différente.


Tout d'abord, la règle de droit n'est ici pas mise en échec par l'urgence ; elle l'encadre. En
outre, la notion d'urgence est politique plus que strictement juridique: il appartient au
42
« Lorsque par suite d'un désaccord entre les deux Assemblées, un projet ou une proposition de loi n'a pu être
adoptée après deux lectures par chaque Assemblée ou si le Gouvernement a déclaré l'urgence, après une seule
lecture par chacune d'elle, le Premier Ministre a la faculté de provoquer la réunion d'une commission mixte
paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion. Le texte élaboré par la
commission mixte peut être soumis par le Gouvernement pour approbation aux deux Assemblées. Aucun
amendement n'est recevable sauf accord du Gouvernement ».
43
Voir la définition dans Le Petit Larousse 2014.
44
F. SAINT-BONNET, « Exception, nécessité, urgence » in D. ALLAND, S. RIALS (dir.), Dictionnaire de la
culture juridique, PUF, 2003, pp. 677-678.
45
En cas d'urgence, l'Administration peut par exemple assurer l'exécution d'office des décisions administratives
qu'elle prend, puisque, selon la formule du commissaire du gouvernement Romieu, « quand la maison brûle, on
ne va pas demander au juge l'autorisation d'y envoyer les pompiers » (concl. sur T. confl., 2 décembre 1902,
Société immobilière Saint-Just, Rec. p. 702).

28
gouvernement de la déclarer lorsqu'il le juge nécessaire46.

2. Comment la procédure d’urgence nuit au principe de la séparation


des pouvoirs ?

Assez curieusement, la procédure législative d'urgence ne fait l'objet que de peu d'attention.
L'inscription de celle-ci dans la Constitution n'a ainsi pas suscité de controverse. De plus,cette
procédure est peu étudiée : les recherches sur ce sujet sont rares et datées47 et les manuels lui
réservent une place minime au regard de celle occupée par les autres moyens de
rationalisation du parlementarisme48, et ne parlons pas de la doctrine malgache qui souffre
déjà d’une insuffisance chronique dans tous les domaines du droit.

Ce silence est d’autant plus surprenant que la procédure d’urgence constitue une atteinte aux
droits du Parlement et à la bonne élaboration de la loi. La procédure législative d'urgence
emporte des effets néfastes à une bonne confection de la loi. Certes, ceux-ci sont la
contrepartie nécessaire de la rapidité de l'action, elle-même exigée par des situations de fait.
Néanmoins, cette procédure limite les prérogatives du Parlement et contraint le travail de tous
les acteurs impliqués dans la confection de la loi, à l'exception bien entendu du gouvernement.

De plus, non seulement l’œuvre législatif de l’exécutif forme une entorse de fait par le biais
du principe de la hiérarchie des normes, mais en plus le texte de l’article 104 de la
46
Voir notamment sur le sujet E. PIERRE, « Traité de droit politique électoral et parlementaire », Éd. Loysel,
1989, no 877-878.
47
Voir notamment M. PIERRE, L'article 45 de la Constitution du 4 octobre 1958 : rationalisation de la navette
parlementaire et équilibre des pouvoirs constitutionnels, LGDJ, 1981 ; P.-L. FRIER, L'urgence, LGDJ, 1987, sp.
p. 410 et s.
48
À titre d'exemple, certains manuels ne font que mentionner l'existence de cette procédure (P. PACTET, F.
MÉLIN-SOUCRAMANIEN, Droit constitutionnel, Sirey, 26e éd., 2007, p. 457 ; P. ARDANT, P. AVRIL,
Institutions politiques et droit constitutionnel, LGDJ, 19e éd., 2007, p. 579), d'autres y consacrent de quelques
lignes à quelques paragraphes (P. AVRIL, J. GICQUEL, Droit parlementaire, Montchrestien, 3e éd., 2004, no
295 ; F. HAMON, M. TROPER, Droit constitutionnel, LGDJ, 30e éd., 2007, p. 791 ; J. GICQUEL, J.-E.
GICQUEL, Droit constitutionnel et institutions politiques, Montchrestien, 21e éd., 2007, pp. 718-719 ; D.
TURPIN, Droit constitutionnel, PUF, 2e éd., 2007, pp. 724-725 ; T. RENOUX, M. DE VILLIERS (dir.), Code
constitutionnel, Litec, 2004, no 926).

29
Constitution semble donner au Président les plus grandes latitudes pour exercer ce pouvoir.

En effet, cet article dispose que « le Parlement, par un vote à la majorité absolue des membres
composant chaque Assemblée, peutdéléguer son pouvoir de légiférer au Président de la
République pendant un temps limité et pour un objet déterminé.

La délégation de pouvoir autorise le Président de la République à prendre, par ordonnance en


Conseil des Ministres,des mesures de portée générale sur des matières relevant du domaine de
la loi »49.

Nous avons déjà vu que le fait qu’un vote à majorité absolue pour permettre au Président de
légiférer par voie d’ordonnance n’a pas réellement la portée de contrôle que l’on voudrait lui
octroyer du fait du « fait majoritaire » (voir supra). Ce texte offre ainsi de très grands pouvoirs
au profit du Chef de l’Etat et au détriment de l’organe législatif. Pouvoir encore plus renforcé
par le fait que le Président peut alors exercer ses compétences dans « les matières relevant du
domaine de la loi ».

Nous savons que normalement, dans un régime parlementaire et semi-parlementaire (ou semi-
présidentiel), il y a deux domaines normatifs bien distincts :
l’unappartenantauParlement,ledomainedelaloi, l’autreaugouvernement,ledomaine
réglementaire.

Ce schéma a cependant connu des inflexions très importantes avec l'apparition des «
ordonnances » qui constituent une extension exceptionnelle du pouvoir réglementaire sur
habilitation du Parlement et permettaient de contourner le monopole normatif de ce dernier.

Désormais, le pouvoir réglementaire n'est plus seulement un pouvoir subordonné à la loi


(décrets d'application) ou temporaire (décrets-lois) ; c'est également un pouvoir autonome, qui
n'a pas besoin d'une autorisation des parlementaires pour être mis en œuvre. Le gouvernement
y gagne en autonomie, en sécurité mais aussi en liberté, car, si les règlements peuvent être
contestés devant un juge, l'exécutif échappe au contrôle politique du Parlement en empruntant
la voie réglementaire. Cette nouvelle autonomie accordée au gouvernement est d'autant plus
importante qu'il peut, constitutionnellement cette fois, recourir à la législation déléguée, telle
que prévue à l’article 104.

49
Article 104 de la Constitution Malgache.

30
À travers cette architecture normative, c'est un nouveau modèle de légitimité qui s'affirme.
Désormais l'autonomie et l'efficacité de l'exécutif priment sur le débat et la délibération des
représentants élus ; sa capacité propre à déterminer l'intérêt général l'emporte face aux
parlementaires, ou du moins fait jeu égal dans la définition du bien commun et l'orientation de
la vie de la cité.

B. Une substitution qui peut aussi se traduire par le contrôle de l’organe


législatif 50

Nous allons étudier ici ce que l’on pourrait qualifier de maîtrise gouvernementale de la
procédure législative. Dans le champ restreint de sa compétence normative, le Parlement vote
la loi dont il partage l'initiative avec le Premier ministre, mais il occupe désormais une
position subordonnée dans le processus législatif. Cette subordination se marque d'abord dans
le fait qu'il perd la maîtrise de son calendrier.

Dans le but de libérer le gouvernement d'une surveillance permanente du Parlement, la


Constitution restreint le nombre de ses séances en instaurant deux sessions ordinaires par an
d'une durée limitée. Si la possibilité de sessions extraordinaires subsiste, à la demande du
Premier ministre ou de la majorité des députés, elles ne peuvent s'ouvrir que sur un ordre du
jour précis et leur durée est limitée. En tout état de cause, la décision d'ouvrir une session
extraordinaire relève du bon vouloir du Président de la République.

La subordination des parlementaires se marque ensuite au moment de la fixation de l'ordre du


jour de leurs travaux. Celui-ci comporte par priorité et dans l'ordre que le gouvernement avait
fixé, la discussion des projets de loi déposés par le gouvernement et des propositions de loi
acceptées par lui.

Le gouvernement ne dispose que d'une priorité, mais dans la pratique, même s'il était amené à
négocier avec les parlementaires de sa majorité le contenu de l'ordre du jour, l'agenda
parlementaire était largement dominé par les projets gouvernementaux.

De plus cette logique de domination gouvernementale sur l'ordre du jour permet de surcroît au

50
Sur toutes ces questions, lire le chapitre II de la constitution « du Gouvernement ».

31
gouvernement d’inscrire prioritairement à l'ordre du jour une série non négligeable de textes.
Cela vaut en particulier pour les textes financiers, qui sont particulièrement chronophages.
Comme chaque chambre est par ailleurs tenue d'inscrire à son ordre du jour les projets ou
propositions de loi adoptées par l'autre chambre (à défaut, le gouvernement peut les inscrire
d'office au bout de six semaines), la prééminence gouvernementale risque d'avoir encore de
beaux jours devant elle...

Chapitre II : L’inexistence d’un pouvoir judiciaire

La question de l’existence ou non d’un pouvoir judiciaire n’est pas nouvelle, loin s’en faut, et
pas seulement dans le droit malgache d’ailleurs. Ainsi dans le droit français, une discussion
sur son existence est traditionnellement alimentée par l’usage de l’expression « autorité
judiciaire » dans la Constitution de la Ve République. Expression que l’on retrouve dans notre
Constitution également.

Section I : Le refus de reconnaitre le pouvoir judiciaire

Le terme de pouvoir judiciaire est très couramment utilisé dans le vocabulaire juridique, et
pourtant il ne revêt pas la signification que l’on pourrait penser. En effet, dans la doctrine,
l’on se montre assez dubitatif à l’évocation d’un tel pouvoir qui serait à considérer à la même
enseigne que le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. D’ailleurs, dans les textes
fondamentaux, on ne parle pas du tout de pouvoir judiciaire, on parle du « juridictionnel » ou
de la « justice », on ne parle même pas d’ « autorité judiciaire » comme c’est le cas dans la
Constitution française51.

Et pourtant c’est la Constitution qui devrait parler de l’existence et du caractère indispensable


de la reconnaissance du pouvoir judiciaire pour équilibrer l’exercice des pouvoir et éviter les
abus de l’exécutif, surtout dans un régime où le même exécutif dispose d’une ascendance

51
Titre VIII, particulièrement l’article 64 : « Le Président de la République est garant de l'indépendance de
l'autorité judiciaire ».

32
assez inquiétante sur le principal organe de contrôle : l’organe législatif (paragraphe 1).
Malheureusement force est de constater que la très grande méfiance envers la magistrature
empêche cette reconnaissance (Paragraphe 2).

Paragraphe 1. Le texte constitutionnel

Le texte constitutionnel est sensé être le premier garant de la reconnaissance et


l’indépendance du pouvoir judiciaire. Et cela parce que l’indépendance de la magistrature
nationale est considérée comme un élément consubstantiel à la notion d’Etat de droit ainsi
qu’une condition du procès équitable.

Le fait qu’elle est garantie par la Constitution signifie qu’elle est également garantie par l’Etat
puisque énoncée dans la Constitution ou la législation nationale. Ainsi, il incombe à toutes les
institutions gouvernementales et autres, de respecter l’indépendance de la magistrature. Ce
principe de la protection constitutionnelle est particulièrement plébiscité aussi dans le droit
international52.

A. Indépendance et autonomie mais non reconnaissance en tant que troisième


pouvoir

L’impératif de l’indépendance judiciaire constitue un principe complexe. Dans son acception


la plus large, ce principe exige que les juridictions et les juges prennent leurs décisions
librement, à l’abri de toute pression ou manipulation extérieure, de la part de qui que ce soit
ou pour quelque raison que ce soit. Il requiert non seulement que la justice soit rendue de

52
Voir le principe 1 des «Principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature » adoptés par le
septième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants, qui s’est tenu à
Milan en 1985, et confirmés par l’Assemblée générale dans ses résolutions 40/32 et 40/146. Voir
http://www2.ohchr.org/french/law/magistrature.htm

33
manière indépendante mais, également, qu’elle soit indépendante au niveau des apparences
(«justice must not only be done but also be seen to be done»)53.

Ce principe intègre les éléments de l’indépendance institutionnelle (collégiale) comme ceux


relevant de l’indépendance personnelle (individuelle), la première ayant trait aux juridictions
en tant qu’institutions alors que la seconde concerne les membres de celles-ci.

Nous n’allons pas trop nous pencher sur la question de l’indépendance individuelle qui n’est
pas pertinente dans le cadre de ce travail. Par contre, pour l’indépendance institutionnelle, il
en va autrement.

L’indépendance institutionnelle se manifeste sous l’angle d’une série d’autonomies parmi


lesquelles devraient figurer l’autonomie budgétaire, l’autonomie d’organisation interne,
l’autonomie en matière de recrutement du personnel ou celle en matière d’élection des
présidents des différentes formations de jugement.

Le nombre et l’étendue de ces différentes autonomies varient d’une juridiction à l’autre, mais
elles doivent suffisamment protéger le pouvoir judiciaire contre les pouvoirs exécutif et
législatif, étant donné que le principe de l’indépendance de la magistrature fait partie du
concept de la séparation et de l’équilibre des pouvoirs.

Ainsi, et dans l’optique où on considérerait la séparation des pouvoirs comme la


combinaisonde deux règles, la spécialisation et l’indépendance, il est possible de voir ici (à
s’en tenir strictement au principe), « une véritable signification des règles de la spécialisation
et de l’indépendance dont l’application conforme donnerait naissance à un authentique
pouvoir juridictionnel qui en ferait un élément équilibré face aux autres pouvoirs. »54.

Or, il y a lieu de s’interroger s’il est possible de parler d’un pouvoir sur la base de
l’observation que des organes exercent la fonction de juger et qu’ils sont dotés de garanties
d’indépendance. Est-ce à dire que le droit positif aurait consacré implicitement etdevrait
consacrer explicitement l’existence d’un pouvoir juridictionnel55 ? Surtout quand on sait que

53
Voir l’arrêt de la CEDH dans l’affaire Delcourt c. Belgique, le 17 janvier 1970, série A, no 11.
54
Boucobza Isabelle, « Un concept erroné, celui de l'existence d'un pouvoir judiciaire »,
Pouvoirs, 2012/4 n° 143, p. 73-87. DOI : 10.3917/pouv.143.0073.
http://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2012-4-page-73.htm
55
Voir par exemple Fabrice Hourquebie, « Le Pouvoir juridictionnel en France », Paris, LGDJ,

34
la distribution des pouvoirs aux organes ne dépend pas d’une quelconquevérité, elle est le
produit d’un choix, d’une préférence politique.

On aurait pu éventuellement admettre l’existence du pouvoir judiciaire si la magistrature avait


disposé, de manière effective, de prérogatives telles que contrôler sur le fondement du droit et
garantir le respect des droits fondamentaux en censurant éventuellement la volonté exprimée
par les organes de gouvernement légitimement élus, ou même parfois, poursuivre pénalement
les gouvernants ou les puissants, et surtout créer le droit ou même faire régner des valeurs.

Il est vrai que l’ordre juridictionnel malgache exerce ces prérogatives, mais dans un climat
politique tellement délétère que nous nous estimons quand même en droit de nous poser la
question de l’indépendance réelle de la justice vis-à-vis du pouvoir exécutif.

Au-delà de ces considération, il faut aussi rappeler que dans notre Constitution, il est affirmé
que, c’est le Président de la République qui est garant de l’indépendance de la magistrature
(art. 107, alinéa 1). Etant donné les autres prérogatives déjà exorbitantes du Chef de l’Etat, il
nous semble que cette attribution constitue une arme de plus entre ses mains pour renforcer sa
position politique. Et étant donné également la méfiance qui existe entre l’exécutif et l’organe
judiciaire, cette prérogative peut être perçue comme un moyen de limiter le « contrôle » de
l’exercice des pouvoirs par l’exécutif.

Et même si l’interprétation du texte constitutionnel ne nous permet pas d’affirmer


catégoriquement qu’il ne prévoit pas l’existence d’un pouvoir judiciaire56, le contexte général
nous pousse vers ce sens.

B. Un pouvoir judiciaire inexistant mais qui exerce un certain contrôle : le


cas de la Haute Cour Constitutionnelle

Le développement du contrôle juridictionnel de constitutionnalité des lois, soit de manière


diffuse par le système judiciaire, soit de manière concentrée par des juridictions spécialisées,
soit suivant des formes mixtes, les cours intervenant a priori(avant l'entrée en vigueur des

coll. « Systèmes », 2010, p. 10.


56
Après tout, il n’utilise pas non plus les termes « pouvoir législatif » et « pouvoir exécutif ».

35
lois) ou a posteriori (après le vote et à l'occasion d'une instance) ou à la fois a priori et a
posteriori est une des évolutions institutionnelles majeures intervenues au plan institutionnel.
La doctrine universitaire et les commentateurs spécialisés l'ont salué comme un des
phénomènes majeurs de l'affirmation du constitutionnalisme. A tel point que l’on s’est
demandé, dans la doctrine comparée, si une vision plus traditionnelle des institutions
conservait encore une signification.

A notre sens, il ne faut pas prendre cette remarque comme l’objet d’une polémique ou
l'expression d'un regret mais le constat qu'une réflexion est devenue nécessaire pour tenter de
situer les deux approches du constitutionnalisme : celle d'institutions bâties essentiellement
sur la notion d'État de droit et son développement sous l'égide de principes généraux du droit
découverts par le juge national mais souvent inspirées par des conventions internationales ;
celle d'institutions inspirées par le principe de souveraineté du peuple issue de l'élection.

Le développement de la justice constitutionnelle est, en effet, en soi, un questionnement du


concept de démocratie bâti sur l'élection dans la mesure où ces cours, qui ne sont pas issues
directement du suffrage, ont, par définition, la possibilité de faire obstacle à la volonté du
peuple exprimée par ses représentants, au point que le constitutionnaliste, Hans Kelsen57,
avait pu les qualifier de « législateur négatif ».

Nonobstant cette dernière remarque, nous assistons ici à une illustration de ce que devrait
réellement être la séparation des pouvoirs, avec l’œuvre du Parlement, organe législatif d’un
côté, et le contrôle de l’organe judiciaire de l’autre.

Les différents rapports font apparaître l'importance des liens institutionnels entre Parlement et
Cours constitutionnelles, mais également la méfiance qui préside à ces relations.

La Cour joue le rôle de vérificateur des pouvoirs du parlementaire. Elle juge des immunités et
des incompatibilités, le plus souvent en appel face aux décisions des instances du Parlement
ou sur renvoi de celui-ci.

La Cour a également une fonction de protection dans l'équilibre des pouvoirs et, par
conséquent, dans cet exercice apparaître comme des éléments protecteurs des compétences du
Parlement lui-même. C'est le cas dans les systèmes fédéraux, mais aussi dans de nombreux

57
Hans Kelsen, « Théorie pure du droit », L.G.D.J, 1999, 367 pages.

36
pays qui considèrent que la séparation des pouvoirs est un élément fondamental de tout
régime démocratique.

La Cour est alors à la fois un des éléments de ce pluralisme et le gardien principal de son
équilibre. Cette idée semble très présente dans les Constitutions et les pratiques
institutionnelles des pays du sud de l'Europe, notamment ceux qui appartiennent à l'Union
Européenne. Lorsqu'elle est située en dehors du pouvoir judiciaire, il peut en résulter un
certain nombre de tensions avec celui-ci.

Il peut arriver aussi que, même lorsque la Cour a été instituée pour assurer la préservation des
compétences de l'exécutif (France), elle joue en fait un rôle protecteur de la compétence
parlementaire. Elle peut même être un facteur de son expansion (incompétence négative).

Un point particulier doit retenir l'attention c'est celui de la compétence et des jurisprudences
des cours vis à vis des règles même de fonctionnement du Parlement qu'il s'agisse de règles de
procédure ou de fonctionnement en tant qu'organe administratif.

Les actes administratifs du Parlement ne relèvent pas nécessairement de la


CourConstitutionnelle mais souvent des cours administratives à condition d'être considérés
comme détachables de la fonction législative, cette tendance est cependant loin d'être générale
dans le droit comparé.

Les règles d'organisation et de procédure, et principalement les règlements, ne font pas


toujours l'objet d'examens directs de leur constitutionnalité. Certains pays considèrent qu'ils
doivent relever d'un contrôle a priori (France, Madagascar, Monaco, Thaïlande) ; d'autres
examinent la légalité des règlements par voie d'exception comme ils peuvent être amenés à le
faire à propos de toutes les autres catégories de normes (Allemagne, République tchèque,
Roumanie après 2000). Le recours dit d'amparo en Espagne et dans les pays ibériques
(recours du citoyen contre un acte qui porterait atteinte directe à ses droits fondamentaux)
permet de faire respecter par les parlementaires leur « droit de participation politique » mais
sa portée pratique est limitée58.

Les pays semblent à cet égard se partager entre partisans et adversaires du contrôle
automatique mais il existe évidemment un lien très net entre l'existence d'une Cour

58
Sur toutes ces question voir les constitutions Française, Malgache, Espagnole, Allemande, Monégasque et
Thaïlandaise (traduction par google traduction).

37
Constitutionnelle spécialisée et la possibilité de contrôle des actes internes au parlement. Les
héritiers du système de Westminster demeurent en effet très réticents face aux ingérences
possibles des juges dans le fonctionnement du Parlement.

Une méfiance qui tend aujourd’hui à se généraliser, particulièrement avec l’avènement de ce


que l’on qualifie de gouvernement des juges.

Paragraphe 2. Le gouvernement des juges

La mise de la vie politique sous l'emprise du droit conduit à évoquer, ici et là, le «
gouvernement des juges »59. Cela résulte notamment du fait quela justice constitutionnelle
était parvenue à s'imposer comme un instrument de modération de l'exercice du pouvoir. Quoi
que cela ne se vérifie pas toujours dans le droit des pays africains en général, et de
Madagascar en particulier. Mais le « gouvernement des juges » est une notion
particulièrement importante dans l’étude de la séparation des pouvoirs, il nous faut donc en
parler pour comprendre la méfiance qui entoure la notion.

A. Le gouvernement des juges ou la création prétorienne du droit

« La démocratie ce n'est pas le règne du nombre, c'est le règne du droit ». Cette assertion, que
l'on prête volontiers à Georges Gurvitch, légitime la juridicisation du politique. Celle-ci se
traduit par la mise sous l'empire du droit de la vie politique. Nombreux sont les auteurs, en
effet, qui ont souligné à quel point la politique était, désormais, « saisie par le droit »60.

Cette approche rejoint ainsi le discours sur le « gouvernement des juges ». Celui-ci exprime le
refus du pouvoir politique, de voir le pouvoir judiciaire empiéter sur ses prérogatives61. Et

59
Le gouvernement des juges est une expression d'Édouard Lambert apparue pour la première fois dans son
ouvrage Le gouvernement des juges et la lutte contre la législation sociale aux États-Unis, et qui désigne le fait
pour un juge de privilégier son interprétation personnelle au détriment de la lettre et de l'esprit de la loi.
60
Favoreu L. (dir.), « La justice constitutionnelle II. Belgique, Espagne, Italie, Allemagne », Documents d'études,
n° 1.16, 1998, 59 p. Drago G., François B., Molfessis N. (dir.), « La légitimité de la jurisprudence du Conseil
constitutionnel », Paris, Economica, col. Etudes juridiques, 1996, 415 p.
61
Cohen-Tanugi L., « Le droit sans l'Etat », Paris, PUF, col. Quadrige, 3e éd. 1992, p. 86.

38
pourtant il semblerait que cet « empiètement soit le résultat de la « constitutionnalisation de
la vie politique »62.

Ce principe désigne la limitation du pouvoir par le droit, la subordination de l'activité


politique à la Constitution, organe juridictionnel, les Cours Constitutionnelles (la Haute Cour
Constitutionnelle dans notre cas)sont aussi des régulateurs du politique dans la mesure où leur
contrôle s'exerce a priori et en vue de la création d'une loi. Et c’est justement ce qu’on leur
reproche et qui a provoqué cette méfiance qui a donné au terme « gouvernement des juges » si
mauvaise presse.

Surtout qu’à Madagascar ou dans 90 % des cas, les lois ont pour originedes projets d'initiative
gouvernementale - voire présidentielle -, le juge constitutionnel aurait d’avantage à assurer le
contrôle de l'exécutif que celui du législateur. Une situation qui serait perçue comme
intolérable par nos hommes politique qui sont si frileux quand il s’agit de rendre des comptes.

Et que dire alors de la « pénalisation » de la responsabilité politique, qui semble être l’un des
éléments constituant ce « gouvernement des juges » ? Bien que commune à tous les pays et
aussi à toute les époques de l’évolution des sciences politique, la responsabilité pénale du
personnel politique est très mal vue dans notre système politique. Il n’est ainsi pas rare
d’entendre le terme d’ « impunité », non seulement dans la presse nationale mais également
internationale (mais il semblerait que cette tare soit commune à tous les pays africains, même
les plus développés comme l’Afrique du Sud ou l’Ile Maurice63).

Ainsi, si dans des pays comme la France, cette responsabilité peut être d'autant plus
facilement engagée que toute personne qui se prétend lésée par un crime ou un délit commis
par un membre du gouvernement dans l'exercice de ses fonctions peut porter plainte auprès
d'une commission des requêtes qui ordonne soit le classement de la procédure, soit sa
transmission au procureur général près la Cour de cassation aux fins de saisine de la Cour de
Justice de la République64. Cela n’est pas le cas à Madagascar, où la Constitution ne prévoit
des cas de poursuite que pour le Président de la République, les Présidents des Assemblées
parlementaires, le Premier Ministre, les autres membres du Gouvernement et le Président de

62 François B.,
« Le régime politique de la Ve République », Paris, La découverte, col. Repères, 1999, p. 109.
63
Sources, informations internationales notamment sur RFI.
64
Article 68 de la Constitution du 4 octobre 1958.

39
la Haute Cour Constitutionnelle qui peuvent être poursuivie devant la Haute Cour de Justice
qui n’existe même pas actuellement.

Cette situation est aussi encouragée par la perception selon laquelle une juridiction politique,
même mâtinée de magistrats professionnels, ne peut échapper aux soupçons de partialité.

B. Une méfiance injustifiée ?

La question s’est posée de savoir si finalement toute cette polémique autour du gouvernement
des juges ne serait pas un simple écran de fumée pour détourner l’attention de ce qui est
vraiment important, le refus de la reconnaissance d’un pouvoir judiciaire. Et cela conduit à
observer que, sauf cas rares, les juges (constitutionnels ou non d’ailleurs) ne sont pas maîtres
de l'opportunité de traiter un dossier. C'est surtout le plaideur qui dispose. Et l'on s'éloigne à
grands pas de la forme d'action qu'évoquele « gouvernement ». Gouverner, au sens le plus
immédiat, c'est peut-être choisir de connaître ou de ne pas connaître une affaire. Et il y a là
une prérogative dont nos magistrats ne disposent pas.

Bien sûr, ces derniers ne sont pas entièrement ballottés au gré des flots contentieux. Il faudrait
nuancer beaucoup ce qui précède et réfléchir notamment au statut et au mode d'apparition des
« questions » juridiques. Car on aurait sans doute tort de se représenter la survenance d'une de
ces questions sous la forme d'une genèse « purement » sociale, brute, spontanée, étrangère à la
sphère d'influence des juges, parce que ces derniers ne sont pas vraiment absents du processus
par lequel un problème advient devant eux en un état et en une forme donnée. Sans doute
provoquent-ils même parfois son apparition.

Quoi qu'il en soit, il est peu douteux que les juges - supérieurs, s'entend - puissent, à la marge,
mais significativement, influer sur la composition de leur agenda. Au minimum, en dernière
analyse, ils sont même les premiers à disposer du pouvoir de fabriquer un « grand arrêt » ou
une « jurisprudence » reproductible avec une simple « affaire ». Et ce n'est certainement pas
négligeable. Mais rien de tout cela ne confère au juge, fût-il particulièrement hardi, une
maîtrise de l'opportunité d'agir comparable à celle dont dispose a priori un gouvernement.

40
Gouvernement donc le choix délibéré de « nuire » à l’exécutif.

De plus qu'on le veuille ou non, le juge ne dispose pas (ou en tout cas pas complètement, ou
pas souvent) d'une liberté d'action juridique comparable à celle d'un pouvoir exécutif soucieux
de « normer » une situation, car il doit composer avec le « formatage » de l'affaire déposée
devant lui. Or cela enserre, parfois étroitement, sa latitude de travail. Il lui faut prendre en
compte que certaines question lui sont posées, qu'elles le sont d'une certaine manière, qu'il
doit y répondre (ni infra, ni ultra petita), que certaines autres qu'il aimerait bien pouvoir
traiter ne lui sont pas soumises, etc. De ce point de vue comme du précédent, son office se
distingue de manière nette de celui des institutions politico-administratives.

Le juge, parce qu'il doit répondre aux arguments développés devant lui et que ces arguments
ne sont pas motivés par le (seul) souci de l'orthodoxie juridique et de la légalité parfaite, ne se
trouve pas en situation de pouvoir faire ce qu'il veut, et donc pas en l'état de « gouverner »
l'affaire comme il l'entend. La mise en forme de la question à lui posée corsète, qu'on le
veuille ou non, sa liberté d'en disposer. Mais cela explique peut-être aussi la raison de la
méfiance des politiques et législatif envers le judiciaire, car cela semble renforcer ce que nous
avons avancé plus tôt sur la question de l’impartialité.

Section II : l’emprise de l’exécutif et de l’organe législatif sur le


fonctionnement de la machine judiciaire : le cas de la Haute Cour
Constitutionnelle

A côté du problème du refus de reconnaître le pouvoir judiciaire, il y a également le fait que


les deux autres pouvoir, l’exécutif et le parlement, peuvent avoir une certaine emprise sur
l’appareil judiciaire et son fonctionnement. Que ce soit dans les règles institutives et
constitutives des cours (paragraphe 1), ou en ce qui concerne la nomination, la sanction et la
promotion des juges (paragraphe 2).

41
Paragraphe 1. Organisation et fonctionnement des juridictions

Que ce soit l’organisation ou le fonctionnement de la Haute Cour Constitutionnelle, tout doit


être basé sur des textes. Textes qui échappent normalement à la compétence du simple
législateur, mais nous verrons que cette règle n’est pas du tout figée.

A. Un rôle accru du Parlement dans l’élaboration des textes règles


institutives et constitutives de la Cour

La décision de créer une Cour Constitutionnelle est une décision du pouvoir constituant
originaire, mais il peut arriver aussi qu'à titre provisoire ou conservatoire, cette création ou
cette modification de statut soit le fait du législateur, organique ou spécial ou même ordinaire.

En revanche, les modalités de fonctionnement des Cours relèvent de lois dites, suivant les
systèmes juridiques, « organique ou spéciale »65, c'est-à-dire requérant des majorités
particulières d'adoption. C’est le cas de Madagascar, mais il faut reconnaître qu’il ne s’agit
pas d’une particularité qui nous est exclusive. En effet, c’est également le cas du Brésil,
Espagne, France, Italie, Roumanie, Sénégal, Slovénie, Thaïlande, Ukraine66.

Quelles que soient ces majorités, ces normes relèvent quasi exclusivement du Parlement, qui
reçoit ainsi pleine délégation du constituant pour organiser la justice constitutionnelle sous
réserve de conditions particulières de délibérations et - ironie du sort - de vérifications à la
marge, quand les procédures s'y prêtent, par les Cours Constitutionnelles elles-mêmes.

Sont ainsi concernées : les modalités d'application des règles de nomination des juges (parfois
les principes eux-mêmes), les modalités de saisine (autorités, procédures), les effets éventuels
des décisions, parfois, la procédure devant la Cour.

L'importance relative de l'encadrement normatif et du règlement intérieur est variable suivant


les pays. Le règlement intérieur est donné comme important en Afrique du Sud. Le règlement

65
Voir les textes y afférant.
66
Source de lecture, encyclopédie LexisNexis.

42
de la Cour Suprême du Royaume-Uni est déterminé par son président (mais peut être annulé
par les chambres).

Le parlement participe donc très largement aux règles constitutives et de fonctionnement de la


Cour. Ces règles, au cours de la période, ont d'ailleurs souvent fait l'objet de modifications, se
traduisant le plus souvent par des extensions de compétences. Dans d'autres circonstances, des
législatures ont pu ne pas échapper à la tentation de réduire le rôle de la Cour ou de modifier
le système dans un sens plus restrictif.

B. Une emprise qui amène des questionnements sur la capacité de la Cour à


exercer un contrôle réel

Il est largement admis dans la jurisprudence que pour faire respecter une Constitution, il faut
une autorité ou un pouvoir spécifique compétent pour annuler les lois et les actes qui seraient
contraires à la Constitution. La nécessité d'un tel contrôle trouvait sa source dans la distinction
entre le pouvoir constituant et les pouvoirs constitués. Mais ce contrôle ne pouvait être exercé
que par une institution distincte du pouvoir judiciaire.

Mais alors apparaît la question de savoir « si un corps institué au-dessus des pouvoirs publics,
pour examiner leurs actes (…) est capable de garantir leur indépendance et l'intégrité de la
Constitution »67.

Cette question s’est posée dans le droit français où l’on avait assisté, en 1958 date de la
Constitution de la Ve République française, à l’élaboration de la loi organique portant
création de la Cour Constitutionnelle.

Il est délicat de parler d'élaboration puisque celle-ci a été adoptée sous la forme d'une
ordonnance prise sur le fondement de l'article 92 de la Constitution qui autorisait le
Gouvernement à adopter les mesures nécessaires à la mise en place des nouvelles institutions
prévues par la Constitution du 4 octobre 1958.

67
F. Luchaire, « Le Conseil constitutionnel » : Économica, 2002, p. 1. – D. Turpin, Le Conseil constitutionnel :
Hachette supérieur, coll. « Les fondamentaux », 1995, p. 13.

43
Elle se pose aussi dans le cadre du droit malgache car l’Institution telle que nous la
connaissons aujourd’hui a été conçue par la Constitution révisée annexée à la loi
constitutionnelle du 8 avril 1998.

On le voit les relations entre le Parlement et les Cours Constitutionnelles sont ambigües et ne
semblent pas de nature à assurer une indépendance entre les deux pouvoirs.

Paragraphe 2. Nomination, promotion et sanction des magistrats

C’est l’article 114 de la Constitution qui dispose en matière de nomination des juges, pour ce
qui est de la promotion et de la sanction des magistrats, cela va dépendre principalement de
leur ministère de tutelle, mais également de l’ordre de la profession.

A. La nomination des juges

Encore une fois, nous allons nous concentrer sur la juridiction qui est, à notre avis, celle qui
dispose le plus de la capacité à servir de contre-pouvoir aux pouvoirs législatif et exécutif : la
Haute Cour Constitutionnelle.

L’article 114 de la Constitution dispose que la Haute Cour Constitutionnelle comprend neuf
membres (alinéa 1), dont trois sont nommés par le Président de la République, deux sont élus
par l'Assemblée nationale, deux parle Sénat, deux sont élus par le Conseil supérieur de la
Magistrature (alinéa 2).

Nous pouvons donc constater que le Président de la République a la possibilité de nommer à


ces postes très sensibles des personnes qui partagent ses sensibilités politiques, de manière à
ne pas lui faire trop d’ombre dans la réalisation de sa ligne politique. Et même si le Parlement
dispose lui aussi de pouvoir de nomination, nous avons expliqué que le mécanisme du fait
majoritaire (voir supra) est de nature à neutraliser son pouvoir de contrôle et de contre-
pouvoir. Le risque est donc très grand dans notre système actuel, d’avoir une Cour

44
Constitutionnelle qui soit, par la force des choses et non par volonté individuelle, plutôt
partiale.

B. La promotion et la sanction des juges

C’est le Conseil Supérieur de la Magistrature qui est l’organe de sauvegarde, de gestion de


carrière et de sanction des Magistrats.

C’est l’article 107, alinéa 2 de la Constitution qui le prévoit. Selon ce même article, en son
alinéa 3, prévoit que le Conseil Supérieur de la Magistrature est chargé de veiller notamment
au respect de la loi et des dispositions du statut de la magistrature, contrôler le respect des
règles déontologiques par les magistrats, présenter des recommandations sur l’administration
de la Justice, notamment en ce qui concerne les mesures d’ordre législatif ou réglementaire
relatives aux juridictions et aux Magistrats.

La lecture du texte tel qu’il est présenté n’attire pas particulièrement l’attention, sauf que
l’alinéa 1 du même article dispose que le Président de la République est garant de
l'indépendance de la justice, ainsi que l’alinéa 2 qui prévoit qu’il est assisté par un Conseil
Supérieur de la Magistrature dont il est le Président. Le Ministre chargé de laJustice en est le
Vice-président.

Pour récapituler la situation, nous avons ici l’organe judiciaire qui, normalement, devrait
constituer le troisième pouvoir de l’Etat. Mais il se trouve que les rênes de l’organe de
sauvegarde, de gestion de carrière et de sanction des Magistrats qui en constitue les piliers
sont fermement tenues par l’exécutif. Il n’y a, à notre avis, aucun autre meilleur moyen
d’illustrer la mainmise de l’exécutif sur le judiciaire que cet exemple.

45
TITRE II : L’AVENEMENT DE NOUVELLES FORMES DE POUVOIR ET
LEUR IMPACT SUR LE PRINCIPE DE LA SEPARATION DES POUVOIR

Le pouvoir peut être défini comme « un phénomène de commandement et d’obéissance,


faisant naître une relation inégalitaire (asymétrique) entre les gouvernants et les
gouvernés »68. En matière de droit constitutionnel, le pouvoir est perçu comme un terme qui
renvoie plus précisément à l’exercice de lasouveraineté et présente un caractère originel : le
pouvoir législatif et lepouvoir exécutif, dont sont investis certains organes, qui constituent
lespouvoirs publics »69.

Mais le mot pouvoir est caractérisé par une ambivalence qui lui permet d’être perçu sous deux
acceptions : on peut alors opposer le « pouvoir-organe » au « pouvoir-fonction », la fonction
se référant à l’usage d’une prérogative juridique (exemple : le pouvoir législatif, c’est le
pouvoir d’édicter un acte juridique appelé loi), tandis que l’organe se réfère à l’autorité
chargée de cette fonction (on dira, par exemple, que le Parlement est l’organe législatif)70. Le
point commun entre ces deux acceptions c’est qu’il est affecté à l’État et qu’ilest de nature
politique.

Il faut pourtant souligner que les pouvoirs ne proviennent plus seulement de l’institution de
l’Etat. Aujourd’hui, nous assistons à l’apparition et la multiplication de nouveaux pouvoirs, et
notamment le pouvoir économique. Pouvoir qui provient de certains acteurs économique
présent dans le droit interne (Chapitre I), mais qui peut également être d’origine international
(Chapitre II).

68
Armel Le Divellec et Michel de Villiers, Dictionnaire du droit constitutionnel, 8e éd., Paris, Sirey, 2011.
69
Pierre Avril et Jean Gicquel, Lexique de droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 2011, p. 97.
70
Beaud Olivier, « La multiplication des pouvoirs », Pouvoirs, 2012/4 n° 143, p. 47-59. DOI :
10.3917/pouv.143.0047. http://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2012-4-page-47.htm

46
Chapitre I : le pouvoir exécutif et le pouvoir économique

Un auteur avait posé le principe selon lequel il envisageait une théoriede la séparation
matérielle des pouvoirs dans ses développements surle « régime civil de l’État » et qu’il
définit comme « le régime de liberté etd’égalité institué par l’organisme politique afin que
l’automatisme de lasociété économique puisse jouer à l’intérieur de l’État »71.

Ce régime repose sur une série de séparations dont certaines portentsur une grande variété de
pouvoirs qui ont pour caractéristiques de nepas toujours être des pouvoirs étatiques. Ainsi en
est-il de la séparation entre pouvoir économique et pouvoir politique. Mais qu’entend-on par
pouvoir économique ? (Section I). Une fois cette question résolue, il nous faudra nous
pencher sur la question de son influence sur le pouvoir politique (Section II).

Section I : De la notion de pouvoir économique : les groupes


d’intérêt

Le pouvoir économique est cristallisé par ce que l’on appelle groupe d’intérêt. Ce sont en fait
les groupes d’intérêts qui disposent du pouvoir nécessaire pour influer dans la vie politique
par l’orientation des lignes politiques par exemple. La doctrine (très pauvre) malgache n’est
pas très prolifique sur la question de ce groupe d’intérêt, il nous semble donc nécessaire de
nous inspirer de la doctrine étrangère et internationale. L’occasion également pour nous
d’étudier en profondeur les origines et donc les explications du groupe d’intérêt à la base du
pouvoir économique.

71
Maurice Hauriou, « Principes de droit public », 2e éd., Sirey, 1916, p. 381.

47
Paragraphe 1 : définition et origine des groupes d’intérêt

La définition de la notion n’est pas facile, mais ses origines sont plus faciles à retracer.

A. Une définition délicate

La notion de groupe d’intérêt est une notion scientifique particulièrement difficile à saisir.
Pourtant on en retrouve la trace dans toutes les sociétés (dans les pays développés comme
dans les pays en voie de développement). Elle est souvent évoquée comme « groupe de
pression » ou « lobby ».

D’un point de vue assez large, le groupe d’intérêt est considéré comme entité cherchant à
représenter les intérêts d’une section spécifique de la société dans l’espace public. Mais dans
une acception plus stricte, le groupe d’intérêt est considéré comme une organisation
constituée qui cherche à influencer les pouvoirs politiques dans un sens favorable à son
intérêt.

Dans la première définition, nous pouvons identifier quelques éléments qui permettent
d’identifier le groupe d’intérêt comme un acteur qui cherche à influencer les pouvoirs
politiques, mais également d’autres groupes ou l’opinion publique en général. Mais c’est dans
la deuxième définition que la notion de groupe de pression prend tout son sens. En effet, elle
insiste sur le lien qui existe entre les pouvoirs politiques et le groupe.

Mais quelle que soit la définition retenue, il faut souligner que la notion d’intérêt est l’élément
constitutif d’un ensemble, la raison d’être du groupe. Même si le rôle joué par cet intérêt est
perçue de manière différente dans la doctrine.

Ainsi, pour David B. Truman, « c’est le groupe qui socialise l’individu et qui lui fournit le
prisme à travers lequel il perçoit le monde ; les groupes latents ou non organisés se mobilisant
dès lors que leurs intérêts sont menacés, aucun groupe ne peut durablement exercer une

48
domination qui va à l’encontre des intérêts d’autres groupes. Ainsi, les groupes s’entre-
contrôlent et se neutralisent »72.

Mais cette thèse semble insinuer que tous les groupes ont des probabilités identiques
d’exister, mais aussi parce qu’elle associe la création d’un groupe à l’existence d’un intérêt
particulier. Thèse qui est réfutée par un autre auteur, Mancur Olson.

Ce dernier affirme en effet que « au lieu de mener à une action collective inévitable,
l’existence d’intérêts communs mène au contraire à une inaction collective. Partant de
l’hypothèse de l’acteur rationnel, l’auteur montre que le phénomène du « ticket gratuit » ou du
« passager clandestin » (free rider) s’applique à chaque tentative d’action collective : chaque
individu se décharge sur autrui de la charge du coût de l’action collective »73.

Quoi qu’il en soit, le groupe d’intérêt est forcément une entité organisée, en effet, il faut une
certaine intégration d’organisation pour pouvoir défendre les intérêts du groupe, sans structure
définie, les actions menées risquent de ne pas avoir d’impact.

Généralement, seuls les groupes d’intérêt qui possèdent d’importantes ressources financières
et sociales sont structurés de manière très hiérarchique et présentent des caractéristiques de
professionnalisation. Ainsi peut-on mettre en doute la pertinence de la différenciation entre
organisations et groupes latents ou encore entre organisations et mouvements sociaux74. Le
but de ces groupes étant bien sûr de faire en sorte que leurs démarches à influencer les pouvoirs
publics en ayant recours à divers répertoires d’action.

72
David TRUMAN, « The Governmental Process », Knopf, New York, 1951.
73
Mancur Olson, “The Logic of Collective Action », Cambridge, Harvard University Press, 1971
74
Voir à ce sujet L'acteur et le système: Les contraintes de l'action collective de Michel Crozier et Erhard
Friedberg (2 juin 1992).

49
B. Une origine américaine et des déclinaisons à la française

La notion de groupe d’intérêt est apparue dans le système américain, fruit d’une conception
universitaire. Une paternité qui explique la mainmise sur la notion par les américains. Loin
d'être un commentaire sommaire de la vie politique, l'analyse desgroupes d ' intérêt est un
exercice académique classique aux États-Unis (depuis le début du XXe siècle) et en Europe
(depuis le milieu des années 1950). Les premiers travaux ont été publiés dans l'entre-deux-
guerres en ordre dispersé (en droit, en philosophie ou en sociologie) avant de constituer l'un
des axes de la science politique américaine.

Les premiers écrits sur les groupes d’intérêts sont apparus avant la Première Guerre mondiale,
période pendant laquelle le débat politique américain se focalise de plus en plus sur la lutte
contre les milieux d'affaires et leurs ingérences dans la vie politique.

La participation des politologues à la réglementation du lobbying l'a imposé comme objet


d'étude et comme espace d'insertion professionnelle. Enquêtant au départ sur le Congrès, ces
chercheurs ont découvert l'étendue du terrain investi par les groupes et les ruses qui
prévalaient pour échapper à l'opprobre médiatique. Ainsi, des recherches ont élargi le champ
d'analyse et couvert d'autres acteurs et d'autres organisations : certaines ont même appliqué
cette conception aux agences administratives qui agissent sur d'autres pouvoirs publics.

Chaque élargissement du champ d'investigation a offert des débouchés professionnels aux


diplômés de la science politique mais, dans le même temps, a augmenté la polysémie de la
notion degroupes d ' intérêt .

Dans le modèle français, on utilise la trilogie, groupes de pression, groupes d ' intérêt , lobby,
depuis les années 1960, sans avoir pour autant structuré un domaine homologue de
recherches.

Les notions françaises utilisées pour parler des groupes sont les produits de concurrences
concomitantes entre des fractions des catégories dominantes sur l'interprétation de faits
politiques lors de conjonctures particulières et dans des champs différents.

À partir de l'entre-deux-guerres, une terminologie se combine aux deux notions originelles


que sont « groupements » et « corporations » : la pression et l'influence, les pouvoirs des
syndicats ou encore la représentation des intérêts. Des notions étrangères sont traduites et

50
débattues sans intégrer immédiatement le lexique utilisé, qui s'étoffe par addition d'adjectifs
aux notions matrices. Les groupements deviennent sociaux, économiques, corporatifs,
d'intérêt.

C’est dans les années 50 que se réalise vraiment l’avènement des groupes de pressions. Une
partie du lexique est réaménagée du fait du chevauchement de luttes politiques, sociales,
médiatiques, académiques et religieuses qui ont pour enjeu commun de refaire croire à
d'anciens problèmes grâce à des concepts nouveaux. Au départ, des auteurs écrivent et
enseignent sur les groupes. Puis ils déplacent leurs notions et les certifient grâce à leurs titres
universitaires.

Notons que dans la doctrine française, il n’y a pas de différenciation définitive entre les
notions de Groupes d ' intérêt et groupes de pression. Il en résulte un usage de l'une ou de
l'autre, parfois sans explicitation, parfois dans la confusion.Cette impression cache en fait une
insensibilité française à cette problématique : pourquoi seuls certains groupes développent-ils
et systématisent-ils des relations avec les parlementaires ? Ces groupes de pression, dont une
partie de l'activité tend vers le Parlement, le sont-ils conjoncturellement car un texte est en
discussion les concernant ? Structurellement, car leurs activités dépendent des pouvoirs
publics ? Historiquement, car leurs représentants possèdent des relations politiques issues du
passé ?

Aujourd’hui, et cela depuis les années 60, le terme de lobby est bien implanté dans le paysage
politique français et est utilisé pour résumer et faire aller de soi les situations suivantes :
l'adoption d'un texte pour une catégorie sociale (ou un secteur économique), les échanges de
données contradictoires entre experts et politiques, des négociations où les partenaires sociaux
obtiennent ce qu'ils étaient venus chercher.

51
Paragraphe 2 : les groupes d’intérêt au niveau de l’Etat

La question qui se pose à nous ici est la suivante, qui sont les lobbyistes ? Quel type de
groupes d’intérêt mène desactions de lobby auprès des décideurs politiques ?

A. La représentation

Pour comprendre cette représentation, qui nous permettra d’identifier les types
d’organisations qui approchent les institutions étatiques au risque de compromettre le principe
de la séparation des pouvoir. Pour le comprendre, nous ne pouvons pas nous baser sur des
études menées à Madagascar puisqu’il n’y a pas encore de publication dans ce sens.

Par contre un échantillon de groupes d’intérêt qui ont mené des actions de lobby auprès de la
Commission vis-à-vis de cinquante-six mesures politiques adoptées entre 2000 et 200875nous
permettra de dresser un profil de ces lobbyistes et faire le parallèle chez nous.

Les chercheurs ont dénombré un nombre qui avoisine les 1 893 le nombre total de groupes
d’intérêt actifs auprès des institutions européennes. De ces 1893, les chercheurs on établit le
pourcentage selon lequel environ 38 % représentent des associations d’entreprises, 29 %
représentent des entreprises individuelles et 9 % sont des associations professionnelles
représentant les intérêts spécifiques de certaines activités (les intérêts des agriculteurs, par
exemple).

Ils ont également dénombré des groupes d’intérêts qui ne défendent pas des intérêts
économique, comme les groupes défendant une cause, luttant pour une croyance ou un
principe particulier tels que la protection de l’environnement ou des droits de l’homme, mais
ils ne constituent que 20 % de l’ensemble des groupes d’intérêt mobilisés. Les syndicats ne
sont pas très représentés non plus.

75
Arndt Wonka et al., « Measuring the Size of the eu Interest Group Population « , European Union Politics, vol.
11, n° 3, 2010, p. 463-476.

52
Ce qu’il faut comprendre c’est que c’est un système politique multi-niveaux dans lequel
différents niveaux de pouvoir sont intimement lies. Les groupes d’intérêt s’organisent en
conséquence au niveau national, européen et international à la fois. Ce qui explique ce
paysage bien particulier de la représentation des groupes d’intérêts. En effet, on y dénombre
autant des groupes européens (27 %), 48 % sont des organisations nationales des Etats
membres de l’Union. Il y a même des pays tiers (5%). On peut donc conclure, a propos du
niveau géographique d’organisation, que les actions de lobbying au sein de l’Union ne sont
pas dominées exclusivement par desgroupes nationaux et ne participent pas exclusivement
d’un jeu européen.

Alors que les groupes d’intérêt se sont considérablement européanisés au cours des années en
créant ou rejoignant des organisations paneuropéennes, les groupes d’intérêt nationaux
constituent encore la majorité des organisations menant des actions de lobby auprès des
décideurs politiques au niveau européen.

On pourrait recourir à ce même raisonnement pour décrire la situation actuelle à Madagascar.


En effet, dans notre cas, les efforts d’intégration dans les organisations d’intégrations
économiques internationales ne se font pas encore trop ressentir à Madagascar, de même le
niveau très bas de croissance et l’économie morose combinée à un climat des affaires
délétères pourraient, à première vues, faire croire qu’ils détournent les intérêts des lobbyistes
de la vie politique. Pas d’intérêt, pas de constitution de groupe de pression, pas d’influence
sur les décisions politiques, donc pas de menace à la séparation des pouvoirs.

Cependant, il n’en est rien, et l’on a d’ailleurs pu le constater lors des dernières élections
présidentielles. Sans vouloir porter des jugements partisans, force est de constater que les
candidats présidentiels s’étaient entourés de collaborateurs dont la personnalité tendait à faire
penser à l’existence d’un soutien financier pour les efforts électoraux.

Nous avons ainsi vu des investisseurs étrangers que l’on a « introduits » auprès de l’opinion,
opinion qui ne s’est pas privée de poser des questions. Les questions sur l’origine des fonds de
campagne des candidats ainsi que les contreparties éventuelles demandées par les partenaires
ont fusées de toute part…sans qu’aucune réponse claire soient venues de la part des
principaux intéressés.

53
Tout ceci pour dire que les groupe d’intérêt, bien qu’ils œuvrent dans une discrétion
exemplaire, existent aussi à Madagascar et influent très certainement dans certaines prises de
décisions. Il s’agit là d’une situation courante dans toutes les politiques.

B. Les caractéristiques organisationnelles

Il s’agit ici d’étudier leur degré de professionnalisation. La professionnalisation est


définiecomme « une tendance croissante a embaucher des professionnels (ou spécialistes)
dont les compétences ont été certifiées par une profession particulière (comme des avocats ou
des économistes) »76. Car même si le processus de prise de décision n’est pas vraiment
complexe dans un système où l’exécutif a une place très prépondérante, et même si le niveau
d’expertise politique ne semble malheureusement pas trop élevé, auprès des différentes
institutions nationales, les groupes d’intérêt doivent certainement s’appuyer sur un personnel
bien formé plutôt que sur des volontaires non qualifies.

En effet, L’action de lobbying est un emploi à plein temps très exigeant qui implique une
observation permanente des évolutions politiques et la construction de larges réseaux
regroupant les responsables politiques et d’autres groupes d’intérêt. Surtout dans un
environnement politique aussi volatile que celui de Madagascar : les héros d’aujourd’hui
peuvent rapidement se transformer en ennemi public n°1 qui sera éjecté du pouvoir par une
nouvelle crise.

Par ailleurs, des collaborateurs très qualifies sont plusflexibles et capables de s’adapter, ce qui
leur permet de répondre rapidementaux nouvelles initiatives politiques. La
professionnalisation desemployés est une source importante d’avantage concurrentiel pour
lesgroupes d’intérêt face aux lobbyistes concurrents.

76
Heike Kluver, Sabine Saurugger, « Opening the Black Box : the Professionalization of Interest Groups in the
European Union », Interest Groups and Advocacy, vol. 2, n° 2, 2013, p. 187.

54
Section II : interaction entre pouvoir politique et pouvoir
économique

Dans cette section, nous allons voir de plus près les influences que peuvent avoir le pouvoir
économique par le biais des groupes d’intérêt sur la prise de décision politique, quelle est
l’emprise réelle sur l’exécutif et si cette emprise est de nature à avoir des conséquences
sérieuses.

Paragraphe I: les lobbies dans la gouvernance ou la main


« invisible » du marché

L’existence d’une influence doit être étudiée en deux temps, en amont d’abord, puis en aval.
En amont, lors de la délicate question du financement, et en aval lors de la prise de décision
proprement dit.

A. Le résultat du financement de la vie politique par les groupes


d’intérêt

Le financement est le premier pas vers un lobbying réussi. Notons que ce financement n’est
pas seulement limité au cadre des campagnes électorales. Pour illustrer nos propos nous allons
rappeler que dans le droit français, le financement de la vie politique concerne non seulement
les campagnes électorales mais également sources de financement des partis et descandidats
et aux montants en jeu. L’introduction d’une réglementation restrictivequant aux sources de
financement des partis politiques et des campagnes électorales aainsi conduit à priver partis et
candidats d’une recette traditionnellement déterminante.Cette interdiction a été néanmoins
compensée par l’introduction d’un financementpublic généreux des partis et des campagnes
électorales.

55
Rappelons-nous des critiques formulées par la Banque Mondiale, et les observateurs
internationaux lors des dernières campagnes électorales du fait de l’opacité des sources de
financement des candidats et de ce que le trop grand écart entre les moyen portait gravement
atteinte au bon déroulement du procédé démocratique.

De plus, « donner aux groupes d’intérêts la possibilité de monnayer un accès aux responsables
politiques risque, en outre, de concentrer indûment l’influence politique entre quelques mains
et pourrait rendre les hommes politiques trop tributaires de certains groupes privés au lieu de
veiller aux intérêts de l’électorat dans son ensemble ou des membres des partis. Cela pourrait
aussi porter à croire que l’influence politique s’achète. Dans la mesure où des campagnes
électorales coûteuses déterminent dans une large mesure les résultats des élections, il est à
l’évidence peu souhaitable que les partis dépendent de bailleurs de fonds très proches ou qui
représentent leurs intérêts »77.

Ainsi, dans les démocraties modernes, comme la France, l’interdiction des dons des groupes
de pression et, plus précisément, des personnes morales supprime l’un des modes d’accès
traditionnelsdes groupes d’intérêt à la décision publique. En effet, c’est par la pression, et
notamment la pression financière sur les partis (et les candidats), que les groupes organisés
trouvent la possibilité d’influencer les politiques publiques : l’investissement financier dans
une cause servant alors d’indicateur de l’ampleur de la mobilisation que celle-ci peut susciter.

Mais un tel encadrement n’existe pas encore dans le droit malgache, la loi électorale et le
statut des partis politiques sont d’ailleurs des sujets de tension à l’approche de chaque
élection, une véritable source de malaise également pour les partenaires (pays, organisations
internationales) qui vivent de manière très inconfortable l’opacité de financement des partis
politique et des campagnes électorales.

77
Ingrid van Biezen Université de Birmingham (Royaume-Uni) , « Financement des partis politiques et des
campagnes électorales » – Lignes directrices,
http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/greco/evaluations/round3/Financing_Political_Parties_fr.pdf , consulté le
18 fevrier 2015.

56
B. Influence sur les décisions politiques

Ce qui devrait être fait ici c’est l’illustration par des données concrètes que les groupes de
pressions peuvent vraiment avoir une influence sur la prise de décision dans l’élaboration de
la politique globale.

Force est cependant d’admettre que ce n’est pas chose facile. En effet, pour pouvoir apporter
cette preuve, il faudrait, afin de savoir s’il y a bien influence et si cette influence sur les
décisions politiques varie systématiquement selon les types de groupes d’intérêt, mesurer
combien de groupes ont vu leurs actions de lobbying auprès des institutions couronnées de
succès au niveau de l’élaborationpolitique et de la phase de prise de décision. Chose qui n’est
évidemment pas quantifiable à Madagascar, et cela d’autant plus que la notion de lobby n’est
pas très bien encadrée, et est même occulte. Il est alors difficile de procéder à leur
identification, les buts recherchés et évidemment l’impact de leurs démarches.

Et toute cette opacité ne fait en fait que renforcer le sentiment que les groupes de pressions
ont une influence telle qu’on est en droit de se demander si les institutions politiques sont
vraiment en mesure de remplir les missions qui leurs sont confiées par la Constitution78.

Paragraphe II : les enjeux de l’intervention des groupes d’intérêts

Dans la culture juridique malgache, qui s’est largement inspirée de la culture française
d’ailleurs, le lobbying est considéré d’une manière très négative. D’une manière générale, le
lobbying est considéré comme activité antidémocratique servant les intérêts de quelques
multinationales, ou de quelques entreprises ou groupes d’entreprises importants.

Ces entreprises sollicitent directement les décideurs publics dans des conditions opaques, sans
oublier le caractère onéreux qui ferait que le lobbying n’est accessible qu’à quelques puissants
au détriment du plus grand nombre.Les petites et moyennes entreprises n'auraient pas les
ressources humaines et financières pour réaliser des opérations de lobbying efficaces. Ainsi,

78
Voir notamment
http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/greco/evaluations/round3/Financing_Political_Parties_fr.pdf, ibid.

57
chaque année, des sommes astronomiques seraient déboursées par les groupes les plus
puissants en vue d'obtenir des décisions contraires à l'intérêt général.

Et les illustrations que nous pouvons citer ici ne jouent d’ailleurs pas en faveur de l’activité.
Ainsi en 2011, aux Etats-Unis, l'industrie agroalimentaire a obtenu que les pizzas ne soient
pas retirées des menus des cantines scolaires américaines en arguant qu'elles contenaient de la
sauce tomate et qu'elles pouvaient intégrer la catégorie des fruits et légumes. Interrogé sur
cette décision surprenante, intervenue dans un contexte de lutte contre l'obésité, le député et
cardiologue Gérard Bapt affirme que c'est « un exemple scandaleux de ce que peut faire le
lobbying de l'industrie agroalimentaire contre la santé publique »79.

La France n'a pas non plus été épargnée par les scandales. Récemment, dans l'affaire du
Médiator, les stratégies de lobbying développées par le groupe pharmaceutique français
Servier ont été très critiquées. Un rapport de l'Inspection Générale des Affaires Sociales a
relevé « une stratégie de positionnement du Médiator par les laboratoires Servier en décalage
avec la réalité pharmacologique de ce médicament »80. Servier a cherché à camoufler
certaines caractéristiques du Médiator pour permettre sa commercialisation et pour en obtenir
la reconnaissance en tant qu'antidiabétique. De façon générale, les grands groupes industriels
disposent d'un budget de relations publiques conséquent pour que seules puissent être
diffusées, par les médias, les informations attendues par les clients. Le lobbying serait donc
un outil de la désinformation.

Mais en réalité, rien n’est aussi tranché. Les représentants d'intérêts peuvent jouer un rôle
nécessaire dans le processus législatif, en éclairant les parlementaires qui ne maîtrisent pas
toujours, et c’est bien le cas de le dire dans le cas de Madagascar, les domaines dans lesquels
ils légifèrent. Les représentants d'intérêts peuvent également renforcer l'application des loiset
la compétitivité des acteurs économiques.

79
Source www.assemblee-nationale.fr
80
Ibid.

58
A. Une diversification des sources d'informations parlementaires

Dans un monde en constante évolution où les parlementaires sont appelés à se prononcer


rapidement sur des sujets de plus en plus techniques, les lobbyistes constituent une source
d'informations privilégiée81. Les parlementaires ne peuvent pas maîtriser tous les domaines
dans lesquels ils légifèrent, or une décision publique ne peut pas être efficace si elle ne prend
pas en compte la réalité du terrain. Ainsi, les représentants d'intérêts interviennent aux
différents stades du processus législatif en tant qu'experts pour définir certaines notions, pour
éclairer les parlementaires sur les contraintes, les enjeux et les objectifs des acteurs concernés.
Il est évident que les lobbyistes donnent des informations conformes à leurs intérêts, de sorte
que les parlementaires doivent en vérifier l'exactitude. Néanmoins, l'exploitation de ces
données favorise une meilleure gestion de la société.

B. Le renforcement de l'application des lois

Le développement du dialogue entre les représentants d'intérêts et les parlementaires doit


permettre de renforcer l'efficience de la loi. En effet, une loi a plus de chance d'être appliquée
si les acteurs concernés sont associés au travail législatif, et ce, dès le stade des réflexions.
L'efficacité du processus décisionnel devrait aujourd’hui être une priorité juridique et il serait
nécessaire de faire participer de manière plus poussée les acteurs concernés. Les représentants
d'intérêts devraient donc être régulièrement auditionnés en commissions parlementaires.Les
projets de lois devraient être associés à une évaluation préalable pour analyser leur
compatibilité avec le contexte politique, économique et social. Les représentants d'intérêts
ont ainsi l'opportunité de livrer leur expertise.

Cette démarche permet de concilier les objectifs d'intérêt général qui motivent le projet avec
les intérêts particuliers des lobbyistes. Par leur maîtrise du sujet, ces derniers apportent une
véritable valeur ajoutée dans le débat public. Ils savent si une loi est adaptée ou non à la

81
PATRICK HASSENTEUFEL, « L E S G R O U P E S D ’ I N T É R Ê T D A N S L’ A C T I O N P U B L I
Q U E : L’ É TAT E N I N T E R A C T I O N », P O U V O I R S – 7 4 , 1 9 9 5, www.cairn..info

59
réalité du terrain et/ou aux attentes des citoyens ; les écouter peut donc être un moyen de
sonder l'opinion publique.

Il arrive cependant qu'une loi, pourtant conforme à l'intérêt général, soit contestée par la
société civile. Dans ce cas-là, les lobbies peuvent utiliser leur pouvoir de communication pour
sensibiliser la société civile sur les enjeux politiques et la nécessité d'appliquer cette loi. Pour
des questions d'efficacité, il est préférable que les lobbyistes interviennent en amont du
processus législatif, par le biais d'une stratégie proactive, pour anticiper ces problématiques.

C. Une participation à l’efficacité économique

L'action des lobbyistes peut avoir un impact positif sur le taux de croissance économique d'un
pays. Pour s'en apercevoir, il suffit de comparer le cas français, où le lobbying est perçu de
façon négative, avec le cas allemand, où le lobbying est considéré comme un atout. Les
entreprises françaises excellent dans de nombreux domaines : la gastronomie, l'industrie
aéronautique et spatiale, l'industrie agroalimentaire, les banques, le stockage énergétique, la
médecine individualisée, l’événementiel, etc. La France est l'une des premières destinations
touristiques au monde. Pourtant, le taux de croissance économique de la France reste inférieur
à celui de sa voisine qui évolue dans le même espace, face aux mêmes concurrents, avec la
même monnaie. La suspicion française à l'égard du lobbying n'explique pas tout, mais il est
indéniable que le développement du dialogue entre les acteurs publics et privés est un gage de
performance économique82.

Dans un monde où la concurrence est de plus en plus rude, le lobbying apparaît comme un
outil majeur de la compétitivité. Être compétent ne suffit pas. Les entreprises doivent
communiquer avec les parlementaires, lesquels manquent souvent de culture économique,
pour créer un cadre propice au développement de leurs activités. Les acteurs en présence
doivent apprendre à se connaître.Il est indispensable que tous les acteurs économiques soient
écoutés par les décideurs publics pour atteindre les objectifs fixés en termes de croissance
économique.
82
Voir à ce sujet : « Accessibilité du droit et réglementation du lobbying : l’influence du système des
États-Unis sur l’Union européenne », MARIA-MAGDALENA VLAICU, ATER à l’Université de Rouen,
Jurisdoctoria n° 1, 2008.

60
Chapitre II : la relation entre les institutions internationales et les
institutions étatiques

Les institutions internationales dont il sera question ici sont celles qui ont été érigées dans le
cadre de l’Organisation des Nations Unies.

Section I : les secteurs d’intérêt des Organisations Internationales

Il y a plusieurs secteurs d’intérêt important où évoluent les organisations internationales. Mais


ce qui nous intéresse surtout ce sont les organisations internationales économiques.

La logique juridique comporte ses tentations. Et il est tentant de distinguer entre l'organisation
internationale, qui constituerait un genre, et l'organisation internationale économique, qui
constitueraient une espèce à l'intérieur de ce genre. Si l'on veut dire par là qu'abstraitement
l'organisation internationale et l'organisation internationale économique appartiennent à la
même classe, mais que celle-ci présente, par rapport à celle-là, des différences spécifiques, ce
n'est pas faux. Mais si l'on veut en déduire, concrètement, que l'appellation «organisation
internationale » ne vaut que pour les organisations qui possèdent une compétence générale, et
que l'appellation « organisation internationale économique »83 ne vaut que pour les
organisations qui possèdent cette compétence spéciale, alors la déduction parait sujette à
caution.

Toutes les organisations internationales obéissent, en effet, au principe de spécialité84. Le


principe de spécialité signifie que l'organisation internationale trouve sa justification dans la
satisfaction d'unbesoin spécial, qui est d'intérêt commun à une pluralité d'Etats. Dès lors, on
83
Sur la distinction voir l’Abécédéaire de l’Union Européenne sur les organisations internationales
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/monde/organisations/index.shtml?xtor=EPR-528
84
On ne manquera pas, sur ce point, de se référer à l'avis consultatif donné par la CIJ le 8 juillet 1996, à la
demande de I'OMS (résolution WHA 46.40), dans lequel la Cour constate que si l'Organisation mondiale de la
Santé possède bien des attributions étendues, celles-ci n'en sont pas moins limitées au domaine de la santé. Et la
Cour relève que la demande porte sur la licéité internationale du recours à la force nucléaire, et ne relève donc
pas du domaine de compétence de I'OMS.

61
ne peut opposer l'organisation dotée de compétences générales et l'organisation dotée de
compétences spéciales: il n'y a pas d'organisations à compétence générale; il n'y a que des
organisations à compétence spéciale.

Quoi qu’il en soit, « l'organisation internationale économique est une organisation


internationale qui possède des caractères spécifiques. Ces caractères spécifiques tiennent aux
missions qui sont assignées à ces organisations économiques, missions qui se caractérisent par
leur caractère d'unicité, en ce que leur domaine de compétence est limité a la coopération
interétatique dans le domaine macroéconomique »85.

Cette partie du travail est importante dans la mesure où elle va nous permettre de faire la
différence entre les différentes sortes d’organisations économiques qui sont de plus en plus
nombreuses aujourd’hui.

Paragraphe 1 : Classification des organisations internationales économiques

Le droit des organisations internationales propose un certain nombre de critères de


classification. Mais la classification n'est pas une fin en soi. Elle ne se justifie que si elle
entraine des conséquences de droit, c'est-à-dire des différences dans les régimes juridiques.
Or, les diverses classifications que propose le droit des organisations internationales
économiques ne présentent ici guère d'intérêt. Les unes paraissent mal adaptées, en ce qu'elles
distinguent entre espèces qui, malgré leur dénomination, n'appartiennent pas au même genre;
les autres apparaissent dénudées de toute utilité, parce qu'aux distinctions qu'elles proposent
ne s'attache aucune différenciation dans les régimes juridiques : organisations mondiales et
organisations régionales, par exemple.

85
Abécédéaire de l’Union Européenne sur les organisations internationales
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/monde/organisations/index.shtml?xtor=EPR-528 op.cit.

62
A. Organisations mondiales et organisations régionales

Ce sont les organisations mondiales qui nous intéressent ici, non pas que celle à caractère
d’intégration régionales ne présentent pas d’intérêts, mais dans la réalité actuelle, il faut
reconnaître que les organisations d’intégrations économiques régionales ne produisent pas
vraiment les effets escomptés en Afrique.

Ainsi, lors de la crise que Madagascar a eu à traversé en 2009, il s’est avéré très difficile de
faire respecter aux protagonistes les différents accords signés sous l’égide de la SADC pour
sortir le pays au plus vite de la crise.

Par contre, les organisations mondiales telles que la Banque mondiale, le FMI ou encore le
PNUD qui intervient dans le domaine de la promotion du développement ont plus vocation à
avoir des influences sur l’espace juridique et économique national86.

B. Organisations régulatrices et organisations opératrices

L'organisation régulatrice serait celle dont la fonction serait d'élaborer les normes du droit
international économique, quelle que soit, par ailleurs, la portée de ces normes, du point de vue ratione
loci, du point de vue ratione personae, ou du point de vue ratione materiae. L'organisation opératrice
serait celle dont les fonctions seraient d'imprimer dans la réalité des relations économiques
internationales les modifications que requiert la bonne exécution des missions qui lui sont confiées par
la charte constitutive. En bref, l'activité des organisations régulatrices serait de nature immatérielle,
alors que l'activité des organisations opératrices serait de nature matérielle. Dans cette étude, ce sont
surtout les organisations appartenant à la deuxième catégorie qui nous intéressent.

86
Sur toutes ces questions voir « les organisations internationales de développement » :
https://www.google.mg/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=2&cad=rja&uact=8&ved=0CCEQFjAB
&url=http%3A%2F%2Fwww.ladocumentationfrancaise.fr%2Fdossiers%2Fbanque-mondiale-
fmi%2Forganisations.shtml&ei=mCZCVe_EA87far3UgfAF&usg=AFQjCNFqrJmJegXXTVHQwi5VWeo0Dbr
q9A&sig2=Qu5wu3dvMphIJWCy4Q583g&bvm=bv.92189499,d.d2s

63
Paragraphe 2 : De la composition des organisations internationales économiques

Les organisations économiques internationales regroupent normalement des Etats souverains.


Cependant, l’on se pose de plus en plus la question de savoir s’il ne faudrait pas intégrer également les
milieux économiques dans le processus.

A. Le milieu étatique

La composition des organisations internationales économiques, selon les cas, peut refléter un plus ou
moins grand degré d'homogénéité. Moins nombreux sont les Etats qui composent une organisation
internationale économique et plus grandes sont les chances d'homogénéité.

Plus nombreux sont les Etats qui composent une organisation internationale économique et plus
grands sont les risques d'hétérogénéité. Mais les facteurs quantitatifs ne sont pas ici seuls en cause: les
facteurs qualitatifs jouent aussi leur rôle.

L'incidence des niveaux de développement économique sur la capacité de l'organisation internationale


économique à accomplir les missions dont elle est investie paraît évidente. Il y a des organisations
internationales économiques qui ne regroupent que des pays développés - l'OCDE; l'Union
européenne; voire l'ALENA. La proximité des niveaux de développement, et, par conséquent, la
relative homogénéité du milieu étatique doit, en principe, rendre plus aisée, au sein de ces
organisations, la coopération entre les Etats membres. Mais il y a des organisations internationales
économiques qui regroupent tout à la fois des pays développés et des pays en développement: c'est le
cas des organisations à vocation mondiale, comme le FMI, la BIRD, ou l'OMC. L'écart entre les
niveaux de développement, et, par conséquent, l'hétérogénéité du milieu étatique qui s'ensuit, dans le
meilleur des cas, oblige à rechercher des compromis entre intérêts opposés, et, dans le pire des cas,
paralyse le mécanisme de prise de décision au sein de l'organisation87.

87
Voir à ce sujet : « l’Union Européenne et les autres organisations régionales » :
https://www.google.mg/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=1&cad=rja&uact=8&ved=0CBwQFjAA
&url=http%3A%2F%2Feduscol.education.fr%2Fsiene%2Fhistoire-geographie%2Fressources-pour-
enseigner%2Fportails-et-sites-institutionnels-producteurs-de-donnees%2Fgeopolitique-relations-internationales-
droits-de-l-homme%2F2125-ressource-812-l-union-europeenne-et-autres-organisations-
regionales.html&ei=mCZCVe_EA87far3UgfAF&usg=AFQjCNEwP6G2zQkccV2MoF5-
DEPMfNexAw&sig2=nY1xwf8aWlmWgKk6v7v0QQ&bvm=bv.92189499,d.d2s

64
B. Fermeture ou ouverture aux milieux économiques ?

L'organisation internationale économique est et demeure une organisation internationale, ce


qui veut dire qu'elle ne peut être composée que d'Etats souverains. Mais quelle serait
l'efficacité d'une organisation internationale économique qui serait totalement coupé des
réalitésdes relations internationales économiques ? Ilfaut donc, tout en préservant le caractère
interétatique de l’organisation internationale économique, lui permettre d'établir une
nécessaire communication avec les agents des relations internationales économiques - parmi
lesquels, bien évidemment, les sociétés transnationales ou entreprises multinationales.

On peut avancer, à cet égard, deux propositions qui paraissent de portée générale. D'une part,
il est clair que seuls les Etats souverains peuvent créer une organisation internationale, qu'elle
soit ou ne soit pas économique. Seuls, en effet, les Etats souverains peuvent être partis àla
charte constitutive: une institution qui serait créée par accord entre des Etats souverains et des
sociétés transnationales ou des entreprises multinationales ne pourrait en aucune façon être
regardée comme une organisation internationale, au sens où l'entend le droit international.
Mais, d'autre part, les operateurs peuvent être associés, de différentes manières, que ce soit
indirectement, ou même directement, aux activités de l'organisation internationale: cette
association n'a aucune incidence ni sur le statut juridique de l'organisation ni sur le statut
juridique de l'opérateur.

Les relations entre organisation internationale et operateurs peuvent s'établir par


l'intermédiaire des organisations qui ne présentent pas le caractère interétatique. Les
organisations non intergouvernementales réunissent, en effet, les représentants des milieux
économiques et les fédèrent en leur sein pour permettre de s'exprimer sur le plan
international88.

Aussi, la plupart des organisations internationales qui conduisent une activité de coopération
internationale économique, même si ces organisations ne répondent pas toutes àla définition
de l'organisation internationale économique (supra), se voient ainsi reconnaitre, par leur

88
Voir à ce sujet « les organisation internationales de développement »,
https://www.google.mg/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=2&cad=rja&uact=8&ved=0CCEQFjAB
&url=http%3A%2F%2Fwww.ladocumentationfrancaise.fr%2Fdossiers%2Fbanque-mondiale-
fmi%2Forganisations.shtml&ei=mCZCVe_EA87far3UgfAF&usg=AFQjCNFqrJmJegXXTVHQwi5VWeo0Dbr
q9A&sig2=Qu5wu3dvMphIJWCy4Q583g&bvm=bv.92189499,d.d2s

65
charte constitutive, la possibilité de nouer des relations avec les organisations non
intergouvernementales: ainsi de l'article 71 de la Charte de l'Organisation des Nations Unies89,
ou de l'article 87, paragraphe 2, de la Charte de La Havane90.

Ces relations permettent la consultation des organisations non intergouvernementales. La


procédure de consultation offre ainsi un canal de communication entre milieux
intergouvernementaux et milieux non intergouvernementaux dont l'utilité est évidente. Mais
elle ne donne pas la possibilité aux operateurs de peser directement sur le mécanisme des
décisions. C'est la raison pour laquelle cette procédure d'association indirecte se rencontre
donc, plus particulièrement, dans les chartes constitutives des organisations de coopération
internationale économique.

Les relations entre organisation internationale et operateurs peuvent aussi s'établir sans
intermédiaire, du fait de la participation des représentants des milieux économiques à1'action
de certains des organes principaux, ou subsidiaires. Ces représentants peuvent être eux-mêmes
soit des associations professionnelles, soit des personnalités. En accédant àtel ou tel organe de
l'organisation internationale économique, ils se voient reconnaitre non seulement la possibilité
d'exprimer les positions qui sont les leurs, mais également la possibilité d'influencer
directement les positions qui sont celles de l'organisation internationale économique. Rares
sont donc les chartes constitutives qui reconnaissent ce droit d'accession aux représentants des
milieux économiques.

89
« Le Conseil économique et social peut prendre toutes dispositions utiles pour consulter les organisations non
gouvernementales qui s'occupent de questions relevant de sa compétence. Ces dispositions peuvent s'appliquer à
des organisations internationales, et, s'il y a lieu, à des organisations nationales après consultation du membre
intéressé de l'organisation. »
90
L’Organisation pourra conclure les arrangements propres à faciliter les consultations et la coopération avec les
organisations non gouvernementales intéressées des questions relevant de la présente Charte. »

66
Section II : les moyens de pressions des organisations internationales
économiques

Normalement, une organisation internationale économique n’est pas créée pour régler les
relations internationales politiques des Etats: le principe de spécialité s'y oppose. Certes,
l'organisation internationale peut être dotée d' « attributions étendues »dans l'un ou l'autre de
ces deux domaines: mais, alors, on ne saurait la définir comme une organisation internationale
économique.

Paragraphe 1 : le principe de la séparation de la politique et de l’économie91

Le problème de la séparation entre le politique et l'économique se pose en termes différents.


On peut les résumer ainsi: une organisation internationale économique peut-elle se départir de
sa neutralité et exercer ses activités en fonction de critères politiques, et non en fonction de
critères économiques ? La question risque de surgir dans le cadre des organisations à
vocation mondiale, parce que c'est au sein de celles-ci que coexistent, parfois difficilement,
les pays membres que séparent àla fois leurs choix politiques et leurs choix économiques.

A. Le principe de la séparation

Ainsi formulée, la question, jusqu'à une époque récente, appelait une réponse, et une seule
réponse. La rationalité économique n'est pas la rationalité politique. Par la suite, les décisions
de l'organisation internationale économique, dont on peut souhaiter qu'elles soient rationnelles
plutôt qu'irrationnelles, doivent s'expliquer et se justifier par des considérations que dictera
cette rationalité économique. Cette idée imprègne nombre de chartes constitutives: on pourra,
à cet égard, se référer aux articles 10 des statuts de la BIRD, à des statuts de l'AID, ou des
statuts de la SFI.

91
Voir notamment « l’art du central banking de la BCE et le principe de la séparation »,
https://www.google.mg/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=6&cad=rja&uact=8&ved=0CDoQFjAF&
url=http%3A%2F%2Fwww.cairn.info%2Frevue-d-economie-politique-2010-2-page-
269.htm&ei=kCdCVdjyG4nnasf_gPAH&usg=AFQjCNG46sEEQHC6JIqQaWmEpZAZ1ipLpw&sig2=cyVKtm
8b-5F12WVkzKYr-A&bvm=bv.92189499,d.d2s

67
A titre d'exemple, l'article IV, section 10, des statuts de la BIRD est ainsi rédigé:
« Interdiction de toute activité politique ». La Banque et ses dirigeants n'interviendront pas
dans les affaires politiques d'aucun Etat membre, ni ne se laisseront influencer dans leurs
décisions par l'orientation politique de l'Etat membre (ou des Etats membres) en cause. Leurs
décisions seront fondées exclusivement sur des considérations économiques, et ces
considérations seront impartialement pesées afin d'atteindre les objectifs énoncés à l'article
1. »92
La séparation du politique et de l'économique entraine donc deux corollaires: l'organisation
s'abstient d'intervenir dans les affaires politiques de l'Etat membre; elle prend ses décisions en
fonction de considérations économiques et non politiques.

B. Les évolutions récentes et le fléchissement du principe

Mais l'évolution qui s'est produite, en ce qui concerne le renforcement du droit international,
et la consolidation du rôle de l'Organisation des Nations Unies, fait que l'on peut se demander
si cette attitude est toujours fondée. On soutient, en effet, que l'Organisation est assujettie à un
devoir impératif d'ingérence dès lors qu'il s'agit d'empêcher ou de réprimer les violations des
droits fondamentaux de la personne humaine, et que ce devoir justifie donc que l'Organisation
interviennedans les affaires intérieures de l'Etat membre qui se rendrait coupable de ces
violations, nonobstant la réserve de compétence nationale de l'article 2, paragraphe 7, de la
Charte. Dès lors, il y aurait quelque étrangeté à ce que les comportements qui justifieraient
l'intervention de I'ONU dans les affaires d'un Etat membre ne puissent être « pris en
considération »par la BIRD lorsqu'il s'agit d'accorder un prêt.

Certaines organisations internationales économiques, de création récente, vont plus loin


encore, en ce que leur charte constitutive, loin de mentionner le principe de séparation du
politique et de l'économique, mais se fonde sur l'idée inverse. Ainsi, l'Accord de Paris, portant
création de la BERD93, repose-t-il sur une double conditionnalité, àla fois économique et
politique94. Et, s'agissant, plus particulièrement, de la conditionnalité politique, celle-ci
présente une double face, interne et internationale.

92
Article IV, section 10, des statuts de la BIRD.
93
Sur l'Accord de Paris, voir « Chronique de droit international économique », AFDI, 1991, pp. 711-747.
94
Ibid., pp. 737 ss. Cf. le preambule et les articles 1, 2 et 11 de l'Accord.

68
Paragraphe 2 : Concessionnalité et Conditionnalité

Ce sont les deux mots d’ordres qui trouvent à s’appliquer dès qu’il est question du
fonctionnement de ces organisations internationales économiques et dès qu’il est question
d’étudier comment elles influent sur l’espace économico-juridique des Etats membres.

A. La concessionnalité

Les organisations internationales économiques ont donc, parfois, une fonction distributrice ou
redistributrice, en ce qu'elles assurent ou permettent d'assurer des transferts réels de
ressources, et particulièrement dans le sens Nord-Sud - encore qu'il n'y ait là rien d'exclusif.

Mais dès lors qu'il s'agit de rapports entre pays développes et pays en développement, les
règles du droit international économique, fondées sur l'égalité souveraine entre les Etats,
peuvent s'effacer devant les règles propres au droit international du développement, dans
lequel l'idée d'égalitéréelle prime l'idée d'égalité formelle, et qui prône, par conséquent le
recours à l'inégalité compensatrice pour substituer celle-ci à celle-là. Il en résulte que
l'organisation internationale économique, en tant qu'instrument du développement, fournit ou
permet de fournir de l’aide aux pays en développement sur la base de conditions
concessionnelles, c'est-à- dire de conditions qui sont plus favorables au demandeur que les
conditions qui résulteraient, pour lui, du jeu de l'offre et de la demande.

C'est le cas, notamment, de l'aide financière consentie sous forme de prêts et dans laquelle la
concessionnalité revêt trois aspects essentiels: bonification du taux d'intérêt, allongement des
durées d'amortissement, et stipulation des délais de grâce. Nombre d'institutions financières
offrent ces conditions concessionnelles aux pays en développement: FMI, AID, banques
régionales de développement, fonds d'aide au développement95.

95
Voir à ce sujet les développement sur les « Les institutions financières internationales »,
https://www.google.mg/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=1&cad=rja&uact=8&ved=0CB0QFjAA
&url=http%3A%2F%2Fwww.diplomatie.gouv.fr%2Ffr%2Fpolitique-etrangere-de-la-france%2Faide-au-
developpement-1060%2Fdispositif-institutionnel-et%2Fcanaux-d-acheminement-de-l-aide%2Farticle%2Fles-
institutions-

69
Mais cette concessionnalité ne va pas sans contreparties. Les pays receveurs, pour bénéficier
de l'aide qui leur est ainsi offerte, doivent souscrire des engagements: et c'est parce que la
concessionnalitédépend de cet engagement qu'apparaît la notion de conditionnalité.

B. La conditionnalité

Les conditions que souscrivent ainsi les bénéficiaires ne leurs sont pas imposées: elles sont
négociées et énoncées dans un instrument qui, même s'il ne prend pas toujours la forme d'un
accord ou d'un trait, n'en manifeste pas moins la volonté de se lier de part et d'autre - même si
la marge de négociation laissée au bénéficiaire paraît étroite au point que l'on a évoqué, à ce
propos, la notion, familière aux civilistes de tradition française, de contrat d'adhésion. La
conditionnalité, ainsi entendue, est avant tout d'ordre économique. Elle se donne comme c1é
de l'efficience économique: l'aide ne peut être accordé àtitre concessionnel que s'il est clair
que les conditions de son utilisation en assurent l'efficience. Mais, au-delà de l'efficience se
profile l'obédience: les Etats qui accordent de l'aide, ce sont les pays développés, qui adhérent
au libéralisme économique; et pour eux la condition de l'efficience, c'est l'adhésion au
libéralisme. La conditionnalité œuvre donc au renforcement de l'ordre international
économique96.

Mais les exigences de la conditionnalité ne s'arrêtent pas en si bonne voie. Le libéralisme ne


se divise pas - tout au moins aux yeux de certains pays développés; et l'adhésion au module
économique entraine l'adhésion au module politique - ce qui se conçoit aisément – de même
que l'adhésion au module politique entraine l'adhésion au module économique - ce que
d'autres pays développés ont plus de mal à concevoir. Mais l'effondrement du monde
soviétique a paru une bonne occasion d'assurer l'ancrage économique et politique des pays de
l'Est au monde occidental. C'est ainsi que l'Accord de Paris, portant création de la BERD,
place fortement l'accent sur la conditionnalité tant économique que politique. Et la
conditionnalité politique revêt ici deux aspects. Un aspect est l'aspect interne: les pays qui
peuvent bénéficier des financements de la Banque doivent choisir le module de l'Etat de droit,

financieres&ei=hSlCVbjKH43qaJCPgOgM&usg=AFQjCNFuc6eWHongP5LRLH4RlUJR8k0oaA&sig2=wfEny
8HuYbVXcZoJf9_Zag&bvm=bv.92189499,d.d2s

96
ibid.

70
c'est-à-dire le module de la démocratie représentative, respectueuse des libertés de la personne
humaine97.

L'autre aspect, c'est l'aspect international: le respect des principes fondateurs des Nations
Unies et, notamment, du principe de l'interdiction du recours à la force dans les relations
internationales est érigée en condition de l'accès aux financements qu'accorde l'institution98.

L'organisation internationale économique, dès lors, se trouve dans une situation nouvelle. Le
principe de la séparation de 1'économique et du politique, sur lequel reposent nombre de
chartes constitutives, semble ici trouver ses limites99.

Certes, nombre d'instruments internationaux énoncent comme une évidence le droit souverain
qu'a chaque Etat de librement choisir son système politique et son système économique - la
participation à l'organisation internationale économique n'étant en aucune manière lié au
résultat de ce libre choix.

La conditionnalité signifie-t-elle qu'aujourd'hui pour les pays en développement, et demain


pour les pays développes, ce sont les Etats qui, au mépris du principe du libre choix, et donc
de leur souveraineté, devront s'adapter à l'ordre international économique en faveur duquel
œuvre telle ou telle organisation internationale économique, pour la seule raison que cet ordre
et cette organisation reflètent les principes directeurs qui, aux yeux de certains Etats, doivent
régir l'ensemble des relations internationales économiques? Apporter une réponse affirmative
à cette question-là, ce serait en soulever immédiatement une autre, et d'une autre ampleur: que
reste-t-il de la souveraineté, et donc de l'Etat souverain ?

97
Voir « Chronique de droit international économique », AFDI, 1991, pp. 711-747.
98
Sur ces divers aspects, voir Chronique de droit international o, AFDI, 1991, pp. 711-747.
99
Ce principe disparait d'ailleurs de certaines chartes constitutives au bénéfice du principe d'impartialité. Ainsi,
l'article 32, paragraphe 2, de 1'Accord de Paris, portant création de la BERD, prévoit que les organes de la
Banque « se fondent, dans leurs décisions, sur des considérations relevant exclusivement de l'objet de la mission
et des operateurs de la Banque, tels que définis dans le présent Accord. Ces considérations sont prises en cause
de façon impartiale afin que la Banque puisse remplir son objet et sa mission ».

71
Conclusion

La Séparation des pouvoirs est l’un des principes qui fondent la démocratie moderne. Il est
clairement affirmé dans le texte fondamental malgache : la Constitution. La séparation des
pouvoirs est généralement considérée comme « la séparation entre les trois fonctions de l’Etat
que sont la fonction législative, la fonction exécutive et la fonction juridictionnelle ainsi que
l’exercice de ces trois fonctions par des organes que sont le Parlement, pour le législatif, le
Président de la République et le gouvernement pour l’exécutif et le pouvoir judiciaire exercé
par les différents tribunaux. La séparation des pouvoirs c’est aussi les attributions biens
définies entre ces pouvoirs, sous tendue par l’existence des moyens d’actions, notamment
entre le législatif et l’exécutif, et qui peuvent varier selon les types de régimes politiques.
Mais (…) surtout l’essentiel en matière de séparation des pouvoirs c’est le maintien du
maximum d’indépendance entre ces différents pouvoirs. »100.

Mais c’est un principe qui n’est pas encore appliqué de manière véritablement effective dans
le droit positif et dans la pratique. En effet, on note encore une très forte prépondérance de
l’exécutif sur les deux autres institutions que sont le législatif et le judiciaire. Une
prépondérance largement entretenue par ce que l’on pourrait qualifier de complaisance des
parlementaires qui ne font pas usage, ou s’ils le font à mauvais escient, des prérogatives qui
leurs sont accordées par la Constitution pour exercer un contrôle sur les actions de
l’exécutif101.

Prépondérance qui est aussi entretenue par le refus de voir dans l’institution judiciaire un
véritable pouvoir qui formerait le troisième pilier de l’Etat, ce qui devrait pourtant être le cas.
La fonction juridictionnelle est reconnue comme une simple autorité qui, de fait, semble être
placée sous la hiérarchie des pouvoirs exécutif et législatif, ce qui compromet ses pouvoir de
contrôle.

A côté de ces faits, nous assistons également à l’avènement de nouveaux pouvoirs qui
ébranlent le principe et partant du fondement de la démocratie. Nous assistons aujourd’hui à
des évolutions importantes qui font évoluer notre conception de la démocratie et de l’intérêt

100
Mr J.E RAKOTOARISOA, Président de la Haute Cour Constitutionnelle Malgache, interview du 26 février
2015
101
Ibid.

72
général. La participation politique à la démocratie est moins qu’avant étroitement associée au
principe électif.

Les grands acteurs du politique sont un peu moins le citoyen-électeur, l’élu, le parti, le
syndicat, etde plus en plus les groupes d’intérêt non élus, les mouvements sociaux, les
groupes d’intérêtséconomiques, les ONG. Ce développement transforme aussi les modes de
prise de décision des institutions,et amène à valoriser une vision pluraliste du fonctionnement
de la démocratie. Le pluralismepolitique, qui conçoit que la définition de l’intérêt général
passe par la compétition des intérêts doit aujourd’hui être sérieusement étudié pour sortir la
pratique du lobby de l’opacité, mais également pour aider à mieux comprendre et accepter
certaines réalités, et notamment l’influence inévitable de certaines organisations
internationales sur la conduite de certaines politiques nationales, notamment en matière
économique, sans que cela soit systématiquement interprétée comme une ingérence, une
entorse au principe de la souveraineté des Etats.

73
Bibliographie
Ouvrages

- ARDANTP., AVRILP., Institutions politiques et droit constitutionnel, LGDJ, 19eéd.,


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- AVRILP., « Le parlementarisme rationalisé», cette Revue 1998

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Articles

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http://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2012-4-page-73.htm
- BEAUD Olivier, « La multiplication des pouvoirs », Pouvoirs, 2012/4 n° 143, p. 47-
59. DOI : 10.3917/pouv.143.0047. http://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2012-4-
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l’encyclopédie française, 1964

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- CLAMEN M. (2003), Le lobbying et ses secrets : guide des techniques d’influence,


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- Norbert LENOIR, « La démocratie et son histoire » , Presses Universitaires de France


« L'Interrogation philosophique », 2006

Site web

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- http://www2.ohchr.org/french/law/magistrature.htm

Jurisprudence

- CEDH dans l’affaire Delcourt c. Belgique, le 17 janvier 1970

76
Table des matières
INTRODUCTION ................................................................................................................................... 1

TITRE I. UN DESEQUILIBRE EN FAVEUR DE L’EXECUTIF ........................................................ 8

Chapitre I. La prééminence du pouvoir exécutif sur le législatif ............................................................ 9

Section I : une prééminence qui se manifeste en amont ........................................................................ 14

Paragraphe 1. Par le pouvoir de nomination et de dissolution .............................................................. 14

A. La nomination des membres du Sénat selon l’article 81 de la Constitution.................................. 14

B. La dissolution de l’Assemblée nationale selon l’article 60 ........................................................... 16

Paragraphe 2. Responsabilité politique ................................................................................................. 19

A. Le gouvernement responsable devant l’Assemblée Nationale ...................................................... 20

B. Irresponsabilité du Président de la République ?........................................................................... 21

Section II : une prééminence dans l’élaboration législative .................................................................. 23

Paragraphe 1 : Dans l’initiative de la loi ............................................................................................... 23

A. Une prééminence dans l’initiative du fait de la défaillance de l’organe législatif......................... 23

B. Une prééminence facilitée par le fait majoritaire .......................................................................... 24

1. Essai de définition du fait majoritaire ........................................................................................... 24

2. Le fait majoritaire et l’atteinte à la séparation des pouvoirs.......................................................... 26

Paragraphe 2 : la substitution à l’organe législatif ................................................................................ 27

A. Une substitution qui peut être très forte : la procédure législative d’urgence ............................... 27

1. Qu’est-ce qu’une procédure législative d’urgence ? ..................................................................... 28

2. Comment la procédure d’urgence nuit au principe de la séparation des pouvoirs ? ..................... 29

B. Une substitution qui peut aussi se traduire par le contrôle de l’organe législatif ......................... 31

Chapitre II : L’inexistence d’un pouvoir judiciaire ............................................................................... 32

Section I : Le refus de reconnaitre le pouvoir judiciaire ....................................................................... 32

Paragraphe 1. Le texte constitutionnel .................................................................................................. 33

A. Indépendance et autonomie mais non reconnaissance en tant que troisième pouvoir ................... 33
B. Un pouvoir judiciaire inexistant mais qui exerce un certain contrôle : le cas de la Haute Cour
Constitutionnelle ................................................................................................................................... 35

Paragraphe 2. Le gouvernement des juges ............................................................................................ 38

A. Le gouvernement des juges ou la création prétorienne du droit .................................................... 38

B. Une méfiance injustifiée ? ............................................................................................................. 40

Section II : l’emprise de l’exécutif et de l’organe législatif sur le fonctionnement de la machine


judiciaire : le cas de la Haute Cour Constitutionnelle ........................................................................... 41

Paragraphe 1. Organisation et fonctionnement des juridictions ............................................................ 42

A. Un rôle accru du Parlement dans l’élaboration des textes règles institutives et constitutives de la
Cour ....................................................................................................................................................... 42

B. Une emprise qui amène des questionnements sur la capacité de la Cour à exercer un contrôle réel
43

Paragraphe 2. Nomination, promotion et sanction des magistrats ........................................................ 44

A. La nomination des juges ................................................................................................................ 44

B. La promotion et la sanction des juges ........................................................................................... 45

TITRE II : L’AVENEMENT DE NOUVELLES FORMES DE POUVOIR ET LEUR IMPACT SUR


LE PRINCIPE DE LA SEPARATION DES POUVOIR...................................................................... 46

Chapitre I : le pouvoir exécutif et le pouvoir économique .................................................................... 47

Section I : De la notion de pouvoir économique : les groupes d’intérêt................................................ 47

Paragraphe 1 : définition et origine des groupes d’intérêt ..................................................................... 48

A. Une définition délicate .................................................................................................................. 48

B. Une origine américaine et des déclinaisons à la française............................................................. 50

Paragraphe 2 : les groupes d’intérêt au niveau de l’Etat ...................................................................... 52

A. La représentation ........................................................................................................................... 52

B. Les caractéristiques organisationnelles ......................................................................................... 54

Section II : interaction entre pouvoir politique et pouvoir économique ................................................ 55

Paragraphe I: les lobbies dans la gouvernance ou la main « invisible » du marché .............................. 55

A. Le résultat du financement de la vie politique par les groupes d’intérêt ....................................... 55

B. Influence sur les décisions politiques ............................................................................................ 57


Paragraphe II : les enjeux de l’intervention des groupes d’intérêts ....................................................... 57

A. Une diversification des sources d'informations parlementaires.............................................. 59

B. Le renforcement de l'application des lois .................................................................................. 59

C. Une participation à l’efficacité économique .............................................................................. 60

Chapitre II : la relation entre les institutions internationales et les institutions étatiques...................... 61

Section I : les secteurs d’intérêt des Organisations Internationales....................................................... 61

Paragraphe 1 : Classification des organisations internationales économiques ...................................... 62

A. Organisations mondiales et organisations régionales .................................................................... 63

B. Organisations régulatrices et organisations opératrices................................................................. 63

Paragraphe 2 : De la composition des organisations internationales économiques............................... 64

Section II : les moyens de pressions des organisations internationales économiques ........................... 67

Paragraphe 1 : le principe de la séparation de la politique et de l’économie......................................... 67

Paragraphe 2 : Concessionnalité et Conditionnalité .............................................................................. 69

B. La conditionnalité .......................................................................................................................... 70

Conclusion ............................................................................................................................................. 72

Bibliographie ......................................................................................................................................... 74

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