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Cosmogonies

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Julien d’Huy
Cosmogonies
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La Préhistoire des mythes
Préface de Jean-Loïc Le Quellec

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Cet ouvrage a été précédemment publié en 2020 aux Éditions la Découverte dans
la collection « Sciences sociales du vivant ».
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Composé par Facompo à Lisieux
Création graphique de la couverture : Valérie Gautier
Dépôt légal : septembre 2023

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ISBN   978‑2‑348‑08019‑7

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À Victor

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« Nous sommes automate autant qu’esprit. »

Pascal

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Préface

C ommençons par un récit recueilli vers 1931‑1932


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par Carl Etter chez les Aïnou du Japon :

Quand le créateur voulut façonner l’humanité, il envoya


le moineau demander au dieu du ciel en quoi la faire. La
réponse fut : en bois. Plus tard, le dieu du ciel changea
d’avis et envoya la loutre dire qu’il fallait plutôt prendre de
la pierre, mais, sur son chemin, la loutre trouva un point
d’eau plein de poissons qu’elle se mit à poursuivre. Elle y
passa tant de temps qu’elle arriva alors que l’humanité avait
déjà été créée. Le dieu du ciel, en colère, la frappa sur la face,
qui est très laide depuis lors. C’est pourquoi les humains,
faits de bois, sont mortels et doivent toujours naître encore
et encore. (Etter, 1949 : 22‑23.)

Très loin de là, au Mexique, Cenaro González Cruz a noté,


dans les années 1980, de la bouche d’un habitant de Mecayapan,
au sud de Veracruz, une histoire contée en nahuatl et dont
voici un résumé :

Tamakastsiin envoie un petit lézard dire à sa mère de rire,


chanter et danser quand reviendra son père mort, qu’il
est allé ressusciter. En chemin le petit lézard en rencontre
un autre, plus gros, qui affirme être plus rapide que lui
et qui propose d’y aller à sa place. Le petit lézard accepte
volontiers, mais l’autre, à son arrivée, dit à la mère de se
lamenter et pleurer, ce qu’elle fait dès qu’elle voit son époux
revenir. Apprenant cela, Tamakastsiin châtia le gros lézard

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en lui coupant la langue en deux, mais les humains étaient


désormais mortels. (González Cruz, 1984 : 210‑225.)

Changeons encore de continent : au début du xxe siècle, chez


les « San du Nord » vivant dans la région du Kalahari, en Afrique
australe, le révérend Dornan a entendu l’histoire suivante, expli‑
quant pourquoi le lièvre a la lèvre fendue :

Lune voulait envoyer un message aux premiers humains, pour


leur dire qu’à son exemple, ils mourraient, mais que les morts
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revivraient. Lune appela donc Tortue, lui disant : « Va vers
ces hommes là-bas, et donne-leur ce message de ma part.
Dis-leur que, tout comme je meurs et revis, ils mourront et
revivront. » Tortue marchait très lentement, et se répétait sans
cesse la phrase, pour bien s’en souvenir. Mais Tortue finit par
l’oublier, et retourna demander à Lune de la lui répéter. Lune
se fâcha de cette lenteur et de cet oubli, puis appela Lièvre
et lui dit : « Tu es un coureur rapide. Transmets ce message
aux hommes qui se trouvent là-bas : Comme je meurs et vis
à nouveau, ainsi vous mourrez et vivrez à nouveau. » Lièvre
se mit en route, mais, dans sa grande hâte, oublia le message
lui aussi, et ne voulant pas l’avouer à Lune, transmit la phrase
aux hommes de cette façon : « Comme je vis, vous mourrez
pour toujours. » Tel était le nouveau message. Entre-temps,
Tortue, se remémorant la missive originelle, avait recommencé
une seconde fois, en se disant : « Cette fois, je ne l’oublierai
pas. » Elle arriva à l’endroit où se trouvaient les hommes, et
leur délivra son message. Quand les hommes entendirent
cela, ils furent très en colère contre Lièvre, qui était assis à
une certaine distance, broutant l’herbe après sa course. L’un
d’eux courut, souleva une pierre et la lança vers Lièvre. Elle
le frappa en plein sur la bouche et fendit sa lèvre supérieure,
qui est restée ainsi depuis lors. (Dornan, 1917 : 80.)

Et d’aucuns disent en Lituanie que « Dieu envoya l’escargot


dire aux gens qu’ils ne mourraient pas, et le Lézard leur dire
qu’ils mourraient. C’est ce dernier qui arriva le premier, de sorte
que les hommes sont mortels. » (Kerbelite, 2001 : 102.)

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Préface 11

Ce sont là quatre récits brefs, notés en des lieux très distants les
uns des autres, sur plusieurs continents, et pourtant ils présentent
un air de famille certain. Tous lient l’origine de la mort à la faute
d’un messager chargé de délivrer un message de vie éternelle,
mais qui a failli à sa mission. Parfois le message a été modifié,
parfois il y a deux messagers rivalisant de vitesse, et il arrive, trois
fois sur quatre, que le fautif soit puni à la face, ce qui explique
l’une de ses caractéristiques physiques actuelles. Les exemples
de ce type d’histoires pourraient être aisément multipliés, car il
en existe des dizaines, mais ceux qu’on vient de lire suffisent
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à illustrer un problème qui défie les mythologues depuis bien
longtemps : comment expliquer de telles ressemblances entre des
récits aussi éloignés dans l’espace, et parfois également dans le
temps ? Pourquoi certains mythes très semblables sont-ils attestés
sur de si vastes distances, alors même que ceux qui les racontent
n’ont jamais pu se rencontrer et qu’ils ne semblent pas avoir eu
d’ancêtres communs identifiables ?
En telle situation, cinq hypothèses classiques sont possibles,
et en voici la liste :
1. cette répartition serait due au hasard ;
2. elle résulterait de la résurgence universelle d’un archétype ;
3. elle témoignerait d’une révélation primitive ;
4. elle serait le produit d’influences très récentes ;
5. elle serait imputable à un ancien phénomène de diffusion.
La première est parfaitement envisageable quand les narra‑
tions à comparer sont très simples. L’idée de l’immortalité
acquise grâce à un changement de peau, ou perdue à cause
d’une mue impossible ou ratée, pourrait ainsi avoir été inspirée,
en de nombreux endroits du globe, par la simple observation
de la mue des reptiles. Ce type d’hypothèse reste cependant très
difficile à démontrer : comment prouver que des convergences
seraient aléatoires ? Heureusement pour les comparatistes, cette
possibilité peut souvent être rejetée, car plus les récits sont longs
et remplis de détails récurrents et apparemment non nécessaires
au développement logique de leur trame, plus la possibilité de
ressemblances fortuites devient improbable. Que, sur plusieurs

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continents, l’on dise qu’un homme avalé par une baleine fut
finalement recraché par cet animal pourrait fort bien n’être
dû qu’aux caprices des imaginations faisant d’une bête aussi
énorme un monstre dévoreur. Mais quand, en Lettonie, chez
les Waropen de Papouasie-Nouvelle-Guinée comme chez les
habitants de l’île indonésienne de Numfor et les Lillooet de la
côte nord-ouest de l’Amérique du Nord, on raconte qu’une fois
à l’intérieur de l’animal le héros a eu très froid, qu’il a réduit en
pièces son canot qui avait été avalé en même temps que lui, puis
qu’il a utilisé ces planches pour allumer un feu et se réchauffer, il
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s’agit manifestement d’autre chose que d’une historiette tombant
sous le sens. Quand l’histoire précise que le héros a rencontré
une belle jeune fille dans le ventre du monstre, qu’en explorant
l’intérieur il est tombé sur une lampe allumée, ou encore qu’à
sa sortie il était devenu entièrement chauve, ou tout blanc,
comme c’est notamment le cas en Amérique du Nord et du Sud,
en Sibérie, dans le Caucase, en Grèce ancienne et dans les îles
Tuamotu, on ne peut décidément pas invoquer des déductions
logiques ou des observations naturalistes. La charge de la preuve
appartient à qui affirme, et qui défend cette première hypothèse
doit donc s’efforcer de la démontrer…
La deuxième hypothèse, faisant appel aux archétypes, veut
que le cerveau humain étant le même partout sur terre, son
fonctionnement soit uniforme à toute époque, quelles que
soient les langues et les cultures. Il ne faudrait donc pas être
surpris de voir en tout lieu, à tout moment, jaillir les mêmes
images, les mêmes idées, les mêmes récits, qui exprimeraient des
« archétypes » inconscients, enfouis dans les tréfonds de notre
esprit. Comme dans le cas précédent, cette façon de voir peut
s’envisager pour des images très simples, par exemple le fait de
considérer le soleil comme la roue d’un char, mais on ne peut la
retenir dans le cas de récits très longs et extrêmement complexes,
à l’instar de certains mythes qui nécessitent plusieurs heures,
voire plus d’une journée, pour être entièrement contés. De plus,
personne n’a jamais pu démontrer l’existence de ces supposés
archétypes. Leur statut est celui d’une simple hypothèse, au

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Préface 13

fond assez improbable au regard des données de la génétique


et des neurosciences, et vouloir expliquer une énigme par une
hypothèse, c’est se condamner dès le départ à ne rien expliquer
du tout (Le Quellec, 2013). Il convient d’appliquer là un adage
médiéval surnommé « rasoir d’Ockham », du nom de celui qui
le formula au xive siècle, et qui recommande de préférer l’expli‑
cation la plus « parcimonieuse », c’est-à-dire la plus économe en
hypothèses. Or faire appel aux archétypes, c’est s’appuyer sur
une hypothèse très fragile, reposant elle-même sur une cascade
d’autres hypothèses qui le sont encore plus, ce que tout compa‑
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ratiste préférera éviter.
La troisième des possibilités de notre liste peut surprendre de
nos jours, mais il faut rappeler qu’elle eut la faveur des ethno‑
logues et mythologues chrétiens du début du xxe siècle, notam‑
ment de ceux qui, comme le père Wilhelm Schmidt, cherchaient
dans les mythes du monde entier des indices d’une révélation
primordiale. S’agissant notamment des récits sur l’origine de
l’humanité qui justifient sa destinée mortelle par une faute
originelle, ces interprètes faisaient appel à une révélation divine
antiquissime, inégalement conservée chez les différents peuples,
et parfois presque totalement oubliée. Ainsi, dans certains autres
mythes d’origine de la mort, il est question de la possibilité
de vivre éternellement en changeant de peau, capacité que les
serpents ont acquise, car eux seuls n’étaient pas endormis au
moment d’un appel divin, et ils ont donc pu répondre correc‑
tement à Dieu : l’éternité est la récompense de leur éveil (Le
Quellec, 2019). L’association de la parole divine et d’un serpent
pour expliquer la condition mortelle des humains serait-elle un
lointain souvenir de l’épisode bien connu de la Genèse, qui se
serait corrompu au fil des millénaires ? Monseigneur Lechaptois,
missionnaire des Pères blancs au début des années 1900, écrivait
à propos de mythes d’origine de la mort qu’il avait recueillis
chez les Fipa et les Bende d’Afrique de l’Est :

Les ethnologues qui veulent à tout prix nier la révélation,


et contester l’autorité des traditions bibliques, expliqueront

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comme ils pourront ces légendes de l’Afrique équatoriale. Pour


nous, il nous semble que l’explication la plus loyale et la plus
fondée en raison, c’est d’admettre qu’elles sont un héritage
commun de l’humanité, se rapportant à un état primitif dont
le tableau s’est conservé, non sans de nombreuses altérations,
il est vrai, mais avec des linéaments et des coups de pinceau
suffisants pour déceler son origine divine. Si ces traditions
en effet ne datent pas des premiers jours de l’humanité,
comment se fait-il qu’elles se soient implantées au cœur du
noir Continent ? (Lechaptois, 1913 : 195‑196.)
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Pour être accepté, un tel argumentaire requiert d’avoir la foi,
et il n’est donc pas scientifique. Il rejoint en effet le type précé‑
dent, dans la mesure où lui aussi fait appel à une hypothèse
non démontrée, et même non démontrable (l’existence d’une
révélation première, octroyée à l’humanité par un dieu unique).
De nos jours, cette démarche n’est donc plus suivie par aucun
chercheur rationnel.
La quatrième explication possible fait appel à des transmissions
récentes. On a ainsi pu démontrer que si certains contes d’Afrique
de l’Ouest sont bien connus dans certaines régions d’Amérique du
Nord, c’est en conséquence du commerce des esclaves. En d’autres
cas, il est évident que ce sont les missionnaires qui ont propagé les
récits. Uno Holmberg rapporte par exemple que, chez les Sagaï du
nord de l’Altaï, qui furent christianisés au xixe siècle, court l’his‑
toire d’un déluge dans laquelle le constructeur du navire salvateur
se cache dans la forêt pour travailler. Le diable séduit la femme
de ce bricoleur pour apprendre d’elle ce qu’il fabrique et, l’ayant
découvert, se met à détruire chaque nuit ce que l’homme avait fait
durant le jour, de sorte que, lorsque survient la pluie, le bateau
n’est pas terminé et que Dieu doit envoyer au héros un navire
de fer, grâce auquel le charpentier réussit à se sauver avec son
épouse, sa famille et toutes sortes d’animaux (Holmberg, 1927 :
362). Or, si ce héros s’appelle Noj, c’est tout simplement que son
histoire démarque celle du Noé biblique. Ce type de transmis‑
sion existe donc bel et bien, et il est parfois difficile à identifier.

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Préface 15

Cependant, il est facile de comprendre que les missionnaires


n’auront transmis que des récits qu’il est possible de lire dans la
Bible ou dans les vies des saints. L’exemple du héros dévoré par
une baleine, puis recraché sur le rivage, fait évidemment penser
au Jonas biblique. Mais comment croire que les missionnaires
auraient transmis une foule de détails qui ne se trouvent pas
dans le livre sacré (Le Quellec, 2017) ? D’abondants exemples
montrent que c’est très peu probable, à l’instar du mythe suivant,
recueilli en Corée du Sud :
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Il y a longtemps, un pêcheur est allé pêcher. Une baleine
est venue. Comme elle avalait de l’eau de mer, le pêcheur
s’est retrouvé dans l’estomac de la baleine. Il y avait là des
gens qui étaient déjà venus auparavant et ils avaient installé
une salle de jeux. Un certain marchand de jarres était venu,
avait posé son cadre de transport et était absorbé par le
jeu. À ce moment-là, quelqu’un qui avait fumé a piqué
la chair de l’estomac de la baleine avec sa longue pipe de
bambou. La baleine n’a pas supporté la chaleur et s’est mise
à s’agiter violemment. Toutes les jarres et tous les gens sont
tombés ; la salle de jeux fut bouleversée. Lorsque les jarres
sont tombées, certaines se sont cassées et le riz, la sauce de
soja et le toenjang [une sorte de pâte de soja utilisée dans
la préparation d’un ragoût coréen épicé] se sont répandus
partout. La baleine en est devenue malade, et elle a fini par
s’échouer sur le rivage. Alors les hommes ont pris des tessons
des jarres pour découper les côtés de son estomac, et ils sont
sortis. (Grayson, 2012 : 261.)

De même, sur plus de six cents mythes diluviens recueillis tout


autour du globe chez les populations les plus diverses, environ
5 % pourraient relever d’une influence biblique, mais il reste à
expliquer tous les autres. De plus, l’une des leçons essentielles
de Claude Lévi-Strauss est qu’un mythe ne se peut envisager
que par l’ensemble de ses variantes connues, au sein desquelles
aucune ne saurait être objectivement privilégiée plus qu’une
autre, fût-elle démarquée de la Bible. Il en résulte que même

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16 Cosmogonies

quand l’influence d’un épisode biblique peut être prouvée, cette


démonstration ne fait que repousser le problème, puisque la
variante biblique en question n’est qu’une occurrence parmi
les autres, et non l’origine ultime de toutes : c’est évident pour
l’exemple du déluge, puisqu’on en connaît des attestations
assurément plus anciennes que celle de la Bible.
Dernière possibilité : les ressemblances entre récits éloignés
seraient dues à un très ancien phénomène de diffusion, si ancien
qu’il serait désormais oublié, ou qu’il n’en resterait presque plus
d’autres traces. Il paraît licite de retenir cette explication quand
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les précédentes ont pu être éliminées, mais comment la démon‑
trer ? Il existe pour cela des méthodes relevant de ce que le grand
sinisant Marcel Granet, repris par Georges Dumézil, appelait
des « explications de texte », et il est possible de les combiner
avec celles que Claude Lévi-Strauss a parallèlement mises au
point dans une perspective structuraliste qui n’est aucunement
obsolète, contrairement aux affirmations de certains critiques
hâtifs d’un structuralisme fantasmé. Il est même possible de
combiner les méthodes élaborées par ces deux savants, comme
le fait Bernard Sergent avec bonheur, mais l’efficacité de ces
approches n’interdit aucunement d’en explorer d’autres, et
c’est ici qu’intervient Julien d’Huy, qui affronte à son tour ce
problème à nouveaux frais. Tout en tirant parti des leçons de
ces maîtres, il rouvre d’anciens chemins bien peu fréquentés,
voire abandonnés depuis quelques décennies, les débroussaille,
les élargit, et en profite pour frayer de nouvelles voies.
Pour ce faire, il emprunte des outils statistiques à d’autres
sciences, qu’il s’agisse de l’analyse du discours, de l’aréologie ou
de la phylogénétique, et il les utilise pour étudier divers mythes
après un codage adéquat. Il s’appuie sur des corpus de récits
facilement accessibles, notamment l’extraordinaire ensemble
patiemment constitué, depuis des décennies, par Yuri Evgenievich
Berezkin, qui a eu la générosité de le mettre en ligne. Ce type
d’approche suscite généralement des résistances : traiter ainsi des
données culturelles par la statistique relèverait d’un réduction‑
nisme quelque peu positiviste, basé sur des analogies trompeuses.

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Préface 17

Ce serait là succomber au « vertige de l’analogie » que dénonçait


à juste titre Jacques Bouveresse (1999), et lancer sur le monde des
mythes un filet scientiste aux mailles bien trop larges. Ce serait
se rendre complice de ce que dénonçait Hayek comme étant « la
tyrannie que les méthodes et les techniques des Sciences au sens
étroit du terme n’ont jamais cessé d’exercer sur les autres disci‑
plines » (Hayek, 1953 : 8). Outre que ces arguments relèvent d’une
épistémologie obsolète, attribuant aux « sciences humaines » une
spécificité dont Alain Testart (1991) a bien montré qu’elle n’est
qu’un mythe contemporain, Julien d’Huy, lui-même très attentif
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à ces questions, prend soin d’y répondre en démontrant notam‑
ment que sa démarche n’est pas analogique.
Il anticipe les objections, tient compte des incertitudes,
remet sans cesse en chantier son ouvrage, et se tient donc
loin de toute position scientiste. Il fait varier les approches, et
confronte ses résultats à ceux d’autres disciplines : linguistique
historique, préhistoire, génétique des populations. Lorsque ces
résultats concordent entre eux, leur validité en est naturellement
renforcée, de sorte que les conclusions atteignent un très haut
niveau de vraisemblance, sans pour autant échapper à toute
critique. Comme les données de départ sont disponibles, que la
démarche suivie est clairement explicitée, que les outils utilisés
sont librement accessibles, nous avons tout loisir de refaire le
chemin si l’envie nous en prend : cela assure une « discutabilité »
de la méthode et des conclusions qui évite tout dogmatisme et
place résolument l’ensemble dans le cadre de ce qui est actuel‑
lement requis pour qualifier une œuvre de scientifique.
Il est heureux que les travaux de Julien d’Huy soient rendus
facilement accessibles par un livre dont le sérieux et la rigueur
n’excluent pas d’aborder des perspectives tour à tour vertigineuses,
intrigantes et même provocantes, notamment lorsqu’il étudie des
mythes très prégnants de nos jours, à l’instar de ceux qui narrent
le remplacement du matriarcat par le patriarcat. Il apparaît alors
que des développements communément considérés comme très
actuels pourraient bien remonter jusqu’à une lointaine préhistoire,
et n’avoir pas vraiment le sens qu’on leur prête trop généreuse‑

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18 Cosmogonies

ment d’habitude. Ce n’est pas là le moindre des mérites de ce


volume, qui sont nombreux : nous guidant au long d’itinéraires
inédits et parfois escarpés, son auteur contribue de façon originale
à nourrir une réflexion des plus contemporaines.

Jean-Loïc Le Quellec

Sources
Bouveresse Jacques (1999), Prodiges et vertiges de l’analogie. De l’abus des belles-
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Prélude

J oyeusement, les arbres poussent au cœur des


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mythes. Parfois, plongeant leurs racines jusqu’au
centre du monde, ils unissent les profondeurs et les cieux, les
faisant se rejoindre et s’écouter. C’est l’arbre cosmique, l’axis
mundi, que l’on découvrirait représenté dès le milieu du Ve millé‑
naire avant notre ère sur le décor d’une céramique retrouvée
dans le Morbihan (Cassen, 2000 : 732). C’est le grand frêne
Yggdrasil des anciens Scandinaves, aux racines rongées par
le dragon et couronné d’un aigle, sans cesse parcouru par un
écureuil qui excite l’inimitié entre les deux créatures. Le motif
de l’arbre géant se retrouve en Afrique, en Asie, en Océanie, en
Amérique, où il assure sans relâche la communication entre les
différents niveaux du monde. Chez les Chaga de Tanzanie, ne
raconte-t‑on pas que du bourbier où une femme fut engloutie
surgit un arbre gigantesque qui atteignit le ciel ? De l’homme
qui se lança à son ascension, nul ne sut ce qu’il advint (Scheub,
2000 : 4). De même, des récits chinois relatent comment un
homme escalada une plante ayant soudainement et rapidement
grandi, avant de se retrouver piégé sur la Lune (Eberhard, 1937 :
36‑37). En Amérique du Nord, voulant se marier à des étoiles,
une ou plusieurs femmes gravirent un arbre qui leur permit
­d’atteindre le ciel (Thompson, 1953). Au Mexique, le codex
Ramírez rapporte que, le ciel s’étant effondré sur la terre, deux
dieux se transformèrent en deux arbres immenses pour le soute‑
nir (Phillips, 1884 : 621). Selon les Yucatec, un gigantesque
arbre ceiba unit les sept ciels superposés au-dessus de la Terre,
permettant ainsi l’ascension des morts (Alexander, 1920 : 140).

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20 Cosmogonies

Pour les Indiens Mataco du Gran Chaco, le ciel et la terre étaient


autrefois liés par un arbre immense (Métraux, 1939 : 9).
Mais l’arbre peut aussi apporter connaissance et vie. Selon
les Acholi, qui vivent en Afrique de l’Est, Jok créa le monde,
puis plaça dans le ciel les corps célestes, le Soleil, la Lune et les
étoiles. Il avait l’intention de donner à l’espèce humaine les fruits
de l’arbre de vie, de sorte que celle-ci ne mourût jamais. L’être
humain fut donc appelé aux cieux où Jok l’attendait. Mais il
n’était pas pressé de venir et Dieu se mit en colère. Jok prit alors
les fruits de l’arbre de vie et les donna au Soleil, à la Lune, aux
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étoiles, pour qu’ils puissent vivre éternellement. Quand l’humain
arriva enfin, il était trop tard : les fruits de l’arbre de vie avaient
disparu, et notre espèce ne put vivre éternellement (Scheub,
2000 : 85). Cet arbre, c’est l’arbre de vie de la Genèse, au centre
du jardin d’Éden et voisin de celui de la connaissance du bien et
du mal. Mais c’est aussi l’arbre des mythes delawares, mohawks,
senecas, cherokees et hurons qui, profondément enraciné dans
la terre, apporta toutes les formes de vie (Thompson, 1966 :
286, n.56a).
L’arbre nourrit et, parfois, comme en Amérique centrale et
en Amérique du Sud, contient l’eau primordiale et les poissons
(Hatt, 1951 : 895 ; Boccara, 1990 : 77) ou, comme en Indonésie,
les plantes comestibles (Le Quellec et Sergent, 2017 : 86).
L’arbre pousse parfois en sens inverse. Enraciné au ciel, son
feuillage tombe vers la terre. On connaît l’arbre de Brahmā, mais
il en existe bien d’autres, en Afrique, en Eurasie et en Océanie
(Le Quellec et Sergent, 2017 : 87).
Enfin, l’arbre est souvent perçu comme étant à l’origine de
l’homme, celui-ci procédant du végétal. En Grèce, une tradi‑
tion notamment attestée chez Homère (Iliade XXII, 126 ; Odyssée
XIX, 163) et Platon (Apologie de Socrate 34d ; République 544d)
fait naître l’humanité du chêne et du rocher. Pour les Damara
et les Herero de Namibie, Makuru l’ancien, avec sa femme
Kamungarunga et son bétail, descendent d’un arbre mythique,
bien que les autres éléments du monde possèdent une origine
différente (Scheub, 2000 : 99). Diverses populations ­d’Amérique

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Prélude 21

du Sud voient aussi dans l’arbre le berceau de l’humanité


(Dreyfus, 1963 : 147 ; Monnier, 1999 : 39, 197).
Les mythes concernant les arbres foisonnent et leur appréhen‑
sion globale nécessiterait de longs développements. Ces végétaux
couvrent en effet le monde des mythes. Cependant, comme il
est facile de le constater à travers les exemples donnés plus haut,
certains récits ont un air de famille frappant, alors même que
leur aire de diffusion fait presque le tour de la Terre. Comment
expliquer cette surprenante ressemblance ?
Faut-il y voir l’effet du hasard, les similitudes que l’on croit
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déceler pour apparenter ces récits reposant sur une comparaison
superficielle ? Entre les objets considérés, il n’y aurait rien de
strictement commun et ce serait la focalisation sur des détails, et
non une comparaison systématique, qui suggérerait leur ressem‑
blance. Les rapprochements opérés ne le seraient que sur la base
de coïncidences fortuites.
Est-on éventuellement face à la manifestation identique d’un
imaginaire universel, propre à notre espèce, conduisant à l’appa‑
rition de motifs mythologiques similaires partout sur la planète ?
Le monde serait alors un théâtre dont l’esprit humain tirerait
toujours le même spectacle.
Ou bien peut-on imaginer que, comme dans une vraie famille,
des mythes parfois distants de milliers de kilomètres soient unis
par des liens réellement généalogiques ? Ce type de relation
serait caché, structural, chaque version étant liée aux autres par
un certain degré de parenté. Les variantes d’un mythe ances‑
tral se seraient alors construites au fil du temps, par filiations
successives.
C’est cette dernière hypothèse que j’entreprendrai d’étayer
dans ce livre. Elle s’inscrit à certains égards, comme on le verra,
dans une voie ouverte dès le xixe siècle. Les folkloristes et les
spécialistes de mythologie comparée ont en effet été troublés
depuis les origines de leur discipline par la ressemblance qu’ils
notaient entre des mythes et des contes populaires recueillis dans
des contextes culturels pourtant très éloignés les uns des autres.
Si leurs travaux ont permis de documenter et de classifier avec

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22 Cosmogonies

succès certaines familles de récits, les limites de leurs corpus et


les obstacles à la systématisation de leur approche les ont parfois
amenés à extrapoler, les conduisant à des résultats qui n’étaient
au fond que d’autres mythes d’origine. De nouvelles méthodes,
inspirées des algorithmes statistiques dont se servent les biolo‑
gistes de l’évolution pour comparer les espèces du vivant et établir
leurs liens de parenté, permettent aujourd’hui de reprendre leur
intuition de manière méthodique et rigoureuse. En somme, les
ressemblances structurelles et narratives entre certains mythes
complexes s’expliqueraient par une ascendance commune plutôt
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que par la convergence d’inventions indépendantes. À l’instar
des êtres vivants, les variations observées entre versions corres‑
pondraient à un processus de descendance avec modification,
dans lequel les phénomènes d’altérations, d’emprunts et d’oublis
joueraient un rôle analogue à celui des mutations, des hybrida‑
tions et des dérives génétiques.
Certes, le rapprochement a ses limites. S’il est suggestif de
dire que les traditions mythologiques, les récits populaires et
les contes de fées s’insèrent dans une généalogie, incluant un
ou plusieurs ancêtres, descendants, cousins, etc., qu’ils naissent,
se développent, vieillissent et meurent ou qu’ils se comportent
comme des organismes vivants dont les humains seraient les
agents de diffusion, les mythèmes ne se transmettent bien sûr
pas exactement comme des gènes et il ne s’agit pas d’entre‑
prendre une quelconque forme de naturalisation d’un processus
culturel. La transposition est ici d’ordre méthodologique.
Pour représenter les liens de parenté entre espèces, les biolo‑
gistes de l’évolution établissent des « arbres phylogénétiques »
et je procéderai de la même manière pour retracer la généalogie
des mythes étudiés. L’élaboration d’« arbres phylomémétiques »
à partir de la comparaison statistique des contenus sémantiques
des récits permet ainsi d’en reconstruire l’évolution et les états
ancestraux et, dans certains cas, de remonter jusqu’à la sortie
d’Afrique de l’Homme moderne. Cette arboriculture méthodo‑
logique ne relève toutefois pas seulement d’un emprunt à une
autre discipline. Sous une forme métaphorique, la botanique fait

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Prélude 23

de longue date partie de l’outillage conceptuel de la mythologie


comparée.
Le folkloriste russe Vladimir Propp, qui se meut dans un
labyrinthe multiforme de récits pour montrer l’incroyable unifor‑
mité des structures qui les sous-tendent, s’appuie sur la notion
de morphologie, qu’il présente ainsi :

En botanique, la morphologie comprend l’étude des parties


constitutives d’une plante, de leur rapport les unes aux autres
et à l’ensemble ; autrement dit l’étude de la structure d’une
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plante. […] Dans le domaine du conte populaire, folklorique,
l’étude des formes et l’établissement des lois qui régissent la
structure sont […] possibles, avec autant de précision que
la morphologie des formations organiques. (Propp, 1928a :
5 ; 1970 : 6.)

En 1927, l’ethnologue suédois Carl Wilhelm von Sydow


emprunte à la botanique le terme d’écotype. Ce mot, inventé
en 1922 par son compatriote Göte Turesson, désigne l’apparition
d’une unité écologique distincte à l’intérieur d’une même espèce,
dont les caractéristiques deviennent héréditaires (Turesson,
1922). Von Sydow l’utilise quant à lui pour décrire l’unifor‑
misation de certaines variantes mythologiques se transmettant
à l’intérieur d’une même aire linguistique ou culturelle (von
Sydow, 1927, 1965 [1948]).
Ces métaphores traduisent une réalité plus large : les mythes
évolueraient en grande partie de façon arborescente, chaque
version d’un récit provenant d’une version antérieure, l’ensemble
évoluant suffisamment lentement pour garder un air de famille.
Cette intuition m’a conduit à développer, à partir de 2012,
une approche statistique des mythes, que j’ai depuis appli‑
quée à différents corpus en variant leurs tailles, les unités et
les échelles d’analyse. Le résultat de ces travaux a été exposé
dans différentes revues scientifiques sans que jusqu’ici une
démonstration globale ait été proposée. Ce livre est l’occasion
de faire un premier bilan. Son ambition est de consolider les

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24 Cosmogonies

acquis de l’étude comparée des mythes pour en proposer une


nouvelle théorisation. Il ­s’inscrit de ce point de vue dans une
volonté de décloisonnement des recherches actuelles en mytho‑
logie comparée, trop souvent encore focalisées sur un niveau
local, pour aborder les traditions culturelles sous l’angle de la
mobilité et de la circulation des idées, tout en questionnant les
modalités de leurs mouvements. Le projet de ce livre consiste
ainsi à montrer comment cette nouvelle approche peut s’intégrer
à l’outillage méthodologique dont disposait jusqu’à présent le
chercheur en mythologie comparée.
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Suivant cette démarche, je soulèverai trois problèmes et tenterai
d’apporter à chacun une solution. Le premier problème relève
de la persistance des mythes et de la façon dont ils perdurent
dans le temps. Ce sera l’objet de la première partie de l’ouvrage,
qui traitera du mythe de Polyphème dans l’hémisphère nord.
Que l’on puisse reconnaître, sous différents habillages, le même
récit complexe en Eurasie et en Amérique du Nord montre une
évolution extrêmement lente du mythe, bien plus lente, par
exemple, que les familles de langues. L’utilisation prudente
d’outils statistiques permettra d’estimer dans quelle mesure la
structure du mythe a été transmise de façon cohérente, d’iden‑
tifier les éléments clés de ce processus et de mesurer la part
qu’y prennent les emprunts et les hybridations. Je tenterai de
montrer, en m’appuyant sur des arguments à la fois empiriques
et statistiques, que certains mythes n’évoluent que très peu
durant de longues périodes, avant de connaître de profonds
changements sur un temps très limité. Ces ponctuations laissent
une trace statistique aisément identifiable dans la structure des
arbres phylogénétiques. Par ailleurs, la reconstruction probabi‑
liste de la forme archaïque du mythe permettra d’éclairer sous un
jour nouveau certains vestiges archéologiques et de documenter
des réalités sociales et des croyances existant dans notre passé
lointain.
Le deuxième problème consiste à étudier la façon dont les
traditions évoluent. Partant du Plongeon cosmogonique, mythe
largement répandu dans l’hémisphère nord, puis élargissant

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Prélude 25

l’analyse à deux corpus de motifs, l’un consacré aux mythes


de catastrophes, l’autre aux mythes de création, la deuxième
partie de l’ouvrage montrera qu’une tradition ethnolinguistique
constitue une unité d’analyse tout aussi valable que le choix
des différentes versions d’un mythe. Les traditions s’avèrent
en effet suffisamment stables pour permettre de reconstruire
des arbres phylogénétiques fiables. Cette étude nous entraînera
sur des thèmes mythologiques diffusés dans le monde entier
pour montrer dans la troisième partie que ce résultat est aussi
possible en s’appuyant sur des aires culturelles. La quatrième
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partie étayera ces résultats, et montrera comment la méthode
phylogénétique peut s’articuler à la méthode structurale pour
élucider les phénomènes de mutation des récits mythologiques.
Le troisième problème renvoie à la corrélation entre les routes
de diffusion des mythes et celles des hommes modernes. Je
tâcherai de montrer l’influence de la distance géographique depuis
l’Afrique sur la variabilité des traditions mythologiques, celles-ci
paraissant diverger au fur et à mesure de leur éloignement de ce
continent. Or une telle divergence peut également s’expliquer
par une série d’effets fondateurs. Il semble par ailleurs exister
une corrélation mondiale, mais aussi locale, entre la diffusion des
mythes et celle des gènes. Les arbres phylogénétiques de mythes
ou de traditions mythologiques correspondent ainsi souvent à
des migrations réelles de populations. La phylogénétique des
mythes pourrait donc permettre de reconstruire les migrations
et les contacts entre populations depuis le Paléolithique.
Reste l’organisation générale de l’ouvrage. Une exposition
thématique, par grands mythes, aurait conforté l’illusion rassu‑
rante d’une mythologie statique et ordonnée, mais aurait risqué
de laisser non traités les résidus de la recherche menée pour
chacun de ces mythes, pour peu que ces résidus sortent du
champ déterminé a priori pour l’étude. En outre, une telle organi‑
sation aurait difficilement pu montrer comment les différents
résultats obtenus se rejoignaient, pour permettre la formulation
d’un nouveau modèle d’évolution des mythes. Inversement, une
analyse suivant au mieux les méandres du raisonnement aurait

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26 Cosmogonies

perdu le lecteur en chemin, conduisant, faute de systématisation,


à une succession chaotique de mythes que seule aurait reliés
entre eux la nécessité, pour l’analyste, de les convoquer à un
moment donné.
Pour éviter ces écueils, le livre suivra une quadruple progression.
On passera des différentes versions d’un mythe (Polyphème) à
l’étude comparée de différentes traditions (autour de la création
du monde et des mythes de catastrophes) en finissant par l’étude
comparée d’aires culturelles (autour des mythes de découverte
du feu et de matriarchie primitive), la dernière partie récapitu‑
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lant, à partir de l’étude de la Femme-Oiseau et de la Ménagère
mystérieuse, les différents niveaux d’analyse. Le fil chrono­logique
remontera des temps plus récents (peuplement du nord de
l’Eurasie) aux plus anciens (avant la sortie d’Afrique), en passant
par des périodes intermédiaires (peuplement de l’Eurasie). Chaque
partie est associée à un élément (terre, eau, feu, air) auquel se
rattache le thème des principaux mythes étudiés. Quant aux
corpus eux-mêmes, ils ont été successivement choisis en fonction
des résultats de l’étude du corpus précédent : un mythe reconstruit
par une analyse phylogénétique se verra aussitôt étudié en détail,
permettant d’autres reconstructions qui seront autant d’occasions
de tester de nouveaux corpus. Cette méthode permet de vérifier
la solidité de chaque analyse statistique en faisant un pas sur le
côté et en reprenant la démonstration à nouveaux frais.
La volonté d’ordonner la diversité en une unité explique
l’adoption d’un plan musical, divisé en plusieurs mouvements.
En musique, il est commun de dire depuis le De Musica de saint
Augustin qu’un son se rapporte au contexte où il s’insère, à ce
qui précède ou à ce qui suit son expression. Ainsi, le dynamisme
musical ne peut être compris que si chaque événement se
rattache à ce qui a déjà été entendu et influence nos attentes
concernant le futur. Jouer de la musique, c’est ordonner l’instant
où l’on se trouve par rapport à une ligne continue, construire
une temporalité. C’est ce que je souhaiterais faire pour l’ana‑
lyse des mythes et, plutôt qu’égrener des récits sous la forme
d’une succession vide et vaine, faire apparaître une progression

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Prélude 27

qui donnera sa cohérence au tout, comblant les attentes ou les


relançant.
Afin de renforcer encore la robustesse de l’ensemble, trois
interludes sinuent entre chacune des quatre parties de l’ouvrage,
consacrés à un animal cristallisant l’imaginaire : le serpent.
L’inclusion de ce thème dans la trame de l’analyse la rendra, je
l’espère, ubéreuse. Il s’agit, en tirant le fil logique de chapitre en
chapitre, d’en entrelacer de nouveaux, afin de tisser au mieux,
et de la façon la plus solide possible, l’étoffe de la réalité.
L’approche phylogénétique des mythes repose en effet sur des
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choix a priori, celui de mythèmes, de motifs, d’éléments qu’il
semble pertinent au chercheur de faire figurer, ou non, dans
ses données, ainsi que des méthodes pour les traiter. Les biais
statistiques sont nombreux, et rendent la tâche de l’analyste
compliquée pour corroborer ou réfuter les reconstructions ainsi
obtenues. Ils peuvent cependant être limités en multipliant et
en croisant les angles d’attaque.
À cette condition, il semble aujourd’hui possible de proposer
une nouvelle science des mythes permettant de rendre compte
à la fois de la permanence et de la variabilité des traditions et
des récits oraux. C’est toute l’ambition de cet ouvrage que d’y
contribuer.
Faisons-nous donc botaniste et, filant la métaphore dont les
graines ont été semées plus tôt, reconstruisons quelques arbres
de l’immense forêt de mythes qu’a plantée l’humanité depuis
ses origines, en nous appuyant sur la logique et les statistiques.
Les résultats de cette reconstruction seront testés, contrôlés et
mis à l’épreuve, en variant les approches et en confrontant leurs
résultats à ce que nous apprennent d’autres disciplines, comme
la génétique, la linguistique, l’anthropologie et l’histoire, tant
il est vrai que l’arbre ne devient solide que grâce au vent qui
l’éprouve.
Avançons alors ensemble dans le feuillage, le touffu, le brous‑
sailleux et tentons d’y trouver sens, pour que le livre vaille
l’arbre de son papier.

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Premier mouvement
Le cycle de la terre

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Les Nartes se lancèrent dans une quête. Après avoir marché un certain
temps, une moitié d’entre eux proposa à Sosruquo de se joindre à
eux, et l’autre moitié refusa. Ceux qui ne voulaient pas de Sosruquo
finirent par l’emporter, et bientôt les troupes s’éloignèrent sans lui.
Mais Sosruquo devina qu’une moitié des Nartes souhaitait qu’il les
accompagne, et sans tenir compte de l’autre moitié, il décida donc
de les suivre.
Ils voyagèrent loin, et bientôt un froid glacial tomba. Le froid s’abattit
sur eux au milieu de leur voyage. Ils n’avaient pas de feu, et sans
feu, ils n’allaient pas bien.
Sosruquo apparut devant eux. « Ils ne veulent pas tous de moi ici,
mais certains le veulent. Si certains le souhaitent, je voudrais leur
être utile », se dit-il. Il s’approcha du groupe et les salua. Il se tourna
vers eux et leur demanda : « Avez-vous froid ? Comment se fait-il
que vous soyez sans feu ?
– Il se trouve qu’il n’y a pas de feu par ici et que nous ne pouvons
en obtenir. Où pouvons-nous en trouver ? Où pouvons-nous aller ?
Personne ne peut nous aider. Vous êtes le seul à pouvoir le faire. Et
si vous ne pouvez pas, nous mourrons. »
Après qu’ils eurent dit cela, Sosruquo commença sa quête du feu. Il
monta sur son cheval et s’éloigna : « Il y a peut-être une chance,
alors essayez de tenir bon jusqu’à mon retour. S’il y a du feu dans
ce monde, je le trouverai et je vous le ramènerai. »
Sosruquo partit à la recherche du feu. Il voyagea loin, et gravit une
montagne. Il regarda en contre-bas et vit une lumière briller. Il se
dirigea vers elle, sans jamais la quitter des yeux. C’était loin, même

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32 Cosmogonies

pour Sosruquo, mais il avait un cheval exceptionnellement bon. Peu


à peu, il s’approcha jusqu’à ce qu’il rejoigne un ayniwzh, un géant
à un œil, qui était couché devant le feu, dans une grotte.
« Vivez longtemps, Ayniwzh, et soyez en bonne santé ! » dit Sosruquo
et il s’approcha de lui. L’ayniwzh l’invita à s’asseoir et Sosruquo
regarda autour de lui. Près de l’endroit où il se trouvait, il y avait
deux hommes et quelques moutons à l’intérieur d’un énorme rocher
rond. Sosruquo devina que des gens étaient piégés dans la roche, mais
il ne demanda pas à l’ayniwzh qui ils étaient. Le cyclope se mit à
discuter avec Sosruquo, tandis que ce dernier réfléchissait à ce qu’il
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pouvait faire pour éviter d’éveiller les soupçons de son hôte.
Bientôt, l’ayniwzh s’endormit et dit : « Il vaut mieux s’allonger et
dormir un peu. En attendant, vous pouvez rester ici. Reposez-vous,
et après nous continuerons notre conversation. » Sosruquo accepta et
resta près du géant. Bientôt, celui-ci sombra dans un profond sommeil.
Aussitôt, Sosruquo escalada le rocher. Il regarda à travers une fissure et
vit les deux hommes et les moutons. Il leur demanda en murmurant :
« Pourquoi êtes-vous ici ? » et ils répondirent sur un ton misérable :
« L’ayniwzh nous a capturés et nous a amenés ici. Il a déjà englouti
nos amis. Ils sont partis. Et bientôt notre tour viendra. »
Sosruquo retourna auprès de l’ayniwzh. Il regarda autour de lui et
vit une énorme broche appartenant au cyclope. Il s’en saisit et la
mit au feu. Quand la pointe fut brûlante, il la sortit, la dirigea vers
l’œil unique de la créature et le brûla. L’ayniwzh se leva en sursaut,
mais il était trop tard. Il se mit à rugir, à courir, à briser des pierres
autour de lui. Après un certain temps, il se calma et s’assit dans sa
grotte, désespéré, se cognant la tête contre la paroi, encore et encore.
Puis il se rendit dans sa bergerie de pierres et commença à faire sortir
tous ses moutons, en les caressant à tour de rôle. Il le faisait, non
pas dans le but de les compter, mais pour trouver les deux hommes
qui se cachaient parmi eux. S’il trouvait l’un d’eux, il le tuerait ; c’est
pourquoi il caressait ses moutons.
Quand l’ayniwzh commença à faire ça, Sosruquo pensa : « S’il nous
trouve, il nous tuera. » Alors il eut une idée. Sosruquo et les deux
hommes attrapèrent deux moutons et suspendirent un homme entre
eux. L’ayniwzh caressa le mouton qui était le plus proche de lui.

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Le cycle de la terre 33

Le deuxième homme fit de même. Il se suspendit entre deux moutons


et gagna ainsi sa liberté. Les deux hommes purent ainsi s’échapper.
Pendant ce temps, Sosruquo vola le feu de l’ayniwzh et retourna
vers ses hommes.
L’ayniwzh se mit en colère et dit : « Je n’ai pas pu les trouver. »
Alors il s’élança à leur poursuite en trébuchant, saisissant d’énormes
pierres et les lançant en direction du bruit que ces hommes faisaient
en s’enfuyant. Ils parvinrent cependant à s’enfuir, et aucune des
pierres ne les blessa.
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Mythe abazin, Caucase (Colarusso, 2002 : 200‑202).

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1
Polyphème

C harles de Brosses, comte de Tournay, baron de


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Montfalcon, seigneur de Pregny et Chambésy,
de Vezin et de Prevessin, écrivait en 1760 (118) : « Chaque pays
a ses fables propres, qui ne sont pas celles d’une autre contrée, et
qu’il faut lui laisser. » Dire cela, c’est considérer que tout mythe
serait issu d’un processus d’invention indépendant, qui en ferait
une singularité propre à une culture particulière. Pourtant, il
suffit d’observer les mythes à travers le monde pour retrouver,
distants de milliers de kilomètres, des récits bien trop proches
structurellement pour que leur ressemblance soit le simple fruit
du hasard. Tout au long de cet ouvrage seront évoqués plusieurs
exemples de ces familles de mythes, s’organisant pareillement
autour de mêmes séquences narratives et que l’on retrouve large‑
ment disséminés d’un bout à l’autre de la planète. Les mythes
étant partout répandus, il nous faut alors apprendre à les étudier
ensemble. Une première étape est d’en subsumer la variabilité
sous des catégories communes, permettant de manipuler non
plus des unités distinctes, mais des ensembles, bref, d’établir une
classification. La classification s’impose ainsi pour saisir un réel
foisonnant. « Penser/classer », pourrait-on dire, en reprenant le
titre d’un célèbre essai de Georges Perec (1985).

Une brève histoire des classements


en mythologie comparée
L’anthropologue Marcel Mauss écrivait au début du
xx
e
siècle, à propos des constructions mythiques, qu’« on ne

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36 Le cycle de la terre

peut manquer d’être frappé par le peu de variété des épisodes


et de leurs combinaisons ; il y a des types de mythes, en petit
nombre, et dans la multitude des exemplaires de chaque type,
les parties se présentent dans un ordre à peu près constant »
(Mauss, 1903 : 245‑246). Il reprenait ainsi une constatation
déjà largement partagée par les spécialistes de mythologie
comparée, qui reconnaissaient depuis longtemps la vaste
diffusion de mythes et motifs, parfois à l’échelle planétaire.
Forts de ce constat, les folkloristes comparaient différentes
versions, rarement nombreuses, avec une préférence pour les
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plus emblématiques. Mais si l’effort était prometteur, il restait
non systématisé, et donc non concluant. Établir une classifi‑
cation n’est pas chose facile.
En 1910, le folkloriste finlandais Anti Aarne a créé un premier
catalogue de types de contes, catalogue enrichi par la suite grâce
au travail de l’Américain Stith Thompson (1928 ; 1961) et de
l’Allemand Hans-Jörg Uther (2004) 1. Les différents contes y
étaient catégorisés par types, puis divisés en une suite de petits
éléments : les motifs. La méthode de classification reposait sur
le présupposé d’une saillance perceptive des ressemblances entre
récits s’imposant à tout lecteur ou tout auditeur et permettant de
les rassembler par « air de famille ». Le principe de construction
de l’ensemble du catalogue se fondait quant à lui sur l’idée que
les différentes versions d’un mythe ou d’un conte possédaient
une origine commune et partageaient une même généalogie,
ce qui devait permettre d’en reconstruire l’archétype origi‑
naire (Krohn, 1926). Cette classification a été complétée par de
nombreux autres catalogues, thématiques ou nationaux (voir
une liste dans Le Quellec et Sergent 2017 : 1306‑1307). Elle est
particulièrement utile aux chercheurs s’intéressant à l’Eurasie,
mais beaucoup moins opérante pour d’autres régions du monde,
comme l’Afrique subsaharienne et les Amériques.

1. Ce travail d’indexation a débouché sur une classification internationale, la


classification Aarne-Thompson-Uther, dans laquelle chaque conte-type est
répertorié sous l’acronyme ATU suivi d’un numéro.

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Polyphème 37

Cependant, une typologie des récits oraux pose un double


problème : elle doit à la fois rendre compte de la persistance
d’un type par-delà les variations de ses occurrences d’une culture
à l’autre, voire d’un conteur à un autre, et de l’apparition de
nouveaux types. Or l’anthropologue américain John R. Swanton
soulignait, dès 1907, les difficultés à bien classer, de façon
univoque, les différents récits amérindiens sous un même intitulé,
chaque version d’un mythe étant constituée d’un agglomérat
changeant d’épisodes. Il est possible de résumer ainsi sa pensée : si
un nombre fini de briques fait un mur, un nombre fini d’épisodes
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ne fait pas un type de mythe. Cette approche soulève une diffi‑
culté. Pour être stable, une classification des mythes doit réduire
le nombre illimité de versions qui constituent son matériel à un
nombre fini d’éléments. Elle doit donc s’éloigner du réel, puisque,
dans la réalité, toute actualisation d’un mythe conduit à une
version différente des précédentes. Swanton relevait également la
difficulté d’établir une frontière nette entre mythes et motifs. Il
a donc proposé de prendre comme élément de base d’une future
classification, non les récits dans leur ensemble, mais les épisodes
les composant, autrement dit les séquences entre lesquelles on
peut répartir le récit mythique.
Sous l’impulsion de l’anthropologue Franz Boas, une première
tentative de classement des mythes amérindiens a alors été
entreprise par l’ethnologue américain Robert Lowie (1908),
qui a proposé trente-neuf intitulés (catch-words) permettant de
classer divers récits. Les intitulés étaient par exemple nommés
« Orphée », le « vol du feu » ou encore la « tête qui roule ».
Cette classification a été complétée par l’Américain Alfred Louis
Kroeber en 1908, et de nouveau par Robert Lowie en 1909.
L’usage du mot « motif » s’est ensuite substitué à celui du mot
« catch-word » pour qualifier le « plus petit élément d’une histoire
ayant le pouvoir de persister dans une tradition » (Thompson,
1946 : 415‑4161). Le terme est aujourd’hui couramment utilisé

1. Sauf renvoi à une traduction française toutes les citations traduites le sont
par moi.

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38 Le cycle de la terre

par les folkloristes pour désigner les éléments d’une histoire qui
se distinguent et se retrouvent de façon récurrente dans les intri‑
gues traditionnelles de nombreux récits et contes populaires.
L’entreprise de classement par motifs a culminé avec la somme de
Stith Thompson, le Motif-Index, qui répertorie plus de 20 000 motifs
principaux en donnant, pour chacun d’eux, la bibliographie
essentielle et une idée de leur aire de répartition (Thompson,
1932‑1936 ; 2e édition révisée et augmentée : 1955‑1958).
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Un exercice pour comprendre
Ceci posé, essayons donc ensemble, à partir de cinq
mythes dont je fournirai le résumé, de les classer, par degré
de ressemblance, en familles, puis en familles de plus en plus
élargies, pour tenter de reconstituer les liens les unissant.

Cinq versions d’un mythe


Le chant IX de l’Odyssée raconte que, au cours du
long voyage de retour qu’il entreprit après la guerre de Troie,
Ulysse aborda sur les rivages du pays des Cyclopes pasteurs. Là,
lui et ses hommes trouvèrent une caverne emplie de fromages.
S’y étant attardés, ils furent faits prisonniers par le propriétaire
des lieux, Polyphème. Le gigantesque cyclope dévora immédiate‑
ment deux marins, et empêcha le reste de l’équipage de s’enfuir
en poussant devant la porte une lourde pierre. Le soir suivant,
au retour du géant qui avait fait rentrer son troupeau dans la
grotte, Ulysse donna à son hôte un vin fort. Quand Polyphème,
enivré, lui demanda son nom, le héros lui répondit qu’il s’appelait
« Personne ». Sous l’effet de la boisson, le cyclope finit par tomber
dans un profond sommeil. Ulysse lui creva alors son unique œil au
moyen d’un pieu dont il avait durci la pointe au feu. Polyphème
appela les autres Cyclopes à l’aide, mais ceux-ci, pensant qu’il était
devenu fou, l’abandonnèrent lorsqu’il leur dit avoir été attaqué
par Personne. Rendu aveugle, mais devant sortir ses moutons pour
les mener au pâturage, Polyphème poussa le lendemain la lourde
pierre et tâta ses bêtes pour empêcher les Grecs de s’échapper.

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Polyphème 39

Mais ceux-ci s’accrochèrent au ventre des animaux et réussirent


à s’enfuir. Puis Ulysse et ses hommes regagnèrent leur bateau et
reprirent la mer. Poséidon punit Ulysse pour avoir rendu aveugle
son fils en plaçant des obstacles tout au long de son voyage.
En pays gascon, dans une contrée sauvage et noire, existent
des géants hauts de sept toises, possédant un œil unique au
milieu du front : les Bécuts. Ils habitent des cavernes fermées
d’une pierre plate du poids de cent quintaux et y abritent leur
bétail. S’ils parviennent à attraper des chrétiens, ils les font cuire
vivants sur le gril et les avalent d’une bouchée. Plusieurs récits
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racontent que des enfants adroits parviennent, en employant
la ruse, à les rendre aveugles et à leur échapper. On raconte
dans l’Albret l’histoire de deux jumeaux partis voir le bord du
monde. Dans une grande lande, ils rencontrèrent un Bécut qui
gardait ses moutons. Celui-ci les poussa dans une grotte, fermée
par une grosse pierre et où il se retirait ordinairement avec ses
troupeaux. Dès que les deux frères y pénétrèrent, le cyclope
se saisit de l’un d’eux, le tua et le fit cuire à la broche. Puis le
monstre s’endormit lourdement. Le survivant en profita pour
lui enfoncer la broche dans l’œil, se sauva dans l’étable, se mêla
au troupeau et, quand le géant fit sortir ses animaux, se mit à
quatre pattes revêtu d’une peau de bête. Il échappa ainsi à la
vengeance du monstre (Dardy, 1891 : 294‑298).
Les Niitsitapi/Pieds-Noirs, groupe amérindien de la famille
algonquine, racontent une histoire où Corbeau cacha les bisons.
Ce fut la famine. Un chef appela Napi à son secours. Ce dernier
se transforma en chien et métamorphosa le fils du chef en bâton.
Le chien et le bâton découvrirent un trou dans le sol, où les
bisons étaient dissimulés. Ils purent alors conduire les animaux
à l’air libre. Eux-mêmes parvinrent à sortir en s’accrochant aux
poils d’un vieux bison. Napi se transforma en cadavre de loutre.
Il captura Corbeau, appâté, et l’attacha sur une bouche de fumée.
Corbeau, qui était gris, devint noir (Spence, 1914 : 208‑212).
Les Niitsitapi/Pieds-Noirs possèdent une autre version de ce
mythe, assez différente. Corbeau cacha les bisons. Castor se
transforma en cadavre, captura Corbeau, le plaça au-dessus d’une

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40 Le cycle de la terre

bouche de fumée, ce qui explique la noirceur des corbeaux.


Une fois libre, Corbeau trahit sa promesse de libérer les bisons.
Castor se transforma en bâton à fouir et métamorphosa son
ami Petit-Chien en chiot. La sœur de Corbeau les recueillit et
les amena dans la caverne. Les deux compagnons se retransfor‑
mèrent, l’un en gros chien, l’autre en homme, puis conduisirent
les bisons à la surface. Pour ne pas être repérés par Corbeau,
ils se cachèrent tous deux sous la toison d’un bison (Wissler et
Duvall, 1908 : 50‑52).
Selon les Gros-Ventres/Atsina, c’est une vieille femme qui
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cachait les bisons et la saison d’été. Nix’ant dit à un petit garçon
de pleurer et de ne cesser que lorsqu’il reviendrait. Nix’ant
expliqua à la vieille dame que le garçon voulait de la viande. Puis
il se transforma en chien. La fille de la vieille dame le recueillit.
Dès qu’ils furent tous deux en forêt, Nix’ant se retransforma en
humain et l’agressa. La fille appela sa mère à l’aide. Tandis que
la vieille femme courait à son secours, Nix’ant se rendit chez
elle, jeta dehors le sac où était dissimulé l’été, si bien que la
saison enfermée put s’en échapper. La neige fondit. Pour s’enfuir,
Nix’ant se saisit des testicules du dernier bison à quitter sa prison
et se suspendit sous son ventre. Un vent chaud souffla dans la
nuit. Les bisons étaient revenus (Kroeber, 1907 : 65‑67).
Le classement de ces différentes versions n’est guère facile et,
avant même d’y penser, on voit poindre la problématique de
leur traduction.

Le problème de la traduction
Comme le souligne le folkloriste américain Alan
Dundes (1965 : 187), « si l’on a pour objectif d’établir une compa‑
raison entre des thèmes de contes appartenant à des cultures
différentes, il est nécessaire de faire très attention à la sélec‑
tion du corpus d’étude ». Répondons donc d’abord à l’antienne
selon laquelle il est impossible de comparer des textes provenant
de cultures différentes (Colby et al., 1963 : 318). Les histoires
résumées ici sont effectivement, à l’origine, de tailles différentes,
longues ou courtes, leurs styles sont hétérogènes, certains textes

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Polyphème 41

étant originaux, d’autres traduits littéralement, ou encore adaptés


littérairement. Peut-on réellement les comparer sans tenir compte
de leurs registres respectifs ?
Toute recherche en mythologie comparée exige de s’assurer
que les récits recueillis n’ont pas été altérés ou amendés de
manière significative par ceux, explorateurs, ethnographes et
autres témoins directs ou indirects, qui les ont consignés. Ces
transmetteurs peuvent en effet être confrontés à la prolixité
désordonnée ou encore aux oublis du conteur, et la tentation
est grande de modifier la transcription du récit pour lui donner
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une plus grande cohérence. Si des modifications semblent inévi‑
tables – « Toute transcription d’une œuvre orale la transforme en
un objet autre » (Belmont, 2013) –, il est nécessaire pour notre
analyse de postuler qu’elles restent mineures et n’affectent que
la forme du récit et non le fond.
Qu’en est-il maintenant de la traduction proprement dite,
que le linguiste russo-américain Roman Jakobson (1959) nomme
« interlinguale », de langue à langue ? Son usage est au cœur
de notre analyse, puisque les cinq mythes en question ont été
recueillis dans une langue différente. Ce type de traduction
nous permet d’accéder à des mythes qu’il nous serait autrement
impossible de déchiffrer. Mais utiliser des traductions ne nous
ferait-il pas perdre la « vision du monde » propre à une langue
et avec elle la connotation véritable (figurée) des récits analysés ?
Le concept de Weltansicht a été élaboré par le philosophe
allemand Wilhelm von Humboldt au xixe siècle et a été repris
par les linguistes et anthropologues américains Edward Sapir et
Benjamin Lee Whorf au siècle suivant, pour aboutir à l’hypo‑
thèse dite de « Sapir-Whorf » (Whorf, 1956), qui reste très
discutée encore aujourd’hui, par exemple dans la caractérisa‑
tion des « ontologies » propres aux différentes sociétés humaines
distinguées par l’anthropologue Philippe Descola. Selon cette
hypothèse, les langues informeraient les catégories de pensée
au point de rendre les perceptions du réel spécifiques à chaque
culture incommensurables, et donc incommunicables les unes
aux autres. Peut-être faut-il considérer que le sens que revêt un

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42 Le cycle de la terre

mythe au sein de l’entité ethnolinguistique où il a cours nous


reste partiellement inaccessible, mais ces questions ne compro‑
mettent pas l’identification de traits narratifs communs à des
mythes issus de cultures différentes. Il est permis de considérer
que si les traductions sont susceptibles de biaiser notre compré‑
hension de la « morale de l’histoire », elles restituent néanmoins
l’histoire appréhendée comme un enchaînement d’actions.
Dans un article célèbre consacré au sexe des astres, Claude
Lévi-Strauss (1973 : 258) s’est appuyé sur les données amérin‑
diennes pour montrer « qu’il n’y a pas de correspondance
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automatique entre les oppositions linguistiques et celles qui
s’expriment d’autres façons : dans les croyances religieuses, les
rites, les mythes et les contes ». L’hypothèse selon laquelle le
sexe attribué au Soleil et à la Lune est l’effet du genre des noms
ne résiste pas à l’examen, le sexe donné changeant « selon qu’on
envisage la langue (quand elle distingue les genres), les rites
ou les mythes, et, pour les mythes mêmes, en fonction de leur
caractère populaire ou savant » (ibid. : 255). Comme le relève
l’auteur :

La substance du mythe ne se trouve ni dans le style, ni dans


le mode de narration, ni dans la syntaxe, mais dans l’histoire
qui y est racontée. Le mythe est langage ; mais un langage
qui travaille à un niveau très élevé et où le sens parvient,
si l’on peut dire, à décoller du fondement linguistique sur
lequel il a commencé par rouler. (Lévi-Strauss, 1958 : 232.)

Selon Lévi-Strauss, le mythe n’est donc pas dans mais sous les
mots. C’est parce que, dans le mythe, le sens prime sur le son
qu’il est possible de le définir « comme ce mode du discours où
la valeur de la formule traduttore, traditore tend pratiquement à
zéro » (ibid. : 232).
La substance des cinq mythes résumés plus haut ne se trouve
donc ni dans le style, ni dans la syntaxe, ni dans le mode de
narration, mais dans l’histoire racontée. Chaque particularisation
locale de ce qui nous apparaît comme autant de variantes d’un

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Polyphème 43

même mythe, celui dont Polyphème nous est la plus familière,


se présente sous la forme d’un récit, donc d’un ensemble de
faits, reliés par des relations causales ou, à défaut, temporelles
(Warren et al., 1979 ; Black et Bower, 1980). À la manière de
Claude Lévi-Strauss, c’est cette information du mythe, et non
sa lettre, qu’il faut chercher à analyser.
Un second type de traduction est encore nécessaire pour
mener à bien notre classement. Il s’agit de la traduction inter‑
sémiotique. Il est en effet essentiel, pour classer les cinq versions
de Polyphème, de traduire les textes en un langage abstrait,
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permettant de les comparer. La notion de traduction intersé‑
miotique est ici adoptée dans un sens large, alors que Roman
Jakobson cantonnait celle-ci, du moins à travers ses exemples,
à la « transposition créatrice » permettant de passer « de l’art du
langage à la musique, à la danse, au cinéma ou à la peinture »
(Jakobson, 1959 : 86).
La première difficulté est d’identifier des textes suffisam‑
ment longs pour en extraire assez d’informations pertinentes.
Il n’est pas aisé de comparer deux mythes résumés en deux
ou trois phrases. Comme le note le préhistorien Jean-Loïc Le
Quellec (2014), il est donc important de sélectionner les mythes
« composés d’un nombre de motifs assez élevé pour permettre
la comparaison. En effet, la littérature ethnographique fournit
parfois des attestations qui peuvent être utilisées pour la carto‑
graphie d’un mythe en général, mais non de ses motifs, du
fait de mentions trop lapidaires ». Une fois les textes identifiés,
la seconde difficulté consiste à délimiter les unités de traduc‑
tion. Cette tâche s’avère délicate. Comme en biologie, « le choix
des traits d’analyse […] est souvent l’objet de controverses et
implique de nombreux problèmes » (Dunn et Everitt, 1982 : 12).
En quel ensemble d’unités est-il possible de convertir la
matière narrative des différents mythes proposés pour rendre
leurs versions statistiquement comparables ?

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44 Le cycle de la terre

Comment comparer les mythes ?


Comme nous venons de le voir, la variabilité du vocabu‑
laire et de la syntaxe choisis selon les traducteurs interdit d’emblée
de prendre les mots comme objets premiers de comparaison,
même si quelques essais ont été faits en ce sens en s’appuyant sur
des fouilles statistiques de corpus de textes (Colby et al., 1963 ;
Kalin et al., 1966 ; Colby, 1966 ; Maranda, 1967a ; d’Huy, 2014a,
b). Une possibilité serait alors de se tourner vers les motifs.
À la lecture des résumés proposés plus haut, il apparaît que
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l’un des éléments fédérateurs soit le motif 1137 (« The Ogre
Blinded [Polyphemus]. Escape under ram’s belly ») que l’on retrouve
parmi d’autres dans la classification d’Aarne et Thompson (voir
supra). Ce motif se définit par l’aveuglement d’un monstre par
un héros, suivi de la fuite de ce dernier, dissimulé sous une
peau de bête ou sous une bête vivante. D’autres peuvent être
relevés, par exemple :

A2218.1. Corbeau est attrapé dans un trou laissant sortir la


fumée : il devient ensuite noir.
A2411.2.1.5. La couleur du corbeau.
G100. Ogre géant, Polyphème.
K1011. Soin pour l’œil. Sous prétexte de soigner un œil
malade, le décepteur aveugle la dupe (souvent avec une
masse brûlante jetée dans l’œil).
K521.1. Fuite sous une peau d’animal (oiseau, humain).
K602. « Personne ».
K603. Fuite sous le ventre d’un bélier.
(Thompson, 1961.)

L’utilisation de « motifs » pour classer différentes versions


d’un même mythe demeure néanmoins problématique. D’abord,
certains motifs, plus souvent que d’autres, ont tendance à se lier
à l’intérieur d’un récit-type donné, ce qui remet en question
leur autonomie réciproque (Rooth, 1951 : 237‑240). Ensuite,
l’eurocentrisme qui a présidé à l’établissement de la classifica‑
tion, le répertoire s’étant d’abord construit à partir de récits

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Polyphème 45

européens, rend ces motifs difficilement applicables à d’autres


aires culturelles, par exemple africaines ou asiatiques (Finnegan,
1970 : 327‑28). Cependant, la portée de cette critique doit être
nuancée, certains motifs spécifiquement africains pouvant par
exemple être identifiés (Bascom, 1992). Une autre difficulté
apparaît lorsque certains récits-types se réduisent à un simple
motif, brouillant la frontière entre les deux catégories, ou encore
lorsque les frontières entre les grandes catégories de motifs telles
que définies par Stith Thompson (acteurs, items, accidents)
s’impliquent nécessairement les unes les autres et ne sont donc
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pas mutuellement exclusives (Dundes, 1997 : 197). Par ailleurs,
certains motifs, qualifiés d’« obscènes » par Stith Thompson,
ont été délibérément écartés de la liste, qui ne peut donc pas
prétendre à l’exhaustivité (ibid. : 198).
Enfin et surtout, le nombre de motifs permettant de définir
les différents mythes de Polyphème est manifestement insuffi‑
sant pour mener une comparaison détaillée. En raison de ces
différentes contraintes, le motif n’apparaît pas comme étant le
bon niveau de lecture.
Alors que faire ? Une autre voie pourrait consister à découper
chaque version en mythèmes. Ce néologisme, inventé par
Claude Lévi-Strauss, se définit par de grosses unités constitu‑
tives prenant la forme de phrases, les plus courtes possible, et
servant à transcrire la succession des événements (Lévi-Strauss,
1958). Cette définition n’est pas sans rappeler celle des linguistes
Jean-Paul Vinay et Jean Darbelnet, précurseurs de la traducto‑
logie, qui écrivent : « On pourrait encore dire que l’unité de
traduction est le plus petit segment de l’énoncé dont la cohésion
des signes est telle qu’ils ne doivent pas être traduits séparé‑
ment » (Vinay et Darbelnet, 1977 : 37). Ce sont de telles unités
que l’anthropologue canadien Thomas Abler a multipliées en
1987 pour comparer plusieurs versions d’un mythe de création
iroquois. J’ai entrepris la même démarche en 2012 sur différents
mythes, avant de l’appliquer en 2015 à un corpus de versions de
Polyphème dans lequel chacune d’entre elles était décomposée
en 190 traits. Cette approche permet, dans une certaine mesure,

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46 Le cycle de la terre

d’échapper au choix a priori des traits définitoires d’un récit-type,


la masse des mythèmes retenus étant de nature à atténuer ou
corriger les biais éventuels.
Si le mot « mythème » est emprunté à Claude Lévi-Strauss, ce
n’est pas exactement dans le sens où celui-ci l’entendait. Selon
le célèbre anthropologue, pris en eux-mêmes, les mythèmes ne
signifient rien dans l’ordre du mythe. Ainsi, la phrase « Soleil
et Lune sont deux frères » isolée de son contexte ne peut pas
éclairer la signification du récit dans lequel elle s’insère. Il
n’y aurait de sens narratif qu’entre les mythèmes, dans leurs
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« rapports de corrélation et d’opposition » (Lévi-Strauss 1983 :
199). Est-il possible de concilier les deux perspectives, ou est-on
face à une aporie, une contradiction insoluble entre deux sens
opposés d’un même mot ?
Alan Dundes (1962a) est le chercheur qui a abordé le plus
frontalement la question de l’unité minimale pertinente des
contes et des mythes. Selon ce folkloriste américain, la confron‑
tation d’un grand nombre de versions d’un récit-type permet
de mettre en évidence des structures communes (motifèmes),
et par là des unités mutuellement substituables entre plusieurs
variantes qu’il appelle allomotifs. Dans le cas des mythes de
Polyphème, si la punition du coupable se fait toujours par le
feu, cette sanction prend des formes différentes : en Eurasie,
le monstre est généralement aveuglé par un objet enflammé,
tandis qu’en Amérique le possesseur des animaux est noirci par
le feu. Ces allomotifs sont mutuellement équivalents par leur
place dans l’économie du récit et forment ainsi des particulari‑
sations d’un même motifème. Dans ces conditions, la question
de savoir si l’allomotif A est une transformation symbolique
de l’allomotif B ou si l’allomotif B est une transformation de
l’allomotif A ne se pose plus. En outre, il est possible pour le
chercheur de ne s’intéresser qu’à une seule particularisation d’un
motifème (par exemple, l’aveuglement par le feu) et d’en recher‑
cher le sens dans son contexte culturel. Par ailleurs, établir une
équivalence entre allomotifs implique de croiser la méthode
comparative (réunir un ensemble de versions) et la méthode

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Polyphème 47

structurale (observer les variations touchant en un moment


similaire l’économie du récit), et par là de naviguer entre deux
écueils : tout expliquer par le contexte, ne rien expliquer par
le contexte. De la méthode proposée par Alan Dundes, il est
possible de tirer la règle que tout trait utilisé pour le codage
des différentes versions d’un même récit-type devra se retrouver
dans au moins deux de ces versions.
Revenons aux cinq versions proposées et tâchons de leur
appliquer la méthode d’analyse que nous avons esquissée. Pour
comparer ces histoires, nous pouvons nous appuyer simulta‑
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nément sur plusieurs mythèmes – définis comme des phrases
exprimant le minimum d’information – et faire appel à tous
les mythèmes redondants que les versions du corpus peuvent
offrir. L’objectif est, rappelons-le, de grouper les versions de telle
sorte que leur proximité dans la classification soit fonction de
la somme de leurs ressemblances.
Voici une liste non exhaustive de mythèmes, qu’il est naturel‑
lement possible de compléter. Le maître des animaux, présent
dans chacun des récits, a, pour les Grecs, les Gascons et les Atsina
une forme humanoïde – cyclope en Europe, vieille femme en
Amérique –, tandis que, chez les Niitsitapi, il adopte la forme
d’un corbeau. En Eurasie, les animaux captifs sont domestiques
et les humains capturés sont dévorés, tandis qu’en Amérique du
Nord il s’agit d’animaux sauvages et les humains risquent généra‑
lement d’être tués par des flèches. Le motif du chiot n’apparaît
que dans les récits du Nouveau Monde. La vengeance s’opère
partout par le feu, mais selon des modalités différentes : aveugle‑
ment ou noircissement du coupable.
Intuitivement, nous discernons la possibilité de regrouper, d’une
part, les versions grecque et gasconne, d’autre part, les versions
niitsitapi, la version atsina occupant une position médiane. Pour
affiner ce classement, tournons-nous maintenant vers la biologie
et empruntons-lui certains de ses outils conceptuels.
Nous ne serons pas les premiers. En effet, les folkloristes se sont
inspirés très tôt de cette discipline pour appréhender la question
complexe du type. Ainsi, Stith Thompson (1946 : 413‑414)

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48 Le cycle de la terre

donnait en exemple la rigueur des biologistes aux collecteurs de


récits quand il incitait les seconds à imiter les premiers dans leur
classement exhaustif du vivant. Des années plus tard, Claude
Lévi-Strauss, rendant compte de la Classification phylogénétique
du vivant publiée par Guillaume Lecointre et Hervé Le Guyader
en 2001, invitait l’ethnologue à « chercher des enseignements
peut-être, des stimulations certainement, auprès de disciplines
qui travaillent sur les mêmes problèmes à une échelle incompa‑
rablement plus grande et avec des méthodes plus rigoureuses »
(Lévi-Strauss, 2002a : 311). Est-ce à dire que, comme l’histoire
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naturelle à l’époque classique (Foucault, 1966 : 144), le folklore
et l’ethnologie consisteraient à rapporter les faits donnés confusé‑
ment dans la représentation à un espace où on pourrait les voir et
les décrire, les analyser et les filtrer, les limiter et les ordonner sous
la forme d’un tableau universel et continu de toutes les différences
possibles ? Serait-il possible d’établir « une sorte de tableau pério‑
dique comme celui des éléments chimiques, où toutes les organi‑
sations réelles ou simplement possibles apparaîtraient groupées en
familles, et où nous n’aurions plus qu´à reconnaître celles que les
sociétés ont effectivement adoptées » (Lévi-Strauss, 1955a : 203) ?
Ce n’est pas si simple. Prenons pour exemples les multiples
versions de la ballade écossaise Barbara Allen. Le folkloriste améri‑
cain Barre Toelken propose d’en construire un type folklorique
abstrait, à la manière des biologistes qui figurent un animal
prototypique servant de repère à son espèce, en s’appuyant sur
« la moyenne des traits revenant le plus souvent, en prenant en
compte toutes les variations de la plus petite à la plus grande et
en s’appuyant sur une description sans jugement de valeur de
la part du chercheur » (Toelken, 1969 : 98). Loin de la typologie
aristotélicienne à l’œuvre dans l’histoire naturelle classique, ce
mythe-type est une surface avec des points de repère établis en
se fondant sur une majorité de récits. Il s’agit d’une abstraction,
d’une construction qui n’existe pas dans le réel, mais condense
sous une forme individuelle les traits caractéristiques de tous les
récits qui lui ressemblent de près ou de loin. Un récit sera alors
considéré comme appartenant à ce type s’il possède une relation

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Polyphème 49

de ressemblance familiale suffisamment prononcée avec le modèle


abstrait du type (Apo, 1997 : 1178 ; El-Shamy 2004 : xvii-xviii).
En ce sens, les classements opérés par les folkloristes sont plus
proches de ceux que réalisent aujourd’hui les biologistes pour
les espèces vivantes que de ceux qui avaient cours à l’époque
classique. Si les naturalistes soutenaient autrefois l’existence
de types permettant de fixer, par l’identification d’un certain
nombre de propriétés nécessaires, le genre naturel auquel un
organisme appartient (Linné, 1737), cette définition de l’espèce
n’a pas survécu aux apports de la théorie de l’évolution, les forces
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évolutionnaires rendant impossible la stabilité qu’elle implique.
De même, il est inconcevable de réduire les différentes versions
d’un même type à un nombre fini de propriétés indiscutables.
En effet, le mythe se constitue en un jaillissement continu. On
ne le saisit jamais complètement comme type. Et même s’il était
envisageable de faire la synthèse de toutes ses formes réelles, il
resterait encore gros de ses formes possibles.
C’est pourquoi les biologistes et les folkloristes ne conduisent
désormais plus leurs analyses en se basant sur une essence
idéelle de chaque espèce animale et de chaque récit-type, mais
en décomposant ceux-ci en une série de traits analysables et
en en proposant une définition typologique. Un groupe défini
de façon typologique n’existe que par la nécessité de nommer
des ensembles pour les manipuler, et ne possède par consé‑
quent aucune place particulière dans une théorie évolutionniste.
Chaque analyse implique de faire des choix dans les traits à
analyser et donc d’extraire une certaine quantité d’informations.
Quelle définition typologique serait-il possible de donner
aux cinq versions de Polyphème étudiées ? En voici un essai,
étant entendu que cette définition typologique n’existe pour
le moment que par la nécessité de regrouper des versions se
ressemblant plus entre elles qu’à aucun autre récit, dans le but
de les manier et de les classer : un individu se rend dans la
demeure d’un dangereux maître des animaux, dont il s’échappe
au nez et à la barbe de l’hôte en se dissimulant sous une peau
ou sous un animal.

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50 Le cycle de la terre

Des arbres pour classer les mythes


Rapprocher les versions du mythe de Polyphème, ainsi
défini de façon abstraite, oblige à multiplier les traits d’analyse.
Par exemple, si l’on prend les trois lettres S, O, s, il est difficile
d’opérer leur classement en se basant sur un seul critère, qu’il
soit typographique (majuscule/minuscule) ou formel (la forme
des lettres indépendamment de leur taille).
Il est donc nécessaire, pour classer entre elles les cinq
versions proposées, de prendre en compte le maximum de
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caractères, et non un seul, et le plus grand nombre de versions,
et non seulement quelques-unes. L’examen des caractères
fait connaître en combien de points elles se ressemblent, en
combien d’autres elles diffèrent et permet de calculer les inter‑
valles qui les séparent.
Voici un exercice de traduction intersémiotique. Choisissons
sept caractères, même si ce nombre restreint ne suffirait pas pour
une véritable analyse. La présence ou l’absence des caractères
peut se présenter sous la forme d’un classement binaire, où
le chiffre 0 indique l’absence d’un caractère et le chiffre 1 sa
présence. On obtient alors le tableau suivant :

Grèce Gascogne Atsina/ Niitsitapi 1/ Niitsitapi 2/


Gros-Ventres Pieds-Noirs Pieds-Noirs

Maître 1 1 1 1 1
des animaux

Aveuglement 1 1 0 0 0

Fuite dissimulée 1 1 1 1 1

Possesseur 1 1 1 0 0
humanöide

Corbeau 0 0 0 1 1

Animaux 0 0 1 1 1
volontairement
cachés

Chiot 0 0 0 1 1

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Polyphème 51

Figure 1.1 Arbre construit à partir de cinq versions de Polyphème

NIITSITAPI / PIEDS-NOIRS 1

NIITSITAPI / PIEDS-NOIRS 2
ASTINA / GROS-VENTRES
GASCOGNE
GRÈCE
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En comparant pour chaque version le nombre de 0 et de 1,
il est maintenant possible de calculer le nombre d’éléments de
la matrice qu’elles ont en commun avec les autres, soit :
Grèce/Gascogne : 4
Grèce/Atsina : 3
Grèce/Niitsitapi 1 : 2
Grèce/Niitsitapi 2 : 2
Gascogne/Atsina : 3
Gascogne/Niitsitapi 1 : 2
Gascogne/Niitsitapi 2 : 2
Atsina/Niitsitapi 1 : 3
Atsina/Niitsitapi 2 : 3
Niitsitapi 1/Niitsitapi 2 : 5
Nous pouvons dès lors relier nos variantes par embran‑
chements, en respectant trois règles : chaque version étudiée
forme une branche terminale de l’arbre ainsi construit ; chaque
embranchement ne peut donner naissance qu’à deux branches ;
et la proximité de deux branches est fonction du nombre de
mythèmes partagés. Ce principe d’appariement permet d’établir
l’arbre ci-dessus.

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52 Le cycle de la terre

Pour connaître le nombre d’arbres théoriquement possible où,


pour n versions, chaque nœud donne naissance à deux branches,
il suffit d’appliquer la formule 1 × 3 × 5 ×… × (2n − 3). Avec
cinq versions, la tâche est presque facile, puisque 105 arbres
seulement sont susceptibles d’être construits (1 × 3 × 5 × 7).
Avec dix versions, ce nombre se démultiplie pour atteindre
34 459 425 arbres. Avec 56 versions, taille du plus important
corpus de Polyphème qu’il m’ait été donné d’étudier, il devient
possible de construire 3,47 × 1088 arbres. À titre de comparaison,
le nombre d’atomes dans l’univers observable est estimé entre
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1078 et 1082. Ces chiffres vertigineux expliquent la nécessité d’uti‑
liser des outils informatiques, comme nous le verrons plus loin.
Cette façon de classer des mythes sous la forme d’un arbre
s’inspire des méthodes dites phénétiques, issues des travaux du
microbiologiste anglais Peter H. A. Sneath et du biostatisticien
et entomologiste austro-américain Robert K. Sokal (1973). Ces
méthodes reposent sur l’idée que, s’agissant d’espèces vivantes,
le degré de ressemblance est corrélé au degré de parenté. Elles
s’appuient sur des algorithmes statistiques complexes permettant
de regrouper un grand nombre de caractères différents (souvent
morphologiques ou moléculaires) pour établir des groupes au
sein d’un ensemble d’individus, de la façon la plus objective
possible. Mais, pour que la transposition de cette méthode ait
un sens, encore faut-il montrer que les différentes versions
d’un mythe peuvent être rattachées par un lien généalogique,
et donc posséder un ancêtre commun. Se pose donc maintenant
la question de la réalité du récit-type, de ses contours et de la
façon dont les mythes évoluent.

La généalogie des mythes

La réalité généalogique du type


Commençons par la réalité du récit-type. Il y a deux
façons de concevoir une « famille ». La première renvoie à un
ensemble d’éléments unis par des ressemblances formelles sans

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Polyphème 53

qu’existent entre eux des liens de filiation réels. La seconde


retient les éléments unis par une véritable relation de parenté,
l’identification d’analogies précises s’expliquant par l’existence
d’un lien généalogique. Cette conception implique que la proxi‑
mité de certains récits et les différences observées avec d’autres
ne peuvent simplement s’expliquer par des variations dues au
hasard. Elle présuppose la monogenèse du type, soit le fait pour
une version du mythe de ressembler à celle(s) dont elle est issue
et de pouvoir remonter de génération en génération jusqu’au
prototype commun.
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Avant d’aller plus loin dans cette analyse du mythe de
Polyphème, il faut donc montrer que les versions eurasiatiques
et amérindiennes du mythe sont liées par un lien généalogique.
Or ce point a été mis en évidence par de nombreux auteurs.
Un récit des Indiens Ojibwa raconte comment leur héros
culturel, Ayash, dut sortir d’une tente dont l’entrée était gardée
par deux aveugles aux coudes affûtés et se faisant face. Il y
parvint en se dissimulant sous une peau de caribou (Désveaux,
1988 : 83). En 1989, le mythologue Bernard Sergent remarquait
que cette aventure unifiait en un motif ce qui dans l’Odyssée se
dédoublait dans l’aventure d’Ulysse chez le cyclope et le passage
des Symplégades par Jason dans le périple des Argonautes, auquel
il est aussi fait allusion dans les aventures d’Ulysse. Un tel récit
était alors qualifié d’« eurasiaméricain » et était compris en
faisant de l’Amérique un prolongement culturel de l’Asie.
En 2007, Yuri Berezkin a étudié la diffusion mondiale des
récits où un homme se rend dans la demeure d’un maître des
animaux ou d’un berger monstrueux et, menacé de mort, ne peut
s’enfuir qu’en se couvrant d’une peau ou en se cachant sous un
animal qui se dirige vers l’extérieur. Ses observations étayaient
en la systématisant l’intuition de Bernard Sergent (Berezkin,
2007a). Pour le chercheur russe, la diffusion de ce récit complexe,
limitée à l’Eurasie et l’Amérique du Nord, ne pouvait s’expli‑
quer que par une migration de l’Asie vers le Nouveau Monde
lorsque cela était encore possible, c’est-à-dire au Paléolithique
supérieur, à une époque où le niveau des océans permettait le

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54 Le cycle de la terre

franchissement à pied du détroit de Béring. S’appuyant sur son


propre recensement des versions du mythe à travers le monde,
Jean-Loïc Le Quellec (2019 : 607‑608 ; 2022) a confirmé cette
analyse : pour lui, le mythe serait sans doute apparu en Eurasie
au Tardiglaciaire, puis, d’Eurasie, se serait diffusé en Amérique
du Nord.
Enfin, en 2011, deux chercheurs russes, Andrey Korotayev
et Daria Khaltourina, analysant statistiquement l’immense
base de données de Yuri Berezkin, ont identifié trois grands
ensembles mythologiques, le premier unissant l’aire mélané‑
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sienne et amazonienne, le second, le nord de l’Eurasie et le nord
du continent américain, le troisième, les deux rives du détroit de
Béring. Le motif de Polyphème, tel que défini par Yuri Berezkin
dans son article de 2007, et le récit racontant comment le gibier
était autrefois concentré en un seul lieu avant d’être libéré par
un individu et de se disperser dans le monde se rattachaient au
deuxième ensemble de mythes, dont la diffusion remonterait
au Paléolithique. En plus de corroborer l’ancienneté du mythe
de Polyphème, l’analyse a montré que ce récit s’était diffusé en
même temps que d’autres.
Il semble donc que, dans le cas du corpus étudié, les versions
de Polyphème soient réellement apparentées. Le fait qu’elles ne
se retrouvent que dans l’hémisphère nord et qu’un lien généa‑
logique puisse exister entre elles résout le problème éventuel de
la circularité logique, situation dans laquelle les types seraient
définis en fonction de leurs variantes, et réciproquement. Par
ailleurs, que l’apparentement soit toujours sensible de part et
d’autre du détroit du Béring alors même que l’origine du mythe
semble remonter au Paléolithique supérieur indique une très
grande stabilité du type à travers le temps. Cette stabilité permet
de répondre à l’argument qu’Alan Dundes opposait aux tenants
d’un comparatisme entre des récits d’âges différents, selon lequel
« les thèmes culturels ne demeurent pas nécessairement stables
durant de longues périodes de temps » (Dundes, 1965 : 187). Or
le fait de retrouver des récits complexes de part et d’autre du
détroit de Béring contredit cette analyse. Tout se passe comme

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Polyphème 55

si, alors que les hommes naissent, vivent et meurent, certains


mythes au moins demeurent.
Cependant, si les différentes versions possédant les caractéris‑
tiques distinctives du mythe de Polyphème semblent être généa‑
logiquement liées, ce qui donne au groupe une existence réelle,
la définition unitaire du type ne doit pas pour autant masquer
les différentes particularisations de celui-ci selon les lieux où les
versions ont été recueillies. Il est alors nécessaire de multiplier
les mythèmes pour les classer.
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La variabilité du mythe
En 1904, le folkloriste finlandais Oskar Hackman a
publié une importante étude s’intéressant aux particularisa‑
tions européennes du mythe de Polyphème. Il y montrait par
exemple que, dans un ensemble de récits du nord de l’Europe
(Finlande, Norvège, Livonie, chez les Finnois de Suède et les
Samis), l’aveuglement du monstre est causé par un homme qui,
prétendant lui donner un second œil, lui coule du métal fondu
dans l’orbite oculaire. Dans une autre variante très localisée, le
héros enfile un anneau doté d’une voix qui conduit le cyclope
jusqu’à lui. Cet épisode se retrouve en Russie, chez les Serbes
de Dalmatie, en Transylvanie, en Bohème, en Pologne, en Italie
et au Pays basque. Ce processus de particularisation locale d’un
type mythologique est bien connu. Il s’agit du phénomène
d’écotypification, concept proposé par Carl Wilhelm von Sydow,
spécialiste de la mythologie scandinave et des sagas nordiques.
Dès 1927, pour rendre compte des formes particulières
caractérisant certains récits dans un temps et un lieu donnés,
l’ethno­logue germano-suédois a en effet emprunté à la biologie
le concept d’écotype. Cette notion, introduite en 1922 par le
botaniste suédois Göte Wilhelm Turesson, désignait une « sous-
unité écologique » couvrant l’« effet d’une réponse génotypique
d’une espèce donnée à un habitat particulier » (Turesson, 1922 :
347), autrement dit, une variété ou population (morphe) d’une
espèce végétale donnée qui présente des caractéristiques nouvelles
adaptées à des habitats différents. Les caractéristiques propres

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56 Le cycle de la terre

à l’écotype, pris au sens biologique, sont héréditaires. De façon


similaire, une tradition orale largement répandue présente une
« certaine uniformisation des variantes à l’intérieur d’une même
aire linguistique ou culturelle isolée d’autres aires similaires »
(von Sydow 1965 [1948] : 238). Un mythe ou un conte venu
d’ailleurs y revêt, sitôt arrivé, le costume local. Il se fond en
quelque sorte dans le décor. Chaque version modifiée du récit
d’origine crée alors une petite flamme, laquelle, si les conditions
nécessaires sont réunies, peut se diffuser dans l’ensemble de la
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niche disponible.
Un mythe est donc moins l’image du monde que fait à l’image
du monde où il se diffuse. C’est pourquoi, selon l’ethno­logue,
les changements provoqués par différentes sortes de mutations et
par écotypification sont naturellement de la plus grande impor‑
tance pour une étude scientifique de folklore (ibid. : 239). Les
mythes évoluent ainsi irréversiblement, modifiés par les diffé‑
rents écotypes qui les traversent. Von Sydow a illustré ce phéno‑
mène par l’épisode de l’anneau d’or que l’on retrouve dans de
nombreuses variantes de Polyphème :

Dans les variantes d’Europe occidentale, plus particulièrement


dans les variantes celtiques, il s’agit toujours d’un anneau
d’or ; dans les variantes d’Europe orientale, il s’agit d’une
massue, d’un bâton ou d’une hache d’or. L’écotype se
présente ainsi sous la forme de deux écotypes différents,
l’un avec un anneau, l’autre avec une arme. Il est difficile
de dire lequel est l’original, mais ils doivent provenir d’une
source commune, dont le contenu a été fixé d’une manière
un peu différente. (Von Sydow, 1965 [1948] : 238 ; 1932.)

Les versions d’un mythe ne sont pas des entités mathéma‑


tiques intangibles, mais plutôt des ensembles organisés dont
les différentes parties se modifient en fonction des relations
où elles sont impliquées. Selon von Sydow, ces modifications
s’opèrent par changement d’unités discrètes et l’adjonction ou
la soustraction d’épisodes à partir d’un prototype. Le mythe de

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Polyphème 57

Polyphème serait donc formé autour d’un noyau dur – proto‑


type paléolithique constitué d’un ensemble organisé de traits
définitoires dont nous savons désormais qu’il correspond à une
certaine réalité – auquel s’ajouteraient ou d’où seraient retran‑
chés des traits particuliers selon les régions. Cela signifie que
l’essentiel de l’information contenue dans une version n’apparaît
jamais ex nihilo mais se transmet de manière plus ou moins
fidèle d’une unité-mère à une unité-fille. La descendance avec
modification semble donc inscrite dans la logique de diffusion
même du mythe.
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L’idée n’est pas nouvelle en mythologie comparée et a notam‑
ment été développée à travers plusieurs études indo-européennes.
Par exemple, les différentes occurrences de la Première Guerre des
dieux, telles qu’on les trouve dans l’Histoire romaine de Tite-Live,
dans le poème de la mythologie nordique la Völuspá ou dans
la saga scandinave des Ynglingar, semblent avoir été héritées
d’un ancêtre commun. Comme dans nos différentes versions
de Polyphème, elles partagent en effet une armature commune,
incluant les motifs de l’or et de la femme néfaste, de la ruse et
d’une succession d’affrontements où la victoire est emportée
alternativement par l’un ou l’autre parti avant qu’une union
entre les agresseurs, incarnant la troisième fonction (produc‑
trice), et les représentants de la première et de la deuxième
fonction (sacerdotale et guerrière) dans la tripartition proposée
par Georges Dumézil mettent fin au conflit (Dumézil, 1941 :
162‑166 ; 1947 ; 1968 : 285‑303). Or ces récits n’en sont pas
moins fortement divergents, d’autant plus que l’histoire des
peuples qui les ont transmis a été très différente. C’est ce dyscré‑
tisme progressif qui conduit à l’apparition d’écotypes locaux.
Ces observations conduisent à une perception radicalement
nouvelle de l’arbre obtenu plus haut, la proximité topologique de
deux versions se révélant être fonction de leur proximité généa‑
logique. Né à un moment donné et dans un lieu précis, le mythe
traverserait les corps, passant de génération en génération, se
divisant en écotypes, puis en versions, perdant certains traits, en
gagnant d’autres, dans une évolution permanente et continue,

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58 Le cycle de la terre

sans qu’on puisse en prédire l’aboutissement. L’histoire d’un


mythe ne peut être tracée qu’a posteriori.
Les mythes évolueraient-ils donc comme des êtres vivants ?
L’idée est audacieuse mais elle n’est guère nouvelle.

La métaphore biologique en mythologie comparée


De même que la biologie a inspiré les folkloristes par
sa façon de classer ses objets d’étude, l’idée que les mythes
évoluent comme des êtres vivants innerve depuis longtemps le
champ de la mythologie comparée.
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L’emploi de métaphores biologiques – comme « vie », « crois‑
sance », « évolution », « mort », « extinction », « loi naturelle »,
« morphologie » ou « écologie » – est fréquent dans le champ
du folklore depuis ses origines. « Quiconque veut s’intéresser
au folklore doit […] remplacer la méthode historique par la
méthode biologique », a même pu écrire, en 1924, le folkloriste
Arnold Van Gennep (1924 : 33‑34). Ces métaphores biologiques,
qui ne se réduisent pas à de simples analogies, correspondent à
des schèmes structurants s’intégrant à la manière dont le folklore
est étudié. Les normes de la connaissance ont ainsi influencé
la nature de ce qui était connaissable. Sans refaire l’exégèse du
champ sémantique de la biologie dans le domaine du folklore
à laquelle plusieurs chercheurs, tel Valdimar Hafstein (2001),
se sont adonnés, nous pouvons nous intéresser à l’emploi de
ces métaphores dans le champ, plus restreint, de la mythologie
comparée.
La pensée généalogique est au cœur de l’approche scienti‑
fique des mythes et contes par l’école finnoise dite « historico-
géographique » ou « diffusionniste ». Cette école explique
l’existence de récits similaires par une ascendance commune
et interprète les relations existant entre différentes histoires
appartenant à plusieurs aires culturelles et historiques en termes
généalogiques abstraits. Ce faisant, elle opère la synthèse entre
deux branches de la philologie, la linguistique historique et
la Quellenforschung, c’est-à-dire l’étude critique des sources des
manuscrits (Bendix, 1997 : 67).

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Polyphème 59

Des métaphores biologiques, telles que « vie » ou « trajet de


vie », sont fréquemment appliquées aux récits par les tenants
de cette méthode, lorsque Stith Thompson parle par exemple
de la « vie d’un récit » (« life history of the tale » [1946 : passim])
ou que Antti Aarne écrit que « la vie intérieure des contes de
fées est très attrayante. De la façon dont ils se conservent, il
s’ensuit qu’ils sont amenés à évoluer en permanence » (Aarne,
1913 : 23). Comme le suggère ce dernier auteur, la métaphore
vitale n’est pas qu’un simple ornement de style. L’évolution du
récit est appréhendée comme plus ou moins rapide en fonction
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du moyen de diffusion et de communication emprunté,
l’écriture jouant le rôle, selon Aarne, d’« accélérateur » de
mutations : « Les modifications introduites par un écrivain sont
plus fréquemment délibérées que celles du conteur populaire.
Son travail est guidé par des objectifs définis, par exemple, la
création d’une belle œuvre littéraire ou encore un but didac‑
tique » (ibid. : 23).
Par ailleurs, selon une conception de l’existence de lois du
récit s’inspirant sans doute de son pendant idéologique en
linguistique, largement diffusé à la fin du xixe siècle et au début
du xxe, les contes populaires n’évolueraient pas au gré de la
fantaisie du conteur, mais de lois « fixes » (Krohn, 1891 : 67) et
« déterminées de la pensée et de l’imagination » (Aarne, 1913 :
23). Le philologue et orientaliste allemand Max Müller a ainsi
pu écrire : « Nous pourrions tout autant songer à altérer les lois
qui contrôlent la circulation de notre sang […] qu’à altérer les
lois du langage » (Müller, 1873, vol. 1 : 40).
La présupposition d’une évolution relativement lente des
récits, qui « se conservent », associée à leur variation non
aléatoire au gré de leurs reprises, renvoie explicitement à la
notion darwinienne de descendance avec modifications, de
même qu’à son nécessaire corollaire : la possible reconstruction
d’un proto-organisme/récit. Le parallèle désormais établi entre
évolution des récits traditionnels oraux et évolution des êtres
vivants va connaître un grand succès. Carl Wilhelm von Sydow,
que nous avons déjà cité, peut bien sûr être reconnu parmi les

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60 Le cycle de la terre

promoteurs de cette convergence théorique entre biologie et


mythologie comparée.
En 1900, l’anthropologue américaine Harriet Newell Wardle
note que « tout changement matériel dans la culture ou l’envi‑
ronnement engendre de nouveaux types ou ajoute des carac‑
téristiques mineures aux anciens » (1900 : 568‑580). Dans son
livre The Principles of Oral Narrative Research publié en 1921,
le folkloriste danois Axel Olrik, propose l’idée d’une sélection
culturelle. Les mêmes thèses avaient été présentées dès 1908
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dans la revue Danske Studier, puis en 1909 dans la Zeitschrift für
deutsches Altertum :

Il y aura toujours beaucoup de raisons individuelles pour


lesquelles la transmission précise d’un récit ne peut avoir
lieu […], mais la plupart des formes défectueuses qui voient
le jour s’éteindront généralement très rapidement. […] Il y
aura toujours une « lutte pour la survie » parmi les récits.
Il y a plus de récits pouvant être entendus que de récits
pouvant être mémorisés par une seule personne. […] Pour
cette seule raison, une sélection parmi les récits disponibles
aura toujours lieu. Ceux qui peignent l’image la plus claire
dans l’imagination et dont l’intrigue possède des visées
précises et universelles sont préférés. (Olrik, 1992 : 62‑63.)

Le folkloriste américain Barre Toelken pousse encore plus loin


la comparaison en suggérant un parallélisme complet entre l’évo‑
lution biologique et celle des entités folkloriques :

Les facteurs de la transmission traditionnelle par opposition


à l’adaptation locale, la possibilité pour des histoires
individuelles de perdre leur dynamisme (par exemple, de
« mourir ») et de ne survivre que sous une forme enregistrée
– fossilisée –, la possibilité ponctuelle pour une variante – une
mutation – de se diffuser à une large échelle avant de mourir
à son tour ou de connaître une remotivation et un nouvel
essor, et la capacité de se déplacer géographiquement, pour
ne mentionner que quelques traits, semblent tous posséder

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Polyphème 61

des analogues dans l’étude de l’évolution et de l’écologie.


(Toelken, 1969 : 99.)

La métaphore biologique persiste, de manière certes plus


implicite, dans l’œuvre de Claude Lévi-Strauss. Il est possible
de citer ici le célèbre « Final » de l’Homme nu, ultime conclu‑
sion des Mythologiques. Selon l’anthropologue, la linguistique
structurale, dont il a tiré les enseignements pour les appliquer
à la mythologie, « a reçu un statut naturel et objectif avec la
découverte et le déchiffrement du code génétique ». On se trouve
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en effet dans les deux cas face à

un ensemble fini d’unités discrètes, bases chimiques ou


phonèmes, elles-mêmes dépourvues de signification mais qui,
diversement combinées en unités de rang supérieur – mots
du langage ou triplets de nucléotides – spécifient qui un
sens, qui une substance chimique déterminée. De la même
façon, les mots du langage ou les triplets du code génétique
se combinent à leur tour en « phrases » que la vie écrit sous
la forme moléculaire de l’ADN. (Lévi-Strauss, 1971a : 612.)

Or, poursuit-il, de telles unités se retrouvent dans les mythes


sous forme de mythèmes. L’auteur explique encore que, en
génétique comme en linguistique, « le caractère pratiquement
illimité des énonciations verbales, c’est-à-dire des combinai‑
sons possibles, tient d’abord au nombre fantastique d’éléments
et de règles qui peuvent jouer » (ibid. : 613). Si l’on reconnaît
comme théoriquement finie la combinatoire du langage, « les
chances [sont] en fait nulles pour que, dans les limites obser‑
vables, deux énonciations identiques suffisamment longues se
répètent » (ibid. : 614). Ainsi, puisque le hasard ne peut expli‑
quer la ressemblance, il est possible de conclure que, plus deux
mythes apparaissent similaires, plus ils ont de chances d’être
apparentés.
Ajoutons que la différence entre les mythes, comme entre les
espèces, se creuse par degrés mesurables. Comme les langues et

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62 Le cycle de la terre

les gènes, les mythes ne peuvent être affectés que de change‑


ments discrets : « Sous peine de détruire l’armature logique, et
donc de les anéantir au lieu de les transformer, [l’esprit] ne peut
leur apporter que des changements discrets, au sens mathéma‑
tique qui est à l’opposé du sens moral du terme : le propre
d’un changement discret étant de se manifester sans discrétion »
(ibid. : 604). Une conséquence logique serait qu’établir une liste
de changements discrets entre plusieurs versions d’un même
mythe, pourvu que cette liste soit suffisamment longue, permet‑
trait de mesurer le degré de différences séparant les versions
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considérées.
Enfin, Lévi-Strauss relève que les langues et les codes génétiques
– et donc les mythes – peuvent également subir des mutations,
croisements, enjambements ou emprunts les modifiant en
profondeur (ibid. : 614), certains mythèmes s’altérant, d’autres
disparaissant, d’autres encore les remplaçant (ibid. : 603‑604).
Mais ces altérations successives préservent le caractère de
groupe – les mythèmes initiaux ne sont jamais tous trans‑
formés (Dubuisson, 2008 : 155) – et s’opèrent lentement. Ainsi
Lévi-Strauss a-t‑il pu écrire qu’« on ne discute pas les mythes
du groupe ; on les transforme en croyant les répéter » (1971a :
585). L’atomisation d’un mythe et la transformation progressive
de ses mythèmes le rapprochent des êtres vivants et des règles
présidant à leurs destinées.
Il est certain qu’il est plus facile de proclamer l’analogie que
de la démontrer. Antti Aarne, Carl von Sydow, Axel Olrik, Barre
Toelken et Claude Lévi-Strauss ne considèrent naturellement
pas les récits comme des êtres vivants. Entre l’évolution des
espèces et l’histoire des mythes, les différences sont profondes.
Il est possible par exemple d’exclure d’un récit certaines de
ses composantes ou de le rejeter en bloc alors que les gènes
sont transmis sans pouvoir être refusés. L’idée de pression
sélective extérieure, et par conséquent d’adaptation conduisant
à une évolution de l’espèce de génération en génération, n’a
également pas lieu d’être dans la transmission culturelle. La
métaphore biologique montre donc vite ses limites, puisque

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Polyphème 63

« la ­caractéristique d’un système de métaphores véritablement


scientifique est que chaque terme dans son usage métaphorique
conserve toutes les relations formelles avec les autres termes du
système qu’il pouvait avoir dans son usage original » (Maxwell
[1870], in Niven, 1965). Évitons l’attrait des effets trompeurs
d’un rapprochement par trop hasardeux.
Cependant, tous les auteurs étudiés admettent qu’un récit oral
peut se décomposer en unités discrètes héritables et que celles-ci
peuvent être modifiées lors de leur transmission, conduisant à
l’apparition de nouvelles versions du même récit, sans que cette
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modification soit complète, car un tel bouleversement conduirait
à la disparition de la notion de « groupe »1.
La biologie évolutive et la mythologie comparée se rejoignent
donc avant tout sur des questions de taxonomie et la manière
dont elles codent des unités discrètes héritables pour établir
des liens entre les entités, espèces vivantes ou récits mytho‑
logiques, qu’elles étudient. Par conséquent, rien n’empêche
que des méthodes conçues pour étudier l’évolution des espèces
puissent être intégrées et adaptées à celles en pratique pour
l’étude des mythes, à condition que l’utilisation des arbres
phylogénétiques porte sur un matériau compatible avec leurs
conditions d’utilisation.

1. De nombreux autres parallèles peuvent par ailleurs être dressés : voir d’Huy,
2012e.

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2
De l’approche phylogénétique
en mythologie comparée

Des mythes et des arbres


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Partant du principe que la sélection naturelle et
l’adaptativité s’appliquent tout autant aux mythes qu’aux
animaux, l’ornithologue anglais Edward A. Armstrong (1959)
semble avoir été le premier à proposer d’étudier le folklore en
utilisant la méthode phylogénétique1. Pour lui, la représentation
en arbre permettait une approche cohérente et prometteuse de
nombreux phénomènes folkloriques, comme les cérémonies 2.
L’auteur notait cependant plusieurs limitations à cette méthode,
comme la possibilité d’une convergence fortuite entre deux
thèmes. Selon lui, il ne fallait donc pas considérer cette approche
comme un sésame universel permettant d’ouvrir les portes du
passé, mais comme une hypothèse de travail utile, offrant une
piste pour ­reconstruire ce qui nous est hors d’atteinte à partir

1. « Le principe de la sélection naturelle s’applique aux mythes comme aux


microbes, et des principes comparables à ceux utilisés par le biologiste peuvent
être appliqués au folklore » (Armstrong, 1959 : 519‑520) ; « Dans une large
mesure, les principes de sélection et d’adaptation formulés par les biologistes
peuvent s’appliquer au folklore » (ibid. : 529).
2. « Une étude d’un grand nombre de couronnements, de mariages et d’autres
cérémonies révèle des affinités entre eux, et plus nous nous efforçons de
retracer leur histoire, plus il semble plausible qu’ils ressemblent aux feuilles
d’un arbre dans la mesure où, de la même façon que les feuilles sont atta‑
chées aux rameaux des branches, les branches aux branches partant du
tronc, lui-même jaillissant d’un seul système racinaire, si nous pouvions
remonter le long des branches et du tronc de l’arbre de la tradition, nous
trouverions les racines noueuses et profondes d’où sont sorties ces cérémo‑
nies » (Armstrong, 1959 : 522).

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De l’approche phylogénétique en mythologie comparée 65

de ce que nous savons aujourd’hui 1. Armstrong identifiait


trois méthodes pour ­reconstruire l’histoire évolutive de traits
folkloriques, chacune devant servir à contrôler les deux autres :
les méthodes historique, géographique et psychologique. Il
relevait par ailleurs que beaucoup d’histoires, de mythes et de
rituels semblaient liés à un territoire, pour certains depuis le
Néolithique, voire le Paléolithique, sans se diffuser au-delà des
limites de celui-ci (Armstrong, 1959 : 530‑532). Il y a là des
intuitions précieuses, qui seront développées plus loin.
Le premier à avoir effectivement appliqué la méthode phylo‑
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génétique à la mythologie est, à ma connaissance, le chercheur
canadien Thomas Abler. Celui-ci s’est intéressé, en 1987, à
41 versions différentes du mythe iroquois de création du monde.
Après avoir décomposé l’ensemble du corpus en 266 traits, le
chercheur a utilisé plusieurs algorithmes (indice de Jaccard, G de
Driver, méthode de Ward et liaison moyenne) afin de construire
divers arbres où le nombre de traits partagés par deux versions
déterminaient leur proximité. L’avantage de prendre en compte
un grand nombre de traits est, de prévenir les biais résultant
d’erreurs de codage et de désambiguïser certains rapprochements
entre deux versions :

Alors que le processus de codage est sujet à des erreurs, on


peut trouver un peu de bien-être ou de consolation dans
le fait que la taxinomie numérique repose sur un grand
nombre de caractères. Donc, si le nombre des erreurs relevant
des types listés plus haut est maintenu dans des limites
raisonnables, la majorité des caractères, correctement codés,
devrait en grande partie déterminer les relations produites
par l’analyse de groupe. Les caractères ou les attributs ont
été codés comme des variables binaires, étant présents ou
absents dans chaque variante du mythe. Ainsi, dans cette

1. « Ce principe de l’évolution des traditions et des institutions humaines est une


hypothèse de travail utile, et non un sésame ouvrant à l’ensemble du passé. Il
fournit une technique d’extrapolation de notre connaissance du présent dans
le passé et de recoupement d’une extrapolation avec une autre » (Armstrong,
1959 : 523‑524).

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66 Le cycle de la terre

étude, chaque variante du mythe a-t‑elle été codée pour un


ensemble fini de caractères (des attributs ou des variables
binaires). (Abler, 1987 : 200.)

Analysant les résultats ainsi obtenus, Thomas Abler a établi un


classement des différentes versions en plusieurs ensembles qu’il
a mis en relation avec des nations iroquoises indépendantes :

Le fait que chacun des groupements générés tende à être


dominé par une des nations iroquoiennes suggère que,
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malgré le fait que […] « toute personne connaissant ce
récit en possède sa propre version », il existe en réalité des
variantes nationales et tribales du mythe […]. La plupart des
groupements générés représentent une tradition nationale
ou tribale. (Ibid. : 214.)

Quoique généralement ignorée par ceux qui ont ensuite adopté


la même démarche, cette analyse met en exergue l’utilité des
outils phylogénétiques pour classer les récits oraux en ensembles
et sous-ensembles, rejoignant le rêve de Stith Thompson (1946 :
413‑414) d’un classement du folklore s’inspirant des méthodes
de la biologie et permettant de résoudre le problème de l’explo‑
sion numérique des arbres au fur et à mesure que le corpus étudié
grandit. Cette analyse confirme également l’hypothèse d’une
tendance à l’uniformisation des variantes au sein de traditions
tribales ou nationales, autrement dit, une écotypification du
récit. Enfin, elle suggère brièvement un lien généalogique entre
les versions :

Le dendrogramme peut être mis en relation avec une


phylogénie, dans la mesure où deux éléments appartenant
à un même groupement peuvent être vus comme possédant
un ancêtre commun (relation latérale) ou comme étant
linéairement reliés. Il faut naturellement toujours garder à
l’esprit qu’une variante d’un mythe peut être linéairement
reliée à deux ou plusieurs variantes lui étant antérieures si cette
variante est le produit d’une diffusion. (Abler, 1987 : 208.)

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De l’approche phylogénétique en mythologie comparée 67

Bien que cet article soit rarement cité, les trois directions
que prendra par la suite l’analyse phylogénétique des mythes
se trouvent ici en germe.
Une première direction concerne l’usage d’outils phylogéné‑
tiques pour classer les mythes et les contes. Cet usage semblait
devoir s’imposer, car l’idée, comme nous l’avons vu, était
présente depuis longtemps dans le champ du folklore.
À partir des années 2000, le chercheur japonais Jun’ichi Oda
(2001) s’est également intéressé aux outils phylogénétiques afin de
classer les récits. Il a utilisé à cet effet un programme normalement
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destiné à aligner les chaînes de gènes pour aligner les « chaînes
de fonctions » utilisées par Vladimir Propp (1970 [1928a]). Selon
le folkloriste russe, il existerait en effet 31 « fonctions » qui
s’enchaîneraient toujours dans le même ordre, même si elles
ne sont jamais toutes présentes en même temps. Cette séquence
de fonctions, allant d’un manque ou d’un méfait initial jusqu’à
sa réparation finale, constituerait le schéma du conte merveil‑
leux russe, voire du conte en général. Jun’ichi Oda a réduit ces
chaînes de fonctions en utilisant le modèle à 16 fonctions du
sémioticien lituanien Algirdas Julien Greimas dérivé du système
de Propp, puis il a codé chacune de ces fonctions comme un
acide aminé (par exemple, conte 1 = ACDEF ; conte 2 = ACFDEF ;
conte 3 = ADHIP, etc.). L’utilisation d’un programme informa‑
tique lui a alors permis d’aligner chacune de ces chaînes sur la
base de leur ressemblance maximale.
L’approche adoptée par Oda, qui poursuit un but similaire
à celui d’Abler en empruntant un autre chemin, est novatrice,
mais pose plusieurs problèmes : le chercheur ne peut travailler
qu’avec un nombre très réduit de fonctions (il n’existe que
20 types d’acides aminés), ce qui le conduit à créer des lignes de
code très courtes (de 4 à 12 fonctions/acides aminés), les risques
d’une convergence évolutive – autrement dit de résultats dus au
hasard – étant alors très importants. De plus, les résultats obtenus
dépendent de l’ordre dans lequel les fonctions s’enchaînent, si
bien qu’une variation dans cet ordre, par exemple une fonction
apparaissant plus tôt que prévu, peut fortement biaiser les

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68 Le cycle de la terre

r­ ésultats. Plus généralement, les fonctions de Propp posent bien


des problèmes, ce qui en limite fortement l’intérêt pour une
analyse statistique de corpus (Lévi-Strauss, 1960 ; Lüthi, 1974 ;
Verrier et Bremond, 1982). Pour toutes ces raisons, la méthode
de Jun’ichi Oda, basée sur les fonctions proppiennes, semble
moins adaptée pour classer les mythes que la méthode inaugurée
par Thomas Abler, basée sur les mythèmes.
Par la suite, la transposition des outils phylogénétiques
pour classer les versions d’un même récit oral a également été
proposée par l’anthropologue anglais Jamshid J. Tehrani (2013),
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qui ne semble pas avoir pris connaissance des travaux de ses
prédécesseurs et présente comme une nouveauté ces méthodes
qui « fournissent un puissant ensemble d’outils pour tester des
hypothèses portant sur les relations entre contes appartenant à
des cultures différentes, et ouvrent sur de nouvelles perspectives
excitantes pour l’étude et l’évolution des récits oraux ». Tehrani
utilise la méthode phylogénétique afin de distinguer, dans un
certain nombre de versions, l’ATU 333 – généralement appelé
« Le Petit Chaperon rouge » – et l’ATU 123 – autrement nommé
« Le loup, la chèvre et les chevreaux ». Il conclut que les deux
types sont clairement des ATU distincts.
Une deuxième piste explorée par Thomas Abler, à la suite
de Carl von Sydow, l’a conduit à l’étude des écotypifications
de récits. Reprenant cette piste en 2012 puis en 2013, j’ai pu
montrer que les versions d’un même récit-type se groupaient à
la fois par aires géographiques et par aires linguistiques, qu’elles
étaient souvent liées à une migration de population et que le
changement géographique d’un récit conduisait à une accélé‑
ration des changements dans son contenu (voir, par exemple,
d’Huy 2012a, b, c ; 2013a, b). En 2013, Robert M. Ross, Simon
J. Greenhill et Quentin D. Atkinson ont abordé de façon plus
spécifique la diffusion en Europe de l’ATU 480 – type de récits
subsumés sous l’appellation « La bonne fille et la méchante
fille ». Utilisant les outils propres à la génétique des populations,
ils ont pu évaluer dans quelle mesure la distance géographique
et l’affiliation ethnolinguistique influençaient la variabilité des

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De l’approche phylogénétique en mythologie comparée 69

versions. Ils ont ainsi confirmé que cette variabilité correspon‑


dait à la géographie humaine et montré que l’échange de gènes
était plus facile que l’échange de contes de part et d’autre d’une
frontière ethnolinguistique.
La dernière voie est peut-être la plus ambitieuse. Elle propose
d’établir une généalogie des contes et des mythes en s’appuyant
sur la construction d’arbres phylogénétiques. Mes premières
publications, en 2012, reposaient sur cette hypothèse, présente
depuis longtemps dans le discours des folkloristes :
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De façon similaire à l’évolution biologique, les versions d’une
même famille de mythes évoluent grâce à un système de
descendance avec modification : elles sont transmises de
génération en génération […] et peuvent se modifier avec
le temps. Une version-mère peut également se subdiviser en
deux versions-filles, de la même manière qu’une population
biologique peut former des populations-filles (phénomène de
spéciation). (d’Huy, 2012b : 101.)

Suivant cette idée, j’ai élaboré des arbres et des réseaux phylo‑
génétiques permettant de reconstruire l’évolution sémantique et
généalogique d’un récit. Cette approche a ensuite été reprise par
Jamshid Tehrani (2013) et elle nous a permis de proposer expli‑
citement, et de façon indépendante, une définition généalogique
– basée sur l’existence d’un ancêtre commun – d’un récit-type,
en se fondant sur un grand nombre de traits définitoires, et
non seulement sur quelques-uns d’entre eux (Tehrani, 2013 ;
d’Huy, 2013c, d).

L’arborescence des mythes


Dans le domaine des sciences de la nature, la place de
la méthode phylogénétique est devenue si prépondérante qu’elle
a fait dire au biologiste américain Joseph Felsenstein que « Les
phylogénies sont essentielles à la biologie comparative : il n’y
a aucun moyen de faire une telle biologie sans les prendre en

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70 Le cycle de la terre

compte » (Felsenstein, 1985a : 14). Les outils d’analyse de cette


méthode ont par la suite été importés dans d’autres champs disci‑
plinaires où ils ont déjà fait la preuve de leur utilité, notamment
en linguistique comparée (Mace et al., 1994 ; Gray et Jordan, 2000 ;
Gray et Atkinson, 2003 ; Greenhill et al., 2005 ; Holden, 2002 ;
Kitchen et al., 2009 ; Bouckaert et al., 2012), ou encore dans l’étude
de la diffusion de divers artefacts culturels, comme les textiles
en Iran (Matthews et al., 2011), les industries lithiques paléo-
indiennes (O’Brien et al., 2001 ; Buchanan et Collard, 2008) ou les
paniers dans les sociétés californiennes (Jordan et Shennan, 2003).
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Avant d’approfondir leur application à la mythologie
comparée, il convient de préciser en quoi consiste exactement
cette méthode.

Principes fondamentaux
Dit simplement, un arbre phylogénétique est une
représentation des relations hypothétiques existant dans le passé
entre un ensemble d’espèces. Ses différents sommets représentent
autant d’espèces étudiées.
De plus près, l’arbre est constitué de nœuds et de branches.
Un nœud représente un ancêtre hypothétique, précédant un
événement de spéciation – soit le moment où une espèce donne
naissance à une ou plusieurs autres – symbolisé par la division
d’une branche primitive en deux ou plusieurs autres branches.
Chacune de ces branches représente une lignée indépendante.
Une population ancestrale est appelée population « mère » ;
les populations qui en découlent sont appelées populations
« filles ».
En biologie, un taxon est une entité conceptuelle regroupant
tous les organismes vivants possédant en commun certains
caractères taxinomiques bien définis. Dans l’arbre, deux taxa
seront d’autant plus proches l’un de l’autre qu’ils partageront
un ancêtre commun plus récent. L’homme y figurera ainsi plus
proche du singe que de l’oiseau, avec qui il partage moins de
traits, plus proche de l’oiseau que de la salamandre, et plus
proche de la salamandre que du poisson. Lorsque plus de deux

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De l’approche phylogénétique en mythologie comparée 71

branches partent d’un même nœud, donnant à celui-ci l’aspect


d’un râteau, on parle de polytomie.
Une mise en garde s’impose à ce stade. Une phylogénie basée
sur des espèces vivant actuellement ne saurait naturellement
représenter les nombreuses lignées éteintes qui n’ont laissé
aucune trace, et ce quelle que soit la durée de leur existence. Le
nombre de phénomènes de spéciation dans cette sorte d’arbres
a donc toutes les chances d’être sous-estimé. De telles lignées
« fantômes » peuvent cependant être représentées en se basant
sur des fossiles.
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Par ailleurs, un arbre phylogénétique ne représente qu’une
hypothèse, « étant donné un modèle et un choix de paramètres »
(Archibald et al., 2003 : 189). Il n’existe probablement pas, du
moins pas réellement, d’« arbre de la vie » au sens d’un arbre
dont les embranchements ne seraient qu’une suite de divergences
clairement marquées (O’Malley et al., 2010) ; cet arbre n’est
qu’une hypothèse heuristique. Les sous-parties de cet arbre, sur
lesquelles travaillent les biologistes, ne seraient alors rien d’autre
que des modèles. Comme l’écrivent Zdeněk Skála et Jan Zrzavý :

L’analyse de tous les taxa doit être enracinée dans la méthode


elle-même, et non dans notre croyance à propos de ce
que le résultat de l’analyse devrait représenter. Un [arbre
phylogénétique] est soit utile, soit inutile (au sens où il peut
refléter ou non un modèle) plutôt que vrai ou faux (au sens
où il peut refléter une phylogénie réelle). (Skála et Zrzavý,
1994 : 311‑312.)

Un arbre phylogénétique peut être construit à partir de


diverses caractéristiques, par exemple des traits morphologiques
– la longueur et la largeur du bec de l’oiseau, la longueur de ses
plumes, etc. – ou moléculaires. Il est important que ces traits
soient indépendants les uns des autres, et que la présence de
l’un n’entraîne pas celle de l’autre, au risque de fausser les corré‑
lations statistiques. La fiabilité des données est par ailleurs un
point essentiel pour garantir celle des arbres finaux.

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72 Le cycle de la terre

Un arbre représente une « descendance avec modification »


(Darwin, 1859) ; aussi est-il ordinairement construit en regrou‑
pant des taxa présentant des modifications de traits par rapport
à l’ancêtre présumé et partageant ensemble ces modifications.
Autrement dit, une phylogénie se fonde sur le principe de partage
de caractères dérivés (synapomorphies), hérités d’une ascendance
commune et reflétant une histoire évolutive. L’homoplasie, qui
est l’antonyme du terme « synapomorphie », indique que certains
traits ne sont pas hérités par ascendance commune. L’objectif
d’une phylogénie est la construction de groupes monophylétiques,
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ensemble d’organismes possédant un même ancêtre et incluant
l’ensemble des descendants de cet ancêtre.
Un arbre peut être – ou non – enraciné. Un arbre est non
enraciné lorsque le nœud le plus ancien n’a pas été identifié.
Un tel arbre ne permet pas de faire d’inférences sur les carac‑
tères ancestraux et n’est pas organisé selon une flèche du temps
(figure 2.1). Enraciner un arbre consiste à choisir un nœud et à
le placer à la base de l’arbre, en le considérant comme l’ancêtre
commun le plus récent de l’ensemble des taxa étudiés (figure 2.2).
Il existe deux méthodes fréquemment utilisées pour enraciner
un arbre. La première implique l’ajout d’un exogroupe, ou groupe
externe (out-group), autrement dit une espèce ou un groupe
d’espèces dont on connaît la proximité avec les taxa étudiés
sans qu’ils appartiennent pour autant au groupe monophylé‑
tique concerné. La seconde consiste à utiliser la solution de
l’enracinement médian (mid-point rooting), en enracinant l’arbre
entre les deux taxa qui sont généalogiquement les plus éloignés.

Comment construire un arbre ?


Il existe quatre méthodes principales pour construire
un arbre phylogénétique, recelant chacune des forces et des
faiblesses.
Méthodes s’appuyant sur une matrice de distances. Cette façon
de faire réunit un ensemble de méthodes s’appuyant sur une
matrice de distances. Les méthodes de distance s’intéressent à
chaque taxon d’une base de données et calculent dans quelle

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De l’approche phylogénétique en mythologie comparée 73

Arbre non enraciné avec cinq taxa terminaux (T1, T2, T3, T4, T5)
Figure 2.1 

T3

T2

T1
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T4

T5

Figure 2.2 Arbre enraciné avec cinq taxa terminaux (T1, T2, etc.)

T1

T2

N2

T3

N1

N3
T4

T5

Les nœuds sont nommés N1, N2 et N3. La « racine » est un nœud plus
ancien que tous les autres nœuds et taxa. Chaque nœud est antérieur
aux taxa qui en descendent. Par exemple, T3 et T4 descendent de ou
sont identiques au nœud N1.

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74 Le cycle de la terre

mesure celui-ci se rapproche ou s’éloigne de chacun des autres.


Une fois calculées, les mesures de distance existant entre tous
les taxa étudiés sont utilisées pour générer un arbre représentant
au mieux ces degrés de similitude ou de différence. Il s’agit donc
ici d’un jeu immense, cherchant le juste milieu entre tous ses
participants, selon les règles de dissimilarité ou de similarité
données en début de partie.
Il existe deux grands algorithmes de regroupement (clustering)
destinés à la construction d’arbres phylogénétiques s’appuyant
sur une matrice de distances. Pour illustrer leur principe, repre‑
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nons notre arbre hypothétique, regroupant l’homme, le singe,
l’oiseau, la salamandre et le poisson.
Le premier algorithme est appelé UPGMA pour « Unweighted
Pair Group Method with Arithmetic mean » (Sokal et Michener,
1958 ; Gascuel, 1997). Il fonctionne par itérations successives,
chacune d’entre elles associant dans l’arbre les deux éléments
séparés par la plus faible distance, par exemple l’homme et
le singe, et les remplaçant par un élément de « consensus ».
Les nouvelles distances entre cet élément de consensus et les
éléments restant dans la matrice (l’oiseau, la salamandre et le
poisson) sont ensuite recalculées par la moyenne arithmétique
des deux éléments regroupés, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’élé‑
ments à regrouper. Cette méthode peut cependant se révéler
hasardeuse, car elle suppose une vitesse d’évolution constante
dans toutes les branches. Dans le cas contraire, les branches
évoluant beaucoup plus vite que les autres ne seraient rattachées
au reste de l’arbre qu’à la dernière étape et seraient donc situées
à l’extérieur de l’arbre.
Le second algorithme est le Neighbor-Joining (Saitou et Nei,
1987), qui tente de corriger les défauts de la méthode UPGMA
en autorisant un taux de mutation différent pour chacune des
branches. Tout comme la précédente, cette approche s’appuie
sur l’établissement de « paires » de taxa et construit un arbre
« de bas en haut ». L’algorithme commence en s’appuyant sur
un arbre non résolu, dont la topologie ressemble à une étoile
et pour lequel on ne suppose aucun groupement de taxa. Puis

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De l’approche phylogénétique en mythologie comparée 75

il recherche le couple de taxa a et b qui, une fois groupés,


minimisent la longueur totale de l’arbre, soit le chemin parcouru
pour aller d’un taxon à un autre. Pour cela, il va tester tous
les couples de voisins possibles (homme/singe, homme/oiseau,
salamandre/poisson, etc.). Une fois les taxa a et b considérés
comme un groupe (a, b) indissociable – autrement dit un
nœud –, la matrice de distances est recalculée. L’algorithme est
ensuite relancé jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de taxa dans la
matrice.
Les méthodes s’appuyant sur une matrice de distances sont
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héritées de la phénétique, méthode qui consiste à classer les
taxa en prenant en compte leur similarité globale. Les arbres
ainsi construits ne reposent pas sur des caractères dérivés. Aussi
les algorithmes peuvent-ils parfois se tromper, et grouper des
taxa sur la base de traits convergents ou, si la vitesse d’évo‑
lution varie selon les branches de l’arbre, grouper des espèces
évoluant lentement et ayant donc conservé un grand nombre
de traits ancestraux. Cette manière de faire reste cependant
relativement fiable (Roch, 2010) et a l’avantage de permettre
des calculs rapides.
Méthodes s’appuyant sur un principe de parcimonie. Les méthodes
s’appuyant sur la parcimonie reposent sur un principe d’éco‑
nomie d’hypothèses. Le nombre d’arbres possible augmente
en effet de façon superexponentielle en fonction du nombre
de taxa pris en compte. S’il existe 3 arbres possibles pour
3 espèces, il en existe 15 pour 4 espèces, 105 pour 5 espèces
et… 34 459 425 pour 10 espèces. Comment identifier alors le
« meilleur » des arbres possibles, lorsque leur nombre croît aussi
vite ? Une solution consiste à choisir celui qui nécessitera le
moins de changements évolutifs, le moins d’étapes pour rendre
compte du résultat final. L’hypothèse de phylogénie retenue sera
alors celle qui maximise le nombre d’hypothèses de similitude
entre taxa hérités d’un ancêtre commun (homologies) tout en
minimisant le nombre d’hypothèses de similitude ne provenant
pas d’un ancêtre commun (homoplasies). L’indice de réten‑
tion sert ensuite à calculer la part des transmissions verticales

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76 Le cycle de la terre

(de « mère » à « filles ») et la part des convergences horizon‑


tales (issues généralement, dans le cas des espèces vivantes, de
mutations ou, dans le cas des mythes, d’inventions indépen‑
dantes ou d’emprunts). Son score oscille entre 0 et 1 ; plus il
est élevé, plus l’information phylogénétique est importante,
autrement dit, plus la probabilité d’un apparentement est forte 1.
Un des principaux écueils de cette méthode est celui de
l’attraction de la longue branche (long-branch attraction). Cela
renvoie au fait que deux longues branches dans une phylogénie
auront tendance à être groupées l’une avec l’autre, même si
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leurs lignées ne sont pas proches l’une de l’autre. Une longue
évolution augmente en effet le risque d’apparition de traits
convergents, phénomène dû au hasard ou à des pressions
de sélection identiques, et non à une ascendance commune
(Bergsten, 2005).
Méthodes reposant sur le principe de probabilité maximale. Les
méthodes relevant de la probabilité maximale s’appuient sur un
corpus de traits observables, un modèle de probabilité concer‑
nant l’évolution de chacun de ces traits et une hypothèse sur la
phylogénie prenant en considération la longueur des branches.
À partir de ces éléments, il est possible d’évaluer la probabi‑
lité des traits observés selon la phylogénie et le modèle évolu‑
tionnaire proposé. Il suffit alors de varier ces deux derniers
paramètres, puis de choisir le modèle correspondant le mieux
aux données observables.
Cette approche s’apparente à celle d’un observateur qui, regar‑
dant des enfants jouer, tenterait de deviner les règles régissant
leur comportement. À mesure qu’il enrichirait ses observations,
il modifierait progressivement ses suppositions pour faire corres‑
pondre ses hypothèses avec les faits. L’avantage de cette méthode
est qu’elle est peu sujette aux biais, mais son application néces‑
site un temps considérable, souvent dissuasif.

1. D’autres méthodes permettent de calculer la probabilité d’existence de chaque


clade – soit un groupement de taxa possédant un ancêtre commun. On peut
citer en exemple le bootstrap (Felsenstein, 1985b).

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De l’approche phylogénétique en mythologie comparée 77

Méthodes bayésiennes. Les méthodes dites bayésiennes


permettent d’obtenir un ensemble d’arbres et de paramétrages
échantillonnés en fonction de leurs probabilités postérieures,
lesquelles sont elles-mêmes calculées en combinant la probabilité
des données et celles des paramètres choisis. Les différents arbres
obtenus – dont le nombre peut être considérable – reflètent
l’incertitude concernant la phylogénie et doivent être synthétisés
dans un arbre dit de consensus.
Les approches bayésiennes peuvent être décrites comme le
mouvement d’un promeneur arpentant une colline pour en
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déterminer le point le plus haut. Il se positionne d’abord aléatoi‑
rement en un point, puis change de place, et évalue lequel des
deux points est le plus élevé. L’estimation faite, il la retient, puis
recommence. Il se déplace, s’accroupit, et calcule encore le point
le plus haut. Il continue ainsi à de nombreuses reprises, faisant
parfois un grand pas sur le côté, puis, l’instant suivant, trois
petits pas en avant. Progressivement, mesure après mesure, le
cercle des pas se réduit, tenant progressivement dans une surface
de plus en plus restreinte. Cette surface, et l’ensemble des pas
qu’elle contient, désigne alors l’endroit où se situe le point le
plus haut. Celui-ci peut alors être mathématiquement estimé
en cherchant le centre de l’aire obtenue. Dans la méthode de
Monte-Carlo par chaînes de Markov (ou MCMC pour « Markov
Chain Monte Carlo »), la plus souvent utilisée parmi les approches
bayésiennes, l’algorithme commence par un arbre au hasard,
dont les branches ont une longueur aléatoire. Une probabilité
lui est associée en fonction du modèle d’évolution défini. L’étape
suivante consiste à perturber l’arbre de manière aléatoire, par
exemple en changeant sa topologie, la longueur de ses branches
ou une valeur dans le modèle d’évolution. La probabilité de
l’arbre est alors de nouveau calculée. Seul l’arbre possédant la
probabilité la plus haute est conservé, avant d’être à nouveau
mis à l’épreuve. Une MCMC est donc constituée d’une série
d’arbres qui, si on prolonge l’opération suffisamment longtemps,
tendent à peu près vers la même probabilité. Il faut cependant
supprimer le début de la chaîne (la période dite de « burn-in »),

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78 Le cycle de la terre

correspondant aux premiers pas du marcheur, où la probabi‑


lité varie fortement d’un arbre à l’autre. L’ensemble des arbres
obtenus peut ensuite être synthétisé dans un seul et même arbre,
dit de consensus. Sur ce graphe final, il est alors possible de
faire apparaître la proportion d’arbres dans lesquels les clades
finalement conservés sont apparus.
Outre leur rapidité, les méthodes bayésiennes ont l’avantage
d’offrir un ensemble d’arbres échantillonnés en proportion de
leur probabilité postérieure. Elles sont cependant dépendantes
des choix de l’analyste, notamment du modèle évolutionnaire
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adopté, et, à l’instar des méthodes de parcimonie, peuvent être
soumises à l’attraction de la longue branche (Kolaczkowski et
Thornton, 2009).
Chacune de ces méthodes possède des forces et des faiblesses.
Afin de fiabiliser les résultats obtenus dans la suite de l’étude,
il est nécessaire de s’appuyer sur au moins deux d’entre elles
pour chaque analyse de corpus. Il s’agit de contrôler ainsi au
mieux les facteurs intervenant dans le déroulement de l’analyse
et de parvenir à reproduire les résultats avec des instruments
similaires.

Les arbres de Polyphème


Nous l’avons vu en abordant les écotypes : un mythe
donné diverge progressivement en variantes, puis en versions.
C’est ce dyscrétisme progressif qui justifie la construction
d’arbres phylogénétiques.
Reprenons l’exemple de Polyphème. L’approche phylo­
génétique repose sur le fait qu’il existe un arbre généalogique
théorique en toile de fond, ce qu’a corroboré l’identification d’un
type unissant l’ensemble des versions de Polyphème à travers
une ascendance commune et les écotypifications locales de ce
type. La hiérarchie des partages par emboîtements successifs
fournira l’arbre phylogénétique empiriquement reconstruit.
En 2015, j’ai ainsi construit différents arbres en m’appuyant
sur un corpus de 56 versions, décomposées en 190 mythèmes.

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OJIBWA OJIBWA
ABSORAKA / CORBEAUX ABSORAKA / CORBEAUX
ABSORAKA / CORBEAUX ABSORAKA / CORBEAUX
ABSORAKA / CORBEAUX ABSORAKA / CORBEAUX
APACHES CHIRICAHUA APACHES CHIRICAHUA
APACHES LIPAN APACHES LIPAN
KUTENAI KUTENAI
NIITSITAPI / PIEDS-NOIRS NIITSITAPI / PIEDS-NOIRS
NIITSITAPI / PIEDS-NOIRS NIITSITAPI / PIEDS-NOIRS
ATSINA/ GROS-VENTRES ATSINA / GROS-VENTRES
APACHES JICARILLA APACHES JICARILLA
APACHES KIOWA APACHES KIOWA
APACHES JICARILLA APACHES JICARILLA
KIOWA KIOWA
KIOWA KIOWA
VALAIS VALAIS
SYRIE SYRIE
GRÈCE GRÈCE
ABAZINS ABAZINS
ANGLETERRE (YORKSHIRE) ANGLETERRE (YORKSHIRE)

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ÉCOSSE DE L’OUEST ÉCOSSE DE L’OUEST
SAMIS SAMIS
OGHOUZES OGHOUZES
PAYS BASQUE PAYS BASQUE
PAYS BASQUE PAYS BASQUE
PAYS BASQUE PAYS BASQUE
PAYS BASQUE PAYS BASQUE
KIRGHIZISTAN OSSETIE
GRÈCE ABAZINS
GEORGIE (MINGRÉLIE) KIRGHIZISTAN
ROUMANIE GRÈCE
DOLOPATHOS GEORGIE (MINGRÉLIE)
OSSETIE ROUMANIE
ABAZINS DOLOPATHOS
ISRAËL  PALESTINE ISRAËL  PALESTINE
GRÈCE ANTIQUE  HOMÈRE GRÈCE ANTIQUE  HOMÈRE
LITUANIE LITUANIE
GRÈCE GRÈCE
KABYLIE (BERBÈRES) KABYLIE (BERBÈRES)
MAROC (BERBÈRES) MAROC (BERBÈRES)
MAROC (BERBÈRES) MAROC (BERBÈRES)
MAROC (BERBÈRES) MAROC (BERBÈRES)
ITALIE ITALIE
ITALIE ITALIE
De l’approche phylogénétique en mythologie comparée

SERBIE SERBIE
ALBANIE ALBANIE
GASCOGNE GASCOGNE
DAGUESTAN DAGUESTAN
GASCOGNE GASCOGNE
GASCOGNE GASCOGNE
GASCOGNE GASCOGNE
GASCOGNE GASCOGNE
PAYS BASQUE PAYS BASQUE
HONGRIE HONGRIE
RUSSIE RUSSIE
SAMIS SAMIS

Figure 2.3 Arbres de Polyphème

À gauche, arbre bayésien ; à droite, arbre de consensus majoritaire construit en s’appuyant sur une méthode de parcimonie.
79

L’arbre bayésien a été enraciné sur le point médian.

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80 Le cycle de la terre

J’ai utilisé parallèlement la méthode bayésienne et la méthode de


parcimonie, chacune produisant le plus grand nombre d’arbres
possible dont la synthèse a ensuite été réalisée. Les résultats
obtenus grâce aux deux méthodes sont apparus très proches
(figure 2.3).
À l’échelle des versions, les deux arbres empiriquement
obtenus proposent une explication de certaines ressemblances
entre mythèmes en termes d’ascendance commune et une expli‑
cation d’autres ressemblances en termes de convergences ou
d’inventions indépendantes. Mais ces arbres représentent seule‑
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ment des hypothèses de relations de parenté. Aussi faut-il vérifier
la fiabilité de ces hypothèses.
Si le mythe de Polyphème a évolué sous la forme d’un arbre,
alors, en modélisant son histoire, on pourrait s’attendre à ce que
le taux d’emprunt des mythèmes soit faible entre les versions.
L’indice de rétention des deux arbres a donc été calculé. Rappelons
que cet indice sert à évaluer l’apport homoplasique dans l’arbre
obtenu, c’est-à-dire les états de caractères qui ne proviennent pas
d’un ancêtre commun. Son score oscille entre 0 et 1 et doit être le
plus élevé possible. Cet indice était de 0,57 pour l’arbre faisant la
synthèse des arbres les plus parcimonieux, et de 0,63 pour l’arbre
bayésien1. Or la valeur élevée d’un indice de rétention (supérieure
à 0,60) montre habituellement une faible transmission horizon‑
tale (Nunn et al., 2010). Les indices de rétention obtenus sont par
ailleurs proches de la moyenne calculée pour cet indice à partir
d’un ensemble de données biologiques, qui est de 0,61 (Collard
et al., 2006). La cohérence hiérarchique de tous les mythèmes
entre eux suggère donc bien une transmission principalement
verticale du mythe de Polyphème, de version-mère en versions-
filles. Chaque version d’un mythe garderait donc la trace d’une
forme archaïque, dont elle dériverait principalement, tout en
annonçant celles qui la répéteront.
Cependant, si ces valeurs apportent une indication sur la
« solidité » des arbres, elles ne garantissent pas la véracité des

1. Modèle Jukes-Cantor ; 1 000 caractères simulés.

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De l’approche phylogénétique en mythologie comparée 81

relations de parenté. Un biais important pourrait par exemple


résulter de la sélection et de l’interprétation des données.
Afin de surmonter cette difficulté, j’ai étudié le mythe de
Polyphème à trois reprises, entre 2012 et 2015, en faisant varier
fortement les mythèmes choisis et le nombre de versions adoptées
pour chaque analyse : la première fois, avec 24 versions et
72 mythèmes (d’Huy, 2012a), la deuxième fois, avec 44 versions
et 98 mythèmes (d’Huy, 2013a), la troisième fois, avec 56 versions
et 190 mythèmes (d’Huy, 2015). J’ai légèrement fait varier la
définition du récit-type pour chacune de ces études, acceptant
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d’abord tous les mythes répondant à l’un des motifs majeurs
présents dans la version de l’Odyssée (dissimulation sous une
peau/un animal ; aveuglement du monstre), et me concentrant
ensuite sur les seules versions mentionnant la fuite sous une peau
animale. La sélection des traits était en grande partie différente
pour chaque corpus, de même que les outils statistiques utilisés.
Pourtant, les résultats obtenus, tant au plan de la solidité que
de l’organisation des arbres, se sont avérés très similaires (voir
d’Huy, 2015 et 2017)1.
Les diagrammes produits à partir des trois corpus présentent
à chaque fois deux grands ensembles de versions, l’un eurasia‑
tique, l’autre nord-américain. Les deux versions placées statisti‑
quement à la base de ces deux groupements, et donc à la base
des deux principales branches de l’arbre, n’ont jamais changé :
la première est la version ojibwa d’Ayash, la seconde est celle
du Valais suisse.
Afin de tester la solidité du lien existant entre ces deux versions
et entre ces versions et leur groupe respectif, une succession de
petits changements aléatoires a été effectuée sur les données,
chaque changement proposé permettant de créer un nouvel
arbre « artificiel ». Puis, pour chacune des branches internes de
l’arbre primitivement obtenu, a été calculé le pourcentage des

1. Ainsi, l’arbre de parcimonie produit en 2013 possède un indice de rétention


de 0,612, et l’arbre bayésien de 0,79. Cet indice n’avait pas été calculé en
2012, l’approche statistique adoptée ne le permettant pas.

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82 Le cycle de la terre

arbres « artificiels » possédant la même ramification. Ce pourcen‑


tage est très élevé pour les branches reliant la version suisse et la
version amérindienne et chacune de ces versions à leur groupe
respectif. La probabilité qu’un lien généalogique les unisse est
donc très élevée, ce qui corrobore le lien généalogique entre
versions eurasiatiques et versions amérindiennes mis également
en évidence par différents chercheurs (voir plus haut).
En Eurasie, les versions récentes de Polyphème, où le géant est
un cyclope, semblent pour tous les arbres trouver leur origine sur
les bords de la Méditerranée. Des rives de cette mer s’élancent
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plusieurs vagues de diffusion vers l’Europe. Oskar Hackman
(1904), s’appuyant sur une tout autre méthode, est parvenu à
la même conclusion. Bien qu’elle constitue une représentation
simplifiée de la réalité, la structure des arbres permet toutefois
de préciser les voies de diffusion. La première route inclurait
des versions du Caucase, du Pays basque et de l’Europe du
Nord-Ouest (Royaume-Uni, Samis) et correspondrait à l’expan‑
sion des premiers éleveurs. La seconde vague se serait diffusée
sur le pourtour méditerranéen, dans le sud (Gascogne) et le
centre de l’Europe. Si la version de l’Odyssée, par sa célébrité,
engendre généralement à elle seule une tradition et un groupe‑
ment phylogénétique qui lui sont propres, l’arbre élaboré en
2015 la rattache à la deuxième vague de diffusion, permettant
de faire du viiie siècle av. J.-C. le terminus ante quem de cette
dernière. Ce groupement statistique montre également que,
contrairement à ce que soutenait Arnold Van Gennep (1933 :
164), il est peu probable « que toutes les variantes modernes
qui présentent avec la légende homérique une parenté évidente
soient tout simplement des adaptations populaires locales du
vieux récit littéraire ».
Compte tenu de ce qu’avait déjà montré Oskar Hackman,
les résultats obtenus ne sont pas surprenants : les statistiques
servent surtout ici à contrôler et préciser ce que d’autres avaient
déjà pressenti.

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De l’approche phylogénétique en mythologie comparée 83

Au-delà de l’arbre…
Parmi les reproches méthodologiques pouvant être
faits à l’approche phylogénétique, le principal serait sans doute
que les mythes et les contes ne se comportent pas comme des
êtres vivants et se transmettent horizontalement aussi bien que
verticalement. L’anthropologue américain Alfred L. Kroeber note
que si les phénomènes de convergence ou d’évolutions paral‑
lèles, par opposition aux relations d’origine commune, sont
reconnus depuis longtemps en biologie et en anthropologie,
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la première discipline n’a généralement pas eu grand mal à
les discriminer, alors qu’ils ont suscité d’énormes controverses
dans la seconde (1931 : 150). En effet, objets naturels et objets
culturels n’évoluent pas de la même façon :

Le cours de l’évolution biologique peut être correctement


représenté par un arbre de la vie, comme Darwin l’a
dénommé, avec un tronc, des branches maîtresses, des
branches moins importantes et des brindilles. Le cours du
développement dans l’histoire de la culture humaine ne peut
pas être décrit de la même façon, même métaphoriquement.
Des embranchements se créent en permanence, mais ces
branches fusionnent ensuite de nouveau ensemble, de façon
complète ou partielle, et ce, en permanence. Une branche de
l’arbre de la vie peut s’approcher d’une autre branche ; elle ne
fusionnera normalement pas avec elle. L’arbre de la culture,
au contraire, est une ramification de telles coalescences,
assimilations, ou acculturations. (Kroeber, 1948 : 138.)

Et le paléontologue américain Stephen J. Gould de renchérir :

Les routes empruntées par l’évolution culturelle humaine


sont remarquablement différentes de celles des changements
génétiques. Les arbres représentent correctement l’évolution
biologique. À l’inverse, dans l’évolution culturelle humaine, les
phénomènes de transmission et d’anastomose se multiplient
de façon effrénée. Cinq minutes avec une roue, une raquette,
une bobine ou un arc et une flèche peuvent permettre

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84 Le cycle de la terre

à un artisan d’une culture donnée de saisir un résultat majeur


obtenu par une autre culture. (Gould, 1987 : 70.)

De telles objections se retrouvent également sous la plume de


spécialistes de la mythologie, comme Yuri Berezkin :

À la différence des gènes, les éléments culturels peuvent


être acquis tant par d’autres membres du même groupe de
personnes que de l’extérieur du groupe, c’est-à-dire que ces
éléments peuvent se transmettre de personne en personne,
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sans que celles-ci aient besoin d’être génétiquement liées.
Ainsi, la diffusion d’éléments culturels et de marqueurs
génétiques ne coïncide pas nécessairement dans des
populations différentes. L’étude des contes en utilisant
des métaphores biologiques a une longue histoire, et cette
approche s’est récemment étendue jusqu’à l’emploi de
modèles et de logiciels issus de la génétique. La transmission
des éléments du folklore peut être décrite comme verticale
quand elle est transmise de génération en génération dans
une même population, et comme horizontale quand elle
s’opère entre des populations d’origines différentes. Ces deux
types de transmission pourraient avoir lieu à n’importe quelle
période de l’histoire. Si les parallèles avec la biologie étaient
appropriés, le développement du folklore relèverait plutôt de
l’évolution des procaryotes plutôt que de celle des eucaryotes.
Par conséquent, appliquer les mêmes procédures à l’étude
d’un récit folklorique et à l’étude d’un gène [Tehrani, 2013]
ne semble pas être une approche méthodologiquement
correcte1. (Berezkin 2015 : 59.)

Au regard du problème des emprunts, force est d’admettre la


pertinence de la critique. Sans prendre en compte les phéno‑
mènes d’inventions indépendantes, il s’agit, pour ces auteurs, de
défendre la place de l’ethnogenèse – définie comme « l’emprunt

1. Il est cependant à noter que Yuri Berezkin a depuis infléchi son point de
vue, cosignant avec moi un article utilisant les outils de la phylogénétique
pour étudier l’évolution de motifs mythologiques liés aux Pléiades et à Orion
(d’Huy et Berezkin, 2017).

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De l’approche phylogénétique en mythologie comparée 85

et le mélange d’idées et de pratiques et le commerce et l’échange


d’objets entre des populations contemporaines, la source du
changement devant être externe » (Borgerhoff Mulder et al.,
2006 : 54) – contre celle de la phylogénie, c’est-à-dire la trans‑
mission verticale, et de mettre en garde contre une « biologisa‑
tion » des phénomènes culturels, autrement dit l’emprunt non
réfléchi des outils d’une discipline par une autre1.
Cependant, la critique perd de vue que le modèle phylogéné‑
tique ne produit que des hypothèses portant sur un ensemble
de relations unissant des taxa, sans rendre compte de la totalité
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des relations unissant les récits entre eux. La question n’est
donc pas de savoir si les emprunts existent ou n’existent pas,
mais de savoir si ceux-ci brouillent le signal phylogénétique au
point de le faire disparaître. En outre, une fois l’existence de
l’arbre théorique d’un mythe établie, ce qui se fait en prouvant
l’existence d’un type généalogique et de ses écotypes, il est
possible d’en vérifier la solidité et de calculer le pourcentage de
descendance commune pour chacun des mythèmes. Ces calculs
montrent que si certaines versions d’un mythe se situent à la
jonction de plusieurs autres, elles ne tiennent généralement
leur substance principale que d’une seule d’entre elles. Dans
ces conditions, un emprunt peut être défini comme la transpo‑
sition, pour une version donnée d’un mythe, d’un ou plusieurs
fragments plus ou moins longs n’appartenant pas à l’antécédent
direct de la version étudiée.
Bien sûr, on ne peut pas écarter la possibilité que chaque
version de Polyphème possède plusieurs ancêtres selon un
modèle évolutif que l’on pourrait qualifier de rhizomorphe.

1. Pour une critique de ces transferts lâches et non maîtrisés, voir Jacques
Bouveresse (1999). Dans la plupart des cas, l’erreur réside dans la retranscrip‑
tion du discours scientifique sous une forme littéraire et « métaphorique »,
l’analogie conceptuelle restant superficielle et sans signification. Dans la pré‑
sente étude, l’emprunt aux sciences de l’évolution n’est pas général : seuls les
éléments directement transférables (par exemple, le fait que le mythe puisse
être considéré comme un ensemble d’éléments discrets évoluant avec le temps)
ont été retenus.

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86 Le cycle de la terre

Figure 2.4 Exemple de réseau phylogénétique

T5

T4

T2
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T1

T3

La structure en losange indique un signal conflictuel.

Cette hypothèse rendait d’ailleurs prudent Thomas Abler quant


à une interprétation généalogique des arbres qu’il avait obtenus
à partir d’un corpus de versions (Abler, 1987 : 208).
À ma connaissance, le terme « rhizomorphe » a été utilisé pour
la première fois par le linguiste australien Malcolm Ross (1997 :
209) en référence aux travaux de l’anthropologue américain John
H. Moore (1994 : 16), qui cherchait à remplacer « le modèle
d’ethnogenèse cladistique (sous la forme d’embranchements,
similaire à un arbre) par la métaphore rhizomorphe (semblable
à une racine) selon laquelle “chaque langue, culture ou popula‑
tion humaine est considérée comme dérivant ou comme étant
enracinée dans différents groupes l’ayant précédée” ».
Des outils ont été développés pour prendre en compte ce
type d’évolution. En effet, loin de constituer un arbre parfait, de
nombreuses espèces vivantes s’hybrident. Le transfert de l’infor‑
mation génétique d’un organisme à l’autre, sans que ce transfert
provienne d’un héritage commun, peut atteindre jusqu’à 15 % à
25 % du génome de certaines espèces végétales et jusqu’à 10 %

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De l’approche phylogénétique en mythologie comparée 87

Figure 2.5 Réseau phylogénétique de Polyphème

ANGLETERRE (YORKSHIRE)
0,1
ÉCOSSE DE L’OUEST SAMIS

PAYS BASQUE PAYS BASQUE


PAYS BASQUE
OGHOUZES
ABAZINS PAYS BASQUE
KIRGIZISTAN
ISRAËL / PALESTINE ABAZINS
OSSETIE
KABYLIE (BERBÈRES) SYRIE
MAROC (BERBÈRES)
MAROC (BERBÈRES)
MAROC (BERBÈRES) GRÈCE
VALAIS
ALBANIE
OJIBWA
GRÈCE
GEORGIE (MINGRÉLIE)

DAGUESTAN
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GASCOGNE
GASCOGNE
GASCOGNE
ITALIE NIITSITAPI / PIEDS-NOIRS
ITALIE NIITSITAPI / PIEDS-NOIRS
SERBIE KUTENAI
PAYS BASQUE
LIPAN
APACHES KIOWA
RUSSIE KIOWA
KIOWA
GASCOGNE APACHES JICARILLA
GASCOGNE ATSINA - GROS-VENTRES
GRÈCE LITUANIE APACHES JICARILLA
ROUMANIE
DOLOPATHOS

HONGRIE SAMIS
APACHES CHIRICAHUA
GRÈCE ANTIQUE (HOMÈRE)

ABSORAKA / CORBEAUX
ABSORAKA / CORBEAUX ABSORAKA / CORBEAUX

Les losanges indiquent des signaux conflictuels.

chez certaines espèces animales (Rhymer et Simberloff, 1996 ;


Mallet, 2005 ; Peccoud et al., 2017). Le vivant peut également
évoluer par cospéciation – deux espèces évoluant d’un même
pas – ou par endosymbiose – un organisme s’installe au sein
d’un autre et en devient parfois un symbiote obligé (Rosewich
et Kistler, 2000 ; Dagan et Martin, 2006, 2007 ; Dunning Hotopp
et al., 2007).
Par exemple, l’algorithme Neighbor-Net (Bryant et Moulton,
2003) permet la construction de réseaux en se basant sur le
degré de similarité entre les différents taxa. La présence de
losanges indique des signaux conflictuels (figure 2.4). D’un
point de vue biologique, une réticulation, autrement dit une
amalgamation, en un point donné, de deux branches origi‑
nellement distinctes, peut être provoquée par des transferts

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88 Le cycle de la terre

horizontaux de gènes – processus dans lequel un organisme


intègre du matériel génétique provenant d’un autre organisme
sans en être le descendant –, par un phénomène d’hybridation
entre deux espèces à l’origine distincte, mais également par des
évolutions convergentes, le retour à une forme plus primitive
dans une lignée évolutive, des erreurs dans le codage ou dans
l’échantillonnage des données. Une dernière cause possible est la
similitude d’un état de caractère présent chez différentes espèces,
mais ne provenant pas d’un ancêtre commun, autrement dit un
phénomène d’homoplasie.
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J’ai d’abord testé l’algorithme Neighbor-Net en 2012, pour
étudier un premier ensemble de versions de Polyphème, puis
en 2013 et en 2015, sur des corpus toujours plus importants. La
figure 2.5 présente les résultats obtenus grâce à une matrice de
Jaccard construite à partir du corpus le plus étoffé. Des signaux
conflictuels entre les versions – représentés sous la forme de
structures en forme de boîte – sont repérables sur le graphe, et
peuvent indiquer des emprunts, des erreurs de codage ou des
inventions indépendantes. Cependant, le Neighbor-Net rassemble
correctement la majeure partie de ces versions en ensembles
géographiques ou culturels cohérents, semblables à ceux que l’on
trouve dans les deux arbres, ce qui suggère une véritable perma‑
nence des récits dans le temps, ainsi que l’existence d’écotypes.
La méthode du score delta note les taxa individuels de 0 à 1.
Un score delta relativement élevé (proche de 1) montre que les
données se contredisent les unes les autres sur de nombreux
points ; un score faible indique qu’elles s’organisent sous la
forme d’un arbre (Holland et al., 2002). Søren Wichmann et
ses collaborateurs (2011) ont calculé les scores delta moyens
de l’ensemble des familles linguistiques à travers le monde et
ont obtenu une moyenne de 0,3113. Ici, le score delta moyen
du réseau phylogénétique de Polyphème est proche (0,342).
Ainsi, contrairement à ce qu’avançaient Robert M. Ross, Simon
J. Greenhill et Quentin D. Atkinson dans un article publié en
2013, certaines familles de mythes adoptent une structure plus
arborescente que des familles de langues.

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De l’approche phylogénétique en mythologie comparée 89

Le réseau réel est sans doute plus complexe que celui repré‑
senté dans la figure 2.5, puisque le problème des emprunts se
réduit ici à ceux qui ont été identifiés. En réalité, la plupart
des emprunts sont des redites anonymes, dont l’origine reste
inconnue faute d’avoir recueilli en son temps la version qui les
a inspirés. Par ailleurs, remarquons qu’une version du mythe ne
peut apparaître qu’en périphérie du réseau, ce qui fait que si une
version possède de trop nombreux ancêtres, alors l’algorithme
ne saurait la placer dans une position parfaitement médiane,
biaisant ainsi sa place dans le graphe.
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Comment s’est diffusé le mythe ?
En 2011, Andrey Korotayev et Daria Khaltourina ont
montré que le motif où un homme se rend dans la demeure
d’un maître des animaux ou d’un berger monstrueux et,
menacé de mort, ne peut s’enfuir qu’en se couvrant d’une peau
ou en se cachant sous un animal qui se dirige vers l’extérieur
et celui relatant comment le gibier était autrefois concentré
en un seul lieu, avant d’être libéré par un individu et de
se disperser dans le monde, se rattachent à un ensemble de
motifs dont la diffusion est fortement corrélée à la distribu‑
tion géographique d’une lignée humaine porteuse de l’haplo‑
groupe mitochondrial C. On pense que cet haplogroupe est
apparu quelque part en Asie centrale, il y a environ 60 000 ans
(Herrrera et Garcia-Bertrand, 2018 : 350). Cette corrélation
montrerait donc une excellente transmission, à travers les
millénaires, de certains récits mythologiques à l’intérieur d’une
même population, sans signifier pour autant que les contenus
mythiques seraient déterminés par nos gènes.
Mais Andrey Korotayev et Daria Khaltourina ont étudié la
diffusion d’un ensemble de motifs mythologiques, et non du
seul mythe de Polyphème. Serait-il alors possible de corroborer
leur hypothèse de diffusion en s’appuyant uniquement sur notre
mythe ? Pour être acceptable, l’énoncé des deux chercheurs
russes implique, d’une part, que le type de Polyphème remonte

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90 Le cycle de la terre

au Paléolithique, d’autre part, que sa diffusion ne puisse princi‑


palement s’expliquer que par des mouvements de populations.

L’âge paléolithique du mythe


À la première condition répondent les travaux précé‑
demment évoqués, tous suggérant une communauté généalo‑
gique entre les versions d’Eurasie et d’Amérique du Nord. Or
une telle communauté ne saurait s’expliquer que par le passage
du mythe d’une rive à l’autre du détroit de Béring avant la
fin du Pléistocène. Un emprunt récent au folklore européen ne
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pourrait permettre à lui seul d’expliquer la vaste diffusion du
récit dans le nord du Nouveau Monde, ni la proximité structu‑
relle de l’ensemble des versions amérindiennes.

Un sens de diffusion du mythe compatible


avec un peuplement de l’Eurasie du Nord
Si l’hypothèse d’une diffusion propre à l’hémisphère
nord est exacte, il est possible que le mythe de Polyphème ait
existé dès le premier peuplement du nord de l’Ancien Monde,
passant ensuite en Amérique du Nord avec les premières vagues de
peuplement, avant de disparaître en certains points de l’Eurasie.
Une telle hypothèse serait en accord avec celle formulée par
Andrey Korotayev et Daria Khaltourina. Aussi semble-t‑il intéres‑
sant de la tester. Pour qu’elle soit corroborée, il faudrait que les
différentes versions du mythe de Polyphème s’organisent selon un
gradient géographique allant du sud-ouest de l’Asie à l’Amérique.
Un tel gradient ne serait pas invraisemblable. Par exemple,
l’anthropologue américain Franz Boas (1895), comparant terme
à terme tous les éléments isolables des différentes variantes du
mythe du Corbeau en Amérique du Nord-Ouest, a montré que ce
récit s’était diffusé du nord au sud de la Colombie-Britannique.
De même, Claude Lévi-Strauss, dans un article marquant intitulé
« Comment meurent les mythes ? » (1971b), a décrit l’altération
d’un mythe sahaptin, population du nord-ouest de l’Amérique,
non dans le temps, mais dans l’espace, en suivant le passage
d’une version d’un groupe à l’autre, tout en notant les modifica‑

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De l’approche phylogénétique en mythologie comparée 91

tions de l’armature, du code ou du message, jusqu’à l’épuisement


du récit. Le sens de diffusion d’un mythe peut donc être mis
en évidence par une étude attentive de ses différentes versions.
C’est ainsi que j’ai utilisé une partie des versions de Polyphème
pour calculer l’influence de la distance géographique sur leur
variabilité à partir de trois origines différentes : l’Afrique du
Sud-Ouest, l’Europe et l’Asie centrale, plus spécifiquement depuis
Achgabat, au Turkménistan (d’Huy, 2019a). Le coefficient de
corrélation entre les deux versions les plus proches de chaque
point d’origine proposé (voire davantage lorsque plusieurs
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versions sont rattachées à un même lieu) et l’écart statistique
les séparant des autres versions étudiées ont ensuite été calculés.
La façon dont les différentes versions du mythe varient entre
elles et s’écartent l’une de l’autre est très bien expliquée en
adoptant comme point d’origine du mythe l’Europe du Sud
ou l’Asie centrale (entre 53 % et 65 % de la variabilité totale
expliquée), suggérant une apparition du récit entre ces deux
régions. D’Asie du Sud-Ouest, le mythe se serait ensuite diffusé
vers le nord du continent avant d’atteindre l’Amérique du Nord.
Au fur et à mesure de leur diffusion, des éléments du mythe
auraient été oubliés et remplacés par d’autres. Le mythe aurait
par ailleurs disparu d’une partie du nord de l’Eurasie, même si
la figure d’un dangereux maître des animaux sauvages s’y trouve
conservée (d’Huy, 2016, 2017b).
Que la diffusion du mythe soit non seulement corrélée à un
haplogroupe, mais présente aussi un cline et un âge cohérents
avec la diffusion de cet haplogroupe, suggère que les premières
migrations de l’homme moderne ont laissé une trace non seule‑
ment génétique, mais aussi mythologique, dont la prégnance est
toujours sensible dans les cultures actuelles. Cela suggérerait par
ailleurs que les premiers Homo sapiens à avoir peuplé l’Europe et
l’Asie centrale depuis l’Asie du Sud-Ouest (Hublin, 2015) auraient
pu contribuer à diffuser ce mythe, et que, par conséquent, les
premiers auteurs d’images rupestres en Europe en auraient eu
connaissance. Ce point, nous le verrons au chapitre 7, a son
importance.

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92 Le cycle de la terre

Les résultats présentés ici sont cependant à prendre avec


précaution, car ils ne reposent pour l’instant que sur une seule
base de données, qui a peu de chances d’échapper à des biais
multiples. Il est donc indispensable de les tester sur de plus vastes
corpus, et de les confronter à d’autres ensembles mythologiques,
ce que les chapitres suivants s’attacheront à faire.
Si les mythes se sont diffusés en même temps que les popula‑
tions, peut-être serait-il possible de trouver une trace des dépla‑
cements humains dans la structure des arbres phylogénétiques
obtenus à partir de différentes versions des mythes ? Répondre à
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cette interrogation nous conduira à proposer un modèle d’évo‑
lution général d’un mythe à travers le temps.

Une évolution alternant stases et changements


La biologie permet de proposer un modèle dont
l’applicabilité à la mythologie ne vaut que dans certaines limites.
La théorie de l’équilibre ponctué stipule que lorsque des change‑
ments évolutifs importants se produisent chez une espèce, ils se
limitent généralement à des événements rares et très rapides de
spéciation (Eldredge et Gould, 1972 ; Gould et Eldredge, 1977).
Emprunter ce concept pour le transposer à la mythologie comparée
reviendrait à considérer que, au fil de l’évolution d’un mythe, il
existe une alternance de courtes périodes où les nouvelles versions
divergeraient rapidement et de longues périodes de stabilité où
le récit n’évoluerait qu’à la marge. Les mythes évolueraient donc
par sauts, et non par degrés.
Le signe d’une telle évolution ponctuée se décèle dans les arbres
phylogénétiques reconstruits, lorsque la longueur des branches
– soit le nombre de changements accumulés – et le nombre d’évé‑
nements de spéciation sont corrélés (Webster et al., 2003 ; Pagel et
al., 2006). Dans le cadre d’une évolution par équilibre ponctué, de
nombreux événements de spéciation (nœuds) devraient conduire
à un nombre plus important de changements (les branches
devraient être plus longues). Un modèle d’évolution graduelle,
où les versions d’un mythe divergeraient progressivement les unes

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De l’approche phylogénétique en mythologie comparée 93

des autres, ne prédit aucune relation entre le nombre de nœuds


et la longueur des branches.
Comment tester l’hypothèse d’une évolution ponctuée pour
le mythe de Polyphème ?
En m’appuyant sur l’arbre bayésien construit en 2015, j’ai
recherché une corrélation entre la longueur de chaque branche
et le nombre de nœuds que chacune traversait. Un tel calcul
implique un arbre parfaitement bifurqué, autrement dit un
arbre où chaque nœud correspond à un ancêtre hypothétique,
à partir duquel deux lignées divergent. La longueur des branches
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a donc été calculée de chaque version à la première polytomie
rencontrée en descendant vers la racine de l’arbre, soit de chaque
version à la première section rencontrée présentant plus de deux
branches apparaissant en même temps1.
Une fois la longueur des branches connue et le nombre de
nœuds comptés, il restait à déterminer si la longueur des branches
et le nombre de nœuds constituaient – ou non – des variables
indépendantes. Selon la méthode de calcul, la relation entre la
longueur des branches et le nombre de nœuds explique entre
62,5 % et 83 % de la variabilité totale observée entre les versions,
le reste répondant à d’autres causes. Par conséquent, l’influence
des phénomènes de ponctuation est plus forte dans l’évolution
du mythe de Polyphème que dans la sphère biologique, où elle se
situe autour de 22 % (Pagel et al., 2006), et la sphère linguistique,
où elle se limite entre 10 % et 33 % (Atkinson et al., 2008). Elle
se rapproche par ailleurs des résultats obtenus pour deux autres
types de récits : la Chasse cosmique, où un animal poursuivi
par un chasseur se transforme en constellation (84 % [d’Huy,
2013b]), et la Géranomachie, qui relate un combat entre des
pygmées et des grues (89 % [Le Quellec et d’Huy, 2017]). Il y a
dans la régularité de ces résultats un indice, sinon une preuve,
de leur fiabilité. La part de variation non expliquée pourrait
l’être par des effets graduels indépendants.

1. Remarquons au passage qu’une polytomie peut être un signe d’évolution


ponctuelle (Wagner et Erwin, 1995).

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94 Le cycle de la terre

L’approche statistique permet donc d’élaborer un modèle,


celui d’une évolution ponctuée des mythes, que l’ethnologie
permet en l’occurrence d’étayer, confirmant empiriquement les
résultats théoriques.

La stase mythologique
Nous avons évoqué deux processus : les stases et les
ponctuations. Intéressons-nous au premier, qui permet de lier
écotypification d’un mythe et profondeur temporelle.
Une stase ne signifie bien sûr pas qu’un mythe cesse d’évo‑
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luer, se figeant dans une stabilité absolue, mais plutôt que les
variations entre versions ne dépassent pas les limites ordinaire‑
ment sensibles à l’intérieur d’une écotypification (voir supra). En
d’autres termes, on pourrait dire que, durant la stase, les mythes
s’imitent, ou du moins tendent à s’imiter.
On pourrait imaginer l’évolution d’un mythe au cours de
cette période comme un brin de laine. Vu de loin, on perçoit
le brin comme une continuité, un fil lisse. Mais plus on
avance, plus le nombre de détails augmente. La façon dont
on perçoit la structure du brin de laine s’en trouve modifiée.
Progressivement apparaissent de nouvelles lignes, de nouvelles
formes, de nouvelles variations. De la même façon, en fonction
de l’échelle choisie pour observer l’ensemble des versions d’un
mythe, la perception de leur évolution varie. Tout est une
question de zoom.
Comment expliquer la possibilité même d’une stase ? Toute
énonciation d’un mythe est en effet absolument nouvelle, néces‑
sairement singulière, et relève de l’événement, car elle n’est
jamais identique aux autres. Mais, en même temps, chacune
de ces énonciations est la manifestation d’une « essence ». Cette
essence est à comprendre comme un idéal, un type, propre à
un écotype, qui n’existe qu’en se particularisant. Comprendre
le fonctionnement de la stase revient à expliquer le mécanisme
permettant à cette essence de se perpétuer.
La substance de chaque version d’un mythe se trouve avant tout
« dans l’histoire qui y est racontée » (Lévi-Strauss, 1955b : 430).

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De l’approche phylogénétique en mythologie comparée 95

Chaque particularisation locale du mythe se présente sous la


forme d’un récit, donc d’un ensemble de faits, reliés par des
relations causales ou, à défaut, temporelles (Warren et al., 1979 ;
Black et Bower, 1980). De fait, le mythe ne prend son sens que
lorsque les éléments qui le composent s’ordonnent entre eux.
Si cet ordre ne peut être déterminé, il n’y a plus de récit, mais
une cacophonie.
Or la structure causale d’un récit influe sur sa mémorisation.
John B. Black et Gordon H. Bower (1980) ont montré que toute
action appartenant à la chaîne qui relie le début à la fin d’une
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histoire – autrement dit, toute action importante, achevée
et faisant avancer le récit – sera mieux retenue que d’autres
actions, secondaires, inachevées, sans effet sur le déroulement de
l’intrigue ou inutiles à sa bonne marche. Plus un événement est
important dans l’enchaînement causal, plus il sera jugé impor‑
tant dans l’absolu et mieux il sera retenu (Omanson, 1982).
Ainsi, ce sont les détails superflus par rapport au thème principal
d’une histoire qui disparaissent d’abord lorsque celle-ci est trans‑
mise oralement (Krohn, 1971). Ce principe permettrait d’expli‑
quer la permanence d’une structure commune à l’ensemble d’un
écotype, voire d’un type de mythe, organisé autour d’un noyau
minimal uniquement constitué par les actions essentielles et sur
lequel l’usure aurait peu de prise, puisque l’on retrouve ce noyau
à travers de vastes régions. La matière du mythe en gouvernerait
donc la forme.
Étayant cette hypothèse, le rôle de la structure causale dans la
mémorisation d’un récit a été largement démontré. L’emploi de
connexions causales – de préférence logiques – entre les éléments
d’un texte (phrases ou actions) permet ainsi de prédire la facilité
de s’en ressouvenir (Ackerman, 1993 ; Cain et al., 2001, 2004 ;
Myers et al., 1987 ; Trabasso et Van den Broek, 1985 ; Trabasso
et Suh, 1993), le coefficient d’importance qui lui est attribué
(Trabasso et Sperry, 1985 ; Trabasso et Van den Broek 1985 ;
Van den Broek, 1988) et la probabilité que certains faits soient
conservés dans un résumé du texte (Van den Broek et Trabasso,
1986).

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96 Le cycle de la terre

Par ailleurs, la structure du mythe renforce une volonté sociale


de conserver le mythe inchangé. En effet, durant la stase, les
changements proposés au schème mythologique connu dans
l’écotype par les différents transmetteurs ne prennent pas tous la
même direction, et ne parviennent généralement pas à se stabi‑
liser au même degré dans la mémoire culturelle à long terme. Le
linguiste Roman Jakobson et l’ethnographe Petr Bogatyrev ont
montré que, quelles que soient les modifications personnelles
apportées à une œuvre folklorique, leur intégration à la tradi‑
tion suppose leur ratification par une communauté déterminée
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qui accepte et reprend la version ainsi remaniée (Jakobson et
Bogatyrev, 1929). Ne pas reprendre une modification revient
donc à maintenir, de facto, l’état de stase.
Toute énonciation d’un mythe doit obliger son public, lui
être agréable, et donc se conformer à ses croyances et à ses
attentes. Dans le cas contraire, par exemple lorsqu’il existe
un écart exagéré par rapport à l’enchaînement ordinaire d’un
récit, les écoutants n’hésitent pas à corriger le narrateur. Dans
le public, chacun peut répondre à ce qui est dit à tous, comme
l’exprime cet aveu de conteur : « Il y en a qui mettent des paroles
pour allonger la situation, ils arrivent au même terme, c’est le
même conte, mais il ne sera pas dit pareil. Quelquefois on disait :
c’est pas ça. Tu t’es trompé. Mais, pour en finir, c’était toujours
le même conte » (cité in de Félice, 1950 : 458, je souligne).
En Afrique, Suzanne Ruelland présente ainsi la narration d’un
conte : « La narration est souvent interrompue par les auditrices
qui rectifient tel mot, tel ordre des motifs et interviennent par
des exclamations. Souvent, lorsque le conte comprend un chant
[…], les auditrices se joignent à la narratrice, dialoguent avec elle
et miment l’action du récit » (1973 : 94). À propos du peuple
Mandé de Sierra Leone, Marion Kilson note une participation
similaire du public :

Le narrateur et le public s’attendent tous deux à participer


activement à la représentation d’une histoire et le public
est censé réagir de manière critique à l’histoire pendant sa

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De l’approche phylogénétique en mythologie comparée 97

représentation. En tant que participant à la représentation de


l’histoire, le public peut répondre aux questions directes du
narrateur ou chanter les refrains des chants qui sont incorporés
dans la plupart des contes mandés. (Kilson, 1976 : 21.)

La parole du raconteur appartient en grande partie à son


public. En contrôlant activement la façon dont est raconté le
récit, il participe à son énonciation. Il devient ainsi un des
éléments essentiels de la stabilité des mythes.
Remarquons que si un public peut se constituer en entité
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homogène capable d’entraîner la suppression de la plupart des
variantes d’un mythe, c’est à la condition que la principale
variante de l’histoire, acceptée socialement, soit déjà connue
au niveau local, permettant ainsi l’apparition d’une expérience
partagée. Il en résulte un énoncé immédiat, testable et contre-
intuitif : plus un mythe est largement diffusé dans une commu‑
nauté donnée, moins il connaîtra de variantes importantes.
Ce phénomène pourrait expliquer pourquoi l’on trouve une
valeur différentielle similaire entre deux versions d’un conte
très populaire en Europe, « La bonne fille et la méchante fille »,
lorsqu’elles sont situées dans une même aire ethnolinguistique
à cent kilomètres l’une de l’autre et lorsqu’elles ne sont situées
qu’à dix kilomètres l’une de l’autre mais appartiennent à deux
aires ethnolinguistiques différentes (Ross et al., 2013). La connais‑
sance de la langue dans laquelle est énoncé le conte est en effet
indispensable pour qu’un contrôle public et uniformisant s’opère
sur les diverses variantes d’un récit. Cette uniformisation s’arrête
alors aux frontières linguistiques.
Durant la stase, la permanence du mythe s’appuierait sur
un double mouvement, sans cesse répété, de simplification
puis de développement. À chaque transmission, le récit serait
mentalement enregistré par le récepteur sous sa forme causale
la plus simple (noyau minimal), facilement mémorisable et se
conservant donc dans le temps, puis le récit serait à nouveau
étoffé, sous le contrôle du public, lorsque viendrait le moment
de le raconter. Il y a ainsi une grande différence entre la forme

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98 Le cycle de la terre

mémorisée d’un récit, garant de sa permanence, et sa narra‑


tion. D’ailleurs, lorsqu’un sujet doit transcrire une histoire qu’il
vient de raconter, sa version sera plus courte et plus dense qu’à
l’oral (Tannen, 1982 : 8), puisqu’il s’appuie essentiellement sur
le noyau logique du récit.
Entre pression sociale et structure logique, toute énonciation
d’un mythe est solidaire d’une énonciation passée, prise comme
modèle et à laquelle celui qui parle doit bien consentir. Aussi
l’Homme n’invente-t‑il pas ses mythes : il ne fait que les raviver.
Un conteur reste libre d’innover, mais à l’intérieur d’un plan
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prédéterminé.
Comment est alors rompu l’équilibre de la stase ? Quatre
causes principales semblent pouvoir l’expliquer.

Les ponctuations
En biologie, les ponctuations paraissent s’opérer lors
de moments évolutifs critiques, par exemple lorsqu’une petite
population se sépare géographiquement d’une population-mère
(spéciation allopatrique). Une telle séparation s’accompagne
généralement d’un effet fondateur, où une mutation génétique
spécifique se diffuse à partir d’un ou de quelques individus
à l’origine du peuplement. Des effets fondateurs en série
apparaissent lorsque des populations migrent sur de longues
distances, alternant de rapides déplacements suivis de périodes
plus ou moins durables d’installation. Les populations issues
de chaque migration emportent avec elles une part seulement
de la diversité génétique du groupe dont elles sont issues. Par
conséquent, les différences génétiques tendent à s’accroître en
même temps que la distance géographique.
On peut établir un parallèle avec un effet fondateur « culturel »,
où de nouveaux traits culturels et mythologiques apparaissent
rapidement à l’occasion d’un nouveau peuplement, au sein d’une
petite communauté humaine, dans une région circonscrite, située
au-delà de l’aire de répartition de la culture-mère. Ces versions sont
ensuite stabilisées avec l’augmentation de la population humaine
fondatrice, et donc l’augmentation de la mémoire culturelle (pour

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De l’approche phylogénétique en mythologie comparée 99

une étude de cas, voir d’Huy, 2013e). Le fait que la proximité


entre deux versions d’un conte soit partiellement fonction de
la distance géographique les séparant et qu’une population ait
plus de mal à abandonner ses traditions orales qu’à se mélanger
génétiquement avec d’autres peuples (Ross et al., 2013) corro‑
bore le lien entre diffusion mythologique et migration réelle de
populations. Une autre hypothèse serait la diffusion, de loin en
loin et par bonds irréguliers, d’un mythe grâce à des transmet‑
teurs actifs (von Sydow, 1965 [1948]) qui s’opposeraient à la
majorité des récepteurs, dits passifs.
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De façon générale, l’hypothèse d’une diffusion par « bonds »
d’un mythe implique que, lors d’un épisode de spéciation, une
version-fille « bourgeonne » à l’occasion d’un nouveau peuple‑
ment ou d’une énonciation dans un nouveau milieu, puis se
détache de sa version-souche qui, elle, persiste à l’état de stase,
sans modification majeure. Rappelons-nous, premièrement, la
corrélation existant entre la distribution des motifs appartenant
au récit de Polyphème et celle de l’haplogroupe mitochondrial C,
deuxièmement, l’existence d’un cline mythologique compatible
avec ce que l’on sait de la diffusion de cet haplogroupe. Mettons
ces deux éléments en rapport avec ce que nous a appris l’étude
du folklore. Alors il devient possible de proposer un scénario de
goulots d’étranglement et de migrations à grande distance associées
à la dissémination du mythe dans des aires géographiques spéci‑
fiques (ponctuations), suivi d’un flux culturel à courte portée entre
populations locales et d’un accroissement démographique condui‑
sant au « lissage » et à la stabilisation des récits (écotypification).
Au-delà d’un « effet fondateur » culturel, les populations
peuvent également utiliser leurs mythes comme « carte d’iden‑
tité », et les faire évoluer de façon plus rapide quand elles
cherchent à se distinguer de leurs voisines. Le besoin d’adhérer à
un socle de valeurs communes, à un « nous » opposé aux autres,
semble en effet une réalité positive et fondamentale de l’huma‑
nité : les peuples se forment en se différenciant. L’anthropologue
anglais Edmund Ronald Leach a ainsi fort justement écrit : « Je
m’identifie moi-même à un nous collectif qui s’oppose alors

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100 Le cycle de la terre

à un autre nous » (Leach, 1967 : 34). La version d’un mythe


adoptée par un groupe, en contestant la vision du monde des
autres, lui permet alors de se singulariser en se démarquant. Ce
type de ponctuation n’est plus lié à une migration, mais à des
pressions extérieures. C’est ce que certains spécialistes, à la suite
de l’anthropologue anglais Gregory Bateson (1958 [1935, 1936]),
appellent « schismogenèse ».
Diverses manifestations de ce phénomène, fondé sur le conflit
et pressenti par Claude Lévi-Strauss (1971a : 576), ont été relevées
dans la littérature ethnographique. Par exemple, le linguiste et
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ethnologue américain Pliny Earle Goddard (1904 : 197) relate
comment un informateur hupa lui a raconté un mythe sur l’ori‑
gine du feu dans le seul but de contredire un récit venant d’une
autre tribu. Ce processus peut également être illustré historique‑
ment par les emprunts récurrents de motifs « épiques » entre le
monde byzantin et le monde arabe, chaque camp les déformant
afin de les rendre compatibles avec son propre point de vue
(Grégoire, 1932 ; Grégoire et Goosens, 1932), contribuant ainsi
à former des traditions antagonistes. Au vie siècle avant notre
ère déjà, dans les Silles, Xénophane de Colophon comparait la
façon dont les Éthiopiens et les Thraces voyaient leurs dieux,
le « nez camus » pour les premiers, les « yeux bleus et cheveux
rouges » pour les seconds, faisant circuler le sens de l’un à l’autre
peuple. Cet esprit de contradiction se retrouve du reste dans
toutes les sociétés ; il est au principe de l’exaltation du « génie
national » dans lequel chaque peuple aime à se reconnaître, du
fractionnement de celui-ci en « esprits de clocher » et, de subdi‑
vision en subdivision, du « narcissisme des petites différences »
que l’on retrouve à l’œuvre jusqu’au niveau le plus singulier,
notamment dans la création intellectuelle et artistique. Comme
l’écrit, moqueur, Lautréamont : « Un pion pourrait se faire un
bagage littéraire, en disant le contraire de ce qu’ont dit les poètes
de ce siècle. Il remplacerait leurs affirmations par des négations. »
Il faut remarquer que le contraire d’un mythe peut prendre bien
des formes, participant à l’indétermination d’une évolution qui
ne saurait être sensible qu’a posteriori.

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De l’approche phylogénétique en mythologie comparée 101

Une troisième cause possible de ponctuation renvoie à


la modification de l’infrastructure sociale, économique ou
technique, qui est susceptible de déterminer un changement
dans la structure du mythe (alors que l’inverse n’est pas vrai).
L’évolution du contexte conduit alors la société à ajuster rapide‑
ment un récit antérieur pour le « mettre à niveau ». Ainsi, il est
certain que l’apparition de l’agriculture a profondément trans‑
formé les perspectives mythologiques et religieuses antérieures,
conduisant à une « ruralisation des motifs mythiques paléo‑
lithiques » (Le Quellec et Sergent, 2017 : 653). Le mot « rurali‑
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sation » a été utilisé pour la première fois en 1971 par Jacques
Le Goff et Emmanuel Le Roy Ladurie pour désigner le passage
d’une figure de déesse-mère, d’une fée de la fécondité, soit
la Mélusine primitive, à un personnage créé pour défendre
des intérêts nobiliaires. La Mélusine réécrite conserve cepen‑
dant des pouvoirs sur la fertilité agricole. Un autre exemple
montre que des divinités auxquelles la création de la vie dans
son ensemble était associée ont vu leurs attributs restreints,
avec l’avènement de l’agriculture, à la production des plantes
alimentaires (Le Quellec et Sergent, 2017 : 299). Quant à
Polyphème, les animaux servant à dissimuler la fuite du héros,
d’abord sauvages, deviennent domestiques au Néolithique. Une
autre illustration de modifications liées à des changements dans
les sphères économique et sociale est donnée par l’helléniste
Alain Moreau (1988), qui a étudié l’évolution du thème grec
du « discobole meurtrier » à travers le temps. Cet auteur a
identifié trois phases correspondant à trois états de la civilisa‑
tion grecque : dans une première phase, néolithique et agraire,
le récit consistait en une métaphore du soleil dont les rayons
frappent et réchauffent les plantes ; lors de la seconde phase,
correspondant sans doute à l’hellénisation du motif et à son
intégration dans le système de valeurs guerrières des popula‑
tions indo-européennes, le récit symbolisait les épreuves du
futur souverain, du héros fondateur, de l’adolescent au cours
de son initiation ; lors de la troisième phase, il faisait écho au
développement d’une société citadine et civique qui oublie

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102 Le cycle de la terre

ses rituels, la mort accidentelle d’un personnage devenant la


manifestation du destin inévitable.
La modification peut être aussi plus purement technologique :
certaines versions de Jean de l’Ours, racontées par des militaires,
mettent en scène un grenadier et deux fusiliers (Gravier, 1986 :
138‑144), alors que le récit lui-même remonterait au Néolithique
(Sergent, 2009a). Mais si le mythe semble relié, horizontalement,
à la réalité qu’il prétend expliquer, son unité formelle s’explique,
avant tout, par l’ensemble des versions qui l’ont précédé.
Enfin, une dernière cause possible de ponctuation réside dans
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un changement du moyen de transmission, le passage, par
exemple, de l’oral à l’écrit, et l’influence ultérieure de l’écrit sur
l’oral. Entre le xviie et le xviiie siècle, de nombreux livres ont
ainsi commencé à circuler en ville et à la campagne, touchant
largement divers groupes sociaux, comme les artisans ou les
paysans. En France, les volumes illustrés de « La Bibliothèque
bleue » ont contribué à diffuser les récits de Charles Perrault
(Soriano, 1958 ; Mandrou, 1985) tirés du folklore populaire
dont l’auteur des Contes de ma mère l’Oye expurgeait largement
certains détails jugés obscènes (Verdier, 2014 [1980]). Ceux qui
ne savaient pas lire mémorisaient les histoires lues par d’autres
et ceux qui savaient écrire transcrivaient les récits entendus
pour en rassembler et en diffuser la substance. Les contes de
fées sont ainsi passés massivement de l’oral à l’écrit, puis de
l’écrit à l’oral, ce qui a conduit à un remodelage de la tradition
à l’aune d’une forme narrative fixe (Jean, 2007 : 281‑282). Par
ailleurs, on sait que, au xixe siècle, des collecteurs tels que
Paul Sébillot – et même François-Marie Luzel – incitaient leurs
informateurs à leur donner telle version plutôt que telle autre,
sollicitation d’autant plus importante que la version fournie
se rapprochait d’un modèle déjà entendu (Bladé, 1875 : 458 ;
Belmont, 2013). Les arbres élaborés à partir des deux premiers
corpus du mythe de Polyphème ont ainsi montré que la version
de l’Odyssée, par sa célébrité et son statut d’écrit, a engendré à
elle seule une tradition et un groupement phylogénétique qui
lui sont propres.

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De l’approche phylogénétique en mythologie comparée 103

L’influence de l’écrit est cependant à nuancer. Certaines


versions imprimées ont eu peu d’influence sur la tradition
orale. Évoquant l’interprétation élisabéthaine du poète anglais
George Peele de « La bonne fille et la méchante fille », Warren
Roberts note qu’« il est évident que cette version n’a pas pu
influencer les formes orales de ce récit, puisque le Conte de la
bonne femme a été très peu connu, sauf des chercheurs, et ce,
jusqu’à nos jours » (1958 : 121). Un autre exemple, classique,
est celui des versions orales du « Petit Chaperon rouge », qui
sont restées très populaires malgré la diffusion de versions
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écrites édulcorées (Verdier, 2014 [1980]). Par ailleurs, l’écrit
ne concerne pas toutes les cultures et ne peut donc rétroagir
sur toutes les traditions orales. Par conséquent, ce processus
peut – ou non – être à l’origine d’une ponctuation et d’un
nouvel écotype.
De telles évolutions du mythe sont souvent aisément détec‑
tables dans le corps d’un texte, quoique difficilement quanti‑
fiables par des outils statistiques, qui ne peuvent que repérer les
ponctuations, et non leurs causes. Elles affectent cependant peu
certains types de récits, comme les mythes de fondation, compte
tenu de leur faible perméabilité à l’histoire (Ivanoff, 2004 : 235).
En outre, le changement technique, économique ou social ne
conduit pas à un changement intégral du mythe, mais à un
déplacement de son centre de gravité : « Les changements dans
la forme économique ne modifient pas le noyau structurel du
modèle religieux, c’est-à-dire la forme générale de l’action, mais
des changements d’orientation se produisent chez les porteurs
des actions » (Schmitz, 1960 : 232).

Reconstruction du protorécit
La reconstruction d’un arbre phylogénétique à partir de
différentes versions d’un mythe ouvre une dernière perspective,
quelque peu vertigineuse : faire revivre les histoires des premiers
hommes, leur redonner une voix éteinte depuis longtemps, en
reconstruisant statistiquement la forme de leurs protorécits.

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104 Le cycle de la terre

Dans le cas de Polyphème, deux méthodes différentes ont été


appliquées à certains arbres reconstruits. La première méthode,
dite de probabilité maximale (modèle Mk1), détermine les états
ancestraux qui maximisent la probabilité que les états observés
évoluent suivant un processus aléatoire (modèle stochastique
d’évolution). La probabilité donnée à chaque nœud est alors
établie afin d’augmenter la probabilité d’arriver aux états
observés dans les taxa terminaux. Quant à la seconde méthode,
dite de parcimonie maximale, elle s’appuie sur la structure de
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l’arbre et la détermination des caractères pour identifier les états
ancestraux qui minimisent le nombre d’étapes de changement
de caractère lorsque l’on passe de nœud en nœud.
À chaque nœud, et selon des modalités variant avec les
méthodes utilisées, les mythèmes les plus probables sont déduits
de leur présence ou de leur absence aux nœuds supérieurs. Pour
reconstruire le protorécit, situé à la racine de l’arbre, seuls les
mythèmes possédant une probabilité supérieure à 50 % ont été
retenus.
Dans le protorécit ci-dessous, reconstruit en 2014, les
mythèmes dont la probabilité oscille entre 50 % et 75 % à la
racine de l’arbre ont été placés entre crochets. Les autres ont
une probabilité supérieure à 75 % :

[L’ennemi est un personnage complètement solitaire, qui est


affronté seul.] Un chasseur humain entre dans la maison du
monstre [qui est une hutte, une maison ou quelque chose du
genre]. [Le héros ne sait pas qui il va rencontrer.] Le monstre
possède un troupeau d’animaux sauvages. [Il piège l’homme
et ses propres animaux à l’aide d’un obstacle massif.] Puis
il attend l’homme près de l’entrée pour le tuer. [Le héros
s’accroche à un animal vivant.] Dans cette histoire, une
vengeance se produit, qui est liée au feu.

Ce résumé est très proche des résultats tirés d’un autre corpus
(d’Huy, 2013a) qui contenait à la fois des mythèmes différents
et moins nombreux :

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De l’approche phylogénétique en mythologie comparée 105

[Il y a au moins deux monstres ; ils vivent dans une tente


et possèdent un troupeau d’animaux sauvages.] Les animaux
sont enfermés. Le héros est un chasseur. Il entre dans la
propriété du monstre sans y être invité, [dans le but de voler
quelque chose, des animaux ou un trésor]. [Alors] l’entrée est
bloquée par une grande pierre ou une porte verrouillée. Un
monstre essaie de tuer le héros et contrôle les animaux qui
s’en vont. Le héros s’échappe en se cachant sous le ventre
d’un animal.
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La synthèse des deux récits précédents permet de proposer
celui-ci :

Un chasseur humain affronte un [ou plusieurs] monstre[s]


qui possède[nt] un troupeau d’animaux sauvages. Il entre
dans sa [leur] demeure sans y être invité. Le [les] monstre[s]
piège[nt] l’homme avec les animaux en fermant l’issue grâce
à un objet massif, puis il[s] attende[nt] l’intrus à la sortie
pour le tuer. Pour s’échapper, le héros s’accroche sous un
animal vivant. Dans cette histoire, une vengeance se produit
qui est liée au feu.

Écartons tout de suite une idée irréalisable : les méthodes


phylogénétiques ne permettent pas de découvrir avec certitude
la forme primitive d’une histoire dans le sens d’une Urform
– une version originale d’où proviendraient toutes les variantes
du mythe. Elles ne peuvent que proposer des reconstructions
statistiques où les traits identifiés ne sont pas nécessairement
les plus fréquemment rencontrés dans les différentes versions.
Cette reconstruction d’un prototype mythique est à comprendre
en termes de probabilités plus ou moins élevées, toute certi‑
tude demeurant illusoire en ce domaine. Il est toutefois remar‑
quable que la reconstruction du mythe inclut les deux motifs
identifiés comme paléolithiques par Andrey Korotayev et Daria
Khaltourina, ce qui corrobore la fiabilité de l’ensemble.
Par ailleurs, le récit reconstruit est extrêmement simple et
pourrait donner l’illusion d’une évolution progressive du simple

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106 Le cycle de la terre

au complexe. Mais ce n’est naturellement pas le cas, et les


récits d’autrefois étaient sans doute aussi élaborés, complexes
et captivants que ceux que nous connaissons aujourd’hui. Seule
la distance temporelle rend moins aisée la reconstitution des
personnages et les rebondissements de l’intrigue. Des hauteurs
temporelles où nous nous situons, peu de détails demeurent
encore visibles.

Des mythes aux sociétés ?


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Que faire de cette reconstruction ? Il serait tentant de
l’utiliser pour proposer un éclairage sur la vie de nos ancêtres.
Mais ne méconnaîtrions-nous pas alors la capacité d’invention
propre aux mythes ? Comme l’écrit Claude Lévi-Strauss à propos
d’un mythe winnebago, « il ne s’ensuit pas que chaque fois
qu’un mythe mentionne une forme de vie sociale, celle-ci doive
correspondre à quelque réalité objective, qui aurait dû exister
dans le passé si l’étude des conditions présentes ne réussit pas
à l’y découvrir » (Lévi-Strauss, 1973 : 246).
Ce serait oublier un peu vite que l’analyse ne s’appuie pas
sur un seul mythe, mais sur plusieurs dizaines de ses versions,
ainsi que sur des arguments à la fois aréologiques, à l’échelle de
deux continents, et statistiques. Si l’esprit peut engendrer des
mythes déconnectés de la réalité, ou encore contredisant les
faits observables dans la société où les récits ont été recueillis,
la vaste diffusion des mythes de Polyphème et la solidité de
l’arbre reconstruit suggèrent a minima l’existence d’une strati‑
fication historique.
Que peuvent donc nous apprendre les prototypes mythiques
reconstruits ? Si ce trait n’a pas été inclus dans le questionnaire
servant à coder les versions, et n’a donc pas été reconstruit, il faut
noter que la sortie des animaux est toujours définitive : il pourrait
donc s’agir d’un mythe d’origine du gibier (d’Huy, 2015a : 57). Cette
hypothèse est d’autant plus crédible que Yuri Berezkin (2007b) et
Jean-Loïc Le Quellec (2014, 2015a, 2019) ont montré la très grande
ancienneté du motif de l’émergence de l’humanité et de la faune

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De l’approche phylogénétique en mythologie comparée 107

sauvage du sous-sol de notre planète, motif qui daterait de la


première sortie d’Afrique de l’humanité (voir la deuxième partie
de l’ouvrage). La version paléolithique de Polyphème serait alors
la particularisation plus tardive de ce motif en Eurasie. La propo‑
sition a cependant l’inconvénient de ne pas prendre en compte
la présence d’un dangereux maître des animaux.
Une autre hypothèse est de faire du monstre possesseur du
gibier un maître des animaux sauvages (d’Huy, 2013a, 2019a). De
telles entités ne sont pas rares dans la littérature ethnographique
d’Eurasie et d’Amérique du Nord. Les Montagnais, qui vivent
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au Québec, connaissent par exemple un « Homme-Caribou » :

D’apparence humaine, blanc et barbu, il habite une caverne


au cœur d’une colline à laquelle un défilé étroit donne accès ;
c’est dans cet antre que, tel Polyphème, il garde son immense
troupeau. C’est de là aussi qu’il expédie ses bêtes pour leurs
migrations annuelles, non sans avoir auparavant décidé
quels animaux, et combien, pourront être tués par tel ou
tel homme en particulier. […] Il arrive qu’un spécialiste rituel
intercède auprès de l’Homme-Caribou afin qu’il se sépare
de ses bêtes au profit des humains lorsqu’ils traversent une
période de disette. (Descola, 2005 : 499.)

Or, en Eurasie, cette attitude bienveillante du maître des


animaux envers les humains est remplacée par un principe
d’échange (Hamayon, 1990). Cette logique expliquerait la couleur
particulière prise par le protorécit de Polyphème : le risque de
mort planant au-dessus de celui qui obtient les animaux en les
libérant de l’antre de leur maître serait une contrepartie possible
à l’obtention du gibier.
Cette dernière interprétation est d’autant plus plausible que
l’enracinement de l’arbre de 2015 sur la version ojibwa permet
de reconstruire le protorécit amérindien suivant, les traits retenus
ayant une probabilité supérieure à 75 % d’avoir existé :

Les êtres humains sont affamés. Or le monstre possède un


troupeau d’animaux sauvages, des bisons, et est le seul à en

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108 Le cycle de la terre

disposer. Il a également une famille ou des serviteurs. Le


héros entre dans la demeure du monstre, une grotte, afin de
voler ou de manger ses animaux. Le maître des animaux, qui
possède deux yeux, attend l’homme près de l’entrée afin de
le tuer. Le plus souvent en s’accrochant à une bête, le héros
parvient à conduire le troupeau, ou une partie des animaux,
hors de la demeure du monstre.

Ce récit, s’il n’est pas premier, a dû exister très tôt en Amérique


du Nord, et corrobore le lien entre le mythe de Polyphème et la
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croyance en un maître des animaux sauvages, détenteur du gibier.
En laissant de côté la variante valaisanne en tant qu’arte‑
fact, pouvant s’expliquer par une proximité de structure plus
grande avec le prototype paléolithique du mythe, et en consi‑
dérant l’ensemble des variantes syrienne, grecque 2 et abazine
(voir figure 2.3) comme le point d’origine de l’écotypification
européenne du mythe, il est possible de reconstruire ce protorécit
néolithique européen :

L’ennemi est une figure complètement solitaire, un géant qui


n’a qu’un œil sur le front et que le héros affronte seul. Un
être humain [perçoit une lumière au loin sans savoir qui il
rencontrera]. Il entre dans la maison du monstre. Le monstre
possède un troupeau d’animaux domestiques, des moutons.
[Il piège l’homme et ses animaux à l’aide d’une large porte
inamovible.] Puis il tombe endormi et une vengeance se
produit, liée au feu. Le monstre attend l’homme près de
l’entrée pour le tuer. [Pour s’enfuir, le héros s’accroche à
un animal vivant.]

Cette version du mythe ne peut être antérieure à la domestica‑


tion du mouton, qui a eu lieu il y a entre 9 000 et 10 000 ans, en
Mésopotamie. Ce fait permet de corroborer l’origine méditerra‑
néenne des versions récentes de Polyphème en Europe, suggérée
par les conclusions d’Oskar Hackman et mes propres recherches.
Reprenant l’ensemble de ces données, nous pouvons imaginer
que cette nouvelle variation a affecté un mythe antérieur autrefois

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De l’approche phylogénétique en mythologie comparée 109

répandu en Europe de l’Ouest et conservé dans le récit valaisan,


soit qu’il ait perduré en Suisse jusqu’à nos jours, soit plus proba‑
blement que l’évolution du mythe ait conduit à un retour vers
une forme plus primitive. La nouvelle version néolithique aurait
partout remplacé l’ancien mythe des chasseurs-cueilleurs, où le
monstre était un maître des animaux sauvages, par une version
plus proche d’une ontologie d’agriculteurs, où le monstre est un
berger. La rupture n’a sans doute pas été brutale, la mémoire
collective ayant adapté ses souvenirs des détails du récit aux
nouvelles exigences de la société néolithique, alors même qu’elle
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pensait préserver une très ancienne tradition orale (Halbwachs,
1971).
En s’inspirant des travaux de l’helléniste et anthropologue suisse
Claude Calame (1977), on peut alors expliquer le succès de la
variante néolithique par sa fonction symbolique : en Afrique du
Nord comme en Europe, le récit mettrait en scène les conséquences
de la révolution néolithique, confrontant la sauvagerie du cyclope
– monstre d’avant la révolution, qui ne connaît ni les institutions
politiques ni l’agriculture – et la civilisation issue de cette révolu‑
tion, incarnée par un héros rusé, beau parleur et connaissant les
lois de l’hospitalité. Le récit s’achèverait par le triomphe de la
civilisation, légitimant et promouvant ainsi l’ontologie dont il
a émergé.

Conclusion provisoire
À l’instar des dérives romantiques de l’archéologie
(Le Quellec, 2009) et de certains scénarios de l’anthropogenèse
dont les conceptions doivent plus à une histoire conjecturale
s’enracinant dans des traditions religieuses ou des croyances
séculaires qu’aux découvertes paléoanthropologiques suppo‑
sées les étayer (Stoczkowski, 1994), la mythologie comparée a
parfois abouti à fabriquer ou à répéter des mythes à partir de
leur matière même (voir chapitre 6), quand elle ne tirait pas
son inspiration des doctrines ésotériques ou politiques de son
temps (Dubuisson, 2008). L’analyse phylogénétique marque à cet

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110 Le cycle de la terre

égard une avancée décisive, en permettant un contrôle incom‑


parablement plus rigoureux des données et une interprétation
moins tributaire de l’imagination fertile de l’analyste et de ses
propres inclinations fabulatrices. Pour tenir les promesses de
cette approche, il est toutefois indispensable d’en respecter les
quatre étapes, que l’on peut résumer comme il suit.
La première étape est la constitution du corpus. Il s’agit
de rassembler le plus grand nombre possible de versions, de
préférence relativement longues, issues du plus grand nombre
possible de populations. Une famille de mythes se définit en effet
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par l’ensemble de ses variantes et ce sont leurs ressemblances
autant que leurs différences qui conduisent à les hiérarchiser.
Idéalement, des données extérieures permettent de s’assurer qu’il
s’agit d’un ensemble de versions liées généalogiquement.
La deuxième étape est l’analyse formelle, qui aboutit à mettre
en évidence la structure des mythes. Cette analyse doit porter
sur le sens explicite, tangible, des récits. Elle doit pour cela
répondre à deux exigences : considérer chaque version d’un
mythe comme une entité complète, où le moins de détails
possible doit échapper à l’analyse, et découper soigneusement
chacune de ces versions en mythèmes. Ce découpage permet
d’effectuer le codage binaire de chaque récit. Il est d’autant
plus important qu’il délimite le champ sémantique du groupe
de versions étudiées. Rappelons que, si cette opération est bien
réalisée, elle peut également permettre d’intégrer les séries
d’oppositions unissant les récits. Elle comprend cependant une
part d’interprétation de l’analyste dans le choix a priori des
mythèmes, des motifs, des éléments qui lui semblent dignes de
figurer, ou non, dans le corpus. Aussi est-il souhaitable d’essayer
plusieurs codages différents et de confronter ensuite les résultats
obtenus grâce à ces codages.
La troisième étape est l’analyse phylogénétique proprement
dite. À ce stade, l’important n’est pas de savoir ce que disent
les mythes, mais de retracer la façon dont ils ont évolué. Il est
essentiel de varier les méthodes d’analyse et les hypothèses de
départ, puis de vérifier la solidité des résultats grâce à des outils

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De l’approche phylogénétique en mythologie comparée 111

statistiques comme l’indice de rétention. Il est aussi possible de


confronter des arbres obtenus grâce à différents corpus et diffé‑
rentes méthodes afin de vérifier leur solidité mutuelle. L’analyste
ignore, au départ, la forme des arbres et le contenu des proto‑
récits qui vont être produits par cette analyse.
Enfin, la quatrième étape consiste à vérifier ces résultats.
L’approche phylogénétique ne pouvant tout restituer, il est néces‑
saire pour y parvenir de mobiliser d’autres disciplines et d’autres
méthodes, statistiques ou non. Pour tenter de corroborer ou de
réfuter ces reconstructions, la tâche de l’historien des mythes est
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particulièrement délicate. Le passé d’un mythe, comme le passé
des premiers êtres humains, ne peut être directement appréhendé
autrement que par des traces archéologiques. Or ces traces sont
infimes. Dans la poussière d’aujourd’hui demeurent les temples
de jadis. Et les vestiges du passé ne permettent ni expérimen‑
tation ni déduction immédiate, excluant ainsi toute possibilité
de faire coïncider de manière définitive la parole et l’image.
Au-delà d’une simple approche classificatoire, la méthode
phylogénétique permet toutefois d’éprouver la solidité des liens
tissés entre des versions provenant de différentes régions du
monde, d’identifier les routes empruntées par un mythe, de
reconstruire son prototype en termes probabilistes et, à partir
de ce protorécit, d’inférer prudemment des relations entre le
mode de vie de ceux qui le racontaient et la vision à travers
laquelle ils donnaient sens au monde qui était le leur.
L’étude phylogénétique du mythe de Polyphème montre ainsi
que ce mythe s’est essentiellement transmis par descendance
modifiée, en connaissant de longues périodes de stabilité suivies
de rapides et profondes modifications. Cette succession d’évé‑
nements pourrait en grande partie s’expliquer par une diffusion
simultanée du mythe et des Hommes modernes dans le nord
de l’Eurasie, avant d’atteindre ensemble l’Amérique. Une telle
hypothèse permettrait de rendre compte à la fois de l’« orienta‑
tion géographique » des versions et du fait que celles-ci appar‑
tiennent à un ensemble de motifs mythologiques plus large, dont
l’aire de répartition est corrélée à l’haplogroupe mitochondrial C.

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112 Le cycle de la terre

Enfin, l’évolution du mythe traduirait la transition de popula‑


tions du Paléolithique au Néolithique, le maître des animaux
sauvages devenant berger d’un troupeau de bêtes domestiques…

Voici le lecteur initié à la méthode phylogénétique et en


mesure de l’éprouver sur d’autres corpus. Il est banal de dire
qu’un seul fil, si solide soit-il, sera toujours moins résistant que
la corde constituée de plusieurs fils entrecroisés : chacun d’eux,
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quelles que soient ses qualités propres, renforce la cohésion et la
solidité du tout, les rendant bien supérieures à la simple addition
qui le composent. Ainsi, si les conclusions avancées jusqu’ici se
vérifient, alors un même âge et un même cline devraient pouvoir
se retrouver en étudiant d’autres mythes dont l’aire de diffusion
recoupe celle de Polyphème, comme par exemple le mythe du
Plongeon cosmogonique, où un être vivant plonge au fond de
l’océan pour ramener un peu de terre, de sable ou de vase et
jeter les bases d’un nouveau continent.

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Interlude
Le serpent gardien des eaux

P our préparer notre plongeon cosmogonique,


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rapprochons-nous des cours d’eau, afin de sonder
la capacité interprétative de la méthode phylogénétique. Celle-ci
est-elle éventuellement en mesure d’éclairer les croyances que
faisaient résonner les mythes dans leur auditoire ou les pratiques
rituelles que suggèrent certains vestiges archéologiques ?
Nous avons vu que, au Paléolithique supérieur, l’imaginaire
de peuplades eurasiennes mettait en scène une créature surna‑
turelle maîtresse du gibier, qui devait lui être volé ou pris par
ruse. Or il existe un parallèle mythologique, concernant un autre
élément essentiel de la vie des humains et à l’acquisition duquel
un être surnaturel fait obstacle, conduisant l’homme à négocier
ou à employer la force : le serpent gardien et donateur de l’eau.
Il est frappant que le serpent soit souvent considéré, en Eurasie
et en Amérique du Nord, comme une créature fontinale, contrô‑
lant les arrivées d’eau. Par exemple, dans l’Inde ancienne, le
serpent cosmique Vṛtra contenait toutes les eaux du monde. Indra,
le dieu du Ciel, finit par tuer le monstre, ce qui lui valut l’appel‑
lation dàe Vṛtráhan, « tueur du Dragon » (Gricourt et Hollard,
1991). Cette croyance en un serpent rétenteur d’eau se retrouve
largement diffusée en Eurasie et en Amérique. En Mésopotamie,
le dieu Ninurta affronta le serpent des eaux primitives Kur afin
de libérer l’élément liquide. En Grèce, Pythôn but tout le fleuve
Kèphisos. En Amérique du Nord, les peuples du groupe Sioux
connaissent un monstre aquatique, Untkehi, capable de barrer les
eaux d’une rivière. Chose remarquable, Untkehi partage d’autres
traits avec les monstres reptiliens eurasiatiques, comme le fait de

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114 Interlude

pouvoir déclencher des inondations et d’avoir pour ennemis des


êtres liés au ciel, et plus précisément au tonnerre (Le Quellec
et Sergent, 2017 : 370‑371 ; 1189‑1190). Cette proximité entre
croyances eurasiatiques et amérindiennes interroge : pourraient-
elles remonter au Paléolithique ?
Pour répondre à cette question, il est possible d’utiliser la
méthode aréale, soit l’étude exhaustive de la diffusion d’un
ou de plusieurs types de mythes afin d’en inférer l’âge et d’en
reconstituer hypothétiquement l’histoire. C’est ainsi que, analy‑
sant la répartition géographique du motif où un héros tue un
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reptile monstrueux pour acquérir une eau sinon inaccessible, le
préhistorien russe Yuri Berezkin (2013, 2014) a pu suggérer une
apparition de ce dernier au Paléolithique supérieur, sans doute
dans le Caucase. Mais, pour fonctionner, l’approche aréologique
doit présupposer la stabilité spatiale et temporelle des motifs.
Elle s’appuie ensuite sur ce postulat pour dater les motifs étudiés
et montrer… que ceux-ci sont stables dans l’espace et dans le
temps. On voit poindre dès lors un risque de raisonnement
circulaire, auquel la méthode phylogénétique semble offrir une
échappatoire.
J’ai ainsi analysé en 2015 un corpus de traditions culturelles
relatives au serpent, établi à partir de l’immense base de données
constituée au fil des années par Yuri Berezkin. À la différence
de la démarche suivie dans le chapitre précédent, où nous nous
centrions sur un récit-type et, en quelque sorte, « pêchions à la
ligne » chaque version du mythe, j’ai jeté cette année-là un filet
sur l’ensemble des motifs ophidiens du corpus de Yuri Berezkin
afin de vérifier si un signal phylogénétique pouvait s’en dégager.
Tous les motifs de la base un tant soit peu connectés au serpent
ont donc été ramassés.
L’unité adoptée était l’aire culturelle, soit une aire géogra‑
phique où les populations présentent des affinités culturelles
plus fortes entre elles qu’avec les populations voisines. Pour
chacune de ces aires, la présence d’un motif avait été codée par
un 1, son absence par un 0. Le nombre de motifs mythologiques
partagés et non partagés entre les aires culturelles a permis de

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Le serpent gardien des eaux 115

comparer ces dernières et de créer des arbres. Le principe est


le même que celui mis en œuvre dans le chapitre précédent,
seule l’échelle d’analyse varie. Le motif présente de nombreux
avantages quand on l’utilise pour comparer, non pas diffé‑
rentes versions d’un même mythe, mais différentes traditions.
Il possède par exemple un niveau d’abstraction suffisamment
élevé pour ne pas être affecté par des traductions imparfaites
ou des témoignages peu fiables. Par ailleurs, coupler l’étude des
aires culturelles et des motifs permet de retrouver dans une
population un motif disparu dans une autre voisine. Le risque
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est d’accroître l’influence d’un emprunt très local à l’ensemble
d’une aire, mais cet effet reste statistiquement quantifiable et
perd de son importance au fur et à mesure que la taille du
corpus augmente.
J’ai d’abord construit un premier arbre en utilisant une
méthode de parcimonie, dite Neighbor-Joining, et je l’ai enraciné
sur son point médian (d’Huy, 2016b). Un tel procédé consiste à
placer la racine à mi-chemin entre les deux taxa les plus éloignés.
La base de l’arbre a été mécaniquement positionnée entre deux
versions africaines : le Soudan/Afrique de l’Est, d’une part, et
l’Afrique de l’Ouest, d’autre part (figure i.1). J’ai ensuite construit
les mille arbres les plus parcimonieux possible, avant d’en faire
la synthèse sous la forme d’une unique structure ne conservant
que les nœuds présents dans au moins 50 % des reconstruc‑
tions (figure i.2) ; l’enracinement de l’arbre Neighbor-Joining a
été conservé.
L’indice de rétention de l’arbre de la figure i.2 est de 0,54, ce
qui indique, comme nous l’avons vu au chapitre 2, un signal
phylogénétique important, bien qu’atténué par de nombreux
emprunts. Ce score laisse penser que les motifs liés à une mytho‑
logie circuleraient « en bloc ». C’est une hypothèse intéressante
que nous explorerons dans les prochains chapitres.
Si l’on accepte l’Afrique comme point d’enracinement, les
arbres construits en se basant sur les données de Yuri Berezkin
montrent l’existence de deux vagues de diffusion en Amérique,
la première, venant d’Asie du Sud-Est, touchant essentiellement

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116 Interlude

Figure i.1  rbre construit sur la méthode de parcimonie dite du Neighbor-


A
Joining

AFRIQUE DE L’OUEST

BALKANS
CAUCASE, ASIE MINEURE

VOLGA, PERM
TURKESTAN
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ASIE DU SUD
PAYS BALTES, SCANDINAVIE
SIBÉRIE MÉRIDIONALE, MONGOLIE

SOUDAN, AFRIQUE DE L’EST


INDOCHINE

INDONÉSIE
MÉLANÉSIE

AMAZONIE DU NORDOUEST
BOLIVIE, GUAPORÉ
AMAZONIE CENTRALE

AMAZONIE DU SUD

GUYANE

PLATEAU CÔTIER, AMÉRIQUE DU NORD

PLAINES, AMÉRIQUE DU NORD


MÉSOAMÉRIQUE

MIDWEST, AMÉRIQUE DU NORD


CHINE
0.05 changes

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Le serpent gardien des eaux 117

Arbre de consensus faisant la synthèse des nœuds présents dans


Figure i.2 
au moins 50 % des mille arbres les plus parcimonieux
SIBÉRIE MÉRIDIONALE  MONGOLIE

AMAZONIE DU NORDOUEST
SOUDAN  AFRIQUE DE L’EST
PAYS BALTES  SCANDINAVIE

CAUCASE  ASIE MINEURE

AMAZONIE CENTRALE
AFRIQUE DE L’OUEST

BOLIVIE  GUAPORÉ

AMAZONIE DU SUD

PLATEAU CÔTIER

MÉSOAMÉRIQUE
VOLGA  PERM
ASIE DU SUD

INDOCHINE
TURKESTAN

INDONÉSIE

MÉLANÉSIE

MIDWEST
BALKANS

GUYANE

PLAINES
CHINE
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0.9512 0.9512 0.9512 0.9512 0.9512

0.9024 0.9024 0.9024 0.9024 0.9024

0.7561 0.8537
0.7073 0.7073

0.6585 0.5661
0.561

0.51221
0.5122

0.5661
0.561

1 1
111

le sud de l’Amérique du Nord et l’Amérique du Sud, la seconde


davantage centrée sur l’Amérique du Nord. La dernière diffusion
aurait partiellement recouvert la première, ce qui explique le
clade distinct qu’elle constitue.
Sans doute Homo sapiens, pour passer d’Asie en Amérique lors
de la dernière période glaciaire, a-t‑il dû franchir un milieu très
froid, inhospitalier pour les reptiles. Traversant ces contrées,
il a pu malgré tout garder en mémoire les mythes relatifs aux
serpents, en quelque sorte dématérialisés de tout substrat. Ainsi,
la créature semblable à un dragon, dite palraiyuk, et l’homme-ver
sont connus des Esquimaux du détroit de Béring (Nelson, 1899 :
397, 444‑445), ce qui prouve que la présence d’ophidiens n’est
pas nécessaire pour que leur forme soit conservée dans la
mémoire des peuples.
Dans la perspective où nous a placé l’étude du mythe de
Polyphème, le clade qui regroupe la plupart des aires eurasiatiques
apparaît particulièrement intéressant. En effet, cet ensemble est

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118 Interlude

sans doute né de la rencontre entre les croyances apportées par


les groupes qui les premiers ont peuplé le nord de l’Eurasie,
suivie d’une profonde réorganisation mythologique à la fin du
dernier maximum glaciaire et d’une poussée de populations
venant du sud pour conquérir les terres plus septentrionales.
Cette réorganisation mythologique aurait contribué à faire
diverger la mythologie du nord de l’Eurasie et celle du nord de
l’Amérique, bien que le « décrochage » du clade regroupant les
aires culturelles d’Amérique du Nord par rapport aux autres aires
amérindiennes indique une influence extérieure.
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Le clade regroupant les aires eurasiatiques pourrait ainsi
permettre de reconstruire une mythologie au moins légèrement
antérieure à la fin du dernier maximum glaciaire, soit il y a
environ 10 000 ans. Il suffit pour cela de reconstruire la proba‑
bilité pour chaque motif d’avoir existé à la base de cet ensemble.
En utilisant deux méthodes différentes (Mk1 et Asymmetrical
2-parameters), on obtient les résultats suivants :
L’élément le plus intéressant de ce protofolklore, en rapport
avec la première et la deuxième partie de ce livre, est le lien
unissant le serpent et l’eau. L’ophidien mythique peut voler et
produit la pluie et/ou l’orage (I7). Il peut former un arc-en-ciel
(I41). Son corps trace la route des rivières, ou se transforme en
rivière, ou encore est la rivière (B12). Il empêche également
quiconque d’accéder à l’eau. Le plus souvent, il ne permet de
prendre de l’eau qu’en échange de personnes ou de biens de
valeur (K38D). Le serpent est donc une créature dangereuse,
maîtrisant à la fois l’eau céleste et terrestre. Il fait en cela écho
au protomythe de Polyphème, dont il forme en quelque sorte
le pendant aquatique. L’un détient l’eau, l’autre le gibier.
Avant de reprendre notre périple mythologique, faisons
une halte pour observer deux curieux vestiges archéologiques
semblant évoquer cette croyance paléolithique en un serpent
rétenteur d’eau.
Dans la grotte ornée de Montespan, située en Haute-Garonne
et fréquentée au Paléolithique, à plus de 160 mètres de l’entrée,
se trouve posé, au creux d’une « petite niche naturelle sur une

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Le serpent gardien des eaux 119

Motif Probabilité du
motif d’avoir
existé au noeud
Sibérie méridionale-
Mongolie

B12 Le cours d’une rivière suit la route d’un serpent (ou 0,864|0,8942
d’un animal aquatique), ou des parties du corps d’un
serpent deviennent une rivière, ou encore la rivière
est un serpent.

B51A Le serpent envoie le moustique goûter toutes les 0,9743|0,9779


créatures de la Terre. L’insecte découvre que le sang
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humain est de loin le meilleur. Alors qu’il retourne
voir l’ophidien pour lui faire son rapport, l’hiron‑
delle empêche la destruction de l’humanité en lui
coupant la langue. Le serpent se venge en arrachant
des plumes à la queue de l’oiseau.

H4 Les animaux qui changent leur peau sont immortels. 0,6620|0,4903

H5 Les serpents sont à l’origine de la première mort, 0,9820|0,7846


ou s’opposent aux êtres humains comme des êtres
immortels.

I7 Un reptile volant produit la pluie et/ou l’orage. 0,7139|0,7275

I13B Un ophidien de taille ordinaire possède des cornes 0,8567|0,8917


sur la tête.

I13C Un serpent possède une chose de valeur ayant des 0,9939|0,9978


propriétés magiques, souvent une couronne, un
bijou ou une petite corne. Un homme tente de s’en
emparer.

I41 L’arc-en-ciel est un reptile, le plus souvent un serpent. 0,9895|0,9200

K38b2 Un oiseau géant emporte le héros dans son nid ; là, 0,9447|0,9595
il tue un monstre qui dévorait les oisillons.

K38D Un être dangereux, généralement un serpent, 0,6882|0,6765


empêche quiconque d’accéder à l’eau. Le plus
souvent, il ne permet de prendre de l’eau qu’en
échange de personnes ou de biens de valeur.

K79 Une personne, dans une situation désespérée, observe 0,9948|0,9956


la façon dont un serpent parvient à se soigner ou à
ressusciter, et l’imite avec succès.

M90 Une femme consent à épouser la créature qui répon‑ 0,9191|0,9157


drait à ses conditions. Un être repoussant, le plus
souvent un serpent, les accepte, et la jeune femme
est contrainte de l’épouser.

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120 Interlude

sorte de petite étagère, à moitié pris dans la stalagmite », un petit


squelette de serpent dont « la tête manque » (Bégouën, Casteret
et Capitan, 1923 : 4). Or un autre squelette de serpent acéphale
a été retrouvé dans la grotte du Tuc d’Audoubert, en Ariège,
dont la fréquentation remonte à la même période. Au vu de
sa gracilité et de sa longueur, ce serait une couleuvre. Elle était
probablement entière lorsqu’elle est arrivée en ce lieu, comme le
montre la connexion anatomique de ses os, quoiqu’on ne puisse
écarter la possibilité qu’on lui ait coupé la tête à l’extérieur de
la grotte avant de la transporter. Trop loin de l’entrée, il est en
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tout cas impossible qu’elle se soit aventurée seule en ces lieux.
Sans doute fut-elle déposée de main d’homme, au centre d’un
gour bien visible sur le chemin, et non loin de traits digitaux
dans l’argile (Bégouën et al., 2009 : 269‑271)1.
Comme l’a remarqué le préhistorien britannique Paul Bahn,
les grottes de Montespan et du Tuc d’Audoubert, toutes deux
fréquentées au Paléolithique supérieur, possèdent chacune des
modelages en argile et sont l’une comme l’autre traversées d’une
rivière sortant de leur « bouche » (Bahn, 1978 : 128 ; Bahn et
Vertut, 1997 : 200). Si l’on exclut l’hypothèse d’une coïncidence
(au vu de la complexité de l’assemblage : grotte ornée/traversée
d’une rivière/présence d’un modelage en argile/présence d’un
serpent acéphale), nous pourrions être ici face à un rituel.
L’acéphalie du serpent en constituerait un indice.
Au Tuc d’Autoubert, près d’un tiers des bisons représentés
sur les parois de la grotte sont acéphales (12 %) ou représentés
fléchés (17 %). Le seul lion de la grotte est à la fois représenté
acéphale et atteint d’un signe angulaire au poitrail. À l’inverse,
aucun cheval ni aucun bouquetin ne sont concernés avec certi‑
tude par une acéphalie ou par un signe vulnérant. Les animaux
préférentiellement représentés fléchés ou acéphales étaient à la

1. Il faut également noter la présence, dans la grotte aurignacienne de Chauvet,


des restes de deux serpents qui semblent avoir été disposés là volontairement,
l’un dans la salle Brunel, l’autre dans la galerie du Cactus. Seules une dizaine de
vertèbres et peut-être des côtes ont été retrouvées (Philippe et Fosse 2003), ce
qui ne permet pas de déterminer si ces animaux avaient été déposés acéphales.

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Le serpent gardien des eaux 121

fois peu chassés (Bégouën et al., 2009 : 342) et particulièrement


dangereux (d’Huy et Le Quellec, 2010). L’acéphalie et les traits
vulnérants auraient alors pu être un moyen de conjurer leur
animation (d’Huy, 2013c). En effet, « une créature acéphale
est par définition morte, puisque la tête lui a été tranchée »
(Bégouën et al., 2009 : 354). Le traitement du serpent aurait pu
répondre à une telle volonté de neutralisation de l’animal. Or les
serpents du Tuc et de Montespan sont d’inoffensives couleuvres,
ce que ne pouvaient ignorer les Paléolithiques. Pourquoi, alors,
leur retirer la tête ? Pourquoi le faire au fond d’une grotte, près
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d’une rivière ?
Au vu de la reconstruction des motifs B12 et K38D, une
solution élégante serait d’y voir un rituel visant à maîtriser
le débit de l’eau en éliminant symboliquement son rétenteur.
L’analyse statistique des mythes offre ainsi une interprétation
possible de ces vestiges archéologiques, pour lesquels il n’existait
jusqu’à présent, du moins à ma connaissance, aucune explication
dépassant le simple constat.

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Deuxième mouvement
Le cycle de l’eau

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Au commencement, il n’y avait ni soleil, ni lune, ni étoiles. Tout
était sombre, et partout il n’y avait que de l’eau. Un radeau survint,
flottant sur cette eau. Il venait du nord, et il y avait deux personnes
à son bord, Tortue et Père-de-la-Société-secrète. L’eau montait très
rapidement. Puis une corde de plumes fut lâchée du ciel, et c’est
ainsi que surgit Initiateur-de-la-Terre. Quand il arriva au bout de la
corde, il l’attacha à la proue du radeau, et y monta. Son visage était
couvert et ne pouvait être vu, mais son corps brillait comme le soleil.
Il s’assit et ne dit rien pendant un long moment.
Enfin, Tortue lui demanda : « D’où viens-tu ? », et Initiateur-de-la-
Terre lui répondit : « Je viens d’en haut. »
Puis Tortue dit : « Frère, ne pourrais-tu pas me faire une bonne
terre sèche pour que je puisse parfois sortir de l’eau ? », puis, après
réflexion : « Y aura-t‑il des personnes dans ce monde ? »
Initiateur-de-la-Terre réfléchit un instant puis répondit : « Oui. »
Tortue demanda : « Combien de temps faudra-t‑il avant que tu ne
crées des gens ? »
Initiateur-de-la-Terre répondit : « Je ne sais pas. Tu voudrais de la
terre ferme, mais comment pourrais-je en créer, si je ne dispose pas
de terre pour le faire ? »
Tortue répondit : « Si vous m’attachez une pierre autour du bras
gauche, je plongerai pour en obtenir. »
Initiateur-de-la-Terre fit ce que Tortue lui avait demandé. Il prit le
bout d’une corde et l’attacha à Tortue. Quand Initiateur-de-la-Terre
était descendu sur le radeau, il n’y avait pas de corde ; il lui avait
suffi de tendre la main pour en obtenir une.

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126 Cosmogonies

Tortue dit : « Si la corde n’est pas assez longue, je la secouerai une


fois, et vous devrez me hisser ; si elle est assez longue, je donnerai
deux secousses, et vous devrez alors me hisser rapidement, car j’aurai
toute la terre que je peux porter. » À peine Tortue franchit-elle le
bord du bateau que Père-de-la-Société-secrète se mit à crier très fort.
Tortue était partie depuis bien longtemps. Cela faisait six ans qu’elle
était partie ; et quand elle remonta, elle était couverte d’une vase verte,
tant elle était restée au fond. Lorsqu’elle atteignit la surface, la seule
terre qu’elle était parvenue à conserver était incrustée sous ses ongles ;
le reste avait été emporté par les eaux. De la main droite Initiateur-
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de-la-Terre prit un couteau en pierre de sous son aisselle gauche et
gratta soigneusement la terre encore présente sous les ongles de Tortue.
Il mit la terre dans la paume de sa main, et la roula jusqu’à ce qu’elle
soit ronde ; elle était aussi grosse qu’un petit caillou. Il la déposa sur
la poupe du radeau. Il allait la regarder de temps à autre : elle n’avait
pas du tout poussé. La troisième fois qu’il alla regarder, la terre avait
assez grandi pour qu’on puisse l’entourer de ses bras. La quatrième
fois qu’il regarda, elle était aussi grande que le monde, le radeau
était échoué, et tout autour il y avait des montagnes à perte de vue.

Mythe maidu, Californie centrale (Dixon, 1902 : 39‑40)

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Le Plongeon cosmogonique

G eorges Dumézil a été l’un des grands mytho‑


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logues du xxe siècle. Dans sa préface au
Traité d’histoire des religions de Mircea Eliade, il énumère trois
approches possibles de l’histoire des religions : l’histoire d’une
religion spécifique, la typologie généralisée et la généalogie
de religions génétiquement apparentées, en privilégiant cette
dernière approche : « En matière de religion comme en matière
de langage, tout état s’explique et ne s’explique que par une
évolution, à partir d’un état antérieur, avec ou sans interven‑
tion d’influences extérieures » (Dumézil in Eliade, 1975 : 6‑7).
Pour « reconqu[érir] un ou deux millénaires sur les tempora
incognita », Dumézil s’est notamment fondé sur l’hypothèse
d’une évolution régulière et arborescente des langues indo-
européennes et sur une coïncidence – a minima une évolution
parallèle – des langues, des peuples et des cultures (Dubuisson,
2008 : 109). Cela lui a permis de supposer l’existence d’une
tradition « intellectuelle » commune à toutes les cultures liées
aux langues indo-européennes, ces dernières ayant évolué, par
scissions successives, d’une origine commune hypothétique aux
écotypifications sociolinguistiques plus récentes : « [La langue
proto-indo-européenne] a été un conservatoire et un véhicule
d’idées, et il reste improbable que les peuples qui ont parlé
ensuite les langues qui en sont issues n’aient rien conservé,
rien enregistré de ces idées dans leurs plus anciens documents »
(Dumézil, 1968 : 11‑12).
Tirant les conclusions de ces hypothèses de travail, Dumézil
a par exemple pu noter, après avoir relevé les ressemblances

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128 Le cycle de l’eau

et les différences entre un fait romain et un fait indien, que


celles-ci « permettent de comprendre, en gros, comment deux
sociétés historiques primitivement apparentées, puis séparées,
soumises à des influences diverses et se composant des destins
différents, ont à la fois maintenu et rajeuni une importante
tradition préhistorique commune » (Dumézil, 1969 : 164). De
même, la comparaison de l’Indien Sisupala, du Scandinave
Starkadr et du Grec Héraclès montre un parallélisme profond
entre ces trois héros (tous trois monstrueux, subissant la rivalité
entre deux divinités antagonistes, avec une vie d’exploits et une
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mort violente, accompagnée d’un retournement final face au
dieu antagoniste), qui montre leur apparentement et leur origine
commune (Dumézil, 1971). S’appuyant sur ces rapprochements,
le linguiste et mythologue cherchait, selon ses propres mots,
« une image aussi précise que possible d’un système préhisto‑
rique particulier dont un certain nombre de systèmes histo‑
riquement attestés sont pour une bonne part la survivance »
(Dumézil, 1943 : 29). Son raisonnement impliquait l’existence
d’ensembles de faits institutionnels, mythologiques et théolo‑
giques se transmettant ensemble à travers le temps.
La fécondité de l’œuvre de Dumézil nous pousse à nous
demander si sa démarche ne serait pas applicable à une analyse
plus générale des mythes. En d’autres termes, serait-il possible
de réaliser des arbres de traditions mythologiques à plus grande
échelle ? Un mythe ne se diffuserait alors pas seul, mais en
groupe, sans doute accompagné de tout un ensemble de faits
sociaux. Le sujet d’étude serait un ensemble de mythologies,
comprises comme corpus de mythes, et non plus les différentes
versions d’un mythe donné. Quelques réserves doivent cepen‑
dant être émises, qu’il s’agira de lever dans les pages qui suivent.
Selon Dumézil, l’univers indo-européen est marqué par la
constitution de corps professionnalisés, dont la tâche était de
faire perdurer la mémoire : « Dans l’Inde, dans l’Iran, à Rome,
chez les Celtes, des corps sacerdotaux puissants ont été intéressés
à maintenir la tradition : le jeune brahmane, le futur druide
consacraient de longues années à leurs études, qui étaient des

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Le Plongeon cosmogonique 129

études de mémoire. Le collège pontifical romain – flamines et


pontifes –, les mages iraniens, avec moins de métaphysique mais
non moins de règles et de recettes, exploitaient de même un
“dépôt” » (Dumézil, 1969 : 156). Or ce processus, fondé sur la
transmission d’une mémoire orale codifiée et dogmatisée, ne
saurait avoir eu lieu partout. Dans ces conditions, comment
démontrer la permanence, non d’un seul mythe, mais d’un
ensemble de mythes ?
Par ailleurs, est-il possible de considérer une mythologie
comme homogène ? Comme le note l’helléniste belge Marcel
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Detienne, « la vision d’un tissu mythique homogène est étran‑
gère à la réalité grecque de l’âge archaïque » (Detienne, 1981 :
94). Le titre même de son ouvrage, L’Invention de la mythologie,
suggère que la notion de mythologie est une construction relati‑
vement récente et arbitraire. Pour l’helléniste et anthropologue
suisse Claude Calame, il n’existe également « pas de mythologie
comme substance culturelle » (Calame, 2011 : 76). À l’appui de
ces remarques, il faut noter que les traditions forment rarement
des unités cohérentes également partagées par les membres des
cultures auxquelles elles sont attribuées. Dans un de ses premiers
articles, l’archéologue et anthropologue franco-britannique
Arthur Maurice Hocart (1927) a montré que, dans les îles Fidji,
les enfants ignorent presque tout des traditions des adultes,
et que les anciens se trompent sur de nombreuses choses,
comme la formule rituelle lors de l’acceptation d’un cadeau.
L’anthropologue allemand Christoph Brumann (1999) abonde
dans ce sens, donnant comme exemple un mythe fondamental,
connu par une partie seulement des villageois interrogés, qui
eux-mêmes en proposent tous une version différente. Des outils
statistiques développés dans le cadre de la théorie du consensus
culturel (Romney et al., 1986) ont montré à quel point certains
domaines de la connaissance, comme les savoirs ethnobota‑
niques ou les croyances magiques, étaient mal partagés (Morin,
2011 : 25). Selon l’anthropologue australien Ron Brunton (1980,
1989), qui a étudié la variabilité, l’hétérogénéité et l’aspect non
systémique des cultures dans les sociétés de petite taille, ce type

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130 Le cycle de l’eau

de témoignage ne doit sa rareté qu’au risque pris par l’ethno‑


logue qui le rapporte de passer pour incapable de réaliser sur le
terrain la description ordonnée d’une série de croyances et de
pratiques organisées.
Dans ces conditions, un corpus de mythes peut-il constituer
une entité suffisamment stable dans le temps pour permettre d’y
inclure des récits ou des motifs mythologiques recueillis parfois
à plus d’un siècle de distance ? Quels attributs peut-on retenir
comme appartenant à une mythologie, sans que l’existence de
celle-ci ne se disloque à travers l’étude de ses seules parties ?
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La prudence s’impose d’autant plus que la survie des traditions
n’est souvent qu’une illusion à rebours, forgée pour justifier
un fait culturel nouveau. Le simple usage du mot « tradition »
efface d’ailleurs comme par magie la question des origines. Au
xix siècle, les costumes folkloriques européens, alors même
e

que leur apparition était récente et que leurs matériaux étaient


modernes, ont été très vite perçus, par les observateurs et les
acteurs, comme des éléments folkloriques essentiels hérités
des générations précédentes (Thiesse, 2001). En mythologie, la
possibilité que de tels fils, issus d’un ou de quelques inven‑
teurs, et non d’une multitude d’aïeuls, se glissent dans le toron
d’une mythologie n’est pas à négliger, ce qui nous renvoie à
l’idée d’« inventions indépendantes » envisagée plus haut. Cette
hypothèse devra être testée avec soin.
Adopter les mythologies comme unités de comparaison impli‑
quera donc de montrer que celles-ci peuvent être considérées
comme suffisamment stables pour pouvoir opérer des comparai‑
sons, autrement dit que les mythes qu’elles agrègent forment de
véritables ensembles, tendant vers une unité persistant à travers
le temps, et s’opposant à d’autres ensembles de mythes. Dans
cette perspective, j’établirai l’ancienneté paléolithique d’un récit,
le Plongeon cosmogonique, pour montrer de nouveau qu’un
mythe peut perdurer dans l’espace et le temps, puis j’évaluerai
dans quelle mesure ce mythe s’est transmis « en bloc », en même
temps qu’un certain nombre d’autres récits.

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Le Plongeon cosmogonique 131

Une histoire partagée des deux côtés


du détroit de Béring
Il existe un peuple, autrefois désigné sous l’exonyme
Vogouls, que l’on nomme aujourd’hui Mansis. Il vit en Sibérie de
l’Ouest et raconte que, il y a fort longtemps de cela, la Terre était
recouverte par les eaux. Le premier homme et la première femme
vivaient dans un berceau d’argent, suspendu au-dessus des flots.
Le premier homme demanda un jour au Seigneur du Ciel de
faire émerger un peu de terre, pour permettre à ses enfants de
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construire une maison : Dieu accepta l’idée. Et, un jour, le couple
primordial donna naissance à son premier enfant : Elampi. Une
fois celui-ci devenu grand, Dieu lui donna une peau de canard et
une peau d’oie, et lui demanda de faire surgir lui-même la terre
destinée aux hommes. Elampi revêtit aussitôt la peau de canard,
plongea sous les flots et tenta par trois fois d’atteindre le fond
de la mer. Par trois fois, il échoua. Il revêtit alors la peau d’oie
et parvint à prendre au fond de l’eau trois poignées de terre,
qui devinrent les linéaments du premier continent. Le Seigneur
du Ciel donna alors à Elampi une chaîne pour lui permettre de
fixer ce nouveau monde. Elampi façonna ensuite dans la boue
les quadrupèdes, les oiseaux et la première humanité.
Il existe un autre peuple, les Algonquiens, qui vit en Amérique
du Nord. Les tribus algiques qui demeurent sur les bords du
Saint-Laurent racontent que l’eau recouvrait autrefois la terre
entière. L’ensemble des espèces vivantes étaient rassemblées
sur un radeau de bois, à la recherche d’une terre où s’établir.
La nourriture se raréfiait. Le Grand-Lièvre, chef de ce peuple,
demanda alors au castor de plonger pour rapporter un peu de
terre du fond de l’eau, afin de trouver un lieu suffisamment
large et ferme pour les contenir tous et subvenir à leur besoin.
Le castor plongea, échoua et remonta épuisé, presque mort.
Ce fut ensuite à la loutre de tenter sa chance, et elle n’eut pas
plus de succès que le rongeur. Enfin, le rat musqué se proposa
à la tâche, à la condition qu’on fît de lui le souverain de la
nouvelle terre. Il nagea près d’une journée, et parvint enfin à

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132 Le cycle de l’eau

ramener un petit grain de sable. Le Grand-Lièvre laissa tomber


sur l’embarcation ce grain, qui s’agrandit. Il en reprit une partie
et la dispersa, ce qui fit grossir plus encore la masse, jusqu’à ce
que la surface créée puisse nourrir et contenir tous les animaux.
Le Grand-Lièvre s’occupa ensuite de l’humanité, que d’aucuns
disent qu’il créa, institua le mariage et répartit les rôles entre
l’homme et la femme.
Ces deux récits ont suffi au philologue Charles Félix Hyacinthe
Gouhier, comte de Charencey, dans un chapitre du Folklore des
deux mondes publié en 1894 (où il reprenait une publication
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de dix ans plus ancienne), pour faire ressortir l’affinité existant
entre les mythologies eurasiatique et amérindienne, et établir
entre elles un lien de parenté (Charencey, 1894 : 12‑21). Il en
concluait, quelques pages plus loin, que cette tradition devait
être passée d’Asie en Amérique en des temps préhistoriques.
Certes, une coïncidence ou un emprunt restent tout à fait
plausibles, d’autant plus que les conclusions de Charencey
reposaient sur l’analyse d’un échantillonnage très faible, réduit
à quelques récits. Mais les recherches continuant, il est vite
apparu que le mythe du Plongeon cosmogonique se trouvait
en réalité largement répandu dans l’hémisphère nord, tant dans
l’Ancien que dans le Nouveau Monde. Comment expliquer cette
diffusion ? Plusieurs écoles méthodologiques se sont saisies de
la question.

L’interprétation géologique
Traiter la mythologie comme s’il s’agissait du souvenir
d’un fait historique réel est une approche très ancienne. En Grèce,
du ve au ier siècle avant notre ère, des auteurs comme Prodicos,
Évhémère, Diodore de Sicile ou Strabon considéraient que les dieux
étaient originellement des hommes si importants qu’ils avaient été
divinisés par leurs contemporains. La christianisation de l’Occident
a par la suite favorisé cette façon « réaliste » d’appréhender les
mythes, les croyances païennes étant désormais interprétées dans
cette perspective historique (Le Quellec et Sergent, 2017 : 616).

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Le Plongeon cosmogonique 133

En 1764, le philologue et archéologue allemand Christian


Gottlob Heyne écrivait dans son Quaestio de causis fabularum
seu mythorum veterum physicis (« Enquête sur l’origine des fables
ou la nature des mythes antiques ») que les mythes permet‑
taient aux sociétés primitives de rendre compte des phénomènes
naturels, et d’ainsi surmonter leurs craintes. Dans Die Herabkunft
des Feuers und des Göttertranks (« L’origine du feu et du nectar
des dieux », 1859), le philologue et folkloriste allemand Adalbert
Kuhn s’appuyait sur des rapprochements mythologiques fantai‑
sistes pour placer l’orage et la foudre à la base d’une grande
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part de la mythologie. Si certains rapprochements sont possibles
(voir infra, le deuxième interlude), la plupart sont forcés. Nous y
reviendrons plus précisément au chapitre 8. Pour Friedrich Max
Müller, philologue et orientaliste allemand, dans son Essai de
mythologie comparée (1859), l’Aryen primitif, impressionné par le
cycle de la lumière et les autres phénomènes cosmiques, inter‑
prétait littéralement ces faits, la succession du jour et de l’aurore
devenant par exemple une poursuite de l’Aurore par le Soleil.
Au croisement de ces deux approches, historique et natura‑
liste, s’est développé un courant de recherche tentant d’établir
un lien entre le contenu de certains mythes et l’occurrence
d’anciens phénomènes géologiques. En Australie, en France et
en Écosse, des récits pourraient ainsi témoigner de la submersion
de terres aujourd’hui englouties, dont la disparition effective
remonte entre 9 000 et 13 000 ans. D’autres histoires, recueillies
en Australie, en Amérique du Nord ou encore en Indonésie,
conserveraient le souvenir d’éruptions volcaniques ayant eu lieu
entre 7 600 et 16 000 ans plus tôt (Nunn, 2019).
Pour le chercheur et vulgarisateur scientifique britannique
Stephen Oppenheimer (1998 : 238‑239), le Plongeon cosmogo‑
nique aurait été, de la même façon, inspiré par un phénomène
géologique. Cet auteur rappelle qu’à la fin de l’ère glaciaire et au
fur et à mesure que la glace fondait, les terres des régions subarc‑
tiques se sont élevées plus rapidement que le niveau de la mer.
Pendant la période glaciaire, une calotte de glace très épaisse
pesait considérablement sur le socle géologique sous-jacent en

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134 Le cycle de l’eau

Europe du Nord et en Amérique du Nord, causant son affaisse‑


ment de 500 mètres ou plus jusqu’à ce qu’un état d’équilibre
isostatique soit atteint. Mais lorsque la glace a fondu, la pression
qu’elle exerçait sur les terres septentrionales a disparu et la croûte
continentale a repris sa forme initiale, avec une élévation relative
plus importante que celle du niveau de la mer résultant de la
fonte des glaces, comme si la terre émergeait littéralement des
eaux. Bien que cette élévation de la croûte terrestre ait suivi de
peu la fonte des glaces, une période a existé durant laquelle la
glace avait fondu, mais où la terre restait affaissée. De vastes
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pans de l’Amérique du Nord, du Canada et de la Scandinavie,
où le mythe du Plongeon cosmogonique est largement répandu,
avaient été poussés sous le niveau de la mer pendant la période
glaciaire. La remontée des terres hors de la mer aurait alors été
interprétée comme le produit de l’action d’un être surnaturel,
à l’origine du mythe du Plongeon cosmogonique.
L’approche géologique a l’immense mérite de confirmer le
temps long où s’inscrit la transmission des mythes : une société
pourrait se souvenir de faits ayant bouleversé le paysage il y a
plusieurs milliers d’années, et se les transmettre de génération
en génération. Cependant, dans le cas du Plongeon cosmogo‑
nique, l’analyse de Stephen Oppenheimer pose problème. Le
simple phénomène géologique d’élévation de la croûte terrestre
ne saurait expliquer le nombre considérable de versions du
Plongeon cosmogonique, la diffusion du mythe à l’intérieur
des terres ou encore la ressemblance des récits dont les points
communs excèdent de beaucoup ce qui peut être simplement
déduit d’une observation localisée de la surface terrestre. Dans
ces conditions, l’explication proposée perd toute valeur. Ici, la
géo-logique ne saurait rendre compte de la logique des mythes.

L’interprétation psychanalytique
Comme toute science, au fur et à mesure de son
avancée, l’étude de la mythologie comparée a laissé derrière
elle quelques cadavres théoriques : la psychanalyse en fait partie.

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Le Plongeon cosmogonique 135

Sigmund Freud et ses successeurs se sont penchés sur différents


mythes ou motifs mythologiques pour en proposer une analyse
psychanalytique (Le Quellec et Sergent 2017 : 1083‑1087).
Plusieurs se sont intéressés au Plongeon cosmogonique.
L’ethnologue et psychanalyste américain Géza Róheim (1952)
a vu dans ce récit le rêve d’une chute, qui symboliserait à la fois
une volonté de régresser vers les entrailles et une pénétration du
pénis dans le vagin. Cependant, comme l’a remarqué Emmanuel
K. Schwartz (1956 : 747‑748), cette interprétation ne vaut que si
l’on considère le récit oral comme l’élaboration d’un rêve. Or il est
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impossible, selon lui, d’« accepter la même approche psychanaly‑
tique et les mêmes techniques pour la compréhension du conte de
fées et du rêve […]. Supposer cela, c’est nier que le rêve et le conte
de fées naissent de l’expérience de la vie ». L’analyse proposée
par Róheim n’explique pas le schéma narratif, mais modèle celui-
ci, son et images, dans les concepts rigides de la psychanalyse.
Cherchant à éviter cet écueil, le folkloriste américain Alan
Dundes (1962b) rappelle que, selon la théorie freudienne, la
façon dont un individu vit son enfance influe sur sa façon de
voir le monde à l’âge adulte. Il en conclut que la diffusion
d’un même mythe à travers plusieurs cultures devrait reposer
sur un même conditionnement des enfants. S’appuyant sur les
travaux du psychanalyste hongrois Sandor Ferenczi, selon lequel
la société détournerait progressivement l’intérêt de l’enfant pour
les excréments vers la boue, le sable, la pierre et, enfin, l’or et
l’argent, il propose alors une théorie cloacale de la naissance,
qu’illustrerait le mythe du Plongeon cosmogonique. Mais
­
Seymour Parker (1963) a été prompt à reprocher à cette inter‑
prétation, qui se donne comme la manifestation d’un symbo‑
lisme universel, de ne pas expliquer l’absence du mythe dans
certaines traditions, et de ne pas démontrer la validité de ses
postulats – il faudrait que l’expérience infantile soit la même
dans toutes les sociétés ; or, si nous sommes faits de la même
chair, nous ne sommes pas sortis du même moule.
Au-delà des incompatibilités et des défauts propres à chacune
des deux explications avancées, l’approche psychanalytique

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136 Le cycle de l’eau

des mythes manque sa cible. Les auteurs des mythes ne sont


plus analysables et il est facile, en l’absence des analysés, de
leur inventer une psyché en papier. L’analyse psychanalytique
des récits mythologiques court donc le risque de se réduire à
une logorrhée sauvage se déroulant sans aucune possibilité
de contrôle extérieur, à un soliloque verbeux dont le lecteur
deviendrait prisonnier. Lévi-Strauss remarquait avec justesse
que, avec ce type de théorie, on se trouvait face à une « dialec‑
tique qui gagne à tous les coups » et qui, quelle que soit la
situation réelle, « trouvera le moyen d’atteindre à la significa‑
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tion » (1958 : 229).

L’interprétation aréale
Alan Dundes remarquait que les récits oraux restaient
remarquablement stables dans le temps : « Les mythes et les
récits recueillis à partir d’une même culture se ressemblent
beaucoup sur le plan de la structure et des détails alors même que
les mythes et les récits proviennent d’informateurs différents,
séparés peut-être par de nombreuses générations » (Dundes,
1962b : 1034). En ce sens, le mythe peut être défini comme
l’ensemble des traits d’un récit qui résistent à la dissolution et
à la réorganisation de leur structure. En s’appuyant sur cette
permanence, une école de mythologie comparée, que l’on quali‑
fiera d’aréale, s’est appuyée sur l’aire de répartition de certains
mythes pour en faire l’histoire en deux dimensions.
Un bon exemple du travail fourni par cette école est donné
par la folkloriste suédoise Anna Birgitta Rooth (1951, 1956, 1982)
qui s’est intéressée au conte de Cendrillon. Elle a cartographié
chacun des cinquante et un motifs de ce récit à l’échelle eurasia‑
tique et a mis en évidence l’existence de cinq grandes aires de
diffusion : le Proche-Orient, l’Extrême-Orient, l’Europe de l’Est,
l’Europe méridionale et l’Europe septentrionale. Puis, étudiant
plus finement les ressemblances et les dissemblances entre aires
géographiques, elle a pu reconstruire l’histoire du conte. Elle
a ainsi montré que le récit de Cendrillon était né au Proche-

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Le Plongeon cosmogonique 137

Orient, il y a 4 000 ans environ. On racontait alors qu’une vache,


nourrissant un frère et une sœur orphelins de mère, fut tuée par
la marâtre des enfants ; de ses os enterrés naquit un arbre qui
donnait de la nourriture. Le récit aurait ensuite évolué : c’est
désormais une fille seule, orpheline de mère, qui garde une
vache nourricière tandis qu’elle accomplit des tâches de filage ;
sur le corps de l’animal poussent toujours des fruits, que seul le
prince qui épousera la jeune fille pourra cueillir. Il y a 2 500 ans,
dans les Balkans, serait apparue une nouvelle version : la vache,
son rôle nourricier et son abattage sont toujours au cœur du
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récit, mais ce sont des habits magnifiques qui apparaissent là
où l’animal est inhumé, donnant la possibilité à l’héroïne de se
rendre à la fête du prince ; elle y perd sa pantoufle ; une fausse
fiancée parvient, par ruse, à chausser cette dernière, mais elle est
démasquée par un animal ; le prince peut alors se marier avec
la bonne demoiselle. Le conte aurait ensuite migré à travers
l’Europe de l’Est vers la Scandinavie, qu’il aurait atteinte vers
l’an mille. À ce moment serait apparue notre Cendrillon actuelle,
qui n’aurait guère évolué depuis : seule la deuxième partie du
récit, où une jeune fille vivant dans les cendres affronte une
marâtre et ses filles, y est conservée. L’histoire de Cendrillon a
donc résisté pendant quatre millénaires à la fugacité et à l’oubli,
alors même qu’il ne s’agissait que d’un conte.
Revenons au mythe du Plongeon cosmogonique. Plus d’une
dizaine d’années après la publication de Charencey, le philo‑
logue allemand Oskar Dähnhardt s’est appuyé sur un corpus
bien plus large pour conclure que ce récit était apparu en Asie
et que l’origine des versions d’Amérique du Nord « n’a rien à
voir avec les légendes d’inondations éphémères bibliques, mais
qu’elles sont étroitement liées aux mythes nord-asiatiques de la
création » (Dähnhardt, 1907 : 75). Ce point de vue est partagé
par Anna Birgitta Rooth (1957 : 99), Vladimir V. Napolskikh
(1991, 2012), Yuri Berezkin (2007b, 2013) et Jean-Loïc Le Quellec
(2014, 2015a) qui ont tous établi des cartes, de plus en plus
complètes, montrant que le mythe se trouvait largement diffusé
dans l’hémisphère nord.

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138 Le cycle de l’eau

Cette approche prend en compte les ressemblances, mais aussi


les différences, puisqu’il existe de vastes régions où le mythe
du Plongeon cosmogonique n’existe pas. Elle échappe ainsi au
reproche que Seymour Parker faisait à Alan Dundes. S’appuyant
justement sur le fait que ce récit ne se retrouve pas partout,
Yuri Berezkin et Jean-Loïc Le Quellec ont indépendamment
montré que les récits de Plongeon cosmogonique présentaient
une distribution contrastive quand on comparait leur aire de
diffusion à celle des récits dits d’émergence, où les humains et
les animaux surgissent de sous la terre (voir cartes 3.1 et 3.2.).
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Le mythe le plus ancien est sans doute celui de l’Émergence,
retrouvé partout dans l’hémisphère sud, en particulier en Afrique
subsaharienne et en Australie. Or la diffusion en Australie des
récits d’émergence ne saurait être antérieure à 65 000 ans, date
de son peuplement. Lors de la remontée des eaux, ce territoire
s’est en effet retrouvé très vite extrêmement isolé du reste de
l’humanité, devenant de ce fait un conservatoire des croyances
apportées par les premiers migrants 1. Il est donc probable,
au vu de leur répartition, que les mythes d’Émergence soient
sortis d’Afrique en même temps que l’homme moderne. Puis le
Plongeon cosmogonique serait apparu en Eurasie, recouvrant en
partie la zone de diffusion des mythes d’Émergence, avant de
se répandre en Amérique du Nord.
La diffusion du Plongeon cosmogonique en Amérique du Nord
permet de faire remonter le mythe à au moins 20 000 ans. Le
climat était alors bien plus froid qu’aujourd’hui et le volume
de glace sur la planète bien plus important. Aussi le niveau
de la mer dans le détroit de Béring était-il suffisamment bas

1. Étayant ce point, il faut noter qu’en Australie des mythes aborigènes pour‑
raient avoir conservé le souvenir d’anciens bouleversements géologiques dont
témoigne encore le paysage actuel, par exemple la montée rapide des eaux
intervenue il y a entre 7 500 et 13 400 ans (Reid, Nunn et Sharpe, 2014 ; Nunn,
2019) ou des éruptions volcaniques survenues pour certaines il y a 10 000 ans
(Bindon et Raynal, 1998 : 74). Ces interprétations courent cependant le risque
de s’appuyer sur une surinterprétation du mythe, la forme logique de telles
hypothèses les rendant difficiles à tester.

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Le Plongeon cosmogonique 139

Carte 3.1 Répartition mondiale des mythes du Plongeon cosmogonique


(Le Quellec, 2014)
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Carte 3.2 Répartition mondiale des mythes d’Émergence (Le Quellec,
2014)

Échelle à l'équateur

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140 Le cycle de l’eau

pour permettre le passage à pied entre la Sibérie orientale et


l’Alaska. Des groupes eurasiatiques en ont profité pour passer
en Amérique, emmenant avec eux leurs bagages techniques et
culturels. Puis l’océan est remonté, séparant les populations
d’Eurasie et d’Amérique pour des milliers d’années. Le fait de
retrouver des versions du Plongeon cosmogonique largement
diffusées de part et d’autre du détroit de Béring suggère que
ce récit remonte a minima à la fin du Pléistocène, lorsque sa
diffusion était encore possible par le détroit.
L’analyse aréologique des mythes réfute toute idée d’univer‑
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salisme, mais aussi d’apparitions spontanées. Les mots « coïnci‑
dence » et « universaux de la pensée » épargnent souvent à ceux
qui les prononcent la peine de se justifier. Mais les faits sont
têtus : aucune de ces deux explications ne permet de rendre
compte de la répartition à la fois continue et localisée – à
l’échelle de la planète – de certains types de mythes. Ainsi que
le constatait l’archéologue et géographe danois Gudmund Hatt
à propos du Plongeon cosmogonique, « il ne semble pas y avoir
de raison de douter que cette distribution soit le résultat d’une
diffusion » (Hatt, 1949 : 15).
Certains récits passent donc de siècle en siècle, de prose en
vers, de vers en prose, des parents aux enfants et ce depuis
la sortie d’Afrique de l’Homme anatomiquement moderne.
Cependant, l’approche aréologique n’apparaît pas suffisante
pour expliquer certains phénomènes propres à l’évolution des
mythes, comme l’inversion.

L’interprétation structurale
Notre espèce a le sens de la contradiction. Vladimir
Propp, dans son étude sur les « Transformations des contes
merveilleux », remarquait que, souvent, « la forme fondamen‑
tale [d’un conte] se transforme en son opposée. Par exemple,
on transforme les images féminines par des images mascu‑
lines, et inversement. Ce phénomène peut également toucher
la chaumière. Au lieu d’une chaumière fermée, nous avons

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Le Plongeon cosmogonique 141

parfois une chaumière à la porte grande ouverte » (Propp,


1970 [1928b], 187).
À la suite de Propp, Lévi-Strauss a posé en 1964 l’inversion
comme l’un des paquets de relations qui unissent les mythes
(1964 : 39) : selon lui, tout mythe porte en lui son contraire.
Ce phénomène est d’autant plus répandu qu’il est aisé, en
empruntant un récit, d’opérer un basculement d’un terme sur
un autre ressenti comme son opposé. Or un tel phénomène est
difficile – sinon impossible – à prendre en compte en utilisant
la méthode aréologique.
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S’appuyant sur l’existence de transformations logiques permet‑
tant de passer d’un récit à un autre, le chercheur a défini le
mythe comme l’ensemble de toutes ses versions. Selon lui,
toutes les variantes connues d’un mythe peuvent s’ordonner
en une série, formant un groupe de transformation. Ainsi, des
récits perçus « comme des objets inertes dont on se contente de
reconnaître l’extension inégale dans l’espace et dans la durée
[…] entretiennent plutôt des rapports dynamiques, qui les
mettent en corrélation et en opposition les uns avec les autres.
Ces rapports déterminent à la fois les caractères distinctifs de
chaque variante et, mieux que les fréquences statistiques, ils
permettent d’expliquer leur distribution » (Lévi-Strauss, 1968 :
191). Chaque mythe tire son sens de la position qu’il occupe
par rapport à d’autres mythes au sein de ce groupe auxquels il
est lié par des relations logiques.
Pour Lévi-Strauss, le sens d’un mythe émerge à partir de
sa confrontation avec d’autres versions : le mythe réfléchit
le mythe. À l’échelle des Amériques, les versions s’ajustent et
s’équilibrent les unes les autres, ce qui conduit à un décalage
progressif du sens, parfois vers une impression d’absurde où les
personnages semblent tenus à l’impossible.
L’anthropologue a ainsi montré l’existence d’un rapport de
transformation entre un mythe grec et un mythe takelma,
population d’Amérique du Nord-Ouest, qui peut se résumer
ainsi :

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142 Le cycle de l’eau

Mythe grec Mythe takelma

On envoie le corbeau chercher à boire.

Par gourmandise [l’oiseau attend Par fainéantise,


que les fruits soient mûrs],

celui-ci néglige sa mission qui consiste à remédier au manque d’eau céleste


grâce à une eau terrestre seule disponible :

une fontaine. un océan.

En punition, le corbeau aura soif pendant l’été, sa voix deviendra rauque


à cause de son gosier parcheminé.
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Le mythe grec du Corbeau, relatif à la constellation estivale
éponyme, coïncide également avec un mythe sud-américain sur
Orion et les Pléiades, correspondant à des constellations estivales
sous ces latitudes. Le récit amérindien évoque le début plutôt
que la fin de la saison sèche.
Or une version intermédiaire existe en Amérique du Nord,
sous la forme d’un mythe blackfoot très proche de celui des
Takelma. Ce mythe explique l’origine des Pléiades, annon‑
ciatrices cette fois-ci d’une période pluvieuse. Cette version
intermédiaire fait donc le lien entre la version d’Amérique du
Sud, où la constellation évoque le début de la saison sèche, et
la version grecque, où la constellation évoque la fin de cette
saison. Par ailleurs, en Amérique du Nord-Ouest, Corbeau est
souvent associé à l’alternance des marées, elle-même souvent
reliée à celle de la sécheresse et de l’humidité, de l’abondance
et de la disette. L’ensemble de ces éléments conduit Lévi-Strauss
à formuler l’hypothèse suivante :

On ne peut […] exclure que certains mythes sur l’origine des


constellations ou qui leur furent affectés ultérieurement, aient
pris naissance au Paléolithique supérieur ou même avant ; les
premières vagues d’émigrants passés d’Asie en Amérique les
auraient apportés avec eux tandis qu’en se propageant dans
la direction opposée, d’autres déplacements de populations
expliqueraient la diffusion occidentale des mêmes mythes

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Le Plongeon cosmogonique 143

jusqu’au bassin méditerranéen. On retrouverait ici et là leurs


vestiges, témoignant en faveur d’une communauté d’origine
dans un passé très lointain. (Lévi-Strauss, 1971a : 205.)

Lévi-Strauss demeure toutefois prudent et évoque presque


aussitôt la possibilité d’un « simple phénomène de conver‑
gence », les mêmes causes conduisant aux mêmes effets. Seule
une étude aréologique de ces récits, laquelle, à ma connaissance,
n’a pas encore été effectuée, permettrait de trancher entre les
deux hypothèses. Cependant, de récents travaux en mythologie
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comparée semblent plaider pour une origine très ancienne de
certains mythes astronomiques (voir par exemple Berezkin, 2005,
2017 ; d’Huy, 2012b ; d’Huy et Berezkin, 2017 ; Gibbon, 1964 ;
Lankford, 2007 ; Thuillard, Le Quellec et al., 2018).

Une version sibérienne du Plongeon


cosmogonique
Convaincu de la pertinence de l’approche structurale,
je suis parti en 2016 d’un mythe sibérien pour montrer la grande
antiquité du Plongeon cosmogonique (d’Huy, 2016a).
Le mythe de départ était un récit que l’on trouve chez les
Evenks (Anisimov, 1951 : 195, 196), les Mandchous (Wei et al.,
2001 : 195) et les Toungouses (Ocharov, apud Lot-Falck, 1963 : 8),
peuples de Sibérie et du nord-est de la Chine. Ceux-ci racontent
que la Terre était autrefois presque entièrement couverte d’eau.
Ce fut le mammouth qui retourna les sols sous-marins avec ses
défenses, permettant à la terre ferme, à l’origine très petite, de
s’agrandir, en faisant surgir montagnes et falaises. Un compa‑
gnon serpent rampa à sa suite, se tortilla entre les reliefs, et fit
apparaître l’eau terrestre derrière lui1.

1. Notons que, quelquefois, les reliefs sont interprétés comme le produit du


combat du mammouth et du serpent contre des créatures géantes, telle la
race des Tchuliugdy, êtres mythiques à un œil, un bras et une jambe, persé‑
cuteurs de l’homme, et finalement refoulés de la surface de la terre dans les
abîmes du monde inférieur, d’où ils resurgissent régulièrement, par l’orifice

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144 Le cycle de l’eau

Ces mythes relèvent d’une mythologie du paysage, très


répandue à travers la planète, attribuant l’aspect actuel d’un
site à l’action de personnages mythologiques ou à des événe‑
ments mythiques (Le Quellec et Sergent, 2017 : 1013). Le cas
le plus célèbre est le « Temps du rêve » australien, où, selon les
aborigènes, des divinités errant sur l’île modelèrent le paysage,
laissant partout des traces de leurs pérégrinations : tel point
d’eau fut l’effet de la miction de l’une d’entre elles, telle vallée
fut produite par la reptation du Serpent arc-en-ciel, tel relief
rappelle que c’est là qu’une créature se métamorphosa.
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L’analyse interne du récit evenk, mandchou et toungouse,
ici résumé, nous donne de précieux renseignements sur son
âge possible :
1. Ce type de narrations, faisant émerger la terre ferme d’une
étendue liquide grâce à l’intervention d’un animal, appartient
à la catégorie mythologique des « plongeons cosmogoniques »,
dont la grande ancienneté, probablement paléolithique, a été
montrée plus haut.
2. La présence du serpent comme créateur de rivières, et
comme animal lié à l’eau, renvoie à un fonds paléolithique
eurasiatique, tel que j’ai pu le reconstruire statistiquement dans
l’interlude précédent (voir aussi d’Huy, 2013c, 2016b et 2016c).
3. Ces récits s’intègrent bien dans les croyances des autres
populations d’Eurasie du Nord, qui voient dans le mammouth
un animal fouisseur, connecté à l’eau, souvent capable de créer
les reliefs du monde. Nénètses et Mansis appellent le mammouth
le « taureau souterrain » ; ils craignent cette créature qui, là où
elle a marché, a fait apparaître lacs et rivières, là où elle a creusé,
a fait surgir galeries et montagnes. Les Nénètses pensent égale‑
ment que les mammouths forment des troupeaux appartenant à
des créatures souterraines, les Syixyirtya, qui partagent des carac‑
téristiques avec la communauté des défunts (Lukin 2020 : 112).
Les Yakuts voient dans le pachyderme disparu un « maître des

de trous d’eau, pour nuire aux humains. Or ce motif du combat se retrouve


en Amérique du Nord, comme nous le verrons plus loin.

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Le Plongeon cosmogonique 145

eaux » (Ivanov, 1949 : 135‑140). Pour certains peuples, comme les


Finnois, c’est un animal puissant, voyageant sous terre, créant les
tunnels où l’eau souterraine s’engouffre (ibid. : 134). Les Evenks,
situés près du lac Baïkal, conçoivent le mammouth comme un
grand poisson cornu, vivant dans la mer, ou comme un être
mi-poisson, mi-animal terrestre, possédant une tête d’élan,
mais la queue et le corps d’un poisson (ibid. : 137). Selon John
Bernard Muller (1731‑1738 : 373, 382), les « Ostyaks » (terme
qui, à l’époque, signifiait simplement « peuple de Sibérie »,
laissant l’identité ethnolinguistique incertaine) pensaient que
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les défenses mobiles de l’animal, placées juste au-dessus de l’œil,
lui permettaient de se frayer un chemin dans l’argile et la boue.
Dans l’ensemble de la Sibérie, le mammouth apparaît comme
un « énorme quadrupède qui vit entre deux terres, et qui meurt
aussitôt qu’il respire » (Delisle de Sales, 1797 : 42 ; voir aussi
Mervaud, 1994 : 112 et sq., et pour une croyance similaire en
Chine au xviie siècle : Pfizenmayer, 1939 : 17‑18). Le mammouth
est donc généralement considéré comme un animal médiateur,
entre le visible et l’invisible, le dessus et le dessous de la terre,
le terrestre et l’aquatique, et semble idéal pour penser le passage
d’un océan primordial à l’existence de continents. Même si l’on
considère les récits faisant du mammouth un animal souter‑
rain comme l’explication ad hoc de la présence des cadavres
congelés de l’animal émergeant du sol, la cohérence du reste de
la mythologie (lien avec l’eau, animal mi-terrestre, mi-aquatique,
créateur de reliefs) suggère soit une diffusion extrêmement rapide
de celle-ci, soit l’existence d’un fonds très ancien, commun à
l’ensemble de l’Eurasie.
Les récits evenk, mandchou et toungouse, par leur structure
et l’intégration du mammouth et du serpent dans un fonds
eurasiatique probablement paléolithique, pourraient donc être
apparus il y a très longtemps, au Paléolithique supérieur. Encore
faudrait-il corroborer l’ancienneté d’un récit liant serpent et
mammouth. Cela peut être tenté en s’accordant un détour par
les rites locaux et en bousculant les frontières par trop artificielles
entre les mythes et les rites.

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146 Le cycle de l’eau

L’anthropologue Éveline Lot-Falck remarque, à la suite de


l’ethnographe russe Arkady Fedorovich Anisimov (1951), que
le chaman toungouse possède parmi ses esprits deux êtres
mythiques : le serpent Diabdar et une créature joignant au corps
du renne sauvage mâle les bois de l’élan et la queue d’un poisson
– ce dernier faisant écho à l’ancien partenaire du serpent, le
mammouth, dans l’organisation de l’univers. S. V. Ivanov (1949 :
152) observe que les animaux les plus grands et les plus forts
de la taïga, par exemple l’élan, sont considérés par les peuples
de Sibérie comme les « propriétaires » des lieux, et donc comme
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les « propriétaires » des autres animaux. Il ne fait aucun doute
que le mammouth occupait ainsi une place prépondérante dans
les mythologies des sociétés qui l’ont côtoyé, et il est probable
qu’à sa disparition d’autres grands animaux lui aient été substi‑
tués. La place du mammouth dans le système de pensée chama‑
nique sibérien corrobore cette hypothèse. « Après leur mort, ou
parvenus à une extrême vieillesse (ayant dépassé l’âge de cent
ans), certains représentants, parmi les plus puissants, de la faune
terrestre et aquatique, l’élan, l’ours, le brochet, échangent leur
forme contre celle d’un kozar surp (“mammouth bête sauvage”)
ou kozar khvoli (“mammouth-poisson”) (Selkup) ou d’un muv-khor
(Ostiak) » (Lot-Falck, 1963 : 115). Il s’agit d’auxiliaires précieux
pour le chamane, le mammouth, comme animal souterrain par
excellence, remplissant à merveille les fonctions de guide, lors
des séances dites « kamlenie » qui s’adressent au monde inférieur.
Or l’auxiliaire du chamane toungouse se rapproche également
du gigantesque poisson-renne, le kalir, qui vit sur les falaises
escarpées de l’Endekit, la rivière des morts, maître des animaux
dirigeant les esprits auxiliaires et menant sous terre une existence
réelle (ibid. : 114). C’est d’autant plus vraisemblable que certaines
sociétés sibériennes conçoivent, comme nous l’avons vu, le
mammouth comme une chimère unissant les caractéristiques
d’animaux terrestres et aquatiques. Le rituel chamanique semble
donc redoubler le récit fondateur.
Il faut alors remarquer que Kheli, nom générique, et kalir, nom
individuel, procèdent tous deux d’une racine commune kel/khel,

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Le Plongeon cosmogonique 147

qui, selon G. M. Vasilevič (1949), aurait donné d’innombrables


dérivés non seulement dans les langues ouralo-altaïques, mais
également dans les langues paléo-arctiques et même indo-
européennes. Le mot d’origine, associé au mammouth et dans
une moindre mesure aux reptiles, aurait servi à désigner une
créature maléfique, porteuse de mort ou liée à la mort, et
éventuellement sous-marine ou souterraine. D’autres études vont
dans le même sens, associant sur des bases linguistiques le mot
désignant le mammouth dans plusieurs langues sibériennes à
un monstre aquatique (Le Quellec, 2017a : 33). La large diffu‑
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sion de la racine kel/khel en Eurasie indiquerait une origine très
lointaine, possiblement paléolithique. Cette lointaine origine
semble d’autant plus probable que l’on retrouve en Amérique
du Nord des croyances qui conserveraient le lointain souvenir
des mammouths, et dont le contenu s’accorde remarquablement
avec le sens reconstruit par G. M. Vasilevič pour la racine kel/khel.

Un mammouth en Amérique
En Amérique du Nord, le souvenir déformé de l’animal
le lierait dans de nombreuses populations à un être maléfique,
destructeur des hommes et associé à l’eau (Strong, 1934 ;
Edmonston, 1953). Si les rapprochements entre ces créatures et
les mammouths ont été vivement – et à juste titre ! – critiqués
(voir, par exemple, Lankford, 1980), la proximité des croyances
eurasiatiques avec certaines croyances amérindiennes demeure
troublante.
L’historien jésuite, professeur et voyageur du xviiie siècle Pierre
François Xavier de Charlevoix, se référant à des populations
d’Amérique du Nord-Est, a ainsi pu écrire :

Il court aussi parmi ces Barbares une assez plaisante tradition


d’un grand Orignal, auprès duquel les autres paroissent des
Fourmis. Il a, disent-ils, les jambes si hautes que huit pieds
de neiges ne l’embarrassent point : sa peau est à l’épreuve
de toutes sortes d’armes, & il a une manière de bras, qui
lui sort de l’épaule, & dont il se sert, comme nous faisons

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148 Le cycle de l’eau

des nôtres. Il ne manque jamais d’avoir à sa suite un grand


nombre d’orignaux, qui forment sa Cour, & qui lui rendent
tous les services, qu’il exige d’eux. (Charlevoix, 1744 : 127.)

Cet animal peut facilement être considéré comme un


mammouth. La description rappelle le kalir eurasien, une créature
d’apparence combative et surtout maître des esprits auxiliaires.
En Eurasie, le mammouth était également souvent associé à
l’élan (ainsi qu’au renne : Lukin, 2020) et en a acquis des carac‑
téristiques tout en gardant sa propre identité. La description du
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monstre algonquin comme un « grand Orignal », nom américain
de l’élan, crée alors un lien supplémentaire avec la mythologie
sibérienne où le mammouth a été remplacé par (ou réimaginé
à travers) l’élan et le renne (Ivanov, 1949 : 152).
Toujours en Amérique, les Indiens Naskapi parlent quant à
eux d’un monstre tueur d’hommes appelé Katcheetohliskw, qui
« était très grand, avait une grosse tête, de grandes oreilles et
de grandes dents, et un long nez avec lequel il frappait les
gens. Selon les mythes, ses traces dans la neige ont été décrites
comme grandes et rondes » (Strong, 1934 : 84). L’interprétation
faisant du Katcheetohliskw une projection du mammouth a
là encore été critiquée, sans pour autant pouvoir être écartée
(Edmonston, 1953 : 18). De plus, l’identification de la créature
tueuse d’hommes à un être ressemblant à un éléphant « trouve‑
rait trop de parallèles dans le folklore des Amérindiens de l’Est
pour qu’il s’agisse d’une introduction caucasienne récente »
(Strong, 1934 : 84‑85), ce qui renvoie, là encore, à la significa‑
tion de la racine eurasiatique kel/khel, qui fait du mammouth
une créature dangereuse et porteuse de mort.
Des parallèles plus étroits encore peuvent être tracés. Le
témoignage de Charlevoix, ainsi que de nombreux autres récits
utilisés à l’appui de l’hypothèse d’une mémoire populaire ayant
conservé le souvenir du mammouth (Lankford, 1980 : 297‑298)
se rattachent au motif folklorique du combat contre le renne/
ongulé géant, largement diffusé en Amérique du Nord parmi
des peuples éloignés et appartenant à des familles linguistiques

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Le Plongeon cosmogonique 149

différentes (Thompson, 1929 : n.144). Ce récit raconte comment


le héros, un jeune homme ayant atteint l’âge adulte en quelques
jours seulement, affronte un renne/animal cornu géant et tueur
d’hommes. Il se transforme en lézard pour pouvoir approcher la
bête. Un animal fouisseur, généralement un gauphre1, propose
alors son aide, et creuse un tunnel sous le monstre pour retirer
la protection qui entoure son cœur. Le héros n’a alors qu’à trans‑
percer d’une flèche l’organe vital. Avant de mourir, le monstre
parvient cependant à détruire la galerie, créant ainsi les reliefs
actuels (Thompson, 1977 : 338).
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Les points communs entre ce mythe et les récits evenks et
toungouses sont nombreux :
1. L’action n’avance que grâce à la conjonction d’un reptile et
d’un animal à cornes/défenses, le premier se dirigeant vers le second
en Amérique, les deux suivant une route parallèle en Eurasie.
2. En Amérique du Nord, le reptile s’associe à un être créant
des galeries sous le sol, dédoublant le motif du serpent qui crée
les reliefs « en creux » en Eurasie.
3. Le monstre, associé dans certains cas à un possible
mammouth, est à l’origine des reliefs ; il inverse le motif de
l’animal creusant des galeries, comme dans certains récits
­eurasiatiques, en les détruisant.
Les ponts ainsi établis entre l’Eurasie et l’Amérique du Nord
peuvent être renforcés. Nous avons vu que les Mandchous
connaissent un mythe du Plongeon cosmogonique selon lequel
les serpents et les mammouths ont travaillé ensemble pendant le
déluge, les uns creusant des canyons, les autres créant des lits de
rivière, permettant ainsi à l’eau de redescendre et à la terre ferme
de réémerger (Wei et al., 2001 : 195). Or les Mandchous racontent
également que deux frères inondèrent la grotte d’un dragon qui
attaquait les humains, lui jetèrent des pierres et le blessèrent d’un
coup de lance. Dans sa fuite, le dragon creusa une rivière avec ses

1. Le nom « gauphre » désigne plusieurs espèces de rongeurs présents en Amérique


du Nord et en Amérique centrale, qui tous appartiennent à la famille des
Géomyidés.

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150 Le cycle de l’eau

griffes et colora de rouge les montagnes. Un seul frère survécut.


Il traîna le dragon sur le sol, dessinant des reliefs (Backer, 1988 :
11‑21). Ce récit rappelle la version autochtone du Plongeon
cosmogonique : le glissement d’un reptile sur le sol est à l’ori‑
gine d’une rivière et de reliefs. Il fait aussi écho aux histoires du
Nouveau Monde : l’ennemi qui persécute les humains est attaqué
souterrainement, transpercé d’une arme, le combat conduisant à
la création d’une rivière et la mort du monstre à celle de reliefs. Le
récit mandchou du combat contre le dragon semble ainsi consti‑
tuer un chaînon intermédiaire entre les versions eurasiennes et
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amérindiennes d’un même mythe, les secondes étant le fruit d’une
transformation qui se serait produite en Asie avant sa diffusion
vers l’Amérique du Nord par le détroit de Béring. Ajoutons que
l’existence en Eurasie d’un lien paléolithique unissant le serpent
et la création de rivières, d’abord statistiquement déterminé dans
le premier interlude, est ici corroborée de façon autonome : l’inté‑
gration de ce motif simple dans un récit complexe remontant à
la même période permet de démontrer qu’il y était alors bien
présent et atteste ainsi, à rebours, de la fiabilité de la méthode
phylogénétique appliquée à la mythologie.
Le fait de retrouver des croyances similaires – dangerosité du
« mammouth », considéré également comme un puissant « maître
des animaux », en lien avec l’eau, conjonction du mammouth
et d’un reptile, le premier créant des reliefs – de part et d’autre
du détroit de Béring, associé à la reconstruction linguistique de
ces mêmes traits pour une famille de mots largement répandus
en Eurasie, plaide en faveur d’une diffusion de cette croyance au
Paléolithique supérieur, lorsque les populations eurasiatiques se sont
répandues en Amérique. Remarquons également que l’identification
d’un « maître des animaux » dans l’Eurasie paléolithique rappelle la
reconstruction d’une telle figure réalisée dans le chapitre précédent.

Retour en Eurasie
La proximité qu’entretient le mammouth avec le
danger, voire la mort se retrouve de part et d’autre du détroit
de Béring. Ainsi, en Sibérie, « on le présente habituellement sous

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Le Plongeon cosmogonique 151

les traits d’un être malfaisant, sans doute parce que son nouveau
royaume touche à celui de la mort. Il a dû réunir en sa personne
les particularités des monstres semi-réels semi-mythiques, censés
habiter les eaux ou le sol » (Lot-Falck, 1963 : 114). Pour renforcer
notre comparaison, il faudra donc montrer que le lien unissant le
mammouth et la mort est bien d’origine paléolithique en Eurasie.
Si l’on revient au récit de création toungouse, mandchou et
evenk, force est de constater que :
1. la structure du récit pourrait être paléolithique, à la fois
par son thème (le Plongeon cosmogonique) et les protagonistes
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mis en scène (le mammouth comme créateur des reliefs et le
serpent comme créateur des rivières).
2. la présence d’un « kalir », associé à un serpent dans les
rituels toungouses, semble, par son étymologie, indiquer un lien
très ancien unissant l’ophidien et le pachyderme.
3. une partie de la mythologie liée au mammouth a sans doute
été préservée à la fois en Eurasie et en Amérique du Nord, ce
qui indiquerait une origine commune paléolithique transmise de
l’Eurasie à l’Amérique lors du peuplement de l’Amérique du Nord.
En Eurasie, un thème récurrent est celui d’une connexion
du mammouth au monde souterrain, l’érigeant généralement
comme un précieux auxiliaire du chamane toungouse. Or cette
proximité avec le monde d’en bas fait du mammouth un parfait
intermédiaire entre la vie et la mort : comme le remarque Éveline
Lot-Falck (1963 : 116), le kalir toungouse n’est pas un esprit de
la mort, mais il séjourne aux portes du pays des trépassés. Ce
rapprochement, qui inverse le motif du mammouth donneur de
vie à la surface de la Terre et créateur de reliefs en mammouth
preneur de vie sous la surface du sol et créateur de tunnels, est
sans doute très ancien. La présence de ce motif dans l’Eurasie
paléolithique, si l’on accepte que les principes structuraux prési‑
dant à la construction des mythes existaient déjà à l’époque,
serait un indice précieux de la présence du mythe toungouse et
evenk à cette même époque.
Il est facile de trouver des indices unissant le mammouth et
la mort : « En Europe centrale et septentrionale, des ossements

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152 Le cycle de l’eau

de mammouths, en particulier des omoplates, ont été retrouvés


dans la plupart des tombes, dont ils composent parfois les
parois » (Roussel-Versini, 2004 : 44). La récurrence de la présence
d’os de mammouth de grandes dimensions dans les sépultures
gravettiennes primaires et secondaires de Dolní Věstonice et de
ses alentours, en République tchèque, « n’est pas un hasard »,
note l’archéologue Martin Oliva, qui constate que ce type d’asso‑
ciation se retrouve dans la région de Kostienki, à l’ouest de la
Russie, et jusque dans la grotte Mittlere Klause, en Bavière, où
des os taillés d’un homme d’une trentaine d’années ont été
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découverts reposant dans de l’ocre tandis que la tête était cernée
de fragments de défenses de mammouth (Oliva, 2004 : 109).
En Autriche, la tombe d’enfants jumeaux a été recouverte d’une
omoplate de mammouth (Einwögerer et al., 2006). Le fait que de
tels ossements aient été soigneusement placés sur le corps ou à
proximité immédiate des défunts a pu être interprété comme le
signe d’une croyance dans les pouvoirs protecteurs d’un grand
mammouth (Lister et Bahn, 1995 : 110).
Cette proximité entre le mammouth, le danger et la mort
d’une part, et le statut de maître des animaux attribué à l’élé‑
phantidé préhistorique à la fois en Eurasie et en Amérique
rappelle le mythe paléolithique de Polyphème, reconstruit dans
la première partie. Or un autre lien peut être établi entre les
deux créatures.
Quand on observe le crâne massif d’un mammouth, on se
rend compte qu’au niveau des orbites se trouve un vaste orifice
central, laissant penser que l’animal n’avait qu’un œil ; cette
constatation aurait pu inspirer aux peuples méditerranéens,
en un temps où les mammouths n’existaient plus, l’idée de
géants cyclopéens dont les vestiges leur seraient parvenus
(Mayor, 2000 ; Patou-Mathis, 2015 : 79‑80). Une équivalence
paléolithique entre un maître ou une maîtresse des animaux et
le mammouth, si elle était avérée, expliquerait mieux encore
l’apparition des cyclopes, tout en renforçant l’hypothèse d’une
continuité symbolique entre le Paléolithique et les périodes plus
contemporaines. L’aspect physique du protagoniste n’aurait eu

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Le Plongeon cosmogonique 153

en effet à évoluer que par un simple glissement de l’extériorité


de l’animal à son squelette, tout en préservant ses principaux
traits définitoires le liant au danger, à la mort et à la maîtrise
des animaux.
L’approche structurale corrobore donc, à un autre niveau, les
résultats déjà obtenus, à la fois dans le premier et le deuxième
chapitre. Que le mythe du Plongeon cosmogonique se soit
diffusé d’Asie en Amérique, au Paléolithique supérieur, semble
donc difficilement contestable.
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Une représentation pariétale du mythe ?
Avant d’aller plus loin, accordons-nous un moment
pour illustrer de nouveau le pouvoir herméneutique de la
méthode structurale, qui permet de proposer, avec prudence,
une nouvelle interprétation de certains vestiges archéologiques.
La grotte ornée de Rouffignac présente la plus grande concen‑
tration de mammouths connue actuellement dans l’art rupestre.
Diverses explications ont été proposées pour rendre compte
de ces images. L’une des plus originales, mais aussi « des plus
catégoriques » (Plassard, 1999 : 90), est celle du préhistorien
Louis-René Nougier (1984), pour qui les animaux tournés vers le
fond de la grotte symboliseraient la mort, alors que les animaux
tournés vers l’extérieur symboliseraient la vie. Mais le problème
de cette interprétation est qu’elle présuppose l’existence de l’élé‑
ment explicatif à l’époque paléolithique, sans pour autant le
démontrer1.
Or l’analyse qui précède, au fil de laquelle nous avons pu
remonter le temps jusqu’au Paléolithique supérieur, échappe
à ce travers en reliant des représentations rupestres à une
symbolique dont l’existence est étayée et non pas simplement
conjecturée. Plus que l’orientation des animaux représentés vers
l’extérieur ou l’intérieur de la grotte, l’une des caractéristiques
les plus saillantes de Rouffignac réside en effet dans le « thème
de l’association Mammouth-Serpent si particulier » (Barrière,

1. Pour une critique générale de ce type d’argument, voir Le Quellec (2019 : 598).

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154 Le cycle de l’eau

1984 : 164) ; plus précisément, « parmi les innombrables tracés


digitaux […], certains ont fait l’objet d’un traitement spécial
[et] furent tracés en deux lignes réalisées successivement. Il ne
s’agit plus ici de simples “méandres” mais bien d’une figure
suggérant avec soin l’ondulation d’un serpent. Il arrive même
qu’une des extrémités soit relativement globuleuse et fasse alors
penser à une tête ». Jean Plassard fait lui aussi remarquer que si
les méandres renvoient bel et bien à des serpents, l’appellation
qui conviendrait le mieux au site, « plus que la “grotte aux Cent
Mammouths”, […] serait la “grotte aux Serpents” » (Plassard,
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1999 : 62). Les récits des Evenks et des Toungouses, dont la
profondeur historique semble très plausible, permettraient alors
d’expliquer la coprésence de ces deux espèces par leur contribu‑
tion complémentaire au façonnement du monde.
En l’occurrence, alors que plusieurs procédés ont pu être mis
en œuvre pour les représentations des autres animaux – chevaux,
bisons, bouquetins rhinocéros et mammouths –, les serpents
sont systématiquement tracés avec le doigt, donc en creux sur
la paroi, ce qui reprend l’opposition des récits sibériens entre
le mammouth, créateur des accidents du relief, et le serpent,
créateur des vallées et autres points de passage de l’eau. Or cette
dernière croyance, avons-nous vu dans l’interlude précédent,
a toutes les chances d’avoir été paléolithique, ce qui renforce
l’interprétation. La grotte de Rouffignac pourrait donc être, en
grande partie, un hymne à la création du monde.
Ajoutons qu’il est fort probable que, à l’instar de ce qui se
pratique dans l’actuelle Sibérie, le pachyderme ait servi à penser
symboliquement une série d’oppositions binaires (terre/eau ;
haut/bas). En effet, si la grotte possède trois niveaux, le plus
bas étant occupé par un ruisseau, les représentations semblent
essentiellement concentrées autour des puits, permettant de
passer d’un niveau à l’autre (Plassard, 1999).

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Le Plongeon cosmogonique 155

Des mythes en rapport de transformation


Il est remarquable que les récits d’émergence et les
récits de Plongeon cosmogonique, dont Yuri Berezkin et Jean-Loïc
Le Quellec ont mis en évidence la répartition contrastive, soient
également en rapport de transformation.
Les récits d’émergence sont ainsi structurés par un mouvement
ascensionnel permettant l’apparition d’êtres vivants dans un
monde désert en attente de peuplement, tandis que les récits
de plongeon cosmogonique sont structurés par un mouvement
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de balancier (descente-ascension) permettant l’émergence d’un
élément dans un monde désert en attente de viabilisation. Dans
un cas, la terre doit céder pour permettre l’émergence et la multi‑
plication des êtres vivants, tandis que dans l’autre cas, et pour
une conséquence similaire, la terre doit tenir. Dans les deux cas,
seule la rupture d’une occlusion due à une membrane (terre/
eau) rend possible l’apparition de la vie.
Le mythe du Plongeon cosmogonique apparaît ainsi comme
une transformation du mythe d’Émergence, ce qui rend bien
compte de leur distribution complémentaire. Parallèlement, le
mythe d’Émergence pourrait s’être affaibli sous la forme des
mythes de Polyphème, ce qui expliquerait que leur diffusion,
limitée à l’hémisphère nord, coïncide avec celle du Plongeon
cosmogonique. Par conséquent, nous pourrions tenir ici une
explication élégante, conforme à la répartition contrastive du
mythe de l’Émergence, d’une part, et de ceux de Polyphème et
du Plongeon cosmogonique, d’autre part. La mythologie septen‑
trionale dériverait de la mythologie australe. Ces modifications
se seraient produites en Asie du Sud-Ouest durant les millénaires
séparant le peuplement du sud de l’Asie et celui du nord et
seraient ensuite diffusées dans la partie septentrionale du conti‑
nent. L’origine géographique du mythe de Polyphème semble
corroborer cette hypothèse, de même que l’existence, depuis
ce point d’origine, d’une variation spatiale graduelle entre les
différentes versions. Mais en va-t-il de même pour le Plongeon
cosmogonique ?

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4
Comment se transmettent
les traditions mythologiques

L ’approche aréologique n’est pas fausse, de même


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que l’approche structurale, mais ces méthodes
peuvent être complétées. Elles montrent que le mythe du
Plongeon cosmogonique remonte au Paléolithique supérieur,
mais ne permettent que des approximations. Par exemple, elles se
révèlent impuissantes dans la détermination du lieu d’émergence
du mythe, qui est crucial pour dater le récit. Est-il apparu dans
le nord de l’Eurasie à un moment où les populations connais‑
saient jusqu’alors des récits d’émergence, ou n’a-t‑il jamais été
confronté à ceux-ci, se diffusant dans le nord de l’Ancien Monde
en même temps que les premiers peuplements humains, dont
on sait qu’ils ont été plus tardifs au nord qu’au sud ?
Par ailleurs, ni la méthode aréologique ni la méthode struc‑
turale ne répondent à la question, posée plus haut, de savoir si
certains mythes se transmettaient « en groupe ».

Création du monde et catastrophes cosmiques


Afin de répondre à ces questions, j’ai utilisé en 2017 et
2018 la vaste base de données mise en ligne par Yuri Berezkin1.
Cette base constitue un remarquable outil de travail, résultant du
dépouillement de plus de 6 000 livres et articles et reposant sur
l’hypothèse que les mythes et les contes sont autant d’éléments
culturels capables de se répliquer et de se transmettre, soit verti‑
calement, soit horizontalement (Berezkin, 2015). Les récits sont

1. <http://ruthenia.ru/folklore/berezkin>.

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Comment se transmettent les traditions mythologiques 157

classés selon les motifs qu’ils contiennent (certains catégorisés


sous plusieurs motifs) et, à l’intérieur d’un même motif, par
ensembles géographiques puis par populations.
Les mythes étudiés soutiennent facilement le test d’une certaine
distorsion due à la traduction qui affecte leur forme et non leur
structure (Lévi-Strauss, 1958 : 232). De plus, Berezkin classe les
récits à un haut niveau d’abstraction. La traduction n’a donc
probablement pas d’impact sur l’encodage des motifs mytholo‑
giques, car la classification proposée ne traite pas des éléments
qui peuvent être déformés, tels que les détails de surface des
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images. Par ailleurs, il ne semble pas que tous les motifs réper‑
toriés aient eu la même histoire. Au contraire, nombre d’entre
eux semblent occuper une aire géographique assez différente.
Cela permet d’éviter un raisonnement circulaire. En effet, une
homogénéité parfaite des données pourrait expliquer l’existence
de tendances générales ; dès lors que ce biais est évité, si des
congruences devaient apparaître à l’issue de l’analyse, elles ne
seraient pas dues à une sélection des motifs utilisés.
L’unité d’analyse que je me propose d’employer ici pour
organiser les données sera la tradition culturelle.
Selon les tenants d’une conception stricte de l’idée de tradi-
tion, les sociétés se révèlent peu inventives à travers le temps
en matière de mœurs et de représentations symboliques,
si bien que le changement ne proviendrait que par contact
entre cultures. Il n’est pas nécessaire d’adopter un parti pris
aussi extrême pour souligner que la mythologie, comme je l’ai
montré avec d’autres, reste souvent très stable dans une zone
géographique donnée, ce qui n’interdit pas à d’autres traits
culturels d’évoluer dans le temps et l’espace. S’appuyer sur
le concept de tradition pour étudier les mythes ou les motifs
mythologiques n’implique pas nécessairement de considérer
les aires culturelles ou les traditions comme des objets intan‑
gibles. Il faut cependant que ces traditions soient davantage
que des abstractions, qu’elles possèdent une stabilité suffisante
pour absorber, sans perdre leur structure profonde, des événe‑
ments démographiques majeurs, qu’elles s’insèrent dans une

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158 Le cycle de l’eau

Carte 4.1 Distribution des traditions mythologiques étudiées sur la


création du monde
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L’ensemble des symboles représente le corpus de traditions possédant
au moins dix motifs ; les triangles et les carrés représentent le corpus
de traditions possédant au moins quinze motifs ; les carrés représentent
le corpus de traditions possédant au moins vingt motifs.

généalogie, incluant un ou plusieurs ancêtres, descendants,


cousins, etc. (Terrell, 2001), et enfin qu’elles se transmettent
comme un tout, et non comme un « tissu fait de pièces et de
lambeaux » (Lowie, 1921 : 428).
Selon le sociologue Émile Durkheim (1897, 1912), toute
société tirerait sa cohésion d’une « conscience collective »,
mélange de représentations, de croyances, de valeurs, d’idéaux
et de sentiments communs à la moyenne de ses membres. Cette
conscience collective précéderait les individus et s’imposerait à
eux. Ainsi, les institutions humaines résulteraient avant tout
d’un développement endogène. Cette hypothèse a fortement
influencé l’anthropologue américain Alfred Kroeber (1917), qui
a théorisé la culture comme un « super-organisme » obéissant
à des lois propres et échappant au contrôle des individus. Sans

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Comment se transmettent les traditions mythologiques 159

Carte 4.2 Distribution des mythologies étudiées pour les catastrophes


cosmiques
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Les triangles représentent les mythologies prises en compte pour
construire l’arbre.

adhérer à cette conception organiciste aujourd’hui désuète, je


considérerai, à titre d’hypothèse, la possibilité de reconstruire
l’histoire évolutive de traditions mythologiques dont les consti‑
tuants seraient partagés, sur le temps long, par la majorité des
membres des populations étudiées.
Par son esprit, ma démarche est ici proche de celle du philo‑
logue et indianiste germano-américain Michael Witzel (2012),
qui a soutenu qu’il était possible de reconstruire les premières
mythologies de l’humanité en s’appuyant sur un ensemble de
mythes se transmettant « en groupe » de tradition-mère en
traditions-filles ; une modification s’opérant à un moment précis
dans ce système se transmettrait alors aux générations suivantes,
ce qui permettrait d’établir des « arbres » de traditions.
Appréhender l’évolution d’une tradition narrative à travers
des motifs implique que les unités étudiées soient clairement
identifiables en tant que telles, non dissimulées par le « bruit »

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160 Le cycle de l’eau

des emprunts et des convergences évolutives. Or, dans le premier


chapitre, nous avons vu que la transformation d’un mythe se
fait à l’intérieur d’un écotype, au niveau d’un ensemble de
personnes, et non pas au niveau de versions individuelles. Ce
constat suggère une certaine unicité de la mythologie à l’intérieur
d’un groupe social, suggérant que ce dernier puisse être consi‑
déré comme un niveau d’analyse adéquat pour une approche
évolutionniste de la mythologie. Étayant ce propos, une étude
de 2013 portant sur le conte de « La bonne fille et la méchante
fille » à l’intérieur du domaine européen montre que les trans‑
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ferts existant d’une tradition à l’autre sont très peu nombreux
(Ross et al., 2013). L’approche proposée ici implique également
que tous les motifs constitutifs d’une tradition soient transmis
simultanément, autrement dit qu’ils forment des ensembles
évoluant lentement, ce qui reste encore à démontrer.
Les deux corpus de la base de données de Yuri Berezkin
retenus pour l’analyse sont la partie B, concernant la création du
monde, et la partie C, consacrée aux « catastrophes cosmiques ».
Ces deux parties contiennent en effet des motifs participant aux
récits de Plongeon cosmogonique. Or une façon de s’assurer
de la valeur des découpages choisis pour l’analyse statistique
des mythologies est de varier, pour un même objet d’étude, les
niveaux d’analyse et les corpus, puis de comparer les résultats
entre eux : les données se consolideront – ou se réfuteront –
ainsi les unes les autres. C’est par exemple ce qui a été fait
pour le mythe de Polyphème à travers trois corpus différents, et
c’est ce que je me propose de faire pour le mythe du Plongeon
cosmogonique.
Ce n’est pas la première fois que les statistiques sont utilisées
pour comparer des traditions mythologiques. Déjà, en 1895,
l’anthropologue allemand Franz Boas (1895 : 341‑347) a créé
une matrice indiquant le nombre de motifs oraux partagés
(Sagenelemente) par paires pour quinze tribus amérindiennes,
douze étant établies sur la côte nord-ouest du Pacifique et trois
étant situées ailleurs. L’un des objectifs du chercheur était, à
l’aide des statistiques, de comparer le degré de proximité entre

COSMOGONIES-POCHE_CC2021_pc.indd 160 07/07/2023 11:40:42


Comment se transmettent les traditions mythologiques 161

sociétés voisines afin d’identifier celles dont les traditions mytho‑


logiques étaient les plus dissimilaires et qui, par conséquent,
seraient arrivés plus tardivement. L’isolement de la mythologie
des Tsimshian de l’estuaire du fleuve Skeena s’expliquerait ainsi
par une implantation postérieure à celle des peuples qui les
entourent.
Un usage similaire de la statistique a par la suite été entrepris
par l’anthropologue russe Waldemar Bogoras qui a comparé par
paires le folklore des Esquimaux, des Tchouktches, des popula‑
tions situées à l’ouest du détroit du Béring et d’autres groupes
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amérindiens. Il a abouti à la conclusion que « bien que le folklore
tchouktche soit étroitement apparenté à ceux des Esquimaux
et des Amérindiens, celui des autres peuples situés à l’ouest du
détroit de Béring apparaît comparativement bien plus proche
des traditions amérindiennes que des traditions esquimaudes »
(Bogoras, 1902 : 683).
Dans ma propre analyse, la présence d’un motif pour une
population donnée a été codée par un 1, son absence par un 0.
La taille des corpus a été variée, et plus ou moins de traditions,
selon le nombre minimal de motifs qu’elles contenaient, ont
été prises en compte.

L’influence de la distance depuis l’Afrique


La première hypothèse testée était de savoir si, comme
pour le mythe de Polyphème, la variabilité des traditions pouvait
s’organiser en fonction d’un cline géographique. En effet, un
tel cline pourrait fournir de précieuses informations concernant
l’origine des motifs mythologiques qui nous intéressent.
On sait aujourd’hui qu’une population de taille importante
permet une meilleure conservation des savoirs culturels, car la
transmission entre générations y est moins entravée par l’extinc‑
tion des modèles ou par la rareté des élèves. Ainsi, chez les
espèces d’oiseaux dont les individus connaissent typiquement
un certain nombre de chants, les répertoires diminuent quand
les populations sont réduites et insulaires ou quasi insulaires
(Baker et al., 2001). De même, quand elles sont isolées, les petites

COSMOGONIES-POCHE_CC2021_pc.indd 161 07/07/2023 11:40:42


162 Le cycle de l’eau

populations humaines ont des répertoires culturels, notamment


technologiques, restreints (Kline et Boyd, 2010). Le cas d’école est
la Tasmanie : cette île a été peuplée à partir d’un faible et unique
flux migratoire puis est restée isolée. Ses habitants ont alors
connu un fort appauvrissement de leurs cultures d’origine par
rapport aux populations aborigènes d’Australie dont ils étaient
issus (Diamond, 1978 ; Henrich, 2004). L’anthropologue améri‑
cain Joseph Henrich (2001) a montré qu’au-delà d’un certain
seuil de dépopulation, les groupes humains ne parvenaient plus
à assurer la conservation de leurs traditions, même les plus utiles,
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ni à compenser leurs pertes par de nouvelles inventions. En
effet, comme l’explique l’anthropologue Emmanuel Désveaux,
« une densité élevée est susceptible de générer une mémoire
culturelle importante car les effectifs de ses dépositaires poten‑
tiels se trouvent plus élevés et ont ainsi une meilleure faculté
de conservation et de transmission des représentations mentales
en circulation » (2007 : 66).
Or la conquête du monde s’est faite par de petits groupes
humains, emportant avec eux une partie de la mythologie de la
population plus large dont ils venaient. Imaginons que, dans une
population mère, la majeure partie de ses membres connaisse les
motifs A, B, C et D. Des populations-filles, de plus petite taille
et donc possédant une mémoire sociale moins importante, ne
retiendront, pour l’une, que les motifs A, C, D et, pour l’autre,
que les motifs A, B, C, tout en inventant d’autres motifs qui leur
seront propres, et qui seront à leur tour partiellement transmis
aux futurs groupes issus de ces populations. Au cours de ce
processus, certains motifs peu significatifs dans la population
d’origine pourront voir leur importance s’accroître, alors que
d’anciens motifs tomberont en désuétude ou seront remplacés
par d’autres. Ce mécanisme de « dérive mythologique » peut être
appréhendé sur le modèle de la dérive génétique, dans laquelle
l’effet combiné des mutations aléatoires de la sélection naturelle
et des migrations s’accroît à raison de la faible densité et de
l’isolement écologique des populations. Les humains se repro‑
duisant lentement, les groupes s’étant détachés de leur souche

COSMOGONIES-POCHE_CC2021_pc.indd 162 07/07/2023 11:40:42


Comment se transmettent les traditions mythologiques 163

pour conquérir de nouveaux territoires sont sans doute restés


longtemps peu populeux, amplifiant l’effet de la dérive mytho‑
logique jusqu’à ce que la population atteigne une certaine taille,
stabilisant l’ensemble de ses mythes. À la différence du phéno‑
mène biologique dit de l’effet fondateur en série, conduisant à
une moindre diversité génétique à mesure de l’éloignement de
sous-groupes de leur population-mère, la dérive mythologique
ne s’accompagne pas nécessairement d’un appauvrissement de
la mythologie, les motifs disparus étant remplacés par d’autres.
Ce principe, d’abord proposé en 2013 pour les mythes
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(d’Huy, 2013e, f ; voir chapitre 2) puis en 2017 pour les tradi‑
tions mythologiques (d’Huy, 2017b ; d’Huy et Berezkin, 2017),
a permis d’organiser diachroniquement de grands ensembles
mythologiques déterminés statistiquement, en montrant dans
quels sens se diffusaient principalement les motifs (Thuillard,
Le Quellec et al., 2018). Si la variabilité des traditions mytholo‑
giques s’avérait fonction de la distance les séparant d’Afrique,
alors on pourrait supposer un déplacement d’une grande partie
des motifs étudiés en même temps que les premiers peuple‑
ments de l’Eurasie, partis d’Asie du Sud-Ouest. Il suffirait ensuite
de déterminer la forme qu’adoptait la mythologie en plusieurs
points de cette migration pour savoir où placer le point d’origine
du Plongeon cosmogonique.
Pour accomplir cette tâche, je me suis appuyé sur un ensemble
de sociétés non africaines dont la distance géographique depuis
l’Afrique était connue. Pourquoi ne pas avoir également pris
en compte les sociétés africaines ? Ce choix s’explique par une
volonté de ne pas biaiser les calculs en choisissant un point
spécifique d’émergence de l’humanité sur ce continent. Pour
que les distances utilisées représentent plus précisément des
scénarios de migration plausibles, celles-ci ont été calculées en
suivant cinq corridors clés, vraisemblablement utilisés autrefois
pour migrer d’un continent à l’autre. Or le nord-est de l’Afrique
est un point de passage obligé pour la dispersion des humains
modernes au-delà de cette aire géographique, et constitue donc
un point d’origine plus fiable que la désignation arbitraire d’un

COSMOGONIES-POCHE_CC2021_pc.indd 163 07/07/2023 11:40:42


164 Le cycle de l’eau

point quelconque du continent. Ne pas prendre en compte les


versions africaines n’empêche donc pas de détecter une expan‑
sion eurasiatique depuis l’Afrique.
L’approche a été similaire à celle adoptée pour l’organisa‑
tion spatiale des différents mythes de Polyphème (voir chapitre
2). Dans un premier temps, les distances statistiques séparant
chacune des traditions mythologiques étudiées ont été établies
pour les deux corpus. Puis a été calculée la corrélation existant
entre la distance géographique séparant les différentes sociétés
du point d’origine africain et la distance statistique séparant les
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différentes traditions mythologiques du point le plus proche
de cette origine africaine (soit la Turquie ou la Bulgarie pour
le corpus « création du monde » et seulement la Bulgarie pour
le corpus « catastrophes cosmogoniques »). Un autre test statis‑
tique a été réalisé séparément pour l’Eurasie et l’Amérique, afin
d’évaluer l’influence de la distance géographique sur la variabilité
des traditions.
La corrélation indique qu’entre 11,45 % et 65,16 % de la
variabilité mythologique des traditions est expliquée par la
distance depuis l’Afrique pour le corpus concernant la création
du monde, et entre 4,48 % et 32,1 % pour le corpus touchant
aux catastrophes cosmogoniques. Si l’effet varie, c’est avant
tout en fonction de la taille des échantillons comparés, et
surtout du nombre minimal de motifs retenus pour chaque
tradition. L’effet de la distance depuis l’Afrique est cependant
difficilement contestable. À titre de comparaison, la distance
géographique séparant les traditions explique entre 4,12 % et
28,09 % de la variabilité totale observée pour le premier corpus,
et entre 5,76 % et 50,55 % de la variabilité totale observée pour
le second, selon la taille du corpus pris en compte et le conti‑
nent étudié.
Comme pour Polyphème, l’hypothèse la plus parcimonieuse
pour rendre compte de ces résultats serait de lier la diffusion des
motifs et les premières migrations de populations. Autrement dit,
ces résultats pourraient s’expliquer par des effets fondateurs en
série : les êtres humains sortant d’Afrique auraient perdu, au fur

COSMOGONIES-POCHE_CC2021_pc.indd 164 07/07/2023 11:40:42


Comment se transmettent les traditions mythologiques 165

et à mesure de leur éloignement, certains motifs mythologiques


remplacés par d’autres1, selon un processus qui aurait eu lieu plus
ou moins en même temps que leur différenciation génétique.
Deux autres éléments viennent à l’appui de cette théorie.
Dans le cas du corpus « création du monde », il semblerait
que le nombre de motifs partagés au moins deux fois tende
à diminuer en s’éloignant de l’Afrique, la corrélation existant
entre la distance et le nombre de motifs appairés expliquant
entre 8,66 % et 9,52 % de la variabilité totale observée (d’Huy,
2018a). De même, étudiant les différentes versions du mythe du
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Corbeau en Colombie-Britannique, Franz Boas (1895) a montré
que les versions australes du récit étaient plus incohérentes et
plus fragmentaires que les versions les plus septentrionales ; il
en conclut qu’une diffusion du mythe s’était opérée du nord au
sud du continent et que la mythologie d’origine s’était progres‑
sivement « dispersée ». Le fait qu’il existe plus de motifs mytho‑
logiques couplés avec d’autres en Asie du Sud-Ouest suggère
donc une divergence substantielle de la mythologie au fur et
à mesure de son éloignement d’Afrique, modifiant peu à peu
la forme d’une mythologie primitive. Dans le cas du corpus
« catastrophes cosmogoniques », quel que soit le choix de l’enra‑
cinement de l’arbre créé à partir de la base de données (voir
plus bas), on observe une forte corrélation entre le nombre de
nœuds séparant chaque mythologie de la racine de l’arbre et la
distance les séparant d’Afrique, expliquant entre 44 % et 85 %
de la variabilité des traditions (d’Huy, 2017b). Cela signifie que
plus une tradition est éloignée d’Afrique, plus nombreux sont
les épisodes de spéciation l’ayant affectée.

1. Ce phénomène pourrait expliquer pourquoi, d’un point de vue comparatif, le


corpus sud-américain paraît « beaucoup plus pauvre que celui dont on dispose
pour l’Amérique du Nord » et qu’il semble vu « comme de loin : simplifié,
réduit par sa pauvreté même à ses contours essentiels » ; à l’inverse, le corpus
nord-américain apparaît comme bien plus « copieux, complexe et fouillé »,
les matériaux mis en œuvre y étant plus « riches » et « divers » (Lévi-Strauss,
1971a : 564). L’une des hypothèses proposées par Claude Lévi-Strauss pour
expliquer cet état de fait serait de le lier au sens de peuplement de l’Amérique.

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ROUMAINS – IE
0,9998
0,8481 BULGARES – IE
166

0,6487 ARMÉNIENS – IE
0,9804 FRANCE – IE
GRÈCE MODERNE – IE
ALLEMANDS – IE
0,9501
HONGROIS – OURAL
GRÈCE ANTIQUE – IE
0,5127
LISU, LOLO, NAXI, YI, ACHANG – SINO-TIB
RUSSES – IE
FINNOIS – OURAL
0,545 0,5171
SAMIS DE L’EST – OURAL

COSMOGONIES-POCHE_CC2021_pc.indd 166
KOMIS – OURAL
BACHKIRS – ALT
0,9804 0,6601 KIRGHIZES – ALT
0,9402 TOUVAINS – ALT
MONGOLS KHALKHAS – ALT
KHANTYS DU NORD – OURAL
0,7545
0,8057 KETES, YOUGES – IENIS
EVENES / LAMOUTES – ALT
0,7977
NENETSES DE LA TOUNDRA – OURAL
NGASSANES – OURAL
NENETSES DE LA FORÊT – OURAL
0,5195
IAKOUTES CENTRAUX – ALT
0,9919
0,5524 YOUKAGUIRS DE LA FORÊT, KOLYMA SUPÉRIEUR – YOUKAGUIR
NIVKHES – ISOLAT
HEZHENS – ALT
AINOUS – ISOLAT
TLINGIT – NA-DENE
0,9984
HAIDA – ISOLAT
0,59
SHUSWAP – SALISH
0,6584 OJIBWA DU NORD – ALG
0,9746
OJIBWA DE L’OUEST – ALG
LUSHOOTSEED – SALISH
0,5762
CHEROKEE – IROQUOIS
ESQUIMAUX DE L’OUEST DU GROENLAND – ESKALEOUTE
Le cycle de l’eau

0.04

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Comment se transmettent les traditions mythologiques 167

BULGARES  IE

mythologiques étudiées à propos de la création du monde (corpus possédant au moins quinze motifs)
Figures 4.1a et 4.1b Arbre bayésien (à gauche) et arbre de parcimonie (à droite) reconstruisant l’évolution des traditions

Les chiffres indiquent la probabilité de chaque nœud. Les abréviations concernent le rattachement linguistique de chaque
population (ALG : langue algonquienne ; ALT : langue altaïque ; IE : langue indo-européenne ; IENIS : langue ienisseïenne ;
ROUMAINS  IE
1

IROQUOIS : langue iroquoise ; OURAL : langue ouralique ; SALISH : langue salish ; SINO-TIB : langue sinotibétaine).
FRANCE  IE

ARMÉNIENS  IE
0.971

GRÈCE MODERNE  IE
0.942

GRÈCE ANTIQUE  IE

0.971
LISU, LOLO, NAXI, YI, ACHANG  SINOTIBET
0.913
0.913

HONGROIS  OURAL
0.971

ALLEMANDS  IE
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RUSSES  IE
0.8841

BACHKIRS  ALT
0.913

KIRGHIZES  ALT
0.942

TOUVAINS  ALT
0.7681

0.971

MONGOLS KHALKHAS  ALT

AINOUS  ISOLAT

ESQUIMAUX DE L'OUEST DU GROENLAND  ESKALEOUTE


0.6196
0.7391

TLINGIT  NA-DENE
0.971
0.6413

HAIDA  ISOLAT

SHUSWAP  SALISH
0.7065

OJIBWA DU NORD  ALG


0.971

OJIBWA DE L'OUEST  ALG


0.6232

NENETSES DE LA FÔRET  OURAL

KHANTYS DU NORD  OURAL


0.8841

0.971

KETES, YOUGES  IENIS


0.913

NENETSES DE LA TOUNDRA  OURAL


0.971

NGANASSANES  OURAL
0.5942

KOMIS  OURAL
0.942

FINNOIS  OURAL
0.971

SAMIS DE L'EST  OURAL


0.7391

LUSHOOTSEED  SALISH
0.971

CHEROKEE IROQUOIS
0.8261

HEZHENS  ALT
0.8841

NIVKHES  ISOLAT
0.913

EVENES / LAMOUTES  ALT


0.942

IAKOUTES CENTRAUX  ALT


0.971

YOUKAGUIRS DE LA FÔRET, KOLYMA SUPÉRIEUR  YOUKAGUIR

COSMOGONIES-POCHE_CC2021_pc.indd 167 07/07/2023 11:40:42


168 Le cycle de l’eau

De façon intéressante, ne retenir que les traditions les mieux


documentées des deux corpus étudiés, et donc celles possédant le
plus grand nombre de motifs, exclut mécaniquement les versions
les plus australes. Or cette exclusion conduit à une augmentation
de l’influence de la distance géographique depuis l’Afrique. Que
l’effet du cline géographique unissant les traditions soit plus
sensible dans le nord du continent suggère une diffusion plus
récente de ces traditions, avant que le temps n’ait eu le temps
de faire son œuvre de délitement. Cela laisse supposer l’existence
d’une diffusion plus spécifiquement nordique de certains motifs,
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en lien avec la création du monde et les catastrophes cosmo‑
goniques, depuis l’Asie du Sud-Ouest. Ceux-ci auraient ensuite
été emportés via le nord de l’Asie jusqu’en Amérique du Nord.
Une telle route de diffusion permettrait de rendre compte
avec élégance de la distribution centrée sur l’hémisphère nord
de certains mythes, comme le Plongeon cosmogonique ou le
mythe de Polyphème, qui auraient pu être apportés en Amérique
du Nord par une migration humaine ultérieure au premier
peuplement du Nouveau Monde, et dont les traces génétiques
demeurent parmi les populations actuelles (voir le final du livre).
Mais les traditions mythologiques étudiées s’enracinent-elles
réellement en Asie du Sud-Ouest ? Il est clair que les calculs
précédents n’auraient de valeur qu’à cette condition. Aussi, afin
de contrôler la validité du point d’origine choisi et d’évaluer la
pertinence d’un modèle arborescent pour rendre compte des
traditions, des arbres ont-ils été créés à partir des corpus où les
traditions possédaient le plus grand nombre de motifs.

Un arbre de traditions ?
Comment tester l’hypothèse selon laquelle les tradi‑
tions mythologiques peuvent présenter une forme arborescente ?
Face à cette question, les anthropologues Sara Graça Da Silva
et Jamshid J. Tehrani (2016) ont trouvé une solution apparem‑
ment ingénieuse : prendre un arbre incontesté des relations
généalogiques entre les langues indo-européennes et utiliser

COSMOGONIES-POCHE_CC2021_pc.indd 168 07/07/2023 11:40:42


Comment se transmettent les traditions mythologiques 169

cette structure « vierge » pour analyser l’évolution de certains


contes-types selon qu’ils étaient connus – ou non – à l’inté‑
rieur de chaque aire sociolinguistique. Ce faisant, ils reprenaient
l’idée dumézilienne d’une coévolution arborescente des langues
et de certains récits oraux. Malheureusement, cette méthode n’a
conduit Da Silva et Tehrani qu’à construire des approximations
à partir d’approximations, colorées de scientificité.
On peut en effet adresser plusieurs critiques à cette étude.
Premièrement, les auteurs utilisent un arbre des langues indo-
européennes très hypothétique, incohérent par certains côtés,
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mélangeant par exemple des langues slaves de l’ouest, comme
le polonais, et des langues slaves de l’est, comme l’ukrainien ou
le russe, ou encore situant mal l’anglais – or la solidité de l’arbre
est fondamentale pour l’analyse. Deuxièmement, les versions des
contes étudiées ne sont pas uniquement indo-européennes, et
leurs aires de répartition ne se superposent pas de manière harmo‑
nieuse, laissant supposer une évolution indépendante des langues.
Troisièmement, les contes étudiés le sont à travers leur type alors
que le catalogue d’Aarne-Uther-Thompson, utilisé pour établir la
présence ou l’absence de ces types dans une tradition donnée (voir
chapitre 1), est notoirement insuffisant pour un tel usage (Berezkin,
2015 ; d’Huy, Le Quellec et al., 2017). Quatrièmement, un seul
enracinement de l’arbre est testé. Or un changement d’enracine‑
ment peut changer l’ensemble des conclusions de l’article.
Par ailleurs, l’applicabilité d’une telle méthode d’« implémen‑
tation » de récits oraux dans un arbre linguistique est également
limitée par la profondeur temporelle des arbres disponibles :
l’histoire des familles linguistiques ne peut restituer qu’un temps
limité au regard de l’ancienneté des premières sorties d’Afrique.
Suivant une tout autre méthode, j’ai choisi de créer les arbres
à partir des motifs eux-mêmes, avant d’en évaluer la stabilité
grâce à des outils statistiques adéquats et de comparer les résultats
obtenus avec ceux provenant d’autres approches indépendantes.
C’est ainsi qu’ont été construits plusieurs arbres bayésiens pour le
corpus « Création du monde » et divers arbres basés sur le principe
de parcimonie pour le corpus « Catastrophes cosmogoniques ».

COSMOGONIES-POCHE_CC2021_pc.indd 169 07/07/2023 11:40:42


170 Le cycle de l’eau

Figures 4.2a et 4.2b Arbre bayésien (à gauche) et arbre de parcimonie (à droite)


reconstruisant l’évolution des traditions mythologiques
étudiées à propos de la création du monde (corpus
possédant au moins vingt motifs)

GRÈCE ANTIQUE – IE
0,9736 FRANCE – IE
0,9981 ARMÉNIENS – IE
0,8869
BULGARES – IE
0,9997
ROUMAINS – IE
IAKOUTES CENTRAUX – ALT
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0,5871
RUSSES – IE
0,8809
FINNOIS – OURAL

KHANTYS DU NORD – OURAL


0,7445
0,8583 KETES, YOUGES – IENIS

EVENES / LAMOUTES – ALT


0,8535
NENETSES DE LA TOUNDRA – OURAL
0,5894
NGANASSANES – OURAL

0,9736 MONGOLS KHALKHA – ALT


0,9728
TOUVAINS – ALT

HEZHENS – ALT

SHUSWAP – SALISH
0,9998
OJIBWA DE L’OUEST – ALG
LUSHOOTSEED – SALISH

0.04

Les chiffres indiquent la probabilité de chaque nœud.

Un enracinement médian a été réalisé pour l’ensemble des


arbres obtenus. Cette méthode place la racine à mi-chemin
entre les deux traditions les plus éloignées d’un point de vue
phylogénétique. Elle permet d’éviter un enracinement arbitraire,
mais postule une évolution constante dans le temps des diffé‑
rents taxa. L’analyse montre que la racine la plus probable des
arbres se situe toujours au niveau des traditions les plus proches
d’Afrique, justifiant a posteriori le choix de calculer la corrélation
entre la distance statistique entre versions et la distance géogra‑
phique les séparant de l’Afrique.
Puis je me suis basé sur les corpus où le plus grand nombre
de motifs avait été retenu pour calculer les arbres les plus

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Comment se transmettent les traditions mythologiques 171

BULGARES – IE

1 ROUMAINS – IE

ARMÉNIENS – IE

FRANCE – IE
0.9429

GRÈCE ANTIQUE – IE
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0.8857 LUSHOOTSEED – SALISH

0.8857
SHUSWAP – SALISH
0.9429
0.8286
OJIBWA DE L’OUEST – ALG

HEZHENS – ALT

0.725
IAKOUTES CENTRAUX – ALT

0.775
0.7714
RUSSES – IE
0.9429

FINNOIS – OURAL

TOUVAINS – ALT
0.9429

MONGOLS KHALKHA – ALT

0.6571 NENETSES DE LA TOUNDRA – OURAL


0.5898

NGANASSANES – OURAL

0.7714
EVENES / LAMOUTES – ALT

0.8857
KHANTYS DU NORD – OURAL
0.9429

KETES, YOUGES – IENIS

COSMOGONIES-POCHE_CC2021_pc.indd 171 07/07/2023 11:40:43


172 Le cycle de l’eau

Arbre de parcimonie reconstruisant l’évolution des traditions


Figure 4.3 
mythologiques étudiées à propos des catastrophes cosmiques

MUNDASHOS ASURS BIRHORS


EVENKS D’EXTRÊME ORIENT
NENETSES DE LA TOUNDRA

OJIBWA DE L’OUEST
KHANTYS DE L’EST

CHEROKEE
ROUMAINS
BULGARES

IAKOUTES

TLINGIT
FINNOIS

EVENES
RUSSES
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0.913 0.913 0.913 0.913

0.7391

0.6522

0.5652

0.7391

0.8261

­ arcimonieux qu’il était possible de créer, avant de subsumer


p
l’ensemble sous la forme d’un unique arbre où seules les branches
apparaissant dans au moins 50 % des arbres p ­ récédemment
obtenus étaient conservées. Les graphes ont ensuite été enracinés
en gardant les divers enracinements médians obtenus grâce aux
arbres précédemment réalisés.
La solidité des arbres a ensuite été testée en calculant leur
indice de rétention. Celui-ci est de 0,406 (figure 4.1b) et de
0,434 (figure 4.2b) pour les arbres construits grâce au corpus B
et de 0,52 pour l’arbre obtenu grâce au corpus C (figure 4.3).
Ces scores sont supérieurs aux indices de rétention de beaucoup
d’arbres phylogénétiques qui peuvent être obtenus à partir de
données biologiques, structurées par l’évolution (Collard et al.,
2006) ; ils n’en indiquent pas moins un signal phylogéné‑
tique faible, atténué par de nombreux emprunts ou inventions
indépendantes.
Aussi, afin de vérifier si les traditions mythologiques étudiées dans
les deux corpus avaient suivi des routes de diffusion semblables,

COSMOGONIES-POCHE_CC2021_pc.indd 172 07/07/2023 11:40:43


Comment se transmettent les traditions mythologiques 173

Figure 4.4 Arbres de consensus majoritaire

BULGARES – IE

ROUMAINS – IE
1
1
RUSSES – IE

FINNOIS – OURAL
0.9048
0.9048

IAKOUTES CENTRAUX – ALT


IAKOUTES
0.9048
0.9048
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0.8095
0.8095
IAKOUTES DU NORD-EST – ALT
0.6711
0.6711
0.8202
0.8202
EVENES / LAMOUTES – ALT
0.7148
0.7148
0.9048
0.9048
NETSES DE LA TOUNDRA – OURAL

0.5182
0.5182 TLINGIT – NA-DENE
0.5429
0.5429 0.5288
0.5288

OJIBWA DE L’OUEST – ALG

CHEROKEE – IROQUOIS 0 .7148


.7148

WINTU – WINTU

À gauche, arbre de consensus majoritaire obtenu à partir du corpus


portant sur les catastrophes cosmiques (la faiblesse de l’indice de
rétention – 0,29 – s’explique par le faible nombre de motifs retenus,
qui amplifie l’effet du moindre emprunt entre traditions) ; à droite,
arbre de consensus majoritaire obtenu à partir du corpus portant sur
la création du monde (indice de rétention : 0,49).

les corpus ont été réduits à leurs traditions communes. Les arbres
les plus parcimonieux ont été recherchés et un arbre de consensus
majoritaire a été établi pour chacun des ensembles étudiés. Les deux
arbres ont ensuite été placés en vis-à-vis afin de rendre possible
leur comparaison. Ils montrent de nombreuses ressemblances
(figure 4.4), corroborant l’un l’autre la solidité de leur structure.
Les motifs mythologiques coexistant dans la mémoire de
chaque tradition sont divers, ne serait-ce que par leur âge et
par leur origine. Il semble cependant que les traditions mytho­

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174 Le cycle de l’eau

logiques puissent s’organiser sous forme d’arbres, ce qui implique


l’existence d’un ensemble de mythèmes se diffusant et évoluant
ensemble.

Reconstruction de protomotifs mythologiques


Enfin, deux méthodes différentes1 ont été employées
pour reconstruire les protomotifs probablement présents à l’ori‑
gine de cette vague de diffusion mythologique. Seules les proba‑
bilités supérieures à 75 % ont été retenues. Les résultats sont
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résumés dans les tableaux 4.1 et 4.2. Cependant, des décimales
ne rendant pas les résultats plus exacts, il est nécessaire de
confronter ceux-ci aux acquis d’autres méthodes.

Autour du Plongeon cosmogonique

Les motifs reconstruits


Les motifs B3a (« L’eau est l’élément d’origine, la terre
ferme apparaît plus tard »), B3b (« La terre d’origine était autrefois
petite, puis a gagné en surface, ou le sol fertile s’est développé à
partir d’une petite quantité de substance originelle »), C6 (« Une
personne ou un animal plonge au fond de l’eau pour en ramener
quelque chose »), C6c (« Un oiseau ramène quelque chose du
fond de l’eau ») et C6d (« Une personne ou une créature plonge
au fond de l’eau ou dans l’inframonde pour en ramener une
substance solide qui deviendra la terre ») relèvent des récits
dits du Plongeon cosmogonique. Leur reconstruction corrobore
l’hypothèse selon laquelle le mythe aurait déjà existé avant même
que les hommes se lancent à la conquête du nord de l’Eurasie.
Il est possible de comparer les résultats obtenus avec ceux
de Vladimir V. Napolskikh (1991, 2012). Pour ce chercheur,
le mythe du Plongeon cosmogonique existait a minima au
Paléolithique supérieur dans le nord de l’Asie. Dans sa proto

1. Modèle Mk1 et Asymmetrical 2-parameters.

COSMOGONIES-POCHE_CC2021_pc.indd 174 07/07/2023 11:40:43


Comment se transmettent les traditions mythologiques 175

Reconstruction des différents motifs du corpus « Création


Tableau 4.1. 
du monde »

1. 2.
Quinze motifs Vingt motifs
minimum minimum

B2a La terre est un être féminin ou est associée 95|93,43 98,73|94,52


à une femme.

B3a L’eau est l’élément d’origine, la terre ferme 84,95|83,85 82,22|77,9


apparaît plus tard.
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B3b La terre d’origine était autrefois petite, puis 83,16|80,22 50|63,15
a gagné en surface, où le sol fertile s’est
développé à partir d’une petite quantité de
substance originelle.

B46c Chaque étoile principale de la Grande Ourse 99,72|99,66 95,13|94,41


est interprétée comme une personne ou un
animal particulier.

B50 Un insecte se nourrit de sang/chair humain(e). 98,24|97,59 95,12|94,85


Une personne dangereuse lui demande où il
a pu sucer du sang ou de quel être vivant le
sang/la chair est le plus délicieux/se. L’insecte
ment ou ne peut pas répondre (sa langue
est coupée). Grâce à cela, la personne dange‑
reuse attaque certaines plantes ou certains
animaux et non les humains.

B77 À l’origine, le ciel était près de la terre, puis 92,05|85,17 87,86|78,19


il en a été écarté.

B82 Le corbeau ou un autre oiseau mangeur 97,26|98,14 92,24|91,16


de charogne de couleur foncée et de taille
similaire était à l’origine blanc.

B87 Alcor est une étoile identifiée. 88,76|82,95 50|52,63

1 : corpus conservant les traditions avec au moins quinze motifs ; 2 : corpus conservant les
traditions avec au moins vingt motifs. Premier chiffre : méthode MK1 ; deuxième chiffre :
modèle Asymmetrical 2-parameters.

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176 Le cycle de l’eau

Tableau 4.2. Reconstruction des différents motifs du corpus « Catastrophes


cosmiques »

1 2 3 4
C2 Le monde est d’abord détruit par un 0,67|0,70 ;
incendie ou une tempête, puis par une 0,66|0,71
inondation ou le monde est détruit par
un déluge d’eau bouillante.
C3 Durant le déluge, un trou est ouvert 0,99
dans l’arche. Un animal le bouche grâce
à son corps.
C5a Durant ou peu de temps après le 0,79
déluge, des oiseaux, ou des humains
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qui se métamorphoseront plus tard en
oiseaux, sont envoyés explorer la terre, à
la recherche d’un lieu émergé, de survi‑
vants ou encore d’un peu de terre sèche
pour reconstruire le monde.
C6 Une personne ou un animal plonge au 1 1 1 1
fond de l’eau pour en ramener quelque
chose.
C6a La tortue, la grenouille, le crapaud ou 0,81|0,95
le tatou amène l’objet désiré du fond
d’un plan d’eau ou du monde inférieur.
C6c Un oiseau ramène quelque chose du 0,98 0,88 0,97|0,98 0,840|0,88
fond de l’eau.
C6d Une personne ou une créature plonge 1 1 1 1
au fond de l’eau ou dans l’inframonde
pour en ramener une substance solide
qui deviendra la terre.
C19 Les premiers ancêtres ont acquis avec 0,82 0,75 0,76|0,83 0,62|0,97
difficulté le soleil, alors caché ou encore
volé.
C32 Le fait de couper les ongles ou les 0,86 0,86 0,88|0,86
cheveux a une signification spéciale
quant au destin de l’âme ou le futur
du monde entier.

1 : enracinement médian ; 2 : enracinement sur l’exogroupe Bulgares et Roumains ;


3 : enracinement sur l’exogroupe Khantys de l’Est et Nénètses de la toundra ;
4 : protomythologie amérindienne : pour être retenu, un motif doit avoir été reconstruit
avec une probabilité supérieure à 60 % au nœud Evenks (premier chiffre) et au nœud
unissant l’ensemble des versions amérindiennes (deuxième chiffre). La reconstruction du
motif C2 en Amérique est donnée pour information : si de nombreuses versions existent
en Amérique du Nord, les traditions les possédant n’ont pas été retenues dans notre base
de données faute de posséder un nombre de motifs suffisant. Les chiffres obtenus grâce
aux méthodes Asymmetrical 2-parameters et Mk1, lorsqu’ils sont différents, sont donnés
successivement.

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Comment se transmettent les traditions mythologiques 177

forme la plus ancienne, que l’on retrouverait largement illus‑


trée en Amérique du Nord, la nature des plongeurs (oiseaux,
mammifères, tortues, etc.) aurait moins importé que l’idée du
succès du dernier d’entre eux, dont la puissance n’était pas
d’ordre physique, mais surnaturelle. Une nouvelle variante du
mythe, que Jean-Loïc Le Quellec et Bernard Sergent (2017 : 1052)
identifient également comme une protoforme en comparant
les mythes de l’Ancien et du Nouveau Monde, aurait ensuite
émergé en Eurasie.
Selon cette variante, les plongeurs étaient des oiseaux, et l’idée
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principale concernant le succès du dernier et du plus faible des
plongeurs aurait été rendue manifeste par la rivalité entre le
Plongeon huard, qui plongea le premier mais sans succès, et une
espèce d’anatidés (ou de grèbes)1 qui ramena la terre à la surface.
Selon Napolskikh, cette variante serait apparue dans la culture
des locuteurs proto-ouraliens vivant dans les forêts de la taïga
de la Sibérie occidentale et de l’Oural jusqu’à 6000‑4000 avant
notre ère. Elle se serait ensuite répandue en même temps que
la population ouralienne ainsi qu’avec des groupes toungouses-
mandchous et turcs en Europe orientale et en Sibérie. En Europe
de l’Est, l’oiseau aurait ensuite été transformé en plongeur anthro‑
pomorphe ou théomorphe : un oiseau plonge suivant l’ordre d’un
dieu, ou le diable, ou le dieu lui-même, plonge, se transformant
en oiseau, ou le diable plonge sans se transformer en oiseau mais
il rapporte la terre dans sa bouche, ou encore le ou les démons
plonge(nt) et remonte(nt) la terre dans leurs mains.
La reconstruction de la protoforme, paléolithique, de
Napolskikh d’une part, de Le Quellec et Sergent d’autre part,
souffre cependant d’un biais, car rien ne garantit que le récit
soit passé sous sa forme première en Amérique. Cette hypothèse
implique par ailleurs de placer le centre de gravité de la recons‑
truction du protomythe dans le nord de l’Eurasie, où se situent

1. Tous oiseaux aquatiques appartenant à des familles différentes dont la tech‑


nique de pêche consiste à s’enfoncer dans l’eau pour capturer leurs proies, le
Plongeon huard étant de plus grande taille comparativement aux autres.

COSMOGONIES-POCHE_CC2021_pc.indd 177 07/07/2023 11:40:44


178 Le cycle de l’eau

très logiquement les formes les plus proches des versions amérin‑
diennes, ce qui conduit à fortement accentuer l’idée de variété et
de succession des plongeurs. Or l’analyse statistique, qui repose
sur le principe d’un cline depuis l’Asie du Sud-Ouest, ne permet
pas de reconstruire la succession des plongeurs.
Ce manque peut s’expliquer par un biais d’échantillonnage,
ou encore être la conséquence d’une superposition de plusieurs
strates historiques du mythe, la version « divine » se substituant
à la version primitive, mais il est plus probable que cela soit
une conséquence directe des choix d’enracinement du mythe
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présidant à chacune des approches. Napolskikh remarque d’ail‑
leurs que, à chaque étape de son développement, il y aurait eu
aussi une version simplifiée du mythe avec un seul plongeur,
ce qui de fait aurait dû l’empêcher de rejeter la présence d’un
unique plongeur parmi les traits prototypiques. En outre, si
la reconstruction statistique n’est pas incompatible avec une
grande variété de plongeurs (C6 : « Une personne ou un animal
plonge au fond de l’eau pour en ramener quelque chose » et
C6d : « Une personne ou une créature plonge au fond de l’eau
ou dans l’inframonde pour en ramener une substance solide qui
deviendra la terre »), l’identification du motif C6c (« Un oiseau
ramène quelque chose du fond de l’eau ») semble indiquer la
présence d’un ornithomorphe dès la première version du mythe.
Une autre origine possible du mythe du Plongeon a été
soutenue par Jean-Loïc Le Quellec. Constatant que les versions
dans lesquelles c’est un arthropode qui réussit à remonter de la
terre du fond des eaux primordiales se trouvent majoritairement
diffusées dans le nord-est et le centre de l’Inde ainsi qu’en Asie
du Sud-Est d’une part, dans le sud-est de l’Amérique du Nord
d’autre part, Le Quellec conclut que « la situation “périphérique”
des attestations correspondait à une strate ancienne, recouverte
dans les zones centrales par d’autres traditions » (2021 : 147).
Il fait alors d’un arthropode le probable plongeur originel, avec
une possible émergence du mythe parmi les populations de
langue austro-asiatique. Cependant, cette thèse reste fragile.
Elle ne permet pas d’exclure l’apparition indépendante de deux

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Comment se transmettent les traditions mythologiques 179

écotypes, l’un en Asie, l’autre en Amérique du Nord, une appari‑


tion plus tardive de ceux-ci expliquant leur moindre distribution.
Elle ne rend pas non plus compte du cline depuis l’Asie du
Sud-Ouest mis précédemment en évidence.
Quant à l’existence d’un océan primordial (B3a : « L’eau est
l’élément d’origine, la terre ferme apparaît plus tard »), la recons‑
truction rejoint également celles d’autres chercheurs utilisant des
méthodes et des corpus différents (Witzel, 2012 ; Le Quellec et
Sergent, 2017 : 1051). Il est remarquable que ce motif ait été
conservé parmi les plus anciennes traditions écrites du Bassin
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méditerranéen. Ainsi, une tradition faisant naître le Dieu créateur
du vaste océan du Noun (Nwn) est connue en Égypte depuis au
moins la Ve dynastie, soit le début du xxve siècle avant notre
ère. On retrouve l’idée d’un océan primordial au début de la
Genèse, de nombreuses autres correspondances pouvant s’établir
entre le récit biblique et les différentes versions du mythe de
création égyptien (Johnston 2008 : 180‑182). Ces convergences
suggèrent l’existence d’un ancien arrière-plan culturel sémitique,
ce que corrobore la mythologie babylonienne. Selon le Enūma
Eliš, remontant sans doute au xve siècle avant notre ère, voire
antérieurement (Heidel, 1951 : 13), il n’existait aux origines du
monde que deux entités : Apsū, personnifiant les eaux souter‑
raines, et son pendant féminin, Tiāmat, personnifiant les eaux
salées, lesquels engendrèrent les grands dieux mésopotamiens
par l’union de leurs eaux. Si les traces écrites ne permettent pas
de remonter plus loin dans le temps, elles montrent l’existence
ancienne du motif B3A en Asie du Sud-Ouest.

Un autre avatar du Plongeon ?


Remarquons au passage que les mythes de Plongeon
cosmogonique transforment à la fois les récits d’Émergence, sans
doute connus lors de la sortie d’Afrique, et un type de récits
identifiés au Paléolithique supérieur lors du premier peuplement
des Amériques, qui peuvent se résumer ainsi : « Durant le déluge,
des fruits ou d’autres objets sont jetés dans l’eau un par un,
ordinairement par un homme perché sur un arbre, et à leur

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180 Le cycle de l’eau

chute font reculer l’eau et apparaître la terre ferme » (d’Huy,


2017c). La distribution aréale de ce motif, concentrée en Asie
du Sud-Est et en Amérique du Sud, et la proximité des versions
rendent peu probable l’hypothèse d’inventions indépendantes.
Donnons-en quelques exemples, pour illustrer notre propos.
En Nouvelle-Guinée, les Arapeshs des montagnes racontent
qu’en voulant cueillir une feuille de bananier, une mère se coupa
le doigt, l’essuya dans une feuille de tarot qu’elle partit enterrer
dans un tas de détritus situé au fond du jardin. Au bout de
quelques jours, elle put y entendre mugir la mer. Elle disposait
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désormais de sel, mais comme elle n’en avait pas assez, elle ne
le partageait pas avec ses enfants et se le réservait. Un jour, elle
donna par erreur quelques légumes salés au plus jeune de ses fils,
qui découvrit ainsi le pot aux roses. Les enfants espionnèrent
leur génitrice et découvrirent que la mer se cachait sous le tas
de détritus ; ils le détruisirent et l’eau jaillit. La mère mit son
assiette sur sa tête et se transforma en tortue. Le frère aîné et
le frère cadet se réfugièrent chacun dans un arbre. Ils cassèrent
des branches, les enchantèrent et les jetèrent dans l’eau. L’eau
se retira. S’ils ne l’avaient pas fait, l’eau aurait tout englouti
(Mead, 1940 : 366‑367).
Selon un autre récit, les membres d’une famille drainèrent
un point d’eau et capturèrent une anguille qui appartenait à un
esprit de la pluie. L’anguille avertit la femme qui la gardait de ne
pas la manger quand les autres le feraient, car elle reviendrait la
nuit suivante avec une calamité pour les mangeurs. Le poisson
fut mis à bouillir et, malgré les avertissements de la sœur, fut
mangé. La nuit, alors que les habitants dansaient, un peu d’eau
monta du sol. Ils ne s’en inquiétèrent pas, l’attribuant à une
miction des nourrissons, mais ce n’était pas le cas. La femme,
avertie du désastre à venir, partit se réfugier sur un cocotier.
Alors l’inondation déferla, noyant les danseurs avec leurs chiens
et leurs cochons. La femme resta en haut de l’arbre, lançant de
temps à autre une noix de coco pour tester la profondeur de
l’eau. Enfin, l’eau se retira, et la femme put enterrer les morts
(ibid. : 387).

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Comment se transmettent les traditions mythologiques 181

Dans les Petites Îles de la Sonde, un archipel situé entre


l’Indonésie et l’Australie, on raconte qu’au début des temps,
les membres du clan Badzu Wuan vivaient sur la montagne de
Koko Seburi, où l’un d’eux donna naissance à des jumeaux, une
fille et un garçon. Un jour, il y eut une grande inondation. Un
cocotier grandit soudain, sur lequel sautèrent les deux enfants.
Chaque jour, les enfants prenaient une noix de coco et la jetaient
pour qu’elle pénètre dans le sol, et ce pendant huit jours. Enfin,
ils jetèrent une dernière noix de coco ; celle-ci éclata en deux
morceaux, et à cela ils virent que la terre était enfin sèche.
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Alors ils descendirent et allèrent se promener. Pendant qu’ils
erraient, ils ne virent pas un seul homme. Aussi partirent-ils
en voyage. Chemin faisant, ils virent deux sauterelles et deux
serpents s’accoupler. Voyant cela, ils se marièrent. Plus tard, ils
eurent quatre enfants, dont un fils et une fille qui se marièrent
l’un avec l’autre. Puis ils eurent de nouveau des enfants, qui se
séparèrent en deux peuples, les Demons et les Padzis (Arndt,
1938 : 4‑5).
En Guyane, les Macushi expliquent comment, coupant un
arbre sacré, deux frères provoquèrent un déluge. L’eau s’écoula
et couvrit le monde entier. L’eau devenant de plus en plus
profonde, les deux frères, pour se sauver, escaladèrent deux
palmiers Aguaje. Au fur et à mesure que le niveau de l’eau
augmentait, les palmiers devenaient de plus en plus hauts,
dressant toujours leur tête juste au-dessus de l’inondation. Les
deux frères mangèrent le fruit des palmiers et jetèrent les graines
à travers les feuilles ; celles-ci tombèrent dans l’eau, fondant ainsi
la terre. L’eau reflua et se retira dans les lacs, puis les arbres rétré‑
cirent jusqu’à leur hauteur actuelle. L’inondation avait couvert
les montagnes et avait duré vingt jours, durant lesquels le soleil
avait cessé de briller (Farabee, 1924 : 82)
Selon les Yecuana, groupe autochtone vivant aux confins du
Brésil et du Vénézuela, deux frères inondèrent la terre pour
venger la mort de leur mère. Deux jeunes hommes, les ancêtres
des Indiens Maku et Piaroa, fuirent sur deux palmiers de Maurice
attachés ensemble ; ils mangèrent les fruits, jetèrent les graines

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182 Le cycle de l’eau

dans l’eau, et cette dernière se retira ; les deux palmiers se trans‑


formèrent en collines (Civrieux, 1980 : 80‑81).
Les mythes d’Émergence, du Plongeon cosmogonique et des
Objets jetés peuvent s’organiser sous la forme d’un tableau de
transformation :

Émergence Plongeon cosmogonique Objets jetés

Mouvement vertical Mouvement vertical Mouvement vertical

de bas en haut généralement montant et de haut en bas


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descendant

La vie trouve son origine La vie trouve son origine La vie trouve son origine
sous terre dans le ciel dans le ciel

Monde vide en attente de Monde vide en attente de Monde vide en attente de


peuplement peuplement peuplement

La partie émergée doit La partie émergée doit La partie émergée doit


céder tenir tenir

Rupture d’une occlusion Rupture d’une occlusion Rupture d’une occlusion


due à une membrane due à une membrane due à une membrane
solide liquide liquide

Émergence et multiplica‑ Émergence et agrandisse‑ Émergence et agrandisse‑


tion des êtres vivants ment de la terre ferme ment de la terre ferme

Comment comprendre, si on en accepte le principe, ce groupe


de transformation ? Il est possible que, lors de la sortie d’Afrique,
les mythes d’Émergence aient inspiré un nouveau récit, qui
aurait existé en Asie du Sud-Ouest avant de disparaître. Celui-ci
aurait donné naissance à deux types de mythes : le Plongeon
cosmogonique et les Objets jetés, qui se seraient diffusés pour
l’un par le nord, pour l’autre par le sud du continent. Si tel
est bien le cas, ce groupe de transformation viendrait à l’appui
des résultats obtenus grâce aux statistiques. Il corroborerait une
origine du Plongeon cosmogonique en Asie du Sud-Ouest et
confirmerait une diffusion de ce dernier en même temps que
les premiers peuplements du nord de l’Eurasie, en lieu et place
des mythes d’Émergence. Cette hypothèse expliquerait la grande

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Comment se transmettent les traditions mythologiques 183

rareté des récits d’Émergence dans la moitié nord de l’Eurasie où


il se serait essentiellement diffusé sous des formes transformées.

Des traces archéologiques ?


La reconstruction de motifs liés au Plongeon cosmo‑
gonique à une période si ancienne permet d’éclairer certains
vestiges archéologiques. Significativement, les figurines d’oiseaux
font partie des éléments fondamentaux constitutifs de l’art paléo‑
lithique sibérien (Martynov, 1991 : 12). Sur le site de Mal’ta, au
nord-ouest du lac Baïkal, ce sont essentiellement des oiseaux
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aquatiques, en vol et en position de repos, imitant des oiseaux
flottant sur l’eau (Jelínek, 1975 : 360, 429 ; Abramova, 1995 :
258‑261 ; Medvedev, 1998 : 135). L’importance numérique
de ces images s’expliquerait par l’existence du mythe fonda‑
teur du Plongeon cosmogonique non loin du lac Baïkal dès le
Paléolithique supérieur, même s’il est difficile de le démontrer.
Remarquons également une petite sculpture en ivoire de
mammouth, remontant à l’Aurignacien, il y a plus de 30 000 ans,
et découverte dans la grotte de Hohle Fels, dans le Jura souabe,
représentant un oiseau dont la morphologie évoque fortement
un oiseau aquatique, cormoran ou canard, en vol ou en plongée
(Conard, 2003). Les oiseaux restent cependant peu représentés
dans l’art paléolithique européen. Cette faible représentation
pourrait s’expliquer par une écotypification du mythe du
Plongeon cosmogonique en Eurasie de l’Ouest, faisant intervenir
un mammouth et un serpent, que l’on retrouverait notamment
imagé dans la grotte de Rouffignac (voir chapitre 3).

Autres récits reconstruits


Selon le motif B2a, « la terre est un être féminin ou est
associée à une femme ». Ce trait distinctif semble très répandu
en Europe et ailleurs dans le monde.
Prenons l’exemple de l’Europe. Aujourd’hui, le genre du mot
« Terre » est féminin en espagnol, en portugais, en galicien, en
catalan, en italien et en français, toutes langues romanes. Dans
le comté de Kerry, en Irlande, deux collines, le plus souvent

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184 Le cycle de l’eau

dénommées Dá Chích Anann, sont censées représenter la poitrine


de la déesse Terre (Muller, 2011 : 236). En Grèce aussi, la Terre
est femme. Dans la tradition orphique, on raconte que, une nuit,
un oiseau noir pondit un œuf ; le sommet de l’œuf devint le
père céleste, Uranus, le fond adoptant la forme de la Terre-Mère :
Gaïa ; tous deux donnèrent ensuite naissance aux autres dieux
(Makemson, 1941 : 52). Chez les Estoniens et les Finlandais, la
Terre est la femme du dieu du Tonnerre (Castrén, 1853 : 89).
Chez les Samis, la Terre est la fille de Madder-Akka (ibid. : 88‑89).
La Terre est également femme chez les Livoniens (Loorits, 2000 :
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82‑86), et les exemples peuvent ainsi être multipliés.
En remontant dans le temps, le couple Terre féminine/Ciel
masculin paraît avoir déjà existé dans la culture proto-indo-
européenne (West, 2007 : 181‑184), ce qui expliquerait cette
fréquente association de la Terre et de la féminité en Eurasie
de l’Ouest. Significativement, dans l’un des plus anciens textes
de langue indo-européenne, le Rig-Veda, le Père-Ciel, appelé
Dyaus, est l’époux de la Mère-Terre, nommée Prithvi, et la pluie
constitue la semence d’où naissent tous les êtres vivants. Or
on retrouve également l’existence de la Terre féminine parmi
certaines des plus anciennes traces écrites en Asie du Sud-Ouest
d’où, selon les inférences présentées plus haut, cette croyance
se serait diffusée dans le reste de l’Eurasie. L’Épopée d’Erra, récit
mythologique mésopotamien mis par écrit durant la première
moitié du Ier millénaire avant notre ère, raconte ainsi que
« lorsque Anu, Roi des dieux, eut fécondé la Terre, elle lui mit au
monde sept dieux, qu’il appela Les Sept » (Bottéro, 1978 : 114).
Un texte sumérien, La Dispute entre l’été et l’hiver, décrit quant à
lui la création des saisons comme le résultat de la copulation de
la déesse Ninḫursaĝ (la Terre) et d’Enlil (Steinkeller, 2019 : 989).
Il est possible de remonter encore plus loin dans la préhis‑
toire du motif. Korotayev et Khaltourina (2011) ont montré
que le motif selon lequel le monde était le fruit de l’union
d’un Père-Ciel et d’une Terre-Mère appartenait à un ensemble
de motifs mythologiques concentrés dans l’hémisphère nord, et
dont la diffusion, paléolithique, était corrélée à celle de l’haplo‑

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Comment se transmettent les traditions mythologiques 185

groupe mitochondrial C. Au même ensemble appartiennent


notamment des motifs liés à Polyphème (chapitre 2) et au
Corbeau blanc (voir plus loin). Par ailleurs, lorsque les traces
écrites se taisent, les indices archéologiques prennent le relais.
En accord avec notre reconstruction statistique, c’est dès
­l’Aurignacien, soit à l’arrivée de l’homme moderne en Europe
et bien avant les premiers « Indo-Européens », que « les vulves
dominent dans l’art des parois et des blocs, les phallus dans
l’art mobilier » (Delluc, 2006 : 300). La grotte elle-même, au
cœur de laquelle les artistes du Paléolithique déployaient leur
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imaginaire, aurait pu symboliser les entrailles de la Terre-Mère ou
d’une déesse-mère (Leroi-Gourhan, 1964 ; Christ, 1987 : 5281 ;
Gimbutas, 1989 ; Lorblanchet et al., 2010 ; Testart, 2016). Dans le
même sens, le fait que certaines fentes rocheuses à l’intérieur des
cavités aient été rougies à l’ocre s’expliquerait par une « symbo‑
lique sexuelle possible » (Duhard, Delluc et Delluc, 2014 : 132).
Quant aux signes abstraits présents dans les grottes, à la suite
d’André Leroi-Gourhan (1966) pour qui les claviformes pourraient
représenter des corps de femme stylisés, l’anthropologue Alain
Testart (2016) a tenté de montrer qu’une grande partie d’entre
eux constituaient une synecdoque du corps de la femme.
Il ne faut cependant pas voir dans la permanence du motif de
la Terre-Femme, du Paléolithique jusqu’à nos jours, la manifes‑
tation d’un archétype au sens jungien, quand bien même des
bibliothèques entières ont pu être écrites sur la « Terre-Mère » et
que l’idée ait essaimé en de nombreux domaines comme dans
l’interprétation des mythes et des contes populaires, l’archi‑
tecture, l’anthropologie, l’ethnologie, l’histoire de l’art, l’étude
des religions et plus encore. Contrairement à la définition que
donne Carl Gustav Jung d’un archétype, le motif de la Terre-
Mère n’est pas universel. On ne le trouve par exemple ni en
Afrique australe ni en Australie. Il lui arrive aussi de s’inverser
ponctuellement en Terre masculine, notamment en Afrique, en
Asie du Sud-Est et en Océanie (Le Quellec, 2013a : 237‑252 ;
2022 : 22‑23). Or le moins qu’on puisse attendre d’une manifes‑
tation directe de la psyché humaine est qu’elle se retrouve

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186 Le cycle de l’eau

partout et à toute époque. L’existence du motif d’une Terre


féminine au Paléolithique supérieur ne peut donc être qu’his‑
torique, non psychologique.
Les images des sites de Pech-Merle et de Roucadour, dans la
vallée du Lot, ainsi que de Cussac, en Dordogne, esquissent un
autre lien. Ces trois grottes ornées remontent au Gravettien,
période qui succède à l’Aurignacien, la principale culture ouvrant
le Paléolithique supérieur en Europe. À Pech-Merle, à l’extrémité
de la galerie du Combel, accessible seulement par une sévère
chatière, pend d’une voûte surbaissée une série de grosses stalag‑
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mites évoquant irrésistiblement des seins lourds. Sur une dizaine
d’entre elles, particulièrement suggestives, ont été frottés des
pigments noirs et ajoutées des ponctuations rouges (Lorblanchet,
2010 : 203‑204, 438). Ici, la Terre semble avoir été perçue comme
féminine. Or Pech-Merle paraît dédiée aux mammouths, qui
dominent la grotte avec 28 exemplaires. Le grand plafond de
la salle principale, baptisé plafond des Hiéroglyphes par l’abbé
Lemozi, présente de nombreux « macaronis », des tracés inorga‑
nisés dont le but semble avoir été de couvrir la surface mais
pouvant correspondre aussi à des « tracés dynamiques décrivant
l’émergence des formes et la naissance du monde organisé »
(Lorblanchet, 2010 : 166). Dans cet entrelacs se distinguent
des figures aux traits simples ou doubles, parmi lesquelles des
animaux (mammouths, bouquetin, cheval, aurochs), des femmes
et un signe échancré, qui paraissent avoir été ajoutées peu après.
Il existe sur ce plafond une étroite association entre les femmes
et les mammouths puisque chacune des trois femmes dessinées
en contour unique a été recouverte par un mammouth à traits
doubles (Lorblanchet, 2010 : 160). Pour Michel Lorblanchet,
« il n’est pas impossible d’imaginer que sur ce grand plafond
d’où naissent les mammouths, des divinités féminines contri‑
buent à la multiplication de l’espèce, car ces images de femmes
en contour simple superposées par des mammouths en tracé
double montrent une relation graphique étroite entre femmes
et mammouths, relation d’ailleurs reproduite, en contrebas, sur
le panneau baptisé à tort des “Femmes-bisons” alors qu’il s’agit,

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Comment se transmettent les traditions mythologiques 187

là encore, de femmes associées au mammouth » (Lorblanchet,


2010 : 166).
À Roucadour, des centaines de figurations discrètes d’animaux
se massent soudain et se superposent dans une profonde diaclase
à fond rougi par l’argile dont elles tapissent les deux lèvres. Or
ce tissu graphique n’a rien d’anarchique, les mammouths ayant
été exécutés les premiers dans la partie antérieure du réduit,
suivis par la figuration des autres animaux (Lorblanchet, 2010 :
337‑341). De nouveau, le mammouth est lié à la femme et à
la fécondité.
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Enfin, dans la grotte de Cussac, les représentations féminines,
quatre au total, sont soit isolées, soit associées à l’image du
mammouth. Leur morphologie rappelle celle des figures tracées
au doigt sur le plafond des hiéroglyphes de Pech-Merle (Aujoulat
et al., 2001) : elles sont plus ou moins penchées en avant, vues
de profil, et leurs jambes sont le plus souvent confondues en un
seul appendice pointu ou à l’extrémité ouverte droite.
Des liens étroits existent entre Pech-Merle, Roucadour et
Cussac, comprenant des représentations peu communes de
cercles échancrés, des similitudes stylistiques et thématiques
(Lorblanchet, 2010 : 365), l’ensemble démontrant l’existence
d’une culture et d’une mythologie communes. Le recouvre‑
ment des femmes par des mammouths à Pech-Merle et Cussac
suggère une identité entre les deux composants (Bahn,
2016 : 287), ce que pourrait corroborer l’ordre des réalisa‑
tions des figures à Roucadour. Une telle identité fait écho
aux nombreuses figurines d’Europe centrale et de l’Est gravées
dans de l’ivoire de mammouth, placées dans des habitations
de longue durée, elles-mêmes recouvertes de défenses de
mammouth (Lorblanchet, 2010 : 166). L’éléphantidé, dont
on a montré au chapitre précédent le rôle mythologique dans
la création des reliefs terrestres et le statut de maître souterrain
des animaux, aurait-il été une créature féminine chtonienne
dans la symbolique de certaines populations paléolithiques
européennes ? Plutôt qu’à un maître des animaux, aurions-nous
alors affaire à une maîtresse des animaux ? Il y a là une piste

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188 Le cycle de l’eau

intéressante, fondée sur des indices archéologiques, que nous


explorerons dans le chapitre 5.
Une autre question se pose : la Terre femelle possédait-elle
au Paléolithique un pendant masculin dans le ciel ? La réparti‑
tion différenciée des phallus et des vulves pourrait notamment
illustrer une opposition entre le mobile, le léger – l’art mobilier,
le ciel – et le lourd, le difficile, voire impossible à porter – l’art
pariétal, la Terre. Il est difficile en l’état de trancher la question.
Cependant, nous avons vu que le motif faisant du monde le
produit de l’union d’une Terre-Mère et d’un Ciel-Père est très
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ancien. Par ailleurs, la reconstruction du motif B77 (« À l’ori‑
gine, le ciel était près de la terre, puis il en a été écarté ») paraît
désigner une conjonction primitive des deux entités, ce qui est
souvent associé, dans la mythologie mondiale, à une différen‑
ciation sexuelle.
Le motif B77 a aussi été identifié en Asie du Sud-Est au
Paléolithique supérieur, ainsi que lors des premiers peuplements
des Amériques, par une analyse phylogénétique consacrée aux
mythes du déluge et de la séparation de la Terre et du Ciel
(d’Huy, 2017c), ce qui laisse supposer une présence de ce motif
dès les premières sorties d’Afrique, le long des côtes du Pacifique,
puis une diffusion plus tardive dans l’hémisphère nord. L’étude
aréologique corrobore faiblement ce résultat, sans cependant
le réfuter, puisque l’universalité du motif rend impossible d’en
déduire les routes de diffusion par la simple observation de sa
distribution (Berezkin, 2013 : 122).
Restons dans le ciel. Les Basques voient dans la Grande Ourse
deux bœufs dérobés par deux voleurs, les quatre poursuivis par
le fils de la maison, puis par la sœur accompagnée d’un petit
chien (Alcor), et enfin par le père lui-même (Vinson, 1983 :
381 ; pour une autre version, voir Sébillot, 2002 : 29). Cette
explication de l’astérisme se rapproche de nombreuses autres
largement répandues en Eurasie et en Amérique du Nord, selon
laquelle les sept étoiles représenteraient sept hommes, et Alcor
un chien ou une personne plus jeune ou plus faible. Au vu de
sa diffusion, allant jusqu’au partage de certains détails spéci‑

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Comment se transmettent les traditions mythologiques 189

fiques de part et d’autre du détroit de Béring, cette croyance


serait paléolithique (Berezkin, 2005, 2012). Il n’est donc guère
étonnant de la retrouver reconstruite, à la racine des arbres,
sous la forme des motifs B46c (« Chaque étoile principale de
la Grande Ourse est interprétée comme une personne ou un
animal particulier ») et B87 (« Alcor est une étoile identifiée »)1.
Dans le ciel, toujours, volaient autrefois des corbeaux blancs ;
c’est du moins ce que suggère la reconstruction du motif B82
(« Le corbeau ou un autre oiseau mangeur de charogne de
couleur foncée et de taille similaire était à l’origine blanc »).
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Nous avons déjà rencontré cette croyance dans certaines
versions amérindiennes de Polyphème, et nous la croiserons
de nouveau, en Australie et en Afrique, au cours du prochain
chapitre. L’ethnologue suédoise Anna Birgitta Rooth (1962) a
montré la large diffusion du motif du corbeau s’arrêtant après
le déluge pour se nourrir d’une carcasse tandis que la colombe
menait à bien sa mission, revenant avec une branche d’oli‑
vier ; le corbeau alors blanc devenait noir, ou était condamné
à ne plus consommer que des corps morts. Selon la chercheuse,
ce motif posséderait une origine orientale et se serait ensuite
diffusé de par le monde, à travers les traditions gréco-romaine
et judéo-chrétienne, jusqu’aux Amériques. Reprenant le dossier,
Andrey V. Korotayev et plusieurs autres chercheurs (Korotayev
et al., 2006) ont constaté que le motif du corbeau blanc était
non seulement lié aux mythes du Déluge, mais aussi à ceux
du Plongeon cosmogonique, avant de relever qu’une origine
relativement récente et orientale du motif ne suffisait pas à
en expliquer la diffusion. Il était ainsi presque inconnu des

1. Ces reconstructions semblent en contradiction avec celles obtenues à propos


de la Chasse cosmique en utilisant la méthode phylogénétique, faisant de
la Grande Ourse un ongulé cornu pourchassé jusqu’au ciel par un individu
(d’Huy, 2012b, 2013b, 2016e), mais il faut noter que cette dernière forme
trouverait son origine en Eurasie centrale (d’Huy, 2013b, 2016e). Il ne semble
pas incohérent qu’il ait pu exister deux interprétations contradictoires de la
Grande Ourse dans l’ensemble de l’Eurasie, et que l’une ait pu supplanter
l’autre dans certaines régions.

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190 Le cycle de l’eau

Espagnols et des Anglais au Moyen Âge, ce qui rend peu probable


qu’une importation européenne récente puisse être à l’origine
des récits américains liant Plongeon cosmogonique/Déluge et
corbeau devenant noir. Certains traits sont également propres
– ou presque – au Nouveau Monde. L’un d’entre eux, largement
répandu en Amérique et ne présentant qu’une unique attestation
sibérienne, raconte que lorsque des éclaireurs furent envoyés en
reconnaissance après le déluge, l’un d’eux commença à manger
une charogne (ou un équivalent). Un autre éclaireur informa
rapidement l’expéditeur de ce comportement inapproprié, ce
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qui valut au charognard d’être puni (Korotayev et al., 2014 :
214). Un autre trait propre aux versions amérindiennes fait
résulter l’assombrissement de Corbeau de la consommation de
poisson morts (Korotayev et al., 2014 : 215‑216). Par ailleurs,
Korotayev et ses collègues ont montré l’existence en Sibérie de
formes intermédiaires du motif, entre les formes européennes et
amérindiennes. L’ensemble de ces éléments les a alors conduits
à suggérer la possibilité que le motif du corbeau blanc se soit
diffusé depuis la Sibérie jusqu’en Amérique, en même temps
que les récits de Plongeon cosmogonique.
Remarquons au passage combien ce motif rappelle le groupe de
transformation mis en évidence par Claude Lévi-Strauss, présenté
au début du chapitre 3. À la fois dans l’Ancien et le Nouveau
Monde, un corvidé est détourné de sa mission de reconnaissance
et, comme le Corbeau blanc, s’en voit puni par l’adjonction
d’un trait physique qu’il conserve encore aujourd’hui. Si c’est la
terre, et non l’eau, qui est cherchée dans les mythes du Corbeau
blanc, si la punition n’est pas identique, la structure générale
des mythes demeure la même, ce qui renforce considérablement
l’hypothèse d’un groupe de transformation paléolithique s’étant
diffusé d’Asie en Amérique. D’autres indices pointent vers une
origine africaine du motif, incluant sa vaste diffusion (Thuillard
et al., 2017). Nous étudierons ce thème plus en détail dans la
prochaine partie.
La correspondance observée entre les résultats obtenus grâce
aux statistiques et ceux obtenus en s’appuyant sur d’autres

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Comment se transmettent les traditions mythologiques 191

méthodes est notable : plus la phylogénétique des mythes


avance, plus elle donne raison à ceux qui l’ont précédée. Le
principal apport de cette approche est ici de préciser ce qui
fut d’abord obtenu empiriquement, sans que cela entraîne
la caducité des premiers résultats. Ce n’est pas parce que le
polymathe, mathématicien et inventeur visionnaire britannique
Charles Babbage a imposé l’algèbre à l’université de Cambridge
en la rationalisant et en lui fournissant une forme déductive
élaborée, que l’algèbre ne fonctionnait pas fort bien aupara‑
vant sans cette formalisation (Durand-Richard, 2010). Le gain
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est avant tout un gain de précision.
À ma connaissance, les motifs B50 (« Un insecte se nourrit de
sang/chair humain(e). Une personne dangereuse lui demande où
il a pu sucer du sang ou de quel être vivant le sang/la chair est le/
la plus délicieux/se. L’insecte ment ou ne peut pas répondre (sa
langue est coupée). Grâce à cela, la personne dangereuse attaque
certaines plantes ou certains animaux et non les humains »)
et C32 (« Le fait de couper les ongles ou les cheveux a une
signification spéciale quant au destin de l’âme ou le futur du
monde entier ») n’ont jamais été étudiés d’un point de vue
diachronique. Il faut cependant noter qu’un motif très proche
de B50 a été reconstruit dans le premier interlude, suggérant sa
présence en Eurasie à la fin du Paléolithique. Quant au motif
C19 (« Les premiers ancêtres ont acquis avec difficulté le soleil,
alors caché ou encore volé »), il sera étudié au chapitre suivant,
pour ne rien laisser de côté.

Conclusion provisoire
En nous appuyant à la fois sur une approche aréolo‑
gique, structurale et statistique, nous avons confirmé l’origine
paléolithique du Plongeon cosmogonique, qui serait apparu en
Asie du Sud-Ouest avant de se diffuser, sans doute en même temps
que les premiers peuplements, dans le nord de l’Eurasie jusqu’en
Amérique du Nord. Cette route de diffusion est en accord avec les
acquis de chacune des méthodes utilisées pour analyser le mythe.

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192 Le cycle de l’eau

Par ailleurs, les résultats rejoignent et complètent ceux


obtenus au premier chapitre en nous appuyant sur le mythe
de Polyphème. Il est possible d’ajouter que, comme ce dernier,
le mythe du Plongeon cosmogonique pourrait être interprété
à l’aune d’une ontologie chamanique, renvoyant à « des rites
et thèmes narratifs associés au chamanisme, tels que la trans‑
formation en oiseau, le marquage corporel ou l’édification
d’un centre axial » (Delpech, 2000 : 230) le long duquel il
est possible au chamane de monter ou descendre entre diffé‑
rents niveaux du monde. On peut d’ailleurs relever que la
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croyance en des arbres ou en des colonnes gigantesques, piliers
du monde ou du ciel, ainsi que l’existence de mythes r­ acontant
comment il était possible de rejoindre le ciel depuis la Terre,
existaient sans doute en Eurasie durant le Paléolithique (d’Huy,
2017c).
Tous les éléments de ce chapitre montrent que la phylogé‑
nétique des mythes ne peut être exclusive, mais doit s’intégrer
à un ensemble de méthodes. Ce faisant, j’ai tenté de répondre à
l’argument de la régression, selon lequel toute preuve à l’appui
d’une proposition exige elle-même une autre preuve, et cela
à l’infini, privant dès lors la connaissance de toute fondation
ultime. En 1968, le philosophe et sociologue allemand Hans
Albert a reformulé cette objection sceptique sous la forme du
« trilemme de Münchhausen », en référence au baron qui affir‑
mait s’être extirpé d’un marécage en se tirant lui-même par les
cheveux. Pour Albert, toute tentative d’établir une démonstra‑
tion première, exempte de prémisses, se heurte à trois obstacles
indépassables :

1. Une régression à l’infini, provoquée par la nécessité de


toujours pousser plus loin [le principe de raison suffisante],
mais de fait presque impossible à réaliser, et par conséquent
ne fournissant aucun fondement stable ;
2. la circularité logique, causée par le fait qu’un énoncé que
l’on essaie de prouver s’appuie sur des énoncés pour lesquels
il a déjà été montré que des fondations étaient nécessaires, si

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Comment se transmettent les traditions mythologiques 193

bien que le cercle de déduction ne conduit jamais à aucune


fondation stable ; et enfin,
3. la rupture/la fin de la recherche à un certain point de la
réflexion, qui semble en effet réalisable, mais qui implique
une suspension aléatoire du principe de raison suffisante.
(Albert, 1991 [1968] : 15.)

Pour contrer ces difficultés, et apporter un fondement solide


à la démonstration, j’ai fait le choix de multiplier les niveaux
et les types d’analyses et d’évaluer la convergence des données.
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En déplaçant ainsi la validation du raisonnement d’un socle a
priori dont toute axiomatique ne saurait être exclue vers une
coalescence des résultats obtenus par les moyens les plus variés
possible, il me semble avoir évité les écueils de la régression à
l’infini, de la circularité logique et du caractère autojustifiant de
certaines assertions. En cela, la démarche que j’ai menée relève
du cohérentisme, selon lequel « la vérité, dans sa nature essen‑
tielle, réside dans une cohérence systématique qui est la marque
d’un ensemble signifiant » (Joachim, 1906 : 76). En d’autres
termes, une condition pour qu’une croyance soit vraie est qu’elle
fasse partie d’un système cohérent de croyances. En ce sens,
la philosophe américaine Catherine Elgin (2005) a avancé que
« les composants d’un ensemble cohérent doivent être mutuel‑
lement cohérents, tenir ensemble et se soutenir. Autrement dit,
les composants doivent être raisonnables les uns par rapport
aux autres. Puisque la cotenabilité et le soutien mutuel sont des
questions de degré, la cohérence l’est aussi ».
La notion de cohérence devrait cependant inclure à la fois la
cohérence logique et une certaine intégration des divers compo‑
sants du système. Sur ce point, il est apparu que la diffusion de
certains motifs mythologiques liés à la création du monde ou
aux catastrophes cosmogoniques s’explique mieux par l’hypo‑
thèse phylogénétique que par d’autres. Toutefois, la cohérence
de ce modèle ne peut qu’être renforcée par l’accroissement des
phénomènes expliqués. C’est pourquoi j’ai jusqu’à présent laissé
de côté le motif C19 (« Les premiers ancêtres ont acquis avec

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194 Le cycle de l’eau

difficulté le soleil, alors caché ou encore volé »). Ce trait va


servir à tester, une fois encore, les résultats obtenus. En effet, la
fiabilité et la cohérence de la méthode impliquent que l’origine
paléolithique de ce motif puisse être également démontrée, et
que celui-ci puisse être reconstruit en s’appuyant sur une tout
autre base de données.
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Interlude
Le serpent a-t‑il volé le soleil ?

Q ui a volé le soleil ou l’a tenu dissimulé ? Le serpent


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est un suspect de choix, puisque nombre de
mythologies font de lui, ou d’un reptile, le coupable. Par exemple,
dans le sud de l’Afrique, les Zoulou et les Venda pensent qu’une
éclipse a lieu quand le crocodile céleste dévore le soleil. Le reptile
veut ainsi montrer son mécontentement face au comportement des
hommes (Godwin, 2012 : 117‑118). Pour les Pygmées du Gabon,
c’est la lune – et non plus le soleil – qui est menacée d’être dévorée
par un crocodile lors des éclipses, et les humains doivent le faire
fuir en faisant du bruit (Trilles, 1932 : 95). Pour les Swahili, « c’est
au peuple Mungi d’intervenir depuis la terre pour défendre la lune
contre le serpent, jusqu’à ce qu’il la vomisse, rétablissant ainsi une
relation harmonieuse avec le cosmos » (Scheub, 2000). En Égypte
antique, Apophis, sous la forme d’un gigantesque serpent ou d’un
crocodile, s’attaque chaque nuit à la barque solaire de Rê afin de
mettre fin au processus de la création, mais est systématiquement
vaincu : chaque lever du soleil marque ainsi la victoire de Rê sur
Apophis (Fontenrose, 1980 : 186‑187 ; Le Quellec, 2013b : 235‑239).
En Inde, « libération du soleil et libération de l’eau », tous deux
détenus par un serpent qu’il faut combattre, « sont conjointes » (Le
Quellec et Sergent, 2017 : 1190). En Amérique du Nord, dans le
grand Sud-Ouest, la course du soleil est menacée par deux serpents
aquatiques (Benedict, 1931 : 25, 29). Le serpent semble donc tout
désigné pour être le dévorateur, ou le dissimulateur, du soleil.
Certes, d’autres coupables sont possibles. Par exemple, en Inde,
chez les Sema, les éclipses sont provoquées par un tigre dévorant
le soleil ou la lune (Hutton, 1968 : 250). Ce mythe a peut-être été

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196 Interlude

illustré dans une peinture rupestre du Pachmarhi, où « un tigre


anormalement maigre et étiré, mais qui reste identifiable, renifl[e]
une tête humaine entourée d’un double cercle » (Clottes et Dubey-
Pathak, 2013 : 114‑115) ; le double cercle pourrait en effet être
interprété comme le halo lumineux entourant l’astre du jour ou
celui de la nuit. Le motif a aussi pu être représenté parmi d’autres
arts rupestres, notamment dans le nord de l’Eurasie (Ernits, 2010).
En Malaisie, chez les Semangs, un oiseau ou une grenouille géants
vivant sous terre sont réputés avaler le soleil, qui ressuscite tous
les matins (Evans, 1937 : 164, 166). En Australie, pour les Arunta,
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l’éclipse du soleil est provoquée par un esprit maléfique, qui tente
de s’installer dans l’astre (Spencer et Gillen, 1938 : 566). Chez les
Aïnous, au Japon, un mauvais dieu tente d’avaler le dieu solaire
lorsqu’il monte au ciel (Kindaiti 1923 : 99‑150). En Mésoamérique,
ce sont des jaguars qui menacent l’astre du jour (Cline, 1944 : 112).
Ces exemples ne sont naturellement pas exhaustifs et corroborent
l’idée que le motif d’une créature attaquant le soleil existait déjà
lorsque l’homme conquit les Amériques. Sa présence en Afrique,
mais aussi chez les Semangs et en Australie, laisse supposer une
apparition de ce trait avant la première expansion de l’humanité
et le peuplement de cette île, il y a au moins 65 000 ans. Étayant
cette hypothèse, Claude Lévi-Strauss note que la coutume de faire
du vacarme pour effrayer un animal ou un monstre prêt à dévorer
le soleil ou la lune a été signalée dans le monde entier, et il cite
la Chine, la Birmanie, l’Inde, la Malaisie, l’Afrique et les deux
Amériques (Lévi-Strauss, 1964 : 296). Si l’ethnologue donne à
ce rituel le rôle de « signaler une anomalie dans le déroulement
d’une chaîne syntagmatique » et de se dresser contre la rupture de
l’ordre cosmologique (Lévi-Strauss, 1964 : 296), une explication
plus parcimonieuse et non exclusive serait d’en faire l’héritage
d’un vieux fonds paléolithique.
Mais ces différents avatars du mythe suffisent-ils à innocenter
le serpent ? Pour en juger, il semble nécessaire de reconstruire la
protomythologie de l’animal, celle à laquelle les hommes anatomi‑
quement modernes adhéraient avant même leur sortie d’Afrique,
en reprenant l’arbre reconstruit dans le premier interlude.

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Le serpent a-t‑il volé le soleil ? 197

Pour être considérés comme ayant existé avant la sortie


d’Afrique, les motifs devront respecter deux conditions d’analyse
très strictes. La première est qu’ils puissent être reconstruits à la
fois à la racine de l’arbre et au nœud reliant la Mélanésie et les
aires amérindiennes. En effet, les motifs mythologiques présents
dans les deux dernières aires seraient, pour beaucoup, extrême‑
ment anciens (voir par exemple Witzel, 2012 ; Berezkin, 2013 ;
Le Quellec, 2014). Retrouver des motifs à la base de ce clade ainsi
qu’à la racine de l’arbre général permettrait d’écarter la possibilité
d’une diffusion-retour desdits motifs d’Eurasie en Afrique. La
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seconde condition est que chaque motif possède, pour les deux
nœuds concernés, une probabilité supérieure à 50 % en utilisant
deux méthodes de calcul différentes1. Ces conditions ayant été
remplies, les résultats obtenus sont les suivants :

Motifs Nœud Afrique Nœud


de l’Ouest/Soudan- Mélanésie/aires
Afrique de l’Est amérindiennes
F30 Une femme prend comme amant 0,5208|0,5246 0,9830|0,9981
un serpent ou un reptile. L’amant
est tué ou mutilé. La femme et/ou
ses enfants se métamorphosent en
serpents.
H4 Les animaux qui changent leur 0,9384|0,8930 0,9911|0,9673
peau sont immortels.
H5 Les serpents sont à l’origine de la 0,9082|0,8192 0,8701|0,7782
première mort, ou s’opposent aux
êtres humains comme des êtres
immortels.
I7 Un reptile volant produit la pluie 0,6239|0,6374 0,4215|0,5391
et/ou l’orage
I13A Un ophidien géant possède des 0,6785|0,6630 0,6454|0,6094
cornes sur la tête.
I41 L’arc-en-ciel est un reptile, le plus 0,9893|0,9446 0,9774|0,7989
souvent un serpent.
L14 Un petit ver, un petit serpent ou 0,5508|0,5606 0,9952|0,9881
une petite créature aquatique, bien
nourri, devient un être immense ou
horrible.

1. Mk1 et Asymmetrical 2-parameters.

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198 Interlude

Avançons prudemment et tâchons de vérifier chaque motif


reconstruit.
Étudiant l’aire de diffusion du motif « Les animaux qui
changent leur peau sont immortels ou peuvent rajeunir », essen‑
tiellement concentré dans l’hémisphère sud, Yuri Berezkin en
arrive à la conclusion que ce motif ferait partie des premiers à
être sortis d’Afrique (2013 : 37) et à avoir atteint l’Amérique
(2007a : 87). Il constate également que le motif « Les serpents
sont à l’origine de la première mort, ou s’opposent aux êtres
humains comme des êtres immortels », également reconstruit
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ici comme motif proto-africain, possède une diffusion similaire
(2013 : 69). Andrey Korotayev et Daria Khaltourina (2011) ont
montré que ces motifs appartenaient à un ensemble de mythes
dont la diffusion présentait une corrélation statistique forte,
en Eurasie, Océanie et Amérique, avec celle de l’haplogroupe
mitochondrial B (26 % de la variabilité totale expliquée). Ce
dernier serait apparu en Asie du Sud-Est il y a environ 50 000 ans.
Une telle corrélation n’implique pas, bien sûr, que les contenus
mythiques soient déterminés par l’appartenance génétique de
ceux qui y adhèrent, mais que certains récits ou motifs mytho‑
logiques peuvent être conservés, durant de très longues périodes,
à l’intérieur d’un même groupe de population.
Yuri Berezkin, abordant la distribution du motif « L’arc-en-ciel
est un reptile, le plus souvent un serpent » à travers le monde,
le considère comme probablement issu de la première sortie
d’Afrique (2013 : 273), suivant en cela les conclusions de John
Loewenstein (1961 : 38‑39).
Le motif L14 « Un petit ver, un petit serpent ou une petite
créature aquatique, bien nourri, devient un être immense ou
horrible » n’a pas, à ma connaissance, été étudié. Quant au motif
F30, nous l’aborderons au troisième interlude.
Si le serpent est en relation avec un objet igné, et par là avec
le soleil, ce serait donc finalement avec la foudre, comme le laisse
supposer le motif reconstruit « Un reptile volant produit la pluie
et/ou l’orage ». Ce motif présente néanmoins une difficulté. En
effet, s’il est reconstruit à la racine de l’arbre, il accuse une proba‑

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Le serpent a-t‑il volé le soleil ? 199

bilité légèrement inférieure à 50 % au nœud océano-amérindien


pour l’une des deux méthodes de calcul, en raison de son absence
en Indochine, en Indonésie et en Mélanésie. Ces résultats iraient
dans le sens des conclusions de Yuri Berezkin (2013 : 119), qui
déduisait de l’aire de diffusion du motif unissant le serpent à la
pluie et aux tempêtes une origine en Asie de l’Est. Cependant,
le motif se retrouve à la fois en Afrique et en Australie, île
dont le peuplement remonte aux premières migrations d’Homo
sapiens à travers le monde. Par ailleurs, dans une monographie
consacrée au symbolisme du serpent en Afrique, l’ethnologue et
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anthropologue anglo-américain Wilfrid Dyson Hambly (1931 :
51) proposait l’existence de certaines croyances portant sur de
monstrueux serpents liés à l’eau, aux sources, à l’arc-en-ciel et à
la pluie, antérieures à la première sortie de l’humanité. Il semble
donc délicat de trancher ici entre une origine africaine et une
origine eurasiatique du motif.
Le lien existant entre le serpent et l’orage semble plus
solide dans l’Eurasie paléolithique. Si l’on suit les reconstruc‑
tions menées dans le premier interlude, le serpent aurait non
seulement possédé un lien avec la pluie ou l’orage, mais serait
aussi intervenu dans des récits où il aurait affronté un homme,
défenseur d’un oiseau géant et de sa nichée. Or ces deux traits
semblent relever d’une même histoire.
En Eurasie orientale, en Anatolie et jusque chez les peuples
d’Asie centrale est en effet connu un récit où le héros tue
un serpent s’apprêtant à manger des oisillons ; il est ensuite
récompensé par la mère des rescapés (Sergent, 2009a : 105).
De nombreuses versions de ce récit se trouvent également en
Eurasie occidentale, par exemple, en Aquitaine (Bladé, 1886 :
47‑48) ou, au-delà, chez les anciens colons français du Missouri
(Delarue, 1985 : 131), cette dernière version témoignant sans
doute d’un état antérieur du récit sur notre territoire (Sergent,
2009a : 106). De façon significative, cette histoire se retrouve
également en Amérique du Nord, chez les Indiens des Plaines,
par exemple les Nakota (Lowie, 1909b : 181‑182, 182‑183),
les Absaroka (Lowie, 1918 : 144‑148), les Hidatsa (Beckwith,

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200 Interlude

1937 : 92‑94) et les Sahnish (Parks, 1998 : 209‑215), ainsi que


dans le nord des Andes, chez les Kogi (Reichel-Dolmatoff, 1985 :
76‑79). Faisant l’aréologie du motif, Yuri Berezkin lui attribue
un âge paléolithique, mais postérieur à – 14000 avant notre ère
(Berezkin, 2013‑2014).
Dans les versions amérindiennes, l’oiseau est un oiseau-
tonnerre, ce qui n’est pas le cas en Eurasie, où l’oiseau est souvent
un aigle. Il est cependant possible de mettre en relation les deux
ensembles, car une forme intermédiaire existe, en Ouzbékistan,
chez les Karakalpak (Volkov et Majorov, 1959 : 3‑13) et en Sibérie
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méridionale, dans l’Altaï (Potanin, 1916 : 181‑186 ; Jutkanakov
et Tokmašov, 1935 : 129‑171) et chez les Tuva (Samdan, 1994 :
227‑248). En effet, la pluie y est formée par les larmes des
oiseaux, le vent, par leur vol, images que l’on retrouve chez les
oiseaux-tonnerres amérindiens. De plus, l’oiseau-tonnerre est un
motif largement répandu en Amérique et en Eurasie, jusqu’en
Afrique (Hatt, 1949 : 36‑40 ; Berezkin, 2013 : 117‑118), suggérant
un âge paléolithique. Ajoutons qu’orage et serpent semblent,
en Eurasie et en Amérique, se livrer une guerre incessante et
sans merci. L’existence d’une lutte entre le serpent et l’orage se
retrouve ainsi en Inde (Elwin, 1958 :10‑13), en Birmanie (Htin
Aung, 1962 :110), en Chine (Graham, 1954 : 129), chez les
anciens « Indo-Européens » (Ivanov et Toporov, 1970 ; Lajoye,
2015 : 255‑268) ou encore chez les Tchouktches (Bogoras, 1902 :
645‑646), mais aussi dans l’ensemble des Amériques, par exemple
chez les Kwakwaka’wakw (Boas, 1910 : 18), les Mamaceqtaw
(Bloomfield, 1928 : 369‑379, 379‑383), les Tzotzil (Guiteras-
Holmes, 1961 : 191‑192) et les Jicaque (Chapman, 1982 : 77‑78).
L’ancienneté du combat entre un dieu de l’Orage et un serpent
a été mise en évidence par l’universitaire américain Joseph
Fontenrose (1980) qui a remarqué sa diffusion sur l’ensemble
de l’hémisphère nord, tandis que le philologue et indianiste
germano-américain Michael Witzel (2008, 2012) faisait une
constatation similaire s’agissant du motif plus général du combat
entre le héros et un serpent mythologique. Il y a donc tout lieu
de croire que si le serpent était en lien avec l’orage dans l’Eurasie

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Le serpent a-t‑il volé le soleil ? 201

paléolithique, il affrontait alors le tonnerre, qui adoptait la forme


d’un oiseau géant1.
L’ensemble de ces éléments suggère un passage du mythe
d’Eurasie en Amérique à la fin du Paléolithique supérieur, lorsque
le détroit de Béring était encore ouvert. Autrement dit, la diffu‑
sion du mythe rend très probable son existence au Paléolithique
supérieur, comme le présuppose la reconstruction statistique. Il
est même possible que ce mythe ait pu être illustré en France,
il y a plus de 15 000 ans.
Découvert dans la grotte de Lortet, dans les Hautes-Pyrénées
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françaises, un bois de cervidé courbe est décoré, sur sa face
supérieure concave, d’un serpent. De petites lignes obliques
couvrent son corps. Par ailleurs, des motifs géométriques
entourent le reptile, d’un côté des signes barbelés parmi des
chevrons marqués de ponctuations, de l’autre, cinq têtes avec
un gros œil rond, interprétées par l’abbé Breuil comme des têtes
d’oiseaux. La pièce est présentée au musée de Saint-Germain-en-
Laye, sous le numéro MAN 47 418, et daterait du Magdalénien
moyen, vers − 15000/− 13000 (Schwab, 2008 : 44). Il pourrait
y avoir là une magnifique illustration de ce qu’aurait pu être

1. Pourquoi transformer une perturbation atmosphérique en une lutte entre


deux créatures ? Dans le livre II de la Critique de la faculté de juger, Emmanuel
Kant distingue dans la nature deux sortes de grandeurs éveillant le sens de
l’infini : un infini dynamique, lié à la peur que suscite le déchaînement
de la nature comparé à notre faiblesse – c’est par exemple le cas de l’orage
et de la tempête –, et un infini mathématique, lié à la grandeur des formes
naturelles en comparaison de quoi tout le reste est petit – c’est par exemple le
cas des reliefs vertigineux. Or le mythe dégrade ces deux infinis, et le monde
de façon plus générale, en les mettant à l’échelle de l’Homme, à un niveau
qu’il peut concevoir. L’orage n’est plus un phénomène naturel, objectivable
et non maîtrisable, mais est considéré à l’aune de l’espèce humaine, comme
l’écho lointain d’un combat vertigineux entre deux êtres vivants dans lequel
l’Homme peut être acteur, en aidant l’un ou l’autre des protagonistes. De
même, le relief devient la trace du passage d’anciens animaux, par exemple
le mammouth et le serpent, avec lesquels il reste encore possible de commu‑
niquer. Il y a là quelque chose de rassurant, la réalité physique ne laissant
plus l’Homme de côté, qui explique peut-être la personnification de certains
phénomènes naturels, comme la foudre et le tonnerre. Par le mythe, tout ce
qui est singulier, démesuré, se trouve ainsi ramené à la singularité de l’Homme.

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202 Interlude

le mythe du combat entre l’oiseau-tonnerre et le serpent au


Paléolithique, d’autant que l’âge de ce récit en fait un moyen
licite d’explication. Les chevrons et les signes barbelés repré‑
senteraient alors des phénomènes météorologiques, comme la
foudre, liés à la nature mythique des protagonistes. Il est notable
que le serpent demeure associé à l’éclair dans les Pyrénées. Les
Basques disent de deux serpents mythologiques, Herensuge et
Sugaar, qu’ils traversent le ciel sous forme de feu (Barandiarán,
1993 : 156, 310). Renforçant le lien avec l’éclair, on prétendait
à Espelette, dans le département des Pyrénées-Atlantiques, qu’en
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traversant les airs Herensuge émettait un bruit épouvantable
(Barandiarán, 1993 : 156). Selon un récit largement répandu
dans les Pyrénées, un serpent aspirait dans sa gueule troupeaux
et humains ; l’ophidien fut vaincu lorsqu’on parvint à lui faire
avaler un objet en feu et s’enfuit généralement en volant, avant
de mourir (Barandiarán, 1993 : 156 ; Marliave, 1996 : 300‑303).
Le serpent n’est donc pas l’auteur du vol du soleil – ce motif
n’ayant pas été reconstruit statistiquement –, et le coupable
court toujours. Nous tenterons de le rattraper au chapitre
suivant. En attendant, le lien primitif entre le serpent cornu
et l’eau, déjà pressenti dans le premier interlude, semble se
confirmer, puisque l’ophidien soit serait un arc-en-ciel, soit
produirait la pluie. Prenons le temps de vérifier cette connexion
en empruntant une voie un peu différente de celles que nous
avons suivies jusqu’à présent. Il peut être en effet intéressant,
pour corroborer ou réfuter cette assertion, de se pencher sur
différents arts rupestres à travers le monde et d’en étudier la
signification.
Commençons par le continent africain. En Afrique australe,
de nombreux sites rupestres montrent des peintures d’immenses
serpents à tête, crinière et/ou oreilles d’antilopes (voir par exemple
Le Quellec, 2004 : fig. 23, 25, 69), que les a ­ utochtones consi‑
dèrent comme associés à l’eau (Guenther, 1989 ; Hoff, 1997).
D’autres serpents, comme celui de Tepelkop ou de Rouxville, en
Afrique du Sud, ont été reconnus, par leurs couleurs, comme
des arcs-en-ciel (Le Quellec, 2004 : 188). Ces serpents d’eau

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Le serpent a-t‑il volé le soleil ? 203

­ppartiendraient à une très ancienne strate mythologique,


a
antérieure à l’introduction des bovins en Afrique (Schmidt, 1979).
Dans l’art du Brandberg, certaines créatures représentent égale‑
ment des serpents à tête de girafe, dotés d’oreilles et de cornes.
Selon l’anthropologue canadien Mathias Guenther (1989), les
représentations de serpent à cornes de la région seraient liées
à l’eau et à la pluie, ce qui expliquerait qu’elles soient souvent
situées près des rivières, qui résultent de la pluie (Kinahan 1999).
Les collines de Matobo (ou Matopo), dans l’ouest du Zimbawé,
dévoilent quant à elles de nombreux serpents dotés de têtes
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d’antilope ou de carnivores ; certains d’entre eux mesurent
plusieurs mètres de long et dominent le panneau où ils sont
représentés (Walker, 2012 : 48, 57) ; néanmoins, à ma connais‑
sance, aucune connexion n’a été faite ici directement entre
l’ophidien mythique et le milieu aquatique.
Les premiers « serpents arc-en-ciel » représentés en Australie
remonteraient à la culture Yam, il y a entre 4 000 à 6 000 ans
(Taçon, Wilson et Chippindale, 1996). Dans ces images, la
tête se serait bien distinguée du cou, présentant deux oreilles
et s’effilant en un long museau. Par ailleurs, des appendices
appartenant à d’autres espèces animales ou végétales y étaient
intégrés. L’anthropologue et archéologue australo-canadien
Paul Taçon et ses collègues pensent que les populations d’alors
tirèrent leur inspiration d’un Haliichthys Taeniophorus (famille
des Syngnathinae, à laquelle appartiennent notamment les hippo‑
campes). À la suite de Darrell Lewis (1988 : 39), ils expliquent
l’apparition du symbole comme un élément fédérateur entre les
tribus lorsque, après la dernière grande glaciation, le niveau de la
mer augmenta, entraînant une réduction importante des terres
émergées. Cependant, deux éléments importants susceptibles de
fragiliser sérieusement ces interprétations n’ont pas été pris en
compte. En effet, celles-ci n’expliquent pas le soudain succès
de cette espèce particulière et relativement rare. Elles négligent
en outre la longue période pouvant séparer le moment où une
histoire est racontée et le moment où elle est représentée. Par
ailleurs, en Australie, le serpent arc-en-ciel est généralement

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204 Interlude

connecté à des points d’eau permanents (Radcliffe-Brown, 1930 :


343).
Quittons l’Australie pour l’Amérique du Nord. La créature
mythique le plus fréquemment représentée dans la région du
bouclier canadien, grand secteur géologique situé au Canada
oriental et central, est le serpent à cornes (Maurer et Whelan,
1977 : 197). Par exemple, deux gravures de serpents à cornes,
exécutées près du lac Kejimkujik en Nouvelle-Écosse, repré‑
senteraient Jipijka’m, un serpent cornu ayant la réputation de
vivre sous l’eau. Près du même lac se trouve la gravure d’un
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homme qui serait tombé de son bateau et y aurait été ramené
par un serpent cornu ; on y trouve aussi la représentation d’une
embarcation associée à un serpent cornu et d’un canot micmac
contenant deux figures humaines flottant près d’un ophidien
(Lenik, 2010 : 18). Ces gravures, difficiles à dater, pourraient aussi
bien remonter au xixe siècle qu’à une époque bien plus lointaine
(Lenik, 2002 : 19). Notons qu’un tel lien entre serpents à cornes
et eau se retrouve partout ailleurs en Amérique du Nord-Est,
remontant a minima à 1500 avant l’ère commune (Lenik, 2010 :
29), ce qui laisse supposer la grande antiquité de la croyance.
En Californie, la Cueva de la Serpiente présente deux serpents
chimériques dominant une scène complexe mettant en jeu
des humains, des animaux et des signes. Les deux reptiles
possèdent des têtes de cerfs avec des ramures, et l’un d’eux,
d’une longueur de quatre mètres, arbore une queue de poisson
(Martínez González et al., 2009). Cette peinture relève de la
tradition archaïque de la culture Grand Mural, qui se serait
épanouie entre 7000‑5500 et 1500 avant l’ère commune dans
le désert central américain. En Californie, de nombreuses sociétés
connaissent encore aujourd’hui le motif d’un serpent géant et
cornu, associé à l’eau. Ce motif se retrouve par exemple chez
les Tolowa (Drucker, 1937 : 267), les Yurok (Kroeber, 1976 :
65‑67, 165‑167, 213, 410, 469‑471), les Cahto et les Yuki (Blust,
2000 : 527).
Pour parachever cette analyse, permettons-nous encore deux
détours. L’image d’un dragon possédant une tête de mammifère,

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Le serpent a-t‑il volé le soleil ? 205

ou avec des attributs de mammifères (cornes, oreilles), se retrouve


en Chine, durant la culture Hongshan, entre 4000 et 2000 avant
notre ère. De petites représentations en jade, retrouvées dans des
tombes, semblent hybrider dragon et cochon, peut-être sanglier.
La tête des créatures présente systématiquement un museau (qui
forme une sorte de protubérance artificielle), des oreilles et des
narines, avec une bouche ouverte et deux défenses sur les côtés. Le
corps, longiligne, adopte la forme d’un C (Childs-Johnson, 1991 :
82‑84) et possède parfois une nageoire dorsale. L’origine de l’asso‑
ciation d’une tête de cochon et d’un corps reptilien peut s’expliquer
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par les débuts de l’agriculture et le besoin de voir les troupeaux
se multiplier. Le lien entre le dragon et l’eau est ici implicite :
des références plus tardives trouvées dans la littérature chinoise
classique considèrent le sanglier comme l’incarnation d’un esprit
de la pluie et du tonnerre (ibid. : 91‑93). Par ailleurs, les défenses
de l’animal rappellent les cornes dans les images précédentes.
En Mésoamérique, un mur de Teotihuacan (entre 200 avant
l’ère commune et 600 après) présente treize images d’un serpent
à plumes ; l’une d’entre elles montre de l’eau coulant de la gueule
du serpent (Bean, 1978 : 138‑139). Or le serpent à plumes s’avère
connecté aux serpents à cornes, qui pourraient l’avoir inspiré
(Ingham, 1990 ; Phillips, Vanpool et Vanpool, 2006 : 21 ; mais
voir aussi Karadimas, 2014, pour une autre analyse). Ainsi, l’illus‑
tration d’un vase en céramique trouvé à Tsintsuntsan, capitale
du royaume précolombien tarasque, représente un serpent avec
un bec d’oiseau et une corne sur la tête (Corona Núñez, 1957 :
32‑33). Par ailleurs, il apparaît que les serpents à cornes sont
liés, dans cette région, aux points d’eau permanents (Parsons,
1936 : 332‑334 ; Wisdom, 1940 : 393‑397, 410‑411).
L’intérêt de ces images, somme toute fort similaires quoique
éloignées dans le temps et dans l’espace, réside non seule‑
ment dans la représentation de serpents cornus liés à l’élément
aquatique, témoignant par là de l’ancienneté de la croyance,
mais aussi dans la possibilité de trouver leur commentaire au
moyen de traditions orales contemporaines. Or ces commen‑
taires, plutôt que de tirer le sens de chacune des images dans

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206 Interlude

des directions différentes, comme le voudraient la richesse et


le foisonnement de l’inventivité symbolique de notre espèce,
présentent de curieuses similitudes. À quelques rares excep‑
tions, il existe dans chacune de ces régions des croyances en
des serpents à tête de mammifère, connectés à des points d’eau
permanents, liés à la pluie et à l’orage (ce qui laisser supposer
l’existence de ce motif dès la sortie d’Afrique), pouvant provo‑
quer des inondations, voler et prendre la forme d’un arc-en-ciel
(voir d’Huy, 2014c, pour plus de détails).
Prises séparément, les ressemblances entre ces différentes
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représentations pourraient n’être qu’un artefact résultant d’un
raisonnement circulaire :
1. un motif mythique est défini de manière extérieure ;
2. on trouve des images pouvant illustrer ce motif un peu
partout dans le monde, quitte à postuler l’unicité de leur sens
et à ignorer celles qui ne « cadrent » pas ;
3. on considère cette sélection d’images comme prouvant la
présence du motif étudié.
Le recours aux mythes locaux permet d’éviter ce travers : la
profusion de l’imaginaire humain rend en effet peu probable
l’émergence spontanée, en plusieurs points du monde, d’un
même ensemble de traits complexes pour désigner le même
motif. Il faut donc que ce motif se soit diffusé, la présence
d’images rupestres permettant alors d’exclure, dans la plupart
des cas, une influence récente.
Ici, les images rupestres accompagnées de leur commentaire
contemporain permettent d’attester la présence d’une même
mythologie du serpent en Afrique, en Eurasie, en Océanie et en
Amérique à l’époque précolombienne, et laisse donc supposer une
diffusion du motif du serpent cornu et associé à l’eau en même
temps que les premières vagues de peuplement de la planète.
Mais est-il réellement possible de reconstruire une mythologie
si lointaine ? C’est ce que nous allons vérifier, maintenant que
le serpent a été innocenté du vol du soleil.

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Troisième mouvement
Le cycle du feu

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Homme-Corbeau et Homme-Petit-Oiseau courtisaient tous deux la
fille de Grand-Corbeau : Yini’a-ñawġut. Ce dernier donna sa préfé-
rence à Homme-Petit-Oiseau. Mais sa femme, Miti, préférait Homme-
Corbeau.
La nuit, Homme-Corbeau sortait en cachette pour manger des excré-
ments et de la charogne. Le matin, quand ils se réveillaient, plusieurs
peaux de carcajou et de loup étaient là. Les parents demandèrent aux
deux prétendants : « Qui les a tués ? », et l’Homme-Corbeau répondit :
« C’est moi qui les ai tués. »
Un jour, une violente tempête de neige éclata et dura fort longtemps.
Grand-Corbeau dit aux deux prétendants : « Allez et essayez de
calmer cette tempête ! À celui qui y parviendra, je donnerai la main
de ma fille. » Homme-Corbeau dit : « Je vais calmer la tempête.
Préparez-moi des provisions. » Ils lui préparèrent plusieurs paires de
bottes. Il sortit mais ne s’éloigna pas, restant à manger sous une
falaise. Homme-Petit-Oiseau sortit et resta là lui aussi, à manger les
provisions. Homme-Corbeau lui lança un regard noir. Homme-Petit-
Oiseau rentra et ne dit rien.
Homme-Corbeau resta au même endroit. La tempête de neige conti-
nuait avec la même vigueur, sans jamais faiblir. Enfin, Homme-
Corbeau rentra. Ses bottes étaient entièrement recouvertes de glace,
car il y avait mis de l’eau. Il dit : « C’est impossible ! Il y a une
fissure dans le ciel. » Au bout d’un moment, les parents s’adres-
sèrent à Homme-Petit-Oiseau : « À toi maintenant de calmer cette
tempête ! » Homme-Petit-Oiseau répondit : « C’est impossible. Faut-il
que j’imite Homme-Corbeau, que je sorte et que je mette de l’eau dans

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210 Cosmogonies

mes bottes ? » Alors Grand-Corbeau ordonna aux deux prétendants :


« Allez-vous-en tous les deux ! Aucun de vous ne se mariera ici. »
Homme-Petit-Oiseau dit : « Très bien ! Je vais essayer. » Il prit un
bouchon rond, une pelle et de la graisse, et monta au ciel. Il vola
tant et si bien qu’il atteignit la fissure dans le ciel. Il la boucha et
jeta de la graisse tout autour. Cela calma la situation pour un temps.
Homme-Petit-Oiseau revint à la maison, mais la tempête de neige
se déclencha de nouveau. Le bouchon, trop petit, fut rejeté jusqu’à
l’intérieur de la demeure. Homme-Petit-Oiseau dit : « La tâche est
impossible. Le ciel est fissuré. » Grand-Corbeau fabriqua alors un
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autre bouchon, plus grand, et le donna à Homme-Petit-Oiseau, avec
un plus gros morceau de graisse. Homme-Petit-Oiseau s’envola de
nouveau, atteignit la fissure et y plaça le bouchon, qui s’y ajusta
bien. Il l’enfonça avec un maillet, puis il répandit la graisse, pelleta
la neige autour du trou et le recouvrit. Alors le calme revint.
Homme-Petit-Oiseau retourna à la demeure. C’est à ce moment que
Homme-Corbeau devint odieux pour eux tous. Il prit place près de
Miti, mais elle lui dit : « Comment se fait-il que tu pues les excré-
ments ?
– Pourquoi ? Mais c’est parce que je n’ai plus de pain depuis longtemps.
– Assez, va-t’en ! Tu n’as rien fait pour calmer cette tempête »,
répliqua-t‑elle.
Il s’en alla. Homme-Petit-Oiseau épousa Yini’a-ñawġut.
L’été arriva. Il pleuvait fort. Ce fut alors que Homme-Corbeau cacha
le soleil dans sa bouche. L’obscurité tomba. À ce moment, Corbeau
et Miti dirent à leur fille Čan*ai’ : « Čan*ai’, va chercher de l’eau !
– Comment faire ? Il fait trop sombre. »
Après un moment, ils reprirent : « Nous avons très soif, nous allons
mourir. »
Elle partit donc à tâtons, dans le noir, puis s’arrêta et commença à
chanter : « Les deux petites rivières sont avares de leur eau. » Alors
une petite rivière vint à elle, bouillonnante. Elle remplit son seau en
fer, acheté aux Russes, et le porta sur son dos. Soudain, un homme
vint à elle. Comme elle ne pouvait pas porter le seau, il lui proposa
de l’aider. Elle rentra chez elle dans le noir, suivie de l’homme. C’était
Homme-Rivière. Les parents dirent à la fille : « Qui est cet homme ? »

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Le cycle du feu 211

Il répondit : « Je suis Homme-Rivière. J’ai eu pitié de cette chanteuse. »


Ils grondèrent leur fille. Néanmoins, Homme-Rivière l’épousa.
Après cela, ils restèrent dans l’obscurité totale. Ils demandèrent
à Homme-Rivière : « Pourquoi vivons-nous dans l’obscurité ? » Il
répondit : « Pourquoi en effet ? » Il s’habilla et sortit pour prati-
quer de la magie. Une petite lumière apparut alors. Le jour se
leva. Ils discutèrent entre eux : « Comment allons-nous faire ? »
Puis Yini’a-ñawġut se prépara pour un voyage. Elle se rendit chez
Homme-Corbeau et demanda : « Halloo ! Homme-Corbeau est-il à
la maison ? » Sa sœur, Femme-Corbeau, répondit par l’affirmative.
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Yini’a-ñawġut trouva Homme-Corbeau et lui dit : « Depuis que tu
es parti, je suis toujours éteinte. Ne manques-tu pas d’ardeur depuis
ce temps-là ? Veux-tu rester ainsi ? » Comme il lui montrait son
dos, elle voulut lui tourner le visage pour qu’il la regarde. Mais il
continuait à lui tourner le dos. Alors elle le chatouilla sous les bras.
Elle mit ses mains sous ses aisselles. La sœur d’Homme-Corbeau lui
dit : « Qu’est-ce qui t’arrive ? Arrête ! Ça suffit, ma fille. » Homme-
Corbeau commença alors à faire des bruits dans sa direction : « Ġm,
ġm, ġm ! » Elle le tourna vers elle, et il éclata de rire : « Ha, ha,
ha ! » Le soleil fit un bond et se fixa au ciel. La lumière du jour
s’étendit.
Puis ils couchèrent ensemble. Elle lui dit : « As-tu une tente ?
– Non !
– As-tu une fourchette ?
– Non !
– As-tu une assiette ?
– Non !
– Alors, rentrons à la maison ! J’ai toutes ces choses chez moi. »
Ils s’en allèrent chez Grand-Corbeau. Elle dit à Homme-Corbeau :
« Oh, vous êtes un homme bon ! » Il se sentit flatté. Puis elle le tua.
Yini’a-ñawġut plaça la tête d’Homme-Corbeau au-dessus d’elle. Elle
prononça une formule servant à conjurer le mauvais temps : « Ton
palais taché, laisse-le se transformer pour devenir un beau ciel sans
nuage ! »
Elle rentra chez elle. Ses proches lui demandèrent : « Qu’as-tu fait ?
– J’ai tué Homme-Corbeau. Il avait caché le soleil dans sa bouche. »

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212 Cosmogonies

Femme-Corbeau se demanda : « Est-ce que mon frère se souvient


toujours de moi ? Il doit avoir beaucoup à manger. » Elle voulut aller
le voir, mais il était mort. Alors elle pleura : « Il a causé des ennuis
aux autres personnes. Il est donc mort. » Elle laissa le corps là où il
était. Il n’y avait rien d’autre à faire.
Puis des gens dirent à Homme-Petit-Oiseau : « Rentrez chez vous,
tous les deux ! Partez avec une caravane de traîneaux ! » Homme-
Petit-Oiseau leur répondit : « Nous irons à pied. »
Yini’a-ñawġut et lui partirent à pied et arrivèrent à une rivière.
Homme-Petit-Oiseau dit à sa femme : « Laisse-moi te porter ! » La
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femme lui dit : « Ne fais pas ça ! » Il lui répondit : « C’est bon. » Il
la porta et il mourut. Yini’a-ñawġut passa une nuit au milieu des
pins et faillit mourir de froid.
Le lendemain matin, alors que le jour s’était levé, un troupeau de
rennes passa à proximité. Tous les rennes avaient des bois en fer.
Un homme marchait à leur côté. Il dit à Yini’a-ñawġut : « Oh, viens
ici ! » Elle lui répondit : « Je ne viendrai pas. Mon mari est mort.
– Mais c’est moi : je suis ton mari. »
Il sortit ses gants : « C’est toi qui les as faits pour moi. Je suis ton
mari. Je suis Homme-Petit-Oiseau. »
Il y avait dans une maison des rennes destinés à la conduite des
traîneaux. Homme-Petit-Oiseau dit à Yini’a-ñawġut : « Allons voir
Grand-Corbeau ! Que tes parents disent encore une fois que tu as un
mauvais mari ! » Ils partirent avec une caravane de traîneaux. Quand
ils arrivèrent, les gens dirent à Grand-Corbeau : « Oh, ta fille est venue
avec une caravane. » Grand-Corbeau rétorqua : « Notre fille est partie
à pied. » Alors Yini’a-ñawġut dit : « Me voici, j’ai été ramenée à la
maison par Homme-Petit-Oiseau. » Homme-Petit-Oiseau fabriqua par
la suite de nombreux traîneaux, tous en argent. Ils vécurent là tous
ensemble, et voyagèrent partout avec une caravane de traîneaux. Ils
vécurent dans la joie, et le restèrent.

Mythe koryak, Kamtchatka (Bogoras, 1917 : 12‑23)

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5
Le vol du feu

G érard de Nerval écrivait : « La nuit éternelle


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commence, et elle va être terrible. Que va-t‑il
arriver quand les hommes s’apercevront qu’il n’y a plus de
soleil ? » (1855 : 487).
Nous avons vu dans le chapitre précédent qu’à une tradi‑
tion mythologique portant sur les catastrophes cosmiques et
transportée par les premiers hommes qui ont peuplé le nord
de l’Eurasie se rattachait un motif selon lequel leurs ancêtres
avaient acquis avec difficulté le soleil, qui était caché ou encore
volé. En Eurasie et en Amérique, un grand nombre de sociétés
racontent encore aujourd’hui que l’astre fut un jour dérobé ou
se cacha de lui-même, ce qui conduisit à l’obscurité et au chaos.
Un héros vint le reprendre ou le sortir de sa cache. Ces sociétés
semblent avoir ainsi anticipé les mots de l’écrivain français.
Déjà instruits des conclusions du chapitre 4, tentons de vérifier,
en examinant la question sous des angles nouveaux, que les
similitudes entre les récits de Soleil volé s’expliquent davantage
par les liens généalogiques qu’ils entretiennent les uns avec les
autres que par une série d’émergences spontanées.
Un récit mythique, comme un maillon, s’enchâsse à la suite
de versions plus anciennes, qui lui donnent sa forme. Il appar‑
tient donc à une chaîne causale. Pour mettre cette chaîne en
lumière, il est nécessaire d’identifier chacun des antécédents
du motif du Soleil volé et ce faisant de remonter le plus loin
possible dans le temps. Il est évident que cette approche a
ses limites, puisque, d’identification en identification, nous
risquons de tomber dans une sphère indéfinie où se perd le

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214 Le cycle du feu

point d’origine du récit. Cependant, cette approche demeure


efficiente pour le but que nous nous proposons d’atteindre :
corroborer ou réfuter l’existence du motif du Soleil volé ou
caché au moment où l’homme est parti à la conquête du nord
de l’Eurasie.

Soleil caché, soleil volé

Amaterasu
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Ce mythe est principalement connu par deux célèbres
recueils de mythes japonais racontant l’origine de l’archipel et
des dieux, le Kojiki (古事記) et le Nihon shoki (日本書紀). La
déesse du soleil Amaterasu se fâcha avec son frère Susanoo,
divinité de la mer et du vent. Aussi décida-t‑elle de se retirer
dans la caverne du ciel, ce que François Macé interprète comme
une mort symbolique suite à son viol par Susanoo (Macé, 2020 :
94). Le monde sombra dans la pénombre. Les dieux se réunirent
et palabrèrent longtemps, cherchant à résoudre cette situation.
Finalement, Ameno-uzume-no-mikoto se déguisa avec divers
végétaux au point de s’en rendre ridicule, puis se mit à danser
devant la caverne, découvrant sa poitrine et laissant voir sa
vulve. L’assistance se mit à rire. Alors Amaterasu, curieuse,
sortit de la grotte pour voir ce qui se passait. Ameno-uzume
lui expliqua qu’il y avait dehors une divinité (神, kami) plus
noble qu’elle, ce qui expliquait la joie, les rires et les danses du
public. Cette révélation poussa Amaterasu à sortir de la grotte,
brillante, éclairant de nouveau le monde.
L’orientaliste Isidore Lévy (1936) a proposé de voir dans un
récit égyptien, où la fille du dieu du soleil dévoile son sexe
pour faire rire son père vexé et le sortir de sa cachette, l’origine
lointaine du mythe japonais. Claude Lévi-Strauss explique pour
sa part la proximité entre ces deux mythes par une « couche
mythologique archaïque » (Lévi-Strauss, 2011 : 142), refusant
cependant d’établir des rapports généalogiques entre les diffé‑
rentes versions. Quant à l’helléniste Pierre Lévêque (1988),

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Le vol du feu 215

il rapproche la danse impudique d’Ameno-uzume-no-mikoto et


le récit qui y conduit au mythe grec de Déméter, suggérant leur
appartenance à un ancien fonds paléolithique. Il est sur ce point
rejoint par l’indo-européaniste Bernard Sergent (1990, 2009b).
Les deux spécialistes tombent d’accord pour mettre en rapport
les versions eurasiatiques du récit et un ensemble de mythes
amérindiens, constituant ce que Lévi-Strauss appelait la « vulgate
amérindienne ». Dans ces récits, une fille visitée nuitamment par
un inconnu le colora pour l’identifier le jour levé ; elle découvrit
alors qu’il s’agissait de son frère et le dénonça : l’un devint la
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lune, l’autre le soleil.
Le philologue allemand Michael Witzel (2005, 2012 : 139‑143)
rapproche le mythe japonais d’un récit du Ṛgveda, collection
d’hymnes sacrés de l’Inde antique, et montre qu’il existe de
nombreuses correspondances entre ces histoires et des mythes
eurasiatiques et amérindiens. Aussi rattache-t‑il le mythe
­d’Amaterasu à une ancienne mythologie paléolithique, qu’il
nomme « laurasienne », partagée essentiellement par l’Eurasie
et l’Amérique du Nord.
Pour étayer ces analyses, au moins un parallèle direct pourrait
être établi entre l’Eurasie et l’Amérique du Nord. En effet, les
Cherokee, groupe installé dans l’est et le sud-est des États-
Unis, racontent que Dame Soleil était jalouse, car les humains
grimaçaient à sa vue, et non à celle de son frère Lune ; elle
causa donc des fièvres meurtrières. Les humains voulurent tuer
l’astre devenu fou. Malheureusement, les serpents envoyés pour
accomplir cette mission se trompèrent et tuèrent la fille au lieu
de la mère. Dame Soleil perdit toute alacrité et prit le deuil ;
une nuit perpétuelle tomba. Sur le conseil des Esprits tutélaires,
les humains missionnèrent sept d’entre eux au pays des âmes
pour ramener sa fille à l’astre du jour. Malheureusement, les
humains ouvrirent trop tôt le coffre où était enfermée la jeune
fille : celle-ci s’enfuit, transformée en oiseau. Laissons à Claude
Lévi-Strauss, pour qui nous sommes désormais « plongés en
pleine mythologie japonaise » (1968 : 230), le soin de conclure
cette histoire :

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216 Le cycle du feu

Dame Soleil fut si désolée de perdre sa fille une seconde fois


qu’elle inonda la terre de ses larmes. Craignant d’être noyés,
les humains envoyèrent leurs plus beaux garçons et leurs plus
jolies filles danser devant elle pour la distraire. Longtemps
elle tint son visage caché sans prêter attention aux chants et
aux danses. Mais un tambourinaire ordonna un changement
de rythme. Surprise, Dame Soleil leva les yeux et le spectacle
lui plut tellement qu’elle sourit. (Ibid. : 229.)

Si la vaste diffusion de récits où un dieu du soleil part se


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cacher, mourant aux yeux de tous, puis ressuscite grâce à un
rire et/ou une danse, semble indiquer une origine paléolithique,
l’aire de répartition de ces récits n’est pas systématique. S’agit-il
alors d’un type véritable, s’étant diffusé durant la préhistoire de
l’humanité et dont peu de traces nous seraient parvenues, ou
d’un faux air de famille, unissant des récits que seuls rappro‑
cheraient certains traits contingents ? En d’autres termes, est-il
possible de se garder de l’illusion de pouvoir tirer d’un ensemble
de mythes épars un type fictif ?
Les hypothèses généalogiques expliquant la répartition de ce
mythe sont séduisantes, mais possiblement fragiles. Si nous les
endossons, ce n’est pour le moment que provisoirement. La
démonstration doit être consolidée sur des bases indépendantes
et mathématiques avant de savoir si nous les retiendrons.

Une lignée nord-eurasienne ?


Le mythe de la déesse Amaterasu, au cœur des analyses
qui précèdent, appartient à un ensemble de mythes eurasiatiques
et amérindiens racontant comment la disparition du soleil, suite
à un vol ou à une volonté de disparaître, conduisit le monde
à l’obscurité et au chaos. Pour comprendre la façon dont le
mythe d’Amaterasu a évolué, il faut dès lors l’étudier dans un
contexte plus large.
Or j’ai pu interroger la diffusion de ce type de récits dans
le cadre de mes travaux de thèse, portant sur l’histoire du
peuplement de l’Afrique et du monde vue sous le prisme de

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Le vol du feu 217

Carte 5.1 Diffusion des récits étudiés


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Les symboles correspondent aux différents ensembles mis en évidence
grâce au logiciel Structure (voir infra).

la ­distribution des mythes. Il s’agissait alors de comprendre


comment une version du mythe du Soleil caché retrouvée en
Afrique australe était arrivée là. Suivant cet objectif, j’ai été amené
à étudier 29 versions de ce mythe après les avoir découpées en
80 mythèmes. Ce corpus, quoique statistiquement significatif,
est loin d’être exhaustif, et doit être considéré comme provi‑
soire, appelé à être élargi pour affiner ou corriger les premiers
résultats obtenus.
J’ai construit deux arbres phylogénétiques en m’appuyant
sur deux méthodes différentes. Le premier était un arbre
de consensus strict, ne retenant que les embranchements
présents dans l’ensemble des 1 000 arbres les plus parcimo‑
nieux (figure 5.1 à gauche). Le second était un arbre bayésien
(figure 5.1 à droite). Ces arbres ont été enracinés en utilisant
cinq versions australiennes (Waterman, 1987 : 70‑71) lesquelles,
même si elles ne traitent pas du vol du soleil mais du vol du
feu, partagent avec certaines des versions étudiées de nombreux

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218 Le cycle du feu

À gauche, arbre de consensus constitué des 1 000 arbres les plus


Figure 5.1 
parcimonieux construit à partir du corpus du soleil caché/volé ;
à droite, arbre bayésien construit à partir du corpus du soleil
caché/volé

KABIKABI WAKAWAKA AUSTRALIE PAMA-NYUNGAN


WOTJOBALUK AUSTRALIE PAMA-NYUNGAN
NOONGAHBURRAH AUSTRALIE PAMA-NYUNGAN
WONGAIBON AUSTRALIE PAMA-NYUNGAN
KAMILAROI AUSTRALIE PAMA-NYUNGAN
KORIAK ASIE DU NE PALEO-SIB
AGARIA INDE IE
RIG VEDA INDE IE
LITUANIE EUROPE IE
KALEVALA FINLANDE OURALIEN
AFRIQUE DU SUD
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ÉGYPTE ANTIQUE AFROASIATIQUE
KOJIKI JAPON JAPONIQUE
LAP CHAS INDE DU NORD SINO-TIB
MIAO HMONG 1 S DE LA CHINE HMONG-MIEN
MIAO HMONG 2 S DE LA CHINE HMONG-MIEN
CHEROKEE SE DE L’AMÉRIQUE DU N IROQ
CREEK SE DE L’AMÉRIQUE DU N MUSKOG
NAHUALT MÉSOAMÉRIQUE UTO-AZTÈQUE
TCHOUKTE ASIE DU N E PALEO-SIB
INUIT SIBÉRIE ESKIMO-ALEOUTE
NOOTKA COLOMBIE-BRITANIQUE WAKASHANE
QUILEUTE 1 PLATEAU CÔTIER D’AM DU N CHIMAKUANE
QUILEUTE 2 AM DU N CHIMAKUANE
YUPIKS CENTRAUX ARCTIQUE ALASKA ESQUIMAUX-ALÉOUTES
BELLABELLA NO DE L’AMÉRIQUE DU N WAKASHANE
NOOTKA 2 NO DE L’AMÉRIQUE DU N WAKASHANE
KWAKIULT NO DE L’AMÉRIQUE DU N WAKASHANE
DEG HIT AN SUBARCTIQUE NA-DENE
TLINGIT 2 NO DE L’AMÉRIQUE DU N NA-DENE
TLINGIT 1 NO DE L’AMÉRIQUE DU N NA-DENE
TAHLTAN SUBARCTIQUE NA-DENE
GWICH IN SUBARCTIQUE NA-DENE
KOYUKON SUBARCTIQUE NA-DENE

points communs, comme la présence d’un corbeau, l’usage du


rire ou de la danse pour obtenir le feu ou le soleil, ou encore
la bouche, choisie comme cachette de l’élément dérobé. Par
ailleurs, le fait que le principal peuplement de l’Australie a
eu lieu particulièrement tôt par rapport aux autres régions du
monde, et que les populations y sont restées très longtemps
isolées, laisse penser que cette zone géographique aurait pu
conserver une version plus ancienne du mythe. Les arbres
réalisés grâce aux deux méthodes concordent étroitement. La
structure obtenue ne semble donc pas être un artefact lié à la
méthode utilisée.
L’indice de rétention est de 0,51 pour le premier arbre, ce
qui montre une transmission horizontale modérée du contenu
du mythe, à chaque génération, et n’exclut pas de nombreux
emprunts (Nunn et al., 2010). L’indice de rétention calculé pour

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Le vol du feu 219

le second arbre, de 0,70, est plus solide et corrobore une trans‑


mission verticale.
Afin de confirmer la structure des arbres obtenus en faisant
l’économie d’une hypothèse de descendance par arborescence,
j’ai également déterminé l’organisation idéale du corpus en utili‑
sant un algorithme bayésien, appelé Structure, servant norma‑
lement à reconstruire la structure d’une population. J’ai pour
cela calculé le nombre optimal de groupes constituant le corpus,
ainsi que leur indice de fixation (Fst). Cet indice est ordinai‑
rement utilisé pour mesurer la différenciation génétique d’une
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population par rapport aux autres, en opposant la variabilité
interne à chaque ensemble à la variabilité produite par l’écart
entre les groupes. Un Fst de 0 indique une absence de variation
entre deux populations, tandis qu’un Fst de 1 témoigne d’une
complète différenciation.
La structure du corpus la plus probable est composée de trois
ensembles. Le premier groupe (Fst = 0,56) réunit toutes les
versions australiennes, le deuxième (Fst = 0,20) inclut l’ensemble
de la polytomie eurasiatique et, pour une faible part, amérin‑
dienne, le dernier (Fst = 0,59) rassemble les autres versions.
Chaque récit possède une probabilité égale ou supérieure à 75 %
d’appartenir au groupe qui lui a été assigné, à l’exception des
Creek (69 %) et surtout de la version d’Afrique du Sud, qui a,
selon les paramètres adoptés, 26 % ou 27 % de chances d’appar‑
tenir au premier groupe, 38‑39 % au second et 35 % au dernier.
La valeur des indices de fixation des différents groupes est parti‑
culièrement élevée, oscillant entre 20 % et 59 %, ce qui suggère
que chaque étape dans l’évolution du mythe contraste fortement
avec les autres : on pourrait alors parler de « bonds évolutifs »
ou « ponctuations » (voir chapitre 2).
Une fois l’arbre enraciné en utilisant les versions australiennes
comme exogroupe, la version koriak, retranscrite au début de ce
cycle, se trouve en position basale, ce qui est remarquable. En
effet, les anciens Eurasiens du Nord ont fortement contribué au
patrimoine génétique de cette population, seuls les Tchouktches
les dépassant, parmi les populations sibériennes, quant à la part

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220 Le cycle du feu

des gènes hérités (Seguin-Orlando et al., 2014). De nombreux


peuples sibériens ont par ailleurs hérité des gènes de ces anciens
Eurasiens (Flegontov et al., 2016).
Les anciens Eurasiens du Nord sont le nom donné à une
composante ancestrale héritée d’individus partageant la culture
Mal’ta-Buret’ ou d’une population étroitement liée à ceux-ci.
Cette lignée est définie par association avec les restes d’un garçon
(appelé MA-1) ayant vécu près du site de Mal’ta pendant le
dernier maximum glaciaire, il y a 24 000 ans. Les populations
génétiquement semblables à MA-1 ont contribué de façon impor‑
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tante à la constitution génétique, par ordre décroissant d’impor‑
tance, des Amérindiens, des Asiatiques centraux, des Européens,
des Sud-Asiatiques et des Asiatiques de l’Est.
Les Anciens Eurasiens du Nord constituent l’une des premières
lignées humaines d’Eurasie. Le plus ancien échantillon qui leur
est associé provient d’une dent découverte sur le site de Yana
Rhinoceros Horn en Sibérie du Nord-Est. Grâce à ce vestige daté
d’il y a environ 31 600 ans, la population des Anciens Eurasiens
du Nord peut être décrite comme une lignée ayant divergé il
y a environ 38 000 ans des Eurasiens de l’Ouest, après que ces
derniers se furent séparés des Asiatiques de l’Est. Des contribu‑
tions significatives des premiers Eurasiens de l’Est (environ 22 %)
suggèrent un contact précoce en Sibérie du Nord-Est au cours
du Paléolithique supérieur (Sikora et al., 2019).
La position basale de la version koryak, si l’on accepte une
continuité de culture, impliquerait donc que le mythe ait été
connu lors du peuplement du nord de l’Eurasie, hypothèse qui
rejoint les résultats obtenus dans le chapitre précédent et qui
suggère un lien possible entre la diffusion de ce type de récit
et celles du Plongeon cosmogonique et de Polyphème. Encore
faudrait-il vérifier que la forme qu’adoptait alors le mythe est
compatible avec la reconstruction du motif du Soleil caché/volé.

Bouche d’ombre
La protoforme du récit a été établie en m’appuyant sur
le premier arbre construit. Le nœud utilisé pour la reconstruction a

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Le vol du feu 221

Tableau 5.1. Synthèse des traits reconstruits au niveau de différents nœuds


du premier arbre phylogénétique pour le motif du Soleil
caché/volé

Traits Nœud koryak Nœud quileute

Parcimonie Probabilité Parcimonie Probabilité


maximale maximale

Le soleil est libéré. 100 % 100 % 100 % 100 %

Le soleil revient définitive‑ 100 % 100 % 100 % 100 %


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ment.

Le monde est plongé dans 100 % 99 % 100 % 100 %


l’obscurité et le chaos.

Un ou plusieurs individus 100 % 94 % 100 % 89 %


rejoignent l’endroit où le
soleil est caché.

Objet volé = le soleil. 100 % 93 % 100 % 100 %

Le soleil est caché. 100 % 93 % 100 % 95 %

Emploi du rire pour faire 100 % 84 % 0% 0%


sortir le soleil.

Cache = dans la bouche du 100 % 78 % 0% 0%


voleur.

Emploi de la ruse pour 100 % 60 % 0% 44 %


reprendre le soleil.

Emploi de la magie pour 0% 0% 100 % 98 %


reprendre le soleil.

L’enfant du possesseur du 0% 0% 100 % 98 %


soleil réclame l’astre.

Un enfant libère le soleil. 0% 0% 100 % 96 %

Interdiction faite de toucher à 0% 0% 100 % 96 %


l’endroit où est caché le soleil.

Fuite avec le soleil. 0% 0% 100 % 86 %

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222 Le cycle du feu

d’abord été celui qui unit la version koryak à l’ensemble de l’arbre,


puis les mêmes méthodes ont été appliquées au nœud quileute
(Amérique du Nord, Nord-Ouest Pacifique). Deux algorithmes,
l’un de parcimonie, l’autre de probabilité maximale (modèle Mk1),
ont été utilisés. Les résultats ont été résumés dans le tableau 5.1.
Il est ainsi possible de proposer la reconstruction suivante d’un
récit qui daterait du Paléolithique supérieur : « Un individu cache
le soleil dans sa bouche. Le monde est plongé dans l’obscurité
et le chaos. Un ou plusieurs individus rejoignent le lieu où vit
le voleur et use du rire pour récupérer l’astre du jour. Le soleil
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est libéré et revient définitivement. »
Le récit d’Amaterasu semble avoir évolué depuis cette matière
première. Dans ce mythe comme dans son ancêtre reconstruit,
lumière et chaleur ne reviennent que par l’ouverture mécanique
de la bouche due à un rire. Cependant, l’individu qui possède
le soleil et l’immobilise dans sa bouche se transforme, dans les
mythes de type Amaterasu, en individu personnifiant l’astre
du jour, le rapport de contiguïté entre l’individu et l’astre
devenant un rapport d’identité. Par ailleurs, l’astre métamor‑
phosé en divinité à forme humaine, par sa taille, ne peut plus
se cacher dans une cavité buccale : la bouche devient donc
logiquement une grotte, soit une « bouche d’ombre ». Le passage
d’une bouche à une grotte comme contenant du soleil paraît
ainsi davantage lié à une anthropomorphisation et à une déifi‑
cation de l’astre sous la forme d’Amaterasu qu’à un état premier
du mythe. Mais cette modification reste ponctuelle et propre à
certaines versions seulement : la bouche reste largement le lieu
où le soleil est caché, par exemple chez les Koryaks (Bogoras,
1917 : 12‑23), les Deg Hit’an (Chapman, 1914 : 22‑26) et les
Tahltan (Teit, 1919 : 204‑205), la cache étant une cage, une boîte
ou un sac chez les Agarias (Luomala, 1964 : 214), les Nootka
(Boas, 1916 : 888‑892, 913‑914), les Cherokee (Mooney, 1900 :
253‑254), les Creek (Swanton, 1929 : 123) et les Yupik centraux
(Nelson, 1899 : 460‑462).
Le récit du Kojiki ne représenterait donc pas un état primitif
du mythe. La polytomie regroupant les différentes versions

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Le vol du feu 223

e­urasiatiques et quelques versions amérindiennes, ensemble


également identifié grâce au logiciel Structure, plaide plutôt pour
l’existence d’un vaste complexe américano-eurasiatique, corres‑
pondant à la « couche mythologique archaïque » de Lévi-Strauss
(2011 : 142), où le message phylogénétique aurait été atténué,
voire effacé, par une multitude d’emprunts.
D’Eurasie, le motif serait ensuite arrivé, ou revenu, en Afrique,
puisque sa probable présence juste après la sortie de ce continent
n’exclut pas qu’il ait pu y apparaître. Le papyrus Chester Beatty 1,
où l’on retrouve ce motif sous le nom de « dispute entre Horus
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et Seth », indique, de par sa datation (XXe dynastie pharao‑
nique), l’ancienneté de l’arrivée du mythe sur ce continent. Les
arbres phylogénétiques, en groupant les versions japonaise et
égyptienne, donnent partiellement raison à Isidore Lévy, qui
liait les deux (Lévy, 1936).
Après l’émergence et la diffusion du mythe du Soleil volé en
Eurasie, les deux arbres phylogénétiques montrent un premier
passage en Amérique via le détroit de Béring, lorsque cela était
encore possible, au Paléolithique supérieur. Cette première diffu‑
sion semble s’être limitée aux Amériques du Nord et centrale
(Cherokee, Creek, Nahualt, Nootka) et ne pas être connectée à
l’expansion athapascane, plus tardive.
La version cherokee voit sa place changer entre les deux arbres
et forme pour l’un d’eux un clade avec les versions des Mia
Hmong, des Lap Chas, et surtout le mythe égyptien et celui
d’Amaterasu. Une hypothèse permettant d’expliquer cette place
changeante est d’y voir le jeu de multiples influences agissant
concurremment sur le récit. Claude Lévi-Strauss intègre ce mythe
dans le cycle de la « dispute des astres », tandis que Bernard
Sergent remarque que « si l’on constitue un triangle formé de […]
trois mythes (Amaterasu, Déméter, l’inceste Soleil-Lune amérin‑
dien), le mythe Cherokee se place exactement au centre de ce
triangle » (Sergent, 2009b : 59). C’est cette position particulière,
à l’intersection de différents grands types mythologiques, qui
brouillerait son placement statistique. Par ailleurs, les résultats
montrent que le mythe égyptien, cherokee et celui d’Amaterasu

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224 Le cycle du feu

peuvent appartenir au même clade, suggérant une affiliation et


une possible diffusion en Amérique du Nord, en même temps
que d’autres versions du Soleil volé, de la variante mise en
évidence par Pierre Levêque et Bernard Sergent.
À la lecture des arbres et des résultats produits par le logiciel
Structure, il semblerait qu’après avoir été introduit une première
fois en Amérique, le mythe du Soleil caché/volé ait continué
d’évoluer indépendamment en Sibérie, avant de passer une
nouvelle fois dans le Nouveau Monde. Cette seconde diffusion
en terre amérindienne, centrée sur la région circumpolaire, ne
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peut qu’être rapprochée de la vague de peuplement du nord
du continent américain par les Athapascan et les Esquimaux-
Aléoutes.
Une mutation majeure, liée à cette diffusion, semble s’être
produite en Asie. On peut en proposer la forme suivante :

Le soleil est caché. Le monde est plongé dans l’obscurité


et le chaos. Un ou plusieurs individus rejoignent le lieu où
vit le voleur et use de magie pour le libérer. L’enfant du
possesseur du soleil [souvent un individu métamorphosé],
malgré l’interdiction qu’il a de toucher l’objet où l’astre est
caché, le réclame, finit par le libérer et s’enfuit avec. L’astre
revient alors définitivement.

Pour évaluer la fiabilité de cette dernière reconstruction, il est


possible de la comparer à celle obtenue par Andrey Korotayev et
Daria Khaltourina (2011) en s’appuyant sur la base de données
de Yuri Berezkin. Utilisant une approche en composantes princi‑
pales et croisant les résultats avec diverses données génétiques, ces
chercheurs sont parvenus à identifier un groupe mythologique
associant l’Asie du Nord-Est et l’Amérique du Nord-Ouest. Parmi
les différents récits rattachés statistiquement à cet ensemble,
qui correspond à la deuxième vague de peuplement visible sur
les arbres phylogénétiques, les motifs suivants sont particuliè‑
rement intéressants : « B18. La lumière du jour dans un pot ou
un sac : la lumière du jour, du soleil ou de la lune est préservée

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Le vol du feu 225

sous ou à l’intérieur d’un réceptacle, sous un couvercle, etc. » et


« C19. Acquisition du soleil. Un enfant (généralement Corbeau)
demande et obtient des corps célestes avec lesquels jouer ». La
reconstruction phylogénétique est dès lors corroborée par des
résultats obtenus de façon indépendante.
Comme l’auguraient les résultats obtenus dans le chapitre
précédent, le mythe du Soleil volé serait donc paléolithique, et se
serait diffusé dans le nord de l’Eurasie avant d’atteindre le nord
du Nouveau Monde. Le mythe d’Amaterasu, utilisé par certains
chercheurs pour prouver l’origine paléolithique du type, consti‑
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tuerait une élaboration secondaire d’un substrat plus primitif.
Poursuivant notre objectif initial, il nous faut encore découvrir
d’où vient ce mythe, s’il provient d’une invention paléolithique
propre à l’hémisphère nord, ou s’il descend d’un mythe plus
ancien encore, peut-être antérieur à la sortie d’Afrique.

Le feu à la source du soleil

Le rire et la danse
La reconstruction du protorécit du Soleil volé rappelle
un autre grand type de récits, où le feu est dérobé grâce à un rire
et/ou à une danse. Ce motif est largement diffusé à travers le
monde. Par exemple, de nombreuses sociétés khoisanes d’Afrique
australe expliquent que le vol du feu se fit au détriment de
l’autruche, qui le cachait dans son plumage. Le décepteur l’incita
à ouvrir ses ailes, parfois en l’invitant à danser, parfois en lui
proposant d’attraper un fruit situé trop haut. Quand elle s’exé‑
cuta, le décepteur saisit sa chance de voler le feu pour l’offrir
aux hommes (Schmidt, 2013 : 375‑377).
En Australie, les Kamilaroi relatent que Corbeau était le seul
possesseur du feu. Les autres, qui mangeaient leur nourriture
crue, soupçonnaient quelque chose, car, de tous, seul Corbeau
n’avait jamais de sang autour de la bouche. Ils l’invitèrent donc
à une fête, où de nombreux danseurs comiques tentèrent de le
distraire, mais Corbeau restait de marbre. Deux d’entre eux se

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226 Le cycle du feu

mirent alors à chanter une chanson obscène en dansant avec


des ordures tombant sur leurs jambes. Ce spectacle détourna
l’attention de Corbeau et l’épervier en profita pour voler le
feu caché dans son sac. Le feu se répandit et Corbeau, tentant
d’éteindre l’incendie, vit ses plumes noircir, ce qui explique
sa couleur actuelle. D’autres groupes australiens connaissent
des récits similaires (Waterman, 1987 : 70). Par exemple, les
aborigènes du Queensland racontent que le feu était autrefois
contenu dans le corps d’un serpent, ce qui renvoie à l’asso‑
ciation paléolithique du serpent et de la foudre évoquée dans
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le deuxième interlude. Un oiseau réussit à faire rire l’ophidien
par ses girations comiques et le feu s’échappa de la bouche du
reptile (Dixon, 1916a : 282‑283).
Remarquons au passage que la présence du motif du corbeau
noirci, sur une des îles les plus anciennement peuplées par
l’humanité, rappelle certains mythes amérindiens de Polyphème
et corrobore la reconstruction du motif « Le corbeau ou un
autre oiseau mangeur de charogne de couleur foncée et de taille
similaire était à l’origine blanc », évoqué dans le chapitre 4 et
présent a minima à l’origine du peuplement de l’Eurasie du
Nord. Le thème du corbeau se déroule ainsi de chapitre en
chapitre, s’ajoutant comme un fil supplémentaire à notre toron
argumentatif.
La répartition géographique du motif où le feu est dérobé de
la bouche de son propriétaire en le faisant rire inclut l’Amérique
du Sud (mais non, à ma connaissance, l’Afrique, où seul le motif
de la danse est présent), par exemple les Sanumá, les Yanomam
et les Yanomami dans le sud du Vénézuela (Wilbert et Simoneau,
1990 : 111‑115, 116‑119, 120‑154, 126‑127, 130‑133) ou les Bare
en Amazonie du Nord-Ouest (Pereira, 1980 : 224‑225). Cette
diffusion corrobore la grande ancienneté du motif.
Que le vol du feu à l’aide d’une danse ou d’un rire soit
présent en Afrique australe, en Australie et en Amérique du Sud
suggère qu’il était connu avant la sortie de l’homme moderne
d’Afrique. A contrario, l’aire de distribution des mythes où le
soleil est obtenu par le rire et/ou la danse est plus limitée. Ces

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Le vol du feu 227

mythes seraient donc plus récents que les précédents et en


découleraient.

Quand les femmes détenaient le feu


Un autre point est à éclaircir : pourquoi dissimuler
le feu dans la bouche ? Pour répondre à cette question, il est
nécessaire de faire un détour par un autre grand ensemble de
mythes faisant de la femme le premier possesseur du feu.
En Afrique australe, les !Xun et les Nharo racontent ainsi que
la femme détenait primitivement le feu, ce qui lui permettait de
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cuire sa nourriture pendant que l’homme, souvent son époux,
devait se contenter de viande crue. Ce dernier finit cependant
par obtenir le feu, soit en le volant, soit en le recevant par
don. Une version !Xun relate que la femme apparut la première,
suivie de l’homme. L’homme demanda à la femme de lui donner
du feu, ce qu’elle fit. Elle alla cueillir une certaine plante et
la mangea. Puis l’homme et la femme se marièrent (Schmidt,
2013 : 381).
Dans le nord-est du Botswana, les San Basarwa racontent que,
aux origines du monde, les premiers hommes et les premières
femmes demeuraient séparément, de chaque côté d’une rivière.
Les uns vivaient de chasse, les autres de la récolte de graines. Un
jour, les hommes tuèrent une antilope Springbok. Ils n’avaient
pas de feu, car, faute d’attention, ils l’avaient laissé s’éteindre. Ils
avaient si faim, et si peu de patience pour rallumer un nouveau
feu, qu’ils envoyèrent l’un des leurs en demander au village des
femmes. Le messager rencontra une femme près de la rivière ;
elle l’invita à la suivre chez elle et lui dit d’attendre qu’elle écrase
les graines qu’elle venait de récolter, puis qu’elle lui fournirait
du feu. Elle prépara une bouillie à partir de sa récolte et en fit
goûter à son hôte. L’homme se régala, et décida d’habiter avec
la femme. Les autres hommes restés de l’autre côté de la rivière
attendirent longtemps. Finalement, ils décidèrent d’envoyer un
nouveau messager. Celui-ci rencontra une autre femme, et ce
qui s’était déjà passé se reproduisit. L’homme, rassasié, décida
de s’installer. Tour à tour, chaque homme restant fut missionné

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228 Le cycle du feu

pour aller quémander du feu dans le village des femmes et


tous s’y établirent, convaincus par leur ventre qu’ils étaient au
meilleur endroit possible. Finalement, il n’en resta plus qu’un,
qui finit par partir dans un pays lointain (Dornan, 1917 : 78‑79).
Ce récit n’est pas sans rappeler celui des Lugbara, peuple
vivant au nord-ouest de l’Ouganda, dans la région limitrophe du
nord-est de la République démocratique du Congo, ainsi qu’au
Soudan du Sud. Les Lugbara racontent que leurs ancêtres, Jaki
et Dribidu, rencontrèrent une lépreuse, dont ils reçurent le feu
pour cuisiner. Ils la guérirent et eurent avec elles des relations
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sexuelles. Cela provoqua un différend avec les proches de la
femme, auxquels ils durent offrir une compensation financière.
Ce fut, disent les Lugbara, l’origine de la guerre et de la dot
(Scheub, 2000 : 83). Pour ce dernier exemple, la connotation
sexuelle du feu, obtenu par frottement ou giration (Frazer, 1930 :
220‑221 ; Bachelard, 1938), est évidente. Elle l’est moins pour
les versions khoïsanes, où l’acte sexuel, par le mariage, joue
cependant un rôle de contre-don à l’obtention de l’élément.
Dans la version lugbara comme dans celle des Khoïsan, le feu
est obtenu d’une femme et rend possible la cuisine ; ce passage
de la nature à la culture est lié à une régulation sociale de la
sexualité. Par ailleurs, le lien entre cuisine et feu renforce celui
existant entre sexualité et obtention du feu, du moins si on se
fonde sur « l’analogie très profonde que, partout dans le monde,
la pensée humaine semble concevoir entre l’acte de copuler et
l’acte de manger, à tel point qu’un très grand nombre de langues
les désignent par le même mot » (Lévi-Strauss, 1962 : 129).
Les mythes khoïsans trouvent un équivalent en Australie, où
« le vol du feu aux femmes ou sa transmission par elles est un
thème courant » (Glowczewski, 1991 : 116). Par exemple, selon
les Kakadu, il y eut un temps où seules les femmes savaient
faire du feu. Quand leurs époux partaient chasser, deux femmes
collectaient de la nourriture, la faisaient cuire puis dissimulaient
les braises encore chaudes dans leur vulve. Un jour, les hommes
demandèrent à leur femme d’où était venu le feu qu’ils avaient
aperçu au loin. Les femmes prétendirent qu’il n’avait jamais

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Le vol du feu 229

existé et tous se fâchèrent. Les femmes leur offrirent finale‑


ment quelques bulbes cuits en guise de réconciliation, préten‑
dant que seule la chaleur du soleil en avait permis la cuisson.
Le jour suivant, la même scène se reproduisit, mais les hommes
demandèrent pourquoi les bulbes pouvaient cuire au soleil,
mais non leur viande. Il n’y avait rien à répliquer. Le lende‑
main, les hommes partirent et découvrirent qu’il était possible
de produire du feu en frottant deux bâtons. Ils se déguisèrent
alors en crocodiles, se dissimulèrent dans la rivière et, lorsque
leurs femmes s’y rendirent, ils les entraînèrent vers les profon‑
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deurs. Quand ils les ramenèrent à la rive, ils leur demandèrent
pourquoi elles leur avaient menti, mais elles étaient mortes. Alors
les hommes devinrent définitivement des crocodiles (Spencer,
1914 : 305‑308). Ici, le feu n’est pas transmis par les femmes,
qui en gardent jalousement le secret. La vulve, détentrice de ce
secret, reste fermée, à la différence des versions africaines où le
don du feu « libère » la vulve et permet l’union des hommes
et des femmes. Les hommes découvrent seuls le secret de cet
élément, la friction ayant une connotation sexuelle. Mais, faute
de transmission de l’information, le passage à la culture reste
incomplet, conduisant à la mort des femmes et à la régression
animale des hommes.
Comme l’enseignent les exemples ci-dessus, la création ou
l’obtention du feu ont souvent une connotation sexuelle. Le
feu est dissimulé dans le vagin ou est associé à l’accès au vagin.
Or une équivalence symbolique peut être établie entre bouche
du haut et bouche du bas. Pensons au motif du vagin denté,
faisant la synthèse des deux orifices et dont la vaste diffusion
laisse suggérer une origine paléolithique (Hatt, 1949 : 87 ; voir
aussi chapitre 8 pour une démonstration), au symbolisme du
repas, qui renvoie à la consommation sexuelle, ou encore au mot
« lèvres », qui s’applique également à ces deux parties du corps.
Cette équivalence symbolique expliquerait, par un glissement à
la fois morphologique et sémantique, que le feu puisse passer
dans certains mythes du sexe de la femme à la bouche d’un
individu.

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230 Le cycle du feu

Il est alors possible de reconstruire l’enchaînement des mythes


ayant conduit aux récits où le soleil se cache ou est volé. Ces
mythes trouveraient leur origine dans les récits ­ racontant
comment le feu fut volé en provoquant le rire de leur proprié‑
taire. Ces récits découleraient à leur tour de l’idée que la femme
possédait primitivement l’élément. Ce lien entre la femme et
le vol du feu semble d’ailleurs réapparaître ponctuellement
en Eurasie, comme dans les mythes de type Amaterasu, sous
une forme où la femme devient elle-même le feu (solaire) ou
contribue à son obtention.
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Analyse statistique
Pour parachever cette démonstration, il est à nouveau
nécessaire de redoubler le raisonnement par un volet statistique,
afin de montrer au moins partiellement que les motifs du feu
volé à une femme, d’une part, et du feu dérobé en faisant danser
ou rire son premier possesseur, d’autre part, existaient lors de
la première sortie d’Afrique.
Pour vérifier cette hypothèse, 39 motifs mythologiques extraits
de la base de données de Yuri Berezkin et se rapportant à l’acqui‑
sition du feu par l’humanité ont été utilisés (d’Huy, 2017d).
L’absence dans la base d’un motif associant le vol du feu à une
danse et/ou à un rire n’a pas permis de tester la présence de ce
trait lors de la sortie d’Afrique, et seul le lien entre la femme et
le feu a pu être testé. Pour autant, comme nous l’avons vu plus
haut, il y a de solides raisons de croire que le motif manquant
aurait été connu par les premiers hommes anatomiquement
modernes.
Le niveau d’analyse choisi a été l’aire culturelle, soit une unité
plus large que la version d’un mythe (première partie du livre)
ou une tradition (deuxième partie). Ce choix appelle une justi‑
fication.
Pour le polymathe allemand Adolf Bastian (1884), toutes
les cultures partagent un socle commun d’idées élémentaires
(Elementargedanken) façonné par les « états d’âme » des popula‑
tions (Völkergedanken). Le géographe allemand Friedrich Ratzel

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Le vol du feu 231

utilise le terme de Kulturkreis (« cercle » ou « espace culturel »)


pour décrire aussi bien une aire à l’intérieur de laquelle une
culture s’est diffusée que la culture elle-même (Leser, 1963 : 9).
L’ethnographe allemand Leo Frobenius voit la culture comme
une entité supra-ethnique basée sur un ensemble d’éléments
diffusés et transformés conjointement. Il existerait un nombre
fini de « cercles culturels », vivant, naissant, se développant,
vieillissant et mourant (Frobenius, 1897, 1898 ; Hirschberg,
1988 : 273). Le géographe et ethnologue allemand Fritz Graebner
(1903, 1911) définit le cercle culturel comme un complexe d’élé‑
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ments culturels typiques (Kulturtypus) d’une aire géographique
non nécessairement continue. À la suite de ces différents auteurs,
nous définirons l’aire culturelle comme une zone géographique
où des individus partagent des traits culturels identiques ou
très voisins. Dans notre analyse, les aires culturelles sont celles
établies par Yuri Berezkin sur une base linguistique (groupes
partageant la même langue ou la même famille de langues) et
culturelle.
Pourquoi choisir ici cette unité d’analyse, et non, par exemple,
les versions d’un même mythe ou les traditions ?
Tout mythe, même s’il évolue lentement, finit par disparaître,
et la perte d’information est irréversible. Ce phénomène est
d’autant plus sensible dans l’hémisphère sud, où la mytho‑
logie conservée serait plus ancienne que celle de l’hémisphère
nord. Cette inéluctable déperdition expliquerait la difficulté à
­reconstruire une mythologie australe cohérente. Les mythes
y ayant été diffusés plus tôt, ils auraient eu plus de temps pour
diverger, lentement mais sûrement, les uns des autres, brouillant
leur apparentement, parfois s’effaçant sans laisser de trace ou
survivant dans une aire de diffusion clairsemée1.

1. Ainsi, le fait que les mythologies de l’hémisphère nord semblent s’intégrer dans
un récit des origines plus complexe que celles de l’hémisphère sud (Witzel,
2012) serait une illusion provoquée par l’écart temporel entre le peuplement de
l’hémi­sphère nord, plus récent, où les apparentements entre mythes ou traditions
mythologiques seraient plus faciles à repérer, et celui de l’hémisphère sud, plus
ancien, où les processus de différenciation ou d’usure seraient plus avancés.

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232 Le cycle du feu

Dans ces conditions, s’appuyer sur des aires culturelles


permet d’éviter qu’un récit ou un motif mythologique, disparu
dans une population donnée et persistant dans une autre
voisine, soit omis dans l’analyse. L’inconvénient est qu’un
emprunt ponctuel d’une tradition à une autre géographique‑
ment lointaine peut biaiser les résultats. Mais ce risque diminue
avec l’augmentation du nombre de motifs pris en compte dans
l’analyse et avec la possibilité de croiser les résultats obtenus
avec d’autres.
Après avoir identifié les aires culturelles possédant au moins
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huit motifs liés à l’obtention du feu, un arbre construit à partir
d’une matrice de distance et enraciné en Afrique de l’Est a pu
être créé (figure 5.2).
L’arbre obtenu présente deux clades amérindiens majeurs. Le
premier réunit le Midwest et la zone subarctique en Amérique du
Nord. Ce clade représenterait une deuxième, voire une troisième
expansion en Amérique du Nord depuis l’Eurasie, dont nous
avons précédemment montré l’existence. Le deuxième groupe
voit figurer l’Australie et la Mélanésie à sa racine. Il regroupe toutes
les autres versions amérindiennes, sous la forme d’un clade divisé
en deux parties : un ensemble d’aires culturelles appartenant au
sud de l’Amérique du Nord, à l’Amérique centrale et au nord de
l’Amérique du Sud (à l’exception du Plateau Côtier, qui désigne
la région des hauts plateaux entre les montagnes Rocheuses et le
système côtier montagneux en Amérique du Nord), et un autre
groupe correspondant aux aires sud-américaines. Cet ensemble
est probablement la trace résiduelle des premières expansions
en Amérique, dont l’aréologie a montré qu’elle tend à laisser
davantage sa marque dans l’hémisphère sud (voir par exemple,
dans le chapitre 3, les conclusions que l’on peut tirer de la
diffusion des mythes d’Émergence). La place de l’Amazonie du
Nord-Ouest à la racine du premier sous-ensemble suggère qu’il
y a eu une diffusion inversée à travers l’isthme de Panama après
la colonisation initiale de l’Amérique du Sud (voir aussi à ce
sujet Reich et al., 2012).

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Le vol du feu 233

Figure 5.2 Arbre Bio Neighbor-Joining construit à partir de 24 aires


culturelles, se basant sur la présence ou l’absence de motifs
concernant l’acquisition du feu par l’espèce humaine

AIRE BANTOUE
SOUDAN, AFRIQUE DE L’EST
AUSTRALIE
MÉLANÉSIE
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PLATEAU CÔTIER, AMÉRIQUE DU NORD
CALIFORNIE
ÉTATSUNIS DU SUDEST

GRAND SUDOUEST

CHACO
MEXIQUE DU NORDOUEST

MÉSOAMÉRIQUE
AMAZONIE DU NORDOUEST

HONDURAS, PANAMA
AMAZONIE CENTRALE

ANDES DU NORD
AMAZONIE DU SUD

MONTANA, AMÉRIQUE DU SUD


BOLIVIE, GUAPORÉ AMÉRIQUE DU SUD
BRÉSIL DE L’EST

LLANOS, AMÉRIQUE DU SUD


VÉNÉZUELA DU SUD
GUYANE
SUBARCTIQUE, AMÉRIQUE DU NORD

MIDWEST, AMÉRIQUE DU NORD


0.05 changes

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234 Le cycle du feu

Figure 5.3 Arbre Bio Neighbor-Joining construit à partir de neuf aires


géographiques, se basant sur la présence ou l’absence de
motifs concernant l’acquisition du feu par l’espèce humaine
(une diffusion en Océanie s’est opérée depuis l’ensemble Asie/
Indonésie)

AUSTRALIE

POLYNÉSIE ET MICRONÉSIE

ÎLES DU DÉTROIT DE TORRÈS ET NOUVELLE-GUINÉE


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MÉLANÉSIE

INDONÉSIE

ASIE

AMÉRIQUE DU SUD

AMÉRIQUE DU NORD

AFRIQUE
0.05 changes

Les motifs retenus comme présents lors de la première sortie


d’Afrique ont été reconstruits à la fois au niveau de la racine
de l’arbre et au niveau du nœud regroupant l’Australie et la
Mélanésie, afin d’éviter que les résultats soient biaisés par des
motifs ramenés d’Eurasie en Afrique. Il s’agit des motifs D4A : « Le
feu est volé à son propriétaire d’origine ou repris à un voleur » ;
D4L : « 1) Le premier feu est envoyé du ciel vers la terre. 2) Les
ancêtres viennent du ciel et y apportent le feu ou la chaleur » ;
D5 : « Un personnage féminin est la propriétaire ou l’inventrice
(mais non la personnification) du feu » ; D9 : « Un corbeau ou un
autre grand oiseau charognard à plumes foncées est le propriétaire,
la personnification, le conjoint, l’obtenteur ou le voleur du feu, de
la lumière du jour ou du soleil » ; D12 : « 1) Les premiers habitants

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Le vol du feu 235

d’un pays lointain cuisinent au soleil. 2) Le (la) propriétaire du


feu ment en prétendant qu’il (elle) cuit sa nourriture au soleil ».
Le vaste recueil de mythes autour du feu établi par l’anthro‑
pologue écossais James George Frazer (1930 ; complété par les
données de Schmidt, 2013) permet de recouper ces données. Il
a été exploité pour créer une seconde base de données afin de
vérifier les résultats obtenus plus haut. 36 mythèmes ont été
pris en compte pour 9 des aires géographiques déterminées par
Frazer, chacune possédant un nombre de mythèmes supérieur
à 8 (voir la liste dans d’Huy, 2017d). Un arbre élaboré à partir
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d’une matrice de distance et enraciné sur l’Afrique a ensuite été
construit (figure 5.3).
Le clade amérindien y est le résultat probable d’une ou de
deux diffusions en Amérique. Les traits reconstruits à la fois au
niveau de la racine de l’arbre et du nœud regroupant l’Océanie,
l’Asie et l’Amérique, sont :
1. « Les femmes possédaient le feu avant les hommes. »
2. « Le feu vient de la foudre. »
3. « Le premier feu est venu du ciel ou du paradis. »
4. « Le feu est volé par un animal. »
5. « Le feu est volé à un animal. »
6. « Le feu vient d’un arbre incendié par la foudre ou est
contenu dans un arbre. »
Puis les résultats obtenus à partir des deux arbres ont été
comparés, montrant une coïncidence presque parfaite entre les
deux séries de résultats, à l’exception du motif D12, absent du
corpus de Frazer, et du motif D9 (« Un corbeau ou un autre
grand oiseau charognard à plumes foncées est le propriétaire,
la personnification, le conjoint, l’obtenteur ou le voleur du feu,
de la lumière du jour ou du soleil »).
L’absence de reconstruction du motif D9 pose le problème de
l’échantillonnage, car ce récit est connu en Afrique. Par exemple,
les Pygmées Efe et les Pygmée Mbuti, qui vivent dans le district
de l’Ituri de la République démocratique du Congo, racontent
comment l’un d’entre eux profita du sommeil de la mère de
Dieu pour lui voler le feu. Lorsque celle-ci se réveilla, elle appela

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236 Le cycle du feu

son fils à l’aide. Ce dernier se saisit du voleur et reprit son bien.


Un autre Pygmée s’équipa des plumes de l’oiseau sacré Tawa, le
corbeau, et profita d’un instant où la garde du feu se relâchait
pour plonger du ciel et voler l’élément, avant de repartir vers
les hauteurs. Dieu ne parvint pas à le rattraper. Quand il revint
chez lui, sa mère était morte de froid, et son ressentiment fut
tel qu’il condamna les hommes à mourir aussi (Trilles, 1945 :
171 ; Schebesta 1950 : 28).
Qu’un tel récit se retrouve chez les Pygmées est hautement
significatif. Les Pygmées se sont en effet séparés génétiquement de
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leurs voisins bantous il y a entre 60 000 et 70 000 ans (Quintana-
Murci et al., 2008 ; Patin et al., 2009). Si l’on accepte que les
mythes se conservent mieux que d’autres traits culturels et que
les peuples y sont davantage attachés qu’à leur langue, ce que
montre la corrélation existant entre la diffusion de certains gènes
et celle de certains mythes (Korotayev et Khaltourina, 2011), alors
la croyance en un oiseau foncé lié au feu a toutes les chances
d’avoir existé avant la sortie d’Afrique. Rappelons aussi qu’en
Australie, une des premières îles à avoir été peuplée par l’huma‑
nité anatomiquement moderne et dont les populations sont
longtemps restées isolées, le corbeau est régulièrement associé à
l’obtention du feu, souvent en le volant à une femme (Frazer,
1930 : 15‑19 ; Waterman, 1987 : 70 ; Glowczewski, 1991 : 117).
Comme le note Frazer (1930 : 215‑216), les mythes d’ori‑
gine du feu permettent d’expliquer certaines caractéristiques
des animaux, dont la couleur : c’est ce qui explique que, dans
le chapitre 4, le motif B82 (« Le corbeau ou un autre oiseau
mangeur de charogne de couleur foncée et de taille similaire
était à l’origine blanc ») ait pu être reconstruit à la base de la
diffusion mythologique s’originant en Afrique. Étayant l’hypo‑
thèse d’une association du motif D9 (« Un corbeau ou un autre
grand oiseau charognard à plumes foncées est le propriétaire,
la personnification, le conjoint, l’obtenteur ou le voleur du feu,
de la lumière du jour ou du soleil ») et du motif B82, il faut
noter que l’animal mis en scène, au-delà de sa couleur sombre,
est toujours un oiseau charognard.

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Le vol du feu 237

Alimentant le fil du corbeau, que nous avons commencé à


dérouler dès le premier chapitre, l’analyse phylogénétique corro‑
bore de surcroît notre hypothèse de départ. Dans l’imaginaire
des premiers Hommes anatomiquement modernes, le feu était
déjà lié à la femme, qui en était le premier propriétaire, voire
l’inventrice. Ce n’est que plus tard que l’autre sexe put en profiter.
Cette croyance s’est diffusée en même temps que l’humanité.
Mais comment la femme put-elle si longtemps dissimuler cet
élément essentiel aux yeux des hommes ? En le cachant dans sa
vulve. Cette réponse logique permet d’expliquer, par glissement
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de la bouche du bas à la bouche du haut, l’apparition du motif
faisant de l’orifice buccal d’un individu le réceptacle de l’élément.
Le feu serait ainsi passé de la vulve à la bouche.

Conclusion partielle
La reconstruction de différents motifs mythologiques
dans les pages qui précèdent, comme celui du feu originelle‑
ment venu du ciel (par un apport des ancêtres, un oiseau),
ou introduit par un élément médiateur entre terre et ciel (la
foudre ou l’arbre), ou encore volé à une femme, le tout lié à
une problématisation des conflits entre les sexes, rappelle ces
mots de Claude Lévi-Strauss, donnés en conclusion des quatre
volumes des Mythologiques :

En même temps […] que nous entrevoyons un système de


catégories se prêtant à des transformations multiples et qui,
dans son essence, pourrait être universel (car en relèvent
sans doute aussi les épreuves d’initiation ou de passage soit
par décharnement symbolique au moyen de scarifications,
de flagellations ou d’insectes venimeux, soit par cuisson),
nous comprenons comment l’humble récit d’une querelle
familiale, qui nous a servi de point de départ [le mythe
bororo du Dénicheur d’oiseau], le contient tout entier
en germe, et que le geste devenu pour nous insignifiant
d’enflammer un combustible en approchant une allumette
perpétue, jusqu’au cœur de notre civilisation mécanique,

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238 Le cycle du feu

une expérience qui, pour l’humanité entière jadis et de nos


jours encore pour d’ultimes témoins, fut ou reste investie
d’une gravité majeure, puisqu’en ce geste s’arbitrent
symboliquement les oppositions les plus lourdes de sens
qu’il soit donné à l’homme de concevoir, entre le ciel et la
terre dans l’ordre physique, entre l’homme et la femme dans
l’ordre naturel, entre les alliés par mariage dans l’ordre de la
société. (Lévi-Strauss, 1971a : 558.)

Lévi-Strauss montre en effet que tous les mythes amérindiens


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étudiés, relevant des deux hémisphères, présentent des éléments
invariants : un combat entre la terre et le ciel pour la conquête
du feu, ce combat opposant des peuples entiers, chacun habitant
d’un monde, ou s’incarnant dans l’exil temporaire d’un héros
au sommet d’un arbre, d’où il redescendra pour devenir maître
du feu. Deux constantes se maintiennent dans les deux hémis‑
phères : l’une, d’ordre sociologique, repose sur une analogie
entre les peuples ennemis et des alliés par mariage ; l’autre,
d’ordre cosmologique, marque une opposition majeure entre
des créatures terrestres et célestes (ibid. : 535). Les donneurs et
les preneurs de femmes s’opposent sur l’axe de la vie sociale,
comme la terre s’oppose au ciel sur l’axe du monde. Or le feu
trouve son origine au ciel et son réceptacle obligé se situe du
côté de la terre, sous la forme d’un four à terre en Amérique et
dans une partie de l’Eurasie (ibid. : 556‑557). Parce que la femme
sert de médiatrice entre les groupes humains par son intégration
dans un système d’échanges et d’alliances matrimoniaux, il lui
revient aussi, selon le mythe, d’assumer cette fonction entre la
terre et le feu, et donc de s’occuper du foyer.
Ce que semble suggérer Claude Lévi-Strauss dans l’extrait cité,
c’est que l’ensemble des mythes étudiés dans les Mythologiques
relèverait d’un paradigme commun aux deux Amériques, qui
plongerait ses racines dans notre plus lointain passé commun.
Or ce paradigme – ou du moins ses points saillants – rejoint étroi‑
tement nos propres résultats. Si les méthodes diffèrent, les impli‑
cations symboliques de l’allumage du feu demeurent les mêmes.

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6
Les mythes de matriarchie primitive

N ous avons vu, dans le chapitre précédent, que


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l’un des premiers mythes de l’humanité faisait
de la femme le possesseur primitif du feu. Or on peut se deman‑
der si, dans les croyances accompagnant Homo sapiens lors de
sa sortie d’Afrique, la femme n’était dotée que de cet élément.
Ne possédait-elle pas primitivement de nombreux autres biens
et connaissances ? Si tel était le cas, cela renforcerait fortement
les reconstructions précédentes.

Le matriarcat originel : un récit patriarcal


En Afrique de l’Ouest, les Dogon relatent qu’une
femme avait dérobé aux Andoumboulou, les premiers hommes,
un masque et une jupe en fibres. Elle se revêtit immédiatement
de ses larcins et retourna au village ; là, personne ne la reconnut
et tous s’enfuirent devant elle. Elle rentra chez elle et cacha les
atours dans son grenier. Mais son mari découvrit la cachette et
s’affubla de la jupe et du masque pour faire peur à son épouse.
Jusqu’à ce jour, les femmes commandaient aux hommes, allant
même jusqu’à les brimer et gagnant chaque jour un peu plus
de pouvoir. Mais, effrayée par son conjoint déguisé, la femme
s’enfuit, se rendit devant un vieillard et fit acte de soumission. Les
hommes, voyant que l’accoutrement des Andoumboulou était un
moyen pour les femmes de dominer les hommes, décidèrent de
le leur retirer et de le déposer dans un abri situé à l’écart, où ils
retinrent également prisonnier un vieil Andoumboulou, qui les
initia aux choses relatives aux masques (Griaule, 1963 [1938] : 61).

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240 Le cycle du feu

En terre d’Arnhem, les aborigènes racontent que les sœurs


Djanggawul, créatrices de la vie et des rituels, suspendirent un
jour leurs sacs contenant les emblèmes sacrés dans un abri pour
aller chercher des coquillages dans la mangrove. Leurs frères
et les compagnons de ces derniers en profitèrent pour dérober
les sacs. Les sœurs Djanggawul suivirent la trace des voleurs,
mais, quand elles entendirent les hommes chanter et cogner le
bâton de chant, elles craignirent la puissance des rituels que les
hommes leur avaient dérobés ; elles leur abandonnèrent donc ces
nouveaux pouvoirs (Berndt et Berndt, 1964 ; 1994 : 219‑220).
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En Terre de Feu, à l’extrême sud du continent américain,
les Selk’nam disent que les femmes formaient jadis une société
secrète. Au moment de devenir femmes, elles étaient initiées par
leurs pairs à l’art de la magie, apprenant comment apporter la
maladie et la mort à ceux qui leur déplaisaient. Aussi les hommes
vivaient-ils dans une peur et une soumission permanentes.
La tyrannie des femmes devint si excessive que les hommes
se soulevèrent et les tuèrent toutes. Seules les enfants furent
épargnées, devenant plus tard leurs épouses. Et pour que ces
femmes ne puissent jamais plus s’unir et retrouver leur ancienne
puissance, les hommes inaugurèrent leur propre société secrète,
tout en interdisant aux femmes de ressusciter la leur (Bridges,
1948 : 412‑413).
Comme le montrent ces différents récits, l’inimitié entre les
sexes se radicalise souvent dans les mythes, et la croyance en un
peuple de femmes, se tenant volontairement isolées des hommes
et s’en défendant souvent l’arme au poing, se trouve largement
diffusée à travers le monde.
Dans la mythologie grecque, ces femmes portent le nom
d’Amazones. Elles ne vivent qu’entre femmes et ne se mêlent
qu’une fois par an avec les hommes de peuplades voisines.
Elles tuent ou mutilent ensuite leurs enfants mâles, destinés,
au mieux, à devenir des serviteurs, mais élèvent leurs filles pour
en faire des combattantes et des chasseresses.
En Amérique du Sud, les Akawaio racontent comment des
femmes tuèrent les hommes de leur communauté après que

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Les mythes de matriarchie primitive 241

ceux-ci eurent assassiné le Jaguar, amant de l’une d’entre elles.


Les femmes constituèrent ensuite leur propre village ; d’autres
femmes des alentours les y rejoignirent. Armées d’arcs et de
flèches, elles surent se défendre avec succès contre le sexe
opposé. Les hommes ne furent plus que temporairement admis.
Du fruit de ces brèves rencontres, seules les filles étaient autori‑
sées à rester dans la communauté, les jeunes garçons en étant
chassés (Koch-Grünberg, 1921 : 90‑96).
La large diffusion des mythes reposant sur la croyance en des
peuples amazones ou sur l’idée que les femmes dirigeaient autre‑
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fois le monde a contribué à suggérer l’hypothèse d’un matriarcat
primitif. Cette hypothèse, concevant le matriarcat comme un
modèle social basé sur les droits maternels et l’hégémonie des
femmes, a été exposée pour la première fois de manière systé‑
matique dans l’œuvre du juriste et philologue suisse Johann
Jakob Bachofen, Das Mutterrecht (Le Droit maternel, 1861). Ses
recherches sur le sujet s’inspirent principalement des mythes
grecs et de sources antiques comme les Histoires d’Hérodote, ainsi
que des Mœurs des sauvages américains comparées aux mœurs des
premiers hommes de Joseph François Lafitau (1724) qui compare
la supposée gynécocratie des Hurons et des Iroquois à celle des
anciens Grecs et Égyptiens. Bachofen voyait dans les mythes de
matriarchie primitive le souvenir d’une ancienne réalité histo‑
rique, un ordre archaïque contrôlé par les femmes. Cet état
matriarcal, qui aurait vu le principe féminin dominer dans la
religion, aurait précédé la filiation patrilinéaire et aurait suivi
une étape généralisée de reproduction régie par le ius naturale du
plaisir, où seule la maternité pouvait être prouvée. En réaction
aux abus des hommes, le ressentiment des femmes aurait
conduit à une gynécocratie, et parfois même à une communauté
amazone ; les femmes avaient dû se battre les armes à la main
contre la domination masculine pour imposer leurs valeurs de
sagesse, de douceur, de paix et d’entente. La vaste diffusion
des récits de matriarcat primitif, ainsi que les témoignages des
auteurs latins et grecs tardifs conserveraient les traces d’un tel
état historique. Mais ce matriarcat primitif n’aurait eu qu’un

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242 Le cycle du feu

temps, les hommes réagissant à ses excès par l’établissement de


leur propre domination.
À la suite de la publication du livre de Bachofen, l’idée d’une
matriarchie primitive est passée du statut de mythe à celui
d’hypothèse scientifique. L’œuvre du juriste suisse a influencé de
manière significative de nombreux auteurs comme le préhistorien
et naturaliste britannique John Lubbock (1870 : 67‑70), l’anthropo‑
logue américain Lewis H. Morgan (1877), le philosophe et théori‑
cien socialiste allemand Friedrich Engels (1884) et le fondateur de
la psychanalyse Sigmund Freud (1922 : 193). D’autres, comme le
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linguiste et spécialiste de la philologie bouddhique Jean Przyluski
(1950) ou l’ethnologue et historien des religions allemand Wilhelm
Schmidt (1955) ont contribué à populariser cette vision matriar‑
cale. Pourtant, cette théorie a très vite montré ses limites.
L’hypothèse du « matriarcat » repose en effet sur une confu‑
sion entre ce concept, d’une part, et la filiation matrilinéaire (le
nom et l’héritage se transmettent par le lignage maternel) ou la
matrilocalité (la résidence de l’épouse détermine celle du foyer),
d’autre part. Or William H. River a montré dès 1915 qu’il n’exis‑
tait pas de lien entre ces règles de parenté et la place occupée
par la femme dans la famille et dans la société. En dehors des
mythes, le matriarcat ou gynécocratie est une situation « dont il
n’existe pas d’exemples attestés » (Barry et al., 2000 : 728 ; voir
aussi Le Quellec, 2009 : 247‑250).
Selon le démographe et historien Emmanuel Todd, le fantasme
de la gynécocratie pourrait trouver son origine dans l’idéologie
patriarcale des anciens Grecs ou Chinois. Ces cultures patrili‑
néaires auraient transformé toute manifestation d’autonomie des
femmes dans des sociétés plus égalitaires ou indifférenciées en
domination totale par le « second sexe ». Dans le contexte des
sociétés patrilinéaires, il était inconcevable qu’une telle organi‑
sation puisse persister dans le temps, ce qui explique l’échec
de la matriarchie dans les mythes (Todd, 2011 : 370‑371). Mais
une telle analyse, portant sur un point précis du temps et de
l’espace, ne prend pas en compte la large répartition des mythes
impliquant un matriarcat primitif, bien au-delà des civilisations

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Les mythes de matriarchie primitive 243

grecque et chinoise anciennes. Si ce type de récits s’est répandu


sur toute la planète, peut-être est-ce parce qu’il était connu par
les premiers Hommes anatomiquement modernes à avoir quitté
l’Afrique. Les mythes matriarcaux actuels ne refléteraient donc
pas un état antérieur de civilisation humaine, mais dériveraient
d’un récit très ancien.
Suivant cette piste, l’historien et archéologue Eugène Beauvois
(1904 : 324‑326) a avancé à tort que les récits d’Amazones
traversèrent l’océan Atlantique pour atteindre l’Amérique grâce
à une immigration précolombienne de missionnaires celtes.
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Plus justement, Gudmund Hatt (1949 : 72) a remarqué que
si l’on cherchait une origine étrangère aux récits amérindiens
­d’Amazones, celle-ci devrait se situer en Asie et en Océanie.
Mais celui qui s’est le plus complètement intéressé à la diffu‑
sion de ces mythes est le chercheur russe Yuri Berezkin. Selon lui,
« il existe en Afrique, en Australie, en Mélanésie et en Amérique
du Sud des rituels/mythes similaires qui sont associés à l’opposi‑
tion institutionnalisée des sexes et qui incluent généralement des
histoires sur la domination passée des femmes, non seulement
dans la sphère sociale (l’histoire du “royaume des femmes” situé
dans le passé ou dans un pays lointain est un motif connu dans
le monde entier), mais également dans la sphère cultuelle et
rituelle » (Berezkin, 2013 : 142). Et il ajoute que « cette corres‑
pondance mondiale entre récits et rites, sauf en Eurasie, autorise
à supposer que les rituels masculins associés à l’opposition
institutionnalisée proviennent d’Afrique et ont été apportés en
Australie et en Nouvelle-Guinée par les premiers Sapiens. De l’Asie
de l’Est, ce complexe mythologique est entré dans le Nouveau
Monde le long de la côte avec la première vague de migrants. […]
Puis ces mythes et rituels ont été progressivement supplantés,
entièrement en Asie et pour l’essentiel en Amérique du Nord, par
de nouveaux arrivants issus de la famille culturelle eurasienne »
(ibid. : 147‑148)1. Yuri Berezkin note que cette hypothèse serait

1. Afin de corroborer la possible longue durée de ces rituels, rappelons que la


coutume de faire du vacarme pour effrayer un animal ou un monstre prêt à

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244 Le cycle du feu

confirmée par la diffusion australe des motifs F8 (« Au départ,


les femmes et les hommes vivent séparés les uns des autres. Plus
tard, ils se rencontrent et viennent vivre ensemble »), F38 (« Les
femmes possédaient des connaissances sacrées, des sanctuaires
ou des objets rituels qui sont maintenant tabous pour elles ou
ont tenté d’acquérir de telles connaissances ou objets ») et F40B
(« Un homme entre dans le village des femmes. Habituellement,
il doit satisfaire chaque femme contre sa volonté ou chaque
femme le réclame pour elle-même »), qui s’expliquerait par une
première vague de diffusion hors d’Afrique.
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Une symbolisation fondatrice
Pour mettre à l’épreuve l’hypothèse d’une genèse
africaine de ces mythes, un corpus de 28 motifs relatifs à la
matriarchie primitive, extraits de la base de données de Yuri
Berezkin, a été analysé en utilisant des outils phylogénétiques
(d’Huy, 2017d). L’unité d’analyse retenue, pour les raisons
invoquées plus haut, a été l’aire culturelle. En m’appuyant
sur une méthode de parcimonie, j’ai construit un arbre que
j’ai enraciné en Afrique de l’Est (figure 6.1), en accord avec le
consensus actuel faisant de cette zone géographique le berceau
de l’humanité (mais voir Hublin et al., 2017).
L’arbre présente deux clades majeurs. Le premier, que l’on
pourrait qualifier d’eurasien, comprend également la zone
amérindienne arctique et l’Afrique occidentale. Le second,
essentiellement amérindien, peut être subdivisé en deux clades
mineurs : le groupe le plus important comprend les aires cultu‑
relles d’Amérique du Sud et la Mélanésie, le second ne contient
qu’une région d’Amérique du Nord.
À la lecture de cet arbre, il semblerait que les mythes de
matriarchie primitive se soient diffusés hors d’Afrique le long
du littoral sud de l’Asie puis en Australie (dans l’arbre de la

dévorer le soleil ou la lune pourrait aussi remonter à la sortie d’Afrique de


l’humanité (voir deuxième interlude).

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Les mythes de matriarchie primitive 245

Figure 6.1 Arbre Bio Neighbor-Joining construit à partir de 13 aires


culturelles, se basant sur la présence ou l’absence de motifs
concernant la différenciation, la cohabitation ou l’affrontement
des hommes et des femmes

AFRIQUE DE L’OUEST

INDE DU NORD-EST

ASIE DU SUD
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ARCTIQUE

BALKANS

MÉLANÉSIE

AMAZONIE DU NORD-OUEST

GUYANE

AMAZONIE DU SUD

EST DU BRÉSIL

CHACO

GRAND SUD-OUEST, AMÉRIQUE DU NORD

AFRIQUE DE L’EST, SOUDAN


0.05 Changes

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246 Le cycle du feu

figure 6.1 : la Mélanésie). La diffusion des mythes en Amérique


aurait eu lieu en trois vagues, la première venant d’Océanie et
touchant le sud du continent (dans l’arbre : Guyane, Amazonie
du Nord-Ouest, Amazonie du Sud, Brésil oriental, Chaco), la
deuxième, limitée à l’Amérique du Nord (dans l’arbre : le Grand
Sud-Ouest) et la dernière, venue d’Asie, ne touchant que les
populations arctiques. La mythologie africaine s’est largement
perdue en Eurasie continentale (dans l’arbre : Balkans, Asie du
Sud, Inde du Nord-Est), peut-être en raison de la diminution
de la densité de population pendant ou peu après le dernier
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maximum glaciaire. La place de l’Afrique de l’Ouest pourrait
s’expliquer par une diffusion-retour en Afrique, ou par une
influence des régions plus septentrionales, elles-mêmes liées à
la culture méditerranéenne.
Il est remarquable que la structure de l’arbre soit largement
compatible avec la distribution des rites masculins suggérés
par Yuri Berezkin. Il est également remarquable de trouver
un arbre similaire construit à partir d’une base de données
complètement différente, s’appuyant sur un corpus de motifs
lié aux serpents (d’Huy, 2016b ; voir le premier interlude)
ou encore à l’acquisition du feu (voir plus haut) ; le fait que
les résultats de sources indépendantes « convergent » vers les
mêmes conclusions et concourent à cerner une même struc‑
ture montre la solidité des résultats obtenus par la méthode
phylogénétique.
Pour vérifier l’existence d’une éventuelle « colle » qui aurait
maintenu ensemble les différents motifs lors de leur diffusion
hors d’Afrique, j’ai reconstruit la probable protomythologie
africaine liée à la matriarchie primitive (voir plus bas). Puis je
n’ai conservé que les motifs appartenant à cette protomytho‑
logie pour élaborer un nouvel arbre (figure 6.2). La structure
générale de ce dernier est très similaire à celle de la figure 6.1 (à
l’exception de la région du Chaco), suggérant une atténuation
du signal « africain » au fur et à mesure que l’on s’éloigne du
point d’origine et corroborant les résultats obtenus au chapitre 4.
Le noyau de la mythologie matriarcale semble ainsi présenter

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Les mythes de matriarchie primitive 247

Arbre Bio Neighbor-Joining construit à partir du corpus modifié


Figure 6.2 
de la matriarchie primitive

AFRIQUE DE L’OUEST

INDE DU NORD-EST

ASIE DU SUD
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ARCTIQUE

BALKANS

CHACO

MÉLANÉSIE

AMAZONIE DU NORD-OUEST

EST DU BRÉSIL

GRAND SUD-OUEST

GUYANE

AMAZONIE DU SUD

AFRIQUE DE L’EST, SOUDAN


0.05 Changes

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248 Le cycle du feu

une cohérence et une intégration suffisantes pour permettre


de reconstruire son histoire lorsque les éléments centraux et
périphériques sont pris ensemble. La cohérence organisation‑
nelle de l’arbre de la figure 6.2 par rapport à celle de l’arbre
de la figure 6.1 confirme qu’une partie des mythes matriarcaux
possèdent une origine commune et suivent un même chemin
de diffusion. Il est ici probable que l’intégration des différents
motifs entre eux protège le noyau de la tradition, même si des
emprunts interculturels peuvent localement fausser la trans‑
mission.
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Comme nous le verrons un peu plus loin, la structure des
arbres s’accorde aussi très bien avec ce que l’on sait des premières
migrations humaines.
Une fois sa structure vérifiée, il devient possible d’utiliser
l’arbre de la figure 6.1 pour reconstruire statistiquement le proto‑
folklore sur la différenciation hommes/femmes avant la sortie
d’Afrique. Seuls les éléments reconstitués à la fois à la racine de
l’arbre et à la branche amérindienne la plus ancienne (hémis‑
phère sud) ont été conservés, afin de se prémunir de l’influence
d’une éventuelle migration-retour en Afrique depuis l’Eurasie.
Les caractéristiques reconstruites sont les suivantes :
– F38 : Les femmes possédaient des connaissances sacrées,
des sanctuaires ou des objets rituels qui sont maintenant tabous
pour elles, ou elles tentaient d’acquérir de telles connaissances
ou objets.
– F40A : Un homme anthropomorphe ou un androgyne est
le seul possesseur ou le seul dirigeant des femmes.
– F40B : Un homme entre dans le village des femmes.
Habituellement, il doit satisfaire chaque femme contre sa volonté
ou chaque femme le réclame pour elle-même.
– F42 : Les hommes se sentent offensés par les femmes et
les abandonnent.
– F43 : Les femmes de la communauté ancestrale tuent ou
abandonnent les hommes.
– F44 : Les femmes et les hommes se disputent et s’aban‑
donnent.

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Les mythes de matriarchie primitive 249

– F45 : Il y a (ou il y a eu) des femmes qui vivent à l’écart


des hommes dans leur(s) village(s).
Afin d’éprouver la fiabilité de ces reconstructions, j’ai comparé
mes résultats à ceux obtenus par Andrey Korotayev et Daria
Khaltourina (2011). Ces chercheurs ont mis en évidence l’exis‑
tence d’un ensemble mythologique associant les régions de
Mélanésie et d’Amazonie, corrélé à l’haplogroupe mitochondrial
B. Cet ensemble témoigne probablement des premières vagues
de migrations humaines en provenance d’Afrique le long de la
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frontière sud de l’Asie et de la première colonisation de l’Océanie
et de l’Amérique. À une exception près (le motif F40B), les recons‑
tructions coïncident :

F38 F40A F40B F41 F42 F43 F44 F45

Traits X X X X X X X
reconstruits
statistiquement

Korotayev X X X X X X X
et Khaltourina

En l’occurrence, bien que le motif F40B ne soit pas reconstruit


par Korotayev et Khaltourina, selon Yuri Berezkin, sa distribution
au niveau mondial, à l’instar du motif F38, indique bien une
origine africaine : le chercheur russe suppose que ces motifs ont
été diffusés par les premières migrations humaines en Australie et
en Nouvelle-Guinée avant d’atteindre le Nouveau Monde par le
détroit de Béring (Berezkin, 2013 : 147‑148), ce qui est à la fois
en accord avec la structure des arbres reconstruits et les motifs
mythologiques identifiés à leur racine.
Soulignons au passage la cohérence des motifs retrouvés à
la racine de l’arbre avec une hypothèse proposée par Françoise
Héritier (1996, 2002). Selon l’anthropologue, la hiérarchisa‑
tion symbolique des sexes que l’on observe à travers toutes les
sociétés serait fondée sur le refoulement par les hommes d’une
crainte fondamentale : que les femmes, capables de produire des

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250 Le cycle du feu

enfants des deux sexes, se passent d’eux pour se reproduire. Cette


crainte aurait conduit les hommes à exercer sur le sexe opposé
un contre-pouvoir symbolique plus violent encore, faisant de la
femme un être faible et inférieur, et ce « dès les temps originels
de l’espèce humaine » (Héritier, 2002 : 14).
Peut-être est-ce cette peur plurimillénaire que sonde l’écrivaine
américaine Charlotte Perkins Gilman, en décrivant en 1915,
dans son roman utopique Herland, une société isolée composée
entièrement de femmes, qui se reproduisent par parthénogenèse
et qui sont parvenues à établir un ordre social idéal : sans guerre,
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sans conflit et sans domination. Devant une telle réalisation,
trois explorateurs égarés ont bien du mal à justifier les errements
de leur propre société. Le thème de la parthénogenèse, associé
cette fois-ci à une société féminine tyrannique et arbitraire, se
retrouve dans la comédie de science-fiction polonaise Seksmisja
(Sexmission) sortie en 1984 sous la direction de Juliusz Machulski.
Deux savants, Max et Albert, sortent d’un sommeil cryogé‑
nique en 2044 et découvrent une planète uniquement peuplée
de femmes. Tous les hommes ont disparu durant une grande
guerre et les femmes sont contraintes de vivre sous la surface de
la terre pour échapper à la pollution ; la continuité de l’espèce
reste cependant assurée grâce à la science. Mais la communauté
de femmes constitue un régime totalitaire, que les deux héros
tenteront à tout prix de fuir.
La phylogénétique des mythes confirme que cette crainte
aurait pu exister avant même la sortie d’Afrique, puisqu’elle
établit la présence dans la mythologie d’alors du motif des
« Amazones » – autrement dit de femmes se passant avanta‑
geusement des hommes –, de l’homme réduit à l’état d’objet
par le sexe opposé et de la matriarchie primitive condui‑
sant les hommes à abandonner les femmes. Pour Françoise
Héritier, « cette symbolisation est fondatrice de l’ordre social
et des clivages mentaux qui sont toujours présents, même
dans les sociétés occidentales les plus développées. C’est une
vision très archaïque, qui n’est pas inaltérable pour autant »
(Héritier, 2002 : 14). Cette dernière remarque nous pousse à nous

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Les mythes de matriarchie primitive 251

interroger : peut-on se défaire de nos mythes ou sommes-nous


condamnés à les répéter inlassablement ?

Faire du mythe à partir du mythe


La matriarchie primitive n’a sans doute jamais eu
d’autre existence qu’imaginaire, et les travaux qui défendent
l’hypothèse de sa réalité archaïque relèvent du mythe scienti‑
fique. Bachofen et ses épigones n’en ont pas moins continué
d’inspirer des théories matriarcales jusqu’à nos jours. Parmi
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celles-ci, on peut citer l’hypothèse d’une ancienne culture
européenne « gynocratique » postulée par l’archéologue et
préhistorienne américaine d’origine lituanienne Marija Gimbutas
dans les années 1950, la réévaluation du rôle des femmes dans
les textes sacrés par la théologie féministe ou encore les « études
matriarcales » développées dans le sillage du féminisme de la
deuxième vague des années 1970.
L’existence d’un ancien matriarcat était largement acceptée par
les féministes de cette période, aiguillonnant leur désir d’émanci‑
pation (Eller, 2000 : 3 ; Zerilli, 2005 : 101). Les études matriarcales
proprement dites furent inaugurées par l’ouvrage de l’artiste et
historienne d’art Merlin Stone, When God Was a Woman (1978).
Ces théories sont restées d’actualité tout au long des années 1970
et 1980. Le débat n’est pas épuisé et la féministe allemande
Heide Göttner-Abendroth (2017) l’a récemment relancé : elle
définit comme matriarcales les sociétés matrilinéaires, matrilo‑
cales, égalitaires et vénérant une divinité féminine, bien que les
femmes n’y exercent pas le pouvoir en tant que tel. La subsis‑
tance de ces îlots « matriarcaux » à travers le monde serait ainsi
la preuve d’une humanité matriarcale originelle (caractérisée par
une organisation non hiérarchique plutôt que par une domina‑
tion féminine), qui aurait progressivement été supplantée par
le patriarcat. Cependant, cette tentative de sauver l’hypothèse
d’un matriarcat primitif en modulant ses critères de définition
se heurte au fait que la chercheuse « ne peut en trouver, dans le
monde actuel, que des “restes”, puisque chacun des critères est

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252 Le cycle du feu

interprété – sans preuve – comme survivance d’un état ancien


où [ils] auraient été présents au sein d’une société véritablement
“matriarcale” » (Le Quellec et Sergent, 2017 : 766).
Si le matriarcat, au sens d’un système social où les femmes
détenaient l’ensemble des pouvoirs politiques, religieux, symbo‑
liques et économiques dont les hommes les auraient privées par
la suite, n’a pratiquement aucune chance d’avoir existé (Héritier,
2002 ; Testart, 2010), comment expliquer la permanence et le
succès de l’hypothèse matriarcale dans l’imaginaire occidental ?
Sans doute tiennent-ils aux échos que cette théorie suscite
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dans nos sociétés : reliant le combat actuel pour l’égalité entre
les sexes à un lointain passé, elle légitime ce combat et envisage
son issue victorieuse en suggérant que la domination masculine
ne se serait pas imposée de toute éternité. Ce qui est donc
recherché dans le passé par les tenants de cette hypothèse
relève de l’altérité, la possibilité d’un monde autre, plutôt que
de l’identité.
Le mythe se trouve ainsi remotivé, réapproprié au gré de
préoccupations sociétales. Son message premier – qui était de
justifier la domination des hommes sur les femmes par les
abus et les mésusages du pouvoir commis par ces dernières
lorsqu’elles en disposaient – n’est plus compris et reçoit une
nouvelle interprétation. Ce phénomène est bien connu en
mythologie comparée : un mythe est un lieu vide, que remplit la
culture de l’époque. Il est adapté par les générations successives
à leurs propres conceptions religieuses, idéologiques et éthiques
(Rank et Sachs, 1913 : 34). Le folkloriste américain Timothy
R. Tangherlini (1995) a donné de nombreux exemples de ce
phénomène au Danemark, le thème du « changelin » ressurgis‑
sant par exemple dans la légende contemporaine de l’enfant
noir fruit de l’amour de deux parents blancs. L’anthropologue
et historien Georges-Goulven Le Cam (1992 : 143‑149) a
montré que si les mythes maoris continuaient d’être racontés
aujourd’hui, c’était au prix d’une réinterprétation en profondeur
de leur contenu : servant autrefois à distinguer le domaine du
tapu (tabou, « sacré »), leur fonction est désormais de justifier

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Les mythes de matriarchie primitive 253

l’union profonde entre l’homme et la nature et de soutenir le


discours identitaire. De même, le sociologue Maurice Halbwachs
a mis en évidence la façon dont « la mémoire collective
chrétienne adapte à chaque époque ses souvenirs des détails
de la vie du Christ et des lieux auxquels ils se rattachent aux
exigences contemporaines du christianisme, à ses besoins et ses
aspirations » (Halbwachs, 1971 [1941] : 163).
Les mythes s’adaptent : leur sens premier s’oublie ou du moins
ne se maintient que tant qu’ils n’entrent pas en contradiction
avec les nouvelles réalités qu’ils sont supposés justifier. La conti‑
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nuité de leur histoire est donc évolutive, ponctuée de métamor‑
phoses et de modifications. La naissance d’une nouvelle version
d’un mythe procède de la transposition plus ou moins fidèle
d’une ou plusieurs versions antérieures dont elle conserve la
structure d’ensemble, tout en en transformant la signification,
voire en l’inversant.
Ainsi, les générations passent et les mythes demeurent.
Lorsque l’essayiste américaine et théoricienne du féminisme
radical Andrea Dworkin déclare, dans une interview donnée au
Guardian le 13 mai 2000, suite à la publication de son livre
Scapegoat : The Jews, Israel, and Women’s Liberation, qu’elle
souhaite que les femmes aient leur propre pays, « Womenland »,
qui servirait de « lieu de refuge potentiel », elle ressuscite le
mythe des Amazones, s’isolant des hommes ou se dressant,
armes à la main, contre eux. Ce projet séparatiste, qui est aussi
répandu dans le féminisme lesbien (Calhoun, 1994 ; Frye, 1997 ;
Bunch, 2000), ne fait que reprendre un vieux mythe patriarcal.
De même, l’écrivaine et psychothérapeute américaine Phyllis
Chesler (2005), qui soutient que les femmes féministes doivent
contrôler les institutions publiques et sociales afin de mieux se
défendre, inverse le motif des hommes confisquant le pouvoir
face aux abus des femmes, les dominant pour s’en protéger. Sur
la même ligne, l’Américaine Elizabeth Gould Davis (1971) défend
l’idée que seule une contre-révolution matriarcale renversant la
domination patriarcale serait à même de garantir la survie de
l’humanité.

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254 Le cycle du feu

D’autres auteurs, à l’instar de l’anthropologue américaine Joan


Bamberger, interrogent au contraire l’aporie de la transposition
d’un récit dont la fonction initiale était de reléguer le pouvoir
des femmes à un passé lointain et d’en montrer le caractère
pernicieux afin de justifier et de perpétuer l’état actuel de la
domination masculine :

Les mythes et les rituels [de matriarchie primitive] ont


été mésinterprétés comme des rappels persistants que
les femmes ont déjà eu, puis perdu, le siège du pouvoir.
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Cette perte leur a été infligée en raison d’une conduite
inappropriée. […] Les mythes répètent constamment que
les femmes ne savaient pas comment gérer le pouvoir
quand elles l’avaient. La perte est donc justifiée tant que
les femmes choisissent d’accepter le mythe. Le Règne des
femmes, loin d’annoncer un avenir radieux, nous ramène
à un passé assombri par des échecs répétés. En fait, si
les femmes veulent un jour gouverner, elles doivent se
débarrasser du mythe selon lequel elles se sont révélées
indignes de rôles de premier plan.
La représentation de la femme qui émerge finalement de ces
mythes est qu’elle incarne le chaos et la mauvaise gestion par
la ruse et la sexualité débridée. C’est une conception inverse
de la féminité préhellénique que décrivait Bachofen à travers
la figure mystique, pure et vertueuse de la Déesse-Mère. Le
contraste entre l’image victorienne de la femme idéale […]
et la représentation primitive, qui situait la femme sur le
même plan social et culturel que l’enfant, n’est pas aussi
prononcé qu’il y paraît. L’élévation de la femme au rang de
déesse ou son rabaissement au statut d’enfant ou de bien
meuble produisent le même résultat. De telles visions ne la
rapprocheront pas du statut socio-économique et politique
masculin, car tant qu’elle se contentera de rester déesse ou
enfant, on ne peut s’attendre à ce qu’elle assume sa part des
charges de la communauté comme l’égale de l’homme. Le
mythe du matriarcat n’est que l’outil utilisé pour maintenir
la femme à sa place. Pour la libérer, nous devons détruire le
mythe. (Bamberger, 1974 : 280.)

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Les mythes de matriarchie primitive 255

Le comportement de nos cousins hominidés montre que la


forte coercition des femmes observable chez les humains pourrait
posséder des causes plus culturelles que naturelles (Picq, 2020).
Le mythe du matriarcat primitif aurait alors été un moyen pour
Sapiens d’instaurer durablement une domination d’une moitié
de l’humanité par l’autre, en la justifiant symboliquement et
idéologiquement. L’appropriation féministe de ce récit relève
pourtant moins du paradoxe que des ruses de la raison mytho‑
logique. Le mythe se sert parfois de nous, alors même que nous
croyons nous servir de lui. Il nous imprègne et nous dirige :
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dans ces conditions, est-il concevable de le « détruire » pour
nous (en) libérer ?

Se libérer des mythes ?


De la même façon que la lecture d’Œdipe faite par
Sigmund Freud ajoute une variante de plus au récit antique
(Lévi-Strauss, 1985 : 251), les versions féministes de la matriarchie
primitive constituent les derniers avatars d’une mythologie qui
nous accompagne depuis la sortie d’Afrique. Si elles l’actualisent
ici par l’élaboration d’un nouveau discours sur les origines,
permettant de refonder l’ordre symbolique de la société, elles
s’inscrivent néanmoins dans la filiation d’une idéologie patriar‑
cale, dont le retournement perpétue la structure profonde qui
demeure inchangée.
Il n’est pas sûr que ces féministes aient eu conscience de
répéter un très ancien mythe : il y a toujours plus de mythes
en nous que nous le croyons. Nous nous sommes simplement
habitués à eux. Une question se pose alors : en nous emprison‑
nant dans des histoires créées à partir de réalités ou de croyances
disparues, les mythes pourraient-ils nous empêcher de penser le
monde sous un angle radicalement nouveau ?
Spinoza (1677) considérait que l’Homme était prisonnier
de son imaginaire. S’il perçoit les choses et forme des notions
universelles, c’est à partir de données filtrées par les sens, ou
encore des signes, autrement dit des ouï-dire. Une fois reçus

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256 Le cycle du feu

comme vrais par un individu, les mythes forment donc une sorte
d’interface sonore enveloppant le réel. Ils précèdent la pensée et
ne racontent plus le monde, mais l’inventent, puisqu’on pense
à partir de ce qu’on connaît. Il est impossible de vivre hors
du mythe : le mythe détermine le sens, le sens informe notre
vision du monde, notre vision du monde inspire et étaye le
mythe. À l’instar de l’art selon le peintre Paul Klee (1920 : 28),
le mythe ne reproduit pas le visible : il rend visible. Le langage,
qui remplace la réalité, se substitue à ce qu’il nomme, rendant
indiscernables les murs qui nous entourent.
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De plus, puisque les mythes nous proviennent de l’extérieur,
naissant de nos sens ou de ce que nous entendons, il nous est
impossible de nous en défaire, sauf à n’être plus des esprits
incarnés dans le monde. Nous ne pouvons cesser de voir, de
sentir, d’entendre. Ainsi, le simple fait de savoir que des mythes
nous dirigent, et qu’eux-mêmes répondent à des lois, ne nous
soustrait aucunement à leur emprise. Il n’est d’ailleurs pas certain
que notre esprit puisse s’accommoder d’une lucidité complète
sur lui-même et sur le monde qui l’entoure. Le mythe crée pour
lui un espace de liberté, néantisant le monde objectif et créant
à sa place un monde nouveau à partir des signes de l’objet
contemplé (Sartre, 1940). Face au vide, nous n’abandonnons un
mythe que pour nous hâter d’en adopter un nouveau.
Nous conservons cependant la faculté de comprendre notre
situation, et plus encore notre compréhension même de la situa‑
tion, ce pourquoi nous croyons à ce que nous croyons ; nous
pouvons penser notre propre pensée. En confrontant nos mythes
à ceux des autres, il devient possible de nous faire une idée claire
de ceux auxquels nous adhérons. Or avoir conscience de ses
mythes, remarque encore Spinoza, permet de réduire le pouvoir
qu’ils ont sur nous. Comprendre la façon dont fonctionnent les
mythes et dont ils nous impactent permettrait à l’esprit – non
d’en vaincre totalement l’influence –, mais de les ordonner pour
l’intellect.
Révéler les forces évolutives structurant les mythes est alors un
moyen de modifier le rapport que nous entretenons avec eux ;

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Les mythes de matriarchie primitive 257

si nous ne pouvons échapper aux mythes, il devient du moins


possible par ce biais de choisir ceux auxquels nous acquiescerons,
et de leur donner le contenu qui nous convient. Éclairer ce en
quoi nous croyons, et par là y croire volontairement, est une
manière d’accepter de croire en ce à quoi nous croyons. Cette
adhésion au second degré nous ouvre en somme un espace
de liberté. La reprise des mythes de matriarchie primitive par
certaines féministes ne constitue donc un obstacle à la libération
de leur emprise que s’ils sont interprétés à la lettre, et non s’ils
sont réfléchis comme inversion volontaire de valeurs passées.
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En résumé, prendre conscience de l’enchaînement des causes
conduisant à répéter sans cesse les mêmes histoires, loin de
produire l’effet d’une fatalité insupportable, permettrait plutôt
de la déjouer. S’il nous est impossible de nous débarrasser des
mythes, nous gardons le pouvoir de les apprivoiser, de les domes‑
tiquer, voire d’en refuser certains. Et en cela nous sommes libres
de notre chemin, capables de nous écarter d’un discours mytho‑
logique qui pourtant nous façonne.

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7
La maîtresse des animaux

L ’enchaînement des reconstructions s’est réalisé


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jusqu’ici sans obstacle majeur, et il est temps
de les confronter au tribunal de l’expérience. Mais comment
comprendre le terme « expérience » en anthropologie et en
préhistoire, où les conditions d’un phénomène ne peuvent être
modifiées pour mettre en évidence l’un de ses aspects ? Une
solution serait de provoquer l’observation, en se plaçant, sur la
flèche du temps, là où certaines prédictions peuvent être formu‑
lées à partir de l’approche phylogénétique et aréale des mythes,
et contraindre l’archéologie à nous répondre.
Ne soyons pas dupe. Il s’agira forcément d’un pis-aller,
puisque, pour comprendre un vestige donné, le préhistorien
ne peut faire appel qu’à un nombre fini d’hypothèses, parmi
lesquelles la bonne clé ne figure peut-être pas. Il existe théori‑
quement un nombre infini d’hypothèses pour rendre compte
d’une trace archéologique. Est-il d’ailleurs seulement possible
de choisir une hypothèse entre plusieurs, en considérant l’une
comme correcte et les autres comme fausses ? Il faudrait pour
cela que les différentes théories soient strictement contradic‑
toires, la véracité de l’une impliquant nécessairement la fausseté
des autres. Or la préhistoire est immense, et les systèmes de
pensée des populations humaines, foisonnants et complexes,
n’ont pas été conçus pour satisfaire la logique classificatoire
d’un lointain descendant.
Rien ne nous interdit pour autant d’explorer cette voie.

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La maîtresse des animaux 259

Retour à Polyphème
Commençons par rappeler les résultats progressi‑
vement acquis au fil des pages, et tentons de formuler une
hypothèse raisonnable qu’il s’agira ensuite de tester.
Dans la première partie, nous avons montré la probable
existence, dès les débuts du peuplement de l’ouest et du
nord de l’Eurasie, de la croyance en un maître des animaux,
détenteur du gibier sauvage. Lié à cette croyance, le mythe de
Polyphème serait apparu en Asie du Sud-Ouest, ce qui explique
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qu’une grande part de la variabilité de ses versions dépend de
la distance séparant celles-ci de ce point d’origine. Le mythe,
et l’idée d’un maître des animaux qu’il présuppose, était donc
probablement connu des premiers Sapiens à avoir peuplé
l’Europe. L’interlude a permis de corroborer, sur de nouvelles
bases, le caractère plus général d’un imaginaire eurasiatique
mettant en scène de tels « maîtres » au Paléolithique supérieur,
gardiens des ressources naturelles nécessaires à la survie de
l’espèce humaine.
Dans la deuxième partie, nous avons vu que ce motif trans‑
formait sans doute un récit bien plus ancien, sorti d’Afrique en
même temps que l’humanité moderne, qui racontait que les
hommes et les animaux auraient émergé du sol. Le motif du
maître ou de la maîtresse des animaux tout comme le mythe
du Plongeon cosmogonique paraissent émerger durant les
millénaires séparant le peuplement du sud et celui du nord de
l’Eurasie et s’être diffusés lors de la conquête de cette dernière
région. Une telle diffusion expliquerait la répartition contrastive
de ces récits, l’uniformité de leur répartition, ainsi que l’existence
d’un cline mythologique allant du sud-ouest au nord-est de l’Asie.
Nous avons aussi découvert que, sur la même période et sur la
même aire de distribution que les mythes de type Polyphème,
la terre était féminine ou associée à une femme et que, par
ailleurs, le mammouth pouvait être une maîtresse des animaux,
dont la forme du crâne aurait inspiré les versions cyclopéennes
de Polyphème.

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260 Le cycle du feu

Dans cette troisième partie, nous avons mis en évidence


que, lors de la sortie d’Afrique, l’humanité transportait dans ses
bagages symboliques un mythe selon lequel les femmes étaient
les premières détentrices d’accessoires cultuels, mais aussi de
biens essentiels, comme le feu, que les hommes s’approprièrent.
En synthétisant ces trois acquis, nous pouvons nous demander
si le premier maître des animaux, apparu en Asie du Sud-Ouest,
lié à la Terre (féminine) et possesseur et donateur des animaux,
a minima du gibier, n’était pas une femme. Le mouvement d’aller
simple vers l’extérieur, propre aux mythes d’Émergence, serait
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devenu un mouvement d’aller et retour des êtres animés, et la
caverne ou, de façon générale, la Terre aurait été personnifiée
sous la forme d’une maîtresse des animaux.
C’est cette hypothèse que je propose de mettre à l’épreuve,
en recherchant d’éventuels vestiges archéologiques de telles
croyances. Dans ce but, plaçons-nous en Eurasie, et plus préci‑
sément en Eurasie de l’Ouest, à l’Aurignacien, soit au début du
peuplement de cette partie du monde. Puisque les différentes
croyances évoquées plus haut ont été identifiées à cette période,
elles devraient s’y manifester.
La genèse de cette proposition a été longue depuis le commen‑
cement de ma réflexion, en 2007. L’étayage en était alors bien
fragile. Dans un premier temps, j’avais fait un usage immodéré
de l’œuvre de Mircea Eliade dont on sait aujourd’hui qu’il a
abondamment sélectionné, voire gauchi ses sources pour les
faire correspondre à ses opinions (Dubuisson, 1995, 1998, 2008).
L’approche statistique, permettant une reconstruction plus solide
des croyances du passé, a modifié les conditions de l’analyse,
et j’ai pu avancer l’hypothèse d’un maître des animaux au
Paléolithique supérieur à propos de Polyphème en 2013, des
mythes entourant le mammouth en 2016, puis en 2017 de façon
plus générale.
L’hypothèse d’une maîtresse des animaux au Paléolithique
n’est cependant pas nouvelle. Elle a été défendue dès 1952
quand, parlant du « Sorcier » de la grotte des Trois-Frères,
chimère à face humaine dominant un fouillis d’animaux,

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La maîtresse des animaux 261

le préhistorien Henri Breuil écrivait : « Telle est évidemment la


figure que les Magdaléniens considéraient comme la plus impor‑
tante de la caverne et qui nous paraît, à la réflexion, celle de
l’Esprit régissant la multiplication du gibier et les expéditions de
chasse » (Breuil, 1952 : 176), suggérant ainsi qu’il s’agirait d’un
maître des animaux. En 1966, l’archéologue et historien Zoya
Aleksandrovna Abramova défendait l’idée qu’au Paléolithique,
la femme, outre le rôle qui lui incombait dans la vie domes‑
tique et la reproduction, se serait vu attribuer une influence
sur la reproduction du gibier et l’issue favorable des chasses.
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Le chercheur russe en voyait pour preuves certaines représen‑
tations de l’art paléolithique européen. En 1972, l’archéologue
Alexander Marshack (1972 : 335) considérait les « déesses »
paléolithiques, tenant des cornes d’animaux, comme la préfi‑
guration de « maîtresses des animaux » néolithiques. Celles-ci
auraient été liées à une symbolique lunaire et associées à des
cérémonies et des rituels complexes en lien avec la prégnation et
le cycle des saisons. En 1985, l’helléniste Walter Burkert faisait
remonter la figure d’Artémis, Potnia therôn, déesse de la nature et
de la chasse, à une maîtresse des animaux paléolithique (Burkert
1985 : 149). En 1987, l’historienne et théologienne Carol
P. Christ se demandait si les peuples paléolithiques n’auraient
pas considéré les grottes comme l’utérus de la Terre-Mère. Ils
auraient alors reconnu l’image aniconique de la maîtresse des
animaux dans la grotte-utérus sur laquelle les animaux étaient
peints. Les rituels effectués dans les profondeurs des grottes
auraient pu manifester un « désir de participer à la puissance de
transformation de la mère universelle, la maîtresse des animaux »
(Christ, 1987 : 420). En 1989, l’archéologue et préhistorienne
Marija Gimbutas (1989 : 99) considérait que les représentations
sur roche de vulves remontant à l’Aurignacien symbolisaient
la vulve et l’utérus de la Déesse. Mais si l’hypothèse d’une
maîtresse des animaux est ancienne, la preuve n’avait jamais
été faite de l’existence d’une croyance en un maître ou une
maîtresse des animaux au moment où elle était censée s’être
manifestée.

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262 Le cycle du feu

Afin de sélectionner la meilleure interprétation parmi un


ensemble d’analogies possibles, l’archéologue et anthropologue
américain Robert Ascher (1961) proposait une réduction progres‑
sive. Il faut d’abord que la société servant de comparant et la
société dont il ne reste que des vestiges archéologiques partagent
un mode de vie similaire. Par exemple, on ne peut considérer
une société d’agriculteurs comme étant une bonne analogie à
une société de chasseurs-cueilleurs paléolithique. Il faut ensuite
que la distance entre la situation archéologique et les analo‑
gues possibles, en termes d’espace, de temps et de forme, soit
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la plus faible possible. Il est donc nécessaire de privilégier les
analogies lorsqu’une continuité culturelle peut être démontrée
dans une région donnée et, en tout état de cause, s’interdire de
rechercher des analogies dans des régions lointaines, qui peuvent
présenter des conditions environnementales très différentes.
Enfin, les vestiges retrouvés dans la situation archéologique
et les objets ou les traces matérielles laissés dans la situation
analogue supposée doivent présenter une forte ressemblance.
De la même façon, l’ethnologue allemand Wilhelm Koppers
(1953) proposait de privilégier les rapprochements de données
préhistoriques et ethnographiques lorsque les ressemblances
établies entre elles reposaient sur une « parallélisation liée »
(gebundene Parallelisierung), où un lien génétique entre les phéno‑
mènes peut être démontré, plutôt que sur une « parallélisation
libre » (freie Parallelisierung), soit un rapprochement fondé sur
la simple apparence. L’objectif de ces approches consistait, avec
les outils dont disposaient alors les archéologues, à montrer que
les hypothèses explicatives avancées pour rendre compte des
vestiges archéologiques pouvaient avoir été connues des peuples
ayant produit ces vestiges et avoir motivé leur action.
Pour ce qui est de la maîtresse des animaux, la première condi‑
tion d’Ascher semble avoir été remplie. Le thème est universel‑
lement lié au monde de la chasse (Le Quellec et Sergent, 2017 :
749‑751), l’économie cynégétique étant le mode de subsistance
de l’ensemble des sociétés paléolithiques européennes. On peut
relever qu’aujourd’hui, en Eurasie, le chamanisme se conçoit

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La maîtresse des animaux 263

comme un principe d’échange et une alliance entre les animaux


et les hommes, se nouant par le biais d’un chamane qui épouse
un esprit féminin du monde nourricier. Dans cet échange, le
chasseur doit en quelque sorte susciter l’amour pour se voir
pourvu de gibier (Sternberg, 1925 ; Hamayon, 1990, 2015 :
86‑87, 102‑104).
La deuxième condition semble également réalisée. Un rapide
survol de la littérature ethnographique montre que la croyance en
un maître ou une maîtresse des animaux est largement présente
en Eurasie, en Afrique et en Amérique : « L’idée d’un maître ou
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d’une maîtresse des animaux dont les chasseurs doivent obtenir
les mannes est très répandue et très probablement d’origine
paléolithique » (Burkert, 1985 : 172). À travers l’étude aréolo‑
gique des mythes faisant intervenir soit un « maître », soit une
« maîtresse », l’un ou l’autre propriétaire du gibier et contrôlant
les agissements des chasseurs, Jean-Loïc Le Quellec constate que
la première idée se retrouve dans le monde entier, à l’excep‑
tion d’une zone allant de l’Asie méridionale à l’Australie et à la
Tasmanie (Le Quellec 2022 : 385, 393), et situe son origine en
Afrique, entre le peuplement du continent australien et celui
de l’Amérique. Cependant, rien ne permet de dire qu’il s’agit
ici d’une invention africaine puisque l’absence du motif en Asie
méridionale ne rend pas possible d’exclure une diffusion tardive
depuis l’Asie, comme cela a été le cas pour de nombreux motifs
mythologiques (Berezkin, 2013). Ce point fragilise l’énoncé
suivant du préhistorien, pour qui l’idée d’une maîtresse des
animaux serait une innovation eurasiatique secondaire « assez
ancienne pour être passée elle aussi en Amérique, mais pas forcé‑
ment présente au moment où les grottes commencèrent à être
ornées » (Le Quellec 2022 : 394‑395). Au vu de la diffusion des
motifs, rien n’empêche en effet que la maîtresse des animaux ait
été première, et que le maître des animaux soit arrivé ensuite.
Par ailleurs, comme nous l’avons vu, l’approche statistique a
montré l’existence de motifs compatibles avec une maîtresse
des animaux (Polyphème, Terre féminine) en Asie du Sud-Ouest
au moment du premier peuplement du nord de l’Eurasie. Ces

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264 Le cycle du feu

idées, qui elles-mêmes dériveraient d’un très ancien fonds paléo‑


lithique, remontant à une mythologie antérieure à la sortie
d’Homo sapiens d’Afrique, se seraient ensuite diffusées en même
temps que ces terres plus septentrionales étaient peuplées et
auraient constitué la première mythologie connue dans cette
région du monde. Il est d’autant plus probable que l’idée d’une
maîtresse des animaux ait existé lors de la conquête du nord
de l’Asie que celle-ci semble très anciennement connue en Asie
du Sud-Ouest.
Il reste alors à vérifier l’ajustement formel entre les vestiges
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archéologiques et l’hypothèse d’une maîtresse des animaux.

Dans la caverne obscure


En admettant que l’art rupestre recèle effectivement un
sens mythologique, révéler celui-ci est une tâche particulièrement
délicate. Les représentations pariétales peuvent figurer ou symbo‑
liser des versions d’un mythe qui sont inconnues ou qui diver‑
gent considérablement de celles que l’on peut inférer d’autres
sources, en particulier des traditions culturelles plus tardives
mais documentées avec lesquelles il est possible de les associer.
Elles peuvent ainsi illustrer des versions correspondant à des
stades de développement antérieurs, plus archaïques. C’est pour
pallier cette difficulté que s’est notamment développée l’approche
phylogénétique des mythes, qui permet de reconstruire en termes
probabilistes la forme d’un mythe au moment où les images ont
été créées (d’Huy, 2013g). Comme l’écrit Jean-Loïc Le Quellec, « à
supposer que l’on veuille, par exemple, interpréter [l’art rupestre]
par le chamanisme […], la première chose à faire serait évidem‑
ment de prouver que les pratiques qu’on regroupe sous le nom
de chamanisme existaient déjà bien à l’époque concernée, faute
de quoi l’on resterait dans le domaine de la spéculation ou de la
rêverie plus ou moins bien informée » (Le Quellec, 2017b : 85).
Il faudrait de longs développements pour envisager les
relations possibles entre un culte de maîtresse(s) des animaux
et l’art rupestre européen. Qu’il me soit permis de n’esquisser

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La maîtresse des animaux 265

ici que quelques pistes, en prenant pour exemple la grotte


Chauvet, découverte en 1994 dans le département de l’Ardèche.
De nombreuses datations directes ont montré que la grotte
avait connu deux phases d’occupation, l’une à l’Aurignacien,
il y a entre 37 000 et 33 500 ans CalBP, l’autre au Gravettien,
il y a entre 31 000 et 28 000 ans (Quiles et al., 2016). Selon le
préhistorien français Jean Clottes et son équipe, chargés d’étudier
la grotte, les œuvres d’art auraient été réalisées lors du premier
peuplement de l’Europe par l’Homme moderne, et refléteraient
les croyances d’alors.
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Dans quelle mesure les données archéologiques permettent-
elles de corroborer les reconstructions mythologiques précé‑
dentes ?

Vulves et principe vital


Le principe féminin est prégnant dans la grotte. Les
cinq triangles pubiens qui y ont été découverts se situent tous
dans l’étroite galerie des Mégacéros et la salle du fond, soit
la partie la plus profonde de la caverne ; de plus, « tous les
triangles pubiens occupent une position privilégiée, peut-être
structurante, dans la construction du ou des dispositifs parié‑
taux. Ils apportent des indices forts de véritables constructions
thématiques, étroitement associées à la topographie de la grotte »
(Le Guillou, 2001 : 171).
Au vu de la position spatiale des vulves, l’anthropologue
française Joëlle Robert-Lamblin (2005 : 207) note qu’« il n’est
pas inconcevable que le tréfonds des “entrailles de la terre” ait
été choisi pour y figurer une allégorie de l’Origine ». L’une de
ces images est particulièrement spectaculaire : elle représente
la région pelvienne et les jambes d’une Vénus, dessinée sur un
pendant rocheux comme si le dessin sourdait de la terre-même,
en regard d’un impressionnant bestiaire ; les représentations
d’un lion et d’un bison, carnivore et herbivore, ont été placées
au-dessus, et « semblent procéder de l’élément féminin » (ibid. :
207). Face à cette scène, Robert-Lamblin remarque que « l’impres‑
sion qui s’en dégage est celle d’un engendrement. Ainsi localisée,

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266 Le cycle du feu

cette évocation de la fécondité suggère une “Genèse” ou une


figuration symbolique du principe vital » (ibid. : 206). Cette
analyse est renforcée par les constatations de Gwenn Rigal,
auteur d’une synthèse sur les interprétations de l’art rupestre
paléolithique :

Le Panneau des lions et celui des rhinocéros s’organisent de


chaque côté d’une niche à la forme vulvaire évidente, au
fond de laquelle a été dessiné un unique cheval noir. Détail
étonnant, ce dessin a été légèrement décalé sur la droite,
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comme si le cheval émergeait à l’instant de la paroi. Autres
piliers ornementaux de la grotte, le Panneau des chevaux et
celui des rennes sont séparés par une alcôve de forme tout
aussi suggestive. (Rigal, 2017 : 292.)

L’hypothèse d’une maîtresse des animaux permettrait en


l’occurrence d’expliquer l’aspect organisé du décor pariétal et
l’association au milieu souterrain, par le relief et la nature de la
paroi, de figurations animales et féminines qui semblent sortir
des murs, constat que l’on peut d’ailleurs faire aussi dans de
nombreuses autres grottes ornées.
La croyance en l’animation des images, qui pourrait reposer
sur des bases neurobiologiques (d’Huy, 2010, 2013h), se serait
accompagnée dans certaines grottes, comme Lascaux ou le Tuc
d’Audoubert, d’une crainte de leur mise en mouvement réelle.
Cette appréhension aurait conduit les préhistoriques à flécher ou
rendre acéphales les représentations de certains animaux dange‑
reux de façon préventive, afin d’empêcher qu’ils ne prennent
vie (d’Huy et Le Quellec, 2010 ; d’Huy, 2013c). Par ailleurs, des
mythes en lien avec l’animation des peintures rupestres auraient
pu survivre jusqu’à nos jours, notamment au Pays basque (d’Huy
et Le Quellec, 2012), corroborant l’idée que les animaux auraient
pu être perçus comme sortant des parois ; la maîtresse des
animaux en aurait alors constitué le principe d’animation.

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La maîtresse des animaux 267

Cycle de vie
L’idée d’une maîtresse des animaux suggère au demeu‑
rant celle de cycle, d’éternel retour, pour que les animaux tués
puissent être renvoyés aux humains. Mais la continuité de cet
échange implique la perpétuation des partenaires, qui doivent
pouvoir réintégrer un nouveau corps de la même espèce. Le
cycle est immortel tant que la vie est transmise.
Aussi une pratique essentiellement connue en Sibérie et en
Amérique du Nord impose-t-elle au chasseur qui a tué un animal
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qu’il prenne soin de ne pas briser ses os, ou préserve au moins
une partie de son squelette, afin de ne pas froisser le maître ou
la maîtresse surnaturel de cet animal et de permettre sa résurrec‑
tion pour des chasses futures (Hamayon, 1990 ; Sergent, 2009 :
198 ; Le Quellec et Sergent, 2017).
Ainsi, dans le chamanisme sibérien, « la préservation des os
(du moins de ceux qui sont le siège de l’âme […]) est indis‑
pensable à la réapparition du gibier » (Hamayon, 1990 : 548) ;
« l’âme logée dans les os d’un individu est censée se recycler
pendant un temps de vie posthume, puis revenir “animer” un
nouvel individu de la même lignée humaine ou de la même
espèce animale. Elle ne passe jamais d’une espèce à l’autre. Sa
réutilisation au fil des générations assure la reproduction des
partenaires dans leur intégrité » (Hamayon, 2009 : 195). La vie
continue donc mystérieusement tant que les os subsistent. C’est
pourquoi :

Le dépeçage est effectué en prenant grand soin de ne pas


abîmer ni briser les os, et de ne les disjoindre, s’il le faut,
qu’aux articulations. Puis, selon des modalités qui varient
mais obéissent toujours à la même intention, certaines
parties sont préservées et déposées en forêt – au moins le
crâne en général et souvent aussi l’appareil respiratoire et
les organes sexuels –, celles supposées support sinon de
vie, du moins de potentialité de vie (d’âme), de façon à
permettre symboliquement l’apparition d’un nouvel animal.
(Hamayon, 1990 : 397).

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268 Le cycle du feu

Ce lien très fort entre préservation des ossements, conserva‑


tion de la vie et mode de vie cynégétique, dont on retrouve des
traces jusqu’en Grèce antique (voir plus bas), est aussi très ancien
en Amérique du Nord. Par exemple, dans l’aire algonquine : « Il
ne fallait jamais laisser traîner des os autour d’un campement.
Les os des animaux terrestres étaient placés sur une plate-forme
ou suspendus aux arbres, et les os des animaux aquatiques et
semi-aquatiques étaient remis dans l’eau, “pour que l’espèce
puisse se renouveler” disent les aînés » (Bousquet, 2002 : 68‑69).
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Le jésuite Paul Le Jeune, qui a fréquenté les Montagnais en 1634,
rapporte la même croyance pour le castor :

Comme ie me mocquois d’eux, et que ie leur disois que les


Castors ne sçauoient pas ce que l’on faisoit de leurs os, ils
me respondirent : Tu ne sais pas prendre les Castors, et tu
en veux parler : deuant que le Castor soit mort tout à faict,
me dirent-ils, son ame vient faire vu tour par la cabane de
celuy qui le tue, et remarque fort bien ce qu’on fait de ses
os ; que si on les donnoit aux chiens, les autres Castors en
seroient aduertis, c’est pourquoy ils se rendroient difficiles
à prendre […]. (Le Jeune, 1972 : 24.)

À propos des Montagnais, l’anthropologue américain Frank


Gouldsmith Speck (1935) note que cette croyance est demeurée
inchangée depuis le xviie siècle, où elle fut rapportée pour la
première fois par des prêtres français.
La diffusion de cette pratique de part et d’autre du détroit de
Béring, sa concentration dans l’hémisphère nord, son ancienneté
en Eurasie et en Amérique et son absence en Australie laissent
penser à une apparition lors de la vague de peuplement du
nord de l’Eurasie et à une diffusion en même temps que le
mythe de Polyphème et de la Terre féminine (d’Huy 2020 :
224‑226). Jean-Loïc Le Quellec a démontré cette ancienneté du
mythème de la résurrection à partir d’un ou plusieurs os en en
faisant la cartographie. Ses travaux confirment qu’au vu de la
distribution mondiale du trait, « une origine eurasiatique est

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La maîtresse des animaux 269

la plus probable avec un passage en Amérique par la Béringie »


(Le Quellec 2022 : 678).
Or l’écho de cette croyance de la résurrection par l’os pourrait
se retrouver dans certaines grottes ornées du Paléolithique
supérieur. En 1926, Waldemar Bogoras faisait déjà l’hypo‑
thèse que la salle dite « du Bison », dans la caverne du Tuc
­d’Audoubert, aurait pu servir à célébrer un « rite de la glorifica‑
tion et de la résurrection des animaux tués, semblable à celui
des tribus asiatiques. Les figures de bisons trouvées là pouvaient
occuper la place centrale de la fête » (Bogoras, 1926 : 47). Dans
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plus d’une vingtaine de grottes paléolithiques, des objets – os,
silex et autres – ont été soit déposés, soit plantés dans le sol ou
les fissures des parois et le geste était la plupart du temps en
liaison directe avec des œuvres pariétales (Clottes, 2007). De tels
rituels sont attestés des Asturies espagnoles jusqu’en Bourgogne,
au moins du Gravettien jusqu’au Magdalénien final inclus. Le
chercheur sud-africain David Lewis-Williams (2002 : 253‑254)
rapproche cette pratique des notions d’âme osseuse et de revita‑
lisation des os dans le monde d’en bas. Il propose d’y voir un
« rituel de restitution », des fragments d’animaux étant renvoyés
au monde surnaturel d’où étaient tirées les images. Jean-Loïc Le
Quellec remarque quant à lui que les insertions dans la paroi
sont systématiquement réalisées avec des ossements non brûlés
provenant de la faune chassée et qu’elles sont très souvent liées
à des figures pariétales ou à d’autres productions graphiques.
À l’instar de Lewis-Williams, le préhistorien français propose
d’expliquer ce rituel par une forme de croyance en l’âme osseuse,
permettant la résurrection de l’animal chassé, tout en observant
qu’il n’est pas nécessaire de faire appel au chamanisme ou à la
notion d’une « paroi comme voile » pour en rendre compte.
Ainsi, selon lui, « les os fichés et plantés auraient permis la
renaissance des bêtes hors du sol et des parois de la caverne
primordiale, avant leur nouvelle émergence » (Le Quellec 2022 :
678). Significativement, la croyance en la résurrection par les
os aurait pu exister dès avant la sortie d’Homo sapiens d’Afrique
(d’Huy 2021b, 2023, chap. 7). Cependant, comme le remarque

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270 Le cycle du feu

le ­préhistorien français Jean Clottes à propos de Lewis-Williams,


cette hypothèse s’applique difficilement aux objets lithiques. De
plus, il n’est pas sûr que les premiers artistes européens aient
connu le mythe d’une émergence primordiale. Comme nous
l’avons exposé dans les deux premières parties de ce livre en
confrontant les résultats de différentes analyses, si le mythe de
l’Émergence possède bien une origine africaine, il a probablement
connu de profondes modifications en Asie du Sud-Ouest durant
la longue période séparant le peuplement de l’hémisphère sud et
celui de l’hémisphère nord. Il s’y serait transformé en Plongeon
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cosmogonique ou se serait affaibli en Maître ou Maîtresse des
animaux et ce sont ces mythes, non ceux de l’Émergence, qui
se seraient primitivement diffusés dans le nord de l’Eurasie, y
compris en Europe. C’est donc dans leur contexte qu’il faudrait
comprendre le fichage d’éléments dans les parois rocheuses.
Aussi peut-on imaginer une autre motivation à cette
pratique, non exclusive de la première. Jean-Pierre Duhard et
Brigitte et Gilles Delluc (2014 : 132) ont proposé d’y voir un
« geste d’appropriation ou de pénétration », qui ferait écho,
dans le cadre posé par nos travaux, à une relation de type
matrimonial unissant un intermédiaire humain et la maîtresse
des animaux. Cette hypothèse est cependant extrêmement
difficile à démontrer. Il est plus probable que le fichage
d’objets trouve son sens comme offrande ou contre-don, dans
le cadre d’un échange organisé entre les humains et la créature
pourvoyeuse de gibier. Cette dernière proposition s’intègre
harmonieusement à celle d’une maîtresse des animaux, justi‑
fiant notamment la diversité des objets déposés ou plantés
dans le sol ou les fissures. De nombreux exemples historiques
et ethnologiques viennent confirmer ce rapprochement. En
voici quelques-uns. En Mésopotamie, Šakkan était le dieu des
quadrupèdes, en particulier des ânes et des moutons sauvages.
Véritable maître des animaux, il était en outre lié au monde
souterrain (Lambert 2013 : 513, 515‑516). Un fragment du
poème « La mort de Gilgamesh », découvert à Nibru, se réfère
aux offrandes qui lui étaient faites. Non loin de là, parmi les

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La maîtresse des animaux 271

peuples caucasiens, la chasse est conçue comme un sacrifice


à un maître des animaux, souvent féminin. Ainsi, chez les
Adyges, Mezythe, un dieu de la forêt, se nourrit du sang des
animaux tués par les chasseurs. Au Vietnam, les chasseurs
réalisent un sacrifice à leur « patron », le héros mythique
Tan-Viên (Le Quellec et Sergent 2017 : 750‑751). Selon les
Delaware d’Amérique du Nord, il existe un maître des cerfs,
nommé Misinghalikun. Lorsqu’un chasseur part à la chasse,
Misinghalikun lui apparaît en personne, vêtu d’une peau
d’ours avec un grand masque ovale peint en rouge sur le
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côté droit et en noir sur le côté gauche. Cet être masqué
accompagne les chasseurs sur une courte distance dans les bois,
pendant laquelle un porte-parole dépose six pincées de tabac
dans deux feux successifs tout en suppliant Misinghalikun de
chercher des cerfs et d’aider les chasseurs (Zerries, 1987). Au
Brésil, les Tupi pensent qu’il existe un maître des animaux,
Korupira, qui protège les bêtes et la forêt. Il punit ceux qui
détruisent malicieusement le gibier et récompense ceux qui
lui obéissent ou ceux qu’il prend en pitié. Contre une portion
de tabac, Korupira lèvera les restrictions qu’il impose à la
mise à mort de ses animaux (Zerries, 2005 : 8580). La vaste
diffusion de ces pratiques sacrificielles en lien avec un maître
ou une maîtresse des animaux, aussi bien dans l’Ancien que
dans le Nouveau Monde, en suggèrent la grande ancienneté,
probablement paléolithique. Aussi peut-on considérer cette
hypothèse comme pouvant expliquer valablement le fichage
des objets dans les parois des grottes, pratique existant sans
doute dès les débuts de l’art rupestre européen.
Là encore, des éléments découverts dans la grotte Chauvet
semblent appuyer l’hypothèse d’un traitement particulier des os,
dont l’ours, abondamment représenté dans la grotte, bénéficie.
Un crâne a été déposé en évidence sur un gros bloc ; d’autres
ossements ont été placés à part dans des niches naturelles de
la grotte ; une marque noire a été faite sur un crâne de cet
animal et un dessin noir a été exécuté en surplomb du squelette
complet d’un ursidé (Philippe et Fosse, 2001 : 54‑56 ; Robert-

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272 Le cycle du feu

Lamblin, 2005 : 201). Comment confirmer ce lien entre des


vestiges archéologiques et l’idée d’un cycle ?
La méthode phylogénétique ne s’arrête pas aux mythes, et
peut être utilisée pour reconstruire des rituels paléolithiques
entourant la chasse à l’ours au Paléolithique. De la même
façon qu’il est possible de comparer les différentes versions d’un
mythe, il est possible de comparer les manifestations locales
d’un rituel et d’en tirer des enseignements sur la manière dont
celui-ci a évolué. Cela est rendu possible par l’évolution extrê‑
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mement lente de certains rituels, pouvant perdurer pendant des
millénaires (Stépanoff, 2019 ; d’Huy 2020a), voire des dizaines
de milliers d’années, comme la pratique de planter des objets
dans les parois et le sol des grottes.
La reconstruction statistique des croyances entourant la chasse
à l’ours dans l’Eurasie paléolithique, pour l’instant établies à
partir d’un corpus de quatorze groupes bien documentés, corro‑
bore l’idée d’un cycle dont le plantigrade aurait fait partie. Cette
reconstruction est la suivante :

On n’utilise pas le nom de l’ours pour parler de lui, mais on


utilise des termes de parenté. L’ours est attaqué au corps à
corps, parfois dans son repaire, souvent à l’aide d’une lance.
Des excuses lui sont adressées, peu avant ou peu après sa
mort. On lui explique que c’est quelqu’un d’autre que le
chasseur qui l’a tué. Après leur mort, les crânes d’ours sont
conservés, et placés en des lieux spéciaux, ou encore dans
les bois, sur des arbres. Le cœur est quant à lui mangé par
les hommes. (Voir d’Huy, 2017e, pour le détail de l’analyse
phylogénétique.)

Si certaines pratiques codées pour cette analyse, comme la


préservation des os, peuvent être associées à d’autres animaux
(Miller, 1982 : 284‑285), elles n’en appartiennent pas moins à
un complexe de traits fréquemment associés quand ils portent
sur les ursidés. Ce qui est étudié ici, ce n’est donc pas un trait
pris isolément, retrouvable en dehors de la chasse à l’ours, mais

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La maîtresse des animaux 273

un ensemble de traits généralement co-occurrents, justifiant que


l’on puisse les étudier comme un corpus cohérent. Les données
reconstruites s’accordent alors avec les vestiges archéologiques
découverts dans la grotte Chauvet. Par ailleurs, de nombreux
autres exemples, traduisant une volonté de conserver symboli‑
quement ou de mettre en valeur certains crânes et ossements
ursins, ont été découverts pour tout le Paléolithique supérieur
(Bednarik, 2017). Or de tels comportements devaient s’étendre
bien au-delà de cette espèce, les ossements étant peut-être
exposés à l’extérieur ou encore brûlés, ce qui aurait empêché
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leur conservation jusqu’à nos jours.
On pourrait opposer que les rituels de chasse à l’ours étudiés
sont concentrés dans les régions septentrionales de l’hémisphère
nord. Cependant, cette distribution n’exclut pas leur ancienne
présence plus au sud, où des mythologies plus récentes en garde‑
raient le témoignage. Par exemple, au ier ou au iie siècle de notre
ère, Apollodore le Mythographe (Bibliothèque, 1.6.3.) racontait
comment le monstre Typhon s’attaqua au ciel en lançant des
pierres enflammées, en criant, sifflant et en faisant jaillir du feu
de sa bouche. Les dieux, terrorisés, fuirent se cacher en Égypte,
où ils adoptèrent la forme d’animaux inoffensifs. Seul Zeus resta
pour affronter le monstre. Il le frappa d’abord de ses éclairs,
puis le terrassa avec une faucille. Il poursuivit Typhon, blessé,
mais celui-ci profita du moment où le dieu le saisissait pour lui
arracher son arme et lui couper les tendons des mains et des
pieds. Typhon traversa ensuite la mer en portant Zeus, rendu
impuissant, jusqu’à la grotte corycienne, en Cilicie. Il dissimula
les tendons et les muscles de Zeus sous une grande peau d’ours,
qu’il plaça sous la garde du dragon Delphyné. Hermès et Pan
parvinrent cependant à dérober au dragon la peau d’ours et
son contenu, et remirent à leur place tendons et muscles. Zeus
recouvrit immédiatement ses forces et reprit le combat contre
Typhon, qu’il finit par vaincre en projetant sur lui le mont Etna.
La présence de la peau d’ours, dans le combat opposant Zeus
à Typhon, est ici remarquable. En conservant les éléments essen‑
tiels au bon fonctionnement du corps, elle permet d’ajouter sa

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274 Le cycle du feu

puissance réelle à la puissance virtuelle de la divinité, réduite à


l’impuissance faute de pouvoir s’animer. En d’autres termes, sa
préservation permet de rendre réversible la mort de Zeus. Dans
ces conditions, le mythe ferait écho à un très ancien rituel de
préservation, similaire à la conservation des os, qu’on retrouve
par exemple chez les Ostyaks de Sibérie. Ces derniers, lorsqu’ils
ont tué un ours, lui ôtent la peau et la pendent à un arbre ;
puis ils lui rendent de grands honneurs et lui font mille excuses
(Muller, 1725 : 416). Le mythe rapporté par Apollodore indique‑
rait donc une croyance ancienne en la conservation par les os
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ou la peau dans le sud de l’Europe. On trouve un autre écho de
cette croyance dans l’Odyssée d’Homère, composée vers la fin du
viii siècle av. J.-C. : les marins d’Ulysse, affamés, mangent les
e

vaches de l’île du Soleil, mais les viandes se mettent à tourner


sur les broches et à meugler.
Le préhistorien australien Robert Bednarik (2017) a reproché
à l’approche phylogénétique de ne pas permettre une recons‑
truction fiable des rituels de chasse, la méthode ne répondant
pas, selon lui, au critère de réfutabilité popperien (Popper, 1973
[1935]). Pourtant, la reconstruction obtenue répond de façon
surprenante à de nombreuses œuvres ou vestiges paléolithiques,
bien au-delà des exemples cités plus haut.
Ainsi, la présence d’un combat au corps à corps rappelle la
représentation d’un homme luttant contre un ours découverte
dans la grotte ariégeoise du Mas-d’Azil (Piette, 1902 : 771) ou
encore l’affrontement de deux hommes et d’un ours retrouvé
sur une plaque de schiste dans la grotte de Péchialet, en
Dordogne (Breuil, 1927 : 103‑104), ces deux images remontant
au Paléolithique supérieur. On a aussi exhumé dans la grotte du
Bichon, dans le Jura suisse, les squelettes d’un homme et d’un
ours blessé par au moins un projectile ; le fait qu’ils aient été
découverts ensemble s’expliquerait par un accident de chasse,
survenu au Paléolithique final (Morel, 1993). De plus, la crainte
ressentie par les Paléolithiques devant un ours mort et la peur de
sa vengeance expliqueraient que dans le gisement de Taubach,
près de Weimar, 80 % des canines d’ours bruns ont été détruites

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La maîtresse des animaux 275

(Kurtén, 1976 : 105). Les faits semblent donc donner raison à


la reconstruction : ils n’y étaient pas obligés.
En outre, certains des éléments reconstruits ont été corroborés
en utilisant d’autres méthodes. Par exemple, le tabou portant sur
le nom de l’ours, répandu dans toute l’Eurasie et l’Amérique du
Nord, a de fortes chances d’être paléolithique, cette hypothèse
reposant sur des arguments aréologiques et linguistiques (d’Huy,
2013i). Il se serait manifesté, notamment dans la grotte Chauvet
(Baffier et Feruglio, 2001 : 193), par la fréquente mise en valeur
des oreilles, insistant sur un sens exacerbé de l’ouïe, la régulière
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absence de représentations d’yeux pour que l’ours ne puisse voir
celui qui parle et, de façon plus générale, l’absence répétée de
tête pour neutraliser l’animal.
La coïncidence entre la reconstruction statistique de pratiques
cynégétiques entourant l’ours au Paléolithique, qui rétro-prédit
l’existence de certains comportements à partir de données
actuelles, et les vestiges archéologiques pouvant en témoigner
permet donc de mettre cette reconstruction à l’épreuve. Les faits
rendent la théorie testable, et réfutable.

Chasse au gibier et bestiaire rupestre


La principale objection à l’hypothèse de la maîtresse
des animaux réside dans l’absence de connexion entre le
gibier chassé et les représentations d’animaux dans les grottes.
Cela est particulièrement sensible dans la grotte Chauvet, et,
au-delà dans l’art aurignacien, puisque les animaux représentés
– rhinocéros, félins, mammouths, chevaux, bovinés, bouque‑
tins, cervidés, ours, bœufs musqués – sont pour l’essentiel des
animaux dangereux (Clottes, 1995) et ont peu à voir avec les
animaux consommés à l’époque.
Encore faut-il noter que, bien que le gibier ne soit pas
représenté explicitement, on pourrait le considérer comme
présent implicitement : les grottes semblent en effet fréquem‑
ment choisies pour leur proximité avec des lieux stratégiques
d’un point de vue cynégétique ou halieutique (Guy, 2017 :
149‑154). Le gibier ne serait donc pas à l’intérieur, mais à

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276 Le cycle du feu

l’extérieur de la grotte. Comment expliquer alors le bestiaire


rupestre ?
En Eurasie et en Amérique, les maîtres des animaux sont
souvent assistés par des maîtres de différentes catégories de
gibier : l’Amazonie pousse à l’extrême cette tendance, car chaque
espèce y a un maître différent (Le Quellec et Sergent, 2017 : 752).
Par ailleurs, ces maîtres des animaux appartiennent fréquem‑
ment à une autre catégorie que les animaux qu’ils dirigent.
Par exemple, chez les Nigidal, c’est une grande zibeline noire
qui envoie les animaux aux chasseurs (Le Quellec et Sergent,
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2017 : 751), tandis que, chez les Montagnais, le maître des
caribous est un humain (Slotten, 1965 : 296) ; chez les Zuñi,
six maîtres des ongulés sauvages – le Grand Cerf, la Chèvre des
montagnes, l’Antilope, le Cerf à queue blanche, le Lièvre et le
Lapin – sont au service de la « Mère » des animaux chassés qui
a pour rôle d’assurer leur propagation, tandis que les dieux des
bêtes de proie – l’Ours, le Blaireau, le Loup, l’Aigle et la Taupe –,
maîtres ou patrons de toutes les espèces animales, sont subor‑
donnés à Poshayanki, l’intendant des douze sociétés-médecine
(Hultkrantz, 1993 : 142‑143).
Cette distribution hiérarchisée se retrouvant partagée des deux
côtés du détroit de Béring, les probabilités sont fortes qu’elle
ait existé au Paléolithique, lors du peuplement des Amériques.
En Eurasie de l’Ouest, une telle répartition ferait écho à un
possible système social inégalitaire (Hayden, 2013 ; Guy, 2017).
Les animaux représentés ne seraient donc pas directement ceux
qui étaient chassés, mais représenteraient chacun une classe de
gibier, ce qui expliquerait le faible nombre d’espèces figurées.
En ce sens, on peut rappeler que certains peuples sibériens
et d’Amérique du Nord attribuent aux mammouths ou à des
animaux mythologiques leur ressemblant physiquement, parmi
un ensemble de traits communs, des caractéristiques propres à
un maître des animaux (voir chapitre 3), corroborant une origine
commune, paléolithique, de cette croyance.

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La maîtresse des animaux 277

En résumé
Pas à pas, les liens se resserrent, et les pistes se
rejoignent, reconstituant peu à peu l’image d’une maîtresse des
animaux qui aurait existé dès l’Aurignacien en Asie du Sud-Ouest
et se serait diffusée dans le nord de l’Eurasie en même temps
que les premiers peuplements. Les fils du raisonnement condui‑
sant à formuler une telle hypothèse se sont noués à partir du
chapitre 4 où ont été évoqués ensemble reconstructions mytho‑
logiques et art rupestre gravettien. Force est de constater que
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cette même hypothèse rend également compte de dispositifs
pariétaux plus précoces, tels que celui de la grotte Chauvet.
La croyance aurait ensuite traversé les millénaires, se décelant
notamment au Magdalénien (d’Huy, 2021a) et subsistant jusqu’à
nos jours, par exemple au Pays basque (voir pages suivantes).
Cependant, fidèle au principe de prudence, il faut nous
demander comment corroborer à nouveau ces résultats. Cette
démarche peut être engagée en tentant de répondre à la question
suivante : serait-il possible de montrer l’existence d’un mythe
paléolithique dans lequel le commerce d’une créature surnatu‑
relle avec les humains formerait le pendant de la relation d’un
chamane avec une maîtresse des animaux ?

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Interlude
Du mythe au conte

D ans la mythologie basque, qui conserve un


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fonds de vieilles croyances pour certaines
paléolithiques (Barandiarán, 1946, 1972, 1993 ; d’Huy et Le
Quellec, 2012), Mari est une divinité féminine considérée
comme le chef des génies. Elle demeure dans le monde souter‑
rain, qui communique avec la surface de la terre grâce à divers
conduits, grottes et gouffres. Elle réactualise ainsi le lien paléo‑
lithique unissant la femme et la terre. Elle s’insère aussi dans un
système d’échanges avec les humains. Si elle peut déclencher des
tempêtes, elle récompense ceux qui croient en elle, en les aidant
directement ou en les renseignant. Au xve siècle, les seigneurs
de Biscaye lui déposaient en offrande, sur un roc de Busturia,
les entrailles des vaches qui étaient tuées dans leur maison. Ces
restes disparaissaient durant la nuit. Ne pas le faire conduisait
à quelques événements douloureux. Cette coutume rappelle la
pratique, précédemment évoquée, de conserver une partie de
l’animal chassé pour permettre la reproduction du cycle de la
vie. Mais gare aux malhonnêtes ! Mari les punit, notamment en
leur confisquant leurs bêtes, faisant d’elle leur ultime proprié‑
taire (Barandiarán, 1993 : 234‑246). Sous ces différents traits,
la déesse basque pourrait donc perpétuer l’ancienne croyance,
paléolithique, en une maîtresse des animaux, montrant ici la
remarquable stabilité d’une croyance à travers les millénaires.
Elle a pour époux Sugaar, ce qui signifie « serpent mâle ». C’est
une créature qui vit sous la terre, et qui en sort parfois sous la
forme d’une faucille ou d’une demi-lune de flammes, pareille à un
éclair traversant le firmament. Là encore, nous retrouvons une

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280 Interlude

vieille croyance paléolithique, associant le serpent et la foudre.


On dit que son étreinte avec Mari conduit à une furieuse tempête
(Barandiarán, 1993 : 310).
Ce lien entre la femme et le serpent, dans un contexte
régional où les survivances ont la part belle, mérite d’être inter‑
rogé. En effet, nous avons vu dans le deuxième interlude que
le motif « Une femme prend comme amant un serpent ou un
reptile. L’amant est tué ou mutilé. La femme et/ou ses enfants
se métamorphosent en serpent(s) » avait de très fortes chances
d’avoir existé lors de la sortie d’Afrique. De plus, comme nous
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l’apprend le premier interlude, ce motif se serait inversé en
Eurasie, a minima à la fin du dernier maximum glaciaire, pour
adopter la forme suivante : « Une femme consent à épouser la
créature qui répondrait à ses conditions. Un être repoussant,
le plus souvent un serpent, les accepte, et la jeune femme est
contrainte de l’épouser. » La femme se trouve piégée par son
engagement et non réunie par sa volonté, et tente de fuir un
amant animal, qui de désirable s’est mué en créature repoussante
dont tout l’éloigne.
Le motif le plus ancien est bien illustré par un conte litua‑
nien. L’histoire raconte qu’une jeune femme, Eglė, était partie
se baigner avec ses deux sœurs. Quand elle sortit de l’eau, ce fut
pour découvrir qu’un serpent s’était lové dans ses vêtements.
L’ophidien consentit cependant à s’en aller de son plein
gré lorsque Eglė accepta de l’épouser. Une noce de serpents,
rampants et grouillants, vint trois jours plus tard chercher la
future mariée, et, malgré quelques subterfuges des proches d’Eglė
qui ne firent que retarder l’inéluctable, le cortège emporta la
fille au fond de la mer.
Là, ce n’était pas un serpent, mais un beau jeune homme qui
l’attendait. Il s’agissait de Žilvinas, le roi des serpents, avec qui
elle vécut heureuse au fond de l’eau, dans un merveilleux palais,
avec les quatre enfants qu’ils ne tardèrent pas à avoir. Mais Eglė
s’inquiétait de savoir ce que devenait sa famille et décida de
retourner la voir, contre l’avis de son mari qui pour la dissuader
lui soumit trois tâches impossibles… qu’elle réussit à accomplir.

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Du mythe au conte 281

Žilvinas ne put que s’incliner, la ramena jusqu’au rivage et lui


enseigna la formule secrète qui lui permettrait de le rappeler.
La famille d’Eglė était ravie de la revoir mais ne voulait pas
la laisser repartir. Aussi décida-t‑elle en secret de tuer Žilvinas.
Les frères d’Eglė menacèrent ses enfants, les battirent, afin qu’ils
leur révèlent la formule permettant de rappeler leur père. Tous
tinrent bon, jusqu’à ce que finalement la fille d’Eglė dévoile sous
la menace le précieux secret : « Žilvinas, cher Žilvinas. Si tu es
vivant, écume de lait. Si tu es mort, écume de sang. » Aussitôt,
les douze frères d’Eglė appelèrent Žilvinas et le tuèrent à coups
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de faux.
Quand Eglė appela son mari, elle ne vit sur la mer qu’écume
de sang, et comprit que Žilvinas était mort. La voix de son
époux lui révéla la trahison de ses proches. En punition, elle se
changea en épicéa ; ses trois fils, qui avaient su garder le silence,
devinrent des arbres forts (un chêne, un frêne et un bouleau),
tandis que sa fille fut métamorphosée en peuplier (Martinkus,
1989 ; Sergent, 1999).
Partant de ce récit et le rapprochant de plusieurs autres,
Bernard Sergent a montré que le conte lituanien appartenait
à un groupe de transformation bien plus vaste, rassemblant
des récits eurasiatiques et amérindiens. Tous actualiseraient
un très ancien mythe paléolithique, appartenant au fonds des
premiers arrivants en Amérique. Sous sa forme originelle, le
récit aurait mis « en scène une femme qui épousait un animal
aquatique, violant ainsi les lois de l’exogamie qui doit se faire
entre humains, et connectant les plans terrestre et aquatique »
(Sergent, 1999 : 36). Cet ancien mythe aurait survécu sporadi‑
quement en Amérique, mais aussi, miraculeusement, dans une
région de Lituanie. Le travail comparatiste de Bernard Sergent ne
permet cependant pas de mettre en évidence un point d’origine
du mythe, et la provenance africaine du récit ne peut donc être
vérifiée ici. Pour parvenir à cette démonstration, il nous faut
élargir le champ géographique de l’analyse.
Le peuple Isanzu, qui vit au sud du lac salé Eyasi en Tanzanie,
raconte qu’après avoir rejeté de nombreux prétendants, une

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282 Interlude

femme épousa Éléphant, qui se transforma en homme. Un jour


qu’elle lui apportait son repas aux champs, elle croisa Serpent,
qui lui chanta une invitation à copuler. Il se transforma en
homme et mangea une partie de la nourriture. À Éléphant, elle
expliqua qu’elle avait croisé son beau-frère, avec qui elle avait
partagé le repas.
La scène se reproduisit chaque jour, la femme invitant le
serpent à le rejoindre en chantant « Aujourd’hui, le jeu était
bon / Je voudrais bien y rejouer », jusqu’à ce que quelqu’un les
surprenne et rapporte la chose au mari. Le conjoint et l’indiscret
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se mirent alors en route, appelèrent le serpent en utilisant la
chanson convenue, et le tuèrent.
Lorsque la femme invita l’ophidien à venir la rejoindre, nul
ne répondit. Elle vit du sang sur le sol et, horrifiée, se demanda
qui avait bien pu tuer son amant. Lorsqu’elle apporta la bouillie
à son mari, celle-ci était restée entière ; elle prétendit ne pas avoir
rencontré son beau-frère ce jour-là. L’homme lui donna alors de
la viande, qu’il fit passer pour de la chair d’antilope, et l’invita
à la faire cuire et à la manger, ce que fit la femme. Il lui révéla
alors qu’il s’agissait du corps de son amant.
Puis le ventre de la femme s’arrondit. Elle donna naissance
à six serpenteaux. Muni d’un bâton, le mari en tua cinq, mais
le sixième parvint à se cacher. Six mois plus tard, il sortit et
demanda à Éléphant de lui trouver une femme. Cinq sœurs
refusèrent, la dernière accepta. Chaque nuit, le serpent se trans‑
formait en homme. Sur les conseils de sa mère, la fille profita
de l’une de ces métamorphoses pour se saisir de la peau et
la jeter au feu. Aussi le serpent resta-t‑il homme (Kohl-Larsen,
1937 : 61‑66).
La proximité de ce récit avec le conte d’Eglė est frappante. Dans
les deux cas, une femme rencontre dans la nature un serpent,
qui la séduit puis adopte une forme humaine. Des opposants
à cette union, parents de la femme pour une part au moins,
obtiennent le « mot de passe » convenu entre les deux amants
pour se retrouver, et tuent l’ophidien. La femme découvre le lieu
du meurtre rougi par le sang. Cette action conduit à la fois à la

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Du mythe au conte 283

« fixation » ou à la mort de la descendance de la femme et du


serpent, mais aussi à une métamorphose, d’humains en arbres
dans le récit d’Eglė, de serpent en homme dans le récit africain.
La présence de ce mythe en Tanzanie est d’autant plus signifi‑
cative que l’on retrouve le même thème ailleurs dans la région,
par exemple chez les Kaguru (Beidelman, 1971 : 21‑22), ainsi
qu’en Afrique australe, notamment chez les Shona (Sicard, 1952 :
37‑39) et les Khoïkhoï (Schmidt, 2007 : 118‑120).
La relation de la femme au serpent est sans doute devenue
contrainte dans la mythologie eurasiatique au Paléolithique,
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ce dont témoignerait le motif « Une femme consent à épouser
la créature qui répondrait à ses conditions. Un être repous‑
sant, le plus souvent un serpent, le fait et la jeune femme
est contrainte de l’épouser » identifié dans le premier inter‑
lude. On peut relever que ce motif rappelle un autre récit-type
typiquement africain, dit de « La fille difficile ». Une jeune
fille y formule des exigences excessives sur son futur époux,
auxquelles répond l’aspect extérieur d’un prétendant qui dissi‑
mule sa nature négative réelle sous une apparence positive. Ce
n’est qu’après le mariage que la véritable nature du conjoint se
révèle (Görög-Karady et Seydou, 2001).
L’absence de ce type de récits en Australie et en Océanie ne
permet pas de conclure à une origine antérieure à la première
sortie d’Afrique de l’humanité moderne, mais son aire de répar‑
tition suggère une profondeur temporelle suffisante pour qu’il
ait pu se diffuser sur de grandes distances, sans doute depuis
l’Eurasie.
Revenons à cette dernière partie du monde. Nous avons
montré dans le premier interlude qu’au nœud réunissant les
différentes aires eurasiatiques d’autres motifs étaient recons‑
truits. Ainsi par exemple : « Un être dangereux, généralement un
serpent, empêche quiconque d’accéder à l’eau. Le plus souvent,
il ne permet de prendre de l’eau qu’en échange de personnes
ou de biens de valeur. »
De nombreux récits font le lien entre la victoire contre le
serpent et l’obtention de l’eau. Tout aussi nombreux sont ceux

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284 Interlude

qui, dans une même narration, unissent le motif de la victoire


contre le serpent et celui d’un lien contraint entre un serpent
et une femme.
C’est par exemple le cas du conte-type du tueur du dragon
(ATU 300). Ce conte explique comment un jeune homme
acquit trois merveilleux chiens. Il arriva dans une ville dont
les habitants pleuraient et apprit qu’une fois par an un dragon
exigeait qu’une vierge lui soit sacrifiée. La fille du roi avait été
choisie cette année-là et le roi offrait sa main à celui qui la
sauverait. Le jeune homme se rendit à l’endroit indiqué. En
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attendant de se battre avec le dragon, il sombra dans un sommeil
magique, pendant lequel la princesse entortilla un anneau ou
des rubans dans ses cheveux ; une des larmes de la jeune fille
tomba sur lui et parvint à l’éveiller. Aidé de ses chiens, le jeune
homme triompha du dragon. Il trancha les têtes de la créature
et en coupa les langues ou en garda les dents. Le jeune homme
promit à la princesse de revenir au bout d’un an, parfois trois,
et s’en alla. Un imposteur prit les têtes du dragon, forçant la
princesse à le désigner comme son sauveur et la revendiqua
comme récompense. La princesse demanda à son père de retarder
le mariage. Alors qu’elle était sur le point d’épouser l’imposteur,
le tueur de dragon revint. Il envoya ses chiens pour obtenir une
certaine nourriture de la table du roi et fut convoqué à la fête de
mariage. Là, le tueur de dragon prouva qu’il était le réel sauveur
de la princesse en montrant les langues ou les dents du dragon.
L’imposteur fut condamné à mort et le tueur de dragon épousa
la princesse (Uther, 2011a : 174).
Or ce type de récits unissant l’union contrainte d’une femme
et d’un reptile, d’une part, et la victoire contre un serpent, d’autre
part, peut fusionner avec les récits associant la victoire contre le
serpent et l’obtention de l’eau dans des histoires où un monstre
ophidien retient l’eau d’une source et exige pour en laisser
l’accès le sacrifice annuel d’une jeune vierge ; un héros vient
fort heureusement tuer le monstre et libérer l’une des victimes.
La structure générale de ce type de récits relève fréquemment
de l’ATU 300 et se retrouve par exemple en Kabylie (Frobenius,

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Du mythe au conte 285

1996 : 97‑100, 105‑108), en Afrique de l’Ouest (Klipple, 1992 :


120‑121), en Grèce (Megas et al., 2012 : 20‑21), en Turquie, dans
les Balkans, en Hongrie, en Russie, en Pologne et dans les Pays
baltes (Ranke, 1934).
Quelle conclusion en tirer ? J’emprunterai celle de Claude
Lévi-Strauss, qui écrivait à propos du mythe japonais d’Opokuni‑
nusi : « Comme, pourrait-on dire, un squelette dans une ancienne
tombe, dont les os ne s’articulent plus entre eux mais demeurent
assez près les uns des autres pour qu’on se rende compte qu’ils
formèrent un corps, la proximité des éléments […] suggère
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qu’[…]ils furent organiquement liés » (Lévi-Strauss, 2002b : 6).
Nous serions autrement dit face à un ancien complexe mytho­
logique joignant l’union contrainte entre une femme et un
serpent à une victoire contre ce dernier et à l’obtention de l’eau.
Ce récit aurait dérivé en contes, dont certains auraient conservé
la forme originelle.
Le passage des mythes relatifs aux serpents dans le registre
des contes n’aura d’ailleurs pas échappé au lecteur, ce qui nous
conduit à interroger les modalités de cette bascule. Existe-t‑il des
traits permettant de distinguer mythes et contes ?
Pour Franz Boas, « il est impossible de tracer une frontière
nette entre les mythes et les contes, puisque les mêmes histoires
qui adoptent la forme de mythes prennent aussi la forme des
contes » (Boas, 1938 : 609). Il est rejoint sur ce point par de
nombreux chercheurs, comme le mythologue japonais Atsuhiko
Yoshida, pour qui les récits que l’on retrouve dans le folklore
« contiennent […] le plus souvent un fond mythique » (Yoshida,
1966 : 722).
Certains se sont cependant essayés à distinguer les deux
types de récits. Par exemple, Alan Dundes et Evguéni Mélétinski
(Mélétinski, 1970 : 236) ont opposé le caractère collectif du
mythe à celui, individuel, du conte. Mélétinski remarque par
ailleurs que les « contes sur les preux conservent des traces très
nettes du mythe, caractérisé par l’intérêt porté aux proportions
cosmiques et aux destins collectifs. Les autres contes merveil‑
leux se concentrent davantage sur le destin individuel, sur

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286 Interlude

les compensations à apporter aux victimes innocentes et aux


défavorisés sociaux, etc. » (ibid. : 229).
Mais la principale différence semble résider dans la valeur
que l’on accorde à ces deux types de récits. Pour le folkloriste
américain William Bascom (1965 : 4), les contes sont des récits
en prose considérés comme des fictions alors que les mythes sont
des récits en prose qui, dans les sociétés où ils sont racontés,
sont considérés comme des récits véridiques racontant ce qui
s’est passé dans un passé lointain. Lévi-Strauss ne dit au fond
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pas autre chose :

Parce que le conte consiste en une transposition affaiblie de


thèmes dont la réalisation amplifiée est le propre du mythe,
le premier est moins strictement assujetti que le second sous
le triple rapport de la cohérence logique, de l’orthodoxie
religieuse et de la pression collective. Le conte offre plus
de possibilités de jeu, les permutations y deviennent
relativement libres et elles acquièrent progressivement un
certain arbitraire. (Lévi-Strauss, 1973 : 154.)

En résumé, le conte est un mythe qui n’est plus pris au sérieux.


Une telle distinction ouvre de nouvelles perspectives à l’ana‑
lyse statistique. Libéré de la nécessité d’expliquer univoque‑
ment le monde, le conte autorise l’instauration d’un nouveau
mode d’énonciation, chaque épisode ou fin d’histoire permet‑
tant de s’orienter sur un nouveau récit. C’est ainsi que le
folkloriste breton François-Marie Luzel peut écrire, à propos
d’une version de « La sirène et l’épervier » : « Je le reproduis
fidèlement tel que je l’ai recueilli, pour donner une idée de la
manière dont certains conteurs, croyant augmenter l’intérêt
de leurs récits, les altèrent et les mélangent, à plaisir. Plus un
conte est long et rempli de merveilles et d’épreuves, plus il
a de succès, ordinairement, auprès de l’auditoire des veillées
d’hiver » (Luzel, 1887, II : 418). Si ce processus semble parfois
associé à l’idée d’une dégénérescence de la forme primor‑
diale (Dundes, 1969), il n’en reste pas moins essentiel. En ce

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Du mythe au conte 287

sens, « la contamination est l’essence de la poésie populaire »


(Röhrich, 1976 : 291). Pour Vladimir Propp, « les contes ont
une particularité : les parties constitutives d’un conte peuvent
être transportées sans aucun changement dans un autre conte »
(Propp, 1928a : 14 ; 1970 : 15).
L’importance des contaminations dans la transmission des
contes a largement été étudiée, notamment dans divers articles
de l’Enzyklopädie des Märchens, dont « Affinität » (Voigt, 1977),
« Assoziation » (Fischer et Lütho, 1977) et « Kontamination »
(Kawan, 1996), auxquels on peut se reporter. Dans ces condi‑
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tions, la méthode phylogénétique n’est à l’évidence pas la
meilleure façon d’aborder la diffusion des contes.
Une approche plus pertinente pourrait être celle de la théorie
des graphes. Comme son nom l’indique, il s’agit d’une disci‑
pline mathématique qui étudie les graphes, soit des modèles
abstraits de dessins de réseaux reliant des objets. Dans le cadre
qui nous intéresse, il est possible de considérer les contes comme
autant de sommets ou nœuds pouvant être reliés par des lignes
lorsqu’ils sont en relation. Mais qu’est-ce qu’une telle approche
pourrait nous apprendre, par exemple sur l’ATU 300 précédem‑
ment évoqué ?
En m’appuyant sur l’ensemble des types catégorisés comme
« contes de fées » par Hans-Jörg Uther (2011a) et en utilisant
différentes mesures, j’ai pu montrer que les types les plus
centraux, c’est-à-dire les plus connectés aux autres en utilisant
différentes mesures, étaient aussi les plus anciens (d’Huy, 2018b,
2019b). Si les contes répondent à une logique de recombinai‑
sons permanentes, il semble bien que le nombre de liaisons
entretenues avec d’autres types soit fonction de l’âge du récit.
Or, parmi les contes les plus centraux, on retrouve « Le tueur
de dragon » mais aussi « L’homme à la recherche de sa femme
perdue ». Dans le prolongement du chapitre 7, c’est ce dernier
récit que nous allons maintenant aborder. Ce sera l’occasion
d’estimer sa profondeur historique, et de vérifier l’hypothèse
selon laquelle le nombre de connexions liant un type de conte
aux autres contes serait corrélé à l’âge du récit.

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Quatrième mouvement
Le cycle de l’air

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Jadis, un pauvre bûcheron vivait seul avec sa mère. Un jour, un cerf
courut vers lui, poursuivi par un chasseur. Il sauva la vie de l’animal.
En remerciement, celui-ci lui indiqua un étang où des jeunes filles
célestes se baignaient la nuit. Il lui conseilla de voler la robe de
plumes de l’une des nymphes afin de l’obliger à se marier avec lui.
Il avertit également le bûcheron : « Ne lui rends pas sa robe avant
qu’elle n’ait porté ton troisième enfant. »
Le bûcheron suivit les instructions du cerf. Il épousa la nymphe
et eut avec elle deux enfants. Désormais, sa vie était heureuse ;
aussi pensa-t‑il que céder à la nymphe qui réclamait sa robe de
plumes ne poserait plus problème. Il la lui rendit. Aussitôt, la
femme-céleste prit son envol jusqu’au ciel et emmena ses enfants
avec elle.
Accablé de tristesse, le bûcheron se remit en quête du cerf. L’animal
lui dit de retourner à l’étang. Cette fois, il devait repérer un seau
descendant du ciel pour puiser de l’eau et monter dedans. C’est ce
que fit le bûcheron.
Une fois parvenu au ciel, il dut triompher d’une série de tests
donnés par ses beaux-parents. Il y parvint avec l’aide de sa femme
ou d’animaux qu’il avait aidés auparavant. Le couple se reforma.
Mais, bien que le bûcheron vécût heureux au ciel, sa vie sur terre
commençait à lui manquer, en particulier sa mère veuve, tant et si
bien qu’il tomba malade. Apitoyé, sa femme lui prêta une créature
fantastique pour rejoindre la terre. Elle l’avertit cependant de ne pas
mettre pied à terre (ou de ne pas manger de soupe à la citrouille).
Pourtant le bûcheron ne respecta pas le tabou.

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292 Cosmogonies

Le prix à payer fut terrible : il ne put retourner vers sa famille.


Devenu coq, il regarde aujourd’hui encore le ciel, criant les noms de
sa femme et de ses enfants.

Écotype coréen de la Femme-Oiseau


(d’après King, 2005 : 19‑20)
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8
Le récit de la Femme-Oiseau

N ous avons vu qu’une maîtresse des animaux,


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détentrice et dispensatrice des bêtes sauvages,
a de fortes chances d’avoir hanté l’imaginaire des Eurasiens
de l’Ouest, durant le Paléolithique supérieur. À la manière de
Polyphème, cette figure aurait été perçue comme dangereuse,
tout don consenti par elle réclamant un contre-don vital de la
part de l’être humain ayant bénéficié de ses mannes.
Si l’on accepte d’établir une analogie entre les cultures d’alors
et les cultures sibériennes actuelles connaissant un maître ou
une maîtresse des animaux, on peut faire l’hypothèse que la
médiation entre les êtres humains et la créature surnaturelle se
serait opérée essentiellement par l’intermédiaire d’un spécialiste,
le « chamane ». L’archéologie serait-elle en mesure d’étayer cette
proposition ?
Différentes figurations du Paléolithique supérieur européen,
partageant des traits humains et animaux, ont pu être considé‑
rées comme des représentations d’un tel spécialiste. Cela a par
exemple été le cas des « sorciers » de la grotte des Trois-Frères
en Ariège (Bégouën, 1929 : 17) ou du célèbre personnage de la
« Scène du puits » de Lascaux (Kirchner, 1952 : 254 ; Le Quellec,
2017c : 27‑48). Cette interprétation n’est cependant pas parvenue
à convaincre réellement l’ensemble des chercheurs. Après tout,
« la présence d’un théranthrope […] n’implique aucunement
celle du chamanisme, car de tels êtres, mi-humain mi-animaux,
existent dans bien des traditions n’ayant rien de chamanique »
(Le Quellec, 2017c : 38). La méconnaissance du contexte culturel
dans lequel ces images prenaient sens nous empêche ainsi d’en

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294 Le cycle de l’air

proposer une interprétation univoque. Au lieu de projeter sur


l’art rupestre une grille de lecture préétablie que les représen‑
tations étudiées conforteraient en toute circularité, mieux vaut
interroger la probabilité que de tels intermédiaires aient existé
à l’époque. Les mythologues peuvent-ils suppléer aux lacunes
de la documentation archéologique sur ce point ?

Une alliance avec la surnature


D’après l’anthropologue Roberte Hamayon, il existe
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« une similitude et […] une interdépendance de structure entre
la chasse, l’alliance matrimoniale et le chamanisme dans leurs
relations respectives avec les êtres naturels, sociaux et surnatu‑
rels » (Hamayon, 1990 : 23). Ainsi, en Sibérie, l’alliance entre
le chasseur et son beau-frère par le biais de l’alliance matrimo‑
niale répond à l’alliance entre le chamane et l’esprit de la forêt
par le biais de l’alliance avec la surnature. « Le chamane se
présente donc comme métaphoriquement gendre et chasseur
dans la surnature » (ibid. : 425). C’est en effet moins à l’esprit
lui-même qu’à sa ou ses filles que le chasseur a affaire :

Qu’elle lui apparaisse la nuit en rêve ou à la chasse en


imagination, et c’est le gage du succès. Elle est toujours très
belle et le plus souvent nue, séductrice et exigeante. Elle
attire le chasseur toujours plus avant dans la forêt, attendant
de lui, en échange du gibier, les plaisirs humains : ceux de
l’amour, ceux des contes et des chants. (Ibid. : 378.)

L’« épouse » est une amoureuse exigeante et une protectrice


exceptionnelle ; elle a autorité sur une multitude d’esprits
d’autres espèces animales et peut les mettre à la disposition de
son époux humain en tant qu’esprits-animaux (Sternberg, 1925 ;
Hamayon, 1990, 2015 : 91‑92).
Pour s’unir à la fille de l’esprit, « le chamane s’“animalise” lors
du rituel, mais il reste humain, car il agit au nom de son groupe ;
l’apparence animale qu’il adopte se superpose à son identité

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Le récit de la Femme-Oiseau 295

humaine » (Hamayon, 2009 : 196). Il pratique ainsi une hyper‑


gamie, soit le fait pour un individu d’avoir un conjoint dont le
statut est plus « élevé » que le sien :

Le chamane prend une épouse par monde nourricier. Celle


de la forêt est conçue sous forme de grand cervidé, élan ou
renne, gibier par excellence. Comme elle reste animale pour
ouvrir à son mari le chamane l’accès à la surnature animale,
c’est à lui de s’adapter. Aussi s’animalise-t‑il, par son costume
(en peau d’élan), sa coiffe (en forme de ramure), par son
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comportement rituel, d’allure ensauvagée, culminant dans
un éclat de « furie » : par force bonds et brames, il exprime
l’ardeur du mâle, tendue tant vers l’élimination des rivaux
que vers l’accouplement avec la femelle, double virilité imitée
de son modèle animal1. (Hamayon, 1990 : 731‑732.)

À l’inverse, le mariage du chamane et de l’épouse spirituelle


permet la sociabilisation humaine de cette dernière, qui reste
en même temps animale pour permettre l’accès de son époux
aux mondes nourriciers. Elle pratique ainsi une hypogamie, soit
une alliance dans laquelle le mari est d’un rang inférieur au sien
(Hamayon, 2015 : 97).
Cette idée d’une union croisant hypogamie animale et hyper‑
gamie humaine existait-elle durant le Paléolithique européen ?
Pour l’établir, il faudrait montrer l’existence d’un mythe pouvant
être daté de cette époque, reposant sur une transgression similaire
entre esprit animal et être humain.
Le mythe de la Femme-Oiseau pourrait s’y prêter. Ce récit est
connu depuis fort longtemps en Europe. Le « Chant de Völunðr »,

1. Remarquons qu’une telle pratique pourrait expliquer certaines représentations


paléolithiques de thériantropes, êtres imaginaires associant caractéristiques
humaines et animales : ils auraient alors symbolisé une situation intermédiaire
entre le monde des humains et celui de la maîtresse ou du maître des animaux.
Cependant, l’aspect de ces créatures pouvant résulter de nombreuses autres
causes (Le Quellec 2022 : 294 sq.), il serait d’abord nécessaire de montrer que
le rituel d’ensauvagement impliqué ici était connu au moment où les images
furent créées.

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296 Le cycle de l’air

recueilli par écrit au xiiie siècle de notre ère et transmis par le


Codex Regius, en est sans doute la plus ancienne occurrence (Le
Quellec et Sergent, 2017 : 501). Il raconte comment trois frères,
Völunðr, Egil et Slagfidur, rencontrèrent au bord du lac Úlfsiár
des valkyries dont la « forme » de cygne reposait sur la berge.
Ils les épousèrent et vécurent heureux avec elles. Mais, après
plusieurs hivers, les unions finirent en désunions. Les valkyries
reprirent leur « forme de plumes » et s’envolèrent vers le sud. Les
deux frères de Völunðr partirent alors à leur recherche, tandis
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que ce dernier restait sur place pour vivre d’autres aventures.
Étrangement, le type mythologique de la Femme-Oiseau a été
reconnu assez tardivement. En 1865, l’anthropologue britannique
Edward Burnet Tylor est le premier, à ma connaissance, à avoir
identifié un ensemble de récits où des femmes se débarrassent de
leur plumage d’oiseau pour aller se baigner, et où l’une d’elles se
fait voler sa tenue par un homme qui passait par là, l’obligeant
ainsi à devenir sa femme (Tylor, 1865 : 346‑347). Le type est repris
par Robert Lowie, qui l’a nommé « Swan-Maid » (Lowie, 1908 : 25).
Par la suite, en 1919, un ouvrage complet fut consacré à ce récit
par le folkloriste suédois Helge Holmström, qui le présente ainsi :

Un homme vole la forme d’une femme-cygne, généralement


au bain, puis la force à l’épouser ; après quelque temps,
la femme parvient à retrouver sa tenue de plumes et elle
disparaît immédiatement. Sous ses formes légendaires,
l’histoire s’arrête le plus souvent là ; dans les contes de
fées, l’homme cherche à retrouver sa femme disparue et,
avant d’y parvenir, doit vivre une série d’aventures étranges.
(Holmström 1919 : 11.)

Le mythe de la Femme-Oiseau répond bien aux conditions


posées plus haut, puisqu’un homme s’y marie avec une femme
surnaturelle, donc d’un rang supérieur, qui elle-même doit
s’humaniser pour permettre cette union, laquelle ne dure que
le temps que la femme y condescend, et ne tient que par la
grâce de celle-ci.

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Le récit de la Femme-Oiseau 297

Charencey, cité dans le chapitre 3, a fait remarquer que


le mythe ne prend pas toujours des oiseaux comme héros
(Charencey, 1894 : 330). Les habitants des Balkans connaissent
par exemple une fille-chèvre. Née d’une femme stérile souhaitant
à tout prix un enfant, quitte à ce que ce soit un animal, elle retira
sa peau pour aller puiser de l’eau et fut surprise par un prince qui
l’épousa. Après le mariage, elle apparaissait tantôt sous sa forme
humaine, tantôt sous sa forme animale, jusqu’à ce que, enfin,
son mari la désenchantât en brûlant sa peau (Calame-Griaule,
1979 : 508). De même, un récit camerounais relate comment un
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chasseur réussit à épouser une femme-buffle dont il avait volé la
peau sur le rivage, tandis qu’elle se baignait avec ses congénères :
ils eurent de nombreux enfants, mais, lorsqu’elle retrouva la
peau que son mari avait dissimulée, elle le quitta avec ses fils
(Pradelles de Latour, 2005 : 40). Les Ngambay racontent aussi
comment un chasseur surprit des jeunes filles-éléphants qui se
baignaient après avoir laissé leurs peaux sur le bord de la rivière.
Le chasseur déroba la peau de la plus belle qui, après le bain, ne
put repartir avec ses compagnes. L’homme lui donna des habits
ordinaires et l’épousa, non sans avoir caché sa peau d’éléphante
sous le mil du grenier. Ils eurent des enfants et menèrent une
vie tranquille. Un jour, la femme alla chercher dans le grenier
le mil que son mari avait oublié de lui donner. Elle retrouva sa
peau, la nettoya, la remit, redevint éléphante et s’enfuit dans
la brousse. Elle y retrouva son mari, l’attaqua et le tua (Ruellan
et Caprile, 1978 : 28‑35).
Bien sûr, la diversité des protagonistes n’enlève rien à l’essence
du mythe. On ne s’attendait pas à rencontrer les mêmes animaux
héros à travers le monde, puisque la faune varie selon les
climats et les lieux. Comme le remarque Claude Lévi-Strauss
dans La Potière jalouse, « la pensée mythique n’est nullement
désarmée devant des situations de ce genre. À travers d’immenses
espaces où la géologie, le climat, la faune, la flore ne sont pas les
mêmes, elle sait préserver, retrouver […] des “zoèmes” – espèces
animales nanties d’une fonction sémantique – permettant de
garder invariante la forme de ses opérations » (Lévi-Strauss,

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298 Le cycle de l’air

1985 : 130). Les populations qui, par migrations successives,


ont occupé les différentes régions du monde, se seraient ainsi
employées à repérer les différentes espèces capables de se substi‑
tuer à celles qui manquaient pour adapter leurs mythes aux
nouveaux environnements qu’ils rencontraient. Elles faisaient
ainsi lentement évoluer l’histoire primitive, en adaptant ou en
créant de nouvelles versions des mythes. C’est le principe d’éco‑
typification évoqué au chapitre 1.
Le mythe de la Femme-Oiseau apparaît propice à la démons‑
tration de l’existence d’une croyance paléolithique en une
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hypogamie et une hypergamie croisées, entre une femme
surnaturelle et un homme « ordinaire ». Encore faut-il dater, et
localiser, l’origine du récit.

Un peu de structuralisme
Le récit de la Femme-Oiseau semble en rapport de trans‑
formation avec le motif F40B (« Un homme se rend dans un village
de femmes ; il doit satisfaire chaque femme contre sa volonté ou
une femme le revendique pour elle seule ») reconstruit au chapitre
précédent, au moment de la sortie d’Afrique. Le démontrer permet‑
trait d’ancrer le mythe dans une temporalité plus longue et plus
lente, mais aussi de le rattacher aux acquis des précédents chapitres.
Reprenons les éléments en notre possession. Dans le cas de la
Femme-Oiseau, un homme épie une femme, puis se saisit de sa
peau animale pour la contraindre au mariage. L’épouse deman‑
deuse forçant un homme à l’épouser devient donc l’épouse
demandée forcée d’épouser un homme. Le statut de l’homme
présente quant à lui un double affaiblissement par rapport au
motif F40B : d’abord, l’époux se saisit de l’habit/peau de la femme
et non de la femme elle-même ; ensuite, le demandeur n’exerce
sa fonction d’époux que durant une période limitée, la femme
fuyant le domicile conjugal soit après une dispute, soit après
avoir retrouvé sa peau, contraignant l’homme à entreprendre
une quête. Chaque type représente donc l’image déformée,
inversée, de l’autre. Est-il possible de corroborer ce rapport de

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Le récit de la Femme-Oiseau 299

transformation dans un cadre phylogénétique ? Sans doute, si


le lecteur m’autorise une légère digression.
Comme cela a été montré dans le chapitre 1, les arbres phylo‑
génétiques permettent de décrire l’évolution d’un même mythe
par modifications successives, chaque modification entraînant
une nouvelle version. Quant aux réseaux phylogénétiques, ils
sont mieux adaptés pour mettre en évidence les combinaisons
et les emprunts entre les différentes versions. Jusqu’à présent,
rien ne permettait donc de modéliser la transformation d’un
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type de mythe en un autre, une telle transformation boulever‑
sant la surface des récits au point de leur faire perdre tout air
de famille, mais épargnant une structure commune et latente.
Comment jeter un pont entre des familles de mythes qui ne
semblent partager aucune ressemblance ?
Pour répondre à cette question, Claude Lévi-Strauss a proposé
une formule dite canonique. Cette formule de transformation
logique a été présentée pour la première fois dans un article paru
dans le Journal of American Folklore en 1955, où l’anthropologue
français défendait l’idée que les mythes se transformaient l’un
dans l’autre en suivant des règles logiques. La formule canonique
y était ainsi exposée :

Tout mythe (considéré comme l’ensemble de ses variantes) est


réductible à une relation canonique du type : fx(a) : fy(b) ::
fx(b) : fa – 1(y) (dans laquelle, deux termes et deux fonctions
étant donnés simultanément, on pose qu’une relation
d’équivalence existe entre deux situations où les termes et
les relations sont inversés, sous deux conditions : 1o qu’un des
termes soit remplacé par son contraire ; 2o qu’une inversion
se produise entre la valeur de fonction et la valeur de terme
de deux éléments). (Lévi-Strauss, 1955b : 442‑443.)

Après une longue éclipse, à peine éclaircie par quelques allusions


dans le premier volume des Mythologiques (1964), la formule est
réapparue dans un cours donné au Collège de France entre 1974 et
1975 (Lévi-Strauss, 1984 : 145‑146) comme une illustration de « la

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300 Le cycle de l’air

relation déséquilibrée […], propriété inhérente aux transformations


mythiques » (ibid. : 13), puis dans La Potière jalouse (1985) et, dans
une moindre mesure, dans Histoire de Lynx (1991).
La formule canonique apparaît fascinante. En effet, elle « recèle
[…] quelque chose de magique : elle nous aide à mieux ordonner
du sens afin ensuite de mieux le transmuter, le faire circuler,
rebondir d’une population à une autre, d’un code à un autre,
d’une thématique à une autre » (Désveaux, 2001 : 37‑38). Aussi ne
laisse-t‑elle presque personne indifférent. Le philosophe et anthro‑
pologue français Lucien Scubla (1998) distingue les commenta‑
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teurs sceptiques, ignorant ou rejetant la formule canonique, les
commentateurs prudents, négligeant la lettre de la formule pour
chercher à découvrir les algorithmes qui en exprimeraient la
substance, et les commentateurs téméraires, s’intéressant à l’expres‑
sion littérale de la formule canonique en tentant soit de l’appliquer
ponctuellement, soit de l’expliquer. Sans détailler davantage les
différents travaux suscités par la formule canonique (voir, par
exemple, Scubla, 1998 ; Godelier, 2013 : 411‑436), il convient
cependant d’insister sur sa possible formalisation mathématique.
Une piste originale et prometteuse a récemment été ouverte
par Marc Thuillard et Jean-Loïc Le Quellec (2017). Ces deux
chercheurs ont en effet montré que la formule canonique de
Lévi-Strauss pouvait être interprétée dans le cadre théorique de
la phylogénétique des mythes. Ils ont pour cela transformé ses
différentes fonctions et termes en caractères tels qu’utilisés en
phylogénie. La double inversion (« double twist ») dans la formule
canonique se laisse ainsi représenter par un arbre comprenant
des caractères à trois états (− 1, 0, 1). L’inversion, un des piliers
de la théorie structuraliste, est typiquement décrite par une
relation binaire (− 1, 1) alors que, pour modéliser la double inver‑
sion de la formule canonique, l’introduction de caractères à trois
états est requise. La formule peut alors être parfaitement décrite
par un arbre à quatre branches, qui représente une séquence de
quatre moments (0, − 1), (0, 0), (1, 0) et (1, 1), exprimant une
relation simple entre les nœuds d’un arbre phylogénétique, où
le premier nœud (0, − 1) est au troisième nœud (1, 0) ce que

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Le récit de la Femme-Oiseau 301

le deuxième nœud (0, 0) est au quatrième nœud (1, 1). Or une


telle relation décrit un exemple d’évolution du mythe qui peut
être représenté par un arbre phylogénétique parfait.
Il y a encore plus. Une version modifiée de la formule
canonique a été proposée par l’anthropologue américain Mark
S. Mosko en 1991 pour décrire les transformations des matériaux
non mythiques identifiés dans la culture Bush Mekeo de
Papouasie-Nouvelle-Guinée. Nommée « formule narrative », elle
prend la forme suivante : Fx(a) : Fy(b) :: Fx(b) : Fy(a). Thuillard
et Le Quellec ont montré que cette seconde formule décrivait
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un schéma d’évolution complètement différent de la première,
pouvant être figuré sous la forme d’un réseau phylogénétique
représentant simultanément un ensemble d’arbres alternatifs
(voir chapitre 2 pour un exemple). Cette formule serait ainsi plus
adaptée que les arbres phylogénétiques pour la description des
mythes lorsqu’ils se combinent pour créer de nouvelles versions.
Comme ces auteurs le précisent, l’évolution des mythes corres‑
pond assez souvent à des situations intermédiaires : elle ne se
résume pas à une arborescence parfaite, pas plus qu’elle ne se
réduit à un réseau compact multipliant les connexions entre
nœuds. C’est ce qui peut expliquer pourquoi la formule canonique
n’a été identifiée que dans un petit nombre de cas, et qui justifie
son utilisation ici comme opérateur logique permettant de passer
de l’état d’un mythe à un autre fondamentalement différent.
En reprenant les relations unissant le motif F40B et le récit de
la Femme-Oiseau, il devient alors possible de proposer l’appli‑
cation suivante de la formule : F épousailles subies (époux) :
F demandeuse (épouse[s]) :: F épousailles subies (épouse) : F époux
– 1 (demandeur), ce qui peut se lire : la fonction « épousailles
subies » de l’époux est à la fonction « demandeuse » de la ou des
épouse(s) ce que la fonction « épousailles subies » de l’épouse
est à la fonction « époux – 1 » du demandeur, le demandeur
n’étant époux que dans un temps limité1.

1. Il est à noter que cette formule permet d’articuler le motif de l’homme accaparé
par les femmes à celui des Pléiades poursuivies par Orion. En effet, selon un

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302 Le cycle de l’air

Est-il possible de corroborer cette transformation faisant du


récit de la Femme-Oiseau une continuation du motif F40B ?
La réponse est positive, si l’on considère que ce récit pourrait
transformer celui de la matriarchie primitive (F38), reconstruit
dans le chapitre précédent comme ayant appartenu au même
complexe de récits antérieur à la sortie de l’homme d’Afrique
que F40B. Ce rapprochement entre le récit de la Femme-Oiseau
et l’existence d’une matriarchie primitive n’est pas nouveau. Il
a été proposé dès 1891 par le folkloriste anglais Edwin Sidney
Hartland (1891 : 288‑290) et se retrouvait récemment sous
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autre mythe reconstruit et sans doute antérieur à la sortie d’Afrique, Orion
est un homme poursuivant les Pléiades, qui forment un groupe de femmes
fuyant devant lui (d’Huy et Berezkin, 2017). Celui-ci s’oppose au motif F40B,
où un groupe de femmes solidaires s’emparent d’un homme, qui devient leur
conjoint et qui, cédant à l’excès de volonté féminine, présente un défaut de
virilité. Cette relation prend la forme : F adversaire agressif (homme) : F par‑
tenaires pacifiques (femmes) :: F adversaires agressifs (femmes) : F homme
– 1 (conjoint pacifique), ce qui se lit : la fonction « adversaire agressif » de
l’homme est à la fonction « partenaires pacifiques » des femmes ce que la
fonction « adversaires agressifs » des femmes est à la fonction « homme-1 »
du conjoint pacifique.
L’application de la formule canonique corrobore également l’hypothèse
selon laquelle la croyance en une maîtresse des animaux serait à l’origine
une adaptation locale du motif de l’émergence de l’humanité et de la faune
d’un domaine souterrain (Berezkin 2007b ; Le Quellec 2015a). Selon la pro‑
toforme reconstruite de ce dernier récit, la femme aurait été la première à
sortir (Le Quellec, 2015a). La probabilité de ce trait est faible (53 %), mais
il est largement diffusé en Afrique (Le Quellec et Sergent 2017 : 427) et se
retrouve inversé en Amérique du Sud, où une femme enceinte bloque le
processus d’émergence (Berezkin 2017b ; Le Quellec et Sergent 2017 : 426).
Dans les versions de récits d’émergence s’étant diffusées hors d’Afrique,
la femme aurait donc été celle qui « ouvre », comme pourrait l’être une
maîtresse des animaux ouvrant la terre pour laisser sortir ses possessions.
La relation entre les deux récits adopte significativement la structure de la
formule canonique mise en évidence par Claude Lévi-Strauss : F discontinue
(femme) : F souterraine (groupe) :: F discontinue (groupe) : F femme – 1
(grotte), ce qui se lit : la fonction « discontinue » de la femme (première à
sortir, donc à se séparer des autres humains) est à la fonction « souterraine »
du groupe (humain) ce que la fonction « discontinue » du groupe (animal,
les animaux étant relâchés un par un) est à la fonction « femme – 1 » (soit
la maîtresse des animaux qui inverse la nature humaine de la femme) de
la grotte.

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Le récit de la Femme-Oiseau 303

la plume de Philippe Walter (2008 : 220) à propos de la fée


Mélusine, dont le mari découvre la (sur)nature ophidienne en
transgressant l’interdiction de l’observer pendant son bain :
« Le mythe mélusinisien [dont la structure est similaire à
celle de la Femme-Oiseau] raconte […] presque toujours le
passage d’un type de société dominé par les femmes (tant
que l’interdit est respecté) à un type de société gouverné par
les hommes. »
Le rapport de transformation suivant ne surgit donc pas ex
nihilo, et demeure intéressant en ce qu’il met en opposition les
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protoformes de deux récits1 :

Motif F38 Femme-Oiseau

1. Les femmes possèdent un savoir sacré/ 1. Une femme est connectée au sacré/est
sont liées à la surnature surnaturelle

2. grâce à l’usage d’objets ou la maîtrise 2. grâce à la possession d’une peau animale.


de rituels

3. et sont maîtresses de la culture hors


de leur demeure.

4. Rôle de médiatrice. 4. Rôle de médiatrice.

5. Les hommes volent cette prérogative 5. Un homme vole la peau

6. devenant maîtres des femmes. 6. devenant maître d’une femme

3. désormais maîtresse de la culture dans


l’enceinte de la maison.

7. Il existe aujourd’hui un tabou pour les 7. Il existe un tabou pour la femme


femmes sur ces anciens liens avec le sacré. sur son ancien lien avec le sacré (peau
animale cachée/rappel de son origine).

8. L’état des choses demeure depuis. 8. Rupture du tabou, fuite de la femme


conduisant à sa reconnexion au sacré,
quête de l’époux qui va vivre chez
la femme et inversion de la situation
initiale.

1. Notons que le protorécit reconstruit de la Femme-Oiseau (d’Huy, 2016)


s’avère très proche du « schéma mélusinien » classique (Lecouteux, 1978 ;
Harf-Lancner, 1984 ; Le Quellec et Sergent, 2017 : 771‑772).

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304 Le cycle de l’air

La séparation primitive entre la femme et l’homme dans le


récit de la Femme-Oiseau renvoie par ailleurs au motif F45 (« Il
y a – ou il y avait – des femmes qui vivent loin des hommes,
dans leur propre village »), lui-même précédant généralement le
motif F40B et servant à rendre compte de l’origine des femmes.
Par ailleurs, le récit de la Femme-Oiseau est régulièrement associé
au motif F45 en Asie et en Amérique pour rendre compte de
l’apparition des femmes (Le Quellec et Sergent, 2017 : 479‑480),
ce qui souligne l’affinité structurelle qui les lie. Nous avons vu
plus haut comment la formule canonique permet de boucler le
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réseau transformationnel en établissant le lien entre le motif
F40B et le récit de la Femme-Oiseau.
Parallèlement, la rupture du tabou et ses conséquences font
écho aux motifs F43 (« Les femmes de la première communauté
humaine tuent ou abandonnent les hommes ») et F44 (« Femmes
et hommes se disputent et se quittent »), et inversent le motif
F42 (« Les hommes se sentent offensés par les femmes et les
abandonnent »). Or les motifs F42, F43 et F44 appartiennent au
même complexe de croyances que les motifs F38, F40B et F45,
qui s’est diffusé depuis l’Afrique jusqu’en Eurasie. Les mythes
africains durent ici pour s’être transformés, la Femme-Oiseau
conservant dans sa structure les marques de son origine.
Au vu des caractéristiques partagées, les probabilités sont
donc fortes que le récit de la Femme-Oiseau puisse être une
réélaboration d’un ensemble de mythes plus anciens, et plus
particulièrement des motifs F38 et F40B, amené par les premiers
Homo sapiens sortant d’Afrique. Le mythe de la Femme-Oiseau
inverserait alors le schéma d’origine, en mettant en scène la
reconquête par les femmes du pouvoir spirituel qui leur avait été
confisqué par les hommes et la déconnexion de ces derniers et
du sacré. Il reste encore à expliquer le lien unissant la Femme-
Oiseau à l’eau.

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Le récit de la Femme-Oiseau 305

Une femme-oiseau aquatique


À cet effet, j’ai analysé l’ensemble des motifs rassem‑
blés dans la section F du corpus de Yuri Berezkin, consacrée
à la sexualité (d’Huy, 2020b). Les calculs montrent une forte
influence de la distance depuis l’Afrique sur la variabilité des
traditions mytho­logiques non africaines, expliquant de 31 % à
47 % de la variabilité totale observée.
J’ai par ailleurs construit plusieurs arbres à partir des
29 groupes linguistiques possédant au moins 12 des motifs
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disponibles, soit 10 % de l’ensemble. Le premier arbre, bayésien,
a été enraciné sur le point médian (figure 8.1 à gauche). Ce
paramétrage place en exogroupe les Bulgares, les Roumains,
les Russes, les Allemands, les Français et les Finnois, soit (à
l’exception des Adyghes du nord-ouest du Caucase et des Grecs
antiques) les traditions géographiquement les plus proches
d’Afrique. Les Adyghes, les Grecs antiques et les Mongols,
également plus proches d’Afrique que les autres traditions,
sont situés à la base d’un autre arbre, construit à partir du
même corpus et faisant la synthèse des 1 000 arbres les plus
parcimonieux (figure 8.1 à droite).
Ces résultats corroborent ceux obtenus dans le chapitre 4,
montrant qu’une part substantielle de la mythologie s’est
diffusée depuis l’Afrique.
À cela s’ajoute une triple diffusion en Amérique. La première
serait centrée sur l’Amérique du Sud, la deuxième, sur l’Amérique
du Nord, et la troisième aurait mêlé dans un même mouvement
une mythologie na-dene (Navajo), equimau-aléoute (Aléoutes)
et warao. La première diffusion fait écho aux conclusions de la
troisième partie. La deuxième diffusion renvoie à celles de la
première et de la deuxième partie. La dernière diffusion pourrait
correspondre à une migration bien plus tardive encore, liant les
groupes esquimaux, na-dene et d’Amérique du Sud (Raghavan,
et al., 2015 ; Flegontov et al., 2019).
Le second arbre m’a également permis d’identifier les motifs
mythologiques ayant une probabilité supérieure à 50 % d’avoir

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306 Le cycle de l’air

Figure 8.1 Arbres phylogénétiques du sous-ensemble de motifs liés à la


sexualité

ALLEMANDS – IE
FRANÇAIS – IE
BULGARES – IE  
ROUMAINS – IE

FINNOIS – OURAL
RUSSES – IE
GRECS ANTIQUES – IE 
ADYGHES KABARDES – CAUC

MONGOLS KHALKHA – ALT
YUCUNA KABIYARI – ARAWAK
TACANA – PANO-TAC 
IRANXE – ISOLAT 
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BORORO – MACRO-GE 
YOUKAGUIRS DE LA TOUNDRA BAS KOLYMA – PALEO-SIB
NIVKHES – PALEO-SIB 
ATAYAL, SEEDEQ, SAISIYAT – AUSTRON

PAIWAN PUYUMA RUKAY – AUSTRON 
SHUSWAP – SALISH
MAIDU – PÉNUT 

NEZ PERCÉ – PÉNUT
TSIMSHIAN – PÉNUT 
TLINGIT – NA-DENE  
HAIDA – ISOLAT 
 
OJIBWA DE L’OUEST – ALG
NAVAJO – NA-DENE
ALÉOUTES – ESKIMAUX-ALÉOUTES 
WARAO – ISOLAT 
HOPI – UTO-AZTEQ
OJIBWA DU NORD – ALG 

À gauche, arbre bayésien ; à droite, arbre construit à l’aide du logiciel


Mesquite (indice de rétention : 0,45).
Alt : langue altaïque ; alg : langue algonquine ; arawak : langue
arawakienne ; austron : langue austronésienne ; cauc : langue
caucasienne ; ie : langue indo-européenne ; paléo-sib : langue paléo-
sibérienne ; pano-tac : langue pano-tacane ; pénut : langue pénutienne ;
utoasteq : langue uto-aztèque.

existé i) à la racine de l’arbre, ii) au nœud basal du premier


ensemble amérindien, et iii) au nœud unissant le deuxième
ensemble amérindien et certaines traditions eurasiatiques comme
celles des Youkaguirs et des Nivkhes. Si le seuil semble faible,
les motifs reconstruits possèdent généralement une probabilité
bien plus élevée, comme on peut s’en rendre compte en se
reportant au tableau 8.1.

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Le récit de la Femme-Oiseau 307

Tableau 8.1. 
Motifs reconstruits en se fondant sur l’arbre de consensus
majoritaire

Code Motifs Probabilité Probabilité du Probabilité


des du motif à motif à la base du motif lors
motifs la racine de la première de la seconde
diffusion diffusion
en Amérique en Amérique

Mk1 Assym. 2 Mk1 Assym. 2 Mk1 Assym. 2


param. param. param.

F7 L’homme prend ou 63,96 60,58 95,57 84,55 43,71 45,33


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tente de prendre pour
femme un être lié au
monde sous-marin
(poisson, crabe, serpent,
animal aquatique, etc.).

F9 Pour différentes raisons, 87,6 74,11 96,47 83,40 99,91 93,32


le contact sexuel avec
une femme est mortel
pour un homme.

F9a Il y a des dents ou des 0,5 0,4 7,79 9,7 99,96 99,99
pierres pointues dans
le vagin ou le vagin
est une bouche dentée.

F10 La femme a une 4,53 3,84 16,74 20,44 95,67 99,84


autre bouche dentée
(habituellement dans le
vagin) ou des animaux
mordeurs dans le vagin.
L’homme y insère
une pierre, un os, un
bâton, etc. qui brise les
dents ou en extrait des
animaux dangereux.

F45 Il y a (ou il y a eu) des 87,4 84 99,34 98,44 99,93 99,62


femmes qui vivent à
l’écart des hommes
dans leur(s) village(s)
respectif(s).

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308 Le cycle de l’air

Le motif « L’homme prend ou tente de prendre pour femme


un être lié au monde sous-marin (poisson, crabe, serpent, animal
aquatique, etc.) » inverse au moins partiellement le mythe de
l’époux aquatique, présenté au troisième interlude. Par ailleurs,
il explique bien le lien entretenu entre l’eau et la femme-oiseau,
la future épouse se baignant dans un lac au moment où ses
habits sont volés. Ce lien puiserait son origine dans la reprise
d’un motif archaïque, venu d’Afrique.
Ce trait a été reconstruit à la racine de l’arbre phylogéné‑
tique en même temps que plusieurs autres. Nous avons déjà
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croisé l’un d’eux. Il s’agit du motif « Il y a (ou il y a eu) des
femmes qui vivent à l’écart des hommes dans leur(s) village(s)
respectif(s) » dont nous avons retracé la route africaine dans la
troisième partie. Cependant, seul ce motif, parmi tous ceux liés
à la matriarchie primitive qui appartenaient à la section F, a été
reconstruit. Cette divergence des résultats peut être liée à des
différences de paramétrages, l’étude présentée dans la troisième
partie privilégiant les aires culturelles, alors que l’unité d’ana‑
lyse retenue ici est plus circonscrite. Comme nous l’avons vu
précédemment, les mythes évoluent extrêmement lentement et,
à force de durer, finissent par disparaître. La perte d’informa‑
tion devient alors irréversible. Or cette perte est d’autant plus
sensible que l’on se situe au niveau des traditions, le choix de
l’aire culturelle permettant d’« amortir » un oubli localisé des
motifs remontant à la sortie d’Afrique.
Conformément à la méthode suivie dans ce livre, il convient
encore d’éprouver la solidité des autres motifs reconstruits par
une voie différente.
Le motif « Pour différentes raisons, le contact sexuel avec
une femme est mortel pour un homme », présent en Asie du
Sud-Ouest lors de la sortie d’Afrique, semble évoluer, avant la
deuxième diffusion en Amérique, en deux autres énoncés : « Il y
a des dents ou des pierres pointues dans le vagin d’une femme
ou le vagin est une bouche dentée » et « La femme a une autre
bouche dentée (habituellement dans le vagin) ou des animaux
mordeurs dans le vagin. L’homme y insère une pierre, un os,

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Le récit de la Femme-Oiseau 309

un bâton, etc. qui brise les dents ou en extrait des animaux


dangereux ». Cette transformation aurait eu lieu au Paléolithique
supérieur, quelque part en Eurasie.
Le motif du vagin denté et sa large diffusion ont fortement
intéressé les psychanalystes (Otero, 1996), au point que certains
d’entre eux ont pu y voir la preuve de l’unité psychique de
l’être humain. Ainsi l’anthropologue britannique Charles Gabriel
Seligman (1932 : 219) écrivait-il que « l’unité essentielle des
psychoses rend peu probable que la symbolisation névrotique
– en dehors des symboles déterminés socialement – soit diffé‑
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rente dans les différentes races. Il y a en fait une peur, la peur
névrotique des rapports sexuels, qui est symbolisée de la même
manière que le vagin denté par de nombreuses personnes dans
de nombreux pays ». Mais, comme pour de nombreuses inter‑
prétations psychanalytiques, il est facile de reprocher à celle-ci
de ne pas démontrer la validité de ses postulats – une même
expérience de la sexualité pour toutes les sociétés –, ni d’être
capable d’expliquer l’absence du mythe considéré dans certaines
traditions, par exemple en Afrique, où « on ne trouve pratique‑
ment aucune occurrence de vagin denté » (Berezkin, 2013 : 141),
ou encore en Australie.
Sans chercher à disqualifier la charge affective que peut détenir
le vagin denté sous nos latitudes, il est nécessaire de replacer le
motif dans un développement historique.
La vulve a été très anciennement interprétée comme une
bouche. Deux linguistes, John Bengston et Merritt Ruhlen
(1994 : 319‑321), ont suggéré que le proto-mot *puti, dont l’on
retrouverait des traces dans des langues africaines, européennes,
asiatiques et amérindiennes, aurait servi à désigner la vulve
dans l’une des premières langues humaines. Or, se penchant
à son tour sur cet hypothétique étymon, Juan Carlos Moreno
Cabrera (2012) propose d’y voir le produit d’une interpréta‑
tion symbolico-sonore. En effet, les arrêts labiaux tels que [p]
ou [m] sont prononcés en rapprochant les lèvres, tandis que
la voyelle vélaire [u] est généralement prononcée en écartant
les lèvres. Par conséquent, selon Moreno Cabrera, la première

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310 Le cycle de l’air

partie du mot *puti pourrait traduire une association phéno-


mimique naturelle entre le pu et la « bouche » ou les « lèvres »
humaines. Le mot désignant la bouche aurait ensuite désigné
la vulve selon un principe d’analogie, faisant de la « bouche
du dessous » l’équivalent de la « bouche du dessus ». Quant
à la deuxième composante syllabique de l’étymon, Moreno
Cabrera s’appuie sur les études du linguiste et anthropologue
américain Morris Swadesh (1972 : 208) pour qui les dentales
([t] et [n]) auraient inspiré l’idée de pointe. La configuration
phonétique de *puti aurait alors pu être interprétée comme la
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représentation d’une image schématique abstraite et pointue
symbolisant un sexe féminin : un triangle inversé avec une
ligne verticale au milieu, image que l’on retrouvera dans l’art
préhistorique. Moreno Cabrera emploie ensuite la méthode de
différenciation des langues proposée par la linguiste Johanna
Nichols (1998 : 136‑139) pour estimer l’âge de cet étymon à
30 000 ans. L’association entre bouche du dessus et bouche du
dessous paraît être encore plus ancienne, puisqu’elle explique la
transformation, avant le peuplement de l’Australie, de récits où
les femmes dissimulaient le feu dans leur vulve en récits où les
mêmes cachaient le feu dans leur bouche (chapitre 5).
Bouche et vulve partagent en commun la dialectique d’un
contenant et d’un contenu mobile. « Ta langue / Le poisson
rouge dans le bocal / De ta voix », écrivait Guillaume Apollinaire.
Le Soleil est dissimulé dans la bouche et le feu dans la vulve,
tous deux éléments mobiles pouvant être séparés de leur support
(chapitre 5). La présence primitive d’un élément brûlant et
potentiellement destructeur dans une cavité relevant générale‑
ment du corps d’une femme pourrait être mise en relation avec
une certaine crainte du genre féminin, dont nous avons montré,
notamment à travers les mythes de matriarchie primitive, qu’elle
aurait existé dès avant la sortie d’Afrique (chapitre 6). Aussi
la reconstruction du motif F9 (« Pour différentes raisons, le
contact sexuel avec une femme est mortel pour un homme »)
au moment où notre espèce quittait son berceau continental
n’est-elle guère étonnante.

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Le récit de la Femme-Oiseau 311

C’est plus tardivement, en Eurasie, que le feu dissimulé dans la


vulve serait devenu un animal, plus spécifiquement un serpent.
Un récit largement répandu dans cette région du monde, recensé
dès le xive siècle en Europe mais que l’on retrouve aussi en
Amérique du Nord (Le Quellec et Sergent, 2017 : 1316), narre
comment une femme dangereuse cause la mort de ses partenaires
à cause d’une créature maléfique – généralement un serpent –
dissimulé en elle. Ce motif est identifiable ici sous la forme :
« La femme a une autre bouche dentée (habituellement dans
le vagin) ou des animaux mordeurs dans le vagin. L’homme y
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insère une pierre, un os, un bâton, etc. qui brise les dents ou en
extrait des animaux dangereux. » La présence du serpent n’est
pas anodine et permet de faire le lien avec l’objet brûlant dissi‑
mulé dans un vagin : comme le feu ou le soleil, il constitue une
partie mobile de la vulve. En outre, cet animal était lié à la pluie
et à l’orage dès avant la sortie de Sapiens d’Afrique (deuxième
interlude) et plus spécifiquement lié à la foudre, soit au feu qui
détruit, dans l’Eurasie paléolithique (premier interlude). Le motif
serait ainsi apparu par glissement de sens depuis des croyances
plus anciennes.
Selon Gudmund Hatt (1949 : 87), le motif du vagin denté
stricto sensu pourrait être considéré comme le parallèle amérin‑
dien du motif de la créature maléfique dissimulée dans le
vagin. Les résultats obtenus ici montrent que les deux motifs
se seraient diffusés ensemble en Amérique du Nord et suggèrent
donc que la transformation de l’un en l’autre se serait opérée
en Eurasie.
Le motif du vagin denté aurait ainsi une très longue histoire,
se perpétuant dans nos sociétés actuelles sous la forme du
penis captivus (« pénis captif ») qui désigne l’impossibilité pour
l’homme de retirer son sexe du vagin de sa partenaire durant un
rapport sexuel. La notoriété de cette histoire s’explique moins par
la fréquence de l’incident, dont les relations directes demeurent
douteuses quand elle concerne l’humain (Taylor, 1979), que par
la remotivation de l’ancienne croyance paléolithique en un vagin
dangereux, happant ou piégeant le sexe de l’homme. La psyché

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312 Le cycle de l’air

serait ainsi en partie historique, nourrie et formée des mythes


du passé.
Si les racines du mythe de la Femme-Oiseau sont donc
profondes, est-il possible de retrouver le lieu et l’époque à partir
desquels il commença à s’épanouir ?

L’approche aréologique
Le récit de la Femme-Oiseau est sans nul doute très
ancien. Pour le chercheur anglais Arthur Thomas Hatto, « la
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nature de l’histoire de la Femme-Cygne et sa distribution en
Eurasie et en Amérique du Nord suggèrent qu’il s’agit d’une
histoire archaïque. C’est le genre d’histoire qui pourrait avoir
plusieurs milliers d’années » (Hatto, 1961 : 344). En 1894,
Charencey a commencé l’étude de la répartition mondiale du
type : identifiant des versions amérindiennes et océaniennes, il
note que « tout nous porte à croire […] que la priorité doit être
attribuée au conte océanien. En définitive, l’Amérique a reçu des
légendes de l’ancien monde, et rien ne prouve qu’elle lui en ait
jamais communiqué » (Charencey, 1894 : 315). Plus loin, élargis‑
sant son corpus aux femmes-phoques shetlandaises, il remarque
que « l’épisode de la peau magique, dont la disparition entraîne
tant d’inconvénients et de déboires pour le personnage qui en
était revêtu, semble rattacher à une source commune les femmes
volantes et nageantes » (ibid. : 330). S’il ne se prononce pas sur
une aire d’origine précise du mythe, l’hypothèse d’un passage
d’Eurasie en Amérique ferait remonter celui-ci à une époque
où cela était encore possible, soit avant la fin du Pléistocène.
Pour ce qui est de l’aire d’origine du récit, trois hypothèses
s’affrontent : l’Inde, l’Eurasie du Nord et l’Asie de l’Est ou du
Sud-Est. Présentons-les sans prendre parti pour le moment.
L’anthropologue américain Roland B. Dixon (1916b) a montré
que les versions malaises de la Femme-Oiseau dérivaient de
récits indiens, puis qu’elles s’étaient diffusées en Polynésie,
voire jusqu’en Australie. Le folkloriste suédois Helge Holmström
(1919) a vu aussi l’Inde, en position centrale par rapport aux

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Le récit de la Femme-Oiseau 313

aires d’origine des variantes les plus répandues, comme le pays


de naissance du type. Carl von Sydow (1930 ; 1965 [1948] :
223) a repoussé cette hypothèse, lui préférant celle d’un conte
diffusé sur un vaste territoire par les migrations d’un Peuple des
Mégalithes, dont on sait aujourd’hui qu’il n’est que fantasma‑
gorie. Selon le chercheur britannique Norman Mosley Penzer
(1927 : 213‑234), le mythe de la Femme-Oiseau trouverait ses
racines dans la littérature sanskrite ancienne, avant de s’être
diffusé dans toutes les directions. Vers le nord, le nord-est,
l’est et le sud-est, le récit aurait suivi la propagation de l’hin‑
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douisme et du bouddhisme, pour atteindre ensuite la Birmanie,
l’Indochine, la Chine, le Japon et les Philippines, puis Sumatra,
Java, Bornéo, la Nouvelle-Guinée, la Micronésie, la Mélanésie,
la Polynésie, la Nouvelle-Zélande et finalement l’Australie. Vers
l’Occident, le mythe aurait été diffusé par les musulmans, ce qui
expliquerait son inclusion dans Les Mille et Une Nuits. Il aurait
gagné l’Iran, l’Arabie, puis la Turquie et la Russie d’une part,
la Tunisie, l’Algérie, le Maroc d’autre part, parvenant jusqu’en
Afrique de l’Ouest, mais aussi au Zanzibar et à Madagascar.
Une dernière route empruntée par le mythe aurait traversé
la Mongolie, pour atteindre la Sibérie, le détroit de Béring et
enfin l’Amérique du Nord. Les travaux de l’anthropologue et
folkloriste américain William Armand Lessa (1961 : 157‑166),
s’appuyant sur la diffusion mondiale du mythe et ses diverses
écotypifications eurasiatiques et océaniennes, désignent égale‑
ment une origine indienne suivie d’une diffusion en Océanie
depuis l’Asie du Sud-Est.
Une autre origine possible du mythe pourrait se situer dans
le nord de l’Eurasie. En effet, en 1961, Arthur Thomas Hatto a
remarqué que la femme-oiseau est souvent une oie, un cygne ou
une grue, soit de grands oiseaux migrateurs qui nichent dans le
nord. Fort de ce constat, il en a déduit qu’« il devrait être possible
de définir une aire, quelle que soit sa superficie, à l’intérieur
de laquelle l’histoire de la Femme-Cygne peut être considérée
comme étant vraiment chez elle » (Hatto, 1961 : 338) : cette aire
serait le grand Nord eurasiatique et américain.

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314 Le cycle de l’air

Une dernière origine possible pourrait se situer sur les rivages


de l’Asie de l’Est ou du Sud-Est. Yuri Berezkin (2013) s’est
intéressé à la diffusion du motif de la « Femme céleste » où un
homme capture une femme venue du monde d’en haut puis
se marie avec elle. Observant la répartition septentrionale de
l’écotypification de la Femme-Cygne, il considère que celle-ci
a dû apparaître en Eurasie du Nord avant de se diffuser dans
le nord de l’Amérique après le dernier maximum glaciaire. Au
sud de cette aire de diffusion se trouvent des récits de Femmes
célestes, répandus dans l’est et le sud-est de l’Asie et l’ouest
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de l’Océanie. Leurs protagonistes sont des oiseaux non migra‑
teurs, des étoiles, des nymphes célestes à forme humaine, et
les histoires ont généralement une valeur anthropogonique ou
étiologique, expliquant l’origine des humains, des dieux, des
corps célestes, des phénomènes atmosphériques, des cultures, etc.
Des versions similaires se retrouvent partout en Amérique latine,
aire géographique associée à une première vague de peuple‑
ment des Amériques. Il s’agirait ici du premier état du mythe,
né sur les côtes pacifiques de l’Asie. Le fait qu’à l’inverse, en
Amérique, les récits de Femme-Cygne ne soient diffusés que
parmi les Eskimaux suggère une arrivée plus tardive du mythe,
en même temps que ses propagateurs, vers 5000 avant notre
ère. L’histoire de la Femme céleste se serait donc diffusée vers
le nord de l’Eurasie après le dernier maximum glaciaire, pour
devenir celle de la Femme-Cygne 1.
L’hypothèse de Yuri Berezkin a le mérite de l’élégance : elle
permet en effet de rendre compte, dans un même mouvement,
de l’origine probablement australe du mythe et de son écoty‑
pification septentrionale. Mais, à l’instar des études présentées

1. Remarquons que ce lien de la femme, du cygne et de l’eau se retrouve dans


la littérature occidentale, où l’animal représenterait, selon Gaston Bachelard,
« un ersatz de la femme nue » (Bachelard, 1942 : 50). Selon le philosophe, les
images associant les trois éléments s’expliqueraient par l’imagination matérielle
de l’eau et par la « poésie des reflets ». Mais il est bien plus probable que ces
images soient culturellement héritées, et plongent leurs racines dans notre
plus lointain passé.

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Le récit de la Femme-Oiseau 315

plus haut. Cette analyse reste enfermée dans un parti pris. En


effet, l’explication proposée implique que l’aire de diffusion du
mythe soit restée la même depuis son apparition, ce qui revient à
construire la conséquence avec la prémisse. Serait-il alors possible
de trancher statistiquement entre les différentes hypothèses ?

Approche statistique des mythes


de la Femme-Oiseau
C’est ce que j’ai tenté de faire en 2016 en adoptant
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une nouvelle approche pour analyser des familles de mythes à
partir de versions appartenant à des isolats linguistiques.
En effet, comme nous l’avons vu dans le chapitre 2, les mythes
semblent évoluer par ponctuations, alternant de courtes périodes
de changement et de longues périodes de stabilité. Cet effet a
pu être quantifié statistiquement, et diverses explications ont
été proposées, essentiellement liées à des phénomènes de diffu‑
sion et de contact entre les populations. En dehors des périodes
de changement, les mythes évolueraient peu, ce qui explique‑
rait que l’on retrouve certains d’entre eux, presque inchangés,
disséminés sur l’ensemble de la planète au gré des migrations
humaines. Bien sûr, des échanges et des emprunts sont toujours
possibles à l’échelle locale, mais ces phénomènes s’avèrent en
réalité extrêmement limités de part et d’autre d’une frontière
linguistique, comme l’ont montré Robert R. Ross et son équipe
(2013) à propos du conte de « La bonne fille et la méchante
fille ». La différence de langue peut constituer une barrière bien
plus haute que n’importe quel mur.
Des événements culturels ou géographiques conduisent parfois
certaines traditions à être plus hermétiques aux influences
extérieures que d’autres. Lorsqu’un tel isolement s’opère, les
mythes devraient être plus encore qu’ailleurs conservés dans
l’état où ils ont été créés ou adoptés. Dans ces aires, la langue
a également tendance à évoluer plus lentement qu’en d’autres
régions plus ouvertes, ce qui permet de faire correspondre les
mythes aux isolats linguistiques.

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316 Le cycle de l’air

Un isolat linguistique est une langue dont on ne peut retracer


la filiation avec d’autres langues vivantes. Selon le linguiste
américain Jeffrey Heath (1998), une langue resterait stable dans
une aire isolée et monolingue ; à l’inverse, les « ponctuations »
seraient liées à d’intenses contacts avec les aires culturelles
voisines. Durant les périodes de « stase », les langues continue‑
raient cependant d’évoluer très lentement, pour l’essentiel par
emprunts aux langues géographiquement proches (Dixon, 1997).
Un isolat linguistique peut ainsi se maintenir durant des millé‑
naires en un point géographique donné, liant une langue, une
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mythologie et un peuplement ancien.
Par exemple, l’analyse des restes d’un humain ayant vécu au
Japon pendant la période Jōmon, il y a 3 000 ans, montre que
son patrimoine génétique est plus proche des Aïnous, un isolat
linguistique du nord du Japon et de l’extrême est de la Russie,
que de tout autre groupe vivant actuellement sur l’archipel
(Kanzawa-Kiriyama et al., 2017 ; Adachi et al., 2018). Les
Basques, autre isolat linguistique, seraient des descendants des
premiers agriculteurs néolithiques qui se seraient mélangés à
des chasseurs mésolithiques locaux avant d’être génétiquement
isolés du reste de l’Europe pendant des millénaires (Günther et
al., 2015 ; Olalde et al., 2019) ; aussi conserveraient-ils égale‑
ment une grande partie de l’héritage génétique du peuplement
paléolithique de l’Europe (d’Huy et Le Quellec, 2012). Selon
l’analyse de l’ADN nucléaire d’anciens restes humains, bon
nombre des peuples ­autochtones vivant aujourd’hui dans le
sud de l’Alaska et sur la côte de la Colombie-Britannique,
incluant les isolats linguistiques haida et tlingit, mais aussi
des locuteurs de langue tsimshianique, sont les descendants
des premiers humains à s’être établis dans le nord-ouest de
l’Amérique du Nord il y a plus de 10 000 ans (Lindo et al.,
2017).
L’ancienneté des isolats linguistiques, l’implantation durable
de leurs locuteurs sur un même territoire et leur isolement culturel
semblent donc en faire de bons candidats pour reconstruire la
mythologie préhistorique. Ainsi, plusieurs mythes ou croyances

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Le récit de la Femme-Oiseau 317

rencontrés dans ces isolats semblent remonter au Paléolithique


supérieur. Chez les Basques, c’est par exemple le cas du motif
des Ihizi, génies qui revêtent une forme d’animal sauvage, en
particulier dans les grottes où ils vivent (d’Huy et Le Quellec,
2012), ou d’une écotypification particulière du mythe d’Œdipe
(d’Huy, 2012d ; voir aussi Barandiarán, 1946, 1972 pour d’autres
mythes) qui pourraient remonter au Paléolithique. Quant aux
Aïnous, Claude Lévi-Strauss remarquait à quel point étaient
proches les mythologies du Japon, d’Indonésie et des Amériques.
Ne relevait-il pas, à propos d’un mythe cherokee, que nous y
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étions « plongés en pleine mythologie japonaise » (1968 : 230 ;
voir chapitre 3) ? L’anthropologue faisait remonter l’explication
de cette diffusion aux temps paléolithiques où « une sorte de
boulevard terrestre permettait aux hommes, aux objets, aux
idées, de circuler librement depuis l’Indonésie jusqu’à l’Alaska »
(Lévi-Strauss, 1990, 2011) et il suggérait une préservation de ces
mythes du Paléolithique jusqu’à nos jours. Il a été montré par
ailleurs que les Aïnous conserveraient certaines techniques de
chasse à l’ours qui trouveraient leur origine au Paléolithique
(d’Huy, 2017e).
Afin de tester l’hypothèse d’une plus grande stabilité des
mythes à l’intérieur des isolats linguistiques, j’ai identifié dix
versions de la Femme-Oiseau 1 dans sept isolats linguistiques
(d’Huy, 2016d). Pour ces dix versions, j’ai établi une base de
données décomposant chaque récit en 88 mythèmes, codés
de façon binaire, selon une méthode maintenant familière au
lecteur (voir chapitres 1 et 2). Il est à ce stade permis d’émettre
la prédiction suivante : si les mythes connus à l’intérieur des
isolats linguistiques évoluent plus lentement qu’à l’extérieur,
alors la structure des arbres devrait correspondre aux résultats
obtenus grâce à l’aréologie. Une telle équivalence permettrait de
démontrer à rebours l’existence effective de stases mythologiques
dans les isolats linguistiques.

1. Dans la classification de Thompson : T111.2. Woman from sky-world marries


mortal man.

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318 Le cycle de l’air

Arbre bayésien de la « Femme-Oiseau » obtenu grâce à dix


Figure 8.2 
versions sélectionnées

CORÉENS

BOUROUCHOS

NATCHEZ

COFAN
1
HAÏDA
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0,98 TLINGIT 1

TLINGIT 2

BASQUES 1
0,99

0,52
BASQUES 2

AÏNOUS
0.08

J’ai donc construit un arbre bayésien, où tous les nœuds


présentant une valeur proche de 1 possèdent une grande fiabi‑
lité. Je l’ai enraciné de façon médiane : cette méthode place la
version coréenne à la base de l’arbre (figure 8.2). Les indices de
consistance (0,89) et de rétention (0,66) de l’arbre montrent
un lien généalogique fort entre les versions (Collard et al.
2006 ; Nunn et al., 2010). Le récit semble avoir émergé avant
le dernier maximum glaciaire, puis s’être diffusé par le détroit
de Béring lorsque celui-ci pouvait être encore franchi à pied.
Il se serait simultanément diffusé, ou peu après, en Eurasie,
avant de franchir de nouveau le détroit de Béring, accompagnant
peut-être l’arrivée tardive des Esquimaux.
L’utilisation du logiciel Densitree 2.01 (Bouckaert, 2010)
montrant l’ensemble des arbres de consensus synthétisés dans
la figure 8.2 confirme l’arrivée en deux temps du récit en
Amérique, et met également en évidence deux clades bien diffé‑
renciés : la version bourouchaski (nord du Pakistan) se groupe
avec la version haïda (ouest du Canada et nord des États-Unis)

COSMOGONIES-POCHE_CC2021_pc.indd 318 07/07/2023 11:40:56


Le récit de la Femme-Oiseau 319

Arbre phylogénétique de la « Femme-Oiseau » faisant la synthèse


Figure 8.3 
de tous les arbres obtenus grâce à MrBayes

BOUROUCHOS

HAIDA

TLINGIT_1
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TLINGIT_2

BASQUES

BASQUES

AÏNOUS

NATCHEZ

COFAN

CORÉENS

et les deux versions tlinglit (sud-est de l’Alaska et Colombie-


Britannique), tandis que les autres versions forment un clade à
part, sans doute plus ancien puisque lié à la première diffusion
du mythe en Amérique (figure 8.3). Cet arbre suggère donc une
réélaboration profonde du mythe, suivie d’une nouvelle diffu‑
sion depuis le nord du Pakistan, pays voisin de l’Inde.
La construction d’un arbre reposant sur un principe de
parcimonie corrobore cette division et, après un enracinement
médian, place à nouveau la version coréenne à proximité de la
racine de l’arbre (figure 8.4).

COSMOGONIES-POCHE_CC2021_pc.indd 319 07/07/2023 11:40:56


320 Le cycle de l’air

J’ai aussi construit un arbre de consensus, synthétisant les


nœuds apparaissant dans au moins la moitié des arbres les
plus parcimonieux obtenus. L’arbre en résultant (figure 8.5)
est similaire à ce qui a été trouvé grâce aux deux algorithmes
précédents. Son indice de rétention (0,50) montre l’existence
d’un message phylogénétique plus faible mais persistant. En
enracinant cet arbre sur la version coréenne puis en utilisant la
méthode dite de parcimonie, j’ai reconstruit le protorécit suivant
(les traits retenus ont une probabilité de 100 % pour les arbres
des figures 8.4 et 8.5 ; les traits entre crochets n’ont été recons‑
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truits qu’à la racine d’un seul des deux arbres) :

Le héros, un jeune homme [et un bon chasseur], surprend


des femmes se baignant dans un lac. Elles ont conservé
leur aspect d’immortelles ou de créatures surnaturelles.
Elles se déshabillent elles-mêmes et leur corps ou leurs
habits sont couverts de plumes. Le héros se saisit des
habits ou du plumage de la plus belle des femmes, mais
ne les cache pas. [La femme nue demande au héros de
lui rendre sa tenue.] Elle promet de l’épouser. Ils vivent
d’abord dans le monde du héros. Un jour, la femme revêt
son ancien plumage et, après avoir vécu sur terre, retourne
au ciel. L’homme tente de la retrouver. Il exécute plusieurs
tâches difficiles et dangereuses, et sa quête se termine
heureusement, par des retrouvailles avec sa femme.
Cependant, à la fin de l’histoire, le héros vit seul ou
rentre seul chez lui.

Lorsque l’on change la méthode de reconstruction appliquée


à l’arbre 8.5, et que l’on adopte la probabilité maximale (en
tolérant une probabilité minimale de 75 %), le récit recons‑
truit est quasiment similaire, seuls étant manquants les motifs
suivants : « Il surprend des femmes se baignant dans un lac »,
« Elle promet de l’épouser », « Après avoir vécu sur terre, la
femme retourne au ciel » et « Le héros vit seul ou rentre seul
chez lui à la fin de l’histoire ». L’épisode de la quête finale de la
femme corrobore par ailleurs la grande ancienneté de l’ATU 400,

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Le récit de la Femme-Oiseau 321

Arbre phylogénétique de la « Femme-Oiseau » construit grâce


Figure 8.4 
à la méthode Bio Neighbor-Joining

BOUROUCHOS

HAIDA

TLINGIT 1
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TLINGIT 2

CORÉENS

BASQUES 1

BASQUES 2

AÏNOUS

NATCHEZ

COFAN
0.05 Changes

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322 Le cycle de l’air

Arbre phylogénétique de la « Femme-Oiseau » construit grâce


Figure 8.5 
à la méthode de consensus

BOUROUCHOS

BASQUES 1

BASQUES 2
TLINGIT 1

TLINGIT 2

NATCHEZ
CORÉENS

AÏNOUS
COFAN
HAIDA

88

76
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65

53

88

100

« L’homme à la recherche de sa femme perdue », déjà suggérée


à la fin du troisième interlude.
L’application d’outils de la phylogénétique aux variantes de
notre mythe attestées dans des isolats linguistiques permet de
déterminer un lieu et une période d’origine approximatifs du
motif (en Corée, donc en Asie de l’Est, a minima le long de la
côte Pacifique, probablement avant ou juste avant le dernier
maximum glaciaire), d’établir que ce motif s’est diffusé en au
moins deux vagues successives en Amérique (la première avec
les Natchez et les Cofán, la seconde, liée à une réélaboration
du mythe au Pakistan/Inde, avec les Tlingit et les Haïda) et
enfin qu’originellement il n’était nullement question d’oiseaux
migrateurs (ce motif semblant apparaître plus tardivement). Or
nous avons vu que Yuri Berezkin (2010, 2013), se basant sur un
corpus bien plus étendu que celui-ci et une tout autre méthode,
a abouti aux mêmes conclusions.
Les arbres donnent également raison aux chercheurs voyant
en l’Inde une aire majeure dans la diffusion du mythe, ainsi
qu’à ceux suggérant une mutation profonde du récit dans le
nord de l’Eurasie.

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Le récit de la Femme-Oiseau 323

Par ailleurs, la proximité des résultats avec ceux obtenus par la


méthode aréologique suggère à rebours la validité des postulats
à la base de cette analyse phylogénétique : les mythes évoluent
plus lentement à l’intérieur des isolats linguistiques, où ils se
maintiennent en « stase ».
Les conclusions auxquelles nous étions parvenus se voient donc
corroborées, au moins partiellement, par des éléments extérieurs.

Différentes interprétations du récit


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Se pose maintenant la question de ce que peut nous
apprendre la reconstruction du protorécit, que l’on sait désor‑
mais eurasiatique et paléolithique. Or ce mythe – c’est le moins
que l’on puisse dire – a suscité de nombreuses interprétations
de la part des commentateurs.
Commençons par celle proposée par le folkloriste et indo-
européaniste allemand Elard Hugo Meyer (1891 : 90‑91, 125),
qui a suivi les pas de son compatriote et confrère Franz Félix
Adalbert Kuhn (1859). Pour lui, la fille-cygne serait un nuage,
son époux le tonnerre, leur fils l’éclair, et leurs propriétés respec‑
tives rendraient toute communauté de destin impossible. Mais
force est de constater, en laissant courir un peu son imagina‑
tion, que tout élément d’un récit pourrait représenter un phéno‑
mène météorologique. Or ce qui peut tout expliquer n’explique
plus rien. En réalité, une telle interprétation force le mythe à
refléter une certaine vision du monde, sans rien révéler de ce
qu’il exprime vraiment.
Une interprétation s’intégrant dans la lignée des travaux de Carl
Gustav Jung serait-elle plus pertinente ? Pour le psychologue et
psychiatre suisse, l’inconscient serait à la fois personnel et collectif.
Les similitudes entre mythes et contes à travers le monde s’expli‑
queraient par un substrat préconscient inné constitué d’archétypes,
sortes d’« images primordiales » vides de sens, partagées par tous
les êtres humains. Un mythe serait ainsi à la fois un morceau
intime de nous-même et de l’ensemble de l’humanité. S’inscrivant
dans cette lignée, le pédagogue et psychologue américain ­d’origine

COSMOGONIES-POCHE_CC2021_pc.indd 323 07/07/2023 11:40:59


324 Le cycle de l’air

autrichienne Bruno Bettelheim s’est intéressé à une version du


mythe recueillie par les Frères Grimm, Der Trommler, publié dans la
cinquième édition de leur livre Kinder- und Hausmärchen (Grimm,
1843). Cette histoire raconte comment un homme se saisit d’une
chemise trouvée au bord d’un lac, empêchant alors une princesse
enchantée de redevenir oiseau ; il lui rend son habit et lui promet
de rompre l’enchantement, ce qui le conduit à vivre de nombreuses
aventures. Le psychologue interprète ainsi le mythe : « Il semble
donc que dans la tradition occidentale, tout au moins, le sexe sans
amour ni dévouement ait un aspect animal mais que celui-ci, en
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ce qui concerne la femme, n’ait rien de menaçant et qu’il soit
même séduisant ; seul le côté masculin de la sexualité est bestial »
(Bettelheim, 1976 : 351 ; 1975 : 285). Il convient de préciser tout
de suite que l’interprétation de Bettelheim ne s’appuie que sur
une seule version de la Femme-Oiseau, relevant par ailleurs d’un
écotype particulier, ce qui rend son analyse difficilement transpo‑
sable à l’ensemble des versions connues (Miller, 1987 : 62). Comme
souvent chez cet auteur, le cas d’espèce prétend à l’universel ; or
le récit retenu ne l’a été que pour venir en appui à la thèse, et
non en vue d’une démonstration.
Autre tenant de la psychologie jungienne, l’érudit allemand
Hedwig von Beit a soutenu que la Femme-Oiseau serait une
représentation de l’anima, tandis que le cygne considéré seul
représenterait un principe masculin transcendantal (Beit, 1952 ;
Miller, 1987 : 62‑65). Mais, là encore, le chercheur ne fait qu’il‑
lustrer la théorie qu’il professe, sans appuyer sa démonstration
sur des faits autrement vérifiables. Par ailleurs, ces interpréta‑
tions psychanalytiques impliquent l’existence d’archétypes, soit
des images mythologiques issues de l’inconscient humain, et
par là universelles. Or de tels archétypes demeurent hautement
hypothétiques, ne serait-ce que parce qu’il n’existe, au-delà d’un
certain niveau de complexité, aucun mythe universel pouvant
les rendre manifeste (Le Quellec, 2013a)1.

1. Il faut cependant noter que certains motifs mythologiques pourraient être le


produit d’une structure de perception commune, ce qui laisserait ouverte la

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Le récit de la Femme-Oiseau 325

Une approche structurale rendrait-elle alors mieux compte du


récit ? Pour Claude Lévi-Strauss (1955b), un mythe serait une
façon de résoudre ou de réduire des contradictions en proposant
une situation idéelle permettant de les dépasser. Il serait ainsi
possible de considérer le mythe de la Femme-Oiseau comme un
médiateur entre deux catégories s’offrant comme contraires à la
perception. Allan L. Miller (1987) a ainsi remarqué que, dans les
versions japonaises, le voleur des plumes de la Femme-Oiseau
ne cherchait jamais à tirer un profit matériel de son vol, mais
tentait plutôt de jeter un pont entre terre et ciel ; obtenir la
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main d’une femme céleste lui permettrait de fonder une lignée
dont chaque membre réactualiserait cette médiation. Quant à la
deuxième partie du récit, où la femme fuit et le mari cherche à la
retrouver, elle représenterait la lutte entre la condition mortelle
et la condition céleste. Partant à la poursuite de sa femme, le
conjoint délaissé tente de se montrer digne du Ciel en affrontant
divers obstacles afin d’atteindre l’immortalité et la divinité. Si
cette analyse rend bien compte des attestations japonaises du
mythe, elle laisse de côté de nombreuses autres versions. Ainsi, il
semble que, du mythe, Miller n’a vu que la peau, une écotypifi‑
cation locale valable pour un contexte ethnologique particulier,
mais non la structure profonde. Que la portée symbolique de la
médiation entre le ciel et la terre permette d’expliquer la fortune
du mythe au Japon ne dit rien de son succès ailleurs à travers
la planète, ni ne révèle son sens premier.
Pour un certain nombre de chercheurs, le mythe descendrait
du rite. Par exemple, pour le folkloriste français Pierre Saintyves
(1923 : XVIII) : « Nous admettons que nos contes merveilleux
sont des mythes […] et nous savons aujourd’hui que ce sont le
plus souvent les commentaires ou les illustrations d’un rituel. »

possibilité d’une polygenèse de ceux-ci. Par exemple, l’universalité des mythes


où une image s’anime pourrait reposer sur un mécanisme neurobiologique,
partagé par tous les êtres humains, conduisant à animer des images inanimées
pour peu qu’elles suggèrent un mouvement (d’Huy, 2013h). Mais si une telle
explication permet de rendre compte de motifs simples, elle devient assez vite
inopérante au fur et à mesure que le récit se complexifie.

COSMOGONIES-POCHE_CC2021_pc.indd 325 07/07/2023 11:40:59


326 Le cycle de l’air

Franz Boas (1938 : 617) faisait également dériver des rites et


coutumes leur interprétation mythologique : « L’uniformité de
beaucoup de ces rituels sur de grandes étendues et la diver‑
sité des explications mythologiques montrent clairement que
le rituel lui-même est le stimulus pour la formation du mythe.
[…] Le rituel existait, et le récit est né du désir d’en rendre
compte. » De même, l’helléniste allemand Walter Burkert (1972)
s’est appuyé sur les travaux de l’éthologue Konrad Lorenz qui a
mis en évidence des pratiques « ritualisées » chez les animaux
pour soutenir l’antériorité du rite sur le mythe1.
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1. Notons qu’une hypothèse inverse fait du mythe la source du rituel. C’était déjà
l’opinion des anciens Grecs, quand ils expliquaient l’origine d’un culte par un
mythe étiologique ; ainsi la fête athénienne des Apatouries, où les éphèbes sacri‑
fiaient leur chevelure, commémore la « tromperie » grâce à laquelle l’Athénien
Mélanthios triompha de son adversaire (Vidal-Naquet, 1968). L’anthropologue
polonais Bronisław Malinowski (1954 : 29) note que « les rituels, les cérémonies,
les coutumes et l’organisation sociale contiennent parfois des références directes
aux mythes, et ils sont considérés comme le résultat d’événements mythiques ».
Dans son célèbre article « Myths and rituals : a general theory » (1942), l’an‑
thropologue américain Clyde Kluckhohn, comme le sociologue Émile Durkheim
avant lui, souligne que les cérémonies chrétiennes s’appuient sur des canons
rituels fixés par une mythologie. L’hypothèse actuellement dominante dans le
champ de l’anthropologie reste celle d’une homologie « lâche » entre mythes
et rituels, le rituel ne jouant pas plus nécessairement un mythe qu’un mythe
ne décrit forcément un rituel. Ainsi Clyde Kluckhohn (1942 : 56) peut-il noter
que « les faits ne permettent aucune généralisation universelle quant à l’idée
que le rituel soit la “cause” du mythe ou vice versa. Leur relation est plutôt celle
d’une interdépendance mutuelle complexe, structurée différemment selon les
cultures et probablement à des moments différents dans la même culture ».
Ma position est un peu différente. Je la présenterai ici brièvement, sous la
forme d’une simple hypothèse. Une des raisons d’être du mythe est d’appor‑
ter dans notre expérience du monde la force du passé. Le décalage temporel
apparaît essentiel dans la mesure où celui-ci garantit à ceux qui adhèrent au
mythe la permanence du monde, qui n’a pas ou peu évolué pendant le laps
de temps le séparant de l’origine. Le présent ne cesse de s’évanouir dans le
passé, ajoutant de la continuité à la continuité, sans interruption ou irrégula‑
rité. Comme la médecine moderne le ferait avec le corps humain (Foucault,
1963), la mythologie définit donc un idéal, un univers modèle, en bonne santé
(cette description pouvant inclure le destin de l’univers lui-même). C’est ce qui
la fonde à régenter les rapports physiques et moraux de la société où elle se
déploie. L’univers ne serait cependant pas perçu comme statique, mais toujours
en perpétuel recommencement, suivant un cycle qu’un rien suffirait à faire

COSMOGONIES-POCHE_CC2021_pc.indd 326 07/07/2023 11:40:59


Le récit de la Femme-Oiseau 327

À supposer que cette hypothèse soit correcte, un moyen d’inter‑


préter le protorécit de la Femme-Oiseau serait alors de montrer de
quel(s) rituel(s) il pourrait être l’image. Selon James Frazer, ce mythe
serait ainsi né, avec d’autres récits, idées et coutumes, pour justi‑
fier certains tabous sur lesquels repose l’institution du totémisme :

De telles histoires sont expliquées naturellement et


simplement par le fait qu’elles se référaient originellement
aux maris et aux épouses qui, dans un système à la fois
totémique et exogamique, prétendent être apparentés aux
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animaux ou aux plantes de différentes espèces, le mari
s’assimilant à une sorte de créature et la femme à une autre.
Dans de tels ménages, le mari et la femme s’indigneraient
naturellement de toute blessure infligée aux animaux qui
leur sont affiliés, comme d’un tort dont ils auraient été
eux-mêmes victimes. (Frazer, 1935 : 570.)

Si cette théorie se vérifiait, cela permettrait de placer l’origine


du mythe en terres totémiques. Mais l’interprétation ne s’appuie
ici sur aucun élément tangible. Il suffit d’ailleurs, pour invalider
l’hypothèse, de rappeler l’indétermination sémantique entourant
le mot « totémisme », qui ne serait rien d’autre qu’une étiquette
posée sur un ensemble de faits mal identifiés et mal groupés : « Il en

basculer dans l’inconnu. Le monde serait alors action, mobilité, et nécessiterait


un effort constant pour résister à sa dissolution. Dans ces conditions, une simple
éclipse, par exemple, apparaîtrait comme une perturbation de l’état normal,
dans ­l’attente d’une intervention de l’Homme. Ce dernier se voit attribuer le
rôle de médecin (au sens étymologique de mĕdĕor), aidant la nature à résister à
la mort ou à la dissolution par la réalisation de certains rituels dont sa propre
survie dépend : par exemple, célébrer annuellement certaines dates pour assurer,
en les marquant, la continuité du temps (Eliade, 1949) ou produire du vacarme
pour faire fuir la créature qui attaque le luminaire céleste. Un rituel ne servirait
donc pas tant à renouveler le monde qu’à en éviter la dislocation, rendant
l’Homme indispensable à la bonne marche de celui-ci et continuant l’œuvre
de la mythologie, qui fabrique de la continuité et de la cohérence à l’échelle
de l’Homme, par d’autres moyens. Par ailleurs, le fait qu’Homo sapiens s’attribue
une telle puissance régulatrice pourrait expliquer d’autres usages des rituels, mis
cette fois-ci au service d’un individu ou d’un groupe. Il ne s’agirait alors plus
tant de réparer ou de maintenir l’unité du monde que de l’organiser à son profit.

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328 Le cycle de l’air

est du totémisme comme de l’hystérie. Quand on s’est avisé de


douter qu’on pût arbitrairement isoler certains phénomènes et les
grouper entre eux, pour en faire les signes diagnostiques d’une
maladie ou d’une institution objective, les symptômes mêmes ont
disparu, ou se sont montrés rebelles aux interprétations unifiantes »
(Lévi-Strauss, 1962 : 5). On retiendra encore que Marcel Mauss a pu
écrire pour l’Australie, patrie s’il en est du totémisme (quel que soit
le sens donné à ce terme) : « Dans tous les cas où les documents
ont la chance d’être complets, le rituel n’est que la représentation
dramatique (verbale et gesticulaire) du mythe » (Mauss, 1931 : 34),
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inversant ainsi l’ordre d’influence proposé par James Frazer.
En 1961, Arthur Thomas Hatto rapproche le mythe de la Femme-
Oiseau des « formes classiques du chamanisme » (Hatto, 1961 :
341), où le chamane utilise une robe de plumes pour ses voyages
célestes. Allan L. Miller reprend plus tard cette hypothèse : le motif
rapprochant le plumage d’un oiseau et un vêtement, l’association
fréquente dans le nord de l’Asie entre femme et oiseau et le rôle
joué par les récits de Femme-Oiseau pour justifier la fondation de
peuples, de dynasties ou de cultes dans un contexte chamanique
pourraient trouver leur source dans des pratiques chamaniques
sibériennes (Miller, 1987 : 74‑75, 80, 81). Les mythes de Femme-
Oiseau préserveraient alors une croyance asiatique très ancienne
en un sacré féminin, qui serait également un principe créateur
de la vie (ibid. : 81), ce qui n’est pas sans rappeler les conclu‑
sions auxquelles nous avons abouti au chapitre 7, tout en étayant
l’hypothèse émise en début de chapitre.
Tous les arguments proposés pour considérer le mythe de
la Femme-Oiseau comme une possible illustration du chama‑
nisme ne se valent pas. Toutefois, pris dans leur ensemble, ils
viennent renforcer l’intuition de départ, contribuant à lier le
protomythe de la Femme-Oiseau à un possible rituel chama‑
nique de médiation avec la surnature. Ce lien permet de contex‑
tualiser la probable croyance, dans l’Asie paléolithique, d’une
union provisoire entre une femme surnaturelle et un homme
ordinaire, l’une s’abaissant, l’autre s’élevant, pour se rejoindre
temporairement.

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9
La Ménagère mystérieuse

L ’histoire évolutive de la Femme-Oiseau, capturée


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au croisement de différents modèles explicatifs,
semble plausible, mais on peut se demander s’il s’agit bien d’une
structure isomorphe à la réalité, ou simplement d’une abstraction,
construite à partir des éléments partagés par tous les modèles.
Pour aller plus loin, intéressons-nous un moment au type
de la Ménagère mystérieuse. Celui-ci raconte comment un
homme, généralement un chasseur solitaire, rentre chez lui, où il
découvre que tout a été rangé et que le repas a été fait. Le phéno‑
mène se reproduit à plusieurs reprises, avant que le héros ne se
cache, pour surprendre la ménagère modèle. Un animal entre
alors, ôte sa peau et se transforme en une femme magnifique.
Aussitôt, l’homme dérobe la peau, qu’il cache ou détruit, et la
femme se retrouve prisonnière du monde des mortels, contrainte
d’épouser l’homme qui l’a piégée. Un jour, elle parvient cepen‑
dant à s’enfuir, soit qu’elle retrouve sa peau, soit que quelqu’un
lui rappelle son origine animale ou l’offense.
Ce mythe se trouve largement diffusé à travers le monde, avec
quelques variantes. En Croatie, on raconte par exemple qu’un
moulin était hanté par une louve. Un soldat vit l’animal entrer
à l’intérieur du bâtiment, retirer sa peau, puis se transformer
en femme et s’endormir. Il s’empara de la peau et la cloua sur
la roue du moulin. La femme fut alors contrainte de l’épouser
et ils eurent deux enfants. Un jour, le fils aîné apprit par son
père où la peau était cachée ; il le répéta à sa mère. La femme-
louve reprit alors possession de sa peau et disparut à tout jamais
(Wratislaw, 1889 : 290).

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330 Le cycle de l’air

En Chine, on dit qu’un escargot fut attrapé par un jeune


homme dans l’eau d’une citerne. En son absence, il se transforma
en femme et mena à bien diverses tâches ménagères, comme
cuisiner ou ranger la demeure. Le jeune homme la surprit et
parvint à l’attraper. Ils se marièrent. Mais leur fils fut insulté par
d’autres garçons, qui l’accusèrent d’avoir une « mère escargot ».
La femme quitta alors le domicile pour ne jamais revenir. Dans
les récits chinois, la ménagère mystérieuse peut aussi être un
tigre, un renard ou une oie sauvage. De la même façon, la cause
du départ varie, mais demeure liée au rappel de son origine
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animale. Parfois, la femme tue ou blesse quelqu’un avant de
s’en aller (Nai-Tung Ting, 1978 : 68‑69).
En Mésoamérique, un récit très répandu relate qu’un homme
et une chienne furent les seuls rescapés d’un formidable déluge.
L’homme espionna la chienne et découvrit qu’elle devenait
femme et cuisinait pour lui en son absence. Il brûla sa peau
animale. Ensemble, ils repeuplèrent le monde. Relevant l’ancien‑
neté de ce récit et sa vaste diffusion en Amérique, l’anthropo‑
logue mexicain Fernando Horcasitas (1988 : 203‑212) penchait
pour une origine préhispanique. Il confortait ainsi l’hypothèse
de Gudmund Hatt, pour qui le mythe serait arrivé de deux façons
différentes en Amérique : d’abord depuis l’Asie, au Paléolithique,
via le détroit de Béring, puis, plus récemment, depuis l’Europe
(Hatt, 1949 : 102, 107).

La Ménagère mystérieuse et la Femme-Oiseau :


un groupe de transformation ?
Le mythe de la Ménagère mystérieuse est très proche
de celui de la Femme-Oiseau, et il est facile de passer de l’un
à l’autre (d’Huy, 2011). La structure des deux récits peut ainsi
se réduire aux traits suivants, déjà énoncés plus haut lorsqu’ils
ont été mis en rapport de transformation avec des mythes de
matriarchie primitive :
1. Une femme est liée au sacré/est surnaturelle
2. grâce à la possession d’une peau animale.

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La Ménagère mystérieuse 331

4. Elle possède un rôle de médiatrice.


5. Un homme vole la peau
6. devenant maître d’une femme
3. désormais maîtresse de la culture dans l’enceinte de la
maison.
7. Il existe un tabou pour la femme sur son ancien lien avec
le sacré (peau animale cachée/rappel de son origine).
8. Rupture du tabou, fuite de la femme conduisant à sa
­reconnexion au sacré, quête de l’époux qui va vivre chez la
femme et inversion de la situation initiale.
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L’existence d’un groupe de transformation unissant le mythe
de la Ménagère mystérieuse et celui de la Femme-Oiseau est
bien illustrée en Amérique, dans la zone subarctique. Un mythe
largement diffusé y raconte qu’un homme trouvait toujours sa
maison rangée par une mystérieuse personne. Il découvrit qu’il
s’agissait d’une femme-renard, avec laquelle il se maria ; un
jour, quelqu’un fit allusion à l’origine de la femme dans une
conversation et elle s’enfuit. Intéressons-nous de plus près aux
différentes versions de cet écotype, et tentons de les organiser.
Il est dit très explicitement, chez les Koksoagmiut, que la
femme-renard est surprise par l’occupant de la maison alors
qu’elle avait retiré sa peau ; elle l’épouse jusqu’au jour où, vexée
par une remarque sur son odeur, elle se revêt de cette même
peau et s’enfuit (Hawkes, 1916 : 156‑157 ; Turner, 1894 : 264).
Mieux : selon les Netsilik, l’occupant de la maison dissimule la
peau de la femme-renard, ce qui nous rapproche encore de la
séquence de la Femme-Oiseau (Rasmussen, 1931 : 370‑372). Ils
racontent qu’un homme qui vivait seul découvre de la nourri‑
ture bouillie chez lui ; il surprend une femme, dont il cache
la peau de renard, et l’épouse. Un jour, il accepte d’offrir sa
femme, pour une nuit, au Glouton. Bien qu’il ait été prévenu,
ce dernier fait honte à la femme-renard en lui reprochant sa
mauvaise odeur. Elle s’enfuit comme un renard. Dernier jalon
posé sur le chemin de la transformation, le zoème « renard »
est parfois remplacé par celui de l’« oie », par exemple chez les
Yupik (Burrows, 1926 : 80) ; nous ne sommes alors plus très

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332 Le cycle de l’air

loin de la forme archétypale de la Femme-Oiseau, où la femme


est faite prisonnière sur terre quand ses plumes lui sont volées.
Les Alutiiq (Kodiak) racontent enfin le récit d’une femme-oie
dont on dérobe le plumage alors qu’elle se baigne sous sa forme
humaine ; elle accepte d’épouser le voleur mais, un jour, la sœur
de celui-ci lui rappelle ses origines animales ; elle reprend alors
sa peau et s’envole avec son fils.
Chez les Netsilik, le mari de la femme-renard la suit, léchant
son urine et mangeant ses excréments quand il les trouve. Il
parvient à une maison, repousse Lemming, Marmotte, Hermine
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et d’autres femmes, leur reprochant divers défauts, puis retrouve
sa femme. Chez les Yupik, l’homme parvient au pays des oiseaux,
où sa femme s’est mariée à Grue. Le fils prévient sa mère que son
père est de retour. L’homme reprend sa femme et se transforme
lui-même, définitivement, en oie. Chez les Alutiiq, l’homme
suit sa femme dans le Ciel des Oiseaux. La femme l’accepte de
nouveau comme conjoint, à condition qu’il reste avec elle. Au
bout d’un certain temps, les oiseaux, avec regret, laissent repartir
l’homme sur terre. Il vole sur le dos du corbeau, mais tous deux
chutent. Il se transforme en baleine blanche, et le corbeau en
tronc à la dérive.
En considérant l’ensemble des récits de la femme-renard, nous
avons donc une série de transformations, visibles dans le tableau
suivant :
Entre l’ensemble de la Ménagère mystérieuse et celui de la
Femme-Oiseau, la seule différence réside finalement dans l’inten‑
tionnalité : les femmes-renards se rendent délibérément dans
la maison des chasseurs absents pour s’y livrer aux travaux
féminins ; les femmes-oies sont généralement capturées par
surprise, sans l’avoir cherché. Si le zoème varie, la possibilité de
passer d’un type de récit à l’autre demeure, et établit clairement
un lien entre le type général de la Femme-Oiseau et celui de la
Ménagère mystérieuse.
Dans les récits de la femme-renard, le rappel des origines
possède une fonction similaire à celle de retrouver la peau dissi‑
mulée par le mari : la parole offensante qui rappelle l’origine

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La Ménagère mystérieuse 333

Koksoagmiut Netsillik Yupik Alutiiq

Un homme surprend

une femme-renard une femme-oie

en train de ranger sa maison en train de se baigner


sous sa forme humaine sous sa forme humaine

Il en dissimule la peau et l’épouse. Elle s’occupe du foyer. Un jour,

son mari Glouton la sœur de son mari

fait allusion à l’origine de la femme dans une conversation. Elle s’enfuit alors
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en remettant « comme en reprenant sa peau
sa peau. une renard » et en s’envolant avec son fils.

Le mari part à la recherche de sa femme

et la choisit parmi et reste avec elle et reste un


plusieurs autres. dans la maison temps avec
de son espèce. elle dans la
maison de
son espèce.

vaut ainsi pour la découverte de l’objet connotant cette origine


– on reconnaît l’animal à ce qui le choque.
Comme nous l’avons vu dans le premier chapitre, Claude
Lévi-Strauss notait que seuls des changements discrets (au sens
mathématique du terme) peuvent être apportés aux mythes
lorsque ceux-ci sont transformés, et que ces transformations se
transmettent d’une génération à l’autre. Dans l’analyse structu‑
rale, l’atomisation des mythes permet de mesurer les change‑
ments opérés de version en version, que ce soit à l’intérieur
du groupe tribal ou de peuple à peuple ; certains mythèmes
s’altèrent, d’autres tombent, d’autres encore les remplacent
(Lévi-Strauss, 1971a : 603‑604). Mais ces altérations successives
préservent le caractère de groupe et, comme le relève Daniel
Dubuisson (2008 : 155), les mythèmes initiaux ne sont jamais
tous transformés. L’atomisation d’un mythe et la transforma‑
tion progressive de ses mythèmes permettent donc d’appliquer
logiquement, à l’ensemble de ses versions, des outils phylogéné‑

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334 Le cycle de l’air

tiques, et il serait ainsi aisé de transformer le tableau ci-dessus


en arbre phylogénétique.
Est-ce à dire que le structuralisme serait soluble dans la
phylogénétique des mythes ? Comme nous l’avons montré à
plusieurs reprises, les approches structurale et phylogénétique
partagent une majeure partie de concepts, ce qui les rend, au
moins pour partie, mutuellement traduisibles, certains éléments
caractéristiques demeurant toutefois propres à chacune des
méthodes. Pour le structuralisme, un mythe ne se réduit pas
à une simple collection d’entités observables ou non – ce
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qu’admet a contrario la phylogénétique des mythes. Cette
méthode accepte notamment la possibilité d’un mode d’exis‑
tence uniquement relationnel entre plusieurs mythes, soit que
le rapprochement entre plusieurs récits se justifie par la présence
d’éléments différents mais occupant une fonction similaire dans
chacun d’eux, soit que le rapport liant un récit à un autre soit
uniquement relationnel, ce qui arrive par exemple quand un
mythe inverse en tout point un autre mythe. Dans ce cas de
figure, l’analyste laisse de côté les signifiés en tant que tels, mais
garde la relation les unissant, qui devient un constituant de
fait, susceptible d’une analyse empirique (Lévi-Strauss, 1955b).
À l’inverse, l’approche phylogénétique ne s’appuie que sur ce
qui est empiriquement mesurable, soit la présence ou l’absence
de tel ou tel mythème dans un corpus de récits, pour calculer
l’écart différentiel entre différentes versions d’un mythe ou
différentes traditions. Or ces deux points occupent une place
stratégique dans le réseau de relations par lequel le mytho‑
logue de chaque école « découpe » le monde. En cela, il n’existe
pour le moment aucun langage dans lequel ces deux théories
pourraient être traduites l’une dans l’autre sans résidus et sans
pertes (Kuhn, 1982).
Si le groupe de transformation conduisant de la Ménagère
mystérieuse à la Femme-Oiseau, ou inversement, ne fait guère
de doute, est-il possible d’en cerner une origine géographique
commune ? Ou s’agit-il d’une mise en regard locale, chaque récit
s’adaptant à l’autre lorsque le hasard des diffusions les place en

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La Ménagère mystérieuse 335

coprésence ? Dans la première éventualité, la reconstruction du


protorécit de la Ménagère mystérieuse pourrait confirmer, ou
infirmer, les résultats obtenus à partir du corpus portant sur la
Femme-Oiseau.

Analyse statistique de la Ménagère mystérieuse


Pour répondre à ces questions, j’ai extrait les 15 traits
concernés par le mythe de la Ménagère mystérieuse de la base
de données en ligne de Yuri Berezkin et adopté les aires cultu‑
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relles comme taxa (d’Huy 2016d). Je n’ai retenu que les aires
culturelles montrant a minima la présence de cinq motifs. L’arbre
obtenu en faisant la synthèse des 864 arbres les plus parcimo‑
nieux (figure 9.1 ; indice de rétention : 0,56) et l’arbre construit
en s’appuyant sur une matrice de distances (figure 9.2) montrent
une progression similaire à celle de la Femme-Oiseau, avec le
même double passage en Amérique et, dans le cas du dernier
arbre, construit grâce à un enracinement médian, une même
origine en Chine/Corée.
Nous avons vu que les types de la Femme-Oiseau et de la
Ménagère mystérieuse se situaient dans un rapport de corrélation
et d’opposition. Il est remarquable que ces affinités s’étendent
jusqu’aux détails de leurs routes de diffusion, ce qui confirme‑
rait que les mythes se diffusent de façon groupée dans l’espace,
comme nous l’avons proposé dans les chapitres 4, 6 et 8.
Les différents arbres obtenus laissent ainsi supposer une
apparition de ce groupe de transformation en Asie de l’Est,
avant le dernier maximum glaciaire. Les deux récits se seraient
ensuite diffusés une première fois jusqu’en Amérique du Sud
en même temps que les premières vagues de migration. Une
seconde expansion aurait eu lieu plus tard, recouvrant le reste
de l’Eurasie puis atteignant une dernière fois l’Amérique arctique,
probablement en même temps que le peuplement esquimau. Ces
routes de diffusion sont par ailleurs compatibles avec les modèles
de propagation des mythes proposés précédemment. Si les résul‑
tats se rejoignent, tissant un lien de chapitre en chapitre, c’est

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336 Le cycle de l’air

Figure 9.1  rbre phylogénétique de la « Ménagère mystérieuse » construit


A
grâce à la méthode de consensus

EMBOUCHURE DE L’ORINOCO, AMÉRIQUE DU SUD


SUBARCTIQUE, AMÉRIQUE DU NORD
ARCTIQUE, AMÉRIQUE DU NORD

AMAZONIE DU NORDOUEST
SIBÉRIE DU SUD-MONGOLIE
SOUDAN, AFRIQUE DE L’EST

TIBET INDE DU NORD-EST

AMAZONIE DE L’OUEST
ASIE DU NORD-EST
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MÉSOAMÉRIQUE
CHINE, CORÉE
ASIE DU SUD

TURKESTAN
INDONÉSIE

GUYANE

que l’approche phylogénétique ne s’appuie pas sur un monde


mythologique rêvé, mais sur l’identification correcte de certaines
parties de la réalité. Les résultats sont similaires parce qu’ils
représentent chacun quelque chose de réel.
Revenons à la Ménagère mystérieuse. Le récit reconstruit en
conservant l’enracinement en Chine/Corée, en appliquant aux
deux arbres la méthode de parcimonie et en ne retenant que
les traits possédant une probabilité de 100 %, est le suivant :

Un homme, ou plus rarement une femme, vit seul(e). En


son absence, quelqu’un range la maison, prépare son repas,
ou, plus rarement, mange son repas et met du désordre.
L’habitant découvre qu’une femme/un homme vit sans être
repéré à l’intérieur ou à proximité de chez lui ou vient dans

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La Ménagère mystérieuse 337

Arbre phylogénétique de la « Ménagère mystérieuse » construit


Figure 9.2 
grâce à la méthode Bio Neighbor-Joining

SOUDAN, AFRIQUE DE L’EST

TIBET, INDE DU NORDEST

ASIE DU SUD
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INDONÉSIE

TURKESTAN

SIBÉRIE DU SUDMONGOLIE

ASIE DU NORDEST

ARCTIQUE, AMÉRIQUE DU NORD

SUBARCTIQUE, AMÉRIQUE DU NORD

CHINE, CORÉE

MÉSOAMÉRIQUE

EMBOUCHURE DE L’ORINOCO, AMÉRIQUE DU SUD

GUYANE

AMAZONIE DE L’OUEST

AMAZONIE DU NORDOUEST
0.05 changes

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338 Le cycle de l’air

sa demeure quand il est absent [E9]. L’intrus est une femme-


chien [E9D] ou une femme-colombe [E9H]. La créature
magique révèle sa vraie nature et/ou reste avec les humains
une fois que le moyen servant à dissimuler sa vraie nature
– ordinairement une peau d’animal – a été détruit, le plus
souvent par le feu [E11].

Le motif de la fuite de la femme n’ayant pas été analysé


dans l’article de 2016 (d’Huy, 2016d) – parce qu’alors absent
du corpus de Yuri Berezkin –, la fin de l’histoire reconstruite
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reste indéterminée. La reconstruction contribue cependant à
étayer une coémergence des motifs de la Femme-Oiseau et de
la Ménagère mystérieuse, l’une et l’autre histoires s’étant proba‑
blement construites par transformations réciproques.
Notons que la reconstruction du récit faisant de la Ménagère
mystérieuse une chienne permet de supposer une très grande
ancienneté de l’animal en Chine et en Corée, antérieure au
dernier maximum glaciaire. Cela concorde avec certains travaux
de génétique des populations, faisant de cette région le berceau
du plus vieil ami de l’homme (Savolainen et al., 2002 ; Pang et
al., 2009 ; Ding et al., 2012)1.

1. Détail intéressant, également lié à la connexion entre la Ménagère mysté‑


rieuse et le chien : un galet magdalénien trouvé dans la grotte d’Enlène, dans
l’Ariège, entre deux couches datées de 10 950 et 11 450 ans avant notre ère,
pourrait présenter une curieuse inversion des amours entre un homme et une
femme-chienne. On y voit deux personnages face à face. Le personnage de
droite est un anthropomorphe ithyphallique, dont le dos serait, selon Robert
Bégouën et ses coauteurs, couvert de fourrure et se terminerait par une queue
qui viendrait battre sa jambe. Face à lui, sur sa gauche, un second person‑
nage tendrait la main, doigts écartés. D’après Henri Breuil, il pourrait s’agir
d’une femme « probable », les seins pendants, qui rappellerait les silhouettes
féminines de Gönnersdorf, de la Roche de Lalinde ou de la gare de Couze,
quoique l’identification du sexe ne saurait être affirmée sans réserve, les seins
ayant disparu sur les relevés récents, plus fiables (Bégouën, Briois, Clottes
et Servelle, 1984‑1985, fig.4‑7 ; Bégouën et Clottes, 1984). Par ailleurs, la
queue de la créature se rapprocherait de celle d’un loup (Pigeaud, 2015 :
330) et donc de celle d’un canidé. Le caractère mythologique de la repré‑
sentation, unissant morphologies humaine et canine, pourrait en faire une
première illustration – paléolithique – du récit de la Ménagère mystérieuse

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La Ménagère mystérieuse 339

Les reconstructions des protorécits de la Femme-Oiseau et de


la Ménagère mystérieuse se rejoignent donc pour montrer qu’il
existait au Paléolithique, dans l’est de l’Asie, la croyance en une
possible union entre un esprit et un être humain, l’union étant
limitée dans le temps, et constituant ainsi un écho possible
à l’alliance provisoire entre le chamane et l’esprit féminin
donateur.
Mais avant d’aller plus loin, et de repartir en Asie du
Sud-Ouest, une question doit encore être posée : les reconstruc‑
tions obtenues peuvent-elle nous fournir d’autres informations,
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notamment sur l’organisation sociale des humains d’alors ?

Exogamie et patrilocalité
Dans les mythes transparaissent les comportements
sociaux des êtres humains. Cependant, comme le relève Claude
Lévi-Strauss (1973 : 246), le fait qu’un mythe mentionne une
forme de vie sociale n’implique pas que cette forme corresponde
à une réalité objective, présente ou passée. Pourtant, si un trait
social se retrouve illustré dans plus que quelques mythes ou
motifs mythologiques, si la répartition de ces récits sur le globe
est cohérente avec les premières migrations de population, si de
plus il est possible de prouver l’existence de ces récits lors de
ces premières migrations, si enfin de fortes présomptions venues
d’autres champs d’étude plaident pour une origine archaïque
des mythes, des motifs et des traits sociaux étudiés, alors il
devient peu probable qu’autant d’esprits humains aient travaillé
à engendrer la même histoire dont la trame ne correspondrait

ou – a minima – de l’union d’une femme et d’un chien (sur la grande ancien‑


neté de ce motif, se reporter notamment à Horcasitas [1988 : 203‑212] ; Le
Quellec [1997] ; d’Huy [2013e]). Cette interprétation est cependant à prendre
avec prudence, car i) elle est dépendante de la lecture de l’image réalisée par
une seule équipe de chercheurs, n’excluant pas erreurs ou approximations
involontaires et ii) elle est dépendante de l’hypothèse que le mythe de la
Ménagère mystérieuse était connu en Europe au Paléolithique supérieur, ce
qui n’est pas sûr pour cette partie de l’Eurasie.

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340 Le cycle de l’air

à aucune réalité, à aucun fait observable dans les états présents


ou antérieurs des sociétés où les récits ont été recueillis.
Remarquons ainsi que les motifs des Amazones, de l’Épouse
aquatique, de la Femme-Oiseau et de la Ménagère mystérieuse
soulignent tous l’idée de prendre femme dans une communauté
lointaine. Il est tentant, face à cette reconstruction, de l’uti‑
liser pour proposer un éclairage sur la vie de nos ancêtres, en
avançant qu’ils auraient connu un système exogamique.
Pour corroborer cette hypothèse, on peut relever que les
parents primaires parmi les groupes de chasseurs-cueilleurs
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constituent moins de 10 % des groupes résidentiels, ce qui
entraîne une faible parenté génétique (Hill et al., 2011 ; Dyble
et al., 2015). Cette valorisation de l’exogamie concorde avec les
preuves archéologiques indiquant une grande mobilité durant
le Paléolithique supérieur (Floss, 1991). L’étude génétique de
plusieurs restes humains découverts à Sunghir, site préhisto‑
rique du Paléolithique supérieur situé en Russie et datant d’il
y a 34 000 ans, suggère également une structure sociale avec
un faible niveau de parenté à l’intérieur de chaque groupe, des
modèles complexes de résidence familiale, une mobilité indivi‑
duelle relativement élevée et des réseaux sociaux à plusieurs
niveaux (Sikora et al., 2017).
Peut-on aller plus loin ? Si le prototype reconstruit de la
Femme-Oiseau et de la Ménagère mystérieuse plaide pour des
pratiques exogamiques chez les premiers hommes modernes
à peupler l’est de l’Asie, il indique aussi que la femme vient
d’abord vivre dans le monde de son époux, avant de le quitter
et de retourner parmi les siens, et apporte donc un élément en
faveur de l’existence d’une patrilocalité paléolithique. Si l’on ne
peut exclure que les prototypes de ces mythes ne reflètent pas la
société de leur époque, le doublement de la reconstruction limite
le risque d’une telle éventualité. Mais la patrilocalité avait-elle
cours lors de la sortie d’Afrique ?
La reconstruction des motifs des Amazones et celui de l’Épouse
aquatique ne permet pas de trancher le débat, et il faut donc
se tourner vers d’autres sources. Selon Lévi-Strauss (1949 : 134),

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La Ménagère mystérieuse 341

« ce sont les hommes qui échangent les femmes et non le


contraire ». Cependant, ce constat ne va dans le sens d’une
patrilocalité que si les hommes demeurent au même endroit et
ne se déplacent pas pour rejoindre leur épouse.
George P. Murdock (1967 : 17) a montré que la patrilocalité
était la forme de résidence la plus répandue, ce qui a fait dire à
certains chercheurs que c’était la plus ancienne. La consultation
de l’Ethnographic Atlas (Kirby et al., 2016)1 va dans ce sens : en
effet, la domiciliation patrilocale (définie comme une résidence
normale avec ou près des parents patrilinéaires masculins du
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mari) se concentre essentiellement dans l’hémisphère sud, où
elle montre une distribution continue, et est le seul type de
domiciliation présent à la fois en Afrique australe et en Australie.
On retrouve également la domiciliation virolocale (patriloca‑
lité limitée aux cas où la famille du mari n’est pas regroupée
en groupes patrilocaux et patrilinéaires) en Australie, mais pas
en Afrique australe. Les autres types de domiciliation ont une
aire de diffusion plus restreinte, parfois discontinue au niveau
mondial, ce qui ne permet pas d’écarter l’hypothèse d’inven‑
tions indépendantes. Significativement, les aires de diffusion
de la domiciliation patrilocale et virolocale, similaires à celles
de certains mythes (voir chapitres 3 et 6), correspondent à la
première sortie d’Afrique. D’autres facteurs sont naturellement à
prendre en compte. Si l’anthropologue américaine Carol Ember
(1975) a montré une corrélation entre les types de domiciliation
après le mariage et certains facteurs sociaux, par exemple entre
la patrilocalité et la pêche, elle précise qu’il s’agit seulement
de tendances. Il est donc très peu probable que cela suffise à
expliquer l’aspect continu et austral des domiciliations patrilo‑
cale et virolocale.
Donnant du poids à l’hypothèse faisant de la patrilocalité
l’organisation d’origine de l’humanité, Sandi R. Copeland et
son équipe (2011) ont par ailleurs montré une tendance à
quitter leur groupe plus marquée pour les femmes que pour

1. <https://d-place.org/parameters/EA012#1/32/154>.

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342 Le cycle de l’air

les hommes chez Australopithecus africanus et Paranthropus


robustus, tendance que l’on retrouve aussi chez les chimpanzés,
les bonobos et la plupart des groupes humains. Concernant
l’Europe paléolithique, l’étude d’une sépulture commune
néandertalienne découverte en Espagne indique que les trois
hommes du groupe étaient apparentés, tandis que deux des trois
femmes étaient d’origine extérieure au groupe (Lalueza-Fox,
2011).
L’ensemble de ces éléments va dans le sens de l’existence
d’une patrilocalité lors de la sortie d’Afrique, ajoutant une pierre
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à un long débat encore loin d’être tranché (voir, par exemple,
Birdsell, 1987 : 235‑236 ; Alvarez, 2004 ; Knight, 2008).

La Femme donatrice
Revenons maintenant à la Ménagère mystérieuse. Il
semble désormais possible de rattacher les résultats obtenus dans
ce chapitre à ceux exposés au début de l’ouvrage, en liant la
femme surnaturelle et la maîtresse des animaux. Cette proximité
entre le protomythe de la Ménagère mystérieuse et celui de
Polyphème ressort clairement du tableau page suivante.
Allons plus loin. Dans un cas, un homme trop proche
s’éloigne de son hôte en se métamorphosant en animal ou
en se revêtant de sa fourrure. Dans l’autre, une femme trop
lointaine se rapproche de son hôte en se métamorphosant en
humain et en retirant sa peau animale. Dans les deux cas, l’hôte
ne souhaite pas voir le protagoniste quitter son domicile. Par
ailleurs, qu’un seul ou plusieurs des intrus dans les versions
amérindiennes de Polyphème adopte la forme d’un chiot ou
d’un chien rappelle que cet animal est au cœur du protorécit
reconstruit de la Ménagère mystérieuse.
L’union prolongée entre les protagonistes humain – généra‑
lement un chasseur – et non humain est liée au lieu, sur
un mode non désiré, soit par l’un, soit par les deux, et ne
perdure que tant que ce lieu reste clos, a minima symboli‑
quement, l’objectif étant d’acquérir à travers cette union un

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La Ménagère mystérieuse 343

Polyphème Ménagère mystérieuse

Un homme Une femme

s’introduit dans une demeure sans y être s’introduit dans une demeure sans y être
invité invitée

sous une forme humaine sous une forme animale

pour abuser son hôte pour aider son hôte

qui vit seul ou à deux qui vit seul

en prenant sans donner. en donnant sans prendre.


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L’hôte le voit L’hôte la voit

et l’empêche de sortir par un obstacle et l’empêche de sortir par une destruction


physique. physique.

Une vengeance sur l’hôte est liée au feu. La peau animale est détruite par le feu.

L’hôte fait sortir les animaux de sa L’hôte empêche la femme-animale de


demeure. sortir.

L’homme fuit en s’assimilant à un [La femme peut fuir en redevenant un


animal. animal.]

bien : animaux ou confort matériel, dont l’obtention dépend


d’un être surnaturel.
L’intrus est passivement dominé, étant en situation de
faiblesse physique, avant de devenir activement stérilisant, soit
en s’attaquant à l’hôte par le feu, soit en s’éloignant de celui-ci
et donc en l’empêchant d’engendrer. Notons que l’hôte, dans
le cas de nombreuses versions de Polyphème et de la Ménagère
mystérieuse, se lance à la poursuite de l’intrus.
Enfin, les récits sont dans un rapport de transformation répon‑
dant à la formule canonique : dans les récits de Ménagère mysté‑
rieuse, la fonction « hôte » de l’Homme chasseur est à la fonction
« dissimulation » de la Créature surnaturelle ce que, dans les récits
de Polyphème, la fonction « hôte » de la Créature surnaturelle
est à la fonction « homme-1 » de l’Être dissimulé. La fonction
« homme-1 » correspond à l’animalisation de l’Homme, non plus
chasseur, mais chassé. L’ensemble peut se résumer ainsi :

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344 Le cycle de l’air

F hôte (Homme) : F dissimulation (Créature surnaturelle) :: F hôte


(Créature surnaturelle) : F homme – 1 (Être dissimulé)

La proximité entre ces deux récits est étonnante et paraît,


en quelque sorte, boucler la dernière boucle, à la suite des
nombreuses autres successivement refermées au fil des neuf
chapitres de ce livre, raccordant et hiérarchisant les reconstruc‑
tions, liant les différentes parties en un unique tout.
Les groupes de transformation unissant d’une part la Femme-
Oiseau et la Ménagère mystérieuse, d’autre part la Ménagère
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mystérieuse et Polyphème, suggèrent l’existence d’un proto‑
type plus ancien, dont les trois récits auraient constitué des
particularisations. Il s’agirait en quelque sorte d’un « mythe
fantôme », dont l’existence ne serait plus connue directement,
mais seulement au travers des effets observables et des propriétés
de familles de mythes encore existantes. Ce récit aurait concerné
une femme surnaturelle, soit souterraine, soit céleste, dont il
aurait été possible d’obtenir des biens grâce à une union limitée
dans le temps et l’espace. Un tel mythe aurait existé dès le début
du peuplement de l’Eurasie, adoptant une forme différente au
nord (Polyphème) et au sud (Ménagère mystérieuse, puis Femme-
Oiseau) du continent, selon une bipartition largement illustrée
dans le livre1.

1. Rappelons ici un important article de Gudmund Hatt. Étudiant le mythe


amérindien de la Mère du Maïs, soit une femme surnaturelle donnant à l’hu‑
manité le maïs et s’identifiant à cette céréale, le chercheur danois montre que
de nombreux mythes d’Amérique du Nord et d’Indonésie partagent les traits
suivants : (1) Une plante alimentaire est donnée à l’humanité par une femme ;
(2) Cette femme s’occupe des orphelins ; (3) Elle produit de la nourriture à
partir de son propre corps ; (4) Un homme à qui elle fait la charité l’espionne
et découvre de quelle manière la nourriture est produite. Il parle de la nour‑
riture de manière irrespectueuse ; (5) Elle s’enfuit dans le monde inférieur ;
(6) L’homme qui l’a espionnée et qui a provoqué sa fuite la suit et la trouve
en train de cultiver dans le monde inférieur (Hatt 1951 : 892). Le mythe, qui
a toute chance d’être paléolithique, rejoint celui de la Femme-Oiseau et de
la Ménagère mystérieuse, que ce soit par le personnage de la donatrice qui
va vers ceux qui sont seuls, son humanisation pour communiquer avec les
humains, son rôle de médiatrice ou encore le tabou brisé renvoyant à sa nature

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La Ménagère mystérieuse 345

Représenté dans l’art rupestre, répété de bouche en bouche,


de millénaire en millénaire, le mythe de la Femme donatrice
aurait pris son envol et fait le tour de la Terre.
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surhumaine, suivi de sa fuite. Par ailleurs, comme la maîtresse des animaux,


cet être féminin met à la disposition des humains de quoi se nourrir et fait
provenir cette nourriture d’un lieu caché. L’existence d’un tel récit renforce
l’hypothèse d’une femme donatrice, et raffermit le lien entre la forme que
prend celle-ci en Asie du Sud-Est (Femme-Oiseau, Ménagère mystérieuse) et
dans le nord de l’Eurasie (Maîtresse des animaux).

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Final en mythe majeur

L es mythes ont leur propre logique. La structure


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de ce livre n’a pas été décidée ; elle s’est formée
d’elle-même, nourrie de sa propre matière. La mythographie
nous a d’abord plongés au contact d’un monstre tellurique dans
la pénombre d’une grotte, dont nous sommes ressortis pour
nous immerger dans l’océan primordial avant d’être éblouis par
la lumière du soleil et enfin d’être aspirés vers le ciel. Des êtres
chtoniens ou aquatiques aux créatures ouraniennes ou astrales,
les mythes n’ont pas seulement été traversés à la manière d’un
catalogue dont on aurait tourné les pages, ils n’ont cessé de se
rencontrer, de s’entrechoquer, de se répondre. Chapitre après
chapitre, des récits apparemment disjoints ont fini par se ramifier
autour de troncs communs, aux racines lointaines et profondes,
jusqu’à la résorption des oppositions. De nombreuses pistes,
à peine esquissées, restent encore à explorer : ce livre ne se
referme pas. Il appelle à de nouvelles recherches et ouvre de
nouveaux horizons.
Au terme de cette excursion au pays des mythes, qu’avons-nous
au fond appris ? La diffusion de certains récits oraux est le
produit d’une très longue histoire. À une échelle temporelle aussi
vaste, toute datation précise est impossible, mais la répartition
aréale de certains récits et motifs mythologiques suggère leur
très grande ancienneté. Les mythes et les traditions mytholo‑
giques semblent ainsi transmettre l’essentiel de leur substance à
chaque répétition. Cependant, malgré leur stabilité, mythes et
traditions ne constituent pas des types immuables, transmis de
génération en génération dans un « plan » fixe de la culture : s’ils

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348 Cosmogonies

s’empruntent ou se transmettent, ce n’est jamais à l’identique en


raison des effets contingents des migrations, des changements
socio-économiques, de la distinction identitaire, etc. Mythes et
traditions sont des objets en constant devenir : ils évoluent et
divergent progressivement les uns des autres.
La conjonction des deux phénomènes – stabilité et varia‑
tions – autorise l’application de la méthode phylogénétique
aux mythes. Cette approche implique cependant qu’un même
récit n’a pas pu être inventé plusieurs fois. Une telle éventualité,
peu probable pour des récits complexes, ne peut cependant être
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écartée lorsqu’on s’intéresse à un motif pris isolément ; il est
alors nécessaire de travailler, non sur des motifs isolés, mais sur
des traditions et des corpus de motifs.
La méthode phylogénétique repose sur le calcul de l’écart
structurel séparant les différentes énonciations d’un même récit
ou le contenu de deux traditions mythologiques, soit autant la
somme de leurs ressemblances que celle de leurs différences.
Qu’importe la façon dont les versions ou les traditions se trans‑
forment, que ce soit par altération progressive, transformations
structurales ou « bricolage », pour reprendre le terme de Claude
Lévi-Strauss, tant que cet écart peut être mesuré, il est possible
de construire des arbres phylogénétiques, qui montrent l’évo‑
lution de la structure de base d’un mythe ou d’un ensemble
de traditions.
Une fois les arbre établis, leur solidité doit être évaluée, en
calculant par exemple combien de paris d’homologies sont à
chaque fois gagnés, et en confrontant les résultats obtenus à
partir de différentes bases de données et de différents niveaux
d’analyse. Bien qu’elle porte sur des entités inobservables, la
fiabilité de la méthode phylogénétique se trouve confirmée par
la cohérence et le caractère non contradictoire des résultats
obtenus. Le calcul de la probabilité pour un mythème ou un
motif d’avoir existé à différentes époques permet alors de recons‑
truire des protomythes et des prototraditions remontant pour
certains au Paléolithique. La comparaison de ces reconstructions
statistiques avec les résultats obtenus par d’autres chercheurs,

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Final en mythe majeur 349

s’appuyant sur d’autres méthodes, fait apparaître des conver‑


gences remarquables. L’analyse permet dès lors de renouveler
ou corriger l’interprétation de certains vestiges archéologiques,
à condition de se rappeler que ce qui a pu être reconstruit n’est
finalement qu’un squelette dont le temps aurait emporté la chair
et dispersé les os.
Il faut naturellement demeurer prudent, les faits risquant
toujours de se mouler dans les hypothèses qu’on leur taille et
les théories qui en découlent, provisoires, pouvant être révisées
à la lumière d’autres données. L’approche phylogénétique des
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mythes partage ainsi avec les autres sciences le risque de l’erreur
et de la réfutation. Par exemple, la découverte de nouvelles occur‑
rences de mythes ou de motifs mythologiques pourrait déplacer
le centre de gravité de certains arbres ou modifier leur structure.
Or la cohérence de ces centres de gravité entre eux – notam‑
ment leur proximité de l’Afrique – et l’isomorphisme global de
tous les arbres sont nécessaires à la solidité de la démonstra‑
tion. À la manière d’un jeu de construction, l’analyse s’opère à
différents niveaux (versions d’un même mythe, traditions, aires
culturelles), en faisant varier les paramètres (mythèmes, nombre
de motifs pris en compte), chaque résultat annonçant l’autre,
ajoutant une pierre à un même édifice instable qui ne doit jamais
tomber. Toute nouvelle pièce peut déstabiliser ou fragiliser les
autres, et rompre ainsi l’équilibre de l’ensemble. Reste que, en
l’état des éléments disponibles, les constructions auxquelles
nous avons abouti présentent une certaine robustesse. Si nous
obtenons une série d’arbres phylogénétiques, dont l’organisation
se répond, comment expliquer cette homologie de structure ?
Le principe de raisonnement du rasoir d’Ockham veut que les
hypothèses suffisantes les plus simples soient préférées aux plus
complexes. Lorsqu’un chercheur fait une inférence sur le monde
réel, ce principe implique ainsi qu’il privilégie les théories ou les
scénarios « qui font intervenir le plus petit nombre d’hypothèses
ad hoc, c’est-à-dire non documentées » (Lecointre, 2012 : 114).
Or l’hypothèse la plus parcimonieuse serait de lier ici diffusion
des mythes et grandes migrations humaines.

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350 Cosmogonies

L’idée n’est pas nouvelle. En 2011, Andrey Korotayev et Daria


Khaltourina se sont appuyés sur la présence ou l’absence de
1 200 motifs mythologiques dans 200 aires géographiques à
travers le monde pour réaliser une vaste analyse en compo‑
santes principales (Korotayev et Khaltourina, 2011). Ainsi, ils ont
pu montrer de façon convaincante que la diffusion de grands
ensembles mythologiques était statistiquement corrélée à la
diffusion de certains haplogroupes.
L’un de ces grands ensembles mythologiques, associant les
aires mélanésienne et amazonienne, est ainsi lié à la diffusion
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de l’haplogroupe mitochondrial B. Un autre ensemble, qui se
concentre d’une part dans le sud de la Sibérie et le nord-est de
l’Asie centrale, d’autre part en Amérique du Nord (mais aussi,
de façon moindre, dans le centre et le sud du Nouveau Monde),
est lié à la diffusion de l’ADN mitochondrial C et de l’haplo‑
groupe Y Q-M3. Enfin, les fréquences de l’haplogroupe A sont
corrélées à de nombreux récits relevant du cycle du Corbeau, ce
qui peut s’expliquer par des migrations tardives des Na-Dene,
des Esquimaux Aléoutes et des Tchouktche-Kamtchadale, soit
d’Eurasie vers l’Amérique, soit d’Amérique vers l’Eurasie1.
Les travaux de Korotayev et Khaltourina montrent l’existence
d’une corrélation entre diffusion des gènes et diffusion des
mythes, qui pourrait facilement s’expliquer par une codiffusion
des deux entités en même temps que les premières migrations de
l’humanité. Si tel est le cas, il est possible de prédire que la struc‑
ture se dégageant des multiples arbres phylogénétiques précé‑
demment analysés devrait coïncider avec ce que nous apprend la

1. Une autre approche a également été tentée par Eugenio Bortolini et d’autres
chercheurs (2017) en se basant sur un répertoire de contes-types d’Aarne-
Thompson-Uther (ATU). Mais le fait que les traditions non européennes y
soient fortement sous-représentées rend cet outil inapproprié pour des compa­
raisons statistiques entre les continents, comme le reconnaît Hans-Jörg Uther
lui-même. Pour ce type d’approche, il est préférable d’utiliser d’autres cata‑
logues, comme celui de Berezkin, qui recensait par exemple, à l’époque où
l’article fut publié, 27 versions africaines de l’ATU 313 (« La fuite magique »),
contre 8 dans la base de données d’Aarne-Thompson-Uther et 3 sur la carte
de la figure 3 de Bortolini et al. (d’Huy, Le Quellec et al., 2017).

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Final en mythe majeur 351

génétique des populations. Comparer les arbres obtenus à partir


des mythes et ceux obtenus à partir des gènes nous permettrait
d’évaluer les premiers à l’aune des seconds, et éventuellement
de trancher entre des hypothèses concurrentes de peuplement
de la planète.
Bien sûr, il est évident que les mythes auxquels on adhère ne
sont pas déterminés par l’appartenance génétique à un groupe
de population. On ne pense pas différemment en fonction de
nos gènes. En outre, l’évolution des mythes et l’évolution des
organismes vivants diffèrent en de nombreux points. Si des
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gènes peuvent « sauter » d’une espèce à une autre, ce processus
est relativement rare en biologie. Un organisme vivant évolue
pour l’essentiel à la suite de mutations aléatoires, sélectionnées
comme avantageuses dans les conditions environnementales
où l’organisme vit. À l’inverse, les mythes et les traditions
empruntent souvent des éléments à d’autres mythes ou d’autres
traditions. Deux mythes d’origines distinctes peuvent également
fusionner en un seul récit. L’arbre phylogénétique d’un mythe
ou d’un ensemble de traditions mythologiques ne peut donc
montrer qu’une descendance partielle. C’est ce qui explique le
souci permanent dans ce livre de tester avec soin les résultats
obtenus. Par ailleurs, les interactions entre mythes et gènes sont
complexes. Comme nous l’avons vu dans le premier chapitre,
la mythologie d’un groupe contribue à en forger l’identité et
se construit contre ou avec la mythologie des groupes voisins.
Or ce sentiment d’identité détermine aussi les relations d’amitié
ou d’antagonisme qu’un peuple entretient avec ses voisins et,
par là, l’importance des échanges génétiques entre lui et eux
(Lévi-Strauss, 1971c). Ces différents éléments expliquent que
les arbres de mythes et les arbres de gènes ne puissent être
parfaitement isomorphes.

La sortie d’Afrique et le peuplement de l’Eurasie


Les données génétiques et paléontologiques tendent à
montrer une origine commune à Homo sapiens, et situent le berceau

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352 Cosmogonies

Avant 60 000 ans Site avec des


restes humains
Site archéologique

Routes migratoires

26
4 5 25 9 16
1 8
19
10
13 14 17 18
20
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11 21 22
12 15
29 3
27 2
28
23

24

6
7

1. Djebel Irhoud (315) 14. Katoati / 16R Dune (96 / 80)


2. Omo Kibish (195) 15. Jwalapuram (85–75)
3. Herto (160) 16. Huanglong (100–80)
4. Dar es-Soltan / El Harhoura/ 17. Luna (120–70)
Contrebandiers (120–90) 18. Liujiang (130–70)
5. Taforalt/ Ifri n’Ammar/ Rhafas 19. Fuyan (120–80)
(>100–70) 20. Zhiren (100)
6. Border Cave (75) 21. Tam Pa Ling (63–46)
7. Die Kelders / Blombos Cave / 22. Callao (67)
Klasies River Mouth (>100–75) 23. Lida Ajer (73–63)
8. Haua Fteah (150–70) 24. Madjedbebe (Malakunanja II) (65)
9. Skhul / Qafzeh (120–90) 25. Grotte de Misliya (185)
10. Djebel Qattar (75) 26. Grotte d'Apidima (210)
11. Mundafan (100–80) 27. Kibish (233)
12. Aybut Al Auwal (105) 28. Eliye Springs (200-300)
13. Djebel Faya C (125) 29. Singa (131-135)

Carte 1.1a. M
 igrations humaines antérieures à 60 000 ans, incluant les squelettes
d’Homo sapiens archaïques (d’après Bae, Douka & Petraglia 2017,
complété par Harvati et al. 2019, Hershkovitz et al. 2018, McDermott
et al. 1996, Mounier & Mirazón Lahr 2019, Stringer 2016, Vidal
et al. 2022). Les chiffres sont donnés en milliers d’années.

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Final en mythe majeur 353

Après 60 000 ans Site avec des


restes humains
35
Site archéologique

Routes migratoires

6
13
11 12
10 34 7
17 18
32 8
33 21
9 5 19 20 22
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4
5
3
8
23
1
14 24 25
2 15
16 26
27
28 31
29 30

1. Taramsa (>48) 19. Shuidonggou (38)


2. Shi’bat Dihya (55) 20. Tianyuan (40)
3. Manot (55) 21. Zhoukoudian Upper Cave (35)
4. Ksar Akil / Üçağızlı (43) 22. Ryonggok (?50–40)
5. Kulbulak / Shugnou (30–20) 23. Yamashita-cho (>38 / 36)
6. Ust’ Ishim (45) 24. Badalinh (≈ 42)
7. Kostenki (42) 25. Tham Lod (40)
8. Peștera cu Oase (40) 26. Lang Rongrien / Moh Khiew (43)
9. Cavallo (43) 27. Grottes de Niah (45–40)
10. Kent’s Cavern (41) 28. Sulawesi sites (40–35)
11. Denisova (45) 29. Jerimalai (42)
12. Kara Bom (50–40) 30 Ivane Valley (48–43)
13. Pokrovka / Mal’ta (32–23) 31. Matenkupkum / Buang Merabak (41 / 44)
14. Patne (29) 32. Grotte Mandrin (54)
15. Jwalapuram (38) 33. Bacho Kiro (47)
16. Fa Hien / Batadomba (>38 / 36) 34. Zlatý kůň (45)
17. Tolbor 16 (45) 35. Yana (45?-32)
18. Salkhit (>25)

Carte 1.1b. M
 igrations humaines postérieures à 60 000 ans (d’après Bae, Douka
& Petraglia 2017, complété par Hublin et al. 2020, Pitulko et al.
2016, Prüfer et al. 2021, Slimak et al. 2022, Sikora et al. 2019). Les
chiffres sont donnés en milliers d’années.

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354 Cosmogonies

de notre espèce en Afrique il y a entre 315 000 et 100 000 ans


(Fu et al., 2013 ; Hublin et al., 2017 ; McDougall et al., 2005 ;
Poznik et al., 2013 ; Stringer et Andrews, 1988 ; White et al.,
2003). La façon dont, à partir de ce continent, Homo sapiens
s’est dispersé sur la planète reste à l’inverse sujet à discussion.
Deux hypothèses dominent.
La première hypothèse postule que l’humanité anatomique‑
ment moderne serait sortie en une seule vague d’Afrique, il y a
de cela 50 000 à 75 000 ans. Le fait que la diversité génétique
diminue au fur et à mesure que l’on s’éloigne du continent
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africain (Deshpande et al., 2009 ; Liu et al., 2006 ; Mele et al.,
2012 ; Prugnolle et al. 2005 ; Ramachandran et al., 2005) alors
que la diversité des morphologies crâniennes augmente (Manica
et al., 2007 ; Cramon-Taubadel et Lycett, 2008) semble plaider
pour cette théorie, et pour un peuplement du monde par à-coups,
chaque groupe n’emportant qu’une partie du génotype et du
phénotype de la population-mère.
Cette hypothèse a été adoptée récemment par deux groupes
de chercheurs pour rendre compte des données qu’ils avaient
collectées (Malaspinas et al. 2016 ; Mallick et al., 2016). La
première équipe a montré que, en quittant l’Afrique, les humains
se seraient directement divisés en deux vagues de population,
l’une peuplant l’Asie du Sud et l’Australie, l’autre atteignant le
reste de l’Eurasie ; la seconde équipe a proposé une première
séparation entre les Eurasiens de l’Est et de l’Ouest, suggérant
que les actuels Papous et aborigènes australiens descendent du
même flux migratoire que les Asiatiques de l’Est.
Que peut nous apprendre l’étude statistique de la mythologie
à cet égard ? L’existence d’un cline mythologique dont le point
d’origine se situe en Asie du Sud-Ouest fait écho à la diminution
de la diversité génétique au fur et à mesure que l’on s’éloigne de
l’Afrique. Par ailleurs, il existe d’une part une corrélation entre
le nombre de phénomènes de spéciation des traditions (tels que
reconstruits statistiquement par un arbre phylogénétique) et la
distance depuis l’Afrique, d’autre part un moins grand nombre
de motifs en commun retrouvés au fur et à mesure que l’on

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Final en mythe majeur 355

s’éloigne de l’Asie du Sud-Ouest. Toutefois, il semblerait que


l’effet de la distance depuis l’Afrique augmente lorsque l’on
focalise l’analyse sur l’hémisphère nord. Cela suggère une diffu‑
sion septentrionale spécifique des motifs et un probable décalage
entre la diffusion de cette mythologie, que l’on trouve par
exemple illustrée par les mythes de Polyphème et du Plongeon
cosmogonique, et celle de la mythologie australe, notamment
représentée par les mythes d’Émergence, du Serpent arc-en-ciel
ou du Matriarcat primitif. Que l’absence de prise en compte des
traditions de l’hémisphère sud augmente l’effet de la distance
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depuis l’Afrique tend à montrer un affaiblissement du message
phylogénétique lié à la première migration, et donc l’existence
d’un écart temporel conséquent entre la migration australe
et la migration septentrionale. Cette atténuation du message
phylogénétique nous a d’ailleurs conduit, dans les troisième et
quatrième parties, à abandonner en partie l’analyse par versions
et par traditions, au profit d’une analyse par aires culturelles.
Peut-on alors considérer que les résultats obtenus sont en
accord avec une seconde hypothèse répandue parmi les généti‑
ciens des populations, impliquant une double sortie d’Afrique ?
Selon cette seconde hypothèse, une première dispersion aurait
eu lieu il y a entre 100 000 et 50 000 ans, qui aurait suivi les
côtes de la Péninsule arabique et de l’Asie, puis lui aurait succédé
une seconde migration, traversant le Levant et l’Eurasie du Nord
(Lahr et Foley, 1994). Des populations isolées en Asie et en
Océanie, comme les Australiens, les Mélanésiens, les Papous,
les Dravidiens d’Asie du Sud ou encore les Andamans, conser‑
veraient la trace génétique de la première migration. À partir de
la chevelure d’un aborigène du sud-ouest de l’Australie recueillie
au début du xxe siècle, Morten Rasmussen et son équipe (2011)
ont par exemple montré que les populations autochtones de l’île
étaient les descendants d’une première migration humaine en
Asie, datant d’il y a 62 000 à 75 000 ans. L’équipe d’Irina Pugach
(2013) a de son côté mis en évidence la proximité génétique
entre les premiers habitants de l’Australie, de la Nouvelle-
Guinée, de l’Inde et des îles du sud-est de l’Asie, estimant

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356 Cosmogonies

à 36 000 ans l’époque de leur divergence. Ces chiffres corro‑


borent les données archéologiques, comprenant notamment des
pierres taillées et des indices d’exploitation de végétaux, faisant
remonter à 40 000 – 50 000 ans les premiers restes humains dans
cette région du monde (Barker et al., 2007 ; O’Connell et Allen,
2004 ; Summerhayes et al., 2010). La seconde migration, séparée
de la première et datant d’il y a 25 000 à 38 000 ans, serait
à l’origine des peuplements asiatiques modernes (Rasmussen
et al., 2011). De nombreux échanges génétiques auraient eu lieu
entre les deux vagues de population. Une analyse du patrimoine
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génétique de Papous contemporains suggère ainsi que 2 % de
leur génome proviendrait d’une première expansion humaine,
issue d’une sortie d’Afrique vieille de plus de 75 000 ans (Pagani
et al., 2016).
Selon une autre formulation de l’hypothèse de la « route du
Sud », la première sortie d’Afrique aurait eu lieu plus tôt encore,
entre 70 000 et 130 000 ans, par l’Arabie saoudite, atteignant
l’Asie du Sud il y a 78 000 ans, peut-être avant (Petraglia et
al., 2010). Des vestiges archéologiques témoignent ainsi de la
présence de l’Homme à Jebel Faya, dans l’est de l’Arabie saoudite,
il y a 60 000 ans (Armitage et al., 2011). De plus, une étude
analysant ensemble des données génétiques et craniométriques
étaye cette analyse, concluant à une sortie d’Afrique et une
dispersion initiale le long des côtes d’Asie il y a 130 000 ans,
suivie d’une nouvelle dispersion il y a environ 50 000 ans,
touchant le nord de l’Eurasie (Reyes-Centeno et al., 2014). La
découverte dans le sud de la Chine de dents appartenant à Homo
sapiens renforce cette hypothèse, faisant remonter la présence de
l’homme moderne dans cette région entre 120 000 et 80 000 ans
(Liu et al., 2015).
Sans trancher entre les deux hypothèses de la « route du
Sud », une étude cranio-morphométrique récente a également
mis l’accent sur un « peuplement à deux couches » de l’Eurasie
orientale par l’Homme anatomiquement moderne. Les résultats
de cette étude suggèrent qu’une « première couche » était étroi‑
tement liée aux groupes ancestraux d’Andamans, d’Australiens,

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Final en mythe majeur 357

de Papous et de Jomons qui ont probablement atteint cette


région il y a 50 000 à 65 000 ans. Une « deuxième couche »
plus tardive, partageant de fortes affinités crâniennes avec les
Sibériens, indiquerait l’arrivée d’une population venue d’Asie
du Nord-Est. Cette deuxième couche se serait développée à un
rythme plus rapide, sans doute grâce à l’agriculture. Une dicho‑
tomisation claire entre les deux couches implique une diver‑
gence temporelle profonde des voies de migration distinctes
de l’Homme moderne à travers l’Eurasie du Sud et du Nord
(Matsumura et al., 2019).
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L’hypothèse de deux sorties d’Afrique aurait l’avantage d’expli‑
quer l’existence d’une double mythologie hors de ce continent,
l’une centrée sur l’hémisphère nord, l’autre sur l’hémisphère
sud. Par ailleurs, elle rendrait compte de l’écart chronologique
existant entre la diffusion de la mythologie dans l’hémisphère
nord et celle de la mythologie dans l’hémisphère sud. Pourtant,
cette bipartition de la mythologie et cet écart chronologique
ne traduisent pas forcément une double sortie d’Afrique, et
ce d’autant moins que certains récits identifiés dans le nord
de l’Eurasie et dans le sud de ce continent sont en rapport de
transformation, ce qui implique la coexistence des récits dans
un même lieu à l’origine (voir chapitres 4 et 9). Si l’hypothèse
d’une double sortie ne peut malgré tout pas être exclue, il reste
plus probable que l’Homme anatomiquement moderne ait quitté
le continent africain en une fois, partant immédiatement à la
conquête de l’hémisphère sud, mais s’attardant un peu avant
de se lancer, depuis le sud-ouest de l’Asie, à la découverte du
nord du continent1.

1. Un modèle prenant en compte l’évolution des conditions climatiques et des


niveaux marins pour simuler la dispersion d’Homo sapiens sur la planète a
mis en évidence, en accord avec les restes fossiles et les traces archéologiques,
l’existence de plusieurs sorties d’Afrique, entre 106 000 et 94 000 ans, 89 000 et
73 000 ans, 59 000 et 47 000 ans et 45 000 et 29 000 ans (Timmermann et
Friedrich, 2016). Ce modèle montre que les différentes hypothèses concernant
l’expansion de l’humanité évoquées plus haut ne sont pas nécessairement
contradictoires, à condition, si ces sorties précoces d’Afrique ont bien eu lieu,
que ces premiers voyageurs n’aient apporté qu’une faible, sinon inexistante,

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358 Cosmogonies

Au-delà des raisons de ce départ au gré des variations climatiques


et des opportunités cynégétiques, c’est la témérité de l’expédition
qui interroge. Ce que nous apprend l’étude de la mythologie à cet
égard, c’est qu’Homo sapiens est une espèce affabulatrice qui croit
dans ses mensonges. Cette confiance de l’Homme en ses récits
fondamentaux, sa capacité à se fier à eux et à s’abandonner à la
parole de ceux qui les lui ont transmis pourraient avoir permis
à nos ancêtres d’aller toujours plus loin, d’explorer de nouveaux
milieux, d’expérimenter des matières premières et des sources
d’alimentation inusitées, voire de faire face à des prédateurs
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insoupçonnés ou à d’autres hominidés… Si le monde est hérissé
de frontières, physiques – montagnes, fleuves, écozones, etc. – et
symboliques, l’imaginaire les ignore. Les mythes peuvent ainsi
escorter les hommes, comme autant de compagnons rassurants.
Ils sont capables d’expliquer le monde (Gomme, 1908 : 129) et
de réduire le chaos et les contradictions à l’unité (Lévi-Strauss,
1958 : 235‑254), préparant les voyageurs à affronter le nouveau en
le subsumant sous le connu. Les premiers Hommes ayant quitté
l’Afrique devaient avoir suffisamment foi dans la puissance explica‑
tive de leurs mythes pour braver les dangers et s’aventurer au-delà
des sentiers battus. La peur de l’inconnu était pour eux moins forte
que le pouvoir, dont ils investissaient les mythes, de l’expliquer.

Le peuplement des Amériques


L’Amérique est le dernier continent à avoir été peuplé,
et il est en cela intéressant de voir ce que l’étude comparée des
mythes peut nous apprendre sur le processus de ce peuplement.
L’arbre obtenu en étudiant des versions du Soleil volé met
en évidence une double diffusion en Amérique, l’une touchant
le nord, l’autre l’extrême nord du continent (chapitre 5).

contribution au patrimoine génétique actuel des populations non africaines.


L’étude de l’ADN fossile a par exemple montré que certaines populations qui
arpentaient autrefois des régions de l’Eurasie ont disparu sans laisser de traces,
sinon dans les restes osseux qui nous sont parvenus (voir, par exemple, Fu
et al., 2015). Il y a là aussi un défi à relever pour la mythologie comparée.

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Final en mythe majeur 359

L’établissement des arbres phylogénétiques liés au feu montre


l’existence d’au moins deux vagues migratoires, l’une provenant
d’Océanie et couvrant les deux Amériques, l’autre, peut-être
double, touchant l’Amérique du Nord (chapitre 5). L’arbre
construit à partir des mythes matriarcaux présente quant à lui
une triple diffusion, l’une centrée sur l’Amérique du Sud et liée
à l’Océanie (peut-être double si l’on considère l’Amazonie du
Nord-Ouest comme un mouvement indépendant), l’autre centrée
sur l’Amérique du Nord, la dernière, liée aux aires eurasiatiques,
centrée sur l’Amérique la plus septentrionale (chapitre 6). Les
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ramifications des mythes liés aux serpents montrent une double
diffusion en Amérique, l’une liée à l’Océanie et limitée au sud,
l’autre circonscrite au nord (premier interlude). L’arbre élaboré
à partir de la partie F de la base de données de Yuri Berezkin,
consacrée à la sexualité, présente trois vagues de diffusion, l’une
centrée sur le sud, l’autre sur le nord du continent, la dernière
liant populations esquimaudes, na-dene et d’Amérique du Sud
(chapitre 8). Enfin, les arbres construits à partir des versions de
la Femme-Oiseau et de la Ménagère mystérieuse décrivent égale‑
ment une double diffusion en Amérique, l’une centrée sur le sud,
l’autre sur l’extrême-nord (chapitres 8 et 9). Plusieurs exemples
montrant l’existence d’une diffusion de mythes propres à l’hémis‑
phère nord ont par ailleurs été donnés dans les parties 1 et 2.
On peut relever que le clade unissant l’ensemble des aires
culturelles d’Amérique du Sud n’est souvent séparé de celui
unissant les aires culturelles d’Amérique du Nord que par l’inclu‑
sion de la Mélanésie et de l’Australie, ce qui tend à indiquer que
la mythologie amérindienne de l’hémisphère nord et celle de
l’hémisphère sud partagent un grand nombre de motifs.
Il est alors possible d’imaginer un modèle de diffusion des
mythes sur le continent s’accordant avec les données génétiques.
On sait que les populations venues du nord et du sud-est de
l’Eurasie se sont rencontrées en Sibérie du Nord-Est et ont
échangé leurs gènes avant la conquête de l’Amérique (Sikora et al.,
2019 ; Waters, 2019). Or rien n’empêche que chaque groupe
y ait conservé, au moins partiellement, sa structure sociale et

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360 Cosmogonies

sa mythologie propre. Comme l’ont montré Robert Ross et


son équipe (2013) à propos du conte de « La bonne fille et la
méchante fille », un groupe sociolinguistique échange plus facile‑
ment ses gènes que ses récits oraux. Un cas d’espèce fut d’ailleurs
étudié par Claude Lévi-Strauss, avec les Mandan, peuple essen‑
tiellement chasseur originaire de la région des Grands Lacs, venu
s’installer au xviiie siècle auprès des Hidasta, peuple d’agricul‑
teurs vivant dans la plaine du Missouri. Amenées à cohabiter, ces
deux sociétés ont partagé des rites communs tout en conservant,
pour en rendre compte, des variantes mythologiques opposées
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(Lévi-Strauss, 1971d, 1973). Les mythologies eurasiatiques septen‑
trionale et australe auraient donc été présentes simultanément
en Sibérie du Nord-Est, mais sans se fondre l’une dans l’autre.
De façon plus simple encore, les deux populations, venues
d’Eurasie du Nord et de l’Est, auraient pu atteindre la Sibérie du
Nord-Est de façon différenciée, la seconde ne côtoyant que les
humains restés en arrière de la première, avant de se lancer, là
encore de façon différenciée, à la conquête du Nouveau Monde.
Les deux populations venues de Sibérie auraient ensuite
colonisé des espaces différents sur le nouveau continent, les
groupes d’Asie du Sud-Est atteignant l’Amérique du Sud, et ceux
d’Eurasie du Nord s’établissant en Amérique du Nord, préser‑
vant ainsi la continuité mythologique de chaque hémisphère.
Plus tard seraient venues s’adjoindre, dans le Grand Nord, une
troisième et une quatrième vague à l’origine des Paléo- et des
Néo-Esquimaux (Raghavan et al., 2014b), qui elles aussi auraient
transporté leurs propres mythes.
Ce premier modèle est en accord avec les données génétiques,
qui montrent une affinité par hémisphère entre l’Amérique et
le reste du monde.
L’étude de l’ADN ancien de l’« homme de Kennewick », nom
donné aux restes d’un homme vieux de 9 000 ans retrouvés en
1996 près du fleuve Columbia, à côté de la ville de Kennewick,
dans l’État de Washington, a montré que celui-ci était plus
étroitement lié aux populations amérindiennes qu’à n’importe
quelle autre population dans le monde. L’haplogroupe de son

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Final en mythe majeur 361

chromosome Y (transmis de père en fils) est Q-M3, qui ne se


retrouve pratiquement que chez les Amérindiens, et celui de son
ADN mitochondrial (transmis par la ligne maternelle) est X2a
(Rasmussen et al., 2015). Ce dernier marqueur uniparental est
intéressant, en ce qu’il se retrouve à la fois en Europe, dans le
nord de l’Asie et dans le nord de l’Amérique (Malhi et Smith,
2002 ; Reidla et al., 2003 ; Perego, 2009). Il serait entré dans
le Nouveau Monde en même temps que les principaux haplo‑
groupes constitutifs du patrimoine génétique des Amérindiens.
L’haplogroupe R1, que l’on retrouve, lui aussi, essentiellement
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dans l’hémisphère nord, aurait suivi la même progression. On
retrouve ainsi sa présence dans les restes d’un enfant sibérien
du centre-sud de la Sibérie, appelé Mal’ta boy-1, dont l’ADN
est basal aux Eurasiens occidentaux d’aujourd’hui et génétique‑
ment proche des Amérindiens modernes, sans affinité étroite
avec les Asiatiques orientaux, suggérant un apport des anciens
Eurasiatiques du nord au peuplement de l’Amérique (Raghavan
et al., 2014 ; Wong, 2017). Au vu de leur ancienneté et de leur
diffusion, les haplogroupes R et X2 suggéreraient donc bien une
diffusion amérindienne plus septentrionale pour les Eurasiatiques
du Nord que pour les Eurasiatiques du Sud-Est.
Le cas de l’Amérique du Sud est plus complexe. Certains
peuples amazoniens s’avèrent génétiquement plus proches des
groupes d’Australie, de Nouvelle-Guinée et des îles Andaman
que de n’importe quel autre groupe eurasien ou amérindien
(Raghavan et al., 2015 ; Skoglund et al., 2015). Cette vague de
peuplement aurait été la première à atteindre le Nouveau Monde
(Skoglund et al., 2015)1, même si cela a été remis en question
par certains chercheurs qui voient dans ce lien le signe d’une
migration plus récente unissant les populations aléoutiennes,
athabascanes et certaines ethnies d’Amérique du Sud (Raghavan

1. Notons aussi, comme élément corroborant cette théorie, que les caractéris‑
tiques de certains squelettes amérindiens datant du Pléistocène et du début
de l’Holocène les rapprochent davantage des Australiens, des Mélanésiens, des
populations noires d’Asie du Sud-Est et de certains groupes africains que des
actuelles populations locales (Neves et al., 2003 ; Neves et al., 2007).

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362 Cosmogonies

et al., 2015 ; Flegontov et al., 2019). Si elle a existé, il n’est cepen‑


dant pas sûr que cette première migration ait permis l’instau‑
ration d’une mythologie suffisamment solide pour que celle-ci
ait survécu jusqu’à nos jours (mais voir chapitre 8).
Le séquençage de l’ADN d’un nourrisson mort il y a environ
11 500 ans en Alaska a montré que la majorité des Amérindiens
seraient des descendants de Béringiens de cette région ayant émigré
au sud (Moreno-Mayar et al., 2018). Aucun lien particulier entre
l’ADN de l’enfant et les Australo-Mélanésiens n’a été identifié.
L’étude a également montré que, après cette première diffusion,
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certaines populations du nord de l’Amérique du Nord ont reçu un
flux de gènes d’une population sibérienne liée aux Koriaks, mais pas
aux Esquimaux, ni aux Inuits ou aux Kètes. Ce résultat s’accorde
partiellement avec ceux obtenus par une autre étude, montrant
qu’une vague de peuplement venue d’Eurasie du Nord serait restée
centrée sur l’Amérique du Nord (Raghavan et al., 2014a).
Il est alors possible de proposer une deuxième hypothèse
pour expliquer la bipartition de la mythologie en Amérique.
Un premier peuplement par des humains métissés provenant
à la fois de l’est et, pour une moindre part, du nord de l’Asie
aurait diffusé une même mythologie du détroit de Béring à la
Terre de Feu. Cette migration aurait été suivie par une autre, de
moindre intensité et limitée à l’Amérique du Nord, qui aurait
amené une nouvelle mythologie. Cette hypothèse a l’avantage
de faire l’économie du maintien dans la durée, en Sibérie du
Nord-Est, d’une séparation entre les mythologies du nord et de
l’est de l’Asie, et d’éviter la bipartition, que l’on pourrait consi‑
dérer comme trop mécanique, des populations par hémisphère.
Les deux modèles proposés ont l’avantage d’expliquer le
fonds mythologique commun des Amériques, fort bien mis en
évidence par Claude Lévi-Strauss, ainsi que les spécificités liées
aux hémisphères. Dans le premier cas, l’unité mythologique
des deux Amériques s’expliquerait par des échanges limités, en
Sibérie du Nord-Est, entre les cultures du nord et de l’est de
l’Asie. Dans le second cas, il serait possible de rendre compte
de cette unité par la diffusion première d’une même mythologie

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Final en mythe majeur 363

sur le continent, suivie par la pénétration subséquente d’une


nouvelle mythologie limitée à l’hémisphère nord.
Par ailleurs, quel que soit le modèle choisi, il semblerait que la
structure des arbres mythologiques fasse écho à celle des arbres
génétiques, ce qui explique la corrélation découverte par Andrey
Korotayev et Daria Khaltourina (2011) entre plusieurs ensembles
de motifs mythiques et certains haplogroupes spécifiques.

Un lien entre les peuples


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L’ensemble des données nous aide à le comprendre : les
mythes forment des réseaux. Ils essaiment, nous séparent et, comme
le corps de la terre, nous unissent. Ce qui nous lie à notre identité
sociale se révèle le plus universel, relevant d’une même parole.
Or prendre conscience que la version du mythe que je connais
n’est pas la seule, que d’autres coexistent avec elle comme
manifestations d’un même type, revient à appréhender l’iden‑
tité dans la différence. La personne que j’ai en face de moi, qui
connaît une autre version de mon mythe, apparaît dans sa singu‑
larité propre, comme détentrice de sa propre lecture d’un même
récit. Mon mythe n’est plus seulement cet objet que je pensais
propre à ma culture, ce bien de famille transmis de génération
en génération, mais un patrimoine en partage, compris et restitué
par l’autre à travers sa vision du monde. Il est autant à lui qu’à
moi. Son récit a la même structure que le mien, ce qui implique
que, au-delà de différences de forme, nos points de vue ne sont
pas incommensurables. Les deux versions du mythe forment un
tout, me poussant à inclure l’autre dans mon humanité, et ce
même si nous ne sommes pas d’accord entre nous.
Le mythe se déploie sur son propre plan d’existence : deux
locuteurs appartenant à deux cultures peuvent le désigner comme
un objet commun se détachant du monde. Si nous sommes
d’accord sur l’entité de base – le type mythologique auquel nous
nous référons –, la véracité de ma version ne peut être contredite
objectivement par mon locuteur, mais seulement dialogiquement, à
travers la sélection des traits que je retiens qui diffèrent de ceux qu’il

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364 Cosmogonies

a lui-même retenus. Par ce processus, il y a passage de la confronta‑


tion au dialogue. Dans le dialogue, « les interlocuteurs s’accordent
sur ce dont ils parlent pour pouvoir être en désaccord sur ce qu’ils
disent » (Wolff, 2019 : 154). Parlant du même mythe, nous savons
que nous parlons de la même chose, mais différemment. Cette
vision contrastive permet de faire passer les croyances personnelles
et collectives de chacun de l’état de donnée intérieure à celui d’une
réalité extérieure, susceptible d’être objectivement comparée. Une
telle démarche comparative, au-delà des limites artificielles d’un
« enseignement du fait religieux » aveugle à ses propres préjugés,
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a prouvé sa pertinence, par exemple à travers le projet Thélème au
lycée Le Corbusier à Aubervilliers (Le Quellec, 2015b, c).
L’approche phylogénétique permet alors d’incorporer cette plura‑
lité de perceptions, avec leurs ressemblances et leurs différences,
sous la forme d’une construction généalogique, et de retracer l’évo‑
lution de chaque récit et de chaque mythologie à travers le temps,
en les liant à notre histoire. Situant sur un seul et même continuum
l’ensemble de ces croyances, passées et présentes, le mythe partagé
devient ce par quoi la possibilité de l’universel surgit.
Dans ces conditions, aucune version actuelle d’un mythe ne
peut plus se prévaloir d’une quelconque antériorité chrono­
logique. La multiplicité des versions et leurs filiations multiples
nous dépassent, ouvrant la voie à une communication réciproque
et généralisée. Que le partage d’anciennes croyances ait précédé
l’établissement des différences contemporaines m’oblige à quitter
la position autocentrique qui était la mienne pour considérer le
discours de l’autre comme apparenté au mien. Tout en faisant droit
à la diversité des cultures, l’approche phylogénétique des mythes
contribue à reconnaître au discours d’autrui une appartenance à
un fonds commun de l’humanité, perdurant au-delà des façons
particulières, propres à chaque tradition, d’exprimer le monde.
L’étude scientifique des mythes, comme la navette du tisse‑
rand, déroulerait alors la canette de ces récits oraux et, portant
et faisant courir ce fil entre de multiples trames, unirait d’un
même mouvement le passé, le présent et l’ensemble de notre
humaine communauté.

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Annexe de la première partie

P our le lecteur souhaitant plus d’informations, voici


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les réglages réalisés pour l’obtention des arbres
de Polyphème. Le paramétrage est en effet loin d’être anodin,
pouvant orienter les résultats, et doit être réfléchi avec soin.

Arbre bayésien
Vingt millions d’arbres ont été générés grâce au
logiciel MrBayes 3.2.1 (Huelsenbeck et Ronquist, 2001 ; Ronquist
et Huelsenbeck, 2003) en adoptant les paramètres suivants : lset
nst = 6 rates = invgamma ; unlink statefreq = (all) revmat = (all)
shape = (all) pinvar = (all) ; prset applyto = (all) ratepr = variable ;
mcmcp ngen = 20 000 000 relburnin = yes burninfrac = 0.25 print‑
freq = 5 000 samplefreq = 5 000 nchains = 4. Ces formules peuvent
sembler étranges au lecteur non averti et nécessitent d’être expli‑
citées.
Comme tout calcul bayésien, la création d’un arbre rend néces‑
saire un choix de paramétrage a priori, et donc une part d’arbitraire.
J’ai fait le choix d’utiliser un modèle de type « standard », norma‑
lement employé pour les caractères morphologiques et où le 0 et
le 1 ont une valeur égale, et non un modèle de type « restriction »,
généralement employé pour les caractères binaires et où le 0 a une
valeur nulle. Ce choix est en accord avec la remarque d’Arnold
Van Gennep qui, mettant en avant la méthode cartographique,
soulignait déjà en 1934 l’intérêt de reporter tous les traits, aussi
bien positifs que négatifs, ces derniers ayant « une valeur positive
aussi, mais de l’autre côté du Zéro » (Van Gennep, 1934 : 24‑25).

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368 Cosmogonies

Le choix de reprendre ou non un élément d’une version antérieure


a en effet son importance et est rarement le fruit du hasard. Aussi
l’absence d’un mythème dans une version donnée constitue-t‑elle
un trait négatif de cette version, participant à l’éloignement de
celle-ci et des autres versions. Par contre, des traits n’apparaissant
nulle part dans le corpus, comme le Grand Méchant Loup, et ne
relevant d’aucune opposition structurale à l’intérieur dudit corpus
ne peuvent pas être considérés comme traits négatifs.
J’ai également utilisé pour mes calculs un modèle de substitution
« General Time Reversible » avec un taux de variation entre les
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sites calculé grâce à une distribution gamma et une partie des sites
restant invariable (lset nst = 6 rates = invgamma). Ce choix, opéré
là encore dans l’idée de donner au 0 l’importance qu’il mérite,
implique de considérer les 0 et les 1 comme des entités indépen‑
dantes. Ce modèle s’applique généralement à un ensemble de
nucléotides. Le passage d’un 0 à un 1 et d’un 1 à un 0 entre deux
versions et pour le même mythème correspond au remplacement
d’un nucléotide (d’une base) par un autre nucléotide. La fréquence
et le taux de mutation des nucléotides/mythèmes n’ont pas été
fixés a priori, ces paramètres étant estimés à partir de la base de
données durant l’analyse. Sans commande contraire, MrBayes 3.2.1
suppose par ailleurs qu’il y a autant de chances pour un caractère
de passer de 0 à 1 que de 1 à 0, ce qui correspond, dans notre
cas, aux chances pour un mythème d’être « gagné » ou « perdu ».
Par défaut, MrBayes 3.2.1 tente de créer le modèle le plus
simple possible. Si l’on précise les mêmes paramètres et les
mêmes a priori pour plus d’un sous-ensemble, MrBayes 3.2.1
« liera » ces paramètres pour tous les sous-ensembles, supposant
que les valeurs de tous ces paramètres s’appliqueront à tous les
sous-ensembles impliqués. Aussi ai-je modifié divers paramètres
afin que la fréquence des « nucléotides » stationnaires (unlink
statefreq = [all]), les taux de substitution (unlink revmat = [all]),
le paramètre de forme lié à la distribution gamma du taux de
variation (unlink shape = [all]), la proportion de sites invariables
(unlink pinvar = [all]) et la vitesse d’évolution (prset applyto
= [all] ratepr = variable) puissent varier selon les branches.

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Annexe de la première partie 369

Seul un arbre tous les 5 000 a été retenu sur les 20 000 000 créés.
Le premier quart des arbres créés, période durant laquelle l’algo‑
rithme « tâtonne » pour trouver les meilleurs arbres possibles, a
par ailleurs été supprimé (burnin) et j’ai utilisé un autre logiciel,
Tracer 1.5.0 (Drummond et Rambaut, 2007), pour vérifier que
les arbres retenus appartenaient bien aux plus probables. L’arbre
final ne retient que les nœuds présents dans au moins 50 %
des différents arbres créés. Celui-ci a été enraciné de manière
médiane, la racine étant placée à mi-chemin entre les deux
traditions les plus éloignés d’un point de vue phylogénétique.
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Arbre de parcimonie
Pour le deuxième arbre, j’ai utilisé le logiciel Mesquite
2.75 (Maddison et Maddison, 2006, 2011) pour reconstruire
les 200 arbres les plus parcimonieux, dont je n’ai retenu que
les branchements présents dans au moins 50 % des cas.
Puis la méthode SPR (pour subtree pruning and regrafting, autre‑
ment dit « élagage et regreffage de sous-arbres ») a servi à tester
la disposition de l’arbre dans l’espace. Il s’agit d’un algorithme
heuristique qui permute des parties de l’arbre, en cherchant à
obtenir le meilleur arbre possible.
Cette approche repose sur le postulat que les versions d’un
même mythe se différencient peu à peu, qu’on imite en répétant
et qu’en répétant, insensiblement, on dévie, bref, qu’« on ne
discute pas les mythes du groupe ; on les transforme en croyant
les répéter » (Lévi-Strauss, 1971a : 585). L’enracinement médian
de l’arbre bayésien a été conservé.

Calcul de l’effet de la distance


depuis trois origines possibles
du mythe de Polyphème
Pour réaliser ce calcul, j’ai conservé parmi les
versions du mythe de Polyphème analysées dans mon article de
2014‑2015 celles dont la distance géographique depuis plusieurs

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370 Cosmogonies

points d’origine possibles était donnée dans un article de Chuan-


Chao Wang, Qi-Liang Ding, Huan Tao et Hui Li (2012). Ces
chercheurs indiquent les distances géographiques de certaines
sociétés depuis trois origines possibles : l’Afrique du Sud-Ouest,
l’Europe et l’Asie centrale (plus spécifiquement depuis Achgabat,
au Turkménistan).
Une mesure de la différence entre chaque paire de versions a
été réalisée, et les résultats ont été rassemblés dans une matrice.
La métrique utilisée pour calculer ces distances est la distance dite
de Jaccard (1901), plus adaptée au codage binaire adopté pour
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l’étude de 2014‑2015. Dans le cas des versions grecques, seule la
version d’Homère, qui est de loin la plus ancienne, a été retenue.
J’ai ensuite calculé le coefficient de corrélation existant entre,
d’une part, le degré de proximité de chaque version et des deux
versions les plus proches de chaque point d’origine proposé
(voire davantage lorsque plusieurs versions étaient rattachées à
un même lieu), d’autre part, la distance géographique séparant
chaque version du point d’origine postulé.
Deux méthodes ont été utilisées : : la corrélation de Pearson,
qui permet de calculer une tendance entre une variable expli‑
cative X et une variable à expliquer Y en établissant une droite
qui résume l’évolution de Y en fonction des valeurs de X, et la
corrélation de Spearman, qui n’implique pas que la corrélation
soit forcément linéaire. Au vu des fluctuations propres à l’his‑
toire du peuplement du monde, et compte tenu du fait que les
mouvements migratoires sont rarement unidirectionnels, cette
dernière corrélation pourrait en effet être plus adaptée. Les résul‑
tats sont donnés dans le tableau page suivante : plus la valeur
absolue du coefficient s’approche de 1 et mieux la corrélation
explique les variations internes des variables.

Calcul de la corrélation entre nombre de nœuds


et longueur des branches
Pour répondre à cette question, j’ai employé de
nouveau deux méthodes : la corrélation de Pearson et celle de

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Annexe de la première partie 371

Spearman. La relation linéaire moyenne (Pearson + Spearman)


entre la longueur des branches et le nombre de nœuds explique
entre 62,5 et 83 % de la variabilité totale observée (Pearson :
0,91 ; p = 2,15E-22 ; Spearman : 0,79 ; p = 6,77E-13).

Version Coefficient Coefficient Variabilité


servant de corrélation de corrélation moyenne
de point de (Pearson) (Spearman) expliquée par
comparaison la régression
(Pearson/
Spearman)
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Distance Kabyle – 0,74104 – 0,77336 42,46 / 57,7 %
d’Afrique (p = 8,1356E-07) (p = 1,3179E-07)

Homère – 0,56232 – 0,74694


(p = 0,00065929) (p = 5,9533E-07)

Distance Italien – 0,78088 – 0,77216 53,56 / 65,57 %


d’Europe (p = 8,2705E-08) (p = 1,4174E-07)

Basque 1 – 0,68816 – 0,78605


(p = 9,6002E-06) (p = 5,9396E-08)

Basque 2 – 0,77547 – 0,82088


(p = 1,1589E-07) (p = 4,9005E-09)

Basque 3 – 0,69776 – 0,83278


(p = 6,3768E-06) (p = 1,8442E-09)

Basque 4 – 0,7627 – 0,79405


(p = 2,4788E-07) (p = 3,4932E-08)

Basque 5 – 0,68615 – 0,85276


(p = 1,044E-05) (p = 2,9687E-10)

Distance Kirghize – 0,78509 – 0,7408 53,47 / 57,84 %


d’Asie (p = 6,3209E-08) (p = 8,2381E-07)
centrale
Abazines – 0,736 – 0,72167
(p = 1,0548E-06) (p = 2,142E-06)

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Annexe de la deuxième partie

Base de données sur laquelle s’appuie


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l’approche phylogénétique
Seules ont été retenues les sociétés non africaines de la
base de Yuri Berezkin, dont la distance géographique depuis un
point d’origine africain avait été donnée dans un article de Joaquim
Fort et Joaquim Pérez-Losada (2016), qui eux-mêmes reprenaient
une partie des données fournies par Quentin Atkinson (2011).

Effet de la distance géographique


sur la variabilité des mythes
Voici une présentation plus détaillée des résultats du
test utilisé pour calculer l’influence de la distance géographique
sur la variabilité des traditions (calculée grâce à une distance de
Jaccard). Les coordonnées géographiques retenues ont été celles
données par Yuri Berezkin.
La corrélation existant entre la distance géographique séparant
les différentes populations du point d’origine africain et la
distance statistique séparant les différentes traditions mytho­
logiques de la tradition la plus proche de cette origine africaine
explique entre 11,45 % et 58,16 % (corrélation de Pearson ;
p ≤ 0,02) et entre 8,63 % et 65,16 % (corrélation de Spearman ;
p ≤ 0,001) de la variabilité totale observée pour le corpus B,
et entre 8,26 % et 25,77 % (corrélation de Pearson ; p ≤ 0,05)
ou entre 4,48 % et 32,1 % (corrélation de Spearman ; p ≤ 0,05)
pour le corpus C.

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Annexe de la deuxième partie 373

À titre de comparaison, un test de Mantel a été réalisé en


s’appuyant sur le programme Sam 4 (Rangel et al., 2010) et en
utilisant une distance de Jaccard.
La distance géographique séparant les traditions explique
entre 4,12 % et 28,09 % de la variabilité totale observée (corré‑
lation de Pearson ; p < 0,02) pour le corpus B, et entre 5,76 %
et 50,55 % de la variabilité totale observée pour le corpus C
(corrélation de Pearson ; p < 0,01)1.
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Méthode de construction des arbres
de tradition
Dans le cas du corpus B (d’Huy, 2018), 80 000 000 arbres
ont été générés grâce au logiciel MrBayes 3.2.72 (Huelsenbeck et
Ronquist, 2001 ; Ronquist et Huelsenbeck, 2003) en s’appuyant sur
une méthode de Monte-Carlo par chaînes de Markov. Le premier
quart des arbres a ensuite été supprimé, et un seul arbre sur
10 000 a été retenu. Une synthèse, conservant les branchements
présents dans au moins 50 % des arbres, a ensuite été réalisée
(voir paramétrages et justifications dans l’annexe précédente).
L’adoption du modèle standard se justifie d’autant plus que nous
avons vu dans le chapitre 3 comment Yuri Berezkin et Jean-Loïc
Le Quellec utilisent la présence – mais aussi l’absence – géogra‑
phique d’un motif pour tirer des enseignements sur son histoire.
Dans le cas du corpus C (d’Huy, 2017b), plusieurs autres
méthodes ont été utilisées pour construire des arbres en
s’appuyant sur le logiciel PAUP* 4.0a149 (Swofford, 2002). Des
arbres ont ainsi été réalisés en employant la méthode UPGMA et
Neighbor-Joining, mais aussi en utilisant la fonction de recherche
heuristique du logiciel en se basant sur un critère de parcimonie
(réglages standard). Dans ce dernier cas, afin d’éviter d’éventuels
signaux conflictuels, seules les « sous-structures » présentes dans
l’ensemble de ces arbres ont été conservées. Le postulat retenu

1. Pour plus d’information, se référer à d’Huy (2017b, 2018a).


2. La version du logiciel dépend de la date à laquelle l’article a été publié.

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374 Cosmogonies

ici est que les mythologies évoluent de la façon la plus simple


possible sans qu’il soit nécessaire d’ajouter des hypothèses surnu‑
méraires pour rendre compte de leur histoire.
Les deux corpus ont servi à construire d’autres arbres grâce
au logiciel Mesquite 2.75 (Maddison et Maddison, 2006, 2011),
en se basant sur les versions où le plus grand nombre de motifs
avait été retenu. Dans le cas du corpus B, deux arbres, reposant
sur deux bases de données de taille différente (au moins 15 et
20 motifs), ont été élaborés et enracinés sur la tradition bulgare,
la plus proche d’Afrique pour ce corpus. Dans le cas de la partie
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C, le corpus de base utilisé pour construire l’arbre ne conservait
que les traditions mythologiques retenues dans l’arbre établi
par le logiciel PAUP* à partir des traditions possédant au moins
douze motifs en éliminant les traditions problématiques.
Pour chaque corpus, j’ai calculé les arbres les plus parci‑
monieux et le consensus majoritaire, autrement dit l’arbre ne
conservant que les branches apparaissant dans au moins 50 %
des arbres reconstruits (partie B, arbre 1 : synthèse des 276 arbres
les plus parcimonieux ; arbre 2 : synthèse des 280 arbres les
plus parcimonieux ; partie C : synthèse des 567 arbres les plus
parcimonieux – le nombre d’arbres les plus parcimonieux est
établi par le logiciel). L’utilisation de cette méthode implique
que les traditions mythologiques évoluent lentement, par petites
touches, ce que semblent sous-entendre les résultats obtenus
grâce à l’aréologie ou au structuralisme. Une méthode émondant
et regreffant les branches (méthode SPR) a ensuite été utilisée
afin de vérifier si l’organisation proposée pour chaque arbre était
la meilleure possible.
Réduit à leurs traditions partagées, le corpus B permet la
création de 105 arbres et le corpus C de 456 arbres, en utilisant
le logiciel Mesquite.

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Annexe de la troisième partie

Le récit du Soleil volé : corpus


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Les versions étudiées proviennent d’Afrique du Sud
(Kidd, 1996 : 339), de l’Égypte antique (Beatty et Gardiner, 1936),
des Tchouktches (Bogoras, 1902 : 57), des Koryaks (Bogoras, 1917 :
12‑23), des Lap-chas du Sikkim (De Beauvoir Stocks, 1925 : 40),
du Japon (Kojiki, 1.15) et de l’Inde antique (Rig-Véda, 1500‑900
av. J.-C.), de l’Inde moderne (Luomala, 1964 : 214), de la Lituanie
(Greimas, 1985), de la Finlande (Lönnrot, 1862), des Miao Hmong
de la Chine du Sud (Dan et Xuelang, 2006 : 68‑69 ; Vang et
Lewis, 1984 : 17), des Nootka (Boas, 1916 : 888‑892, 913‑914), des
Tlingit (Golder, 1907 : 292‑293 ; Swanton, 1909 : 3‑4), des Bella
Bella (Boas, 1916 : 883), des Kwakiutl (Boas, 1910 : 233‑235), des
Quileute (Farrand et Mayer, 1919 : 254‑255 ; Reagan et Walters,
1933 : 299‑300), des Cherokee (Mooney, 1900 : 253‑254), des
Creek (Swanton, 1929 : 123), des Nahuatl (Croft, 1957 : 327),
des Inuits de Sibérie (Coyaud, 2006 : 18‑20), des Yupik centraux
(Nelson, 1899 : 460‑462), des Gwich’in (Schmitter, 1910 : 26), des
Koyukon (Jetté, 1908‑1909 : 304‑305), des Deg Hit’an (Chapman,
1914 : 22‑26) et des Tahltan (Teit, 1919 : 204‑205).
Les mythèmes ayant servi à comparer les récits sont les
suivants : 1/ Soleil ; 2/ Feu (dans ce qui suit = soleil) ; 3/ Lune
(dans ce qui suit = soleil) ; 4/ Étoiles (dans ce qui suit = soleil) ;
5/ Lumière (dans ce qui suit = soleil) ; 6/ Aube (dans ce qui suit
= soleil) ; 7/ Soleil = déesse ou l’astre appartient à une jeune femme
très belle ; 8/ Le soleil n’existe pas encore ; 9/ Le soleil est caché ;
10/ Le soleil est volé ; 11/ Le soleil est protégé ; 12/ Le soleil se

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376 Cosmogonies

cache seul ; 13/ Le soleil est le dernier de son espèce ; 14/ Le soleil
se cache ou est caché suite à un outrage ; 15/ Le soleil se cache
ou est caché suite à un deuil ; 16/ Le soleil provoque un déluge ;
17/ Les dieux tentent de résoudre le problème ; 18/ Les dieux
s’associent aux humains ; 19/ Un animal vient voir le voleur/le
soleil ; 20/ Un dieu/un être divin vient voir le voleur/le soleil ;
21/ Un humain vient voir le voleur/le soleil ; 22/ Des cadeaux
sont envoyés ; 23/ Série d’épreuves pour atteindre l’endroit où
tenter de faire revenir le soleil ; 24/ Auxiliaires animaux ; 25/ Un
ou plusieurs messager(s) est envoyé ; 26/ Le ou les individus
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rejoignent l’endroit où le soleil est caché ; 27/ Le ou les posses‑
seurs du soleil sont invités à une fête ; 28/ Emploi de la magie
pour reprendre le soleil ; 29/ Emploi de la poésie/du chant pour
reprendre le soleil ; 30/ Emploi de la ruse pour reprendre le
soleil ; 31/ Emploi de bruits pour reprendre le soleil ; 32/ Emploi
de la danse pour reprendre le soleil ; 33/ Emploi de l’érotisme
pour faire revenir le soleil ; 34/ Emploi du rire pour faire sortir le
soleil ; 35/ Emploi d’un mariage (alliance) pour obtenir le soleil ;
36/ Emploi de la force pour faire sortir le soleil ; 37/ Emploi
de l’obéissance pour faire sortir le soleil ; 38/ Le lieu où est
enfermé le soleil est ouvert de l’extérieur ; 39/ Le lieu où est
enfermé le soleil est ouvert de l’intérieur ; 40/ Fuite par la
cheminée ; 41/ Fuite par la mer (canoë) ; 42/ Cache = grotte/sous
terre ; 43/ Cache = boîte/sac/cage ; 44/ Cache = île ; 45/ Cache
= demeure/château ; 46/ Cache lumineuse ; 47/ Cache = dans la
bouche du voleur ; 48/ Cache = pierre ; 49/ Cache = brindille ;
50/ Cache = ciel ; 51/ Le monde est plongé dans l’obscurité
et le chaos ; 52/ Le soleil est curieux ; 53/ Le soleil sort sans
l’aide de personne ; 54/ Le soleil est enfermé dehors ; 55/ Le
soleil est libéré ; 56/ Un voleur vole le voleur mais conserve le
soleil ; 57/ Le soleil enflamme un objet, ou est disséminé dans
divers objets, ce qui permet sa conservation ; 58/ Le soleil revient
définitivement ; 59/ Alternance du soleil et de la nuit ; 60/ La
lumière apparaît, la vie devient possible ; 61/ Retour du soleil
et obtention de quelque chose d’utile à l’homme ; 62/ Vache ;
63/ Le voleur/offenseur du soleil est puni ; 64/ Protagoniste

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Annexe de la troisième partie 377

= serpent ; 65/ Protagoniste = corbeau ; 66/ Protagoniste = grue ;


67/ Protagoniste = martin-pêcheur géant ; 68/ Protagoniste
= lapin ; 69/ Protagoniste = coq ; 70/ Protagoniste = vieille
femme ; 71/ Fuite avec le soleil ; 72/ Le soleil laisse des traces
sur le voleur ou explique une caractéristique actuelle du voleur ;
73/ Assemblée pour décider ce que l’on va faire ; 74/ Les hommes
viennent demander conseil ; 75/ Grossesse magique d’un allié du
possesseur du soleil ; 76/ Enfant déjà grand adopté par possesseur
du soleil ; 77/ L’enfant du possesseur du soleil réclame l’astre ;
78/ Un enfant libère le soleil ; 79/ Interdiction faite de toucher
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l’endroit où est caché le soleil ; 80/ Les premiers peuples sont
transformés en animaux à la vue du soleil.

Méthode de construction des arbres


Avec le logiciel Mesquite 2.75 (Madisson et Madisson,
2011), j’ai retenu, parmi tous les arbres possibles, les 1 000 ayant
nécessité le moins de changements évolutifs (principe de parci‑
monie). J’ai ensuite utilisé la méthode SPR pour tester ces arbres,
en permutant leurs parties afin d’obtenir le meilleur résultat
possible. Enfin, j’ai effectué la synthèse des résultats en ne
conservant que les « branchements » retrouvés dans l’ensemble
des arbres.
Pour étayer les résultats obtenus, j’ai généré 80 000 000 d’arbres
en utilisant une méthode de Monte-Carlo par chaînes de Markov
grâce au logiciel MrBayes 3.2.1 (Huelsenbeck et Ronquist, 2001 ;
Ronquist et Huelsenbeck, 2003). Seul un arbre tous les 10 000 a
été conservé, et le premier quart de cet ensemble a été supprimé
pour les raisons statistiques expliquées plus haut. Le reste du
paramétrage est identique à celui utilisé pour étudier les diffé‑
rentes versions du mythe de Polyphème (chapitre 2).
L’indice de rétention a été calculé pour les deux arbres grâce
au logiciel Mesquite 2.75. Quant à la protoforme du récit du Soleil
volé, elle a été reconstruite en m’appuyant sur l’arbre construit
en utilisant le même logiciel.

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378 Cosmogonies

Utilisation du logiciel Structure


L’algorithme bayésien Structure sert à reconstruire la
structure d’une population en se basant sur un ensemble de
gènes recombinés – autrement dit, des gènes hérités de plus
d’un parent (Pritchard et al., 2000 ; Falush et al., 2003). Il crée
un nombre K de groupes, auquel chaque échantillon analysé est
rattaché, soit complètement, soit en partie (si tel est le cas, sa
probabilité d’appartenir au groupe est donnée). Par ailleurs, pour
chaque taxon, il permet d’établir la contribution particulière de
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chaque groupe et la meilleure organisation du corpus.
Dans le cas de notre étude, le corpus a été divisé entre 1 et
15 groupes et, pour chacune de ces divisions, les calculs ont été
relancés à trente reprises, en considérant d’abord les 0 comme
des allèles non récessifs, puis comme des allèles récessifs. Dans
le premier cas, le 1 et le 0 ont même valeur, et l’absence d’un
motif dans une tradition est aussi importante que sa présence.
Dans le second cas, seul le 1 est porteur d’information, et non
le 0, qui « s’efface ».
J’ai adopté les réglages suivants : Length of Burnin Period :
1 000 000 ; Number of MCMC Reps after Burnin : 3 000 000 ;
Ancestry Model Info : Use Admixture Model – Infer Alpha – Initial
Value of ALPHA (Dirichlet Parameter for Degree of Admixture) :
1.0 – Use Same Alpha for all Populations – Use a Uniform Prior
for Alpha ; Maximum Value for Alpha : 10.0 ; SD of Proposal for
Updating Alpha : 0.025 ; Frequency Model Info : Allele Frequencies
are Correlated among Pops ; Assume Different Values of Fst for
Different Subpopulations – Prior Mean of Fst for Pops : 0.01 – Prior
SD of Fst for Pops : 0.05 – Use Constant Lambda (Allele Frequencies
Parameter) – Value of Lambda : 1.0 ; Advanced Options : Estimate
the Probability of the Data Under the Model – Frequency of Metropolis
update for Q : 10.
Pour établir la meilleure division du corpus, j’ai utilisé le
delta K, qui est basé sur le taux de changement dans la log-
vraisemblance des données entre les valeurs successives de K
(Evanno et al., 2005).

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Annexe de la troisième partie 379

L’indice de fixation (Fst), calculé à l’aide du logiciel Structure,


est d’ordinaire utilisé pour mesurer la différenciation génétique
d’une population par rapport aux autres, en s’appuyant sur le
polymorphisme génétique et en opposant la variabilité interne
à chaque ensemble à la variabilité produite par l’écart entre les
groupes. En génétique, un polymorphisme d’un seul nucléo‑
tide (SNP, single-nucleotide polymorphism) consiste en la varia‑
tion d’une seule paire de bases du génome entre individus
d’une même espèce. Une analyse de ces polymorphismes sur
les chromosomes homologues et à l’échelle mondiale a montré
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que l’indice de fixation moyen entre les populations humaines
autour du globe oscillait entre 0,052 et 0,130, ce qui indique‑
rait une variation de 5 % à 13 % en moyenne entre le matériel
autosomique de deux populations (Barbujani et Colonna, 2011).

Les mythes d’origine du feu


et de la matriarchie
Les arbres construits pour les mythes d’origine du feu
et de la matriarchie primitive l’ont été en utilisant la méthode
Bio Neighbor-Joining grâce au logiciel PAUP4.0a147 (Swofford,
2002 ; réglages standard). La méthode utilisée s’appuie sur une
matrice de distance et calcule la distance minimale de chaque
paire d’aires culturelles. Elle a l’avantage de rester efficace même
si les mythes, les traditions et les aires culturelles n’évoluent pas
de façon constante. Par ailleurs, elle a donné de bons résultats
pour reconstruire la phylogénie d’éléments culturels dont la
phylogénie réelle était connue (McMahon et McMahon, 2003).

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Annexe de la quatrième partie

Base de données sur laquelle s’appuie


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l’approche phylogénétique des traditions liées
à la sexualité (partie F du corpus de Yuri
Berezkin) et analyses subséquentes
À l’intérieur de l’ensemble F, seules les sociétés dont la
distance depuis l’Afrique était donnée dans un article de Joaquim
Fort et Joaquim Pérez-Losada (2016) et partageant chaque motif
(au minimum deux) avec au moins une autre tradition ont été
retenues (soit 122 sociétés pour 122 motifs). Un deuxième corpus
a ensuite été créé. À l’intérieur de celui-ci, les 29 sociétés (pour
105 motifs) possédant au moins 12 motifs, soit 1/10e du nombre
total de motifs analysés, ont été conservées.
Une matrice de distance a été établie (distance de Jaccard)
pour chacun des deux corpus, puis la distance statistique existant
entre le peuple le plus proche d’Afrique – soit la Turquie (corpus
1) ou la Bulgarie (corpus 2) – et les autres peuples a été mise en
relation avec la distance géographique des différentes popula‑
tions par rapport à l’Afrique. Le choix de ne prendre en compte
que les sociétés africaines s’explique par une volonté de ne pas
biaiser les calculs (voir partie 2).
Un test de Mantel a été réalisé entre les différentes populations
(les coordonnées sont celles retenues par Yuri Berezkin) en utili‑
sant le logiciel SAM (Rangel et al., 2010) dans le but d’évaluer
l’influence des versions géographiquement proches entre elles.
Afin de vérifier la principale origine géographique du contenu
de ces traditions, un arbre bayésien a été construit à partir du

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Annexe de la quatrième partie 381

corpus le plus complet en utilisant le logiciel MrBayes 3.2.7


(Huelsenbeck et Ronquist, 2001 ; Ronquist et Huelsenbeck,
2003). Le paramétrage adopté est le suivant : lset nst = 6 rates
= invgamma ; unlink statefreq = (all) revmat = (all) shape = (all)
pinvar = (all) ; prset applyto = (all) ratepr = variable ; mcmcp
ngen = 80 000 000 relburnin = yes burninfrac = 0.25 printfreq
= 10 000 samplefreq = 10 000 nchains = 4.
L’arbre a ensuite été enraciné de façon médiane. Si les tradi‑
tions liées à la sexualité s’organisaient selon un gradient allant
de l’Asie du Sud-Ouest vers les Amériques, et en acceptant
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l’hypothèse d’une évolution constante desdites traditions, alors
celles placées à la racine de l’arbre devraient appartenir aux plus
proches d’Afrique.
Le calcul de la corrélation de Pearson (corpus 1 : − 0,59916 ;
p = 3,0873E−12 ; corpus 2 : − 0,55759 ; p = 0,0016749) et de la
corrélation de Spearman (corpus 1 : − 0,66664 ; p = 5,2314E−17 ;
corpus 2 : − 0,68448 ; p = 4,219E-05) montre une forte influence
de la distance depuis l’Afrique sur la variabilité des traditions
mythologiques étudiées, expliquant de 31 % à 47 % de la varia‑
bilité totale observée. À titre de comparaison, l’influence de la
distance géographique seule sur chaque tradition oscille entre
7,5 % et 30 % (corpus 1 : Pearson : 0,274 ; p = 0,005 ; corpus 2 :
Pearson : 0,551 ; p = 0,001).
L’enracinement médian place en exogroupe les Bulgares,
les Roumains, les Russes, les Allemands, les Français et les
Finnois, soit (à l’exception des Adyghes et des Grecs antiques)
les traditions géographiquement les plus proches d’Afrique. Les
Adyghes, les Grecs antiques et les Mongols, également plus
proches d’Afrique que les autres traditions, sont situés à la base
de l’arbre de parcimonie réalisé grâce au logiciel Mesquite et
enraciné grâce au groupe précédent. Ces données, associées à
l’effet de la distance depuis l’Afrique, indiqueraient une diffusion
paléolithique de la majorité des motifs en même temps que le
premier peuplement de l’Eurasie.

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382 Cosmogonies

Méthode de construction des arbres


de la Femme-Oiseau
Plusieurs arbres ont été construits :
• grâce au logiciel MrBayes 3.2.1. (Huelsenbeck et Ronquist,
2001 ; Ronquist et Huelsenbeck, 2003), un arbre bayésien que
j’ai enraciné de façon médiane. Les réglages adoptés étaient : lset
nst = 6 rates = invgamma ; unlink statefreq = (all) revmat = (all)
shape = (all) pinvar = (all) ; prset applyto = (all) ratepr = variable ;
mcmcp ngen = 80 000 000 relburnin = yes burninfrac = 0.25 print‑
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freq = 10 000 samplefreq = 10 000 nchains = 4 savebrlens = yes.
• grâce au logiciel PAUP 4.0a149 (Swofford, 2002), un arbre Bio
Neighbor-Joining en utilisant un enracinement médian (réglages
standard ; optimisation MINF)
• grâce au logiciel Mesquite 2.75 (Maddison et Maddison,
2011 ; méthode SPR), un arbre de consensus majoritaire.
Les deux derniers arbres ont servi à reconstruire le proto‑
récit, en utilisant une méthode dite de parcimonie, à laquelle
s’adjoint, pour l’arbre de consensus majoritaire, la méthode dite
de probabilité maximale (méthode Mk1).

Méthode de construction des arbres


de la Ménagère mystérieuse
Deux arbres ont été créés, l’un, de consensus maximal,
grâce au logiciel Mesquite, l’autre, en utilisant la méthode Bio
Neihgbor-Joining, grâce au logiciel PAUP.

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Remerciements

D ire merci est essentiel, dire merci d’abord et


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être heureux de le dire à tous ceux qui m’ont
accompagné, aidé, supporté, écouté.
Merci à ma famille pour son soutien de tous les instants, et
en particulier à mon fils Victor pour l’énergie et la fraîcheur
qu’il m’a en permanence insufflées et à mon père.
Merci à Jean-Loïc Le Quellec, mon très cher directeur de thèse,
pour son écoute, sa patience, sa générosité, sa disponibilité et
pour tout ce qu’il m’a transmis, apporté, donné, me permettant
d’avancer, d’élaborer et d’enrichir ma réflexion.
Merci également à tous ceux qui m’ont aidé de près ou de
loin, qui m’ont profondément marqué et enrichi par leurs
connaissances et leur expérience, en particulier Delphine
Amstutz, Bruno Auerbach, Yuri Berezkin, Jean Clottes, Claudine
Cohen, Bertrand Defois, Frog, Bertrand Hirsch, Patrice Lajoye,
Guillaume Lecointre, Jean-Léo Léonard, François Macé, Gwenn
Rigal, Guillaume Oudaer, Marc Thuillard, Boris Valentin. Merci
à tous ceux qui m’ont accompagné dans mes questionnements,
mes recherches, mes travaux, sans le soutien desquels je n’aurais
pu progresser et concrétiser mes projets.
Merci aussi à ceux qui ont exprimé leurs désaccords, qui m’ont
donné à voir ce que je n’avais pas vu et ont fait évoluer ma
réflexion.

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Oppenheimer Jonas, Stewardson Kristin, Zhang Zhao, Jiménez Arenas Juan
Manuel, Toro Moyano Isidro Jorge, Salazar-García Domingo C., Castanyer
Pere, Santos Marta, Tremoleda Joaquim, Lozano Marina, García Borja
Pablo, Fernández-Eraso Javier, Mujika-Alustiza José Antonio, Barroso
Cecilio, Bermúdez Francisco J., Viguera Mínguez Enrique, Burch Josep,
Coromina Neus, Vivó David, Cebrià Artur, Fullola Josep Maria, García-
Puchol Oreto, Morales Juan Ignacio, Oms F. Xavier, Majó Tona, Vergès
Josep Maria, Díaz-Carvajal Antònia, Ollich-Castanyer Imma, López-
Cachero F. Javier, Silva Ana Maria, Alonso-Fernández Carmen, Delibes
de Castro Germán, Jiménez Echevarría Javier, Moreno-Márquez Adolfo,
Pascual Berlanga Guillermo, Ramos-García Pablo, Ramos-Muñoz José,
Vijande Vila Eduardo, Aguilella Arzo Gustau, Esparza Arroyo Ángel, Lillios
Katina T., Mack Jennifer, Velasco-Vázquez Javier, Waterman Anna, Benítez
de Lugo Enrich Luis, Benito Sánchez María, Agustí Bibiana, Codina Ferran,
Prado Gabriel de, Estalrrich Almudena, Fernández Flores Álvaro, Finlayson

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Hernández Pérez Mauro S., Llanos Armando, Carrión Marco Yolanda,
Collado Beneyto Isabel, López-Serrano David, Sanz Tormo Mario, Valera
António C., Blasco Concepción, Liesau Corina, Ríos Patricia, Daura Joan,
Pedro Michó María Jesús de, Diez-Castillo Agustín A., Flores Fernández
Raúl, Francès Farré Joan, Garrido-Pena Rafael, Gonçalves Victor S., Guerra-
Doce Elisa, Herrero-Corral Ana Mercedes, Juan-Cabanilles Joaquim, López-
Reyes Daniel, McClure Sarah B., Merino Pérez Marta, Oliver Foix Arturo,
Sanz Borràs Montserrat, Sousa Ana Catarina, Vidal Encinas Julio Manuel,
Kennett Douglas J., Richards Martin B., Werner Alt Kurt, Haak Wolfgang,
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Chandana Basu, Saag Lehti, Pocheshkhova Elvira, Andriadze George,
Muller Craig, Westaway Michael C., Lambert David M., Zoraqi Grigor,
Turdikulova Shahlo, Dalimova Dilbar, Sabitov Zhaxylyk, Sultana Gazi
Nurun Nahar, Lachance Joseph, Tishkoff Sarah, Momynaliev Kuvat,

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424 Cosmogonies

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Brucato Nicolas, Sudoyo Herawati, Letellier Thierry, Cox Murray P.,
Barashkov Nikolay A., Skaro Vedrana, Mulahasanovic Lejla, Primorac
Dragan, Sahakyan Hovhannes, Mormina Maru, Eichstaedt Christina A.,
Lichman Daria V., Abdullah Syafiq, Chaubey Gyaneshwer, Wee Joseph T. S.,
Mihailov Evelin, Karunas Alexandra, Litvinov Sergei, Khusainova Rita,
Ekomasova Natalya, Akhmetova Vita, Khidiyatova Irina, Marjanović Damir,
Yepiskoposyan Levon, Behar Doron M., Balanovska Elena, Metspalu Andres,
Derenko Miroslava, Malyarchuk Boris, Voevoda Mikhail, Fedorova Sardana
A., Osipova Ludmila P., Lahr Marta Mirazón, Gerbault Pascale, Leavesley
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Britton Kate, Knecht Rick, Arneborg Jette, Metspalu Mait, Cornejo Omar E.,
Malaspinas Anna-Sapfo, Wang Yong, Rasmussen Morten, Raghavan Vibha,
Hansen Thomas V. O., Khusnutdinova Elza, Pierre Tracey, Dneprovsky
Kirill, Andreasen Claus, Lange Hans, Hayes M. Geoffrey, Coltrain Joan,

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428 Cosmogonies

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Omar E., Moreno-Mayar J. Víctor, Korneliussen Thorfinn S., Pierre Tracey,
Rasmussen Morten, Campos Paula F., Barros Damgaard Peter de, Allentoft
Morten E., Lindo John, Metspalu Ene, Rodríguez-Varela Ricardo, Mansilla
Josefina, Henrickson Celeste, Seguin-Orlando Andaine, Malmström Helena,
Stafford Thomas, Shringarpure Suyash S., Moreno-Estrada Andrés, Karmin
Monika, Tambets Kristiina, Bergström Anders, Xue Yali, Warmuth Vera,
Friend Andrew D., Singarayer Joy, Valdes Paul, Balloux Francois, Leboreiro
Ilán, Vera Jose Luis, Rangel-Villalobos Hector, Pettener Davide, Luiselli
Donata, Davis Loren G., Heyer Evelyne, Zollikofer Christoph P. E.,
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Vivien, Luz Maria F., Ricaut Francois, Guidon Niede, Osipova Ludmila,
Voevoda Mikhail I., Posukh Olga L., Balanovsky Oleg, Lavryashina Maria,
Bogunov Yuri, Khusnutdinova Elza, Gubina Marina, Balanovska Elena,
Fedorova Sardana, Litvinov Sergey, Malyarchuk Boris, Derenko Miroslava,
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Joycelynn, Worl Rosita, Norman Paul J., Parham Peter, Kemp Brian M.,
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Michael, Villems Richard, Smith David Glenn, Waters Michael R., Goebel
Ted, Johnson John R., Malhi Ripan S., Jakobsson Mattias, Meltzer David

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Valborg, Yadav Rachita, Malaspinas Anna-Sapfo, White Samuel Stockton,
Allentoft Morten E., Cornejo Omar E., Tambets Kristiina, Eriksson Anders,

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430 Cosmogonies

Heintzman Peter D., Karmin Monika, Korneliussen Thorfinn Sand, Meltzer


David J., Pierre Tracey L., Stenderup Jesper, Saag Lauri, Warmuth Vera
M., Lopes Margarida C., Malhi Ripan S., Brunak Søren, Sicheritz-Ponten
Thomas, Barnes Ian, Collins Matthew, Orlando Ludovic, Balloux
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Mesa Natalia, García Luis F., Triana Omar, Blair Silvia, Maestre Amanda,
Dib Juan C., Bravi Claudio M., Bailliet Graciela, Corach Daniel, Hünemeier
Tábita, Bortolini Maria-Cátira, Salzano Francisco M., Petzl-Erler María
Luiza, Acuña-Alonzo Victor, Aguilar-Salinas Carlos, Canizales-Quinteros
Samuel, Tusié-Luna Teresa, Riba Laura, Rodríguez-Cruz Maricela, Lopez-
Alarcón Mardia, Coral-Vazquez Ramón, Canto-Cetina Thelma, Silva-Zolezzi
Irma, Fernandez-Lopez Juan Carlos, Contreras Alejandra V., Jimenez-Sanchez
Gerardo, Gómez-Vázquez María José, Molina Julio, Carracedo Ángel, Salas
Antonio, Gallo Carla, Poletti Giovanni, Witonsky David B., Alkorta-
Aranburu Gorka, Sukernik Rem I., Osipova Ludmila, Fedorova Sardana,
Vasquez René, Villena Mercedes, Moreau Claudia, Barrantes Ramiro,
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Bibliographie 431

Reidla Maere, Kivisild Toomas, Metspalu Ene, Kaldma Katrin, Tambets


Kristiina, Tolk Helle-Viivi, Parik Jüri, Loogväli Eva-Liis, Derenko Miroslava,
Malyarchuk Boris, Bermisheva Marina, Zhadanov Sergey, Pennarun Erwan,
Gubina Marina, Golubenko Maria, Damba Larisa, Fedorova Sardana, Gusar
Vladislava, Grechanina Elena, Mikerezi Ilia, Moisan Jean-Paul, Chaventré
André, Khusnutdinova Elsa, Osipova Ludmila, Stepanov Vadim, Voevoda
Mikhail, Achilli Alessandro, Rengo Chiara, Rickards Olga, De Stefano
Gian Franco, Papiha Surinder, Beckman Lars, Janicijevic Branka, Rudan
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434 Cosmogonies

Seguin-Orlando Andaine, Korneliussen Thorfinn S., Sikora Martin, Malaspinas


Anna-Sapfo, Manica Andrea, Moltke Ida, Albrechtsen Anders, Ko Amy,
Margaryan Ashot, Moiseyev Vyacheslav, Goebel Ted, Westaway Michael,
Lambert David, Khartanovich Valeri, Wall Jeffrey D., Nigst Philip R.,
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Vasilyev Sergey V., Veselovskaya Elizaveta, Gerasimova Margarita, Pavlova
Elena Y., Chasnyk Vyacheslav G., Nikolskiy Pavel A., Gromov Andrei
V., Khartanovich Valeriy I., Moiseyev Vyacheslav, Grebenyuk Pavel S.,
Fedorchenko Alexander Yu, Lebedintsev Alexander I., Slobodin Sergey B.,
Malyarchuk Boris A., Martiniano Rui, Meldgaard Morten, Arppe Laura,
Palo Jukka U., Sundell Tarja, Mannermaa Kristiina, Putkonen Mikko,
Alexandersen Verner, Primeau Charlotte, Baimukhanov Nurbol, Malhi
Ripan S., Sjögren Karl-Göran, Kristiansen Kristian, Wessman Anna, Sajantila
Antti, Lahr Marta Mirazon, Durbin Richard, Nielsen Rasmus, Meltzer

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Table

Préface 9
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Prélude 19

Premier mouvement
LE CYCLE DE LA TERRE

1. Polyphème 35

Une brève histoire des classements en mythologie


comparée 35
Un exercice pour comprendre 38
La généalogie des mythes 52

2. De l’approche phylogénétique


en mythologie comparée 64

Des mythes et des arbres 64


L’arborescence des mythes 69
Les arbres de Polyphème 78
Au-delà de l’arbre… 83
Comment s’est diffusé le mythe ? 89
Une évolution alternant stases et changements 92
Reconstruction du protorécit 103
Des mythes aux sociétés ? 106
Conclusion provisoire 109

Interlude. Le serpent gardien des eaux 113

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444 Cosmogonies

Deuxième mouvement
LE CYCLE DE L’EAU

3. Le Plongeon cosmogonique 127

Une histoire partagée des deux côtés du détroit


de Béring 131
L’interprétation géologique 132
L’interprétation psychanalytique 134
L’interprétation aréale 136
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L’interprétation structurale 140
Une version sibérienne du Plongeon cosmogonique 143
Des mythes en rapport de transformation 155

4.  Comment se transmettent les traditions


mythologiques 156

Création du monde et catastrophes cosmiques 156


Un arbre de traditions ? 168
Reconstruction de protomotifs mythologiques 174
Autour du Plongeon cosmogonique 174
Conclusion provisoire 191

Interlude. Le serpent a-t‑il volé le soleil ? 195

Troisième mouvement
LE CYCLE DU FEU

5. Le vol du feu 213

Soleil caché, soleil volé 214


Le feu à la source du soleil 225
Conclusion partielle 237

6. Les mythes de matriarchie primitive 239

Le matriarcat originel : un récit patriarcal 239


Une symbolisation fondatrice 244

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Table 445

Faire du mythe à partir du mythe 251


Se libérer des mythes ? 255

7. La maîtresse des animaux 258

Retour à Polyphème 259


Dans la caverne obscure 264
En résumé 277

Interlude. Du mythe au conte 279


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Quatrième mouvement
LE CYCLE DE L’AIR

8. Le récit de la Femme-Oiseau 293

Une alliance avec la surnature 294


Un peu de structuralisme 298
Une femme-oiseau aquatique 305
L’approche aréologique 312
Approche statistique des mythes
de la Femme-Oiseau 315
Différentes interprétations du récit 323

9. La Ménagère mystérieuse 329

La Ménagère mystérieuse et la Femme-Oiseau :


un groupe de transformation ? 330
Analyse statistique de la Ménagère mystérieuse 335
Exogamie et patrilocalité 339
La Femme donatrice 342

Final en mythe majeur 347

La sortie d’Afrique et le peuplement de l’Eurasie 351


Le peuplement des Amériques 358
Un lien entre les peuples 363

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446 Cosmogonies

ANNEXES

Annexe de la première partie 367

Arbre bayésien 367


Arbre de parcimonie 369
Calcul de l’effet de la distance depuis trois origines
possibles du mythe de Polyphème 369
Calcul de la corrélation entre nombre de nœuds
et longueur des branches 370
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Annexe de la deuxième partie 372

Base de données sur laquelle s’appuie


l’approche phylogénétique 372
Effet de la distance géographique sur la variabilité
des mythes 372
Méthode de construction des arbres de tradition 373

Annexe de la troisième partie 375

Le récit du Soleil volé : corpus 375


Méthode de construction des arbres 377
Utilisation du logiciel Structure 378
Les mythes d’origine du feu et de la matriarchie 379

Annexe de la quatrième partie 380

Base de données sur laquelle s’appuie l’approche


phylogénétique des traditions liées à la sexualité
(partie F du corpus de Yuri Berezkin)
et analyses subséquentes 380
Méthode de construction des arbres
de la Femme-Oiseau 382
Méthode de construction des arbres
de la Ménagère mystérieuse 382

Remerciements 383

Bibliographie 385

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