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LES RÉVOLUTIONS ALGÉRIENNES


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Arthur Doucy et Francis Monheim

LES

RÉVOLUTIONS
ALGÉRIENNES

Fayard
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Il a été tiré de cet ouvrage,


50 exemplaires surpapier Lafuma,
Hors commerce, réservés à l'auteur,
numérotés de 1à 50
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« ... on m'accuse de ce quej'ai fait, de ce


que je n'ai pas fait, et aussi des mêmes
actes pour lesquels on ne blâme pas les
autres, quand ce sont eux qui les font, et
pour lesquels même il arrive qu'on les
loue. »
HENRYDEMONTHERLANT.
Malatesta, ActeII, scèneV.
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Avant-propos

Pourquoi Les Révolutions algériennes?


Parce que, après le tempsde la guerre de libération —de 1955à
1962—et uneépoqued'incertitudes et de tâtonnements—de1962
à 1965 —, l'Algérie a entrepris plusieurs révolutions simultanées
et convergentes sur le plan institutionnel, économique et culturel.
Ce processus révolutionnaire est imaginé et mené à bien par
ceux-là mêmesqui ont conduit la lutte armée;pour lapremièrefois
sans doute dans l'histoire de l'émancipation du tiers monde, les
hommes qui ont maîtrisé les techniques de combat maîtrisent éga-
lement les techniques de gestion. Il y a entre la guerre d'Algérie
et les révolutions algériennes une continuité exemplaire.
Le présent ouvrage ne prétend pas décrire celle-là —d'autres
l'ontfait et ilfaut maintenant que des auteurs algériens lefassent
à leur tour —, mais il entendanalyser celles-ci.
Cette analyse est fondée essentiellement sur des sources algé-
riennes : l'étude systématique, depuis le 19juin 1965, de tous les
discours et de toutes les proclamations du chef de l'État, des
membres du Conseil de la Révolution et du gouvernement, ainsi
que de tous les textes du journal gouvernemental El Moudjahid
et de l'hebdomadaire du F.L.N. Révolution africaine. Elle est
fondée également sur les nombreux entretiens que nous avonspu
avoir tant avec leprésident et les membres du Conseil de la Révo-
lution et du gouvernement qu'avec les responsables du parti et
de l'économie algérienne. Elle résulte enfin d'un très grandnombre
de constatations et d'expériences que nous avons pu faire nous-
mêmes, tant à Alger qu'à l'intérieur dupays.
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Cependant, nous n'avons pas négligé pour autant les sources


non algériennes; enparticulier, nous avons eurecours aux sources
françaises, chaquefois qu'il nous semblait utile ou opportun de
lefaire.

Lorsque les éditions Arthème Fayard nousfirent la proposition


de consacrer un ouvrage à l'Algérie actuelle, ilfut beaucoup ques-
tion de l'intitulé de la collection dans laquelle ce livre viendrait
s'insérer: «En toute liberté. »
En toute liberté, c'est-à-dire en toute indépendance d'esprit,
enl'absence de toutpréjugéet endehors detoute démarcheconven-
tionnelle.
Nousavonsvouluregarder l'Algérie avecunregardneuf, aborder
cepays quisouleva tant depassions avec un esprit serein, observer
les révolutions algériennes avec unsouci constant d'objectivité.
Ceci n'est doncpas un ouvrage depolémique; ce n'est pas non
plus un livre d'histoire. C'est un livre essentiellement descriptif
et qui justifie cependant l'intitulé de la collection. Précisément
parce que les réalités algériennes sont si mal connues —et ont
été, hélas! si souvent trahies et déformées —, qu'il fallait faire
preuve de beaucoup d'indépendance d'esprit pour les observer et
les rapporter commenousavons voululefaire.
Bien souvent, on le verra, la simple énumération desfaits revêt
une valeur politique. Et c'est à dessein que nous avonspris pour
règle de n'accompagner d'aucun commentaire les enchaînements
de ce genre. Nous avons voulu qu'à travers tout notre travail,
l'analyse descriptive prenne le pas sur les motivations affectives.

De l'Algérie actuelle, on connaît surtout les aspects écono-


miques : la révolution industrielle et la réforme agraire ontfait
l'objet denombreusespublications. Par contre, ona trèspeu étudié
les structures et les mécanismes du pouvoir, tandis que la révo-
lution culturelle est ignorée par la plupart des auteurs. D'autre
part, la politique étrangère de l'Algérie a suscité souvent des
jugements sommaires et superficiels.
Nousavons voulupallier ces lacuneset cesouciexplique l'impor-
tance inégale des chapitres decet ouvrage.
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Nous avons consacré un chapitre entier à la révolution dans


le domaine des hydrocarbures. Bien entendu, ce problème relève
à la fois de la politique industrielle et de la politique étrangère
de l'Algérie, mais nous avons pensé que nous devions le traiter
séparément en raison, précisément, de cette double appartenance.
Enfin, dans le chapitre consacré à la politique extérieure, nous
avons apporté une attention particulière à l'analyse de l'attitude
algérienne dans la crise du Moyen-Orient.
La construction de cet ouvrage peut paraître classique et elle
l'est effectivement; mais elle répondsurtout à la logique des auto-
rités algériennes qui, après avoir mis en place les structures de
l'État, ont engagé celui-ci dans trois révolutions: industrielle,
agraire et culturelle. Par ailleurs, ces autorités ont toujours pro-
clamé que la politique extérieure de l'Algérie devait être le reflet
authentique de sa politique intérieure.

Tout au long des quinze mois que nous avons consacrés à l'éla-
boration de cet ouvrage, nous avons trouvé en Algérie un accueil
extrêmement chaleureux.
Nous remercions toutes les personnalités algériennes qui ont
bien voulu nous recevoir et nous aider dans nos recherches.
Enparticulier, nous avons été très sensibles à la confiance que
nous a témoignée M. Houari Boumediène, président du Conseil
de la Révolution.
Enfin, nousdevonsdire toute notre reconnaissance au Dr Ahmed
Taleb-Ibrahimi, ministre de l'Information et de la Culture, qui
nous a assistés de ses précieux conseils.
Nous ne prétendons nullement être les interprètes de nos amis
algériens. Nous voulons simplement apporter un témoignage sur
ce qu'ils sont, sur ce qu'ils réalisent et sur ce qu'ils entreprennent.
Nous espérons que ce livre contribuera à mieuxfaire connaître
les révolutions algériennes.
Nous terminerons cet avant-propos en exprimant notre affec-
tueuse reconnaissance à MmeMonheim-Bensmaïne qui a collaboré
auprésent ouvrage dupremier au dernierjour, de lapremière à la
dernièrepage.
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1.
Le pouvoir révolutionnaire

Un postulat est posé au départ de ce chapitre : la révolution


est source de tout droit et de tout pouvoir. Il ne peut y avoir de
légitimité ni de légalité en dehors d'elle. Et la légitimité révolu-
tionnaire s'inscrit pour la première fois dans les faits et dans
l'histoire de l'Algérie le 1 novembre 1954, jour du déclen-
chement de la lutte armée.
Dès les engagements initiaux avec l'armée française, les chefs
de l'insurrection proclamaient que leur objectif était de chasser
les occupants et d'opérer une véritable révolution en Algérie 1
Le Congrès deTripoli, en 1962, alla plus loin : «La révolution
démocratique populaire, c'est l'édification consciente du pays
dans le cadre des principes socialistes et d'un pouvoir aux mains
du peuple. Le développement de l'Algérie [...] doit être néces-
sairement conçu dans une perspective socialiste [...] » impli-
quant « l'abolition des structures économiques et sociales du
féodalisme et de ses survivances, et l'établissement de nouvelles
structures et institutions susceptibles de favoriser et de garantir
l'émancipation de l'homme et la jouissance pleine et entière de
ses libertés 2 ».
La Constitution de 1963, en son article 10, affirma que les
1. Cette double optionfut confirmée, enaoût 1956,par lesresponsables
de la lutte armée, au Congrès clandestin de la vallée de la Soummam.
Plate-forme dela Soummam,ElMoudjahid, n°4, 1962.
2. Programmedu Front delibération nationale, adopté à Tripoli par le
C.N.R.A., enjuin 1962,Annuaire del'Afrique du Nord, 1962,I, pp. 689-
694, C.N.R.S., Paris, 1964.
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objectifs fondamentaux de la République algérienne, démocra-


tique et populaire, étaient... « l'édification d'une démocratie
socialiste, la lutte contre l'exploitation de l'homme sous toutes
ses formes... ».
La Charte d'Alger, pour sa part, en 1964, précisa les traits du
socialisme algérien, indissociable du principe révolutionnaire 1
Le 5 octobre 1965, dans un discours à Djorf Torba, le prési-
dent Boumediène déclarait, au nom du régime qui venait d'être
institué :
« Le socialisme, c'est la justice, c'est la légalité, c'est la non-
exploitation de l'homme par l'homme. Le socialisme, comme
nousle concevons, c'est la victoire surl'ignorance, surla maladie,
sur le sous-développement social. »
La continuité est donc évidente : « La Révolution algérienne
est celle des masses et de l'avant-garde révolutionnaire », les
premièresinvestissantla secondedeleurconfianceetdeleurespoir.
C'est-à-dire que l'avant-garde révolutionnaire n'est rien sans
les masses, qu'elle doit être nationaliste, rigoureuse, organisée.
C'est-à-dire aussi que cette avant-garde ne peut être réduite à
un seul homme, à un « libérateur de la patrie » : elle reste sym-
bolisée par les chefs de la résistance armée contre la France.
Cette résistance armée contre la France reposait sur trois
grands principes : collégialité, organisation, révolution socialiste.
Dès l'indépendance, l'Algérie connut un certain nombre de
sursauts et s'engagea dans une politique qui s'écartait largement
des principes de la Révolution algérienne.
A un moment donné —le 19 juin 1965 —le Conseil de la
Révolution considéra que les chefs de la résistance armée, et
non plus le président Ben Bella, représentaient la légitimité
révolutionnaire. En conséquence de quoi, il démit le chef de
l'État de ses fonctions.
Le peuple algérien, qui avait fait confiance à ses chefs pour
vaincre l'armée coloniale, leur fit confiance, tout naturellement,
pour construire l'Algérie nouvelle. Il y eut désormais, répétons-
le, continuité parfaite : c'est toujours dans la logique révolu-
tionnaire.
1. RevueAlgérienne, septembre 1969,vol. VI, n°3. Soulier : «LeDroit
constitutionnel algérien. »
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Tel pourrait être le résumé de l'évolution du statut constitu-


tionnel de l'Algérie indépendante.
Depuis quinze ans, la formule évoquée par le président Bou-
mediène et à laquelle nous faisons référence plus haut : « La
révolution algérienne est celle des masses et de l'avant-garde
révolutionnaire », est toujours d'application. En effet, dans son
immense majorité, le peuple algérien a suivi les chefs de l'insur-
rection, a avalisé la destitution de Ben Bella, a approuvé la
politique menée par le Conseil de la Révolution et par le gou-
vernement algérien 1
Nous avons dit que le président Ben Bella ne représentait
plus, en 1965, la légitimité révolutionnaire et que le Conseil de
la Révolution avait décidé en conséquence, le 19 juin de cette
année-là, de mettre fin à cette équivoque, c'est-à-dire de prendre
le pouvoir politique afin de rétablir cette légitimité.
Que reprochaient les membres du Conseil de la Révolution
à Ahmed Ben Bella? Ils se sont expliqués dans les jours qui
suivirent le 19juin 1965 :
Ben Bella a trahi la révolution et, par conséquent, la lutte
armée; mais cette trahison se situe sur trois plans différents :
1. Ben Bella a voulu instaurer le pouvoir personnel; or la
collégialité avait toujours été la règle d'or de la révolution;
2. Il s'était entouré de conseillers étrangers; or, la révolution
algérienne est avant tout nationaliste et refuse toute ingérence
étrangère;
3. Ben Bella gouvernait dans l'improvisation, par la déma-
gogie et dans la confusion; or la lutte armée avait vaincu l'adver-
saire grâce à sa vigueur, son sérieux, son souci d'organisation.
Les accusations formulées contre le régime par le Conseil de
* la Révolution mettent en exergue les erreurs que veulent désor-
mais éviter les dirigeants algériens, en même temps qu'elles
éclairent le nouveau style de gouvernement.
Ces accusations, contenues dans les discours prononcés par
le président Boumediène, aunomduConseil, enétéet enautomne
1965,répondent à un souci évident de clarification et à unepréoc-
cupation permanente de redressement.
1. Un certain nombre de personnalités algériennes n'ont pas suivi le
mouvementdu 19juin, soit pour desraisons personnelles, soit par convic-
tions politiques.
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Le changement de régime a eu lieu sans heurts, sans manifes-


tations publiques et, de toute évidence, a suscité une satisfaction
teintée de lassitude, de soulagement aussi, pourrait-on dire.
Lepeuple algérien —et l'élite intellectuelle enparticulier —était
irrité, fatigué par le style fantasque, l'incohérence, la fausse
grandeur dela politique de BenBella.
L'influence sans cesse croissante des conseillers étrangers du
président était enregistrée avec amertume. De nombreux cadres
algériens avaient été écartés du pouvoir, et parfois mêmeempri-
sonnés, par Ahmed Ben Bella et son entourage. Dans sa procla-
mation du 19juin 1965, le Conseil de la Révolution s'exprimait
nettement à cet égard : «Les calculs sordides, le narcissisme poli-
tique et l'amour morbide du pouvoir trouvent leur meilleure
illustration dans la liquidation systématique des cadres du pays
et la criminelle tentative de discréditer les moudjahidine et les
résistants. »
La proclamation du Conseil de la Révolution rencontrait
d'ailleurs les sentiments de la population. Elle était impitoyable
pour Ben Bella, qualifié de dictateur diabolique et despotique.
Les accusations portées contre lui étaient concrètes : goût de la
mystification et de l'aventure, charlatanisme politique, laisser-
aller, optimisme béat.
Le Conseil de la Révolution tira les leçons d'un régime qui
avait risqué de conduire à la déliquescence de l'État :
« Il faut substituer la probité à l'amour du luxe, le travail
opiniâtre à l'improvisation, la morale de l'État aux réactions
impulsives, en un mot, il faut substituer un socialisme conforme
aux réalités dupays, au socialisme circonstanciel et publicitaire. »
Ce socialisme sans références aux réalités du pays, certains
conseillers étrangers, investis de la confiance de Ben Bella,
auraient voulu l'imposer à l'Algérie. Et c'est un autre reproche
quele président Boumedièneadressait le 30juin 1965àsonprédé-
cesseur :
« Durant ces trois dernières années, de nombreux aventuriers
se sont introduits dans notre pays, s'érigeant en conseillers, en
guides; des aventuriers qui, après leurs échecs dans d'autres
pays, ont voulu faire du nôtre un terrain d'expérience. »
« Pouvez-vous vous représenter, demandait-il en 1965 à
l'envoyé spécial de Al Ahram, qu'un parti révolutionnaire dans
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un pays révolutionnaire puisse être orienté et dirigé, et voir sa


politique tracée par des étrangers qui se gargarisent de mots
vides et jouent avec des slogans socialistes, tout en ignorant
absolument l'Algérie, sauf le bar de l'hôtel Aletti ou la terrasse
de l'hôtel Saint-Georges? »
A l'occasion du troisième anniversaire de l'indépendance, il
dressait, une nouvelle fois, le bilan de l'expérience Ben Bella.
Ce texte mérite d'être cité :
« Le règne de la mystification et des incertitudes a vécu. La
page est définitivement tournée.
« Les déviations morbides du pouvoir personnel ont profon-
dément altéré nos institutions.
« La confusion et la concentration du pouvoir, la liquidation
des cadres révolutionnaires ont érigé en système degouvernement
la politique de la docilité.
« En voulant museler et domestiquer les forces vives de la
nation, en sclérosant et en figeant les instances du pays, en vou-
lant créer le mythe de l'homme providentiel, le dictateur a violé
délibérément la légitimité révolutionnaire.
« Il en est résulté un triste héritage, la dilution de l'autorité
au sein de féodalités politiques ou administratives, une concep-
tion démagogique du socialisme, la déliquescence de l'État et la
paralysie du parti.
« La situation est aussi lamentable dans les domaines écono-
mique et social. Des actions spectaculaires isolées, des décisions
improvisées à la faveur de meetings ou de rencontres fortuites,
ne visaient en réalité qu'à conditionner psychologiquement les
masses ou les individus et à masquer l'incohérence et les contra-
dictions d'une politique néfaste de dilapidation des richesses
nationales et du budget de l'État. »
En même temps que l'avènement du pouvoir personnel, anti-
thèse de la légitimité révolutionnaire, la gabegie économique qui
régnait heurtait profondément de nombreuses personnalités
algériennes.
De 1962à 1965, l'économie avait été la proie «d'un socialisme
verbal », fait d'improvisations, de coups de tête, de décisions
spectaculaires mais inefficaces. A l'envoyé spécial du journal
égyptienAlAhram,le président Boumediènedemandait, le 8octo-
bre 1965 :«Quel intérêt représente pour le socialisme et le régime
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socialiste la nationalisation d'un petit restaurant ou d'un salon


de coiffure? Où est la planification? »
Au demeurant, il établissait le rapport entre le pouvoir per-
sonnel et les improvisations de Ben Bella sur le plan écono-
mique. Au journaliste égyptien qui lui avait dit sa conviction
que BenBellaétait socialiste, le président Boumediènerépondait :
« Dans l'esprit et le comportement de Ben Bella, le socialisme
n'était que le moyen d'assouvir sa vengeance à l'égard de ceux
qui s'opposaient à son pouvoir personnel et à son despotisme.
Au nom du socialisme, il confisqua les biens de certaines per-
sonnes et en épargna d'autres, sans raisons. Le socialisme doit
constituer un ensemble de mesures et de lois sérieusement plani-
fiées et applicables pour tous, sans distinction, mais il n'est pas
une collection de décisions improvisées ou de simples réactions
personnelles 1 »
Et derappeler quela distinction devait êtrefaite entre BenBella
et le socialisme algérien et que ce dernier ne pouvait être confis-
qué par quiconque. Le socialisme se confond avec la révolution
et la révolution avecle peuple. Lepeuple s'est exprimé autravers,
d'abord, dela lutte armée, ensuite dela construction d'un nouvel
État, d'une nouvelle société. « Le socialisme? Ce n'est certaine-
ment pas Ben Bella qui l'a créé en Algérie, déclarait le président
Boumediène. Non, le socialisme n'a pu et ne saurait résulter de
la volonté d'un seul individu. Il reste avant tout un impératif
que commande une réalité donnée; il est l'option profonde du
peuple. C'est le peuple algérien, avec sa révolution, ses martyrs,
sa conscience et ses intérêts, qui a choisi le socialisme, et c'est
la réalité algérienne qui a imposé objectivement le socialisme en
vue d'un avenir meilleur. »

LE REDRESSEMENTDU 19 JUIN
Lemouvement du 19juin entend mettre fin au déviationnisme
de Ben Bella, en rétablissant la continuité avec les grands
1. Enréalité, les critiques formulées à l'égard dugouvernement deBen
Bella portaient sur les déviations inconsidérées queson action personnelle
avait engendrées. Elles ne visaient pas les réformes de structure, mises
en place au lendemain de l'indépendance.
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principes de la lutte armée. Le président Boumediène l'annonce


au nom du Conseil de la Révolution, le jour du troisième anni-
versaire de l'indépendance algérienne : « Le sursaut révolution-
naire du 19 juin s'inscrit dans la logique historique de notre
révolution. En mettant fin au pouvoir personnel, le Conseil de
la Révolution a rétabli la légitimité révolutionnaire. »
Partant, il est le gardien de cette légitimité. Et c'est en cette
qualité qu'il a pu prendre une ordonnance, en date du 10juil-
let 1965, proclamant qu'il était « le dépositaire de l'autorité
souveraine ».
Cette autorité ne se discute pas : elle ne l'a jamais été pendant
les années éprouvantes de l'insurrection; elle ne l'a pas été dans
les jours qui ont suivi le 19 juin; elle n'a jamais été contestée
depuis lors, sauf par quelques individus isolés.
Pourtant, à la différence des régimes militaires qui se sont
institués dans d'autres pays, le régime du 19juin se garde bien
de ne chercher sa justification qu'en lui-même. Sa justification,
c'est l'idéal révolutionnaire, c'est l'intérêt du peuple, c'est la
nécessité de remplacer le socialisme de Ben Bella par « le socia-
lisme authentique » : celui qui fut élaboré au cours des Congrès
de la Soummam et de Tripoli.
Commémorant le onzième anniversaire du début de l'insurrec-
tion, le 1 novembre 1965, le président Boumediène déclare, en
effet :
« Le socialisme n'est pas cet ensemble incohérent de mesures
improvisées et de réactions personnelles qui n'ont donné au
peuple, pendant trois ans, qu'une idée erronée du socialisme.
Le socialisme est une construction longue et laborieuse qui exige
l'élaboration et la mise en œuvre d'un plan d'ensemble rationnel-
. lement établi, en fonction de toutes les données politiques, éco-
nomiques et sociales du pays. »
Les membres du Conseil de la Révolution estiment qu'ils
sont les mieux placés pour apprécier ces données. Non parce
qu'ils sont militaires, mais parce qu'ils ont conduit le peuple
à travers les écueils de la guerre de libération et que le peuple a
mis sa confiance en eux.
Bien entendu, si on analyse l'événement du 19juin, sur le plan
purement technique et selon les normes classiques de notre
droit public, il nous faut bien constater qu'il y a eu coup d'État
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militaire : le pouvoir a été retiré, en dehors des voies légales, à


ceux qui le détenaient en vertu de la Constitution. « Le coup
d'État, disent les auteurs, est l'action victorieuse d'une partie
des pouvoirs publics contre l'autre. »Deplus, la plupart de ceux
qui ont décidé de s'emparer du pouvoir en Algérie, le 19juin,
étaient ou avaient été des chefs militaires.
D'ailleurs, des voix se sont élevées enjuin 1965 pour affirmer
que le Conseil de la Révolution était « militariste et fasciste ».
Mais ces voix venaient de l'étranger où certains refusaient de
reconnaître deux faits essentiels. Le premier, que les dirigeants
de l'insurrection algérienne n'ont jamais formé et ne formeront
jamais ce qu'il est convenu d'appeler une caste militaire. Le
second, que Ben Bella et, surtout, ses conseillers étrangers
avaient trahi les principes essentiels de la révolution algérienne.
Nous avons insisté suffisamment sur ce dernier point, mais il
nous paraît judicieux d'approfondir le premier.
Il n'y a jamais eu de cassure entre l'armée algérienne et le
peuple algérien. Lapremière est le reflet et l'expression del'autre.
Si des dizaines de milliers d'Algériens ont pris les armes pour
combattre la domination française, ce n'était nullement par
amour de la guerre, mais par nécessité. Pour ces hommes et
pour ces femmes, la lutte armée était devenue la seule attitude
politiquepossible. Deshommestels queMM.Boumediène, Mede-
ghri, Bouteflika, Kaïd Ahmed et les autres membres du Conseil
de la Révolution n'avaient donc pas, à proprement parler, de
vocation militaire.
Bien au contraire.
Dès 1959, du cachot où l'administration coloniale l'avait
incarcéré à Fresnes, M. Ahmed Taleb-Ibrahimi écrivait à Claude
Roy : «Laissez-moi vous dire seulement que nous avons recouru
àla raison desarmesparce qu'il nesuffit pas d'avoir raison contre
l'injustice, la bêtise, la haine : il faut en avoir raison 1 »
Quelques mois plus tôt, d'une cellule de la Santé, Ahmed
Taleb écrivait à un ami français : « Nos actes de violence ont
répondu à un état deviolences »; et, tout en se défendant d'être
un partisan systématique de la violence, il ajoutait : « Je
1. Ahmed Taleb-Ibrahimi, Lettres de prison, 1957-1961, S.N.E.D.,
Alger, 1966. Lettre adressée à ClaudeRoy, le 10.1.1959, p. 43.
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n'admettrai jamais qu'on puisse répondre aux coups par la


bénédiction [...]. Les coups appellent les coups. Je ne suis pas
un disciple du Christ. Pour moi, le talion est une loi... »
Le peuple algérien fut acculé à la violence, dès 1830, par la
conquête militaire dont il était l'objet de la part de la France.
Et plus près de nous, en mai 1945, lors des événements de Sétif
où de 15000 à 25000 Musulmans (les chiffres réels n'ont jamais
été publiés)furent massacrés par l'armée française... Selon le mot
du président Boumediène, ce fut en ces journées de mai 1945
que « devant l'hécatombe, les masses populaires s'éveillèrent
aux vertus de la révolution »...
L'administration coloniale ayant choisi la répression comme
réponse à toute manifestation nationaliste, le peuple algérien
se réfugia dans la lutte armée.
Les éléments les plus conscients, les plus dynamiques, les plus
impatients aussi de la population algérienne se décidèrent donc
à prendre les armes, le 1 novembre 1954.
Mais, à partir de cette date, il n'y eut jamais de cassure entre
les militaires et les masses algériennes, qu'elles fussent rurales
ou citadines.
Pendant toute la guerre, il yeut osmose totale entre la popula-
tion et l'armée, qu'il s'agisse de l'armée des maquis ou de celle
des frontières.
La casbah d'Alger était le bastion de l'insurrection : le peuple
s'y confondait avec les combattants. Et dans l'intérieur du pays,
l'état-major français fut obligé de regrouper des millions de
fellahs et de les entourer de barbelés dans l'espoir de priver les
maquisards de leur meilleur appui et de leur soutien logistique.
Dans ce contexte-là, il serait erroné d'affirmer que l'Armée
de libération nationale constituait une classe à part. Elle était
le peuple d'Algérie. Et lorsque fut venue l'indépendance, elle
changea de nom et devint l'Armée nationale populaire.
EnAlgérie, l'armée a donc toujours été «le peuple en armes ».
Et c'est ce que le Conseil de la Révolution a rappelé dans sa
première proclamation —celle du 19 juin 1965 : « L'Armée

1. Ibid. Lettre écrite le 25.8.1958, p. 35. AhmedTaleb a été ministre de


l'Éducation nationale, puis del'Information et dela Culture dans le gou-
vernement Boumediène.
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nationale populaire, digne héritière de la glorieuse Armée de


libération nationale, ne se laissera [...] jamais couper du peuple
dont elle est issue et dans lequel elle puise à la fois sa force et
sa raison d'être. »
L'armée constitue donc, aux yeux des dirigeants algériens,
cette avant-garde révolutionnaire sans laquelle la révolution ne
se fera pas. La force dont elle dispose —les fusils et les chars —
ne peut être la source d'aucune sorte de légitimité. Par contre,
l'efficacité et l'intransigeance avec lesquelles l'armée a mené la
lutte de libération font d'elle la meilleure garantie de la légiti-
mité révolutionnaire.
Aufur et à mesure que se développe «l'expérience BenBella »,
les réticences de l'armée s'accentuent pour les raisons que nous
avons indiquées plus haut.
Les chefs militaires ont le sentiment que le président galvaude,
un à un, les acquis de la révolution. Le jeune État se liquéfie;
l'administration fonctionne mal; le parti est déchiré entre plu-
sieurs féodalités; il y a plus de 2000 prisonniers politiques dans
les prisons et, parmi eux, des centaines de militants; enfin, et
surtout, un homme seul s'arroge tous les pouvoirs, règne et
gouverne au mépris de la collégialité.
A la veille du premier Congrès du parti qui allait renforcer
l'emprise de Ben Bella et l'influence de ses conseillers étrangers,
le colonel Boumediène était vice-président du Conseil et ministre
de la Défense nationale; il était surtout le chef incontesté de
l'armée. En avril 1964, il donne une première fois sa démission à
Ben Bella. Il lui dit : « Nous ne pouvons plus collaborer avec
toi et supporter la responsabilité de tes erreurs vis-à-vis de notre
peuple et de notre conscience. » Ben Bella est abasourdi, car il
sait, mieux que quiconque, qu'il ne peut rien faire sans l'armée.
Il promet donc, selon le récit du colonel Boumediène lui-même,
d'en revenir « à la direction collégiale et à la politique de l'unité
des forces révolutionnaires1 ».
L'armée accepte finalement de lui laisser une dernière chance,
mais il ne la saisira pas.
L'année suivante, l'armée décide qu'il faut en finir : c'est le
sursaut du 19juin dont nous avons parlé plus haut.
1. AlAhram, octobre 1965.
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S'adressant aux cadres de la gendarmerie, le président Boume-


diène dira, dixjours plus tard : «Il y a des gens qui pensent que
c'est un renversement militariste; [...] nous leur disons que c'est
une action de militants, d'une élite de militants qui ne conçoit
pas la lutte dans les salons ou dans les capitales étrangères. »
Les auteurs du redressement du 19 juin n'ont donc pas agi
entant que militaires, mais en qualité demilitants d'élite.
Cela, les membres du Conseil de la Révolution ne cesseront
de le répéter. Les partisans de Ben Bella mettent publiquement
en doute ces propos, mais cela n'émeut pas les nouveaux diri-
geants; bien au contraire, ces réticences leur permettent de faire
les mises au point qui s'imposent. Al'envoyé spécial dujournal
Al Ahram, déjà cité, le colonel Boumediène fait une démonstra-
tion aussi sèche que désarmante :
« Le coup d'État militaire est en réalité une opération pure-
ment militaire menée par un groupe de militaires appartenant
à une armée classique en mal d'aventure et qui veulent prendre
le pouvoir pour servir leurs propres intérêts ou ceux des forces
réactionnaires qui leur prêtent appui et soutien dans le but de
satisfaire leurs intérêts politiques et économiques contre la
volonté du peuple.
« Nous ne sommes pas, quant à nous, une armée de merce-
naires.
« Nous sommes avant tout des militants, enfants de fellahs
et de travailleurs, intellectuels et nationalistes dignes de ce nom.
« Nous avons pris les armes sans aucune préparation militaire
au sens classique du terme pour combattre les colonialistes. Tels
furentleshommes quiont formél'ArméedeLibérationNationale
au cours de la guerre de libération et qui donnèrent le jour à
l'Armée Nationale Populaire après l'indépendance. Qui sont-ils?
Ils sont le peuple; ils sont la révolution; ils sont des militants
révolutionnaires qui ont eufoi quel'Algérie appartenait auxAlgé-
riens, et pris les armes, au nom du peuple, pour concrétiser cette
foi.
« S'ils se sont levés par la suite, persuadés qu'un risque de
déviationnisme menaçait la révolution pour laquelle un million
et demi de Chouhada parmi leurs parents, leurs frères et leurs
1. « Chahid »(pluriel «Chouhada »), martyr.
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sœurs, se sont sacrifiés; s'ils se sont levés pour redresser le dévia-


tionnisme, restaurer la légalité révolutionnaire et rendre aux
principes de la révolution toute leur valeur, il n'est pas possible
alors de qualifier cela de coup d'État militaire. Ils n'ont fait
qu'assumer leurs responsabilités révolutionnaires vis-à-vis de
leur peuple. »
Dès lors, que reste-t-il du coup d'État classique?
Les chars qui ont patrouillé dans les rues d'Alger, le 19juin,
pendant quelquesheures?Acela, le colonel Boumediènerépond :
« Ces chars ont patrouillé pendant deux heures seulement et
par simplemesuredesécurité contretoute tentative desabotage. »
Et puis, il pose lui-même une série de questions :
« A-t-on imposé l'état d'urgence ou décrété le couvre-feu,
ne serait-ce que pour une minute, sur l'ensemble du territoire?
Y a-t-il eu une campagne d'arrestations de grande envergure
contre les citoyens? Cinq arrestations ont été opérées en tout et
pour tout, après que furent libérés deux mille cinq cents détenus
politiques. »
La réponse à toutes ces questions étant « non », le colonel
Boumediènepeut revenir à sa proposition principale :le redresse-
ment du 19juin a été opéré au nom du peuple algérien et avec
son assentiment.

LE CONSEILDELARÉVOLUTION
ETLEPOUVOIR CONSTITUANT
Le 19juin 1965, le Conseil dela Révolution annonce sa propre
création. Laproclamation, signéeensonnompar Houari Boume-
diène, dit en substance : «UnConseildela Révolution a été créé.
Il a pris toutes les dispositions pour assurer, dans l'ordre et la
sécurité, le fonctionnement des institutions en place et la bonne
marche des affaires publiques. Par ailleurs, il s'attachera à réunir
les conditions pour l'institution d'un État démocratique sérieux,
régi par des lois et basé sur une morale, un État qui saura sur-
vivre aux gouvernements et aux hommes. »
Le 10juillet, le Conseildela Révolution publie une ordonnance
affirmant que, en attendant l'adoption d'une Constitution, il
est le dépositaire de l'autorité souveraine.
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Lemêmejour, le président présice :


« Les institutions de l'État, élaborées au sein d'instances
légitimes, permettront à la volonté populaire de s'exprimer et
de se donner une Constitution conforme aux principes de la
révolution et d'où sera extirpé tout germedepouvoirpersonnel. »
Ces trois textes indiquent que le Conseil de la Révolution
supprime, au nom de la légitimité révolutionnaire, la Constitu-
tion qui avait été adoptée en septembre 1963.
Pourquoi cette suppression? Parce que la Constitution de
1963, inspirée directement par Ben Bella, avait créé les condi-
tions juridiques qui allaient permettre à ce dernier de cumuler,
quelques mois plus tard, les fonctions de président de la Répu-
blique, de chefdu gouvernement, de secrétaire général du bureau
politique du F.L.N....
Or, on ne pourrait trop le rappeler, la révolution algérienne
a toujours été attachée au principe fondamental de la collégialité
et tout ce qui, de près ou de loin, relève du pouvoir personnel
prend automatiquement un aspect contre-révolutionnaire.
Et, si la légitimité révolutionnaire doit être rétablie, c'est
d'abord et surtout sur ce point-là.
Onpeut mêmepenser que, dans l'esprit des hommesdu 19juin,
la Constitution de 1963 n'a jamais existé, précisément parce
qu'elle trahissait un des fondements essentiels de la révolution.
C'est pourquoi l'ordonnance du 10 juillet 1965 stipule que le
Conseil de la Révolution est le dépositaire de l'autorité, « en
attendant l'adoption d'une Constitution ». Il n'est pas dit, «d'une
nouvelle Constitution ».
Le pouvoir, en Algérie, répétons-le, ne saurait être légitime
que par rapport à la révolution. Le droit algérien s'appuie sur
la légitimité rationnelle.
Or, si le mouvement du 19 juin se réclame de la révolution
—et seulement d'elle —, cela prouve à suffisance que cette
dernière est préexistante par rapport à lui
L'organe constituant n'est d'ailleurs pas le Conseil de la Révo-
lution, mais bien le peuple algérien lui-même qui doit s'exprimer
à travers le parti, le Front de Libération Nationale.
1. VoirGérard Soulier : « Ledroit constitutionnel algérien », in Revue
algérienne, vol. VI, n° 3, septembre 1969.
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Les programmes révolutionnaires, définis par le parti, sont la


source fondamentale du droit constitutionnel algérien.
Avant le 19juin 1965, le parti avait défini, à deux reprises, les
grandes lignes de ce droit : à Tripoli, enjuin 1962, et à Alger, en
avril 1964. Or, le 5juillet 1965, le président Boumediène déclare
que le Conseil dela Révolution reste fidèle «aux options fonda-
mentales contenues dans le programme de Tripoli et dans la
Charte d'Alger ».
Il nousparaît doncintéressantd'analyser brièvementlecontenu
de ces deux textes dont les pouvoirs constituants sont reconnus
par le gouvernement actuel.
Adopté par le Conseil National de la Révolution algérienne
(C.N.R.A.) au cours dela période qui sépare les accords d'Évian
de l'indépendance, le programme de Tripoli entendait assurer
la continuité entre la lutte de libération et l'édification de l'État.
« Lemotrévolution, lit-on dansceprogramme, aétélongtemps
employé à tort et à travers en l'absence de tout contenu précis.
Pourtant, il n'a cessé de galvaniser l'élan des masses populaires
qui, par instinct, lui ont donné un sens au-delà mêmedela guerre
de libération. Ce qui manquait, ce qui lui manque encore pour
mériter toute signification, c'est le support idéologique indispen-
sable. Pendant la guerre de libération, le mouvement de la lutte
a suffi pour propulser et drainer les aspirations révolutionnaires
des masses. Aujourd'hui qu'il s'est arrêté avec la fin dela guerre
et le rétablissement de l'indépendance, il importe de le prolonger
sans tarder sur le plan idéologique. Ala lutte armée doit succéder
le combat idéologique, à la lutte pour l'indépendance nationale
succédera la révolution démocratique populaire. »
Que sera cette révolution? Les auteurs du programme
répondent :
« La révolution démocratique et populaire consiste en l'édi-
fication consciente du pays dans le cadre des principes
socialistes. »
Quels sont ces principes socialistes? La construction d'une
société oùrègnent lajustice, la fraternité, l'égalité; la lutte contre
l'exploitation de l'homme sous toutes ses formes.
Comment arriver à ces objectifs? Par la création d'une écono-
mie nationale dont lagestion seraassurée par les travailleurs et
par la mise en œuvre de la réforme agraire.
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Quant à la Charte d'Alger, adoptée par le premier, et l'unique


Congrès national du parti, en avril 1964, elle développa la plu-
part des principes contenus dans le programme de Tripoli et
insista sur le fait que le F.L.N. devait se constituer en parti
d'avant-garde.
C'est ce dernier point que le mouvement du 19juin retiendra
de la Charte d'Alger.
En effet, si le programme de Tripoli est toujours considéré
commeun texte sacré, sorti du creuset dela lutte armée, la Charte
d'Alger, par contre, a été critiquée fréquemment par les membres
du Conseil de la Révolution.
Dans ses directives générales au parti, diffusées le 24 jan-
vier 1968,M.KaïdAhmed,responsable del'appareil de cedernier,
faisaitremarquerquelaCharte d'Alger, «élaborée sous l'influence
de forces et d'agents étrangers », avait eu pour effet « d'appro-
fondir le fossé qui séparait le pouvoir personnel, d'une part,
et les révolutionnaires authentiques demeurés fidèles aux réalités
nationales, d'autre part ».
« Du temps de Ben Bella, écrivait récemment encore M. Kaïd
Ahmed, le pouvoir central était détenu par un groupe cosmopo-
lite venu de tous les horizons et qui considérait l'Algérie comme
un laboratoire [...]. C'était l'époque où l'on croyait que le socia-
lisme s'instaurait à l'aide d'une baguette magique [...]. On pre-
nait un texte yougoslave et on le collait à l'Algérie sans même
l'adapter . »
C'est cet «aspect yougoslave » de la Charte d'Alger (il s'agit
d'une image, bien entendu) que les membres du Conseil de la
Révolution ne peuvent admettre. Précisément, parce qu'ils
estiment que la Constitution doit être formulée par le peuple
algérien et par lui seul.
Nous disons bien par le peuple, le peuple tout entier.
Il faut répéter ici que le Conseil de la Révolution ne s'est
jamais arrogé le droit d'établir ou d'octroyer une Constitution
au pays. Il s'est engagé, bien au contraire, à créer à tous les
niveaux des institutions démocratiques permettant au peuple
de s'exprimer, de formuler ses propres lois et de se donner,

du12.6Kaï
madi A
19h7m
0.ed, dans la tribune libre de l'hebdomadaire Jeune Afrique
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en temps voulu, la Constitution qu'il désire et qu'il mérite.


Dès lors, la proclamation du 19 juin et l'ordonnance du
10 juillet 1965 ont pour but essentiel d'organiser une période
transitoire, pendant laquelle l'institutionnalisation de la nation
algérienne doit se faire progressivement.
Ce processus, dont la durée n'a jamais été précisée, se pour-
suit depuis le 19juin 1965.
D'ores et déjà, toutes les assemblées communales et de wi-
layate 1ont été installées, instaurant ainsi la démocratie politique
au niveau local et départemental.
En effet, ces assemblées sont élues au suffrage universel; les
candidats à l'élection sont désignés par le parti, ce qui est
normal dès l'instant où l'on considère que celui-ci regroupe
toutes les élites révolutionnaires de la nation. Les assemblées
désignent leur exécutif, dont les pouvoirs ont été définis par le
Conseil de la Révolution 2
Ce dernier envisage de compléter les institutions en étendant
le processus de démocratisation au plan national.
Les étapes suivantes seront donc la réunion d'un Congrès
national du parti et l'organisation d'élections générales qui
permettront d'installer l'Assemblée Nationale.
Les dirigeants algériens sont soucieux d'associer largement
l'opinion publique aux décisions qu'ils prennent dans le cadre
des grandes options nationales.
Normalement, ces options sont définies soit par le Conseil
de la Révolution, soit par le parti, soit par le gouvernement.
Mais après publication d'un premier texte d'orientation, la
discussion publique est ouverte. On multiplie les conférences
de cadres ou de militants, la presse nationale diffuse abon-
damment des lettres de lecteurs, des tables rondes sont orga-
nisées à la radio et à la télévision.
Ce processus, qu'un dirigeant du parti a qualifié de démo-
cratie sauvage, a été appliqué à toutes les décisions importantes,
aux réformes essentielles du régime : réforme agraire, arabi-

1. 691 assemblées communales et 15 assemblées de wilayate.


2. Le parti désigne deux fois plus de candidats qu'il y a de sièges à
pourvoir. Ala fin du chapitre, nous analysons les structures communales
et de wilayate.
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sation, charte de l'entreprise, démocratisation de l'enseigne-


ment, etc.
C'est ainsi qu'il faut signaler l'importance croissante du
Conseil National Économique et Social (C.N.E.S.), organe
consultatif, appelé à fournir au gouvernement tout avis ou
recommandation qu'il juge utile dans les domaines économique
et social. Présidé par M. Chérif Belkacem, membre du Conseil
de la Révolution et ministre d'État, le C.N.E.S. se propose
d'être « une chambre de travail et de réflexion et non pas une
académie savante ». Selon M. Belkacem, « le Conseil national
peut jouer son rôle grâce à la compétence et à la diversité de
provenance de ses membres, puisqu'il regroupe à la fois des
responsables politiques et syndicaux à l'échelle locale ou natio-
nale, des responsables de l'administration centrale, des chefs
d'entreprise et des universitaires ».
Il faut noter également qu'au niveau professionnel et dans le
domaine de la marche des entreprises, la décentralisation et la
démocratisation des décisions sont imposées par la Charte de
l'organisation socialiste des entreprises, qui entend faire du
travailleur «un producteur responsable dela gestion de la société
qui l'emploie »
Sur le plan politique, on vient de le voir, le processus de la
démocratisation des décisions a été largement entamé; mais en
attendant que toutes les institutions soient mises en place, le
Conseil dela Révolution demeure l'institution politique première
et souveraine.
Gardien de la légitimité révolutionnaire et dépositaire du
pouvoir souverain, il exerce les attributions que la Constitution
de 1963 avait dévolues aux organes élus par le peuple : l'Assem-
blée Nationale et le président de la République. De plus, il a la

1. LeConseildela Révolutionet le gouvernementontconsacrédenom-


breusesséancesdetravailàcettecharte,dontleprojetaétédiscutéauniveau
du Parti, des assemblées communales, du syndicat et des entreprises elles-
mêmes.Lestextesrelatifs àcetteréformefondamentale desentreprises ont
été signés parle président Boumediènele 16novembre 1971.Letexte dela
Charte,les lois etles ordonnances d'application ontété publiéspar le Jour-
nal officiel de la République algérienne, le 13 décembre 1971. (10 année,
n° 101). Ontrouvera le texte intégral dela Charte del'organisation socia-
liste desentreprises dans l'annexe 1duprésent ouvrage.
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haute main sur le pouvoir créateur (le Parti) et sur le pouvoir


exécutif (le gouvernement)1.
Le président du Conseil de la Révolution est également le
chef du gouvernement et le chef de l'État, mais la collégialité
est strictement appliquée au niveau de la décision politique.
Le premier grand principe de la révolution a donc été remis
en vigueur le 19 juin 1965 et il a été appliqué scrupuleusement
depuis lors.
Instance suprême du pouvoir créateur et du pouvoir exécutif,
le Conseil de la Révolution constitue également la plus haute
autorité judiciaire du pays.
Non pas que les tribunaux ordinaires aient été supprimés :
l'appareil judiciaire, réorganisé et simplifié par une ordonnance
du 15juin 1966, fonctionne normalement.
Mais le Conseil de la Révolution a créé, de plus, trois cours
spéciales et une cour révolutionnaire, qui doivent connaître des
atteintes à la sûreté de l'État.
Lorsque ces atteintes sont d'ordre économique —malversa-
tions commises au détriment du patrimoine national par des
personnes qui occupent des fonctions publiques —,elles relèvent
d'une des trois cours spéciales. Fait significatif, ces cours ne
sont pas présidées par un magistrat, mais par un représentant
du parti.
Le parti représente le peuple, or c'est le peuple qui a été lésé,
par conséquent il appartient au peuple, donc au parti, dejuger.
La cour révolutionnaire, quant à elle, doit connaître des
atteintes directes à la révolution : complot contre la sécurité de
l'État, rébellion militaire, etc. Cette cour est présidée par un
membre du Conseil de la Révolution et c'est également un
membre du Conseilqui accuse et qui requiert.
Cela est en conformité avec la logique de l'économie géné-
rale du régime algérien : détenteur absolu de la légitimité révo-
lutionnaire, le Conseil de la Révolution ne peut déléguer à
personne l'appréciation des atteintes à la révolution.

1. Abderrahmane Remili : Les Institutions administratives algériennes,


S.N.E.D., Alger, 1967.
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LE PARTI, LÉ
' TAT, LEGOUVERNEMENT
Durant la guerre d'indépendance, le F.L.N. s'est identifié
au peuple algérien.
A cette époque, par conséquent, il est infiniment plus qu'un
parti politique, il est le symbole et l'expression concrète du
combat. Il est donc, très exactement, ce que M. Bedjaoui a
appelé «un parti-nation » par lequel l'Algérien «membre d'une
nation est devenu simplement synonyme de Frontiste membre
d'un parti ».
Aucun problème de légalité ne se posait : seule comptait la
légitimité, et celle du F.L.N. était incontestable puisqu'elle se
confondait avec la légitimité de la révolution.
L'autorité n'était pas mise en cause : les chefs de l'insurrec-
tion disposaient naturellement de tous les pouvoirs.
La situation du F. L. N. était donc relativement simple. Il y
avait identité entre le parti et le peuple algérien en lutte; le loya-
lisme vis-à-vis de la révolution ne pouvait s'exprimer qu'à
travers le loyalisme vis-à-vis du F.L.N.; au sein de celui-ci, il
ne pouvait y avoir de cassure entre les civils et les militaires :
en principe, tout le monde se battait. Enfin, les chefs de l'armée
étaient les dépositaires de tous les pouvoirs en tant que repré-
sentants de la nation.
Pourtant, l'unité va s'effriter lorsque la lutte armée atteint
son but : l'indépendance.
M. Kaïd Ahmed a rappelé en 1968 2ce que fut la crise inter-
venue en été 1962 :
« Certains politiciens, qu'il s'agisse de ceux sortis des prisons
ou de ceux revenus de l'exil, devaient se livrer une âpre lutte
en vue de se placer à l'avant-scène du pouvoir.
« Mais il y avait un obstacle majeur à éliminer, en l'occur-
rence l'avant-garde homogène que constituait l'A.L.N.
« Dès lors, un grave dilemme se posait aux chefs de l'Armée

1. M.Bedjaoui : La Révolution algérienne et le droit, Association inter-


nationale desjuristes démocrates, Bruxelles, 1961.
2. Directives générales du 23.1.68, in Revue algérienne, vol. V, n° 3,
septembre 1968, pp. 803et suiv.
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de libération : " Fallait-il se résigner à une abdication injustifiée,


à un effacement de l'armée incompatible avec son passé glorieux
et sa force présente et reculer ainsi devant les prétentions de
certains politiciens? "
«Fallait-il, par contre, s'y opposer et déclencher "le processus
d'une guerre civile où il n'y avait d'intérêt que pour les aven-
turiers politiques à l'intérieur et les impérialistes à l'extérieur" ?»
Il fallait une issue, un moyen terme « [...], trouver une for-
mule parmi les nombreux symboles préfabriqués et choisir la
solution qui ne risquât pas de bousculer une opinion publique
traumatisée par les événements douloureux qu'elle venait de
vivre et qu'elle vivait encore du fait du terrorisme de l'O.A.S.,
[...] une opinion subjuguée par la propagande et l'orchestration
politique étrangères ».
La formule trouvée, l'expérience fut tentée, « de la façon la
plus loyale et la plus honnête qui soit ».
« Mais très vite, il devint évident que le pouvoir personnel
se précisait et s'instaurait avec ses premiers symptômes, avec
ses premières manifestations. Bientôt, sous l'influence de forces
occultes, florissaient autour de lui des aventuriers politiques
de tous bords.
«Agents del'étranger, traîtres àleur patrie, apatrides devinrent
sa force de frappe, une force destinée à éliminer l'effectif de la
révolution. L'appareil du parti et ses organisations de masse,
les rouages de l'État furent littéralement envahis par cette
couche qui s'est aisément confondue avec celle des opportu-
nistes et des arrivistes introduits durant la période de l'exécutif
provisoire.
« On comprend, dès lors, pourquoi il n'a jamais été question,
avant le 19juin, d'organiser rationnellement le parti sur des bases
solides, ce qui en aurait fait inévitablement un appareil de
contrôle et un cadre de discussion [...]. » « Or, le pouvoir
personnel, en l'occurrence un homme jaloux de ses préroga-
tives, ne pouvait s'accommoder ni de l'un ni de l'autre de ces
attributs 1 »
C'est ce que le Conseil de la Révolution a dénoncé le 19juin
1965 :
1. Directives générales du 24janvier 1968, op. cit.
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« Après trois années de souveraineté nationale, le pays se


trouve livré aux intrigues tramées dans l'ombre, à l'affronte-
ment des tendances et des clans ressuscités pour les besoins
d'une vieille astuce de gouvernement : diviser pour régner. »
Cette astuce, Ben Bella l'a utilisée à l'intérieur du parti, il
s'en est servi pour séparer le parti du gouvernement.
Le Conseil de la Révolution, dès sa création, entend remettre
les choses en place, clarifier la situation et indiquer à chacun les
responsabilités qu'il doit assumer et les droits qui lui reviennent.
Le président Boumediène s'y emploie dès le 5 juillet 1965.
Il affirme que le mouvement du 19juin entend assurer la péren-
nité de la révolution « en redonnant au parti, le F.L.N., son
véritable rôle d'avant-garde révolutionnaire et en instituant
un État sérieux et organisé ».
« Le F.L.N., dit encore le président, sera un parti dynamique
d'avant-garde révolutionnaire, fonctionnant selon les règles
du centralisme démocratique et formé de militants éprouvés.
Il aura pour tâche, conformément au programme de Tripoli
et à la Charte d'Alger, d'élaborer et d'orienter, d'animer et de
contrôler, non de gérer ou de se substituer à l'État. »
Le président du Conseil de la Révolution enchaîne d'ailleurs
avec une description del'État, tel qu'il veut le créer : «Il importe
de construire un État fondé sur une morale et un engagement
social réel, dans le respect de nos valeurs arabes et islamiques.
Il nous faut moraliser nos institutions, construire un véritable
appareil d'État efficace, capable d'assurer la discipline et l'ordre
révolutionnaire et capable de soustraire les agents de l'État et
de l'administration à toutes formes de pressions ou de sollici-
tations. L'action étatique sera assurée dans la continuité grâce
à la stabilité, à la technicité et à l'efficacité d'une administration
dynamique... »
Le parti est la force motrice, dont les vertus principales sont
le souci d'unité et la fidélité à la révolution. L'État est l'instru-
ment d'exécution, pour lequel l'efficacité compte avant tout :
entre les deux, il ne peut y avoir ni rivalité ni opposition, mais,
bien au contraire, une complémentarité absolue.
Le président Boumediène ne cessera de le répéter et d'en sou-
ligner l'importance. Il le dira, notamment, lors de la présentation
du nouveau gouvernement, le 12juillet 1965, et lors de l'installa-
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tion du secrétariat exécutif du parti, huit jours plus tard, le


20 juillet.
Il est important de citer ces textes. D'abord, parce qu'ils
contiennent des indications précieuses sur les intentions et la
philosophie des membres du Conseil de la Révolution; ensuite
— et surtout — parce qu'ils sont en application depuis l'été
1965.
Le 12 juillet 1965, donc, le président Boumediène présente
à la nation le gouvernement dont il est chef et qui doit être le
pouvoir exécutif pour la réalisation des objectifs économiques
et politiques, ou encore, la base d'un État fort, « caractérisé
par le sérieux et l'amour de l'organisation ».
Conformément au principe de la collégialité du pouvoir, le
gouvernement prendra toutes les décisions importantes en
Conseil des ministres.
Quant à la politique générale du gouvernement, elle est définie
comme suit : « Porter remède aux abus du pouvoir personnel,
sauvegarder la sécurité, maintenir l'ordre, consolider l'indé-
pendance nationale, assurer l'édification de l'économie du pays
sur des bases conformes aux véritables possibilités de l'Algérie,
édifier une société socialiste authentique. » « ... Défendre les
intérêts de la majorité écrasante du peuple, que constituent
les masses laborieuses et déshéritées. »
Organe exécutif, « réalisateur » de la révolution, l'État a
besoin d'énergie créatrice et motrice qui l'oriente, le stimule,
le contrôle. C'est ce que le président Boumediène affirme le
20 juillet 1965, lors de l'installation du secrétariat exécutif du
parti. Or, dans l'esprit des membres du Conseil de la Révo-
lution, « cette énergie politique, c'est le parti : le parti est l'appa-
reil politique dynamique qui incarne la volonté du peuple, la
transmet et en assure la considération ». La décision part de
la base.
Mais la base ne signifie pas nécessairement la masse.
La Charte d'Alger avait affirmé, déjà, que le parti devait
constituer l'avant-garde, le fer de lance de la révolution. Le
président Boumediène rappelle, quant à lui, que le parti doit
regrouper les militants révolutionnaires véritables : « Ceux qui
ont consacré leur vie à la libération de la patrie et qui, main-
tenant, la consacrent à l'édification de l'Algérie socialiste. »
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Il est évident que les deux tâches seront assumées par des
hommes différents, au fur et à mesure que le temps passe, mais
le parti doit précisément assurer la continuité, la filiation entre
les premiers et les seconds.
Le parti, dit encore le président Boumediène, a eu pour mission
première d'animer la lutte contre la domination coloniale;
désormais, il doit « poursuivre la construction du socialisme
en luttant contre le sous-développement, en assurant l'élévation
du niveau de vie des masses, l'accroissement du bien-être et la
justice sociale ».
Il ajoute : « Le parti doit enfin veiller à l'application d'une
stricte austérité, en premier lieu, dans son propre train de vie;
il ne peut se permettre de vivre au-dessus des moyens de la
nation 1 »
En effet, le F.L.N. avait perdu son auréole révolutionnaire
et était devenu impopulaire. « Le parti, explique le président,
a été discrédité par un esprit policier, générateur de méfiance,
de crainte et de suspicion; il a été alourdi par une bureaucratie
pléthorique et paralysante. »
Ce parti, transformé en administration parallèle quand ce
n'était pas en police parallèle, le mouvement du 19 juin enten-
dait le réhabiliter.
S'adressant, le 4 décembre 1965, à ses cadres, le président
déclare : « Le parti est la base de tout, la source de tout pou-
voir. »
Tel est le schéma idéal, bien entendu. Car, dans la pratique
des choses, le président Boumediène et les responsables suc-
cessifs du parti, MM. Cherif Belkacem et Kaïd Ahmed, n'ont
jamais caché que la réorganisation du F.L.N. s'avérait être une
opération extrêmement délicate.
Pour quelle raison? A cause de la relative désaffection des
cadres à son égard. Le président l'a dit explicitement le 31 oc-
tobre 1969 : « L'engagement révolutionnaire des cadres n'est
pas aussi parfait que nous l'aurions souhaité. En d'autres
termes, si l'adhésion a été unanime et totale à l'objectif de la

1. Allusion aux excès dont le F.L.N. s'était rendu coupable sous Ben
Bella : entretien decentraux...
seuls organismes plus de 8000fonctionnaires et de400véhicules pour les
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libération, l'édification de l'Algérie socialiste et révolutionnaire


a suscité et suscite encore auprès des cadres des opinions contra-
dictoires. »
« Cette crise de confiance et ce manque d'enthousiasme
peuvent s'expliquer par les séquelles de la période d'anarchie
et de confusion qui s'est prolongée de juillet 1962 à juin 1965,
mais également par le fait que les cadres sont trop absorbés
par leur labeur quotidien. Ils travaillent énormément et la plu-
part d'entre eux estiment qu'ils doivent consacrer tout leur
temps et toute leur énergie aux impératifs techniques, à la gestion
qui leur est confiée, soit dans le domaine administratif, soit sur
le plan économique ou industriel. Les liens administratifs seuls
ne répondent pas aux exigences de la révolution. » « Il faut
que tous les cadres s'intègrent dans le parti d'avant-garde. C'est
une question d'emploi du temps, sans doute, mais c'est surtout
une question d'état d'esprit. »
Il constate aussi que « la proportion des cadres ayant présenté
leur demande d'adhésion au parti est infime ». C'est pourquoi
le Conseil de la Révolution envisage d'obliger tout cadre mili-
tant à participer aux activités du Front de Libération Natio-
nale.
Il leur lance un dernier avertissement : « A ceux qui manquent
d'engagement et ne défendent la politique du pays ni ouverte-
ment, ni en secret, je dirai simplement : vous avez le droit de
travailler, mais pas au niveau des directions vitales où les res-
ponsabilités ne seront assumées, désormais, que par des citoyens
remplissant les conditions requises. » Or ces conditions passe-
ront par l'adhésion active au F.L.N.
Et, à cet égard, M. Kaïd Ahmed utilise une formule lapidaire :
« C'est aux cadres de demander l'adhésion au parti et non au
parti d'aller chercher les cadres! »
Lorsqu'ils parlent de la désaffection relative des cadres à
l'égard du parti, les membres du Conseil de la Révolution se
gardent bien d'inclure les militaires dans leurs critiques. D'abord
parce que, comme l'affirme le chef de l'État, l'organisation du
parti au niveau de l'armée reste soumise à des considérations
spécifiques. Ensuite, parce que les cadres militaires se sont enga-
gés totalement dans la voie révolutionnaire et qu'ils ne méritent
donc pas les reproches adressés aux civils.
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L'armée est redevenue, réellement, le fer de lance de la révo-


lution. La reconversion de l'Armée de libération en armée popu-
laire se poursuit exactement selon les prévisions du Conseil de
la Révolution : « L'armée des fellahs et des travailleurs, l'armée
des pauvres se transforme chaque jour davantage en une armée
moderne, dotée des moyens techniques les plus récents et forte
de dizaines, sinon de centaines d'ingénieurs et de techniciens. »
Cette armée s'intègre complètement à la vie nationale : elle
enseigne, elle soigne la population civile, elle entretient les routes,
elle construit des bâtiments publics et des canaux d'irrigation,
elle participe à la vie du parti, bien plus que les cadres civils...
Cette distinction opérée officiellement entre les civils et les
militaires est importante : il eût été impensable qu'elle fût faite
en temps de guerre. Mais elle ne signifie nullement que le Conseil
de la Révolution veuille séparer l'armée du parti. Bien au
contraire : les militaires doivent être, pour les civils, un exemple
de loyauté à l'égard de ce dernier. Le soldat, l'officier est, avant
tout, un citoyen militant, engagé politiquement.
« C'est sous l'angle militant qu'il convient de regarder les
rapports de l'armée et du parti, précise le colonel Boumediène.
L'erreur qui fut commise, hier, consistait à construire le parti
dans des structures parallèles à celles de l'État et à celles de l'ar-
mée. C'est une faute grave : on n'oppose pas l'armée au parti.
D'ailleurs, notre armée est essentiellement populaire; 90 % de
ses cadres sont des anciens cadres de l'Armée de libération natio-
nale. Ces hommes étaient et sont toujours des militants du F.L.N.
Les cadres de notre armée sont donc fortement politisés. Ils
réagissent comme l'ensemble de nos paysans, ils pensent comme
tout le peuple algérien 1 »
Nous retrouvons ici, une fois de plus, l'expression de la philo-
sophie politique des hommes du 19 juin : le peuple s'identifie
avec la révolution. Or le parti et l'armée s'identifient avec le
peuple. Et l'État est au service du peuple et de la révolution.
L'équation politique est, en conséquence, la suivante : révolu-
tion = peuple = parti = État.

1. Houari
chrétien, datéBoumedi ène dans
du 17 février une interview à l'hebdomadaire Témoignage
1966.
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LA RÉORGANISATION DU PARTI F.L.N.


Rendre au Front de Libération Nationale sa raison d'être, son
prestige et son efficacité en le réorganisant : tel est, nous l'avons
vu, un des soucis du Conseil de la Révolution.
Mais tout comme pour la restauration de l'État, le pouvoir
révolutionnaire entend procéder par étapes.
Dès le 19 juin 1965, les trois organes supérieurs du parti, le
secrétaire général, le bureau politique et le comité central,
sont supprimés.
Désormais et provisoirement, le Conseil de la Révolution
assume les pouvoirs du comité central tandis qu'un secrétariat
exécutif de cinq membres remplace le bureau politique.
Pendant deux ans, ce secrétariat s'emploie à redresser la situa-
tion sous l'impulsion de son coordinateur, M. Chérif Belkacem.
Mais le Conseil de la Révolution, dont M. Belkacem est l'un
des membres les plus actifs, a des tâches plus urgentes à accom-
plir : restauration de l'autorité de l'État, assainissement des finan-
ces publiques, « décolonination » de l'économie.
A la fin de l'année 1967, le président Boumediène est donc
bien obligé de constater que « le F.L.N. de paix se cherche tou-
jours » et qu'il est devenu un parti « de recasement ».
Le 10 décembre, le Conseil de la Révolution annonce que le
moment est venu de passer à la réorganisation du F.L.N., et
confie cette mission à l'un de ses membres, M. Kaïd Ahmed
Le 24 janvier 1968, celui-ci publie des directives générales
auxquelles sont annexés des statuts provisoires de fonctionne-
ment 4

1. Les textes officiels ont paru dans la Revue algérienne des sciences
juridiques, économiquesetpolitiques,vol.V,n°3,septembre1968,Documents,
pp. 803 à 836, Alger, 1968.
2. Réunion des cadres de l'A.N.P. du 28décembre 1967. Compterendu
de El Moudjahiddu 29 décembre 1967.
3. Sous le pseudonyme de commandant Slimane, M. Kaïd Ahmedavait
joué un rôle important dans l'état-major de l'A.L.N.; en sa qualité de
ministre desFinances, il fut ensuite l'un desprincipaux artisans duredresse-
ment financier opéré depuis le 19juin 1965.
4. In Revue algérienne, déjà citée.
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Il rappelle que « le F.L.N., parti unique d'avant-garde au


pouvoir, est à la base du système politique du pays ».
Pour remplir ce rôle, il doit être rénové sur le double plan
de l'idéologie et de l'organisation.
« Or, précise M. Kaïd Ahmed, si l'aspect idéologique de cette
rénovation relève du Congrès national du parti, l'aspect orga-
nisationnel, qui en constitue d'ailleurs le préalable, ressortit,
quant à lui, à la direction; étant entendu que le Congrès une
fois réuni décidera souverainement des normes de structures
à donner au parti. »
Les dispositions annoncées sont donc provisoires, et reste-
ront d'application tant que le Congrès national n'aura pas eu
lieu.
Le parti doit être réorganisé en fonction de trois principes
s'impliquant mutuellement : le retour à la base, l'élection des
échelons politiques du parti à tous les niveaux et le centralisme
démocratique.
Le retour à la base signifie qu'il est mis fin au système de
cooptation et de désignation par le sommet des différents organes
du parti; à tous les niveaux, ceux-ci seront désormais élus et
politiquement responsables à la fois devant leurs mandants et
devant le pouvoir révolutionnaire.
Quant au centralisme démocratique, le contenu suivant lui
est donné : liberté d'expression, de discussion et de critique
constructive à l'intérieur; discipline et soumission de la mino-
rité à la majorité; collégialité dans la prise des décisions; hiérar-
chisation des différents organes élus. L'application de ces trois
principes doit garantir la réalisation des aspirations popu-
laires : « Un tel système permet d'une part à la base militante
d'exprimer les sentiments du peuple en toute objectivité et,
d'autre part, au sommet d'en prendre acte et de disposer insti-
tutionnellement de tous les moyens pour appliquer les solu-
tions retenues.
« Ainsi, en définitive, ce système revient à faire exécuter par
la base elle-même ses propres décisions, donc à lui faire réaliser
ses propres aspirations, conformes aux aspirations profondes des
masses dont elle doit constituer le lien naturel avec le sommet. »
Depuis le mois de janvier 1968, M. Kaïd Ahmed s'est efforcé
d'appliquer ces trois principes, aidé en cela par une équipe de
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collaborateurs peu nombreux, et soutenu sans réserves par les


membres du Conseil de la Révolution.
Le responsable de l'appareil du parti s'est assigné un triple
objectif : dégager une avant-garde militante, encadrer les orga-
nisations de masse et préparer la réunion d'un Congrès national.
Sans entrer dans les détails de l'organisation du parti, nous
préciserons que celui-ci est conçu sous forme d'une pyramide
à la base delaquelle setrouve la cellule quigroupe de 11à20mili-
tants; au deuxième niveau, la kasma qui réunit plusieurs cel-
lules; au troisième niveau, la fédération qui groupe plusieurs
kasmate; au quatrième niveau, les commissariats nationaux
qui comprennent les fédérations d'une même wilaya1.
Que ce soit au niveau de la Kasma, de la fédération ou de
la Wilaya, l'élection est de règle : les membres du parti réunis
en assemblée générale élisent à chaque niveau un comité qui,
à son t o u r , élit u n b u r e a u
Les élections de cellule et de Kasma ont eu lieu sur toute
l'étendue du territoire, y compris dans les quatre grandes villes :
Alger, Oran, Annaba (anciennement Bône) et Constantine.
Pour marquer la rupture entre la période antérieure et celle
débutant le 24 janvier 1968, M. Kaïd Ahmed avait annoncé
que désormais tous les militants sans exception aucune devraient
renouveler leur demande d'adhésion au parti : « Cette forma-
lité, obligatoire pour tous, ne devra en aucune façon être inter-
prétée comme une contestation a priori de la valeur des intérêts
individuels. Elle constitue un contrôle objectif de la qualité
politique de chacun. »
Des commissions de contrôle furent constituées à chaque
niveau. Elles réunissaient des représentants de l'appareil central,
des organisations de masses, de l'administration locale et de
l'Armée nationale populaire. Chaque commission de contrôle
était en même temps la commission de recours pour le niveau
d'instance inférieur.
Ces commissions avaient pour tâche de vérifier si le candidat
1. Lacelluleest organiséedanslecadre dudouarpourles zonesrurales
et duquartier pourles zonesurbaines; la kasma, dans le cadredela com-
mune,lafédérationdansceluidel'arrondissement,lecommissariatnational,
enfin, dans le cadre dela wilaya.
2. Lacellule ne comportepas debureau.
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Depuis le 19 juin 1965, l'Algérie est engagée dans un certain nombre de révolutions,
sur le plan institutionnel, industriel, agricole et culturel ; la révolution algérienne
dans le domaine des hydrocarbures étant à la fois le symbole, le fer de lance et l'aune
de cette démarche.
L'ouvrage d'Arthur Doucy et Francis Monheim se propose d'analyser les révolutions
algériennes sur la base des textes et des discours officiels, mais surtout à partir des
faits, des réalisations concrètes et des entretiens avec le président Boumediène et
plusieurs membres du gouvernement algérien.
L'ouvrage présente l'élaboration de l'État algérien, examine la signification politique
du redressement du 19 juin, la constitutionnalité du Conseil de la Révolution, la
démocratisation progressive de toutes les institutions.
Une partie est consacrée à la révolution industrielle, au Plan quadriennal qui en est
l'expression concrète et à la bataille des hydrocarbures.
Puis les auteurs traitent de l'autogestion en matière agricole et de la révolution
agraire, esquissent les grands traits de la révolution culturelle : généralisation de
l'enseignement, arabisation progressive de l'État. Ils nous donnent enfin une analyse
de la politique extérieure de l'Algérie.

Les auteurs
Arthur Doucy : D.E.S. de la faculté de droit de Paris, docteur de l'université de Paris,
professeur d'économie sociale à l'université de Bruxelles, directeur de l'Institut de
Sociologie.
Francis Monheim : journaliste dès l'âge de dix-huit ans. Grands,reportages en Afrique
centrale, en Amérique latine, aux États-Unis, etc., pour de nombreux quotidiens,
magazines et programmes de télévision belges et étrangers.
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