MAGAZINE
YANN MOIX, DEPARDIEU :
UNIQUEMENT EN FRANCE MÉTROPOLITAINE,
EN BELGIQUE ET AU LUXEMBOURG
SAMEDI 27 JANVIER 2024 - 80E ANNÉE - NO 24593 - 5,20 € - FRANCE MÉTROPOLITAINE - WWW.LEMONDE.FR -
Loi immigration : la droite poursuit sa surenchère
▶ Le Conseil constitution-
nel a censuré, jeudi, plus
d’un tiers de la loi, essen-
tiellement les dispositions
introduites par la droite
▶ L’exécutif estime que
son projet a été validé et
se prépare à le mettre en
œuvre, tandis que LR veut
porter un nouveau texte
avec les articles rejetés
▶ La version finale reste
plus large que le projet
initial du gouvernement
et restreint les droits
des étrangers
▶ Dénonçant un « gouver-
nement des juges », droite
et extrême droite veulent
une réforme de la Consti-
tution sur l’immigration
PAGES 6 - 7 ET 1 0
Chômage Agriculture Gabriel Attal au défi
Pourquoi l’exécutif de mettre fin à la mobilisation
veut durcir
encore les règles
Focalisé sur son objectif
de plein-emploi, Emma-
nuel Macron envisage
un nouveau durcissement
de l’assurance-chômage
PAGE 1 3
Monaco L’heure des comptes sur le Rocher
LES SECRETS DU FILM idées En Floride, le putsch de
la droite contre l’université
WEEK-END
FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO
1
ÉDITORIAL
LE JEU DANGEREUX
D’EMMANUEL
MACRON
On ne joue pas impunément
avec la législation sur l’immigra-
tion, sujet au cœur des contro-
verses publiques et des stratégies
de conquête du pouvoir. Pour
avoir ignoré cette vérité d’évi-
dence en faisant voter coûte
que coûte une loi dont 40 % des
articles viennent d’être déclarés
inconstitutionnels, le président
de la République rend un bien
mauvais service à l’Etat de droit
en France, valeur suprême
de la démocratie.
LIR E L A S U IT E PAGE 3 1
Des opposants à la loi
sur l’immigration,
à Paris, le 25 janvier.
SARAH MEYSSONNIER/REUTERS
Etats-Unis Israël Russie
Des soldats blessés Boris Nadejdine,
Les résultats racontent leur catalyseur
le premier ministre, Gabriel ponse en trois temps. D’abord des
triomphants guerre à Gaza de la contestation
Attal, était attendu en Occitanie,
vendredi, pour tenter d’apaiser la
mesures d’urgence incluant des
aides financières et la simplifica- de l’économie PAGE 3 PAGE 4
colère des agriculteurs, alors que
les blocages et les actions de pro-
tion de procédures. A moyen
terme, l’évolution de certaines ré- américaine
"UNE ŒUVRE D’UNE
testation se sont intensifiés de- glementations, concernant par
puis une semaine dans tout le exemple les pesticides ou l’irriga- Croissance, plein-emploi,
GRANDE PUISSANCE"
pays. Une montée de fièvre face à tion. Et à plus long terme, une ac-
inflation maîtrisée : l’an-
laquelle les autorités assument de tion de la France à Bruxelles pour
« laisser faire » les manifestants. faire valoir les intérêts du secteur née 2023 a été marquée
LE ONDE
Confronté à sa première grande dans les textes européens. par un solide rebond, et
crise, M. Attal envisage une ré- PAGE S 1 2 - 1 3 non par la récession an-
noncée, une performance
dont s’est félicité Joe Bi-
den. De son côté, Donald
Trump prévoit, s’il est élu
président, de mettre en
place une taxe de 10 % sur
▶ En congédiant
toutes les importations
son ex-éminence grise, PAGE S 1 6 - 1 7
en juin 2023, Albert II
a pris le risque
d’exposer au grand
jour la gestion du
Entreprises
patrimoine familial La confiance en
▶ Comptes secrets,
sociétés offshore,
Boeing s’effondre,
immobilier… Dernier la série noire
volet de notre série
continue
« Monaco, les cahiers
secrets », qui révèle Un Boeing 757 a perdu
LA ZONE D’INTÉRÊT UN FILM DE JONATHAN GLAZER
les dessous financiers
de la Principauté
une roue au décollage, AU CINÉMA LE 31 JANVIER
quelques jours après le
détachement en vol d’une
PAGE S 2 0 - 2 1
TITWANE
porte d’un 737 MAX 9
PAGE 1 5
Algérie 220 DA, Allemagne 4,70 €, Andorre 4,20 €, Autriche 4,40 €, Belgique 5,50 €, Espagne 4,10 €, Grèce 4,10 €, Guadeloupe-Martinique 3,90 €,
Italie 4,10 €, Luxembourg 5,60 €, Maroc 30 DH, Pays-Bas 4,50 €, Portugal cont. 4,10 €, La Réunion 3,90 €, Sénégal 2 500 F CFA, Suisse 4,80 CHF, Tunisie 6,50 DT,
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INTERNATIONAL
La présidente du conseil italien, Giorgia Meloni (à droite), avec le premier ministre néerlandais, Mark Rutte, la cheffe de la Commission européenne, Ursula von der Leyen,
et le président tunisien, Kaïs Saïed, le 11 juin 2023, à Tunis. AFP
L’ambition africaine de Giorgia Meloni
La dirigeante italienne vise les ressources naturelles du continent et entend s’attaquer à l’immigration illégale
rome - correspondant
P
our Giorgia Meloni,
l’Afrique est plus qu’une
priorité. C’est une voca-
tion. Pris en bloc, avec
ses ressources naturelles à valori-
ser et ses flux migratoires à jugu-
ler, le continent est au cœur de
tous les discours de politique
étrangère de la présidente du
conseil italien. Depuis les pre-
miers jours de son mandat,
Mme Meloni appelle à la mise en
œuvre d’un « plan pour l’Afrique »
en réponse aux crises du conti-
nent. Longtemps resté nébuleux,
son contenu encore confidentiel
doit être enfin dévoilé à l’occasion
du sommet Italie-Afrique qui se
tiendra à Rome dimanche 28 et
lundi 29 janvier.
En présence d’au moins douze
organisations internationales et
de vingt-six chefs d’Etat, chefs de
gouvernement, ministres et
autres hauts responsables, la
cheffe de l’exécutif italien va pou-
voir détailler la nature du « chan-
gement de paradigme » qu’elle
souhaite porter dans les relations
entre l’Europe et l’Afrique, une en-
treprise répondant aux mots d’or-
dre de « non-prédation » et de coo-
pération « d’égal à égal ».
En quinze mois de mandat,
d’allocutions en conférences de
presse, de la tribune de l’Assem-
blée générale des Nations unies à
la scène de la fête annuelle de son
parti, Mme Meloni en a brossé la li-
gne générale. Dans le grand récit
qu’elle fait de son projet africain, la
présidente du conseil développe le
raisonnement selon lequel des in-
vestissements européens massifs
dans l’économie d’un continent
jusqu’à présent exploité par des
puissances malveillantes permet-
tront sur le long terme de lutter à
la racine contre les causes de mi-
grations illégales qu’elle a promis à
son électorat de contrôler.
Contrairement à la France, en
recul sur le continent, Rome, qui
Mme Meloni
considère que des
investissements
massifs
permettront
de lutter contre
les migrations
qu’elle a promis
de contrôler
estime y jouir d’une image intacte,
se félicite d’échapper aux
accusations de néocolonialisme et
se pose donc en facilitateur des re-
lations euro-africaines. Pour la di-
rigeante, la géographie autant que
la politique prédisposent la pénin-
sule italienne à devenir un pont
entre les deux continents, cette
idée étant complétée au passage
par une aspiration très concrète à
faire de l’Italie un hub entre les res-
sources énergétiques africaines et
les marchés européens.
Mme Meloni se réfère d’ailleurs à
sa vision africaine en parlant d’un
« plan Mattei », baptisé en hom-
mage à Enrico Mattei (1906-1962),
fondateur de l’Ente Nazionale
Idrocarburi (ENI), la compagnie
nationale des hydrocarbures. Fi-
gure légendaire du XXe siècle ita-
lien, ce dernier est aussi bien
identifié au développement in-
dustriel de l’après-guerre qu’à un
rayonnement international ver-
tueux ayant accompagné l’éman-
cipation du tiers-monde grâce à
des contrats avantageux pour
les pays producteurs de pétrole. Il
est également connu pour le sou-
tien qu’il a apporté au Front de li-
bération nationale contre la
France lors de la guerre d’indé-
pendance algérienne.
De la part de Mme Meloni, ces ac-
cents anti-impérialistes ne doi-
vent pas surprendre. Sa famille
politique est en effet parcourue
par une veine tiers-mondiste,
particulièrement puissante dans
les organisations de jeunesse où
elle faisait ses classes lorsqu’elle a
effectué un voyage humanitaire
fondateur au Sahara occidental.
En 2019, encore dans l’opposition,
elle s’était aussi illustrée lors
d’une séquence devenue virale en
brandissant un billet de
10 000 francs CFA (15 euros) sur
un plateau de télévision, dénon-
çant une « monnaie coloniale » ac-
cusée d’appauvrir l’Afrique.
Le lointain successeur de M. Mat-
tei, Claudio Descalzi, a d’ailleurs
appuyé avec assiduité les projets
africains de Mme Meloni depuis
qu’elle est arrivée au pouvoir. L’ENI
est ainsi présente dans six des sept
pays du continent où elle s’est ren-
due en visite officielle. L’entregent
de M. Descalzi, dont le tropisme
africain est prononcé, a fait de lui
un acteur incontournable de la
nouvelle politique africaine de
l’Italie. Déjà, sous Mario Draghi,
prédécesseur de la dirigeante, il
avait coordonné immédiatement
après l’invasion de l’Ukraine le pi-
vot vers le sud des approvisionne-
ments en gaz d’une Italie alors très
dépendante de la Russie.
« Pas donneurs de leçons »
Alger a depuis remplacé Moscou
en tête des fournisseurs de gaz de
l’Italie avec 38 % des importa-
tions, tandis qu’en Libye la philo-
sophie du plan Mattei s’est maté-
rialisée en janvier 2023 par 8 mil-
liards d’euros d’investissements
de l’ENI, destinés en partie à amé-
liorer la fourniture en gaz du mar-
ché intérieur. « L’Italie peut et veut
jouer un rôle important (…) dans la
capacité à aider les pays africains à
croître [économiquement] et à de-
venir plus riches », avait déclaré
Mme Meloni à cette occasion.
« Rome arrive sur le devant de la
scène après avoir été plutôt timide
en Afrique et son discours sur les
investissements et les créations
d’emploi est nouveau », note Henri
Okemba, ambassadeur à Rome du
Congo-Brazzaville, pays où l’ENI
est très active et qui sera repré-
senté à Rome par son président,
Denis Sassou Nguesso, que
Mme Meloni a rencontré à Brazza-
ville, en octobre. « Les Italiens ont
compris que nous avons changé
d’époque, ils ne sont pas donneurs
de leçons. C’est un atout. Autre
temps, autres mœurs », relève le
diplomate, qui attend toutefois de
pouvoir juger sur pièces, la partie
italienne n’ayant pas partagé avec
ses partenaires africains les élé-
ments de fonds du plan Mattei.
« On voit bien que l’ancien coloni-
sateur français est visé par le dis-
cours italien sur l’Afrique, mais les
Africains n’ont pas à arbitrer une ri-
valité entre deux pays européens »,
estime un autre diplomate afri-
cain en poste à Rome, qui voit
aussi dans le plan Mattei « un
thème destiné à l’opinion publique
italienne qui attend des choses nou-
velles sur le dossier migratoire ».
Depuis le début d’un mandat au
cours duquel elle aura rencontré
au total vingt chefs d’Etat et de
gouvernement africains, le dis-
cours de la présidente du conseil
n’a pas varié et son aspiration à
jouer un rôle moteur en Europe
sur les affaires africaines s’est af-
firmée. Giorgia Meloni a ainsi
porté la conclusion en
juillet 2023 d’un pacte passé avec
le président tunisien, Kaïs Saïed,
et impliquant la présidente de la
« Rome construit
un succès italien
sur un échec
français, en
Tunisie comme
ailleurs »
MARIA FANTAPPIE
directrice de département à
l’Istituto affari internazionali
Commission européenne, Ursula
von der Leyen, et le premier mi-
nistre néerlandais, Mark Rutte.
L’accord devait lier, dans l’esprit
du plan Mattei, l’octroi d’une aide
financière à une plus grande coo-
pération en matière de contrôle
des flux migratoires, les arrivées
sur l’île italienne de Lampedusa
en provenance de la région de
Sfax ayant explosé en 2023. Si le
texte n’a pas donné les résultats
attendus, l’épisode tunisien a eu
le mérite de permettre à Mme Me-
loni de se montrer active et aux
commandes, en mesure de rallier
les Européens à sa méthode et à
son discours en Afrique. Mme von
der Leyen sera d’ailleurs présente
au sommet de Rome.
« Trouver une stratégie globale »
« L’articulation entre les projets ita-
liens sur le continent africain et
une dimension européenne reste à
définir car Rome construit aussi un
succès italien sur un échec fran-
çais, en Tunisie comme ailleurs, ce
qui dénote d’une approche pas né-
cessairement coopérative », note
Maria Fantappie, directrice du dé-
partement Méditerranée, Moyen-
Orient et Afrique à l’Istituto affari
internazionali, un influent centre
de réflexion romain. Début jan-
vier, la présidente du conseil a
pourtant désigné le plan Mattei
comme un « modèle (…) pour les
autres pays européen [et] occiden-
taux » devant commencer par des
projets pilotes menés par Rome
auxquels d’autres Etats pour-
raient être associés. « Evidem-
ment, l’Italie ne peut pas faire ce
travail seule », précisait-elle alors.
Si la présidence du conseil s’est
refusée absolument à communi-
quer sur le contenu du plan avant
le sommet, le décret organisant sa
gouvernance, voté le 10 janvier,
donne quelques indications sur la
variété des champs couverts, avec
l’implication de tous les ministè-
res, de représentants des régions,
des universités, des entreprises à
0123
SAMEDI 27 JANVIER 2024
participations publiques et indus-
trielles entre autres entités publi-
ques et privées. Mme Meloni a éga-
lement déclaré que 70 % du fonds
italien pour le climat, soit 3 mil-
liards d’euros, sera destiné à des
projets africains. Centralisée au
niveau de la présidence du
conseil, la supervision du plan a
d’ailleurs été confiée à un ancien
ambassadeur italien à Tunis,
Fabrizio Saggio, conseiller diplo-
matique de Mme Meloni.
« L’Italie s’interroge sur ses rela-
tions avec l’Afrique depuis les an-
nées 2010 et le début des crises mi-
gratoires, quand nous avons com-
pris que notre frontière se situait
au Sahel, rappelle Mario Giro, an-
cien vice-ministre des affaires
étrangères et de la coopération et
responsable des relations inter-
nationales de la communauté de
Sant’Egidio, une organisation ca-
tholique humanitaire et de mé-
diation très présente sur le conti-
nent africain. Pour la première
fois, nous avons une approche qui
rebat les cartes et tente de trouver
une stratégie globale pour affron-
ter la question migratoire. On peut
espérer que cela aura un effet d’en-
traînement et que cela pourra faire
de l’Italie un partenaire du Sud glo-
bal. » Initialement prévu à
l’automne, le sommet a dû être re-
porté à cause du conflit dans la
bande de Gaza, Rome restant pris
entre ses ambitions au-delà de la
Méditerranée et son alignement
sur Washington et Tel-Aviv.
Pour Mamecor Ndiaye, ambas-
sadeur du Sénégal en Italie dont le
président, Macky Sall, est aussi at-
tendu à Rome, « les concepts de
non-prédation et de coopération
d’égal à égal sont déjà des exigen-
ces de base des institutions et des
Etats africains. L’Afrique a sa pro-
pre dynamique de développement.
Nous attendons avec intérêt la pro-
position italienne, mais elle devra
en premier lieu s’articuler aux
efforts que nous menons déjà ». p
allan kaval
0123
SAMEDI 27 JANVIER 2024
A Gaza : « Ils en ont tué cinq, on en a tué cinq »
Des soldats israéliens blessés racontent les combats menés dans l’enclave palestinienne depuis trois mois
jérusalem - correspondance
S
ur son fauteuil roulant,
Noam croise souvent des
jambes dont il manque
une partie – la droite a été
amputée sous le genou. Les effets
d’une bombe artisanale, alors que
son unité avançait dans une zone
urbaine du nord de Gaza, le 16 no-
vembre 2023. Le jeune Israélien de
20 ans, allègre malgré sa mutila-
tion, n’a pas reçu l’autorisation
d’être plus précis, dans ces entre-
tiens de soldats sélectionnés par
une porte-parole de l’armée, et qui
ne peuvent donner leurs noms.
Ces conversations donnent
néanmoins une idée de la vio-
lence de la guerre, qui ravage la
bande de Gaza, la plus meurtrière
de ce siècle selon l’ONG britanni-
que Oxfam. Quelque 25 000 Pa-
lestiniens, et parmi eux 70 % de
femmes et d’enfants, ont été tués,
tandis que 219 soldats ont perdu
la vie, pire bilan de l’histoire ré-
cente du pays. Une guerre menée
loin des regards : Israël interdit,
depuis le 7 octobre, un accès libre
à la presse dans l’enclave.
« Boucliers humains »
Noam a participé aux premiers
combats. Il avait accompli plus de
deux ans de service militaire, au
sein du 53e bataillon de la 188e bri-
gade blindée, quand le Hamas a
lancé l’attaque du 7 octobre, qui a
fait 1 140 morts côté israélien.
Son unité a été envoyée vers le
sud de la bande de Gaza, à côté de
la frontière égyptienne. « Il y
avait beaucoup de morts, des ci-
vils israéliens comme des terroris-
tes. On combattait comme on
pouvait. C’était une vraie guerre »,
se souvient le militaire, qui sert
sur un char d’assaut Merkava 4, le
dernier modèle du tank israélien.
Le 27 octobre, l’offensive terrestre
débute. L’unité de Noam est dé-
ployée deux semaines après
pour soutenir l’avancée des uni-
tés au sol.
« Nous avancions dans une rue,
entre deux rangées de bâtiments. Il
y avait des civils autour de nous,
notamment une mère et sa fille.
Soudain, un terroriste a surgi
d’une maison et a placé une
bombe artisanale sur la droite de
notre tank. Nous ne l’avons pas vu,
mais le blindé derrière, si. Il a tenté
de faire feu, mais le canon s’est en-
rayé. La charge a explosé, me bles-
Washington négocie avec Bagdad une sortie de ses troupes d’Irak
Les bases américaines en Irak et en Syrie font face à une intensification des frappes menées par les milices pro-iraniennes depuis le 7 octobre
beyrouth - correspondante
P lutôt qu’un départ préci-
pité d’Irak sous la pression
des milices pro-iranien-
nes, dans une douloureuse répéti-
tion de la débâcle d’août 2021 en
Afghanistan, Washington a choisi
de négocier avec Bagdad une sor-
tie programmée de ses troupes.
Jeudi 25 janvier, les Etats-Unis et
l’Irak ont annoncé que des discus-
sions seraient engagées dans les
prochains jours afin de définir
une feuille de route et un calen-
drier pour mettre fin à la mission
de la coalition internationale de
lutte contre l’organisation Etat is-
lamique (EI).
Face à l’intensification des atta-
ques menées par ces milices con-
tre des bases américaines en Irak
et en Syrie depuis octobre 2023,
Washington a accédé aux deman-
des de Bagdad d’accélérer la redé-
finition de leur partenariat straté-
gique. Cette réflexion, amorcée
en 2020 entre l’Irak et les Etats-
Unis, devra également être me-
née avec les autres membres de la
coalition anti-EI, déployée depuis
« La charge
a explosé,
me blessant moi
et le tireur du
tank. Je me suis
posé un garrot »,
raconte Noam
sant moi et le tireur du tank. Je suis
resté calme. Je me suis posé un gar-
rot. Mon camarade, lui, a eu le bas
du corps touché, jusqu’à l’estomac.
Ses entrailles sortaient par une en-
taille. Mais il s’en est tiré. »
Noam décrit des combats diffi-
ciles, menés au milieu de nom-
breux civils, « que le Hamas utilise
comme boucliers humains, pour
nous donner une mauvaise répu-
tation ». Il ne faut pas s’attendre à
ce que ces soldats remettent en
question une guerre massive-
ment soutenue par la population
israélienne. Selon un récent son-
dage, mené par l’université de Tel-
Aviv en janvier, 82 % des person-
nes interrogées estiment que l’ar-
mée utilise une puissance de feu
adéquate – ou trop réduite.
Le jeune homme devra attendre
que la blessure cicatrise avant la
pose d’une prothèse. Dans les
couloirs du pavillon de rééduca-
tion de l’hôpital Sheba erre une
nation blessée. De jeunes éclopés
avancent, en fauteuil roulant, ap-
puyés sur un déambulateur ou
sur des béquilles. Lundi, le minis-
tère de la défense a déclaré devant
un comité parlementaire de la
Knesset que son département de
rééducation traitait 4 544 mem-
bres des forces de sécurité. En
moyenne, 60 soldats sont blessés
chaque jour. Le plus grand établis-
sement d’Israël a dû aménager un
étage et demi dans le départe-
ment de gériatrie pour accueillir
les soldats.
Là se trouve Roey. De grande
taille, l’homme aux larges yeux
bleus semble plus circonspect
face à la conduite de la guerre. Il
égrène ses mots en phrases lentes
et fatiguées. A 32 ans, major de ré-
serve dans la 5e brigade, il travaille
depuis quatre ans pour Heroes for
Life, une organisation israélienne
qui propose des volontariats dans
les pays d’Asie ou d’Amérique du
Sud, où les soldats partent oublier
2014 à l’invitation de Bagdad,
dont la France.
Washington ne montre aucun
empressement. Selon une source
officielle irakienne, citée par l’As-
sociated Press, l’administration
américaine plaide pour un retrait
d’ici deux à cinq ans. Bagdad sou-
haite un départ plus rapide. Il n’est
pas question pour les Etats-Unis
de céder aux menaces des milices
pro-Téhéran. A dix mois de la pré-
sidentielle américaine, Joe Biden
ne veut pas donner raison à son
principal adversaire dans la
course à la Maison Blanche, l’an-
cien président républicain Donald
Trump, qui raille sa « faiblesse ».
« L’essentiel est d’avoir une planifi-
cation en bon ordre du retrait des
troupes. L’objectif de ses membres
est, au-delà, d’enclencher une tran-
sition qui débouche sur la mise en
place de coopérations bilatérales,
ce qui va nécessiter un calendrier et
une logistique », estime Selin Uy-
sal, experte de l’Irak au Washing-
ton Institute for Near East Policy
(Winep). Des discussions auront
lieu au sein de la haute commis-
sion militaire, mise en place entre
Yoav, blessé le 20 novembre 2023, face à un drapeau de son unité d’élite à l’hôpital Sheba, le 24 janvier. LUCIEN LUNG/RIVA PRESS POUR « LE MONDE »
quelques mois leur service mili-
taire, long de plus de deux ans.
Pour lui aussi, la guerre a com-
mencé très vite. Dans son unité
de reconnaissance, il est envoyé
dans le kibboutz de Kissoufim
après le 7 octobre, à la recherche
d’ennemis et de disparus. Quel-
ques jours après leur arrivée, son
escouade surprend un membre
du Hamas caché dans une mai-
son. Celui-ci lance deux grenades.
Roey l’abat, mais l’explosion
blesse trois de ses hommes, dont
l’un est amputé.
Après Kissoufim, il s’installe à
Réim, une localité non loin du
lieu où s’est tenu le festival de mu-
sique électronique Nova, qui, avec
360 morts, représente le quart
des tués du 7 octobre. « C’était un
choc de voir toutes ces maisons
brûlées, ces corps suppliciés. Mais
le pire, c’était l’odeur. »
Mi-novembre, l’unité de Roey
entre à son tour dans l’enclave. Le
10 décembre, la mission est de
s’emparer d’une école dans les en-
virons de Khan Younès, où, selon
le renseignement israélien, se
Bagdad et Washington en
août 2023, pour évaluer « la me-
nace de l’EI, les exigences opéra-
tionnelles (…) et le niveau des capa-
cités des forces de sécurité irakien-
nes », a indiqué jeudi le secrétaire à
la défense américain, Lloyd Austin.
Exercice d’équilibrisme
L’objectif, a toutefois précisé le mi-
nistère des affaires étrangères ira-
kien, est d’établir un « calendrier
précis » sur la « durée de la pré-
sence » des conseillers de la coali-
tion internationale anti-EI en Irak
et d’engager une « réduction pro-
gressive et étudiée » de leurs effec-
tifs. Des discussions étaient déjà
menées avec l’administration Bi-
den à la suite du dialogue conjoint
de coopération sécuritaire, entre-
pris par Donald Trump et l’ancien
premier ministre irakien, Mustafa
Al-Kadhimi, en juin 2020.
L’administration Trump avait
été contrainte de donner des ga-
ges aux autorités irakiennes après
avoir provoqué l’ire du camp pro-
iranien en éliminant dans une
frappe de drone, le 3 janvier 2020,
à Bagdad, le général iranien Ghas-
trouvent des informations sur les
otages. Roey et ses hommes dé-
couvrent une maison de mili-
tants du Hamas, avec des chaus-
sures, des uniformes, des armes,
des manuels d’instruction rédi-
gés en prévision de l’attaque du
7 octobre.
« On fouillait les lieux. Dans l’ar-
rière-cour, il y avait un tapis. On a
trouvé ça bizarre de voir un tapis
dehors. On le déplace et dessous,
on découvre l’entrée d’un tunnel.
Quatre ou cinq secondes après, ça
explose. Nous étions neuf. Quatre
soldats sont tués dans l’arrière-
cour. Un autre, qui était à l’inté-
rieur, face à la fenêtre. Je suis pro-
jeté à terre. J’essaie de me relever, je
retombe. Je me touche pour voir si
j’ai toujours mes jambes. Un ca-
marade à côté de moi en avait
perdu une. Je lui pose un garrot »,
raconte-t-il.
Un homme sort alors du tunnel,
tire et blesse son commandant.
Tout est confus, l’arrière-cour est
remplie de poussière. Les soldats
ripostent. « Le type a disparu. Je
pense qu’on l’a blessé et qu’il est re-
L’administration
américaine
plaide pour
un retrait d’ici
deux à cinq ans.
Bagdad souhaite
un départ
plus rapide
sem Soleimani, le chef des opéra-
tions extérieures des gardiens de
la révolution, et son lieutenant en
Irak, Abou Mahdi Al-Mohandes.
Donald Trump avait réduit de
moitié les troupes stationnées en
Irak, à 2 500 hommes.
A sa suite, Joe Biden a acté la fin
de la mission combattante améri-
caine en Irak, fin 2021. Les troupes
sont restées pour assister et for-
mer les forces de sécurité irakien-
nes. Le dialogue stratégique a été
relancé, en août 2023, lors de la vi-
site à Washington du premier mi-
nistre irakien, Mohammed Chia
international | 3
tourné dans le tunnel. » Depuis
l’école, des militants du Hamas
mitraillent les soldats, avant
d’être neutralisés par des tanks et
des hélicoptères de combat. « Ils
en ont tué cinq, on en a tué cinq »,
assure Roey, qui s’en sort avec des
blessures aux jambes. Grâce à des
enregistrements réalisés par les
services secrets, il a compris que
le Hamas avait tendu un piège et
guettait l’arrivée des troupes.
Jambe gauche amputée
Yoav est lui aussi tombé dans une
embuscade. Ce trentenaire spor-
tif et volontaire est membre de
l’unité d’élite Maglan. Sa détermi-
nation n’a pas failli, mais son
corps a souffert. Sa voix est cas-
sée, son corps marqué par des zé-
brures rouges et sa jambe gauche
est amputée. Le 20 novembre, son
escouade, positionnée dans le
nord de Gaza, voit des combat-
tants du Hamas entrer dans la
maison d’une rue étroite. Yoav
tire une roquette dans la maison
et repart vers l’arrière. Mais un tir
part depuis une autre habitation.
Al-Soudani. Ce dernier veut don-
ner des gages au camp pro-iranien
qui l’a porté au pouvoir et préser-
ver ses liens avec Washington.
Cet exercice d’équilibrisme s’est
compliqué avec le déclenchement
de la guerre entre Israël et le Ha-
mas. Depuis la mi-octobre, les mi-
lices pro-iraniennes ont mené
plus de 150 attaques au drone et à
la roquette, et une aux missiles ba-
listiques, contre les bases de la coa-
lition en Irak et en Syrie. Les frap-
pes de représailles américaines
ont été condamnées par Bagdad
comme une « violation de la souve-
raineté irakienne ». M. Soudani af-
firme désormais que la fin de la
mission des troupes de la coalition
anti-EI est une « nécessité pour la
sécurité et la stabilité » de son pays.
« Le retrait des troupes de la coali-
tion internationale n’aura pas une
grande incidence sur la lutte an-
ti-EI. Les forces irakiennes sont dé-
sormais capables de se charger de
cette menace. Ce qui importe pour
les Etats-Unis est le maintien de la
relation stratégique, car nous pour-
rions voir une autre puissance rem-
plir le vide, comme la Russie ou la
« Je vole en l’air. Puis j’atterris. Je
regarde ma jambe gauche. Elle est
de travers, l’os dehors, et le pied
dans une direction qui n’est pas ha-
bituelle. » Ce n’était pas sa pre-
mière fois à Gaza. Il y a combattu
en 2014. « Les principes sont les
mêmes, casser le Hamas, mais la
force et les sentiments sont diffé-
rents. A l’époque, on menait des
raids rapides et précis. A présent,
cette guerre me semble plus juste
et plus nécessaire, après ce que le
Hamas nous a fait. »
Il affirme que détruire le Hamas
est impossible, mais qu’il faut le
rendre « inopérant ». Surtout, il
s’agit pour lui de mettre fin au
« lavage de cerveau » mené par
l’organisation, « pour qui les juifs
sont des ennemis à exterminer ».
Yoav, qui envisage de devenir di-
plomate, se veut optimiste. « Pour
moi, il n’y a pas d’autre choix que
l’action militaire. Ensuite, on
pourra négocier. Et à l’avenir, j’es-
père qu’après toute cette horreur et
cette dévastation, il y aura des
temps heureux. » p
samuel forey
Chine », estime Michael Knights,
expert de l’Irak au Winep.
La France, l’un des principaux
contributeurs au sein de la coali-
tion, a accueilli favorablement
l’ouverture d’un dialogue entre
l’Irak et les Etats-Unis. « Le bascule-
ment vers une coopération sécuri-
taire au niveau bilatéral était anti-
cipé dans une certaine mesure par
la France. Ce peut être l’occasion
pour Paris de tester son acceptabi-
lité dans un pays sous influence ira-
nienne comme l’Irak », estime Se-
lin Uysal. Selon l’experte fran-
çaise, il n’est pas forcément dans
les objectifs iraniens de pousser
Bagdad à rompre avec ses parte-
naires occidentaux.
La lutte contre l’EI reste une
priorité pour Paris, en Irak
comme en Syrie. Or, la décision
américaine de négocier un retrait
d’Irak a relancé les interrogations
sur le maintien des 900 soldats
américains en Syrie. Des respon-
sables du Pentagone ont nié
qu’un retrait était envisagé en Sy-
rie, où la résurgence de l’EI consti-
tue une menace réelle. p
hélène sallon
4 | international
En Russie, Boris
Nadejdine joue
les trouble-fêtes
L’opposant à Poutine a recueilli
les 100 000 signatures nécessaires
à sa candidature à la présidentielle
moscou - correspondant
I
l y a quelque chose d’incon-
gru dans l’enthousiasme
que suscite Boris Nadejdine.
Vieux routier de la politique
russe, peu charismatique, ignoré
par la télévision, cet opposant
à Vladimir Poutine n’est pas
même assuré d’être candidat à
une élection présidentielle par
ailleurs jouée d’avance. Et pour-
tant il déplace les foules. Celle qui
serpente dans une ruelle calme
du centre de Moscou, ce soir du
mardi 23 janvier à l’heure de la
sortie des bureaux, est impres-
sionnante : plusieurs centaines
de personnes qui patientent dans
le froid, réparties en trois longues
files selon leur lieu de résidence
officielle : Moscou, région de
Moscou, autres régions.
Cette dernière est la plus impor-
tante, qui s’étend sur 150 mètres
de trottoir enneigé. La plus straté-
gique, aussi : quelques heures
plus tôt, le candidat de 60 ans a
annoncé avoir réussi à recueillir
les 100 000 signatures nécessai-
res à sa candidature au scrutin du
15 au 17 mars, mais la législation
exige un quota par région. « En
Bouriatie, où je suis inscrite, le cap
des 2 500 signatures n’a pas encore
été atteint », explique, dans la file,
Galina Fedorova, 38 ans. A
l’image de nombre de ceux
qui ont fait le déplacement pour
lui apporter leur soutien, cette
employée d’une grande entre-
prise sait peu de choses de Boris
Nadejdine, sinon les points les
plus saillants de son programme :
négociations de paix immédiates
avec l’Ukraine (la guerre a été
« une erreur fatale » pour la Rus-
ISRAËL
PA LESTINE
Une terre à vif
ANALYSES ET REPORTAGES
Au cœur d’un conflit
toujours plus meurtrier
EN VENTE CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX
Également sur www.monde-diplomatique.fr
sie, estime-t-il), retour des mobili-
sés, libération des prisonniers po-
litiques. « Cela me suffit ample-
ment de savoir qu’il est contre
Poutine et contre “l’opération spé-
ciale” », tranche Mme Fedorova.
Depuis début janvier, de telles fi-
les d’attente sont observées par-
tout dans le pays, jusqu’à la Iakou-
tie, par des températures attei-
gnant – 45 °C, et même à l’étran-
ger, pour les exilés. Après
l’éviction de l’ex-journaliste Ekate-
rina Dountsova, elle aussi candi-
date antiguerre à la présidence, la
soif de contestation d’une partie
de l’opinion russe s’est reportée
sur M. Nadejdine. Les volontaires
et les dons affluent, des points de
récolte de signatures ont été dé-
ployés dans deux cents villes.
Ambiguïté sur la Crimée
Le précédent Dountsova, écartée à
un stade encore plus précoce pour
de supposées « erreurs » dans les
documents officiels remis à la
commission électorale, rappelle
aussi une évidence : il y a peu de
chances de voir Boris Nadejdine,
physicien de formation et vétéran
des formations libérales, figurer
au casting final de l’élection. De-
puis une décennie, le recueil des si-
gnatures est l’arme favorite utili-
sée par le pouvoir pour disquali-
fier les candidats indésirables à
toutes les élections possibles – er-
reurs inventées ou réelles (une
adresse mal orthographiée…) suf-
fisant à interdire de participation.
C’est aussi pour cette raison que
l’équipe du candidat a annoncé
vouloir récolter jusqu’à
150 000 signatures, afin de consti-
tuer le dossier le plus inattaquable
possible. Signe du dynamisme de
Boris Nadejdine, candidat à l’élection présidentielle russe, à Dolgoproudny (Russie), le 24 janvier. ALEXANDER NEMENOV/AFP
la campagne, cet objectif a été dé-
passé le 25 janvier. Les Moscovites,
dont le paraphe n’est théorique-
ment plus nécessaire, continuent
de se presser par milliers dans les
centres de collecte de la capitale.
A vrai dire, pas grand monde,
dans la file de la rue Fourmaniï, ne
se fait d’illusions sur ses chances.
On est venu pour autre chose. « Je
le fais pour moi, pour pouvoir me
regarder dans le miroir », dit
Alexandre Kouznetsov, retraité de
61 ans. « Pour me dire que j’aurai
fait quelque chose, même de petit,
contre cette horreur, renchérit Ar-
tiom Sidortchouk, 25 ans. Et puis
ça réchauffe le cœur de se rappeler,
au moins de temps en temps, que
l’on n’est pas seuls. »
Echapper au désespoir et à la so-
litude, se sauver au moins soi-
même, exercer ses derniers droits
de citoyen… C’est bien de cela qu’il
s’agit, bien plus que d’un espoir de
peser de manière décisive sur le
pouvoir. Tous insistent aussi sur
le caractère légal, et donc en théo-
rie sûr, de la démarche, alors que
des verdicts de plus en plus lourds
« 6,3 millions d’Ukrainiens sont toujours
réfugiés, dont une majorité en Europe »
L’Allemagne est devenue le premier pays d’accueil, selon le haut-commissaire pour les réfugiés
ENTRETIEN
F ilippo Grandi est haut-com-
missaire des Nations unies
pour les réfugiés (HCR).
Près de deux ans après l’invasion
russe, il souligne que les besoins
humanitaires des déplacés et des
réfugiés restent immenses.
Vous terminez une visite
en Ukraine. Quelle situation
avez-vous observée ?
Mon voyage m’a mené dans les
villes d’Odessa, de Kryvy Rih, de
Dnipro, de Kharkiv, d’Irpine et de
Kiev, les lieux les plus exposés
près de la ligne de front. J’ai cons-
taté que les dégâts subis par les
infrastructures civiles, en particu-
lier les maisons et les apparte-
ments, sont plus importants
qu’en 2023. Le nombre de dépla-
cés [à l’intérieur du pays] a aug-
menté. Entre trois et quatre mil-
lions de personnes ont dû quitter
leur domicile, détruit par un
drone ou une roquette. Ils vivent
en majorité à quelques kilomè-
tres de chez eux, chez des mem-
bres de leur famille ou leurs amis.
Les plus vulnérables sont sur-
tout les personnes âgées qui n’ont
pas pu partir, les gens sans emploi
et les enfants. La majorité de ces
« En trente ans
de carrière,
je n’avais jamais
senti un tel
engouement »
BORIS NADEJDINE
candidat à la présidentielle
ne cessent de tomber contre les
opposants à la guerre. Seul un
jeune homme qui refuse de don-
ner son nom (mais est prêt à si-
gner avec ses coordonnées com-
plètes un document officiel) rap-
pelle que la participation au mou-
vement d’Alexeï Navalny fut elle
aussi légale, avant de conduire des
dizaines de ses partisans en pri-
son, en vertu de lois rétroactives.
Le candidat lui-même s’amuse
de ce soutien par défaut dont il bé-
néficie. « Je ne suis pas Boris Nemt-
sov, je ne suis pas Alexeï Navalny,
je n’ai pas leur charisme, confiait-il
le 22 janvier à la politologue en
derniers suivent leur scolarité à
distance car les bâtiments des
écoles ont été touchés par les frap-
pes ou ne disposent pas d’abris.
Ces millions de déplacés ont un
besoin d’aide humanitaire de pre-
mière nécessité. Déboussolés par
les attaques, souvent nocturnes,
ils ont aussi besoin d’appui psy-
chologique et d’accéder aux aides
de l’Etat lorsqu’ils ont perdu leur
appartement ou une partie de
leur propriété. Ce qui est spécifi-
que à l’Ukraine, c’est que les gens
demandent toujours non seule-
ment une couverture pour dor-
mir dans les centres d’accueil,
mais aussi du matériel pour rebâ-
tir leur domicile. Je n’ai pas vu ce
double besoin ailleurs.
Quelles sont les perspectives
pour les réfugiés ?
Nous estimons qu’il y a 6,3 mil-
lions d’Ukrainiens réfugiés à tra-
vers le monde, dont une majorité
en Europe. Leur profil reste in-
changé. Ce sont des femmes, des
enfants, des personnes âgées de
plus de 60 ans. Les risques de tra-
fic et d’exploitation ont été moin-
dres que ce que l’on redoutait.
Récemment, on a observé une
petite augmentation du nombre
d’hommes qui fuient la conscrip-
exil Ekaterina Schulmann. En
trente ans de carrière, je n’avais ja-
mais senti un tel engouement.
Mais les étoiles se sont alignées, et
des millions de gens demandent
qu’on entende enfin leur voix. »
C’est précisément aux côtés de
Boris Nemtsov, l’ancien vice-pre-
mier ministre assassiné en 2015,
que M. Nadejdine a fait l’essentiel
de sa carrière. Député à la Douma
entre 1999 et 2003, il a ensuite
réussi à conserver un mandat local
à Dolgoproudny, en périphérie
de Moscou. Son parcours a long-
temps suscité de la méfiance
au sein de l’opposition libérale.
En 2015, il avait ainsi participé à des
primaires de Russie unie, le parti
au pouvoir ; durant plusieurs mois
après le début de la guerre contre
l’Ukraine, il continuait à être invité
dans les talk-shows télévisés…
L’homme entretient aussi une cer-
taine ambiguïté sur le sort à réser-
ver à la Crimée, annexée en 2014.
Cela n’a pas empêché le parti Ini-
tiative civique de le soutenir, et
l’ensemble de l’opposition démo-
crate, jusqu’aux partisans d’Alexeï
tion militaire mais ce n’est pas
très significatif. Depuis le début
de la guerre, le 24 février 2022, en-
tre un million et un million et
demi de personnes sont retour-
nées dans leur pays, dont 900 000
pendant plus de trois mois.
Ces mouvements de retour sont
pour beaucoup pendulaires – c’est
un moyen de revoir les familles et
d’évaluer la situation sur place –
même si on voit une légère aug-
mentation des gens qui rentrent
pour des périodes plus longues.
Selon nos enquêtes, la proportion
des réfugiés qui veulent retourner
à terme en Ukraine est assez sta-
ble, de 60 % à 70 %.
Il faut que le gouvernement
ukrainien développe une politi-
que pour appuyer les retours. Il ré-
pète qu’il aura besoin de tous ces
gens pour rebâtir le pays et le HCR
est prêt à l’y aider, mais c’est pré-
maturé. Il faut absolument que le
discours des autorités évite la stig-
matisation des réfugiés, qui se-
raient considérés comme des pri-
vilégiés. Cela posera des problè-
mes de cohésion sociale à terme.
En attendant, la politique de la
protection temporaire [appliquée
par les Etats membres de l’UE] a été
positive en donnant aux Ukrai-
niens un accès au travail, aux ser-
0123
SAMEDI 27 JANVIER 2024
Navalny, défend son droit à con-
courir face à Vladimir Poutine,
quitte à apporter un surcroît de lé-
gitimité à un processus électoral
contrôlé par le Kremlin. C’est
aussi, peut-être, parce qu’il était
perçu comme parfaitement inof-
fensif que le pouvoir l’a laissé jus-
qu’à présent mener campagne.
Mais l’agitation actuelle sonne
déjà comme un défi. Les thèmes
qu’aborde Boris Nadejdine sont
corrosifs, surtout à l’heure où les
autres candidats jurent ne pas
vouloir concurrencer M. Poutine.
Sa candidature aurait aussi pour
effet de permettre à des milliers
d’observateurs indépendants
d’accéder aux bureaux de vote et
de dénoncer les fraudes les plus vi-
sibles. Quant aux longues files de
citoyens avides de poser une sim-
ple signature, elles font désordre.
Le président, qui se présente en
indépendant, est censé avoir ré-
colté 300 000 signatures, et non
100 000. Devant les stands instal-
lés par son camp, personne n’a vu
la moindre file d’attente… p
benoît vitkine
vices et à la liberté de circulation,
même s’il y a des limites à ces ef-
fets positifs. La proportion de ré-
fugiés ayant un emploi reste ainsi
autour de 40 %, 50 %, ce qui n’est
pas satisfaisant.
De même, beaucoup de familles
ne veulent pas scolariser leurs en-
fants dans les pays d’accueil car
elles veulent sauvegarder la lan-
gue ukrainienne, donc les enfants
suivent une scolarité à distance.
La grande question est : que fera-
t-on dans un an quand la protec-
tion temporaire prendra fin ? Il
faudra trouver d’autres solutions
si la situation en Ukraine conti-
nue d’être trop fragile.
Les pays d’accueil sont-ils tou-
jours les mêmes qu’au départ ?
Il y a eu des mouvements secon-
daires de population et le plus im-
portant s’est fait depuis la Pologne
vers l’Allemagne qui est devenue,
avec 1,3 million de réfugiés enre-
gistrés, le premier pays d’accueil
des Ukrainiens, devant la Pologne.
L’Allemagne a plus de possibilités
d’emploi et une organisation effi-
cace. Cela tient aussi aux réseaux
d’appui. Les Allemands étaient
prêts à cet afflux de réfugiés. p
propos recueillis par julia
pascual et faustine vincent
0123
SAMEDI 27 JANVIER 2024 international | 5

Une coalition des ports européens contre la drogue

Le transport maritime de conteneurs est devenu le principal vecteur du trafic de stupéfiants

bruxelles - correspondant risme », insistait Ylva Johansson, Maghreb ou l’Afrique de l’Ouest au-delà. Les quantités saisies veillé que Rotterdam, où un par-
commissaire européenne aux puis embarquée dans des ba-
Les réseaux en 2023 ont diminué à Rotterdam tenariat public-privé rapidement

L
es organisateurs de la
rencontre en avaient fait
leur leitmotiv : « Il faut
créer un réseau pour
combattre un réseau. » Mercredi
24 janvier, la Commission euro-
péenne et la présidence belge
de l’Union européenne (UE) ont
réuni, à Anvers (Belgique) les diri-
geants d’une vingtaine d’installa-
tions portuaires, des ministres,
des entreprises privées et des spé-
cialistes de la sécurité, pour inau-
gurer une « Alliance des ports »
susceptible de contrer les organi-
sations criminelles qui ont pro-
gressivement transformé le
transport maritime en principal
vecteur du trafic de stupéfiants,
essentiellement de la cocaïne.
« Il faut désormais protéger nos
citoyens, notre société et notre
économie », a commenté Anne-
lies Verlinden, la ministre belge
de l’intérieur. « La menace est
aussi grave que celle du terro-
affaires intérieures.
Cette première rencontre visait
à jeter les bases d’une meilleure
coopération entre les ports et
d’une harmonisation de leurs
mesures de sécurité face à des
trafiquants, de plus en plus orga-
nisés et imaginatifs. La mise au
jour des systèmes de communi-
cation EncroChat et Sky ECC,
en 2020, a entraîné des milliers
d’arrestations, mais n’a visible-
ment pas ralenti l’activité des
groupes criminels. « Nous som-
mes confrontés à une hydre, une
structure qui renaît sans cesse,
connectée et décentralisée », com-
mente Catherine De Bolle, direc-
trice d’Europol, l’agence euro-
péenne de coopération policière.
Face au renforcement des con-
trôles dans les grands ports du
nord du continent, un nouveau
mode opératoire a ainsi été re-
péré depuis quelques mois : la
drogue est acheminée vers le
teaux de faible tonnage à destina-
tion du sud de l’Europe.
Lutte contre la corruption
La Belgique et la Commission
européenne soulignent la néces-
sité de créer des partenariats en-
tre toutes les autorités portuai-
res, les douanes, les polices et les
grandes compagnies de trans-
port maritime. Au sein de l’Al-
liance, les participants devraient
échanger les informations et les
bonnes pratiques pour augmen-
ter les contrôles et la sécurité, car-
tographier les flux et tenter de dé-
manteler les réseaux. Quelque
200 millions d’euros, s’ajoutant
aux moyens dégagés par les pays
concernés, seront débloqués.
La lutte contre la corruption et
l’infiltration des sociétés portuai-
res, des compagnies de transport,
du milieu des dockers et des
autorités nationales est aussi une
priorité, a insisté Mme De Bolle. Le
criminels
orientent
les cargaisons
vers d’autres
destinations
moins sécurisées,
comme Le Havre
lieu choisi – Anvers – était sym-
bolique : le port belge est le prin-
cipal point d’entrée de la cocaïne
en Europe, devant Rotterdam
(Pays-Bas).
Des groupes criminels de diver-
ses origines (marocaine, néerlan-
daise, albanaise, bosnienne,
belge, etc.) sont actifs dans la ville
flamande. Ils se partagent avec
violence un marché florissant et
organisent l’exportation de la
cocaïne dans toute l’Europe, et
(45,5 tonnes contre 70 en 2021),
ce qui confirme que, depuis
quelques années, les trafiquants
ont redirigé leurs activités vers la
ville flamande (121 tonnes saisies
en 2023, selon Mme Verlinden)
mais aussi vers le petit port néer-
landais de Flessingue (Vlissin-
gen), dans la province de Zélande.
Au total, précisent les polices de
Belgique et des Pays-Bas, 173 ton-
nes, atteignant une valeur mar-
chande de 13 milliards d’euros,
ont été confisquées en 2023.
Les réseaux criminels orientent
aussi les cargaisons vers d’autres
destinations moins sécurisées,
comme Le Havre, Gioia Tauro en
Italie, Helsingborg en Suède ou
Algésiras, en Espagne, où une sai-
sie record de 9,5 tonnes de co-
caïne, dissimulée dans une car-
gaison de bananes équatorien-
nes, a été opérée en août 2023.
Ce port, et beaucoup d’autres en
Europe, est beaucoup moins sur-
mis en place, ainsi que le dévelop-
pement de la surveillance par
drones et caméras a permis
d’augmenter de 40 %, en l’espace
d’un an, le nombre de conteneurs
contrôlés. Au niveau européen,
on estime toutefois que 10 % des
conteneurs au maximum sont
actuellement inspectés.
A Rotterdam, la violence liée au
trafic n’a pas décliné : quelque
six cents explosions liées à des
règlements de comptes entre
bandes rivales y ont été dénom-
brées en 2023. Un témoin a aussi
confirmé, mi-janvier, qu’un
projet d’enlèvement du premier
ministre, Mark Rutte, avait été
mis au point par des membres
de la Mocro Maffia, la princi-
pale organisation criminelle du
royaume, dont le dirigeant, Ri-
douan Taghi, est, avec plusieurs
de ses lieutenants, actuellement
jugé à Amsterdam. p
jean-pierre stroobants

Un cardinal canadien
accusé d’agression
sexuelle sur mineure
L’archevêque de Québec aurait commis
des attouchements entre 1987 et 1988

montréal - correspondante tenter de trouver un arrangement

entre les parties. Face au constat

I l est l’un des cardinaux les plus

en vue au Vatican. Son nom
circulait même comme l’un
des possibles papabile, à même de
succéder au pape François. Jeudi
25 janvier, le cardinal Gérald Cy-
prien Lacroix, archevêque de Qué-
bec et primat de l’Eglise catholique
canadienne, a été rattrapé par le
scandale de violences sexuelles
qui secoue son diocèse depuis plu-
sieurs années. Selon la presse ca-
nadienne, qui a révélé l’informa-
tion, le prélat de 66 ans est accusé
d’agressions sexuelles commises
sur une mineure de 17 ans entre
1987 et 1988. Son nom a été ajouté
jeudi matin à la liste des agres-
seurs présumés établie dans le ca-
dre d’une action collective contre
des membres du personnel et du
clergé du diocèse de Québec.
La presse canadienne rapporte
que la victime, membre d’une fa-
mille de fervents catholiques,
assistait à des séminaires sur la
Bible en compagnie de ses pa-
rents. Ce serait à cette occasion
que l’agression présumée se se-
rait produite. L’avocat des victi-
mes, Alain Arsenault, a évoqué
« des attouchements » auprès de
l’Agence France-Presse.
Action collective
Ordonné prêtre en 1988 puis évê-
que en 2009, créé cardinal
en 2014, Gérald Cyprien Lacroix
est décrit dans son diocèse
comme « bon pasteur », « rassem-
bleur » et « très humain ». Il béné-
ficie aussi d’un crédit certain à
Rome, où il est considéré comme
un proche du pape. Il est mem-
bre du C9, ce conseil de cardi-
naux institué en 2013 et chargé
d’assister François.
L’action collective dans laquelle
est cité le cardinal vise l’ensemble
des crimes sexuels perpétrés de-
puis 1940 par les personnes pla-
cées sous la responsabilité du dio-
cèse de Québec. Elle avait été auto-
risée par la Cour supérieure, la
plus haute juridiction de la pro-
vince, en mai 2022, et réunit désor-
mais 147 plaignants. Leur avocat,
Alain Arsenault, s’attend à ce que
d’autres victimes rejoignent l’ac-
tion en cours. « Nous avons négo-
cié pendant plus d’une année pour
d’échec, nous sommes désormais
déterminés à aller au procès. »
En août 2022, le nom d’un autre
cardinal canadien, Marc Ouellet,
80 ans, ancien préfet de la Congré-
gation des évêques à Rome et an-
cien archevêque de Québec (2003-
2010), avait été rendu public dans
le cadre de la même procédure
qui met aujourd’hui en cause le
cardinal Lacroix. Accusé d’« attou-
chements de nature sexuelle non
consentis » pour des faits commis
entre 2008 et 2010, le cardinal
Ouellet a toujours nié ces alléga-
tions, poursuivant même en dif-
famation sa victime présumée.
Après une enquête controver-
sée menée par le père Jacques
Servais, l’un de ses amis jésuites,
Marc Ouellet avait été blanchi par
le Vatican, qui avait estimé « qu’il
n’y avait pas d’éléments suffisants
pour ouvrir une enquête canoni-
que pour agression sexuelle ». « Je
ne m’attends pas à une attitude dif-
férente de la part du pape François
face à cette nouvelle mise en cause
d’un des plus éminents personna-
ges de l’Eglise canadienne, ça va
être “business as usual” », estime
Alain Pronkin, auteur du Plus
Grand Secret du Vatican : crimes
sexuels et Eglise (Fides, 2020).
Depuis le début des années
2000, les recours collectifs
ouverts dans la province contre
les violences sexuelles commises
par des membres du clergé ou
des communautés religieuses se
comptent par dizaines. Ils se
concluent souvent « à l’amiable ».
Ainsi, en 2021, cinq congrégations
québécoises ont choisi de dé-
bourser 75 millions de dollars ca-
nadiens (51 millions d’euros) pour
indemniser 599 victimes décla-
rées d’agressions sexuelles, dont
une majorité d’anciens élèves de
leurs écoles religieuses, plutôt
que de s’engager dans des procès.
Le 28 juillet 2022, dans la basili-
que Notre-Dame de Québec, le
pape avait demandé pardon à tou-
tes les victimes de violences
sxuelles commises par des mem-
bres de l’Eglise catholique, avec
une intention particulière pour
les communautés autochtones. p
sarah belouezzane (à paris)
et hélène jouan
6|
FRANCE
0123
SAMEDI 27 JANVIER 2024

L O I « I M M I G R AT I O N »

Loi « immigration » :
les mesures de LR
jugées non conformes
à la Constitution
L’exécutif avait accepté l’intégration d’articles
inconstitutionnels pour faire passer son texte
avec le soutien de la droite. La censure de plus
d’un tiers de la loi, jeudi, par le Conseil
constitutionnel, pourrait alimenter les critiques
sur le supposé « gouvernement des juges »

A
mauvaise prati-
que législative,
censure du Con-
seil constitution-
nel. L’institution
de la rue de
Montpensier a très largement
censuré, jeudi 25 janvier, la loi sur
l’immigration. Circonstance iné-
dite, il aura fallu deux jours de dé-
libérations aux neuf juges consti-
tutionnels pour défaire en partie
ce que le Parlement avait mal fait.
Adoptée le 19 décembre dans la
précipitation, sans que la moin-
dre lecture ait pu avoir lieu à l’As-
semblée nationale, cette loi con-
troversée avait peu de chances de
passer sans encombre l’examen
de ces juges.
Elle a de fait été amputée de plus
d’un tiers de ses articles (35 sur
86). « Un tiers de la loi censuré,
c’est exceptionnel, souligne le
constitutionnaliste Jean-Philippe
Derosier, rédacteur de la saisine
des 60 sénateurs socialistes, com-
munistes et écologistes. Cela
montre bien que le législateur,
avec la bénédiction du gouverne-
ment, a fait n’importe quoi. »
La plupart des mesures censu-
rées (32 sur 35) le sont au titre de
« cavaliers législatifs » : introdui-
tes par amendement, elles ont été
jugées sans lien suffisant avec le
projet de loi initial. Il s’agit no-
tamment de l’accès durci aux
prestations sociales pour les
étrangers, de plusieurs restric-
tions des conditions du regroupe-
ment familial ou encore de la cau-
tion demandée aux étudiants
étrangers en France pour prévoir
leur retour, voulue par la droite,
mais qui n’était « pas une bonne
idée », jugeait Emmanuel Macron
le 20 décembre.
En censurant ces articles pour
un motif de forme, le Conseil
constitutionnel ne se prononce
pas sur leur conformité, sur le
fond, avec la Constitution. Rien
n’empêche donc que ces mesures
soient proposées dans de nou-
veaux textes. Au Sénat, Hervé
Marseille, président du groupe
centriste, a annoncé jeudi soir
qu’il déposerait une proposition
de loi qui reprendrait « une
grande partie » des articles censu-
rés comme cavaliers législatifs.
Tandis que la droite exige que le
gouvernement « reprenne au plus
vite dans un texte législatif spécifi-
que l’ensemble des dispositions in-
validées » par les juges constitu-
tionnels. Une hypothèse exclue
par le gouvernement.
L’entourage du ministre de l’in-
térieur rappelle que Gérald Dar-
manin « a dit vingt et une fois au
cours des débats que ces disposi-
tions relevaient de l’irrecevabilité »,
et qu’elles n’ont été acceptées par
l’exécutif que pour « des raisons de
compromis ». En clair, pour s’assu-
rer du vote des députés Les Répu-
blicains (LR) dans l’hémicycle. Ces
derniers, en votant la motion de
rejet le 11 décembre, « n’ont pas
voulu faire le travail législatif sé-
rieux qui aurait permis de sécuriser
ces mesures, balaie-t-on place
Beauvau. Ils ont voulu faire un
coup politique, ils n’ont qu’à s’en
prendre à eux-mêmes ».
APPLICATION « CE WEEK-END »
Seuls trois articles sont censurés,
partiellement ou totalement sur
le fond, notamment celui, cher à
la droite, prévoyant la fixation par
le Parlement du nombre d’étran-
gers autorisés à s’installer en
France, au nom de la séparation
des pouvoirs. Et celui, figurant
dans le texte initial du gouverne-
ment, qui autorise le relevé des
empreintes digitales et la prise de
photographie d’un étranger sans
son consentement, qui bafoue les
garanties légales prévues dans la
Constitution selon les juges.
« Bien plus que le gardien des li-
bertés fondamentales, il s’est fait le
gardien des compétences du gou-
vernement », en censurant des
mesures qui pour la plupart rele-
vaient du droit d’amendement
des parlementaires, résume Ben-
jamin Morel, maître de conféren-
ces en droit public à l’université
Paris-II Panthéon-Assas. Aussi
« PAS PLUS QUE SUR
LES RETRAITES,
NOUS NE DEVONS
ÊTRE GUIDÉS
PAR LES SONDAGES »
LAurent FABIUS
président du Conseil
constitutionnel
l’essentiel des dispositions du
projet de loi du gouvernement
subsiste-t-il : la régularisation des
travailleurs sans papiers dans les
métiers en tension, qui a fait l’ob-
jet d’un débat intense, fera bien
partie du texte, ainsi que les me-
sures facilitant les expulsions et
les décisions d’obligation de quit-
ter le territoire français.
Ce qui permet au président de la
République, Emmanuel Macron,
en voyage officiel en Inde, de pro-
clamer que le Conseil constitu-
tionnel a « validé quasi intégrale-
ment » le projet initial du gouver-
nement. Le chef de l’Etat a de-
mandé au ministre de l’intérieur,
Gérald Darmanin, de « tout met-
tre en œuvre pour que la loi soit
appliquée dans les meilleurs dé-
lais ». Alors que le coordinateur
de La France insoumise, Manuel
Bompard, appelle l’exécutif à « re-
tirer » la loi, elle devrait être pro-
mulguée « dans les prochaines
heures », pour appliquer les pre-
mières mesures « dès ce week-
end », faisait savoir M. Darmanin,
jeudi soir sur TF1.
Cette large censure aidera sans
doute la majorité présidentielle à
digérer une loi sur laquelle elle
s’est profondément divisée en dé-
cembre (27 députés ont voté con-
tre, 32 se sont abstenus). La prési-
dente de l’Assemblée nationale,
Yaël Braun-Pivet, qui avait saisi le
Conseil, affirmait jeudi matin, à
l’occasion de ses vœux à la presse,
avoir été « extrêmement gênée
par la procédure qui a été suivie »
pour l’adoption du texte. « Le res-
pect de la procédure n’est pas une
question formelle, rappelait-elle
après la décision des membres du
Conseil, mais une condition de la
qualité de la loi. »
C’est la première fois en effet,
sous la Ve République, qu’un gou-
vernement défend sciemment un
texte partiellement inconstitu-
tionnel. Depuis Michel Rocard, à
Matignon de 1988 à 1991, auteur
d’une circulaire sur le sujet, tous
les premiers ministres ont appelé
leurs ministres à veiller à ce que
leurs projets de loi respectent la
Constitution. L’Elysée réfute ce-
pendant avoir voulu faire jouer au
Conseil le rôle de « voiture-balai »
de la loi sur l’immigration.
« La critique serait légitime si le
gouvernement avait délibérément
introduit des dispositions qu’il sa-
vait inconstitutionnelles, mais ce
n’est pas le cas, souligne un con-
seiller du chef de l’Etat. Par
ailleurs, les dispositions en ques-
tion auraient dû être normale-
ment expurgées au cours du débat
à l’Assemblée. » Mais ce débat n’a
pas eu lieu, le chef de l’Etat, pressé
d’en finir, ayant préféré, le soir de
la motion de rejet, renvoyer le
texte issu du Sénat à la commis-
sion mixte paritaire plutôt que
laisser les discussions reprendre
entre les deux chambres.
« UN COUP D’ÉTAT DE DROIT »
Les Républicains, qui avaient tenu
la dragée haute au gouvernement
pendant les débats et fêté l’adop-
tion du projet de loi durci au Sé-
nat, ont compris jeudi qu’ils n’ont
remporté qu’une victoire à la Pyr-
rhus : ils se retrouvent avec un
texte privé de la plupart des mesu-
res qu’ils étaient parvenus à impo-
ser au Parlement. Et ne se laisse-
ront sans doute pas embarquer de
sitôt dans un nouveau « compro-
mis » avec le gouvernement.
Laurent Wauquiez, président de
la région Auvergne-Rhône-Alpes,
dénonce dans Le Parisien « un
coup d’Etat de droit ». « Les cours
suprêmes censurent des pans en-
tiers de législation votés par les re-

Furieux, le parti Les Républicains exige un nouveau projet de loi

- CESSATIONS DE GARANTIE
LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRET
D’APPLICATION N° 72-678 DU 20
JUILLET 1972 - ARTICLES 44
QBE EUROPE SA/NV, sis Tour CBX -
1 Passerelle des Reflets - 92913 Paris La
Défense Cedex (RCS NANTERRE 842
689 556), succursale de QBE EUROPE
SA/NV, dont le siège social est à 37,
Boulevard du Régent, 1000 BRUXELLES
- BELGIQUE, fait savoir que, la garantie
financière dont bénéficiait la :
IMMO PROJET SARLU
40 Boulevard du Maréchal Juin
Les Grillons
06800 CAGNES-SUR-MER
RCS: 410 656 797
depuis le 01/01/2019 pour ses activités de :
GESTION IMMOBILIERE
cessera de porter effet trois jours francs
après publication du présent avis.
Les créances éventuelles se rapportant à
ces opérations devront être produites dans
les trois mois de cette insertion à l’adresse
de l’Établissement garant sis Tour CBX -
1 Passerelle des Reflets - 92913 Paris La
Défense Cedex.
Il est précisé qu’il s’agit de créances éven-
tuelles et que le présent avis ne préjuge en
rien du paiement ou du non-paiement des
sommes dues et ne peut en aucune façon
mettre en cause la solvabilité ou l’honora-
bilité de la SARLU IMMO PROJET.
le conseil constitutionnel est donc
resté insensible aux arguments législatifs
des députés du parti Les Républicains
(LR), à commencer par ce mémoire de
trente-six pages envoyé le 18 janvier à ses
neuf membres pour défendre la confor-
mité du texte « immigration ». La droite
devinait une censure partielle, mais le
nombre de cavaliers législatifs recensés,
jeudi 25 janvier, manque de la désarçon-
ner. Quelques minutes après le rendu de
la décision du Conseil constitutionnel,
un cadre du parti en était encore à recher-
cher les ajouts LR rescapés du texte voté à
l’Assemblée nationale. « On ne s’attendait
pas à une censure d’un tiers des articles
[35 sur 86] », admet le député LR des Al-
pes-Maritimes Eric Pauget.
Les Républicains étaient partis en va-
cances sur un air de victoire. « A 98 %, la
majorité a voté notre texte, celui sorti du
Sénat, et même des mesures très fortes
comme sur la fin de l’automaticité du droit
du sol ! », paradait Olivier Marleix, prési-
dent du groupe LR à l’Assemblée natio-
nale, le soir du vote, le 19 décembre 2023.
Comme d’autres, cette mesure forte a été
retoquée le 25 janvier. « Cette censure était
attendue par Emmanuel Macron et par la
gauche », accuse le président de LR, Eric
Ciotti, sur le réseau social X.
« Hold-up démocratique »
« La majorité s’est défaussée sur le Conseil
constitutionnel, regrette Antoine Vermo-
rel-Marques, député (LR) de la Loire. Les
macronistes n’assument pas ce texte,
alors qu’ils ont passé des mois à chercher
un accord avec nous. » Ironique, le prési-
dent du groupe LR au Sénat, Bruno Re-
tailleau, propose même au premier mi-
nistre, Gabriel Attal, de délocaliser son
discours de politique générale, prévu le
30 janvier, « devant le Conseil constitu-
tionnel… puisque manifestement ce n’est
plus le Parlement qui fait la loi dans ce
pays ». « La majorité a couru derrière ses
députés récalcitrants pour faire voter ce
texte, et aujourd’hui elle se réjouit de la
censure », ajoute M. Pauget.
Même surprise par l’ampleur de la cen-
sure, la droite tente d’organiser la contre-
attaque. Invité de RMC vendredi matin,
Eric Ciotti a qualifié la décision du Con-
seil constitutionnel de « scandaleuse » et
dénoncé un « un hold-up démocratique ».
Les Républicains ont remis sur la table
leur réforme de la Constitution, présen-
tée depuis juin 2023 comme le seul
moyen possible pour reprendre le con-
trôle de l’immigration. A lire le commu-
niqué rédigé par MM. Ciotti, Marleix et
Retailleau, la décision du Conseil consti-
tutionnel présente au moins « l’avantage
paradoxal de [leur] indiquer avec netteté
les limites qui sont posées à la volonté
souveraine du peuple français et les ajus-
tements qu[’ils doivent] apporter à [leur]
proposition de révision de notre Constitu-
tion ». Une demande défendue par le
Rassemblement national (RN) et Marine
Le Pen. « Cette très large censure, de fond
et de forme, souligne que seule une ré-
forme de la Constitution permettra de ré-
pondre aux enjeux migratoires qui tou-
chent de plein fouet notre pays », plaide la
présidente du groupe RN à l’Assemblée.
Un changement de la Constitution dont
M. Macron ne veut pas. Mais Les Républi-
cains entendent bien lui imposer une sai-
son 2 sur ce projet de loi « immigration ».
« Comme sur l’aide médicale d’Etat, où
nous avons eu la promesse de la majorité
d’avoir un texte à part en 2024, il faut que
les articles considérés comme des cavaliers
soient proposés dans un nouveau projet »,
espère M. Vermorel-Marques. M. Marleix
cible des mesures emblématiques,
comme le rétablissement du délit de sé-
jour irrégulier, la caution retour pour les
étudiants étrangers, les mesures de res-
triction du regroupement familial ou les
mesures restreignant le droit du sol.
Des députés doutent de la volonté de
M. Macron de s’aventurer à nouveau sur
ce terrain. « Les macronistes ne vont rien
faire pendant les trois ans à venir, mais on
ne va pas les lâcher », promet Pierre-Henri
Dumont, député LR du Pas-de-Calais. p
alexandre pedro
0123
SAMEDI 27 JANVIER 2024
Manifestation contre
la loi « immigration »,
à Paris, le 25 janvier.
SARAH MEYSSONNIER/REUTERS
CETTE LARGE CENSURE
AIDERA SANS DOUTE
LA MAJORITÉ
PRÉSIDENTIELLE À
DIGÉRER UNE LOI SUR
LAQUELLE ELLE S’EST
PROFONDÉMENT
DIVISÉE EN DÉCEMBRE
présentants du peuple. C’est le dé-
voiement de notre démocratie », af-
firme celui qui aspire à représen-
ter la droite à la présidentielle de
2027. « Le Conseil constitutionnel
interdit au législateur de prendre
des mesures efficaces pour maîtri-
ser un phénomène que nos compa-
triotes veulent qu’on maîtrise », ac-
cuse Bruno Retailleau, à la tête des
sénateurs LR, sur BFM-TV. Tandis
qu’à l’extrême droite, Marine Le
Pen, cheffe de file des députés Ras-
semblement national, estime que
« seule une réforme de la Constitu-
tion permettra de répondre aux en-
jeux migratoires ».
En sabrant largement les mesu-
res introduites par la droite, le
Conseil constitutionnel prête le
flanc à la critique sur un supposé
« gouvernement des juges ». « Ce
n’est pas une politique migratoire
que le Conseil a censurée, mais une
procédure législative mal con-
duite », défend la constitutionna-
liste Anne-Charlène Bezzina, de
l’université de Rouen.
Reste que l’institution a expurgé
le texte de ses dispositions les plus
emblématiques. « Sur les retraites,
la grande majorité des Français
étaient contre le texte et nous
l’avons validé, a rappelé vendredi
le président du Conseil Laurent Fa-
bius, sur France Inter. Cette fois-ci,
le texte qui nous était déféré semble
recueillir une majorité de soutien
de la population, mais pas plus que
sur les retraites, nous ne devons
être guidés par les sondages. Sinon,
à la place du Conseil constitution-
nel, il faut nommer le directeur de
la Sofrès [un ancien institut de
sondage]. » Alors que l’objectif
d’Emmanuel Macron, avec ce pro-
jet de loi, était de solder le sujet de
l’immigration, la décision du Con-
seil constitutionnel risque de sus-
citer l’incompréhension dans
l’opinion. Et de relancer un débat
que ce texte prétendait clore. p
nathalie segaunes
Le Conseil constitutionnel censure
largement sur la forme, pas sur le fond
Les neuf juges ont principalement considéré 32 articles comme des « cavaliers législatifs »,
c’est-à-dire sans lien suffisant avec le texte, sur les 86 articles adoptés fin 2023
L e Conseil constitutionnel a
censuré, dans une décision
rendue jeudi 25 janvier, une
grande partie de la loi relative à
l’immigration, adoptée le 19 dé-
cembre 2023 avec les voix de la
droite et de l’extrême droite. Cette
décision de 276 paragraphes et
cinquante-deux pages est la
deuxième plus longue de l’his-
toire de la juridiction, après celle
concernant la loi de programma-
tion de la justice, en 2019. Elle
intervient après la saisine du
Conseil par la gauche parlemen-
taire, la présidente (Renaissance)
de l’Assemblée nationale, Yaël
Braun-Pivet, et le président de la
République, Emmanuel Macron.
En tout ont été censurés par la
juridiction constitutionnelle
trente-cinq articles sur les 86
adoptés par le Parlement. Parmi
eux, trente-deux sont considérés
comme des « cavaliers législatifs »
(sans lien suffisant avec le texte
étudié). Dans ces cas, le Conseil ne
se prononce donc pas sur le fond
des propositions. Ces dernières
peuvent très bien faire l’objet de
nouveaux projets ou proposi-
tions de loi. Il n’en reste pas
moins que l’élagage est sévère.
Sont concernées certaines me-
sures les plus controversées du
texte, principalement introduites
par les parlementaires du parti
Les Républicains (LR), comme cel-
les concernant l’accès des étran-
gers aux prestations sociales que
les opposants à la loi assimilaient
à la consécration de la « préfé-
rence nationale », concept central
du programme du Rassemble-
ment national (RN).
Les dispositions qui ont été cen-
surées prévoyaient de soumettre
le bénéfice de l’aide personnali-
sée au logement, de l’allocation
Un texte plus fourni que le projet initial du gouvernement
Des associations et des juristes demeurent vivement inquiets sur les dispositions du texte restantes
C’ est une loi sur l’immi-
gration composée de
51 articles que le prési-
dent de la République, Emmanuel
Macron, devrait promulguer de
façon imminente. A l’issue de la
censure partielle du texte par le
Conseil constitutionnel, jeudi
25 janvier, environ 40 % de ses
dispositions ont été invalidées,
principalement pour des motifs
de forme. Il s’agit quasi exclusive-
ment d’éléments introduits par la
droite parlementaire.
La version définitive corres-
pond donc au « texte voulu par le
gouvernement », s’est félicité le
ministre de l’intérieur, Gérald
Darmanin, jeudi soir sur TF1. « Ja-
mais la République n’a eu une loi
aussi dure contre les étrangers
délinquants », a-t-il insisté, souli-
gnant que les dispositions initia-
lement prévues par le gouverne-
ment sont contenues dans le
texte final (26 articles sur les 27 du
projet présenté en février 2023).
Les juges constitutionnels ont,
jeudi, estimé conformes dix me-
sures sur la quarantaine dont ils
étaient saisis. Ainsi ont-ils validé
la levée des protections à l’éloigne-
ment dont bénéficient certaines
catégories d’étrangers, comme
ceux arrivés en France avant l’âge
de 13 ans. Cette disposition est
censée permettre 4 000 expul-
sions supplémentaires de délin-
personnalisée d’autonomie et
des prestations familiales pour
l’étranger non ressortissant de
l’Union européenne à une condi-
tion de résidence en France de-
puis au moins cinq ans ou à l’exer-
cice d’une activité profession-
nelle depuis une certaine durée.
Jurisprudence constante
Même censure pour les articles
concernant le durcissement de
l’accès au regroupement familial ;
la modification de certaines rè-
gles d’accès à la nationalité, telles
que la remise en cause de l’auto-
maticité du droit du sol pour les
enfants nés en France de parents
étrangers ; l’exclusion des sans-
papiers à la rue du bénéfice de
l’hébergement d’urgence ; le dur-
cissement de l’accès aux titres
de séjour étudiants ou pour les
étrangers malades ; la mise en
place d’une « caution de retour »
pour les étudiants ; la fin de la gra-
tuité des transports en région pa-
risienne pour les sans-papiers.
Le rétablissement d’un délit de
séjour irrégulier, puni d’une
amende de 3 750 euros, est lui
aussi censuré. Ainsi encore qu’une
mesure, moins médiatisée, pré-
voyant la délivrance de plein droit
d’un visa de long séjour aux Bri-
tanniques propriétaires d’une ré-
sidence secondaire en France.
Les neuf juges constitutionnels
censurent en outre, cette fois au
fond, partiellement ou totale-
ment, trois des articles, en particu-
lier la disposition de l’article pre-
mier, qui prévoyait la tenue d’un
débat annuel au Parlement et la
fixation de quotas d’immigration.
S’inscrivant dans une jurispru-
dence constante, le Conseil consti-
tutionnel juge que le législateur ne
peut imposer au Parlement l’orga-
quants étrangers, promet la Place
Beauvau. Elle est assimilée par
ses opposants au rétablissement
d’une forme de « double peine ».
De même, le Conseil a jugé con-
forme à la Constitution la généra-
lisation du juge unique, au détri-
ment des formations collégiales,
pour statuer plus vite sur les
demandes d’asile devant la Cour
nationale du droit d’asile (CNDA).
La possibilité de recourir à des
vidéo-audiences pour juger du
maintien en rétention des étran-
gers a aussi été avalisée.
Le Conseil a en outre déclaré
conforme l’article imposant à
l’étranger de signer un contrat
d’engagement au respect des
principes de la République. Alors
qu’une disposition similaire avait
été censurée dans la loi dite de
« lutte contre le séparatisme »,
en 2021, les juges constitution-
nels ont cette fois considéré que
le gouvernement avait listé les
principes de la République de fa-
çon suffisamment détaillée, qui
comprennent « la liberté person-
nelle, la liberté d’expression et de
conscience, l’égalité entre les fem-
mes et les hommes, la dignité de la
personne humaine, la devise et les
symboles de la République ».
Des dispositions introduites par
la droite sénatoriale ont aussi été
approuvées, et notamment celles
conditionnant la délivrance de vi-
UNE DES
CONSÉQUENCES
DE CES CENSURES DE
FORME EST QUE DES
QUESTIONS DE DROIT
DEMEURENT ENTIÈRES
nisation d’un débat en séance pu-
blique ou la fixation par ce dernier
de certains objectifs chiffrés en
matière d’immigration. Cela serait
en contradiction avec la sépara-
tion des pouvoirs. Il ajoute : « Une
telle obligation pourrait faire obs-
tacle aux prérogatives que le gou-
vernement ou chacune des assem-
blées, selon les cas, tiennent de la
Constitution pour la fixation de
l’ordre du jour. »
En outre, l’article 38 est cen-
suré. Disposition introduite par
le gouvernement, elle autorisait
l’utilisation de la contrainte par
les forces de l’ordre pour relever
les empreintes digitales et pren-
dre la photographie d’un étran-
ger. Le Conseil estime que la me-
sure n’a pas été assortie de garan-
ties suffisantes.
En revanche, le Conseil déclare
partiellement ou totalement con-
formes à la Constitution dix arti-
cles de la loi. Il valide notamment
les mesures souhaitées par le
gouvernement pour accélérer le
traitement des demandes d’asile
ou encore pour faciliter l’expul-
sion de délinquants en levant les
protections à l’éloignement dont
bénéficiaient certaines catégories
d’étrangers comme ceux arrivés
en France avant l’âge de 13 ans.
L’adoption du texte, en décem-
bre 2023, avait connu de nombreu-
sas à la bonne coopération des
pays d’origine en matière de réad-
mission de leurs ressortissants
en situation irrégulière.
Validée aussi, la possibilité, ajou-
tée par la droite, pour un départe-
ment de refuser la prise en charge
au titre de l’aide sociale à l’enfance
des jeunes majeurs lorsqu’ils ont
fait l’objet d’une obligation de
quitter le territoire (OQTF), ou en-
core la création d’un fichier des
mineurs étrangers suspectés
d’être des délinquants.
« C’est un texte très mal rédigé »
Dans un registre satisfait, M. Dar-
manin a prévenu, jeudi, qu’il réu-
nirait dès vendredi les préfets
pour leur transmettre au moins
quatre instructions d’application
immédiate. D’abord, il souhaite
que l’intégralité des dossiers des
étrangers délinquants soit réétu-
diée, afin d’envisager des expul-
sions sur la base de la nouvelle loi.
Ensuite, il entend demander de
régulariser certains travailleurs
sans-papiers évoluant dans les
secteurs en tension, ce que facilite
la loi. M. Darmanin souhaite aussi
s’appuyer sur la loi pour accen-
tuer la lutte contre l’immigration
irrégulière, contre les marchands
de sommeil ou contre le travail
des autoentrepreneurs sans-pa-
piers, à l’image des livreurs à do-
micile. Le ministère veut enfin ap-
ses péripéties. En mal de majorité
parlementaire pour voter sa loi, le
gouvernement avait fait le choix
d’une alliance avec LR qui n’a eu de
cesse de faire monter les enchères
pour concéder ses voix. Au Sénat,
la droite, majoritaire, a donc large-
ment durci le texte, avec l’assenti-
ment du gouvernement.
Le ministre de l’intérieur, Gérald
Darmanin, d’abord, la première
ministre de l’époque, Elisabeth
Borne, ensuite, et le président de la
République, Emmanuel Macron,
enfin, avaient tous reconnu que le
texte comportait des dispositions
contraires à la Constitution. Un
procédé très peu apprécié par Lau-
rent Fabius, le président du Con-
seil constitutionnel, qui avait
tancé le chef de l’Etat, lors de ses
vœux, le 8 janvier. « Le Conseil
constitutionnel n’est ni une cham-
bre d’écho des tendances de l’opi-
nion, ni une chambre d’appel des
choix du Parlement, mais le juge de
la constitutionnalité des lois (…)
Cette définition simple [n’est] pro-
bablement pas ou pas encore inté-
grée par tous », avait-il lancé.
Une décision « plutôt maligne »
Le Conseil constitutionnel a ainsi
« nettoyé » le texte de ses scories
les plus évidentes. « Le Conseil a
fait le travail qu’aurait dû faire le
gouvernement. Le texte tel que
présenté n’aurait jamais dû arriver
devant le Conseil, souligne Patrice
Spinosi, avocat spécialiste des
droits humains. Ce qui est à crain-
dre, c’est que cela attise une opposi-
tion entre le politique et le juridique
alors que le Conseil a rendu une dé-
cision conforme à sa jurisprudence
qui conforte l’Etat de droit. »
Cette tension institutionnelle,
entre légitimité populaire et légi-
timité judiciaire, inquiète de
pliquer sans attendre l’interdic-
tion en métropole du placement
en rétention des mineurs. Dans
les faits, la mesure est déjà prati-
quement à l’œuvre.
Du côté des associations et des
juristes, si la censure partielle de
la loi a été accueillie positivement
car elle balaie les mesures les plus
dures, de vives inquiétudes de-
meurent sur les dispositions du
texte restantes. Président d’Am-
nesty International France, Jean-
Claude Samouiller, a appelé le
gouvernement à ne pas mettre en
œuvre les mesures qui, « si elles ne
sont pas jugées comme anticonsti-
tutionnelles, n’en sont pas moins
attentatoires aux droits et aux li-
bertés des personnes exilées ».
Par la voix de sa présidente,
Adeline Hazan, l’Unicef France se
dit « préoccupé par le maintien de
plusieurs dispositions qui, si elles
n’ont pas été déclarées inconstitu-
tionnelles, semblent toutefois in-
compatibles avec le respect des
droits de l’enfant ». « Retour de la
“double peine”, instauration d’un
juge unique à la CNDA ou nouvel-
les conditions mises à la déli-
vrance de titres de séjour. Ces dis-
positions, nous continuerons à les
contester », a appuyé Dominique
Sopo, président de SOS Racisme.
Une série de 41 articles n’ont en
outre pas été soumis au contrôle
des juges constitutionnels. Parmi
france | 7
▶▶▶
nombreux juristes, qui voient
poindre une remise en cause sys-
tématique de la jurisprudence
constitutionnelle, mais aussi de
la Cour européenne des droits de
l’homme. Et il y a fort à parier que
la décision de jeudi remobilise les
contempteurs d’un hypothétique
« gouvernement des juges ».
Au bout du compte, le Conseil a
rendu une décision « plutôt mali-
gne », estime de son côté Samy
Benzina, professeur de droit pu-
blic à l’université de Poitiers. « Il
censure l’essentiel des dispositions
contestées, sans se prononcer sur le
fond. On se demande même s’il n’a
pas fait un peu de zèle en adoptant
un positionnement un peu strict
des cavaliers législatifs », dit-il.
Une des conséquences de ces
censures de forme est que des
questions de droit demeurent en-
tières. C’est le cas du conditionne-
ment des aides sociales à une du-
rée de résidence, idée largement
partagée à droite et à l’extrême
droite dont on ne sait toujours
pas s’il est, sur le fond, conforme
ou non à la Constitution.
Ainsi, il ne faut pas interpréter la
décision des neuf juges comme
un désaveu de la loi relative à l’im-
migration. « Le Conseil constitu-
tionnel a rendu une décision en ser-
vice minimum. Le nombre de cava-
liers législatifs est important, mais
c’est assez décevant, note Marie-
Laure Basilien-Gainche, profes-
seure de droit à l’université Lyon-
III et membre senior de l’Institut
universitaire de France. Les censu-
res sur le fond sont vraiment très li-
mitées. » La gauche et les nom-
breuses associations opposées au
texte n’entendent pas désarmer et
réclament son retrait. p
abel mestre
et julia pascual
ceux-là : la possibilité de placer en
rétention certains demandeurs
d’asile à la frontière ; le fait qu’un
parent étranger doit s’engager à
éduquer ses enfants dans le res-
pect « des valeurs et principes de la
République », ou encore le pas-
sage d’un examen de français
pour l’obtention d’une carte plu-
riannuelle de séjour. « Le Conseil
ne s’est pas prononcé sur de nom-
breux articles, comme les mesures
spécifiques à Mayotte », regrette
Marie-Laure Basilien-Gainche,
professeure de droit à l’université
Lyon-III.
« C’est un texte très mal rédigé, sa
procédure d’adoption a été catas-
trophique », ajoute encore Samy
Benzina, professeur de droit pu-
blic à l’université de Poitiers, qui,
comme d’autres de ses collègues,
estime que la loi devrait engen-
drer de nombreux contentieux.
« On peut déposer des questions
prioritaires de constitutionnalité
à l’occasion de la contestation des
décrets d’application, par exem-
ple, prévient Serge Slama, profes-
seur de droit public à l’université
de Grenoble. Il peut aussi y avoir
des contrôles de conventionnalité
et de conformité au droit de
l’Union européenne dans le cadre
de contentieux individuels. » Des
procédures qui prendront néces-
sairement du temps. p
a. me. et j. pa.
COMMUNIQUÉ
© DR
• TRIBUNE
Dr Maeva Zysman,
pneumologue au CHU
de Bordeaux.
BPCO,À
PRENDRE TRÈS
AU SÉRIEUX
La bronchopneumopathie chro-
nique obstructive (BPCO) est une
maladie pulmonaire fréquente qui
touche environ 5 à 10 % de la popu-
lation française,mais qui reste sous-
diagnostiquée : à peine un quart des
patients sont diagnostiqués, alors
que la BPCO peut être grave. Les
patients hospitalisés pour une exa-
cerbation sévère peuvent décéder
des suites de la maladie.Ils soufrent
également de nombreuses comorbi-
dités cardio-vasculaires.
La BPCO est une pathologie silen-
cieuse,mal connue.Le dépistage par
la mesure du soule constitue ainsi
le premier enjeu de la maladie.Mais
les patients ont tendance à banali-
ser leurs symptômes (toux, essouf-
lement, crachats, bronchites répé-
tées…) et,de plus,selon une enquête
récente, ils ont peur d’un diagnostic
alternatif qu’ils jugent plus grave,
en particulier le cancer du poumon.
On observe que la population
touchée par la BPCO est en train
de changer. L’image de l’homme
âgé, fumeur, est dépassée, car, au-
jourd’hui, à cause de l’augmenta-
tion du tabagisme chez les femmes
jeunes, les femmes sont atteintes
presque autant que les hommes :
à tabagisme égal, les femmes vont
développer la maladie de façon plus
précoce. Même si le tabac est res-
ponsable à plus de 80 % des BPCO,il
existe d’autres facteurs environne-
mentaux, notamment la pollution.
Dans certains pays, en Asie, notam-
ment, où les niveaux y sont très
élevés, le lien entre pollution et
BPCO est bien établi. En France,
il existe clairement une corréla-
tion entre la survenue des exacer-
bations et le niveau de pollution.
Dans d’autres cas, la BPCO peut
être d’origine pédiatrique,liée à des
maladies infantiles, à un asthme
mal traité ou encore être la consé-
quence d’une grande prématurité.
L’altération précoce de la fonction
respiratoire peut laisser des sé-
quelles à l’âge adulte.
En ce qui concerne la prise en
charge médicamenteuse, pour la
première fois une des biothéra-
pies semble prometteuse dans les
formes les plus sévères avec exa-
cerbations fréquentes malgré un
traitement inhalé bien conduit.
Enin, il faut souligner que la
réadaptation respiratoire méri-
terait d’être plus accessible et
développée à tous les stades de la
maladie, car elle est extrêmement
eicace, soulage l’essoulement, le
handicap à l’efort et change la vie
des patients. •
Daté du 27 janvier 2024, Grand Angle est édité par CommÉdition • Directeur général Éric Lista • CommÉdition, agence de communication éditoriale • www.commedition.com • Rédaction Christine Fallet, Stéphane Corenc •
Secrétariat de rédaction Iris Mondrian • Maquette & réalisation Aline Joly (andie.j) • LA RÉDACTION DU QUOTIDIEN LE MONDE N’A PAS PARTICIPÉ À LA RÉDACTION DE CE COMMUNIQUÉ. NE PEUT ÊTRE VENDU SÉPARÉMENT.
LES DÉFIS DE LA PRÉVENTION
Grâce à des thérapies de plus en plus personnalisées, les avancées sont aujourd’hui
nombreuses dans le cancer du poumon ou encore l’asthme sévère. Reste tout l’enjeu
de la prévention et du dépistage de maladies respiratoires qui évoluent souvent
à bas bruit sur plusieurs années.
« LE POUMON À CHAQUE ÉTAPE
DE LA VIE »
C’est le il conducteur du Congrès de
pneumologie de langue française.
La santé respiratoire des enfants
constitue en efet un enjeu majeur
pour le futur de leur vie d’adulte.
Les efets de la pollution atmosphé-
rique et du tabac actif ou passif sur
les poumons sont délétères à tous
les âges de la vie et même avant la
naissance.
De nombreuses études de cohortes
établissent un lien entre cette la
pollution atmosphérique et un
risque de mortalité excessif, notam-
ment par cancer du poumon.
LE DÉPISTAGE DU CANCER
DU POUMON SUR LES RAILS
Le cancer du poumon est l’un des
cancers les plus fréquents, mais
aussi le plus meurtrier. Grâce aux
progrès thérapeutiques (thérapies
ciblées, immunothérapie), le taux
de mortalité à un an a nettement di-
minué. Toutefois, il reste dans l’en-
semble de mauvais pronostic, car il
est souvent découvert tardivement
(plus de 60 % sont diagnostiqués à
un stade métastatique).
Ces chifres soulignent encore, si
besoin était, l’intérêt d’un dépistage
organisé pour un diagnostic pré-
coce à un stade localisé. Des projets
pilotes de dépistage organisé chez
les sujets à risque sont en train de se
mettre en place. Les premiers scan-
© Sanofi / DR
Dr Benjamin Ferey
Qu’apporte la recherche en
immunologie dans le traitement
des maladies respiratoires ?
L’immunologie constitue le socle
de la recherche Sanoi et est à l’ori-
gine d’avancées dans de nombreux
domaines thérapeutiques.
Une meilleure connaissance de la
voie immunitaire de l’inlamma-
tion de type 2 nous a permis notam-
ment d’élargir l’ofre thérapeutique
en dermatologie, en pneumologie,
en ORL, en gastro-entérologie et en
pédiatrie pour des patients qui se
SAMEDI 27 JANVIER 2024 ❶
www.grandanglesante.fr
Spécial Maladies respiratoires
ners faiblement dosés de dépistage
seraient expérimentés début 2025…
AUTRE ENJEU, LA BPCO
(BRONCHOPNEUMOPATHIE
CHRONIQUE OBSTRUCTIVE)
Sous-diagnostiquée ou identiiée
tardivement, souvent à l’occasion
d’une exacerbation, la BPCO est à
l’origine d’un grand nombre d’hos-
pitalisations. La spirométrie est un
test simple qui permet de mesurer
les capacités respiratoires et qui
devrait être plus largement déve-
loppée en ville, notamment pour
détecter une obstruction bron-
chique. Elle est importante pour
pouvoir intervenir tôt dans l’his-
toire de la maladie, qui évolue de
façon insidieuse.
ENFIN DES ESPOIRS DANS
L’ASTHME SÉVÈRE
L’asthme se développe le plus sou-
vent durant l’enfance, mais il peut
apparaître à tout âge. Sa gravité
évolue dans le temps et ses consé-
quences peuvent être sévères
lorsqu’il échappe au contrôle des
traitements.Les biothérapies (anti-
IgE,anti-IL5,anti-IL4 et anti-IL13…)
© Realm - stock.adobe.com / DR
ont révolutionné le traitement de
l’asthme sévère. Cependant, plus
de 50 % des patients traités restent
non contrôlés ou ont une réponse
partielle ; il reste encore des besoins
non couverts et la recherche est
active. • Christine Fallet
Immunologie • DONNER UN NOUVEAU
SOUFFLE AUX PATIENTS
Sanoi mise sur la recherche en immunologie pour répondre à
des besoins non satisfaits dans le traitement des maladies respiratoires
inlammatoires chroniques.Avec l’objectif d’apporter des solutions
innovantes pour vivre mieux avec sa maladie, le laboratoire se veut
porteur d’espoir pour les patients. Entretien avec le Dr Benjamin Ferey,
Directeur médical immunologie.
trouvaient en impasse thérapeu- le plus grave de l’asthme, diicile 100 000 hospitalisations pour exa-
tique. Nous avons intégré que l’in- à traiter avec des patients qui ont cerbations et de plus de 20 000
lammation de type 2 est un facteur un asthme non contrôlé malgré un décès par an. Deux médicaments
clé dans de nombreuses patholo- traitement maximal. Les patients biologiques sont actuellement à
gies : la dermatite atopique, mais se résignent parfois, alors qu’au- l’étude.Pour la première fois depuis
aussi l’asthme, la polypose naso- jourd’hui l’arrivée de biothérapies plus de dix ans, dans les derniers
sinusienne et la BPCO. a ouvert de nouvelles perspectives essais de phase III, des résultats
En pneumologie, nous voulons ap- permettant un meilleur contrôle de prometteurs sont obtenus pour
porter des innovations pour soula- l’asthme sévère et d’envisager une une biothérapie. C’est un immense
ger les patients et faire évoluer leur rémission sous traitement. C’est un espoir pour les malades.
prise en charge,car,en dépit des pro- énorme progrès. Au-delà de la recherche de nou-
grès,les maladies respiratoires chro- veaux médicaments, nous tra-
niques ont un impact important au Quel est l’engagement de Sanoi vaillons en partenariat avec les
quotidien sur la vie des patients dans la BPCO ? associations de patients et les pro-
ainsi que sociétal. Comme dans l’asthme, nous vou- fessionnels de santé ain d’identi-
lons transformer le traitement de ier leurs besoins réels. Nous nous
Quelles sont les innovations la BPCO en misant sur le rôle joué sommes en particulier engagés à
dans l’asthme sévère ? par l’inlammation dans la pro- mieux faire connaître les bienfaits
En France, l’asthme touche près gression de la maladie. La BPCO d’une activité physique adaptée
de 4 millions de personnes. 65 000 touche environ 7 % de la population dans les maladies respiratoires.
soufrent d’asthme sévère, le niveau adulte et est responsable de plus de • C. F.
 SAMEDI 27 JANVIER 2024 ❷
Communiqué spécial Maladies respiratoires

VISER LA RÉMISSION : BIENTÔT UNE RÉALITÉ

Asthme & BPCO •
POUR LES PATIENTS SOUFFRANT DE MALADIES RESPIRATOIRES ?
Directeur médical d’AstraZeneca France, et pneumologue de formation, Gabriel Thabut revient sur l’ambition
de son entreprise, la force de ses innovations scientiiques, les performances technologiques et industrielles de son site
de Dunkerque, mais aussi sur l’implication du laboratoire dans l’amélioration de la prise en charge des patients.
Votre entreprise est engagée piratoires même moins fréquentes, objectifs ambitieux du groupe en ment essentiel de garantir un accès
de longue date dans le combat mais souvent graves, comme la termes de développement durable. rapide et équitable aux innovations
contre les maladies respiratoires. ibrose pulmonaire idiopathique. Avec la mise au point de notre futur pour le plus grand nombre de pa-
Quelle est aujourd’hui votre Le but est de prendre en charge ces inhalateur utilisant un gaz propul- tients. Parce qu’ils sont souvent à
ambition pour les patients ? pathologies à tous les stades de sévé- seur au potentiel de réchaufement l’interface du suivi de ces patients
AstraZeneca est, depuis plus de cin- rité, en travaillant notamment sur climatique proche de zéro et l’amé- souvent polypathologiques, les mé-
quante ans, l’un des laboratoires les formes galéniques pour favoriser lioration des processus industriels, decins généralistes jouent un rôle
pionniers dans le domaine des ma- l’observance et l’adhérence aux trai- Dunkerque est une démonstration essentiel. Et à ce titre, nous saluons
ladies respiratoires et particulière- tements des patients.Grâce à l’excel- forte de l’ambition d’AstraZeneca les nouvelles conditions de rem-
ment l’asthme et la BPCO, les deux lence de nos équipes de recherche, de mettre à disposition des médi- boursement des trithérapies inha-
pathologies respiratoires les plus nous nous attachons à rester à la caments innovants, tout en ayant lées dans la BPCO, qui permettent
fréquentes, représentant 7 millions pointe de la science, en concevant un impact positif sur la planète, les le remboursement aux patients
de patients en France. AstraZeneca des innovations thérapeutiques qui personnes et la société. lorsque ces traitements sont initiés
a ainsi été parmi les premiers à dé- améliorent la vie des patients. par leur médecin généraliste, ce qui
velopper des broncho-dilatateurs Au-delà du progrès thérapeutique, constitue une avancée majeure dans
puis des corticostéroïdes inhalés.Au Vous évoquiez l’importance des comment AstraZeneca la prise en charge. Enin, nous atta-

© Alex Bonnemaison- AstraZeneca / DR

il des années,le portefeuille de trai-
tements s’est enrichi, avec l’arrivée
d’anticorps monoclonaux, véritable
évolution dans la prise en charge
des patients.D’abord mis sur le mar-
ché dans l’asthme sévère, certains
sont aujourd’hui en cours de déve-
loppement dans d’autres patholo-
gies comme la BPCO. Nous portons
aujourd’hui une ambition très forte
pour ces patients : parvenir au stade
de la rémission clinique et atteindre
un jour la guérison.C’est un objectif
désormais envisageable.
Quels sont vos autres projets
en développement, et pour
quelles cibles thérapeutiques ?
Nous menons des travaux pour
mettre au point de nouvelles molé-
cules, administrées par diférentes
voies (orale, sous-cutanée ou inha-
lée) dans plusieurs pathologies res-
voies d’administration, et notam-
ment des produits administrés
par voie inhalée.Vous disposez à
Dunkerque d’un site dévolu à ce
champ d’innovation. En quoi ce
site de production constitue-t-il
un atout majeur pour atteindre
votre ambition pour les patients,
mais aussi pour la planète ?
Notre site de production de
Dunkerque est le centre d’excel-
lence mondial du groupe, entière-
ment dédié au développement et à
administrées par différentes
la production de médicaments sous
forme de poudre sèche et d’aérosols
pour le traitement de l’asthme et de
la BPCO. Plus de 550 personnes tra-
vaillent sur ce site,qui produit à 99 %
pour l’export et possède un savoir-
faire et des compétences uniques
pour s’adapter régulièrement aux
évolutions scientiiques et techno-
logiques. Ce site incarne aussi les
contribue-t-il à une meilleure
prise en charge des patients et
s’engage-t-il en faveur de la santé
respiratoire ?
Ces innovations thérapeutiques
n’ont de réel impact que si elles par-
viennent au patient. Cela suppose
que les patients soient identiiés et
que les médecins aient accès à ces
« Nous menons des travaux molécules. La prévention et le dépis-
pour mettre au point tage précoce des maladies respira-
de nouvelles molécules, toires sont sans conteste des priori-
tés majeures de santé publique, car
plus les patients sont détectés tôt,
voies (orale, sous-cutanée plus l’aggravation des symptômes
ou inhalée) dans plusieurs peut être retardée ou évitée. Nous
pathologies respiratoires nous réjouissons ainsi des récentes
même moins fréquentes, décisions publiques consistant à
mais souvent graves, instaurer un test du soule lors des
comme la fibrose bilans prévention aux âges-clés de
pulmonaire idiopathique. » la vie, l’une des recommandations
Gabriel Thabut portées par les Etats Généraux de la
Santé Respiratoire. Mais il est égale-
chons une importance particulière
à collaborer avec les associations
qui œuvrent au quotidien pour in-
former et accompagner les patients.
Par exemple, nous développons
actuellement avec quatre d’entre
elles une campagne de communi-
cation sur l’importance du contrôle
de l’asthme.De même,nous menons
des actions, notamment régionales,
pour sensibiliser sur la BPCO, cette
pathologie fréquente mais encore
très peu connue. Ainsi, la collabo-
ration avec tous les acteurs du par-
cours de soins permettra d’agir plus
tôt, plus vite et de manière durable,
ain de répondre ensemble aux
enjeux majeurs d’une bonne santé
respiratoire. • Stéphane Corenc
Information communiquée par
l’entreprise de santé AstraZeneca
FR-17665 - 01/2024

Pollution • LE
LIEN ENTRE Mission • AU SERVICE DES MALADES
PARTICULES FINES ET CANCER RESPIRATOIRES CHRONIQUES
DU POUMON SE PRÉCISE La Fédération Française des Associations et Amicales de malades
Insuisants ou handicapés Respiratoires (FFAAIR) a été créée
De nouveaux résultats de l’étude française en 1988 pour rassembler tous les malades soufrant de diverses
KBP-2020, menée par le Collège des pathologies respiratoires ain de défendre leurs intérêts.
Pneumologues des Hôpitaux Généraux, Interview d’Ingrid Rigaux, Directrice de la FFAAIR.
conirment que les cancers bronchiques chez
Quel est votre rôle auprès des nombreux national qui aura lieu en mai à Marseille. Ces
des non-fumeurs, porteurs de mutations malades en France ? manifestations sont l’occasion de consolider
EGFR sont plus fréquents dans les zones Les malades respiratoires sont efectivement les liens avec la communauté des spécialistes
polluées. Explications du Pr Alexis Cortot, très nombreux en France (environ 10 mil- en les informant des attentes des malades
pneumologue au CHU de Lille. lions) : ils soufrent de BPCO, d’asthme, d’ap- respiratoires, d’échanger avec les fabricants
© DR

Le cancer du poumon est la première
cause de mortalité par cancer en France avec
environ 50 000 nouveaux cas chaque année
et près de 35 000 décès par an. Le principal
facteur de risque est le tabac (dans 85 % des
cas). « Les autres facteurs de risque sont les
expositions professionnelles (amiante), le
tabagisme passif et la pollution. L’impact
de la pollution sur la survenue de cancer
du poumon a déjà été bien démontré sur le
plan épidémiologique dans de nombreuses
5 700 patients atteints de cancer du poumon,
pour lesquels on a pu évaluer l’exposition aux
polluants de l’environnement (PM 2,5, PM 10,
ozone, dioxyde d’azote, radon) selon leur lieu
de résidence.De plus,outre la mutation EGFR,
d’autres mutations (KRAS,ALK,ROS…) ont été
étudiées. « Les résultats montrent qu’il existe
bien un lien entre l’exposition aux particules
ines PM 2,5 et la survenue de cancer pulmo-
naire EGFR muté. Les patients résidant dans
des zones polluées ont 50 % de risque supplé-
née du sommeil,de ibrose pulmonaire idiopa- de matériel et de connaître les avancées mé-
thique,d’insuisance respiratoire chronique… dicales et thérapeutiques. Grâce à la FFAAIR,
La FFAAIR rassemble 51 associations qui les malades disposent d’une Charte de la per-
agissent au quotidien pour aider les malades à sonne prise en charge par un prestataire de
vivre le mieux possible leur handicap,les sou- santé à domicile leur garantissant des pres-
tenir dans leurs démarches et leur apporter du tations iables et de qualité. Une quarantaine
réconfort. La FFAAIR re- de prestataires ont signé
présente ainsi toutes ses la Charte publiée sur le
associations membres site www.faair.org
sur tous les fronts et
porte la voix des malades Quelles sont vos
au niveau des plus hautes relations avec les autres
© Antoine Noiran- FFAAIR / DR

études », déclare le Pr Alexis Cortot.
Ces études ont conduit le Centre internatio-
nal de recherche sur le cancer (CIRC) à classer
les particules ines PM 2,5 comme carcino-
gènes de groupe 1. Les travaux de chercheurs
anglais ont récemment apporté des éléments
nouveaux qui montrent, pour la première
fois, l’explication biologique (implication de
l’inlammation) et le rôle direct des particules
ines PM 2,5 dans la survenue de cancers du
poumon, mutés EGFR chez des patients non
fumeurs (environ 10 % des patients en France).
UN RISQUE AUGMENTÉ DE 50 %
L’étude française a porté sur une cohorte de
mentaire d’avoir un cancer du poumon avec instances de l’Etat et de associations impliquées
ce type de mutation, souligne le Pr Alexis la Sécurité sociale, ain dans ce domaine ?
Cortot. S’il est important, ce risque est toute- de contribuer à améliorer Nous entretenons des
fois inférieur à celui du tabagisme actif qui leur prise en charge et de relations étroites avec
est de 10 à 20 fois plus élevé, selon le niveau défendre leurs intérêts. les autres associations
de tabagisme. » commeSantérespiratoire
Ce risque est également observé pour les PM 10 En pratique, comment Ingrid Rigaux France, la Fondation du
et le dioxyde d’azote. En revanche, aucune re- intervenez-vous ? soule, Asthme & Allergies, etc. et nous nous
lation n’a été établie entre les polluants et les La FFAAIR agit concrètement en participant impliquons dans de nombreuses actions com-
autres types de mutation. à de nombreux groupes de travail et de ré- munes, dès lors que la défense du droit des
Ces résultats doivent inciter à poursuivre les lexion pour lesquels elle est consultée. Elle malades est en jeu.
eforts de lutte contre la pollution environ- participe aussi à divers évènements, comme Nous participons activement aux Etats
nementale et faire réléchir à des stratégies le Congrès de pneumologie de langue fran- Généraux de la Santé Respiratoire ain de
préventives auprès de populations fortement çaise à Lille,dont le thème choisi est « Asthme sensibiliser aux enjeux de la prévention, du
exposées. • C. F. et activité physique » et organise un congrès dépistage et du parcours de soins. • C. F.
10 | france
L O I « I M M I G R AT I O N »
En marge de la manifestation parisienne contre la loi « immigration », le 14 janvier. CAMILLE MILLERAND/DIVERGENCE POUR « LE MONDE »
Immigration : des flux en hausse
Plus de 320 000 premiers titres de séjour ont été délivrés en 2023 à des
étrangers non européens, un chiffre en hausse de 1,4 %
L’
immigration a conti-
nué de progresser en
France en 2023, portée
par les arrivées d’étu-
diants, de réfugiés et de salariés.
Selon les estimations annuelles
rendues publiques par le minis-
tère de l’intérieur jeudi 25 janvier,
plus de 320 000 premiers titres de
séjour ont été délivrés à des étran-
gers non européens. Une hausse
de 1,4 % sur un an.
« C’est un niveau record. Nous
sommes dans un monde où les
mobilités ont repris », a com-
menté lors d’une conférence de
presse Eric Jalon, le directeur de
l’administration centrale chargé
des étrangers en France. Il a éga-
lement estimé que l’année écou-
lée « confirme le changement
dans la structure des migrations
légales ». Des chiffres parus le
jour de la censure partielle de la
loi « immigration » par le Conseil
constitutionnel.
Avec plus de 100 000 titres déli-
vrés à des étudiants, ceux-ci re-
présentent le premier flux migra-
toire légal, devançant l’immigra-
tion familiale pour la deuxième
année d’affilée, qui a concerné
91 000 premiers titres, en recul de
5 % sur un an. L’immigration éco-
nomique a motivé, elle, plus de
54 000 délivrances, soit une
hausse de 5 % sur un an.
Elle dépasse pour la deuxième
année l’immigration pour motif
humanitaire, pourtant en hausse
de 15 % avec près de 48 000 titres,
principalement à des réfugiés.
« C’est la volonté du président de la
DIMANCHE28JANVIER
12H-13H
Yaël Braun-Pivet,
Présidente de l’Assemblée nationale,
députée Renaissance des Yvelines
République de favoriser l’immigra-
tion économique (…) et de limiter
l’immigration familiale », s’est féli-
cité dans une vidéo mise en ligne
jeudi sur les réseaux sociaux le
ministre de l’intérieur, Gérald Dar-
manin. Les premiers détenteurs
de ces titres de séjour sont les Ma-
rocains (36 240), les Algériens
(32 180) et les Tunisiens (22 400).
La Chine arrive en quatrième posi-
tion devant les Etats-Unis.
« Changements de procédures »
« Il n’y a pas de surprise, com-
mente Jean-Christophe Dumont,
chef des migrations internationa-
les à l’Organisation de coopéra-
tion et de développement écono-
miques (OCDE). Ce sont des chif-
fres importants, notamment pour
l’immigration de travail, dont
l’augmentation est à la fois le ré-
sultat des changements de procé-
dures opérés en 2021 [pour facili-
ter les démarches et simplifier les
critères permettant d’introduire
de la main-d’œuvre étrangère en
France], et le fait d’étudiants qui
sont encouragés à basculer sur des
titres de séjour économiques lors-
que des emplois correspondent à
leurs compétences. Ils peuvent
même créer des start-up. »
L’augmentation du nombre de
titres humanitaires est, lui, l’écho
logique d’une augmentation de la
demande d’asile. « On pourrait at-
teindre un million de demandes en
Europe cette année », a rappelé Eric
Jalon, soulignant que l’Allemagne
avait enregistré plus de 350 000
demandes, contre 145 000 pour la
LE MINISTRE DE
L’INTÉRIEUR A TENU
À SOULIGNER
L’« AUGMENTATION
TRÈS IMPORTANTE
DES EXPULSIONS »
France. Selon le ministère de l’in-
térieur, près de 45 % des deman-
deurs d’asile ont obtenu une pro-
tection de la France. « Ce n’est pas
arrivé depuis les années 1980, sou-
ligne Gérard Sadik, responsable
national asile de la Cimade. Cela
démontre qu’il n’y a pas de détour-
nement de la procédure de l’asile. »
A ce titre, M. Jalon a estimé que
l’entrée en vigueur future du
pacte européen sur l’asile et la mi-
gration pourrait réduire de façon
« considérable » la demande en
France. Le pacte prévoit en effet
une procédure d’examen des de-
mandes aux frontières extérieu-
res de l’espace Schengen pour les
nationalités arrivant en Europe et
dont le taux de protection est en
moyenne inférieur à 20 %. « Cela
correspond à un certain nombre
de nationalités parmi les dix pre-
mières qui demandent l’asile en
France », a indiqué M. Jalon, citant
les cas du Bangladesh, de la Géor-
gie ou encore du Sri Lanka.
Sur les réseaux sociaux, le minis-
tre de l’intérieur a tenu à souligner
pour sa part l’« augmentation très
importante des expulsions et des
OUESTIONS
POLITIOUES.
éloignements des étrangers irrégu-
liers ». En 2023, un peu plus de
17 000 étrangers ont été éloignés
du territoire, ce qui représente
une augmentation de 10 % sur un
an mais reste inférieur aux 23 000
éloignements opérés en 2019,
avant la pandémie de Covid-19,
qui a eu pour effet de restreindre
massivement les mouvements de
population. « La coopération
consulaire avec les pays d’origine
n’a pas retrouvé les niveaux de
2019 », a reconnu M. Jalon.
De même, les éloignements
sont affectés par la décision prise
fin 2022 par la cheffe du gouverne-
ment italien, Giorgia Meloni, de
suspendre les transferts « Du-
blin », une procédure qui permet-
tait à la France de renvoyer en Ita-
lie les demandeurs d’asile lorsque
leurs empreintes y avaient été en-
registrées à leur arrivée en Europe.
Avec l’Allemagne et la Suède, « la
France fait partie des trois pays en
Europe qui procèdent le plus à des
éloignements », a toutefois valo-
risé M. Jalon. Les Algériens sont
les premiers étrangers éloignés
(2 562) devant les Géorgiens
(1 642) et les Albanais (1 439). Selon
M. Darmanin, parmi les person-
nes expulsées, 4 686 étaient des
« étrangers délinquants ».
En 2023, le ministère de l’inté-
rieur a en outre régularisé
34 000 étrangers en situation ir-
régulière. Parmi eux, un peu plus
de 11 000 personnes ont été régu-
larisées au titre du travail qu’elles
occupent en France. p
julia pascual
Européennes : à gauche,
la lutte des places
derrière Glucksmann
Le fondateur de Place publique et le Parti
socialiste bataillent pour se répartir les
places éligibles en vue du scrutin du 9 juin
C omment faire rentrer
l’édredon dans la petite
valise ? A cinq mois des
élections européennes du 9 juin,
la question se pose au Parti socia-
liste (PS), qui affectionne particu-
lièrement l’expression. Avec ce
scrutin, le PS rêve de revenir sur le
devant de la scène à gauche et
d’effacer l’humiliation de la prési-
dentielle. « C’est un vrai ballon
d’essai de ce que l’on portera vers
la présidentielle de 2027, et qui té-
moignera de notre capacité à cap-
ter les électorats perdus », lance
Pierre Jouvet, secrétaire général
du PS, et numéro deux du parti.
Dans l’immédiat, les sondages,
qui placent sa future tête de liste,
Raphaël Glucksmann, autour de
10 %, font tourner les têtes. « Tout
le monde veut en être, avoir sa
part », constate Luc Broussy, an-
cien président du conseil national
du PS, le parlement du parti, et
proche d’Olivier Faure. Depuis plu-
sieurs semaines, Raphaël Glucks-
mann et le PS s’écharpent pour sa-
voir combien chacun aura de pla-
ces éligibles sur la liste finale.
Le fondateur de Place publique
en revendique un tiers : trois sur
neuf, si le score atteint les 10 %, et
plus, dans l’hypothèse d’un score
plus élevé. Cette requête est jugée
trop gourmande par le PS, qui
pense lui accorder deux places. Ar-
gument avancé, l’élection euro-
péenne serait d’abord un scrutin
d’« étiquette », selon Pierre Jouvet.
Le nom de la tête de liste ne pèse-
rait, selon lui, qu’« un ou deux
points » dans le score final.
Qu’est-ce qui fera vaciller l’un des
partenaires ? « Je préférerais qu’on
aille très vite pour partir rapide-
ment [en campagne] », plaide
l’eurodéputé Christophe Clergeau,
candidat, M. Glucksmann ayant
déjà entamé la sienne.
Courants minoritaires
Le PS est d’autant moins enclin à
céder des places qu’il fait face à
une avalanche d’ambitions inter-
nes. La grogne est d’ailleurs en
train de monter au sein du cou-
rant d’Olivier Faure. Le premier
casting, qui fait figurer à des places
éligibles Pierre Jouvet, les députés
sortants Christophe Clergeau et
Nora Mebarek, la présidente des
jeunes socialistes Emma Rafowicz
ou encore Chloé Ridel, une haut
fonctionnaire régulièrement invi-
tée sur les plateaux télé, ne fait pas
l’unanimité. Furieuses, de grosses
fédérations du parti, comme
l’Eure, la Seine-Saint-Denis, la
Haute-Vienne ou les Bouches-du-
Rhône, ont écrit au premier secré-
taire, regrettant que « près des trois
quarts des candidats éligibles
[soient] parisiens intra muros ».
« Le premier ouvrier ou employé
sur la liste est situé au-delà de la
40e place », poursuit cette lettre, à
laquelle Le Monde a eu accès, qui
juge la situation « inacceptable
CARINE
BÉCARD avec
Nathalie Saint-Cricq
et Françoise Fressoz
0123
SAMEDI 27 JANVIER 2024
pour un parti se targuant de vou-
loir retrouver le peuple ». La mis-
sive requiert un délai de quinze
jours supplémentaires pour re-
voir la composition de cette liste,
censée être votée le 31 janvier.
A cette problématique s’ajoute
celle des deux courants minori-
taires, auxquels Olivier Faure doit
faire une place. Le premier secré-
taire a renoncé à exclure les can-
didats du maire de Rouen, Nicolas
Mayer-Rossignol, comme il le
laissait entendre après les sénato-
riales de septembre 2023. Le chef
de file des socialistes n’avait pas
apprécié que la maire de Paris,
Anne Hidalgo, réserve à ses sou-
tiens tous les sièges de la capitale.
Mais, soucieux de préserver la
paix, pour une fois uni derrière
un même candidat, il se montre
finalement prêt à accorder, à ce
courant, une voire deux places.
A qui ? La question reste entière.
Jean-Marc Germain, le premier
candidat poussé par le courant,
n’est pas forcément aidé par son
épouse, Anne Hidalgo. A ses
vœux, le 10 janvier, l’édile pari-
sienne a plaidé pour une liste
commune du PS avec les écologis-
tes, sans soutenir Raphaël Glucks-
mann comme tête de liste. Cette
sortie pourrait encourager la
commission électorale, qui éla-
bore le savant dosage, de décaler
le prétendant vers le bas. François
Kalfon, investi par le courant hol-
landais de la maire de Vaulx-en-
Velin (Métropole de Lyon), Hélène
Geoffroy, pourrait connaître le
même sort.
Les convoitises à gauche dépas-
sent largement le PS. En décem-
bre 2023, Raphaël Glucksmann a
rendu visite à François Hollande.
L’ancien président de la Républi-
que lui a conseillé d’ouvrir sa
liste aux partisans de son ancien
ministre Bernard Cazeneuve,
aux radicaux de gauche, aux éco-
logistes ou à d’anciens macronis-
tes. M. Cazeneuve promet qu’il
soutiendra une liste de « large
rassemblement ». Le président
des radicaux de gauche,
Guillaume Lacroix, qui avait eu
plusieurs échanges avec M.
Glucksmann à l’automne, rêvait
aussi de s’y faire une place. Sans
nouvelle, il a depuis décidé de
monter sa propre liste.
Raphaël Glucskmann préfère
observer ce petit monde de loin,
soucieux d’installer sa dynami-
que. Pour l’instant, ses multiples
apparitions dans les médias ne lui
ont pas permis de creuser l’écart,
comme s’il avait déjà fait le plein
chez les cadres des métropo-
les. Lundi, il sera à Cherbourg,
pour rencontrer des pêcheurs.
Une façon peut-être de répondre
aux attaques de François Ruffin,
qui l’avait jugé « hors-sol » et « dé-
connecté », et de partir à la con-
quête d’un électorat populaire. p
sandrine cassini
TV canal 27
0123
SAMEDI 27 JANVIER 2024
Pour le directeur de Sciences Po
Paris, un retour sous condition
Mathias Vicherat, visé par une enquête pour violences conjugales, devra
néanmoins se déporter des sujets sur les violences sexuelles et sexistes
I L’
ls se sont réunis en toute dis-
crétion, par deux fois, les
12 et 23 janvier : les dix mem-
bres de la commission cons-
tituée mi-décembre 2023 pour
donner un avis sur le calendrier et
les modalités de la fin de la pé-
riode de retrait du directeur de
Sciences Po ont confirmé la date
de son retour, à savoir le lundi
29 janvier. La commission – com-
posée des membres des bureaux
du conseil d’administration de la
Fondation nationale des sciences
politiques et du conseil de l’Insti-
tut, ainsi que des président et pré-
sidente du conseil scientifique et
du conseil de la vie étudiante et de
la formation – demande néan-
moins à Mathias Vicherat de se dé-
porter des sujets relatifs aux vio-
lences sexuelles et sexistes, le
temps que l’enquête préliminaire
ouverte par le parquet de Paris
rende ses conclusions.
« Jusqu’à cette date, la commis-
sion invite le directeur à prendre,
dans le respect du code de l’éduca-
tion, les dispositions administrati-
ves nécessaires pour traiter les
questions liées aux VSS [violences
sexuelles et sexistes] », indique le
communiqué envoyé aux étu-
diants et personnels, jeudi 25 jan-
vier. Le directeur pourrait délé-
guer cette mission au recteur de
Paris, comme ce fut le cas au
cours de sa mise en retrait.
Une enquête avait été ordonnée
le 4 décembre 2023, à l’issue de
deux jours de garde à vue de Ma-
thias Vicherat et de sa compagne,
Anissa Bonnefont, qui s’accu-
saient réciproquement de violen-
ces conjugales. Aucune plainte ou
main courante n’avait été dépo-
sée de part et d’autre. Mathias Vi-
cherat avait finalement annoncé
son retrait provisoire, le 11 décem-
Alcool, tabac et cannabis : les usages
des adolescents diminuent
Selon une enquête, l’âge des expérimentations recule et la consommation baisse
Q uand commence-t-on à
boire, à fumer ? Quand
expérimente-t-on pour
la première fois des
substances psychotropes ? Et,
passé l’« essai », combien d’ado-
lescents continuent d’en consom-
mer ? A ces questions, les chiffres
dévoilés par l’Observatoire fran-
çais des drogues et des tendances
addictives (OFDT), jeudi 25 janvier,
apportent un message « globale-
ment encourageant », selon les
mots de son directeur, Guillaume
Airagnes : l’âge des initiations –
des « premières fois » – recule,
quand bien même ces expéri-
mentations s’amorcent toujours
au cours des premières années de
collège. Et les niveaux de consom-
mation continuent de diminuer.
Ce sont deux des principaux en-
seignements de l’enquête natio-
nale en collèges et en lycées chez
les adolescents sur la santé et les
substances, dite EnClass, menée
par l’OFDT et l’Ecole des hautes
études en santé publique (EHESP)
avec le concours de l’éducation
nationale. Quelque 9 566 collé-
giens et lycéens y ont participé, en
répondant en classe à un ques-
tionnaire en ligne, entre mars et
juin 2022. Il s’agit de la deuxième
enquête du genre (la première
aussi complète remontant à 2018).
Adossée à d’autres investigations
nationales et internationales, En-
Class permet de comparer les ni-
bre, dans un message où il esti-
mait que la fonction de direction
« impose, plus qu’aucune autre, un
devoir d’exemplarité ». Le parquet
de Paris indique au Monde que
cette enquête est toujours en
cours et qu’il n’a aucun élément à
communiquer sur son contenu.
La commission pose un certain
nombre de conditions au retour
du directeur. Elle attend de Ma-
thias Vicherat qu’il s’exprime
« dans les meilleurs délais » devant
les deux conseils décisionnaires
de l’établissement (le conseil de
l’Institut et le conseil d’adminis-
tration de la Fondation nationale
des sciences politiques) pour
« présenter les dispositions qu’il
mettra en œuvre afin de recons-
truire [la] confiance ». Selon les in-
formations du Monde, les deux
réunions devraient se tenir res-
pectivement les 30 et 31 janvier.
Renouer les liens
Lorsque l’enquête préliminaire
sera close, ces deux conseils – qui
l’ont élu en novembre 2021 pour
une durée de cinq ans renouvela-
ble deux fois – se prononceront
pour renouveler ou non leur con-
fiance à l’égard de M. Vicherat. Il
leur reviendra également « de sui-
vre et d’évaluer le rétablissement
de cette confiance et d’exercer leurs
responsabilités avec la plus grande
exigence », précise la commission,
qui relève avec inquiétude « la fra-
gilisation de la confiance à l’égard
du directeur qui se manifeste dans
les communautés composant
l’institution ». Au titre de ces im-
pératifs figurent « la bonne gou-
vernance », « la concertation lors
des prises de décisions » ou encore
« l’amélioration du climat social ».
Ces promesses suffiront-elles à
renouer les liens ? Les trois posi-
veaux d’expérimentation et de
diffusion des substances psy-
choactives. Dans le détail, pour ce
qui est des collégiens, 43,4 % dé-
clarent avoir expérimenté l’alcool
en 2022 contre 60 % en 2018. Ils
sont 11,4 % à avoir essayé la ciga-
rette en 2022, contre 21,2 % quatre
ans plus tôt. Les chiffres sont plus
faibles pour le cannabis, mais la
tendance n’est pas différente : ils
sont 5,3 % des élèves, en classes de
4e et de 3e, à avoir testé cette subs-
tance, contre 6,7 % en 2018.
La photographie statistique évo-
lue avec le niveau scolaire, en par-
ticulier lors du passage du collège
au lycée. Concernant le tabac, l’ex-
périmentation, chiffrée à 4,6 % en
6e, puis à 18,8 % en 3e, passe à 30 %
en 2de. Pour le cannabis, 16,3 % des
élèves de 2de disent en avoir con-
sommé ; ils sont près d’un sur
trois à le déclarer en terminale
(31,2 %). Cela vaut, aussi, pour les
usages « dans le mois » ou « régu-
liers » qui, lors du passage de la 3e à
la 2de, connaissent une hausse.
Il n’empêche, et c’est le message
sur lequel ont insisté, jeudi, en
présentant l’enquête, ses deux
coordinateurs, Stanislas Spilka,
responsable de l’unité statistique
de l’OFDT, et Emmanuelle Go-
deau, enseignante-chercheuse à
l’EHESP : l’ensemble des niveaux
d’usage des substances psy-
choactives est en baisse en 2022
par rapport à 2018. Une tendance
Quand l’enquête
préliminaire
sera close,
les instances
de gouvernance
décideront
ou non de
lui renouveler
leur confiance
tions qui ont émergé depuis le dé-
but de l’affaire divisent encore
nettement les membres de l’éta-
blissement près de deux mois
plus tard. Comment rassembler
les partisans d’un appel à la dé-
mission immédiate ou au con-
traire d’un retour à la tête de l’éta-
blissement au nom de la pré-
somption d’innocence et, enfin,
ceux qui demandent le prolonge-
ment du retrait jusqu’à la clôture
de l’enquête préliminaire ?
« Les points légitimes qui ont été
soulevés en décembre le sont tou-
jours et tout particulièrement la
sincérité de la lutte contre les vio-
lences sexuelles et sexistes, qui
était le combat central de Mathias
Vicherat », souligne Léon Flachat-
Berne, de l’UNEF. « Nous sommes
nombreux à demander plus de
transparence, appuie Chiara Mar-
tinelli, présidente du syndicat étu-
diant Nova. On tient à l’existence
de la cellule de lutte contre les vio-
lences sexuelles et sexistes, mais les
procédures sont encore trop lentes
et les enquêtes doivent être menées
de façon plus transparente car el-
les laissent les étudiants [qui ont
signalé un fait de violence sexiste
ou sexuelle] dans l’incertitude
que l’on peut faire remonter sur
une période plus longue, depuis
2010, et qui s’est accentuée avec
la crise sanitaire du Covid-19, à
partir de 2020.
Dans le flot des statistiques dé-
voilées, certaines interpellent les
chercheurs, toutefois. Sur l’al-
cool, par exemple, substance la
plus partagée par les jeunes : en
classe de 6e, plus d’un collégien
sur quatre déclare en avoir déjà
consommé (26,9 %). Une « initia-
tion » qui, contrairement au ta-
bac, peut se jouer en famille, a re-
levé Nicolas Prisse, président de
la mission interministérielle de
lutte contre les drogues et les
conduites addictives, venu con-
clure la conférence de presse de
présentation de l’enquête.
« Comportement dangereux »
L’occasion, pour ce médecin de
santé publique, d’appeler à « s’at-
taquer » à ce problème ainsi qu’à
la vente d’alcool aux mineurs,
pourtant interdite. Une possibi-
lité confirmée par les intéressés :
en terminale, pratiquement un
élève sur deux estime qu’il lui se-
rait très facile de se procurer des
boissons alcoolisées (ou des ciga-
rettes), contre un peu moins d’un
élève sur cinq en 3e.
Sur l’alcool, toujours, un collé-
gien sur dix a déjà été ivre, sans
distinction selon le sexe. L’enquête
aborde pour la première fois,
quant à la progression de leur af-
faire. » « Beaucoup d’étudiants
n’osent pas se confier et viennent
voir les associations féministes ou
bien les syndicats étudiants »,
ajoute Sarah Bonvalet-Younès, vi-
ce-présidente de l’UNEF Sciences
Po, qui dit avoir recueilli au moins
trois témoignages depuis un an,
jamais livrés à la cellule d’enquête
par manque de confiance.
Pour la coalition des associa-
tions féministes de Sciences Po, le
maintien à son poste de Mathias
Vicherat résonne comme « une in-
sulte envers toutes les victimes ».
Elle assure que « le mouvement
qui s’oppose à son maintien en
poste n’est pas minoritaire » et pro-
met de prochaines mobilisations.
Après un blocage des campus de
Paris et de Reims (Marne), le 9 no-
vembre 2023, à l’initiative de ce
collectif, un groupe de travail avait
été mis en place, qui s’est traduit
par un projet de renforcement du
plan d’action de la cellule d’enquê-
tes internes préalables. D’après un
« point d’étape » concernant l’an-
née 2022 et publié fin février 2023,
cette cellule, présidée par une ma-
gistrate indépendante, avait
lancé 51 enquêtes internes préala-
bles à la suite de signalements de
violences sexistes et sexuelles,
dont 42 ont été finalisées. Le délai
de traitement moyen d’une en-
quête était de 2,3 mois (contre
cinq auparavant). Ce premier bi-
lan indiquait que le directeur de
Sciences Po avait saisi la section
disciplinaire dans le cadre de qua-
tre dossiers, et prononcé des sanc-
tions dans deux d’entre eux : une
mesure d’exclusion d’un an et des
« mesures de responsabilisation »
pour trois étudiants. p
minh dréan
et soazig le nevé
en 2022, les épisodes d’« alcoolisa-
tion ponctuelle importante » chez
les élèves de 4e et de 3e. A ce niveau,
14,6 % des adolescents disent avoir
bu au moins cinq verres d’alcool
en une seule occasion, le mois pré-
cédant l’enquête. Chez les lycéens,
cela concerne 34,5 % d’entre eux.
« Ils sont moins nombreux à boire,
mais quand ils boivent, ils boivent
de cette manière-là, un comporte-
ment qui reste dangereux », a souli-
gné Stanislas Spilka. « L’expérimen-
tation de l’alcool, à l’âge de 13 ans, a
diminué dans tous les pays ces der-
nières années, a aussi rappelé Em-
manuelle Godeau, mais comme la
tendance est à la baisse, partout, et
que la France partait d’un niveau
plus haut, nous restons dans le pe-
loton de tête. »
Concernant le tabac, la perspec-
tive d’une génération sans tabac,
engagement présidentiel avancé,
en 2021, pour les jeunes qui
auront 20 ans en 2030, est « quasi
atteignable », a relevé M. Spilka.
Les données dévoilées confir-
ment toutefois l’engouement des
plus jeunes pour la cigarette élec-
tronique : au collège, son usage
quotidien concerne 1,4 % des élè-
ves, soit une prévalence équiva-
lente à celle du tabagisme quoti-
dien. Au lycée, en passant de 2,8 %
à 3,8 % en quatre ans, son usage a
même, pour la première fois, de-
vancé celui des cigarettes. p
mattea battaglia
Au tribunal de Bobigny,
la réalité sordide d’une
affaire de proxénétisme
Un rappeur peu connu et l’un de ses amis
ont été condamnés pour avoir séquestré
une femme dans des appartements Airbnb
un est un rappeur des bas-
fonds, dont les vidéos
tournent sur YouTube
mais qui n’a jamais vraiment
percé. Des images d’individus en-
capuchonnés, parfois de très jeu-
nes adolescents, aux mots provo-
cants sur la police, la drogue ou
l’argent, avec des immeubles d’un
quartier d’Evry-Courcouronnes
(Essonne) en arrière-plan. L’autre
est un jeune homme qui achève
sa transition depuis le sexe fémi-
nin, déjà condamné à une peine
de prison ferme pour trafic de stu-
péfiants. Pendant un mois, au dé-
but de l’automne 2023, les deux
amis âgés de 20 ans, Yves-Hugo A.
et Curtis N., ont séquestré une
jeune femme de 18 ans, originaire
de Lyon, pour la prostituer dans
des appartements loués sur Air-
bnb à Orly, Bry-sur-Marne (Val-de-
Marne), Combs-la-Ville, Torcy
(Seine-et-Marne) ou Gagny (Sei-
ne-Saint-Denis), au gré de leurs
déplacements et de l’évolution de
la demande des clients.
La victime, M., est présentée
comme « Sara la Martiniquaise »
sur un site en ligne doté d’une ca-
tégorie « relations éphémères »
remplie d’annonces à connota-
tion sexuelle, parfois très explici-
tes. Elle aurait rapporté
15 000 euros en quelques semai-
nes aux deux proxénètes impro-
visés. « Sept jours sur sept, la nuit,
le jour », se désole Youssef Badr, le
président de la 18e chambre cor-
rectionnelle du tribunal judiciaire
de Bobigny, en dénonçant, jeudi
25 janvier, une affaire particuliè-
rement sordide et dégradante.
Une assistante sociale, alertée par
la victime grâce à un message sur
un réseau social, a pu signaler sa
disparition aux policiers. Puis
permettre la localisation du der-
nier appartement où M. enchaî-
nait les passes au premier étage
d’un immeuble HLM de Gagny.
« N’abîmez pas son visage »
Lorsque les policiers intervien-
nent, le 5 octobre 2023, ils décou-
vrent la victime et les deux geô-
liers présumés, ainsi que des
stocks de préservatifs, des lubri-
fiants et des godemichés. Sur leurs
téléphones portables, des échan-
ges pragmatiques avec les clients.
« Salut, pour trente minutes c’est
combien ? », questionne l’un d’eux.
« J’ai pu retirer 100 euros, tu me fais
une heure ? », interroge un autre en
s’adressant au proxénète. Les dix
ou quinze minutes de rapport
sexuel rapportent 50 euros aux
deux prévenus – ils gardent l’inté-
gralité des revenus. « Demande au
client [précédent] s’il a deux capo-
tes, je passe après lui », indique un
client pour économiser un préser-
vatif et gagner du temps.
Les gains ont servi à payer des
dents en argent pour le rappeur,
des repas livrés via une plate-
forme de livraison pour les préve-
nus et leurs proches, des vête-
ments de luxe, des chaussures, la
location d’une voiture. La police
est convaincue que les sommes
ont aussi permis de financer un
des clips du jeune homme, connu
sous le nom de scène « LSK » avec
des titres comme Fuck l’Etat. Pour
se justifier, l’artiste amateur, qui
S AN T É
Constitutionnalisation
de l’IVG : Braun-Pivet
contredit Larcher
La présidente de l’Assemblée
nationale, Yaël Braun-Pivet, a
jugé que « dire que la Consti-
tution ne doit pas être le ré-
ceptacle des droits sociaux et
des droits et libertés » était
une « erreur », réagissant,
france | 11
La police
est convaincue
que les gains
ont permis de
financer un des
clips du rappeur,
connu sous le
nom « LSK »
gagnait sa vie avec des missions
d’intérim, a expliqué que la vic-
time, connue en boîte de nuit, de-
venue une proche, s’était déjà
prostituée auparavant et qu’elle
avait accepté de l’aider à rem-
bourser une dette de 2 000 euros
auprès de « mecs de Champigny »
pour une histoire, dit-il, de voi-
ture abîmée.
La jeune fille – au physique en-
core enfantin – avait été punie
pour avoir tenté d’alerter sur son
sort en donnant le nom du rap-
peur. « N’abîmez pas son visage »,
aurait recommandé un des préve-
nus. Des copines des deux mis en
cause l’avaient ensuite humiliée
en la faisant marcher nue dans un
appartement. Selon les policiers,
elles auraient envisagé de
l’ébouillanter avec de l’huile
chauffée. Le rappeur avait menacé
de lui couper un doigt si elle appe-
lait à l’aide – sans passer à l’acte.
« Chacun avait quelque chose con-
tre elle », a expliqué Curtis N. Dans
ses messages vers l’assistante so-
ciale, qui tentait de l’aider, la vic-
time implore de ne pas prévenir la
police : « Ils vont me tuer. »
Les rapports sexuels sont mon-
nayés à un tarif plus élevé chaque
fois qu’ils ont lieu sans préserva-
tif – un rapport « nature », selon
les termes du site d’annonce, rele-
vés par la procureure. Soit
30 euros de plus dans la poche
pour les proxénètes. « MDR [mort
de rire], elle a la chaude-pisse »,
textote un des deux hommes à
son complice après qu’un client
s’est plaint d’avoir été contaminé.
Yves-Hugo A. et Curtis N. tentent
d’expliquer, à voix basse, devant
le tribunal, qu’ils n’ont pas com-
mis de violence ni de séquestra-
tion. « Un contexte brutal et dénué
d’empathie », ont souligné les en-
quêteurs de la brigade de répres-
sion du proxénétisme à la fin de
leurs investigations.
Le président s’adresse au rap-
peur : « Monsieur, vous croyez que
c’est crédible qu’une gamine puisse
avoir un tel rythme de passes sans
que quelqu’un lui mette la pres-
sion, la menace ? » La procureure
interroge son complice, toujours
sous traitement pour assurer sa
transition : « Vous qui avez été une
femme et qui avez transitionné,
comment pouvez-vous faire cela à
un être humain ? » « Je ne peux pas
le justifier », répond Curtis N. « Je
demande pardon », dira le rappeur
à la fin du procès. Soutenus par
des jeunes hommes et femmes de
leur quartier venus à l’audience,
les deux prévenus ont été con-
damnés respectivement à quatre
ans et trois ans de prison, dont
douze mois avec sursis chacun. p
luc bronner
jeudi 25 janvier, lors de ses
vœux à la presse, à des pro-
pos du président du Sénat,
Gérard Larcher, sur la consti-
tutionnalisation de l’IVG. Le
rôle de la Constitution est de
« consacrer les droits et liber-
tés (…) fondamentaux », et « le
droit de recourir à l’IVG est
une liberté fondamentale »,
a-t-elle dit. – (AFP.)
12 | france 0123
SAMEDI 27 JANVIER 2024

A G R I C U LT U R E

Crise agricole : Attal cherche la sortie

Le premier ministre a imaginé une réponse en trois temps, avec des aides financières annoncées dès vendredi

G
abriel Attal cherche les mots
justes. Mais peut-on réparer
en quelques paroles bien-
veillantes l’humiliation res-
sentie depuis près d’une dé-
cennie par le monde paysan ?
Depuis Matignon, le premier ministre plan-
chait encore, tard dans la soirée du jeudi
25 janvier, sur le discours qui devait présenter
ses annonces, prévu le lendemain pour apai-
ser la colère des agriculteurs. Attendu en dé-
but d’après midi vendredi, en Occitanie, là où
le mouvement de révolte est né, une semaine
plus tôt, le chef du gouvernement peaufinait,
avec son directeur de cabinet, et en lien étroit
avec l’Elysée, les derniers éléments de son
plan qui doit allier mots doux, et mesures ra-
pides et concrètes envers les exploitants.
Une réponse en trois temps est imaginée.
Il s’agit d’abord de gérer l’urgence en appor-
tant des aides financières pour répondre à la
souffrance des agriculteurs : sur le prix du
gazole non routier, sur la simplification des
procédures pour avoir accès plus rapide-
ment aux aides dues en cas de catastrophe
naturelle (inondations, sécheresse, etc.). Le
gouvernement doit aussi s’engager à faire
respecter la loi EGalim, en sanctionnant, s’il
le faut, les agro-industriels et la grande dis-
tribution, accusés de s’enrichir au détriment
des agriculteurs.
A moyen terme, diverses pistes sont étu-
diées pour simplifier les procédures adminis-
tratives, notamment celles concernant l’irri-
gation des terres. Une façon de faciliter le re-
cours aux bassines tant décriées. La régle- Manifestation
mentation française parfois plus sévère que d’agriculteurs à
celle de ses voisins européens pour l’usage Toulon, le 25 janvier.
des pesticides pourrait aussi évoluer. Tout OLIVIER MONGE POUR « LE MONDE »
comme les modalités des contrôles d’agents
comme ceux de l’Office français de la biodi-
versité, parfois vécus de façon traumatisante.
tants agricoles (FNSEA), décrivant des agricul- Face à cette montée de fièvre, le ministère de culteurs, incarnation d’une France rurale à la-
« CE QU’ON REDOUTE, C’EST L’ACCIDENT » teurs dont la « détermination est totale parce « EN TANT QUE l’intérieur oppose une étonnante mansué- quelle les citoyens sont profondément atta-
A plus long terme, la voix d’Emmanuel Ma-
cron pourrait peser à Bruxelles pour que les
que ça fait trop longtemps que ça dure ».
La colère, d’abord circonscrite dans le Sud-
MINISTRE DE tude. « On ne répond pas à la souffrance en en-
voyant des CRS », justifie Gérald Darmanin, in-
chés. « Le danger c’est l’embrasement. Si c’est le
cas, les gendarmes n’iront jamais contre les
textes européens soient plus favorables aux Ouest, où les bovins ont été frappés par la ma- L’INTÉRIEUR, ET vité du « 20 heures », jeudi, sur TF1. « En tant paysans », explique Camille Pascal, écrivain et
agriculteurs. « La ligne, c’est de ne sacrifier ni ladie hémorragique épizootique (MHE), s’est que ministre de l’intérieur, et à la demande du ancien conseiller de l’ancien premier minis-
le présent des agriculteurs ni le futur des géné- propagée dans le pays à la vitesse de l’éclair. À LA DEMANDE DU président de la République et du premier minis- tre Jean Castex, qui rappelle l’épisode de la ré-
rations », explique-t-on à l’Elysée, où l’on jure
qu’il n’est pas question de « mettre à la pou-
Après la mort, mardi, d’une agricultrice et de
sa fille, percutées sur un barrage routier, le
PRÉSIDENT DE LA tre, je les laisse faire », insiste l’élu de Tour-
coing (Nord) qui se dit « habitué aux coups de
volte des vignerons de 1907 : imaginant faire
intervenir les militaires pour en finir avec
belle nos convictions idéologiques ». « Les mouvement s’est propagé. Aux autoroutes RÉPUBLIQUE ET DU sang légitimes de ceux qui ne gagnent pas cette « révolte des gueux » dans le Languedoc
agriculteurs veulent une Europe du bon sens. bloquées s’est ajouté le fumier déversé devant beaucoup d’argent et qui travaillent très fort ». et le Roussillon, Georges Clemenceau avait es-
Il n’est pas question de détricoter mais de sim- les préfectures. A Agen, mercredi, les protesta- PREMIER MINISTRE, Lundi 22 janvier, le même avait garanti l’inac- suyé une mutinerie totale du 17e régiment
plifier. On est passé de la norme à la sur- taires ont mis le feu à quelques pneus entas- tion des services de police « tant qu’il n’y d’infanterie de ligne.
norme », abonde la porte-parole du gouver- sés devant les grilles du bâtiment des pou- JE LES LAISSE FAIRE » [aurait] pas de dégradations ». Gabriel Attal doit donc parvenir à faire bais-
nement, Prisca Thevenot, qui précise : « Le voirs publics avant de l’asperger de purin, GÉRALD DARMANIN ser progressivement la tension sans l’usage
but, ce n’est pas de faire des annonces, c’est sans que les forces de l’ordre ne réagissent. ministre de l’intérieur « LE DANGER, C’EST L’EMBRASEMENT » de la force et avec l’aide de syndicats, qui, es-
d’apporter des réponses ». Le lendemain, deux syndicats, la fédération La gauche et les Verts s’offusquent. « Les “gi- père-t-il, auront repris la main sur le mouve-
Face au ras-le-bol paysan, Gabriel Attal, dé- départementale des syndicats d’exploitants lets jaunes” éborgnés, les syndicalistes crimina- ment. Mais il lui faut aussi batailler contre
crit par le quotidien suisse Le Temps comme agricoles (FDSEA) d’Ile-de-France et les Jeunes lisés, les camps de migrants lacérés, les jeunes l’extrême droite, qui tend à entretenir les
un homme dont « l’histoire tient sur deux ar- Agriculteurs appelaient au blocus de Paris, écolos accueillis avec des armes de guerre… ap- flammes de la colère, en jouant sur la dés-
rondissements de Paris », joue un contre-la- faisant frissonner le sommet de l’Etat. « Ce précieront », s’insurge, sur le réseau social X, tructuration du mouvement. Quinze jours
montre. « Les décisions sont très attendues et qu’on redoute, c’est l’accident », soupire Clémentine Autain (La France insoumise), dé- après sa nomination, avant même d’avoir
doivent être au niveau », a prévenu, jeudi, Ar- Guillaume Kasbarian (Renaissance), député putée de Seine-Saint-Denis. prononcé son discours de politique générale,
naud Rousseau, le président de la puissante d’Eure-et-Loir qui a vu soixante-dix tracteurs Mais l’histoire nous enseigne qu’on ne ré- le premier ministre vit son baptême du feu. p
Fédération nationale des syndicats d’exploi- défiler dans sa circonscription. prime pas aisément une mobilisation d’agri- claire gatinois

Marine Le Pen cible la FNSEA, « dépassée » par le mouvement

La leader du RN accuse le principal syndicat agricole de connivence avec le pouvoir en place, pour flatter une « base » victime d’une « élite »

J anvier, le mois des vœux pour

Marine Le Pen, et rien que des
vœux. Deux semaines après
avoir assisté à ceux de Jordan
Bardella, la cheffe de file des dépu-
tés du Rassemblement national
(RN) est réapparue pour délivrer
les siens aux journalistes, jeudi
25 janvier, à Paris. Discrète depuis
l’embrasement de la colère des
agriculteurs, l’ancienne candidate
à la présidentielle en a profité
pour analyser les ressorts d’une
« crise qui démarre et qui peut être
longue, et violente, et brutale ».
Pas plus qu’en 2018, au début du
mouvement des « gilets jaunes »,
Marine Le Pen n’ose prédire l’am-
pleur d’une mobilisation qui, se-
lon elle, pourrait vite essaimer
dans la « France des oubliés ». Mais,
contrairement à l’époque, la peti-
te-fille de marin-pêcheur (comme
elle se présente) préfère ne pas ter-
giverser, ni hésiter à manifester un
soutien susceptible d’être assimilé
à de la « récupération politique ».
La gronde des agriculteurs offre
au RN et à sa représentante une
occasion trop précieuse de défen-
dre – et de séduire – une « base »
populaire victime des choix
d’une « élite » mondialiste, parti-
sane de l’« effacement » des peu-
ples. Les adversaires de la « base
agricole » ne se trouveraient cette
fois pas seulement au gouverne-
ment ou à la tête de l’Union euro-
péenne, mais aussi parmi les re-
présentants du secteur.
Marine Le Pen a directement ac-
cusé le principal syndicat agri-
cole, la Fédération nationale des
syndicats d’exploitants agricoles
(FNSEA), d’avoir produit la
« goutte d’eau » à l’origine de l’ac-
tuelle crise : la négociation avec
l’exécutif d’un « accord bidon »
censé compenser la suppression
d’une niche fiscale sur le gazole
non routier. « La FNSEA est déjà
dépassée. Je pense que ça fait bien
longtemps que les agriculteurs ne
peuvent plus compter sur leurs
syndicats », a-t-elle insisté, avant
de distinguer la centrale majori-
taire de la Coordination rurale et
des jeunes agriculteurs, qui, eux,
« alertent sur les conséquences de
l’Union européenne et qui refusent
les compensations bidon propo-
sées par le gouvernement ».
« Il y a le feu qui couve »
Plus qu’une simple prise de dis-
tance avec une organisation qui a
toujours fait barrage à l’accession
au pouvoir de l’extrême droite,
Marine Le Pen et ses proches assi-
milent ses dirigeants à la Macro-
nie, coupables d’avoir « accablé le
monde agricole de charges, de
normes, de fiscalités, d’injustices ».
« M. Macron et les forces qui l’ont
amené au pouvoir ne sont pas
comme nous des populistes, ils ne
croient pas à la démocratie directe,
a développé, mercredi 24 janvier,
le député de la Somme Jean-Phi-
lippe Tanguy (RN), devant la presse
parlementaire. Ils croient aux
corps intermédiaires. Sauf que ces
corps intermédiaires peuvent être
un pare-feu, un paravent de la réa-
lité. Dans le monde agricole, c’est ce
qu’il se passe : tout le monde se réu-
nit, trouve ça formidable (…). Mais,
derrière, il y a le feu qui couve. »
M. Tanguy remet en cause la pro-
bité du président de la FNSEA, Ar-
naud Rousseau, qu’il juge « très
proche de l’agro-industrie » : « On se
demande encore si c’est un agricul-
teur, en permanence dans une
forme de conflit d’intérêts. »
En ciblant la direction du syndi-
cat, le RN prend le risque de rom-
pre avec une organisation dont les
antennes départementales maî-
trisent encore largement les opé-
rations de blocage organisées par-
tout dans le pays. « Le RN s’adresse
principalement à la frange la plus
fragile, économiquement et socia-
lement, d’une manifestation de pe-
tits entrepreneurs déplorant une
crise de leurs moyens de produc-
tion », observe le sociologue Fran-
çois Purseigle, chercheur associé
au Centre de recherches politi-
ques de Sciences Po et professeur
à l’Ecole nationale supérieure
agronomique de Toulouse.
Au sein même du groupe parle-
mentaire de Marine Le Pen, les
agriculteurs tempèrent la défiance
affichée par leur cheffe à l’égard de
la FNSEA. « Pour le moment, le syn-
dicat tient la colère, rapporte le dé-
puté de l’Aude Christophe Barthès,
ancien dirigeant dans l’Aude de la
Coordination rurale. Mais il devra
obtenir gain de cause sur la plupart
des revendications pour que la base
ne prenne pas le dessus. »
Viticulteur, Grégoire de Fournas
renvoie aussi aux négociations
avec l’exécutif pour trancher sur
l’efficacité de l’organisation :
« Mais les agriculteurs commen-
cent à en avoir marre des manifes-
tations trop organisées, met en
garde le député RN de Gironde. Ils
ne se satisferont pas de trois mesu-
rettes obtenues après avoir,
comme d’habitude, déambulé en
cortège jusqu’à la préfecture. » p
corentin lesueur
0123
SAMEDI 27 JANVIER 2024
La gestion de la chambre
d’agriculture du Lot-et-
Garonne étrillée
La Cour des comptes relève de multiples
irrégularités dans l’établissement dirigé
par une figure de la Coordination rurale
L es normes nous ont tués »,
martèle en boucle Serge
Bousquet-Cassagne sur les
antennes des radios et des chaî-
nes de télévision ces jours-ci. Trop
de normes venant de Bruxelles et
de Paris, selon le tonitruant repré-
sentant de la Coordination rurale.
Trop peu de rigueur et trop d’en-
torses à la loi au sein de la cham-
bre d’agriculture du Lot-et-Ga-
ronne qu’il préside depuis dix
ans, semble répondre le rapport
accablant de la Cour des comptes
rendu public le 19 janvier.
Manque d’éthique, de contrôles
internes, de contrats écrits, d’ap-
pels d’offres publics, de critères
d’attribution de subventions indi-
viduelles (que la chambre dépar-
tementale n’a, au demeurant, pas
le droit de distribuer), un direc-
teur des services démissionnaire
non remplacé pendant trois ans
et des budgets insincères : le fonc-
tionnement de cet organisme pu-
blic administratif est opaque et
ses insuffisances desservent, en-
tre autres, l’information des agri-
culteurs du Lot-et-Garonne.
Emaillées de rappels au droit, les
70 pages d’observations de la Cour,
qui sonnent comme un réquisi-
toire, portent sur la période cou-
rant entre 2015 et 2023. Elles dessi-
nent un mélange des genres pro-
noncé de la part des membres de
l’équipe dirigeante, entre leur rôle
de leader syndical et celui d’élu
d’un établissement public. Or, re-
late ce rapport, de la gestion des
personnels aux investissements,
tout passe par le président de la
chambre, figure de la Coordina-
tion rurale. Serge Bousquet-Cassa-
gne affirme lui-même faire office
de directeur général, ce qu’indique
l’organigramme, constatent les ju-
ges. Ses décisions ne rencontrent
guère de discussion, compte tenu
du manque de cadres parmi le per-
sonnel, qui connaît un turn-over
accéléré – depuis 2015, ses effectifs
ont fondu d’un tiers –, et d’un bu-
reau « non conforme aux textes ».
Non seulement sa « composi-
tion est floue », mais elle « laisse
une place importante à des per-
sonnalités non élues », note la
Cour. De 27 personnes en 2019, le
bureau est passé à 30 en 2021, et
même davantage avec l’arrivée de
huit membres associés : tous agri-
culteurs et tous de la Coordina-
tion rurale, qui est majoritaire à la
chambre depuis 2001. Parmi eux
ne figurent donc aucun représen-
tant du secteur agroalimentaire,
de la protection de l’environne-
ment ni de la défense des con-
sommateurs, contrairement à ce
que prévoit la réglementation.
Retenue d’eau illégale
La gestion de la chambre apparaît
floue dans sa globalité. Trois
agents comptables se sont suc-
cédé depuis 2015, et ils ont perdu
la main sur les comptes financiers
de l’établissement, confiés à un
prestataire privé dont le travail est
« validé par le président sans être
soumis à l’agent comptable ».
« Cette mise à l’écart est aggravée
par le fait que le gestionnaire fi-
nancier du service ordonnateur
n’est autre que le fils du président »,
glisse les rapporteurs.
Par ailleurs, « la chambre dépar-
tementale d’agriculture du Lot-et-
Garonne a décidé dans plusieurs
cas de ne pas remplir les missions
qui lui sont confiées par la loi (…)
ou de ne pas accompagner les agri-
culteurs dans le cadre de dispositifs
réglementaires », en particulier
sur le volet du bien-être animal.
MANQUE D’ÉTHIQUE, DE
CONTRÔLES INTERNES,
DE CONTRATS ÉCRITS…
LE FONCTIONNEMENT
DE L’ORGANISME
EST OPAQUE, SELON
LA COUR DES COMPTES
Chaque élevage de porcs et de vo-
laille doit nommer un référent
que la chambre doit former sur
cette question spécifique. Lors de
sa réunion du 9 juin 2022, le bu-
reau exprime son intention de ne
pas mettre de dispositif en place.
Idem à l’égard des utilisateurs de
produits phytosanitaires : l’op-
tion arrêtée consiste à « délivrer
les attestations de conseil stratégi-
que sur demande sans réaliser le
conseil en lui-même », qui est
pourtant devenu obligatoire. A
contrario, la chambre a développé
des activités qui ne relèvent pas
de ses compétences, comme le
subventionnement de l’élevage.
Le rapport se penche également
sur le dossier épineux de la ges-
tion de l’eau. La chambre d’agricul-
ture du Lot-et-Garonne a endossé
pendant des années la fonction
d’organisme unique de gestion
collective (OUGC), qui consiste à
veiller sur l’approvisionnement et
sur les prélèvements en eau de
2 100 exploitants irrigants d’un
bassin-versant s’étendant sur cinq
départements. Le bureau a décidé
de les exonérer de cotisations, tout
en faisant apparaître le contraire
dans les budgets de 2018 à 2020,
car cette mesure est illégale.
Il a aussi réduit le nombre
d’agents affectés à l’OUGC et affi-
ché sa détermination à poursui-
vre une politique « toujours au
service des irrigants et non de l’ad-
ministration », incitant ceux-ci à
ne pas répondre aux courriers de
relance de l’agence de l’eau Adour
Garonne sur la pose de comp-
teurs volumétriques.
Enfin, les juges reviennent sur
l’affaire de Caussade : une rete-
nue d’eau d’une capacité de
920 000 mètres cubes destinée à
l’irrigation des cultures. Cet
ouvrage de 20 hectares installé au
travers d’une rivière a été réalisé
sans autorisation environne-
mentale, sans même les garanties
de sécurité requises. La chambre
d’agriculture a décidé de la creu-
ser elle-même, en maquillant ses
comptes 2018 et 2019 afin de
payer les travaux.
Illégale, cette construction, tou-
jours en service, a valu une
amende à l’établissement consu-
laire, ainsi qu’une condamnation
par la cour d’appel d’Agen à dix
mois de prison avec sursis pour
Serge Bousquet-Cassagne et le vi-
ce-président de la chambre, Pa-
trick Franken. Cet épisode ne
semble pas avoir changé le com-
portement d’un homme qui se
vante publiquement de ses dix-
huit procès en trente ans.
Dans sa réponse datée du 5 jan-
vier adressée à la Cour, M. Bous-
quet-Cassagne dénonce un tra-
vail « orienté politiquement ». Il se
dit « fier d’avoir bâti le lac de Caus-
sade ». Et conclut : « Que les autres
chambres prennent exemple sur
nous : nous sommes incontourna-
bles dans le Lot-et-Garonne alors
que, partout ailleurs, elles sont
inaudibles et invisibles. » p
martine valo
Emmanuel Macron, lors de sa conférence de presse à l’Elysée, à Paris, le 16 janvier. LAURENCE GEAI/MYOP POUR « LE MONDE »
Emploi : Macron durcit le ton
pour répondre à son obsession
La perspective d’un nouveau tour de vis sur les droits des allocataires
pour atteindre les 5 % de chômage provoque la colère des syndicats
L’
objectif de plein-em-
ploi d’Emmanuel Ma-
cron s’éloigne un peu
plus. Marqueur du se-
cond mandat du président de la
République, l’ambition d’attein-
dre en 2027 un taux de chômage
autour de 5 % de la population ac-
tive, contre 7,4 % actuellement, se
heurte au ralentissement de la
croissance. Celle-ci a contribué,
au dernier trimestre 2023, à la
hausse de 0,2 % du nombre de de-
mandeurs d’emploi sans aucune
activité sur l’ensemble du terri-
toire (outre-mer compris, sauf
Mayotte), selon les statistiques
diffusées, jeudi 25 janvier, par
France Travail (ex-Pôle emploi).
Ainsi, cet indicateur s’élève dé-
sormais à 3,033 millions – un chif-
fre en augmentation pour le
deuxième trimestre de suite tout
en étant en très léger recul par rap-
port à celui observé un an plus tôt.
En tenant compte de ceux qui oc-
cupaient un poste, il y avait 5,4 mil-
lions d’inscrits à France Travail sur
les trois derniers mois de 2023.
Face à cette situation, annoncia-
trice de lendemains moroses sur
le front de l’emploi, le chef de
l’Etat ne désarme pas. Il entend
impulser de nouveaux change-
ments, quitte à s’attaquer, une
fois de plus, aux droits des chô-
meurs. Lors de sa conférence de
presse du 16 janvier, il a annoncé
son intention de fixer « des règles
plus sévères quand des offres d’em-
ploi sont refusées » tout en propo-
sant « un meilleur accompagne-
ment de nos chômeurs ».
« Risque marginal »
Des déclarations réitérées, le len-
demain, à Davos (Suisse), lors du
Forum économique mondial :
« Nous allons ouvrir un deuxième
temps de notre réforme du marché
du travail en durcissant les règles
de l’assurance-chômage », a-t-il dit.
Son discours fait suite aux nom-
breuses sorties, durant l’automne
2023, de Bruno Le Maire, pour le-
quel le plein-emploi serait hors de
portée, « à modèle constant ». Le
ministre de l’économie plaide no-
tamment pour que les seniors,
aujourd’hui bénéficiaires d’un
traitement de faveur, soient sou-
mis aux mêmes conditions d’in-
demnisation que les autres.
Depuis l’arrivée au pouvoir de
M. Macron en 2017, la situation
des personnes privées d’emploi a
déjà beaucoup évolué, avec des
paramètres de plus en plus stricts
pour percevoir une allocation : al-
longement de la durée de cotisa-
tion pour l’ouverture des droits,
modification du calcul de la pres-
tation qui se traduit par une
baisse du montant mensuel pour
les précaires, refonte du barème
de sanctions infligées à ceux qui
manquent à leurs obligations, ré-
duction de 25 % de la durée d’in-
demnisation, fermeture du dis-
positif pour les salariés en CDD
qui repoussent par deux fois une
offre en CDI…
La perspective d’un nouveau
tour de vis, sans évaluation de
l’impact des dernières mesures
prises, provoque la colère des syn-
dicats. « Mais qu’est-ce que les chô-
meurs ont fait à Emmanuel Ma-
cron pour être toujours la cible (…)
de ses interventions (…) ? ! », s’est
exclamée Marylise Léon, la secré-
taire générale de la CFDT, lundi
22 janvier, sur Franceinfo. « On ne
peut pas lui reprocher de ne pas
être constant dans l’obstination »,
ironise Eric Courpotin, secrétaire
confédéral de la CFTC.
Pour expliquer cette énième of-
fensive, les organisations de sala-
riés ont, chacune, leur thèse.
« Emmanuel Macron est persuadé
que le chômage existe à cause des
chômeurs qui ne veulent pas tra-
vailler. C’est ce qui est à l’origine de
son obsession pour l’assurance-
chômage », lance Denis Gravouil,
chargé du dossier à la CGT. « S’il
s’entête ainsi, c’est pour répondre
aux engagements de baisse de la
dépense publique, sous prétexte
de réinjecter des ressources vers
« Macron
est persuadé
que le chômage
existe à cause
des chômeurs
qui ne veulent
pas travailler »
DENIS GRAVOUIL
chargé du dossier à la CGT
d’autres secteurs ayant de gros be-
soins de financement comme les
hôpitaux, l’école, etc. », enchaîne
Michel Beaugas, secrétaire confé-
déral de FO. Son homologue de la
CFE-CGC, Jean-François Foucard,
considère, lui, qu’il s’agit d’une
« constante » : « [Emmanuel Ma-
cron] tient au 5 % de chômage
en 2027 comme à la prunelle
de ses yeux mais voit ce chiffre
s’éloigner. »
L’insistance du chef de l’Etat est
donc « le signe qu’il se livre à une
analyse macro-économique du su-
jet, qui l’amène à penser qu’un dur-
cissement des règles fera baisser le
chômage et permettra de parvenir
au plein-emploi – l’un de ses thè-
mes de campagne les plus emblé-
matiques », décrypte Frédéric
Dabi, directeur général opinion
de l’institut IFOP. Le locataire de
l’Elysée « est d’autant plus enclin à
adopter cette position qu’elle ne lui
fait courir qu’un risque marginal
vis-à-vis de l’opinion », ajoute
M. Dabi : « Une enquête que nous
avons conduite fin novembre 2023
révèle que la lutte contre le chô-
mage est la douzième préoccupa-
tion des Français, précise-t-il. Une
autre, réalisée en juin de la même
année, indiquait, elle, que pour
65 % de la population, les deman-
deurs d’emploi pouvaient en trou-
ver un s’ils le voulaient vraiment. »
Logique « pauvre sur le fond »
Est-ce que les choix du président
de la République sont adaptés au
but qu’il poursuit ? Les experts di-
vergent face à cette question. « Il
faut avoir en tête que ce qui fait
baisser le chômage, c’est la créa-
tion d’emplois, rappelle Mathieu
Plane, chef du département ana-
lyses et prévisions à l’Observa-
toire français des conjonctures
économiques (OFCE). Ce n’est pas
parce qu’on va restreindre les
droits des chômeurs que les entre-
prises vont embaucher. »
Bruno Coquet, économiste as-
socié à l’OFCE, se montre encore
plus tranchant. Pour lui, les modi-
fications apportées par l’exécutif
à l’assurance-chômage, au cours
des dernières années, « ne sont
pas des réformes ». « Ce sont des ré-
ductions de droits, obéissant à un
discours qui a les apparences du
bon sens, juge-t-il. Il n’y a pas de
france | 13
« Ce n’est pas
parce qu’on va
restreindre
les droits des
chômeurs que les
entreprises vont
embaucher »
MATHIEU PLANE
chef du département analyses
et prévisions à l’OFCE
volonté réelle de rendre le régime
plus efficace. » Dès lors, les propos
récents du président de la Répu-
blique « s’inscrivent dans la conti-
nuité de cette logique, qui est très
pauvre sur le fond ».
Professeur d’économie à Neoma
Business school, Gilbert Cette se
dit dubitatif sur l’intérêt de conti-
nuer à marteler l’objectif d’un taux
de chômage qui redescendrait à
5 %. « C’est une cible de moins en
moins atteignable, estime-t-il. Il se-
rait plus pertinent de s’intéresser
avant tout au taux d’emploi. »
M. Cette trouve, en revanche, nor-
male l’idée d’une nouvelle ré-
forme, notre modèle s’avérant en-
core, selon lui, « très avantageux et
trop peu incitatif », comparé à celui
de nos voisins européens.
« Le fait de modifier les paramè-
tres de l’assurance-chômage cons-
titue un levier puissant pour le re-
tour à l’emploi mais ce n’est pas le
seul », pondère Alexandra Roulet,
professeure d’économie à l’Insead
et ancienne conseillère macroé-
conomie à l’Elysée, sous le second
mandat de M. Macron. « Les diffi-
cultés de recrutement existent
dans d’autres pays avec des systè-
mes moins généreux que le nôtre »,
souligne-t-elle. D’après Mme Rou-
let, le plein-emploi doit être envi-
sagé dans une « approche glo-
bale », allant « au-delà du seul mar-
ché du travail, en travaillant sur les
freins périphériques », comme la
garde d’enfant ou le logement. A
ses yeux, « une nouvelle réforme
paramétrique n’est pas la priorité,
d’autant que dans la conjoncture
actuelle, il est préférable de ne pas
toucher aux règles ». p
bertrand bissuel
et thibaud métais
14 | planète
Climat, droits humains :
TotalEnergies dans le viseur
Une commission d’enquête du Sénat se penche sur les activités
du groupe pétrogazier, toujours actionnaire du site de Yamal, en Russie
L’
expansionnisme pétro-
lier et gazier de Total-
Energies met-il en diffi-
culté la stratégie fran-
çaise sur le climat ? Plus encore, le
groupe influence-t-il la diploma-
tie pour qu’elle pousse ses inté-
rêts ? La commission d’enquête
du Sénat sur les activités de l’une
des principales « majors » du pé-
trole a mené de premières audi-
tions, jeudi 25 janvier. Dans
son viseur, les « moyens mobilisés
et mobilisables par l’Etat » pour
assurer la prise en compte et
le respect par le groupe à la fois
des obligations climatiques de
la France et de ses orientations
de politique étrangère.
Présidée par le sénateur (Les Ré-
publicains) des Hauts-de-Seine
Roger Karoutchi, la commission
devrait entendre, au cours des
prochains mois, des membres du
Groupe d’experts intergouverne-
mental sur l’évolution du climat,
des représentants de l’exécutif,
des dirigeants d’organisations et
d’entreprises, ainsi que le PDG de
TotalEnergies, Patrick Pouyanné.
Ses conclusions sont attendues
à la mi-juin.
Lancée par le groupe écologiste
au Sénat, la commission s’est
concentrée, jeudi, sur les grands
enjeux énergétiques et climati-
ques. « La stratégie de Total est
en contradiction complète avec la
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estime Yannick Jadot, rapporteur
et sénateur (écologiste) de Paris.
C’est un groupe qui continue à
investir massivement dans le
pétrole et le gaz, malgré les alertes
des scientifiques. »
TotalEnergies, qui s’est engagé
à atteindre la neutralité carbone
en 2050, a annoncé, en septem-
bre 2023 vouloir augmenter sa
production d’hydrocarbures de
2 % à 3 % par an sur les cinq pro-
chaines années. Il est aussi l’un
des groupes du secteur à avoir ap-
prouvé le plus de nouveaux pro-
jets pétroliers et gaziers en 2022.
L’Agence internationale de
l’énergie a souligné, dès 2021, que
tout investissement dans de nou-
velles infrastructures pétrolières
« Le groupe
continue
à investir
massivement
dans le pétrole
et le gaz, malgré
les alertes des
scientifiques »
YANNICK JADOT
sénateur écologiste
présente
LU
La Métamorphose
  et autres récits
  
Le Corbeau
Thérèse Raquin
    
OU SUR LEMONDE.FR/BOUTIQUE
altaya.fr
et gazières était incompatible
avec le respect de l’accord de Paris
sur le climat. Le président de la
République, Emmanuel Macron,
et le gouvernement ont, de leur
côté, affirmé à plusieurs reprises
que la France serait « la première
grande nation à sortir du pétrole ».
« Liens incestueux »
La commission d’enquête parle-
mentaire ne compte pas s’intéres-
ser uniquement aux engage-
ments insuffisants de Total-
Energies sur le plan climatique.
« Nous voulons comprendre quel
rôle la diplomatie française joue
dans les liens de Total avec certains
régimes : veille-t-elle à préserver
les droits humains et les principes
de la République ? », fait mine de
s’interroger Yannick Jadot.
Plusieurs ONG, qui ont salué le
lancement de cette commission
d’enquête, souhaitent également
que soit mis en lumière ce qu’el-
les qualifient de « liens inces-
tueux » entre TotalEnergies et
l’Etat français. Déclarations de
soutien à des projets de l’entre-
prise à l’étranger et pour la signa-
ture de contrats, présence de Pa-
trick Pouyanné dans la délégation
française lors de la COP28 à Dubaï
(Emirats arabes unis), maintien
de subventions aux énergies fos-
siles… En juillet 2023, Emmanuel
Macron a par exemple soutenu
Couvertures
cartonnées
au design
soigné.
Dessins
originaux avec des
symboles uniques
inspirés du contenu
de chaque
ouvrage.
ETIT FORMAT
Trois contes
  servateurs du secteur soulignent
Le Portrait
de Dorian Gray
 
LE
NUMÉRO 3
6,99 € de leur démarche et qu’ils propo-
Victo r Hugo
go
NOTElRE
de D
DAME
ret-rato
DEOR
PARIAISN
GRAY
VOL. II
un projet de gaz naturel liquéfié
controversé du groupe en Pa-
pouasie-Nouvelle Guinée.
« L’Etat soutient TotalEnergies de
beaucoup de manières différentes,
sur le plan diplomatique et finan-
cier », assure Olivier Petitjean,
coordinateur de l’Observatoire
des multinationales. « Pourquoi
la France n’utilise-t-elle pas sa
machine diplomatique pour dis-
suader TotalEnergies de s’implan-
ter dans des pays qui ne respectent
pas les droits humains ? », s’inter-
roge aussi Juliette Renaud, res-
ponsable des campagnes des
Amis de la Terre.
Devant les sénateurs, Laurence
Tubiana, la directrice de la Fonda-
tion européenne pour le climat,
a pointé des enjeux de « conflits
d’intérêts » ainsi qu’un problème
de « mise en cohérence », notam-
ment entre le plan de décarbona-
tion de TotalEnergies et les ambi-
tions de la France en matière cli-
matique. « Il est habituel d’emme-
ner les acteurs économiques lors
des visites diplomatiques, mais il
y a un moment où effectivement
cela pose problème lorsque l’on
emmène des acteurs pétroliers »,
a-t-elle souligné.
Rôle en Afrique
Parmi les dossiers qui devraient
être abordés au cours des audi-
tions, figure le rôle de la multina-
tionale pétrolière en Russie. Total-
Energies est toujours actionnaire
du site gazier de Yamal, par lequel
la France continue d’importer du
gaz russe par bateau malgré la
guerre en Ukraine. La commis-
sion permettra peut-être de faire
la lumière sur les raisons pour
lesquelles le principal associé de
TotalEnergies en Russie, Leonid
Mikhelson, est l’un des rares oli-
garques de l’énergie à échapper
aux sanctions européennes. Yan-
nick Jadot, qui avait accusé au dé-
but de l’invasion russe Patrick
Pouyanné d’être « complice de cri-
mes de guerre » et a depuis été mis
en examen pour diffamation, de-
vra se déporter de la commission
d’enquête lorsque ce sujet sera
abordé.
La question du rôle de Total-
Energies en Afrique sera égale-
ment au cœur des interroga-
tions. Le projet EACOP en
Ouganda est critiqué pour son
impact environnemental, mais
aussi pour les déplacements de
populations qu’il entraîne. Un
autre grand programme suscite
moins de débats, mais pèse très
lourd dans le futur du groupe :
Mozambique LNG, un projet
d’exportation de gaz naturel li-
quéfié à partir de ce pays d’Afri-
que australe. Le chantier est pour
l’heure arrêté, après de multiples
attaques par un groupe djiha-
diste tout près du site de Total-
Energies en 2021. Plusieurs ob-
le lobbying important de la mul-
tinationale pour soutenir une
intervention de troupes rwan-
daises au Mozambique pour pro-
téger ses opérations.
Les ONG souhaitent que les tra-
vaux de cette commission per-
mettent de dégager des pistes de
régulation. « Nous espérons que
les sénateurs iront jusqu’au bout
seront des solutions pour limiter
le rôle de TotalEnergies et pour
que la France sorte réellement
des fossiles », insiste Edina Ifti-
cène, chargée de campagne chez
Greenpeace. L’entreprise a dé-
claré vouloir « faire preuve de pé-
dagogie » sur sa stratégie dans
la transition énergétique ou sur
la façon dont elle mène ses opé-
rations à l’étranger. p
perrine mouterde
et nabil wakim
Plus de 80 ONG prêtes
à saisir la justice
sur le glyphosate
Deux procédures ont été lancées, jeudi,
pour contester la décision de réautorisation
du pesticide par la Commission européenne
C’ est un tir de barrage iné-
dit. Jeudi 25 janvier, plus
de 80 ONG ainsi qu’une
demi-douzaine de parlementaires
européens ont annoncé avoir en-
joint la Commission européenne
de reconsidérer sa décision de
réautoriser le glyphosate pour dix
ans. Deux procédures distinctes
ont été engagées presque simulta-
nément. La première par le collec-
tif Secrets toxiques – une coalition
de 78 ONG, soutenue par plu-
sieurs eurodéputés –, la seconde
par différentes organisations du
réseau Pesticide Action Network
(PAN), représenté en France par
l’association Générations futures.
Ces deux procédures devraient
aboutir, dans les prochains mois,
à une saisine de la Cour de justice
de l’Union européenne.
Les intéressés contestent la léga-
lité de l’autorisation accordée à
l’herbicide controversé. Ils esti-
ment que l’évaluation des risques
sanitaires et environnementaux,
menée par les autorités régle-
mentaires, déroge au droit de
l’Union. La veille du dépôt de ces
deux recours, le journal en ligne
Politico déposait une troisième
pierre dans le jardin de la Com-
mission en révélant un mémo
confidentiel sur le sujet, produit
en 2022 par le service juridique du
Parlement de Strasbourg.
Celui-ci analyse un arrêt de 2019
(de la Cour de justice de l’Union
européenne selon lequel les for-
mulations commerciales de pro-
duits phytosanitaires – c’est-à-dire
les produits réellement utilisés –
doivent faire l’objet d’études éva-
luant les risques d’une exposition
à long terme (en général deux ans
sur des rongeurs) avant mise sur le
marché. Or, à l’heure actuelle, dans
le cas du glyphosate (mais aussi de
la majorité des pesticides), ces étu-
des n’ont pas été menées. Les seuls
tests de ce type (pour évaluer le ris-
que cancérogène sur l’animal, par
exemple) portent sur les molécu-
les actives – en l’occurrence le gly-
phosate seul, sans les mélanges de
coformulants destinés à en accroî-
tre l’efficacité. Selon la note pu-
bliée par Politico, la Commission
ne semble pas avoir respecté la ré-
glementation européenne sur le
sujet telle qu’interprétée par la
haute juridiction communautaire.
« Toxicité à long terme »
Le recours de la coalition Secrets
toxiques porte précisément sur
cet aspect du dossier. « Nous avons
décidé de focaliser notre action sur
le problème d’évaluation de la toxi-
cité à long terme des pesticides tels
qu’ils sont épandus, et non sur leur
seule substance active, dit Andy
Battentier, coordinateur de la coa-
lition. Il y a souvent une confusion
entre les produits tels qu’ils sont
épandus et la substance active iso-
lée. En l’occurrence, ce n’est pas du
glyphosate pur qu’on épand dans
les champs, mais des formulations
contenant du glyphosate et tout
un ensemble de coformulants.
C’est la toxicité à long terme de ce
mélange qui nous intéresse ! »
Les études de toxicité soumises
par les industriels pour évaluer les
effets des formulations sont des
BR ÉS I L
Des sociétés minières
condamnées
Les sociétés minières Vale,
Samarco et BHP devront
payer l’équivalent de 9,56 mil-
liards de dollars pour les
dommages causés par la rup-
ture, en 2015, d’un barrage
de résidus miniers au Brésil,
a statué en première instance
0123
SAMEDI 27 JANVIER 2024
« Il y a souvent
une confusion
entre les produits
épandus et la
substance active
isolée »
ANDY BATTENTIER
coalition Secrets toxiques
tests de toxicité aiguë. « On dis-
pose de quelques études [menées
sur des animaux de laboratoire]
de trois mois, et qui montrent des
effets délétères, mais ce sont des
études académiques [menées par
des chercheurs d’organismes de
recherche publics], qui ne sont pas
prises en considération par les
autorités », explique M. Batten-
tier. Ces études, qui n’obéissent
pas aux standards réglementaires
édictés par l’Organisation pour la
coopération et le développement
économiques (OCDE) et suivis par
les industriels, ne sont en général
pas jugées pertinentes ou fiables
par les agences sanitaires comme
l’Autorité européenne de sécurité
des aliments.
Cette non-prise en compte sys-
tématique des études académi-
ques, pour l’évaluation du gly-
phosate lui-même, est au centre
du second recours, formé par les
différentes organisations mem-
bres du Pesticide Action Network.
« La réglementation européenne
sur les pesticides impose en théorie
aux agences réglementaires de te-
nir compte de l’ensemble des étu-
des académiques publiées dans les
dix ans précédant la demande de
mise sur le marché, et doit s’ap-
puyer sur l’état de la connaissance
scientifique et technique et sur les
meilleures preuves scientifiques
disponibles, détaille Pauline Cer-
van, toxicologue à Générations
futures. Or, dans la pratique, res-
pectivement 95 % et 93 % des étu-
des académiques sur la toxicité
et l’écotoxicité du glyphosate ont
été jugées non pertinentes ou
non fiables, et n’ont pas pesé dans
l’évaluation des risques. »
Les conséquences de cette di-
chotomie entre études industriel-
les et académiques peuvent être
importantes. « Sur 145 études aca-
démiques sur la question de la gé-
notoxicité [toxicité pour l’ADN] du
glyphosate, les trois quarts con-
cluent que celui-ci est génotoxi-
que, mais aucune n’est considérée
comme fiable ou pertinente par
les autorités, explique Helmut
Burtscher, toxicologue à l’ONG
Global 2000. A l’inverse, aucun des
64 tests industriels sur la question
ne conclut à la génotoxicité du gly-
phosate, et la moitié d’entre eux
environ sont considérés comme
fiables par les autorités. » La Com-
mission européenne a désormais
un peu moins de six mois pour ré-
pondre et, éventuellement, re-
considérer sa décision. Dans le cas
– probable – où cette réponse ne
satisferait pas les ONG, celles-ci
seront fondées à saisir la Cour de
justice de l’Union européenne. p
stéphane foucart
le tribunal fédéral de Belo
Horizonte jeudi 25 janvier.
Le juge a ordonné que
la somme soit versée à un
fonds administré par le gou-
vernement brésilien et qu’elle
soit utilisée pour des projets
dans les zones touchées.
La coulée de boue avait fait
19 morts et privé 600 person-
nes de leur domicile. – (AFP.)
 ÉCONOMIE & ENTREPRISE | 15
0123
SAMEDI 27 JANVIER 2024

La série noire continue pour Boeing

Nouveau coup dur pour le constructeur : un appareil a perdu une roue au décollage le week-end du 20 janvier

new york - correspondant

L
a confiance en Boeing
s’effondre. Selon le baro-
mètre Morning Consult,
le nombre d’Américains
ayant confiance dans la marque a
chuté de 32 à 20 points entre dé-
cembre 2023 et janvier ; celle des
passagers utilisant fréquemment
ses avions a reculé de 41 à
28 points. Après le détachement
en vol d’une porte d’issue de se-
cours d’un 737 MAX 9 d’Alaska
Airlines, le 5 janvier, le construc-
teur aéronautique est au plus mal.
Le voici de nouveau pris dans la
tourmente, incapable de faire vo-
ler ses avions de manière sûre,
après les catastrophes des Boeing
737 MAX 8 de Lion Air et Ethio-
pian Airlines, qui firent 346 victi-
mes en 2018 et 2019. Et mercredi
24 janvier, la Federal Aviation Ad-
ministration (FAA), l’autorité
américaine de régulation de
l’aviation civile, a indiqué qu’une
roue avant d’un Boeing 757, ex-
ploité par Delta Air Lines, s’est dé-
tachée alors que l’avion s’alignait
pour décoller de l’aéroport inter-
national d’Atlanta (Géorgie), le
week-end du 20 janvier.
Même la Bourse finit par se ren-
dre à l’évidence : il y a quelque
chose de cassé chez Boeing, qui a
perdu 18 % de sa valeur depuis le
début de l’année. L’autorité de ré-
gulation a ordonné l’immobilisa-
tion pour inspection des 737 MAX
disposant de ces fermetures de
portes, principalement chez Uni-
ted Airlines et Alaska Airlines. Elle
a vivement critiqué la compagnie, Dave Calhoun, PDG de Boeing, au Capitole, à Washington, le 24 janvier. J. SCOTT APPLEWHITE/AP
qui avait déjà menti aux autorités
lors de la certification des
737 MAX 8. « Cet incident n’aurait ment à Washington pour obtenir borer un plan qui ne contient pas traite Kirkland Donald conseiller Boeing et son système qualité. » La
jamais dû se produire et cela ne des subventions qu’à travailler in- le MAX 10 », a annoncé le PDG
Cet incident spécial du PDG, Dave Calhoun, FAA a envoyé des dizaines d’ins-
peut pas se reproduire », déclarait dustriellement à la qualité des aé- d’United, Scott Kirby. intervient après pour évaluer le système de ges- pecteurs sur site.
la FAA dans un communiqué. Di- ronefs ; une obsession de rentabi- Les avertissements se succè- tion de la qualité de Boeing. Avec « Nous passons d’une approche
manche 21 janvier, elle a étendu les lité ayant conduit, après une dent. Pour Michael O’Leary, pa-
le détachement une équipe d’experts, il doit exa- d’audit à une approche d’inspec-
exigences d’inspection aux portes grande grève à Seattle, berceau tron de Ryanair et grand client de en vol d’une porte miner les programmes et prati- tion directe, a déclaré le patron de
des 737-900 ER, qui précédèrent le historique de l’avionneur, Boeing, « le véritable défi pour Air- ques de qualité de Boeing ainsi la FAA à CNBC. Jusqu’à ce que nous
MAX 9. Depuis le vol inaugural, du en 2000, à délocaliser le siège à bus et Boeing est qu’ils sont tous
d’issue de que la surveillance de ses sous- soyons sûrs que le système [d’as-
737-900 ER en 2006, la FAA a dé- Chicago ; déplacer en Caroline du deux en retard dans leurs projets secours d’un traitants. surance qualité] fonctionne cor-
claré qu’il avait enregistré plus de Sud une partie de la production et d’augmentation de production rectement… nous aurons des trou-
onze millions d’heures de fonc- sous-traiter la construction du fu- mensuelle. Cela tient en grande
Boeing 737 MAX 9 Des dizaines d’inspecteurs pes sur le terrain. » La FAA a fran-
tionnement et effectué 3,9 mil- selage à une ancienne usine du partie aux pressions de la chaîne Dans la foulée de l’accident, la FAA chi une nouvelle étape mercredi
lions de vols, sans aucun pro- Kansas, Spirit AeroSystems. d’approvisionnement. Je pense a envisagé de priver Boeing du soir, interdisant l’augmentation
blème lié à la fermeture des portes. Les clients sont furieux. « Je suis qu’Airbus et Boeing, et [plus] cer- nanciers doivent passer au second droit de certifier ses propres avi- des capacités de production du
plus que frustré et déçu. Je suis en tainement Boeing, doivent amé- plan pour Boeing et sa chaîne ons. « Il est temps de réexaminer la 737 MAX : « Nous n’accepterons
Obsession de rentabilité colère », a déclaré le PDG d’Alaska liorer considérablement le con- d’approvisionnement », a renchéri délégation d’autorité et d’évaluer aucune demande de Boeing pour
L’affaire conduit au procès de la Airlines, Ben Minicucci, à NBC trôle qualité », a-t-il déclaré au Fi- dans le Financial Times Aengus les risques de sécurité associés, a une expansion de la production, ni
compagnie et à toutes les erreurs News. Selon lui, l’arrachage de la nancial Times. La compagnie aé- Kelly, directeur général d’AerCap, déclaré l’administrateur de la n’approuverons des lignes de pro-
commises depuis un quart de siè- porte était « inacceptable » pour rienne a doublé le nombre de ses la plus grande société de location FAA, Michael Whitaker. L’immobi- duction supplémentaires pour le
cle : son incapacité à voir monter un appareil sorti d’usine. Uni- ingénieurs pour inspecter le pro- d’avions au monde, avant de met- lisation du 737-9 et les multiples 737 MAX tant que nous ne serons
en puissance Airbus et ses A320, ted Airlines, grand client de cessus de production chez tre en garde Boeing : « S’il y avait problèmes liés à la production pas convaincus que les problèmes
qui allaient concurrencer les Boeing, envisage d’annuler ses Boeing et Spirit AeroSystems, qui un autre problème avec la gamme identifiés ces dernières années de contrôle qualité sont résolus »,
Boeing 737 ; la fusion avec l’avion- commandes de 737 MAX 10, avion a multiplié les défaillances de de produits [737], il serait très diffi- nous obligent à examiner toutes a déclaré, dans un communiqué,
neur militaire McDonnell Dou- encore non certifié. « Le clouage qualité depuis un an. cile pour les clients d’acquérir des les options pour réduire les ris- M. Whitaker. L’action Boeing per-
glas et la prise de contrôle de au sol du MAX 9 est probablement « Compte tenu de ce qui s’est avions supplémentaires. » ques. La FAA étudie la possibilité dait 3 % de plus après la clôture de
Boeing par ses dirigeants, plus ha- la goutte d’eau qui a fait déborder passé avec les deux accidents mor- Pour contenir l’incendie, de recourir à un tiers indépendant Wall Street. p
bitués à grenouiller politique- le vase pour nous. Nous allons éla- tels et cet incident, les objectifs fi- Boeing a nommé l’amiral à la re- pour superviser les inspections de arnaud leparmentier

Apple, contraint par Bruxelles à entrouvrir l’écosystème de ses iPhone

Anticipant l’application du règlement européen Digital Markets Act, le groupe autorise les magasins d’applications alternatifs sur ses mobiles

A pple a annoncé, jeudi

25 janvier, des mesures
inédites : à partir de dé-
but mars, les utilisateurs euro-
péens de ses smartphones ne se-
ront plus obligés de passer par
son App Store pour télécharger
des applications et ils bénéficie-
ront d’un choix plus large au ni-
veau des services installés par
défaut. Pourquoi Apple bouge-t-il
maintenant ? Le groupe dirigé par
Tim Cook y est contraint par le
Digital Markets Act (DMA), le rè-
glement européen instauré pour
rétablir davantage de concur-
rence sur les plates-formes numé-
riques. Son entrée en vigueur est
prévue le 6 mars.
Apple ne cache d’ailleurs pas agir
à reculons : « Les changements an-
noncés aujourd’hui sont confor-
mes aux exigences du DMA et ten-
tent de protéger les utilisateurs
européens des menaces que cette
régulation va inévitablement en-
gendrer pour leur vie privée et leur
sécurité », explique, dans un com-
muniqué, le dirigeant Phil Schiller,
chargé notamment de l’App Store.
Depuis le début, Apple a répété
que la sécurité des utilisateurs
d’iPhone était liée à sa maîtrise
unique des interactions entre ses
appareils, son environnement iOS
et ses logiciels. Il n’y a jamais eu de
virus ou de malware (logiciel mal-
veillant) de masse sur iPhone, a
encore insisté l’entreprise, jeudi.
Les autorités européennes ont,
quant à elles, arbitré en faveur
d’une plus large ouverture des
grandes plates-formes devenues
indispensables au monde numé-
rique. Concrètement, à partir de la
sortie d’IOS 17.4, début mars 2023,
des entreprises pourront établir
des magasins d’applications alter-
natifs. Les utilisateurs devront
toutefois donner leur consente-
ment. Apple procédera aussi à
une vérification de sécurité des
applications, notamment pour
détecter des virus ou des logiciels
espions, et vérifier leur politique
de respect de la vie privée.
Une revanche
Cette vérification sera moins
poussée que l’examen manuel ef-
fectué dans l’App Store. Ce dernier
impose une politique de modéra-
tion des contenus aux éditeurs
d’applications. Autre concession :
les éditeurs pourront communi-
quer directement avec leurs utili-
sateurs. De plus, les détenteurs
d’iPhone, lorsqu’ils ouvriront
pour la première fois le navigateur
Internet Safari ou le lecteur d’e-
mails Mail, pourront choisir un
autre service que les logiciels Ap-
ple, parmi une liste de concur-
rents tels Chrome (Google) ou Fi-
refox, Gmail (Google), Outlook
(Microsoft)… Jusqu’ici, il fallait al-
ler dans les réglages pour le faire.
Enfin, Apple Pay ou Apple Wallet
ne seront plus les seules options
de paiement sans contact sur
iPhone : les développeurs pour-
ront utiliser cette fonction grâce à
un accès à NFC, le protocole de
l’antenne du smartphone utilisée
pour ces services. Apple promet
aussi de donner aux développeurs
beaucoup plus d’informations −
cinquante nouveaux rapports, sur
l’utilisation ou les transactions
dans leurs applications. Des don-
nées toutefois anonymisées.
Sur le papier, l’entrée en vigueur
sonne comme une revanche pour
tous ceux qui critiquent les prati-
ques jugées déloyales d’Apple.
Malgré plusieurs actions en jus-
tice, l’éditeur du jeu vidéo Fortnite,
Epic Games, n’avait pas réussi à
imposer son App Store et ses
moyens de paiement alternatifs.
Spotify, qui a porté plainte à
Bruxelles, a annoncé, mercredi,
le retour prochain de la possibilité
de s’abonner sur iPhone.
La victoire n’est toutefois pas to-
tale sur un point : les commissions
prélevées par Apple. Controver-
sées, celles-ci s’élèvent à 30 % des
revenus et à 15 %, le taux réduit
pour les abonnements à partir de
la deuxième année et pour les
PME. Désormais, les développeurs
pourront opter pour de nouveaux
tarifs : dans ce cas, ils paieront 17 %
ou 10 % en taux réduit, s’ils utili-
sent l’App Store d’Apple ; 3 % sup-
plémentaires s’ils utilisent le sys-
tème de paiement d’Apple.
Ces nouvelles conditions com-
merciales prévoient aussi, pour les
applications les plus téléchargées,
un prélèvement de 50 centimes
d’euro pour chaque premier télé-
chargement annuel. Le premier
million de téléchargements sera
toutefois exempté. Selon Apple,
moins de 1 % des développeurs se-
ront concernés. Au total, 99 % de
l’ensemble des éditeurs d’applica-
tions lui verseront « autant ou
moins qu’aujourd’hui ». p
alexandre piquard
16 | économie & entreprise 0123
SAMEDI 27 JANVIER 2024

CONJONCTURE

L’économie
américaine
triomphante
Portés par la consommation des ménages
et les dépenses gouvernementales,
les Etats-Unis ont enregistré
une croissance de 2,5 % en 2023.
Le chômage est de seulement 3,7 %
et le pouvoir d’achat repart à la hausse

new york - correspondant cains. Cela représente trois années consécuti-

L’
année 2023 devait être celle de
la récession tant de fois an-
noncée ; elle a été celle d’un
solide rebond. L’économie
américaine a connu une crois-
sance de 2,5 % contre 1,9 %
en 2022, comme l’a révélé, jeudi 25 janvier, le
ministère du travail. Cette performance s’ex-
plique par des chiffres meilleurs que prévu
pour le quatrième trimestre, avec une
hausse en rythme annuel de 3,3 % de la ri-
chesse nationale produite par rapport au tri-
mestre précédent, contre 2 % attendus.
L’économie nationale a été tirée par la con-
sommation des ménages, les exportations
et les dépenses gouvernementales, alors que
le déficit budgétaire est hors de contrôle, dé-
passant 2 000 milliards de dollars (environ
1 838 milliards d’euros) ou 7 % du produit in-
térieur brut en rythme annuel. Seule décep-
tion : l’investissement, qui n’a progressé que
de 1,7 % au quatrième trimestre.
Le président, Joe Biden, s’est aussitôt féli-
cité de ces résultats dans un communiqué :
« Les salaires, la richesse et l’emploi sont plus
élevés aujourd’hui qu’ils ne l’étaient avant la
pandémie [de Covid-19]. C’est une bonne nou-
velle pour les familles et les travailleurs améri-
ves de croissance de l’économie sous ma di-
rection », s’est réjoui le candidat démocrate à
sa réélection.
Sa secrétaire au Trésor, Janet Yellen, a salué
la performance à l’occasion d’un colloque à
Chicago : « Même si certains prévisionnistes
pensaient qu’une récession [en 2023] était
inévitable, le président Biden et moi ne l’avons
pas pensé. Au lieu de se contracter, l’économie
a continué de croître, portée par les tra-
vailleurs américains et la stratégie économi-
que du président. »
brutalement ses taux de zéro en mars 2022 à te-trois ans. Cela concerne toutes les couches
WALL STREET BAT DES RECORDS « C’EST UNE BONNE 5,25 % à l’été 2023. De ce fait, l’inflation est de la population et l’ensemble des régions.
Les économistes sont effectivement admira-
tifs de cette performance. « A ma grande sur-
NOUVELLE POUR retombée à 3,4 % en décembre 2023 et la Ré-
serve fédérale a pu prédire trois baisses de
Quand Wall Street va, tout va, pourrait-on
dire. La moitié des salariés du privé ayant un
prise et avec grand plaisir, nous avons fait at- LES FAMILLES taux en 2024. Cette anticipation a entraîné compte épargne de retraite par capitalisa-
terrir l’économie en douceur. Les risques de un feu d’artifice à Wall Street, qui bat des re- tion, ils sont très sensibles au niveau de la
sortie de piste avec une résurgence de l’infla- ET LES TRAVAILLEURS cords en ce début d’année 2024. Depuis un Bourse, mais aussi à la baisse des taux im-
tion ou une récession sont réels mais équili-
brés et pas inhabituellement élevés. La Fed
AMÉRICAINS » point bas touché fin octobre 2023, l’indice
S&P 500, qui représente les grandes entre-
mobiliers, après une année 2023 épouvanta-
ble, et à celle du gallon d’essence, retombé à
[Réserve fédérale, banque centrale] mérite JOE BIDEN prises, a bondi de 19 % et le Nasdaq, riche en 3,10 dollars alors qu’il avait dépassé les 5 dol-
beaucoup de crédit et devrait bientôt com- président des Etats-Unis technologies, s’est envolé de 25 %. lars au printemps 2022.
mencer à réduire ses taux », se réjouit l’écono- Coïncidence ou lien de cause à effet, le mo- Cette hausse du moral résout l’une des
miste de Harvard Jason Furman. ral des consommateurs américains mesuré énigmes sur le mécontentement des Amé-
En effet, la banque centrale a réussi un ex- par l’indice de l’université du Michigan est, ricains. Il était attribué à l’héritage de l’in-
ploit : juguler l’inflation sans passer par la lui aussi, remonté en flèche depuis deux flation (17 % depuis l’arrivée de Joe Biden à
case récession. La hausse des prix avait at- mois. Il a bondi de 29 % depuis novembre, la Maison Blanche, en janvier 2021) ou à l’in-
teint 9,1 % en juin 2022 et la Fed avait monté soit la plus forte hausse enregistrée en tren- satisfaction purement politique contre le

La BCE juge prématuré de réduire ses taux directeurs

Jeudi 25 janvier, l’institut a conservé ses taux inchangés et attend d’en savoir plus sur l’évolution de salaires avant d’envisager de les réduire

A vant l’heure, ce n’est pas

l’heure. Lors de sa confé-
rence de presse, jeudi
25 janvier, Christine Lagarde, la
présidente de la Banque centrale
européenne (BCE), l’a répété plu-
sieurs fois : le conseil des gouver-
neurs, réuni un peu plus tôt, es-
time qu’il est « prématuré » de dé-
battre de la baisse des taux.
De quoi décevoir ceux qui,
parmi les investisseurs, espé-
raient que l’institution donne
quelques indices sur son calen-
drier à venir. D’autant que la se-
maine du 15 janvier, lors du Fo-
rum économique mondial de Da-
vos (Suisse), Mme Lagarde avait
laissé entendre qu’une baisse des
taux à l’été était « probable »…
Face aux questions pressantes
relatives à ce sujet, la Française a
insisté sur le fait que la BCE était
« data dependent ». Comprendre :
elle se fiera uniquement aux don-
nées, réunion après réunion,
pour décider de revoir ou non le
niveau de ces taux. A commencer
par les indicateurs permettant
d’évaluer l’inflation. Mais aussi, et
surtout, ceux concernant le mar-
ché du travail, comme le résultat
des négociations salariales de
branche en Allemagne et en Italie
au cours du premier trimestre, ou
encore le taux de chômage, qui
reste bas (6,4 % en novembre 2023
dans la zone euro).
Si les salaires sont au cœur de
ses préoccupations, c’est qu’ils
sont déterminants dans la dyna-
mique de l’inflation dite « domes-
tique », à savoir celle qui ne dé-
pend pas des prix de produits im-
portés, comme l’énergie. Or, en
décembre, l’inflation hors éner-
gie s’élevait encore à 4 %, loin de la
cible de 2 % de la BCE. En prenant
en compte les tarifs de l’électricité
et de l’essence, elle était de 2,9 %.
Voilà pourquoi, jeudi, l’institut
monétaire a maintenu son taux
de dépôt, déterminant pour le
coût du crédit aux ménages et
aux entreprises, à 4 %. « Le plus
probable est que la BCE décide de
le baisser au deuxième trimestre,
car même si elle attend des don-
nées confirmant que la progres-
sion des salaires ralentit, les pers-
pectives économiques se sont par
ailleurs dégradées », explique Jack
Allen-Reynolds, chez Capital Eco-
nomics.
Outre les tensions géopoliti-
ques pesant sur le moral des mé-
LA DEMANDE
DE NOUVEAUX CRÉDITS
EN ZONE EURO
A PLONGÉ. LE NIVEAU
DES FAILLITES
REMONTE
nages et des entreprises et l’infla-
tion qui grève la consommation,
les effets de la hausse des taux
continuent de se diffuser à l’en-
semble de l’économie. La de-
mande de nouveaux crédits en
zone euro a plongé, se rappro-
chant des niveaux atteints
en 2009. Nombre d’entreprises
peinent à se refinancer. Le niveau
des faillites remonte. « Les mo-
teurs de la croissance européenne
sont au point mort », résument les
économistes d’Oxford Econo-
mics, citant notamment les fai-
blesses dans l’industrie.
A cet égard, les pays membres
ne sont pas tous logés à la même
enseigne. « Les effets de la hausse
des taux des derniers mois se fe-
ront encore ressentir fortement
en 2024, surtout dans le sud de
l’Europe », expliquent de concert
Bert Colijn et Carsten Brzeski, éco-
nomistes chez ING. Les chiffres
sont particulièrement préoccu-
pants en Italie, où les prêts aux
entreprises non financières chu-
tent de manière vertigineuse,
tout comme en Espagne et au
Portugal, alors qu’ils continuent
de croître dans les économies
d’Europe du Nord.
Prudence
Après 3,5 % en 2022, la BCE juge
que la croissance devrait s’établir
à 0,6 % en 2023 en zone euro et
0,8 % en 2024. Un niveau que
nombre d’économistes estiment
trop optimiste : ceux d’Axa pen-
sent, par exemple, qu’elle ne de-
vrait guère dépasser 0,3 %.
Et pour cause : les Etats mem-
bres, contraints par les règles
budgétaires européennes de nou-
veau en vigueur, vont réduire la
voilure des soutiens à l’économie
déployés au cours des dernières
années pour faire face à la pandé-
mie de Covid-19 puis à la crise in-
flationniste.
La prudence de la BCE tranche
quelque peu avec l’attitude de son
homologue américaine. Le 13 dé-
cembre 2023, la Réserve fédérale
(Fed) avait signalé qu’elle baisse-
rait ses taux trois fois en 2024, à la
grande surprise des marchés. Car
l’économie des Etats-Unis est en
bien meilleure santé que celle de
la zone euro : en 2023, elle a crû de
2,5 %, selon les données publiées
jeudi 25 janvier.
Pourquoi la BCE ne suit-elle pas
la même route ? Sans doute parce
qu’elle est encore échaudée par
l’erreur qu’elle a commise en
2022, lorsqu’elle a sous-estimé la
persistance de l’inflation et trop
tardé à réagir. « Cette fois, elle re-
doute de crier victoire trop vite, ré-
sume un économiste. Au risque
de tarder un peu trop à baisser ses
taux, au détriment de l’activité. »
Après l’heure, ce n’est plus
l’heure… p
marie charrel
0123
SAMEDI 27 JANVIER 2024
président démocrate, mais laissait per-
plexes les observateurs tant l’économie
américaine est flamboyante. Le taux de
chômage s’élève à 3,7 % − niveau atteint
avant la crise sanitaire −, tandis que le pou-
voir d’achat repart à la hausse, avec un bond
de 4,2 % du revenu réel disponible
en 2023 contre un recul de 1,5 % en 2022.
FORTS GAINS DE PRODUCTIVITÉ
Avec la baisse des taux attendue, les entre-
prises, qui avaient été étranglées par le ni-
veau des taux longs (plus de 5 % à l’automne
2023, un record depuis 2007), parviennent à
se refinancer à de meilleures conditions,
avec des taux à dix ans retombés à 4,15 %. Sur
la croissance, le débat concerne l’impact de
l’intelligence artificielle sur les géants de la
tech, mais aussi sur son usage par les socié-
tés, qui pourrait conduire à de forts gains de
productivité. Il reste cependant des ombres
au tableau : le secteur des renouvelables est
sinistré, avec des incidents industriels – dans
l’éolien en mer, notamment –, la hausse des
taux renchérit le coût des projets et la désaf-
fection des consommateurs grandit, par
exemple dans l’automobile, comme Tesla en
fait l’expérience.
L’avionneur Boeing, lui, traverse une crise
industrielle majeure après la défaillance
d’un 737 MAX d’Alaska Airlines, qui risque de
ralentir ses chaînes d’assemblage et menace
d’entraîner dans ses difficultés l’industrie aé-
ronautique américaine. Enfin, les compa-
gnies d’assurance-santé sont confrontées à
une hausse des dépenses due notamment
au report d’interventions médicales pen-
dant la pandémie de Covid. Globalement,
lors de sa dernière réunion, en décem-
bre 2023, la Fed prévoyait pour 2024 une
croissance de 1,4 %, un chômage de 4,1 % et
une inflation de 2,4 %. Mais, dans une Améri-
que fixée sur l’élection présidentielle de no-
vembre 2024, les démocrates s’inquiètent.
« L’économie américaine a terminé l’année
2023 de manière étonnamment forte. Mal-
heureusement pour le président Biden, la si-
tuation risque de ralentir d’ici aux élections de
novembre [2024] », écrit l’éditorialiste du
New York Times dans un billet titré : « Dom-
mage que Biden n’ait pas cette économie en
novembre. » Vu les erreurs de pronostic éco-
nomique pour 2023, la prudence s’impose. p
arnaud leparmentier
Le projet de Donald Trump
pour soutenir la croissance
L’ex-président des Etats-Unis pourrait appliquer une taxe de 10 % sur toutes
les importations dès le premier jour de son mandat, en cas de réélection
ANALYSE
new york - correspondant
D onald Trump l’annonce
depuis un an. Nul n’y
prête attention, et pour-
tant, comme l’explique Adam Po-
sen, président du Peterson Insti-
tute, groupe de réflexion cen-
triste et atlantiste de Washington,
il faut écouter l’ancien président
des Etats-Unis « littéralement et
sérieusement ».
« Le premier jour de son mandat,
Donald Trump annoncera un
droit de douane généralisé de
10 % », prédit M. Posen dans un
entretien au Monde. Dans sa cam-
pagne, le républicain revient à
son credo, forgé dans les années
1980, lorsque les produits japo-
nais avaient envahi les Etats-
Unis : le protectionnisme et les
droits de douane.
Il en a le pouvoir, par le biais des
décrets présidentiels. « Il serait
complètement dans l’exercice légal
de ses pouvoirs. Tant que le Con-
grès ne se plaint pas, ces droits de
douane pourront rester indéfini-
ment. C’est ce qui s’est passé lors de
Dans les rayons son premier mandat [2017-2021] »,
de Macy’s, analyse M. Posen, qui pense que le
à New York, président y ajoutera « des mesures
lors du Black agressives antimigrants ».
Friday, Cette décision infligerait, selon
le 25 novembre lui, un double choc aux Etats-
2022. Unis et à ses partenaires, qui
YUKI IWAMURA/AFP « augmenterait l’inflation et rédui-
rait de la croissance ». M. Posen la
compare au Brexit au Royaume-
Uni et prédit une hausse des prix
supplémentaire pouvant attein-
dre, en un an, 1,25 %, voire 2 %.
« Mesures arbitraires »
La mesure devrait avoir des effets
variables, en dopant les industries
à faible valeur ajoutée américai-
nes, freinant les exportations de
services, en raison de mesures de
rétorsion à attendre et de l’envo-
lée prévisible du dollar. Certains
anticipent une baisse des actions
pour cette raison, même si la pré-
cédente élection de M. Trump
avait été saluée par un feu d’arti-
fice à Wall Street. D’autres notent
que c’est l’isolationnisme qui
avait accompagné l’essor écono-
mique et industriel des Etats-Unis
après la guerre de Sécession, à la
fin du XIXe siècle. Et qu’il fait l’ob-
jet d’un quasi-consensus.
En effet, le réarmement indus-
triel fait de grands travaux et de
protectionnisme que Donald
Trump avait proposé en 2016, Joe
Biden l’a fait en 2022, avec un sou-
tien massif aux semi-conduc-
teurs et à la transition énergéti-
que, par l’intermédiaire du Chips
Act et de l’Inflation Reduction Act
(IRA). M. Posen souligne, cepen-
dant, des divergences profondes
dans les motivations.
Même si certains démocrates
sont protectionnistes, « ils sont
sincères dans leur souci d’amélio-
rer les salaires des classes populai-
res ou de réussir la transition éner-
gétique ; ils croient à la règle de
droit, y compris internationale,
alors que l’administration Trump
entend laisser beaucoup de place
aux mesures arbitraires ».
Ainsi, pour s’attirer les bonnes
grâces de Donald Trump, des gou-
économie & entreprise | 17
vernements étrangers – en parti-
culier la Chine, l’Arabie saoudite,
le Koweit, le Qatar et l’Inde, selon
un rapport parlementaire démo-
crate publié le 4 janvier – louaient
des chambres dans les palaces de
l’empire Trump. « Cela sera encore
plus fort lors d’un second mandat
Trump », prédit M. Posen.
Enfin, « l’administration Biden
n’a pas pour objectif d’affaiblir nos
alliés et ne cherche pas à rendre le
monde plus sûr pour les autocra-
tes, alors que c’est le but de
Trump ». M. Posen rappelle com-
bien Trump dénigre l’Allemagne
et trouvait des qualités à Vladimir
Poutine et à Xi Jinping.
Il suffit de lire ses déclarations et
son programme économique.
Certes, il vise principalement la
Chine et a l’intention de s’affran-
chir de toute dépendance vis-à-vis
de Pékin dans la pharmacie, l’élec-
tronique et l’acier. Mais il s’est at-
taqué à Taïwan, allié de l’Améri-
que, refusant de lui exprimer son
soutien et l’accusant économi-
quement. « Taïwan a pris la tota-
lité de notre activité de puces élec-
troniques. Nous fabriquions toutes
nos propres puces. Maintenant, el-
les sont fabriquées à Taïwan, à
90 % d’entre elles… Rappelez-vous
ceci : intelligents, brillants, ils ont
pris notre business », a-t-il déclaré
sur Fox News, le 21 janvier.
Dernier reproche de M. Posen,
au-delà des divergences d’opi-
nion ou des erreurs d’analyse de
chaque camp politique, les équi-
pes Trump ne cherchent pas le
bien commun. Elles poursuivent
un agenda personnel et ne se
fient pas aux faits.
L’IRA et le Chips Act profitent
fortement aux Etats républicains
du Midwest et correspondent lar-
gement à la philosophie protec-
tionniste de Trump. Sans doute le
nouveau président supprimerait
une bonne partie des aides ciblées
sur la transition énergétique,
pour des raisons politiciennes.
« Les mesures vertes suscitent un
ressentiment idéologique qui va
bien au-delà de l’explication écono-
mique, et Trump s’appuie dessus »,
juge M. Posen. « J’ai dit que je vou-
lais être un dictateur pendant un
jour. Vous savez pourquoi je vou-
lais être un dictateur ? Parce que je
veux un mur [à la frontière mexi-
caine] et je veux forer, forer, forer »
du pétrole, a lancé Donald Trump,
en décembre 2023, à New York.
Si Carla Sands, l’une de ses con-
seillères, a déclaré au Financial Ti-
mes que Donald Trump s’efforce-
rait de restreindre « l’IRA étatiste et
socialiste », Dan Brouillette, son ex-
secrétaire à l’énergie, estime que le
possible président déciderait de
maintenir « la bonne part de
CES MESURES NE
SUSCITENT GUÈRE DE
PROTESTATIONS DES
ENTREPRISES, QUI ONT
BIEN VÉCU SOUS
TRUMP, GRÂCE AUX
BAISSES D’IMPÔTS
l’IRA ». Pour M. Posen, « on pour-
rait assister à un énorme change-
ment dans la manière dont l’IRA est
appliqué et ses subventions ver-
sées ». Il considère que M. Trump
agira par le biais des décrets d’ap-
plication pour en réduire la por-
tée. « L’histoire montre que quand
un leader autoritaire arrive au pou-
voir le législateur le laisse en géné-
ral faire ce qu’il veut. »
Toutes ces mesures annoncées
ne suscitent guère de protesta-
tions des entreprises, qui ont bien
vécu sous Donald Trump, grâce
aux baisses d’impôts. « Si elles ne
sont pas contentes, elles devraient
essayer de l’empêcher d’être élu, ce
que je ne vois pas beaucoup », note
M. Posen. Les propos de Jamie Di-
mon, PDG de JPMorgan, saluant
une partie de l’héritage du pre-
mier mandat de Trump, ont été
vus comme une acceptation par
Wall Street et le patronat du re-
tour de l’ancien locataire de la
Maison Blanche aux commandes.
Scénarios catastrophe
Sa nouvelle politique susciterait
des tensions avec la Réserve fédé-
rale (Fed). La banque centrale amé-
ricaine, qui vient juste de maîtri-
ser un cycle inflationniste, n’a
guère envie de remonter ses taux.
« La Fed serait secouée, mais elle di-
rait sans doute que c’est comme le
choc d’offre pendant le Covid et que
c’est un choc unique », prédit
M. Posen. Son élection ferait reve-
nir le débat sur le droit qu’aurait
Donald Trump de limoger ou non
le président de la banque centrale,
Jerome Powell, dont le mandat ar-
rive à échéance en mai 2026.
Dans des scénarios catastro-
phes, l’économiste Olivier Blan-
chard imaginait, fin 2023, une re-
prise en main de la Fed condui-
sant à la monétisation de la dette
et à une envolée de l’inflation. A
court terme, M. Trump devrait at-
taquer la banque centrale si elle
baisse ses taux, l’accusant de fa-
voriser ainsi son adversaire Joe
Biden. C’est la prédiction faite par
le Prix Nobel d’économie 2008,
Paul Krugman, dans sa chronique
du New York Times du 8 janvier.
La querelle monétaire sera
aussi accentuée par le déficit
budgétaire, hors de contrôle et
qui dépasse 7 % du produit inté-
rieur brut (PIB), soit 2 000 mil-
liards de dollars (1 836 milliards
d’euros), en dépit du plein-em-
ploi. Le pays est bloqué, entre les
démocrates qui refusent de ré-
duire les dépenses et les républi-
cains qui ne veulent pas enten-
dre parler d’augmentations
d’impôts, tandis que les rentrées
budgétaires sont décevantes.
Plus grave, les baisses d’impôts
décidées en 2017 sous Donald
Trump arrivent à échéance fin
2025. Sans action, le taux de l’im-
pôt sur les sociétés devrait re-
monter de 21 % à 35 % et celui sur
le revenu repartir à la hausse, ce
dont nul ne veut vraiment. Ainsi,
2025 devrait de nouveau être une
année de négociations sans fin
entre démocrates et républicains.
A plus long terme, le pays doit
réformer la Sécurité sociale (qui fi-
nance les retraites par répartition)
et la santé publique. M. Posen
CETTE DÉCISION
« AUGMENTERAIT
L’INFLATION
ET RÉDUIRAIT DE
LA CROISSANCE »,
SELON ADAM POSEN,
PRÉSIDENT DU
PETERSON INSTITUTE
croit qu’il existe des leviers faciles
à actionner : l’âge de la retraite et
les cotisations, actuellement pla-
fonnées pour les salaires (12,4 %
jusqu’à 168 000 dollars par an).
Toutefois, M. Trump ne veut
pas en entendre parler : « Vous
n’êtes pas obligé de toucher à la
Sécurité sociale. Nous disposons
de bien plus d’argent que tout ce
que nous pouvons obtenir en nui-
sant aux personnes âgées avec
leur Sécurité sociale », a déclaré le
candidat, fin 2023, s’opposant à
la volonté réformatrice de son
adversaire à la primaire républi-
caine, Nikki Halley.
La santé coûte, tout compris,
deux fois plus cher que dans les
autres pays développés, environ
18 % du PIB, et M. Posen pense
qu’il est possible d’économiser
3 % du PIB, même s’il faut se heur-
ter à de nombreux lobbys. Si Do-
nald Trump a repris sa vieille pro-
messe d’abolir la loi sur la santé de
Barack Obama, il n’a jamais pré-
senté de projet de remplacement.
Ce débat se déroule dans un
contexte de prospérité – le chô-
mage était à 3,5 % juste avant la
pandémie de Covid-19, sous
Trump, et reste au plus bas sous
Joe Biden – et de hausse des bas
salaires, qui progressent plus que
les autres depuis 2016.
L’appauvrissement des classes
populaires depuis les réformes de
Ronald Reagan, qui avait conduit
à la victoire de Trump dans les
Etats désindustrialisés dits « de la
ceinture de la rouille », ne domine
plus le débat public. « Les inégali-
tés ne se sont pas réduites grâce à
des votes de l’aile gauche du Parti
démocrate au Congrès. Ils n’ont
pas passé de loi importante pour
améliorer le pouvoir de négocia-
tion des salariés, ils n’ont pas aug-
menté le salaire minimal, ils n’ont
pas changé fondamentalement le
droit fiscal pour les travailleurs à
faible revenu », prévient M. Posen.
En fait, c’est la politique de sur-
chauffe économique menée par
la Fed qui a permis de doper l’em-
ploi chez les minorités, les fem-
mes, les handicapés. Ensuite, le
Covid-19 a provoqué « une res-
tructuration du marché du travail
qui a conduit à l’amélioration des
conditions salariales du quartile le
plus bas », poursuit M. Posen. Les
salariés des services, notamment,
ont refusé de travailler pour des
salaires jugés insuffisants. Dans
ce contexte de plein-emploi, de
croissance et d’inflation conte-
nue, la future politique économi-
que inquiète beaucoup plus à
l’étranger que les Américains. p
ar. le.
18 | économie & entreprise
Résultats record pour LVMH,
malgré le ralentissement du luxe
Le numéro un mondial du secteur a réalisé un chiffre d’affaires de
86,2 milliards d’euros en 2023 et un bénéfice net de 15,2 milliards d’euros
B
ernard Arnault aime se
répéter. « Qu’une mar-
que fasse 8 % à 9 % de
croissance, 10 % max. Ça
me va très bien », a fait valoir le
PDG de LVMH auprès des analys-
tes financiers, lors de la présenta-
tion des résultats annuels du
groupe de luxe, jeudi 25 janvier.
Tous attendaient la publication
de ses performances financières
pour jauger de la santé de cette in-
dustrie, notamment au cours du
dernier trimestre 2023, après des
premiers signes d’essoufflement
les mois précédents.
LVMH les a rassurés sur sa santé :
ses ventes ont progressé de 9 %
en 2023, atteignant 86,2 milliards
d’euros, dont plus de 50 % grâce à
ses marques de mode. Les trois
derniers mois de 2023 enregis-
trent une croissance organique de
10 %, s’est félicité M. Arnault, avant
que son directeur financier, Jean-
Jacques Guiony, souligne com-
bien l’activité est entrée dans une
phase de « normalisation sur la
deuxième partie de l’année 2023 ».
« Sur les dix dernières années, la
croissance organique de LVMH a
été en moyenne de 9,1 % », a aussi
fait valoir Jean-Jacques Guiony.
Ce rappel historique n’est pas
fortuit. En octobre 2023, la com-
munauté financière s’était émue
du ralentissement de la croissance
du chiffre d’affaires au troisième
trimestre (+ 9 %), après un bond de
17 % au premier semestre 2023. Le
titre LVMH avait dévissé à la
Bourse de Paris. A l’ouverture de la
séance, vendredi 26 janvier, l’ac-
tion a gagné 8 %. Les analystes fi-
nanciers de Barclays se disent
La direction de France Télévisions veut limiter
les enquêtes sur les personnalités politiques
Le groupe audiovisuel public entend faire une pause sur ce format. La rédaction désapprouve
L a crainte d’établir un précé-
dent qui ferait date. Une
bonne partie de la rédac-
tion de France Télévisions oscille
entre inquiétude et effarement
depuis que la décision du direc-
teur de l’information, Alexandre
Kara, a été ébruitée en interne.
Vendredi 19 janvier, les journalis-
tes travaillant sur les magazines
(« Complément d’enquête », « En-
voyé spécial », « 13 h 15 ») du
groupe audiovisuel public se sont
vu demander de faire une pause
dans leurs investigations concer-
nant les portraits de responsables
politiques d’ici aux élections
européennes qui auront lieu le
9 juin en France.
Questionné à ce sujet par la So-
ciété des journalistes (SDJ) de
France Télévisions, lors d’une réu-
nion mercredi 24 janvier, Alexan-
dre Kara a confirmé et assumé.
Cette pause se justifie, selon lui,
par souci de respect du plura-
lisme et pour laisser la priorité de
la couverture politique aux émis-
sions de débat, a-t-il encore expli-
qué jeudi à l’occasion d’un comité
social et économique. Et ce à qua-
tre mois et demi du scrutin euro-
péen, alors que le temps de parole
est scruté par l’Autorité de régula-
tion de la communication audio-
visuelle et numérique.
L’argument est un peu court se-
lon la rédaction, pour qui mettre
l’investigation entre parenthèses
à propos des responsables politi-
ques risque d’ouvrir la boîte de
Pandore. Si elle saisit l’enjeu
d’avoir les personnalités de tous
« rassurés » et ceux de Bernstein
s’enthousiasment pour « ce grand
gagnant du secteur » capable de
« maintenir sa marge opération-
nelle à 26,5 %, en dépit d’une hausse
de ses investissements marketing ».
Le résultat net s’est élevé à 15,2 mil-
liards d’euros. Un nouveau record.
Toutefois, comme d’autres de
ses concurrents, le numéro un
mondial est confronté à une mue
certaine du marché. « La fête des
trois dernières années est finie, on
le sait, depuis le milieu de 2023 »,
rappelle Olivier Abtan, directeur
associé du cabinet AlixPartners,
spécialiste des secteurs du luxe et
de la grande consommation. Aux
Etats-Unis, les ventes de LVMH
ont progressé de 4 % en 2023,
après 15 % en 2022 et 25 % en 2021,
post-Covid-19. En Europe, « on re-
descend sur terre depuis fin 2023 »,
a convenu Jean-Jacques Guiony
en commentant des ventes en
hausse de 13 %, après un bond de
35 % en 2022 grâce à l’afflux de
touristes américains.
Etat-major retouché
Et depuis la levée des mesures de
confinement par Pékin, les voya-
geurs chinois sont de retour dans
les boutiques du géant du luxe,
mais différemment. Ils se ren-
dent surtout à Macao, à Hon-
gkong et au Japon ; en Europe, ils
viennent en solo, « moins en
groupe », assure M. Guiony. Et s’ils
dépenseraient plus, les ventes de
Louis Vuitton en Europe auprès
des consommateurs chinois sont
toujours « de 30 % inférieures au
niveau de 2019 », précise LVMH.
En Asie (hors Japon), l’activité re-
les partis dans ses émissions – no-
tamment dans « L’Evènement »,
émission dans laquelle le groupe
a massivement investi et qui se
retrouverait fragilisée sans invité
politique –, « c’est une forme de
chantage, un marché de dupe, qui
peut donner lieu à des demandes
encore plus extravagantes à l’ave-
nir », craint un journaliste.
La temporalité de la décision
d’Alexandre Kara soulève des in-
terrogations, d’autant plus qu’elle
se produit alors qu’une rediffu-
sion d’un portrait d’Alexis Kohler,
le secrétaire général de l’Elysée,
était prévue à la mi-février. Une
enquête sur la nouvelle ministre
de la culture, Rachida Dati, et un
portrait du premier ministre, Ga-
briel Attal, également en projet,
sont tous deux concernés par le
« moratoire » voulu par Alexandre
Kara, selon ses propres termes.
Cette décision intervient aussi
au lendemain de la diffusion d’un
numéro de « Complément d’en-
quête » consacré à Jordan Bar-
della, le président du Rassemble-
ment national (RN). Celui-ci a été
diffusé malgré une mise en de-
meure du parti d’extrême droite
qui demandait à supprimer un
« C’est une forme
de chantage,
un marché
de dupe », craint
un journaliste
Les ventes
ont progressé
de 9 % en 2023,
dont plus de 50 %
grâce aux
marques
de mode
démarre, à + 18 %, après une an-
née sans croissance en 2022.
A l’évidence, 2024 devrait ap-
porter un autre lot de change-
ments. A contre-courant des ana-
lystes financiers de Bernstein,
qui, aux Etats-Unis, s’inquiètent
de l’effet émollient de l’élection
présidentielle sur l’économie,
M. Arnault, qui, lors de l’élection
de Donald Trump, en 2017, a sou-
tenu l’ancien président,
aujourd’hui candidat aux primai-
res républicaines, se dit confiant.
Il veut croire que les Etats-Unis,
premier bassin des ventes de pro-
duits de luxe au monde, bénéfi-
cient de l’« élection à venir » et de
la « baisse des taux d’intérêt ».
Le PDG de LVMH convient ce-
pendant que la situation géopoli-
tique internationale est source
d’inquiétude. « L’actualité inter-
nationale anxiogène, depuis la
guerre en Ukraine qui s’enlise et le
conflit en Israël, pèsera sur le sec-
teur », souligne M. Abtan. Le mar-
ché mondial des produits de luxe
devrait progresser de l’ordre de
4 %, en 2024, selon les projections
du cabinet Bain, contre 8 %
en 2023. A en croire un consul-
passage de cinquante-deux mi-
nutes. En cause ? Des révélations
sur l’utilisation supposée par
M. Bardella d’un compte Twitter
anonyme qui diffusait des messa-
ges racistes, ce que ce dernier con-
teste. Le président du RN a attaqué
l’émission à plusieurs reprises ces
derniers jours, notamment dans
« Touche pas à mon poste ! » sur
C8, chaîne détenue par le milliar-
daire Vincent Bolloré.
Priorité aux émissions de débats
Après cette diffusion, M. Bardella
ainsi que l’ex-candidate à la prési-
dentielle Marine Le Pen auraient
fait planer le doute quant à leur
participation future aux émis-
sions du groupe télévisuel public,
a fait valoir la direction de France
Télévisions devant ses équipes.
« Ce ne sont pas les seuls à faire
cela », glisse un responsable. Au
RN, on dément toute consigne à
ce propos, alors que Marine Le
Pen boycotte déjà l’antenne de
BFM-TV depuis mai 2023, le mou-
vement d’extrême droite se plai-
gnant de ne pas être traité correc-
tement par la chaîne d’informa-
tion en continu.
« Le signal envoyé par le direc-
teur de l’information est inaccep-
table », s’exclame Serge Cimino,
délégué du Syndicat national des
journalistes. « Le lien que fait la di-
rection entre le travail journalisti-
que d’investigation et la crainte
pour le débat démocratique est
pour le moins incompréhensible. »
Une autre corrobore : « Cela n’est
pas normal de mettre en concur-
tant, une telle conjoncture favo-
rise les « grosses marques de luxe »
et pénalise les « plus petites ».
L’entrée dans cette nouvelle ère
intervient alors que Bernard Ar-
nault a retouché l’état-major de
son groupe. Le 1er février, Sidney
Toledano, 72 ans, passera la main à
Michael Burke, en tant que PDG de
LVMH Fashion Group. Collabora-
teur de M. Arnault depuis le début
de sa carrière aux Etats-Unis, l’an-
cien patron de Louis Vuitton aura
la charge des plus petites marques
de LVMH, qui vivent à l’ombre des
géants Louis Vuitton et Dior aux
30 milliards d’euros de chiffre
d’affaires cumulé. A savoir Celine,
dont les ventes ont tout de même
dépassé les 2 milliards d’euros
en 2023, Fendi, Givenchy, Loewe,
Emilio Pucci, Kenzo, Marc Jacobs
et Patou. Par ailleurs, le groupe a
annoncé la nomination de Frédé-
ric Arnault (29 ans), fils de Bernard
Arnault, à la tête d’une nouvelle
division Montres du groupe.
Fin novembre 2023, son frère
aîné Antoine Arnault (46 ans)
avait annoncé quitter la direction
générale de Berluti, dont il garde la
présidence. Et, lors de la prochaine
assemblée générale des action-
naires de LVMH, Frédéric Arnault
et Alexandre Arnault (31 ans), di-
recteur exécutif produits et com-
munication chez Tiffany & Co, de-
vraient entrer au conseil d’admi-
nistration, aux côtés de Delphine
(48 ans) et Antoine, leurs aînés. Le
dernier fils Arnault, Jean, âgé de
26 ans, « a le temps, il est jeune », a
fait valoir M. Arnault, en marge
des résultats. p
juliette garnier
rence l’enquête et le débat politi-
que, les deux doivent cohabiter ».
Du côté de la direction, on mini-
mise, souhaitant dégonfler « les
fantasmes et incompréhensions ».
Elsa Margout, la directrice des
magazines de l’information, as-
sure « simplement demander aux
programmes qui n’ont pas de vo-
cation première de faire de la poli-
tique de mettre la pédale douce sur
les portraits politiques pour laisser
la priorité aux émissions de dé-
bats ». Selon elle, « seulement trois
ou quatre portraits politiques sont
faits chaque année sur une petite
trentaine d’émissions ».
Pour sa part, la SDJ de France Té-
lévisions a envoyé, jeudi 25 jan-
vier, un compte rendu interne du
rendez-vous avec Alexandre Kara
tenu mercredi. Dans ce courriel,
que Le Monde a pu consulter, le
bureau de la SDJ dit avoir exprimé
« son profond désaccord vis-à-vis
de cette décision et de cette straté-
gie » et son « inquiétude quant à sa
perception par le public ».
« Nous ne pouvons accepter que
le travail d’enquête (réaliser des
tournages et mener des interviews
par exemple) soit interrompu. Il y
va de notre indépendance qui doit
être permanente et ne peut être
“mise en pause” », peut-on encore
lire dans cette missive. Tristan Wa-
leckx et Elise Lucet, les visages de
« Complément d’enquête » et « En-
voyé spécial », n’ont pas répondu à
nos questions, comme plusieurs
journalistes de leurs équipes. p
brice laemle
et corentin lesueur
PERTES & PROFITS | INDUSTRIE
p a r p h il ip p e e s c a nde
Les « trois nouveaux »
moteurs de la Chine
La numérologie, élément fonda-
mental de la culture chinoise,
est aussi très utile en économie.
Les Américains ont trouvé les
Magnificent Seven, référence aux
Sept mercenaires. Un raccourci
saisissant pour démontrer que la
Bourse américaine devait l’essen-
tiel de sa hausse spectaculaire
en 2023 à seulement sept entre-
prises : Alphabet, Amazon, Apple,
Microsoft, Meta, Nvidia et Tesla.
Dans le même genre, la Chine
possède ses « trois nouveaux ». Ce
sont les trois secteurs industriels
qui expliquent une bonne part de
la croissance chinoise en 2023 :
les voitures électriques, les batte-
ries lithium-ion et les cellules de
panneaux solaires. Selon le Cen-
tre de recherche sur l’énergie et
l’air pur, situé en Finlande, qui
s’appuie sur les statistiques offi-
cielles chinoises, les énergies pro-
pres (incluant le nucléaire) ont
apporté près de 1 600 milliards
de dollars (1 476 milliards d’euros)
à l’économie de la Chine en 2023.
Sans cet apport, la croissance du
pays, officiellement de 5,2 %, ne
serait plus que de 3 %. Ce seul sec-
teur a ainsi contribué à lui seul
à 40 % de l’expansion de toute
l’économie chinoise l’an passé.
D’après la revue China Dialo-
gue, à Londres, c’est un haut
fonctionnaire des douanes qui
avait trouvé la formule des « trois
nouveaux » en référence aux
Veolia conserve
la distribution de l’eau
en Ile-de-France
Le groupe a été mieux-disant sur le prix et
l’amélioration de la qualité de l’eau potable
L e puissant Syndicat des
eaux d’Ile-de-France (Sedif),
qui assure la desserte en eau
potable de 133 communes (hors
Paris) et de 4,8 millions de Franci-
liens, a tranché, jeudi 25 janvier, au
terme d’une délibération de ses
133 élus réunis à l’usine de pro-
duction de Choisy-le-Roi (Val-de-
Marne). Veolia conserve le contrat
de distribution de l’eau qu’il
détient depuis 1923 à travers la
Générale des eaux, devenue Veolia
en 2003. Une majorité d’élus a
préféré l’opérateur historique à
son concurrent Suez.
Le contrat d’une durée de douze
ans (2025-2036) et d’un montant
de 4,3 milliards d’euros – le plus
important en France – ne sera pas
signé dans l’immédiat, a prévenu
André Santini, président du Sedif
et maire (UDI) d’Issy-les-Mouli-
neaux (Hauts-de-Seine). Lundi
29 janvier, le Conseil d’Etat doit en
effet examiner un recours de Suez,
qui dénonce un incident informa-
tique intervenu en avril 2023 et
entachant la procédure.
Vitrine technologique
Ce choix de Veolia met fin à une
procédure lancée en 2019 pour
fixer le mode de gestion de ce
service : la création d’une régie a
été écartée au profit du main-
tien d’une délégation de service
public. L’appel d’offres, ouvert en
mai 2021, retenait six critères, tels
que le prix de l’eau, l’amélioration
de sa qualité et la recherche-inno-
vation pour une gestion durable.
Le vainqueur a obtenu 81 sur 100,
Suez 69 sur 100.
Sur les deux premiers critères,
Veolia a été le mieux-disant. Son
offre « présente un net avantage
d’un point de vue tarifaire » par
rapport à celle de Suez, dit la direc-
tion du Sedif. Il l’a aussi jugée
« plus performante » sur le plan des
0123
SAMEDI 27 JANVIER 2024
« trois anciens » qui ont long-
temps été, au XXe siècle, les pi-
liers des exportations chinoises :
le textile, l’électroménager et
l’équipement de la maison. Dans
le détail, la Chine représentait,
en 2022, près de 83 % des expor-
tations mondiales de cellules de
panneaux solaires, 52 % des bat-
teries et 23 % des véhicules élec-
triques. Sur la première moitié
de 2023, ces trois secteurs ont vu
leurs ventes à l’étranger progres-
ser de plus de 60 %.
Retard irrattrapable
Cette performance est la consé-
quence d’une politique indus-
trielle sur toute la chaîne de va-
leur, entamée à partir des années
2005 et dopée par le plan de re-
lance massif de 2008, au moment
où les Européens ont abandonné
leurs généreuses subventions.
Désormais, de la matière de
base (le silicium) aux panneaux
finis, la Chine est hégémonique
à tous les niveaux de l’énergie
solaire, comme des batteries.
A tel point que, selon le cabinet
d’études Rystad Energy, il sera
impossible aux Occidentaux de
rattraper ce retard sur les techno-
logies actuelles, même avec les
subventions massives qu’ils
déploient aujourd’hui. Seul es-
poir, la recherche pour préparer
les générations futures. Mais
en aurons-nous la patience ? p
« travaux OIBP » (osmose inverse
basse pression), une technologie
qui doit, selon Veolia, permettre la
suppression du calcaire, du chlore
et de nombreux micropolluants.
Car ce marché francilien est une
vitrine technologique pour les
deux groupes, qui ont rivalisé sur
ce plan en proposant, de l’avis du
Sedif, des offres d’une qualité uni-
que au monde. Le syndicat sou-
haite équiper ses trois usines de
Neuilly-sur-Marne (Seine-Saint-
Denis), Choisy-le-Roi et Méry-sur-
Oise (Val-d’Oise) de cette techni-
que à l’horizon 2030, pour un coût
estimé à plus de 1 milliard d’euros.
Les élus écologistes d’Ile-de-
France dénoncent un « projet pha-
raonique » à la fois pour son coût,
ses besoins en énergie et le com-
portement des opérateurs qu’il in-
duit, puisqu’il les dissuadera, se-
lon eux, de mieux gérer la res-
source en amont. De son côté, la
régie publique Eau de Paris et
d’autres régies franciliennes crai-
gnent que les rejets des usines
équipées de cette nouvelle techno-
logie, déjà utilisée à Méry-sur-
Oise, n’entraînent un « report » des
pollutions sur les acteurs voisins.
Le Sedif s’engage à mener des étu-
des afin que les concentrés de mi-
cropolluants et de matières orga-
niques issus de la filtration ne pol-
luent pas les eaux de surface.
Ce choix a été peu contesté, y
compris par le maire (PCF) de La
Courneuve, Gilles Poux, qui plai-
dait pourtant en faveur d’un pas-
sage en régie, comme les écologis-
tes. Le Sedif a le plus faible taux de
perte entre l’usine d’eau potable
et le robinet, soit moins de 10 %,
contre une moyenne de 20 % en
France (1 milliard de mètres cubes
par an). Le groupe dirigé par
Estelle Brachlianoff s’est engagé à
l’améliorer encore. p
jean-michel bezat
0123
SAMEDI 27 JANVIER 2024
Assurance-vie : les surprises de la hausse
des rendements des fonds en euros
Les hauts taux affichés en 2023 méritent un examen attentif pour juger de leur réalité
N
oël après Noël ? C’est
l’impression qu’ont
dû ressentir nombre
d’épargnants en dé-
couvrant, en début d’année, les
premières annonces de perfor-
mances 2023 des fonds en euros :
+ 2,75 % chez Milleis Vie (taux dé-
voilé dès la mi-décembre), + 3 %
chez BNP Paribas Cardif, + 2,80 %
chez GMF Vie et MAAF Vie,
+ 2,70 % à la Macif, + 3,05 % à la
MIF ou encore + 3,50 % pour la
mutuelle Garance, + 3,70 % pour
La France Mutualiste…
En dopant le rendement de
leurs offres de 50 à 100 points de
base en moyenne, les assureurs-
vie semblent s’être donné le mot
pour redorer le blason des fonds
en euros, bien terni par une
décennie de baisse des taux obli-
gataires (entre 2012 et 2021, le
taux de l’obligation assimilable
du Trésor à dix ans, l’indice de ré-
férence du secteur, a fondu de
2,5 % à 0 %).
L’objectif est double : lutter con-
tre le rouleau compresseur du Li-
vret A (+ 26,7 milliards d’euros de
collecte nette, contre − 25,4 mil-
liards d’euros pour les fonds en
euros sur les onze premiers mois
de l’année dernière) et attirer de
l’argent frais susceptible d’être in-
vesti en actifs sensiblement plus
rentables que ceux qui étaient in-
2, 22 %
C’est le rendement du fonds en euros de l’AFER en 2023, contre
2,01 % un an plus tôt. Cela fait quelque temps déjà que le fonds en
euros poids lourd de l’AFER assuré par Abeille Assurances (41 mil-
liards d’euros sous gestion) ne parvient plus à grimper les marches
du podium des rendements de l’assurance-vie. Longtemps, par
souci de clarté, l’association a choisi de reverser à ses adhérents la
quasi-totalité des bénéfices générés par la gestion de leurs contrats.
Mais aujourd’hui, la faiblesse des réserves constituées (219 millions
en stock et 115 millions puisés en 2023) nuit à sa compétitivité.
FISCALITÉ
Comment remercier un aidant avec une donation ou un legs
L a part des proches aidants
n’a eu de cesse de progres-
ser ces dernières décen-
nies. Le phénomène n’a rien
d’étonnant au regard de l’allonge-
ment de la durée de la vie. Selon
une étude publiée par la direction
de la recherche, des études, de
l’évaluation et des statistiques
(Drees) en février 2023, 9,3 mil-
lions de personnes apportent en
effet une aide régulière à un pro-
che en situation de handicap ou
de perte d’autonomie.
C’est souvent naturellement
qu’un enfant, une belle-fille, un
neveu, un ami, un voisin soutient
un proche en difficulté en lui as-
surant une aide domestique, un
appui moral, des soins réguliers,
une assistance pour les déplace-
ments ou encore en l’hébergeant.
Sans ces aidants, nombreuses se-
raient les personnes en perte
d’autonomie à ne plus pouvoir
continuer à vivre dans leur domi-
cile. Et tous ces gestes ont égale-
ment une valeur économique.
Si les proches aidants agissent
de façon désintéressée, par affec-
tion ou dans un esprit de solida-
rité familiale, leur contribution
pour la société est évaluée à
11 milliards d’euros par an par le
Laboratoire d’économie et de ges-
tion des organisations de santé
de l’université Paris-Dauphine
(estimation réalisée dans le cadre
de l’étude Share de 2018).
Il n’est pas prévu que les servi-
ces rendus soient un jour rétri-
bués. Pour autant, en tant que bé-
néficiaire de cette précieuse aide,
jectés dans les portefeuilles des
compagnies jusqu’en 2021.
Les épargnants vont-ils répon-
dre à l’appel ? « Le fonds en euros
reste le socle fondamental de l’as-
surance-vie, et ceux qui ont voulu
l’enterrer trop vite s’en mordent
les doigts », juge Hervé Tisserand,
président du courtier Fapes Dif-
fusion. Quelques précautions
d’interprétation des rendements
affichés s’imposent toutefois
avant d’adhérer pleinement à
l’idée du retour de la martingale
sécurité-rendement de ces sup-
ports, qui représentent toujours
plus des deux tiers des stocks
d’assurance-vie (1 324,4 milliards
d’euros fin 2022).
Rentabilité réelle négative
Tout d’abord, il n’est pas inutile
de rappeler que, rapportée à une
inflation annuelle en reflux
mais toujours élevée (3,7 %
en 2023, contre 5,2 % en 2022), la
rentabilité réelle de la plupart
des fonds en euros reste néga-
tive. Attendu, selon les estima-
tions de l’expert indépendant
Cyrille Chartier-Kastler, fonda-
teur du site Good Value for Mo-
ney, « entre 2,50 % et 2,70 % »
pour l’ensemble du marché
(contre 1,9 % en 2022), le rende-
ment moyen net d’inflation des
fonds en euros stagne encore
vous pouvez, à un moment
donné, vouloir la récompenser.
Une « libéralité rémunératoire »,
qu’il s’agisse d’une donation
consentie de votre vivant ou d’un
legs prenant effet à votre décès,
peut servir à le faire. Votre geste
peut porter sur une somme d’ar-
gent, un tableau, un bijou, etc., et
même sur un bien immobilier. A
condition que les services rendus
soient équivalents à la valeur du
bien donné ou légué…
Justifier des services rendus
D’un point de vue fiscal, l’acte est
très intéressant. Puisque rému-
nérer n’est pas donner, les libé-
ralités rémunératoires échappent
à l’impôt. Un avantage consi-
dérable quand le proche aidant
n’est pas un membre de la famille
– ce serait le cas de 20 % des
aidants, selon l’Association fran-
çaise des aidants. En effet, la libé-
ralité rémunératoire permet dans
ce cas d’éviter une taxation (par le
biais des droits de donation ou de
L’option de la créance d’assistance
Si vous ne prenez aucune disposition de votre vivant, votre aidant
n’aura droit à aucune récompense. Toutefois, lors de votre
succession, vos enfants peuvent s’entendre pour que celui qui
vous a aidé reçoive un bien ou de l’argent au titre d’une « créance
d’assistance ». A défaut d’accord, l’aidant pourra aller en justice.
Selon les juges, qui ont créé cette notion absente de la loi, lorsque
l’aide et l’assistance apportées aux parents ont excédé « les exigen-
ces de la piété filiale », l’enfant est fondé à réclamer à la succession
une indemnité compensatrice. L’indemnisation forfaitaire
accordée n’est jamais équivalente au manque à gagner ou à
l’économie réalisée par le parent qui a pu se maintenir à domicile.
LES ASSUREURS, DANS
LEUR MAJORITÉ, ONT
CHOISI CES DERNIÈRES
ANNÉES DE FAIRE LA PART
BELLE AUX SUPPORTS
EN UNITÉS DE COMPTE
AU CAPITAL NON GARANTI
sous la barre des − 1 %. Ce, avant
ponction des frais sur verse-
ment et prélèvements sociaux
de 17,2 %.
Autre point : les épargnants
confrontés, comme le souligne
Cyrille Chartier-Kastler, à une
« dispersion grandissante des
taux servis générée par des politi-
ques commerciales fort différen-
ciées » doivent détailler les per-
formances affichées. Les assu-
reurs, dans leur grande majorité,
ont en effet clairement choisi ces
dernières années de faire la part
belle aux supports en unités de
compte (UC) au capital non ga-
ranti (40 % des nouveaux verse-
ments), en bonifiant les fonds en
euros lorsque les investissements
sont diversifiés.
Moyennes et non taux de base
Chez CNP Assurances, par exem-
ple, les taux servis varient de
2,15 % à 3,65 % pour le contrat
Nuances 3D des caisses d’épar-
gne, et de 2,30 % à 3,80 % pour
Cachemire 2, vendu par La Ban-
que postale, selon les parts d’UC
détenues par les clients.
Même chose chez Société géné-
rale ou aux ACM (assurances du
Crédit mutuel), où les taux res-
pectifs de 3,31 % et de 2,80 % mis
en avant constituent des moyen-
nes, et non des taux de base. Ce
risque, Corum L’Epargne l’anti-
cipe d’ailleurs déjà en plafonnant
succession) à hauteur de 60 % de
la valeur donnée.
« C’est en quelque sorte une
fausse donation ou un faux
legs puisqu’il y a eu une contrepar-
tie : vous rémunérez l’aidant pour
un travail accompli. C’est la raison
pour laquelle il échappe en grande
partie au régime des libéralités »,
explique Me Marlène Thebault,
notaire à Mauges-sur-Loire (Mai-
ne-et-Loire). « Par exemple, la rè-
gle du rapport successoral ou la ré-
duction des libéralités ne s’appli-
que pas même si les héritiers esti-
ment qu’il y a une atteinte à leurs
droits. L’aidant gratifié n’aura rien
à restituer [à la mort de la per-
sonne aidée] », détaille-t-elle.
L’acte nécessite d’être manié
avec précaution. Le risque sinon :
qu’il soit remis en cause par l’ad-
ministration fiscale ou par les hé-
ritiers, qui peuvent engager une
action en justice après le décès.
D’ailleurs, de nombreux notaires
ne proposent même pas l’option à
leurs clients. « Nous en faisons peu
Crédit immobilier, taux
d’effort et reste à vivre
la quote-part de son fonds en
euros à 25 % de l’investissement
d’un contrat.
Servir, à partir de fonds géné-
raux souvent constitués de lon-
gue date, un même taux à tous
les souscripteurs reste toutefois
l’objectif de nombreuses mu-
tuelles et associations d’assurés
(2,22 %, par exemple, pour le
fonds en euros de l’AFER, qui pèse
41 milliards d’euros). « Il n’est pas
question pour nous de réserver la
performance à quelques-uns »,
abonde Guillaume Rosenwald,
directeur général de MACSF Epar-
gne retraite. Ce groupe, comme la
plupart des acteurs du marché, a
toutefois dû puiser dans sa provi-
sion pour participation aux béné-
fices (PPB) afin de soutenir son
rendement (3,10 %).
Cette réserve permet aux com-
pagnies de mettre de côté une
fraction des gains financiers déga-
gés par le placement des fonds en
euros avant de les redistribuer
aux assurés dans les huit ans qui
suivent. Fortement dotée ces der-
nières années (67,2 milliards
d’euros fin 2022, contre 53,9 mil-
liards d’euros en 2018) par des as-
sureurs dont les investissements
sont plus diversifiés qu’on ne le
croit (24,8 % d’obligations d’Etat
pour 32,5 % d’obligations d’entre-
prises et 24,2 % d’actions en 2022),
la PPB représentait – toujours fin
2022 – environ 5 % de réserve de
rendement pour l’ensemble de la
place (voire davantage pour les
bancassureurs).
Or l’Autorité de contrôle pru-
dentiel et de résolution l’a promis
lors de la présentation de son
programme de travail 2024 : elle
surveillera de près « la redistribu-
tion progressive de cette PPB afin
de maintenir une rémunération
attractive pour les épargnants ».
Le fonds en euros, a priori, n’a pas
dit son dernier mot. p
laurence david
CLIGNOTANT
et c’est une erreur. Si les conditions
sont respectées, il peut être envi-
sagé. Parlez-en à votre notaire, il
vous aidera à écarter tout danger »,
recommande Me Thebault.
Il revient au notaire de rédiger
un acte de donation (ou un testa-
ment) non équivoque de façon à
sécuriser votre geste. Il exposera le
contexte. Il justifiera de la réalité
des services rendus par l’aidant,
en les détaillant et en les chiffrant.
Il indiquera en outre la valeur du
bien donné ou légué. Il peut par
QUESTION À UN EXPERT
exemple préciser que l’aidant a
tenu un rôle d’aide ménagère
vingt heures par semaine pendant
douze ans. Et, en s’appuyant sur
un tarif horaire de 10 euros, par
exemple, il peut évaluer les servi-
ces rendus à 120 000 euros.
Un critère de proportionnalité
est requis : le service rendu doit
être rémunéré à hauteur de ce qui
est dû. Sinon, l’acte sera considéré
comme une libéralité rémuné-
ratoire à concurrence de ces pres-
tations et constituera une dona-
tion taxable au-delà. Autres exi-
gences, les services que la libéra-
lité rémunère doivent être
appréciables en argent, ne pas
avoir été rétribués et avoir déjà été
rendus. Pas question de « payer »
votre aidant par anticipation.
Enfin, l’aide et l’assistance doi-
vent dépasser la simple obliga-
tion naturelle. De même que si le
parent est dans le besoin, l’aide
doit excéder les obligations qui
pèsent sur l’enfant au titre de
l’obligation alimentaire. p
rosine maiolo
argent | 19
SOS CONSO
CHRONIQUE PAR RAFAËLE RIVAIS
L
e débat sur l’encadrement des prêts immobiliers
s’est récemment échauffé autour d’un arrêt de la
Cour de cassation qui a refusé de considérer comme
excessif un crédit imposant un taux d’endettement
de 65 %, du fait que le reste à vivre des emprunteurs était
suffisant. L’affaire à laquelle il se rapportait était ancienne.
En décembre 2008, un couple propriétaire d’une villa
exceptionnelle dans le Var, contracte un emprunt de 1,3 mil-
lion d’euros, pour acheter une maison et faire un regrou-
pement de crédits. Il prévoit d’en rembourser les deux tiers
dans les deux ans, après avoir vendu la villa, estimée à plus
de 1 million d’euros. Or, la crise économique ne le lui permet
pas. En 2016, la villa hypothéquée est adjugée aux enchères
pour 476 300 euros.
Le couple attaque sa banque, BNP Paribas Personal Finance,
en lui reprochant d’avoir manqué à son « devoir de mise en
garde », contre le risque d’endettement excessif qu’il encou-
rait, avec un taux d’effort (montant des remboursements
rapporté au revenu) de 65 %. La cour d’appel de Paris le dé-
boute, en jugeant que « les restes à vivre, hors charges, étaient
(…) supérieurs à 3 000 euros », formule
« maladroite », comme le souligne Jérôme
LE DEVOIR DE Lasserre Capdeville, universitaire spécia-
MISE EN GARDE liste du droit bancaire, puisque les restes à
vivre sont toujours hors charges.
SE DÉCLENCHE Néanmoins, le 12 juillet 2023, la Cour de
cassation valide son arrêt. Bien que sa
À PARTIR DU SEUIL décision concerne une époque où le Haut
DE 33 % Conseil de stabilité financière (HCSF), or-
ganisme chargé de prévenir un dysfonc-
tionnement du système financier, n’exis-
tait pas encore, nombre de commentateurs, notamment des
courtiers, estiment qu’elle autorise les banquiers à contour-
ner les normes de celui-ci. Notamment celle qui, depuis le
1er janvier 2022, interdit de dépasser le taux d’effort de 35 %
(sauf pour 20 % des crédits).
L’arrêt de la Cour permettrait, selon eux, de faire du reste à
vivre le premier critère de détermination du risque d’endette-
ment. Ce critère aurait plus de sens que celui du taux d’effort
non rapporté à une assiette de revenus et permettrait de ne
pas priver certains ménages plus aisés de l’accès au crédit.
Sa prééminence risquerait toutefois d’affaiblir la protec-
tion des emprunteurs, objecte M. Lasserre Capdeville : ils ne
bénéficieraient plus du devoir de mise en garde du ban-
quier, qui, selon les usages bancaires, se déclenche à partir
d’un seuil d’endettement de 33 %. Sur le site Actu-juridi-
que.fr, il estime que le reste à vivre doit rester un critère « cor-
recteur », qui joue « un rôle de rééquilibrage en présence d’un
taux d’endettement de 40 %, voire de 45 % ». Il doute de la por-
tée de l’arrêt : non publié au Bulletin de la Cour de cassation, il
ne semble pas destiné à faire jurisprudence. p
ÉPAR GN E
Record pour le Livret A et le LEP
Avec 28,7 milliards d’euros de collecte nette – chiffre
publié mardi 23 janvier par la Caisse des dépôts –, le Li-
vret A, rémunéré à 3 % net, signe un record en 2023.
L’encours de ce livret et du Livret de développement
durable et solidaire atteint 465,9 milliards d’euros.
L’année a été exceptionnelle aussi pour le Livret d’épar-
gne populaire, accessible sous condition de revenus et
rémunéré à 6 % (5 % à partir de février 2024) : il a col-
lecté 20,67 milliards d’euros. Ces records s’entendent
depuis 2009, année de la généralisation du Livret A, les
statistiques de la Caisse commençant cette année-là.
Racheter des trimestres permet-il
de partir avant 64 ans ?
aurélie chalandon, experte chez France Retraite
Les actifs rachetant des trimestres à leur caisse de retraite de base le
font généralement pour avancer leur départ en retraite. En effet, ce
rachat peut permettre d’obtenir plus tôt le taux plein, sésame pour
une pension (de base et complémentaire) non minorée. Autre intérêt
souvent recherché : la déduction des sommes versées de l’assiette de
revenu imposable. Vigilance cependant : les trimestres ainsi rachetés
ne peuvent pas vous amener à percevoir vos pensions de retraite
avant l’âge légal, qui a été fixé à 64 ans par la dernière réforme des
retraites pour les générations 1968 et suivantes. Ces trimestres ne
compteront pas non plus pour évaluer votre éligibilité au dispositif de
départ anticipé pour carrière longue (qui permet à ceux qui ont com-
mencé à travailler tôt de partir à compter de 58 ans, à certaines condi-
tions), sauf si le rachat a été effectué avant le 13 octobre 2008.
En revanche, un rachat de trimestres peut permettre de bénéficier
de la surcote (majoration de la pension de base) si on choisit finale-
ment de poursuivre son activité après avoir validé le nombre de
trimestres requis pour sa génération. A noter : si un rachat effectué
avant le 15 avril 2023 est devenu inutile du fait de l’évolution de la
réglementation (réforme des retraites), on peut en demander le
remboursement à sa caisse avant avril 2025. p
20 | horizons
monaco - envoyés spéciaux
A
Genève, la rue du Rhône, c’est
un peu la place Vendôme et
les Champs-Elysées réunis.
Ici, à deux pas du lac Léman,
tout n’est que luxe, calme et
discrétion. Au numéro 4 de la
rue, le siège du Groupe Reyl, une banque
connue en partie pour avoir géré les fonds
occultes de l’ancien ministre Jérôme Cahuzac.
L’établissement a aussi été condamné, en
avril 2023, à 5,75 millions d’euros d’amende,
par la justice française, après avoir admis sa
participation à un système de blanchiment de
fraude fiscale. Quelques semaines après cette
sanction judiciaire, le mercredi 28 juin préci-
sément, les dirigeants de la banque Reyl
accueillent pourtant, dans la plus grande
confidentialité, un client prestigieux :
Albert II, prince de Monaco.
Que vient-il faire à Genève, escorté d’avo-
cats français et suisses, mais aussi de son
chambellan, le lieutenant-colonel Jean-Luc
Carcenac, et de l’homme qui vient de succé-
der à Claude Palmero en qualité d’adminis-
trateur des biens (ADB) de la couronne, Salim
Zeghdar ? C’est que l’heure est grave. Depuis
la révocation inattendue de M. Palmero, trois
semaines plus tôt, Albert II et lui ne commu-
niquent plus que par avocats interposés. Son
Altesse Sérénissime (SAS) est tout sauf… se-
reine. Elle sait à quel point Claude Palmero,
qui fut tout à la fois son comptable, son ges-
tionnaire de fortune et son confident durant
près de deux décennies, est au fait de tous les
secrets de la famille princière.
Le prince n’ignore pas non plus que son an-
cien collaborateur a quitté le palais avec cer-
tains documents sensibles. Dans le lot, cinq
cahiers dans lesquels il a rendu compte, au fil
du temps, de ses centaines d’entrevues avec
Albert II, depuis son intronisation en 2005.
Ce n’est pas tout : l’expert-comptable devenu
paria reste le prête-nom du prince et de ses
sœurs dans une myriade de sociétés utili-
sées pour diverses opérations financières ou
immobilières. Un dispositif destiné à placer
à l’abri la fortune de la famille Grimaldi. Pour
résumer, le conseiller répudié a toujours la
main sur les biens de la couronne, il y a donc
urgence à mettre un terme à cette bizarrerie !
D’où ce rendez-vous genevois entre le prince
en personne, ses conseillers et les avocats de
M. Palmero, menés par Me Marie-Alix Canu-
Bernard. Privilège accordé par la banque
Reyl à Albert II : il est le seul à détenir un
coffre-fort au siège de l’établissement, dé-
pourvu de salle des coffres. Ce jour-là, c’est
dans une ambiance polaire que Me Canu-
Bernard va lui remettre les clés…
Le prince veut pouvoir reprendre le
contrôle d’une série de sociétés offshore ba-
sées au Panama, mais aussi aux îles Vierges
britanniques, autre paradis fiscal. Toutes
sont détentrices de comptes ouverts à la ban-
que Reyl de Genève. La filière helvético-pana-
méenne avait été imaginée, avant même la
nomination de Claude Palmero comme ad-
ministrateur des biens, pour y placer à l’abri
des regards inquisiteurs environ 250 mil-
lions d’euros, soit une partie non négligeable
de la fortune d’Albert. L’efficace expert-comp-
table a renforcé et amélioré le système.
Ainsi, c’est lui qui a eu l’idée de créer, à la fin
des années 2010, des véhicules financiers
aux îles Vierges, le Panama attirant alors un
peu trop l’attention médiatique. Lui aussi qui
a décidé de concentrer une partie des avoirs
princiers à Genève. Le 15 mars 2012, il repor-
tait ainsi dans l’un de ses cahiers : « Création
d’une Instit Fin en Suisse avec la banque Reyl
pour faciliter la gestion des comptes. (…) Je la
ferai seul pour épargner SAS et rétrocéderai. »
Il prend soin de consigner l’aval du prince :
« SAS d’accord. » M. Palmero le confirme au
Monde : « Pour le compte de mes mandants
[les Grimaldi], et avec leur aval, j’ai placé des
sommes dans des sociétés offshore qui appar-
tiennent à la famille princière. »
Dans les locaux de la banque Reyl, Me Canu-
Bernard remet aussi à Albert II les lettres de
démission des fonctions que le comptable
occupait dans ces structures offshore. Ainsi,
Palmero quitte la présidence d’Yonne Invest
SA, la société panaméenne qui accueille les
avoirs de la princesse Caroline et de ses en-
fants Charlotte, Pierre et Andrea Casiraghi.
Idem avec Lorraine Private Assets Corp, une
autre structure panaméenne abritant des
fonds du prince. Même principe pour Quilter
(société de Caroline) et Kinrosse, attribuée à
sa sœur, Stéphanie. Il abandonne aussi Po-
mel, une SCI qui, elle, est basée à Monaco : il
s’agit de la structure personnelle de Char-
lotte Casiraghi, dont le troisième prénom est
Pomeline. M. Palmero démissionne encore
A Monaco,
l’heure
des comptes
a sonné
MONACO, LES CAHIERS SECRETS 4|4 En congédiant Claude Palmero,
son ex-éminence grise, en juin 2023, Albert II a pris
le risque d’exposer au grand jour la gestion du
patrimoine familial. Le conflit entre les deux hommes,
par avocats interposés, pourrait avoir de fâcheuses
conséquences politiques et fiscales pour la Principauté
de plusieurs autres entités panaméennes,
dont Ministral, commune au prince et à ses
deux sœurs, Coolidge et Belesome, créées
pour gérer une partie du patrimoine immo-
bilier familial – comme les trois structures
domiciliées aux îles Vierges, dont il aban-
donne également la gestion.
Le palais ne conteste pas l’existence de ces
sociétés offshore. « Elles ont été créées dans
les années 1980 par André Palmero, le père de
Claude Palmero, qui administrait les biens de
la couronne à l’époque du prince Rainier, dé-
taille Me Jean-Michel Darrois, l’avocat du pa-
lais. Le prince Albert et ses sœurs ont eu con-
naissance de leur existence, mais ils avaient
demandé de les clôturer pour rapatrier les
fonds à Monaco. Ils n’imaginaient pas ne pas
avoir été entendus, alors que M. Palmero
s’était engagé à mettre fin à ce système, puis-
que la famille princière n’a rien à cacher. »
SI CLAUDE PALMERO
LES CLÉS DU COFFRE
Le camp Palmero a donc accepté de restituer ÉTAIT LE GÉRANT
les clés du coffre suisse, mais il se refuse à ac-
céder à d’autres demandes, jugées infondées, DE NOMBREUSES
du palais, qui l’accuse de conserver des docu-
ments ou des intérêts appartenant au prince.
SOCIÉTÉS POUR
« Comme à tout mandataire, il a été demandé LE COMPTE DES
à Claude Palmero de remettre un rapport sur
sa gestion, assure Me Darrois. Il n’a pas été re- GRIMALDI, IL LUI
mis. C’est pourquoi un audit a été demandé à
un grand cabinet indépendant. Cet audit a été
EST AUSSI ARRIVÉ
très difficile à conduire, car Claude Palmero D’INVESTIR SON
avait mis à son nom l’intégralité des biens de
la famille princière et avait emporté des docu- PROPRE ARGENT
ments – ils n’ont toujours pas été restitués –
qui étaient conservés dans son bureau au pa- DANS LES MÊMES
lais. » Conséquence : malgré le succès de l’es- VÉHICULES
capade genevoise, l’impatience puis la colère
vont bientôt céder le pas à la panique du côté FINANCIERS
des proches d’Albert II. Claude Palmero est
détenteur de tant d’informations sensibles, il
s’est constitué un tel réseau, aussi… S’il y a
une personne capable de faire exploser la
monarchie monégasque, c’est bien lui.
Au sortir du printemps 2023, le ton monte
dangereusement entre les différents prota-
gonistes. Le Monde a pu le constater en pre-
nant connaissance des dizaines de courriers
échangés ces six derniers mois entre Mes Ca-
nu-Bernard, Christophe Llorca et Pierre-Oli-
vier Sur, défenseurs de M. Palmero, et leurs
confrères Mes Darrois et Xavier Philipps, con-
seils du prince. Ces documents viennent cré-
dibiliser, si besoin en était, les révélations de
Claude Palmero, et ce qu’il a écrit au fil des
années dans ses cahiers.
Le 21 juin 2023, soit une semaine avant le
rendez-vous de Genève, Albert envoie une
mise en demeure à son ancien bras droit. Il
l’accuse de « conserver de nombreux docu-
ments essentiels à l’administration des biens
de la maison souveraine et de [ses] biens pri-
vés ». D’après le prince, la détention de tels
documents « pourrait constituer une infrac-
tion ». Trois jours plus tard, le 24 juin, nou-
velle missive courroucée signée SAS : « J’ap-
prends que vous refusez de démissionner des
fonctions exercées au sein de diverses sociétés,
fonctions attachées à votre ancien mandat.
(…) Je m’en étonne et vous demande de démis-
sionner immédiatement. » Entre ces deux
hommes autrefois si proches, la rupture est
totale. Il n’y a plus de « cher monsieur Pal-
mero » qui vaille, la guerre est déclarée.
De son côté, Me Canu-Bernard distille des
messages de plus en plus explicites. Y com-
pris en s’adressant directement au prince Al-
bert. Ainsi, alors qu’elle lui rappelle, toujours
en juin 2023, que « la lutte contre la corrup-
tion a de longue date mobilisé [Claude Pal-
mero] pour permettre l’intervention dans
l’immobilier monégasque d’une pluralité d’ac-
teurs, et mettre fin à un système opaque, ainsi
qu’au monopole de la famille Pastor », elle
souligne : « Vous lui avez, à cet égard, et depuis
le début de ses actions au bénéfice de la princi-
pauté, apporté un soutien plein et entier. »
A l’instar de l’avocat historique et ami d’en-
fance d’Albert II, Me Thierry Lacoste, lui aussi
mis au ban sur le Rocher, Claude Palmero est
convaincu que le prince Albert est désormais
sous la coupe du milliardaire monégasque
Patrice Pastor, magnat local de l’immobilier.
D’après l’ex-administrateur, cette proximité
expliquerait sa brutale disgrâce. Le souverain
se voit quasi ouvertement accusé d’avoir
noué un pacte faustien avec M. Pastor – il
aurait été « pastorisé », pour reprendre la for-
mule favorite de M. Palmero.
Le lendemain de la réunion à la banque Reyl,
le 29 juin, Me Darrois reprend sa croisade épis-
tolaire. Ayant donc diligenté un audit – « non
contradictoire », s’offusque Claude Palmero –
visant les activités de celui qui, si longtemps,
murmura à l’oreille du prince, Me Darrois liste
les quarante-sept sociétés dans lesquelles
M. Palmero a représenté les intérêts des Gri-
maldi, en tant que dirigeant ou en disposant
simplement de parts du capital… Au passage,
il mentionne le sigle « DS », pour « destination
spéciale ». Les initiés savent que cet intitulé
volontairement vague désigne les fonds se-
crets utilisés par M. Palmero pour mener, se-
lon lui au nom du prince, des enquêtes offi-
cieuses à la limite de la légalité.
En attendant, en cet été 2023, Me Canu-Ber-
nard se fait un malin plaisir de rappeler qu’Al-
bert II « ne peut raisonnablement ignorer »
que M. Palmero « a été sa vitrine comptable,
juridique et administrative » depuis près d’un
quart de siècle. A ce titre, il a « souscrit, signé
et assumé pour son compte, des contrats et
des engagements qui sont extrêmement per-
sonnels à son mandant ». L’allusion au fort
pouvoir de nuisance de son client est lim-
pide… « Des propos et allusions d’une gravité
inacceptable », rétorquent par écrit les avo-
0123
SAMEDI 27 JANVIER 2024
cats du prince Albert. M. Zeghdar, le succes-
seur de M. Palmero, monte à son tour au cré-
neau. Il accuse son prédécesseur de s’être fait
verser sans justification, le 30 mai 2023, une
somme de 700 000 euros. L’argent a été
transféré d’un compte nommé « AG », ouvert
au nom d’Albert à la BNP de Monaco, vers la
SCI Etoile de mer, propriété de Claude Pal-
mero. Un simple remboursement de fonds
avancés au prince, justifie le comptable.
A vrai dire, la situation est complexe. Car si
M. Palmero était le gérant ou le porteur de
parts de très nombreuses sociétés pour le
compte du prince et de ses deux sœurs, il lui
est aussi arrivé d’investir son propre argent
dans les mêmes véhicules financiers – dans
des proportions moindres, évidemment.
Prenez la SCI Janus, créée de toutes pièces à
Monaco par Claude Palmero. « J’avais pris Ja-
nus comme nom parce qu’il y avait deux têtes
dans la société, le prince et moi, révèle au
Monde le comptable. C’est une société où ma
part devait être aux alentours de 5 % », soit en-
viron 8 millions d’euros. La famille princière,
elle, y avait placé près de 170 millions d’euros
de sa fortune personnelle. Dans l’entourage
d’Albert II, on ne peut ou on ne veut croire
qu’un simple administrateur de biens ait pu
apporter plus de 8 millions d’euros de son
côté. Conclusion : il les aurait dérobés au
prince. « Si vous confiez un jour votre fortune
à un gestionnaire, assurez-vous qu’il investit
pour lui en même temps qu’il investit pour
vous !, se défend Claude Palmero. Cela s’ap-
pelle l’alignement d’intérêts. C’est un gage de
performance et de crédibilité. »
MAQUIS BANCAIRE
« Tout est réparti, diversifié, très comparti-
menté, poursuit-il. Cela relève tout d’abord
de la bonne gestion parce qu’il est toujours
préférable d’éviter de placer tous ses œufs
dans le même panier. C’est aussi pour qu’on
ait du mal à faire la synthèse si des personnes
malintentionnées venaient à faire des recher-
ches sur la famille princière. On m’accuse de
tout, mais il y a des virements bancaires qui
vont de mon compte à Janus pour payer ma
part. » C’est tellement vrai – Le Monde a pu le
vérifier – que Janus, pour entériner la sortie
définitive de M. Palmero de son capital, a
versé à celui-ci, le 11 décembre 2023, une pre-
mière avance de 1,7 million d’euros.
Les comptes du prince et de son tout-puis-
sant comptable étaient bel et bien imbri-
qués, au point d’entretenir la confusion et
de rendre leur séparation acrobatique. L’ex-
bras droit lâche : « Si l’on considère les résul-
tats des placements que j’ai effectués pour la
famille princière pendant vingt-deux ans, je
devrais logiquement en être remercié et féli-
cité ! » Le palais l’accuse pourtant d’avoir
continué à procéder, après son renvoi, à des
opérations financières au nom du prince.
Lui ne cesse de clamer son envie de se dé-
sengager de tous ses liens avec les Grimaldi,
tout en souhaitant récupérer son propre pa-
trimoine. « Patrimoine dont il dispose par
héritage et qui est, pour partie – c’est la
preuve de sa parfaite intégrité –, lié aux place-
ments effectués dans l’intérêt de la famille
souveraine », rappelle Me Canu-Bernard.
Ce point-là est central, Claude Palmero en a
bien conscience. « Le fait que certaines sociétés
d’investissement et de gestion étaient à mon
nom était nécessité par la volonté de protéger
le prince et sa famille en matière de discrétion
et de confidentialité. Cette approche “discrète”
avait d’ailleurs été suivie par tous les ADB suc-
cessifs depuis des décennies », plaide le comp-
table tombé en disgrâce, qui jure avoir, depuis
son départ, « scrupuleusement veillé à ce que le
palais récupère tout ce qui lui revenait ».
Depuis le début de l’hiver, la tension est à
son comble entre les deux camps. De part et
d’autre, on s’échange des messages au ton de
plus en plus menaçant et au contenu tou-
jours plus explicite, comme si l’on pressen-
tait l’inéluctable grand déballage. Le 29 no-
vembre 2023, Me Darrois somme le clan Pal-
mero de remettre d’urgence au prince tous
les documents et informations relatifs aux
comptes « AG », « ADB Le Prince » et « Dépen-
ses spéciales ». Un mois plus tard, Me Canu-
Bernard relève les approximations de la par-
tie adverse : « Notre client prend note de votre
demande concernant le compte que vous inti-
tulez “Dépenses spéciales”, dont la dénomina-
tion lui est inconnue, et qui est sans doute le
compte “Destinations spéciales”, ainsi que les
comptes “ADB Le Prince” et “AG”. »
Ainsi, les conseils d’Albert évoquent claire-
ment les fameux fonds spéciaux mobilisés
pour financer des investigations secrètes.
L’argent noyé sous l’intitulé « Destinations
spéciales » était transféré, dans des condi-
tions opaques, sur deux comptes ouverts il y
a plusieurs décennies, bien avant l’arrivée de
0123
SAMEDI 27 JANVIER 2024
Claude Palmero au palais, dans deux ban-
ques monégasques, au nom du prince Al-
bert : l’un, baptisé « DS », à la BNP ; l’autre, dé-
nommé « Rubrique DS », au CFM Indosuez,
une filiale du Crédit agricole.
Seul l’expert-comptable semble pouvoir s’y
retrouver dans ce maquis bancaire. Il est vrai
qu’il avait la main sur tout, même sur le
compte personnel classique d’Albert à la BNP,
nommé « ADB Le Prince », ou un second, ca-
mouflé dans le même établissement sous un
intitulé plus discret, « AG » (comme « Albert
Grimaldi »). La vocation d’« AG » ? Prendre en
charge une partie du train de vie de Nicole
Coste, la femme avec laquelle le prince a eu
un enfant hors mariage, et financer d’autres
dépenses personnelles du souverain.
Me Canu-Bernard s’est engouffrée dans la
brèche ouverte par ses confrères au service
du prince. Dans un long développement aux
sous-entendus transparents, elle leur écrit :
« Vous ne pouvez ignorer qu’outre la nature
confidentielle du compte « Destinations spé-
ciales », ces fonds présentent une nature de de-
niers publics, ayant été prélevés chaque année
sur le budget de l’Etat. » Semblant anticiper de
potentiels ennuis pour son client, si l’exis-
tence et l’utilisation de ces fonds secrets ve-
naient à être ébruitées, l’avocate livre cette
précision, aux allures d’avertissement : « Le
prince Albert II a pris la décision d’engager
toutes les dépenses auxquelles vous faites réfé-
rence. (…) C’est donc lui qui, par principe, a dé-
terminé le montant de ces dépenses, leur affec-
tation et leurs bénéficiaires. »
Un exemple parmi tant d’autres : fin 2019,
lorsqu’il a fallu « consoler » Laurent Anselmi,
directeur des services judiciaires (ministre de
la justice), contraint de démissionner. M. An-
selmi avait déclenché un tollé après avoir
provoqué l’éviction du juge d’instruction
Edouard Levrault, jugé gênant. « SAS a pris la
décision de le sacrifier pour le départ du juge
Levrault, note Claude Palmero dans son ca-
hier. On peut accompagner le départ d’un pre-
tium doloris pour bien montrer que c’est quel-
que chose d’imposé par des considérations su-
périeures. » En regard, il inscrit un montant :
« SAS d’accord pour 80 000 sur DS. » De fait, le
6 février 2020, un chèque de 80 000 euros
provenant du compte « Rubrique DS » ouvert
au CFM a été encaissé par M. Anselmi.
BOÎTE DE PANDORE
Me Canu-Bernard aborde avec ses confrères
d’autres sujets qui fâchent, dont la révélation
potentielle hante le prince, semble-t-il. Ainsi
les sommes importantes virées du compte
« AG » aux sociétés Gamma et Azur Propriété
(derrière lesquelles se tient discrètement Ni-
cole Coste), « dont SAS connaît évidemment
l’utilisation ». « En effet, il l’a ordonné, parfois
contre l’avis de M. Palmero, inquiet devant
l’ampleur des versements, s’agissant de som-
mes destinées au train de vie de Mme Nicole
Coste et de son fils, qui est également celui de
votre mandant », dit l’avocate à Me Darrois,
faisant allusion à Alexandre Coste, l’un des
deux enfants illégitimes d’Albert. Le prince
« désirait la plus grande confidentialité, afin
TITWANE
que cette situation ne soit pas connue par son
épouse, la princesse Charlène », souligne en-
core Me Canu-Bernard.
Et lorsque le palais accuse son client de
s’être fait verser indûment une somme de
1,5 million d’euros, le 24 mai 2018, l’avocate
répond vivement : « Ce virement est justifié,
expliqué et connu de la princesse Stéphanie,
[qui] a instamment ordonné cette opéra-
tion. » Me Canu-Bernard révèle qu’à la mi-
mai 2018, la sœur cadette du prince avait de-
mandé en urgence à M. Palmero de virer une
DANS CET somme de 3,5 millions d’euros sur le compte
INCROYABLE d’un avocat monégasque. Les liquidités dis-
ponibles de la princesse étant alors de 2 mil-
ENCHEVÊTREMENT lions d’euros, le comptable aurait été con-
traint d’avancer de sa poche le complément,
DE STRUCTURES soit 1,5 million d’euros. Somme qu’il se serait
ET D’INTÉRÊTS, donc fait rembourser le 24 mai…
C’est ainsi : dans cet incroyable enchevê-
TOUT SE MÉLANGE : trement de structures et d’intérêts, dans le-
quel, dans la plus parfaite opacité, les fonds
VIE INTIME, du prince, de ses ex, de son épouse, de ses
sœurs et de leur comptable s’amalgament
SECRETS D’ÉTAT, allègrement, tout se mélange : vie intime,
FONDS OCCULTES… secrets d’Etat, fonds occultes… Une certi-
tude : au fil du temps, depuis l’époque où
Rainier (le père d’Albert) et son épouse, l’ac-
trice américaine Grace Kelly, incarnaient le
rêve monégasque, la petite fortune des Gri-
maldi est devenu un énorme pactole, dopé
par le boom de l’immobilier local et par des
placements très rémunérateurs.
S’il se dit certain de pouvoir justifier, factu-
res ou virements à l’appui, les multiples dé-
horizons | 21
penses engagées en deux décennies au nom
du prince, Claude Palmero concède que ce
sera beaucoup plus difficile s’agissant des
sommes décaissées – soit plusieurs millions
d’euros, selon nos informations – des deux
comptes destinés à financer les enquêtes pa-
rallèles. Et pour cause : « DS » et « Rubrique
DS » étaient régulièrement débités pour payer
en liquide un vaste réseau d’informateurs. Or,
les espèces ne laissent pas de traces…
Face au déballage en cours, la prudente jus-
tice monégasque, saisie de multiples procé-
dures, se tient en retrait. Et quand un magis-
trat accepte de rencontrer furtivement Le
Monde dans un lieu discret, il demande d’em-
blée, de crainte d’être sur écoute, de décon-
necter les téléphones portables et de les po-
ser à une dizaine de mètres. Ambiance…
En congédiant son ex-éminence grise, Al-
bert II a sans doute ouvert la boîte de Pandore
et a pris le risque d’exposer au grand jour cer-
taines manœuvres financières et fiscales. Les
révélations sur la face cachée de la Principauté
pourraient d’ailleurs avoir rapidement de fâ-
cheuses conséquences pour le micro-Etat.
A la suite du G20 de Londres, en 2009, la
Principauté s’était en effet engagée dans un
effort de transparence, afin de quitter la « liste
grise » des pays non coopératifs, élaborée par
l’Organisation de coopération et de dévelop-
pement économiques. Mais, en janvier 2023,
un rapport de Moneyval, l’organe antiblan-
chiment du Conseil de l’Europe, a dénoncé
des dysfonctionnements persistants dans la
lutte contre le blanchiment d’argent sur le Ro-
cher. Moneyval a donc décidé d’appliquer la
procédure dite « de suivi renforcé » jusqu’au
mois… de mars 2024, date à laquelle il devrait
de nouveau se prononcer. De quoi attiser la
menace d’une réinscription sur la liste grise.
« JE LES ATTENDS DE PIED FERME »
Au printemps 2023, M. Palmero s’en alarmait
déjà auprès d’Albert II. « Le dossier Moneyval,
reporte-t-il dans son cahier, ne peut aboutir
qu’à un placement sur la liste grise qui durera
au minimum un an, peut-être plus. » L’affaire
pourrait également tendre les relations avec
la France, pays auquel la Principauté est liée
par plusieurs textes. M. Palmero l’assure
pourtant, s’il sort du bois, ce n’est en aucun
cas pour nuire à la monarchie ; c’est même
tout l’inverse, soutient-il : « Contrairement à
ce qu’affirme le palais, je ne cherche pas à
déstabiliser la Principauté, bien au
contraire. » Désormais, le conseiller déchu
rendra coup pour coup. « Claude Palmero
n’hésitera pas à combattre les actes du prince
lorsqu’ils sont sous influence et d’un autre
âge », prévient d’ailleurs Me Sur.
Le 27 novembre 2023, Me Canu-Bernard a
même déposé une plainte contre Albert et
ses deux sœurs, accusés de harceler son
client, pour « abus de faiblesse, tentative d’ex-
torsion et vol »… « A l’heure où Monaco de-
vrait se concentrer sur Moneyval, la transpa-
rence de ses institutions et la lutte contre la
corruption, il est navrant que sa préoccupa-
tion principale soit de salir et discréditer
M. Palmero, qui n’a eu de cesse de se dévouer à
ces causes », déclare l’avocate au Monde. Son
client abonde : « J’avoue, confie-t-il, qu’avoir
été accusé de corruption m’a profondément
meurtri. Me voir reprocher ce que je combats
moi-même, c’était tellement énorme ! Le pa-
lais a voulu installer une image de corrompu
me concernant, mais le revers de cette tactique
malveillante et diffamatoire, c’est qu’il faut le
prouver ! Et là, je les attends de pied ferme. »
Côté palais, on reste droit dans ses bottes. « A
ce niveau de responsabilité, il n’est plus possi-
ble de travailler ensemble quand il n’y a plus
de confiance », juge Me Darrois.
S’il a coupé ces dernières semaines la plu-
part des liens financiers l’unissant encore
au palais, Claude Palmero continue néan-
moins de payer les taxes d’habitation des
appartements parisiens acquis en son nom
pour la famille princière. Sans compter ces
personnes mises au service de Nicole Coste,
dont il demeure l’employeur officiel, et
aussi ces prêts consentis à des proches d’Al-
bert, ou encore l’impôt sur la fortune que
devrait payer, selon lui, Charlotte Casiraghi,
mais dont le fisc lui réclame toujours le rè-
glement, et pour cause : officiellement, c’est
Claude Palmero le propriétaire du superbe
appartement du 5e arrondissement de Paris
occupé par la fille de la princesse Caroline…
Une situation, jugée « surréaliste » par l’ex-
pert-comptable lui-même. « Surréaliste »,
c’est bien le mot : six mois après son renvoi,
il s’acquittait toujours du loyer du discret
pied-à-terre monégasque que le prince lui
avait demandé de dénicher, en 2012… p
gérard davet et fabrice lhomme
FIN
22 |
CULTURE
Sage, l’homme
de l’ombre de
la pop française
Le musicien orchestre une soirée hommage
à Françoise Hardy, lors de l’Hyper Weekend
Festival, qui se tient jusqu’au 28 janvier à Paris
RENCONTRE
D
ans une de ces ancien-
nes cours d’artisans
qu’abrite encore le
10e arrondissement de
Paris, l’orfèvre pop Ambroise
Willaume possède un atelier dont
les outils invitent à la création col-
lective. Guitares, basse, superposi-
tion de synthétiseurs, pianos droit
et à queue, enceintes, équipement
informatique, batterie remplis-
sent ce qui ressemble autant à un
petit salon qu’à un studio de répé-
tition ou d’enregistrement.
C’est ici que, sous le nom de Sage,
ce chanteur, compositeur, réalisa-
teur, arrangeur et multi-instru-
mentiste, né en 1986, façonne les
chansons (anglophones) d’une
carrière solo ou celles de son nou-
veau groupe, Astral Bakers, dont le
premier album, The Whole Story,
sortira le 9 février. C’est là aussi
que l’ancien membre du trio Re-
volver élabore les productions (Al-
bin de la Simone, Clara Ysé, Ra-
phaël…) qui font de lui l’un des
hommes de l’ombre les plus mar-
quants de la scène française, de-
puis le triomphe des albums de
Clara Luciani (Sainte-Victoire,
en 2018, et Cœur, en 2021), dont il a
assuré la réalisation et cosigné
plusieurs des tubes.
C’est également dans ce cocon
que ce grand trentenaire à la ti-
gnasse ébouriffée a construit la
création Messages personnels, que
lui ont confiée l’Hyper Weekend
Festival et le Printemps de Bour-
Tracé
Bleu
au
CENTQUATRE-PARIS
du 27.01 au 10.03.2024
en acc s libre
architecturestudio,
ges. Soit une célébration des chan-
sons de Françoise Hardy, interpré-
tées par une pléiade d’invités (Tho-
mas Dutronc, P.R2B, November
Ultra, Philippe Katerine, Hubert
Lenoir, Voyou, Clara Luciani…),
sous la direction d’Ambroise
Willaume et des Astral Bakers, lors
d’un concert qui clôturera, diman-
che 28 janvier, l’Hyper Weekend
Festival dans l’auditorium de
Radio France. Avant qu’un acte II,
au casting un peu différent, soit
proposé à Bourges, le 24 avril.
Obsessions beatlemaniaques
D’abord imprégné de culture pop
anglo-saxonne, Sage reconnaît
qu’il n’était pas un spécialiste de
Françoise Hardy, au contraire de
Didier Varrod, fondateur et pro-
grammateur de l’Hyper Weekend
Festival et directeur musical des
antennes de Radio France, auteur,
en 2016, d’un portrait en neuf épi-
sodes de l’icône, Comment te dire
Hardy, diffusé sur France Inter.
« Didier a fait un premier tri en me
proposant une liste de 100 chan-
sons, dans laquelle je devais choi-
sir une vingtaine de titres. » Il avait
à peine fait son choix que
Françoise Hardy, prévenue du
projet par Varrod, suggérait à son
tour – malgré de graves problè-
mes de santé – une sélection de
80 morceaux. « Elle nous disait en
substance : “Voici des chansons
que personne ne reprend jamais et
qui font partie de mes préférées.” »
Alternant titres populaires (Tous
les garçons et les filles, Le Temps de
Exposition
d’art et
d’architecture
pour habiter
le monde
autrement
0123
SAMEDI 27 JANVIER 2024
Ambroise
Willaume,
dit Sage, dans
son studio,
à Paris,
le 23 janvier.
CHLOE SHARROCK/
MYOP POUR
« LE MONDE »
l’amour…) et pépites méconnues succès de deux albums de « pop sauvé ce morceau en greffant deux
(Un seul geste, Fleur de lune…), le folk de chambre » (Music for a
« Françoise Hardy bouts de chansons différentes »,
répertoire retenu sera dominé par While, en 2009, et Let Go, en 2012) n’a cessé d’affirmer explique celle qui a vu ce titre de-
un parti pris acoustique en phase célébrant avec entrain leurs ob- venir, en quelques mois, l’un des
avec un auditorium habituelle- sessions beatlemaniaques.
une énorme hymnes symboles de la généra-
ment voué à la musique classique. Grandi en banlieues chics des exigence en termes tion #metoo. Si le succès de Sain-
Autre ambition : « Eviter le syn- Hauts-de-Seine), avant de démé- te-Victoire, son premier album,
drome “défilé de vedettes” en inté- nager dans le 17e arrondissement
de mélodies, a mis longtemps à se dessiner, ce-
grant les invités dans une espèce de de Paris, le futur Sage s’était initié de sons, lui de Cœur a été immédiat. Une
super-groupe, qu’il s’agisse de à l’art des harmonies dès l’âge complicité qui tient désormais de
Clara Luciani ou de Thomas de 6 ans au sein de la Maîtrise de
de production » la fulgurance. « Clara étant en-
Dutronc à la guitare, de Voyou à la Notre-Dame de Paris. Préférant SAGE ceinte, nous nous sommes fixé une
trompette, de P.R2B à la clari- ensuite le basket à la musique, il échéance de neuf mois pour écrire
nette… », précise Sage. L’expé- se reconnecte à sa voix en croi- tous les nouveaux morceaux. »
rience a décuplé son admiration sant, à 15 ans, la guitare de Christo- « Mon ventre était trop gros pour
pour la dame à la trentaine d’al- phe Musset. « J’étais en pleine dé- prendre comment donner du ca- que je joue de la guitare, s’amuse
bums, assure-t-il : « Sa voix tout en pression, cette rencontre m’a ractère et une couleur aux sons », Clara Luciani. Je m’allongeais dans
douceur, ses chansons tristes, son sauvé. » Combinant alors reprise confie Ambroise Willaume. le canapé et je réagissais à des
élégance étaient en décalage avec de l’étude de la musique classique Réalisé en 2016 par Benjamin bouts de mélodies qu’il trouvait
le clinquant criard de la plupart des au Conservatoire de la Ville de Pa- Lebeau, son premier album sous au piano ou à la guitare. » Une
vedettes françaises des années ris et dissection du répertoire pop le nom de Sage plonge dans l’ar- trentaine de chansons voient
1960. Elle n’a cessé d’affirmer une des années 1960 et 1970 (Beach rangement électronique jusqu’à ainsi le jour. « Dès qu’une musique
énorme exigence en termes de mé- Boys, Bee Gees, Beatles, Neil s’y perdre. Malgré quelques réus- lui évoquait quelque chose, elle
lodies, de sons, de production. » Young…), il affine un profil déter- sites (August in Paris, One Last trouvait les mots. Les meilleurs
Un enthousiasme qui ne sur- minant pour le succès de Revolver Star, In Between…), le disque est morceaux ont été écrits en moins
prend pas Didier Varrod. « Il était et la suite de son parcours. trop chargé pour trouver son pu- d’une heure », raconte celui que la
évident qu’un architecte pop par- blic. « J’avais l’impression que les chanteuse dit considérer comme
tageant la même obsession pour Joies de la production sons étaient usés à force de les « l’un des hommes les plus impor-
les mélodies et les références A la séparation du groupe, en 2013, avoir retouchés », se souvient-il. tants de [sa] vie ».
anglo-saxonnes que Françoise, fi- celui qui privilégiait jusque-là la Réalisé rapidement, en réaction Après l’accouchement de sa
nisse par se passionner pour son sobriété de l’instrumentation dé- à ce coup d’essai, son deuxième complice, le solitaire récalcitrant
répertoire », remarque le patron couvre les joies de la production et album, Paint Myself (2018), est un a regoûté à la vie de groupe en
de l’Hyper Weekend Festival, en les possibilités infinies des machi- nouvel échec. Au point de le voir formant les Astral Bakers avec la
rappelant qu’il a soutenu la nes, en collaborant avec Yoann douter de la pertinence de son tra- bassiste Theodora, le guitariste
carrière du jeune homme dès Re- Lemoine, alias Woodkid, puis avec vail en solitaire et de privilégier Nicolas Lockhart et la batteuse
volver. Formé en 2006 par Benjamin Lebeau, membre du ses activités de réalisateur. Zoé Hochberg. Loin des expérien-
Willaume (chant et guitare), le duo electro The Shoes. « Woodkid D’autant que, en 2014, il a ren- ces excessivement numériques
guitariste et chanteur Christophe m’a impressionné par son ambi- contré Clara Luciani. « Elle venait solo de Sage, le quatuor (qui sera
Musset et le violoncelliste et tion démesurée, et Benjamin m’a de quitter le groupe La Femme et en concert, le 7 mars, à La Maro-
chanteur Jérémie Arcache, ce trio initié à la réalisation, en virtuose de jouait dans un duo électro-pop, quinerie, à Paris) s’épanouit dans
anglophone avait surpris avec le l’ordinateur, en me faisant com- Hologram. Elle m’avait contacté un contraste très organique, en-
par Facebook en me disant qu’elle tre volupté acoustique et électri-
écrivait des titres plus chanson, que cité abrasive, mettant magnifi-
L’Hyper Weekend, festival de créations je n’aimerai sûrement pas », se re- quement en valeur les obsessions
mémore Sage. La chanteuse se mélodiques du chanteur et la cha-
La troisième édition du festival, qui se tient jusqu’au 28 janvier, rappelle avoir « adoré » son mor- leureuse douceur d’une voix de-
à la Maison de la radio et de la musique, à Paris, programme ceau In Between : « J’ai rapidement meurée anglophone.
des concerts conçus pour l’occasion. Outre la soirée Messages compris que nous partagions de Clara Luciani rêvait de le voir, un
personnels consacrée à Françoise Hardy, plusieurs spectacles multiples références communes, jour, chanter en français. Il le fera
seront proposés : la chanteuse Jeanne Added accompagnée par qu’il était bienveillant et capable de pour la première fois en inter-
l’Orchestre symphonique de Radio France ; Qui va piano va sano, voir quel était le potentiel d’une prétant lui aussi des chansons
où Sheila, Camélia Jordana ou Meryl reprendront deux de leurs chanson, même si je lui fournissais de Françoise Hardy. « Je me suis
titres en piano-voix ; un Dalida, diva tzigane, où Barbara Pravi une matière très désarticulée. » pris au jeu, confirme Ambroise
et Aälma Dili passeront l’interprète de Bambino au prisme Exemple type de ce travail de Willaume. Au point que cela pour-
manouche ; une carte blanche au label No Format !… song doctor, la genèse de La Gre- rait un jour déterminer une nou-
Si beaucoup affichent complet, la plupart seront diffusés nade, premier grand succès de velle mutation de Sage. » p
en direct sur les antennes de Radio France. leur collaboration. « Ambroise a stéphane davet
0123
SAMEDI 27 JANVIER 2024
Un « Songe » shakespearien
contemporain et populaire
La mise en scène d’Emmanuel Demarcy-Mota ne fera pas l’unanimité
THÉÂTRE
L DANSE
a mise en scène que si-
gne Emmanuel Demarcy-
Mota du Songe d’une nuit
d’été, comédie shakespea-
rienne écrite à la fin du XVIe siècle
(et traduite par François Regnault),
ne plaira pas à tous. C’est le lot du
théâtre lorsqu’il prend un parti et
l’assume, quitte à laisser de côté
d’autres possibilités de jeu dont
l’absence se fait sentir. On regrette
ainsi de ne pas percevoir dans le
spectacle présenté la torsion et la
métamorphose du réel qui sont
pourtant au fondement d’une
fable multipliant les lignes de fuite
vers l’imaginaire. Sous la plume de
Shakespeare, des fées cohabitent
avec des artisans comédiens, des
seigneurs athéniens et même un
âne chimérique. L’auteur orches-
tre le ballet onirique de personna-
ges concrets et fantasmatiques.
Amours naissants, couples vola-
ges, interventions surnaturelles
de créatures qui visitent le
sommeil des mortels, sortilèges
qui dupent les sentiments : l’extra-
vagance devient la norme dans
cette nuit d’été où les notions de
temps et d’espace se troublent.
Ce trouble n’apparaît pas assez
dans le geste d’Emmanuel
Demarcy-Mota qui se montre plus
terre à terre que suggestif. Sa pro-
position y gagne en clarté ce que
Le Songe… y perd en grâce énigma-
tique. Les dédales de l’histoire sont
exposés limpidement par une re-
présentation qui préfère l’explicite
à l’implicite. L’option a le mérite de
ne laisser personne à la porte, ainsi
que le prouvaient, le soir où nous
étions là, les applaudissements en-
thousiastes du public.
Esthétique postapocalyptique
Ce Songe d’une nuit d’été découle
d’un XXIe siècle anxiogène et
d’une planète en détresse dont la
dramatique détérioration engen-
dre un décor désillusionné : un ci-
metière d’arbres calcinés dont ne
demeurent que des troncs dénu-
dés tombant des cintres de toute
leur hauteur. Lumières sombres,
nappes de musiques lugubres, le
climax est à l’image du climat
actuel (que ce dernier soit écologi-
que, politique, sociétal et même
culturel) : inquiétant.
Contre toute attente, cette esthé-
tique postapocalyptique n’en est
pas moins un digne et bel hom-
mage au Théâtre de la Ville-Sarah
Bernhardt. L’espace, surpris par la
nuit, est magnifié par les troncs
élimés, sorte de géants blessés
dont nul ne peut faire abstraction.
Ni le public qui leur fait face, ni les
A Bruxelles, la Centrale réunit des œuvres qui prennent le parti de l’humour
Le centre d’art contemporain regroupe soixante-dix artistes majoritairement bruxellois qui voient l’art comme matière à faire rire
EXPOSITION
bruxelles - envoyé spécial
C hoisissez un Belge au
hasard, il y a de fortes
chances pour que vous
tombiez sur un poète un peu fan-
taisiste (et réciproquement).
François de Coninck, par exemple,
artiste, enseignant, éditeur, criti-
que d’art, commissaire d’exposi-
tion, collectionneur et surtout fou
de bons mots. Ceux qui font pouf-
fer ou donnent des mondes à pen-
ser, des univers à rêver. Ceux-là, il
les produit, les édite, les expose.
C’est le cas d’une bonne partie
des œuvres que montre la
Centrale, un centre d’art contem-
porain de Bruxelles, conjointe-
ment avec celles prêtées par la col-
lectionneuse Galila Barzilaï-Hol-
acteurs qui jouent de (et avec) leur
présence, en tentant d’insinuer un
peu de chair, de chaleur et de sou-
rires au sein d’un territoire hostile.
Pas de feuilles, pas d’humus, pas
de fougères sur le sol passé au Kär-
cher. Les fleurs brandies sont des
fleurs coupées. C’en est fini de la
nature enchantée de Shakespeare :
elle s’est repliée sous la surface du
visible, à l’abri du soleil, loin de la
main de l’homme, dans un uni-
vers parallèle qu’on appellera l’in-
conscient, ou alors la fiction. Ou,
peut-être, s’agit-il là d’une faille
quantique et hospitalière, où s’in-
ventent d’autres modes d’exis-
tence. Un refuge protégé des
contingences terrestres, où Obé-
ron, Titania, Puck (le roi, la reine et
le lutin des fées qui sont autant
d’émanations des poètes) auraient
encore le pouvoir de réinsuffler du
vivant dans un paysage sinistré. Ce
qui se confirme lorsque, ouvrant
les trappes du plancher, ils laissent
surgir des lueurs vives qui trans-
percent enfin la grisaille.
Le geste d’Emmanuel Demarcy-
Mota n’est pas dénué d’enfance.
Celle qui s’acharne à rêver et à es-
pérer quand le monde alentour lui
intime le contraire. Celle qui veut
lander, qui a créé un cabinet de
curiosités glanées dans le monde,
choisissant des œuvres incon-
grues. D’où le titre de l’exposition,
donné par le commissaire
François de Coninck, L’Art de rien…
Elle regroupe soixante-dix artis-
tes majoritairement bruxellois,
nombre qui est déjà en soi une
petite folie, mais comme les
œuvres sont souvent minuscules
et presque toujours modestes, en
tout cas jamais écrasantes, ça
passe. On serait bien en peine de
définir une ligne commune : il ne
s’agit pas d’un mouvement,
même si on discerne des réminis-
cences surréalistes, mais d’un état
d’esprit. François de Coninck le ré-
sume, dans son texte d’introduc-
tion, par un exemple (absent de
l’exposition), la Tête de taureau
Le metteur en
scène se montre
plus terre à terre
que suggestif, et
la représentation
préfère l’explicite
à l’implicite
déposer des lucioles d’innocence
dans le cœur de jeunes Athéniens
avant qu’ils ne se transforment, le
jour venu et pour de bon, en
adultes. L’hypothèse se faufile sur
le plateau par l’entremise de l’une
des comédiennes, Elodie Bouchez,
qui, dans le rôle d’Héléna, jeune
femme qui aime mais n’est pas
aimée, est l’émissaire éclatant du
sensible. Est-ce l’actrice ou est-ce
le personnage ? Son interpréta-
tion tranche avec celle de ses qua-
torze camarades sur scène. Si ces
derniers sont efficaces, elle est,
pour sa part, titubante, fragile,
émouvante. D’ailleurs, lorsque ar-
rive la séquence culte de la comé-
die (la représentation de Pyrame
et Thisbé, pièce donnée en
(1942), de Picasso, célèbre assem-
blage d’un guidon (les cornes) et
d’une selle (la tête) de vélo.
Jeux savants avec les lettres
Reste que tant de simplicité peut
déplaire : on a relevé sur les
réseaux sociaux ce commentaire
assassin : « des œuvres clin d’œil
dont on fait le tour en un clin
d’œil… ». Ce n’est pas faux, même si
le clin d’œil peut provoquer de
saines stimulations cérébrales,
sans compter un effet parfois radi-
cal sur les zygomatiques : est-il si
grave qu’une exposition d’art
contemporain fasse sourire ?
Certaines œuvres sont coquines,
comme ce nu fait de fils de laiton,
un peu trop inspiré de Markus
Raetz, ou taquines, comme quand
Fanny Viollet met une culotte à
Le roi Obéron
(Philippe Demarle)
et la reine Titania
(Valérie Dashwood),
en janvier,
au Théâtre
de la Ville-Sarah-
Bernhardt, à Paris.
JEAN-LOUIS FERNANDEZ
l’honneur des seigneurs athé-
niens par les artisans comédiens),
Héléna seule tend l’oreille.
Il faut scruter de près la mise en
abyme du théâtre dans le théâtre
qu’opère alors, après Shakespeare,
Demarcy-Mota. Elle soumet aux
jugements des personnages (et du
public) l’essence de cet art dans ce
qu’il a de plus naïf et laborieux,
mais aussi de plus sincère et
touchant. Les acteurs de Pyrame et
Thisbé sont caricaturaux, leurs
dialogues stupides, leurs costu-
mes ineptes : peu importe. Ce
théâtre précaire, qui oppose au cy-
nisme de ses mécènes et aux mo-
queries de ses détracteurs sa foi
dans un imaginaire défiant le sens
commun, au point de faire figurer
un mur par un corps, ce théâtre-là,
généreux et irrésistible de drôle-
rie, rafle la mise. Parce qu’il est po-
pulaire. Au sens noble du terme. p
joëlle gayot
Le Songe d’une nuit d’été,
de Shakespeare. Traduction :
François Regnault. Mise
en scène : Emmanuel Demarcy-
Mota. Théâtre de la Ville-
Sarah-Bernhardt, Paris 4e.
Jusqu’au 10 février.
une reproduction de L’Origine du
monde (1866), de Courbet : moins
une censure qu’un geste de
pudeur féminine. D’autres font un
peu peur, comme le Fauteuil fongi-
que, d’Elodie Antoine, couvert de
gros champignons qui laissent
penser que le musée manque d’aé-
ration (on lui doit aussi un rouge à
lèvres en forme de mèche à béton,
une cage thoracique en fermeture
Eclair et un grillage concentration-
naire façonné avec de la dentelle
aux fuseaux…).
D’autres encore sont ludiques,
comme cette vidéo de Benoît Félix
(Les Mains sur la table) ou cette
autre de Damien De Lepeleire, qui
fait se succéder sur un écran diffé-
rentes versions de l’Hommage au
carré, de Josef Albers. Certaines in-
citent à la rêverie, comme Temps
Un ballet chamarré
sur les pas de l’écrivain
Edouard Glissant
Les chorégraphes Héla Fattoumi
et Eric Lamoureux présentent un spectacle
plein de créatures délicieusement bizarres
S’ y faufiler au ras du sol en
découpant la nuit. Se re-
dresser, le buste haletant
dans un fouillis végétal. Souffler
dans une clairière ensoleillée, dé-
froisser ses poumons et donner de
la voix. Rejoindre un chœur de
chanteurs qui ambiance douce-
ment l’espace. Danser, moduler,
hululer ensemble et séparément,
c’est Tout-Moun, d’Héla Fattoumi
et Eric Lamoureux, dont le titre du
spectacle sous influence du livre
Tout-Monde (1993), de l’écrivain
martiniquais Edouard Glissant
(1928-2011), signifie en créole « tout
le monde, toute personne, tout un
chacun ». Cette traversée est l’un
des chemins que l’on peut tracer
dans le paysage spectaculaire
signé par les codirecteurs du
Centre chorégraphique national
de Belfort. Présentée du 10 au
12 janvier à Chaillot-Théâtre natio-
nal de la danse, cette pièce pour
dix interprètes accompagnés par
le saxophoniste Raphaël Imbert
déplie la carte d’un imaginaire
chamarré et versatile, écho de la
créolisation chère à Glissant. Elle
défriche aussi une nouvelle aire
pour ce duo emblématique de la
scène contemporaine qui travaille
au coude-à-coude depuis la fin des
années 1980. Pour la première fois,
des vidéos réalisées par Eric
Lamoureux sont projetées sur
d’immenses voiles. Elles baignent
la danse, soudain happée par le
coup de chaud sensuel d’un récit
plus illustratif qu’à l’habitude.
Un îlot de joie
Se couler dans les traces de
Glissant invite évidemment à se
projeter dans un foisonnement
d’images et de sensations. Tout-
Moun ouvre les portes d’un
royaume du vivant habité par des
créatures mobiles et mutantes.
L’une défroisse ses ailes de pa-
pillon ; l’autre, ses mains hérissées
de poils griffus ; une troisième ar-
bore un bras couvert d’écailles,
tandis qu’une quatrième se
hausse du col avec la crête héris-
sée… Naviguant entre l’humain, le
végétal et l’animal, ces êtres déli-
cieusement bizarres, visiblement
en voie de transformation, mais
sans ressembler à rien d’autre
qu’eux-mêmes, lancent leurs an-
tennes dans un environnement
avec lequel ils semblent parfois se
confondre. Tout ne fait qu’un dans
une vision perméable de l’Univers.
La créolisation incarnée sur le
plateau est scandée par la voix
couvert, de Perrine Lievens, gigan-
tesque nuage façonné avec de la
barbe à papa, ou cette grande fleur
faite d’un tuyau d’arrosage par
Markus Hofer. D’autres encore
sont gentiment anticléricales,
comme ce visage du Christ en bas-
relief accolé à la phrase « Je monte
la garde ». Un amateur anglo-
phone d’anagrammes pourrait
l’accompagner de la mention :
« Beware of the God », mais il ne
serait pas au niveau de complexité
presque oulipienne à laquelle
parvient l’un des rares Français de
France de l’exposition, Jean-
Claude Mattrat. Sa petite entre-
prise, baptisée Iconomoteur, édite
des cartes postales ou des portfo-
lios merveilleusement loufoques.
Parfois cruellement aussi : que
les mots « Art conceptuel »
culture | 23
La troupe
de « Tout-Moun »
est le creuset
d’un métissage.
Les danseurs
parlent plusieurs
langues
même de Glissant. « Le monde en-
tier se créolise, comme nous nous
sommes créolisés dans la Caraïbe
et aux Antilles, avec une sorte de
vision nouvelle de ce que peuvent
être les humanités d’aujourd’hui.
Ce qu’il faut changer, ce sont nos
imaginaires. » Des cris, des sons in-
solites, lui répondent en griffant
l’air, entrelacés dans une partition.
Car si Héla Fattoumi, née à Tunis
et arrivée en France à l’âge de 2 ans,
et Eric Lamoureux expérimentent
depuis longtemps cet échange
nourrissant entre leurs cultures, la
troupe de Tout-Moun est aussi le
creuset d’un métissage. Les
danseurs viennent de différents
coins de la planète et parlent
autant de langues (français, maro-
cain, égyptien, tamoul, espagnol,
malgache…) qui s’interpellent les
unes les autres. Elles articulent un
idiome inédit qui rassemble cette
communauté dans un îlot de joie.
Cette ventilation longue d’un
corps dansant et chantant se re-
trouve actuellement chez nombre
d’artistes chorégraphiques, en
particulier féminines. D’Aina
Alegre à Flora Détraz, en passant
par Nina Santes ou Mathilde
Rance, respirer son mouvement à
fond et le sonoriser met en avant le
besoin et la revendication d’un
être complet. Et c’est ce que ra-
conte également Tout-Moun : une
libération et une augmentation de
soi qui puisent leurs ressources
dans les mots de Glissant, les rela-
tions d’égal à égal avec les autres
dont celle avec Raphaël Imbert,
qui maintient le plateau en ébulli-
tion. Sans répit, le musicien se dé-
place au milieu des interprètes et
interagit avec eux pour les chauf-
fer. Sur fond de traînées de ciel
rose et vert, l’exubérance de Tout-
Moun ouvre le récit optimiste et
pacifique d’un nouvel horizon. p
rosita boisseau
Tout-Moun, d’Héla Fattoumi
et Eric Lamoureux. Le 30 janvier
à Evreux, le 1er février à Dieppe
(Seine-Maritime), le 16 février
à Voiron (Isère).
puissent devenir, par simple in-
version de lettres, « Acte corpu-
lent » ou « Arte povera » « Art éva-
poré », que ceux disant « La
culture » se transforment en
« Truc à l’élu », cela peut déplaire.
Qu’« Art premier » devienne « Art
réprimé » et « Art moderne » « No-
tre drame », cela peut faire
réfléchir. On redoublera le sourire
avec les livres revisités de Clémen-
tine Mélois : Herman Melville est
l’auteur de Maudit bic, et Sophocle
celui d’Œdipe Is Your Love, avec la
photo des Bee Gees… De quoi révi-
ser ses classiques. p
harry bellet
L’Art de rien. Centrale
for Contemporary Art, 44, place
Sainte-Catherine, Bruxelles.
Jusqu’au 17 mars.
24 | télévision
Le régime méditerranéen, la santé dans l’assiette
Un documentaire revient sur les bienfaits de cette alimentation riche en fruits, légumes et légumineuses
ARTE.TV
À LA DEMANDE
DOCUMENTAIRE
A
l’occasion d’une confé-
rence internationale
consacrée au régime
méditerranéen, en
mai 2005, à Rome, notre confrère
Jean-Yves Nau écrivait dans Le
Monde du 24 mai 2005 : « Le voile
se lève progressivement sur les
mystères et les vertus du “régime
méditerranéen”, une formule qui
laisse penser à un catalogue de res-
trictions alimentaires quand il
s’agit avant tout d’éducation de
plaisir diététique. »
Près de vingt ans plus tard, la re-
cherche et les découvertes ont
beaucoup progressé, des docu-
mentaires ont rendu compte des
progrès faits, même si certains,
comme la récente série 100 ans de
plénitude : les secrets des zones
bleues, du journaliste Dan Buet-
tner, proposée par Netflix, ont re-
grettablement biaisé le propos.
De nombreux scientifiques,
autrefois sceptiques, ont été con-
vaincus par les résultats probants
obtenus par des études à long
terme et sur une grande échelle,
organisées depuis le début des an-
nées 1990. Ce que relate le docu-
mentaire franco-grec (rappelons
que le plus célèbre des régimes de
la région est crétois) Le Régime mé-
diterranéen. La recette idéale,
Quand Margaux rencontre Margaux
La réalisatrice Sophie Fillières entraîne la comédie sentimentale hors de son orbite habituelle, avec Agathe Bonitzer et Sandrine Kiberlain
FRANCE 4
SAMEDI 27 - 21 H 00
FILM
L a Belle et la Belle, de Sophie
Fillières, disparue en 2023,
s’ouvre sur un couac tem-
porel digne d’un Francis Ford
Coppola période Peggy Sue s’est
mariée (1986). Lors d’une soirée à
Paris, Margaux (Agathe Bonitzer)
fait la rencontre de Margaux (San-
drine Kiberlain). Quelques mots
leur font comprendre qu’elles ne
sont qu’une seule et même per-
sonne à deux âges différents.
GRILLE N° 24 - 023
PAR PHILIPPE DUPUIS
Retrouvez l’ensemble de nos grilles sur
1 2 3 4 5 6
I jambes. V. Passés dans le champ. Faire
II
III
IV
V
VI
VII
VIII
IX
X
SOLUTION DE LA GRILLE N° 24 - 022
HORIZONTALEMENT I. Ecornileuse. II. Coriace. Ovin. III. Otton. Ios. Dt.
IV. Rye. Ain. Nier. V. Clignota. Pro. VI. Hèle. Erseau. VII. Ed. RFA. Ma. TV.
VIII. Commenta. Aïe. IX. Uniate. Décor. X. Siestaient.
VERTICALEMENT 1. Ecorche-cul. 2. Cotylédon. 3. Orteil. Mis. 4. Rio. Ger-
mai. 5. Nanan. Fêté. 6. Ic. Io. Anes. 7. Feinte. 8. Armada. 9. EOSN. Sa. Ei.
10. UV. Ipé. Ace. 11. Sidération. 12. Entrouvert.
Image extraite du documentaire « Le Régime méditerranéen. La recette idéale ». MICHALIS KONSTANTAS
d’Alexandros Mercouris, mis à dis- Ce sont les travaux d’Ancel Keys
position par Arte.tv. (1904-2004), un scientifique
Il y est rappelé que la première américain surnommé « Mister
des découvertes faites grâce à l’ob- Huile d’olive » (et mort cente-
servation de cette alimentation, naire !), qui mirent en évidence
réduite en viande rouge, en sucres les bénéfices des graisses végéta-
et en graisses d’origine animale les, dont l’huile d’olive. La méde-
mais riche en fruits (frais et secs), cine d’aujourd’hui le confirme :
légumes et légumineuses, a été « L’huile d’olive prévient très effi-
son apport dans la lutte contre les cacement l’infarctus du myo-
maladies cardio-vasculaires. carde », ainsi que le formule l’un
L’une se lance un peu maladroi- surprise initiale, Sophie Fillières
tement dans la vie, tandis que prend le parti (peut-être encore
l’autre sait très bien ce que cel- plus fou) de ne pas exploiter son
le-ci lui réserve. Les souvenirs et argument de départ. Sans explo-
les aspirations, les amis d’hier et
les connaissances d’aujourd’hui
se reflètent à distance dans les re-
gards croisés de l’une et de
l’autre. Le lendemain, elles se re-
rer tous les paradoxes temporels
qui semblaient en découler, elle
poursuit sur sa lancée sentimen-
tale, comme si de rien n’était. Ar-
rivées à Lyon, les deux Margaux
trouvent dans le même train en tombent en même temps amou-
direction de Lyon. reuses du même homme, en la
L’idée, assez géniale, fait d’en- personne de Marc (Melvil Pou-
trée de jeu sauter le verrou du réa- paud). A cela près que la petite vit
lisme propre au cinéma français, ce que la grande a déjà vécu.
et entraîne la comédie sentimen- La relation amoureuse est alors
tale hors de son orbite. Passé la cernée de part et d’autre de sa tra-
HORIZONTALEMENT
I. Salement réduits en charpie.
jeux.lemonde.fr
II. Pose question. Installée au large.
III. Crient la nuit avec les ducs. Ren-
forcent la théorie. IV. Echassier sacré
7 8 9 10 11 12
sur les bords du Nil. Filera à toutes
son coup sur cou. VI. Sur la patte.
Préparera de bons fromages.
VII. Maintenue en place comme
une pompe. Vieux chez les Anglais.
En attente. VIII. Toujours moi.
Prépare le passage au four. Chez
les Grecs. IX. Bon jus. Découpage
historique. X. Pour inir le couplet.
VERTICALEMENT
1. Semblable en quantité et en
qualité. 2. Retournements de
situations. 3. Préparés comme du
chanvre. Bon fayot. 4. Donnent du
goût au précédent. Patron en région.
Personnel. 5. M’attaquai au chignon.
6. Passer aux saintes huiles. Porteur
d’informations. 7. Vibration
inaudible. 8. Doublé chez Nini. Pour-
ront se reproduire. 9. Tenue de com-
bat. En route. 10. Au cœur des aulnes.
Quart de tour. Ne force pas sur la
dose. 11. Feras ton apparition.
12. Permet de prendre et de garder
ses distances.
des nombreux scientifiques in-
terrogés, Miguel Angel Martinez-
Gonzalez, professeur de santé pu-
blique espagnol. Et d’ajouter : « Je
n’aime pas parler de “superali-
ment”, mais, s’il en était un, ce se-
rait l’huile d’olive. »
Une autre section du documen-
taire s’intéresse aux bienfaits de
ce régime en ce qui concerne cer-
tains cancers (cancer du sein, can-
jectoire par la conscience double
des Margaux. Son commence-
ment communique ainsi avec sa
fin. Ce faisant, Sophie Fillières dé-
joue le risque du film concept,
prisonnier d’un pitch tapageur,
pour plonger au cœur de ce que
le sentiment amoureux a d’à la
fois toujours nouveau et de tou-
jours déjà joué.
Attention malicieuse
Reste que le film a des airs de pro-
messe non tenue. Mais son pro-
jet et son véritable intérêt se si-
tuent peut-être ailleurs. Le bé-
SUDOKU
N°24-023
8 9
4 7 1 9
6 9
1 5 3 4
Réalisé par Yan Georget (https://about.me/yangeorget)
Cahier numéro un de l’édition n° 3095 du 25 au 31 janvier 2024
ISRAËL LA MENACE
EXTRÉMISTE SCIENCE
EUROPÉENNES,
RAPHAËL
GAUCHE…
GLUCKSMANN
PEUT-IL CRÉER
LA SURPRISE ?
2 8
Complétez toute la
4
grille avec des chiffres
allant de 1 à 9.
Chaque chiffre ne doit
être utilisé qu’une
8 1 seule fois par ligne,
par colonne et par
carré de neuf cases.
ENTRETIEN AVEC
AURÉLIEN BARRAU CINÉMA
cer colorectal). Une maladie, rap-
pelle Walter Willett, professeur
d’épidémiologie et de nutrition à
l’Ecole de santé publique T.H.
Chan, à l’université Harvard, qu’on
liait naguère au tabagisme mais
qui, sinon, « semblait être un châti-
ment divin frappant au hasard ».
Encore du chemin à parcourir
La partie la plus intéressante du
film d’Alexandros Mercouris con-
cerne des liens qui n’étaient pas
encore à l’ordre du jour de la confé-
rence de Rome de 2005 : ceux en-
tre une alimentation de type mé-
diterranéen et les risques de dé-
mence sénile, étudiés notamment
en France. Par une consommation
quotidienne renforcée en fruits,
en légumes et en poissons gras, les
risques de maladie d’Alzheimer se-
raient diminués de 30 % à 36 %.
D’autres bienfaits, observés cli-
niquement, sont répertoriés,
mais il reste encore du chemin à
parcourir dans la recherche et,
plus encore, dans l’éducation ali-
mentaire des populations. Car,
est-il rappelé au début du Régime
méditerranéen. La recette idéale,
la jeunesse crétoise mange désor-
mais des produits industriels
transformés… p
renaud machart
Le Régime méditerranéen.
La recette idéale, d’Alexandros
Mercouris (Fr-Gr, 2023, 52 min).
gaiement du temps ici postulé
correspond en mode mineur aux
bégaiements de la langue, ces
drôles d’expressions dont les dé-
raillements secrets jalonnent no-
tre existence.
Sophie Fillières prête ainsi une
attention malicieuse et délecta-
ble à tout ce que nos propos ont
de drolatique, de cocasse, d’in-
congru. De la copine qui ponctue
toutes ses phrases par « genre »
ou « trop pas », aux dérapages
verbaux extravagants de la
grande Margaux, le langage est le
premier vecteur d’incongruité, la
8 2 5 4 9 6
7 1 6 3 5 8
3 9 4 2 7 1
5 2 1 8 9 5 4 3
5 4 7 8 6 2
9 6 6 3 2 9 1 7
4 7 3 1 2 9
2 6 1 7 8 5
5 8 6 3 4 7
6 3 4 Très difficile
3 1 9
LE FILM CHOC DE
JONATHAN GLAZER
EN VENTE
CHEZ VOTRE
MARCHAND
DE JOURNAUX
MARIE ROUGE
0123
SAMEDI 27 JANVIER 2024
NOTRE
SÉLECTION
S AM ED I 27 JAN V IER
Ciné+ Classics
Ninotchka
20.50 En 1939, Ernst Lubitsch
met en scène Greta Garbo dans le
rôle d’une commissaire politique
soviétique incorruptible qui, quand
elle rencontre le séduisant comte
d’Algout (Melvyn Douglas) à Paris, voit
ses convictions mises à rude épreuve.
Canal+ Cinéma
Tár
21.00 Todd Field filme une Cate
Blanchett au sommet de son art,
qui incarne une brillante cheffe
d’orchestre prise dans le vertige du
pouvoir, qui voit sa carrière vaciller à
la suite de révélations sur des actes
répréhensibles qu’elle a commis.
OCS Géants
Le Lauréat
22.30 Le film qui révéla Dustin
Hoffman, en 1967. Mike Nichols met
en scène un étudiant de 21 ans qui
séduit une quadra (Anne Bancroft),
Mme Robinson, puis sa fille (Katharine
Ross). Avec une chanson entrée elle
aussi dans la légende : Mrs Robinson,
de Simon & Garfunkel.
Apple Podcasts
Shame on You
A la demande Un documentaire
audio immersif qui plonge dans les
coulisses de l’affaire DSK, en huit
épisodes. Un nouveau récit, mis à
jour dans la foulée de #metoo.
nasse dans laquelle nos senti-
ments, nos émotions et peut-
être même toute notre existence
sont pris et trébuchent. C’est lui,
en tout cas, qui donne aux cho-
ses un air de déjà-vu, nous rappe-
lant que nos expériences ont
déjà été vécues. Ou tout du
moins « nommées ». p
mathieu macheret
La Belle et la Belle, de Sophie
Fillières. Avec Sandrine Kiberlain,
Agathe Bonitzer, Melvil Poupaud,
Lucie Desclozeaux, Laurent
Bateau (Fr., 2018, 95 min).
0123 est édité par la Société éditrice
du « Monde » SA. Durée de la société :
99 ans à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 124.610.348,70 ¤.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
Rédaction 67-69, avenue Pierre-Mendès-France,
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1 3 7
4 9 2 Abonnements par téléphone au 03 28 25 71 71
6 5 8 (prix d’un appel local) de 9 heures à 18 heures.
2 7 6 Depuis l’étranger au : 00 33 3 28 25 71 71.
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9 1 3
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93290 Tremblay-en-France
Midi-Print, Gallargues le Montueux
Origine du papier : France, Belgique.
Taux de fibres recyclées : 87 %. Ce journal est imprimé sur un
papier issu de forêts gérées durablement et de sources controlées.
Eutrophisation : PTot = 0.008 kg/tonne de papier
0123
SAMEDI 27 JANVIER 2024
Christian Dupavillon
Ancien conseiller de Jack Lang
I
l fut le grand ordonnateur de
la gauche festive. Le chef
d’orchestre des cérémonies
qui ont rythmé les dix ans de
règne de Jack Lang sur la culture,
avec François Mitterrand en im-
perator (1981-1986, puis 1988-
1993). Il bombardait le ministre
d’idées et les réalisait avec maes-
tria, donnant au socialisme rose
une patte populaire et créative,
propre à séduire la jeunesse et à
souder le pays. Architecte de for-
mation, jamais encarté au Parti
socialiste, Christian Dupavillon
est mort, le 22 janvier, à Paris. Il
avait 83 ans.
Ses faits d’armes ? Fête du
10 mai 1981 à la Bastille après la
victoire de François Mitterrand ;
investiture du même président, le
21 mai 1981, montant seul à pied la
rue Soufflot, une rose à la main,
sur l’Ode à la joie, de Beethoven,
avant de pénétrer dans le Pan-
théon ; Fête de la musique en 1982
(devenue incontournable) ; défilé
militaire nocturne du 14 juillet
1982 (jamais reproduit) ; transfert
des cendres de Condorcet, de
Monge et de l’abbé Grégoire au
Panthéon en 1989 ; défilé virevol-
tant et extravagant de Jean-Paul
Goude sur les Champs-Elysées, le
14 juillet 1989, pour fêter le bicen-
tenaire de la Révolution. « Sou-
vent, il pleuvait », s’amusait Chris-
tian Dupavillon, quand il évo-
quait ces fiestas.
Dupavillon est un compagnon
de route de trente ans de Jack Lang,
qui partage avec ce dernier la pas-
sion du théâtre. Ils se rencontrent
à Nancy, au milieu des années
1960. Le premier est étudiant en
architecture, le second dirige un
festival de théâtre qui gagne vite
en réputation. « On ne s’est plus
quittés, raconte aujourd’hui Jack
Lang. Ce garçon fin et doté d’une
érudition folle avait du nez et un
œil. Et quel enthousiasme ! »
Dupavillon devient « prospec-
teur » du festival : faire le tour du
monde pour dénicher des talents.
Ewa Podles
Contralto polonaise
C
eux qui l’ont entendue
sur scène ne l’ont pas
oubliée et ne l’oublie-
ront pas. Ewa Podles
donnait à la musique une inten-
sité si particulière qu’elle saisis-
sait à la gorge, une voix puissante,
riche et sombre, aux accents pres-
que sauvages, aux reflets incan-
descents, aux vibrations telluri-
ques. La contralto polonaise est
morte vendredi 19 janvier à l’âge
de 71 ans, a annoncé la chaîne
d’information polonaise TVN24.
Dotée d’une étendue exception-
nelle de trois octaves, des abysses
graves aux aigus vertigineux,
cette voix « force de la nature »
avait pour garde-fou une techni-
que solide, rompue aux souples
vocalises rossiniennes. Elle res-
tera dans des rôles-clés du bel
canto et de la musique baroque
(Rossini, Haendel, Vivaldi, Gluck)
mais aussi Donizetti, Verdi, Puc-
cini, Saint-Saëns, Wagner, Richard
Strauss, sans oublier les répertoi-
res russe (Tchaïkovski, Mous-
sorgski, Chostakovitch) et polo-
nais (Chopin, Szymanowski, Pen-
derecki).
Ewa Podles naît le 26 avril 1952 à
Varsovie dans une famille musi-
cienne – sa mère est également
contralto. Elle aura toujours pour
exemple cette sœur aînée dont la
C’est lui, entre autres, qui repère à
New York la très politique troupe
du Bread and Puppet Theatre, qui
milite contre la guerre au Viet-
nam, et la fait venir avec ses ma-
rionnettes géantes pour animer
les rues de Nancy en 1968 – ce
temps fort propulse un peu plus
le festival.
Dupavillon n’a jamais exercé
comme architecte, mais il trouve
des professionnels pour bâtir ses
idées. Il est un des premiers à pen-
ser que des sites industriels en
déshérence peuvent revivre
comme lieux culturels, porter des
utopies, inventer une autre façon
de créer et de diffuser des œuvres.
Cette préoccupation de la friche
est au centre d’un numéro de la
revue L’Architecture d’aujourd’hui,
titré « Les lieux du spectacle »,
dont il est le pilote, en 1970.
« A part parmi les politiques »
« Ce numéro a orienté ma vie »,
réagit Patrick Bouchain, qui, après
avoir été l’assistant de Dupa-
villon, est devenu l’architecte de
nombreuses friches culturelles.
« Dupav », comme on l’appelle, in-
forme aussi Ariane Mnouchkine,
en 1970, qui cherche un lieu pour
sa troupe du Théâtre du Soleil,
que des entrepôts abandonnés
par l’armée, dans le bois de Vin-
cennes, feraient l’affaire. Ainsi
commence l’aventure de la Car-
toucherie, qui dure encore.
Il n’y avait pas meilleur que Du-
pavillon, pensent Lang ou Bou-
chain, pour faire grand avec rien
(créer un théâtre en carton), navi-
guer contre l’établi, être à l’affût
de ce qui est rejeté, rapprocher
l’artiste du public. Pas meilleur
pour installer un festival dans
une ville, imaginer des gradins
sur une place, inscrire un specta-
cle dans un hôtel, faire d’un sous-
sol un lieu de fêtes.
En 1972, quand Lang est nommé
directeur du Théâtre de Chaillot, à
Paris, avec Antoine Vitez pour di-
recteur artistique, Christian Du-
carrière lyrique a été brisée par les
mauvais conseils de ses profes-
seurs, et se fera un devoir de rester
maîtresse de ses choix. Dès l’en-
fance, elle incarne des petits rôles
comme l’enfant dans Madame
Butterfly, de Puccini, au côté de
celle qui sera son mentor à l’Aca-
démie de musique Frédéric-Cho-
pin de Varsovie, la soprano Alina
Bolechowska, avec qui elle entre-
tiendra des liens quasi filiaux.
Fort tempérament
En 1975, elle fait ses débuts à Var-
sovie dans le rôle de Rosine du
Barbier de Séville, de Rossini.
Avant de s’illustrer dans des opé-
ras du répertoire baroque. C’est
dans le rare Rinaldo, de Haendel,
qu’elle se produira pour la pre-
mière fois au Metropolitan Opera
de New York en 1984 (second cast),
se lancera à la conquête de Paris
l’année suivante (Théâtre du Châ-
telet) et sera portée en triomphe
au Théâtre des Champs-Elysées,
en 1999, au côté de l’Almirena de
Cecilia Bartoli, qui doit partager
avec elle la vedette.
Il faut dire que le fort tempéra-
ment de la dame ne passe pas ina-
perçu. Ewa Podles en impose na-
turellement, au point qu’elle
réussira en dernière partie de car-
rière, l’endurance s’étant faite
pavillon devient son conseiller
particulier. Le job cadre avec son
agilité transversale. C’est lui qui
fait venir pour la première fois en
France, en 1973, l’acteur et écri-
vain Dario Fo, avec son spectacle
Mistero Buffo. Quand Lang est
« viré » par le ministre de la cul-
ture, Michel Guy, en 1974, Dupa-
villon scénarise une « cérémonie
d’adieu » au milieu des gravats
d’un Chaillot en travaux : il trans-
forme Lang en victime et en futur
ministre de la culture.
Dupavillon est du cabinet de Jack
Lang, en 1981, au ministère de la
culture. Puis en 1988. Si ses cama-
rades ont des sujets ciblés, lui s’oc-
cupe « de tout et de rien », donc de
beaucoup. Pour la première Fête
de la musique, en juin 1982, il ré-
pète que « le public doit devenir ac-
teur ». Trois semaines plus tard,
son iconoclaste défilé militaire du
14-Juillet, de nuit, sans tribune offi-
cielle (Mitterrand dans un fauteuil
à même le pavé), suivi du bal popu-
laire et du feu d’artifice, est une fa-
çon de réunir l’armée et le peuple.
Alors que Mitterrand veut de
l’exceptionnel pour le bicente-
naire de la Révolution, le
14 juillet 1989, et que l’on pense à
faire appel à des chanteurs ou à
des musiciens de renom, Dupa-
villon casse les codes et impose le
photographe et cinéaste Jean-
Paul Goude, créateur d’un vire-
voltant métissage entre les cou-
leurs de peau de centaines de dan-
seurs ou figurants. « Je le voulais,
car il a le sens du spectacle. » Ce
sera un triomphe. « Dupavillon
était à part parmi les politiques,
car il comprenait mon travail »,
réagit Goude.
Dupavillon suit aussi pour Lang
tous les grands travaux – Louvre,
Opéra Bastille, Cité de la musique,
Ecole de la photographie à Arles,
Cité de la BD à Angoulême… Et
convainc son ministre de réhabili-
ter la mode en ouvrant à des défi-
lés de couturiers la cour Carrée du
Louvre ou le jardin des Tuileries.
moins longue, la tessiture moins
étendue, à rester au premier plan
fût-ce dans les seconds rôles. On
se souvient de son impayable ma-
râtre Madame de la Haltière dans
la Cendrillon de Massenet, mon-
tée en 2011 à l’Opéra-Comique, et,
plus avant, de sa marquise de Ber-
kenfield dans La Fille du régiment,
de Donizetti (rodée à La Scala de
Milan en 1996), dont témoigne
un DVD paru chez TDK en 2003.
Mais c’est aussi en vraie tragé-
dienne qu’elle incarne la com-
tesse de La Dame de pique, de
Tchaïkovski, ou Ulrica dans Un
Ballo in Maschera, de Verdi.
Connue et reconnue pour ses
interprétations rossiniennes,
qu’elles soient dans la veine
bouffe (Rosine, ou Isabella de
L’Italienne à Alger), ou dans les rô-
les travestis (le rôle-titre de Tan-
credi, ou Arsace dans Semira-
mide), Ewa Podles attendra 2001
pour être introduite dans le fief
de Pesaro, ville natale du compo-
siteur italien (Giunone dans la
cantate Le Nozze di Teti e di Peleo).
Elle y reviendra en 2012 et 2015
pour un dramatique Ciro in Babi-
lonia (première de l’opéra à Pe-
saro, première scénique d’Ewa Po-
dles), phénomène vocal et théâ-
tral ovationné chaque soir par un
public bien conscient que l’artiste
A son domicile parisien, en novembre 2018. COLLECTION PRIVÉE
En 1990, Jack Lang nomme
Christian Dupavillon directeur du
patrimoine. Le secteur devient
une priorité, le budget de restaura-
tion des monuments ne cesse de
croître. Mais l’intéressé ne reste
que trois ans, débarqué par le mi-
nistre de la culture, Jacques Tou-
bon. Dupavillon en gardera une
profonde amertume, se tournant
alors vers son magnifique chalet
d’Arêches-Beaufort (Savoie). Il fait,
en 2001, un rapide passage
comme chargé de mission auprès
de Jack Lang, au ministère de l’édu-
cation nationale, mais la foi n’est
plus là. Composer n’est pas dans le
registre de ce caractère électrique.
A Londres, en 2011. NIGEL NORRINGTON/CAMERAPRESS/GAMMA-RAPHO
26 AVRIL 1952 Naissance,
à Varsovie
1975 Débute dans Le Bar-
bier de Séville, de Rossini
1984 Rinaldo au Metropoli-
tan Opera de New York
1991 Samson et Dalila
à l’Opéra Bastille
2001 Festival Rossini
de Pesaro
19 JANVIER 2024 Mort
à Varsovie
disparitions | 25
On lui doit plusieurs ouvrages,
dont Architectures du cirque (Le
Moniteur, 1982), qui est un grand
livre historique, La Tente et le Cha-
piteau (Norma, 2004), où il mon-
tre le lien entre cirque et noma-
disme, ou encore Naissance de
l’opéra en France (Fayard, 2010).
Ce bon vivant, fin cuisinier et
bonne fourchette, débordait. Fra-
gilisé par deux AVC, il recevait
dans son appartement parisien,
au milieu d’une multitude d’ob-
jets, photos, tissus, livres pour en-
fants, marionnettes asiatiques.
Autant de traces d’une vie, entre
ombre et flamboyance. p
michel guerrin
symbolise, à l’instar de sa devan-
cière Marilyn Horne, la quintes-
sence du grand contralto colora-
ture rossinien.
Fine mélodiste
Le talent d’Ewa Podles dépassait
cependant le répertoire belcan-
tiste. Elle fut une Erda immémo-
riale dans le Ring wagnérien (son
Weiche Wotan, enregistré à
l’Opéra de Seattle, est visible sur
YouTube), une Klytämnestra in-
humaine dans l’Elektra de Ri-
chard Strauss, une Azucena hallu-
cinatoire dans Il Trovatore, de
Verdi, auxquelles s’ajoutent deux
rôles de séductrices mortifères :
Dalila (Samson et Dalila, de Saint-
Saëns), qu’elle chante notam-
ment à l’Opéra Bastille en 1991, et
Carmen (Bizet). Le XXe siècle fi-
20 MAI 1940 Naissance
à Chambéry
1972 Devient directeur
artistique au Théâtre
national de Chaillot
1981 Entre au cabinet
de Jack Lang au ministère
de la culture
1990 Est nommé directeur
du patrimoine au ministère
de la culture
22 JANVIER 2024 Mort
à Paris
gure aussi à son répertoire, de Ma-
hler (les Symphonies n° 2 et n° 3) à
Chostakovitch, sans oublier ses
compatriotes Szymanowski et
Penderecki. Accompagnée au
piano par Garrick Ohlsson, Gra-
ham Johnson ou son mari, Jerzy
Marchwinski (1935-2023), elle est
aussi une fine mélodiste.
Ewa Podles n’a jamais fait mys-
tère de ses rapports parfois hou-
leux avec les chefs d’orchestre,
dont elle n’hésitait pas à contester
l’autorité. Mais elle adorait le
Français Marc Minkowski, avec
qui elle a enregistré Armide, de
Lully (elle incarne La Haine), Ario-
dante, de Haendel (Polinesso), et
Orphée aux enfers, d’Offenbach
(L’Opinion publique).
En juin 2017, la chanteuse, alors
au Liceu de Barcelone – une scène
qu’elle considérait comme sa
deuxième maison – pour La Fille
du régiment, avait annoncé se re-
tirer momentanément pour subir
une opération orthopédique. Ce
sera sa dernière apparition sur
une scène. On ne la verra plus
qu’en streaming en Madame de la
Haltière lors de la diffusion,
en janvier 2021, de la Cendrillon de
Massenet mise en scène par Lau-
rent Pelly, au Covent Garden de
Londres. p
marie-aude roux
26 | carnet 0123
SAMEDI 27 JANVIER 2024

Christian et Christiane de Gennes,

René-Pierre BOULLU Dominique et Gérard Bomm, Françoise MALFETTES,
Marie Christine et Alain Picard, née FRIDRICH,
nous a quittés le 12 novembre 2023. ses enfants et leurs conjoints,
en vente Camille, Karin, Colin, Nicolas, s’est éteinte, à son domicile, le samedi
actuellement Le Carnet Aujourd’hui, 26 janvier 2024, il aurait Laura, Paul, Simon, 13 janvier 2024, dans sa quatre-vingt-
eu soixante-dix-sept ans. quatorzième année.
ses petits-enfants,
L’Assemblée nationale
K En kiosque Pierre nous manque. Il manque à
Ses seize arrière-petits-enfants,
Les familles Bobenriether, Kalck, décerne
Vous pouvez nous faire ses amis. Il manque à son beau-ils, Moreaux, Chassaing, Nugues, Roseau, un prix de thèse
ont la tristesse de faire part du décès en droit parlementaire
0123
H
É DITION
2024
parvenir vos textes Charles Kadri, et à sa compagne,
de
Rougetet, Royo, Tourte et Vié,
ses neveux et nièces, et un prix de thèse
Brigitte Vital-Durand qui a partagé sa
O R S - S É R I E

LE BILAN ▶ GÉOPOLITIQUE
▶ ENVIRONNEMENT

vie pendant trente ans. Les familles Amé, Audran,

en histoire de l’institution
soit par e-mail : parlementaire
▶ ÉCONOMIE

DU MONDE Anne Marie de GENNES, Bobenriether, Chassaing, Colladon,

carnet@mpublicite.fr née ROUET, Grincourt, Kalck, Malfettes, Martinez,
+ AT LA S D E 1 9 8 PAYS

Nous regrettons déjà les longues Ain d’encourager et de promouvoir

+ 1 5 PAG E S D E D É B AT S : M É L A N I E A L B A R E T, É L I E B A R N A V I , PA S C A L B R I C E ,
LU C I L E M A E R T E N S , X A V I E R R A G O T, LU C R O U B A N , M A R TA S P R A N Z I , PAT R I C K W E I L . . .

soirées à débattre de politique ou de épouse de Modoux, Nugues, Rollin, Roseau, la recherche dans des domaines
(en précisant impérativement religion, sa curiosité, son érudition Pierre Gilles de GENNES, Rougetet, Simon, Vérone et Vié, intéressant directement
votre numéro de téléphone et nos vacances en Toscane. ses petits-neveux et petites-nièces, le Parlement français,
survenu à son domicile, le 22 janvier Henda Djelil, Anna Gamska, Colette l’Assemblée nationale
et votre éventuel numéro Passaret, Sophie Roy, décerne deux prix de thèse,
Nous ne l’oublierons jamais. 2024, à l’âge de quatre-vingt-dix ans.
d’abonné ou de membre ses amies, destinés à distinguer :
• d’une part, une thèse
de la SDL) « Va voir s’il y a une limite, là-bas, Une cérémonie aura lieu en l’église
sont dans la peine. en droit parlementaire français,
au bout de la Terre Saint-Rémy de Gif-sur-Yvette, le mardi • d’autre part, une thèse
Hors-série Et si on peut déplacer l’horizon ? » 6 février, à 9 h 30. en histoire parlementaire
soit sur le site : Vladimir Vyssotski.
Elle rejoint son mari depuis la Révolution française.
HORS-SÉRIE
https://carnet.lemonde.fr Elle sera inhumée au cimetière de Lucien MALFETTES, Peuvent être présentées les thèses
Stéphane et Isabelle Brotons, Montrouge. de doctorat rédigées
L’équipe du Carnet Christophe et Stéphanie Brotons, décédé le 28 mars 2005. en langue française
L’HISTOIRE DU reviendra vers vous
ses enfants et leurs conjoints,
Ses petits-enfants
L’ensemble du conseil
d’administration du Syndicat de
La cérémonie religieuse est célébrée
et soutenues entre
le 1er janvier 2023
PROCHE ORIENT dans les meilleurs délais Et ses arrière-petits-enfants,
l’appareil respiratoire (SAR)
ce 26 janvier, à 14 heures, en l’église
Notre-Dame-de-Grâce de Passy, 10, rue
et le 31 décembre 2023.

pour vous confirmer

10 000 ans de civilisation

ont la douleur de faire part du décès de l’Annonciation, Paris 16e. Chacun de ces prix de thèse ouvre
de s’associe à la douleur et la peine de droit à une aide à la publication
la parution. Contacts : versée directement à l’éditeur.
ÉDIT ION
20 23 son épouse, Isabelle, de ses enfants
Comprendre le présent à la lumière du passé
M. Lucien BROTONS, et petits-enfants, pour faire part du kalck.avocat@orange.fr Il appartient aux étudiants
conservateur des hypothèques décès du pascale.modoux@hotmail.fr intéressés de :
Hors-série carnet@mpublicite.fr honoraire, télécharger le dossier de candidature
https://carnet.lemonde.fr oicier La famille élargie sur le site Internet de l’Assemblée
dans l’ordre des Palmes académiques, docteur nationale, à la page suivante :
de
Yves GRILLET, http://www2.assemblee-nationale.fr/
HORS-SÉRIE
AU CARNET DU «MONDE» président du SAR, informations-pratiques/bibliotheque-
survenu le 19 janvier 2024, Christian THIVAT
à l’âge de quatre-vingt-treize ans. vice-président et cofondateur et-archives#node_8065
ou bien d’envoyer
Décès du Conseil national a l’immense tristesse de faire part de un courrier électronique à :
La cérémonie et l’inhumation ont de la pneumologie (FFP), son décès, survenu le 20 janvier 2024. prixdethese@assemblee-nationale.fr
M Helen Adamson,
me
eu lieu dans l’intimité familiale. ou bien de s’adresser
40
vice-président de la Fédération
Ses ils La crémation aura lieu le 5 février, à la division des Archives
des spécialités médicales (FSM),
CARTES Et son petit-ils, Lambersart. à 11 h 30, au cimetière du Père-Lachaise, et de l’Histoire parlementaire
président de l’association BPCO, de l’Assemblée nationale :
Paris 20e.
POUR COMPRENDRE

UN MONDE FRACTURÉ cofondateur de l’Observatoire

ont la tristesse de faire part du rappel
à Dieu du
Hors-série
docteur
Donald ADAMSON,
HORS-SÉRIE
étudiant de la Sorbonne,
chevalier
dans l’ordre des Palmes académiques
et oicier
UN LONG CHEMIN
dans l’ordre des Arts et des Lettres,
VERS L'INFINI
le 18 janvier 2024,
à Cornwall, en Angleterre,
dans sa quatre-vingt-quatrième année.
La messe d’action de grâce sera
Hors-série célébrée en l’église du prieuré de
Saint-Barthélemy-le-Grand, à la Cité
de Londres, au cours du mois de
Musée d'Histoire de Nantes
Direction de la Communication
Olivier Chantraine,
sommeil de la fédération et de la valorisation patrimoniale,
son mari, Michel, Éric, Florence Wiener,
de pneumologie (OSFP), Assemblée nationale,
Vincent Delacroix-Chantraine, ses enfants 126, rue de l’Université,
Gilles Chantraine, président de L’UPML Rhône-Alpes, Ainsi que toute sa famille, 75355 Paris Cedex 07 SP.
ses ils, président et cofondateur Les candidats devront
Julie Lekeux, de la Société alpine ont la tristesse de faire part du décès faire parvenir leur thèse,
sa belle-ille, des pneumologues libéraux (SAPL), de au format PDF,
Ses petits-enfants, à l’adresse électronique
fondateur de l’association ALVÉOLE,
Anne Demailly, Céline WIENER, indiquée ci-dessus.
précurseur de la réhabilitation L’impression sera assurée
sa sœur,
respiratoire à l’efort par l’Assemblée nationale.
survenu à Paris,
ont la tristesse de faire part du décès des insuisants respiratoire, le dimanche 14 janvier 2024,
La date limite de dépôt
de à l’âge de quatre-vingt-sept ans. des candidatures est ixée
survenu à l’âge de soixante-quinze ans, au vendredi 26 janvier 2024,
Lise CHANTRAINE, Céline Wiener a été directrice
à Aigues-Mortes. à 17 heures.
née DEMAILLY, de recherches au CNRS, membre
sociologue, de cabinets ministériels, cheffe
Notre ami Yves, pionnier avisé Conférences
professeur émérite de l’Inspection générale de
dans tous les domaines de la l’administration de l’Éducation
de l’université de Lille,
pneumologie, a été un mentor nationale, et « Madame plan Le Foyer de l’Âme présente

exemplaire pour de nombreux son cycle de cultes-conférences 2024 :

d’urgence » en 1990 à la suite du
Exposition : 14.10.23 - 05.05.24
HORS-SÉRIE
mars. survenu le samedi 20 janvier 2024, « Exils, Arrachement et Renouveau »
des suites d’une longue maladie. pneumologues. mouvement de protestation nationale • Dimanche 28 janvier, à 10 h 30,
Comment
les Mongols Le service d’enterrement est des lycéens. Fawzia Zouari, écrivaine, journaliste,
ont changé
le monde célébré dans l’intimité familiale, dans Les funérailles civiles ont lieu Un dernier hommage lui sera « Itinéraire entre
le Kent. ce vendredi 26 janvier : assemblée Elle est officier de la Légion l’Orient et l’Occident »,
rendu le lundi 29 janvier 2024, à
de recueillement et d’hommage, à d’honneur et commandeur de l’ordre • Dimanche 4 février, à 10 h 30,
GENGIS Vezin-le-Coquet. Rennes.
14 heures, au 11, rue Carnot, à Faches-
14 heures, au cimetière de Saint-Péray
(Ardèche).
des Palmes académiques. Corinne Lanoir, théologienne,
« Arrachement, intégration,
KHAN Mme Anke Foerster,
Thumesnil, suivie de l’inhumation
à 15 h 45, au cimetière de Canteleu, La cérémonie a eu lieu dans
l’intimité familiale, le 26 janvier.
assimilation ? Lectures croisées
du livre de Ruth »,
à Lambersart, rue Auguste-Bonte. Stéphanne Reverre,
En partenariat
avec

son épouse, Temple protestant du Foyer de l’Âme,

Hannah et Paul Armbruster-
Hors-série
Foerster,
ses enfants,
Mme Nancy Armbruster,
100 GRILLES sa mère,
Mme Elfriede Foerster,
PAR PHILIPPE DUPUIS – N° 8
sa belle-mère,
Catherine, Valérie et Olivier
Armbruster,
ses sœurs et son frère,
Bruno Tiltmann et Christophe
Soulier,
ses beaux-frères,
Laura et Cyril, Margaux, Valentine,
Matthieu, Sarah, Anouk, Louna, Maëlle,
Magazine n° 8
Dune,
ses neveux et nièces,
Collection Alyx et Oscar,
CHEFS -D’OEUVRE ont la grande tristesse de faire part
du décès brutal de
EN M I N I AT U R E
COLLECTION DES ESSENTIELS DE LA LITTÉRATURE EN VERSION INTÉGRALE
M. Jérôme ARMBRUSTER,
président d’HelloWork,
survenu le vendredi 19 janvier 2024,
à l’âge de cinquante-trois ans.
La cérémonie oicielle aura lieu le
lundi 29 janvier, à 14 h 30, au couvent
des Jacobins, 20, place Sainte-Anne,
à Rennes.
La crémation se déroulera le
Dès mercredi 24 janvier, mardi 30 janvier, à 10 heures, au
le volume n° 3 crématorium de Vern-sur-Seiche, dans
NOTRE-DAME DE PARIS VOL. II l’intimité.
Nos services Jérôme repose en la chambre
funéraire Forillière de Mordelles
(possibilités de visites depuis ce jeudi
Lecteurs 25 janvier, à 14 heures).
K Abonnements Merci de privilégier un don à la
Sur abo.lemonde.fr Surfrider Foundation ou à la SNSM,
Par tél. au 03 28 25 71 71 plutôt que des leurs.
de 9 h à 18 h (prix d'un appel local)
Cet avis tient lieu de faire-part et
K Le Carnet du Monde de remerciements.
carnet@mpublicite.fr
Condoléances sur www.pfg.fr
PFG services funéraires,
35740 Pacé.
Tél. : 02 99 84 52 94.
Nous avons la grande tristesse de
faire part du décès de
Françoise CHAPUIS,
née PERRIN,
pédiatre,
survenu le 21 janvier 2024,
à l’âge de quatre-vingt-dix ans.
Le professeur Yves Chapuis,
son époux,
Éric et Claudine, Patricia et Jean-
Philippe, Olivier et Muriel,
ses enfants,
Adrien et Alexandra, Clémence,
Clara et Maxime, Rosalie et Martin,
Gaspard et Margot, Héloïse, Léon,
ses petits-enfants,
Lilas, Anatole et Alice, Elam, Fauve
et Candide, Avril,
ses arrière-petits-enfants,
Nils,
son frère,
Robert et Michèle,
son beau-frère et sa belle-sœur,
Tous ses neveux et nièces.
La cérémonie aura lieu le vendredi
2 février, à 11 h 30, au cimetière du
Père-Lachaise, Paris 20e.
Elle sera inhumée cet été, à
Ploubazlanec, dans le caveau familial.
Un grand merci à ses assistantes
de vie de l’association Cascade qui
l’ont si bien entourée et à toute
l’équipe de l’unité Debussy de
l’hôpital Sainte-Perine qui l’ont
accompagnée avec tant d’attention
et d’humanité.
M. Joël DUPONT,
agrégé de l’Université,
ancien élève
de l’Ecole normale supérieure
de Saint-Cloud,
a été inhumé au cimetière Barbey
d’Aurevilly, à Saint-Sauveur-le-
Vicomte, le 23 janvier 2024.
1, place Auguste Cousin,
50390 Saint-Sauveur-le-Vicomte.
sa ille
Et ses amis,
ont la profonde tristesse de faire part
du décès de
Laure GUICHAOUA,
chevalier
de l’ordre national du Mérite.
Une cérémonie en sa mémoire
aura lieu le lundi 29 janvier 2024, à
10 h 30, au Temple du Foyer de l’Âme,
Paris 11e.
Rachel Jeanmaire-Wolf,
son épouse,
Irène et Nadine,
ses enfants,
Léa, Justine et Dimitris,
ses petits-enfants,
ont la tristesse d’annoncer le décès
de
M. Georges
JEANMAIRE-WOLF,
survenu à Paris, le 19 janvier 2024,
à l’âge de quatre-vingt-cinq ans.
Les obsèques auront lieu le lundi
29 janvier, à 15 h 30, au cimetière
parisien de Bagneux.
Equipage Architecture
a la douleur d’annoncer le décès de
son cofondateur,
Jean-Pierre LAUBAL,
architecte,
survenu le 16 janvier 2024,
à l’âge de soixante-deux ans.
Une célébration aura lieu le
lundi 29 janvier, au funérarium
de Ménilmontant, 7, boulevard de
Ménilmontant, Paris 11e, à 14 h 15
Selon son souhait, ses cendres
seront dispersées au printemps à
Montferrand-du-Périgord.
7 bis, rue du pasteur Wagner,
Des dons sont proposés au Secours
Paris 11e (M° Bréguet-Sabin).
Populaire.
famillewiener0@gmail.com Communication diverse
Table-ronde
Présences de Claude Simon
Le vendredi 2 février 2024,
à 19 heures,
l’Association des lecteurs
Envie d’être utile ? Rejoignez-nous !
de Claude Simon fête
son 20e anniversaire
à la Maison de la Poésie,
Les bénévoles de SOS Amitié
157, rue Saint-Martin, Paris 3e,
avec la participation de
Marc Graciano, Maylis de Kerangal,
écoutent
par téléphone et/ou par internet
Christine Montalbetti et Martin Ruef. ceux qui soufrent de solitude,
de mal-être et peuvent avoir
Prix de thèse des pensées suicidaires.
Prix Pierre Bouvier
pour la Socio-Anthropologie.
Nous recherchons des écoutants
L’association Socio-Anthropologie bénévoles
en perspective et la revue
sur toute la France.
Socio-Anthropologie décernent
un prix destiné à distinguer L’écoute peut sauver des vies
une thèse soutenue en 2023 et enrichir la vôtre !
qui apporte une contribution
Choix des heures d’écoute,
à cette approche en sciences sociales.
Le montant du prix est ixé à 1 500 €. formation assurée.
Les candidatures doivent être reçues
avant le 30 mars 2024. En IdF RDV sur
www.sosamitieidf.asso.fr
Pour information concernant toutes
les modalités, consulter
https://journals.openedition.org/
En région RDV sur
www.sos-amitie.com
socio-anthropologie/12929
Société éditrice du « Monde » SA
Président du directoire, directeur de la publication Louis Dreyfus
Directeur du « Monde », directeur délégué de la publication, membre du directoire Jérôme Fenoglio
Directrice de la rédaction Caroline Monnot
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Emmanuelle Chevallereau, Alexis Delcambre, Marie-Pierre Lannelongue, Franck Nouchi, Harold Thibault
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Rédaction en chef Laurent Borredon, Emmanuel Davidenkoff (Evénements), Jérôme Gautheret, Michel Guerrin,
Nicolas Jimenez (photographie), Sabine Ledoux (cheffe d’édition),Alain Salles (Débats et Idées)
Direction artistique Emmanuel Laparra
Infographie Delphine Papin
Directrice des ressources humaines du groupe Emilie Conte
Secrétaire général de la rédaction Sébastien Carganico
Conseil de surveillance Aline Sylla-Walbaum, présidente, Gilles Paris, vice-président
 | 27
IDÉES
0123
SAMEDI 27 JANVIER 2024

Negar Haeri La violence n’a pas

besoin d’être détectable à l’œil nu
pour laisser des traces
E En matière d’atteinte sexuelle sur mineur par « personne ayant autorité »,
n matière d’agression sexuelle ou
de viol, la loi ne pardonne jamais à
la victime de n’avoir pas su mani-
fester avec suffisamment de véhé-
mence son refus de l’acte. Si elle n’a pas
été en mesure d’exprimer clairement
son non-consentement, dont la preuve
repose en pratique sur ses épaules, la vic-
time est présumée avoir consenti, et
l’agresseur est exonéré de toute respon-
sabilité. C’est le cas lorsque, frappée par
la peur, elle s’est trouvée dans un état de
paralysie lui interdisant toute contesta-
tion possible, ou que, habituée aux vio-
lences, elle n’est pas parvenue à identi-
fier cette dernière agression comme telle
et s’est laissé faire. Double peine donc,
car, à sa douleur initiale, s’ajoute la cul-
pabilité d’avoir comme « participé » à
l’infraction qu’elle dénonce.
Toutes les infractions sexuelles ne sont
cependant pas aussi sévères avec la vic-
time. Il en existe une – hélas trop sou-
vent ignorée – dans laquelle cette culpa-
bilité n’a plus de raison d’être : en ma-
tière d’« atteinte sexuelle sur mineur de
plus de 15 ans par personne ayant auto-
rité », la loi ne tire aucune conséquence
du consentement de la victime.
Faveur de la loi
Comme son nom l’indique, cette infrac-
tion vise à protéger les mineurs de 15 à
18 ans non révolus contre les majeurs
avec qui ils entament des relations dès
lors qu’ils se trouvent sous leur emprise.
La loi parle d’« autorité », c’est-à-dire
cette faculté qui permet d’exercer une in-
fluence d’ordre intellectuel ou moral sur
autrui, avec d’autant plus de facilité que
le majeur en question dispose d’une cer-
peu importe le consentement : c’est l’adulte qui doit réfréner
ses désirs et s’autocensurer, souligne l’avocate, qui plaide pour que
les victimes adolescentes aient recours à cette infraction
sance envers celui qui vous apprend en
peinture à mieux voir, en musique à
mieux entendre, en théâtre à mieux per-
cevoir les mystères des comportements
humains est infinie. Et le maître mesure
CETTE INFRACTION parfaitement l’admiration qu’il suscite
VISE À PROTÉGER chez son apprenti pour l’avoir lui-même
ressentie, dans sa jeunesse, à l’égard de
LES MINEURS DE PLUS ses propres maîtres.
La question est alors : qu’en fait-il ? En
DE 15 ANS CONTRE LES profite-t-il pour basculer et entrepren-
MAJEURS AVEC QUI dre une relation sentimentale parce que
la tentation est grande et que l’occasion
ILS ENTAMENT DES se trouve à portée de main ? Et si oui, que
fait-il de l’inégalité entre les expériences
RELATIONS DÈS LORS humaines, sentimentales et sexuelles
qui caractérise cette relation ?
QU’ILS SE TROUVENT Car tout le problème est là : un mineur,
SOUS LEUR EMPRISE dont la maturité affective – même à
15 ans et plus – est encore inachevée, ne
sort jamais tout à fait indemne d’une re-
lation à ce point déséquilibrée. Il ne pos-
taine notoriété, d’un certain âge, et qu’il sède pas encore les outils pour rivaliser
suscite une certaine admiration. avec l’adulte : le risque que le rapport de
Le milieu artistique offre un terrain par- force en faveur de ce dernier se trans-
ticulièrement propice à la commission de forme progressivement en un rapport
cette infraction, comme le démontrent toxique contre lequel il ne pourra rien
les affaires de Vanessa Springora, et, plus est immense.
récemment, de Judith Godrèche. L’admi- La faveur que la loi fait ici au mineur
ration y est consubstantielle à la relation est précisément de considérer que son
maître-élève, mentor-mentoré, artiste ac- consentement – résultat d’un discerne-
compli-artiste en devenir : la reconnais- ment encore en construction – est indif-
férent. Peu importe que le mineur ait
donné son consentement, voire res-
senti des sentiments authentiques pour
l’adulte : c’est à ce dernier, exclusive-
ment, que revient la responsabilité de
réfréner ses désirs et de s’autocensurer
– surtout si, du fait de l’admiration qu’il
suscite, le mineur lui est moralement
ou intellectuellement assujetti.
Abus d’autorité
On mesure ici la différence avec les in-
fractions d’agression sexuelle et de viol.
Le curseur se déplace : ce n’est plus à la
victime de mobiliser ses dernières forces
pour s’opposer clairement à l’acte sexuel
qu’elle subit mais au majeur – autrement
dit, au plus responsable des deux – d’évi-
ter de profiter de l’autorité qu’il dégage.
La seule chose qui demeure à la fois
curieuse et regrettable, c’est que, au pré-
texte que cette infraction se commet
sans que le majeur n’ait dû user de
violences physiques pour obtenir les
faveurs sexuelles, elle est souvent re-
layée à un plan subsidiaire – certains
mis en cause se rassurent ainsi de n’être
poursuivis « que » pour atteintes et non
pour agressions sexuelles, comme si la
chose la plus grave pour parvenir à ses
fins, et par conséquent à éviter impéra-
tivement, était l’exercice de la con-
trainte physique, comme si le reste
n’était que flirts insignifiants.
Que les choses soient claires : la vio-
lence n’a pas besoin d’être détectable à
l’œil nu pour exister et pour laisser des
traces. Dans l’infraction d’« atteinte
sexuelle sur mineur de plus de 15 ans
par personne ayant autorité », elle dé-
coule de l’impossibilité du mineur de
discerner les abus d’autorité auxquels
s’adonne l’adulte et de ne pouvoir, par
conséquent, s’en défendre en temps réel
– ce qui revient, comme pour toute
forme d’agression, qu’elle soit morale,
physique ou sexuelle, à avoir été traité,
non pas comme un sujet, mais comme
un objet.
Aujourd’hui encore, beaucoup de vic-
times adolescentes qui croient avoir, au
cours d’une relation toxique avec un
adulte, valablement consenti à des actes
sexuels, se dissuadent d’aller porter
plainte parce qu’elles ne jurent que par
les qualifications d’agression sexuelle et
de viol. Il faut donc qu’elles aient re-
cours à l’« atteinte sexuelle sur mineur
de plus de 15 ans par personne ayant
autorité » – et qu’elles en comprennent
la raison d’être. C’est à cette condition
qu’elles oseront franchir les portes d’un
commissariat : il faut d’abord prendre
connaissance de ses droits pour, en-
suite, se donner la possibilité de
les exercer. p
Negar Haeri est avocate
au barreau de Paris

Franck Frégosi Les défis de la création d’un imamat de France

Le politiste et islamologue liste les limites de la fin du recours aux imams étrangers détachés, payés et formés
hors de l’Hexagone. Ce « n’est qu’une réponse partielle » à un problème bien plus vaste, met-il en garde

L
a fin des imams fonction-
naires étrangers détachés
en France marque une nou-
velle étape dans la gouver-
nance de l’islam hexagonal. Cette
information n’a surpris per-
sonne : elle figurait déjà, en fé-
vrier 2020, dans le discours de
Mulhouse (Haut-Rhin) du prési-
dent de la République, Emmanuel
Macron, qui énonçait les grandes
lignes de la politique de lutte con-
tre le séparatisme islamique.
L’arrêt des filières de détache-
ment d’imams fonctionnaires
étrangers en France, entré en vi-
gueur au 1er janvier, est censé
mettre un terme à l’islam consu-
laire, c’est-à-dire à une politique
qui, depuis les années 1990, con-
sistait, sur la base d’accords bila-
téraux, à délivrer des visas de sé-
jour pour une durée de quatre
ans à des contingents d’imams.
Ceux-ci étaient non seulement
salariés par des Etats musulmans
mais aussi formés hors de France,
dans des sociétés où l’islam est la
religion dominante de la popula-
tion, la religion officielle des pou-
voirs publics et où des pans de lé-
gislation sont marqués par des
emprunts, à des degrés divers, à
la législation islamique.
Cette décision d’y mettre fin
s’inscrit dans une politique gou-
vernementale plus large : tout en
faisant de la laïcité en valeurs
(plus qu’en droit) un horizon in-
dépassable opposable à tous les
cultes, le ministre de l’intérieur,
Gérald Darmanin, et le chef de
l’Etat ne s’interdisent pas de vou-
loir peser sur les contours organi-
sationnels et même religieux de
l’islam, afin de l’ajuster à leurs at-
tentes politiques. Certains Etats,
dont les dirigeants sont entrés en
délicatesse avec nos responsa-
bles, sont ainsi invités à cesser
d’envoyer dans l’Hexagone des
professionnels du culte qui
étaient rétribués par leurs soins.
Face aux aspirations de ces Etats à
exercer un contrôle religieux sur
leurs diasporas respectives, le
gouvernement laïque français
entend ainsi opposer un souve-
rainisme religieux.
Connaissances profanes
Cette « gallicanisation » [en réfé-
rence à la doctrine politico-reli-
gieuse affirmant la spécificité de
l’Eglise de France face à l’autorité
du pape] forcée de l’islam en
France conduit à considérer que
les musulmans de France de-
vraient pouvoir disposer de leurs
propres imams, formés sur le ter-
ritoire national, des clercs à la fois
religieusement compétents, et fa-
miliers des usages et de la spécifi-
cité de l’histoire française de cette
religion comme de son cadre juri-
dique d’exercice.
Les autorités françaises ont
longtemps privilégié les tenants
de l’islam policé des chancelle-
ries étrangères, réputé plus sé-
cure politiquement parce que
contrôlé par des régimes autori-
taires partenaires des gouverne-
ments français successifs. Mais,
depuis des décennies, certains
imams et de nombreux musul-
mans parmi les jeunes généra-
tions appelaient de leurs vœux
cet impératif de gallicanisation.
Cette intention, louable, ne doit
cependant pas faire illusion.
Abondamment relayée par la
presse, cette décision concerne
tout au plus trois cents fonction-
naires étrangers, en majorité
turcs, algériens et marocains,
soit environ 10 % des imams offi-
ciant en France au quotidien, se-
lon diverses estimations.
Vouloir se passer de la contribu-
tion des imams formés hors de
l’Hexagone suppose d’être en ca-
pacité de répondre, de France, aux
attentes religieuses des fidèles
musulmans, ce qui est encore loin
d’être le cas. Depuis le discours de
Mulhouse, des institutions
comme la Grande Mosquée de Pa-
ris se sont empressées de tisser
des partenariats avec d’autres fé-
dérations, ouvrant diverses an-
tennes de l’institut parisien Al-
Ghazali (à Marseille, à Istres, aux
Mureaux…), afin de former un
personnel religieux qui fait tou-
jours défaut à l’islam de France.
D’autres institutions, comme la
Grande Mosquée de Lyon, avaient
pris une longueur d’avance en la
matière, en mettant sur pied, de-
puis plusieurs années, des forma-
tions destinées à des imams et à
des aumôniers, sans parler de la
fédération Musulmans de France
(anciennement Union des organi-
sations islamiques de France) qui
fut sans doute l’une des premiè-
res à se prononcer pour des for-
mations depuis la France durant
la décennie 1990. Et à avoir agi en
conséquence. Certaines mos-
SE PASSER DES
IMAMS FORMÉS
À L’ÉTRANGER
SUPPOSE D’ÊTRE
CAPABLE
DE RÉPONDRE
AUX ATTENTES
DES MUSULMANS
DE FRANCE
quées régionales ont également
mis en place des cycles de cours
ouverts aux imams en poste ou
aux futurs impétrants.
Encore faudrait-il s’assurer que
ces formations religieuses font
appel à des personnalités à la fois
détentrices d’un savoir religieux
avéré et de connaissances plus
profanes, tels que les savoirs pra-
tiques en lien avec les transfor-
mations qui affectent la société.
Si l’on se prive d’un imam formé
à l’étranger, ce n’est pas pour y
substituer un imam formé sur
place mais étranger aux réalités
françaises contemporaines.
La question du coût
Depuis plus de dix ans, il existe
des formations dûment recon-
nues, dites « civiles et civiques »,
dispensées par des universités
françaises qui délivrent des ensei-
gnements aussi bien en droit de la
laïcité et en droit des cultes qu’en
histoire des rapports Etat-reli-
gions, ou en sciences sociales du
religieux et de la sécularisation.
Nombre d’imams indépendants
les fréquentent et y côtoient leurs
homologues des autres cultes (ca-
tholique, protestant, juif, etc.)
ainsi que des personnes concer-
nées par la pluralité religieuse en
régime de laïcité. Il suffirait donc
peut-être d’inviter tous les autres
à les suivre sans réserve.
Reste cependant une ultime
question, encore non tranchée à
ce jour : ne plus vouloir que des
imams soient financés par des
Etats étrangers mais par des asso-
ciations de droit français suppose
que celles-ci soient en mesure
d’assurer ce coût financier. Or,
aujourd’hui, seuls les imams déta-
chés [qui perdront définitivement
leur statut en avril] jouissent d’une
bonne rémunération et souvent
d’un logement affecté. Le statut de
la plupart des autres reste pré-
caire : ils sont rarement salariés et
souvent assujettis au bon vouloir
des présidents d’association.
La fin des imams détachés n’est
donc qu’une réponse partielle à
un défi bien plus vaste. Vouloir
poser les bases d’un imamat de
France devrait commencer par
chercher à recueillir les besoins et
les attentes de ces acteurs de pre-
mier plan de l’islam au quotidien
que sont les imams, plutôt que les
réduire à de simples « sujets » de
politiques publiques. p
Franck Frégosi est directeur
de recherche au Groupe socié-
tés, religions, laïcités du CNRS.
Il enseigne à l’institut d’études
politiques d’Aix-en-Provence
28 | idées
En Floride, le putsch
de la droite contre l’université
gainesville, sarasota (floride) -
envoyé spécial
S
calpée. » Christopher Rufo jubile. Le
militant conservateur américain
revendique, par ce seul mot posté
sur le réseau social X le 2 janvier, un
trophée. Claudine Gay, la prési-
dente de la prestigieuse université
Harvard, dans le Massachusetts, vient d’an-
noncer sa démission, emportée notamment
par une affaire de plagiat touchant à sa thèse
de doctorat. Christopher Rufo avait été le pre-
mier à révéler ses manquements à l’éthique.
La position de Claudine Gay avait déjà été
fragilisée par des incidents antisémites dans
son campus et une comparution devant le
Congrès, où elle s’était montrée incapable de
condamner explicitement les appels au gé-
nocide des juifs. A Harvard, et dans plusieurs
autres universités d’élite du pays, une vague
de judéophobie s’était répandue après les at-
tentats du Hamas en Israël, le 7 octobre 2023.
Depuis 2020, Christopher Rufo est engagé
dans une lutte farouche contre la gauche et a
fait de l’université, qu’il juge responsable de
l’effondrement moral des Etats-Unis, le
cœur de son combat. Dans son best-seller
America’s Cultural Revolution. How the Radi-
cal Left Conquered Everything (« la révolu-
tion culturelle américaine, comment la gau-
che radicale a tout conquis », Broadside
Books, 2023, non traduit), il affirme que la
gauche exerce une emprise complète sur
l’enseignement supérieur.
Les universités s’emploieraient, selon lui, à
diffuser des théories d’inspiration marxiste
et à réduire l’histoire des Etats-Unis au supré-
macisme blanc. L’hégémonie progressiste se-
rait totale au sein de la société, une « unité »
existant désormais entre « l’université, les
médias, l’Etat, l’entreprise ».
Joint par Le Monde dans l’Etat de Washing-
ton, où il réside, Christopher Rufo estime que
l’antisémitisme est une manifestation de
l’influence néfaste qu’exerceraient « des idéo-
logies postcoloniale et néomarxiste ». « La
gauche radicale vise la décolonisation com-
plète d’Israël et de l’Occident. Ce n’est pas
qu’une vue de l’esprit, juge-t-il. Elle souhaite la
destruction physique de toutes personnes con-
sidérées comme un oppresseur. »
« GUERRE CONTRE LE WOKISME »
« Christopher Rufo s’oppose à des phénomè-
nes réels, notamment la propension de la gau-
che à vouloir limiter le débat. Mais il n’est pas
crédible dans sa défense de la liberté d’expres-
sion. Son objectif est de remplacer une ortho-
doxie par la sienne », remarque Yascha
Mounk, professeur à l’université John Hop-
kins de Baltimore (Maryland), qui s’intéresse
autant aux dérives de la droite qu’à celles du
camp progressiste.
Qu’importe, Christopher Rufo est décidé à
« reconquérir » des institutions, comme il
l’écrit sur son blog. En janvier 2023, il rem-
porte une première « victoire » en prenant
part à ce qu’il a appelé un « putsch ». L’assaut
visait une université publique, le New Col-
lege, à Sarasota, dans le sud-ouest de la Flo-
ride. Sur nomination de Ron DeSantis, le
gouverneur républicain de cet Etat, Christo-
pher Rufo rejoint, le 6 janvier, le conseil du
New College en compagnie de cinq autres ad-
ministrateurs, des intellectuels de la droite
radicale ou des personnalités proches du
Grand Old Party.
Le militant se réjouit de cette décision sur
X : « Nous avons passé les murs d’enceinte et
nous sommes prêts à transformer de l’inté-
Les conservateurs et l’administration du troisième
Etat le plus peuplé des Etats-Unis se sont lancés dans
une reprise en main de l’enseignement supérieur au
nom d’une mission « contre-révolutionnaire »
destinée à briser l’hégémonie supposée de la gauche
dans les campus et à « défendre l’Occident »
rieur l’enseignement supérieur. » Deux ans
plus tôt, jour pour jour, des partisans de
Donald Trump s’introduisaient par la force
au Capitole à Washington pour contester la
victoire de Joe Biden à l’élection présiden-
tielle de 2020. Le gouverneur de Floride s’est
lancé dans « une guerre contre le wokisme »,
défini par son administration comme « la
croyance voulant que des injustices systémi-
ques existent toujours en Amérique et qu’il
faut y faire face ».
Le terme « woke » a cependant d’abord été
utilisé dans les années 2010 par la gauche
américaine pour désigner le nouveau mou-
vement de lutte contre l’oppression des mi-
norités, très présent sur les campus.
Ron DeSantis a fait du New College la vi-
trine des réformes qu’il a entreprises pour
mettre au pas l’enseignement supérieur, au
mépris de la liberté académique et de l’auto-
nomie de l’université. Dans son livre The
Courage to Be Free (« le courage d’être libre »,
Harper Collins, 2023, non traduit), il explique
que, peu après son élection, en 2018, il a de-
mandé à son équipe de dresser « une liste ex-
haustive de tous les pouvoirs constitutionnels,
statutaires et coutumiers du gouverneur »
afin de s’assurer d’utiliser « tous les leviers
possibles » pour faire avancer ses priorités. Le
New College, avec ses palmiers et ses terrains
bordant le golfe du Mexique, fait l’expérience
de cette gouvernance. L’INTENTION
Avant sa reprise en main à partir de jan-
vier 2023, cette institution d’élite, qui offre
EST DE REVENIR
une large autonomie à ses 700 étudiants, AUX FONDEMENTS
avait perdu de son prestige et vu le nombre
de ses inscriptions baisser. Les dortoirs de DE LA PENSÉE
briques grises dessinés par l’Américain Ieoh
Ming Pei (1917-2019), l’architecte de la Pyra- OCCIDENTALE
mide du Louvre à Paris, ont été fermés, à ET DE L’HISTOIRE
cause de la moisissure qui s’est installée. Une
situation qui a facilité l’OPA de la droite. DES ÉTATS-UNIS
Trois semaines après la nomination du
nouveau conseil d’administration et l’arri-
vée de Christopher Rufo, la présidente de
l’université, Patricia Okker, est démise de
ses fonctions. Professeure de littérature et
de français, Amy Reid, qui siège au conseil
en tant que représentante du corps profes-
soral, ne désarme pas pour autant : « Quand
cette opération a débuté, j’ai décidé qu’il était
de mon devoir de prendre la parole. Depuis,
j’y passe tout mon temps. » En vain, recon-
naît-elle cependant.
Richard Corcoran, ancien président de la
Chambre des représentants de Floride et pro-
che de Ron DeSantis, est nommé à la place de
Patricia Okker. Bien d’autres embauches à
connotation partisane ou idéologique vont
suivre, tandis qu’en avril 2023 la titularisa-
tion de cinq professeurs est refusée. Le dé-
partement d’études de genre, dirigé par Amy
Reid, est fermé en août.
L’Etat de Floride prend d’autres mesures
pour donner une nouvelle orientation à l’ins-
titution. Il augmente sa participation au bud-
get du New College de 15 millions de dollars
(13,75 millions d’euros). Le cursus universi-
taire doit être revu afin qu’il s’appuie davan-
tage sur les « grands livres », dont la liste reste
à établir. L’intention est de revenir aux fonde-
ments de la pensée occidentale et de l’his-
toire des Etats-Unis pour entretenir le récit
nostalgique d’une civilisation corrompue
par la décadence des temps présents et des
courants contemporains. A l’automne 2023,
un nouveau cours consacré à L’Odyssée est
dispensé à grands frais et s’accompagne,
pour les étudiants inscrits, d’un déjeuner of-
fert avant chaque séance.
Mais un climat de peur s’est installé et les
professeurs font attention à ce qu’ils disent.
« L’instabilité des derniers mois a été source de
stupéfaction et de crainte », explique Chris
Kottke, maître de conférences en mathéma-
tiques. Nicolas Delon, un professeur de phi-
losophie français arrivé au New College
en 2018, a préféré partir. « Lors de mon em-
bauche, j’ai découvert une petite institution
assez soudée, mais la Floride a changé. Je n’ai
pas eu envie d’avoir quelqu’un derrière mon
épaule qui me surveille. »
Il n’est pas seul à avoir pris cette décision :
Quelque 36 professeurs, soit un tiers des ef-
fectifs, ont quitté le New College au cours des
mois précédents. Un exode qui s’étend à l’en-
semble de la Floride. En juillet 2023, le quoti-
dien Tampa Bay Times, constate que les dé-
parts ont atteint, en 2022, des niveaux iné-
dits dans les universités publiques de l’Etat.
Ron DeSantis exulte : « Si vous êtes un profes-
seur d’études marxistes, ce n’est pas une perte
pour la Floride si vous partez. »
Les réformes du gouverneur du « Sunshine
State » (l’Etat ensoleillé) ont affecté les
douze universités publiques de Floride et les
400 000 étudiants qui les fréquentent. Ron
DeSantis a voulu faire de sa croisade contre le
wokisme un tremplin vers la Maison Blan-
che, sans y parvenir. Il annonce son retrait de
sa candidature, le 21 janvier 2024. Même si
l’investiture républicaine semble promise à
Donald Trump, l’extrême droite reste unie
dans son combat contre l’université. Elle va
jusqu’à vouloir dicter ce qui constitue, selon
elle, un discours scientifique légitime.
Ron DeSantis a obtenu l’adoption de diffé-
rentes lois, dont le Stop Woke Act, en
avril 2022, qui entend notamment interdire
l’enseignement de tous les sujets pouvant
susciter un sentiment de « culpabilité, d’an-
goisse ou toute autre forme de détresse psy-
chologique » à cause d’événements « surve-
nus dans le passé ». Plusieurs procédures ont
cependant été engagées depuis par des asso-
ciations de défense de la liberté d’expression,
des étudiants ou des professeurs pour con-
tester la légalité de certaines dispositions de
ce texte limitant la liberté académique, pour-
tant protégée par le premier amendement de
la Constitution américaine.
Sa mise en application complète est, pour
l’instant, bloquée par la justice. Un autre
texte a été adopté pour prendre le relais, le
« SB 266 », ratifié par Ron DeSantis lors d’une
cérémonie tenue en mai 2023 au New Col-
lege. Il proscrit certains cours du cursus obli-
gatoire à l’université : ceux qui abordent « des
théories selon lesquelles le racisme systémi-
que, le sexisme, l’oppression et les privilèges
sont inhérents aux institutions des Etats-
Unis ». Il accorde également de plus larges
pouvoirs aux présidents d’université et aux
conseils d’administration aux fins de refuser
0123
SAMEDI 27 JANVIER 2024
la titularisation d’un professeur ou de le ren-
voyer. Les instances qui devraient protéger
l’enseignement supérieur de l’interférence
du politique sont instrumentalisées. Ron
DeSantis s’en prend ainsi directement à
l’autonomie de l’université, telle que définie
en 1966 par la déclaration de l’Association
américaine des professeurs d’université, se-
lon laquelle il revient au corps professoral de
décider « du cursus, des thèmes abordés en
classe, des méthodes employées pour l’ensei-
gnement, des axes de recherche, du statut des
professeurs ». Depuis le début du XIXe siècle,
l’université moderne s’est peu à peu affir-
mée, l’Etat se bornant à un rôle de facilita-
teur. La droite ne croit plus en ce modèle et
tourne le dos au libéralisme politique.
L’offensive législative de Ron DeSantis est
aussi la traduction politique d’un backlash
(« retour de bâton ») de la droite, qui souhaite
en finir avec le courant Black Lives Matter.
Depuis son essor, au milieu des années 2010,
l’enseignement de l’histoire de l’esclavage et
de nouvelles approches concernant la ques-
tion raciale font l’objet d’un intérêt grandis-
sant dans les universités américaines.
L’administration de Floride a dans son vi-
seur l’« intersectionnalité » – le cumul de dif-
férents types de discrimination, par exem-
ple le sexisme et le racisme – et la théorie cri-
tique de la race – l’examen, par le prisme de
différentes disciplines, du racisme tel qu’il
continue d’exister au sein des institutions.
Si ces deux cadres théoriques suscitent de
rudes polémiques au sein de la recherche
américaine, les lois adoptées empêchent
même ceux qui voudraient les critiquer de
les aborder en cours.
POLITISATION CROISSANTE
Le texte « SB 266 » abolit, en outre, les servi-
ces d’aide à l’intégration des minorités. Est
ainsi ciblé ce que l’on désigne, aux Etats-Unis,
sous le sigle DEI – diversité, équité et inclu-
sion –, un dispositif dont l’influence a crû de
manière spectaculaire au sein de l’université
depuis le développement de #metoo et de
Black Lives Matter. L’objectif est de former le
personnel à l’antiracisme et de mieux inté-
grer les Afro-Américains ou toute personne
issue d’une minorité.
Honni par la droite, le DEI s’attire égale-
ment un nombre toujours plus important de
critiques venues de la gauche. La bureaucra-
tie mise en place dans plusieurs universités
demande, par exemple, aux scientifiques de
s’assurer que leurs travaux servent aussi des
objectifs de justice sociale et non unique-
ment la connaissance. En Floride, pourtant,
les professeurs que Le Monde a rencontrés
soulignent à quel point la communauté
noire continue d’être sous-représentée à
l’université. Kenneth Nunn, l’un des pion-
niers des African-American studies (« études
afro-américaines ») en Floride, s’indigne du
virage pris : « On nous dit que nous n’avons
pas le droit d’enseigner cette partie de l’his-
toire des Etats-Unis [celle liée à l’esclavage],
car c’est cause d’inconfort pour certains. Mais
quand se soucie-t-on de ce que peuvent ressen-
tir les Afro-Américains ? » Dans un tel con-
texte, il a préféré prendre sa retraite et vient
de quitter l’université de Floride, à
Gainesville, dans le nord de l’Etat.
Cette institution est l’une des plus connues
des Etats-Unis grâce à son prestigieux club
sportif multidisciplinaire, les Florida Gators.
Les matchs de l’équipe de football américain
font salle comble, avec un stade pouvant ad-
mettre plus de 88 000 personnes. Le campus
d’allure gothique, composé de bâtiments né-
oclassiques, accueille quelque 60 000 étu-
0123
SAMEDI 27 JANVIER 2024
CHRISTELLE ENAULT
diants. L’atmosphère studieuse des lieux est
toutefois gâchée par la politisation crois-
sante de la direction.
Une première affaire, en octobre 2021, a
profondément marqué les esprits : les auto-
rités de l’université ont refusé de permettre
à trois professeurs, Daniel Smith, Michael
McDonald et Sharon Austin, à comparaître
en tant qu’experts dans une action en jus-
tice intentée par diverses associations pour
contester les nouvelles lois électorales en
Floride, jugées discriminantes. Pour justi-
fier sa décision, l’université de Floride a fait
savoir que la participation de ses profes-
seurs à ce procès était « contraire à ses inté-
rêts », redoutant une dégradation de ses re-
lations avec l’exécutif de la Floride, qui tient
les cordons de la bourse.
QUERELLES SOCIÉTALES
Car si, dans le « Sunshine State », les étu-
diants des universités publiques paient les
frais d’inscription les plus bas des Etats-Unis,
les dirigeants d’établissement ont cons-
cience qu’ils dépendent du bon vouloir de
l’Etat et s’inquiètent de voir leurs équipes ir-
riter l’administration. « Ils devraient plutôt se
battre pour préserver l’indépendance de leur
institution », affirme Daniel Smith.
Avec ses deux collègues, il a saisi la justice
et une décision en leur faveur a été rendue,
en janvier 2022. Une procédure d’appel est
toutefois toujours en cours, l’université re-
fusant de prendre en charge leurs frais
d’avocats comme elle y a été condamnée.
Peu avant ce premier verdict, Kent Fuchs, le
président de l’université de Floride, a an-
noncé sa démission.
Mais la désignation de son successeur, plu-
tôt que de mener à l’apaisement, n’a fait
qu’ajouter à l’incompréhension, au terme
d’une procédure conduite en secret par un
conseil d’administration composé en majo-
rité d’hommes et de femmes d’affaires soute-
nant Ron DeSantis. C’est finalement Benja-
min Sasse qui a été retenu.
Ancien sénateur républicain du Nebraska,
opposé à Donald Trump, il détient un docto-
rat en histoire obtenu à l’université Yale
(Connecticut). Au moment de sa nomina-
tion, en novembre 2022, il déclare faire vœu
de « célibat politique » et quitte le sénat en
janvier 2023. Après s’être tenu à un étonnant
mutisme pendant de longs mois sur son pro-
jet pour l’université, il est désormais davan-
tage présent sur le campus et a commencé à
prendre position sur des sujets de société.
Janvier 2022 marque aussi le moment où
commence à prendre forme le Hamilton
Center for Classical and Civic Education, un
centre d’études et de recherche indépendant
mais établi au sein de l’université de Floride.
Le projet a été imaginé par une organisation
conservatrice peu connue, le Council on Pu-
blic University Reform (« conseil de la ré-
forme de l’université publique »), comme le
révèle le Miami Herald, le 13 juillet 2022.
Un lobbyiste et ancien directeur de cabinet
de Ron DeSantis, Adrian Lukis, a écrit à l’uni-
versité pour lui proposer de mettre sur pied
ce centre avec l’intention de battre en brèche
« la cancel culture et l’uniformité des opinions
des campus ». Le centre, dont la mission est
de soutenir l’enseignement et la recherche
portant sur les idées, les traditions et les tex-
tes fondateurs des civilisations occidentales
et américaines, est lancé en 2023, et William
Inboden, un historien auparavant en poste
dans une université du Texas, en prend la
présidence en juin, la même année.
William Inboden a déclaré au Monde tenir à
se distancier des polémiques suscitées par la
création du Hamilton Center et par les réfor-
mes entreprises en Floride. Et de rappeler
qu’en 2013 Janet Napolitano avait quitté l’ad-
LES ÉTATS ministration du président Barack Obama et
GOUVERNÉS PAR son poste de secrétaire à la sécurité inté-
rieure des Etats-Unis pour prendre la prési-
LES RÉPUBLICAINS dence de l’université de Californie, sans avoir
d’expérience dans l’enseignement supérieur.
JOUENT UN RÔLE- A Harvard, Claudine Gay aurait été nommée
présidente uniquement pour des raisons
CLÉ DANS idéologiques, comprendre, parce qu’elle est
LA REFONTE noire, selon ses détracteurs. « Au cours des
dernières décennies, de nombreux professeurs
DU CONSERVATISME de lettres et de sciences sociales ont claire-
ment adopté une identité politique », ajoute
William Inboden, qui estime que, pour cette
raison, les intellectuels conservateurs, en mi-
norité au sein de l’université, souffrent sou-
vent de discrimination.
De fait, l’ensemble de la droite exige de-
puis plusieurs années une plus grande di-
versité idéologique dans les campus. Dans
une Amérique soumise à de rudes guerres
culturelles et à d’insolubles querelles socié-
tales, une large part de l’élite intellectuelle
conservatrice reste convaincue qu’il faut
« défendre l’Occident contre ses ennemis au
sein de l’université », comme l’écrivait, en
novembre 2023, le bimensuel politique Na-
tional Review, titre historique de la presse de
droite aux Etats-Unis.
A gauche, certains dénoncent également
cette situation. « Les données démontrent que
les professeurs sont généralement de gauche,
ce qui n’est pas une bonne chose pour l’ensei-
gnement. Les étudiants doivent être exposés à
différents points de vue. Pour autant, les profs
ne sont pas des marxistes. Les deux tiers de
mes étudiants font carrière dans le consulting
ou la finance. Si j’étais marxiste, il faudrait ad-
mettre que je ne suis pas très convaincant »,
remarque Jonathan Zimmerman, spécialiste
de l’histoire de l’éducation et professeur à
l’université de Pennsylvanie. Poussé par ses
idées | 29
ambitions présidentielles passées, le gouver-
neur de Floride a mené ses réformes à grand
renfort de publicité. Plusieurs Etats acquis
aux Républicains – Texas, Iowa, Caroline du
Nord, Ohio, Dakota du Nord – en font tout
autant, sans attirer autant la lumière.
Pen America, une association de défense de
la liberté d’expression, remarque, dans un
rapport publié en novembre 2023, qu’« au
cours des trois dernières années les législa-
teurs de plusieurs Etats assaillent l’éducation
[tant l’école que l’enseignement supérieur]
d’ordonnances-bâillon, à travers l’adoption de
lois et de politiques limitant l’enseignement
portant sur des sujets tels que la race, le genre,
l’histoire américaine, et les identités LGBT+ ».
Un vaste appareil politique est à l’origine
de ce phénomène, souligne Steven Brint,
professeur de sociologie à l’université de Ca-
lifornie, dans une enquête publiée en
août 2023 par The Chronicle of Higher Educa-
tion. Différents think tanks de droite, tels la
Heritage Foundation, le Manhattan Insti-
tute, où travaille Christopher Rufo, le Gold-
water Institute, le Claremont Institute et
bien d’autres ont pris part, à des degrés dif-
férents, à ces initiatives.
De nombreux gouverneurs républicains re-
crutent du personnel dans ces organisations
pour rédiger des lois. Mais la volonté de re-
prendre en main l’université publique té-
moigne d’une réalité plus large : la conver-
sion au populisme des milieux politico-intel-
lectuels de droite.
En 2016, beaucoup d’entre elles n’avaient
pas encore fait la mue idéologique nécessaire
pour accompagner un candidat comme Do-
nald Trump à la Maison Blanche, et son ad-
ministration avait souffert d’un manque
d’effectifs. S’il parvient à se faire réélire lors
de la présidentielle de novembre 2024,
l’homme d’affaires devrait avoir moins de
mal à constituer ses équipes.
RÉGRESSION DÉMOCRATIQUE
Les Etats gouvernés par les Républicains
jouent à ce titre un rôle-clé dans la refonte
du conservatisme américain. Ils sont deve-
nus des « laboratoires contre la démocra-
tie », titre d’un livre paru en 2022 (Laborato-
ries Against Democracy, Princeton Univer-
sity Press, non traduit) et rédigé par Jacob
Grumbach, maître de conférences à la Gold-
man School of Public Policy de l’université
de Berkeley (Californie).
Cette polarisation a conduit Washington à
un blocage institutionnel. Le Congrès
tourne désormais au ralenti, si bien que les
Etats sont devenus « l’endroit le plus actif
dans la définition de politiques publiques. Et
pour s’assurer de garder le pouvoir, la droite
s’est mise à adopter des mesures restreignant
la participation aux élections », déplore
Jacob Grumbach.
C’est notamment le cas dans la Floride de
Ron DeSantis. Une loi y a été adoptée en 2023
pour imposer des restrictions aux associa-
tions aidant les citoyens à s’inscrire sur les
listes électorales. Depuis 2019, il est pratique-
ment impossible pour une personne con-
damnée par la justice de savoir si elle est
autorisée à prendre part à une élection dans
cet Etat. Ces mesures affectent d’abord les
Noirs et les Latinos, plus enclins à soutenir
les démocrates. Pour Jacob Grumbach, les at-
taques contre le vote et contre la liberté aca-
démique participent à un même phéno-
mène, une régression démocratique.
Amy Reid ne reconnaît plus tout à fait le
New College de Sarasota. Les professeurs de
l’université de Floride à Gainesville, eux,
gardent espoir que leur institution et les
autres universités publiques de l’Etat ne
connaissent pas un sort comparable. L’ave-
nir de l’agenda conservateur pourrait se
jouer lors de la présidentielle : une victoire
de Donald Trump en assurerait la poursuite
et le durcissement.
Dans une vidéo publiée en mai 2023,
l’ancien président des Etats-Unis affirmait
vouloir, lui aussi, reprendre le contrôle sur
les universités « dominées par des marxistes
maniaques et cinglés ». Son éventuel retour
au pouvoir fait craindre le pire pour l’avenir
de la démocratie dans le pays. Le 5 novem-
bre, le vote des Américains décidera égale-
ment de l’avenir de l’enseignement supé-
rieur, avec le risque de voir se mettre
en place dans les universités une cancel
culture d’Etat. p
marc-olivier bherer
30 | idées
Le souci de la natalité LE POISON DU RATIONALISME
n’est pas une lubie LIVRE
de l’extrême droite
ANALYSE
C UN NOUVEAU MONDE,
haque printemps, au
mois de mai, tandis que
les enfants peaufinent
colliers de nouilles et
poésies émues, il y a toujours
quelqu’un pour « rappeler » que la
Fête des mères est une invention
du maréchal Pétain. Il n’en est rien
(elle a été fixée par décret au qua-
trième dimanche de mai, à partir
de 1926), mais cette idée reçue a la
peau d’autant plus dure qu’elle
prospère sur un terreau favorable :
dans notre imaginaire politique,
tout ce qui a trait à la natalité est
spontanément associé à la droite
réactionnaire ou extrême.
Ainsi, lors de sa longue confé-
rence de presse du 16 janvier, il a
suffi qu’Emmanuel Macron con-
sacre deux minutes au sujet pour
que les esprits s’enflamment.
Mentionnant les récents chiffres
de l’Insee, qui décrivent une baisse
notable du nombre de naissances,
le président de la République a an-
noncé deux mesures visant à
aider celles et ceux qui voudraient
mettre au monde un enfant : la
création d’un « congé de nais-
sance » et un plan de lutte contre
l’infertilité. Les mesures en ques-
tion ne sont ni révolutionnaires ni
contraignantes, mais le seul mot
de « natalité », prononcé par le pre-
mier personnage de l’Etat, mettait
le feu aux poudres. Dans la presse
et sur les réseaux sociaux fleuris-
saient les commentaires outrés,
affirmant qu’Emmanuel Macron
reprenait à son compte les « obses-
sions » de l’extrême droite.
Effondrement de l’avenir
Or, si la natalité est bien un thème
structurant dans cette tradition
idéologique, elle ne lui appartient
nullement. Par le passé, des figu-
res politiques de toutes tendan-
ces ont fait d’elle leur préoccupa-
tion. En 2022, lors de la dernière
élection présidentielle, la plupart
des candidats, de gauche comme
de droite, proposaient des dispo-
sitifs pour aider les parents futurs
ou présents. Alors que le nombre
des naissances est descendu en
France à un niveau jamais connu
depuis la Libération, est-il si éton-
nant que les sommets de l’Etat
s’en inquiètent ?
A sa manière, l’écologiste San-
drine Rousseau a reconnu que
non. Le 18 janvier, fustigeant la
prise de parole d’Emmanuel Ma-
cron, elle écrivait sur X : « Nos uté-
rus ne sont pas une affaire d’Etat. Il
n’y a pas d’enjeu national à faire
des enfants. » Deux jours plus tôt,
sur ce même réseau, elle com-
mentait pourtant la baisse de
la natalité dans les termes sui-
vants : « Parce que nous sentons
tous et toutes que nous avons un
énorme problème d’avenir et que
personne au gouvernement ne
semble en prendre la mesure. »
Par ces mots, la députée écolo-
giste s’est inscrite dans une famille
de pensée qui transgresse les fron-
tières idéologiques, et qui envi-
sage l’essoufflement de la nata-
lité comme un effondrement de
l’avenir. Par-delà les enjeux démo-
graphiques et économiques, la
crise de l’enfance traduirait une
crise de l’espérance, autrement dit
l’impossibilité de se projeter vers
l’avant, de maintenir au loin un
PAR-DELÀ
LES ENJEUX
DÉMOGRAPHIQUES
ET ÉCONOMIQUES,
LA CRISE DE
L’ENFANCE TRADUIRAIT
UNE CRISE DE
L’ESPÉRANCE
COMMENT IMAGINER
PLUS DIGNE
ET PLUS JUSTE, SANS
FAIRE APPEL AUX
NOUVEAUX VENUS ?
horizon désirable. Un monde sans
enfants, n’est-ce pas un monde
mort ? Bien plus : comment imagi-
ner un nouveau monde, plus di-
gne et plus juste, sans faire appel
aux nouveaux venus ?
La philosophe Hannah Arendt a
exploré ces questions dans des pa-
ges magnifiques. « Nous sommes
devenus les témoins et les victimes
de terreurs bien plus atroces que la
mort – sans avoir pu découvrir un
idéal plus élevé que la vie », témoi-
gne, en 1943, celle qui a fui l’Alle-
magne nazie pour la France et
connaît le rude sort des réfugiés.
Parvenue aux Etats-Unis, elle fait
bientôt de l’enfant le garant de
tout futur. « Le miracle qui sauve le
monde (…) de la ruine normale,
“naturelle”, c’est finalement le fait
de la natalité. (…) C’est la naissance
d’hommes nouveaux, le fait qu’ils
commencent à nouveau », écrit
Arendt en 1958 dans The Human
Condition (Condition de l’homme
moderne, Calmann-Lévy, 1961).
Penser la politique, pour la théo-
ricienne, c’est penser l’action hu-
maine dans sa puissance et sa fra-
gilité. C’est donc se montrer atten-
tif à la succession des générations,
au surgissement de ces enfants
qui viennent au monde pour y in-
troduire du neuf. Qu’elle ne soit ja-
mais devenue mère, peu importe.
Arendt affirme que la natalité doit
être définie comme « la catégorie
centrale de la pensée politique ».
Enjeu politique crucial
S’ils relisaient ces textes, les fem-
mes et les hommes qui se récla-
ment du progrès cesseraient peut-
être de réduire le souci de la nata-
lité à une lubie vichyste. Cela ne se-
rait pas sans conséquence sur leur
vision du monde, leur capacité
d’agir. D’un point de vue social, ils
assumeraient que le système des
retraites par répartition ne peut
survivre s’il n’y a plus de jeunes
pour cotiser. D’un point de vue
écologique, ils reconnaîtraient
non seulement que la lutte contre
la catastrophe environnementale
concerne d’abord ceux qui vien-
nent après nous, mais surtout
qu’elle repose déjà sur eux. Et d’un
point de vue féministe, ils prête-
raient l’oreille aux penseuses qui
se réapproprient la grossesse, à
l’instar de la philosophe Camille
Froidevaux-Metterie. Celles-ci ne
nient nullement que le corps en-
ceint fut longtemps et reste en-
core souvent un lieu d’oppression.
Arrachant la natalité aux systèmes
de domination, elles n’en affir-
ment pas moins que la grossesse
peut devenir pleinement une ex-
périence d’émancipation.
On voit bien tout ce que cela
changerait. Quand le président de
la République prend la parole sur
la baisse de la natalité, il serait
toujours possible, ou urgent, de
critiquer son discours, d’en poin-
ter les failles et les ambiguïtés (les
accents martiaux de l’expression
« réarmement démographique »,
par exemple), de souligner l’inef-
ficacité des mesures proposées,
de redouter que les promesses
demeurent lettre morte, une fois
de plus (pensons seulement au
grand tournant écologique an-
noncé). Mais la natalité en tant
que telle serait enfin prise au sé-
rieux, reconnue comme un enjeu
politique crucial, puisque c’est ce-
lui de l’avenir même. Histoire de
ne pas jeter le bébé salvateur avec
l’eau du bain réactionnaire. p
jean birnbaum
E
ncore largement méconnue en
France, la philosophe australienne
Val Plumwood (1939-2008) est
pourtant l’une des figures majeures
de la pensée écologique de la fin du
XXe siècle. Seuls l’opuscule Réanimer la nature
et l’ouvrage posthume Dans l’œil du crocodile,
rassemblant diverses de ses réflexions nées de
sa survie miraculeuse à l’attaque d’un croco-
dile, avaient jusque-là été traduits en français,
respectivement par les Presses universitaires
de France et les éditions Wildproject. Mais les
deux maisons viennent de publier ensemble
la première traduction d’un texte majeur de
cette pionnière de l’écoféminisme.
Parue initialement en 2002, La Crise écolo-
gique de la raison est un ouvrage dense par la
taille, la rigueur et l’exigence de la pensée
foisonnante de son autrice qui voit dans le
rationalisme l’une des sources de la catastro-
phe écologique actuelle. Sa démonstration
est chirurgicale. Nous entraînant dans une
longue histoire des idées, elle dissèque les
principaux courants philosophiques occi-
dentaux et démontre comment, de l’Anti-
quité à l’époque moderne, s’est forgé un culte
de la raison qui a conduit, paradoxalement, à
la crise écologique. Paradoxalement, car
cette raison prétend œuvrer au progrès de
l’humanité et pouvoir, grâce à la science et à
la technologie qu’elle a développées, répon-
dre aux nouveaux défis écologiques qu’elle
aurait engendrés.
L’originalité de Plumwood n’est pas tant de
revenir sur la singularité occidentale du dua-
lisme nature-culture ; ce qu’a fait avant elle Ca-
rolyn Merchant, en 1990, dans La Mort de la
nature (autre texte majeur de l’écoféminisme
traduit par les éditions Wildproject en 2021).
Mais elle lie ce dualisme à une forme pervertie
de la raison : le rationalisme. L’ambition n’est
pas de rejeter la raison en tant que telle. Au
Laborieuse campagne | par serguei
PENSER LE TRAUMATISME DU 7 OCTOBRE 2023
LA REVUE DES REVUES
S ur la couverture, entièrement noire,
se détache une date : « 07.10.2023 ». Et
quelques mots, comme un serment,
qui se distinguent en blanc : « Penser mal-
gré tout. » « Penser avec tout, penser contre
soi, penser, penser, penser, pour ne pas lais-
ser le terrorisme nous prendre ça aussi », ré-
pète Antoine Strobel-Dahan, rédacteur en
chef de Tenou’a (« mouvement », en hé-
breu), revue dirigée par Delphine Hor-
villeur. La violence ne tue pas seulement les
corps, elle menace d’engloutir la raison.
Alors des « mots qui décrivent, qui tentent,
des mots qui soutiennent ou qui parfois hur-
lent » s’imposent, relève le journaliste.
« Je ne reconnais pas mon judaïsme, fait
dire la dessinatrice de BD Odélia Kammoun
à l’un des personnages. Il est devenu drama-
tique, chargé de traumatismes anciens. »
L’angoisse transpire au fil des pages,
comme celle de l’artiste Haran Kislev, qui a
survécu avec sa femme et ses enfants aux
LA CRISE
ÉCOLOGIQUE
DE LA RAISON
de Val Plumwood,
traduit de l’anglais
par Pierre Madelin,
PUF-Wildproject,
496 p., 28 €
contraire, Plumwood s’engage dans un vaste
chantier de sauvetage de cette même raison
tout en avançant que ce qui est valorisé
comme rationnel dans notre monde actuel
est, en fait, d’un point de vue écologique tota-
lement irrationnel.
Une nature ni passive ni muette
L’irrationalité du rationalisme s’exprime dans
la marchandisation de la nature et son corol-
laire, son exploitation sans limite, qui finis-
sent par détruire notre monde. Plumwood
montre comment l’argument de la raison, par
opposition à l’émotion, est avancé en politi-
que et en économie pour favoriser un système
qui n’interagit avec l’autre que dans des rap-
ports instrumentaux et de domination ; que
cet autre soit l’autre absolu, le non-humain, la
nature ou qu’il soit l’autre minoré, associé à la
nature, comme ont pu l’être les femmes et les
populations à coloniser.
En montrant comment le système libéral re-
pose sur une hypervalorisation de la sphère
rationnelle dont sont exclus les non-humains,
mais aussi les femmes (dites « émotives ») et
les populations dites « primitives », « à civili-
ser », Val Plumwood lie les questions écologi-
ques et sociales. Tirant des leçons des luttes
d’émancipation des femmes, des populations
racialisées et/ou colonisées, ainsi que de leurs
théories critiques, Plumwood dresse une ana-
attaques du Hamas dans le kibboutz de
Beeri, où ils vivaient. La colère affleure dans
le texte de Roni Fantanesh Malkai, Israé-
lienne d’origine éthiopienne et militante
communautaire : « Chers militants de
“Black Lives Matter”, nous, Israéliens, non
plus nous ne pouvons pas respirer (…). Nous
ne pouvons pas respirer lorsque nous som-
mes exposés aux massacres du 7 octobre.
Jewish Lives Matter too. » Le dégoût transpa-
raît, tel celui qu’exprime la sociologue Mira
Neshama Weil devant ce « war porn, un ter-
rorisme des images démocratisé, où chacun
a accès à un téléphone et à des réseaux pour
partager ce qu’il fait, ce qu’il voit. »
Reconnaître la souffrance de l’autre
Comment, observe Wajdi Mouawad, direc-
teur du Théâtre de la Colline, à Paris, « rester
humain dans un vent contraire si violem-
ment inhumain » ? Peut-être en commen-
çant « par agir sur [lui] et [se] demander, à
l’aune de la situation, qui [est-il] réellement.
Qu’est-ce que cette situation est en train de
0123
SAMEDI 27 JANVIER 2024
lyse extrêmement appuyée et convaincante
des « centrismes » et des pensées hégémoni-
ques. Ainsi, s’appuyant sur les critiques de
l’androcentrisme et de l’eurocentrisme, par-
vient-elle à mettre en lumière les rouages – et
les limites – de l’anthropocentrisme au cœur
de l’humanisme moderne et, de manière plus
large, de la culture occidentale ; ce qui a pour
conséquence de « réanimer la nature », c’est-à-
dire de reconnaître qu’elle n’est ni passive ni
muette. Mais elle est douée, elle aussi,
d’« agentivité ». Voire d’esprit…
Pour autant, Plumwood est lucide. Il ne
s’agit pas de tout niveler ou, ainsi que peuvent
le prôner certaines éthiques environnemen-
tales, d’élargir l’éthique – jusque-là réservée
aux humains – et d’y inclure certains non-hu-
mains qui le mériteraient. « Il n’est ni réaliste ni
prudent de viser à l’élimination de nos intérêts
[humains] lorsque nous faisons des choix éthi-
ques », écrit-elle. Mais « les humains ne sont
pas davantage condamnés à l’anthropocen-
trisme que les hommes ne sont condamnés à
l’androcentrisme ou les Blancs à l’eurocen-
trisme et au racisme », ajoute la philosophe qui
appelle à « appréhender simultanément les hu-
mains de manière écologique et les non-hu-
mains de manière éthique ».
Val Plumwood pose alors les conditions de la
possibilité d’une « justice interspécifique », la-
quelle repose sur des « conceptions du soi hu-
main et de la vertu humaine qui nous incitent à
privilégier le soin pour la planète ». Ainsi une
éthique écologique bien comprise ne viserait
pas à faire des entités du vivant des personnes
au même titre que les humains, car cela re-
viendrait, une fois encore, à n’accorder de va-
leur qu’à ce qui est apparenté aux humains.
Mais elle consisterait, au contraire, à reconnaî-
tre la multiplicité des statuts et des différen-
ces. Et à les valoriser en tant que telles, car elles
sont absolument nécessaires à la pérennité de
nos écosystèmes et de la vie sur Terre. p
séverine kodjo-grandvaux
faire de [lui] ? Comment est-elle en train de
[le] transformer ? » Dans ce dédale où la pen-
sée tente de se frayer un chemin face au dé-
luge des émotions, le plus difficile, relève la
psychanalyste Judith Toledano-Weinberg,
est de reconnaître la souffrance de l’autre,
« quand cet autre appartient au camp en-
nemi ». « L’autre qui souffre, poursuit-elle,
c’est le grain de sable dans le discours d’un
monde juste, c’est la preuve que le bien et le
mal sont difficiles à séparer et, partant, que
l’on n’est pas si sûr qu’il existe un camp du
bien absolu auquel on appartiendrait. »
Pour sortir du face-à-face entre deux
souffrances, conclut la psychanalyste,
« seule une pensée nuancée, une pensée qui
pense contre elle-même […] peut permettre
de sortir du déni, et d’accéder à un dialogue,
peut-être éphémère, peut-être imparfait,
mais à un dialogue quand même ». p
virginie larousse
« Penser malgré tout », « Tenou’a » no 194,
hiver 2023-2024, 10 €.
0123
SAMEDI 27 JANVIER 2024
CULTURE | CHRONIQUE
p a r m iche l gue r r in
Sylvain Tesson
et le monde culturel
L LE CENSEUR
a polémique est assez
pitoyable mais elle porte
un enjeu lourd. Dans une
tribune, des profession-
nels de la culture demandent à la
direction du Printemps des poètes
de « renoncer » au choix de Sylvain
Tesson comme parrain de la
25e édition, du 9 au 25 mars. L’écri-
vain-voyageur serait réaction-
naire. Il tutoierait l’extrême
droite. En réponse, les pétitionnai-
res sont traités de censeurs ou de
« cafards ». Vous voyez le niveau…
Corrigeons. Les auteurs de la
tribune, publiée dans Libération
vendredi 19 janvier, ne sont pas
vraiment des censeurs – ils n’ont
pas ce pouvoir. Ils font parler
de poésie, ce qui est déjà pas mal.
Ils réussissent aussi l’exploit de
victimiser Sylvain Tesson, qui
pourrait les remercier, si tant est
qu’il en ait besoin.
Car le profil de l’écrivain a déjà
été bien cerné, il y a quatre ans,
par une longue enquête de L’Ex-
press, titrée « L’icône réac » (26 fé-
vrier 2020), puis dans le livre En-
quête sur l’extrême droite littéraire
(Seuil, 2023), du journaliste Fran-
çois Krug. Soit un homme qui fuit
la modernité, la technique, les
écrans, le consumérisme, la mon-
dialisation. Qui aime lire le con-
troversé Ernst Jünger, qui a fré-
quenté l’écrivain raciste Jean Ras-
pail ou la figure de la Nouvelle
Droite Dominique Venner, qui
avait son rond de serviette à Ra-
dio Courtoisie. Tesson goûte peu
l’islam, défend la chrétienté
comme civilisation, en Orient
comme en Arménie. « J’aime dia-
loguer avec les infréquentables »,
répond-il. Ajoutons qu’il lit
mieux dans les plis du paysage
que dans les yeux des dirigeants.
Il a étendu sa fascination pour
les grands espaces russes à son
président. Dans Berezina (Guérin,
2015), il a cette phrase : « Nous ren-
trâmes en Biélorussie comme une
lame de sabre russe dans le gras
d’un Ukrainien. » Depuis l’inva-
sion de l’Ukraine, en 2022, il
donne dans la résipiscence.
Lors d’un forum du Figaro, le
1er juillet 2023, il confie qu’il voyait
en Vladimir Poutine « un rédemp-
teur, une incarnation de la contes-
tation de toutes les mutations mo-
dernes, cybernétiques, progressis-
tes que l’Europe américanisée était
en train de vivre ». Il conclut : « Je
me suis trompé beaucoup. »
Tout cela ne freine en rien le
phénomène de librairie, depuis
son arrivée chez Gallimard, dans
la prestigieuse collection Blan-
che, en 2011. Cinq cent mille
exemplaires pour La Panthère
des neiges, prix Renaudot, livre le
plus vendu de 2019, mieux que la
moyenne des Goncourt. Son der-
nier opus, Avec les fées (Editions
des Equateurs, 224 pages,
21 euros), sorti le 10 janvier, figure
en tête des ventes à côté de ro-
mances.
Le décalage est vertigineux en-
tre le débat sur l’homme et la joie
des lecteurs dans l’œuvre, recru-
tés à droite, à gauche, surtout
ailleurs, captivés par son sens du
pleinairisme, son romantisme
rugueux face à la verticalité de
l’Himalaya ou l’horizontalité des
steppes d’Asie centrale. Tesson
fait ce que des milliers de gens
aimeraient faire : partir loin sans
date de retour. Et comme il est
SA POPULARITÉ
FOLLE L’A FAIT
PARRAIN
DES POÈTES.
IL EN RÉCOLTE
UNE ÉTIQUETTE
DE FACHO
0123 | 31
IMMIGRATION : LE
JEU DANGEREUX
D’EMMANUEL statuer en dernier ressort sur les demandes
d’asile. Quant au fameux article facilitant la
oublier le vote de ses élus avec l’extrême
droite et jeter en pâture les élus LR, ni ces
MACRON régularisation des travailleurs sans papiers, derniers, qui ont perdu leur âme – et pres-
il a aussi survécu, n’étant pas inclus dans le
recours au juge constitutionnel des députés
de gauche qui l’avaient pourtant combattu.
que rien apporté au texte final – en repre-
nant des mesures inspirées par l’extrême
droite comme la « préférence nationale »,
Mais la reconnaissance du caractère non ne sortent indemnes du terrible et vain
constitutionnel de presque toutes les mesu- « crash-test » de la loi sur l’immigration. Pas
res introduites par les élus de droite Les Ré- plus que la gauche, dont le refus de débat-
publicains (LR) et adoptées par la majorité tre, manifesté par son vote de la motion de
D’AUJOURD’HUI présidentielle reflète au minimum, chez rejet à l’unisson de Marine Le Pen, traduit
cette dernière, le cynisme politique et l’in- les ambiguïtés et la panne d’idées.
POURRAIT DEVENIR différence aux règles parlementaires. Au Une loi brouillonne aux effets potentiels
LA VICTIME pire, elle traduit le mépris pour des princi-
pes républicains de base comme le droit du
minimes, une majorité abîmée après des
mois de controverses sur les thèmes de
DE DEMAIN suite de la première page sol – remis en cause dans le texte voté –, et prédilection de l’extrême droite, des juges
l’égalité devant la loi – malmenée pour le constitutionnels qui ont limité les dégâts
Emmanuel Macron, en faisant passer l’exi- bénéfice de prestations sociales. mais sont désormais en position de boucs
excellent à l’oral, il multiplie les gence d’un accord avec la droite sur le pro- Certes, les dispositions qui visaient à re- émissaires… Qui peut se réjouir d’un si piè-
conférences à guichets fermés. jet de loi Darmanin avant l’exemplarité mettre en cause ces valeurs fondamentales tre bilan, mis à part la cheffe du Rassem-
Sa popularité folle l’a fait parrain constitutionnelle attachée à sa fonction, a ont été censurées non après un examen au blement national, qui rêve de monter « le
des poètes. Il en récolte une éti- transformé le nécessaire débat sur l’immi- fond, mais parce qu’elles constituaient des peuple » contre « les juges » et de faire sau-
quette de facho – sans un mot sur gration en une partie de billard politique de « cavaliers législatifs », sans « lien même in- ter les garde-fous constitutionnels et euro-
l’œuvre – au motif que cet hon- court terme aux lendemains inquiétants. direct » avec le projet de loi initial. Mais péens pour légaliser la discrimination et la
neur aboutit à banaliser l’ex- En apparence, bien sûr, l’exécutif peut comment aurait-il été possible de justifier xénophobie, défigurer la République et
trême droite. L’intéressé répond crier victoire : le Conseil constitutionnel a que de nouveaux obstacles posés à l’accès à discréditer l’image de la France ? A la veille
que réac, il veut bien ; mais ex- épargné presque toutes les dispositions du la nationalité et à des allocations, pour des de la campagne des élections européen-
trême droite, il trouve l’accusa- projet de loi initial préparé par le ministre étrangers en situation régulière, allaient nes, prévues en juin, le petit jeu du chef de
tion « aberrante et insultante » de l’intérieur, comme la fin de certaines permettre de « contrôler l’immigration » ou l’Etat sur l’immigration apparaît comme
(L’Express du 18 janvier). protections et possibilités de recours contre d’« améliorer l’intégration », objectifs offi- un gros cadeau aux forces qui spéculent
Le métissage entre l’homme les éloignements forcés d’étrangers (réta- ciels du texte ? sur l’affaiblissement de l’Etat de droit, le
Tesson et son œuvre crée un al- blissement de la « double peine ») et l’ins- En réalité, ni l’exécutif, qui s’est servi du discrédit des institutions et la défiance à
liage complexe, fascinant et ma- tauration controversée du juge unique pour Conseil constitutionnel pour tenter de faire l’encontre des politiques. p
laisant, qui exaspère les fans des
frontières nettes et attire les
autres. Jack Lang est de ces der-
niers. L’ancien ministre de la
culture, qui adorait fréquenter les
artistes indociles et dangereux,
dénonce aujourd’hui le « créti-
nisme » de la tribune anti-Tesson.
Réflexe de l’entre-soi
L’écrivain Nicolas Mathieu, tout
autant marqué à gauche, confie
deux choses sur son compte Ins-
tagram : il admire nombre de li-
vres d’auteurs de droite ; il a pu
s’entendre à merveille avec des
gens dont il réprouvait les idées et
être exaspéré par d’autres de son
camp. Il aurait pu adhérer à cette
définition écrite dans la tribune
anti-Tesson : « La poésie est une
parole fondamentalement libre et
multiple. » Les signataires seraient
sortis forts s’ils avaient poursuivi
ce chemin : nous nous opposons
aux idées de Sylvain Tesson, mais
nous défendons sa nomination
au nom de cette liberté. Au con-
traire, ils délivrent les brevets de
la création juste et de l’infâme. Il
faut leur ressembler, être du camp
du progrès pour faire une bonne
poésie. A ce jeu dangereux, le cen-
seur d’aujourd’hui pourrait deve-
nir la victime de demain. L’ex-
trême droite n’attend que cela.
Ce réflexe de l’entre-soi, dont
le secteur culturel est régulière-
ment accusé, et qui le fragilise,
traduit une inquiétude existen-
tielle. Les acteurs de la culture,
très majoritairement de gauche,
sentent leur monopole menacé
dans un pays où l’extrême droite
est aux portes du pouvoir, où les
troupes médiatiques du très droi-
tier et identitaire Vincent Bolloré
jouent l’opinion contre eux, où
leur ministre, Rachida Dati, est
perçue comme hostile. Alors ils
serrent les rangs et préparent
les batailles de demain.
Mais ils font du tri. Il est aisé de
dénoncer Emmanuel Macron
comme le destructeur de culture
et Sylvain Tesson le réac, mais
rarement Vincent Bolloré, sans
doute parce qu’il est le proprié-
taire de Canal+ et donc le premier
financeur du cinéma. Plus large-
ment, les créateurs s’évertuent
peu à dénoncer publiquement le
parcours, disons problématique,
de tel ou tel mécène de leurs arts
respectifs. Et on attend toujours
une tribune sur le rappeur
Booba, qui, avec des mots d’une
AU BORD
violence inouïe, insulte, menace, Guerres en Europe et au Proche-Orient, crises permanentes en France, catastrophes
relaie des thèses complotistes écologiques à répétition sur la planète, l’inquiétude générale monte en 2023 au sein
des populations, témoins d’un monde de plus en plus au bord du précipice.
DU PRÉCIPICE ?
sur son compte X aux six mil-
lions de followers.
Pour mieux mesurer l’état de cette peur collective, le Bilan du Monde dresse l’état des lieux
Récemment, un bon artiste
dont on taira le nom, à qui nous
des 198 pays du globe après une année d’épreuves et d’événements locaux et globaux.
citions Le Mage du Kremlin, ro- Une publication indispensable pour comprendre le monde d’aujourd’hui et revisiter
man à succès de Giuliano da Em- l’année 2023.
poli, nous a coupé avec ces mots :
« Ça ne vous dérange pas de lire un Vient de paraître chez votre marchand de journaux et sur lemonde.fr/boutique
réac prorusse ? » Empoli fut con-
seiller de l’ancien président du
conseil Matteo Renzi. Un « macro-
niste italien ». Donc réac. CQFD. p