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"Economie populaire, territoires et développement à

Madagascar : les dimensions historiques, économiques et


socioculturelles du fokonolona. Etude de cas : la commune
rurale de Masindray et la commune urbaine d'Anosibe"

Andriamanindrisoa, Emmanuelle

ABSTRACT

Lire le secteur informel en termes d'économie populaire éloigne l'approche purement économique qui
relie le secteur informel avec les problèmes de la pauvreté de masse et aide à prendre en considération
d'autres dimensions de l'économie populaire comme expression matérielle de l'ensemble des pratiques
populaires. La lecture du secteur informel a beaucoup évolué depuis les années 70. Ce concept est utilisé
pour la première fois dans les années septante par le BIT sur les réalités de pauvreté de masse des pays
du Sud comme au Kenya, en Colombie, à Sri lanka, et en Indonésie. Réalités auxquelles les gens se sont
adaptées en pratiquant des activités économiques " de survie " avec des moyens dérisoires. Ces activités
que l'on interprète de secteur informel ont suscité des réactions de la part des observateurs occidentaux
que les observateurs des pays du Sud, dans l'idée qu'il faut les intégrer dans le secteur moderne car
elles n'obéissent pas à des règles déterminées ou qui n'a pas de caractère officiel. Elles sont pratiquées
généralement par les populations démunies donc les pauvres, mais elles sont aussi pratiquées par la
classe moyenne qui a vu régresser son pouvoir d'achat. Tout cela dans un contexte de la crise de la
modernisation qui a débuté vers la fin des années soixante. L'objectif de cette recherche est d'appliquer
la lecture en terme d'économie populaire au cas de Madagascar dont l'axe se situe dans la continuité de
l'économie populaire et existence des éléments de longue période qui ont constitué les bases de ...

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Andriamanindrisoa, Emmanuelle. Economie populaire, territoires et développement à Madagascar : les


dimensions historiques, économiques et socioculturelles du fokonolona. Etude de cas : la commune
rurale de Masindray et la commune urbaine d'Anosibe. Prom. : Peemans, Jean-Philippe http://
hdl.handle.net/2078.1/4846

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Chapitre V

Le fokontany de Tsarahonenana dans la


commune rurale de Masindray : la société rurale et
les pratiques populaires

1- Historique de la commune rurale de Masindray

La commune rurale de Masindray d’une superficie de 76 km² est située à 26,5km


au sud-est de la capitale et fait partie du fivondronam-pokontany Antananarivo
Avaradrano1. Elle se limite à l’ouest par la commune rurale d’Alasora, au Nord-Est
par la commune rurale d’Ambohimanambola, au sud par la commune rurale
d’Ankadinandriana, à l’est par la commune rurale d’Alarobia Ambatomanga et au
nord-ouest par la commune rurale d’Anjeva. Masindray est composé de 11
fokontany dont Tsarahonenana, constitué de sept villages2. La commune
d’Ambohimanambola est la plus proche de la capitale et située à 6km de
Masindray.
Nous avons choisi le fokontany de Tsarahonenana pour représenter la commune de
Masindray. La population du Tsarahonenana est recensée au nombre de 1178
habitants, avec une densité moyenne de population de 3 habitants par km². Le
fokontany de Tsarahonenana se trouve au nord-est de la commune de Masindray. Il
est composé de sept villages dont Ambohindava, Ambohirohy, Ambodiriana,
Maheninarivo, Ankadivory Ampitorahona et Tsarahonenana3.
D’après les traditions orales, la circonscription de Masindray a été dominée par
plusieurs groupes de notables andriana d’origine différente à l’époque royale.
Chaque groupe d’andriana voulait conquérir l’ensemble des villages avoisinants
pour étendre sa domination d’où les guerres intestines qui ravageaient tous les
villages.
D’une part, les vaincus étaient obligés de quitter Masindray en vendant leurs biens
aux esclaves, andevo et émigrèrent dans la région du Moyen Ouest, à
Trsiroanomandidy où ils créèrent un autre village dont le nom reprend celui de
Masindray. Ceux-ci ont définitivement quitté Masindray.
D’autre part, les vainqueurs restés sur place ont dû partir pendant la période
coloniale à cause de l’indigénat qui était trop dur. Ils ne vendirent pas leurs biens
1
Andrianampoinimerina divisa l’Imerina en six toko, parties et fit d’Avaradrano la caste la plus ancienne et
instaura l’Amboara (bois très dur utilisé pour faire les cercueils des Rois et aussi souvent employés pour attacher
les bœufs). Les six divisions de l’Imerina étaient Avaradrano, Vakinisisaony, Marovatana, Ambodirano,
Vonizongo et Vakinakaratra.
2
La Commune rurale de Masindray est composée de onze fokontany : Tsarahonenana, Antsaharoaloha,
Miadamanjaka II, Aminampanga, Ivoara, Faliarivo, Masindray Tànana, Manazara, Antanamalaza,
Antanimenabe, l’étendue de la superficie est de 42 km².
3
Registre du recensement de la commune rurale de Masindray.

1
mais laissèrent leurs terres au soin de leurs serviteurs, d’où la présence massive des
descendants des serviteurs sur place4.
A l’époque royale, le village d’Ambohindava fut occupé par des groupes de
notables riches appelés olom-potsy5ou andriana. Ces notables faisaient
essentiellement du commerce de zébus ou dabokandro dans la région de Betsileo6.
Pendant leur absence, les serviteurs s’occupaient de leurs biens, leurs habitats,
l’agriculture et l’élevage. Ces villages sont situés sur les amonts, faciles à protéger
contre les envahisseurs, par le creusement des fossés tout autour du village,
caractéristique des villages des Andriana.
Ces nobles riches propriétaires du village d’Ambohindava avaient choisi de vivre
dans les pays betsileo à cause des conditions physiques et climatiques plus
favorables qu’à Ambohindava, où ils pouvaient être maîtres de la région grâce à
leur titre de famille noble comme officiers chargés de l’expédition dans le pays
betsileo, un moyen pour conquérir de nouvelles terres.
En guise de reconnaissance envers leurs serviteurs, ils leurs donnèrent des parcelles
de terres à cultiver et des terrains à bâtir. Les principales occupations étaient
l’agriculture et l’élevage (essentiellement des bœufs, moutons et des volailles). Le
commerce des tubercules au marché d’Anjeva vient après l’agriculture et l’élevage.
Toutefois, leurs habitations n’avaient pas été attribuées pour leur retour à
Ambohindava. De ce fait, ce sont essentiellement les descendants des serviteurs qui
occupent actuellement le village et c’est d’ailleurs la base de la population
d’Ambohindava7.
Le village de Maheninarivo fut occupé par la famille d’un seigneur appelé
Andriamaheninarivo à l’époque royale. Celui-ci était le frère des 6 autres seigneurs
qui dominaient la région d’Ambohimanambola. Comme tous les autres nobles,
Andriamaheninarivo avait la famille Andrianovitsy, serviteur royal pour s’occuper
de leurs biens. Mais à l’arrivée des colonisateurs, il perdait ses serviteurs.
L’obligation de la corvée de 10 à 30 jours par mois avait poussé la famille princière
à quitter le village et à vendre ses terrains aux serviteurs qui sont les ascendants des
populations du village de Maheninarivo et des autres villages8.
À l’époque coloniale, la population du fokontany, participait obligatoirement à la
construction de la voie ferroviaire Tananarive-Côte Est, subissait fortement le
système de l’indigénat avec la corvée obligatoire, payait les impôts. La commune
de Masindray contribuait à l’effort de guerre, comme les autres communes lors de
la Seconde Guerre mondiale d’où l’insuffisance de la nourriture chez les paysans à
cause de l’exportation du riz vers la France. Pour survivre, il fallait cacher la
nourriture sinon elle était ramassée par les autorités coloniales.
La commune était aussi le théâtre de la répression après l’insurrection de 1947. Les
personnes âgées se souviennent que les paysans se cachaient dans les lavabary,
réserve du riz sinon dans les herana buissons pour éviter les Sénégalais ayant reçu
l’ordre d’éliminer les « traîtres », c’est-à-dire ceux qui étaient en contact avec les
partisans de l’insurrection.

4
Source : Maire actuel de la Commune de Masindray.
5
Olom-potsy traduit littéralement la peau claire de la personne issue de la famille noble ou andriana.
6
Le pays betsileo dont la capitale est Fianarantsoa, se trouve au Sud d’Antananarivo.
7
Source : interview de M. Randriamora, 103 ans, habitant du village d’Ambohindava.
8
Source : l’ancien PCLS de Tsarahonenana.

2
L’accession de Madagascar à l’indépendance en 1960 annonçait une nouvelle
perspective, loin de la pression coloniale. La population s’est remise à ses
principales occupations, à savoir l’agriculture, l’élevage et les autres activités
complémentaires comme le petit commerce et les activités artisanales.
A cette époque, selon les vieux paysans, la population paysanne n’avait pas
vraiment à se plaindre car tout ce dont elle avait besoin était accessible et à des prix
raisonnables. Seuls les impôts9 étaient exorbitants et encore en application après
l’indépendance.
Rakotozafy Edouard, 72 ans évoque que :

« L’obligation des impôts était la misère pour les gens pendant l’époque coloniale
et lors de la première république. Si le paiement d’impôt avait toujours continué
encore jusqu’à nos jours, nous serions encore et davantage plus pauvres. Depuis
cette époque, les gens n’ont aucune confiance envers l’Etat »10.

Rakotojaona, 70 ans, explique la même chose :

« J’ai remarqué qu’avant, on peut dire que les gens vivaient bien. Le pouvoir
d’achat était moyen. Les gens n’étaient pas dans les difficultés et tout le monde
s’entend bien, se respecte des plus petits au plus grands. Maintenant, on ne sait
vraiment plus rien. Les gens deviennent différents, on arrive même à dire qu’il n’y
a plus de confiance. Le niveau de vie a fortement baissé. La majorité des paysans
sont dans la difficulté où ils sont obligés de vendre leurs biens pour réaliser un
projet ou encore s’endetter. Alors, ils sont plus acquittés de leurs dettes. S’ils
arrivent à s’en débarrasser, d’autres endettements viennent s’ajouter. Pendant un
certain moment, quelques personnes sont devenus usuriers. C’est une pratique qui
n’a pas pu tenir longtemps du fait qu’elle a provoqué des problèmes au niveau du
village. Les relations sociales ont failli être coupées. C’est le fokonolona qui est
intervenu pour régler le problème car sinon la famille qui a emprunté se retrouvait
sans rien pour s’acquitter de ses dettes. C’est honteux. Désormais personne n’a
plus le droit d’être un usurier par contre on peut louer les terres »11.

Masindray a été frappé par la crise comme l’ensemble du pays dans les années
1980. Cette crise s’est manifestée en milieu rural par l’insuffisance du riz.
Exportateur du riz jusqu’en 1972, Madagascar est devenu importateur de riz. La
production nationale n’arrivait pas à satisfaire les besoins en riz à cause de la forte
baisse de la productivité, dûe au départ massif des sociétés d’exploitations rizicoles
étrangères, suite à la politique de nationalisation des entreprises au début des années
1970. Le riz importé ne couvrait pas la demande nationale. Le manque touchait les
produits de première nécessité comme le sucre, l’huile, le pétrole à lampion, savon
qui n’étaient plus approvisionnés régulièrement mais par l’intermédiaire des
spéculateurs qui faisaient régner le marché parallèle, risoriso. À Masindray comme
partout ailleurs, les paysans ont souffert de cette crise.

9
Impôt de capitation karatra isan-dahy, à payer par les hommes en âge de travailler et impôts sur les
bœufs karatr’omby qu’il faut payer tous les ans.
10
Voir Annexes, n° 26.
11
Voir Annexes, n° 98.

3
Afin de faire face à la prolifération du risoriso, le fokonolona se réunissait et
décidait de créer une association des paysans du nom de Famonjena dont le siège se
trouvait à Ambohindava pour lutter contre l’insuffisance du riz et des produits de
première nécessité. La recette de cette association était constituée par la cotisation
de ses membres afin de se procurer des produits dans la capitale. Le ravitaillement
par ce moyen s’est fait jusqu’à ce que l’association fût remplacée par la
KOPAREMA12 pour la distribution officielle du riz principalement. Cette
coopérative fonctionnait dans le cadre du clientélisme politique, car seuls les
membres actifs du parti AREMA13 bénéficiaient du bas prix du riz subventionné par
l’Etat, ce qui excluait les paysans non membres dans leur propre village. Un conflit
s’installait alors car l’initiative paysanne était récupérée par l’Etat à son détriment.
Pour bénéficier de cet avantage, les paysans devaient adhérer à la coopérative, ce
qui les obligeait indirectement à devenir membres du parti.
Les coopératives étaient gérées essentiellement par le président du fokontany,
désigné par les autorités centrales pour être leur porte parole et l’exécuteur des
décisions prises au sommet. C’est lui qui faisait la pression sur le fokonolona.
Les ménages ruraux bénéficiaient le moins de ce réseau de distribution. Selon
l’enquête du MPARA de 1982/1983 pour les ménages ruraux dans les principales
régions productrices du riz, la consommation moyenne de riz distribué
officiellement n’était que de 4 kilogrammes par habitant14. Au contraire , la
moyenne élevée de riz par habitant distribué officiellement dans les zones urbaines
(121 kilogrammes par habitant), absorbait pratiquement tout le riz dans le système
de distribution officielle, ce qui signifiait que la consommation moyenne par
habitant de riz distribué officiellement était presque nulle pour les ménages
ruraux15.
Dans les années quatre vingt, les paysans ont modifié leurs habitudes alimentaires
en associant le riz avec des tubercules. Toutes les familles paysannes étaient
confrontées à cette situation d’insuffisance du riz.
Razafimanantsoa 45 ans, explique la façon dont les paysans vivaient pendant les
crises des années quatre vingt :

« Au temps de Ratsiraka, les paysans ont vraiment souffert à cause de la crise du


riz alors que les paysans cultivent du riz. Nous avons changé de nourriture : le
matin nous mangeons du manioc ou café avec de mofo gasy, le déjeuner se limite
au manioc et le soir nous prenons du vary soa si nous trouvons du riz. En tout cas,
nous mangeons beaucoup de tubercules entre les repas comme le manioc, patates
douces et saonjo. La crise a touché aussi les produits de premières nécessités
comme le sucre, la bougie, l’huile. Ces produits étaient absents dans les petites
boutiques et pour en trouver, il fallait acheter à prix fort au marché parallèle.
Nous n’avons pas connu ce genre de vie avant l’entrée de risoriso à la campagne.

12
La KOPAREMA est la coopérative du parti présidentiel AREMA, instaurée dans tous les fokontany en
villes et dans les campagnes pour approvisionner officiellement en produits de première nécessité et en
riz, en priorité les ménages de leurs partisans.
13
Les non partisans de l’AREMA ne bénéficient pas de ce privilège. Il s’agit de privilège car les prix des
articles vendus sont nettement inférieurs à celui des articles en vente aux marchés.
14
Banque des Données de l’Etat, 1988.
15
DOROSH P. A. & BERNIER R. E et SARRIS A. H., L’ajustement macroéconomique et les pauvres :
le cas de Madagascar, Programme d’action en matière d’alimentation et de nutrition de l’Université de
Cornell, Whashington, Monographie 9, décembre 1990, pp. 99-101.

4
C’est pourquoi, nous préférons manger peu que de ne rien manger, selon les
dictons des anciens. Mais nous ne nous engageons pas à enrichir les autres à notre
16
détriment » .

Les paysans préféraient changer leur habitude alimentaire plutôt que d’entrer dans
un système qui les piégeait davantage.
On est amené à interpréter cette attitude comme une forme de résistance de leur
part. Les gens mangent du riz quand ils en trouvent. Seules les familles qui
possèdent beaucoup de terres sont à l’abri du problème de riz. C’est dans ce sens
que les paysans continuent à pratiquer leurs activités complémentaires et les
dérivées des activités agricoles de l’économie populaire pour assurer leur
subsistance, avec peu de moyens face à l’inflation et la flambée des prix, y compris
celui du riz. Malgré cette pression de l’Etat qui cherchait à récupérer les initiatives
paysannes en les utilisant à leur détriment, les paysans sont restés là et ont continué
d’exister grâce à leur attitude de résistance.

2- Données et caractéristiques socio-économiques de la commune de


Masindray : aspects généraux

Tableau.9. Données socioéconomiques du fokontany de Tsarahonenana


Villages Ecoles CSB17 Eglise Maisons18 Epicerie Electricité Interdits

Ambohindava 1 0 0 27 occ 1 0 élevage


prim porcin
aire 3 non-occ

Amboarohy 0 0 0 3 occ 0 0 Idem

Ambodirina 0 0 0 4 occ 0 Idem

Ampitorahona 0 0 0 2 occ 0 0 Idem


2 non-occ

Maheninarivo 0 0 0 6 occ 2 0 Idem


2 non-occ

Ankadivory 0 0 0 5 occ 0 0 Idem

Tsarahonena- 0 0 1catho 1 occ 1 0 Idem


na
1protes

Total 1 0 2 49 4 0

Source : Enquête sur Masindray, mars 2001.

16
Voir Annexes, n° 45.
17
CSB : Centre de Santé de base.
18
Occ : occupées ; non-occ : non- occupées.

5
Tableau.10.Autres indicateurs socioéconomiques de la commune de
Masindray
19 940 Tonne
Production en riz
Superficie en riz 470 Ha
Rendement en riz 2.29 T/Ha
Disponibilité en riz 17 Kg/hab/an
Déficit en riz 145 Kg/hab/an
Production en tubercules 1364 Tonne
Superficie en tubercules 196.7 Ha
Production en légumes et céréales 1588 Tonne
Superficie en légumes 89.2 Ha
20 11 Nombre
Nombre d’établissement primaire (privé et public)
Nombre de kilomètres bitumés 0 Km
Nombre d’élèves primaires 1 098 Nombre
Nombre d’élèves secondaires 161 Nombre
Densité de la population 159 Hab/km²
21 12 085 Nombre
Effectif de la population
Nombre d’établissement secondaire (privé et public) 1 Nombre
Source : Enquête sur la commune rurale de Masindray, mars 2001.

Ces deux tableaux nous informent sur la quasi-inexistence des infrastructures


« modernes » les plus élémentaires pour le « bien-être » de la population du
fokontany, (insuffisance d’école primaire, manque de centre de santé, l’inexistence
de l’électricité et l’inaccessibilité à l’eau potable) alors qu’une station électrique et
hydraulique de la JIRAMA d’Ambohimanambola se trouve à 6 km de Masindray.
Le dispensaire se trouve également à Ambohimanambola. Une piste relie
Masindray à Ambohimanambola, elle est impraticable pendant les périodes de
pluies à cause du débordement du fleuve de l’Ikopa.
Le niveau scolaire de la population est très faible à cause de la quasi inexistence des
écoles sur place. Pour l’école secondaire, il faut aller à Ambohimanambola. Seules
les missions protestantes et catholiques s’occupent de l’éducation de base et
possèdent les moyens de subventionner les études primaires des enfants avec un
minimum d’intervention des parents dans la commune de Masindray.
Vu le coût de scolarisation des enfants, il faut des moyens pour envoyer les enfants
en ville pour suivre leurs études secondaires et universitaires. Les parents sont
conscients que les enfants de bas âge doivent aller à l’école, quels que soient leurs
moyens, dans le but d’améliorer le niveau de vie de la famille et pour ce faire, ils
sont prêts à investir malgré l’insuffisance des infrastructures scolaires dans la
commune.
Pour l’ensemble des fokontany de la commune de Masindray, parmi les neufs
établissements scolaires publics qui existent, deux seulement fermés, il y a 20
salles de classes, 20 instituteurs pour 956 élèves, une moyenne de 47,5 d’élèves par
classe22. Il y a deux établissements scolaires privés avec trois instituteurs pour 142

19
Extrait de la monographie de la Commune rurale de Masindray, CIRAGRI, Tana Nord 11.
20
CISCO Antananarivo Avaradrano, 1997/1998.
21
Monographie du Fivondronana et des Communes.
22
CISCO Antananarivo Avaradrano, 1997/1998.

6
élèves, donc au total, 1098 élèves scolarisés sur 12 085 habitants. Très peu ont
atteint les niveaux secondaires et universitaires.
Rakotonoely, 54 ans a envoyé sa fille étudiée dans la capitale à cause des moyens
éducatifs dérisoires. Il explique les problèmes des parents à ce propos :

« C’est un grand problème pour les parents qui veulent envoyer leurs enfants à
l’école l’insuffisance des écoles à la campagne. Même s’il en existe, c’est en très
mauvais état. Les instituteurs sont insuffisants, il n’existe pas d’outils
pédagogiques. Les salles ne disposent que de nombre limité de banc, un tableau de
très mauvais état. Les gens préfèrent faire des sacrifices pour envoyer leurs enfants
à l’école des missionnaires ou encore mieux à Antananarivo en habitant chez les
familles ou en louent une maison. Quand les enfants réussiront à leurs études, et
qu’ils deviendront des techniciens, l’avenir du village sera entre leurs mains. Ils
pourront améliorer les conditions de vie à la campagne et développer le
tanindrazana. L’Etat ne fait rien pour aider les paysans dans ce sens là. Nous
réclamons l’amélioration de l’éducation en affectant des enseignants. À renforcer
l’électricité à l’école pour que les enfants puissent travailler pendant l’hiver. En
23
hiver, il fait nuit rapidement, les enfants sont obligés de rentrer plutôt » .

Les enfants qui ont pu aller dans les établissements secondaires à


Ambohimanambola avaient tenté leur chance en passant leur baccalauréat.
L’objectif des parents n’est pas de laisser les enfants continuer de longues études
universitaires mais de faire des études professionnelles qui permettent aux enfants
plus tard d’être opérationnels à la sortie de leur parcours scolaire et d’entrer dans le
marché du travail. L’obtention des revenus réguliers leur permettra de faire des
transferts d’argent pour investir dans le domaine agricole et d’améliorer les
conditions de vie en milieu rural.

Pour Régis, 48 ans :

« Les enfants étudient tous à Antananarivo. L’aîné continue ses études à


l’Université, les trois autres sont au Lycée et au CEG ; il n’en existe pas au village.
Ils vivent tous chez leur frère qui a reçu un logement d’étudiant à Ankatso où le
loyer est très modeste. Il a également reçu la bourse d’études de l’Etat que nous
combinons avec nos aides. En plus, le riz qu’ils mangent là-bas vient d’ici. Nous
sommes très fiers d’eux car ils sont bien studieux et on les encourage davantage de
réussir dans leurs études. Ils choisiront plus tard ce qu’ils vont faire à condition
qu’ils n’oublient pas d’où ils viennent, leur tanindrazana. Parce que s’ils
24
réussiront, c’est grâce à leur parents qui vivent au tanindrazana » .

Rakotozafy Edouard, 72 ans, ancien employeur de la tannerie d’Anjeva, agriculteur


et éleveur, originaire de Tsarahonenana, nous explique le parcours de son fils :

23
Voir Annexes, n° 96.
24
Voir Annexes, n° 93.

7
« Mon fils a commencé à étudier au village, puis il a continué l’étape secondaire et
universitaire à Antananarivo. Il avait choisi l’étude polytechnique à l’Université
d’Antananarivo, ensuite il a été recruté au Ministère des Travaux Publiques au
titre de Chef de service. Mais il a quitté la fonction publique et désormais, il
travaille à la Tannerie d’Anjeva. J’en suis fier de ce qu’il a fait car il a atteint le
sommet. Il reste toujours fortement attaché à nous, à son origine. En d’autre terme,
c’est lui qui prend la relève dans tout ce qu’il y a à entreprendre ici. Il finance
beaucoup de chose, et il y vient régulièrement »25.

Les principaux moyens de subsistance dans la commune reposent sur l’exploitation


des terres avec des techniques agricoles rudimentaires de type traditionnel (bêches,
sarcloirs tirés par des boeufs,…). Tous les habitants qu’ils sont tompontany ou
mpiavy sont essentiellement cultivateurs, leur principale occupation et source de
revenu annuel. Ils exploitent leurs rizières et font beaucoup de cultures vivrières
comme les maniocs, haricots, brèdes, etc.
L’agriculture repose sur la culture du riz dans les plaines et les rizières recevant
l’affluant de la rivière de Ivovoka. Possesseurs de terre ou métayers, les paysans
cultivent du riz destiné principalement à la consommation familiale pour une année.
Il est évident que les rendements sont trop insuffisants, compte tenu de la faible
superficie des rizières et des terres à cultiver et les moyens financiers peu
importants, d’où la limitation de la production qui souvent ne suffit pas à nourrir
une famille sur l’ensemble de l’année. Les parcelles de rizières ne dépassent pas les
500 ares26.

Les rizières et les terres de culture se mesurent par le nombre de personnes qui les
travaillent : une rizière pour le travail de 20 femmes, ou les champs de culture pour
un travail de 15 hommes (ketsa 20 vavy) 27.

Seuls les paysans possédant beaucoup de terres ont la possibilité de vendre leur
surplus et de faire des bénéfices importants, notamment en période de soudure aux
familles dont le stock de riz n’atteint pas la prochaine récolte, et qui doivent acheter
du riz aux marchés environnants.
La polyculture y est aussi très présente. Les paysans font des cultures vivrières de
grandes variétés à vendre au marché d’Analakely dans la capitale, Tsenan’ny
Tantsaha. Tous les paysans, qu’ils soient métayers ou possesseurs de champ de
culture diversifient la production, car la vente des légumes complète le revenu
agricole.
Les activités artisanales de plusieurs variétés sont pratiquées par la majorité des
paysans. Elles sont héritées des parents lointains et se transmettent aux générations
successives. Elles sont aussi répandues parmi les habitants du village par
l’apprentissage collectif. Les pratiques artisanales se répandent facilement car les
matières à utiliser sont présentes dans les villages, à savoir des matières végétales.
Les pratiques artisanales ne demandent pas souvent d’investissement.

25
Voir Annexes, n° 26.
26
Travail pour 20 femmes ou pour 30 femmes selon la superficie de terres cultivées.
27
La superficie d’une rizière se mesure par le nombre de femmes qui y travaillent ou qui la repiquent (sens du
mot manetsa). Les champs de culture sont mesurés au nombre des hommes qui les travaillent.

8
Suzette, 25 ans, explique comment les activités artisanales agissent sur les activités
agricoles :

« Depuis longtemps les grands parents avaient déjà cultivé et élevé. L’agriculture
et l’élevage étaient les principales occupations des parents et grands parents il y a
déjà bien longtemps. C’étaient leurs principales sources de revenu. Chaque
ménage avait des activités artisanales qui complétaient l’agriculture et l’élevage.
Les familles qui possèdent des terres, comme celles qui n’en possèdent pas,
cultivent toutes du riz. Le riz est la nourriture de base des malgaches. Les autres
cultures vont de soi. Les récoltes sont vendues aux marchés, une partie est
consommée par la famille sans oublier d’en réserver pour les semences »28.

Rasoarimanana, 47 ans nous raconte les activités de leurs parents :

« Les gens ont toujours fait de l’agriculture et de l’élevage. Les femmes avaient
leurs travaux artisanaux qu’elles pratiquaient depuis longtemps comme le tissage
et le tressage. Les produits agricoles et les articles confectionnés son vendus aux
marchés. Tous les mercredi, on va au marché d’Ambatomanga, les jeudi, au
marché d’Anjeva ou ici à Masindray, les vendredi à Ankadinadriana et les samedi
à Antanamalaza. Il s’agit des pratiques anciennes mais qui sont toujours en
vigueur jusqu’à maintenant même si les régimes politiques ont changé, en période
de crise ou non crise. On a toujours des activités à faire pour subvenir aux
besoins »29.

Pour Razafimahatratra, 30 ans :

«Les paysans ont l’habitude d’avoir des activités non agricoles qui accompagnent
les travaux agricoles à la campagne. C’est une attitude ancienne des parents et
grands parents. D’ailleurs, on ne s’en sort pas si on est obligé d’acheter ailleurs
tout ce dont on a besoin sur place. On peut travailler avec des matières ou
végétales existantes. Les femmes et les hommes doivent apprendre à utiliser leur
main, c’est dans la tradition du pays. Les femmes qui ne savent pas travailler avec
leur main ne trouvent pas d’époux. Par ailleurs, la fabrication des briques
fonctionne surtout en saison sèche. Les gens venant d’Antananarivo commandent
des briques chez nous. Faire des briques a quand même des revers car les terres
s’abîment progressivement et qu’on risque de ne plus pouvoir les utiliser »30.

L’élevage est limité aux bovins et ovins (bœufs et moutons), volailles. Il ne s’agit
pas d’élevage intensif avec des moyens conséquents, mais de petit élevage d’une
dizaine de poules, des dindes, des canards et des oies. L’élevage n’est constitué que
d’un nombre très limité de bétail, souvent des boeufs pour le travail des champs,
une à deux vaches pour traire le lait à vendre et de volailles qu’ils vendent
occasionnellement, en cas de besoin. Toutefois, le travail assuré par le bétail est très
important. Le piétinage par les bœufs assure la préparation des rizières. La force

28
Voir Annexes, n° 8.
29
Voir Annexes, n° 88.
30
Voir Annexes, n° 76.

9
physique des bovins continue d’être utilisée pour le hersage des rizières, à labourer
à la charrue, surtout à atteler les charrettes utilisées pour les déplacements éloignés
comme pour les transports au sein du terroir (acheminement au champ du fumier de
parc, chargement des bottes de riz récolté). Les familles qui possèdent de bétail ont
des avantages car ils peuvent louer leur bétail pour les travaux des champs ou
vendre à des prix forts. Le prix d’un bœuf est élevé de l’ordre de 1 000 000 à
1 500 000 fmg. Le prix d’une vache à lait peut atteindre jusqu’à 5 000 000 fmg. Le
possesseur de bétail est à l’abri car il peut vendre et faire travailler et traire leur
bétail. Pour les habitants de Masindray, le petit élevage est un investissement à
court et à long terme.
Le petit élevage est à vendre et aussi à consommer. Pour les habitants de
Masindray, le petit élevage est un investissement à court et à long terme.
Les moyens de transport pour écouler les produits sont assurés par la voie
ferroviaire (voyageur et meda) et à pieds pour rejoindre les marchés de l’est à
Anjeva, Alarobia Ambatomanga. Avec l’ouverture de la route reliant Mandroseza à
Ambohimanambola en 1966, la liaison avec la capitale a facilité l’extension de la
vente des légumes, car la capitale est un demandeur important de produits
légumineux. Entre 1972 et 1975, le marché a été transféré à Anosy et ensuite à
Anosibe.
Le système de vente se base essentiellement sur la quantité d’une soubique ou par
tas n’utilisant pas les mesures de quantification moderne comme la balance. Les
légumes sont entassés dans des soubiques que les paysans fabriquent eux-mêmes
pour être transportés aux marchés.

Les productions sont réparties entre les grands marchés ruraux d’Anjeva,
d’Alarobia Ambatomanga, de Manjakandriana, de la capitale, ou repris sur place
par des collecteurs pour être transportés en camion dans la partie orientale du pays.
Anjeva et Alarobia Ambatomanga servent de lieux de distribution des produits
agricoles partant pour l’est de Madagascar. Les agriculteurs venus de Masindray et
d’ailleurs, les collecteurs et les propriétaires de camions, les détaillants s’y donnent
rendez-vous tous les mardi et mercredi, jours du marché dans ces deux régions. Les
produits devant approvisionner la capitale sont rassemblés à Anosibe avant d’être
redistribués par les marchands détaillants dans tous les quartiers.

Le principal problème dans les milieux ruraux et notamment à Masindray se situe


au niveau de l’accès à la terre qui ne se résout que très lentement. Le métayage est
devenu incontournable par l’insuffisance de terres à cultiver. Le morcellement des
parcelles est sans doute causé par le système de partage des terres à chaque
génération.
Marie-Louise, 45 ans :

«Moi personnellement, j’ai une rizière et des champs de culture, et je suis métayer
en même temps pour compléter ce que j’ai. Même si j’ai des terres, on peut dire
que les récoltes ne couvrent pas l’année parfois. On se débrouille avec les terres
qu’on dispose. Ces terres étaient suffisantes pour les parents et les générations
antérieures parce que le partage était encore important. Ces terres sur lesquelles

10
nous travaillons sont héritées d’eux. D’ailleurs, la situation est presque similaire
pour nous tous ici. Ceux qui ont vraiment réussi ont pu racheter d’autres terres »31.

Mais la disponibilité de terres a terre ne devrait pas être un problème car elle existe
et en grande superficie. Le problème se situe au niveau de sa répartition par les
autorités publiques. Le manque de terre n’est pas lié au phénomène démographique,
et ce n’est pas un manque de terre en soi. Il y a des terres mais qui ne sont pas
utilisées. Bien que nos enquêtes ne donnent pas une vue exhaustive, nous estimons
que 60% de terres sont cultivables mais non cultivées. Le problème d’accès à la
terre est lié à un mécanisme socio-politique.
Les tompontany et les mpiavy sont confrontés à ce problème depuis la période
coloniale et l’Etat ne résout pas le problème. Les terres sont emprisonnées, depuis la
période coloniale, par une définition extensive de ce qui est appelé domaine public,
dont l’attribution dépend des autorités politiques et administratives. L’octroi de
terres aux personnes qui ont les moyens se fait par un mécanisme socio politique
qui exclut les simples paysans sans argent. Les paysans ne peuvent pas acquérir de
terres car on ne leur y donne pas accès, mais on donne ce dernier à des personnes
étrangères qui vont leur louer. Une différentiation sociale s’installe au sein même de
la communauté à cause de cette inégalité
Il est très important de souligner que dans la commune étudiée, ce n’est pas la
croissance démographique qui est la principale cause du manque de terre. Des
personnes étrangères à la commune (des gens au pouvoir ou qui ont des moyens
financiers) achètent des terres à l’Etat. Cet achat de terres peut être lu sous plusieurs
angles. Les acheteurs veulent contrôler les terres. Cela se fait au détriment du reste
de la population rurale en quête d’appropriation de terres.
Ce contrôle met les paysans dans la dépendance car ils sont obligés de rester
métayers. Mais ils aspirent aussi au droit d’accès à la terre qui marque
l’appartenance au tanindrazana (donc à un attachement socioéconomique et
territorial en utilisant tous les moyens dont ils disposent). La quasi-totalité des
familles vivant à Masindray a déposé une demande d’appropriation mais qui n’a pas
encore été honorée à cause du clientélisme politique.
Certains observateurs nationaux et étrangers ont mis en avant que le manque de
terre pourrait être compensé par l’amélioration de la productivité à l’hectare. Les
tentatives d’élever la productivité ont été nombreuses, mais ont échoué. Les
problèmes techniques ont sans doute joué un rôle important dans ces échecs.
L’utilisation des techniques modernes avec des fertilisants chimiques a permis
d’augmenter les productions mais celles-ci ont été soumises aux contraintes de la
disponibilité et surtout de l’inexistence des engrais chimiques. En outre, les intrants
chimiques sont coûteux ne permettant pas au bon nombre de paysans d’y accéder
facilement. L’utilisation des gros engins est à exclure à cause du caractère
parcellaire des rizières et des terres cultivées.
La tergiversation des animateurs agricoles et des experts étrangers sur les méthodes
et moyens à pratiquer en milieu rural a découragé l’ensemble des paysans. Pendant
longtemps, on les a incité à utiliser les intrants chimiques et de l’autre, et depuis
quelques années on leur demande de renforcer la production agricole bios et

31
Voir Annexes, n°29.

11
naturelle. Les paysans sont contraints de suivre les recommandations venant de
l’extérieur sans tenir compte de leurs propres savoirs, attentes et besoins.
La principale cause de l’échec de ces projets est sans doute à chercher dans la
méfiance que les paysans ont développée à l’égard des intervenants extérieurs. Le
mépris que ceux-ci affichent souvent à l’égard des savoirs paysans, leur ont aliéné
la confiance de ceux-ci, qui en outre ont perdu beaucoup de leur disponibilité pour
les savoirs extérieurs, dont ils constatent que les variations correspondent souvent à
la nationalité ou à l’âge des experts.
Un exemple concret en est celui de l’échec d’un projet concocté par une alliance
entre une association locale impulsée par des missionnaires étrangers, et une
coopération technique étrangère.
Au début des années 1990, une association dénommée TATA (Tanora Andrin’ny
Tantsaha Ambanivohitra)32 a été créée pour orienter et former les jeunes paysans en
tant que pilotes de la modernisation du milieu rural, en vue d’améliorer leurs
techniques culturales et de réduire les feux de brousse qui parfois ravagent les
cultures dans cette partie riche en végétation.
Cette association est gérée par des techniciens agricoles, des missionnaires, des
animateurs de développement rural. Le siège de l’association se trouve à
Ambohimangakely, à 10 km à vol d’oiseau au nord de Masindray, dans le
fivondronana d’Avaradrano. La commune de Masindray fait partie de la
circonscription d’Avaradrano.
Une pépinière a donc été créée à Ambohimangakely pour expérimenter de
nouvelles techniques en vue de sensibiliser la population jeune environnante. Le
problème de l’association réside dès le départ dans le fait que la population
paysanne n’était pas enthousiaste à la participation de peur de se retrouver
emprisonnée dans un système dont elle ne connaît pas le fonctionnement. A maintes
reprises, elle a manifesté sa réticence vis-à-vis des initiatives non locales du même
genre. Le projet TATA va trouver un appui auprès de la Intercoopération suisse
dont un responsable a installé un projet pilote pour le développement rural à
Masindray. L’animateur de la Coopération suisse collabore avec l’Association
TATA. L’association incite d’abord les paysans à utiliser des engrais chimiques
pour augmenter les rendements agricoles. Au bout de quelque temps, elle s’oriente
vers les cultures biologiques. Les paysans sont stupéfaits devant ce revirement, et
leur réticence s’accroît encore plus. En fait les paysans, entre eux analysent très
durement les causes de ce revirement.

Razakarison Faraniaina, 47 ans, fait part de sa stupéfaction :

« Les animateurs ne font que ce qui convient à leur objectif parce qu’ils sont
persuadés que nous les paysans sommes des ignorants en matière agricole.
Au début, leur projet était promettant et les paysans étaient pris au piège,
mais au fil du temps, les paysans ont commencé à perdre confiance à cause
de leur attitude qui montre une indétermination. Ils ne font que de faire des

32
TATA, Tanora Andrin’nyTantsaha Ambanivohitra = jeunes piliers des paysans en milieu rural.

12
essais et expériences qui n’aboutissent à rien de concret. On dirait que ce
qu’ils font ne sont très claires »33.

Les paysans constatent par l’expérience que l’intérêt des promoteurs est de mettre
en place un projet qui correspond à leurs objectifs, sans tenir compte de l’avis et des
attentes des paysans. En plus ils constatent l’incohérence des objectifs des
initiateurs. Cette versatilité des techniciens montre d’une part, que leur objectif est
conditionné par des priorités étrangères et indépendantes des besoins de la
paysannerie, et d’autre part, qu’ils sous-estiment les capacités de changement et
d’adaptation du monde paysan aux nouveautés. Ils ne reconnaissent pas les paysans
comme des acteurs à part entière.
Par conséquent, ces acteurs «étrangers »34 sont vus par l’ensemble de la population
paysanne comme un danger à retardement qui va déstabiliser leur vie. Le conflit
interne s’installe facilement entre les animateurs et les paysans. Il n’y a plus de
confiance réciproque entre les différents acteurs.
C’est ainsi que dans les années 1990, les ONG et les coopérations étrangères ont
rejoint dans la méfiance paysanne, la place occupée depuis longtemps par l’Etat
fanjakana et les intervenants étrangers de tout genre.
On peut rappeler ici que l’échec du projet GOPR dans les années 1970, a été
partiellement dû au fait que les paysans ont appris rapidement que la rémunération
des vulgarisateurs était liée aux quantités d’engrais qu’ils parvenaient à faire acheter
par les paysans. Ceux-ci ont donc compris que les arguments techniques sur l’utilité
des engrais n’étaient qu’une partie de la réalité nouvelle qu’on cherchait à leur
imposer35.
Dans ce contexte de méfiance réciproque et persistante entre acteurs extérieurs et
acteurs populaires, les paysans de Masindray, comme ceux d’ailleurs, ont compris
qu’ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes pour survivre. Ce n’est pas une
stratégie de repli à proprement parler, puisque il s’agit au contraire de s’ouvrir sur
des activités extérieures, mais d’une manière qui peut être maîtrisée par les paysans
eux-mêmes, à condition que ceux-ci limitent leurs attentes en termes de revenus .
Les paysans ont appris à arbitrer entre dépendance plus forte à l’égard de la
monétarisation et maintien de l’autonomie et du mode de vie local.
Les paysans de Masindray ont opté pour des stratégies de contournement ou de
diversification qu’ils maîtrisent et leur assurent le maintien d’une certaine
autonomie face aux acteurs extérieurs.
Par exemple en ce qui concerne l’accès à la terre, les paysans occupent de fait les
terres du domaine de l’Etat, et les gens arrivent quand même à exploiter les terres
disponibles avec le consentement du fokonolona. Les autorités administratives
n’osent pas procéder à des expulsions violentes.
Une autre stratégie est la diversification des activités pour échapper aux contraintes
de la spécialisation et de la recherche de la productivité, sous contrôle extérieur. La
diversification des activités est au cœur des comportements de l’économie populaire

33
Voir Annexes, n° 41.
34
Le mot étranger est mis entre guillemets, car en réalité, il s’agit de personnes étrangères à la communauté,
les aides et le soutien proviennent des ONG.
35
RAISON J.P., Les Hautes Terres de Madagascar, Paris, ORSTOM-Karthala, 1984.

13
rurale. Elle se manifeste à travers l’élargissement continu des pratiques de
vadin’asa.
Avant d’étudier ces dernières plus en détail, il est intéressant de les situer dans le
contexte général des composantes de l’économie populaire à Masindray.
Tableau.11. Indicateurs de l’économie populaire en milieu rural

Indicateurs de l’économie populaire Niveau Unité


Indicateurs économiques
Principales occupations : agriculture et élevage 85 %
Pratiquant des activités secondaires ou vadin’asa 74 %
Revenu moyen mensuel/familles 100 000 à Fmg
250 000
Possesseur de terres 43 %
Possesseur de terres et métayer 22 %
Sans terre – métayer 35 %
Possesseur de bovin /ovin 37 %
Sans bovin/ovin 63 %
Possesseur de volaille 75.6 %
Sans volaille 12.4 %
Propriétaire de maison 63 %
Non propriétaire de maison/locataire 27 %
Indicateurs sociaux
Population active ou homme adulte valide 37 %
Niveau de scolarisation : primaire 42 %
Niveau de scolarisation : secondaire 12 %
Taux de scolarisation des enfants 87 %
Taux d’alphabétisation des adultes 67 %
Nombre moyen d’habitants par maisonnée 6 Nombre
Indicateurs des liens socioculturels « informels »
Taux de participation au famadihana 78 %
Pourcentage de population respectant les interdits fady 76 %
Taux de participation en religion 68 %
Taux de construction des tombeaux fasana 89 %
Taux de participation au fomban-drazana (traditions populaires) 79.8 %
Originaires des terres des ancêtres, tanindrazana : Tompontany 55 %
Nouveaux venus mpiavy 45 %
Indicateurs des liens sociaux « formels »
Groupement associatif 15 %
Réseaux familiaux 34.9 %
Réseaux commerciaux 12 %
Groupement paysan de base 10.1 %
36 28 %
Association d’ordre religieux
Source : Enquête sur Masindray, mars 2001.

Ce tableau est issu des enquêtes menées auprès des ménages interviewés dans la
commune de Masindray. Les enquêtes sont tirées d’un échantillonnage effectué
auprès de 178 ménages répartis dans onze fokontany de la commune rurale de
Masindray, ce qui correspond à une moyenne de 8,65% de la population totale de
12 085 habitants.

36
Toutes les sectes religieuses confondues.

14
Une enquête approfondie a été effectuée dans le fokontany de Tsarahonenana et a
permis de comprendre le caractère séculaire de l’économie populaire ainsi que sa
continuation dans le temps qui reposent sur l’interaction entre l’économique, le
social et le culturel en milieu rural. Ces indicateurs ont été répertoriés suivant les
réponses des interviewés.

Les indicateurs économiques déterminent les caractéristiques économiques de


l’économie populaire en milieu rural. Ces indicateurs montrent généralement
l’insuffisance des revenus par ménages mensuellement, les activités économiques
principales et secondaires, le cadre de vie professionnelle, le milieu de vie précaire
qu’ils occupent, ainsi que les moyens dont ils disposent (moyens matériels,
financiers, etc.).

Les indicateurs sociaux nous révèlent le niveau de scolarisation des habitants, le


taux de scolarisation des enfants et le taux d’alphabétisation des adultes afin de
comprendre le niveau de l’éducation de l’ensemble de la population. Nous avons pu
remarquer que le taux de scolarisation des enfants est élevé car compte tenu des
problèmes que les ménages doivent affronter, les chefs de familles espèrent
améliorer leur niveau de vie plus tard en se sacrifiant pour envoyer les enfants à
l’école. L’alphabétisation des adultes est la signification de participer à toute action
entreprise au sein des associations et réseaux du village ou de la commune.

Dans tous les milieux ruraux, les indicateurs culturels reposent/ou se focalisent
notamment sur l’appartenance aux terres des ancêtres, tanindrazana qui sont les
repères d’origine et les références identitaires et l’appartenance à un lignager. C’est
ainsi que les gens apportent beaucoup d’importance au famadihana. Les
tompontany, originaires du tanindrazana célèbrent systématiquement les
cérémonies de famadihana. La participation à ces rites entre pleinement dans la
réinvention des liens sociaux, dans la mise en valeur des pratiques populaires des
multiples petites activités artisanales effectuées par tous les habitants et dans la
réaffirmation de leur droits à la terre. La construction d’une nouvelle tombe
familiale reflète la réussite sociale d’un individu et la formation d’un lignager qui
porte le nom du père « mitondra ny anaran-dray ». La construction d’un tombeau
est importante au même titre que la construction d’une maison et d’où l’intérêt que
les hommes apportent pour cela.

Ces indicateurs culturels sont les régulateurs de la société tant en milieu rural qu’en
milieu urbain. Dans la commune de Masindray, les religions catholiques et
protestantes sont largement dépassées par les sectes. Le succès de ces sectes
s’explique notamment que les gens cherchent l’idéal de leur vie. Leurs revenus
servent aux dîmes ou encore des offrandes afin de développer leurs communautés.
Les familles converties dans les sectes sont cependant, moins nombreuses que
celles attachées à leurs cultures ancestrales. On doit souligner le poids de la culture
ancestrale malgré de la présence des édifices religieux dans la commune : une église
protestante, une église catholique, une église adventiste et une église Ara-
pilazantsara.

Les indicateurs des liens sociaux sont représentés par l’existence de réseaux et
associations dans la commune de Masindray. Ces réseaux et associations sont des
éléments qui existaient déjà si on se réfère au fonctionnement du fokonolona,

15
puisque le fokonolona encadrait le rassemblement des différentes familles issues
d’une même origine et du même tanindrazana, ce qui constitue le cœur des réseaux,
aujourd’hui comme hier.

3- La notion du vadin’asa en termes d’économie populaire

Toutes les personnes interviewées sont toutes aux moins agriculteurs et éleveurs,
principales occupations aussi bien pour les hommes que pour les femmes. En
dehors de ces occupations, on peut rajouter la liste des occupations secondaires ou
vadin’asa qui sont aussi importantes par leur nombre qu’en valeur monétaire pour
compléter le revenu agricole et l’élevage : la briqueterie, la poterie, les travaux dans
les champs, les petits commerces, les transports, la broderie, le tressage, la vente
des légumes, etc. Les hommes et femmes se complètent. Chacun a ses petits métiers
pour rejoindre les deux bouts du mois et nourrir la famille.
Tableau.12.Les activités complémentaires vadin’asa

Activités secondaires Acteurs en %


vadin’asa
Hommes Femmes
Brodeuses - 10
Fabricants de briques 11 2
Fabricants de poterie 10 5
Maçons 10 -
Marchands de lait 4 -
Marchands de légumes 27 31
Menuisier 11 -
Ramasseur de sable 8 2
Petits commerçants 19 10
Tissage - 15
Tressage - 25
Total 100 100
Source : Résultats d’enquêtes sur la commune de Masindray, 2001.

Le mot vadin’asa n’est pas nouveau dans le langage de tous les jours chez les
petites gens et chez les paysans à cause de la présence séculaire des activités
complémentaires. Ce terme est utilisé aussi bien en milieu urbain qu’en milieu
rural. 78% de la population interviewée évoquent l’existence du vadin’asa dans
leurs vies quotidiennes et expliquent pourquoi ils doivent faire appel au vadin’asa37.
Ce mot vadin’asa littéralement traduit par le « conjoint du travail » ou compléments
rémunérateurs de travail se définit par toutes les activités effectuées par la
population en dehors de l’agriculture, principale occupation dans la commune de
Masindray.

37
Résultat des enquêtes sur les ménages à Masindray.

16
Il s’agit donc des activités extra-agricoles des paysans pluri-actifs. Les différents
types de vadin’asa recensés dans la commune se rapportent aux métiers qui
nécessitent le déplacement des hommes, aux activités de l’artisanat comme, le
tissage ou tenona, le tressage ou rary, la poterie, la broderie, le commerce ambulant
très répandu dans l’Est d’Antananarivo et la polyculture.
L’intégration de l’élevage à l’agriculture et des apports provenant d’activités hors
de l’exploitation agricole constitue des éléments importants de l’économie des
ménages. L’élevage bovin, porcin et avicole contribuent à la vie des exploitations
agricoles, on le constate au niveau des travaux des champs et des ressources
pécuniaires.
Tableau.13.Calendrier cultural annuel

Mois Activités culturales


Novembre Repiquage du riz irrigué (vary aloha) – culture de manioc,
haricot
Décembre Repiquage du riz sec (vary vaky ambiaty). Période faste :
moisson riz irrigué (vary aloha)
Janvier/février Récolte des haricots, manioc
Culture des brèdes
Repiquage du riz sec (vary vaky ambiaty)
Moisson du riz irrigué
Mars Moisson vary sia
Avril/mai Coupe du riz sec
Semence en riz irrigué
Juin/juillet Semence vary sia
Août/septembre Repiquage du riz irrigué
Octobre/novembre Repiquage vary sia

Ce calendrier cultural nous informe sur l’organisation et le programme des activités


principales au cours de l’année par rapport aux activités complémentaires. Comme
la riziculture est la principale activité des paysans de la Commune de Masindray,
elle se situe au premier rang. La région de Masindray pratique notamment le vary
vaky ambiaty38 qui se fait pendant la période hivernale d’avril-mai et le repiquage se
fait avant la période des pluies en novembre-décembre, pour les rizières en hauteur,
tanety ne nécessitant pas d’adduction d’eau. Alors que le vary aloha, riz de
première saison, se fait du mois d’août jusqu’à la fin du mois de décembre, récolté
en janvier-février.
Les activités artisanales se pratiquent dans l’entre saison et notamment pendant la
période de soudure39 par tous les membres des familles. D’ailleurs la période de
soudure n’a pas beaucoup de sens pour la commune de Masindray, compte tenu du
calendrier cultural.
L’association des cultures vise un étalement des récoltes dans le temps, garant de la
sécurité alimentaire. Ceux qui font le vary vaky ambiaty disposent largement de
38
Le vary vaky ambiaty riz de la floraison de l’« Ambiaty » (vernonia appendiculata, graminées). Le semis
des graines en pépinières est fait lorsque l’Ambiaty fleurit. La récolte se fait en avril-mai.
39
La période de soudure se situe en février-mars-avril.

17
temps pour les vadin’asa, car il n’y a que trois à quatre mois de travail des rizières
et le reste du temps de l’année consiste à des activités complémentaires comme la
polyculture et activités artisanales.
Mais il faut noter aussi que tout au long de l’année les paysans pratiquent
continuellement ces activités artisanales. Les périodes de famadihana, qui se
déroulent principalement tous les ans du mois de juillet/août au mois de septembre,
constituent le moment favorable pour la confection des articles nécessaires à la
cérémonie. Moment propice pour les activités non agricoles de l’économie
populaire.
Les activités secondaires et complémentaires vadin’asa sont pratiquées par
l’ensemble de la population organisées en fonction de leur temps et de leur travail.
Certaines pratiques sont héritées des parents, alors les mpiavy sont formés au sein
de la communauté et à travers les relations de voisinage.
Tableau.14.Les activités populaires à Tsarahonenana40

Villages Ménages Activités principales Activités secondaires Lieu de vente Destination


intervie- des produits
wés (nb)
Ambohin- 27 Agriculture Elevage Commerce de Mandroseza
dava (26/27) légumes, Labourage, Andravoahan-
sarclage, repiquage, gy Tsaralalana
arrosage, fumage Tamatave
(25/27), tissage et Anjeva, aux
petit marchand (1/27) collecteurs de
Toamasina
Agriculteur et élevage
Instituteur (1/27) (1/27)
Amboarohy 3 Agriculture et élevage Commerce (3/3) Anjeva Toamasina
(3/3)
Ambodirina 4 Agriculture et élevage Commerce des Anjeva Toamasina
(1/4) légumes (1/4)
Ouvrier Tannerie Broderie (1/4)
d’Anjeva(2/4) Agriculture et Faliary
Elevage (2/4), Maçon Anjeva
Agriculture et élevage
(1/4) Inspecteur d’Eglise
Ampitora- 1 Ramassage du charbon 0 0 0
hona
Mahenina- 6 Agriculture et Elevage Commerce de Anjeva et Toamasina
rivo (6/6) légumes Travail au Aminampanga Ambohimana
champ journalier mbola
(5/6), commerce et Mandroseza
gargote (1/6)
Ankadivory 5 Agriculture et Elevage Journalier, Commerce Anjeva Toamasina
(5/5) (5/5)
Tsarahone- 3 Agriculture et Elevage Commerce des Tsarahonenan Tsarahonenan
nana (3/3) légumes (1/3), petit a. En dehors a
marchand (1/3), du village.
maçon et manutention Collecteurs de
(1/3) et tressage. Anjeva Toamasina

Total 49 44/49 46/49

Source : Enquête sur la commune rurale de Masindray, mars 2001.

40
Toutes les activités recensées dans le fokontany de Tsarahonenana sont valables pour les autres fokontany dans
la commune de Masindray.

18
L’élevage

Le petit élevage n’est pas à négliger. Pour les paysans, il s’agit de fiompiana kely,
petit élevage, si l’on tient compte de nombre très limité des animaux. Mais en terme
de budget du ménage, il fait partie d’un investissement assez conséquent à court et à
long terme. Chaque ménage possède des poules, des dindes, des canards dont la
destination n’est pas définie préalablement. . Rares sont les familles qui ne
possèdent pas de volaille.
Les ménages interviewés n’ont pas de poulaillers. Les animaux errent dans la cour
et dans les champs dans la journée et rentrent à la maison le soir et se mettent en bas
de l’escalier. Ils sont considérés un peu comme les animaux domestiques, chat et
chiens. Il en est de même pour les lapins.

En cas de maladie, un poulet est préparé pour aider le patient à retrouver la force,
on lui donne de bouillon de poulet, ron’akoho. En période de fêtes, les dindes et
canards servent de nourritures de festin, les familles en gardent un ou deux pour les
fêtes et les restes sont transportés au marché pour être vendus. À la naissance d’un
enfant, les familles offrent des poules à l’enfant pour qu’il s’en occupe dès son
jeune âge. Au nouvel an, les enfants offrent aux parents et grands parents une dinde.
L’élevage de volaille contribue à entretenir les relations familiales et
communautaires. Il répond aux obligations sociales.

Par contre, la possession de gros bétail répond à des attentes économiques. Les
bœufs aident les paysans aux travaux des champs, à labourer les rizières, à
transporter des foins. Les familles qui ne possèdent pas des bœufs en louent. Ainsi,
la location rapporte de l’argent aux propriétaires. Les vaches sont utiles aussi pour
leur lait. Des collecteurs arrivent jusqu’au village pour chercher du lait destiné à la
fromagerie d’Ambatomanga, à l’usine laitière de Sambaina et pour les
consommateurs de la capitale.

Si la vache est une race pure, elle est élevée pour avoir des descendances qui valent
une somme très importante. Le nombre de bêtes pour chaque famille est de l’ordre
de deux bœufs et deux vaches car il faut les nourrir et les soigner convenablement.
Les paysans sont ainsi obligés de construire une prairie afin que les bétails ne se
retrouvent pas dehors jour et nuit, et qu’ils n’attrapent pas une des maladies
épidémiques qui ravagent les campagnes.

L’élevage en milieu rural répond à deux attentes : d’une part, une attente
socioculturelle qui contribue à consolider les liens sociaux et le fihavanana à travers
les moments importants de la vie, et d’autre part, un moyen de production de grande
importance qui constitue un revenu permanent pour les paysans, complétant les
activités agricoles et non agricoles.
D’après Rakotoarivelo Jean de Dieu, 42 ans :

« L’agriculture et l’élevage sont la base de notre revenu. L’élevage aide


beaucoup le revenu agricole car les gens louent les bœufs pour labourer les
rizières. On peut dire qu’il s’agit d’un revenu à part entière. Quand il s’agit
d’une rizière à grande superficie, le travail des hommes ne son plus suffisants, le
labourage tiré par les bœufs sont nécessaires. Les vaches sont importantes car

19
une bonne race de vache peut de la bonne descendance. Et les gens achètent les
bonnes vaches qui peuvent produire jusqu’à 20 litres de lait par jour. On arrive
à acheter un nouveau bœuf ou une charrette avec les bénéfices obtenus par
l’élevage »41.

La polyculture

Détenteurs de terres ou sans terres de cultures, tous les habitants de Masindray


pratiquent la polyculture. Il s’agit des plantes à tubercules, des brèdes de différentes
sortes, toutes sortes de légumes. Chaque ménage travaille au moins sur une parcelle
de terres pour cultiver l’une ou l’autre. Elle peut se faire parallèlement en saison de
culture rizicole mais aussi en alternant avec d’autres cultures suivant le calendrier
de culture et les saisons.
Cette polyculture complète les revenus des paysans par le fait que le stock de riz
d’une saison ne permet pas d’atteindre la suivante, et donc ne suffit pas pour
l’année entière. En période de soudure, les paysans se nourrissent des tubercules,
manioc, patates douces et mangent rarement du riz. Quand le moyen le permet, ils
alternent le riz par des tubercules.

Razafinindrina Georgette, 48 ans, est marchand de légumes :


«Nous vendons des légumes (poireau, poivron, choux de chine, betterave, petits
pois, haricots vert,…). Nous en prenons pour consommer à la maison et le reste est
à vendre. On les transporte jusqu’à Anjeva où les collecteurs les achètent en gros.
Ainsi nous recevons l’argent total. Parfois, on a besoin d’aide car les semences ne
sont pas suffisantes. Elles sont coûteuses. Par ailleurs, les champs de cultures sont
aussi insuffisants ce qui nous amène à louer des terres chez les autres. Nous
n’écoulons pas le riz car on le consomme entièrement. Il nous arrive souvent d’en
acheter chez les autres car le riz n’atteint pas la prochaine saison42.
Chaque famille possède, sinon loue, au moins une parcelle de champ de culture
tanimboly pour cultiver des légumes, champ de brèdes ou tanin’anana pour cultiver
des brèdes et toutes sortes de cultures indépendantes des saisons rizicoles.

Marie Louise, 45 ans :

« La possession de terre de culture et de rizière contribue beaucoup à faire vivre


les paysans à la campagne. Avec les champs de culture, je peux cultiver tout au
long de l’année puisque que au bout de trois mois, je peux récolter des brèdes,
haricots, haricots vert, petits pois pour être vendu, mais aussi pour être consommé
par ma famille. Cette culture nous permet de ce fait de compléter le revenu pour
aider à la scolarisation des enfants, à acheter des semences et à payer les
travailleurs de champs»43.

41
Voir Annexes, n° 71.
42
Voir Annexes, n° 79.
43
Voir Annexes, n°29.

20
Ces champs se mesurent par le nombre de personnes qui les travaillent. 89% des
ménages interviewés possèdent au moins une parcelle de terres de cultures. On
parle d’un champ de culture ou tanimboly de 20 hommes comme on parle des
rizières tanimbary de 15 femmes. Des tompontany comme des mpiady peuvent
posséder l’un et l’autre44.
Les récoltes sont essentiellement acheminées aux marchés d’Anjeva et
d’Ambatomanga ou vers la capitale.

Le commerce

Le commerce figure en bonne place parmi les activités complémentaires des


paysans de Masindray. Il existe deux niveaux de commerce pour la population. Il y
a d’une part, le commerce qui s’effectue sur place au marché de Masindray-tanàna
qui consiste à vendre les produits agricoles à l’ensemble de la population
avoisinante. Il existe d’autre part, le commerce qui s’effectue en dehors du village,
le commerce ambulant ou varo-mandeha des colporteurs effectué souvent à
plusieurs kilomètres du village d’origine. Une grande majorité achemine leurs
produits agricoles et non-agricoles sur les marchés hebdomadaires d’Alarobia
Ambatomanga, Atalata Anjeva, de Manjakandriana à 60 km de la capitale, à
Ambatondrazaka, jusqu’à Toamasina.
Il s’agit d’une activité qui a depuis longtemps caractérisé les contacts des Merina
avec les populations d’autres provinces. Les Merina étaient les principaux acteurs
de l’acheminement de ces produits et leurs déplacements les portaient un peu
partout dans le pays45.
Le traitant français Nicolas Mayeur ayant traversé le pays à la fin du XVIIIe siècle,
décrivait l’économie de l’époque par des échanges « avec les produits locaux
comme la soie, le fer, le jonc, la viande et toutes sortes de productions, articles que
l’on retrouve sur les places des marchés et qui découlent de la présence de toutes les
productions de la grande île et même beaucoup de marchandises de l’Inde
importées »46.
Cette activité occupe encore une place importante dans l’économie de la population
de Masindray. Le commerce ambulant n’est pas un monopole des natifs de la
commune de Masindray, il concerne les natifs comme les immigrés récents.
Beaucoup investissent dans ce domaine.

44
Interview de Randrianarison Jean, 56 ans, tompontany, marié, et quatre enfants, agriculteur et éleveur.
Il possède une rizière pour un travail de 15 femmes (ketsa 15 vavy) et un champ de culture de 20 hommes
(vala 20 lahy). Il y a eu aussi celui de Rakotonandrianina, 70 ans, marié, cultivateur et éleveur. Ses
parents ne sont pas originaires de Masindray mais y ont vécu longtemps car lui étant né à Aminampanga,
en dehors de ses activités agricoles, il vend des légumes à Alarobia Ambatomanga. Rasolo Fanomezana,
49 ans est marié, il est le PCLS d’Aminampanga, cultivateur et éleveur, il possède une rizière de travail
de 30 femmes et un champ de culture de 8 ha, en dehors de ses activités agricoles, il est aussi menuisier
et maçon.
45
HEBERT J. C., « Les marchés sur les Hautes Terres malgaches avant Andrianampoinimerina », Omaly
sy Anio, n° 29-32, 1989-1990, p. 75 et RABEARIMANANA L., « Le district de Manjakandriana
(province d’Antananarivo) pendant la Seconde guerre mondiale : désorganisation économique et
restructuration sociale », Omaly sy Anio, 29-32, 1989-1990, pp. 121-125.
46
Rapport du traitant français, Nicolas Mayeur dans « voyage au pays d’Ancova », 1785, Bulletin de
l’Académie Malgache, 1913, pp. 43-45.

21
L’artisanat

L’artisanat prend une place non négligeable dans les occupations et le revenu des
paysans en dehors de l’agriculture et l’élevage, et permet de compléter le revenu et
aussi le manque d’argent. Ce complément sert à acheter des fournitures scolaires, à
honorer les petites dettes quotidiennes, à payer les travaux de champs, à acheter les
articles nécessaires à la vie quotidienne comme huile, pétrole à lampe, bougies,
savon, sucre, etc.
Le travail artisanal concerne plusieurs domaines. Les principales activités en termes
de vadin’asa que nous avons collectées dans la commune concernent le tissage et
tressage, la poterie et la broderie et varient d’un village à un autre. Le tissage et le
tressage sont les plus courants car les matières à utiliser sont faciles à obtenir et ne
nécessitent pas d’investissement.
Ravaonasolo Berthine, 39 ans, nous explique ses activités artisanales :
« J’ai hérité de ma grand-mère maternelle et paternelle le tressage. Nous tressons
beaucoup de paniers et nattes parce que les gens de la campagne ont en besoin
dans toutes leurs activités, pour les travaux agricoles dans les champs, pendant la
moisson et surtout lors des famadihana. Tous les articles utilisés dans la vie
quotidienne à la campagne sont à portée de main. Celui qui ne sait pas tresser sait
tisser ou faire autre chose. Si l’article n’est pas produit par les villageois, on peut
le trouver aux marchés d’Anjeva et d’Alarobia Ambatomanga. Les activités
artisanales comme le tressage, le tissage complètent notre revenu agricole. Si nous
disposons plus de temps, nous pouvons produire en quantité de paniers et de nattes
que les intermédiaires viennent les prendre directement chez nous pour aller
vendre à Antananarivo. Maintenant, la demande des gens en ville a beaucoup
évolué, la forme du panier a changé pour une utilisation plus spécialisée, il en est
de même pour l’utilisation des lamba qui a évolué. Les lamba en soie destinée à
embellir les morts servent maintenant à vêtir les vivants et sont devenus très à la
mode »47.

La vannerie est une activité traditionnelle, elle utilise des graminées (haravola) et
cypéracées (herana) locales pour fabriquer des paniers, soubiques, nattes destinées
essentiellement à un usage domestique. Des familles de plusieurs générations les
ont pratiqué et les ont transmis à leurs descendants.

Ramanantenasoa, 54 ans, nous a expliqué l’importance de vadin’asa :

«Les activités en dehors de l’agriculture et l’élevage sont très importantes pour


nous, à savoir les activités artisanales. Elles nous permettent de compléter ce que
gagnons de l’agriculture. Elles sont héritées souvent des grands parents. De mon
côté, ma grand-mère tressait les paniers, les nattes, des chapeaux que ma mère et
sa sœur ont hérité d’elle. De ma génération, je suis la seule à en pratiquer car mes
sœurs font autres choses, comme la couture, la broderie qu’elles ont apprises
ailleurs. Dès mon plus jeune âge, je me suis intéressée à tresser car je le trouve

47
Voir Annexes, n° 49.

22
passionnant. Pour moi, il ne s’agit pas seulement de complément de revenu, car
j’en confectionne en nombre pour vendre aux marchés d’Isotry et de 67 Ha, mais il
s’agit aussi d’une passion car j’aime ce que je fais. Mes deux filles qui vivent avec
nous savent bien tresser et m’aident dans mon travail. Elles s’occupent également
d’écouler les produits aux marchés de la capitale »48.

Razafiarisoa Mariette Beby, 34ans fait part de ce qu’elle a hérité de sa mère et de sa


grand-mère :

« Le travail à main a déjà existé depuis très longtemps, et j’ai hérité de ma mère et
de ma grand-mère le travail de tissage et le tressage. Je pense que c’est le
vadin’asa qui a duré depuis longtemps, d’ailleurs, toutes les femmes du village en
pratiquent. Selon la tradition orale et d’après ma mère, les parents ne laissent pas
les jeunes filles aller se marier sans avoir des connaissances et bagages, car si
elles ne réussissent pas dans leur ménage, elles pourraient subvenir à leurs
propres besoins. Les jeunes gens cherchent leur âme sœur parmi les jeunes filles
qui savent faire travailler leur main. C’est ainsi que nous avons hérité de nos
parents les savoirs-faire »49.

Mais beaucoup d’autres ont cette dextérité qui est très fréquente dans la région.
Certains ont même appris à le faire par les contacts et les liens de voisinage.

Ravo, 24 ans, a évalué ce qu’elle obtient sur chaque vadin’asa qu’elle effectue :

« La broderie apporte 30 000 fmg /mois mais en fonction du nombre de travail, un


champ d’haricot apporte dans les 100 000 fmg pour 3 mois et plus ; les pommes de
terres : 200 000 fmg pour 3 mois et plus ; les courgettes : 75 000 fmg ; choux de
chine : 30 000 fmg ; le lait : 400 000 fmg par mois. Ces ressources permettent
d’épargner un peu de l’ordre de 50 000 fmg/mois50.

Ravaoarimanana christine, 32 ans, mpiavy s’est vite adaptée au rythme du village en


apprenant à tresser et à tisser :

« Le tissage et le tressage sont les activités des femmes de notre village pour aider
à compléter les autres sources de revenu. Les gens s’entraident pour
l’apprentissage et transmettent aux autres le savoir-faire. C’est pour cela que j’ai
appris à tisser et à tresser. Ce n’est pas difficile, mais il faut seulement s’entraîner
beaucoup comme dans d’autres choses »51.

La broderie peta-kofehy ou la peinture à l’aiguille est pratiquée par 17% des


femmes dont Ravo, 24 ans qui est à a fois cultivatrice, éleveuse et brodeuse. Elle a

48
Voir Annexes, n° 58.
49
Voir Annexes n° 34.
50
Voir Annexes, n° 36.
51
Voir Annexes, n°126.

23
jugé qu’il est important d’avoir autre chose que le travail agricole comme ses
parents l’ont fait avant elle.

D’après Ravo :
«C’est un travail passionnant mais qui ne rapporte pas assez d’argent par rapport à
la quantité et la qualité ainsi que le temps consacré au travail. J’aimerasi bien
monter un petit atelier pour moi et ma famille et chercher des débouchés à
Antananarivo au lieu de se contenter des intermédiaires qui ne sont que des escrocs.
Elles nous paient peu et c’est elle qui gagne beaucoup » 52.

Olga, 24 ans, évoque la dépendance des brodeuses à l’égard des employeurs.

« C’est l’employeur qui vient jusque chez nous au village pour le travail de la
broderie à faire. Elle nous procure toutes les fournitures à utiliser, le modèle à
réaliser afin que nous puissions travailler vite. Le revenu de la broderie complète
bien le revenu agricole. En un mois, quand il y a beaucoup à faire, on peut gagner
jusqu’à 100 000 Fmg. Les autres femmes d’ici s’entraident en formant celles qui ne
savent pas encore. Il y en a celles qui sont parties apprendre la broderie chez les
sœurs à Manjakaray »53.

Ce travail dépend en grande partie de l’extérieur car les acheteurs préfèrent


s’adresser à des sous-traitants. La situation n’est pas du tout intéressante pour les
brodeuses à cause de l’intermédiaire qui empoche tous les bénéfices.
Hélène, 41 ans a appris la broderie dans la capitale afin de trouver d’autre source de
revenu. Elle sait tresser mais elle veut être polyvalente.

« Il est intéressant de savoir utiliser ses mains pour être toujours utile. Je suis
partie en ville pour apprendre à broder car j’ai entendu que des gens
intermédiaires viennent jusqu’ici pour trouver des brodeuses. Mais, c’est beaucoup
mieux de monter quelque chose pour soi-même si on dispose de l’argent. Les
brodeuses du village doivent se rassembler et se répartir les tâches afin de
concrétiser le travail »54.

La poterie, par contre, est un travail délicat qui nécessite la maîtrise totale du
savoir-faire, elle est aussi une activité ancienne. Les paysans artisans-potiers, sont
environ 16%, et investissent à un coût relativement faible, dans l’achat du matériel
et les outils de travail. Ils confectionnent leurs produits et les acheminent sur les
grands marchés de la capitale par le taxi-brousse. Le reste dépend des débouchés
qui parfois font défauts.
Hary, 38 ans, fabrique des moules, il en a hérité :

52
Voir Annexes, n° 36.
53
Voir Annexes, n° 65.
54
Voir Annexes n° 35.

24
« En ce qui concerne la fabrication des moules à galettes et les pots de fleur, il
s’agit d’une activité ancienne que les parents et grands parents avaient effectuée.
Les générations postérieures ont hérité cette activité. Des activités artisanales
accompagnent toujours les activités agricoles. Elles complètent beaucoup le
revenu agricole. Les moules à galettes que nous fabriquons sont commandées par
des preneurs qui viennent jusqu’au village pour les récupérer. En outre, quand je
vais en ville, j’en apporte à une personne de confiance qui les vend au Coum de 67
ha »55.

Les habitants du fokontany d’Ivoara pratiquent la poterie pour faire des moules à
galettes tavi-mofo, des marmites en terre vilany tany depuis plusieurs générations,
des pots de fleurs qui sont venus beaucoup plus tard. Le témoignage des personnes
interviewées nous révèle que le travail d’argile est transmis de génération en
génération.
La principale occupation de Samuel, 43 ans du fokontany d’Ivoara est la poterie. Il
fabrique notamment des moules à galettes tavi-mofo et pots de fleur tavim-
boninkazo.

« Nous avons pratiqué dans notre famille la confection des tavi-mofo depuis au
moins quatre générations de mon père. D’après la tradition orale, les grands
parents de mon père avaient déjà fabriqué des tavi-mofo à leur époque, qu’eux
avaient héritée de leurs parents lointains. Les Malgaches ont depuis très longtemps
consommé des mofogasy et ramanonaka, des galettes qui sont faites à partir des
pattes de riz et cuites dans ces moules, les grands et les petits l’adorent. On en
vend de grandes quantité dans tous les marchés»56.

Pour Andriamapianina Albert, 45 ans, il vit dans le même sens.

« Mon grand-père était menuisier, ma grand-mère fabriquait des tavi-mofo. Et ils


étaient en même temps cultivateur et éleveurs. Mes parents cultivaient et ma mère
tressait. Depuis mon divorce je vis seul. Mes enfants sont allés vivre avec leur mère
ailleurs »57.

La demande en tavi-mofo est très importante aussi bien en ville qu’à la campagne
car les mofogasy et ramanonaka sont prisés et considérés comme de la friandise
populaire. En temps normal et pendant les cérémonies festives, la vente des
mofogasy et ramanonaka rapporte toujours. Pour les fabricants, cette pratique a
toujours contribué au revenu des paysans. Il ne s’agit pas seulement d’intérêt
économique mais l’héritage d’un savoir faire qui a duré plusieurs générations, donc
un mode de vie qui marque l’existence des familles d’un village.

55
Voir Annexes, n° 77.
56
Voir Annexes, n° 14.
57
Voir Annexes, n° 39.

25
La mobilité des hommes

Les déplacements des hommes figurent parmi les stratégies paysannes. Il s’agit
surtout de déplacements vers les régions aux activités intenses comme à Alarobia
Ambatomanga, Manjakandriana, Atalata Anjeva. Toutes ces régions se situent à
l’Est d’Antananarivo. Ces déplacements consistent en va-et-vient et migrations
temporaires. Les tompontany et les mpiavy sont concernés par ces mouvements. Les
déplacements vers ces régions permettent d’écouler les produits de culture vivrière
et de polyculture vers les régions de l’Est.

Mais il existe, par ailleurs, des mouvements migratoires qui relèvent d’une tradition
de mobilité vers des zones proches où le voisinage entre pays de forte occupation
humaine et secteurs de terres libres constitue le facteur principal des déplacements.
Ambatondrazaka est la région la plus prisée par les paysans à cause de l’intensité
des travaux rizicoles dans les grandes concessions qui demandent beaucoup de main
d’œuvre permanente.

La grande majorité des travailleurs de cette région provient des régions


d’Andramasina jusqu’à Manjakandriana. Ils y séjournent en travaillant pendant une
année ou deux afin d’accumuler de l’argent et retourner au village. L’objectif est de
transférer de l’argent au tanindrazana, afin de pouvoir s’acheter du terrain, du
bétail, à payer les travailleurs des champs et des rizières et de s’approprier du
prestige social dans le village.

Les autres activités

On peut classer parmi les vadin’asa toutes les activités comme la construction des
tombes, fasana un métier qui occupe les maçons pendant les saisons sèches, le
ramassage de sable le long de la rivière d’Ivovoka, pour lequel les gens doivent se
munir d’une petite barque pour effectuer le travail, la fabrication de charbon de bois
comme combustible. Les habitants de la capitale sont les principaux demandeurs de
charbon de bois. Le travail du charbon de bois demande le renouvellement en
permanence des bois. C’est pourquoi, il n’est pas vraiment répandu dans la
commune.
Le vadin’asa ne se limite pas seulement aux activités courantes déjà décrites mais
touche également les activités illicites comme la production de toaka gasy ou l’eau
de vie et de paraky gasy ou tabac, tous de fabrication artisanale traditionnelle.
La fabrication traditionnelle de toaka gasy est interdite partout à Madagascar à
cause des techniques archaïques qui empoisonnent fréquemment les buveurs et
engendrent un taux de mortalité des adultes assez important. Le paraky gasy est
aussi prohibé à cause du dosage non contrôlé. Mais ces deux produits sont répandus
notamment en milieu rural, et sa vente se fait au grand jour lors des grands marchés
malgré son interdiction. Les paysans sont les principaux consommateurs. Le toaka
gasy est généralement pour les hommes, tandis que le paraky gasy est chiqué aussi
bien par les hommes que par les femmes.
Les tabacs à chiquer fabriqués par les usines et les cigarettes coûtent plus chers
même si on en trouve en grande quantité dans toutes les petites boutiques de la

26
commune. Le paraky est consommé par tous les âges, dès le jeune âge, les gens
apprennent à chiquer car c’est toute la famille, les voisins qui en prennent. Sa
consommation est devenue une habitude. Les gens consomment le tabac à chiquer
comme ils consomment le café.
L’insuffisance de contrôle ou tout simplement l’inexistence de contrôle dans les
milieux ruraux permet aux paysans de cultiver des feuilles de tabac et de produire
en grande quantité avec des méthodes traditionnelles, dans la discrétion totale.
Personne n’évoque la pratique de toaka gasy et de paraky gasy, les gens changent le
sujet de conversation, ou sinon répondent carrément qu’il n’y a pas de fabrication
de toaka gasy et de paraky gasy dans le village.
Rakotondramanana Justin, 46 ans vend de yaourt à son lieu de travail au PAPMAD
pour compléter le revenu, il a essayé d’introduire la consommation de yaourt dans
son village.
«Je partage avec ma femme la préparation de yaourt que je vends à l’usine à
chaque moment de pose tous les jours depuis trois ans. On se procure des pots à
Tsaralalana chez les grossistes indiens. On a choisi de faire des yaourts car nous
perdons souvent d’argent. Les gens ne paient pas correctement l’abonnement. On a
commencé à emmener à l’usine et ça a marché. Les employés s’abonnent et ils
paient correctement à chaque fin du mois. On arrive à un bénéfice net de 150 000
fmg par mois. Nous vendons aussi au village pour inciter les gens à en prendre.
Les gens en achètent mais pas comme au travail. À la campagne, le yaourt ne fait
pas partie de priorité alimentaire. Donc les gens en achètent de façon
irrégulière »58.

L’analyse des pratiques de vadin’asa aboutit à une constatation importante : il est


très important de se rendre compte que les pratiques de vadin’asa ne peuvent être
limitées à une dimension strictement économique, en terme d’économe informelle
rurale. Elles sont indissociables de pratiques sociales et culturelles qui leur
permettent d’exister comme activité économique, et qui sont confortées elles-
mêmes par le vadin’asa.

C’est l’ensemble de ces composantes qui constitue les paysans comme acteurs
populaires, et pas seulement comme des pauvres condamnés à survivre dans
l’informalité. Le caractère pluri-actif des paysans n’est pas un fait nouveau ni un
effet de la pauvreté. Les stratégies paysannes pour faire face aux crises des années
quatre-vingt ne représentent pas des innovations59.

Elles s’inscrivent dans une logique de longue durée qui a toujours cherché à
mobiliser les atouts dans la région afin d’assurer la sécurité alimentaire de la famille
et d’entretenir le tanindrazana. Il existe déjà depuis des générations successives des
paysans qui combinent l’agriculture et l’élevage avec des activités
complémentaires. Il s’agit de comportements propres aux paysans qui doivent
assurer leur sécurité alimentaire.Les paysans ont développé la pluri-activité
notamment à cause de l’insuffisance de terres, car elle permet de garder une
autonomie, malgré l’insuffisance du revenu agricole.

58
Voir Annexes, n° 85.
59
RAKOTO RAMIARANTSOA H., « L’Imerina », in Paysanneries malgaches dans la crise (sous la dir.
J. P. RAISON), pp. 263-264.

27
C’est depuis longtemps que les paysans de Masindray ont cherché ailleurs des
moyens de vivre complémentaires, comme le déplacement des hommes vers l’Est
depuis l’ouverture de la voie ferroviaire qui relie Antananarivo et la côte Est au
début du siècle dernier, ou comme le commerce ambulant qui s’est développé dans
la région d’Anjeva, de Manjakandriana et d’Ambatomanga.
A partir de 1966, l’ouverture de la route de Mandroseza à Ambohimanambola a
permis d’acheminer les légumes vers les marchés des paysans Tsenan’ny tantsaha à
Analakely de la capitale, à Anosy et à Anosibe. Il s’agit d’une extension de la
production agricole et de l’intensification des pratiques culturales. Les produits
artisanaux, la vannerie, la poterie (soubiques, nattes, paniers) qui ont une grande
importance dans le village, sont aussi acheminés vers la capitale, aux marchés
d’Analakely et d’Isotry. D’autres villages fabriquent des pots de fleurs, tissent des
linceuls en soie, et des jia fotsy, rabane faite en raphia. A l’époque royale, la région
de Masindray était réputée pour le tissage des jia fotsy pour les besoins royaux60.
Les moyens de transport sont assurés d’une part, par le train des voyageurs ou
« meda »61 reliant la région de l’Est et la capitale. Le chemin de fer passe à
Ambohimanambola. Et d’autre part, les paysans vont à pieds en quittant en grand
nombre le village dès minuit pour arriver tôt à Antananarivo.
Le recours au vadin’asa n’est pas à confondre avec la pauvreté. Néanmoins, il est
en quelque sorte la réponse à la pauvreté. Mais c’est une réponse qui cherche à
éviter de tomber sous la dépendance d’acteurs extérieurs. Les paysans sont devenus
méfiants, à travers l’expérience transmise de génération en génération, à l’égard des
promesses faites par les intervenants extérieurs. Les stratégies étatiques, comme
celles des acteurs non étatiques mais souvent associées au fanjakana, proposant des
moyens de sortir de la pauvreté, sont perçues de plus en plus souvent comme des
« ruses » d’intervenants extérieurs qui utilisent la paysannerie pour atteindre des
objectifs qui n’ont rien à voir avec les besoins réels des populations.
Le vadin’asa est au cœur des pratiques des pratiques des acteurs populaires,
cherchant à se ménager un espace d’autonomie face à un monde méprisant ou
hostile. Il est constitutif de l’identité de ces acteurs populaires.

4- Les acteurs populaires à Masindray : les tompontany62 et les mpiavy63

Les tompontany et les mpiavy sont deux catégories de personnes qui représentent
les principaux acteurs dans les milieux ruraux de la commune. Ils sont réunis dans
le fokonolona dans un même fokontany. Les tompontany ou autochtones sont, d’une
part, les descendants des anciens occupants de Masindray, les groupes de notables
andriana du temps des royaumes, revenus après la période coloniale, et d’autre part,

60
III CC 218, Lettre adressée au Premier Ministre Rainilairivony du 14 asorontany 1895, envoyée par
Rabefisoro, Chef de Vonizongo, Rafaralahidimy sy Rainibodo, Rakoto et Rakotovelo gouverneurs de
Masindray. La région de Masindray a reçu l’ordre de confectionner des jia fotsy pour l’utilité royale.
61
Meda se traduit par la lenteur du train.
62
Les tompontany sont originaires de la région, leurs ancêtres étaient de cette région, tompo=propriétaire ;
tany=terres, régions, donc, propriétaire de tanindrazana.
63
Les mpiavy sont par contre les nouveaux venus, qui n’ont pas de racine dans la région. Ils ne sont pas
originaires de la région.

28
les descendants des serviteurs de ces nobles, les hova et andevo qui ont toujours
manifesté leur attachement et leur fidélité envers leurs maîtres.
Le premier groupe de tompontany est faiblement représenté dans la commune, il est
fortement absorbé par le second groupe, descendants des serviteurs.
Les tompontany s’identifient par rapport au milieu à savoir aux maisons ancestrales
ou tranon-drazana, aux tombeaux familiaux ou fasan-drazana, aux terres de
cultures et rizières des parents, arrières-grands parents transmis aux générations
descendantes. Ces tompontany attachent beaucoup d’importance à leur
tanindrazana car ce patrimoine représente tout pour eux. Il est le point de départ,
car les ancêtres en sont issus et tous les biens qu’ils ont laissés s’y trouvent
(maisons, terres de cultures, rizières, forets, pâturage, etc.).C’est la base de la
référence identitaire (le nom, la position sociale), la destination finale (la présence
des tombeaux familiaux), donc un point de repère et un point d’attache. Même s’ils
sont partis travailler loin, il y a toujours l’idée du retour à la terre des ancêtres, à la
terre d’origine.
Razafinndrangory, 70 ans, veuve est originaire d’Ampanobe, donc elle est
tompontany. Elle est très attachée à son tanindrazana. Elle nous révèle sa relation
avec son milieu en tant qu’issue de la région.
«J’ai vécu ici depuis ma naissance et j’y ai grandi. Jusqu’à maintenant, je continue
à y vivre. Pour moi, c’est une fierté. Ma racine est ici, ma destination est aussi ici.
Mon père et ma mère étaient d’ici d’ailleurs. Les biens laissés par les parents et les
ancêtres sont là : les rizières, les champs de culture, les collines, la maison, le
tombeau qui sont hérités par les descendants. C’est à leur tour d’en prendre soin et
d’exploiter. C’est le souhait des parents et des ancêtres. Le tanindrazana
représente un grand intérêt et est sacré. Celui qui n’en a pas est très malheureux.
Même ceux qui sont partis loin pour travailler reviennent à leur source. Les
ancêtres ont pu vivre ici sans trop de difficulté, je ne vois pas pourquoi on doit
aller vivre en ville pour aller chercher la misère. On était bien ici, on continue d’y
être. C’est ce que je dis à mes enfants et petits enfants de ne pas délaisser le
tanindrazana pour que les autres en prennent possession »64.

Les terres de cultures et les pâturages qu’ils possèdent sont alors des héritages de
leurs ascendants. Le nombre de parcelles de terres de ces tompontany n’a pas
changé mais reste celui laissé par les parents, alors que le nombre des héritiers a
quadruplé depuis au moins quatre générations. Les terres étaient et sont distribuées
selon le nombre des enfants et se transmettent aux générations postérieures sans
qu’il y ait de changement. Les enfants à leur tour distribuent le peu de terres dont ils
possèdent à leurs enfants. Et les familles ont souvent entre 4 à 10 personnes vivant
sous le même toit. Ainsi beaucoup de familles tompontany de générations
antérieures ne sont plus nécessairement propriétaires de terres suffisantes pour
vivre. Le morcellement des terres est donc parfois extrême.

Éliane, 24 ans, est petite fille de Randriamaora (103 ans) :

64
Voir Annexes, n° 44.

29
« Nous exploitons les terres de nos parents et grands parents. Ces terres ne sont
pas encore toutes réparties entre les petits enfants. Selon la tradition, la répartition
ne peut se faire que lorsque la personne qui possède les biens soit décédée. Mais
mon grand père (Randriamora) nous a déjà montré toutes ses terres, les forêts et
les champs de culture, les biens qui sont exploités et ceux qui ne le sont pas
encore»65.

Cette insuffisance de terres en leur possession est un problème pour les tompontany
car pour produire et nourrir toute la famille pendant une saison, ils sont obligés de
travailler comme métayers car les terres dont ils disposent sont trop insuffisantes.
Mais ils s’y adaptent facilement et ne considèrent pas ce manque comme une
catastrophe. Les réponses se trouvent sur place.
Razafindrasolo, 37 ans, fait partie de tompontany qui ont de problème de terres.
Selon lui,
«Les paysans n’ont pas assez de terres pour vivre et améliorer son niveau de vie
alors qu’il y a beaucoup de terres qui n’attende qu’à être exploiter. Ce sont les
gens venant d’ailleurs qui ont de l’argent et d’influence qui obtiennent les terres
qu’ils choisissent ici. Ce système est désagréable pour les paysans car on peut dire
qu’ils sont obligés de demander les terres qui doivent leur revenir. Si l’Etat veut
vraiment aider les paysans à sortir de la pauvreté, la solution est simple, il doit
donner aux paysans la facilité d’accès à la terre »66.
Tahina, 24 ans, a l’ambition d’acheter des terres.

« Mon mari et moi s’entraidons pour cultiver la rizière et les champs de culture
qu’il a hérité de ses parents. Nous comptons acheter d’autres rizières car ce que
nous disposons maintenant ne sont pas assez pour nourrir toute la famille et pour
vendre. C’est le manque de terre qui est la principale cause de la pauvreté à la
campagne. Les familles qui n’ont pas beaucoup de terres souffrent, mais celles qui
ont beaucoup de terres, ils sont bien à l’abri des besoins. On ne peut pas vraiment
dire que les paysans sont pauvres. Ils sont pauvres lorsqu’ils dépensent toute leur
fortune à faire le famadihana. Avec l’argent qu’ils économisent pour préparer le
famadihana, ils peuvent bien investir sur d’autres choses beaucoup plus
rentables »67.

Vololona, 32 ans et son époux comptaient acheter de terres.

« Mon mari est tompontany, originaire de Miadamanjaka II, il est cultivateur et


éleveur, mais aussi, il travaille comme chauffeur de taxi-brousse qui relie
Antananarivo-Ambohimanambola. Mes beaux parents qui vivent avec nous, nous
ont légué des terres, mais mon mari et moi avons beaucoup travaillé aussi pour en
acheter d’autres terres. Le salaire de mon mari contribue à payer les travailleurs
car toutes les terres sont exploitées. Nous combinons l’agriculture et le petit
commerce, ce qui nous permet d’avoir un peu de réserve afin de pouvoir acheter
du bétail pour travailler les terres et labourer les champs. Il n’est pas question
d’attendre ce que mon mari peut gagner de son travail, je dois moi-même travailler

65
Voir Annexes, n° 52.
66
Voir Annexes, n° 75.
67
Voir Annexes, n° 100.

30
de mon côté. Maintenant, le couple doit s’entraider pour faire face aux problèmes.
L’objectif est de réussir dans la vie »68.

Par ailleurs, le métayage est courant entre les familles et les voisins. Cette pratique
est basée sur la confiance réciproque entre les deux familles contractantes. Elle s’est
élargie pour les terres des familles vivant en ville ou ailleurs. Leurs terres restent
exploitées par les familles au village malgré leur absence. Des problèmes
d’accaparement de ces terres se sont déjà posés, mais se sont résolus au niveau du
fokonolona.
En partant travailler dans les grandes concessions comme à Miainarivo Itasy au
Moyen Ouest, ou encore à l’Est dans la grande plaine d’Ambatondrazaka, jusqu’au
nord ouest, à Marovoay, les gens arrivent à racheter des nouvelles terres. Il en est de
même pour les pères de familles qui travaillent de façon intermittente en ville pour
pouvoir agrandir leurs terres.
Dans les années quatre vingt, certaines familles ont choisi de vivre en ville, à cause
des impacts négatifs de la crise, pour ne plus dépendre de terres. Mais très vite, les
personnes ayant choisi de vivre en ville ont été confrontées à d’autres problèmes
beaucoup plus difficiles à maîtriser et très complexes comme le manque d’emploi et
le problème logistique qui les ont obligées à retourner au tanindrazana après
quelques années d’errements. Le coût de la vie en ville et le manque d’emploi les
ont incité au retour vers la terre à titre de métayers jusqu’à ce qu’elles puissent en
acheter pour leur propre compte.

Rasoloarimanana François, 43 ans, a vécu pendant des années dans la capitale avant
de revenir à la campagne.
« J’ai cru qu’en ville on peut mieux vivre qu’à la campagne. J’ai suivi mon père à
Antananarivo à l’age de 12 ans. Nous étions trois à le suivre. Il travaillait comme
maçon. Nous n’avons pas assez de terres donc pas assez de moyens, alors mon
père a décidé de travailler en ville à suivre des chantiers de construction de
maison. L’argent qu’il y gagnait était envoyé à la campagne pour compléter le
revenu agricole afin d’aider dans toutes les dépenses agricoles. Ma mère et mes
autres frères et sœurs sont restés ici. Mon père est rentré définitivement après
avoir épargné suffisamment d’argent pour acheter des terres et des bœufs. Seul
mon frère aîné continue à vivre à Antananarivo. J’ai aussi une de mes sœurs qui vit
là-bas en suivant son mari. Je suis retourné à la campagne après quelque temps
que mon père. Je ne vois pas la nécessité de rester en ville »69.

Les familles qui sont restées au village doivent remédier au manque de terres, elles
doivent acquérir des terres pour affirmer leur place au tanindrazana tout en restant
métayers. Ces terres sont de petites parcelles permettant une continuation
permanente des activités agricoles et la manifestation de la présence au
tanindrazana afin de maintenir le statut social et de reconstruire les liens sociaux.
A côté des tompontany, il y a le groupetrès importants des mpiavy, les non
originaires.

68
Voir Annexes, n° 102.
69
Voir Annexes, n° 55.

31
L’arrivée des mpiavy à Masindray remonte à la fin des années quarante, elle a
continué massivement dans les années 1970 et 1990 suite à l’idée d’occupation de
terres. La commune de Masindray dispose d’importantes terres à titre domanial
comme partout ailleurs, qui pourraient devenir propriété privée après leur
occupation et leur mise en valeur. La loi du 15 février 1960, n°60-004, qui exige
une « emprise personnelle, réelle, évidente et permanente sur le sol », depuis au
moins dix ans, avait permis à des exploitants individuels de s’approprier des
terres70.
Ravaomalala, 43 ans, est arrivée à Masindray en 1970, elle vient d’Ambaniala
Itaosy. Elle est professeur de Malagasy dans le C.E.G d’Antonontany 71.

« J’ai reçu du ministère de l’éducation l’affectation d’enseigner, alors j’ai choisi


d’accomplir ma fonction et vivre ici. Et depuis, je suis restée. Je n’ai pas encore de
terres mais je cultive à titre de métayer et j’exploite une parcelle de terre que je
compte m’approprier plus tard »72.

Comme Masindray est en quelque sorte un carrefour qui relie l’Antsimondrano à


l’Avaradrano, les mpiavy qui sesont installés à Masindray sont originaires des
régions environnantes d’Antananarivo et des régions proches de la commune de
Masindray.

Les mpiavy sont majoritairement des femmes arrivées au village pour se marier. La
tranche d’âge des mpiavy varie entre 31 à 45 ans Ce village constitue sa terre
d’accueil. Elles n’ont pas d’attachement socioculturel historique au village
d’accueil mais en se mariant avec un tompontany, elles ont adopté le tanindrazana
de leurs époux. Les femmes suivent leurs époux après leur mariage. À leur mort,
elles seront enterrées dans la tombe de leurs époux, c’est le fomba, coutume.
Fara, 32 ans, cultivateur est originaire d’Ankadinandriana, commune rurale située à
18 km au nord de Masindray, elle est devenue possesseur de terres tout en étant
métayer :

« Mon mari est originaire de Masindray. Il est menuisier à Ampahimanga, et moi,


je viens d’Ankadinadriana. Je fais de la broderie et je cultive. Nous possédons une
parcelle de rizière tout en étant métayer. La terre que nous exploitons est
l’héritage de mon mari de ses parents, partagée avec quatre frères et trois soeurs.
Je suis venue vivre à Masindray depuis 1992 lorsque je me suis mariée afin de
suivre mon mari. La broderie est un métier que j’ai appris de mon voisinage. Ma
grand-mère tissait les linceuls et les nattes en raphia. Mon grand-père était
menuisier. Parmi mes sœurs, quelques unes savent tisser mais pas toutes. Chacun a
trouvé des occupations qui leur permettent de subvenir à leurs besoins. Ma mère
est toujours cultivatrice et éleveur. Du côté de mon mari, les parents sont
également cultivateurs et éleveurs »73.

70
Malgré cette loi en vigeur, l’accès à la terre n’est pas aussi facile.
71
Collège d’enseignement général public.
72
Voir Annexes, n° 63.
73
Voir Annexes, n° 57.

32
Razafindramanana Gritte, 48 ans, mariée est originaire d’Ambatofolaka-Anjeva.
Son mari est aussi originaire d’Ambatofolaka Anjeva. Elle est brodeuse et
cultivatrice.

« Nous avons décidé de nous installer ici à cause de la distance entre le lieu de
travail et le lieu d’habitation à Anjeva. Le moyen de transport devient coûteux si il
ne veut pas marcher à pieds longtemps pour rejoindre son lieu de travail. C’était
mon beau-père qui a longtemps travaillé chez PAPMAD, il est à la retraite. C’est
mon mari qui l’a remplacé dans son travail. Nous avons exploité la terre de l’Etat
au départ quand nous étions installés pour la première fois. Nous avons quand
même pu nous acquérir de cette terre plu tard. Il est beaucoup moins coûteux de
vivre à la campagne que de vivre en ville. Quand on a de quoi cultiver, on peut
vivre sans problème. C’est la raison pour laquelle, nous nous sommes fixés ici » 74.

Il existe aussi des hommes mpiavy qui ont immigré à titre définitif. Ils sont en
nombre restreint. Ils se sont mariés aux femmes tompontany pour s’intégrer dans la
communauté. Selon les fomba, leurs femmes doivent les suivre à leur tanindrazana.
Mais comme ils ont choisi de vivre au village, ils sont amenés à construire leur
milieu de vie et construire leur tombeau. Ainsi, ils se sont soumis aux fomba du
fokonolona.
Beaucoup de femmes interviewées sont tompontany car leurs parents sont issus du
village et possesseurs de terres. Elles n’ont pas quitté la région pour des raisons
d’attachement aux lieux d’origine et au souci d’entretenir le tanindrazana. Elles se
sont mariées avec les hommes tompontany et détenteurs de terres.
Les deux dernières catégories d’âges comprises entre 46 à 65 et entre 65 à 100 ans
et plus sont sans doute des tompontany, descendants directs des premiers occupants
du village. Leurs ancêtres étaient soit des nobles ou andriana, soit les serviteurs des
nobles ayant reçu des terres comme reconnaissance et fidélité à leurs maîtres.
Ces serviteurs avaient transmis à leurs descendances leurs biens (terres, maisons,
rizières, etc.), les traditions et les savoir-faire. Certains ont vécu ailleurs mais sont
étroitement liés à leurs terres d’origine. Les autres sont restés au village pour veiller
au tanindrazana car le tombeau familial s’y trouve ainsi que tous leurs biens. Ces
tombeaux sont les liens entre la famille des villes et des campagnes.
Les hommes de toutes catégories d’âges sont à 88% tompontany de la région. Ils
sont quasiment tous possesseurs de terres, notamment les hommes de plus de 45
ans. 22% sont mpiavy, mais qui vivent dans le village en raison du travail.
L’installation du centre hydroélectrique de la JIRAMA75 à Ambohimanambola a
contribué à attirer des ouvriers des régions avoisinantes.
Les mpiavy n’ont pas systématiquement de terres mais exploitent les terres
domaniales, certains louent leurs maisons d’habitation avant d’avoir la possibilité
d’en construire. Ils sont essentiellement des métayers. Les hommes qui ont suivi
leurs femmes par contre en possèdent par le biais de leurs épouses. La plupart de
ceux qui n’ont pas de terres, ou bien ceux qui n’en ont pas suffisamment sont
devenus métayers. .
Dans le cas de Masindray, des familles possesseurs de terres donnent les leurs en
métayage aux familles qui n’en possèdent pas.

74
Voir Annexes, n° 64.
75
JIRAMA, compagnie des eaux et d’électricité malagasy.

33
Razafindrazanamamy, 38 ans est mpiavy et ne possède pas de terres :

«Je suis venue ici quand j’avais dix huit ans lors de mon mariagi. Nous avons
choisi de vivre à la campagne parce que la vie en ville est coûteuse. Il est difficile
de trouver du travail. Par contre, à la campagne la vie n’est pas aussi facile qu’on
ne le croit, mais on y trouve du travail à faire, l’agriculture, travailler dans les
champs, travailler sur la rivière d’Ivovoka pour ramasser de sable à vendre. Notre
principal problème est le manque de terre, ce qui nous pousse à travailler dur pour
avoir un peu l’argent pour acheter des terres. Nous sommes obligés d’être des
métayers. Beaucoup de familles mettent leur terre en métayage. Les propriétaires
de terres qui vivent en ville mettent leurs terres à la disposition des métayers. Les
récoltes sont ainsi à partager, le tiers pour la propriété de la terre et les deux tiers
pour nous »76.

Ce système de location de terres est parfois source de discordance et de malentendu.


Mais il est aussi un moyen de renforcer les liens sociaux entre villes et campagnes,
entre les familles qui sont propriétaires de terres vivant ailleurs et les utilisateurs
vivant sur place. Ainsi les possesseurs de terres ne sont pas coupés de leurs sources
d’origine, leur tanindrazana. Ils peuvent êtres soit des parents proches, soit des
connaissances lointaines de la famille originaire du village. Dans la plupart des cas,
les terres données en métayage appartiennent souvent aux familles qui vivent dans
la capitale ou dans d’autres régions. Le 1/3 de production revient aux propriétaires
des rizières, mais les 2/3 restent aux métayers, suivant un arrangement préalable
entre le métayer et la propriétaire. Le métayage a permis à bon nombre de familles
d’avoir des contacts permanents avec les villes et de renforcer les relations sociales
et familiales dans le village.
Pratiquement tous les cultivateurs qu’ils soient possesseurs de terres ou non
possesseurs sont métayers, puisque de nombreux possesseurs compensent ainsi
l’exiguïté de leur parcelle. Les paysans qui ont de trop petites parcelles doivent
devenir métayers, ce qui consolide les possesseurs de terres, mais en même temps,
les paysans métayers développent d’autres activités dont une partie des débouchés
sont les possesseurs ruraux, ou émigrés à la ville, dont le revenu est un peu
supérieur.
Les tompontany et les mpiavy, réunis dans un même village, un même territoire, un
même tanindrazana composent un fokonolona qui défend les mêmes intérêts. Il est
difficile de faire une distinction entre eux car ils agissent de la même manière. Les
hommes mpiavy en s’installant à Masindray se sont souvent détachés de leur
tanindrazana respectif, et ils ont construit de nouvelle tombe pour eux et toute leur
famille. Ainsi Masindray est devenu leur principal centre d’intérêt car non
seulement leur tombe familiale y est implantée mais aussi tous leurs biens, maisons,
terres, prairies, etc. Un nouveau mode de vie y est ainsi adopté suivant les coutumes
de la région ou fomban-tany.

76
Voir cf. Annexes, n° 7.

34
5- La reproduction des liens sociaux en milieu rural : une composante majeure
de l’économie populaire

L’analyse des pratiques de vadin’asa et de la place des tompontany et des mpiavy à


Masindray ont permis de montrer que il existe une relation forte entre aspects
économiques et sociaux dans l’économie populaire. Cette relation est elle même
liée à la mise en œuvre de valeurs et de comportements collectifs qui existent
depuis des générations, tout en s’adaptant aux mutations du monde ambiant. Les
valeurs culturelles sont indissociables des conditions de vie dans le fokonolona et
des stratégies développées pour maintenir la cohésion de la collectivité face aux
dangers qui la menacent de l’intérieur ou de l’extérieur. Les relations sociales
reposent sur la confiance et la réciprocité .Les villageois veillent à maintenir la
cohésion sociale à travers tout un ensemble de règles et coutumes régies par le dina,
le fihavanana, le firaisan-kina, mots qui signifient l’entente pour tous les aspects de
la vie du village et de la communauté, et qui désignent la confiance mutuelle
comme base de la vie sociale.

Quelques traits de ces valeurs sont évoqués par la notion du fihavanana soulevée
dans toutes les circonstances comme la pierre angulaire de toutes relations sociales.
Le proverbe malagasy « aleo very tsikalakalam-bola toa izay very tsikalakalam-
pihavanana »77, exprime l’intérêt de maintenir et de fructifier les relations sociales
pour l’harmonie et l’équilibre de la société.

Vincent de Paul, 51 ans en est bien conscient quand il parle de l’importance du


fihavanana :

« Pour les Malagasy, le fihavanana est très important qu’on ne peut pas acheter
avec de l’argent. Avec le fihavanana, on peut éviter la guerre, la dispute et la
rupture au sein de la famille et de la société. Si on peut éviter la discordance, vaut
mieux l’éviter car vivant on vit sous le même toit, mort on se retrouve dans la
même tombe, à quoi bon s’entretuer. Les ancêtres avaient raison de mettre l’accent
sur le fihavanana. Le roi Andrianampoinimerina en était conscient. Pour
l’extension de son royaume, il ne faisait pas la guerre pour envahir une province
sous sa domination, il préférait se marier avec la fille de son adversaire et le
problème est réglé. Un Malagasy n’a plus sa raison d’être malagasy, s’il ne
respecte pas le fihavanana »78.

On se réfère aussi au dina, une sorte de convention et règlement interne entre les
villageois qui régularise aussi bien l’équilibre que l’ordre social.
La confiance mutuelle existe en partie parce que les habitants d’un village sont des
parents proches issues d’une même origine ancestrale. Elle a donc une racine dans
l’économie communautaire ancienne. Face à l’extérieur, la trahison au sein d’un
village est très rare sinon presque inexistante.

77
Le proverbe montre qu’il est beaucoup préférable de perdre de l’argent au lieu de perdre l’amitié ou de couper
les relations aussi bien familiales que communautaires.
78
Voir Annexes, n° 42.

35
Il est indéniable que les relations familiales conservent une place centrale, autour de
la famille élargie, et sont l’héritage de l’économie communautaire. D’où
l’importance centrale du tanindrazana jusqu’aujourd’hui.
Le tanindrazana est le centre d’intérêt et de référence puisque toutes les activités
économiques des familles sont axées sur l’entretien de ce cadre de vie. Pourquoi les
gens tiennent-ils à se fixer sur un même endroit qui est l’origine de leurs ancêtres ?
Au niveau du tanindrazana, plusieurs éléments sont en étroite interrelation. Il y a le
patrimoine historique de la famille en question que chacun de ses descendants est
tenu de respecter en les transmettant aux générations postérieures, donc les noms à
conserver ; tous les biens mobiliers et immobiliers laissés par les ancêtres doivent
être entretenus par leurs descendants ; les fondements culturels sur lesquels repose
l’éthique de la famille sont à respecter. La cohésion familiale et sa perpétuation à
long terme sont liées à l’appartenance au tanindrazana. La confirmation des liens
lignagers est alors fort liée à un espace en construction permanente.

Razafindrangory, 70 ans :

« J’ai vécu ici depuis ma naissance et j’y ai grandi. Jusqu’à maintenant, je


continue à y vivre. Pour moi, c’est une fierté. Ma racine est ici, ma destination est
aussi ici. Mon père et ma mère étaient d’ici d’ailleurs. Les biens laissés par les
parents et les ancêtres sont là : les rizières, les champs de culture, les collines, la
maison, le tombeau qui sont hérités par les descendants. C’est à leur tour d’en
prendre soin et d’exploiter. Ce fut le souhait des parents et des ancêtres. Le
tanindrazana représente un grand intérêt et sacré. Celui qui n’en a pas est très
malheureux. Même ceux qui sont partis loin pour travailler reviennent à leur
source. Les ancêtres ont pu vivre ici sans trop de difficulté, je ne vois pas pourquoi
on doit aller vivre en ville pour aller chercher la misère. On était bien ici, on
continue d’y être. C’est ce que je dis à mes enfants et petits enfants de ne pas
délaisser le tanindrazana pour que les autres en prennent possession »79.

Rakotobe 45 ans :

« Mes grands parents nous ont transmis le message qu’il ne faut pas abandonner le
tanindrazana car c’est le bonheur pour tous. Dans la famille et celles de tout le
village, les pratiques de famadihana ont lieu pour fortifier la cohésion entre les
vivants mais surtout affirmer le respect envers les ancêtres pour qu’ils veillent sur
nous tous. Les relations au niveau du village sont entretenues. Ce qui pousse les
gens à se respecter et à respecter les aînés. Le fokonolona ainsi joue son rôle de
médiateur et de rassembleur ».

Derrière l’économie populaire, il existe toute une dynamique socioculturelle et


économique en construction continue qui se réinvente sans cesse en fonction des
situations présentées.
Mais le tanindrazana n’est pas la seule composante de la vie du fokonolona . A
travers le temps, les familles issues d’un ancêtre commun, devenues finalement des
ensembles très larges, ont inventé des normes et des pratiques qui permettent de
maintenir une certaine cohérence de ces ensembles. Avec le temps, ces règles
peuvent même incorporer des nouveaux membres dans la communauté villageoise,
à côté des familles originaires, comme le montre le cas des mpiavy contemporains.

79
Voir Annexes, n° 44.

36
Les relations entre tompontany et mpiavy montrent que le système est ouvert et peut
évoluer. Le fokonolona contemporain a inventé des procédures diverses, on l’a vu,
pour intégrer les immigrés. Finalement, originaires et immigrés réinventent de
nouvelles formes de fihavanana, adaptées au nouveau contexte. Les relations de
voisinage ont pris beaucoup d’importance à côté des liens familiaux.

Le fihavanana fait partie du bien être populaire. Le centre d’intérêt se trouve


focalisé autour de la reproduction des liens sociaux et de la réaffirmation des droits
à la terre. Les paysans sentent le besoin de réinventer le fihavanana pour atteindre
des conditions de vie meilleures.

Le vécu quotidien de la société rurale est traduit par un proverbe « an-tsaha tsy
mifanary, an-tanana tsy mifandao »80, qui montre la cohésion sociale dans la vie
communautaire, qu’il est question de partager aussi bien le bien que le mal. D’où
l’importance particulière que chacun témoigne lors des décès, maladie, mariage,
naissance et famadihana ou retournement des morts des familles proches ou
membres de la communauté. La redistribution faite à ces occasions par les plus
riches vers les moins riches reste impressionnante, et les revenus gagnés par le
commerce ou le séjour à la ville sont largement réinjectés dans ces manifestations
de sociabilité.

Ranjalahy 76 ans :

« On peut dire que le fihavanana garde toujours son importance si on observe ce


qui se passe dans notre village. Les gens respectent la société. Il est vrai que les
gens d’ici sont des parents, mais il ne faut pas nécessairement être parent pour être
en bonne relation. Avec les habitants du fokontany voisin, le fihavanana reste
valable. Nous le vivons dans tous les domaines. Nous nous soutenons en bien et en
mal. À l’accouchement d’une mère de famille, les villageois s’entraident pour
accomplir les obligations sociales. Si un décès survient dans le village, les gens
partagent la peine de la famille concernée. Les gens de donnent la main pour les
travaux qui demandent une importante contribution »81.

Le fihavanana est un type de relation qui n’empêche pas la différenciation ni


l’inégalité, mais en limite les conséquences sur la collectivité. Il a été mis en place
dans des communautés relativement égalitaires à l’origine, mais a évolué avec une
tendance historique croissante à l’inégalité. De ce fait, la hiérarchie sociale établie
au sein de la communauté fokonolona est respectée par tous, même si la crise
économique de la Seconde république a beaucoup perturbé les conditions de vie
économique et sociale des populations.
Le fihavanana se combine avec les pratiques sociales comme l’entraide au travail,
les obligations sociales, ou « adidy sy andraikitra » , les consensus dans le mode
d’organisation et le maintien de la sécurité, qui ensemble reposent sur le souci de
défendre les intérêts communs du fokonolona.
Les formes d’entraide qui rassemblent les tompontany et les mpiavy au sein d’un
même fokonolona, se traduit par le proverbe malagasy « izay tsy mahay sobiky
80
C’est un proverbe malagasy « Antsaha tsy mifanary, an-tanana tsy mifandao » qui exprime le
sentiment de toujours affronter ensemble le bon et mauvais moment dans toutes les circonstances et
partout.
81
Voir Annexes, n° 47.

37
mahay fatram-bary », « ny trano tsy mahalen-kialofana » : « celui qui sait fabriquer
un panier ne sait pas nécessairement construire une mesure de riz » ou encore
« quelle que soit la propriété d’une maison, elle pourra être un abri pour tous à la
tombée des pluies ». Proverbes qui montrent des gens conscients de l’importance
d’organiser des formes de coopération entre ceux qui partagent le même milieu de
vie et défendent les mêmes intérêts.

La réciprocité, par ailleurs, se fait par le partage des taches agricoles et non
agricoles, « entan-jaraina mora zaka », ou encore rendre le service qui a été offert,
valin-tanana, qui a toujours existé au sein de la société malagasy. Les travaux
agricoles se déroulent avec la contribution des autres familles en fonction des
saisons et de leur temps disponible.
En milieu rural existe le système d’entraide qui relève de la participation collective
ou mindran-tànana, -prêté la main- et valin-tànana -rendre la main- ou encore -
rendre le service qu’une personne a donné. Les travaux des champs notamment la
riziculture nécessitent cette organisation et la contribution de tous les villageois.
Un calendrier de travail est établi d’avance avec le consentement de tous afin que
toutes les rizières soient travaillées. Tous les habitants hommes et femmes
s’organisent soit en se répartissant, soit en se rassemblant pour travailler toutes les
rizières selon le type de travail et suivant le calendrier cultural (période de
labourage des rizières, semence, repiquage, moisson, etc.). Une telle organisation
est nécessaire car le calendrier peut être modifié à tout moment à cause du
changement du temps, temps sec dû au retard des pluies et temps cyclonique avec
risque d’inondation. Il y a aussi des moments où il faut respecter un délai comme
lorsqu’on doit répartir l’eau de montagne pour irriguer les champs, et la
participation de tous est alors très importante.
Cette organisation est aussi valable pour d’autres activités non agricoles comme
l’artisanat, les services et la transformation. Elle permet de renforcer la cohésion et
à améliorer l’organisation. La propriétaire de la rizière offre le déjeuner pour les
travailleurs tout au long de la période de travail en nourriture ou en argent. Il s’agit
d’un fomba ou coutume. Quand c’est son tour de travailler les rizières de quelqu’un
d’autre, alors le propriétaire de la rizière fera la même chose. Cette pratique est
valable pour tous les habitants propriétaires de terres ou métayers, les anciens ou
tompontany et les nouveaux ou mpiavy.
Cette convivialité fait partie du mode de vie rurale séculaire, menacée par le
durcissement des crises économiques originaires de la ville. A Masindray, des
travaux gratuits sont fournis par le fokonolona pour les familles qui n’ont pas
vraiment de moyens (terres et argent). Cette entraide, fortement réglée par la
coutume, montre l’existence de relations sociales encore fortes entre les habitants,
entre les familles élargies au sein de la communauté.
Rakotoson, 82 ans, montre une manifestation du fihavanana :

« Vivre seul ne me dérange pas vraiment car j’arrive encore à m’occuper de moi-
même, de surveiller les travailleurs au champ et de préparer leur déjeuner. Les
parents et le voisinage, le fokonolona m’aident tous grâce au fihavanana,
caractère spécifique des Malgaches. On n’est pas seul tant qu’on n’a pas fait du
mal et qu’on s’entend bien avec la société. C’est le fokonolona qui m’aide presque

38
dans tous les domaines, par exemple, aller chercher de l’eau dans le puits,
s’organiser pour le travail des champs. Même si mes enfants et mes petits enfants
me rendent visite régulièrement et m’apportent ce qu’il faut »82.

On peut dire que le concept de patrimoine organisationnel avancé par Mignot-


Lefebvre et Lefebvre correspond assez bien aux réalités du fihavanana : « un
patrimoine organisationnel, c’est pour une communauté donnée : des valeurs
éthiques et morales, des consensus dans les échanges de travail, des systèmes de
transmission des connaissances, des réflexes d’entraide et de défense, des arts
partagés, des religions acceptées, des espaces de marginalité, des systèmes de
régulation assurant les équilibres fondamentaux. Un patrimoine se constitue avec
beaucoup d’efforts et de temps »83.
Ce «patrimoine organisationnel » renvoie en effet à l’ensemble des valeurs sociales
et culturelles qui font la cohésion des villageois, et qu’ils maintiennent et
respectent.
La capacité de réinvention du fihavanana en fonction de l’évolution des contextes
et des opportunités est illustrée par l’apparition et la dynamique des « groupements
de base » dans les villages.

Les paysans se sont réunis dans des «groupements de base » dans le cadre des
villages. L’adhésion à ce groupement n’est pas restrictive, les paysans d’un autre
fokontany peuvent s’y intégrer dans la mesure où leurs objectifs se rejoignent. Le
groupement de base de Tsarahonenana accepte les membres en provenance du
fokontany d’Imerikanjaka ou d’Ivoara.

La mise en place et l’intégration des paysans dans les groupements de base sont
liées à deux facteurs : l’exclusion des paysans par rapport aux centres de décision
politique et l’exclusion économique par rapport aux centres de distribution des
grandes villes.

L’esprit de groupement de base met l’accent alors sur le développement local qui
passe d’abord par une prise de conscience de l’ensemble de la communauté ayant
senti l’exclusion par rapport aux systèmes et régimes qui se sont succédés. Cette
exclusion rend encore de plus en plus indifférents et indépendants les paysans face
aux initiatives émanant de l’extérieur.
L’objectif est d’arriver à améliorer les conditions de vie et de se concerter sur les
problèmes ponctuels qui touchent les paysans, entre autre, le manque de terre. Car
aussi bien tompontany que mpiavy, sont concernés par ce problème. Le mot d’ordre
dans ce rassemblement à vocation socioculturelle et économique se résume par le
dicton malagasy « Izay tsy mahay sobiky, mahay fatam-bary »84.
Les questions soulevées relèvent aussi de nouveaux modes d’organisation de
travail, d’éventuels débouchés aux productions agricoles de la commune. Les

82
Voir Annexes, n° 28.
83
MIGNOT-LEFEBVRE Y. et LEFEBVRE M., Les patrimoines du futur : les sociétés aux prises avec la
mondialisation, Paris, L’Harmattan, 1995, p 11.
84
Izay tsy mahay sobiky mahay fatam-bary traduit par « celui qui ne sait pas tresser un panier peut en
connaître d’autres ».

39
membres se cotisent mensuellement, se réunissent régulièrement et se répartissent
les fonctions. Cette initiative contribue à redéfinir les rapports entre acteurs locaux
et les autres acteurs (étrangers au local). Ces derniers doivent désormais tenir
compte des demandes et objectifs des paysans.
L’entraide et la complémentarité sont très importantes dans cette entreprise. Les
groupements de base sont alors une nouvelle forme de socialisation du fokonolona.
C’est une réinvention sociale et reconstruction des liens sociaux qui est en train de
s’expérimenter. C’est aussi un rassemblement d’idées qui proviennent de
différentes personnes de villages environnants ayant chacun sa priorité. Au sein des
groupements de base sont discutés les problèmes qui touchent individuellement
chaque membre et des objectifs concrets d’amélioration des conditions de vie dans
la commune.
La fusion des groupements de base de plusieurs villages peut se référer à une
logique de réseau dont le mécanisme de fonctionnement est fondé sur la
coopération. Cette logique engendre le « développement d’un processus de
socialisation au sein de l’économie à partir des communautés. L’économie
populaire s’inscrit donc dans le développement local et communautaire dans son
ensemble »85.
Ce qui conduit à la mise en place des réseaux associatifs « horizontaux » qui visent
à défendre les territoires de l’économie paysanne.

En terminant cette analyse de l’économie populaire dans la commune de


Masindray, on peut affirmer qu’elle a permis de montrer qu’on ne peut y réduire la
complexité et la vitalité de l’économie populaire à une simple approche en terme de
secteur informel et de pauvreté rurale.

Il est vrai de dire que la paysannerie de la commune de Masindray s’adapte


progressivement vers le changement de la modernité. En tant que ruraux, la
population s’imprègne progressivement de l’esprit ambivalent entre la modernité et
la poursuite des pratiques populaires séculaires.

La population paysanne maintient et préserve de façon ferme les acquis du passé,


mais essaye de s’adapter aux possibilités offertes par les changements en cours, en
matière d’accès au système d’éducation moderne, au système de santé ou aux
emplois offerts par le secteur moderne privé et public. Cette attitude illustre la
capacité d’ouverture et d’adaptation des couches populaires aux changements
imposés par l’extérieur. Cette adaptation se fait à travers des stratégies
d’hybridation entre la préservation d’un mode de vie séculaire et l’incorporation de
nouvelles pratiques. Mais en même temps cet horizon de modernité garde jusque
aujourd’hui le référent de l’ancrage dans le fokonolona. D’une certaine façon, il
s’agit idéalement pour les paysans malagasy de pouvoir se servir des avantages de
la modernité pour préserver leur identité séculaire. Ce qui est à la racine d’un
conflit, permanent et caché, entre eux et les acteurs de la modernisation, étatiques et
privés, nationaux et étrangers.

85
LARRAECHEA I. et NYSSENS M., L’économie populaire au delà du secteur informel vers un secteur
d’économie populaire du travail et de la solidarité? Regard métis, Vol 3, 1995, p. 123.

40
Dans la composante paysanne de l’économie populaire, on a affaire à de véritables
acteurs qui portent une logique d’action qui doit être reconnue comme telle, comme
un en soi, qui historiquement s’est construite à travers l’obligation de faire face à
des acteurs qui ont toujours cherché à les soumettre à une autre logique d’action.
Celle-ci est perçue comme portant une menace de destruction de la collectivité et de
son patrimoine organisationnel. D’ou la génération à travers le temps de pratiques
qui ont permis de maintenir, jusqu’à maintenant, la capacité de résistance de la
collectivité paysanne, en tant que collectivité.
Ces stratégies expliquent en partie l’incapacité de l’État de « capturer la
paysannerie ». Elles démontrent la capacité d’évasion de la paysannerie, un fait déjà
démontré, par G.Hyden dans les années quatre-vingt, mais à travers une approche
négative du phénomène vu comme le facteur principal du blocage de la
modernisation86.

86
HYDEN G., « La crise africaine et la paysannerie non captive », Politique africaine, n°18, 1985, pp. 93-
113.

41
Chapitre VI

L’économie populaire d’après les enquêtes dans la


Commune urbaine d’Anosibe

1- Présentation du fokontany d’Anosibe

Le fokontany d’Anosibe se trouve au cœur de la capitale. Administrativement, il


fait partie de la commune urbaine d’Antananarivo du quatrième arrondissement.
Il se situe dans le quartier bas et populaire de la capitale. Ce fokontany s’étend
sur une surface d’une superficie de 3,60 km² divisé en quatre quartiers. Le
fokontany abrite 1634 toits87 avec une densité de 179 habitants/km².
Selon les études démographiques récentes, c’est dans le contexte d’une
croissance démographique de la capitale relativement lente qu’il faut analyser la
spécificité de l’économie populaire urbaine à Antananarivo88.
Le poids démographique de la capitale reste modéré dans la répartition de la
population du pays, soulignant la faible urbanisation de Madagascar. La
population de l’agglomération d’Antananarivo s’élève à 1 105 000 personnes en
1998, dont 858 000 pour la seule capitale administrative du pays89.
Il y a eu cependant une poussée forte de migrations vers la capitale au moment
de la crise économique et sociale de la fin des années 1970 et début des années
1980. La forte expansion d’Anosibe s’est faite dans ce contexte.
Le fokontany est relativement peu équipé en infrastructures. Seulement 17 foyers
ont l’eau potable chez eux, 768 foyers disposent de l’électricité, tandis que le
quartier est équipé de 24 poteaux d’éclairage. Les routes, les rues et les ruelles
ne sont pas goudronnées et aménagées, donc impraticables pendant la période
des pluies, isolant plusieurs îlots de maisons entourées d’eau des marécages.
La population est composée de toutes les ethnies, mais les merina et betsileo y
sont majoritaires. Malgré le caractère populaire de ce quartier, on y rencontre les
différentes catégories sociales de la capitale. Une minorité de riches y résident,
vivant dans de belles maisons clôturées et gardées. La majorité de la population,
à faible revenu, occupe les endroits marécageux.
Le quartier d’Anosibe est donc caractérisé par la présence massive des petites
gens aux activités diverses. L’économie populaire est la base de la vie
quotidienne et c’est aussi la source du gagne-pain. Le manque d’emplois dans le

87
Monographie du 21/02/2000. Chiffre obtenu suivant le registre de recensement du fokontany d’Anosibe : 5720
habitants en 2000 et 5657 en 2001.
88
Les causes de cette croissance lente, on reviendra plus tard au chapitre suivant.
89
ANTOINE P., BOCQUIER P., RAZAFINDRATSIMA N., ROUBAUD F., « Biographies des trois
générations dans l’agglomération d’Antananarivo », Les Documents et Manuels du CEPED, n°11, décembre
2000, pp. 13-14.

42
domaine formel oblige la population de s’adonner à toutes les activités pouvant
apporter de l’argent.
La majorité des habitants vivent selon leurs possibilités avec des moyens
dérisoires. On y trouve des marchands détaillants de charbon de bois, des
femmes de ménages, tireurs de pousse-pousse, marchands ambulants,
charpentiers, jusqu’aux tailleurs de pierre, mécaniciens d’automobile,
restaurateurs, etc. Toutes sortes d’activités y sont présentes, et chacun cherche à
en tirer le maximum de bénéfices. Ces habitants sont conscients de leur situation
et se battent pour vivre.

Mme Fara, 40 ans, mariée, marchand ambulant ou mpanao varo-mandeha :

« Nous sommes originaires de Behenjy, nous sommes venus à Tana en 1987 pour
travailler. La décision était de faire un petit commerce dans la capitale. Le choix
d’Anosibe était facile parce qu’auparavant, quand nous venons à Tana, nous
descendons toujours à Anosibe, c’est la gare routière. On s’est rendu compte
u’on pourrait faire quand même pas mal d’argent avec les gens qui circulent à
Anosibe tous les jours grâce au grand marché et la gare. Un jour on a décidé de
nous installer avec l’aide d’une famille qui s’est déjà installée. Et c’est comme ça
que nous sommes ici. Mon mari s’occupe alors de la boutique, tandis que moi, je
me déplace beaucoup. J’achète des articles de ménages chez les indiens à
Tsaralalana, je prends des vêtements de confection et je circule, j’arrive jusqu’à
Miandrivazo. Cela nous rapporte beaucoup d’argent, ce qui nous a permis de
vivre, de payer les frais scolaires des enfants, de payer le loyer, et d’envoyer un
90
peu d’argent au village natal » .

La pauvreté y est présente si l’on se réfère aux différents aspects


socioéconomiques déjà évoqués dans le chapitre 4. Toutefois, on peut y observer
une dynamique d’initiatives de la population urbaine, traduite par la diversité de
ses activités de subsistance et de production pour marché. Cela montre que cette
population ne nourrit plus d’attentes ni de solutions de la part d’intervenants
extérieurs, étatiques ou privés. Elle n’attend plus ce qu’elle sait ne pouvoir obtenir
de l’Etat ou du privé, mais son énergie est tournée vers ce qu’elle peut produire
selon ses moyens et possibilités pour assurer sa subsistance.

Bozy, 24 ans, (vit en concubinage), marchand ambulant dans la capitale :

« Nous n’avons pas vraiment le choix, je fais ce que je trouve parce que nous avons
quatre enfants. Il faut subvenir aux besoins de la famille. Mon mari est aide
mécanicien. Je vends des vêtements de la friperie que j’achète en kilos chez les
grossistes. Parfois, je vends des articles que je prends chez les indiens comme des
appareils électroniques, radio, montre, etc. Mes parents viennent d’Alasora et moi et
mon mari avons décidé de vivre ici. Nous louons une petite maison d’une pièce
derrière le tsena d’Anosibe à l’ordre de 50 000 fmg par mois. Quand les affaires
fonctionnent bien, on peut rentrer avec un peu d’argent. Quand la vente n’est pas
bonne, c’est très difficile. Avec le travail de mon mari, il rapporte quand même
90
Voir Annexes, p. 8.

43
toujours de l’argent. Le garage rapporte de l’argent. Je disais à mon mari qu’il faut
qu’il apprenne bien la mécanique et monter notre petite entreprise car les gens
viennent toujours faire une petite réparation. Il suffit de bien travailler, et les clients
91
arrivent » .
De multiples initiatives collectives et individuelles sont mises en œuvre, montrant
la capacité de la population de lutter contre la pauvreté présente sans tenir compte
de ce que chacun peut obtenir à la fin du mois ou à la fin de la journée. L’essentiel
est qu’il existe cette possibilité de survie et de reproduction économique, même si
elle n’est pas reconnue et valorisée par les instances officielles.
Rakotovao, 70 ans, charpentier :
« Je travaillais dans une entreprise de fabrication de meuble dans la capitale
pendant 30 ans. J’ai commencé comme apprenti sans être passé par l’école de
formation technique. Quand j’ai arrêté de travailler parce que arrivé à la retraite,
j’ai continué chez moi. J’ai acheté petit à petit des outils de travail. J’ai tout ce qu’il
faut sauf les grandes machines pour couper et nettoyer le bois. Deux de mes fils
m’aident à leur tour et apprennent le travail, ils ont pris le relais. Les clients
viennent quand même régulièrement pour passer des commandes de confectionner
des portes, des fenêtres et mêmes de meubles. Il y a suffisamment de travail à
92
faire » .
C’est une attitude qui n’est pas le fruit immédiat de la paupérisation récente, mais
le produit d’un parcours de longue période face à des circonstances difficiles
économiquement et socialement. Avant que ces gens vivent en ville, ils avaient
déjà un mode de vie et des comportements qui les avaient forgés de génération en
génération. L’économie populaire n’est pas ainsi un fait nouveau mais elle relève
d’une attitude ayant traversée plusieurs épreuves, depuis des générations, dans la
vie d’une famille, de la communauté, d’un village.

91
Voir Annexes, p. 7.
92
Voir Annexes, p. 7.

44
Tableau.15.Indicateurs de l’économie populaire en milieu urbain
Indicateurs de l’économie populaire en milieu urbain Niveau Unité
Indicateurs économiques
Principales occupations : commerce 75 %
Pratiquant des activités secondaires ou vadin’asa 86 %
Revenu moyen mensuel/famille 150 000 à 350 000 Fmg
Possesseur de volaille 78 %
Sans volaille 13 %
Possesseur de maison 31 %
Sans maison/locataire 69 %
Indicateurs sociaux
Niveau de scolarisation : primaire 34 %
Niveau de scolarisation : secondaire 12 %
Niveau de scolarisation : supérieur 4 %
Taux de scolarisation des enfants 67 %
Taux d’alphabétisation des adultes 48 %
Nombre moyen d’habitants par maisonnée 6 Nombre
Indicateurs culturels
Taux de participation au famadihana 79 %
Pourcentage de population respectant les Interdits fady 68 %
Taux de participation en religion 49 %
Taux de construction des tombeaux fasana 86 %
Taux de participation au fomban-drazana (traditions populaires) 57 %
Nouveaux venus mpiavy 45 %
Indicateurs des liens sociaux
Groupement associatif 12 %
Réseaux familiaux 67 %
Réseaux commerciaux 43 %
93 21 %
Association d’ordre religieux
Source : Enquête sur le fokontany d’Anosibe Ambohibarikely, juillet 2001.

2- Anosibe, lieu d’adaptabilité sociale

Quand on évoque le quartier d’Anosibe, on voit tout de suite le grand marché qui
rassemble tous les producteurs de fruits, légumes, volaille des régions
environnantes de la capitale, fournisseurs des consommateurs de la capitale94.
C’est à partir d’Anosibe que tous les légumes, les produits agricoles et d’élevage
se répartissent à travers les principaux marchés d’Antananarivo : Tsaralalana,
Andravoahangy, Isotry, Besarety ainsi que chez les marchands de légumes de tous
les quartiers de la capitale, et ce depuis la disparition du grand marché du zoma à
Analakely.
Anosibe évoque également la gare routière, située au sein du fokontany d’Anosibe.
C’est le point de départ et d’arrivée des grandes lignes routières qui relient la

93
Toutes les sectes religieuses confondues : Ara-pilazantsara, Jesosy Mamonjy, Pantekotista, Advantista, et
d’autres.
94
La région du Vakinakaratra est productrice de légumes par excellence à savoir les carottes, les pommes de
terre, les fruits de saison. Il en est de même pour la région de Miarinarivo, Arivonimamo où sont sorties des
variétés de légumes.

45
capitale aux différentes régions du Sud et de l’Ouest du pays. La gare routière
d’Anosibe a été transférée à Ankadimbahoaka sur la route digue à cause de
l’assainissement.
Anosibe est alors l’un des carrefours socioéconomiques et culturels de la capitale
où se déroulent les mouvements permanents et intenses de biens, de personnes, de
services et d’argent. C’est un carrefour économique incontournable mais aussi un
carrefour culturel et social non négligeable. La présence de ce grand marché et la
gare routière traduit la symbiose d’éléments d’une dynamique de recomposition
sociale évidente. C’est un lieu d’échanges et de rencontres où règne une certaine
liberté d’action et où émerge une multitude d’initiatives individuelles, familiales et
associatives.
Anosibe est un quartier populaire où se rencontrent et se côtoient des dizaines de
milliers de gens à travers des pratiques économiques et sociales diverses, avec des
petites productions marchandes de toutes sortes qui font vivre une multitude de
petites gens, les ruraux et les urbains, les pauvres, les moins pauvres et les plus
riches.
C’est un lieu d’habitation précaire sur lequel ont été construites des maisons mal
loties. Au départ, les maisons sont souvent construites de façon dérisoire car elles
ne sont pas prévues pour une installation définitive, mais peu à peu, avec les
activités économiques qui s’effectuent sur place, elles deviennent des lieux
d’habitation permanente. Ce caractère initial dérisoire n’a pas empêché les gens de
se fixer et de faire du quartier un lieu ou ils veulent rester, en essayant d’améliorer
progressivement l’habitat précaire initial, et d’essayer tous les moyens disponibles
pour y arriver, compte tenu de moyens logistiques médiocres.
Ces habitations se trouvent sur des endroits insalubres en arrière plan des routes
principales, marqués par l’absence de canalisation et d’assainissement. Les
maisons ont souvent été construites illicitement dans les années quatre vingt,
période de laxisme pendant laquelle le fivondronana (l’ancienne appellation de la
commune urbaine d’Antananarivo) a laissé s’installer un grand nombre de gens
aux endroits qui ne sont pas habitables. Ces constructions ne suivent pas les
normes de construction ni n’emploient les matériaux de construction autorisés par
les normes en vigueur.
Des milliers de familles entières venues des milieux ruraux s’y sont installées et se
sont agrandies au fur et à mesure du temps. Des familles de trois générations
successives occupent le même endroit. Si le moyen le permet, la famille se
construit une ou deux petites maisons à une pièce dont l’une est à louer, située à
côté de l’emplacement initial de la maison principale. Pour augmenter le revenu,
les membres s’obligent souvent de partager la maison principale, pour louer la
secondaire.
Selon l’enquête faite dans le fokontany, les personnes de catégorie sociale faible
sont propriétaires d’au moins une maison95.
D’autres en possèdent trois, et alors l’une d’entre les maisons est habitée et les
deux sont à louer, dépourvues du minimum d’hygiène et de commodité (souvent
sans électricité et sans eau potable)96.

95
Interview du 02 août 2001 Fidy, 75 ans, marié et huit enfants, retraité et propriétaire d’une maison à
Anosibe.

46
Ravao, 82 ans, veuve, 12 enfants, propriétaire de trois maisons :
« Je travaillais comme femme de ménage chez les vazaha. Mon époux faisait le
commerce de bétail avant de devenir boucher au marché d’Anosibe. Nous venons
d’Arivonimamo. Nous avons adopté de vivre en ville si au départ ce n’était pas le cas.
Alors, on a commencé à construire une petite maison de deux pièces pour toute la
famille car ce n’était pas possible de louer trop longtemps une maison. Et ensuite, on a
construit deux autres de la même dimension car la famille s’agrandit. Et quand mes
garçons se sont mariés, j’ai mis en location les deux maisons. Eux, ils sont partis vivre
97
à Ambatondrazaka, où ils ont acheté des terres » .

Bakoly, 60 ans, veuve, 8 enfants, propriétaire de quatre maisons :

« Je vis à Anosibe à l’âge de 20 ans quand je me suis mariée. Nous sommes de


Ambohijanaka. On est venu vivre dans la capitale car mon mari était infirmier à
l’hôpital Ravoahangy Andrianavalona à Anosy. J’ai commencé par une petite
gargotte. Avant, on louait le local pour le gargotte et notre habitation. C’est avec
cela que nous avons épargné. Avec ce que je gagne et ce que mon époux gagne,
nous avons construit une petite maison à nous de trois pièces. Et ainsi de suite,
nous sommes à quatre petites maisons, je loue les trois, et nous occupons la
quatrième maison. Comme mon époux est décédé, je reçois sa pension tous les
trois, et le complète avec le loyer. Pour chaque maison, le loyer est de 100 000
fmg. Je ne travaille plus très fort comme avant, ce sont mes enfants qui font
98
fonctionner le gargotte, surtout notre fille aînée » .

Quoiqu’ils disposent de plusieurs maisons, leur revenu reste faible, du fait que les
loyers perçus varient entre 50 000 et 100 000 Fmg par mois.
Ces familles ont compris d’emblée l’importance d’investir dans l’immobilier, en
tant que source de revenu durable qui ne dépend que de la solvabilité du locataire.
Les locataires sont des familles arrivées plus tard mais qui se situent pratiquement
au même niveau que les familles déjà installées. La location de ces maisons se fait
donc entre habitants, et il n’y a pas de grand propriétaire extérieur. Le fait même
de partager le même milieu met les gens en confiance réciproque. Ils se
connaissent et se comprennent et les engagements mutuels sont incontournables.
De ce fait, on rencontre rarement de mauvais locataires, et les propriétaires sont
conciliants. Le paiement du loyer peut se faire en plusieurs tranches. Ce qui oblige
les propriétaires de combler le manque à gagner, et de le substituer par d’autres
sources de revenu, ce qui permet aux locataires d’étaler le loyer au long du mois.
C’est un des éléments qui fait que les relations de voisinage prennent une très
grande importance dans les quartiers populaires. En ville, on peut voir que le poids
des relations de voisinage tend à devenir aussi important que les liens familiaux,
du moins dans les quartiers populaires.

96
Interview du 31 juillet 2001 de Mme Ravao, 82 ans, veuve et 12 enfants, elle est propriétaire de trois
maisons dont deux sont en location. Les maisons dont elle dispose se limitent à une ou deux pièces
dépourvues de toutes infrastructures d’hygiène.
97
Voir Annexes, p. 10.
98
Voir Annexes, p. 8.

47
Ces mêmes familles ont chacune des activités qui relèvent de l’économie
populaire et qui les unissent et qu’elles partagent. Ce partage n’est pas quantifiable
économiquement et les pratiques sociales de partage jouent un rôle qualitatif aussi
important.

3- Anosibe, lieu d’économie populaire par excellence

Le fokontany d’Anosibe représente, compte tenu des réalités sociale et


économique que nous venons de développer, un lieu d’économie populaire par
excellence. La présence des deux facteurs économiques : le grand marché et la
gare routière côte à côte explique en partie la force attractive de travail, qui
rassemble une foule immense chaque jour et fait circuler des capitaux importants.
Une multitude d’unités de production informelle de biens et de services ont été
recensée dans les quatre quartiers. On peut les diviser en deux, activités mobiles et
activités immobiles.
Quant aux activités mobiles, les marchands ambulants sont importants en nombre.
Ils sillonnent un peu partout, aux marchés, à la gare et sont attirés notamment par
les voyageurs. Ils vendent des produits non alimentaires divers comme des lampes
de poche, briquets, jouets en plastique et des produits alimentaires. Leur nombre
est très variable. Ils ne sont pas fixes à Anosibe mais suivent les jours du marché
dans la capitale.
Comme les tireurs de pousse-pousse qui sont très prisés par tout le monde à cause
de leur côté pratique et leur coût accessible à tous par rapport aux taxis qui coûtent
très cher. Ils peuvent transporter des personnes mais également des marchandises
avec des charges importantes. Les lavandières, laveurs de voitures, les femmes de
ménages, les porteurs, les chercheurs d’eau, les chargeurs de briquets travaillent
journalièrement.
Ceux qui font des activités mobiles ne vivent pas tous essentiellement à Anosibe.
Bon nombre d’entre eux viennent des quartiers populaires voisins comme
Anosizato, Anatihazo, Andavamamba, Isotry, Andranomanalina et vont à Anosibe
pour chercher du travail journalier ou pour vendre grâce à la présence continuelle
et régulière du potentiel clientèle d’Anosibe. Le salaire est dérisoire allant de 1500
à 7500 Fmg par jour permettant d’acheter de la nourriture.
Pour les activités immobiles, on recense 135 petites boutiques ou épiceries
éparpillées dans tous les quartiers essentiellement orientées vers les produits de
première nécessité, riz, sucre, viande sur étalage, pain, sel, huile, pétrole détaillant.
53 gargotes sont situées surtout sur tout le long des routes s’occupant de la
restauration. On compte aussi 4 menuisiers et charpentiers, 7 ateliers mécaniques
automobiles et bicyclettes, 3 ateliers ferrailleurs d’ouvrages métalliques, 2
réparateurs de pneus, 15 brocanteurs. Une quinzaine de familles fabricants des
ustensiles de cuisines travaillent chez elles à partir de la récupération, 4
couturières, mpanao zaitra an-tsena99.

99
Informations recueillies par Tarika Angelo, étudiant en Sciences Sociales de développement au
Département d’Histoire de l’Université d’Antananarivo, dans le fokontany d’Anosibe Ambohibarikely en
date du 4 juillet 2001.

48
Jao, 38 ans, marié, 4 enfants, marchand de riz à Anosibe :
« Mes parents avaient commencé à vendre du riz au pavillon d’Anosibe. J’ai monté
mon propre commerce à partir d’un prêt que mon père m’a fait. Nous sommes
originaire d’Ambatondrazaka où mes parents possèdent 4 ha de rizières. Mais je ne
vends pas le riz en provenance de nos rizières car depuis la suspension du chemin de
fer, on est obligé d’acheminer les sacs de riz en taxi-brousse. Ce qui fait que ça nous
revient trop cher. J’achète moi-même du riz chez les grossistes ici à Tana et je le
vends en détail au marché. Si on sait bien gérer, on gagne pas mal de bénéfices. Ma
femme fait de la broderie, mais elle m’aide quand elle n’a pas beaucoup de travail.
Nous louons une petite maison ici–même, car nos enfants vont tous à l’école privée
100
d’Anosibe » .
Ces activités immobiles se caractérisent par une très grande précarité des
conditions d’activité. Les boutiques et ateliers constituent en même temps le lieu
d’habitation et 90 % des unités de production informelle sont abrités par des
installations de fortune, ce qui les prive d’accès aux principaux services publics
(eau, électricité, téléphone).
Dina, 25 ans, célibataire, mécanicien automobile à Anosibe :

«Je vis à Anosibe depuis mon enfance. Mes parents sont originaires de Fandriana à
Fianarantsoa. J’ai arrêté mes études à l’age de 16 ans. Et depuis, j’ai travaillé
comme apprenti dans le garage automobile de mon oncle. Son garage existait depuis
au moins quinze ans. Et c’est en travaillant avec lui que j’ai appris petit à petit la
mécanique auto. J’ai eu la chance de poursuivre une formation professionnelle dans
un autre garage de la capitale. Quand j’aurai suffisamment de fonds, je monterai
mon propre garage. C’est mon plus grand souhait. Je me suis spécialisé au poids
lourds. Je ferai la même que mon oncle. Il gagne beaucoup d’argent car les gens
101
viennent toujours réparer leur voiture ».

Parmi les activités de production artisanales, on observe la confection d’articles


ménagers utiles pour les ménages de la capitale, le travail d’ouvrages métalliques,
la fabrication de meubles, le rôle des couturières. Beaucoup de gens achètent ces
biens, même les gens des quartiers riches achètent ces biens. Ce n’est pas
seulement une économie entre les pauvres. Les biens et services produits dans
l’économie populaire concernent tous les ménages de la capitale, qu’ils soient
pauvres ou riches.

Thérèse, 44 ans, mariée, cinq enfants, elle est gargotière :

«Nous avons choisi de nous installer à Anosibe, car les affaires vont bien. Avec la
gare, on ne manque pas de clients, du matin jusque la nuit. On a commencé à vendre
de mofo gasy, menakely, thé et café au départ. Quand on a accumulé un peu
d’argent, on s’est mis à préparer du vary amin’anana et saucisse ou kitoza tous les
matins et les soirs. Mais les gens demandent plus de variétés alors, on s’est
transformé carrément en gargotte. Les bénéfices ont permis d’agrandir un peu le
local en un petit restaurant. On a les mets principaux pour le déjeuner, hen’omby

100
Annexes, p. 8
101
Voir Annexes, p. 9.

49
ritra, tsaramaso sy henan-kisoa, ravitoto sy henan-kisoa, voajobory sy henan-kisoa,
lasopy, etc. On n’a pas besoin d’aller loin pour se procurer de la nourriture et des
légumes car on est au cœur même du grand marché d’Anosibe, c’est un grand
avantage. Par contre, on a beaucoup de travail à faire car, il faut tout préparer la
veille, et se lever très tôt le matin. Ici à Anosibe, les mouvements se font le jour et la
nuit. Les paysans qui quittent la nuit chez eux pour ravitailler la capitale en produits
agricoles frais arrivent à Anosibe entre deux à quatre heures du matin. Alors tous les
marchands de légumes de la capitale sont arrivés à Anosibe très tôt aussi le matin
pour acheter les produits agricoles qu’ils vont vendre aux marchés de quartier.
Donc, nous sommes là pour tous ces gens là. On gagne beaucoup d’argent, mais, il y
a énormément de travail à faire. Ce qui est bien aussi, c’est pendant la période de
famadihana ou beaucoup de gens viennent prendre le taxi-brousse très tôt le matin.
Là c’est le va-et-vient interminable des taxi-brousse et des gens. C’est à Anosibe
qu’ils prennent leur petit déjeuner. En tout cas, le travail de gargotier n’est pas fait
pour les paresseux. Nous n’avons pas à nous plaindre. Cette gargotte nous
appartient, on peut envoyer régulièrement de l’argent au tanindrazana pour acheter
des terres, du bétail pour les travaux des champs, pour préparer du famadihana, et
les enfants peuvent aller à l’école sans problème »102.

Les articles ménagers fabriqués à partir de la récupération de carrosserie de


voitures et des fils métalliques d’emballage, se sont répandus rapidement dans
tous les marchés de la capitale. Les fabricants sont des petits réseaux de familles
de faible revenu qui s’organisent au niveau de la répartition des tâches :
récupération des matières, production et confection, vente aux différents marchés
de la capitale. Les articles qui sont vendus régulièrement sont les fata-pera103, les
grilles et les tiges à brochettes, les râpes légumes, les cintres, etc.
Les confectionneurs d’ouvrage métallique trouvent leurs clientèles parmi les gens
riches. Pour renforcer la protection de leurs maisons, ceux-ci font faire des grilles
de protection métallique en s’adressant à ces confectionneurs de l’économie
populaire. L’outil de travail comme l’appareil de soudure électrique se résume à
des bricolages électriques qui fonctionnent bien, le lieu de travail se confond avec
le lieu d’habitation et les travailleurs sont des membres de la famille. Les fers à
forger sont des fers de récupération. Il en est de même pour les mécaniciens
réparateurs de voitures qui sont connus par les clients de la classe moyenne.
Les menuisiers et les couturières se trouvent à peu près dans la même situation.
Les menuisiers qui ont des références construisent des meubles commandés par
des clients moyennant un premier paiement pour l’achat des bois et les fournitures.
Selon les moyens dont ils disposent, ils fabriquent aussi des meubles qu’ils
vendent au marché d’Anosibe, et au marché d’Isotry. Les couturières agissent de
la même façon. Quand elles ont un peu de moyens, elles confectionnent des
vêtements qui sont destinés à la couche populaire qu’on voit dans les marchés. Ces
activités s’inscrivent dans le cadre général des activités de production de
l’économie populaire recensée dans l’ensemble de la capitale montrées par le
tableau ci-après.

102
Voir Annexes, p. 9.
103
Les fata-pera sont des foyers en fer à usage domestique qui servent à cuire la nourriture en utilisant le
charbon de bois. Tous les ménages malgaches de la capitale de toutes les catégories sociales riches et
pauvres l’utilisent. Le prix de l’unité varie entre 10 000 à 15 000 fmg. L’utilisation des fata-pera s’est
améliorée pour économiser l’énergie, donc, pour diminuer l’utilisation de charbon de bois : c’est le fata-
pera mitsitsy dont le prix peut aller jusqu’à 25 000 fmg en fonction de sa taille et de sa qualité.

50
Tableau.16. Structure par branche des unités de production informelles
UNITES DE PRODUCTION EMPLOIS
Effectifs % Secteur informel Secteur formel
Industries : 43052 35.5 39,8 27,0
-Agro-almentaire 4851 3.9 4,5 2,4
-Confection 25011 20.3 21,5 12,7
-Autres 6513 5.3 8,2 8,0
-BTP 6677 5.4 5,6 3,9
Commerce : 48320 39,3 33,1 12,6
-Produit primaire 33366 27,1 22,1 5,1
-Produit transformé 14954 12,2 11,0 7,5
Services : 31628 25,7 27,1 60,4
-Ménages et entreprise 18735 15,2 17,8 53,7
-Restauration 5887 4,8 5,5 2,8
-Transport 7005 5,7 3,8 3,9
TOTAL 123 000 100 100 100

Sources : Enquête 1-2-3, phase 1 et phase 2, calculs MADIO.

Que représentent tous ces éléments du point de vue social, économique et


culturel ? Il est à noter que ces trois aspects sont étroitement liés et ne doivent pas
être lus séparément. L’économie populaire n’a pas seulement un rôle économique
certain de fournisseur de biens et services mais elle joue un très grand rôle comme
pourvoyeur d’emplois. 65% des activités recensées dans les quartiers d’Anosibe
sont répertoriées parmi les petits métiers dans les activités populaires. Les unités
de production informelle apparaissent comme un secteur de développement
spontané des activités économiques des ménages. Elles n’ont pas de numéros
d’enregistrement statistique mais sont quand même fiscalisées, car 19% d’entre
elles payent la patente, même si la part des taxes payées à l’Etat reste faible.
Selon l’étude de Projet MADIO, le chiffre d’affaire annualisé du secteur informel
non agricole à Antananarivo a atteint 1309 milliards de Fmg au cours de
l’exercice mai 1994/avril 1995. Plus de la moitié de ce montant proviennent des
activités commerciales, environ 30% pour le secteur industriel et 20% restant sont
pour les services104.
Il faut encore rappeler ici que dans le cadre de l’agglomération d’Antananarivo, au
second semestre 1995, l’on comptait 123 000 unités de production informelle qui
employaient 189 500 personnes dans les branches marchandes non agricoles105.
Ce chiffre montre l’importance économique des activités populaires dans la
capitale puisqu’en moyenne plus de 6 ménages sur dix tirent l’ensemble ou une
partie de leurs revenus d’une unité de production informelle.

104
Le secteur informel dans l’agglomération d’Antananarivo : Performances, Insertions, Perspectives. Enquête
1-2-3, Premiers résultats de la phase 2, Projet MADIO/INSTAT, Antananarivo, octobre 1995.
105
Cfr. Tableau p. 11. Données officielles que nous disposons à partir de l’enquête faite par le Projet MADIO et
l’INSTAT.

51
Par ailleurs, le côté socioculturel est à prendre en considération. À l’intérieur de
ces activités, des relations sociales se créent même si elles ne sont pas toujours
bonnes, parfois pleines de contradiction et de complexité. La distribution des
métiers se fait d’abord entre familles, personnes proches et connaissances.
Les gens des couches populaires se côtoient avec beaucoup de facilité. Dans la
réalisation de la production des biens et services de l’économie populaire, se
tissent de multiples relations de coopérations, d’entraide entre les acteurs
impliqués.
Il ne faut cependant pas négliger un phénomène émergent de différentiation
sociale qui existe entre entreprises et acteurs de l’économie populaire. De ce point
de vue, on constate que de petites unités, à vocation d’entreprise, commencent à
faire travailler des salariés à côté des travailleurs familiaux, alors que les ateliers et
échoppes qui peuvent être qualifiées d’éléments de l’économie populaire
n’utilisent que les familles et les voisins. Le but premier de celles-ci n’est pas de
devenir une grande entreprise de type moderne, mais d’améliorer les conditions de
vie de la petite communauté dans la mesure de possible afin qu’elle ait une
possibilité de vivre dans l’autonomie. Ce sont elles qui représentent l’écrasante
majorité des unités de production de biens et services de l’économie populaire.
Elles sont inspirées par une autre logique que les premières : elles visent à
travailler pour vivre et faire vivre une famille ou un réseau de familles et de
voisins, tandis que les premières visent une capacité d’élargissement de
l’accumulation individuelle par le petit patron. Mais dans l’ensemble la similitude
des conditions de vie et des comportements est, pour le moment, encore plus forte
que la tendance à la différenciation.
Dans la réalité, il n’y a pas vraiment de différences dans la manière de vivre entre
les gens de diverses couches socio-économiques.
Par exemple, les marchands de légumes du marché d’Anosibe et d’autres marchés
d’Antananarivo se fabriquent des pavillons en bois qui servent à la fois de
boutiques, logements et magasins de stockage. Le manque de confort et d’hygiène
de ces boutiques – habitations est semblable à celui des maisons les plus pauvres,
ce qui laisse supposer que ce manque de confort est le dernier des soucis des
marchands, qui ont cependant un revenu plus élevé. Si au départ seul celui chargé
de garder le pavillon dort à l’intérieur, afin d’éviter le vol des marchandises
pendant la nuit, peu à peu c’est toutes la famille qui s’y installe. C’est un moyen
d’épargner plus, plutôt que de devoir payer un loyer pour une habitation séparée
de la boutique.
A côté des marchands, un peu plus aisés, on trouve, côte à côte, des gens avec des
revenus beaucoup plus faibles, qui ont les moyens de survivre grâce aux différents
services utiles aux marchands : manutentionnaires, laveurs de voitures, porteurs,
chercheurs d’eau, lavandières, etc.
Le manque d’hygiène par l’insuffisance des latrines publiques et l’inexistence des
caniveaux d’évacuation des eaux usées portent atteinte à la santé publique au point
de répandre les maladies courantes, diarrhée pour les enfants de bas âge, le
paludisme pour les petits et adultes à cause de la présence en permanence des eaux
sales et des eux stagnantes. Le taux de mortalité infantile dans ce quartier est ainsi
élevé, 20 à 30 pour mille.

52
Les maisons illicites sont parfois construites au beau milieu des marécages dont
l’accès se fait par des passerelles en bois. En période de pluies, ces maisons sont
inaccessibles à pieds, pour assurer la liaison, il faut passer par des petites barques
qui font bien l’affaire de leurs propriétaires.
L’assainissement, décidé à la fin des années nonante, était devenu nécessaire car il
fallait tout nettoyer, refaire les pavillons et rendre plus saine la vie des occupants,
transporteurs, marchands, habitants. Cet assainissement vise à réaménager les
pavillons, à installer de nouvelles infrastructures de façon à améliorer leurs
conditions de vie au marché. Ce qui exige le départ de familles entières qui
doivent quitter leur boutique, leur habitation et leur magasin de stockage.
L’assainissement du marché d’Anosibe par la Commune urbaine d’Antananarivo a
complètement bouleversé la vie dans les lieux d’habitation, le marché et la gare
routière. Les constructions illicites développées notamment dans les années
nonante, situées en dehors du marché comme extension des habitations des
marchands ont été détruites. Ces gens ont alors été obligés de se réfugier dans les
quartiers d’habitation environnants.
Cet épisode illustre le fait que la précarité de l’habitat est une réalité partagée par
divers groupes d’ Anosibe, qu’il s’agisse de petits marchands ou de travailleurs à
statut précaire. Cette précarité partagée est un des éléments qui crée une solidarité
d’un type particulier entre les habitants, qui doivent affronter perpétuellement des
conditions de vie difficiles.
Cette précarité et cette solidarité créent peu à peu un type de lien social propre au
lieu. Au point que s’établit une identité de quartier qui se superpose aux origines
ethniques diverses, sans les effacer.
Un mode de comportement propre à un nouveau genre de vie est adopté par la
population vivant au fokontany d’Anosibe. L’adaptation sociale n’est pas
automatique, et parfois pose de sérieux problèmes de cohabitation. Les gens se
rendent compte qu’ils doivent lutter ensemble d’abord pour rendre un endroit
inhospitalier habitable, ensuite pour affronter des acteurs extérieurs qui menacent
cet endroit déjà précaire par sa nature. Au départ, chacun se croit différent des
autres parce qu’il vient d’ailleurs, mais à force de se côtoyer et partager le même
milieu de vie, l’esprit communautaire émerge car chacun se rend compte qu’il y a
des intérêts communs à défendre : la sécurité pour tous.
Peu à peu s’est créé un mode de vie commun au delà des différences d’origine.
Jacqueline, 53 ans est originaire de Fandriana de la province de Fianarantsoa :
« Nous vivons dans le même fokontany mais nous avons chacun notre propre région
d’origine. Je viens de Fandriana. Je ne vois pas du tout où est le problème, mais si
on veut utiliser la région d’origine pour d’autres causes, c’est là que le problème
peut commencer. Jusqu’à maintenant, tout le monde s’entend bien. De temps en
temps, des petits problèmes surgissent mais ils sont minimes et gérables. Nous
sommes obligés de nous entendre entre nous et c’est la meilleure chose à faire. Notre
voisin est Sihanaka d’Ambatondrazaka, qui a sa manière de vivre mais qui s’adapte
bien au milieu. Quand des difficultés surviennent, nous nous entraidons, c’est
logique. On dit souvent que les Malgaches sont fort en fihavanana dans la société, je
pense qu’on peut bien le constater dans la manière de vivre dans notre fokontany.
Quand le fokonolona se réunit pour une grande décision où des travaux faire, tout le
monde est présent car il s’agit des intérêts de tous. Lors des troubles politiques qui
ont bouleversé la vie des gens, le fokonolona décide de protéger le fokontany et tous

53
les hommes s’organisent pour tenir la garde. Il n’y a pas de question d’origine du
Sud ou du Nord, on partage le même milieu de vie et donc, les mêmes intérêts.
106
D’ailleurs, je ne vois pas pourquoi car nous sommes tous des Malgaches » .

La sécurité est importante pour que chaque individu au sein de la communauté


puisse s’épanouir et travailler pour le bien de sa famille sans offenser son
entourage. De ce fait, tous les habitants du même fokontany se sentent réunis au
sein d’un même fokonolona urbain qui doit défendre les mêmes intérêts.
L’identification se ne se réfère plus à sa terre d’origine mais le fokontany d’accueil
devient peu à peu un nouveau lieu d’identification, qui se superpose à
l’identification d’origine, sans jamais cependant éliminer celle-ci.
Il y a des degrés divers de proximité et de coopération dans les rapports qui
unissent les groupes présents à Anosibe. Les liens les plus forts sont entre les
habitants permanents, petits producteurs, petits marchands ou travailleurs. Mais on
peut constater que des relations concernant la sécurité unissent aussi ces groupes à
celui des transporteurs, qui en tant que groupe est une réalité permanente, dérivée
de la nature même du lieu. Celle-ci est faite de la coexistence entre une gare
routière, un grand marché, des échoppes de petits marchands et d’artisans, et
l’habitat de ceux-ci. Tous partagent le même préoccupation pour la sécurité : les
malfaiteurs et le vol sont les pires ennemis des marchands, artisans, passagers et
transporteurs. Mais la sécurité pour les transporteurs est un enjeu de plus limité
que celle des habitants du lieu, et donc les formes de coopération sont plus
limitées entre transporteurs et habitants, qu’entre ces derniers, même si tous sont
sensibles à la question de la sécurité.
Cette question de la sécurité est un élément fondateur des relations entre habitants
des quartiers populaires.
Lors des mouvements populaires de 1991 et de 2002, les fokonolona de tous les
fokontany de la capitale se sont organisés pour dresser des barrages de protection
de jour comme de nuit assurant la sécurité de chaque fokontany et de tous ses
habitants contre l’intrusion des « envahisseurs ». Toutes personnes venant du
dehors du fokontany étaient ainsi fouillées et devaient décliner leur identité avant
de franchir le barrage.
On constate que il y a une composante exclusive importante dans la formation de
l’identité locale. Les gens ont du se construire peu à peu un mode de vie dans
l’insécurité. La méfiance à l’égard des intervenants extérieurs fait ainsi partie de la
préoccupation de la sécurité collective du quartier. Dans ces intervenants
extérieurs sont englobés aussi bien les fonctionnaires de la commune, de l’Etat que
les ONG107.
L’administration est rejetée car elle décide de ses politiques d’assainissement en
fonction de ses seuls critères, totalement étrangers aux pratiques de vie de la
population. Les projets des ONG n’ont pas une meilleure réception, car eux aussi
sont vus comme conçus pour l’intérêt de leurs promoteurs, sans se soucier des
besoins réels de la population. En outre, celle-ci voit rarement l’effet bénéfique de
ces projets sur l’amélioration des conditions de vie dans le quartier.

106
Voir Annexes, p. 3.
107
Plusieurs ONG travaillent dans le quartier pour causes caritative et humanitaire comme la EFOR,
PAIKA, CARE international, ROTARY Club, ENTRAIDE, ADA.

54
À long terme, les initiatives des ONG sont vues par les habitants comme un
prétexte à travers lesquels eux ne sont que de simples objets de manipulation
politique.
Saholy 35 ans, explique comment les petites gens perçoivent les ONG et les
autorités politiques et étatiques :
« Quand les ONG sont venues pour la première fois nous voir, nous étions très
contents car nous espérons un changement et amélioration plus tard sur nos
conditions de vie. Des jeunes gens sont venus nous enquêter sur notre mode de vie,
les sources de notre revenu afin que eux ils connaissent comment les gens vivent.
Nous avons longuement attendu mais il n’y a pas encore de changement visible
jusqu’à nos jours. Nous avons assez de parler avec des gens qui ne s’intéressent pas
à nous. Tout le monde constate que les gens sont dans les besoins et qu’il faut
vraiment les aider. L’assainissement du milieu de vie ne se fait pas, la population vit
dans la boue et dans la crasse. À long terme nous constatons que nous ne sommes
que des outils de travail de ces gens qui leur permettent de gagner de l’argent. Mais
nous n’avançons nulle part. Les personnes qui nous ont vraiment aidées et que l’on
voit vraiment, c’est le prêtre de l’église catholique qui s’occupe de nous et de nos
enfants, des jeunes aux formations professionnelles, et les sœurs. Les sœurs nous
distribuent de l’huile de table, du lait en poudre, et des vêtements pour ceux qui n’ont
en pas vraiment. Les petits peuvent aller à l’école missionnaire quand ils
s’aperçoivent que les parents sont très pauvres. Ils achètent des cahiers, crayons et
vêtements pour aller à l’école et ces enfants ne paient aucun frais scolaire. De toutes
les façons, si les gens attendent l’Etat, nous mourrons de faim. Ce qui est bien tout de
même, entre les gens pauvres, nous nous entraidons beaucoup dans tous les
domaines. Il existe une solidarité entre nous. Je pense même que c’est le sens de la
108
société » .

Toutefois, les gens sont quand même attirés par les micros crédits même s’ils sont
méfiants par ce genre d’emprunt. Ils veulent développer leurs activités petit à petit
afin de recruter des apprentis parmi les membres de la famille et les voisins
proches. Ils sont attirés parce qu’ils ont besoin d’argent, mais ils sont méfiants, et
ont peur de tomber dans un piège dont ils ne connaissent pas le mécanisme.
C’est le cas de Jacqueline, tailleur de pierre (cristal) qui fait vivre 15 familles :
« Pour mon cas, j’ai besoin d’argent. Il faudrait faciliter l’accès de la population au
système bancaire ou au système de mutuel comme l’EFOR, PAIKA, OTIV, ADEFI. Je
pourrais alors améliorer la qualité de mon travail et augmenter le nombre de
109
personnes qui travaillent chez moi » .

Mais à côté des aspects exclusifs de la formation de l’identité du quartier, il y a


des éléments inclusifs très originaux, et qui sont au cœur des pratiques populaires.

Alors qu’à l’origine la quartier rassemblait des populations très hétéroclites et


nourrissant de la méfiance mutuelle, car il n’y avait pas de lien entre des gens
d’origine ethnique différente, peu à peu les habitants sont parvenus à recréer une
sorte de fokonolona d’un nouveau type, dans un milieu hostile où ils doivent
partager tout. L’expérience leur montre qu’il y a moyen de recréer des nouveaux
liens sociaux en ville. Une nouvelle logique communautaire est née, ou mieux a

108
Voir Annexes, p. 3.
109
Idem.

55
connu une renaissance, en adoptant un comportement qui vise à défendre des
intérêts communs : la sécurité des biens et personnes vivant dans le cercle.
Ces gens sont devenus, par la force des choses, dans un espace bien déterminé, un
groupe assez homogène, une sorte de clan réinventé qui se forme tout en tenant
compte du lieu d’origine et de l’origine ethnique de chacun des membres. Une
identité sociale et territoriale nouvelle est venue se superposer sur l’identité
d’origine. Ils sont réunis dans un même fokonolona. Toutes leurs activités et le
vadin’asa se rapportant à leurs principales activités sont ainsi protégées.
La reconnaissance envers celui qui a rendu service affermit davantage les bonnes
relations sociales. C’est une composante essentielle de la reproduction, ou de la
réinvention du fihavanana en milieu urbain populaire. Ce fihavanana n’inclut pas
nécessairement les seuls gens aux revenus les plus faibles, même si à ce niveau il a
des composantes de solidarité très concrètes et visibles. Il inclut aussi des liens
d’un type plus faible, mais réels entre les gens à très bas revenus et ceux qui
connaissent une aisance relative. La solidarité est faite à partir de trois critères
complémentaires : le fait de partager le même milieu de vie, le fait de se retrouver
dans la même situation précaire, et le fait d’être en relation avec d’autres qui
partagent le but de faire de l’argent pour survivre et rester autonomes.
Les familles de différentes origines sont obligées de reconstruire les liens sociaux
dans un milieu où la complexité et l’inégalité règnent. Elles sont confrontées à
différentes catégories sociales qu’ils doivent côtoyer dont même les classes
sociales aisées et la classe moyenne. Ce sont les biens et services produits par les
acteurs de l’économie populaire, et qui sont utiles même aux classes moyennes et
aux plus riches, qui leur attirent un certain respect de celles-ci, qui reconnaissent
leur utilité (une grande partie du parc automobile ne pourrait rouler sans leur génie
du bricolage). Ce qui devient aussi un facteur de sécurité pour les acteurs de
l’économie populaire.
Un point commun qui unit aussi les familles d’Anosibe est leur souci de donner
une formation scolaire à leurs enfants. L’avenir éducatif et scolaire des enfants
constitue un enjeu majeur et préoccupe les parents. 35% du revenu vont dans
l’enveloppe scolaire. Les frais scolaires sont importants en ville et varient selon les
établissements. Le coût est beaucoup plus important dans les écoles privées que
dans les écoles publiques. Pour ces parents, il s’agit d’un investissement et des
sacrifices à long terme. Deux écoles missionnaires catholiques privées sont
implantées à Anosibe moyennant paiement des frais de scolarité. Des écoles
primaires publiques se trouvent dans les quartiers environnants comme à
Andrefanambohijanahary où l’enseignement est gratuit. On peut trouver des écoles
privées de catégories différentes et des écoles publiques primaires et secondaires
dans les quartiers voisins110.

110
Tous les quartiers aux alentours sont dotés d’écoles publiques et privées selon les moyens des parents. À
Mahamasina, il existe plusieurs écoles : l’école primaire et secondaire publique d’Antanimbarinandriana, le
Collège St-Michel, Collège Sainte famille, Collège St-Joseph, Ecole Normale de Mahamasina, Ecole
Professionnelle d’Ankadilalana, trois écoles privées à Andrefanambohijanahary, IEC Anosy, Ecole primaire
et secondaire à Ampefiloha et l’école primaire française Ampefiloha, le Lycée Moderne d’Ampefiloha,
l’Ecole primaire d’Anosibe, l’école missionnaire catholique d’Anosipatrana et d’Ilanivato, l’Ecole primaire
publique d’Andavamamba.

56
Les écoles missionnaires sont beaucoup plus appréciées, car l’enseignement est
jugé meilleur et il existe un enseignement civique et moral qui forge le caractère et
le comportement des enfants dès leur jeune âge.
Noro, 40 ans :
« Les deux aînés ne vont plus à l’école, les autres sont mariés. Ils nous aident à
travailler pour compléter le revenu. L’église catholique aide les familles qui se
trouvent vraiment dans le besoin et qui n’ont pas le moyen d’envoyer leurs enfants à
l’école. Je ne suis pas catholique mais je me suis convertie pour l’éducation de mes
enfants. Les soeurs distribuent du riz, de l’huile et du lait en poudre tous les quinze
jours. Les gens revendent le lait en poudre. Elles distribuent également des effets
vestimentaires quand il y a des arrivées et que les gens revendent également. Les
familles ne peuvent pas bénéficier de ces aides si elles n’assistant à la messe
dominicale. Beaucoup sont les familles qui reçoivent de l’aide. Cette conversion ne
change rien en nos habitudes et la continuation de la fomban-drazana. Quand les
grands moments arrivent au tanindrazana, nous participons par exemple au
famadihana. Par ailleurs, en cas de maladie, il y en a qui va voir le dispensaire des
soeurs et ceux qui vont consulter les guérisseurs et achètent des plantes médicinales.
Mes enfants sont nés avec l’assistance d’une renin-jaza ». « Mes fils auront la
possibilité de travailler chez les autres d’abord et plus tard quand ils auront assez
économisé, ils pourront monter leurs propres affaires dans le quartier. C’est quand
même une occasion pour les jeunes de s’épanouir. Il n’y a pas de frais de scolarité
mais une seule participation à l’inscription. Ce n’est pas la même chose que dans les
111
écoles professionnelles privées que l’on trouve dans la capitale» .
Les parents qui disposent du revenu régulier peuvent envoyer leurs enfants à
l’école missionnaire du fokontany. Ceux qui n’en possèdent pas se contentent
d’envoyer leurs enfants à l’école publique.112
Les enfants qui fréquentent les écoles missionnaires et l’école publique du quartier
voisin peuvent participer aux activités parascolaires organisées par des
missionnaires113.
On peut remarquer que pour la plupart des parents, l’éducation des enfants est
prise en considération à la fois pour que les enfants puissent avoir un avenir
meilleur, et pour qu’ils puissent consacrer une partie de leur revenu à entretenir le
tanindrazana, afin d’affirmer à l’avenir leur droit sur la terre dans la région
d’origine de la famille.

111
Voir Annexes, p. 6.
112
Il faut cependant souligner que à Anosibe, les gens les plus démunis ne peuvent plus scolariser leurs
enfants faute de moyens. En effet, malgré la gratuité de l’enseignement, les parents doivent acheter les
fournitures d’école, les vêtements. L’Etat ne prend pas en charge la scolarisation des enfants, et encore
moins les nécessiteux.
113
L’ONG du nom de l’ADA, présidée par le Père Sylvain Urfer organise des activités sociales et
parascolaires pour leurs élèves dans la paroisse catholique d’Anosibe. Des aides au niveau de l’école et du
fokontany sont attribuées aux familles nécessiteuses et les activités sociales consistent à l’insertion sociale
des jeunes.

57
4-Le rôle du Tanindrazana dans la reproduction des liens sociaux pour les
acteurs populaires urbains

On l’a vu ci-dessus, les habitants d’Anosibe, toutes catégories confondues, ont un


attachement réel au quartier qui est devenu un véritable fokonolona, actif et vivant.
On ne peut cependant en conclure que ils sont devenus définitivement des citadins
dont le seul horizon est l’amélioration de leur condition de vie en ville.
Dans le cas des marchands d’Anosibe par exemple, l’installation des familles
entières dans l’habitation-boutique ne constitue pas pour autant une migration
définitive, quoiqu’elles aient profité d’une occasion pour se construire la maison-
boutique de façon irrégulière. Elle traduit une migration de proximité car leurs
principales habitations se trouvent en dehors d’Antananarivo, souvent dans la
région d’Antsirabe, Antanifotsy, Faratsiho, Ambatolampy, Fianarantsoa,
Ankadinadriana, Masindray, Manjakandriana, Arivonimamo, Sakay et
Miarianarivo Itasy.
Cela révèle clairement que ces gens gardent leur attache principale à la campagne.
Ils sont fixés en ville, et cela donne l’impression, qu’ils sont des migrants
définitifs, mais en fait il n’en est rien. Ils sont à la fois en ville et au village
d’origine.
Pour d’autres artisans ou marchands, la migration « définitive » signifie que la
famille a adopté comme résidence principale son habitation en ville, mais alors
elle garde quand même à la campagne une résidence secondaire, ou la famille se
rend régulièrement. Et c’est le cas pour beaucoup de gens, toutes catégories
sociales confondues.
Chaque famille garde un contact permanent avec son lieu d’origine, le
tanindrazana, et y effectue continuellement des transferts d’argent. Pour elles, le
fait de vivre dans ces maisons illicites répond à deux objectifs bien déterminés : se
faire de l’argent et pouvoir éduquer les enfants dans des écoles mieux loties qu’à
la campagne.
On peut rappeler ici que le mot tanindrazana vient de deux mots tany, la terre et
razana, ancêtre, terres des ancêtres. Le tanindrazana désigne à la fois le caractère
géographique et le caractère culturel et identitaire d’une personne ou de la
communauté. La population de Masindray, notamment les tompontany
s’identifient à leur origine géographique et à leur appartenance au fokonolona de
Masindray ou ils ont leur tanindrazana. Celle du quartier d’Anosibe issue de
différentes régions de Madagascar se ressource continuellement auprès de leurs
tanindrazana respectifs.

Avant d’être un moyen de production, la terre est, pour la société malagasy la


« terre des ancêtres » un symbole de production et de procréation, et donc elle
représente la richesse inépuisable, reçue en héritage, et que l’on doit transmettre
aux descendants. Il n’est donc pas question de la vendre et surtout de la céder aux
étrangers. C’est pourquoi, les colons n’avaient droit que de procéder au bail
emphytéotique pour s’approprier des terres à l’époque coloniale114.

114
Cette situation a récemment changé depuis le vote du projet de loi sur l’appropriation de terres par les
étrangers à l’Assemblée nationale lors de la réunion plénière en date du 1er Septembre 2003. Il s’agit en
fait d’un sujet qui a fait couler beaucoup d’encre en très peu de temps et qui a suscité beaucoup de

58
La plupart des gens sont à l’origine essentiellement des cultivateurs. Dans
certaines régions, comme celle de Masindray, on l’a vu c’est la difficulté d’accès à
la terre qui pousse les gens à la migration vers la ville. Mais la question de l’accès
reste le plus souvent au cœur de la migration. La migration temporaire en ville, est
une stratégie de diversification des paysans à la campagne, avec le maintien d’un
regard sur ce qui se passe à la campagne. Les familles savent qu’elles ne peuvent
pas quitter définitivement le tanindrazana, même si les moyens de subsistance ne
sont pas suffisants pour y mener une vie décente. Quitter le tanindrazana ne
signifie pas couper tout contact avec le milieu d’origine. Tous les biens : maisons,
terres de culture continuent d’exister sur place, et il faut les entretenir, ou aider
ceux qui sont restés sur place à les entretenir.

Le départ en ville ne concerne pas la famille entière. Les parents restent souvent
au tanindrazana, tandis que leurs enfants, pour remédier à l’insuffisance du
revenu, ont décidé de travailler en ville. Les fils aînés sont devenus travailleurs
salariés ou indépendants dans l’économie populaire, les filles qui ont trouvé un
travail rémunéré ou sont sur les marchés, transfèrent toute une grande partie de
leur revenu au tanindrazana.
Ainsi l’argent économisé en ville servira à améliorer les conditions de la vie à la
campagne, à acheter du bétail pour les travaux rizicoles et les travaux des champs,
à cotiser pour le famadihana, dont le coût financier est toujours très important, et à
financer d’autres dépenses relatives aux obligations familiales « adidy amin’ny
fianakaviana » et obligations sociales « adidy amin’ny mpiara-monina ».
Le résultat est qu’un important transfert d’argent se fait entre les villes et les
campagnes. L’argent circule dans les deux sens pour satisfaire les besoins des
deux côtés.
A Anosibe, on peut constater que les gens à la fois construisent une nouvelle
identité urbaine, créent de nouveaux liens sociaux urbains, et en même temps
maintiennent des liens sociaux forts avec leur communauté d’origine.
La reproduction des liens sociaux repose largement sur le maintien des contacts
entre villes et campagnes à travers des relations dont les dimensions sont
complexes. Cette reproduction des liens sociaux se fait entre différentes catégories
d’acteurs qui sont liées à la fois à leurs objectifs en milieu urbain et à leur
tanindrazana.

Une première catégorie de familles entre dans la migration temporaire, et se trouve


à la fois à la campagne et dans la ville. Elle a une forte liaison avec son
tanindrazana car ce n’est pas la famille entière qui s’installe en ville mais un
membre de la famille seulement, le père, le fils aîné ou la fille qui travaille dans
les zones franches ou en tant que femmes de ménages. Cette catégorie fait partie
des paysans relativement aisés qui ont assez de terres pour vivre.

commentaires et des réactions négatives de la part des nationaux. Les étrangers qui avaient droit au bail
emphytéotique pour exploiter des grandes concessions depuis la période coloniale auront la possibilité
d’acheter des terres, soumises à certaines conditions. Pour les Malagasy, vendre la terre aux étrangers est
inconcevable, c’est se vendre aux étrangers, ce qui ne correspond pas à la culture malagasy.

59
Jean Baptiste, 64 ans était conducteur d’engins dans une entreprise de construction
de routes à Antananarivo, il est maintenant à la retraite. Il nous a expliqué son
organisation pour son travail et la famille restée au tanindrazana :

« J’ai travaillé dans une entreprise de construction des routes à Antananarivo. Je


rentre à la campagne une fois par mois pour rendre visite à ma femme et à mes
enfants et leur apporter mon salaire. Dans mon travail, le déplacement est fréquent.
Quand le chantier se trouve loin de la capitale, je ne peux voir ma famille qu’une fois
tous les deux ou trois mois ou encore entre deux chantiers. Ma famille vit à la
campagne. Nous ne pouvons pas nous permettre de vivre en ville à cause du coût
élevé de la vie : le loyer, les frais de scolarité, le transport, la nourriture et d’autres
dépenses complémentaires. Ce qui n’est pas le cas à la campagne. Si on mène une
double vie, l’argent que je gagne doit être divisé en deux, et ce n’est plus intéressant.
Moi seul ne dépense presque pas puisque nous les travailleurs sommes pris en
charge, logés et nourris par notre patron. Mon revenu est presque intégralement
envoyé à la campagne pour payer les travaux agricoles et les dépenses à la maison et
115
aux études des enfants » .
Pour cette catégorie de familles, c’est clairement l’attachement au tanindrazana
qui est la base de la stratégie des rapports avec la ville. On peut remarquer aussi
que cela concerne un travailleur salarié du secteur moderne, qui vit en ville, mais
dont l’objectif principal est de contribuer à l’entretien de la terre au village, pour
consolider la base rurale de la famille.
L’activité sur le tanindrazana est la base de toute la stratégie économique et
sociale.
Pour ce type de familles vivant en milieu rural, la ville représente pour elles une
opportunité temporaire de se procurer de l’argent. Il n’y a pas de raison de quitter
le tanindrazana et de vivre ailleurs, car toute la vie se déroule à la campagne. Le
tanindrazana est la richesse que les ancêtres avaient laissé, et le devoir des
descendants est de veiller sur les biens afin qu’ils puissent nourrir les familles.
Rakotondrazanany Henri, 51 ans, est originaire de Tsarahonenana et vit dans le
même village.
« Toute notre vie est faite à la campagne. Nous n’avons pas encore vécu dans la
capitale, il est difficile d’envisager d’y vivre. Tous nos biens sont ici, la maison, les
terres, nos rizières et les champs de culture. Nous estimons qu’il faut entretenir le
tanindrazana et les biens que les ancêtres ont laissés. Nous allons en ville rarement.
Mais il existe des pères de familles qui travaillent à Antananarivo en laissant leurs
familles restent à la campagne. Certains hommes du village voisin sont même partis
jusqu’à Ambatondrazaka pour travailler et gagner de l’argent. Ils rentrent à la
maison quand ils ont assez épargné. C’est un choix difficile de partir seul et laisser
sa famille mais comme on dit en Malagasy, « ny tsy fananana
117
mahazaka maniraka116 » .

La ville est de ce fait un lieu de passage, de courte durée si c’est possible. C’est le
manque de terres et d’argent sans doute qui pousse un père de famille à aller
travailler en ville afin de compléter le revenu agricole à la campagne. Les pères de

115
Voir annexes n° 46.
116
« Ny tsy fananana mahazaka maniraka » est traduit par l’insuffisance pousse à partir.
117
Voir Annexes n° 47.

60
familles s’engagent dans un contrat salarial à temps limité ou encore exercent un
métier qui leur permet de retourner à la campagne régulièrement. Les grandes
villes alors jouent le rôle d’accueil éphémère.
Un autre type de famille a une implantation plus forte en ville. Elle est vraiment
implantée dans l’économie populaire et est concernée par l’amélioration de ses
conditions de vie en ville, et elle noue des relations actives avec d’autres familles
dans le fokonolona urbain. Il s’agit souvent de familles qui manquent de terre à la
campagne. Mais une partie de la famille étendue est bien restée au village
d’origine. C’est elle qui entretient le tanindrazana qui n’est cependant pas
suffisant pour faire vivre toute la famille. Dans ce cas, la famille installée en ville,
va consacrer une grande partie du revenu qu’elle peut garder au delà de sa
subsistance, à un transfert vers le fokonolona d’origine pour essayer d’agrandir le
patrimoine foncier.
Le choix de vivre ailleurs en dehors du milieu rural ne signifie pas la rupture avec
la source. Au contraire, c’est une occasion de réaffirmer son droit d’appartenance
à l’endroit grâce au transfert d’argent de façon permanente, grâce aussi à leur
présence fréquente et au témoignage fréquent de l’ attachement aux coutumes
traditionnelles du village.
Leur retour au tanindrazana est régulier pour cette catégorie, et correspond à des
moments importants comme les fêtes chrétiennes organisée par les églises locales
afin de célébrer et honorer les fêtes des ascendants, fetin’ny taranaka, le jour de
Noël, Pâques, le jour du Nouvel An, ou lors des famadihana, mariage et
enterrement, rencontres familiales.
Le récit de Ravaosolo Marthe, veuve, 47 ans, nous permet de comprendre cette
double identité et le double intérêt.

«Je suis originaire d’Andramasina et je suis venue vivre à Anosibe pour vendre des
légumes au marché d’Anosibe afin d’améliorer le revenu de ma famille. Je vis dans
ce fokontany il y a déjà 19 ans, propriétaire d’une petite maison d’une pièce
construite avec mon mari et partage notre vie avec nos trois enfants dont deux
garçons de 18 et 15 ans et une fille 10 ans. Les deux garçons aînés m’aident au
travail à joindre les deux bouts du mois, tandis que la petite fille rejoint l’école
primaire publique d’Andrefanambohijanahary. L’aîné m’aide à vendre des légumes,
le cadet travaille comme laveur de taxis-brousse à la gare routière. Quoique nous
vivions en milieu urbain, notre épargne sert à couvrir les frais des travaux agricoles
à la campagne. Nous possédons deux tanimbary et trois tanimboly travaillés par mon
beau frère et sa famille. Leurs récoltes sont loin de suffire l’année. Je retourne à
Andramasina au moins une fois par mois pour surveiller les travaux et se ravitailler
118
en riz. Il faut dire que la part du budget alloué à l’achat du riz est importante » .

Souvent, il s’agit à la fois de permanence et de changement. En effet, si la partie


de la famille fixée en ville parvient à acheter des terres, elle est propriétaire selon
le droit civil, et la famille restée au village va en profiter, mais en la louant au
propriétaire. Donc les relations métayers-propriétaires recoupent les liens
familiaux. Mais le patrimoine foncier de la grande famille s’élargit, et grâce au
transfert d’argent depuis la ville, qui n’a rien d’un acte de bienfaisance. Dans la

118
Voir Annexes, p. 9.

61
pratique cependant de nombreux arrangements sont possibles entre membres des
familles, mais l’objectif est toujours de consolider ou élargir le tanindrazana.
L’articulation qui existe entre la population rurale et la population urbaine pour le
cas de la Commune rurale de Masindray et le fokontany d’Anosibe se manifeste
par une réussite de ces pratiques. Pour les ménages de la commune rurale de
Masindray, le tanindrazana représente tout pour eux, le lieu de travail, lieu de vie,
lieu de destination finale car la tombe ancestrale s’y trouve et donc, il faut
l’entretenir en permanence. Les familles qui se sont installées à Anosibe font de
l’épargne pour le transfert d’argent régulier vers le tanindrazana.
Pour les couches populaires, rurales et urbaines, donc plus de 90% de la
population, rien n’est pire que de perdre son lien au tanindrazana d’origine.
Il n’existe pratiquement pas de familles urbaines qui ne sont pas liées par les liens
de parenté aux familles à la campagne. Si c’est le cas, c’est parce qu’elles ont
rompu les liens familiaux pour des raisons d’extrême importance comme un
mariage entre deux personnes de différents groupes statutaires119.
Dans ce cas, les familles ont définitivement quitté le lieu d’origine et laissé tous
leurs biens en les attribuant aux autres familles. Mais leur principale
préoccupation va alors d’être de reconstituer un nouveau tanindrazana ailleurs120.
La prolifération des « 4’mis » ou sans abris, dans la capitale dans les années
quatre-vingt sert d’exemple négatif quant à la rupture avec son monde d’origine.
Ces « 4’mis » sont représentatifs des revers de l’exode rural dû aux crises
économiques des années 1980. Il s’agit des familles sans abris ayant quitté leur
tanindrazana, en vendant leurs biens insuffisants pour subsister, pour aller vivre
en ville et ne sont plus retournés dans leur village d’origine. Souvent, il s’agit de
gens qui, pour des raisons diverses, n’ont plus de famille au lieu d’origine. Donc le
lien au tanindrazana est coupé et rien ne les incite ou ne leur permet d’en recréer
un nouveau. Il s’agit d’une catégorie de population incapable de recréer des liens
sociaux, un réseau, tant en ville qu’à la campagne. Ils vivaient avec moins que rien
et occupaient des endroits comme des cases en carton, sous les ponts, le long du
chemin de fer, etc. Comme ils étaient isolés et marginaux, ils ont été la cible
prioritaire des tentatives de déguerpissement, organisées par la Commune urbaine
d’Antananarivo.
Cela ne les a apparemment pas incités à essayer de s’organiser entre eux pour se
défendre. Ils ont finalement été pris en charge par une organisation catholique qui
a mis en œuvre un projet pour les reloger. Ce projet porte le nom de son initiateur
« le Père Pédro », dans le village « Ankamasoa » et a permis à bon nombre d’entre
eux de se réintégrer dans une nouvelle vie sociale. Le village se situe à
Ambohimahintsy, sur la route de Toamasina, juste à la sortie de la capitale. Le
projet a eu un volet important de formation et d’appui technique et moral. Dans ce
projet, les sans-logis batissent eux-mêmes leurs habitations, les bâtiments d’école,
l’église, etc. Les enfants vont à l’école, les adultes travaillent à la carrière de
pierre. Le projet a un caractère paternaliste et autoritaire : le dimanche tout le
monde doit assister à la messe. Un autre mode de vie communautaire est ainsi
créé, mais il est difficile de lui attribuer le caractère d’un fokonolona basé sur

119
Ce problème est révolu par le temps pour certain groupe statutaire en Imerina, mais dans les groupes
statutaires d’autres ethnies du pays, le problème reste le même, l’exclusion.
120
C’est une situation qui se présente quand même assez rarement.

62
l’appartenance à un tanindrazana partagé. Il s’agit d’une communauté avec la
seule religion comme base, et basée sur l’assistance extérieure. Il est trop tôt pour
pouvoir affirmer que les gens se soient réappropriés le projet, et que celui–ci
pourra survivre au départ éventuel du promoteur.

Cet exemple illustre la différence entre une « communauté » reformée sur base
d’une initiative extérieure et un « fokonolona » reconstitué à travers des pratiques
populaires.
Il faut souligner le fait que l’attachement au tanindrazana n’est pas seulement une
caractéristique des couches populaires. Il reste bien présent dans les catégories
sociales ancrées dans le secteur moderne de l’économie, et y ayant réussi
matériellement et professionnellement.
Riches et pauvres se confondent quand il s’agit de parler du tanindrazana. Il n’y a
pas de doute à avoir la dessus, étant donné l’intérêt que portent aussi bien les gens
aisés, les intellectuels que les simples gens du milieu populaire qui ont le même
besoin d’entretenir le tanindrazana pour son rôle social, éthique, culturel et
économique. Le tanindrazana reste au coeur de la modernité car il s’agit d’un
héritage que les gens veulent maintenir pour l’avenir.

Cela concerne une catégorie de familles qui vivent définitivement en ville et ont
adopté le mode de vie citadin. Cette catégorie est celle des classes sociales
moyennes inférieures et supérieures. Elles travaillent dans la fonction publique,
dans les entreprises privées du secteur moderne ou sont indépendants. Depuis les
années 1980, et la déconfiture de l’Etat, une partie d’entre elles ont développé des
activités de complément, vadin’asa, qui les font participer directement ou
indirectement à l’économie populaire. Pour ces familles, l’attachement au
tanindrazana existe et reste important parce que c’est la source d’origine et la
destination finale, mais ce n’est pas une priorité majeure.

Une partie de leur revenu revient au tanindrazana pour soutenir la partie des
familles toujours occupées dans les travaux agricoles. En échange une partie des
récoltes leur sont envoyées régulièrement à chaque saison. Une autre partie de ce
revenu va à l’entretien du tombeau familial. Pour cette catégorie, l’articulation
villes campagnes est définie selon des rites familiaux bien précis correspondant à
des grandes occasions.

Fidy, 75 ans, vient d’Antsirabe et a vécu à Antananarivo depuis les années


soixante. Il était employé dans la Fonction publique, au Ministère des Travaux
publics à Anosy jusqu’à sa retraite en 1989. Il a choisi de vivre à Anosibe à cause
de la proximité avec son lieu de travail. Sa femme dirige une petite gargotte qui
fait travailler cinq personnes. Cette gargotte se trouve au rez-de-chaussée de leur
la maison d’habitation d’un étage dont ils sont les possesseurs. Ils partagent cette
maison avec certains de leurs enfants et petits enfants.

D’après Fidy :
« Nous avons choisi de vivre à Antananarivo parce que j’ai travaillé ici. Nous ne
nous rendons à la campagne qu’à des grandes occasions. Il est trop coûteux de se
rendre régulièrement au tanindrazana. Mon frère cadet vit avec sa famille au village

63
et c’est lui qui s’occupe de tous nos biens et exploitent les rizières. Ma femme ou moi
s’y rendons une fois que la moisson est terminée pour prendre notre part de riz.
Comme nous avons des rizières, nous récupérons notre part de riz qui atteint jusqu’à
cinq ou six sacs de 50 kg121 afin d’éviter d’acheter du riz à prix fort au marché. Nous
consommons ce riz à la maison mais il nous sert aussi à ravitailler notre petite
gargotte. Ce n’est pas suffisant pour ces deux usages, car le riz est la base de
nourriture des Malagasy mais quand le stock est épuisé nous sommes obligés d’en
acheter jusqu’à la prochaine récolte. Nous cultivons aussi beaucoup de pommes de
terres entre les saisons. Une partie de notre revenu va impérativement au
tanindrazana pour aider aux travaux agricoles, à payer les travailleurs journaliers.
Comme nous ne sommes plus là-bas, c’est dans notre intérêt et devoir d’envoyer
régulièrement de l’argent pour aider aux dépenses relatives aux travaux agricoles.
Les principales occasions pour se rendre au tanindrazana se limitent à la fête de
patrimoine familial (fetin’ny taranaka) tous les mois de mai, à la fête de Noël et du
nouvel an et évidemment, lors des moissons. Le famadihana qui se déroule tous les
sept ans dans notre village est aussi un moment de rencontre pour tous les membres
de nos familles. On ne doit pas oublier le tanindrazana car c’est de là qu’on sort et
122
c’est là qu’on retourne » .
Une enseignante de l’Université d’Antananarivo, bien intégrée dans son milieu
intellectuel et universitaire organise le famadihana dans le tanindrazana de son
mari à Vinaninkarena, à 15 km au sud de la ville d’Antsirabe.

« Je n’ai pas du tout à renoncer aux famadihana qui est l’un des fomban-drazana qui
a le plus d’importance aux yeux de la société malgache, et je pense que c’est qui fait
la société malgache. C’est un grand moment et il faut l’organiser bien longtemps à
l’avance et mettre de côté pas mal d’argent car c’est une des plus grandes dépenses
qu’on peut faire. C’est à peu près la même chose que pour la préparation d’un
mariage dans la famille. Cette occasion rassemble toutes les familles de près et de
loin, tous les villageois environnants et permet de renouer les liens sociaux qui se
sont détériorés pour diverses raisons. C’est aussi un moment de faire la rétrospective
et de retourner en arrière afin de mieux préparer l’avenir. Je dis retour en arrière
car les personnes chères décédées reviennent en mémoire, les ancêtres d’origine sont
au rendez-vous, on leur honore par les cérémonies. Tout le monde se rappelle de
leurs bienfaits pendant leur existence et de ce qu’ils ont laissé. Ainsi, c’est aussi une
liaison entre les morts et les vivants. Pour préparer une telle rencontre, on ne
demande pas le prix de ce que cela va coûter car le fihavanana n’a pas de prix, le
firaisana n’a pas de prix, on se laisse emporter pour une bonne cause. C’est
123
l’honneur de la famille et de ses ancêtres » .

L’articulation est fortement sentie pour cette enseignante de l’Université, qui tout
en étant dans le monde moderne, dans la capitale et la rationalité économique,
reste intimement liée à tout ce qui se passe dans son tanindrazana et assume son
rôle d’épouse du fils aîné de la famille, lahimatoa. Il ne s’agit pas d’une simple
responsabilité à faire réussir les rites et cérémonies, mais c’est une opportunité
d’affirmer le droit à la terre, le droit à la tombe et tout droit relatif au
tanindrazana. Le retournement des morts concerne aussi bien le milieu aisé et la
classe dirigeante que les familles paysannes ou les familles des quartiers

121
La quantité de riz dépend beaucoup des conditions climatiques. En bonne saison, la récolte peut atteindre
jusqu’à huit sacs de riz de 50 kg. En mauvaise saison, les récoltes se limitent à trois ou quatre sacs.
122
Voir annexes, p. 5.
123
Voir Annexes p. 5.

64
populaires urbains. Même vivant à l’étranger, la plupart des gens ne sont pas
coupés de leur source d’origine au tanindrazana

Randrianarisoa Jeanine, 48 ans, mariée vit à Montpellier, en France depuis 20 ans,


elle a obtenu la nationalité française, elle nous révèle sa position vis-à-vis du
tanindrazana.

« Nous ne retournons pas souvent au pays mais nous sommes en contact permanent
avec la famille sur tout ce qui se passe à la campagne. J’envoie tous les ans de
l’argent pour les travaux des champs afin de payer les travailleurs et aider les
familles. Nous avons toujours notre part de terres aussi bien du côté de mon mari
que de mon côté. Même si nous ne consommons pas les récoltes de ces cultures, toute
la famille à Madagascar les consomme. Mes parents et mon beau-père sont encore là
à veiller sur la famille et tous les biens. Le moins que nous puissions faire c’est
d’envoyer régulièrement de l’argent. Le frère cadet de mon mari est déjà à sa
troisième vache et deux bœufs par l’argent que nous lui avons envoyé. Et puis il faut
aussi un peu d’argent pour entretenir la tombe. Nous n’avons pas l’intention de nous
faire enterrer ici en Europe même si nous avons la nationalité française. Nous
projetons de construire une maison pour notre retour définitif au pays et aussi pour
les enfants plus tard. C’est mon frère aîné qui va s’en occuper, alors nous devrons
envoyer de l’argent pour cette construction. Je profite de passer des vacances en
famille lors des grandes occasions comme lors d’un famadihana ou d’un mariage au
pays car c’est un grand moment de rencontre où tout le monde est sollicité plusieurs
années en avance d’être présent. Si nous ne faisons pas cela, les gens et la famille
vont croire que nous avons coupé toutes les relations et que nous serons enterrés en
Europe, et ce n’est pas bien. Car il y a une chose que les Malgaches détestent c’est
very faty. Il faut toujours rapatrier le corps au pays quel que soit le prix à payer. Il
faut dire quand même que certaines familles préfèrent se faire enterrer ici pur des
124
raisons matérielles » .

On peut donc dire que le référent au tanindrazana reste un élément majeur du


comportement des habitants de Antananarivo, et certainement de l’immense
majorité des habitants des quartiers populaires.
Le tanindrazana est le référent ultime en matière de stratégie de sécurisation
individuelle et collective. La ville est vécue comme le lieu où il faut être, mais qui
en même temps ne peut pas procurer une véritable sécurité qui soit à la fois
matérielle, psychologique, sociale et spirituelle. Le tanindrazana dans un
fokonolona rural répond à ce besoin.

5- Le tanindrazana au cœur de l’articulation villes-campagnes

Le tanindrazana est un référent ancré dans l’histoire longue, mais qui est toujours
bien présent dans les consciences.
On ne peut donc pas réduire les rapports campagnes–villes à une simple
dimension économique. Les campagnes ne sont pas un monde à part et en retard,
en attente de modernisation, dont le moteur, la croissance économique se trouve
dans les villes.

124
Voir annexe p. 5.

65
La relation campagne-ville occupe un rôle central dans les stratégies de vie des
acteurs de l’économie populaire, au cœur de leur reproduction en tant qu’acteurs
sociaux. Ils établissent un lien entre les deux types d’espace qui efface la
dichotomie entre les deux proposée par toutes les politiques de modernisation.
Leur vie est à la fois à la ville et à la campagne.

A travers leurs pratiques, et le rôle central du tanindrazana, l’espace rural est non
pas dévalorisé par rapport à l’espace urbain, mais au contraire fortement valorisé.
Les acteurs populaires ruraux sont par migrants interposés dans la modernité
urbaine, et les acteurs populaires urbains considèrent que la vraie sécurisation des
conditions de vie repose dans le traditionnel rural. Cela se traduit par la
revalorisation de l’espace rural en maintenant les us et coutumes traditionnelles,
mais aussi en s’adaptant aux apports extérieurs basés sur le transfert d’argent et les
retombées de la modernité des milieux urbains. Pour ne pas être à la merci des
effets négatifs de la modernité, les paysans réitèrent leur position de gardiens de la
tradition en contribuant à l’entretien de ce qui fait l’identité des émigrés, plus ou
moins temporaires ou définitifs, et qui refusent d’être engloutis dans l’insécurité
de l’espace urbain. La renégociation de la position des paysans a un aspect
économique très important, puisque elle fonde les transferts d’argent de la ville
vers la campagne. L’attachement à la terre des ancêtres est donc au cœur de
l’articulation entre villes et campagnes.

C’est le rôle du tanindrazana aussi qui contribue à ce que une partie non
négligeable des migrants, ou même leurs enfants, choisissent à un moment de
rentrer définitivement au village.

Ramiandrisoa Daniel, 28 ans, tompontany à Tsarahonenana est cultivateur et


éleveur. Il a déjà fait l’expérience à Antananarivo en travaillant comme receveur
de transport urbain « taxi-be » pendant deux ans. Il nous révèle son expérience :

« J’ai tenté de vivre à Antananarivo en pensant que la vie en ville est moins dure
qu’à la campagne. J’ai travaillé comme receveur de taxi-be chez mon oncle pendant
deux ans. Il m’a logé et nourri tout en m’occupant de la voiture. Je me suis rendu
compte que la vie n’est pas donnée en ville même s’il y a de l’argent. Si je dois vivre
en ville avec ma femme et mes enfants, je dois louer une maison, acheter de la
nourriture, payer les frais de transport, s’occuper des frais de scolarité des enfants.
Il faut dire aussi que les loisirs sont très tentants et ça fait des dépenses. Je me suis
habitué quand même à ce rythme mais pour une vie durable ce n’est pas idéal, je
préfère retourner à la campagne. L’argent que j’ai gagné a été envoyé à la
campagne. Je garde quand même pour mes petites dépenses en cigarettes, en loisir et
en vêtements. J’ai décidé de revenir vivre ici, car nous avons de terres qui
n’attendent qu’à être exploitées. On peut vivre bien même si n’y a pas assez, la
nourriture provient des champs agricoles. Nous n’avons pas besoin de louer une
maison car nous en avons. Si un problème survient, la famille, les voisins et le
125
fokonolona sont là prêts à nous aider. Maintenant, je suis patron de mon travail » .

Le tanindrazana constitue donc un lien puissant entre les membres de familles


rurales et une attache solide avec leur territoire ancestral pour les citadins. C’est

125
Voir Annexes, n° 48.

66
pourquoi, on ne doit pas étudier le milieu rural comme un monde isolé du monde
urbain. Le tanindrazana est le cœur de l’articulation villes-campagnes.

Le retour au tanindrazana n’est pas seulement un respect du passé, c’est aussi une
stratégie délibérée de reconstruction des liens sociaux. En outre, le tanindrazana
n’est pas que le lopin de terre familial. Il revoie à tout un complexe culturel dont il
fait partie intégrante.

La présence des tombes familiales sur la terre des ancêtres contribue en grande
partie à l’attachement socioéconomique et culturel dans le milieu rural. Et le
respect du fihavanana dans les villages accompagne le respect du règlement
interne des villageois ou dina. Tout le monde est soumis à ces principes et les
respecte. Ces deux facteurs constituent le rouage qui maintient les articulations
villes-campagnes de la société malagasy. Le fihavanana tend à maintenir les liens
sociaux dans les villages. Il est redynamisé par les cérémonies rituelles du
famadihana, qui se présente tous les cinq à sept ans et est une grande occasion de
rassemblement et de rencontre pour toutes les branches des familles, qu’elles
soient à la ville ou à la campagne.

Et malgré les influences, voire les agressions, culturelles extérieures, ces éléments
se sont maintenus ou réaffirmés jusque maintenant.

67
Chapitre VII

Dimensions socioculturelles de l’économie populaire


à Masindray et à Anosibe

1- Commune de Masindray : respect de la tradition et insertion dans la


modernité

Poids du fomban-drazana dans l’économie populaire

Les fomban-drazana

Les fomban-drazana126 se trouvent au centre des différents aspects de la vie sociale


de la population rurale et urbaine. Il s’agit de pratiques liées au souvenir des
ancêtres, aux us et coutumes traditionnelles qui sont encore en vigueur dans toutes
les régions de Madagascar jusqu’à nos jours. Les fomban-drazana se trouvent au
cœur de l’économie populaire. La majorité de la population de la commune rurale
de Masindray vit avec les fomban-drazana et les respecte. Le non-respect des
fomba est vu comme une désobéissance à l’égard des aînés, ou ray aman-dreny, et
surtout un manque de respect aux ancêtres. Ce qui entraîne des tsiny127 ou
reproches de la part de ces derniers.

Le respect consiste à préserver les acquis et les connaissances ancestrales


séculaires, mais surtout à maintenir les principes qui assurent l’équilibre et l’ordre
social dans la communauté. Ce sont des pratiques qui font partie intégrante de
l’existence, des prescriptions qui régissent les activités quotidiennes, sociales et
économiques de toutes les communautés depuis bien longtemps et qui restent
d’actualité.

Les fomban-drazana concernent de nombreux domaines dont des coutumes


sociales, religieuses et des superstitions. Mais il existe aussi des fomba qui sont
dans l’ombre et qui revêtent une importance particulière, comme l’utilisation des
ody, sampy populaires et sampy royaux, instruments de protection, ou encore le
respect des fady, interdits, auxquels les gens sont intimement attachés128.

Les ody ou aody129 sont des instruments de protection130. Les sampy fonctionnent
avec les mêmes principes que les ody. Ils ont une valeur collective, dont le choix

126
Fomban-drazana est traduit par fomba comme pratiques et razana ou ancêtres, donc les pratiques des
ancêtres.
127
Tsiny blâme et reproche, cfr. RAISON JOURDE F., Bible et pouvoir à Madagascar, op. cit., p. 829.
128
Le préfixe a dans aody marque précisément l’instrumentalisation : ce qui sert à agir. Quant à la racine ody,
elle signifie retourner à un état antérieur, devenir, changer. Cf. VIG L., 1969, p. 12.
129
Aody chez le betsileo, aoly chez les sakalava.

68
est dicté au devin par le vintana 131du demandeur. Ce sont des morceaux de bois
enfilés en collier qu’on porte au cou ou en travers de la poitrine, parfois des cornes
de bœufs ornementées et remplies d’une série d’ingrédients (morceaux de bois, de
fer). Les sampy jouissent d’un pouvoir transférable et non strictement individuel.
Jadis, la différence avec le ody ne résidait pas dans l’effet obtenu mais dans la
situation de ceux qui les possédaient132.

D’après l’ethnologue L. Vig, « un personnage haut placé avait-il son ody, il ne le


gardait pas pour lui et les siens, il le recommandait à ses clients, l’estime dont il
jouissait s’étendait à l’ody, qui lui aussi gagnait en considération. Il en était ainsi
depuis le chef plus chétif du village jusqu’à la reine régnante »133.

Les sampy d’un lignage remplissent des tâches de protection collective, soit au
niveau des familles, soit du foko, soit du royaume. Chacun des fragments est
installé par les familles dans l’angle nord-est de la maison. Historiquement, la
multiplication des sampy et leur rôle croissant étaient la traduction de l’évolution
sociale vers le clientélisme dans le contexte des guerres intestines. Leur puissance
est communicable sous la forme de fragments détachés du sampy « mère » et
transmis comme ses « enfants »134.

Les fomban-drazana et les fady sont maintenus jusqu’à aujourd’hui, car les gens
ont la conviction qu’ils agissent pour le bon fonctionnement de la vie sociale et
économique, à Masindray et dans beaucoup de régions malgaches. Si au temps des
royaumes merina ces fomba représentaient une légitimation du pouvoir et un
compromis entre le pouvoir royal et la population locale, le maintien de ces
fomban-drazana jusqu’à nos jours s’apparente à la capacité de la résistance
populaire à construire les conditions de sécurisation face aux changements. Les
gens réinventent leurs conditions de sécurisation afin de résister aux aléas de la vie
de plus en plus nombreux.

Les fady sont respectés et se manifestent à travers les comportements de la société


malagasy dans la vie quotidienne. Ils concernent de multiples aspects de la vie
sociale comme les jours de travail135, les cultures pratiquées, la nourriture et ils
varient d’une région à une autre, d’un village à un autre village. Dans le village
d’Ambohimiadana-Carion, situé à 30 Km à l’est d’Antananarivo, la consommation
d’oignons est interdite. Dans certaines régions l’élevage de porc ou des chèvres est
aussi interdit. La prohibition du porc fut généralisée dans tout le royaume
merina136, et on la retrouve aussi dans la commune de Masindray jusqu’à nos jours.
L’interdit du porc ou fady kisoa était lié au respect de sampy sacrés que pourrait

130
Le préfixe a dans aody marque précisément l’instrumentalisation : ce qui sert à agir. Quant à la racine ody,
elle signifie retourner à un état antérieur, devenir, changer. Cf. VIG L., 1969, p. 12.
131
Vintana, destin ou système de destin. Cf. RAISON-JOURDE, op. cit., p. 829.
132
RAISON JOURDE F., op. cit., p. 89.
133
VIG L., « Le symbolisme dans le culte et dans la vie sociale du peuple malgache », Bulletin des Missions
Luthériennes à Madagascar, 15 février, 1903, p. 218.
134
RAISON JOURDE F., op. cit., pp. 89-90.
135
Il existe des jours fastes et des jours néfastes pour commencer un travail ou pour conclure une affaire.
136
CALLET F., Histoire des Rois, Tome III, 1974, pp. 486-488.

69
conserver la population de la commune. Mais il peut être aussi attaché à des
conceptions religieuses inspirées de l’Islam137.

Beaucoup de régions des Hautes Terres centrales où se déroulent jusqu’à nos jours
des pratiques de culte des ancêtres, respectent l’interdit du porc. Dans certains
fokontany dont celui de Tsarahonenana, l’élevage porcin est interdit. Les habitants
du fokontany ne mangent pas de la viande de porc à cause de ces interdits à
l’origine lointaine. L’élevage porcin est traditionnellement interdit, et la viande de
porc coûte généralement plus chère que la viande de boeuf.

Rapaoly Jean Baptiste, 60 ans de Tsarahonenana, parle ainsi de l’interdit du porc


dans son village :

« Selon les traditions orales, les villages de Masindray étaient depuis les ancêtres
interdits au porc. Et jusqu’à présent, personne n’enfreint cet interdit. Les villages
de nobles sont interdits au porc, et comme Masindray était un village des nobles,
les habitants respectent les interdits. Moi personnellement, je ne vois pas pourquoi
on ne doit pas respecter les interdits des ancêtres si c’est pour mettre de
l’équilibre dans la société et pour que chacun se respecte. Je dis à mes enfants de
respecter tous les fady et les fomba, et ils les respectent. Les villageois les
138
respectent également » .

Il en est de même pour l’interdiction de l’élevage des chèvres qui remonte au temps
historiques et est liée à des rites, à l’appartenance à un groupe statutaire andriana,
noble, correspond à une activité économique, où les actes sont déterminés par une
conception religieuse de la vie. L’individu s’y efface devant la communauté ou
plutôt le collectif prévaut sur l’individuel, tous les efforts étant conjugués pour
réaliser un certain idéal du bonheur139.

L’interdit de certains animaux et d’autres pratiques traditionnelles relève d’un


respect mais aussi d’une sécurité de la communauté. Les interdits ont un aspect
socialement construit. Les nobles et les simples gens se trouvent soumis aux mêmes
interdits et pratiques, même si on sait qui est qui dans la hiérarchie sociale.

Cependant, certaines personnes vont à l’encontre de certains interdits, dans un but


économique. On rencontre deux à trois familles qui font l’élevage de un ou deux
porcs dans le seul but de les vendre à prix élevé. Ces éleveurs ne se sentent pas
concernés par l’interdit du porc, mais affirment respecter l’ensemble des fomban-
drazana.

Ravelonantoandro, 65 ans, d’Ambohidraondriana est une des quelques personnes


qui fait de l’élevage de porc.
« L’élevage des cochons est interdit selon la tradition orale. Mais moi je le fais
parce que je pense c’est dans certains endroits seulement qu’il faut respecter
l’interdit. Jusqu’ à maintenant nous n’avons pas de problème. Comme la viande
de porc est beaucoup plus chère au marché, par rapport à la viande de bœuf, j’ai
137
L’interdit de porc est un fait général sur de nombreuses régions d’où l’origine est fortement liée à des
pratiques traditionnelles musulmanes.
138
Voir Annexes, n° 51.
139
DOMINICHINI J.-P., « La chèvre et le pouvoir. Première approche historique d’un interdit », in Omaly sy
Anio, n° 9, 1979, p. 115.

70
essayé d’élever des cochons qui rapportent beaucoup quand c’est bien gras.
Toutefois, les fomban-drazana sont respectés. Je respecte lesautres fomban-
drazana. Nous ne mangeons pas de porc ni dans le village ni à la maison. Les gens
sont très sensibles au fihavanana afin de maintenir des bonnes relations
140
sociales » .

À Masindray comme dans beaucoup de régions du pays, les gens consultent les
ombiasy141. Au moment de la centralisation royale, une fois les monarchies
régionales vaincues, au centre des systèmes symboliques qui leur ont survécu,
l’ombiasy a continué d’œuvrer, de même sous la colonisation. Aujourd’hui encore,
il reste le personnage central de la vie politique du village, étant donné qu’il est en
un sens beaucoup plus digne d’intérêt que le souverain ou le haut dirigeant
politique lui-même142. Il est écouté et ce qu’il dit est respecté par les gens.

Il est aussi régulièrement consulté dans le cadre de la vie sociale au même titre que
les mpisikidy (celui qui prédit l’avenir), des mpanandro (celui qui prédit l’avenir
avec les astres). Avant d’entreprendre une chose importante, comme la construction
d’une maison d’habitation, la population ne néglige pas de les consulter afin de ne
pas tomber sur un mauvais jour et d’attirer des ennuis. Il en est de même pour les
renin-jaza. Les femmes qui accouchent font appel au renin-jaza (sage femme
traditionnelle) qui se basent sur la prédiction des mpisikidy concernant l’avenir de
l’enfant.

Razafimamonjy Angeline, 26 ans, divorcée et tompontany, vit à Aminampanga


avec ses trois enfants. Pour la naissance de ses enfants, elle les a accouché avec
l’assistance d’une renin-jaza.

« C’est dans les pratiques traditionnelles de consulter les renin-jaza pour


l’accouchement et elles continuent jusqu’à nos jours. Moi et mes sœurs et frères
étaient nés avec l’aide de renin-jaza. Mes trois enfants étaient tous assistés par la
renin-jaza qui m’avait suivie dès le troisième mois jusqu’à chaque accouchement.
La majorité des femmes du milieu rural comptent beaucoup sur les renin-jaza et
les consultent à chaque fois qu’elles se trouvent enceintes ou même quand il s’agit
d’un problème relatif à leur tranon-jaza (l’utérus) comme l’embryon en mauvaise
position. La renin-jaza fait un massage pour le remettre en place normale et donne
des plantes médicinales pour soigner le problème dans l’utérus. Le suivi est facile
car ae renin-jaza se trouve dans le même village. On ne peut pas compter sur les
hôpitaux car ils manquent souvent de sage-femme et de médecin. Il existe un
dispensaire au village de Masindray mais le médecin est presque toujours absent.
En cas de maladie, les gens préfèrent consulter les guérisseurs traditionnels qui
utilisent les plantes médicinales comme les feuilles et les racines, au lieu de voir
un médecin, sauf quand il s’agit d’une maladie grave que le guérisseur n’arrive
143
plus à soigner. En plus, la consultation des guérisseurs est abordable » .

140
Voir Annexes, n° 32.
141
L’ombiasy ou devin, diplomate, directeur de conscience, « nourrice » du prince, spécialiste de hasina. Celui-
ci fut l’artisan d’une unification des croyances, au bénéfice de la légitimation du chef temporel. Il était un
personnage essentiel et généralement maintenu dans l’ombre aux côtés du souverain. Cf. RAISON-JOURDE F.,
Les souverains de Madagascar…, op. cit., p. 27.
142
RAISON-JOURDE F., op. cit., p. 27.
143
Voir Annexes, n° 49.

71
Une autre pratique, qui a son importance mais qui n’a pas été soulevée dans les
interviews est la circoncision. Tous les garçons malagasy sont circoncis à partir de
leur deuxième âge. Une cérémonie rituelle est organisée, rassemblant tous les
habitants, toutes les familles. C’est une occasion pour montrer la cohésion sociale,
la reproduction sociale où la présence de tous les villageois et toutes les familles est
vivement sollicitée.

Ces fomba sont d’origine lointaine, mélange de différentes cultures d’origine


différente. Un des traits de la culture malagasy est celui emprunté de la culture
musulmane. Comme l’Île était proche des Cités-Etats de l’Afrique de l’Est qui
construisaient au Moyen Age des mosquées, le contact avec des étrangers, des
commerçants arabes, ou indonésiens islamisés, ou africains islamisés avait permis
la pénétration de la religion musulmane. La partie Sud-Est et les régions nord et
nord ouest du pays de Madagascar en étaient le berceau.

L’échec de l’Islam en tant que religion est lié à la constitution d’organisations


politiques très dynamiques, nées des syncrétismes opérés sur les côtes en l’espace
de trois siècles, et organisés autour d’une volonté délibérée de contrôler, à partir de
l’intérieur de l’île et le contact côtier avec les étrangers. Les monarchies régionales
utilisaient des groupes de migrants déjà fixés, en voie de fixation ou encore
mobiles, les Antalaotra (gens de la mer), comme des groupes-tampons permettant
une ouverture vers les courants de commerce ou les systèmes politico-religieux
venus de l’extérieur, mais aussi comme un instrument de filtrage des emprunts
pratiqués en fonction d’une logique autochtone du pouvoir.

Mis en échec en tant que systèmes de croyances religieuses universalistes, l’islam


était utilisé alors pour élaborer, au service des rois et des groupes dominants, une
science politique liée aux géopolitiques intérieures à l’île. Cette science politique
se cristallisa dans les mythes d’origine des royaumes, dans l’essence du hasy ou
hasina144 qui a vocation à structurer la société et le pouvoir145. Le pouvoir royal
utilisait l’islam comme instrument de centralisation de pouvoir, une forme de
construction politique auquel les gens étaient soumis. D’où alors l’emprunt des
pratiques comme la consultation des mpisikidy, mpanandro, les formules magiques,
la circoncision, et les interdits qui parviennent probablement de ces influences
islamiques répandues, à partir de la partie Sud-Est de Madagascar et des royaumes
antaimoro, antanosy, parmi lesquels se trouvaient des petits groupes au savoir
ésotérique pour la confection de manuscrits, le sorabe146.

Cette influence est parvenue jusqu’en Imerina. Andrianampoinimerina réussit à


faire monter en 1802 à Antananarivo cinq Antaimoro de retour du Nord (Vohémar,
Majunga). Lui-même avait perçu l’écriture comme « l’art de se souvenir des
choses », une science divine. « C’est sur le conseil de Dieu qu’on l’a tracée », un
procédé pour fixer des formules magiques147.
144
Hasina, représente la vertu efficace d’un être, d’une chose, c’est une force d’origine sacrée qui rend les actes
féconds, cf. RAISON-JOURDE F., op. cit., p. 827.
145
LOMBARD J., La royauté sakalava : formation, développement et effondrement. Essai d’analyse d’un
système politique, Tananarive, ORSTOM, 1973.
146
Le sorabe est un livre écrit en arabe malgachisé contenant des prières, des formules de soins de toute sorte de
maladies, de l’astrologie.
147
CALLET F., Tantara ny Andriana, I, p. 157. Il est suggéré dans les Tantara que certains hommes
des Hautes Terres (par exemple les Kiboandrano) l’ont possédée, par contact avec des commerçants,

72
Andrianampoinimerina a cherché à baser sur l’islam l’instrument de centralisation
du pouvoir, de la reconstruction et de l’expansion du royaume merina.

Le syncrétisme religieux malagasy s’est donc fait d’abord avec l’islam, pour
raisons politiques, et les pratiques nouvelles introduites se sont ajoutées aux
anciennes pratiques religieuses construites depuis des siècles au niveau local.

Le successeur d’Andrainampoinimerina a opté pour la religion chrétienne comme


instrument de consolidation du pouvoir. Sous le règne du roi Radama I, les
conditions de fonctionnement du pouvoir central ont changé et l’instrument du
pouvoir a aussi changé. Les idées modernisatrices de Radama I ont mis en valeur
les pratiques occidentales, dont la christianisation qui avait commencé par
l’évangélisation du roi et de la cour royale. Les pratiques sociales connaissaient
aussi un changement important. Le sorabe a été délaissé pour céder la place aux
lettres latines, et les missionnaires britanniques ont commencé à instruire la
population tout en l’évangélisant.

Un syncrétisme nouveau s’est installé dans un mélange de pratiques de différentes


influences, sans éliminer nécessairement les traces des syncrétismes plus anciens.
Les Malagasy notamment ceux des Hautes Terres ont gardé pendant plusieurs
générations des pratiques anciennes, déjà influencées par l’Islam, tout en adoptant
les pratiques chrétiennes introduites pendant le règne de Radama Ier.

Mais il y a eu aussi des réactions contre des poussées trop fortes pour imposer une
nouvelle religion étrangère. Ces réactions ont été dans le sens de réaffirmer les
ère
fomba malagasy anciens. L’arrivée au pouvoir de la reine Ranavalona 1 , a été
accompagnée de l’affirmation de la continuité des fomba qui avaient été
bouleversés lors de l’avènement du Radama Ier. La population attendait un
changement de la part de la monarchie pour le retour aux fomba, mais aussi la fin
des recrutements militaires, le retour des soldats dans leurs foyers, et pour
ère
beaucoup de campagnards, la fin de l’expérience de scolarisation. Ranavalona I a
joué un rôle clé, basé sur les valeurs populaires en misant sur la carte de la culture
locale contre les étrangers pour légitimer son pouvoir, ce qui d’ailleurs était
approuvé par ses conseillers.

L’assassinat du roi Radama II, seulement deux ans après son arrivée au trône
montre à quel point les idées modernisatrices qu’il avait relancées ne pouvaient pas
être acceptées par les conservateurs. Selon ces derniers, il fallait continuer dans le
ère
sens qui avait conduit la reine Ranavalona I et ceux qui l’avaient aidée à monter
au pouvoir, à rechercher dans la réaffirmation des fomba, la source de la
légitimation du pouvoir aux yeux de la population.

Cette lutte contre les élites modernisatrices et conservatrices ne laissait pas la


population indifférente à la situation. La grande majorité de la population voulait
initialement la réaffirmation des fomba comme source du pouvoir royal, car ce

mais que leur mort en a empêché la transmission. Il existe donc une nostalgie de l’écriture, le désir de
se la réapproprier, mais sous son aspect ésotérique et magique, sans qu’on imagine qu’elle puisse
servir à l’administration des hommes.

73
dernier est vu alors comme ratifiant et consolidant ce qui est la base de la sécurité
spirituelle au niveau du fokonolona.

Les gens maintiennent les coutumes ancestrales en terme de légitimation du


pouvoir. C’est la façon de construire l’identité populaire, un moyen de justifier et
réguler la société. C’est aussi l’occasion de reconstruire un ordre social où les
riches et les pauvres doivent partager les mêmes privations en respectant les mêmes
interdits, un peu comme chez les catholiques qui ne mangent pas de viande le
vendredi. On s’approprie un rite pour la construction de l’identité et le compromis
social. Quand un nouveau roi impose une forme de centralisation il doit la relier
avec les cultes locaux.

Si à partir de cette époque les religions chrétiennes, catholiques et protestantes, ont


connu une influence grandissante, de toute manière, pour la majorité de la
population cela s’est fait à travers de nouvelles formes de syncrétisme. Les gens
tiennent à maintenir les coutumes en observant attentivement les interdits fady, afin
de ne pas offenser les ancêtres et éviter les malédictions, tout en suivant la religion
chrétienne. Le syncrétisme religieux populaire à Madagascar a donc une très longue
histoire. Il est aussi une forme de résistance politique, car en s’inclinant devant les
apports étrangers imposés du haut, il acquiesce au nouveau pouvoir, mais il
maintient aussi un espace d’autonomie culturelle, ou peuvent se déployer les traits
de la culture locale.

La continuité historique de cette culture est illustrée par l’attitude populaire à


l’avènement du colonel Ratsimandrava en 1975. Le soutien populaire au colonel
Ratsimandrava était une réaction contre la poussée modernisatrice trop forte des
élites. Lui aussi avait réprimé la révolte paysanne dans le Sud de Madagascar, mais
après, il avait joué la carte locale en donnant une place importante au fokonolona,
comme base pour légitimer son pouvoir. Il a payé de sa vie cette tentative que
toutes les couches populaires avaient fortement appréciée et encouragée. Toute la
population a vu alors en la personne de Ratsimandrava la réincarnation des valeurs
profondes des Malagasy et du fokonolona historique.

Toutes les activités de la grande majorité des paysans sont intimement liées aux
croyances véhiculées par le respect des fomban-drazana. La majorité de leurs
activités (construction des maisons, de tombeaux, famadihana, travaux des champs,
recherche d’un travail) sont soumises aux fomba, conformes aux normes sociales
locales et générales établies depuis des générations, et qui se sont transmises aux
descendants par les traditions orales, lovan-tsofina.

Rakotondravony, 65 ans, nous explique l’importance de poursuivre les fomba :

« Les gens sont obligés de consulter un astrologue pour une action afin de
déterminer les jours fastes et néfastes. Nous connaissons un meilleur à
Ankadinandriana. Tous les habitants du village et des entourages le consultent
pour la construction de maison, d’un tombeau, pour l’organisation d’un
famadihana. Il est important de savoir le jour et l’heure exacte pour la première
fondation pour que la maison soit construite dans de meilleure condition et ne
provoque pas d’accident mortel. Il en est de même pour la construction de
tombeau et le famadihana. On ne peut pas se passer du mpanandro parce que
c’est très important. Pour la construction de tombeau, on doit suivre certaines

74
recommandations du mpanandro pour que le tombeau ne prenne pas les vivants.
Les instructions aussi sont très importantes pour le famadihana à savoir l’heure
de l’ouverture et de fermeture de la porte tombale pour faire sortir et remettre les
corps après avoir envelopper. Personne n’ose s’aventurer à organiser un
148
famadihana ou à construire une tombe sans consulter le mpanandro » .

Le fomban-drazana manifeste un caractère ambivalent. Il met en vigueur les


pratiques anciennes et les associe avec le mode de vie moderne. Cette association
des pratiques anciennes avec le mode de vie moderne contribue à la continuité de
l’économie populaire et consolide la cohésion sociale dans le milieu rural.

On peut associer l’esprit du fomban-drazana au patrimoine organisationnel car il


englobe tout ce qui touche les valeurs éthiques et morales, les religions, les
systèmes de transmission de connaissances, les systèmes de régulation assurant les
équilibres fondamentaux. Il renvoie à l’ensemble des structures sociales établies
depuis des générations qui se construisent et se renouvellent perpétuellement dans
le temps et dans l’espace. Le maintien des fomban-drazana contribue à l’économie
populaire en milieu rural, car ils permettent la reproduction des pratiques
populaires. Ils font partie de la sécurisation psychologique et spirituelle de ces
dernières.

Cette vision des choses est loin d’être acceptée dans la pensée occidentale basée sur
des raisonnements rationnels dominés par des considérations économiques. Il est
difficile pour les Occidentaux de comprendre l’ampleur de telles traditions dans la
vie quotidienne d’une société, puisque pour eux, cela constitue seulement un
obstacle au développement économique et à la rationalité. Depuis longtemps, les
chercheurs étrangers ont qualifié la société malagasy de primitive et demi-civilisée.
L’ethnographe Van Gennep considérait que « chez les demi-civilisés » qui croient à
la contagion des qualités spirituelles et matérielles, le tabou est « un des éléments
les plus importants de toute vie sociale demi-civilisée ». Il développait cette
conception : « les demi-civilisés (...) curieux comme tous les hommes, (...) ont tenté
de s’expliquer la vie ambiante ; mais un faux point de départ et de fausse
applications de principe de causalité leur ont suggéré des explications qui nous
semblent bizarres, irrationnelles, au point que nous nous étonnons qu’on en ait pu
inventer de pareilles. D’où des systèmes de réglementation sociale qui nous
paraissent également absurdes »149.

Les fomba malagasy ne peuvent être compris que dans le cadre d’une société, la
société malagasy, avec son histoire spécifique, et à partir du moment où l’on admet
qu’ils font partie d’une construction collective de sens à travers les siècles. Ils sont
une composante de la personnalité historique malagasy, ils contribuent à maintenir
la cohésion sociale, et font partie du contexte culturel de l’économie populaire qui
fait vivre la grande majorité de la population. De ce point de vue, on peut dire que
les fomban-drazana peuvent faire l’objet d’une lecture positive, car ils ont
contribué à forger la personnalité de la société malagasy, à garder son identité et à
la protéger contre les intrusions extérieures. Ils sont maintenus très consciemment,
à ce titre, par des populations qui par ailleurs sont impliquées dans le monde

148
Voir Annexes, n° 62.
149
VAN GENNEP A., Tabou et totémisme à Madagascar. Etude descriptive et théorique, Paris, E. Leroux,
1904, p. 16.

75
moderne. Il s’agit d’une entreprise collective de construction de sens, pas
seulement de la survivance d’un passé archaïque. Ils font partie de la créativité
pluriséculaire du syncrétisme malagasy, qui a joué un rôle majeur dans
l’élaboration d’une personnalité culturelle malagasy, et la capacité de résistance
populaire aux tentatives d’imposer du haut de nouveaux systèmes de valeur.

Les milieux ruraux sont encore les endroits où les coutumes ancestrales sont en
usage avec conviction et ferveur. La population rurale y est fortement attachée et
sensible à son égard, de peur de désobéir aux ancêtres et de ne pas se faire accepter
par l’ensemble du fokonolona. Parmi les nombreux fomba traditionnels qui existent
dans la société des Hautes Terres centrales, deux pratiques attirent particulièrement
l’attention, et ont été évoquées lors des interviews, à cause de leur importance pour
la population locale : la construction d’un tombeau familial fasana et la cérémonie
du famadihana. Toutes les activités tournées vers le marché, et les efforts
d’épargne, sont en grande partie, consacrés à trouver les moyens requis pour le
maintien de ces deux pratiques.

La construction du tombeau familial

Un père de famille éprouve de la fierté lorsqu’il a construit un tombeau pour ses


descendants afin que tous les membres de sa famille se retrouvent réunis après la
mort. Ceci explique le souci évoqué dans un dicton malgache concernant le
rassemblement « Vivants, une seule maison ; morts, un seul tombeau », « velona
iray trano, maty iray fasana ». Ce ne sont pas tous les pères de famille qui se
trouvent dans le devoir de construire une tombe familiale. L’idée émerge lorsqu’un
aîné de la famille, en concertation avec le reste des membres de la famille, constate
la difficulté de se partager une même tombe ancestrale, à cause de l’extension de la
famille. Donc, c’est leur devoir d’assurer la demeure éternelle de leurs proches et
de leurs lignées.

Les hommes estiment que construire un tombeau est un devoir et un honneur. C’est
pourquoi, 45% de pères de famille souhaitent construire une nouvelle tombe, pour
avoir leur tombeau personnel et assurer la demeure définitive, pour eux, leurs
familles et leurs descendances150.

Rasolo Fanomezana, 49 ans, évoque la raison de la construction de sa tombe.

« Mes parents sont venus vivre ici et c’est ici que nous choisirons de nous faire
enterrer quand nous ne serons plus sur cette terre. C’est d’ailleurs le souhait de
mon père à son arrivée ici. À sa mort, nous étions obligés de l’enterrer dans notre
tombeau familial à Tanjombato. C’est à cet instant que j’ai senti le besoin d’avoir
notre tombe familiale, mes parents seront transférés quand nous aurons construits
notre tombe, et nous et nos familles demeurerons tous là. La tombe des ancêtres
est devenu petite et parfois des différents se présentent entre les descendants. Nous
devons épargner beaucoup d’argent moi et mes deux autres frères pour construire
la tombe. Mes sœurs peuvent participer financièrement car en cas de problèmes

150
Ces 45% des pères de familles pensent élargir la tombe familiale pour deux raisons : la première raison
renvoie à l’incapacité de certaines tombes construites par les ancêtres, après plus de dix générations de contenir
les descendants et la deuxième raison, la position sociale du père de famille qui veut créer un lignage. En outre,
le système patriarcal permet à tous les pères de familles et les jeunes hommes d’avoir le droit de se faire enterrer
aux tombeaux familiaux avec leurs familles. Au total, ils représentent 100%.

76
conjugaux, elles seront enterrées dans la tombe familiale. La tombe sera
construite ici à Aminampanga ou aux alentours, car tous nos biens s’y trouvent,
les maisons, les rizières et les champs de culture »151.

Rakotoson Jean Pierre, 48 ans, éprouve la nécessité de construire une tombe à un


certain stade :

« Les chefs de famille prennent comme objectif de construire une tombe. Cela
représente beaucoup de choses aux yeux de la société. Les gens tiennent compte de
cette étape, de cette réussite. Les chefs de famille sont sûrs que leurs descendants
seront à l’abri et ne seraient pas sujet de discordance au niveau de la tombe
familiale. Quand la tombe est construite, les chefs de famille organisent le premier
retournement pour transférer les restes des parents dans la nouvelle tombe. Ce
sera une grande rencontre de toutes les entités entre les familles et de festivité de
quatre à cinq jours qui réunissent tout le monde. C’est l’occasion de montrer à la
famille et à la société la réussite dans la vie et le souci de veiller sur ses
descendants »152.

Construire un tombeau mérite les mêmes valeurs et considérations que construire


une maison d’habitation. Il fait partie d’un objectif et d’un défi social, un sens de
l’existence et une raison d’être. C’est honorer le mort et exalter le prestige familial.
Il y a un honneur spécifique dans le fait d’être fondateur d’une nouvelle tombe.
« Un chef de famille qui s’est rendu célèbre ne peut pas entrer dans une tombe où il
ne présiderait pas »153.

La réussite dans la vie se manifeste par la possibilité de construire une tombe. Haile
notait que « l’estimation à la fois des vivants et des morts dépend beaucoup de la
qualité des tombes, de leur solidité et de leur splendeur qui sont la mesure de
l’honneur. L’homme qui ne peut pas se flatter d’avoir une tombe est un non-être
dans la société, il ne mérite aucune considération »154. L’introduction des motifs
décoratifs sur les tombes sculptées dans la pierre de la porte montre que « c’est la
richesse visible » ou « haren-kita fasana », et cela mérite toutes les considérations.
Le sens de la construction d’un tombeau est d’ordre social.

Le tombeau renvoie toujours à un effort collectif, car les techniques traditionnelles,


toujours les mêmes jusqu’à nos jours, exigent le concours d’une foule qu’il faut
pouvoir réunir et nourrir pendant le temps de délitage des pierres, de leur transport
et de la construction.

En outre, Rakotoson Jean Pierre, 48ans parle de la construction de tombe comme


une étape du « développement social » :

151
Voir Annexes n° 45.
152
Voir Annexes n° 46.
153
Au XVIIIe siècle, cela signifie la capacité à rassembler les hommes, famille, voisins venus aider dans le cadre
de la réciprocité, hommes assujettis, clients et dépendants de toute sorte. En fait dans la deuxième moitié du
XIXe siècle, une bonne partie du travail est effectuée par les esclaves. Mais le prestige reste identique. Ceux qui
construisent sont fréquemment les fils d’hommes ayant fait carrière militaire entre 1820 et 1870 après être sortis
de leur campagne natale. Ce qui signifiait acquérir des honneurs, la reconnaissance du pouvoir, de la fortune, des
esclaes par centaine.
154
HAILE J. H., “Famadihana, a Malagasy Burial custom”, Antananarivo Annual, XVI, pp. 405-416.

77
« Ny fahavitana manamboatra fasana midika fampandrosoana, ilaina ny fasana
na ho an’ny velona na ho an’ny maty ». « La construction d’un tombeau signifie le
développement, on a besoin du tombeau pour renouer les liens entre les vivants
mais aussi pour ne pas oublier les morts »155.

Et il reprend :

«Parmi les priorités des chefs de famille, il y a la construction d’un tombeau qui
signifie beaucoup de chose dans la société. On peut honorer le nom du père
lorsqu’on a construit une tombe. Les gens ont du respect envers le chef de famille
qui a construit une tombe car il a accompli une étape importante de son existence.
Cela veut dire aussi que la famille entière est rehaussée. On est tranquille de
penser que les descendants sont à l’abri du besoin et qu’ils n’ont pas à disputer de
tombeau avec les grandes familles. Quand le tombeau est fini, toute la famille se
réunie pour transférer les restes des parents. C’est un grand moment de rencontre,
et donc c’est une grande fête. C’est l’occasion de se rencontrer entre les familles.
Le fait d’approcher Dieu et aller à l’église n’empêche pas de continuer les
fomban-drazana surtout en ce qui concerne le famadihana. C’est une occasion
pour recevoir la bénédiction de Dieu et des ancêtres, qu’on ne doit pas négliger.
C’est ce qui fait la spécificité des Malgaches à mon avis car on se souvent des
ancêtres et on renoue les liens familiaux qui se sont détériorés. C’est ça la
bénédiction de Dieu et des ancêtres»156.

On peut ainsi faire le rapprochement avec le fandrosoana ou développement. La


fondation d’une nouvelle tombe est une des bases de la conception populaire du
développement, parce que elle assure la reproduction du lien familial et du lien
social dans le long terme. C’est une des bases du développement durable dans la
conception populaire. Rien n’est plus important que d’assurer la reproduction du
lien avec la famille et le fokonolona, et c’est ce qui assure la sécurité de ce dernier,
et de chacun dans ce dernier. Le développement qu’on évoque ici n’a rien à voir
avec la logique purement économique connue dans les pays industrialisés. Il s’agit
en fait d’une étape de l’ascension sociale, en principe accessible à tous. Cela veut
dire que la personne en question et sa famille sont un exemple de la réussite sociale
car le plus essentiel est réalisé. On se développe en construisant une tombe, parce
qu’on atteint ainsi un état supérieur, et on participe ainsi à la consolidation d’un
ordre social meilleur, quasi idéal. La construction du tombeau, de la maison
d’habitation ainsi que celle du temple impliquent donc un même enjeu de
légitimation157.

Mais la construction d’un tombeau n’est pas seulement un but pour les hommes des
campagnes. Les hommes vivant en ville aussi mettent de l’importance sur la
construction des tombes, mais à un certain niveau. Quand les moyens le permettent,
et quand la nécessité se présente. Construire une tombe incombe aussi aux familles
en ville, aux familles de la bourgeoisie tananarivienne, comme aux familles des
classes populaires. Les grands personnages politiques, les personnes qui ont réussi
socialement, ont toujours parmi leurs projets, celui de construire une tombe soit
dans leur tanindrazana originel, soit en adoptant un nouveau lieu afin de
rassembler leur famille proche et leurs descendants.

155
Voir Annexes, n° 61.
156
Ibidem.
157
RAISON F., Bible et pouvoir à Madagascar au XIXe siècle…, op. cit., pp. 724-725.

78
Avant la période coloniale, la tombe familiale et la maison d’habitation se
trouvaient dans la même enceinte, aussi bien en ville que dans les campagnes. Cette
pratique a été interdite par un arrêté colonial en 1930 pour raison d’hygiène.
Désormais, les tombeaux sont construits à la campagne, loin des villes et surtout
loin des habitations. L’ouverture des tombeaux doit recevoir l’aval de la
municipalité. Il existe encore des tombeaux anciens dans plusieurs quartiers de la
capitale, mais ils sont hors d’usage. Les restes des dépouilles sont transférés vers un
nouveau tombeau construit en dehors de la ville, et les tombeaux citadins sont
condamnés à être fermés, et à être démolis.

Si la construction des tombes est un fait historique et culturel, qui transcende les
frontières entre les classes sociales, il ne faut pas oublier qu’elle peut être aussi une
source de conflit entre classes sociales. En effet, la construction de la tombe est
toujours associée au tanindrazana. Le phénomène de la tombe concerne non
seulement les liens sociaux mais aussi la préservation de droit à la terre. Construire
une tombe conforte la présence sur le lieu. Cette affirmation se consolide par la
possession de terres.

Lorsque une famille riche de la capitale choisit de construire une nouvelle tombe
dans les environs de la capitale, et d’y faire transférer les restes des ancêtres,
l’opération est le plus souvent associée à la fondation d’un nouveau tanindrazana,
donc une concession foncière pour la famille. C’est la construction de la tombe qui
témoigne de la volonté de s’ancrer dans le lieu choisi. Mais s’il s’agit d’une famille
riche, celle-ci veut une grande concession. D’une manière ou d’une autre, cela va se
traduire par une pression sur le marché foncier, que la famille obtienne la
concession par la corruption ou par l’achat. Cela va entraîner une hausse du prix de
la terre, surtout dans les régions proches de la capitale. Certains petits paysans,
ayant besoin d’argent vont vendre leur parcelle ou un morceau de celle-ci, aux
nouveaux arrivants. Le nombre de petits paysans indépendants va diminuer et celui
des métayers augmenter.

La construction de la tombe est donc aussi un facteur de changement socio-


économique, et ne peut donc être étudiée seulement comme un phénomène culturel,
encore moins comme un héritage archaïque qui bloque l’évolution. La construction
des tombes participe à l’ensemble des changements socio-économiques. En outre,
elle a aussi toujours une dimension socio-politique. Les assemblées du fokonolona
local vont devoir se prononcer sur le fait d’autoriser ou non la nouvelle concession.
Les membres de l’assemblée vont être partagés entre l’intérêt d’accueillir de
nouveaux venus disposant de moyens financiers, et le souci de garder les terres
pour les habitants originaires. Les fokonolona continuent à jouir d’un droit de
contrôle sur les opérations foncières, et dans de nombreux cas ils sont capables de
bloquer les stratégies d’accumulation foncière mises en place par la bourgeoisie
citadine. Les terres généralement vont être réservées par priorité pour les émigrés
du village souhaitant investir leurs revenus urbains dans l’achat de terre au village,
et la construction d’une nouvelle tombe qui exprime la réaffirmation de l’ancrage
local.

Tout cela est au cœur d’une histoire des rapports sociaux invisible généralement
aux observateurs ou experts extérieurs, qui peuvent parler alors tranquillement des

79
problèmes de l’aide au secteur informel, sous un angle purement technique ou
financier. Avec comme conséquence l’échec de tous les projets présentés.

Le famadihana

Le famadihana tient aussi une place particulière dans la vie de la population de


Masindray et aussi sur les Hautes Terres malgaches. Les familles s’efforcent
d’épargner pour pouvoir le concrétiser. Le terme famadihana paraît s’être imposé
tardivement, si l’on en croit une revue protestante de 1880. On insistait auparavant
sur le « milalao faty », divertissement donné à la dépouille mortelle158 terme qui
pouvait convenir aussi bien au contexte de l’enterrement qu’à celui du famadihana.

Le famadihana consiste en somme à sortir les morts de leur tombe159, à les


envelopper dans un nouveau tissu, lambamena en soie, et de les remettre à leurs
endroits respectifs. Ces rites se font dans une ambiance de festivité avec musique et
réjouissance réunissant tous les membres de la famille dispersés dans toute l’île, les
amis, les voisins, pendant trois à quatre jours selon les régions.

Le famadihana signifie aussi « déplacer un corps d’un lieu à un autre », pour le


ramener au tombeau familial, après une mort au loin, ou pour le placer dans un
tombeau nouvellement construit. On profite de ces occasions pour changer les
linceuls de l’ensemble des morts présents dans le tombeau ou mamono lamba160.
L’accomplissement de ces différents rites du famadihana s’accompagne d’une
dépense conséquente de tous les membres des familles concernées, ce qui se traduit
par d’importantes activités économiques (cfr. infra).

Du point de vue social, lors des trois jours de festivité et de rencontres, plusieurs
choses se déroulent entre les différentes familles. C’est le moment où se règlent
tous les problèmes familiaux, parfois liés à la répartition de l’héritage des biens
laissés par les ancêtres, parfois l’occasion de partager les biens fonciers et
immobiliers qui n’ont pas encore été distribués.

Eliane, 24 ans, de Tsarahonenana fait partie d’une famille de cinq enfants. Elle
attend le moment du famadihana pour la réunion des grandes familles afin de régler
le problème d’héritage entre les familles.

« Nous exploitons les terres de mes parents et grands parents. Ces terres ne sont
pas encore toutes réparties entre les petits enfants. Selon la tradition, la
répartition ne peut se faire que lorsque la personne qui possède les biens est
décédée. Mais mon grand père (Randriamora) nous a déjà montré toutes ses
terres, les forêts et les champs de culture, les biens qui sont exploités et ceux qui
ne le sont pas encore. La grande occasion de rencontre entre les enfants et les
petits enfants, les parents et les grands parents qui sont encore vivants, est le
moment du famadihana, ou précisément après les festivités du famadihana. Notre
famadihana est prévu pour l’année prochaine. Tout le monde est sensé être là »161.

158
« Ny fomban’ny ntaolo », Sakaizan’ny ankizy madinika, octobre 1880.
159
Il s’agit en fait de sortir les dépouilles du tombeau familial.
160
Mamono lamba s’agit de ré envelopper les morts avec les linceuls en soie.
161
Voir Annexes, n° 52.

80
C’est aussi une occasion de réconciliations familiales, une grande opportunité pour
faire des grands projets familiaux, comme la réhabilitation des maisons ancestrales.
Les familles qui ne se sont pas vues pendant des années se rencontrent à nouveau et
font connaissance des nouveaux membres des familles élargies. Les membres de
familles qui se sont trouvés à l’étranger, en Europe ou ailleurs viennent à la grande
occasion apporter leur contribution, afin d’obtenir la bénédiction des ancêtres et la
reconnaissance des vivants, mais aussi afin de renouer et revitaliser les liens
sociaux, de renouveler les liens sociaux entre les familles vivant à l’extérieur et
celles se trouvant sur place, de faire connaissance avec tout ce qui se passe au
tanindrazana, dans tous les domaines162.

Si un membre de la famille ne participe pas au famadihana sans motif valable, il est


systématiquement exclu de la communauté. Il est jugé indiscipliné. Toutes les
relations sociales comme décès, naissance, travaux collectifs qui se déroulent dans
un village font référence à ce qu’un individu a fait ou n’a pas fait pour la
communauté et pour la famille.

Le famadihana est aussi l’occasion de parler des menaces qui éventuellement


pèsent sur les terres du tanindrazana hérité, et de développer une stratégie familiale
pour faire face aux menaces qui guettent les paysans en cas de tentatives
d’installation de personnes extérieures achetant des terres. Les familles tiennent à
préserver les terres face à cette situation.

La coutume du famadihana n’est donc pas seulement un ciment dans la


reproduction des liens sociaux, mais aussi un moyen de mettre en œuvre une
résistance de la population face à une intrusion extérieure cherchant à s’emparer
des biens fonciers. À la fin du famadihana, tous les problèmes sociaux et matériels
doivent être résolus, car il faut désormais penser à un nouveau départ pour l’avenir.
Si les choses vont bien financièrement, matériellement et socialement, c’est que les
ancêtres ont veillé sur ses descendants fitahian’ny razana et les ont béni « tson-
dranon-drazana ». Si la situation se détériore, cela veut dire que les ancêtres étaient
fâchés et qu’il va falloir agir en conséquences.

Rakotonandrianina, 70 ans, vit à Aminampanga nous confirme sa conviction :

« Je crois fermement à la bénédiction de Dieu et des ancêtres. Le famadihana a


quelque chose de sacré qui relie les vivants des morts et qui revivifie les relations
entre les vivants. Chaque descendant attend de cette bénédiction pour donner un
sens à la vie et à la mort. La mort ne signifie pas la rupture, au contraire, la mort
est une continuation, même si c’est dans l’au-delà. L’esprit des ancêtres veillent
sur leurs descendants »163.

C’est une croyance qui reste toujours en vigueur, et à laquelle adhèrent les 85% de
la population qui vivent en milieu rural, et les 78% qui pratiquent le famadihana.
Tout le monde y trouve son compte, les morts et les vivants. Il existe toute une
dynamique sociale et économique autour du famadihana en matière de

162
Cf. l’interview privée de Me Randrianarisoa Jeanine qui vit à Montpellier mais qui tient beaucoup à sa famille
restée au pays et à son tanindrazana.
163
Voir Annexes, n° 127.

81
reproduction des liens sociaux. En même temps, ce sont des pratiques de résistance
populaire, de défense des droits à la terre, et d’identification sociale face aux
menaces d’appropriation de terres depuis l’extérieur.

Importance des sectes et place de la religion chrétienne

Une autre tendance qui s’est progressée depuis plus d’une décennie est la
prolifération des sectes à caractère religieux dans les campagnes parallèlement à
l’existence de longue date des églises chrétiennes. Dans la commune rurale de
Masindray, il existe une église protestante et une église catholique, une église
adventiste et une communauté Ara-pilazantsara qui représente l’assemblée de
prière à caractère d’une secte.

Les fondations paroissiales protestantes dans l’espace rural merina remontent aux
années entre 1861 et 1869164. Elles ont été mises en place par les missionnaires
anglais dans le but d’évangéliser « ceux qui se trouvent dans les ténèbres ou tany
maizina », par rapport à la capitale qualifiée de » tany mazava qui a déjà reçu la
lumière », conception véhiculée par les mouvements d’évangélisation. Cette
période du XIXe siècle correspondait à celle de la conversion royale, où le
christianisme devenait la religion d’Etat.

L’influence du protestantisme et du catholicisme sur les conduites et les


comportements de la population, très forte en apparence, ne doit cependant pas être
surévaluée. En fait les pratiques chrétiennes ont été rapidement incorporées dans un
nouveau syncrétisme populaire, où les valeurs liées aux fomba anciens continuent à
jouer un grand rôle. On considère que la propagation du système paroissial en
milieu rural est devenue un moyen d’une restauration des valeurs de lieu, de
l’enracinement dans le terroir, de la solidarité de la communauté. La paroisse est
une institution qui relie (religio, religere) les paysans entre eux, ainsi que leurs
parents à la ville. On revient au temple comme à un port d’attache, un lieu
identitaire, il est devenu le fiangonan-drazana (église des ancêtres)165.

Les confessions chrétiennes ont chacune leurs adeptes et ont des attitudes
différentes, depuis maintenant plus d’un siècle, à l’égard des fomban-drazana.

Pour les catholiques, ils acceptent les pratiques traditionnelles notamment le


famadihana. Depuis l’époque du royaume merina, certains nobles andriana
s’étaient opposés au protestantisme du gouvernement, perçu comme une trahison
des ancêtres royaux. Ces minorités ont joué à l’époque joué un rôle de conservateur
de la mémoire, et contribué grandement au maintien d’une continuation historique,
respectant les fomba166.
164
Selon les sources LMS, London Missionary Society, en 1862, on comptait déjà une trentaine de fondations et
environ 2000 adhérents dans les campagnes. En 1867, on en comptait 92, avec 101 pasteurs et une foule de
prédicateurs. Vers la fin de 1869 on passait à 148 congrégations, 115 pasteurs, 437 prédicateurs, 37 112
adhérents. En 1869 intervient après le baptême royal un changement radical d’échelle avec 468 congrégations,
153 pasteurs et 935 prédicateurs, 153 000 adhérents, in RAISON-JOURDE F., Bible et pouvoir à Madagascar
au XIXe siècle, Paris, Karthala/CNRS, 1991, p. 348.
165
RAISON-JOURDE F., op. cit., p. 794.
166
RAISON-JOURDE F., op. cit., pp. 613-615.

82
D’où dans le cadre de l’inculturation, les catholiques observent une attitude de
compréhension à l’égard des coutumes ancestrales. Ils s’accommodent des fomba,
et ils sont proches des « petites gens ». Même les mpanandro167 et les ombiasy168,
ne sont plus aujourd’hui unanimement rejetés et pourchassés par l’église
catholique. S’ils n’utilisent que leurs connaissances des astres et des plantes, ils
comptent des chrétiens parmi leurs consultants ou leurs patients. Cette tolérance de
la part de l’église catholique encourage davantage les villageois au syncrétisme, à
consulter à la fois les deux. Ils continuent leurs pratiques ancestrales tout en étant
chrétiens. C’est une sorte de légitimation de leur pratique ancestrale.

Rakotoson Jean Pierre, 48 ans, est catholique :

« Le fait d’approcher Dieu et aller à l’église n’empêche pas de continuer les


fomban-drazana surtout en ce qui concerne le famadihana. C’est une occasion
pour recevoir la bénédiction de Dieu et des ancêtres, qu’on ne doit pas négliger.
C’est ce qui fait la spécificité des Malgaches à mon avis car on se souvient des
ancêtres et on renoue les liens familiaux qui se sont détériorés. C’est ça la
bénédiction de Dieu et des ancêtres »169.

Chez les protestants, les adventistes et les sectes, la façon d’interpréter les fomba
est différente. La continuation des ces pratiques ancestrales conduit à la pauvreté de
ceux qui les pratiquent. Ils sont beaucoup plus rigoureux et distants sur tout ce qui
touche les traditions ancestrales, le mode de vie et de comportement qui ne reflètent
pas la conduite adéquate. Les Adventistes veulent de leur côté transformer la
société rurale avec une interprétation rigoureuse de la Bible. La Bible devient le
seul référent et, dans la confrontation à la vie quotidienne, le croyant s’y réfère sans
cesse. Les communautés protestantes reposent sur une production normative
hétéronome et transcendante qui leur confère, à leurs yeux, une supériorité absolue
au regard des lois des hommes. Ainsi, l’exemple du lien de cause à effet entre la
maladie, voire la pauvreté, et le non-respect des prescriptions établies par la Bible,
autant de malheurs inhérents à la transgression de règles divines170.

Rasoanandrianina Marie Aimée, 40 ans, protestante réagit dans le même sens. Elle
explique comment elle perçoit les fomban-drazana :

« Quand on reçoit en profondeur la sainte écriture de la bible, on se détache


progressivement des coutumes et pratiques traditionnelles. On ne peut pas
comparer et mettre ensemble la bénédiction de Dieu et la bénédiction des
ancêtres. Les morts ne font plus partie des vivants. Lors de famadihana dans ma
famille, comme nous n’assistons plus et ne participons plus financièrement,
certaines familles sont devenues hostiles à notre égard puisqu’il s’agit du
retournement des ancêtres communs. Alors que l’accomplissement du
famadihana signifie l’accomplissement des devoirs envers les morts et envers les
vivants. Toutes les familles le pratiquent encore »171.

167
Les mpanandro sont les personnes qui consultent les astres et lient le destin des humains, c’est une expression
qui signifie mot à mot, « parcourir les astres ».
168
Les ombiasy sont des devins guérisseurs accusés de sorcellerie par les cadres de l’Eglise.
169
Voir Annexes, n° 61.
170
LAURENT P. -J., Les pentecôtistes au Burkina Faso, Paris, Karthala, 2003, pp. 255-265.
171
Voir Annexes, n° 54.

83
Les sectes les plus récentes sont les plus radicales dans leur volonté de rupture avec
les coutumes du fomba. C’est le cas de la secte Ara-pilazantsara, assemblées de
prière, créées seulement à la fin des années 1970 et au début des années 1980, dans
le cadre du mouvements de Réveil, liés à l’arrivée des missionnaires évangéliques
étrangers comme Jesosy Mamonjy de Daoud, les pentecôtistes, les Baptistes
bibliques, etc. Elles se sont progressivement multipliées et envahissent surtout les
grandes villes du pays. Elles ont su combiner le discours sur l’état de pauvreté de la
population et le salut personnel par la régénération de la vie spirituelle. La secte
Ara-pilazantsara, dont le nom se traduit par « selon l’annonce des bonnes
paroles », veut transformer la société dans le sens d’un détachement vis-à-vis de
tout ce qui est matériel et ancestral.

Les adeptes de la secte, qui ne sont pas nombreux, veulent rejeter les pratiques
ancestrales. Ils ne pratiquent plus le famadihana et rejettent toutes les pratiques
ancestrales car la Bible est en opposition aux coutumes, et en contrepartie ils
consacrent leurs activités et leurs revenus à l’avancement de la secte.

George est chrétien pratiquant et adepte de la secte Ara-pilazantsara, il fait la


relation entre la pauvreté et la religion :

« La pauvreté provient de la non croyance à Dieu. Les gens ne prient pas


suffisamment Dieu, c’est pourquoi ils restent pauvres. Au niveau de la construction
de tombeau, je pense que c’est une dépense inutile et qui empêche le développement.
Si on veut se développer, la seule solution c’est de prier et de remettre tout entre les
mains de Dieu, travailler pour lui et ainsi la pauvreté disparaîtra. Et quand on prie
le Seigneur, lui seul peut vous montrer la solution à suivre pour vous sortir de vos
problèmes. Le temps en ville est occupé à chercher de l’argent, tandis qu’à la
campagne, le temps est consacré à Dieu, du moins le notre. Les fomban-drazana
comme le famadihana ne sont pas utiles puisque nous remettons tout entre les mains
du Seigneur. Les paysans, qui ne connaissent pas Dieu, dépensent leur argent au
préparatif du famadihana et à la construction de tombeaux. A mon avis, il est sage
du suivre l’enseignement de la Bible pour connaître sa volonté afin de ne pas
dériver »172.

Le fait d’appartenir aux sectes change la perception de ce qui est important et


prioritaire dans la vie de chacun. Les réponses fournies par les interviews nous
révèlent que le spirituel prend apparemment le dessus par rapport au matériel. Mais
en même temps, les adeptes attachent une grande importance à sortir de la pauvreté,
et les respect des coutumes est dénoncé notamment parce qu’il entraîne des
gaspillages en terme de dépenses. Le cadre de ce travail n’a pas permis de faire une
étude approfondie de la base sociale de ces sectes nouvelles qui en apparence
recrutent dans tous les milieux. Mais le discours de la secte rejoint et conforte les
discours sur la pauvreté qui ont commencé à dominer le langage sur le
développement à partir des années quatre-vingts : la sortie de la pauvreté dépend
d’une attitude personnelle, individuelle, et il faut rompre avec les pratiques sociales
de redistribution qui sont vues comme parasitaires pour la croissance du revenu
individuel. Les dépenses financières importantes attribuées aux festivités associées
au famadihana sont considérées comme des futilités et inutiles.
172
Voir Annexes, n° 56.

84
Georges évoque son opinion à ce propos. Pour lui,

« Les personnes qui ne connaissent pas Dieu dépensent et gaspillent leurs biens à
l’entretien des tombeaux et au famadihana. C’est cette attitude qui fait la pauvreté
des gens dans les milieux ruraux, attitude qu’il faut changer avec les mentalités »173.

Ramaromanana Jean Baptiste, 53 ans :

«L’ignorance de Dieu est la raison qui met les gens dans la pauvreté. La majorité
des gens d’ici apportent beaucoup plus d’intérêt à consulter les mpisikidy, à
continuer à pratiquer le famadihana qui est d’ailleurs défendu par la bible. Si les
gens continuent à pratiquer tous ceux-là, ils resteront longtemps dans la pauvreté.
C’est la mentalité qu’il faut changer. Les gens dépensent beaucoup d’argent pour
construire les tombeaux, pour préparer le famadihana. Après ils disent qu’ils
n’ont pas d’argent alors que l’argent qu’ils gagnent et économisent va à des
choses qui ne leur permettent pas de progresser. Pour moi, ces pratiques sont des
futilités. Les relations sociales se détériorent car il n’y a plus de solidarité à cause
des idées contradictoires »174.

Rakotomamonjy Jean Simon, 35 ans :

« Si les gens veulent sortir de la pauvreté, il faut qu’ils se tournent vers Dieu.
Beaucoup sont les familles qui pratiquent les fomban-drazana et le famadihana
alors que ces derniers sont défendus par la Bible. Les tombes sont nécessaires
pour se faire enterrer plus tard mais les tombes ne conduisent pas au
développement. Si on veut se développer, il faut se confier à Dieu et remettre entre
ses mains les occupations et les relations sociales »175.

Les sectes ont un langage très radical, obligeant leurs adeptes à la rupture avec les
fomban-drazana, le famadihana, la consultation des mpanandro, spécialistes des
astres et des mpisikidy, devins guérisseurs. Leur comportement est dicté par les
principes qu’ils ont adoptés, jugés conformes à la Bible. Les adeptes des sectes
adoptent un mode de vie discipliné, en rapport quotidien avec la Bible qui est alors
devenue leurs véritables « mode d’emploi du monde » permettant de discriminer le
bien du mal176. Ce mode de vie est ainsi suivi d’interdits qui se traduisent dans leurs
activités. Leurs activités sont donc limitées par le cadre de leur éducation spirituelle
en contradiction avec les fomban-drazana, comme le cas du famadihana.

Les pratiques économiques et sociales de l’économie populaire de ce fait sont triées


et abandonnées par eux, si elles ne sont pas conformes au principe de la secte. Cela
se constate notamment dans leurs activités économiques consacrées principalement
à l’agriculture et l’élevage et à leurs activités dérivées. On observe qu’ils favorisent
de moins en moins les activités artisanales correspondantes et utiles aux fomba
comme la confection des lambamena au temps des famadihana.

Il en est de même aussi pour les fifohazana, similaires à l’enseignement de l’Ara-


pilazantsara. Le fifohazana ou mifoha « réveillé » est devenu une référence pour

173
Voir Annexes, n° 55.
174
Voir Annexes, n° 70.
175
Voir Annexes, n° 83.
176
LAURENT P.-J., op. cit., p. 408.

85
ceux qui ont rompu avec les traditions ancestrales notamment le famadihana. La
rupture est visible d’abord par la tenue vestimentaire dominée par le blanc
uniquement, ensuite par le langage biblique assimilé à la vie de tous les jours177.

Les gens des sectes nouvelles sont dans une situation difficile en milieu rural. Ils
s’isolent du milieu en refusant de pratiquer les fomba. Ils doivent donc vivre
renfermés sur eux-mêmes, mais de ce fait ils aboutissent à devoir refonder une
nouvelle communauté, parce que ils ne peuvent pas vivre seuls. Ils doivent fonder
une sorte de fokonolona d’un nouveau type, à base exclusivement religieuse, au
milieu du fokonolona existant. Le fait même de ne plus accepter les pratiques
culturelles locales divise les gens du point de vue religieux. On peut faire le
rapprochement de cette au comportement des adeptes de l’Eglise des Assemblées
de Dieu étudié par P.-J. Laurent au Burkina Faso quant à l’éclatement de l’univers
villageois. La population est éloignée de la « concorde coutumière » qui s’appuie
sur la survie collective ou de la recherche de la meilleure sécurité économique,
sociale et politique, pour un individu et pour sa famille que l’on rencontre
notamment au sein du fokonolona traditionnel malagasy178.

Mais la base même du fokonolona historique, on l’a vu, est d’être basé sur
l’interdépendance de liens multiples entre le culturel, le social et l’économique. Le
famadihana par exemple, est un rite social qui permet de maintenir le lien avec
l’accès garanti à la terre, le tanindrazana. Les gens des sectes qui refusent de
pratiquer le famadihana, sont donc en danger d’être coupés des conditions de
l’accès à la terre, car le fokonolona risque de ne pas prendre pas en considération
leur demande de nouvelles concessions, par exemple pour des parents voulant
acheter de la terre avec de l’argent venu de la ville.

Haja, 20 ans, mariée :

« Les populations sont solidaires sauf les sectes. Il en est de même pour le
respect des pratiques ancestrales, les gens les respectent encore sauf ces
« sectes ». Les gens n’arrivent pas à épargner sauf quand il s’agit de construire
une tombe, faire le famadihana et construire une maison. Moi personnellement, je
ne vois pas pourquoi on construit des tombes. Les tombes ne permettent pas le
développement. Au contraire, ce n’est qu’une dépense futile »179.

Rasoanandrianina Marie Aimée, 40 ans :

« Quand on reçoit en profondeur la sainte écriture de la bible, on se détache


progressivement des coutumes et pratiques traditionnelles. On ne peut pas
comparer et mettre ensemble la bénédiction de Dieu et la bénédiction des
ancêtres. Les morts ne font plus partie des vivants. Lors de famadihana dans la
famille, comme nous n’assistons pas et ne participons pas financièrement,
certaines familles sont devenues hostiles à notre égard puisqu’il s’agit du
retournement des ancêtres communs. Toutes les familles le pratiquent encore.

177
Le fifohazana est une secte née d’un milieu rural à Soatanana, à 30 Km à l’ouest Fianarantsoa. Rasoalambo le
nom du fondateur, l’avait créé en 1896 lorsque celui-ci recut la visite de l’esprit de Dieu. La communauté qui en
est sortie s’est éloignée de toutes pratiques coutumières ancestrales. Leurs activités sont basées essentiellement
sur l’agriculture et l’élevage. Comme vadin’asa, les femmes sont dans les activités de la couture et de la
broderie. Les hommes peuvent aller jusqu’à la menuiserie mais pas plus.
178
LAURENT P. -J., op. cit., p. 255.
179
Voir Annexes, n° 78.

86
L’accomplissement du famadihana signifie l’accomplissement des devoirs envers
les morts et envers les vivants »180.

Donc les sectes sont condamnées soit à être très puissantes pour leur
permettre à leurs membres de survivre, soit à dépendre de l’assistance
extérieure. Ou bien elles doivent tout simplement s’adapter en pratique aux
règles du fokonolona. Ici encore, c’est la complexité des interactions entre les
diverses composantes du fokonolona qui garantit sa capacité de résistance
face à une invasion culturelle extérieure. Les sectes restent minoritaires, et on
peut penser que peu à peu elles devront s’insérer dans un nouveau
syncrétisme, comme ont dû le faire les confessions chrétiennes arrivées au
XIXe, et qui n’ont pu empêcher l’immense majorité de la population de
continuer à adhérer aux fomba et à les pratiquer.

En effet, malgré leur volonté affichée de rupture, les gens des sectes font toujours
partie effective de la société et doivent se soumettre aux principes régis par le
fihavanana. Ils participent normalement aux activités du fokonolona car ils en font
partie, et ils doivent accomplir toutes les obligations sociales qui ne contredisent
pas leurs principes. Ce qui n’est pas du tout facile à assumer compte tenu de leurs
interdits conformes à leur interprétation de la Bible. C’est une situation où les
conflits ne sont pas à écarter. Le fait même de ne pas occuper une place importante
en nombre dans la communauté les oblige à respecter le fihavanana et maintenir
d’autres relations sociales pour ne pas se faire exclure socialement.

Henriette, 46 ans, est confrontée au problème de cohabitation :

« Comme je suis adventiste, et dans mon foyer, tout le monde est adventiste, on ne
travaille pas le samedi. Les gens du village sont nombreux à être catholiques. Très
peu suivent les vraies religions. C’est pourquoi, ils travaillent le samedi et non pas
le dimanche. Nous respectons les gens qui vont à l’église le dimanche alors que
eux ne nous respectent pas, en nous critiquons de ne plus respecter les fomban-
drazana. Les relations avec les voisins deviennent parfois difficiles car les gens
d’ici sont encore très attachés aux pratiques coutumères. Nous n’en pratiquons
plus puisque c’est contre notre religion. Nous pensons que c’est cela qui fait la
pauvreté en milieu rural car les gens se comportent en tant que paien sans
connaissance de Dieu dans leur vie. C’est pourquoi, ils font n’importe quoi. Ce
n’est pas étonnant que les gens soient pauvres »181.

Jean Yves, 53 ans voient autrement les gens des sectes :

«Les disciples des sectes ne pratiquent plus les fomban-drazana. Ils ne font plus du
famadihana car ils disent que c’est la profanation à Dieu et que la bible en est
contre. Il est difficile de cohabiter avec ces gens dans tous les domaines, le fait de
ne plus continuer à les pratiquer rend moins pauvre. Je ne comprends pas
vraiment de ce qu’ils disent car moi personnellement je crois en la bénédiction des
ancêtres. Ils ne perdaient pas la tête lorsqu’ils disent à leurs descendants de suivre
et respecter les pratiques traditionnelles. Tous les biens que nous sommes en train
d’exploiter maintenant sont l’héritage venant des ancêtres »182.

180
Voir Annexes, n° 53.
181
Voir Annexes, n° 119.
182
Voir Annexes, n° 86.

87
Les éléments évoqués ci-dessus ont illustré, une fois de plus, l’interaction existant
en milieu rural, entre pratiques sociales et pratiques économiques, et elles ont
montré aussi combien les pratiques sociales sont aussi fortement en relation avec la
culture de la société. Les fomban-drazana jouent ainsi un rôle très important dans la
permanence de l’économie populaire rurale.

Impacts des fomban-drazana sur l’économie populaire en milieu rural

Les fomban-drazana touchent à la fois le social et l’économique, et témoignent


clairement de l’interdépendance entre la logique socioculturelle, la logique
communautaire et la logique financière. Le famadihana et la construction de fasana
sont une des manifestations socioculturelles de l’économie populaire. Les fomban-
drazana engendrent des activités marchandes et non marchandes qui font vivre des
familles. C’est un investissement à long terme avec une large participation
financière et humaine. Les fomban-drazana dépendent en grande partie des artisans
paysans qui confectionnent tout ce dont les praticiens ont besoin. Ainsi, l’économie
populaire permet la poursuite des pratiques traditionnelles, tout en étant alimentée
elle-même par leurs demandes.

La construction des tombeaux est devenue un métier à part entière si au XIXe


siècle, elle exigeait la contribution de tout le fokonolona. La construction des
tombeaux pendant les saisons sèches rapporte de l’argent aux maçons et fait
travailler un certain nombre de personnes, aussi bien des hommes que des femmes.
Les femmes et les hommes s’entraident à casser et à tailler les pierres pour en faire
des moellons. Les femmes les transportent jusqu’à l’endroit où la tombe doit être
construite. Le travail peut aller de trois mois à six mois, selon la distance entre la
carrière de pierre et l’endroit et le nombre de personne qui y travaillent. Il dépend
également de la disponibilité d’argent des familles qui font construire la tombe.

Il en est de même pour le tissage des linceuls, manenona lambamena et le tressage


des nattes, mandrary tsihy que l’on ne retrouve qu’en milieu rural et qui rapportent
de l’argent à ceux qui les pratiquent. Le tissage et le tressage sont des pratiques des
femmes qui se sont transmises à travers les générations, et qui continuent à être
pratiqués jusqu’à nos jours car les demandes sont toujours d’actualité.

Quand les gens projètent de construire un tombeau familial ou se préparent pour la


festivité du famadihana, ils parviennent à épargner des sommes considérables et
cette épargne est utilisée dans l’économie populaire.

D’après Emilie :

« Les gens arrivent à épargner quand il s’agit de faire du famadihana ou de construire


une tombe. Les gens ne disent pas tous la vérité lorsqu’ils avancent qu’ils n’ont pas
d’épargne. Il en existe même si ce n’est pas énorme car c’est un devoir à faire et tout le
monde en est conscient »183.

183
Voir Annexes, n° 54.

88
Les dépenses effectuées pour les festivités associées au famadihana sont
impressionnantes quand on les compare au revenu déclarés ou recensés
officiellement. Ce décalage révèle une fois de plus le fossé existant entre les
statistiques officielles et les réalités de l’économie populaire.

Tableau.17.Revenu moyen des ménages dans les zones rurales

Revenu moyen Pourcentage


Rural du ménage des ménages
Agriculteur/éleveur 250 000 Fmg 78
Artisan 190 000 Fmg 15
Autres activités agricoles 320 000 Fmg …
Commerçant/marchand 350 000 Fmg 5
Employé d’usine 279 000 Fmg 2

Source : Enquête sur les ménages de la Commune rurale de Masindray, mars 2001.

Alors que le revenu moyen des ménages dans les zones rurales a été estimé aux
environs de 250.000 Fmg, on peut constater que le coût de la cérémonie du
famadihana célébré en août 1999 dans le fokontany de Tsarahonenana s’est élevé à
près de 2,5 millions Fmg à partager entre douze familles.

Tableau.18.Dépenses collectives pour un famadihana

Achat de linceuls 100 000 Fmg


184 75 000 Fmg
Joueurs de musique
185 400 000 Fmg
Deux troupes de hira gasy
186 1 700 000 Fmg
Deux bœufs
L’eau de vie 40 000 Fmg
Vêtements neufs 150 000 Fmg
Total 187
2 465 000 Fmg
Source : Enquête sur les ménages de la commue de Masindray, mars 2001.

Dans le cas de Tsarahonenana, chaque groupe familial doit dépenser 205 416 Fmg,
c’est l’adidy, obligation financière à laquelle tous les descendants héritiers de terres
participent obligatoirement. Certaines dépenses sont à la charge des familles à la
campagne. Il s’agit des dépenses pour les repas des invités, au moins au nombre de
200 familles, qui sont composées par les habitants des villages voisins et les
familles et les connaissances des organisateurs venues de loin, à nourrir pendant
deux à trois jours : une partie de l’achat des bœufs, 450 kg de paddy, déduits de la
récolte de l’année en cours, le sel et l’eau de vie locale. Lors des spectacles de hira
gasy, il faut offrir le tsipikely, pour féliciter les chanteurs. Chaque descendant des
ancêtres peut dépenser 1000 à 5000 Fmg, suivant ses moyens. Les plus riches
parmi le groupe prennent en charge la plus grande partie des dépenses, et il y a

184
Les joueurs de musique sont recrutés pour faire danser, la nuit de l’exhumation, les descendants de l’ancêtre
dont le linceul va être changé.
185
Joute musicale, accompagnée de discours et de danse d’expression.
186
Le nombre des bœufs à abattre dépend de la possibilité de chaque famille participante.
187
Ce total a été partagé par douze familles.

89
donc un effet de redistribution important. Enfin, il faut acheter des vêtements neufs,
que les familles portent pendant la cérémonie. L’épargne pour financer ces
dépenses peut durer des années, car le famadihana ou la construction d’un tombeau
est prévu plusieurs années en avance.

Pour le famadihana, les cérémonies se déroulent tous les cinq et sept ans. Tous les
descendants d’un lignage se partagent tous les frais, qu’ils vivent en ville ou à la
campagne pour l’achat des boeufs pour nourrir les invités durant trois à quatre
jours, le paiement des musiciens, les linceuls, les nattes. Ils sont prévenus dès que
le programme est fixé et se préparent pour l’objectif.

Lors des périodes de famadihana qui se déroulent généralement entre les mois de
juillet et septembre188, les activités des paysans s’orientent vers les besoins utiles
aux rites, comme le tissage des linceuls, le tressage des nattes, la confection des
soubiques, confection des uniformes qui distinguent les descendants. On trouve ces
articles en grande quantité aux marchés du village, mais surtout dans tous les
grands marchés environnants, Anjeva, Ambatomanga, Ambohimangakely.

L’économie populaire joue un rôle très important dans la réussite du famadihana, à


commencer par la préparation et le déroulement des festivités, et jusqu’à la fin des
cérémonies. Il est donc intéressant de voir les aspects économique et marchand du
famadihana, et l’accomplissement des pratiques qui indirectement ou directement
les mettent en oeuvre. L’achat des linceuls ou lambamena189, des boeufs à abattre
pour nourrir les invités, des toaka gasy ou l’eau de vie de fabrication artisanale et
locale, contribue à faire fructifier les affaires des paysans artisans.

L’économie populaire dans la commune de Masindray est organisée pour faire face
à ces besoins, c’est pourquoi on rencontre parmi les villageois des tisseuses de
linceuls, mpanenona lambamena et des tresseuses de nattes mpandrary tsihy,
articles qui servent pour le famadihana et les décès. Beaucoup de femmes savent
tisser et tresser, savoir-faire qu’elles héritent des parents et que l’on retrouve
partout dans tous les villages de Masindray. Il s’agit de pratiques populaires qui
font vivre de nombreuses familles.

Ravaonasolo Berthine, 39 ans est tompontany, elle est divorcée et vit avec trois de
ses quatre enfants. Elle est cultivatrice mais en même temps, elle tisse des nattes,
des paniers en osiers qu’elle vend aux marchés d’Anjeva et d’Ambatomanga.

« J’ai hérité de mes grands-mères maternelle et paternelle le tressage. Nous tressons


beaucoup de paniers et nattes parce que les gens de la campagne ont en besoin dans toutes
leurs activités, pour les travaux agricoles dans les champs, pendant la moisson et surtout
lors des famadihana. Tous les articles utilisés dans la vie quotidienne à la campagne sont à
portée de main. Celui qui ne sait pas tresser sait tisser ou faire autre chose. Si l’article
n’est pas produit par les villageois, on peut le trouver aux marchés d’Anjeva et d’Alarobia
Ambatomanga. Les activités artisanales comme le tressage, le tissage complètent notre
revenu agricole. Si nous disposons de plus de temps, nous pouvons produire en quantité de

188
Les tombeaux sont autorisés à l’ouverture uniquement pendant les saisons sèches pour cause d’hygiène.
189
Les lambamena sont faits en soie sauvage très résistant au séjour en terre pour envelopper les morts. Leur
coût est assez élevé que parfois, les pauvres s’endettent pour acheter des linceuls. Un des cas qui font prospérer
les usuriers. Le nombre des lamba à envelopper les morts varie selon la position sociale de la famille et la
personne décédée.

90
paniers et de nattes que les intermédiaires viennent prendre directement chez nous pour
aller vendre à Antananarivo. Maintenant, la demande des gens en ville a beaucoup évolué,
la forme du panier a changé pour une utilisation plus spécialisée, il en est de même pour
l’utilisation des lamba qui a évolué. Les lamba en soie destinée à embellir les morts
servent maintenant à vêtir les vivants et sont devenus très à la mode »190.

Comme il y a un famadihana tous les ans dans tous les villages sur les Hautes
Terres centrales, les demandes et les débouchés sont ainsi renouvelés
continuellement. Il existe une sorte de compétition entre les familles organisatrices
des famadihana dans les villages avoisinants quant à l’éclat de sa réussite, le
nombre d’invités, le coût et la renommée de la fête, et donc cela stimule une
augmentation des demandes des familles organisatrices. Le famadihana est
indissociable des productions de l’économie populaire.

Les dépenses sont énormes compte tenu du nombre impressionnant des gens qui
sont invités pendant la festivité par rapport à ce qu’ils gagnent dans leurs
occupations quotidiennes et leurs vadin’asa. Ce qui nécessite une large
participation de tous pour supporter les dépenses. Mais la participation n’est pas
seulement financière. Ceux qui possèdent des bœufs, du riz ou autre chose peuvent
très bien offrir ce qu’ils possèdent afin d’alléger les dépenses. Mais dans
l’ensemble les dépenses s’effectuent quand même sur le marché local, au bénéfice
des producteurs locaux. Les habitants de tous les fokontany riverains font de bonnes
affaires pour compléter leurs revenus lors de cette période. Les éleveurs de boeufs
engraissent au maximum les bêtes pour qu’ils puissent en tirer d’importants
bénéfices à la vente. Même les fabricants de toaka gasy, genre d’une eau de vie
fabriqués de façon artisanale, y trouvent un bon compte.

Cette intégration au circuit monétaire est une donnée fondamentale de la vie des
ménages du fokontany de Tsarahonenana. Aussi longtemps que les fomban-drazana
continuent d’être pratiqués comme le famadihana et la construction de fasana, les
pratiques économiques et sociales de l’économie populaire qui y sont liées en
milieu rural, subsistent aussi. Il ne faut donc pas analyser le phénomène
économique de l’économie populaire rurale seulement au micro-local mais au
niveau d’un circuit micro-régional. La circulation de l’argent entre les différents
villages qui assistent au famadihana stimule le marché local et micro-régional.
C’est un circuit qui fonctionne et se déplace entre les villages de façon régulière.
Ainsi chaque local contribue à faire fonctionner le circuit micro-régional.

Ce point est important parce que dans l’économie populaire, à côté de la relation
villes-campagnes, il y a une dimension importante de relations campagnes-
campagnes qui stimulent les activités micro-régionales. Ce circuit micro-régional
n’est d’ailleurs pas seulement économique. Il crée aussi de la sociabilité micro-
régionale.

Les cérémonies sont la base d’un phénomène de sociabilité micro-régionale


importante car tous les habitants des villages environnants sont invités à assister à
toutes les cérémonies. Les familles organisatrices de la cérémonie commencent à
donner à manger à tous les invités sans exception, c’est le « famahanana ». A leur
tour, les invités offrent le sao-drazana, une participation symbolique en argent de la

190
Voir Annexes, n°49.

91
part de chaque famille, enregistrée dans un cahier qui sera bien conservé afin de ne
pas oublier qui sont venus et combien ont-ils donné. Cette attention particulière de
noter la participation de chacun permettra à l’avenir de répondre de la même
manière à la famille organisatrice de famadihana d’un des villages invités. C’est ce
qu’on appelle « aterokalao » qui signifie tout simplement « ce qu’on apporte, on
peut le reprendre », donc c’est la réciprocité.

L’impact économique et social de l’économie populaire est très important car en


plus de son effet de redistribution très large et de son aspect stimulateur de
l’économie rurale, il produit de la paix locale. Les acteurs sociaux populaires
produisent également un maillage socio-politique, qui ne tient pas compte du
découpage administratif, et qui contribue à une stabilité socio-politique micro-
régionale. Les villageois peuvent se procurer de la paix locale en maintenant leurs
activités et leurs pratiques populaires.

Il ne faut cependant pas oublier que ces cérémonies fonctionnent dans le cadre de
transferts considérables villes-campagnes. Une redistribution importante s’effectue
des villes vers les campagnes à travers ces activités et ces articles achetés sur les
marchés, car les gens de la ville viennent à la campagne pour se les procurer. Une
grande partie des activités de l’économie populaire urbaine reste orientée vers la
production des moyens qui permettent de maintenir les pratiques de fomba à la
campagne. Cela fait partie aussi des réalités d’Anosibe.

Participation de tous les villageois voisins au famadihana

Village Village Village


voisin voisin voisin

Village
Village voisin
voisin
Village du
famadihana

Village voisin
Village
voisin Village
voisin

92
Rotation de participation du famadihana au niveau des villages

Village voisin Village voisin Village voisin

Village voisin
Village voisin
Un autre Village
du famadihana

Village voisin
Village voisin
Village voisin

2- Anosibe, espace de reconstructions culturelles

Lieu d’adaptabilité et de confrontations culturelles

Hormis ses caractéristiques économiques191, le fokontany d’Anosibe représente une


réalité d’hétérogénéité culturelle et ethnique192. Mais il faut rappeler aussi que le
quartier est très structuré au niveau de l’économie populaire. Il existe en même
temps, à la fois hétérogénéité et ordre. Étant donné la présence de la gare routière
reliant la capitale avec les régions du sud du pays, des populations venant des
quatre coins de l’île s’y rencontrent, tandis que le renouvellement de liens sociaux
s’y effectue continuellement193.

L’hétérogénéité se manifeste notamment par la présence de cultures différentes,


d’ethnies diverses et par la présence d’institutions à caractère religieux de

191
Chapitre V, première sous partie.
192
Caractéristique fréquente dans tous les grands carrefours économiques et dans les grandes villes du pays.
193
Notamment Merina, Betsileo, Antandroy et Sihanaka. Ce sont les populations les plus représentées dans le
quartier. Il existe évidemment des populations d’autres régions mais qui sont faiblement représentées.

93
confessions diverses194. Initialement, le seul facteur homogène des populations du
quartier a été la langue malagasy officielle qui permet une communication des
différentes populations de l’île entre elles.

Les individus et familles ayant choisi de s’installer et de vivre à Anosibe sont


exposés à tous les problèmes rencontrés en milieu. La violence, la concurrence
déloyale, la loi du plus fort sont à côtoyer tous les jours et tout au long de l’année,
en dehors des soucis de ce que l’on va se mettre sous la dent chaque jour. On se
rend compte que les gens élaborent la règle pour vivre ensemble bien que les
menaces soient présentes en permanence dans un monde qui est loin d’être
idyllique. Les gens font face à de multiples contraintes de divers domaines, à des
niveaux différents qu’il faut surmonter et dont il est important d’assurer la sécurité,
même si cette sécurité est souvent dérisoire.

Le point qui apparaît intéressant à souligner, est que dans un contexte général
d’insécurité, les éléments culturels et religieux sont vus par la population comme
pouvant contribuer à la sécurisation individuelle et collective.

Le fokontany d’Anosibe illustre une nouvelle dimension du syncrétisme en milieu


urbain. Il s’agit d’une accélération du syncrétisme comme instrument de
sécurisation. Confessions religieuses, notamment à travers le rôle des organisations
catholiques, sectes et fomban-drazana sont évaluées en fonction de leur
contribution potentielle aux différentes dimensions spirituelles, psychologiques et
matérielles de la sécurisation. La population met la priorité parmi ces trois éléments
en fonction de ce qu’ils peuvent lui apporter dans la vie pratique quotidienne. Il est
évident que les gens réagissent par rapport à ce qu’ils estiment utile et nécessaire.

Les gens sont à la fois à l’église et aux sectes, mais en même temps pratiquent les
fomban-drazana. Ils vont dans plusieurs endroits à la fois avec le souci de créer la
sécurité et la paix. La population côtoie l’église catholique car cette dernière assure
à travers son centre social la distribution gratuite de certains produits de première
nécessité aux familles nécessiteuses qui fréquentent régulièrement l’église.

Les activités émanant de la paroisse catholique d’Anosibe sont accueillies par les
gens avec intérêt, afin de pouvoir bénéficier de ses aides sociales. Comme dans
beaucoup de quartiers populaires et pauvres de la capitale, les missions catholiques
sont présentes et actives en matières religieuse, éducative et sociale. La présence de
l’église catholique dans les milieux populaires fait partie de la politique
d’évangélisation, depuis le temps des royaumes merina au XIXe siècle. C’est le cas
de beaucoup de quartiers défavorisés de la capitale, comme à Anatihazo Isotry,
Tsiadana, Manjakaray, Anosipatrana, Andavamamba, etc.

Noro, 40 ans, mariée vit à Anosibe. Elle est lavandière et son mari est tireur de
pousse-pousse. Ils ont huit enfants.

194
Il existe une paroisse catholique à Anosibe sous la responsabilité du Père Sylvain Urfer, qui effectue des
activités sociales importantes au niveau des aides alimentaires des familles nécessiteuses, au niveau de
l’éducation par la présence d’une école missionnaire, au niveau de l’insertion sociale des jeunes qui représentent
un taux de pourcentage élevé dans la capitale et notamment dans le quartier d’Anosibe.

94
« Mes deux derniers enfants vont à l’école missionnaire. Les deux aînés ne vont plus à l’école,
ils m’aident à travailler pour compléter notre revenu. Les autres sont déjà mariés. L’église
catholique aide les familles qui se trouvent vraiment dans le besoin et qui n’ont pas le moyen
d’envoyer leurs enfants à l’école. Je ne suis pas catholique mais je me suis convertie pour
l’éducation de mes enfants. Les soeurs distribuent du riz, de l’huile et du lait en poudre tous
les quinze jours. Les gens revendent le lait en poudre. Elles distribuent également des effets
vestimentaires quand il y a des arrivées et les gens les revendent également. Les familles ne
peuvent pas bénéficier de ces aides si elles n’assistent pas à la messe dominicale. Nombreuses
sont les familles qui reçoivent de l’aide. Cette conversion ne change rien à nos habitudes et à
la continuation des fomban-drazana. Quand les grands moments arrivent au tanindrazana,
nous participons par exemple au famadihana. Par ailleurs, en cas de maladie, il y en a qui
vont voir le dispensaire des sœurs, et ceux qui vont consulter les guérisseurs et achètent des
195
plantes médicinales. Mes enfants sont nés avec l’assistance d’une renin-jaza » .

La paroisse octroie des aides alimentaires aux familles les plus démunies des
quartiers environnants et assure l’éducation scolaire de leurs enfants. Pour le
quartier d’Anosibe, les activités sociales sont focalisées sur les aides alimentaires
aux familles nécessiteuses et l’éducation scolaire des petits enfants, moyennant en
contrepartie notamment la participation aux activités paroissiales. Il en est de même
pour les enfants qui fréquentent l’école missionnaire : ils bénéficient de la priorité
aux aides alimentaires (huile, riz, lait en poudre distribués tous les quinze jours). La
paroisse d’Anosibe s’occupe également de la réinsertion des jeunes sans travail et
des délinquants. Dans ce sens, l’église organise des centres de recyclage des jeunes
pour des formations professionnelles dans les domaines du travail de bois, de la
mécanique auto196. Cette formation va conduire ces jeunes à monter leurs propres
emplois.

Deux des fils de Mme Noro suivent la formation professionnelle dans le cadre de
l’église. L’un se forme dans le travail de la menuiserie et l’autre dans la mécanique
auto depuis six mois. Elle nous explique leurs attentes à suivre ces formations :

« Mes fils auront la possibilité de travailler chez les autres d’abord et plus tard quand
ils auront assez économisé, ils pourront monter leurs propres affaires dans le
quartier. C’est quand même une occasion pour les jeunes de s’épanouir. Il n’y a pas
de frais de scolarité mais une seule participation à l’inscription. Ce n’est pas la même
chose que dans les écoles professionnelles privées que l’on trouve dans la
capitale»197.

Ce sont ces jeunes qui ont créé les petits ateliers de réparation de voiture, des
ateliers de confection d’ouvrages métalliques ou de soudure, ou qui sont des
menuisiers indépendants qu’on trouve en nombre impressionnant dans la capitale,
et qui peuvent concurrencer le secteur moderne et privé de la même
branche comme les garages et ateliers de confection de meubles. Ces jeunes
contribuent à développer les activités de l’économie populaire car les apprentis
travaillent dans le cadre familial et de voisinage, tout en s’inscrivant dans les
registres de contribution fiscale.

Tovo, 24 ans, vit avec sa mère et ses sœurs :

195
Voir Annexes p. 6.
196
C’est le cas du CDA d’Andohatapenaka.
197
Voir Annexes, p. 6.

95
« J’ai été dans le groupe des jeunes ayant reçu la formation professionnelle dans
la menuiserie de la paroisse catholique. C’est très important pour les jeunes car
au lieu de faire de vandalisme dans le quartier, on est amené à créer quelque
chose. Et cette sensation créative stimule et motive les jeunes à travailler afin de
gagner leur vie. Je travaille en ce moment comme ouvrier apprenti dans une
boutique de meubles. J’ai arrêté d’aller à l’école à l’age de 14 ans, parce que mes
parents n’avaient plus le moyen de nous mettre à l’école. Je ne voulais plus aller à
l’école. Et puis, quand il n’y a rien à manger à la maison, on réfléchit à ce qu’on
va manger et non pas aux études, c’est très évident. Mon père travaillait à
l’entreprise Colas d’Anosibe comme conducteur d’engins. Mais, il n’a pas
respecté son travail et il s’est trouvé au chômage après cinq de service. Ils se sont
séparés mon père et ma mère car il est devenu alcoolique et il ne donne plus
d’argent. Et c’est ma mère qui s’est occupée de nous en travaillant comme femme
de ménage. Elle gagne très peu. J’aide ma mère en complétant le revenu. Quand
198
j’aurai suffisamment épargné, je ferai un atelier pou moi » .

Les activités des paroisses ont contribué à l’évolution des activités populaires. Les
gens vont à l’église et envoient leurs enfants à l’école missionnaire pour pouvoir
bénéficier des aides. La présence à la messe dominicale est ainsi obligatoire pour
les familles voulant recevoir les aides. Cette présence se traduit par un nombre
élevé des fréquentations de la population à l’église.

En outre, on peut observer aussi l’attraction faite par les sectes qui sont fortement
présentes dans la capitale. Le quartier d’Anosibe se trouve comme un carrefour des
sectes à cause de la présence massive de personnes nécessiteuses en quête
d’amélioration de leur situation et de leur niveau de vie. Parmi les sectes qui se
trouvent dans les parages ayant attiré beaucoup de partisans, on peut citer à
nouveau la secte Ara-pilazantsara199.

Elle s’est implantée à Antananarivo vers la fin des années 1970. Dès sa création, la
secte choisissait d’être dans un quartier populaire de la capitale, à Manarintsoa
Isotry pour se rapprocher davantage du milieu populaire. Elle s’est répandue dans
toute l’île et s’est adaptée aux conditions difficiles. Après s’être installée dans la
capitale, elle a progressé aussi en milieu rural. Ces adeptes sont coupés
radicalement des pratiques culturelles traditionnelles. Vers la fin des années 1990,
elle s’est construite un immense bâtiment de rassemblement pour la prière qui peut
contenir jusqu’à 1500 personnes, et qui sert de siège central dans le quartier voisin
d’Andavamamba, à Antsahanandriana à peine 2 Km d’Anosibe.

Les sectes pensent qu’en s’installant dans les quartiers populaires, il serait
beaucoup plus facile d’évangéliser et d’attirer la population. Cette attitude est aussi
valable pour l’église catholique qui a toujours oeuvré pour se rapprocher de la
masse populaire. On peut croire que la population est facile à manipuler à cause de
sa situation vulnérable. En fait, il semble que si elle est d’abord sensible à ce qui
peut répondre à sa demande, en même temps, elle fait la part de ce qui est
prioritaire ou pas en ce qui concerne la tendance à suivre. Ce comportement est à
associer à l’attachement aux coutumes ancestrales qui malgré tout garde sa place

198
Voir Annexes, p. 10
199
Pour les couches populaires, la secte correspond aux groupements de personnes qui professent la
religion qui ne font pas partie de la doctrine catholique et de la doctrine protestante.

96
importante dans les pratiques culturelles populaires, qui ne sont pas encore prêtes à
se faire oublier.

Dès lors, les coutumes ancestrales ou fomban-drazana activement pratiquées en


milieu rural, restent aussi la priorité de la majorité dans les milieux populaires
urbains. Même si les fomba font partie souvent des non-dits, chacun connaît
l’importance de la place des fomban-drazana et de tout ce qui touche aux aspects
spirituel et mythique dans la vie quotidienne des habitants. L’imprégnation des
missions religieuses dans le quartier ne transforme pas réellement l’attachement de
la société aux pratiques anciennes. Quand il s’agit de participer à des rites
coutumiers, chacun retourne à son tanindrazana dans sa région respective pour
l’accomplir.

Une part importante des revenus finance les fomba et participe notamment aux frais
de transport. Les sources de revenu pour la majeure partie des populations
d’Anosibe relèvent généralement de l’économie populaire, et comme le transfert
d’argent de la ville vers les campagnes ou de la capitale vers les provinces permet
dans la majeure partie des cas à financer les fomban-drazana, il s’agit d’un transfert
de l’économie populaire urbaine vers l’économie populaire rurale.

Ravo, 40 ans, mariée, lavandière vit avec ses sept enfants à Anosibe. Elle est issue
d’une famille de 13 enfants qui se partagent le projet de construire une nouvelle
tombe afin de transférer leurs parents. Ces derniers étaient enterrés dans le tombeau
familial partagé avec les autres branches de la famille. C’est un projet qui datait
depuis trois ans mais qui n’a commencé à se concrétiser qu’après la mort de leur
mère en 1999.

« Après la mort de mon père en 1990, nous nous sommes concertés tous les enfants
pour construire une tombe pour nous car des difficultés se sont posées pour le droit
d’être dans la tombe familiale. Nous avons onze frères dont un est décédé. Pour
cela, il faut que chacun mette de côté de l’argent pou pouvoir construire le
nouveau tombeau. La mort de ma mère survenue en 1999, a poussé le projet à se
concrétiser car nous pensons qu’il faut transférer la dépouille de nos parents et
celle de notre frère dans une nouvelle tombe. C’est une grande somme qu’on
devrait épargner car après la construction de la tombe, il y aura le transfert qui va
aussi être coûteux. C’est l’équivalent d’un famadihana. C’est pour cela que je dois
200
travailler fort pour participer à concrétiser ces projets » .

En ce qui concerne la vie quotidienne en général, les mères de familles préfèrent


recourir aux fomba gasy pour résoudre leurs problèmes domestiques. Ainsi, faire
appel aux devins guérisseurs et aux talismans locaux est une attitude courante chez
les petites gens aussi bien en milieu rural qu’en milieu urbain.

Lorsqu’un problème d’ordre médical se présente ou encore quand quelqu’un est


jugé affligé d’un mauvais sort, on s’adresse aux devins guérisseurs et aux
talismans. Pour l’accouchement d’une mère de famille, ce sont les renin-jaza,
sages-femmes traditionnelles qui s’en occupent. Leurs interventions sont fréquentes
et leur coût est relativement faible, accessible aux couches sociales défavorisées.
Quoique le centre hospitalier universitaire se trouve au quartier voisin, les familles

200
Voir Annexes, p. 7.

97
préfèrent adopter les solutions faciles et moins chères. Si les plantes médicinales
traditionnelles peuvent faire l’affaire, il n’est pas question de dépenser de l’argent à
l’hôpital et chez les médecins modernes. Le résultat est parfois positif lorsqu’il
s’agit d’un problème mineur qui ne nécessite pas d’intervention chirurgicale.

Rasoazanadrasoa Evelyne, 47 ans :

« Cela fait maintenant cinq ans que j’ai eu le problème d’estomac. Je vais chez le
médecin généraliste, mais souvent le médicament qu’il me donne ne me guérit pas
longtemps. Quand je prends son médicament, la crise est passée mais ça ne dure
pas longtemps et en plus les médicaments que je prends coûtent très cher. Alors je
préfère me faire ausculter par un guérisseur gasy et prendre les plantes
médicinales qu’il me recommande. Je prends régulièrement les tambavy et je suis
tranquille. Il y a toujours de réserve de plantes chez moi au cas où j’ai de la crise,
mais maintenant, elle devient rare sauf quand je travaille dure, sinon tout va
bien »201.

Les plantes médicinales très demandées sont vendues aux marchés par des
personnes qui ont des connaissances particulières sur les caractéristiques des
plantes et leurs fonctions. Les marchands des plantes médicinales ne sont pas des
simples marchands car il y a une connaissance approfondie à acquérir de chaque
plante pour chaque maladie. Cette connaissance relève d’abord d’un apprentissage
de longue période qui se transmet aussi de génération en génération. Les marchands
de tapa-kazo doivent connaître le rôle de chaque plante, la quantité utile pour le
soin et ses effets secondaires. L’apprentissage des plantes exige beaucoup d’années
et d’expérience.

Ensuite, les marchands de tapa-kazo se concertent avec les guérisseurs et les devins
ou mpisikidy pour soigner différentes sortes de maladies et résoudre différents types
de problèmes, du point de vue des soins et du point de vue spirituel. Les personnes
qui consultent les mpisikidy achètent ce dont elles ont besoins auprès des
marchands de tapa-kazo. On peut qualifier ces pratiques de services marchands
étant donné qu’il y a toujours des marchandages monétaires à faire ou à négocier.

Raveloarisoa Beby, 70 ans est marchand de tapa-kazo à Anosibe :

« Le commerce de tapa-kazo est un métier dans la famille depuis au moins quatre


générations avant moi. Je ne sais plus exactement, mais ce que je sais, c’est que
mon grand-père vendait déjà des tapa-kazo et mon père vendait aussi des tapa-
kazo à Isotry et à Analakely. Et parmi mes frères et sœurs, je suis la seule dans le
domaine de tapa-kazo. Mes enfants aussi de leur ne s’y intéressent pas sauf mon
fils cadet qui est toujours avec moi au marché et qui a grandi avec cela. Il n’est
pas encore au point, mais je pense qu’il sera mon héritier à ce sujet. Le travail
n’est pas comme celui de vendre des cigarettes ou du mofo gasy, vendre des tapa-
kazo s’apprend et c’est un apprentissage à vie. C’est la vie de quelqu’un qui est en
jeu et son avenir aussi, donc, il faut bien connaître les plantes, racines, les
écorces, les grains, etc. qu’on utilise, la quantité nécessaire, tout. Il ne suffit pas
seulement de connaître les plantes, il est important de connaître l’origine des
plantes. Il y a des plantes qu’on ne trouve que dans un seul endroit à Madagascar.
Si on ne connaît pas en profondeur ce qu’on propose, on risque de tuer le patient
ou bien transgresser son destin. Si un malheur arrive, on ne peut pas dire qu’on va

201
Voir Annexes, p. 11.

98
seulement changer de métier, c’est de la malhonnêteté. On peut vous poursuivre
en justice et c’est la prison. Et non seulement la prison mais la mauvaise
conscience vous poursuivra jusqu’à la fin de vos jours. Heureusement pour nous,
les risques étaient presque nuls, en tout cas, je n’ai jamais entendu quelqu’un
décédé après avoir pris nos tambavy, du moins parmi nos clients. Vendre les tapa-
kazo est un métier, mais un métier qui ne rapporte pas beaucoup d’argent. On ne
compte pas s’enrichir avec cela. Mais c’est un travail qui a plein de mystère et
202
qu’on a envie de connaître encore davantage » .

Les fomba ne concernent pas uniquement les pratiques coutumières mais aussi les
comportements des individus et les communautés, les valeurs morales et culturelles
qui harmonisent les relations sociales. Le fihavanana joue ainsi un rôle important,
même si il est différent en ville par rapport à ce qu’il est en milieu rural. La
différentiation sociale grandissante qu’on rencontre en ville s’efface tant soit peu
devant les pratiques des fomban-drazana. Les couches démunies et les couches
aisées se trouvent sur le même pied d’égalité devant les fomba.

Le respect de certains principes anciens reste en vigueur, mais ils varient d’un
groupe à un autre, d’une région à une autre. En ville, même si des changements
surviennent par le fait même de vivre dans un milieu de confrontation de pratiques
traditionnelles et modernes, où les sectes religieuses sont en pleine prolifération
pour attirer les couches sociales les plus vulnérables, les pratiques anciennes, les
fomban-drazana, sont loin d’être abandonnés et montrent une tendance à se
réinventer dans un cadre nouveau.

Il existe une concentration culturelle et religieuse dans le quartier d’Anosibe, mais


les familles ont de larges choix quant aux pratiques à suivre. Elles suivent les
activités proposées par la paroisse catholique qui leur permettent de combler le
manque, ne serait-ce qu’alimentaire, si du moins les dons ne sont pas détournés au
marché noir. Mais en même temps, elles tiennent à leurs coutumes ancestrales, car
c’est une façon de maintenir leurs identités territoriale et culturelle et leur raison
d’être. Dans la capitale, on observe une tendance à reconstruire un nouveau
syncrétisme, à partir d’éléments autochtones (le famadihana, les sampy, le
fandroana ou bain royal, etc.) et étrangers, de sens contradictoire, avec la nécessité
à la fois de s’affirmer face à l’acquisition du christianisme (culture étrangère) et de
se construire dans la conservation des fomba gasy 203.

Cette double appartenance permet de choisir la priorité du moment, et de s’adapter


facilement devant les situations qui se présentent. Ce comportement agit sur les
activités économiques de la population et l’économie populaire en dépend, tout en
tenant compte des réalités socio-économiques du fokontany d’Anosibe. D’où un
syncrétisme très pragmatique, propre à l’économie populaire urbaine, qui n’hésite
pas à participer à différents cultes et pratiques religieuses. On peut parler à ce
propose de stratégie de « ruses » des acteurs concernés : les offreurs de religion

202
Voir Annexes, p. 11.
203
On pourra également se référer à la légitimation du pouvoir royal depuis le roi Radama II qui s’est
converti au christianisme et s’est fait baptisé, par rapport à la fidélité aux coutumes et convictions des
ancêtres royaux. Voir l’article de Françoise Raison-Jourde, « De la restauration des talismans royaux au
baptême de 1869 en Imerina. Une tentative de légitimation des rapports entre pouvoir royal dominé et
pouvoir d’Etat hova dominant au milieu du XIXe siècle, in : Les souverains de Madagascar, op. cit., pp.
337-369.

99
exigent la participation à leurs cultes en échange de l’aide, ce qui assurent leur
visibilité, et les acteurs populaires se soumettent à cette exigence pour avoir l’aide,
tout en maintenant leurs pratiques traditionnelles. La « ruse » se situe dans les deux
côtés, avec une capacité d’adaptation aux situations204.

Les réalités sociales dans la capitale, comme le cas du quartier populaire


d’Anosibe, montrent l’importance d’une approche interdisciplinaire en termes
d’économie populaire, par rapport à une approche monodisciplinaire des mêmes
réalités en terme de secteur économique informel.

Dans l’économie populaire on voit des acteurs, qui ont certes des activités et une
rationalité économique, mais celles-ci sont indissociables des autres composantes
sociales et culturelles de leurs stratégies de vie et de survie, individuelles et
collectives. L’économie populaire urbaine a bien ses fondements dans la longue
histoire de l’économie communautaire, qui sous la pression des changements qui
lui ont été imposés du haut et de l’extérieur, a dû évoluer, en perdant certaines de
ses caractéristiques, tout en en maintenant certaines autres, et en réinventant de
nouvelles pour s’adapter au changement. L’attachement aux valeurs morales et
culturelles ainsi qu’aux pratiques traditionnelles est lié au respect des principes
séculaires établis dans toutes les communautés malagasy, les fokonolona
historiques, principes qui ont maintenu leur importance dans le temps et dans
l’espace et quelles que soient les circonstances. Malgré les diversités culturelle et
géographique de la société malagasy, son unité est fondée sur ces principes.

L’attachement et le maintien des pratiques coutumières traditionnelles en ville


entrent dans la même logique socioculturelle et communautaire que celle vécue en
milieu rural. Elle peut justement se maintenir grâce aux pratiques économiques et
sociales indissociables de l’économie populaire à la ville comme à la campagne.
D’une certaine manière, le concept d’économie populaire permet de relativiser très
fortement la dichotomie villes–campagnes qui est une des bases du développement
tel que conçu dans les différentes versions de la théorie de la modernisation.
L’intérêt porté au tanindrazana par les familles vivant en villes et par celles qui
sont restées à la campagne traduit le fondement de l’interdépendance continuée
entre économie populaire de la ville et des campagnes. Dans les deux cas, on l’a
montré, les aspects religieux et culturels ne doivent pas être minimisés dans la
manière de voir les réalités sociales. La différence des milieux urbains avec les
milieux ruraux, c’est qu’il y a une plus forte hétérogénéité culturelle en milieu
urbain dont il faut tenir compte.

204
VERHAEGEN E., VANDAMME P., Introduction à l’atelier 1, « Ruses institutionnelles et
détournement des pratiques populaires », CHARLIER S., NYSSENS M., PEEMANS J. -Ph., YEPEZ I.,
Solidarité en actes. Gouvernance locale, économie sociale, pratiques populaires, Louvain-La-neuve,
Presses Universitaires de Louvain, pp. 55-74.

100
Chapitre VIII

L’approche historico-théorique
de l’économie populaire

1- L’importance d’une approche interdisciplinaire et historique de


l’économie populaire

Élaborer une théorie de l’économie populaire à Madagascar amène à souligner le


rôle essentiel du regard historique pour comprendre la différence entre
l’économie populaire et le secteur informel. Il s’agit plus que d’une simple
différence de regard sur une même réalité.

Les différentes variantes de l’étude de l’économie informelle n’y voient qu’un


phénomène économique marginal produit de la crise de l’Etat contemporain ou
de ses mauvais choix économiques, et dont il faut stimuler la contribution à la
croissance économique par des mesures appropriées de soutien du marché. Une
abondante littérature a analysé tous les aspects économiques du secteur informel,
présenté comme un secteur qui attend d’être intégré dans le système moderne et
formel.

Du point de vue du développement, de nombreuses études ont parlé du caractère


insatisfaisant de l’approche en terme de secteur informel, en montrant que celui-
ci peut être interprété autrement, en y reconnaissant une pratique d’acteurs qui
ont leur manière de vivre, leur stratégie d’action et de résistance qui dictent leurs
comportements. L’approche interdisciplinaire reconnaît la grande complexité des
réalités de l’économie populaire qui ne peuvent être réduites à leur seule
dimension économique.

Dans son analyse de l’économie populaire, dans les quartiers périphériques de


Santiago du Chili, M. Nyssens prend soin de démarquer son approche de celle
du secteur informel. Elle montre clairement que l’économie populaire est celle
des quartiers populaires. Selon elle, le monde populaire est un sujet, enchâssé
dans une réalité sociale, économique, politique, culturelle « située », et il y a une
économie populaire parce que ce sujet est aussi un protagoniste d’activités
économiques, et ainsi développe des formes spécifiques d’organisation socio-
économique205.

205
NYSSENS M., Quatre essais sur l’économie populaire urbaine : le cas de Santiago du Chili, Louvain-La-
Neuve, CIACO, 1994.

101
Selon G. deVillers, l’économie populaire est plus vaste que l’économie de la
pauvreté. C’est l’univers des gens d’en bas. C’est le champ dans lequel se
déploient et où dominent numériquement les petites activités, mais où se noue
aussi l’articulation de celle-ci à certains segments ou à certains aspects de
l’économie pratiquée par des gens plus riches et plus aisés. C’est un champ où
coexistent et interfèrent des activités « non modernes » et « modernes ». C’est
encore un champ où les activités sont tantôt enregistrées, tantôt non enregistrées,
tantôt réglementées, tantôt non réglementées206.

L’étude historique se présente alors comme une piste principale pour élucider
cette complexité. Elle permet de faire une autre lecture du secteur informel :
celle de l’histoire longue qui tient compte de plusieurs logiques, sociales,
culturelles, économiques, voire communautaires, qui s’entrelacent de manière
forte pour définir un processus de développement qui a une personnalité
historique particulière.

L’approche interdisciplinaire en terme de développement reconnaît l’importance


de l’histoire pour comprendre la nature de l’économie populaire, parce que
l’approche historique permet de montrer que l’économie populaire est enracinée
dans un processus historique long. À travers l’approche historique, on se rend
compte que l’approche économique ne tient pas compte des aspects culturels et
sociaux qui sont importants. Elle ne reconnaît pas non plus les acteurs populaires
comme acteurs véritables du développement.

La contribution de cette recherche est que l’approche historique permet de voir


autrement le secteur informel. L’enjeu est de changer le regard sur le secteur
informel à Madagascar et de le lire en tant qu’économie populaire et non pas
comme secteur qui attend de s’intégrer dans le système économique moderne.

L’approche de F.Braudel des processus historiques de développement en termes


de trois niveaux aide à situer la place de l’économie populaire dans l’histoire de
Madagascar. Cette approche de Braudel a déjà été évoquée brièvement dans le
chapitre II. Il semble important à ce stade-ci de l’étude de rappeler brièvement le
cadre conceptuel proposé par F.Braudel. Puis on montrera comment ce cadre
conceptuel appliqué à Madagascar permet de se situer l’économie populaire dans
une continuité historique qui éclaire beaucoup mieux sa nature que ne peut le
faire le concept de secteur informel.

2- Le cadre conceptuel proposé par F. Braudel : un rappel de son intérêt


pour le développement

Il faut d’abord resituer l’approche que Braudel propose de l’analyse du


développement en longue période. Braudel ne confond pas la genèse du
développement avec celle du capitalisme en Europe à partir du XVIe siècle. Pour
lui le développement humain a une histoire bien plus longue et s’est manifesté

206
De VILLERS G., « Le Pauvre, le Hors-la-Loi, le Métis. La question de l’économie informelle en
Afrique », Les Cahiers du CEDAF, n°5-6, CEDAF, 1992, p. 67.

102
dans toutes les sociétés. C’est l’histoire de la construction de la vie matérielle à
travers laquelle tous les peuples ont peu à peu maîtrisé leur environnement
matériel, et en ont mobilisé les ressources pour s’assurer des conditions de vie
supportables. C’est là que se trouvent les bases de la vie quotidienne : la
nourriture, l’habitat, le vêtement, et toutes les techniques qui peu à peu ont
permis non seulement de maîtriser le milieu naturel, mais aussi d’améliorer sans
cesse les conditions de la vie matérielle à travers un apprentissage continu dont
les acquis se transmettent et s’enrichissent à travers les générations. Ce niveau a
toujours un caractère local, même si les dimensions spatiales de ce local varient
à travers les époques et les régions du monde.

C’est le premier étage du développement humain en longue période207.

Selon Braudel, c’est au-dessus de ce soubassement historique que se construit


un second niveau, qu’il appelle le niveau des échanges, celui à partir duquel
apparaît l’économie de marché. Les relations entre le premier niveau et le
second niveau ne sont pas étanches. Ils s’interpénètrent.208

Le marché et les échanges, du point de vue spatial, engendrent une interaction


entre le niveau local et un niveau régional plus large, qui recoupe aussi une
relation entre régions rurales et centres urbains. La valeur d’échange prend le pas
sur la valeur d’usage209.

La manière dont Braudel décrit les rapports entre les acteurs des deux niveaux ne
laisse aucun doute sur le fait que les uns et les autres sont à la fois dans la sphère
de l’autoproduction, de la production pour les besoins locaux, et en même temps
dans la sphère des échanges. Ce sont essentiellement les paysans, les artisans et
les petits boutiquiers et marchands.

Braudel voit l’émergence du capitalisme comme partiellement dérivée de


l’évolution de l’économie de marché, mais surtout liée au changement du
contexte historique en Europe à partir du XVe siècle. Ce contexte permet à une
nouvelle catégorie de marchands qui contrôlent le commerce à longue distance,
de mettre en place des monopoles qui sont la condition pour réaliser des profits
exceptionnels et entamer un processus accéléré d’accumulation des profits et du
capital. Les capitalistes essaient par tous les moyens de fausser le jeu de la
concurrence qui caractérisait antérieurement le fonctionnement du deuxième
niveau210.

Le passage au capitalisme se caractérise pour Braudel par une tentative réussie


de prendre peu à peu le contrôle de la petite production qui se développait
antérieurement au premier et au second niveau du développement local et
régional. Il est important de souligner que pour Braudel l’émergence du
capitalisme est associée à l’émergence de réseaux d’acteurs puissants, dont les

207
BRAUDEL F., La dynamique du capitalisme, Paris, Arthaud, 1985, p.39.
208
BRAUDEL F., Civilisation matérielle, économie et capitalisme, XVème-XVIIIème siècle, Tome I, Les
structures du quotidien, Paris, A.Colin, 1979, p. 12.
209
BRAUDEL F., La dynamique du capitalisme, op. cit. p. 23.
210
BRAUDEL F., Civilisation matérielle, économie et capitalisme, Tome II, Les jeux de l’échange, Paris,
A.Colin, 1979, pp. 60-61.

103
intérêts convergent dans les affaires comme dans le domaine politique. Le
capitalisme est caractérisé par l’affirmation du pouvoir de coalitions d’acteurs
qui cherchent à établir des monopoles. C’est l’économie du troisième niveau211.

Celui-ci devient dominant et il impose sa loi progressivement au deux autres


niveaux.

La grille d’analyse de Braudel permet d’élaborer une alternative à la théorie de


la modernisation. Les différentes variantes de cette dernière sont basées sur une
vision linéaire du progrès, dont les lois universelles permettent d’élaborer les
étapes du passage de la société traditionnelle, agricole, rurale et arriérée à la
société moderne, industrielle, urbaine et avancée. La théorie du « démarrage » de
Rostow en a été une des formulations les plus connues. Cette théorie se base
toujours sur une certaine interprétation de l’histoire, dont l’étape décisive est le
déclenchement d’un processus d’industrialisation, dont le « take-off »
miraculeux de la Grande-Bretagne, au XVIIIe siècle, serait le point initial, les
autres pays devant répéter ce processus pour se développer. En attendant ils ne
sont que « sous-développés ».

L’approche de Braudel aide à sortir de cette vision linéaire qui finalement repose
sur une vision fort réductionniste de l’histoire. Elle aide à voir que l’économie
du troisième niveau n’est pas le début de l’histoire du développement. Celui-ci a
débuté avec la construction longue du premier et du deuxième niveau. Toutes les
régions du monde, y compris l’Afrique et Madagascar, ont une longue histoire
du premier et du deuxième niveau. Ils ont donc aussi construit les conditions du
développement humain. L’histoire du troisième niveau dépend de la manière
dont il a pu établir sa domination sur les deux autres niveaux, et imposer la
logique de l’accumulation comme seule logique du développement. Les
circonstances historiques ont fait que dans certaines régions du monde,
notamment en Europe, par des voies très complexes, qui sont loin d’être
seulement économiques, la logique du troisième niveau a fini par s’étendre à
l’ensemble de la société et de la culture. Dans d’autres régions du monde, la
logique du troisième niveau, n’a pas pu s’imposer totalement aux deux autres
niveaux212.

Dans la théorie de la modernisation, comme le développement est confondu avec


la seule croissance économique, la faiblesse du troisième niveau est assimilée au
sous-développement. Dans les années 1970, l’école de la dépendance a mis en
valeur la liaison entre l’histoire du capitalisme et celle du colonialisme et de
l’impérialisme pour expliquer que le troisième niveau n’a fonctionné dans les
pays dominés que comme un moyen de prélever des ressources au bénéfice des
pays capitalistes dominants. Le troisième niveau dans les pays dominés est donc
resté bloqué, comme l’a élaboré l’analyse en termes de centre-périphérie. Celle-
ci a le grand mérite d’avoir ramené l’histoire réelle des rapports entre les nations,
l’histoire réelle des rapports Nord-Sud, dans l’histoire du développement.

211
BRAUDEL F., La dynamique du capitalisme, op.cit., p.45
212
Cfr. PEEMANS J.Ph., Analyse comparative des processus de développement en longue période,
Notes de cours inédites, SPED, UCL, 1998-1999.

104
Dans les années 1980 et 1990, de nouvelles approches ont insisté sur le fait que
la théorie de la modernisation a totalement négligé le fait que dans certaines
sociétés la faiblesse du troisième niveau traduit aussi peut-être une capacité de
résistance plus grande du premier et du second niveau à la volonté d’hégémonie
des acteurs du troisième niveau. Cela s’est accompagné de la réévaluation des
réalités du secteur traditionnel et de la manière dont il était vu dans la théorie
de la modernisation. Si on abandonne cette dernière conception, on se rend
compte que les premier et second niveaux dans l’approche de Braudel peuvent
être vus aussi comme des lieux où existent des acteurs qui ont d’autres attentes
de développement que celles imposées par les acteurs du troisième niveau. Les
deux premiers niveaux doivent être approchés à travers une démarche
interdisciplinaire pour comprendre les interactions entre les aspects
économiques, sociaux, institutionnels et culturels qui constituent la base des
stratégies et des comportements des acteurs de ces niveaux213.

Dans cette perspective, le développement n’est pas vu comme un passage


linéaire du traditionnel au moderne. Le développement se fait à travers les
relations et les conflits qui existent entre les acteurs des trois niveaux, entre les
acteurs dominants qui voient le développement comme la réussite de
l’accumulation, exprimée à travers la croissance économique, et les acteurs
dominés qui voient le développement comme la reproduction améliorée des
conditions matérielles et spirituelles qui leur permettent de vivre en tant que
familles et collectivités dans un milieu de vie donné. A travers ces relations, le
premier et le deuxième niveau ne disparaissent pas nécessairement, à travers le
temps, et il faut donc à chaque époque analyser leurs relations avec le troisième
niveau, celui qui domine, mais n’occupe pas nécessairement tout l’espace social
et culturel. Mais d’autre part, les acteurs du premier et second niveaux ne
peuvent pas être confondus seulement avec le secteur traditionnel, parce qu’ils
sont au contact du secteur moderne depuis des générations : ils vivent l’envers
du moderne et ils doivent s’adapter aux contraintes imposées par ce dernier pour
survivre et maintenir vivante ce qui est leur logique de reproduction socio-
économique et socioculturelle214.

3- L’analyse historique de l’économie populaire à Madagascar, le rapport


avec le cadre proposé par F.Braudel

La démarche élaborée dans le chapitre deux et le chapitre trois a permis de voir


l’évolution de l’économie populaire à partir de la construction de l’économie
communautaire et le rôle d’acteurs qui ont mis en place la communauté.

A condition d’une sérieuse adaptation, voire reformulation appropriée au


contexte, l’approche de F. Braudel aide à situer l’histoire longue de l’économie
populaire à Madagascar.

Il s’agit alors d’élaborer une approche historico-théorique qui reconnaît le passé


historique des acteurs populaires, acteurs qui sont loin d’être homogènes, leurs
213
PEEMANS J.Ph., Le développement des peuples…, op.cit., Ch. 9, 12 et 13.
214
PEEMANS J.Ph., Le développement des peuples,…op.cit., pp.439-442.

105
pratiques complexes qui mettent en interaction l’économique à partir du
vadin’asa, le social et le culturel qui sont perceptibles à travers le rôle du
fihavanana, l’attachement au tanindrazana et aux coutumes ancestrales, les
fomba, le tout dans le cadre institutionnel du fokonolona qui joue un rôle central
dans l’évolution.

L’économie populaire à Madagascar s’est construite en trois étapes.

La première étape est celle de l’économie communautaire antérieure au temps du


royaume merina, basée sur l’agriculture et l’artisanat local. Elle se fait sur les
terres appropriées par les fokonolona, qui rassemblent une communauté, dans les
premiers temps relativement peu différenciée. On y trouve l’équivalent de ce qui
est le premier niveau selon F. Braudel. L’économie communautaire se réfère à
un territoire, essentiellement la terre d’origine ou précisément les terres des
ancêtres, le tanindrazana auquel les acteurs sont fortement attachés, de même
qu’à leur culture et à leur civilisation. D’où la forte interaction entre le
fokonolona, le tanindrazana, le fihavanana, le famadihana, le rapport avec les
morts. Dans le cadre du tanindrazana, les acteurs populaires collectifs sont liés
par le réseau familial et communautaire. Ils sont également attachés aux
pratiques ancestrales. Ce sont les éléments fondateurs de l’économie
communautaire, dont émergera plus tard l’économie populaire. (CH.II)

La deuxième étape est le début de la transition de l’économie communautaire à


l’économie populaire avec toujours comme base l’agriculture. C’est la période
de la construction du royaume merina, qui stimule le développement du
deuxième niveau. L’économie communautaire s’est développée depuis
l’apparition du tsena, marchés locaux, à travers les échanges des produits locaux
correspondant. Le fokonolona ne se réfère plus à un cadre restreint limité au
village mais à un cadre plus large. Un processus de différenciation sociale entre
les andriana, les hova et les andevo s’accélère dans le cadre des fokonolona
élargis mis en place par le pouvoir royal.

La population doit aussi faire face à la pénétration de la civilisation étrangère


notamment le christianisme, pénétration qui a remis en cause la légitimité du
pouvoir royal. Les fokonolona continuent à pratiquer les coutumes ancestrales et
refusent le christianisme jusqu’au point où le christianisme est devenu la religion
d’Etat par la conversion de la reine et de son premier ministre et l’autodafé des
sampy. Cela va provoquer une scission à l’intérieur de certains fokonolona.

Il existe le fokonolona de base qui est lié au territoire d’origine, au tanindrazana,


et il y a le fokonolona marginal formé par l’opposition de certains groupes à la
conversion du royaume au christianisme et qui fondent un nouveau
tanindrazana. Cette formation de population marginale en dehors du royaume
merina va constituer la force d’opposition face à la pénétration étrangère
(française). Elle continue les pratiques populaires, le mode de vie
communautaire même dans une position marginale. Malgré la différenciation et
la scission aussi bien le fokonolona traditionnel de base que le fokonolona
marginal vivent de la même façon.

106
Les opposants au christianisme furent impliqués dans la préparation de
l’insurrection des menalamba car ils voulaient retourner à un passé idéalisé dont
la tradition coutumière constituait le point de référence de toute organisation
sociale et de toute légitimation du pouvoir. Cette époque a montré que la
population malagasy formait déjà une société fortement attachée aux traditions
culturelles qui ont toujours été un point de repère et une manière de légitimer le
pouvoir royal. La pénétration du christianisme a certainement affecté cet
attachement aux coutumes ancestrales, mais en réalité ne l’a pas supprimé.

Sans insister ici longuement sur cet aspect, on pourrait dire que dans les termes
de l’analyse de F.Braudel, l’impact du pouvoir royal sur le développement de
long terme peut s’évaluer d’une double manière. D’une part, il a stimulé
l’apparition d’une économie régionale du « deuxième niveau » (à travers la
multiplication des tsena), ce qui a ouvert de nouveaux horizons pour le « premier
niveau », sans menacer son équilibre. D’autre part , il a représenté une tentative
de construire par la voie politique un embryon de « troisième niveau » en se
servant des ressources humaines du « premier niveau », ce qui a déstabilisé ce
dernier, qui avait déjà une longue histoire et où le fokonolona jouait le rôle
d’une institution majeure 215.

La troisième étape est le stade de l’autonomisation progressive de l’économie


populaire elle-même confrontée aux acteurs du troisième niveau de F. Braudel.
Avec l’introduction de l’économie de marché à l’époque coloniale, l’invasion du
capitalisme et la mise en place des structures économiques coloniales, la vie de
la grande majorité de la population a changé. L’irruption étrangère va détruire le
royaume merina, et vouloir dominer les acteurs du premier niveau. Pour honorer
les obligations coloniales, les impôts qui pèsent lourd sur elle, la population est
obligée de diversifier ses activités par le vadin’asa. D’un côté, pour pouvoir
payer les impôts, elle doit entrer dans le système salarial instauré par la
colonisation, et de l’autre côté, pour pouvoir subvenir à ses propres besoins
quotidiens, elle continue à pratiquer un mode de vie lié aux terres, l’agriculture
et l’artisanat. De ce fait l’économie communautaire se différencie et se diversifie
allant progressivement, à travers cette évolution, vers l’économie populaire.

Vu la force des institutions de base, malgré la pénétration étrangère, les acteurs


du premier niveau ont une capacité de résistance qui est en interaction avec le
fihavanana, le tanindrazana et le fokonolona

Le contexte dans lequel l’économie populaire évolue, à l’époque coloniale, est


très complexe dans la mesure où la masse populaire concernée est confrontée à
plusieurs problèmes situés à plusieurs niveaux : faire face aux pressions
coloniales, aux crises multiples, économiques, sociales, politiques.

La différenciation sociale s’affirme encore plus à l’intérieur des fokonolona,


notamment parce que la période coloniale a permis à une partie des andriana et
des hova de s’enrichir en utilisant le travail des anciens esclaves transformés en
métayers. Une petite élite consolidée par le pouvoir colonial prend ses distances
par rapport aux couches populaires. Cependant, une partie de ces métayers (les

215
BRAUDEL F. op. cit., T I, p, 10.

107
andevo devenus mainty) a pu augmenter son revenu à travers les migrations et à
travers cela a pu accéder à la terre, fonder aussi un tanindrazana. Cela a donc
compensé par le bas, la différenciation sociale par le haut, en rapprochant
métayers et petits paysans appauvris par la colonisation. A travers ce mouvement
contradictoire, on peut dire que l’ancienne économie communautaire s’est
érodée et que l’économie populaire, a peu à peu émergé de cette crise. Le
fokonolona réel se maintient tout en se recomposant, et ce en filigrane du
fokonolona administratif mis en place par le pouvoir colonial. C’est autour de lui
que se recompose le lien communautaire. Mais dorénavant l’économie populaire
occupe aussi la ville, à travers les migrations campagnes – villes, où la majorité
des migrants restent fondamentalement liés au milieu rural. L’économie
populaire apparaît bien dès cette époque comme l’économie des couches
populaires, au fur et à mesure que se décompose l’ancienne économie
communautaire peu différenciée socialement (ch. III).

L’évolution de cette économie populaire est fortement liée à l’évolution du


vadin’asa dans l’économie communautaire qui se diversifie, s’individualise et
s’étend dans le cadre urbain. Arrivé dans le milieu urbain, le vadin’asa est
devenu très important pour permettre de survivre et de renvoyer de l’argent au
village. A travers les nouvelles formes du vadin’asa se renouvellent
continuellement des liens sociaux véhiculés par le fihavanana au sein d’un
fokonolona renouvelé, à la campagne et à la ville.

Grâce à l’approche historique, on se rend ainsi compte qu’il faut analyser le


secteur informel urbain en terme d’économie populaire, parce que
historiquement celle-ci s’est développée comme une transposition des pratiques
de l’économie paysanne en milieu urbain à travers les migrations paysannes et
l’urbanisation progressive. Les études du secteur informel l’ont toujours vu
comme un phénomène économique urbain, qui ne concerne que marginalement
la campagne, alors qu’en terme de l’histoire des acteurs populaires, on se rend
compte que la base de l’économie populaire urbaine est une transposition, voire
une réinvention, des pratiques paysannes en milieu urbain. L’économie
populaire des campagnes est toujours restée elle-même, centrée autour du
fokonolona historique et de toutes les composantes socio-historiques qui
entourent ce dernier.

Historiquement l’économie populaire s’est greffée et développée en ville comme


une transposition des pratiques de l’économie paysanne en milieu urbain à
travers les migrations paysannes et l’urbanisation progressive. L’autonomisation
de l’économie populaire y a pu développer de nouvelles pratiques, parce que
confrontée directement au secteur moderne, dont la base est historiquement
urbaine.

Après l’indépendance, de 1960 à 1980, c’est le relais de la logique de l’époque


coloniale par des acteurs nationaux dominants qui essaient d’imposer, appuyés
par l’ancienne métropole, une politique de développement économique, social et
culturel, en fonction d’une idéologie du développement conçue à travers la
modernisation. La population est vue soit comme une variable démographique
déréglée, obstacle à la croissance, soit comme une masse qui doit être
modernisée parce qu’elle est en retard. La première phase est la politique de la

108
modernisation libérale de la première république au temps de Tsiranana depuis
1960 ; la deuxième phase est la modernisation volontariste de la Deuxième
république. Leur seul résultat, a été l’échec de la politique de la modernisation
forcée qui aboutit à l’endettement du pays.

Les deux tentatives ont échoué creusant la séparation entre les élites et les
masses populaires urbaines et rurales. Ni la modernisation libérale, ni la
modernisation volontariste n’ont pu fonctionner laissant les acteurs populaires
livrés à eux-mêmes.

Dans les deux cas, les acteurs populaires sont abandonnés à elles-mêmes devant
la différentiation sociale en ville et à la campagne. Ils parviennent à se maintenir
grâce à leur capacité de résistance ou d’adaptation.

A partir des années 1980, le rôle de l’Etat et du secteur moderne se réduit


laissant la place libre aux pratiques anciennes des acteurs populaires qui font
preuve d’une grande créativité pour affronter les nouveaux défis, et occupent un
espace plus large et plus visible. Les acteurs populaires sont désormais bien
présents sur le devant de la scène en ville et à la campagne (Ch.IV).

La continuité de l’économie populaire qui est l’axe de ce travail renvoie aux


différents facteurs qui historiquement ont permis le passage de l’économie
communautaire à l’économie populaire. On a montré le rôle central joué par le
fokonolona historique dans cette évolution, où se conjuguent changement et
continuité. A travers le rôle et le fonctionnement du fokonolona dans le cadre
local, on peut observer des pratiques économiques et des pratiques sociales
connues des temps antérieurs et qui continuent d’exister jusqu’à l’époque
présente. Le fokonolona vit dans le cadre qu’il définit lui-même comme la
« norme » selon sa logique, dont la base est la recherche permanente d’une sorte
d’harmonie à l’intérieur de la société locale, et d’une harmonie entre la société
locale et son milieu. L’évolution y est lente puisque la population est fortement
imprégnée de ses habitudes d’une part, et d’autre part, toutes les innovations et
nouveautés sont vues comme risquant d’aboutir à des conflits sociaux. Le
fokonolona est en ce sens le socle historique de l’auto-contrôle social au niveau
local, du mode de vie, et du mode de pensée de la société malagasy. Les
nouveautés sont ainsi triées et celles qui ne correspondent pas à la « norme » de
la société sont exclues afin de ne pas perturber l’ordre déjà établi depuis des
générations et l’équilibre social. Cette vision est très présente au sein du monde
rural, encore aujourd’hui. Le fokonolona fait le choix de ce qu’il maintient ou de
ce qu’il ne maintient pas au sein de la communauté. Le but est de maintenir
l’équilibre entre les éléments vitaux de la reproduction de la collectivité (Ch.V).

On peut représenter les interactions entre ces éléments par le petit schéma ci-
dessous.

109
Fig.11.Economie populaire en milieu rural

Economie populaire

Pratiques économiques Pratiques sociales


Au niveau du fokonolona

Matérielle Non matériel, spirituel


(maisons, terres, bétail) (vie éternelle, sociabilité)
construction de tombe et famadihana

Tanindrazana

L’économie populaire en milieu rural n’a rien à voir avec ce qui est de
l’économie « hors-la-loi »216 ou de la « seconde économie »217, voire encore
de « l’économie souterraine » ou « clandestine », que l’on retrouve dans les
différentes approches du secteur informel. Elle reflète toute une vie séculaire de
la communauté, celle du fokonolona qui fonctionne selon une règle de conduite
bien à lui, établie il y a bien longtemps et qui n’est pas à confondre avec la
rationalité du monde occidental. Cette règle de conduite détermine le cadre des
activités économiques à effectuer, le cadre des relations sociales de la
communauté selon les interdits fady, et tout ce qui peut se faire ou non dans
chaque région ou localité. C’est ainsi que chaque village a ses propres activités
hormis l’agriculture et l’élevage, communs à tous les paysans malagasy et qui
font partie bien évidemment de leurs pratiques économiques courantes. Ces
activités existent et continuent d’exister à travers des générations puisqu’elles
répondent aux besoins courants de la communauté.

216
De VILLERS G., « Le pauvre, le hors-la-loi, le métis », Les Cahiers du CEDAF, n° 6, 1992, pp. 7-16.
217
MACGAFFEY J., Entrepreneurs and parasites. The struggle for indigenous capitalism in Zaïre,
Cambridge, Cambridge University Press, 1987, p. 23.

110
Comme on a tenté de le montrer tout au long de cette étude, l’économie
populaire urbaine répond à la même logique, même si les conditions sont
différentes et les contradictions plus fortes. (Ch.VI).

Fig.12.Économie populaire en milieu urbain

Economie populaire

Pratiques économiques

Pratiques sociales au niveau


du fokontany

(vie matérielle vie non matérielle, spirituelle


urbaine (vie éternelle, sociabilité)
construction de tombe, Famadihana

Tanindrazana

Le phénomène de continuité de l’économie populaire peut être observé à travers


les deux schémas. Il est applicable pour les périodes anciennes, du temps des
royaumes jusqu’à nos jours, car les pratiques économiques et les pratiques
sociales sont indissociables du mode de vie mené par la population tout au long
de ces périodes. Il y a de part et d’autre une référence centrale tant pour la
population du monde rural que celle du monde urbain : il s’agit du tanindrazana.

Les générations qui se sont succédées depuis le temps des royaumes, jusqu’à nos
jours ont maintenu leur attachement pour leur tanindrazana qui est au cœur des
stratégies économiques et sociales des acteurs populaires.

On a évoqué le fokonolona dans cette étude comme l’axe central de l’économie


populaire. Le fokonolona représente l’acteur collectif populaire. Le centre
d’intérêt de la recherche sur l’économie populaire repose sur la connaissance de
cet acteur collectif qui s’exprime à travers une institution originale : le
fokonolona vu non plus comme un simple élément de manipulation politique par
les autorités étatiques, depuis l’époque du royaume merina jusqu’à aujourd’hui,
mais comme un acteur collectif qui en réalité maintient son rôle quelles que

111
soient les circonstances. Le fokonolona « réel » est en fait le principal acteur
populaire collectif qui a transmis de génération en génération des modes de vie
qui ont su s’adapter aux difficultés socioéconomiques rencontrées par la
population tout le long des périodes de l’histoire du pays, depuis le temps des
royaumes merina, de la période coloniale et jusqu’à l’époque récente. Le poids
du fokonolona dans la société malagasy et l’importance qu’on lui accorde
jusqu’à nos jours démontre que l’étude de l’économie populaire en longue
période n’est pas à séparer de l’étude du fokonolona en longue période.

L’économie populaire est ainsi véhiculée par le fokonolona, aussi bien par le
fokonolona paysan en milieu rural, que par le fokonolona du monde paysan qui
s’est transposé en ville et qui n’est plus identique au fokonolona rural.

L’observation de toutes ces réalités et de leur interaction est à mettre en rapport


avec les nouvelles tendances dans la pensée sur le développement qui se sont
faits jour dans les années 1990.

Le développement y est vu comme le processus durable de construction et de


gestion d’un territoire, à travers lequel la population de ce territoire définit, au
moyen d’un pacte socio-politique et la mise en place d’un cadre institutionnel
approprié au contexte, son rapport à la nature et son mode de vie, consolide les
liens sociaux, améliore son bien-être et construit une identité culturelle qui a sa
base matérielle dans la construction de ce territoire218.

On peut remarquer dès lors que, si toutes les analyses conventionnelles du


développement en terme de croissance économique voient dans Madagascar un
cas qui est loin de correspondre aux critères d’une modernisation réussie, par
contre l’expérience malagasy de développement satisfait la plupart des critères
du développement énoncé dans la définition ci-dessus. Et c’est le fokonolona qui
est historiquement le lieu de construction et d’intégration des différents éléments
invoqués comme composantes du développement.

4. Pratiques populaires, fihavanana, réciprocité et réseaux.

On a déjà montré ci-dessus que la vie des fokonolona ruraux a pu maintenir une
large autonomie à travers l’histoire longue, même s’il y a eu des périodes
pendant lesquelles des autorités supérieures ont tenté d’en prendre le contrôle.

Dans le cadre de cette autonomie, les pratiques économiques dans l’économie


populaire sont étroitement liées aux pratiques sociales des acteurs populaires à la
campagne. Elles ne sont pas soumises directement aux contraintes de l’Etat ni
d’un quelconque organisme, sauf quand il s’agit de pratiques exceptionnelles
comme l’abattage des arbres où les paysans sont obligés de payer un droit auprès
des bureaux forestiers. L’Etat n’a pas d’emprise directe sur les pratiques
économiques et les activités des milieux ruraux.

218
PEEMANS J.PH., Le développement des peuples,..,op.cit., p. 477.

112
Tous les échanges qui se déroulent dans le cadre rural sont spontanés et ne
nécessitent aucune participation financière et fiscale. La participation aux
marchés hebdomadaires dans les régions rurales n’exige que le droit d’utilisation
de l’endroit ou haban-tsena. Le rôle du fokonolona est de solliciter tous les
paysans de participer, d’apporter leurs récoltes et d’animer le marché. La
concurrence est moindre en milieu rural qu’en milieu urbain étant donné que
chaque ménage est limité par le fait de partager le même territoire, la même
famille et est lié par un rapport social fort aux autres membres du village.

La réciprocité dans les pratiques sociales est primordiale et s’il n’y a pas de
réciprocité, la solidarité n’a pas de sens. Cette réciprocité est littéralement vécue
dans le monde rural selon sa logique sociale et culturelle. C’est ainsi que toutes
les pratiques économiques effectuées sont fortement liées aux pratiques sociales
dans tous les domaines. Les pratiques qui ne sont pas monnayées reçoivent en
retour d’autres services non marchands. Le respect de cette réciprocité fait le
fihavanana dans le milieu rural. Cela ne veut pas dire qu’elle est gratuite. La non
participation d’un individu à des travaux d’intérêt collectif ou le non paiement
d’un adidy au sein de la collectivité l’écarte de toute la logique communautaire
et donc l’exclut des privilèges auxquels donne droit l’appartenance à celle-ci. Si
un décès survient dans un des foyers du village, ou une naissance s’annonce,
c’est tout le village qui s’en occupe. Et ainsi de suite.

Cette réalité sociale forte amène à relativiser fortement la notion de pauvreté. La


pauvreté est une vision de l’extérieur car les gens appelés pauvres dans le cadre
de cette étude ne se classent pas eux-mêmes comme pauvres. Ils se voient
comme des gens normaux, qui n’ont pas beaucoup d’argent, dans un monde
dominé par l’argent, mais qu’ils voient comme un monde étranger. Ils ont besoin
d’argent, mais ils ne définissent pas l’ensemble de leur vie et leur statut par le
qualificatif de pauvre.

L’approche de la paysannerie en terme de pauvreté monétaire et de revenu


monétaire, est lié à la conception de la modernisation qui ne voit comme seul
critère de statut social que le revenu monétaire par tête .Une personne se définit
entièrement par son niveau de revenu, sa capacité d’acquérir des marchandises
sur le marché. D’où les controverses sur les seuils de pauvreté, toujours
exprimés en termes monétaires, parce que le seul référent est le niveau de revenu
« normal » procuré par l’insertion complète dans l’économie monétaire, ou le
bien être est proportionnel au niveau du revenu, etc.

En fait dans la réalité, on voit qu’il y a des situations très différentes de


« pauvreté ». Ainsi, on peut différencier dans le champ des petites activités, des
activités de simple survie -qui ont recours aux bricolages de la misère- qui
correspondent à des situations de « grande pauvreté », et des activités de
« subsistance » permettant une existence conforme à des normes sociales
minimales qui relèvent de la « pauvreté ordinaire »219.

219
De VILLERS G., op. cit., pp. 63-65.

113
En plus, l’économie de la pauvreté est une économie pratiquée par des pauvres
au sens sociologique du terme, c’est-à-dire, des gens qui ont des revenus faibles
et aléatoires parce qu’ils sont mal situés et sans pouvoir dans la société220, mais
aussi par des pauvres accidentels. On peut « tomber » dans la pauvreté à la suite
d’une maladie ou d’un accident ou « conjoncturels » (une situation de crise
économique, une sécheresse peuvent ruiner des catégories sociales qui
sociologiquement ne proviennent pas de l’univers de la pauvreté)221.

La question est de savoir par rapport à qui et par rapport à quoi les gens sont –ils
pauvres ? Est-ce la pauvreté matérielle et financière qui prévalent ou bien y a-t-il
d’autres caractéristiques en dehors de ces facteurs ?

Cela signifie deux choses. La première est que du point de vue des acteurs
populaires la pauvreté n’est pas un état fixe, immuable, il peut être un moment
de la vie, de la trajectoire d’une personne ou d’une famille. La pauvreté n’est pas
une catégorie statistique où l’on range définitivement une catégorie plus ou
moins grande de la population. Sinon on peut dire que 90% des Malagasy sont
pauvres. Et avec cela que savons-nous de la société malagasy et des acteurs
populaires ? Rien ou à peu près rien. Simplement que la population doit attendre
son salut de l’aide extérieure et des investissements étrangers ? La deuxième est
que la pauvreté dépend beaucoup de l’environnement social dans lequel on se
trouve. Plus cet environnement est « riche » en qualités sociales et humaines,
moins la pauvreté monétaire est un critère pertinent pour juger de la situation des
gens vivant dans un tel environnement.

D’où la notion de pauvreté revêt un caractère très relatif quand on parle de


l’économie populaire en milieu rural malagasy, car on a affaire à des pratiques
sociales qui tissent un environnement social et culturel très dense, avec la
réciprocité, l’entraide, éléments majeurs pour entretenir le fihavanana. Dans les
catégories sociales du monde rural, la notion de pauvreté est ambiguë. On fait
référence à la pauvreté quand une famille ne possède pas de terres ou encore de
tanindrazana. Ce sont des familles qui ont coupé toutes relations avec la
communauté villageoise, et donc, elles sont isolées222. Il existe des paysans qui
ne possèdent plus de tanindrazana parce qu’ils ont quitté le leur à cause de
conflits qu’ils n’arrivent pas à résoudre au niveau du fokonolona et du fokontany.
Les gens qui ont vendu leurs biens immobiliers et qui se sont installés en ville ou
à l’étranger et dont les relations avec le lieu d’origine sont coupées. Le fait de ne
pas avoir un tombeau familial peut se traduire aussi par la pauvreté. La pauvreté
est vue par les villageois surtout comme la conséquence d’une rupture du lien
social, du fihavanana.

220
LABBENS cité dans VERHAEGEN B., Femmes zaïroises de Kisangani. Combats pour la survie,
Paris/Louvain-La-Neuve, Enquêtes et documents d’histoire africaine, pp. 61-63.
221
De VILLERS G., « Le pauvre, le hors-la-loi, le métis », Les Cahiers du CEDAF, n° 6, 1992, pp. 61-62.
222
La rupture avec la communauté villageoise est l’une des situations très rares en milieu rural. Le
fokonolona prend le rôle de médiateur pour régler des conflits familiaux ou communautaires pouvant
aboutir à la rupture. À des cas extrêmes, le départ de l’un des deux côtés est sollicité afin de maîtriser
l’équilibre social.

114
Un des apports de cette étude en terme d’économie populaire a été de montrer
que la reconnaissance des acteurs populaires, notamment les paysans, comme
acteurs à part entière permet, entre autre, d’aborder autrement la pauvreté et la
paupérisation. Dans les approches traditionnelles de la pauvreté, on reconnaît
généralement que l’endettement paysan est une cause de paupérisation. Combiné
avec la faible productivité liée à la faiblesse des moyens techniques et de la
capacité d’investissement, cela suffit souvent à expliquer pourquoi l’accélération
d’une dynamique de marché aboutit à déposséder les petits paysans de leurs
parcelles de terre, ce qui devient alors un facteur aggravant de la pauvreté.

Cette approche est conforme avec la vision des pauvres comme victimes de leur
inadaptation individuelle au changement nécessaire pour soutenir un processus
de croissance. Le pauvre est inscrit en fait dans la même catégorie idéologique
que le traditionnel : il est passif ou réticent face au changement, ce qui maintient
la pauvreté de l’un et le retard de l’autre.

L’analyse des réalités rurales à Madagascar nous a montré qu’au contraire les
paysans ne sont nullement passifs. Il se fait que les aléas de leurs conditions les
obligent parfois, même souvent à aliéner une partie de leur patrimoine foncier,
voire sa totalité. Mais on a vu que l’histoire des individus et des familles ne
s’arrête pas là .Il ne s’agit que d’un moment dans l’histoire des générations.
Toute la stratégie des individus et des groupes va être de retrouver de la terre
pour reconstituer, voire élargir le patrimoine perdu ou amoindri. Et cela passe
par de multiples formes d’insertion dans le marché pour ce faire. Cela passe
aussi par la migration vers la ville pour trouver le moyen d’amasser une épargne
qui pourra permettre de reconstituer le tanindrazana dans le village d’origine. Le
processus de paupérisation n’est donc pas irréversible .Toute la stratégie des
acteurs populaires, ruraux et urbains, est de reconstituer le patrimoine foncier, ce
qui suppose de passer par le marché pour constituer un revenu et stimule aussi le
marché foncier. Cette reconstitution peut s’étendre sur plus d’une génération,
mais reste l’axe d’un comportement dont l’insertion dans le marché n’est
souvent qu’un auxiliaire.

Les familles aisées du milieu rural sont celles qui possèdent des maisons, rizières
et terres de cultures, du bétail (zébus, vaches, porc223), de la volaille et des
charrettes. Ces familles peuvent ainsi accomplir leurs obligations envers les
vivants (obligations sociales : adidy) et envers les morts, le famadihana tous les
cinq ans parce qu’elles possèdent les moyens de les accomplir ou mahavita
adidy224. Même si la famille ne dispose pas de moyens, elle arrive à épargner
pour satisfaire ces obligations. C’est une des composantes des liens sociaux qui
crée l’attachement familial et social. C’est une pratique sociale tout à fait
centrale, qui définit l’appartenance ou non à la communauté, que l’on soit pauvre

223
Le porc est interdit dans la commune de Masindray, interdit qui date des temps anciens mais respecter
jusqu’à ce jour. Dans les régions qui n’ont pas d’interdits de porc, investir dans l’élevage de porc rapporte
beaucoup d’argent. La viande de porc est mieux appréciée que celle de bœuf, d’où le prix élevé sur les
marchés.
224
Nahavita adidy ou accomplir ses obligations est un acte important pour les familles malagasy quelle
que soit leur origine. Les obligations concernent les vivants mais aussi les morts.

115
ou riche. La solidarité aidera la famille pauvre, en termes de biens matériels, à
célébrer dignement le famadihana si elle veut montrer ainsi qu’elle contribue à
entretenir la richesse spirituelle collective.

Les initiatives individuelles et collectives combinent à la fois les aspects


économiques, sociaux et les aspects culturels. L’économie populaire repose sur
des rationalités individuelles encastrées dans un ensemble de structures sociales
en perpétuelle construction et en équilibre précaire.

Aucun groupe social, aucune entreprise déterminée, pas même l’Etat, ne peut
imposer unilatéralement ni la nature ou la quantité de biens à acquérir, ni le type
d’activité à entreprendre, ni les conditions de l’échange marchand.

Le cadre de travail familial est courant dans les villes et les campagnes quand on
se rend compte de la part importante des apports familiaux en termes de capital
financier et de capital humain. L’immense majorité du capital est financée par
l’épargne individuelle, à raison de plus de 90% de sa valeur. Ce résultat montre
l’importance de l’autofinancement dans la dynamique d’accumulation de
l’économie populaire.

Dans les quartiers populaires d’Anosibe, une activité commence au sein d’une
famille et de son voisinage et se répand ensuite dans le quartier. Ainsi, il est
fréquent que les artisans travaillent, côte à côte dans les mêmes branches
d’activités (menuiserie, petite mécanique,…), et collaborent à l’achat des
matières premières afin de réduire leurs coûts ou pour assurer la
commercialisation des produits. Certains artisans exerçant des activités
différentes mais complémentaires coopèrent afin d’offrir à leurs clients des
produits de meilleure qualité.
On peut souvent observer une sorte de complémentarité entre de petites unités
concernant les équipements. Les petits producteurs valorisent pour elle-même
aussi la coopération avec d’autres producteurs, qui sont aussi des voisins, qui
partagent dans un même milieu de vie les nombreux aléas de la vie quotidienne
et de la survie d’un quartier. Le quartier urbain, comme lieu de vie et mini-
territoire, entraîne des pratiques multiformes et informelles de coopération, de
réciprocité et de solidarité, qui ne sont finalement qu’une des manifestations
d’une capacité de réinvention permanente de formes actives de sociabilité dans
des contextes changeants, mais dans le prolongement d’une trajectoire historique
séculaire.

En fait, la petite production marchande urbaine est manifestement une


composante de la production du « territoire » urbain, entendu comme lieu de
reproduction des conditions de vie des populations urbaines. L’activité
économique est aussi visiblement une composante de la production du tissu
social.

Les réalités de l’économie populaire urbaine ne peuvent pas se séparer du


fokonolona même s’il a progressivement perdu son rôle de rassembleur pour les

116
intérêts de tous. Le fokonolona se présente comme le défenseur des petites
gens225.

Selon M.Nyssens, l’économie populaire est fortement imbriquée dans les


réseaux sociaux et dans le tissu social local ; la production , la circulation et la
consommation s’y articulent au sein des réseaux de réciprocité , et qu’il s’y
développe une logique de réseau formel et informel. L’économie populaire
fonctionne selon un mode d’organisation spécifique reposant à la fois sur une
logique marchande et une logique réciprocitaire226.

Ces remarques s’appliquent bien au cas observé à Anosibe.

Le cas d’Anosibe peut être confronté aussi aux remarques faites par
F.Leimdorfer et A.Marie, selon lesquelles en milieu urbain africain, on trouve
des dynamiques combinant à la fois les logiques du lien social moderne et le lien
social communautaire.

Les raisons qu’ils invoquent pour expliquer pourquoi le processus


d’individualisation généralisé à l’occidentale n’a pas été mené à son terme, sont
de trois ordres : la faiblesse du secteur moderne qui n’a pu absorber toute la
main-d’œuvre disponible condamnée dès lors à rester dans le secteur informel ;
l’entretien de réseaux clientélistes par les régimes post-coloniaux, combinant
tyrannie et redistribution, entretenant ainsi les liens communautaires ; et enfin la
crise de l’Etat délégitimé notamment à cause de son affaiblissement suite à
l’ajustement. Selon eux, tous ces éléments ont contribué au maintien d’un lien
communautaire fort à travers des formes d’entraides devenues cependant plus
sélectives.

Pour eux cependant, le communautaire traditionnel, sur base de la famille élargie


est en crise, et il y a bien une tendance à l’individualisation, qui s’exprime
notamment par des réseaux de solidarité de type associatifs, où l’initiative
individuelle est plus grande, et où l’associatif a pour but de procurer en fait une
plus grande sécurité aux individus. Ces réseaux associatifs sont reconnus par les
auteurs comme des acteurs collectifs qu’ils voient constitutifs de l’affirmation
d’une « société civile » en gestation227.

La situation d’Anosibe et de Madagascar en général pourrait à première vue


s’inscrire dans cette perspective. Cependant l’étude qui a été réalisée ici a
montré qu’on ne doit pas nécessairement recourir à une hypothèse de tendance

225
Le fokonolona en milieu urbain n’est pas à confondre avec le comité du fokontany dirigé par un
président du fokontany qui sont les porte-parole et exécuteurs d’ordre émanant des autorités municipales
mais qui ont en même temps le rôle des représentants administratifs de la base. Son rôle est tout à fait
différent de celui du fokonolona qui s’est formé par le voisinage.
226
NYSSENS M., Quatre essais sur l’économie populaire …op.cit., pp. 80-81.
227
LEIMDORFER F., MARIE A., eds., L’Afrique des citadins. Sociétés civiles en chantier.(Abidjan,
Dakar), Paris, Karthala, 2003, pp. 12-18.

117
inéluctable à l’individualisation, inspirée par la conception de la modernisation,
pour y saisir la complexité de l’évolution en cours. Une approche historique en
terme d’économie populaire montre que les acteurs populaires ont combiné
depuis longtemps, et bien avant la période de l’Etat post-colonial, des stratégies
alliant l’intérêt individuel avec une stratégie d’acteurs collectifs. On n’y voit pas
le passage du communautaire à base lignagère à l’associatif à base individuelle,
mais une réinvention continuelle des conditions de sécurisation des acteurs
populaires, acteurs collectifs, qui depuis de longues générations ont su faire face
aux contraintes extérieures imposées par les acteurs de la modernisation royale
d’abord, coloniale, post-coloniale ensuite.

Le fokonolona a été le lieu de cette réinvention continue, et il a été capable de


s’adapter en se transformant, en intégrant de nouveaux immigrés dans la
collectivité rurale, et en maintenant des liens forts avec les émigrés urbains, qui à
la fois participent au maintien du territoire rural d’origine, tout en créant des
fokonolona d’un nouveau type en ville.

On ne peut pas voir la famille étendue malagasy seulement comme une


communauté de sang, fermée sur elle même à travers la célébration des ancêtres.
Au contraire la famille a toujours été, et est toujours plus, un groupe ouvert qui
se renouvelle à travers les mariages, l’adoption, les rapports d’amitié, l’accueil
d’immigrés, la réinsertion des émigrés de longue durée, etc., pour autant que les
nouveaux venus ou rentrés acceptent de célébrer les rites communs avec les
anciens. A. Southall n’a pas hésité à dire que les liens de descendance
appartiennent plus à la catégorie de l’aspiration (achievement) qu’à celle du
prescrit (ascription)228.

On pourrait même dire que l’insistance sur l’importance des rites est une réponse
à la dynamique de la mobilité, et à la facilité de la recomposition des liens
familiaux et de leur volatilité.

Peut être que cette capacité est le produit de l’histoire spécifique à Madagascar,
une très longue histoire de création de l’identité collective en dépit d’une forte
ouverture vers l’extérieur depuis des siècles. Le métissage, on l’a dit au chapitre
II, est un processus inhérent à l’histoire longue des Malagasy, et en même temps
il se combine avec une culture d’une très grande spécificité. Depuis longtemps le
fokonolona ne s’identifie plus seulement à la communauté lignagère, bien que
cette composante soit restée un élément fort de l’identité locale.

C’est pour cette raison que le fokonolona rural ne peut pas être étudié comme
une réalité repliée sur elle-même. Le fokonolona d’origine lignagère et
communautaire, progressivement élargi en une collectivité fondée sur un pacte

228
SOUTHALL A., Common Themes in Malagasy Culture, in KOTTAK C.P., RAKOTOARISOA J.A.,
SOUTHALL A. et VERIN P., eds., Madagascar, Society and History, Durham, Carolina Academic Press,
1986, pp. 411-426.

118
d’attachement à des valeurs communes, est inséré dans une logique de réseaux,
vastes et divers, unissant partenaires ruraux et urbains.

Dans le cadre rural, l’exemple recueilli pour le cas des petits producteurs des
villages de Masindray montre que les agriculteurs travaillent en réseau avec des
collecteurs qui viennent rassembler les récoltes. Ces réseaux sont des réseaux
sociaux car la relation est basée sur la connaissance et la confiance mutuelle.

Fig. 13.Système de réseau du producteur au consommateur229

P P P P

COLLECTEURS

D D D D

D' D' D' D' D' D' D' D'

P = Producteurs indépendants ; C = Collecteurs ;


D = Distributeurs ; D’ = Détaillants

229
Ce schéma est élaboré suivant le résultat d’enquêtes sur certains agriculteurs du fokontany de
Tsarahonenana qui font partie d’un réseau commercial qu’ils établissent en formant un partenariat avec
les collecteurs venus d’Anjeva ou d’Ambatomanga.

119
Des producteurs n’arrivent pas à écouler la totalité de leurs produits car ils ne
font pas partie des réseaux. L’accès au sein des réseaux dépend de plusieurs
facteurs dont le plus important est celui de l’entente au niveau du produit à
vendre. Le produit doit correspondre aux demandes sur les marchés. Les
producteurs doivent passer par la connaissance des membres du réseau et
accomplir certaines conditions pour se faire accepter.

Ce système de réseau est nouveau, il constitue une nouvelle façon de réinventer


les liens sociaux dans un espace élargi. Il s’est généralisé grâce au
développement du marché dans les grandes villes mais surtout dans les
provinces, notamment dans la partie Est du pays pour le cas de la commune
rurale de Masindray qui est beaucoup plus ouverte aux marchés de l’Est que
ceux de la capitale ou ceux du fivondronam-pokontany Antananarivo
Avaradrano.

Les réseaux au niveau de l’économie populaire sont une nouvelle forme de


continuation des pratiques économiques qui se sont développées
antérieurement ; ces réseaux représentent une image de la dynamique existante
au sein de la population, une dynamique sociale mais aussi une dynamique
économique qui est à la base de l’interaction villes-campagnes.

C’est grâce à ces réseaux que les multitudes d’activités d’unités de production
recensées dans l’économie populaire dans la capitale sont reliées aux vadin’asa
dans les milieux ruraux, qui jusqu’à présent, fonctionnent et permettent à des
milliers de ménages ruraux de subvenir aux besoins de leurs familles. C’est
notamment grâce à la vitalité de ces réseaux et à la sécurité qu’ils procurent, que
l’accès au progrès technique, apporté de l’extérieur, n’inspire pas nécessairement
les gens en milieu rural, du fait qu’ils sont obligés de prendre d’énormes risques
pour des résultats aléatoires, et sous l’égide d’intervenants avec lesquels ils n’ont
aucun moyen ni désir de fonctionner en réseau.

Entre les producteurs de l’économie populaire rurale et urbaine se développe une


logique de réseau qui engendre « le développement d’un processus de
socialisation au sein de l’économie à partir des communautés. L’économie
populaire s’inscrit donc dans le développement local et communautaire dans son
ensemble »230. On ne peut séparer son fonctionnement de cet environnement, ni
son identité du milieu populaire.

5. Acteurs populaires, culture de la mémoire, sectes et religions

Le fihavanana n’est pas nécessairement véhiculé par le lien de sang et le lien de


parenté. Le fihavanana est aussi construit à partir des liens de voisinage, dans les
230
LARRAECHEA I., NYSSENS M., L’économie populaire : au-delà du secteur informel, vers un
secteur d’économie populaire du travail et de la solidarité ? Regard métis, vol 3, 1994, p. 123.

120
réseaux. Il régule les tensions dans les relations sociales au sein de l’économie
populaire. En d’autre terme, il est le filet de sécurité de la société.

À côté du fihavanana, il existe un autre régulateur du lien social : la crainte de la


population malagasy devant le tsiny et le tody c’est-à-dire, les reproches, blâme
et le retour des choses231 de la part de quelqu’un, mais aussi par rapport aux
ancêtres. C’est pour cela qu’il y a un grand respect des normes établies par la
société. Les mauvaises récoltes, la maladie, un échec quelconque dans la vie
peuvent être interprétés comme infligés par les tsiny et tody.

On doit rappeler ici le rôle central joué par le famadihana dans la reproduction
de la culture populaire. On l’a déjà dit le famadihana est relié au besoin
permanent de réaffirmer le lien entre les vivants et les morts, et pour cela d’être
toujours approuvé par les ancêtres dans les comportements de la vie sociale et
individuelle. Autour du famadihana se noue et se renforce le fihavanana, les
relations imaginaires au sein de la grande famille entre les gens, les vivants, et
entre les vivants et les morts de différentes origines, mais habitant dans un même
village ou quartier.

En fait le famadihana est au cœur de la culture de la mémoire qui est sans doute
un des éléments qui fait la résilience de la culture malagasy, particulièrement
dans les couches populaires.

Des études anthropologiques récentes ont montré combien la construction de la


mémoire historique est un élément central dans le maintien de l’identité des
acteurs populaires, particulièrement de la paysannerie, à Madagascar. A travers
un travail permanent et conscient, les acteurs populaires parviennent à
réincorporer une grande partie des influences extérieures subies en une partie du
patrimoine culturel commun. Au lieu d’être vécu comme des éléments venus ou
imposés de l’extérieur, ils sont redéfinis à l’intérieur de la culture forgée
collectivement depuis des siècles. La construction collective de la mémoire des
ancêtres, imaginés ou réels, est au cœur de ce processus permanent et toujours
d’actualité.

Dans ses études sur les Betsimisaraka, J. Cole montre que ceux-ci ont maintenu
leur identité malgré les tentatives anciennes de les coloniser politiquement et
culturellement. Les Français ont essayé délibérément de transformer le rapport
au monde des Betsimisaraka, notamment en leur imposant des regroupements
forcés, des migrations obligées, de nouvelles techniques de construction de
l’habitat et de nouveaux principes d’aménagement des villages. Les populations
se sont rarement opposées de force à ces tentatives, mais elles ont élaboré des
procédures de neutralisation symboliques de ces intrusions extérieures. Les rites
de possession qui se perpétuent sont une expression de la mémoire collective qui
montre une conscience aiguë de l’impact des forces extérieures sur la situation
socio-économique locale, et cherche à circonscrire cet impact232.

231
RAISON-JOURDE F., Bible et pouvoir à Madagascar…, op. cit., pp. 828-829.
232
COLE J., Sacrifice, “Narrative and Experience in East Madagascar”, Journal of Religion in Africa, 27,
4, 1997, pp. 401-425.

121
Tous les évènements extérieurs du dernier siècle, liés aux tentatives d’intrusion
extérieure dans la vie locale, tentatives coloniales et post-coloniales, sont
effacées ou banalisées, à travers une narration où ne comptent finalement que
l’histoire des ancêtres et les éléments qui assurent la reproduction des conditions
de la vie villageoise. Les effets de la domination étrangère ou extérieure sont
neutralisés à travers un ensemble de rites qui permettent de les réincorporer
comme un acquis qui ne perturbe pas le long cours de l’histoire de la collectivité.
Dans tout ce qui a pu être réincorporé sans perturber l’équilibre de la collectivité,
on efface le souvenir des évènements malheureux ou horribles.

Seuls les évènements qui n’ont pas pu être maîtrisés sont remémorés avec
vivacité si se reproduit un événement nouveau qui menace la collectivité. Par
exemple, les élections du début des années 1990, loin d’être vécues comme un
espoir d’évolution vers la démocratie, comme le présentaient les observateurs
étrangers ont été vécues, comme une grande menace du retour de l’Etat dans les
affaires locales, alors que la période précédente de l’affaiblissement de l’Etat
avait été vécu comme positive, car permettant une réaffirmation de l’autonomie
locale. Les élections ont été vécues comme le retour d’une menace, comme celle
de la répression après l’insurrection de 1947, pendant laquelle les forces
coloniales avaient perpétré de nombreux massacres et brûlé complètement de
nombreux villages. Ce souvenir de l’Etat répressif, auquel la population n’a pas
pu opposer à l’époque une résistance effective, est alors rappelé pour exprimer
une nouvelle forme de résistance face à ce qui est vécu comme une menace
similaire233.

La plus grande partie des rites et des sacrifices qui jalonnent les saisons ont pour
but de créer une mémoire collective du passé ancestral, qui résiste à tout, et où la
participation de chacun est nécessaire pour montrer une adhésion active aux
principes de l’ordre social.

Comme le souligne Lambek, à Madagascar, le processus actif de la


mémorisation n’est jamais une expression individuelle, mais l’occasion de
réaffirmer les relations avec les autres234.

Dans tout le processus de construction permanente de la mémoire collective,


réaffirmée à travers de multiples rites collectifs, la vision est celle d’une dualité
entre le village et le monde extérieur. Les apports extérieurs peuvent être
acceptés, mais ils doivent être resocialisés dans le patrimoine de la communauté,
à travers des rites appropriés. Encore aujourd’hui un émigré, un militaire qui
reviennent au village, après une longue absence, se soumettent à un rite de
purification, pour montrer leur volonté de réintégrer la communauté et de leur
conscience de la frontière avec le monde extérieur. Les villageois sont cependant

233
COLE J., “The Work of Memory in Madagascar”, American Ethnologist, 25,4, 1998, pp.610-633
234
LAMBEK M., “The Past Imperfect : Remembering as Moral practice” , in ANTZE P. and LAMBEK
M., eds., Tense Past: Cultural Essays in Trauma and Memory, New York, Routledge, 1996, pp. 235-254.

122
toujours liés au monde extérieur, et y participent sans problèmes, à travers le
marché et la migration. Mais ils tiennent à réaffirmer la séparation entre des
mondes parallèles. Il en est de même pour le monde du savoir où une distinction
claire est faite entre ce qui est le savoir ancestral de la collectivité (fahendrena) à
préserver, et le savoir acquis (fahaizana) à travers le système scolaire qui est vu
comme pouvant être utile dans certaines circonstances.

C’est à travers ce processus culturel permanent que les Betsimisaraka sont


parvenus à faire une subversion des éléments imposés de l’extérieur à l’époque
coloniale, et à maintenir leur autonomie, tout en ne donnant pas l’impression
d’une résistance ouverte.

Divers auteurs ont mis récemment en valeur ces aspects de résistance culturelle
comme un trait caractéristique de la culture populaire malagasy qui a su
préserver ainsi son autonomie face aux offensives culturelles tant du pouvoir
colonial que des élites modernisatrices post-coloniales235.

Ce trait est évidemment constitutif de l’identité des acteurs populaires, bien loin
d’être de simples agents économiques d’un secteur informel en attente d’une
modernisation aidée de l’extérieur. Malgré des crises multiples et multiformes, la
grande majorité de la population rurale et urbaine a pu montrer sa capacité de
résistance, grâce à son ancrage dans les valeurs populaires séculaires.

Même si Madagascar est sous développé économiquement, le pays est développé


à d’autres niveaux, notamment l’attachement aux valeurs sociales et culturelles.
Jusqu’à maintenant, l’attachement à ces valeurs a montré sa force de résistance
et a permis à l’ensemble de la population de ne pas sombrer tout en gardant avec
confiance une vie meilleure dans l’avenir. C’est une autre manière de percevoir
l’avenir. 90% de la population vivent avec le même point de vue, ce qui a permis
cette résistance de l’économie populaire, qui malgré les tergiversations et les
perturbations provoquées par des facteurs externes, persiste à pratiquer les
traditions ancestrales.

C’est ainsi que le christianisme et les sectes religieuses n’ont pas pu détruire les
pratiques et les valeurs traditionnelles qui sont toujours bien présentes dans le
mode de vie de la population rurale et population urbaine, quoique le
christianisme ait une longue histoire avec l’implantation des églises protestantes
et catholiques dans les villages merina depuis la moitié du XIXe siècle. Ce qui
n’a pas entraîné la suppression des cultes des sampy royaux et les pratiques
coutumières ancestrales. Un syncrétisme en est sorti avec comme composante
une formidable « pensée hybride », un « bricolage » social et culturel, mais qui
fait la différence entre les deux tendances et leurs apports respectifs (Ch.VII).

235
Cfr. LARSON P., “Capacities and Modes of Thinking : Intellectual Engagements and Subaltern
Hegemony in the Early History of Malagasy Christianity” , American Historical Review,102,4, 1997, p.
969-1002 ; SHARP L., Playboy Princely Spirits of Madagascar: Possession as Youthful Commentary and
Social Critique, Anthropological Quarterly, 68, 2, 1995, pp. 75-88.

123
Madagascar montre que donc la pénétration religieuse étrangère, notamment
celle des églises protestantes, ne s’est pas soldée par un abandon des pratiques
culturelles ancestrales. Ce qui permet de se demander si l’invasion récente des
sectes, et que certains voient comme une nouvelle menace sur l’identité
culturelle, aura à long terme un autre effet que celui de susciter un nouveau type
de syncrétisme. On a vu suffisamment que dans la société malagasy la pratique
religieuse n’est qu’un élément d’un ensemble culturel plus vaste, qui lui-même
est indissociable d’un ensemble de pratiques sociales vécues quotidiennement.
Le religieux à cause de cela ne peut à lui seul se présenter comme une alternative
globale, pouvant se substituer à toutes ces pratiques entrelacées, et dont le rejet
de l’ensemble signifie la mort sociale pour celui qui s’y risque. Les membres des
sectes les plus radicales ne peuvent se couper des obligations du fokonolona où
ils vivent et d’y pratiquer le fihavanana. Mais ce thème dépasse largement le
champ de cette étude, même s’il concerne bien le cœur des pratiques
populaires236.

6. Le caractère symbolique du territoire, le local et le tanindrazana

En étudiant les cas de Masindray et d’Anosibe, on a pu montrer combien la


dimension territoriale est importante dans ce que sont les pratiques des acteurs
populaires. Le fokonolona rural et urbain est bien un territoire, un lieu où se
construit l’identité. Une identité qui n’a rien de statique et de figé, on l’a vu,
mais qui s’accommode bien de la mobilité, du mouvement, du changement.
C’est autour de ce lieu que s’articulent les différentes composantes
économiques, sociales et culturelles de l’identité. La terre tanindrazana joue un
rôle central dans cette articulation, et son rôle ne se limite pas à être un simple
support de l’activité agricole. Elle est le lieu où se construisent et se
reconstruisent les tombes familiales. C’est autour de la terre que se construit
l’identité, notamment parce qu’elle est le lieu de la mémoire. Les arbres, les
bosquets, les pierres, les cours d’eaux sont toujours associés à la mémoire d’un
ancêtre plus ou moins lointain. Les paysages sont ainsi des lieux de mémoire
dans pratiquement tous leurs éléments. Les tombes elles-mêmes sont les
composantes majeures de ce paysage. A la fois parce qu’elles sont vastes, et que
leur construction a une durabilité plus importante, par le matériau employé, que
le plupart des maisons d’habitation. Le paysage est donc le lieu vivant de la
rencontre permanente entre les morts et les vivants237.
Le lien social englobe à la fois les morts et les vivants, les liens entre ceux-ci
passent par la réinsertion continue du souvenir fahatsiarovana des premiers qui
leur donnent force et vitalité pour accomplir ce qui doit être fait pour le bien de
tous238.

236
Sur ce sujet voir la contribution de P.-J.Laurent dans le cas du Burkina Faso : LAURENT P. J., Les
pentecôtistes du Burkna Faso, Paris, Karthala, 2003, pp. 17-18.
237
GRAEBER D., “Dancing with Corpses reconsidered: an interpretation of famadihana (in Arivonimano,
Madagascar)”, American Ethnologist, 22, 2, 1995, pp. 258-278.
238
COLE J., “The Work of Memory…”op.cit. , p. 614.

124
L’aspect symbolique est donc essentiel dans la notion de territoire. Ce dernier est
bien un espace public parce qu’il est le lieu de mémoire collective. La hiérarchie
des tombes dans le territoire est le reflet de la hiérarchie familiale et sociale dans
le village. En même temps dans l’histoire et le présent de Madagascar, à cause
de ces aspects, le véritable territoire producteur d’identité est le territoire rural,
c’est lui qui doit produire de l’identité. Le territoire urbain gagne en importance,
mais il reste quand même pour la plupart un lieu de passage, avant de retourner
vers le tanindrazana rural.

La reprise symbolique du contrôle du territoire, même quand la forme de ce


dernier a été imposée par un intervenant extérieur est toujours vue comme
essentiel pour maintenir le lien social. Dans le cas d’Ambodiharina, le pouvoir
colonial avait imposé la construction d’une route coupant le village en deux. Ce
choix était vu comme réellement sacrilège par les villageois, puisqu’il détruisait
l’unité du village. Finalement une procédure rituelle a été inventée pour remédier
symboliquement à la coupure : lorsque un sacrifice cérémoniel est accompli par
une famille située d’un côté de la route, elle veillera toujours à inviter comme
témoins les représentants d’une famille située de l’autre côté de la route.
Procédure invisible à l’occupant, mais qui assure au niveau symbolique l’unité
du territoire. Le rite se poursuit ainsi jusqu’aujourd’hui239.

Le tanindrazana occupe une place centrale dans le fondement de l’identité


territoriale d’une collectivité qui fonctionne comme acteur collectif en tant que
fokonolona. Le tanindrazana se construit à partir de trois fonctions : l’habitat, les
tombes des ancêtres, et les champs ou rizières.

D’abord la présence des maisons d’habitation, en tant que lieu de vie. Les maisons
sont construites côte à côte orientées vers le nord dans le souci de préserver les
relations et la cohésion sociales et respecter l’orientation cardinale.

Ensuite, le tanindrazana en tant que lieu d’origine des ancêtres et lieu de


destination finale, les tombeaux familiaux y sont construits, suivant les
recommandations des mpanandro. La construction de tombeau est un élément
majeur dans la construction du tanindrazana.

Enfin, sur le tanindrazana même se trouve le lieu de production. Les champs de


cultures sont situés sur les tanety et les rizières dans les bas fonds.

La multifonctionnalité du tanindrazana est donc un élément majeur pour


comprendre que les gens font bien la distinction entre les différentes fonctions des
différents endroits, mais aussi que toutes les fonctions doivent être réunies pour
définir le sens réel du tanindrazana. Les acteurs populaires ont le sens du
territoire. À partir de ces trois fonctions, le tanindrazana représente un avenir sûr
pour les familles. Ces trois fonctions sont étroitement liées par le rôle des acteurs
qui mettent en valeur l’intérêt du lien social au sein du village. Cette socialité tient

239
COLE J., idem, p. 621.

125
compte du lien de parenté qui existe entre les habitants du village, mais aussi des
liens de voisinage qui est élément d’unité. Toutes les stratégies de vie et de survie
au tanindrazana visent la reproduction de la famille paysanne dans la collectivité
villageoise. Les paysans sont ainsi obligés de veiller à ce que ce territoire soit le
centre d’intérêt de tous les domaines, du point de vue économique,
socioéconomique et socioculturel.

L’utilisation de l’espace à la campagne répond aux trois critères de la construction


du tanindrazana. En outre le tanindrazana, par sa nature même, est l’espace
territorial où l’économique et le social sont indissociables. Il existe une forte
articulation entre la dimension territoriale de l’économie populaire, sa dimension
sociale et son insertion dans le marché, dans le cadre du fokonolona.

Les marchés locaux ou tsena qui se trouvent principalement à l’entrée des villages
jouent aussi un rôle très important en termes d’échange et de rencontre. D’ailleurs,
ce fut le rôle initial du tsena. Ces endroits du marché ne sont pas d’ailleurs
destinés exclusivement aux échanges et au commerce, ils gardent jusqu’à nos
jours le rôle qu’ils avaient bien longtemps comme point de rencontre des
populations des régions différentes, c’est un lieu d’animation. C’est au marché que
hommes et femmes se rencontrent pour fonder un foyer. La diversité du rôle des
marchés dans les régions rurales ne permet pas de rendre les activités marchandes
formelles, réglementaires, ou simplement réduites à leur rôle économique. C’est
ainsi que souvent se déroulent au tanindrazana des festivités d’ordre culturel et
rituel. Ces cérémonies ne se limitent pas seulement à l’accomplissement des rites
coutumiers, mais permettent à tout un chacun d’apporter sa participation par le
biais de ses activités économiques et d’exprimer visiblement sa solidarité avec la
communauté. Le marché est aussi un lieu central de la sociabilité populaire. Il
fonctionne comme espace public.

J. Habermas définit l’espace public comme un « débat à l’intérieur d’une


collectivité, d’une société ou entre l’une et l’autre. Il rythme la vie politique (et
sociale) d’une société. Mais c’est aussi un lieu de confrontation de pratiques
sociales où s’exerce la culture comme ensemble de manière d’être, de faire, de
dire et de penser, comme ensemble d’attentes à l’endroit des autres »240. Bien que
loin de la modernité accomplie, le fokonolona et le tazindrazana malagasy
historiques accomplissent ensemble ces fonctions.

Selon B. Declève « un des enjeux de la production de l’espace est d’introduire une


culture de l’espace public qui induise des comportements citadins et qui favorise
l’arbitrage citoyen entre les différents usages publics de l’espace »241. A
Madagascar, cette sociabilité est autant à mettre en relation avec les
comportements ruraux dans le cadre de la construction du tanindrazana, qu’avec
les comportements citadins dans la construction du territoire dans un quartier
urbain.

Pour le cas d’Anosibe, les populations d’origine différente qui se trouvent à


Anosibe ont créé leur propre territoire par le fait de partager le même lieu pour la
sécurité commune. Même s’il n’y a pas d’espace public de qualité, matérialisé et
240
HARBEMAS J., L’espace public, Paris, Payot, 1978.
241
DECLEVE B., Scénographie des projets d’espaces publics urbains, URBA, UCL, Louvain-La-neuve, 2004.

126
organisé dans le sens que les Occidentaux l’ont conçu, il existe une conception de
l’espace public à partir d’un lien de convivialité tissé par la création d’un
fokonolona limité dans l’espace. L’objectif commun est de travailler et gagner de
l’argent pour le bien être de chacun et de subvenir aux besoins de la famille dans
le territoire et cela suffit à créer un espace de convivialité pour tous. L’aspect
physique de ce dernier est indissociable du lien social.

En dernière instance, c’est l’examen concret du rôle du tanindrazanna comme


espace d’intégration entre les composantes économiques, sociales et culturelles du
fokonolona qui permet de prendre ses distances avec une approche des populations
concernées seulement en terme de pauvreté. Même si leur performance n’est pas
élevée en termes des seuls indicateurs économiques, les membres d’un
fokonolona, où le tanindrazana remplit de manière satisfaisante ses fonctions, sont
les acteurs d’un mode de développement d’une richesse humaine élevée.

7- Les acteurs de l’économie populaire : le fokonolona et le genre

Femmes et hommes tant en milieu rural qu’en milieu urbain sont des acteurs
fortement impliqués dans l’économie populaire. Les travaux d’enquêtes dans les
chapitres V et VI ont montré le rôle respectif des femmes et des hommes. Quand
on étudie l’économie populaire, on ne peut pas ne pas parler des femmes. La place
des femmes dans la société malagasy est à comprendre à partir de la
culture traditionnelle : la subordination, les femmes sont toujours après les
hommes. Quand elles se marient, elles suivent leurs époux ou manarabady. Mais
cette subordination n’est d’une certaine façon qu’apparente dans la mesure où
elles détiennent des rôles importants et des responsabilités importantes dans la vie
sociale et économique. La femme malagasy joue un rôle important dans les
milieux populaires, aussi bien à la campagne qu’en ville.

Les femmes ont une manière spécifique de gérer à la fois, dans un temps morcelé
le productif et le reproductif242 parce qu’elles interviennent majoritairement dans
les activités pour subvenir aux besoins de la famille, tout en jouant un rôle central
dans la production et dans la reproduction des liens sociaux. Les activités des
femmes populaires concernent à la fois le travail agricole de subsistance dans les
champs de cultures, à la rizière, le soin des animaux, l’artisanat domestique, le
ménage dans les foyers, et les femmes paysannes utilisent une plus grande partie
de leur temps à travailler que les hommes.

La gestion du foyer, la répartition du budget et des ressources, la gestion du


patrimoine individuel et commun dans les ménages sont variées d’une région ou
d’une ethnie à l’autre.

Le vécu quotidien des femmes malagasy du milieu urbain et rurale rejoint le


propos de I.Yepez et S. Charlier selon qui « par les pratiques populaires, les
femmes participent au développement local et il existe une spécificité dans les

242
YEPEZ I., CHARLIER S., « Genre et pratiques populaires des femmes : contradictions et enjeux », atelier 4
du Forum, Une solidarité en actes. Gouvernance locale, économie sociale, pratiques populaires face à la
globalisation, Louvain-La-neuve, UCL presse universitaire de Louvain, 2004, p. 302.

127
pratiques économiques des femmes »243. Elles ne suivent pas une logique qui est
liée seulement à l’augmentation des revenus mais elles participent à plusieurs
logiques qui peuvent répondre à des besoins individuels ou collectifs. Ainsi les
femmes sont au centre de la cohésion sociale tant en milieu urbain qu’en milieu
rural244.

L’analyse des pratiques d’économie populaire faite en Amérique latine et en


Afrique peut être aussi appliquée sur le cas de Masindray et d’Anosibe. Dans les
rapports de production et d’échanges, les femmes montrent des capacités
relationnelles, elles privilégient la création et le maintien de relations multiples245.

Elles utilisent de ce fait une série de moyens différents pour construire et


entretenir des relations sociales, que l’on pourrait qualifier de « société de
réseau ». On a constaté ces initiatives parmi les acteurs populaires à Masindray et
à Anosibe. Par la mise en honneur des fomba au sein du village notamment, le
famadihana est l’un des moyens pour satisfaire plusieurs demandes à la fois,
individuelle, familiale et communautaire. Un rôle central au niveau symbolique est
joué par les femmes dans les cérémonies de famadihana : on leur remet les
reliques des morts qu’elles placent sur leur giron, comme si elles berçaient des
nouveaux-nés, symboles de leur place vitale dans la reproduction et le maintien de
la vie, dans le maintien du fil des relations entre les vivants et les morts246.

Les femmes ont une place centrale dans les pratiques que les acteurs populaires,
en ville et à la campagne, utilisent afin de préserver les relations en nourrissant du
fihavanana. La participation aux obligations familiales adidy et sociales, et plus
récemment la participation des gens dans le cadre des groupements de base sont à
attribuer prioritairement aux femmes. Les femmes prennent le rôle principal dans
l’accomplissement des adidy.

Dans les pratiques économiques, les femmes accèdent à la fois aux marchés
locaux et aux marchés régionaux, quand elles vont dans la capitale pour vendre les
produits agricoles et artisanaux. Mais pour faire face aux périodes de soudure,
elles conservent toujours une part de la production agricole pour assurer la
consommation de la famille et aussi pour écouler par le biais de troc entre les
voisins et les familles. Les familles en ville comptent sur elles aussi.

Elles jouent ainsi un rôle central dans les pratiques de sécurisation matérielle,
psychologique, culturelle et sociale des familles et des collectivités locales.

C’est dans ce sens que I. Yepez et S. Charlier expliquent que « les initiatives
économiques des femmes font partie d’un tout où s’entremêlent économie, culture
et socialité, où cohabitent accumulation monétaire et accumulation
« relationnelle » régie par le principe de réciprocité, où la rationalité socio-
économique n’est pas dissociable de l’ensemble de la socialité »247.

243
YEPEZ I., CHARLIER S., op. cit., p. 302.
244
LORA C. « L’expérience de cuisines populaire au Pérou », in Solidarité en actes. Gouvernance locale,
économie sociale, pratiques populaires face à la globalisation, op.. cit., pp. 309-322.
245
YEPEZ I., CHARLIER S., op. cit., pp. 300-301.
246
GRAEBER D., « Dancing with Corpses…, op.cit., p.270
247
YEPEZ I., CHARLIER S., Idem, p. 303.

128
Les réalités des rapports de genre à Madagascar, illustrent les positions de
analystes qui insistent sur les éléments d’innovation que portent les pratiques
d’économie populaire : par les nouvelles formes d’action politique où s’articulent
différemment vie privée et sphère publique, permettant la constitution des
nouveaux mouvements sociaux autour des problèmes liés à la reproduction sociale
et au droit à une vie digne pour les êtres humains. A Madagascar, l’acteur femme
populaire joue un rôle déterminant pour résoudre les problèmes liés à la précarité
de la vie quotidienne, tout en tissant en même temps des liens sociaux au niveau
local.

8- L’économie populaire et l’articulation villes-campagnes

Dans ce point, il a paru important de rassembler les constatations faites dans


d’autres parties de cette étude concernant les relations entre villes et campagnes. Il
a semblé intéressant de les remettre dans une perspective cohérente avec les autres
éléments concernant l’identité des pratiques populaires. La mise ensemble de tous
ces éléments permet en effet de voir que l’observation des pratiques populaires
rurales et urbaines et des liens qui les unissent, donnent une toute autre image des
rapports villes-campagnes que l’image fournie par les théories de la
modernisation.

L’économie populaire renferme une double identité qui se réfère à des modes de
vie et pratiques économiques et sociales différentes mais conciliables. L’acteur
populaire rural et urbain possède une double identité. Cette double identité relève
de deux mondes juxtaposés, celui des sociétés rurales qui vivent toujours avec des
moyens traditionnels, mais sont insérées aussi dans le monde moderne, et celui des
sociétés urbaines, qui en fait sont entre le monde rural et le monde urbain. En
combinant les anciennes pratiques à celles empruntées à la modernité, et venues de
la ville, les paysans se mettent à renouveler leur style de vie et leur mode de
production. La grande majorité des paysans ne peuvent plus concevoir leur vie
sans un lien quelconque avec la ville, et la grande majorité des petits producteurs
urbains ne peuvent pas concevoir abandonner le lien avec la campagne.

Cette double identité qui, est en fait une réalité contradictoire et complexe,
constitue l’originalité de l’économie populaire, permettant aux petites gens de
renforcer leurs liens sociaux ; c’est un élément déterminant pour s’accepter et
accepter les autres face aux différentiations sociales au sein de la communauté. Il
s’agit de réalités complexes dans la mesure où plusieurs facteurs deviennent des
enjeux dans le quotidien de la population, se traduisant en un comportement de
résistance et d’adaptation à toutes les éventualités.

En milieu rural et en milieu urbain, la population fonctionne à partir de trois


éléments interdépendants : la logique économique, la logique socioéconomique et
la logique socioculturelle qui engendrent la reproduction des liens sociaux et leur
réinvention dans les relations d’échanges économiques pour faire face aux
problèmes rencontrés dans la vie.

129
Toutes les activités économiques et les pratiques sociales vont dans le sens de
pouvoir réinventer les relations sociales et de reproduire les liens sociaux et
familiaux afin de satisfaire les attentes et besoins de chaque ménage.

Les crises multiformes traversées par la société malagasy n’ont nullement entraîné
le repli sur soi des communautés villageoises. Bien au contraire, elles leur ont fait
forger une grande capacité d’adaptation. La volonté d’échapper au dépérissement
ou à l’étouffement s’est notamment traduite par la diversification des activités et
des sources de revenus, tout en les combinant avec une importante articulation
villes-campagnes. Cette articulation est basée sur l’attachement au tanindrazana
qui renferme tout le patrimoine de la communauté et de l’individu, de son histoire,
sa raison d’être, sa place dans la société, son identité, son origine et sa destinée, et
tout ce que la communauté ou l’individu représente.

La perpétuation du tanindrazana repose sur la capacité de l’économie populaire


rurale de générer de l’argent. L’argent obtenu permet d’entretenir le tanindrazana,
le renouvellement des liens sociaux et la reproduction sociale sur le territoire. Et
l’accès à l’argent passe par la dépendance à l’égard de la ville d’une manière ou
d’une autre.

L’étroitesse des marchés en milieu rural oblige les paysans à être en contact
permanent avec les villes afin d’écouler leurs produits agricoles. Les jours du
marché tels que nous les connaissons aujourd’hui sont ceux du siècle dernier248.

Ces jours de marché entrent dans le calendrier hebdomadaire et journalier des


paysans. Les produits à vendre en ces lieux restent les mêmes exposés qu’il y a un
siècle : les produits agricoles courants, ensuite le bétail (bœufs utilisés pour les
travaux des champs et porc selon les régions et les interdits fady) et les articles
confectionnés qui spécifient les régions et sa population. Les produits des paysans
sont alors destinés à être écoulés sur ces marchés et sur le marché de la capitale.
L’écoulement des produits ruraux ne peut se faire que dans les grandes villes et
surtout la capitale.

A côté de la vente pour le marché urbain, les ruraux vont souvent chercher l’argent
directement en ville en s’y installant provisoirement pour la plupart.

Une grande majorité de la population prend la ville comme un lieu de passage où


toutes les sources d’argent sont destinées à accomplir toutes les obligations
sociales afférant au tanindrazana. Les familles des quartiers populaires urbains
dans beaucoup de cas louent leur habitation, et donc n’éprouvent pas un
attachement affectif à l’endroit. Chaque famille constituant le fokonolona urbain
possède son propre territoire ou tanindrazana dans différents parties rurales du
pays et procède différemment à la façon dont elle le met en valeur.

Le rapport entre le fokonolona et le territoire en milieu urbain existe mais avec un


autre degré d’importance qu’en milieu rural. Le territoire qui est ici le fokontany
n’a qu’une fonction bien déterminée, un lieu d’habitation et à la limite un lieu de

248
Voir la monographie sur l’Avaradrano.

130
travail. Les pratiques sociales sont donc limitées à des relations d’intérêt mais qui
s’étendent progressivement à de nouvelles relations de convivialité à cause du
partage obligé du même territoire.

La dépendance des citadins à l’égard des campagnes est double. Economiquement


elle est visible dans la vie quotidienne des familles citadines au niveau de leur
approvisionnement par la campagne, directement ou indirectement liée à leur
région d’origine. Socialement et surtout culturellement, les citadins ont besoin de
se ressourcer à la campagne. Les citadins maintiennent leur tradition, liées
directement ou indirectement au tanindrazana, et sont en relation permanente avec
le milieu rural. D’où, en milieu urbain, on rencontre des comportements qui
cherchent à intégrer divers éléments identitaires, à savoir l’identité ethnique,
culturelle et régionale des acteurs populaires.

Enfin, les gens qui ont vécu en ville, mais sont revenus à la campagne,
phénomène massif on l’a déjà dit à la fin des années 1980, maintiennent eux des
liens forts avec la ville. Ils n’ont pas coupé les liens avec le monde urbain parce
que leurs récoltes de produits agricoles y sont acheminées soit par le biais des
associations ou des réseaux commerciaux, soit par eux-mêmes à travers le marché
des grandes villes et de la capitale, dont par expérience vécue, ils connaissent
toutes les particularités.

Les activités de l’économie populaire sont ainsi en évolution permanente et se


renouvellent continuellement en fonction des besoins sociaux et des besoins
économiques tant en milieu rural qu’en milieu urbain. Les comportements des
individus en milieu rural et urbain sont différents car leurs besoins sont différents,
bien que la fusion avec la modernité agisse sur ces comportements populaires, tant
en milieu rural qu’urbain. Les activités dépendent des moyens disponibles dans la
localité ainsi que des besoins réels de la communauté, au sein du système
marchand mais aussi au niveau du cadre non marchand.

Schéma de l’articulation villes-campagnes

Milieu urbain

Milieu rural

131
Il existe un lien étroit entre les villes et les campagnes si l’on tient compte de la
dépendance des pratiques économiques et des pratiques sociales des deux côtés. Il
faut voir cette dépendance dans la complémentarité. C’est ainsi que dans son
ensemble l’articulation villes-campagnes prend une dimension spatiale originale.
L’articulation vécue par les acteurs populaires traduit celle d’une double de
dépendance : celle des villes à l’égard des campagnes et celle des campagnes à
l’égard des villes.

En conclusion de ce point, on peut donc dire que si les théories de la


modernisation sont bâties sur le principe de dichotomie entre le traditionnel et le
moderne, recoupant la dichotomie entre la campagne et la ville, l’approche centrée
sur les acteurs populaires révèle une interaction organique très forte entre la
campagne et la ville. Et ce sont les réseaux, visibles et invisibles, de ces acteurs
populaires, l’immense majorité de la population, qui tissent des liens multiples
entre les deux espaces et y produisent des flux d’échanges de tous genres,
économiques, mais aussi sociaux et symboliques. On peut ainsi élaborer une
compréhension différente des enjeux du développement durable.

9-Remarques finales : l’économie populaire sous le regard de K. Polanyi

En conclusion de ce chapitre de synthèse, on voudrait souligner l’intérêt de croiser


les contributions théoriques de K. Polanyi avec l’apport de F. Braudel, pour
comprendre la nature de l’économie populaire à Madagascar.

Le concept d’économie populaire est cohérent avec la vision de K. Polanyi selon


laquelle le marché avant le passage au capitalisme a fonctionné pendant des
siècles comme encastré (embedded) dans la reproduction des structures sociales, et
régulé par des institutions cherchant à assurer la reproduction de ces dernières, à
travers la réciprocité et la redistribution.

Selon Polanyi, le marché laissé à lui-même, désencastré, aboutit à libérer le


processus d’accumulation du capital, qui transforme toutes les ressources
matérielles et le travail humain lui-même en marchandises. C’est lorsque ce
processus a envahi la société dans son ensemble, que le travail et la terre sont
devenus des moyens de procurer du capital, que l’on peut dire que le capitalisme a
transformé la société selon sa logique249. Mais en même temps selon Polanyi, ce
système n’est pas durable, car tel quel il conduit à la barbarie.

Polanyi attache une grande importance aux dimensions non économiques des
relations entre capitalisme et développement. Pour lui le capitalisme, l’impact
négatif du capitalisme n’est pas seulement lié à l’exploitation économique de ses
victimes, mais c’est la désintégration de l’environnement culturel de la victime qui

249
POLANYI K., La grande transformation aux origines politiques et économiques de notre temps, Paris,
Gallimard, 1983, p.215.

132
est la cause la plus profonde de la dégradation : elle se trouve dans la blessure
mortelle infligée aux institutions dans laquelle son existence sociale s’incarne250.

Cependant on se rend compte que la vision de K.Polanyi, très pessimiste sur la


relation entre capitalisme et développement humain, partage d’une certaine
manière une vision linéaire de l’histoire du développement. Il voit le capitalisme
comme étant capable d’éradiquer ce qui existait des sociétés fondées sur la
réciprocité et la redistribution.

On a vu dans ce travail qu’une réinterprétation de la conception de Braudel, en


terme de développement, permet de nuancer cette approche. Le troisième niveau
domine les premiers et seconds niveaux mais ne les élimine pas nécessairement.
En tous cas, on a vu que c’était bien la réalité dans le développement de
Madagascar. Et le premier niveau et le second niveau sont les lieux où se
manifestent les pratiques des acteurs populaires, toujours bien vivants, et qui
montrent à la fois une capacité d’adaptation et de résistance aux contraintes
imposées par le troisième niveau.

L’acteur populaire défini par rapport au fokonolona dans le cadre communautaire


est le coordonnateur de tous les facteurs juxtaposés et de tous les systèmes qui
fonctionnent ensemble et qui se complètent pour permettre la continuation de la
vie au niveau local. Cet acteur populaire, contrairement à ce qu’en dit le discours
dominant, joue plusieurs fonctions à la fois, il est chef de famille, producteur en
tant qu’agent économique, il équilibre les relations sociales et communautaires en
tant qu’agent social. La rationalité économique des acteurs populaires du premier
et second niveaux ne correspond pas à la rationalité économique des acteurs
modernes du troisième niveau. Sa rationalité économique dépend aussi de
l’environnement social et physique, de l’attente à l’égard de la communauté, des
besoins socioculturels.
Cette rationalité ne répond pas à la rationalité observée dans une approche
strictement économique par rapport au calcul qui se fait sur l’investissement en
capital humain et financier. Elle intègre les facteurs socioéconomique,
socioculturel et économique du milieu et est le reflet de la double identité de
l’économie populaire qui combine les pratiques traditionnelles et les pratiques
modernes.

L’économique y est réellement encastré dans le social. Il faut donc apprendre à


cerner cette interaction entre l’économique et le social, à reconnaître la grande
complexité du fonctionnement de l’économie populaire, à la ville et à la
campagne251.

On peut comprendre ainsi mieux l’importance d’une approche en termes


d’économie populaire du point de vue du développement, et la différence radicale
avec une approche en terme de secteur informel. Alors que cette dernière ne voit
que l’aspect économique des pratiques populaires, et les définit par rapport à leur
250
POLANYI K., La grande transformation …,op.cit., p.212.
251
PEEMANS J. Ph., Le développement des peuples…, op. cit., p. 384.

133
possible formalisation selon les normes de l’accumulation, l’approche en termes
d’économie populaire met en valeur les dimensions culturelles, institutionnelles et
sociales qui sont au cœur des pratiques populaires, autant que les activités
économiques qui en font partie. Ce sont elles qui permettent d’identifier l’identité
des acteurs populaires et la nature de leurs demandes de développement.

Dans le cas de Madagascar, on a pu voir que l’articulation entre fokonolona,


tanindrazana, famadihana, fihavanana et identité est centrale, et ce sont eux qui
montrent l’importance centrale de la relation entre territoire et pratiques
populaires. C’est dans leur articulation complexe entre le social, l’institutionnel et
le culturel que l’économique reste encastré.

Conclusion

Nous arrivons à la fin de notre périple sur l’analyse de l’économie populaire à


Madagascar à travers un processus de longue période. L’approche historique a été
importante pour comprendre l’enracinement de l’économie populaire dans les
pratiques populaires séculaires en matière économique et sociale.

La prise en considération des acteurs des trois niveaux proposés par F. Braudel
appliquée au cas de Madagascar a permis d’analyser l’évolution de l’économie
populaire à travers le temps. Le maintien des acteurs du premier niveau
aujourd’hui, malgré les tentatives de suppression et de domination par les acteurs
du troisième niveau, a montré la capacité de résistance de ces premiers. Cette
résistance a pu se faire grâce à leurs longues expériences de pratiques
traditionnelles économiques, sociales et culturelles, à leur capacité d’adaptation
face à différentes contraintes, face à la différenciation sociale, à l’exclusion, à
l’exploitation, à la domination et à la répression. Ces pratiques sont enracinées
dans une interdépendance de l’économique, du social et du culturel à travers le
fihavanana, le tanindrazana, et le fokonolona.

La mise en perspective avec le regard de K.Polanyi a permis aussi de montrer


que le rapport au monde des acteurs populaires n’est pas une singularité exotique
propre à Madagascar, mais appartient à une réalité reconnue depuis longtemps par
des théoriciens importants dans le domaine du développement.

L’économie populaire est donc indissociable du social et du culturel. Cette lecture


de l’économie populaire a élargi la façon dont on étudie le secteur informel
considéré, par beaucoup d’auteurs, seulement comme la conséquence de crises
économiques dues à l’échec de la politique de modernisation de la Première et la
Deuxième république malagasy.

Il s’agit en fait d’un système global d’adaptation et de flexibilité en terme de


sociabilité qui répond aux besoins concrets de la population, surtout de la

134
paysannerie et des couches populaires urbaines. C’est un mode de vie produit par
une longue trajectoire historique, une extériorisation ou une manifestation d’une
volonté ou d’un dynamisme économique, culturel et social qui ne résulte pas
spécialement de l’existence impromptue des crises ou d’autres événements. Une
logique de réseau formelle ou informelle s’est développée en fonction des
demandes du marché mais aussi en harmonie avec les attentes locales.

L’économie populaire a existé, continue d’exister et continuera d’exister avec ou


sans crises. Elle est tout simplement un mode de vie qui englobe le social en
interaction avec l’économique et le culturel dans des pratiques simples qui
s’accommodent des réalités vécues par l’immense majorité de la population, et
s’adaptent aux besoins les plus élémentaires d’une société, ancrée dans ses valeurs
morales et culturelles.

Les pratiques économiques populaires ont permis de satisfaire non seulement la


subsistance matérielle, mais aussi de répondre à des aspirations socioculturelles.

Dans cette étude on a pu montrer que l’économie populaire ne peut se comprendre


sans prendre en compte le rôle du fokonolona, que l’on peut considérer comme un
acteur collectif qui, à travers toutes les vicissitudes de l’histoire, a construit les
institutions de sécurisation requises par ses membres pour vivre ensemble. La
prise en considération du fokonolona comme acteur collectif à part entière, dans
son environnement, de son rôle dans la société du point de vue économique,
social, culturel et économique, son efficacité et la durée de son existence est très
importante pour comprendre la capacité de résistance de la paysannerie malagasy.
L’acteur collectif incarné par le fokonolona a transmis de génération en
génération des modes de vie qui ont su s’adapter aux difficultés
socioéconomiques rencontrées par la population tout le long des périodes de
l’histoire du pays, depuis le temps des royaumes malagasy, de la période coloniale
et postcoloniale et de l’actualité. L’économie populaire est ainsi véhiculée par le
fokonolona.

En ce sens, le fokonolona est un exemple très concret de gouvernance historique,


concept mis à jour récemment dans les études de développement252.

Cette logique de gouvernance historique s’est révélée en opposition depuis un


siècle avec les tentatives de construction successives d’un Etat moderne.

Les tentatives de l’Etat de soumettre le fokonolona à plusieurs reprises, depuis le


royaume merina jusqu’à la Troisième république, en passant par le système
colonial, ont été vouées à l’échec. L’Etat a toujours voulu dominer et
instrumentaliser le fokonolona pour le soumettre à ses objectifs. Cet échec
politique s’est accompagné d’un échec économique, puisque l’Etat a montré aussi
son incapacité de contrôler l’économie populaire. Les tentatives de rapprochement
de l’Etat avec le fokonolona ont toujours été tournées vers une logique de
soumission et d exploitation au détriment des acteurs locaux. On peut dire que
l’écart qui sépare le fokonolona de l’Etat subsiste depuis le temps de la monarchie

252
DE LEENER Ph., DEBUYST F.,KHADER B., PEEMANS J.PH., « Offre et demandes de
gouvernance locales : pratiques d’acteurs », in CHARLIER S.,NYSSENS M.,PEEMANS J.PH.,
YEPEZ del CASTILLO I., Une solidarité en actes…,op.cit., pp.221-296.

135
jusqu’à présent, écart qui est difficile à combler à cause des objectifs étatiques qui
ne correspondent pas aux demandes des populations.

Tous les gouvernements ont souhaité que l’institutionnalisation du fokonolona


soit un moyen pour l’Etat de contrôler la population qui vit au jour le jour, et pour
contrôler toutes les activités populaires qui lui échappent. Du côté de la
répression, on peut citer aujourd’hui, les velléités périodiques de l’Etat de
fiscaliser ce secteur, que l’on imagine capable de soulager les problèmes de
déficit public. On citera encore les tentatives tout aussi régulières que vaines de
déloger les commerçants ambulants qui envahissent les chaussées du centre ville,
au nom de la politique d’aménagement urbain253.

La logique d’intervention de l’Etat ne semble pas avoir changé jusqu’aujourd’hui.


Les projets de décentralisation et de gouvernance locale, appuyées par les
organisations multilatérales sont toujours inspirés par les mêmes préoccupations
de contrôle et de soumission à une logique extérieure. Le discours récent sur la
gouvernance locale a cherché à donner une nouvelle légitimation à la
décentralisation en la présentant comme une voie nouvelle de démocratisation,
élargissant le champ politique ouvert aux représentants locaux de la « société
civile ». Par rapport au rôle des institutions de la gouvernance historique locale,
on peut dire que le discours sur la décentralisation et l’intégration au marché a
changé de ton, mais pas vraiment d’objectif.

Les interventions des organisations non gouvernementales ne semblent pas


fondamentalement inspirées par une autre logique que celle de l’Etat. Elles partent
dans l’ensemble du discours sur la pauvreté, et les slogans sur la participation
populaire cachent mal une volonté d’approcher les acteurs populaires à travers
une logique extérieure à leurs attentes.

Seules les actions humanitaires menées par les ONG nationales ou internationales,
à savoir les aides directes en matières de santé, d’alimentation et d’éducation, ont
pu trouver grâce aux yeux des petites gens car il s’agit des intérêts vitaux pour
l’ensemble de la population. Les autres projets de « développement » ont échoué à
cause de l’inadéquation entre les attentes des protagonistes concernés. Cette
inadéquation a entraîné la méfiance des populations vis-à-vis des ONG autant
qu’envers l’Etat et envers des stratégies qui ne tiennent pas compte des réalités
des gens.

En attendant le fokonolona réel laissé à lui-même s’est renouvelé en fonction des


nouvelles circonstances, et notamment, on l’a vu, en s’insérant dans une nouvelle
logique de réseau, plus large et dynamique qu’auparavant. Le fokonolona et le
système de réseau fonctionnent à peu près de la même manière lorsqu’on se rend
compte du rôle majeur que jouent la connaissance et le lien de proximité pour
aboutir à leurs objectifs. Ils ont le même intérêt, celui de satisfaire la demande de
leurs membres respectifs qu’il s’agisse des ménages dans le fokonolona, ou des

253
Les agents de la commune urbaine d’Antananarivo et les forces de l’ordre font des descentes en ville
et dans les quartiers populaires, arrêtent les commerçants ambulants et ramassent leurs articles afin de
les amener à l’Hôtel de la Police centrale pour s’acquitter des amendes. Les différents régimes
politiques au pouvoir ont procédé aux arrestations dans le cadre de l’aménagement urbain et ils ont
obligé les gens à passer aux activités légales. Ces descentes ne sont pas systématiques.

136
cellules locales dans les réseaux. Les deux entités agissent parallèlement et dans
le même sens, et elles se complètent en quelque sorte.

Les crises multiformes traversées par le pays n’ont certainement pas entraîné le
repli sur soi des communautés villageoises. Bien au contraire, elles ont forgé, à
travers elles, une nouvelle faculté d’adaptation. La volonté d’échapper au
dépérissement ou à l’étouffement s’est notamment traduite par la diversification
des activités et des sources de revenus tout en les combinant avec une importante
articulation villes-campagnes.

Cette articulation est enracinée dans la permanence de l’attachement au


tanindrazana qui est le socle de tout ce que la communauté ou l’individu
représentent, de leur histoire, leur raison d’être, leur place dans la société, leur
identité, leur origine et leur destinée. Qu’elle soit en ville ou à la campagne, la
population se réfère à son origine territoriale, à son tanindrazana. Il referme la
boucle du cycle de vie de l’individu et de sa communauté.

Le tanindrazana est le symbole et la base de la sécurisation grâce aux moyens


dont il dispose : terre, forêt, eau. Mais il est ainsi une forme de reconstruction de
l’« espace public ». Les acteurs populaires ont construit leur propre espace en
fonction de leurs pratiques et attentes en tant qu’« acteurs du bas ».

L’observation des pratiques populaires dans le monde contemporain et à l’échelle


historique a bien montré que la question de la sécurisation est un axe central de
ces pratiques. Le thème de la sécurisation est étroitement lié à celui de la
production de l’identité pour aller vers une approche en termes d’interaction entre
les composantes culturelles, matérielles, morales et sociales de l’identité,
notamment la question de la relation entre solidarité communautaire et
sécurisation collective254.

Le thème de la sécurisation est au cœur d’une réarticulation entre production de


lien social et production du contrôle social, conçu comme réapropriation par une
collectivité des moyens d’un auto-contrôle social au cœur d’un projet de
« démocratie substantive ». Il suppose une approche qui incorpore clairement
l’interaction entre la personnalité collective et l’aspect territorial dans la
production de l’identité, et il montre concrètement que le développement s’occupe
essentiellement d’acteurs collectifs, de la production des conditions de l’action
d’acteurs collectifs dans les contextes spatiaux et historiques concrets255.

C’est dans ce sens que l’économie populaire a été historiquement avant tout une
création du monde rural avant de devenir urbaine.

La multitude et la diversification d’activités économiques que l’on rencontre en


ville ou dans les campagnes révèlent un grand dynamisme des pratiques
populaires en fonction du temps. Cette dynamique est synonyme d’action contre

254
MORMONT M., Développement durable et relation entre science et société, Communication à la
Chaire Quetelet, 2000, Louvain-La-Neuve, Département des Sciences de la Population et du
Développement, 21-24 novembre 2000, p. 15.
255
PEEMANS J. –Ph., Le développement des peuples…, op. cit., p. 471.

137
l’appauvrissement et ce mode de vie de l’économie populaire est le fil conducteur
qui fait la résistance de la population en ville et à la campagne.

On a déjà dit ici que beaucoup de chercheurs ont interprété l’économie populaire
comme synonyme de pauvreté car elle ne contribue pas directement à
l’augmentation de la croissance nationale ni au PIB. Les revenus par habitant par
an et la valeur du PIB par an encore faibles à Madagascar ne représentent rien par
rapport à ceux des pays industrialisés, et le classent parmi les pays les plus
pauvres.

Nous estimons que face à cette vision et interprétation négatives, l’économie


populaire qui tient compte de tous les facteurs (social, économique, culturel et
même politique) fait partie d’une des réalités positives qui mérite d’être
considérée en tant que telle, car 90% de la population malagasy, tant en milieu
urbain qu’en milieu rural, vivent dans l’économie populaire. C’est aussi une
manière d’avoir une vision positive des pays en développement, car derrière
l’économie populaire il existe une population qui agit en sous - bassement avec un
potentiel immense de résistance et de créativité. Il s’agit là d’une réalité très loin
de la vision universelle et modernisatrice du développement qui s’appuie sur le
rationalisme, l’accumulation du capital, mettant le côté social en marge, et où le
culturel est vu sous le seul aspect du marché.

L’économie populaire pourra-t-elle poursuivre son chemin face à la


mondialisation croissante de l’économie ? La réflexion à faire pour le
développement économique à Madagascar, c’est d’essayer de consolider
l’économie populaire en un secteur d’économie sociale. Cette consolidation peut
être une composante axiale d’un processus permanent de mise en œuvre de
formes diverses d’auto-contrôle social articulées sur la reconstruction du lien
social. Elles peuvent correspondre à la logique de gouvernance historique qui a
caractérisé le fokonolona depuis des générations.

Nous reprenons ici les idées proposées par J.-Ph.Peemans quant à la formation
d’un réseau puissant d’organisations d’économie sociale, coopératives et
mutuelles, qui permettrait de consolider les initiatives associatives en respectant
leur esprit, la nature de leurs pratiques, en élargissant leur champ d’action et en
permettant la complémentarité entre leurs diverses activités agricoles, non
agricoles, les caisses d’épargne et de crédit, les mutuelles, les coopératives de
producteurs et de consommateurs256.

On ne doit pas négliger non plus le fait majeur que les initiatives collectives et
associatives des femmes sont des réalités très concrètes à travers lesquelles se
modifient les rapports de force et de genre, et à travers lesquelles se construisent
des espaces de développement différents qui sont aussi des espaces potentiels de
construction de l’égalité257.

256
Idem, p. 486.
257
Cf. BASU A., The challenge of Local Féminisms, women’s movements in global perspecyive, Bolder,
Westview Press, 1995.

138
L’économie sociale a donc, une composante forte de démocratie économique et
sociale, puisque ce sont les assemblées des membres qui y détiennent le pouvoir
ce qui est différent de l’économie capitaliste. Le secteur d’économie sociale peut
participer de manière tout à fait active aux activités marchandes, et produire des
biens et services pour le marché.

Une chose est sûre, le fait de ne pas travailler uniquement pour le profit, permet
aux petits producteurs, organisés collectivement, en associations, réseaux ou
coopératives, d’avoir une capacité de survie plus grande que les entreprises du
genre capitaliste. Cette capacité de survivre est encore accrue du fait que ces
producteurs indépendants, organisés collectivement, se contentent souvent d’un
revenu inférieur au salaire touché dans les entreprises concurrentes du secteur
moderne. En outre les multitudes d’activités et d’unités de production recensées
dans l’économie populaire dans la capitale, et surtout les vadin’asa dans les
milieux ruraux, jusqu’à présent, fonctionnent à merveille sans l’intervention
continue et massive du progrès technique, alors que dans le secteur moderne, ce
dernier devient une contrainte incontournable et souvent insupportable
financièrement et socialement. C’est un élément potentiel supplémentaire de
résistance pour un secteur d’économie populaire, consolidé en secteur d’économie
sociale.

L’existence des crises multiformes a permis à la population vulnérable de montrer


sa capacité de résistance et de montrer le degré d’importance de la culture dans les
milieux populaires de la société malagasy. Il faut espérer que les élites politiques
et économiques du pays prendront à l’avenir finalement en compte ce potentiel
extraordinaire de développement humain et durable, si oublié, voire méprisé
jusqu’ici.

À la fin de notre parcours, nous pensons avoir contribué un tant soit peu à faire
reconnaître ce potentiel. Et particulièrement son enracinement dans l’histoire
longue. Faire cette rétrospective c’est refaire le travail historique en matières
économique, sociale et culturel du pays mais avec une vision tournée vers le futur.
Mais en même temps nous avons une conscience aiguë des insuffisances de cette
étude, et nous nous rendons compte que l’étude de l’économie populaire de
longue période que nous avons menée est loin d’être parfaite et exhaustive. Il
reste encore d’autres pistes à envisager et beaucoup de questions sont encore à
résoudre. Au terme de ce travail, la seule chose que nous osons dire c’est que le
contact avec les acteurs de l’économie populaire nous a appris la modestie et le
caractère relatif de toute connaissance scientifique ou autre.

139
Glossaire
Adidy amin’ny mpiara-monina : Obligations sociales.
Adidy amin’ny fianakaviana : Obligations familiales.
Alahamady : Premier mois du calendrier lunaire traditionnel.
Andevo : Esclave.
Andriamanitra : Dieu.
Andriana : Roi, noble.
Angady : Bêche de jet, à long manche.
Dabokandro : commerce de zébu.
Dina : Règlement ; convention villageoise.
Fady : Interdit.
Fahavalo : Brigand.
Famadihana : Retournement des morts, réenveloppés de lambamena.
Fanajana : Respect
Fandroana : Bain royal.
Fanjakana : Etat, la puissance publique.
Fanompoana : Corvée.
Faritany : Province, regroupement de fivondronam-pokontany ; échelon au sommet de la
pyramide des collectivités décentralisées.
Fasana : Tombeau familial.
Fata-pera : Foyer ou rechaud à charbon de bois pour cuire de la nourriture.
Fifankatiavana : Amitié.
Fihaonana : Lieu de rencontre.
Fihavanana : Le fait d’être parents ; mode de relation idéal basé sur la compréhension mutuelle et la
solidarité.
Fiompiana : Elevage.
Firaisam-pokontany : Groupement de fokontany ; ce niveau correspond à l’ancien canton.
Firaisankina : Solidarité.
Firenena : Nation.
Fivondronam-pokontany : Regroupement de firaisam-pokontany ; ce niveau correspond à l’ancienne sous-
préfecture.
Foko : Dème, groupe défini par la parenté et l’appartenance à un même territoire.
Fokonolona : Communauté villageoise.
Fokontany : Village, quartier, cellule territoriale administrative de base à l’échelle des villages et
hameaux ; il y a plus de 11000 fokontany sur l’espace national.
Fomba : Pratiques coutumières traditionnelles.
Fotsy : « Blanc » par opposition au « Noir ».
Hajia : Redevance seigneuriale.
Hasina : Vertu efficace d’un être ou d’une chose, force d’origine sacrée qui rend les actes
féconds.
Herana : Buisson.

140
Hetra : Parcelle de rizière attribuée à un ménage ; impôt levé sur la parcelle de terre.
Hova : Homme libre dans la société merina ; équivalent des andriana merina en pays
betsileo.
Kabary : Proclamation royale ; discours.
Kelimalaza : Talisman royal.
Ketsa : Repiquage.
Lamba : Toge ; tissu.
Lambamena : Linceuil en soie.
Lapa : Palais.
Mainty : « Noir », d’ancienne souche, par opposition au « Blanc ».
Manarabady : Qui suit son conjoint.
Maromita : Transporteur.
Menabe : Domaine royal.
Menakely : Territoire confié à un andriana, qui y exerce le pouvoir judiciaire et y perçoit les
impôts, dont il garde une part.
Mitondra hetra : Porteur de hetra.
Mofogasy : Galette faite avec de la farine de maïs ou farine de manioc ou encore farine de riz.
Mpanandro : Astrologue spécialisé dans la détermination des jours fastes et néfastes pour une
action.
Mpanefy : Soudeur.
Mpanera : Intermédiaire ou démarcheur.
Mpiadidy : Chef de village.
Mpiavy : Non originaire d’une région.
Mpilanja : Porteur.
Mpisikidy : Devin.
Paraky gasy : Tabac à chiquer.
Peta-kofehy : Broderie.
Ray aman-dreny : père et mère, parents.
Razana : Ancêtres.
Renin-jaza: Accoucheuse traditionnelle.
Risoriso : Marché noir.
Ron’akoho : Bouillon de poulet avec du gingembre qu’on prépare pour les malades et qu’on prend
dans d’autres occasions.
Saonjo : Taro.
Sampy : Talisman familial, de groupe, royal.
Sorabe : Ecriture arabe de la langue malagasy dans le Sud-Est.
Tanety : Colline aux versants converses recouverts d’herbacées.
Tanimboly : Champs ; terres de cultures.
Tanin’anana : Terre de culture de brèdes.
Tanindrazana : Terres des ancêtres, c’est aussi la patrie.
Tapa-kazo : Plante de la pharmacopée traditionnelle.
Tavim-boninkazo : Pots de fleur.
Tavi-mofo : Moules à galette.
Tavy : Culture sur brûlis.
Terak’i… Descendant de…
Tiatanindrazana : Patriote.
Toaka gasy : Eau de vie locale, alcool.
Tody : Retour des choses.
Tompomenakely : Titulaire de menakely.
Tompontany : Autochtone.
Tsena lava : Marché quotidien.
Tsena : Marché.
Tsiny : Blâme ; reproche.
Vadin’asa : « Conjoint du travail », travail complémentaire.
Vadintany : Conjoint de la terre ; représentant du roi et entremetteur avec le roi.
Valin-tanana : Rendre la main.
Varo-mandeha : Commerce ambulant.
Vary aloha : Riz de première saison.
Vary sosoa : Riz doux cuit avec beaucoup d’eau.
Vary vaky ambiaty : Riz de la floraison de l’ambiaty.

141
Vavy : Femme ; le terme précédé d’un chiffre, désigne la surface qu’une femme peut repiquer
en un jour.
Vazaha : Etrangers, surtout Européens.
Vazimba : Premiers occupants.
Vilany tany : marmite faite en argile.
Vohitra : Village.
Vohitse : Fokonolona chez les Betsileo.
Zanaka : Descendance.
Zazahova : Personne déchue, andriana ou hova

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