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Responsabilité pénale et société multiculturelle.

L'expérience italienne
Alessandro Bernardi
Dans Archives de politique criminelle 2014/1 (n° 36), pages 181 à 198
Éditions Éditions Pédone
ISSN 0242-5637
ISBN 9782233007261
DOI 10.3917/apc.036.0179
© Éditions Pédone | Téléchargé le 30/04/2023 sur www.cairn.info (IP: 82.76.150.106)

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RESPONSABILITÉ PÉNALE ET SOCIÉTÉ
MULTICULTURELLE. L’EXPÉRIENCE ITALIENNE(*)

par
ALESSANDRO BERNARDI
Professeur de droit pénal à l’Université de Ferrare
Directeur de l’Ecole doctorale en « Diritto dell’Unione Europea e ordinamenti nazionali »
de l’Université de Ferrare

I. INTRODUCTION

Dans le cadre général d’un processus mondial de globalisation qui intéresse


particulièrement les pays industrialisés, l’Italie aussi est devenue la destination
de flux migratoires croissants appelés à modifier son tissu social dans une
perspective multiculturelle. Ainsi se multiplient les cas dans lesquels l’acte
illicite de l’auteur semble conditionné par les traditions particulières qui
caractérisent l’endroit d’où il est originaire. Il est donc légitime de s’interroger
si, et de quelle manière, la diversité culturelle de l’auteur peut relever de la
matière pénale.
Il est évident que le système pénal italien, dans sa structure prévue par le code
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Rocco de 1930 encore en vigueur, n’a pas été conçu pour affronter une pareille
situation de multiculturalisme croissant. Au demeurant, jusqu’à il y a quelques
années, la société italienne bien qu’elle soit sur plusieurs aspects très articulée et
pluraliste au niveau des individus qui la composent, des idéologies qui y
coexistent et des orientations politiques qui s’y alternent était considérée
substantiellement homogène sur le plan culturel1, en ce qu’elle se caractérisait
par un ensemble de valeurs et de traditions censées être partagées. L’État et ses
lois reflétaient en définitive l’image d’une société fermée sur elle-même, et donc
peu attentive aux exigences des groupes minoritaires. C’est aussi parce que ces
derniers étaient considérés presque inexistants à l’intérieur du territoire national2.
Cet état des choses avait favorisé l’élaboration d’un modèle unitaire du sujet
pénalement responsable, lequel trouvait aussi une légitimation dans la
prédominance du point de vue idéologique adopté par « l’école classique ».
Ce point de vue vise à affirmer la pleine responsabilité morale de l’auteur et, par
conséquent, il est peu enclin à différencier les destinataires des normes criminelles

(*)
Traduit de l’italien par Hajer Rouidi, docteur en droit à l’Université de Poitiers.
1
Cf. E. GROSSO, « Multiculturalismo e diritti fondamentali nella Costituzione italiana »,
A. BERNARDI, in Multiculturalismo, diritti umani, pena, Milano, 2004, p. 116 et suiv.
2
A. BERNARDI, Modelli penali e società multiculturale, Torino, 2006, p. 62 et suiv.
POLITIQUE CRIMINELLE COMPARÉE

selon leur appartenance ou non à des ethnies minoritaires ou selon les origines
culturelles particulières de leur acte. Même après les premières vagues migratoires,
la science juridico-pénale a, à dire vrai, évité pendant un certain temps de débattre
sur le thème des rapports entre multiculturalisme et droit pénal, se montrant
largement insensible à des questions qui faisaient ailleurs par exemple aux États-
Unis d’Amérique, dans le continent sud-américain, dans plusieurs pays du
Commonwealth – depuis longtemps l’objet d’une très grande attention3.
Et pourtant, en quelques années, tout a changé sous l’effet d’exodes à dimensions
bibliques et d’une révolution sociale conséquente qui ne pouvait pas ne pas avoir
d’impact sur le domaine juridique. C’est ainsi qu’on assiste, y compris en Italie, à
une floraison de lois4, décisions judiciaires5, publications scientifiques6, colloques
portant sur la même question, à savoir : comment l’« origine culturelle » de
l’auteur peut-elle agir sur la qualification pénale de certains faits par lui commis,
sa responsabilité pénale et les peines qui lui sont applicables ?
Ce travail vise justement à illustrer quel est le rôle assumé, sur le plan pénal, par
le « facteur culturel » particulier de l’auteur. Il se divise parfaitement en deux
parties. La première tend à expliquer ce que sont les « infractions culturelles »,
à déterminer les principales catégories de leurs auteurs, à illustrer succinctement
les diverses typologies des infractions en question, à résumer la matière
législative et jurisprudentielle qui s’y rapporte. La seconde partie s’intéresse,
d’une part, à souligner la tendance des infractions culturelles à choisir les
femmes et les mineurs comme victimes privilégiées et, d’autre part, à mettre en
lumière le fait que cette même législation − qui vise à lutter contre de telles
infractions − peut être préjudiciable aux droits des femmes et des mineurs.
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3
Cfr., à titre d’exemples, dans une vaste littérature, C. DE MAGLIE, « Multiculturalismo e diritto penale.
Il caso americano », in Riv. it. dir. proc. pen., 2005, p. 178 et suiv. ; C. GRANDI, Fattore culturale e
responsabilità penale, Ferrara, 2008, p. 119 et suiv. ; A.D. RENTELN, The Cultural Defense¸ New York,
2004 ; J. Van BROECK, « Cultural Defense and Culturally Motivated Crimes (Cultural Offences) » in
European Journal of Crime, Criminal Law and Criminal Justice, 2001, n. 1, p. 1 et suiv. ; J. HURTADO
POZO, J. DU PUIT, « Derecho penal y diferencias culturales: perspectiva general con respecto a la
situación en el Perú », in Derecho penal y pluralidad cultural. Anuario de Derecho Penal 2006,
http://perso.unifr.ch/derechopenal/assets/files/anuario/an_2006_11.pdf ; ID., « Impunidad de personas
con patrones culturales distintos, in Derecho, Revista de la Facultad de Derecho de la Pontificia
Universidad Católica del Perú, N° 49, Lima, 1995, p. 157 et suiv. ; L. FRANCIA, « Pluralidad cultural y
derecho pena » l, in Derecho, Revista de la Facultad de Derecho de la Pontificia Universidad Católica
del Perú, n° 47, Lima, 1993, p. 493 et suiv.
4
Cfr., en particulier, l. 9 gennaio 2006, n. 7 « Disposizioni concernenti la prevenzione e il divieto delle
pratiche di mutilazione genitale femminile »; d. l. 23 maggio 2008, n. 92 « Misure urgenti in materia di
sicurezza pubblica », qui avait introduit l’art. 61 n. 11 bis c.p. selon lequel l’infraction est aggravée
« si le fait est commis par un sujet qui se trouve illégalement sur le territoire national ». Toutefois, cet
article a été déclaré inconstitutionnel par la sent. n. 249 du 5 juillet 2010 de la Cour constitutionnelle.
5
A. BARAZZETTA, « Casi giurisprudenziali in materia di multiculturalismo », in L’Ircocervo. Rivista
elettronica italiana di metodologia giuridica, teoria generale del diritto e dottrina dello Stato, 2008,
n.1, p. 1 et suiv.
6
Cf., parmi désormais une très vaste bibliographie, F. BASILE, Immigrazione e reati “culturalmente
motivati”, Milano, 2008 ; A. BERNARDI, Il “fattore culturale” nel sistema penale, Torino, 2010 ;
C. de Maglie, I reati culturalmente motivati. Ideologie e modelli penali, Pisa, 2010 ; A. FACCHI,
Immigrati, diritti e conflitti, Bologna, 1999 ; C. GRANDI, Fattore culturale e responsabilità penale,
cit. ; B. PASTORE, L. LANZA, Multiculturalismo e giurisdizione penale, Torino, 2008.

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POLITIQUE CRIMINELLE COMPARÉE

II. LES « INFRACTIONS CULTURELLES » :


LEUR DIFFÉRENTE IMPORTANCE D’UN SYSTÈME PÉNAL À L’AUTRE,
LEURS DIVERS AUTEURS

Venons donc, tout d’abord, au concept d’« infractions culturelles ». Par cette
expression, on fait habituellement référence aux faits qui sont considérés comme
infractions par la loi de l’État où ils ont été commis, mais qui sont, selon les cas,
imposés, approuvés, acceptés, tolérés ou du moins justifiés en vertu de normes
juridiques et/ou de traditions en vigueur au sein du groupe d’appartenance de
l’auteur. Il s’agit donc d’infractions qui sont fortement influencées par le « facteur
culturel » particulier de l’auteur, facteur différent de celui de la majorité des
citoyens et qui induit à faire ce qui est (du moins en principe) interdit par la loi.
On pense, par exemple, aux personnes provenant des pays d’Afrique centrale qui,
conformément à leurs propres traditions, ont des rapports sexuels avec leurs
compatriotes mineurs selon la loi du lieu de l’infraction ; aux natifs de l’Asie
orientale du sud lesquels, selon les modèles existant dans leur milieu d’origine,
destinent des adolescents aux travaux qui leur sont interdits à raison de l’âge dans
le pays de résidence ; aux personnes qui, au regard de la conception de la vie
familiale et des pouvoirs du chef de famille existant dans leur pays d’origine, ont
des comportements relevant, selon le droit de l’État dans lequel elles vivent, de
l’infraction de maltraitance familiale ; à ceux qui appartiennent à des minorités
culturelles, raciales, religieuses qui, pour des raisons diverses, soumettent des
hommes et des femmes d’un âge assez variable à des mutilations ou déformations
rituelles d’importance variée (circoncision, cicatrices ornementales, allongement
du cou ou des lèvres, contraction des pieds, infibulation, etc.) ou bien à des formes
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plus ou moins intenses de privation de liberté. « a »
Passons maintenant au traitement réservé à de telles infractions dans les
différents ordres pénaux nationaux. Il convient, à cet égard, de noter que les lois
pénales nationales sont assez variées, souvent pas pleinement rationnelles et
toujours dignes d’attention. On peut dire en extrême analyse que l’attitude des
différents pays à l’égard des infractions culturelles est plus ou moins indulgente
selon que les pays en question se caractérisent par un modèle social et politique de
type multiculturaliste (comme celui, du moins pendant longtemps, des pays anglo-
saxons) ou bien de type intégrationniste (comme l’était traditionnellement, en
particulier, le modèle français). Pour ce qui concerne spécifiquement les États-
Unis, le Royaume-Uni, l’Australie, le Canada et l’Afrique du Sud, il convient de
relever l’important développement de ce qu’on appelle les cultural defenses, sur
la base desquelles la commission de certains interdits pénaux, lorsqu’elle est
« culturellement motivée », peut emporter, selon les cas, l’exclusion ou la
diminution de la responsabilité pénale de l’auteur7. À l’opposé, la France a choisi

7
Cf., pour tous, T. SELLIN, Culture Conflict and Crime, New York, 1938; et, plus récemment et pour
tous, RENTELN, The Cultural Defense¸ New York, 2004 ; J. Van BROECK, « Cultural Defense and
Culturally Motivated Crimes (Cultural Offences) », cit. ; L. MONTICELLI, « Le “Cultural Defences”
(esimenti culturali) e i reati “culturalmente orientati”. Possibili divergenze tra pluralismo culturale e

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POLITIQUE CRIMINELLE COMPARÉE

de ne donner aucune importance, au niveau pénal, à l’éventuelle appartenance de


l’auteur à une communauté ayant des racines culturelles même profondément
« différentes ». Ce choix vise soit à favoriser l’assimilation complète de ceux qui
appartiennent à de telles communautés dans la société française (en d’autres
termes, l’émancipation des individus de leur noyau social originaire en vue de leur
identification dans la communauté nationale), soit à préserver l’homogénéité
culturelle de l’État dans son ensemble8. En tous les cas, indépendamment du fait
qu’aussi bien les modèles multiculturels qu’intégrationnistes ont, du moins
tendanciellement, échoué, on voit de plus en plus s’affirmer dans les pays
occidentaux des modèles « mixtes » dans lesquels le rôle du facteur culturel dans
le domaine pénal est diversement évalué selon les cas, c’est-à-dire selon les options
politiques du moment, du type d’infraction commise, des demandes provenant du
corps social à son encontre. Désormais, même le Royaume-Uni et la France ont
progressivement tempéré leurs modèles respectifs pour accueillir dans certains cas
des solutions de type syncrétique.
Examinons, enfin, les auteurs des infractions culturelles, parmi lesquels il faut au
moins distinguer ceux qui appartiennent à une minorité autochtone ou à une
minorité immigrante.
Dans la catégorie des « autochtones » (dits également « originaires »,
« indigènes », « natifs »), on trouve les sujets appartenant à des groupes ethnico-
culturels concentrés sur un territoire qui leur est historiquement « propre » et qui se
sont révélés capables de maintenir en vie, au moins partiellement, leur culture
originaire et l’ensemble de leurs styles de vie. On pense, par exemple, aux Peaux-
Rouges nord-américains, aux Indiens sud-américains, aux Aborigènes australiens,
aux Inuits de Groenland, Russie et Canada. Le trait commun à tous ces groupes
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minoritaires est de s’être vu accorder, dans la plupart des cas, le droit de protéger
leurs propres traditions, et donc parfois, de garder des habitudes et des
comportements qui expriment leur conception particulière du monde, y compris
lorsque de tels habitudes et comportements entrent apparemment en conflit avec
les règles de l’ordre national. La tolérance croissante à l’égard des sujets
appartenant à une minorité « native » se fonde, avant tout, sur le « droit à
l’autodétermination »9 des peuples, ou sur la reconnaissance des « droits
ancestraux » légitimement revendiqués par les populations indigènes pour protéger
leur culture d’origine10. En effet, de nombreux textes internationaux proposent de
protéger le « mode d’être » de ces populations11.

sistema penale », in Indice pen., 2003, p. 540 ; A. PHILLIPS, « When Culture Means Gender: Issues of
Cultural Defence in the British Courts », in Modern Law Review, 2003, n. 66, p. 510 et suiv.
8
Cfr., per tutti, A. BERNARDI, Modelli penali e società multiculturale, cit., p. 81 et suiv. ;
L. HINCKER, Etrangers et justice pénale », in www.cfait.org/immigration/analyse/15.html
9
À propos duquel cfr., parmi une très vaste bibliographie, A. CERRI, « Libertà, eguaglianza, pluralismo
nella prospettiva della garanzia delle minoranze », in Riv. trim. dir. pubbl., 1993, p. 289 et suiv. ;
F. LATTANZI, Autodeterminazione dei popoli », in Dig. Disc. pubbl., II, Torino, 1987, p. 4 et suiv. ;
G. PALMISANO, Nazioni Unite e autodeterminazione interna. Il principio alla luce degli strumenti
rilevanti dell’ONU, Milano, 1987
10
Cf. A. BERNARDI, « Le droit pénal, bouclier ou épée des différences culturelles », in Les droits de
l'homme, bouclier ou épée du droit pénal ?, Y. CARTUYVELS, H. DUMONT, F. OST, M. VAN DE

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POLITIQUE CRIMINELLE COMPARÉE

Il est dès lors évident que, dans la plupart des États qui connaissent des minorités
autochtones, la législation pénale prévue pour les infractions culturelles
commises par des auteurs appartenant à ces minorités est imprégnée, dans les
limites du possible, du respect de leur spécificité. Il suffit de penser que, dans de
nombreux cas, il est prévu des tribunaux spéciaux et des procédures spéciales de
sanction relevant du droit indigène coutumier (souvent centrées sur le pardon et
la réconciliation entre l’auteur et la victime), afin justement de sauvegarder les
coutumes, traditions et valeurs des minorités indigènes12. Concernant
particulièrement le droit pénal substantiel, les membres des groupes natifs
peuvent parfois, en vertu de lois spécifiques, avoir des comportements qui
peuvent autrement être considérés comme infraction pénale : par exemple,
chasser des espèces animales sévèrement protégées de toute autre forme
d’agression13, ou contracter un mariage consanguin ou en deçà de l’âge légal
prévu pour le reste de la population14.
Dans la catégorie des immigrants « culturellement différents », on trouve plutôt
tous ceux qui sont issus de lieux dans lesquels le fait commis revêt des
significations « autres » que celles qui lui sont attribuées dans l’État de
commission. Toutefois, généralement, la tolérance affichée par les ordres pénaux
nationaux pour les «actes illicites culturels » commis par des sujets appartenant à
des minorités immigrantes est inférieure à celle réservée aux actes illicites
analogues commis par ceux qui appartiennent à des minorités natives, étant
donné que les premiers ne peuvent invoquer ni le droit à l’autodétermination, ni
les droits ancestraux légitimant leur acte15. En outre, on considère – à tort ou à
raison – que les immigrants doivent témoigner une moindre résistance à
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KERCHOVE, S. VAN DROOGHENBROECK (dir.), Bruxelles, 2007, p. 531 et suiv. ; ID., « Modelli penali
e società multiculturale », cit., p. 64 et suiv.
11
Cfr., en particulier, les articles. 8 e 9 de la Convention n°169 « relative aux peuples indigènes et
tribaux dans les pays indépendants » adoptée à Genève le 27 juin 1989 et entrée en vigueur le
5 septembre 1991. L’article 8 prévoit que :
« 1. En appliquant la législation nationale aux peuples intéressés, il doit être dûment tenu compte de
leurs coutumes ou de leur droit coutumier.
2. Les peuples intéressés doivent avoir le droit de conserver leurs coutumes et institutions dès lors
qu'elles ne sont pas incompatibles avec les droits fondamentaux définis par le système juridique national
et avec les droits de l'homme reconnus au niveau international. Des procédures doivent être établies, en
tant que de besoin, pour résoudre les conflits éventuellement soulevés par l'application de ce principe.
3. L'application des paragraphes 1 et 2 du présent article ne doit pas empêcher les membres desdits
peuples d'exercer les droits reconnus à tous les citoyens et d'assumer les obligations correspondantes. »
L’article 9 prévoit que :
« 1. Dans la mesure où cela est compatible avec le système juridique national et avec les droits de
l'homme reconnus au niveau international, les méthodes auxquelles les peuples intéressés ont recours
à titre coutumier pour réprimer les délits commis par leurs membres doivent être respectées.
2. Les autorités et les tribunaux appelés à statuer en matière pénale doivent tenir compte des
coutumes de ces peuples dans ce domaine. »
12
Cf. A. BERNARDI, Modelli penali e società multiculturale, cit., p. 64 et suiv.
13
Cf. À titre d’exemples, parmi une vaste littérature, A.D. RENTELN, The Cultural Defense¸ cit., p. 95
et suiv.
14
Cf. le § 15.1.4 del Rohde Island Marriage Statutes. En doctrine cf. A.D. RENTELN, The Cultural
Defense¸ cit., p. 121.
15
Cf. A. BERNARDI, « Minoranze culturali e diritto penale », in Diritto penale e processo, 2005,
p. 1194 et suiv.

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POLITIQUE CRIMINELLE COMPARÉE

abandonner leurs coutumes d’origine en vue d’une intégration rapide16.


Les sujets provenant de pays culturellement éloignés ne peuvent donc
« prétendre » à ce que leurs traditions soient reconnues par les États d’accueil et
avoir – dans certains cas – une sorte de sauf-conduit pénal. Ils se bornent
généralement à « espérer » ou, au plus, à « demander » que leur condition
existentielle particulière soit prise en considération adéquate. En tous les cas,
contrairement à ce qui est prévu pour les minorités autochtones, on ne trouve
dans aucun pays pour les minorités immigrantes des tribunaux spéciaux dotés de
procédures spécifiques ; elles peuvent au plus bénéficier de circonstances
justificatives ou atténuantes relativement aux infractions pénales rattachables
à leurs actes17.
À ce stade, il convient toutefois de souligner qu’en Italie et dans la majeure
partie des pays de l’Union européenne, il existe seulement très peu de minorités
autochtones (il s’agit essentiellement de rares groupes sédentaires de Roms et de
juifs) caractérisés par des particularités culturelles significatives. En revanche,
on assiste à une augmentation rapide et considérable des immigrants provenant
de pays avec des traditions assez différentes des nôtres.
Par ailleurs, il faut noter que les infractions culturelles ne sont pas toujours
commises par des auteurs appartenant à des groupes ayant des traditions très
différentes des nôtres. Parfois, des peuples très proches entre eux ont des
différences culturelles notables avec des retombées significatives en matière
pénale. On pense, par exemple, à la grande différence du seuil de tolérance qui
oppose la France et la Hollande en ce qui concerne la consommation de
stupéfiants. Ainsi, l’usage illicite de telles substances sur le territoire français par
un citoyen hollandais peut rentrer dans la catégorie des infractions culturelles au
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sens large. Il en est de même pour la conduite d’un véhicule à très haute vitesse
par un Allemand sur une autoroute suisse ou danoise en raison de l’absence de
limite de vitesse autoroutière en Allemagne et la présence au contraire de limites
très rigoureuses dans les pays nordiques qui lui sont frontaliers. En effet, même
dans ce cas, on peut vraisemblablement retenir que la « culture automobile »
particulière du conducteur allemand l’empêche de comprendre pleinement
le caractère illicite de son propre comportement18.
Il est vrai, néanmoins, que les infractions culturelles les plus diffuses et
redoutées (maltraitances, mutilations génitales, polygamie, etc.) impliquent des
différences sociales profondes, vérifiables seulement entre habitants d’États qui
sont géographiquement et culturellement éloignés.

16
A. BERNARDI, « Le droit pénal, bouclier ou épée des différences culturelles », cit., p. 533.
17
Cf. A. BERNARDI, Modelli penali e società multiculturale, cit., p. 74 et suiv.
18
A. BERNARDI, « Le droit pénal, bouclier ou épée des différences culturelles », cit., p. 499 et suiv ;
ID., « Europe sans frontières et droit pénal », in Rev. sc. crim., 2002, p. 1 et suiv.

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POLITIQUE CRIMINELLE COMPARÉE

III. INFRACTIONS CULTURELLES ET NATURE RÉTRIBUTIVE DE LA PEINE

Je tenterai maintenant d’expliquer la raison pour laquelle les infractions


culturelles sont, pour la doctrine, un sujet de très grand intérêt, comme en
témoignent les nombreux ouvrages et articles scientifiques sur le sujet publiés
ces dernières années. En extrême synthèse, la raison de cet intérêt ne réside pas
seulement dans le fait que l’augmentation des immigrants, en Italie comme dans
les autres pays de l’Union européenne et dans tout l’Occident, a entrainé une
multiplication rapide des infractions en question ; il est également dû au fait que
la discipline relative à de telles infractions constitue pour la science pénale
un problème très difficile voire un véritable nœud gordien.
À cet égard, il faut d’abord rappeler que la sanction criminelle se caractérise,
d’une part, par sa nature rétributive et, d’autre part, par sa fonction préventive.
Le caractère rétributif de la peine renvoie aux concepts de justice et proportion,
imposant qu’il soit appliqué une sanction proportionnée à la gravité globale du fait.
Cette gravité présente à son tour deux aspects : un objectif et l’autre subjectif.
En ce qui concerne la gravité objective, celle-ci dépend de l’importance du
bien/intérêt lésé ou mis en péril lors de la commission de l’infraction. En résumé,
il est clair qu’un homicide (qui suppose la lésion du bien-vie) implique sur
le plan de la rétribution une peine supérieure au vol (qui se limite à la lésion du
bien-patrimoine) ; ainsi qu’il est clair qu’un vol consommé est objectivement
plus grave qu’un vol tenté (à l’égard duquel, comme on le sait, le bien-
patrimoine est seulement mis en danger).
En ce qui concerne ensuite la gravité subjective de l’infraction, celle-ci dépend
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du degré de culpabilité de l’auteur, c’est-à-dire, avant tout, du niveau d’intensité
de l’élément subjectif de l’infraction. En ce sens, il est clair qu’un homicide
intentionnel est subjectivement plus grave qu’un homicide non intentionnel ;
il est ainsi, sur le plan de la rétribution, puni plus sévèrement. Mais la culpabilité
globale de l’auteur va au-delà du binôme dol-faute. En particulier, selon la
doctrine majoritaire, elle dépend aussi de la grande ou faible « proximité de
l’auteur à l’infraction ». Raul Zaffaroni, un très célèbre pénaliste argentin, a ainsi
bien résumé la question : plus l’on est socialement et culturellement « proche de
l’infraction », moins élevé sera le degré de culpabilité relatif à l’infraction en
question, étant donné que l’« effort » fourni pour la commettre est plus faible et
les freins inhibant pouvant empêcher sa réalisation sautent plus facilement.
En revanche, plus l’on est socialement et culturellement « éloigné de
l’infraction », plus l’on est coupable parce que la contribution subjective à la
commission de cette infraction est plus élevée et l’« effort » mis en œuvre pour
enfreindre la loi est plus intense19. En ce sens, le vol commis par un fils de
tziganes qui lui ont inculqué la normalité du vol est subjectivement moins grave
que le vol commis par le fils de gendarmes qui l’ont élevé dans le culte de la
légalité : le jeune rom est en effet culturellement plus « proche de l’infraction »
19
Cf., en particulier, R. ZAFFARONI, « Colpevolezza e vulnerabilità », in Riv. it. dir. proc. pen., 2003,
p. 349 point 38, p. 351 point 43.

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POLITIQUE CRIMINELLE COMPARÉE

en question que le fils des gendarmes ; il est par rapport à ce dernier moins muni
d’« anticorps culturels » pouvant le détourner de la commission de délits contre
le patrimoine.
Les interdits pénaux culturellement fondés (par exemple, les infractions de coups
et de maltraitance en famille commises par des auteurs provenant de pays dans
lesquels de telles maltraitances font partie du ius corrigendo du chef de famille,
l’infraction de polygamie commise par l’immigré né dans un pays où il est possible
d’avoir plusieurs épouses) présentent un degré de gravité objective égal à celui que
peuvent avoir ces mêmes faits illicites lorsqu’ils ne sont pas appuyés par
les traditions du groupe d’appartenance. Dans les exemples ci-dessus, la gravité
subjective est toutefois différente selon que l’auteur a ou non réalisé l’infraction
sur la base d’un « facteur culturel prédisposant » ; par exemple, demander
l’aumône en étant accompagné d’un mineur lui imposant ainsi de ne pas fréquenter
l’école obligatoire est un comportement subjectivement moins grave si l’auteur est
un Rom (en ce qu’il est « culturellement proche » de tels comportements) ; ces
mêmes comportements sont plus graves s’ils sont commis par un citoyen commun.
Dans ce sens, on peut affirmer que toutes les infractions sont subjectivement moins
graves si elles sont appuyées par un motif culturel au sens susmentionné.
On vient d’expliquer pourquoi les faits illicites, lorsqu’ils sont culturellement
fondés, tendent, sur le plan rétributif, à être punis moins sévèrement, voire, dans
certains cas, à être tolérés par le législateur.
Un exemple de fait illicite permis par le droit italien seulement s’il est
culturellement fondé nous est offert par la législation sur l’abattage. Si un
boucher italien ordinaire tue un animal par exsanguination et sans
étourdissement préalable, il sera pénalement sanctionné pour maltraitance envers
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les animaux (parce qu’il n’a pas tué l’animal d’une manière indolore comme cela
est prescrit par la loi), mais s’il s’agissait d’un boucher juif ou arabe, il serait
légitimé à commettre l’acte en question, parce que dans ce cas – toujours sur la
base de la loi italienne – l’intérêt de l’animal à ne pas souffrir est (à mon avis,
malheureusement) écarté par la loi au bénéfice de l’intérêt au maintien d’une
tradition minoritaire en matière d’abattage rituel et au droit à la liberté religieuse
qui sous-tendent de telles modalités sacrificielles20.
L’exemple qu’on vient d’évoquer constitue, à dire vrai, une hypothèse plutôt
exceptionnelle pour notre système pénal, lequel tend, en principe, à ne pas
concéder des « faits justificatifs culturels ». Mais dans les Etats qui ont une
empreinte plus multiculturaliste que le nôtre, les exemples de ce type sont plus
fréquents. Ainsi, au Royaume-Uni, le fait de conduire une moto sans casque est
considéré comme une infraction, sauf si l’auteur appartient à la minorité Sikh21,
pour laquelle le port du turban est toujours autorisé.

20
Cf. art. 2, al.1, lett. h) et art. 5, al. 2, D.Lgs. 1er septembre 1998, n. 333 «Attuazione della Direttiva
93/119/CE relativa alla protezione degli animali durante la macellazione o l’abbattimento».
21
Cf. art. 16 par. 2 du Road Traffic Act de 1988.

188
POLITIQUE CRIMINELLE COMPARÉE

Il est vrai, toutefois, que les cas dans lesquels une infraction cesse d’apparaître
telle lorsqu’elle est commise par un immigré « culturellement légitimé » ne sont
jamais très nombreux. Plus fréquentes sont, en revanche, les hypothèses dans
lesquelles c’est le juge qui tient compte de la culpabilité atténuée de l’auteur
culturellement différent. Ainsi, le juge peut admettre au bénéfice de cet auteur la
présence de circonstances atténuantes, lesquelles ne pourraient être accordées aux
autres auteurs des mêmes faits. Prenons l’exemple de la circonstance atténuante du
fait d’« avoir agi pour des motifs de particulière valeur morale ou sociale », motifs
qui pourraient être retenus à la lumière des conceptions morales et sociales
particulières du groupe d’appartenance22. Mais, surtout, le juge peut prendre en
considération les « particularités culturelles » de l’auteur lors de la modulation
discrétionnaire de la peine. En Italie, les articles 132 et 133 du code pénal
concernent le pouvoir discrétionnaire du juge grâce auquel ce dernier peut
appliquer, pour chaque infraction commise, entre le maximum et le minimum de la
peine abstraitement prévue par la loi. Dans cette opération, le juge peut tenir
compte de multiples facteurs dont certains sont particulièrement aptes à être
réinterprétés en termes « culturels ». Il suffit de penser généralement au facteur
relatif aux « modalités de l’action » prévu par l’article 133 alinéa 1 n°1 du code
pénal, ou à celui sur les « conditions de vie individuelle, familiale et sociale de
l’auteur » prévu par l’alinéa 2 n°4 du même article. Il s’agit en réalité de facteurs
pouvant tous être interprétés (de manière plus ou moins forcée) en termes
rétributifs, et sont donc susceptibles de graduer la responsabilité pénale de l’auteur.
Dans un sens large, le pouvoir discrétionnaire du juge peut aussi se manifester
dans les cas où il restreint par voie interprétative le champ d’application de
certaines infractions lorsqu’elles sont commises pour des raisons culturelles23 ;
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ou bien dans les cas où il utilise – lorsqu’il ya la possibilité d’appliquer au même
fait diverses normes d’incrimination – la norme qui prévoit la peine la plus
légère24. En Italie, nombreuses sont les décisions relatives à la mendicité des
mineurs, omission des obligations scolaires, maltraitance en famille, lésions,
mutilations génitales (du moins jusqu’à la loi de 2006 expressément introduite
pour punir plus sévèrement ces faits)25, dans lesquelles il est arrivé que le juge,
en vertu de son pouvoir discrétionnaire, applique des peines même très modestes
à l’égard de l’auteur d’infractions culturellement fondées.

22
D’autre part, il est vrai que, actuellement, l’orientation majoritaire de la jurisprudence est celle
« qui utilise, pour apprécier le motif comme particulièrement pertinent, la référence aux
comportements etico-sociaux dominants » : cf. L. VERGINE, « Commento all’art. 62 », in Codice
penale commentato. Parte generale, a cura di E. Dolcini e G. Marinucci, Milano, 1999, p. 655, avec
les références jurisprudentielles et doctrinales citées.
23
Cf. A. BERNARDI, Il “fattore culturale” nel sistema penale, cit., p. 98 et suiv.
24
Cf. A. BERNARDI, Il “fattore culturale” nel sistema penale, cit., p. 102 et suiv.
25
Cf. la loi du 9 janvier 2006 relative aux “Disposizioni concernenti la prevenzione e il divieto delle
pratiche di mutilazione genitale femminile” laquelle a introduit dans le code pénal l’art. 583-bis.

189
POLITIQUE CRIMINELLE COMPARÉE

IV. INFRACTIONS CULTURELLES ET FONCTION PRÉVENTIVE DE LA PEINE

Mais, comme je l’ai précédemment rappelé, la peine ne se définit pas seulement


par sa nature rétributive ; elle remplit également des fonctions de prévention
générale et spéciale. Particulièrement, pour ce qui nous intéresse ici, la sanction
pénale prévue par le législateur exerce les fonctions générales-préventives
d’intimidation collective, d’orientation culturelle et d’intégration sociale26 ;
tandis que la sanction pénale infligée par le juge remplit les fonctions spéciales-
préventives de neutralisation et de resocialisation27.
Concentrons-nous, dans un premier temps, sur la fonction générale-préventive
d’intimidation collective. On s’accorde facilement à dire que celle-ci est
inhérente non seulement à la certitude et à la rapidité de la peine28, mais aussi à
la gravité de celle-ci (en d’autres termes, la crainte de la peine découle aussi –
pour certains en premier lieu – de sa sévérité). Comme, en raison des traditions
partagées avec le groupe social d’appartenance, souvent les membres de
minorités culturelles ont une probabilité élevée de commettre des infractions
culturellement motivées, et comme ils proviennent souvent de pays dans lesquels
les peines sont plus sévères que dans les systèmes pénaux occidentaux, certains
soutiennent que seules des peines d’une gravité élevée seraient à même d’avoir
sur eux des effets réellement dissuasifs29. Ceci explique, du moins en partie,
la raison pour laquelle, pour certaines infractions culturelles considérées
intolérables, le législateur tend à prévoir des peines particulièrement sévères,
voire plus sévères que celles qu’on pourrait imaginer dans une perspective
purement rétributive centrée sur la gravité objective et subjective du fait.
L’exemple des infractions de mutilations génitales est particulièrement illustratif.
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La volonté d’éradiquer l’habitude commune aux personnes provenant de pays
africains dans lesquels ces mutilations sont admises de faire mutiler leurs propres
filles a amené le législateur italien à distinguer ces mutilations de toutes les
autres lésions graves voire gravissimes30, et à prévoir pour les auteurs de ces
infractions des peines très élevées propres (du moins l’a espéré le législateur)
à intimider même ceux qui sont les plus enclins à la délinquance.
26
Cfr., en général et pour tous, F. PALAZZO, Corso di diritto penale. Parte generale, Torino, 2011,
p. 13 et suiv.
27
Cf., pour tous, G. MARINUCCI, E. DOLCINI, Manuale di diritto penale. Parte generale, Milano,
2006, p. 4 ; S. CANESTRARI, L. CORNACCHIA, G. DE SIMONE, Manuale di diritto penale. Parte
generale, Bologna, 2007, p. 61
28
Cf., en général et pour tous, A. PAGLIARO, « Le indagini empiriche sulla prevenzione generale: una
interpretazione dei risultati », in Rivista italiana di diritto e procedura penale, 1981, p. 447 et suiv.
29
Cfr., à titre d’exemples, R.H. WORMHOUDT, De culturele achtergronden en strafrechtspleging, in
Proces »,, 1986, p. 105 et suiv. ; Nordest, « la rivolta dei romeni onesti: ”Bucarest si riprenda i
criminali », in http://209.85.129.132/search?q=cache:Gxzkl61mY4kJ:ambasada.it/lofiversion/ index.
php%3Ft7206.html+gli+immigrati+vengono+condannati+nei+loro+paesi+a+pene+severe&cd=5&hl
=it&ct=clnk ; Cosa penso io della situazione, in I forum di Yahoo – notizie – immigrati, in
http://it.messages.news.yahoo.com/Notizie/Italia/threadview?m=mm&bn=ITN-IT-
Immigrati&tid=1166&mid=-1&tof=5&so=LR&rt=2&frt=2&off=1. Sur la tendance de certains juges
à augmenter la peine en raison de la grande “résistance à son encontre” par les auteurs d’infractions
culturelles, cf. A. BERNARDI, Il “fattore culturale” nel sistema penale, cit., p. 22 et suiv.
30
Cf., à cet égard, les articles. 582, 583 e 583bis c.p.

190
POLITIQUE CRIMINELLE COMPARÉE

Si elle est justifiée sur le plan préventif d’intimidation, la règle punitive prévue
pour les mutilations génitales apparait toutefois, comme on l’a déjà dit, trop
sévère sur le plan rétributif. En effet, les parents qui pratiquent la mutilation
sexuelle sur leur propre fille sont, pour les raisons déjà rappelées, sans doute
moins coupables, donc méritant d’être moins sanctionnés pénalement, que les
parents qui occasionnent intentionnellement à leurs enfants des lésions gravissimes
(telles que leur faire perdre la vue ou leur amputer les bras). Ceci s’explique par
le fait que la mutilation sexuelle trouve son explication, même perverse, dans les
traditions du groupe auquel les parents appartiennent, alors que l’aveuglement et
l’amputation ne peuvent être invoqués pour des raisons culturelles. Pourtant,
ces mêmes parents « culturellement conditionnés », et comme tels moins
coupables, encourent une peine prévue par le législateur plus sévère que celle
applicable aux parents qui volontairement rendent aveugle ou amputent leur
enfant. Il est évident que le législateur estime que peu de pères et mères ont les
comportements évoqués ci-dessus, et qu’il n’y a donc pas besoin de menacer d’une
peine particulièrement sévère pour prévenir la réalisation fréquente des faits de ce
type. Il suppose, en revanche, qu’avec l’augmentation progressive du phénomène
migratoire, de nombreux parents immigrés voudraient faire mutiler les organes
génitaux de leurs propres filles, de sorte qu’il est nécessaire d’opposer à ces auteurs
potentiels des peines fortement dissuasives.
Si, en tant que pénaliste, on reconnait l’importance de la fonction générale-
préventive d’intimidation, on ne peut toutefois admettre qu’elle puisse
absolument prévaloir sur la fonction rétributive. Mieux encore, on peut
concevoir que le législateur, à la lumière de certaines exigences préventives
modérées, décide de prévoir une peine moins grave que celle susceptible d’être
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appliquée sur le plan rétributif31 aux auteurs d’une certaine infraction. Mais on
ne pourra jamais admettre que, pour des exigences générales-préventives
particulièrement urgentes, la peine appliquée à ces sujets soit augmentée plus
qu’elle ne devrait l’être au niveau rétributif32. En ce sens, les pénalistes affirment
que le législateur ne peut pour aucune infraction prévoir, pour des raisons
préventives, une peine excessive par rapport à la gravité de cette même
infraction ; menacer d’une peine plus sévère que celle admissible sur le plan
rétributif reviendrait à transformer le futur auteur de l’infraction en instrument de
politique criminelle, ce qui serait contraire, entre autres, aux principes de
proportionnalité et de personnalité de la responsabilité pénale33. C’est pour cette
raison que même les pénalistes les plus soucieux des droits des femmes, bien
qu’ils soient fortement opposés aux mutilations génitales, sont néanmoins

31
Cf. T. PADOVANI, « Teoria della colpevolezza e scopi della pena », in Riv. it. dir. proc. e pen.,
1987, p. 832 et suiv.
32
Cf., en particulier, E. DOLCINI, La commisurazione della pena. La pena detentiva, Padova, 1979;
G. FIANDACA, E. MUSCO, Diritto penale.Parte generale, Bologna, 2011, p. 319 et suiv., p. 753 et suiv.
33
Cf., pour tous, A. BERNARDI, Il “fattore culturale” nel sistema penale, cit., p. 91 et suiv. ;
C. GRANDI, « Fattore culturale e responsabilità penale », cit., p. 125.

191
POLITIQUE CRIMINELLE COMPARÉE

unanimement critiques à l’égard de la loi italienne34 qui s’appuie sur des peines
draconiennes pour prévenir de telles mutilations35.
Mutatis mutandis, le même discours peut être reproduit à l’égard soit de la
fonction générale-préventive d’orientation culturelle36, soit de la fonction
générale-préventive d’intégration sociale, ou même à l’égard de la fonction
spéciale-préventive de neutralisation. Il ne serait alors pas permis au législateur
de prévoir une peine plus sévère que celle requise en vertu de la gravité de
l’infraction pour encourager le sentiment hypothétique de réprobation collective
à l’égard de l’infraction en question. Il serait encore plus inadmissible que
le législateur altère in malam partem le rapport de proportionnalité entre
l’infraction et la peine dans l’objectif de renforcer le consensus des citoyens
autour de la loi37. Enfin, en ce qui concerne les sanctions pénales concrètement
prononcées par le juge, les pénalistes admettent généralement que ce dernier –
pour que la peine puisse remplir sa fonction de rééducation ou en raison de la
faible dangerosité de l’auteur – puisse en l’espèce appliquer une peine moins
grave que celle susceptible d’être appliquée au délinquant sur la base de son
degré de culpabilité. Par contre, on estime intolérable que le juge – pour des
raisons particulières de rééducation du condamné induisant le recours à un
traitement progressif en détention qui se prolonge dans le temps ou bien en
raison de son niveau assez élevé de dangerosité suggérant l’application d’une
incapacitation extrêmement longue – puisse décider de frapper l’auteur de
l’infraction d’une peine plus sévère que celle proportionnée à sa culpabilité38.
Tout ce qui vient d’être dit a des effets immédiats sur la matière punitive prévue
par le législateur relativement aux infractions culturelles, ainsi que sur les choix
des sanctions adoptés par le juge, lorsque certaines infractions (par exemple,
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délits de maltraitance en famille, lésions volontaires, violence sexuelle) ont été
commises pour des motifs culturels. Par conséquent, on ne peut en principe
évoquer vis-à-vis des infractions culturelles aucun argument fondé sur des

34
Cf., supra, sub nt. 25.
35
Cf. notamment R. BARTOLI, « Il pluralismo religioso tra coercizione e libertà », in Religione e
religioni: prospettive di tutela, tutela della libertà, a cura di G. De Francesco, C. Piemontese,
E. Venafro, Torino, 2007, p. 90 ; F. BASILE, « La nuova incriminazione delle pratiche di mutilazione
degli organi genitali femminili − Il commento », in Dir. pen. proc., 2006, p. 690 et suiv. ;
G. FORNASARI, « Mutilazioni genitali femminili e “reati culturali” », in Legalità penale e crisi del
diritto, oggi, a cura di A. Bernardi, C. Pastore, A. Pugiotto, Milano, 2008, p. 188 et suiv. ;
A. GUAZZAROTTI, Giudici e Islam. La soluzione giurisprudenziale dei “conflitti culturali », in
Studium iuris, 2002, p. 876 ; T. PITCH, « Il trattamento giuridico delle mutilazioni genitali
femminili », in Questione giustizia, 2001, p. 510 et suiv.
36
En effet, selon la doctrine la plus influente, appliquer une peine plus sévère que celle qui devrait
être appliquée conformément à la gravité de l’infraction favorise, au sein de la collectivité des
citoyens, le surgissement d’un sentiment de révolte à l’égard de la norme d’incrimination. N’étant
pas considérée juste, cette norme ne pourrait recueillir le consensus de la collectivité ; elle ne pourrait
donc réaliser un effet positif d’orientation culturelle. En ce sens, comme on l’a déjà dit, l’effet de
prévention générale positive n’est pas associé au niveau absolu de la sanction, mais au niveau
considéré juste par la société au sein de laquelle la sanction va être appliquée : cf. déjà A. PAGLIARO,
« Le indagini empiriche sulla prevenzione generale: una interpretazione dei risultati », cit.
37
Cf. F. PALAZZO, Corso di diritto penale. Parte generale, cit., p. 18 et suiv., p. 38.
38
Cf., supra, sub nt. 32.

192
POLITIQUE CRIMINELLE COMPARÉE

raisons de prévention générale ou spéciale pour prévoir in abstracto ou


prononcer in concreto des sanctions pénales plus élevées que celles en principe
applicables sur la base des principes de culpabilité et de proportionnalité. Mais
on sait qu’il est presque impossible de fixer la limite au-delà de laquelle la peine
prévue est tellement excessive qu’elle sera sûrement déclarée inconstitutionnelle
[ ??], ou encore la limite au-delà de laquelle la peine prononcée et les motifs qui
la soutiennent apparaissent tellement irraisonnables que celle-ci sera sûrement
censurée [ ??] par la Cour européenne des droits de l’homme39. Voila pourquoi
la réforme de 2006 sur les mutilations génitales est encore en vigueur malgré sa
conformité plus ou moins douteuse à la Constitution, et que la jurisprudence
italienne relative aux infractions culturelles rend des décisions qui sont parfois
tellement hostiles à l’égard des immigrants qu’elle pourrait induire le soupçon d’un
racisme qui ne se cache pas mais reste difficile à atteindre. À titre d’exemple,
relativement à une espèce de violence sexuelle commise par deux Pakistanais, un
juge de Bologne ne s’est pas limité à affirmer que l’appréciation du caractère
illicite du fait ne peut être effectuée selon les paramètres en vigueur dans le milieu
de provenance de l’auteur ; il a affirmé que, aux termes de l’article 133 alinéa 2
n°4, « plus les conditions de vie individuelle, familiale et sociale reflètent un
système de règles contraires à celles qui inspirent la protection pénale, plus sévère
doit être la sanction »40. Cette décision finit ainsi par renverser la thèse
susmentionnée de Zaffaroni41, au point de soumettre le sujet socialement et
culturellement plus « proche de l’infraction » à une peine (non pas diminuée, mais)
augmentée d’une façon absolument injustifiable sur le plan rétributif.

V. INFRACTIONS CULTURELLES ET VICTIMES VULNÉRABLES


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Venons maintenant à la seconde et plus brève partie de ce travail où j’entends
souligner, d’une part, que les infractions culturelles choisissent les femmes et les
mineurs comme victimes privilégiées42 et, d’autre part, que la réglementation
pénale de ces infractions peut parfois porter préjudice aux droits des sujets en
question.
En ce qui concerne le premier point, il suffit d’observer que, parfois, les pays
d’origine des étrangers perpétuent des traditions plus patriarcales et machistes
que les nôtres ; ils tolèrent, acceptent voire légalisent des formes
39
Cf., amplius, A. Bernardi, « Les principes de droit national et leur développement au sein des
systèmes pénaux français et italien », in Rev. sc. crim., 1994, p. 17 et suiv.
40
GUP Trib. Bologna, 30 novembre 2006, cité par F. BASILE, « Immigrazione e reati ‘culturalmente
motivati’ », cit., p. 216 et suiv.; B. DESI, « Diversità culturale e principio di uguaglianza nel processo
penale il diritto penale dell’uguaglianza formale », in http://files.giuristidemocratici.it/giuristi/Zfiles/
ggdd_20070514170100.pdf ; aussi — avec une véhémente critique — C. GRANDI, « I reati
culturalmente motivati nella giurisprudenza italiana: una categoria negletta? », in Diritto Contro.
Meccanismi giuridici di esclusione dello straniero, a cura di O. Giolo, M. Pifferi, Torino,
Giappichelli, 2009, parr. 4 e 5, notes 48 e 65.
41
Cf., supra, sub par. III.
42
Ceci est confirmé par l’examen de la jurisprudence relative aux infractions culturellement
motivées. Sur ce point, cf., en particulier et pour tous, F. BASILE, « Immigrazione e reati
‘culturalmente motivati’ », cit., p. 157 et suiv., p. 252 et suiv.

193
POLITIQUE CRIMINELLE COMPARÉE

d’asservissement de la femme, des mineurs et, en général, des sujets faibles qui
ne sont plus admises en Italie et dans le reste du monde occidental43.
Des exemples dans ce sens concernent – comme je l’ai déjà rappelé – aussi bien
l’usage persistant des coups et des maltraitances comme ius corrigendi de
l’homme sur son épouse, ses enfants, parfois même sur ses subordonnés, que
l’acceptation persistante des mutilations génitales. D’autres exemples analogues
et bien connus concernent l’acceptation de la pratique consistant à imposer à la
femme un mariage même par la violence, ou encore la tolérance et parfois même
la légitimation du viol lorsqu’il est commis par le mari sur son épouse (il faut
cependant rappeler, à vrai dire, que jusqu’à il ya peu d’années ou décennies, dans
certains États occidentaux – par exemple, au Royaume-Uni – le viol n’était pas
considéré comme tel s’il était commis par le mari)44. Pour compléter le cadre ici
seulement esquissé, il faut également mettre en évidence que souvent dans
les pays de provenance des immigrés les infractions de sang pour violation de
l’honneur conjugal ou familial sont punies par des peines très douces, privant
ainsi les femmes d’une protection légale adéquate (même dans ce cas, il faut
néanmoins rappeler qu’une législation pénale analogue est restée en vigueur en
Italie jusqu’à 1981, date à laquelle les fameuses infractions d’homicide et de
lésions pour cause d’honneur45 ont été abrogées).
En tous les cas, étant donné que − comme on l’a déjà dit − dans la plupart des
cas les infractions culturelles frappent plutôt les femmes et les mineurs, il est
évident que les diverses réponses adoptées par les différents systèmes pénaux
nationaux peuvent se révéler différemment satisfaisantes en ce qui concerne
l’exigence de protéger de manière renforcée les catégories des sujets dotés d’une
défense faible. Passons ainsi au second point du thème relatif aux rapports entre
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les infractions culturelles et les victimes vulnérables, concernant justement le
degré de protection offerte par le système pénal aux victimes ci-dessus évoquées.
Il est clair que le choix législatif et jurisprudentiel d’intervenir avec une
particulière sévérité à l’égard des auteurs d’infractions culturelles peut
visiblement être justifié non seulement par le facteur spécial motivant de tels
auteurs (facteur, déjà rappelé, relatif à leurs traditions ancestrales qui
favoriseraient leur passage au crime), mais aussi par la condition de forte
vulnérabilité qui, comme on l’a vu, caractérise la majeure partie des sujets
passifs concernés. Toutefois, il convient encore une fois d’affirmer que les
raisons d’ordre préventif, quelles qu’elles soient, peuvent éventuellement
justifier tout au plus le recours à des peines plus légères que celles à prévoir ou à
prononcer à la lumière du seul principe de proportionnalité46. En ce sens, par
exemple, le législateur peut faire preuve de clémence dans le cas où les victimes
43
Toutefois, la doctrine souligne que, encore dans un passé récent, de nombreuses infractions
culturelles d’aujourd’hui furent « tolérées ou du moins appréciées avec une généreuse indulgence »
par le code pénal italien. F. BASILE, « Immigrazione e reati ‘culturalmente motivati’ », cit., p. 162.
44
Sur le dépassement (assez récent) du “principe général de common law selon lequel le mari ne peut
être déclaré coupable de viol envers sa propre épouse”, cf. Cour EDH, 22 novembre 1995, S.W. e
C.R. c. Royaume-Uni.
45
Cf. l’art. 587 c.p.
46
Cf., supra, sub par. IV, note 31.

194
POLITIQUE CRIMINELLE COMPARÉE

potentielles d’une certaine infraction se révèlent particulièrement capables de se


défendre, ce qui permet de retirer, du moins en partie, à la sanction pénale sa
fonction préventive d’intimidation. De même, le juge peut appliquer une peine
plutôt bienveillante par rapport à la gravité des faits commis par certains auteurs,
lorsqu’il estime que ces derniers, lors du procès, se sont du moins en partie
ravisés et qu’ils n’ont ainsi plus besoin d’un traitement prolongé de rééducation
en détention. Par contre, les raisons d’ordre préventif sus-évoquées ne peuvent
en aucun cas justifier le recours par le législateur et le juge à des peines
disproportionnées par excès. En ce sens, il convient de réaffirmer que la peine
prévue de manière abstraite et celle prononcée dans le cas concret sont toutes les
deux limitées « vers le haut » par des raisons de proportionnalité relevant des
concepts de justice et d’équité47. Ces raisons font éviter à l’auteur d’être
totalement soumis aux raisons de la prévention jusqu’à devenir un pur
instrument de politique criminelle.
Par conséquent, en ce qui concerne les infractions culturelles, il faut à nouveau
souligner que ce sont souvent les raisons susmentionnées de « proportionnalité
rétributive » qui induisent aussi bien le législateur que le juge à faire preuve de
clémence. En effet, l’un et l’autre sont portés avant tout à tolérer (le premier à
travers des faits justificatifs spéciaux48, le second à travers le recours à des
institutions de la partie générale telles que l’erreur de droit excusable ou bien
l’incapacité de comprendre et de vouloir49) la commission de certaines
infractions caractérisées d’un faible coefficient d’alarme sociale, dans le cas où
les traditions du groupe minoritaire auquel l’auteur appartient sont à l’origine de
ces infractions. Ils peuvent aussi être amenés à punir avec des peines assez
faibles certaines infractions culturelles marquées par un niveau d’alarme social
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qui n’est pas très élevé. Dans les cas en question, comme déjà rappelé,
le comportement autrement illicite est toléré en vertu de la prévalence affirmée
des « instances culturelles » du groupe minoritaire auquel le sujet actif
appartient, ou bien le comportement illicite est puni moins sévèrement au nom
de la culpabilité diminuée de l’auteur résultant des influences négatives de
matrice culturelle auxquelles il est exposé.
Il est vrai, d’ailleurs, que chaque fois que, pour des raisons relevant des
traditions d’une minorité, on tolère des faits portant atteinte à des biens/intérêts
en principe pénalement protégés, ou à chaque fois que leurs auteurs respectifs
sont soumis à des peines diminuées en raison de leur culpabilité réduite à cause
de l’appartenance à une culture minoritaire, les titulaires desdits biens se
trouvent privés d’une protection adéquate, ou du moins, le niveau de protection
qui devrait leur être assuré pour des raisons préventives50 se trouve réduit. De
47
Cf. A. BERNARDI, « Les principes de droit national et leur développement au sein des systèmes
pénaux français et italien », cit. p. 16.
48
Cf., en particulier, A. BERNARDI, Il “fattore culturale” nel sistema penale, cit., p. 73 et suiv.
49
Cf., en particulier, F. BASILE, Immigrazione e reati ‘culturalmente motivati’, cit., p. 382 et suiv.
50
Cfr., pour tous et avec différentes nuances, E. COLOMBO, Le società multiculturali, Roma, 2002,
p. 90; A. FACCHI, I diritti nell’Europa multiculturale. Pluralismo normativo e immigrazione, Roma-
Bari, 2001, en particluier p. 19 e p. 31; W. KYMLICKA, « Teoria e pratica del multiculturalismo
d’immigrazione », in Multiculturalismo o comunitarismo?, a cura di E. Caniglia e A. Spreafico,

195
POLITIQUE CRIMINELLE COMPARÉE

surcroît, en tenant justement compte du fait que les infractions culturelles ont
comme victimes préférentielles les femmes et les mineurs51, on court le risque de
voir paradoxalement ces catégories de victimes, non pas bien protégées en raison
de leur particulière vulnérabilité, mais au contraire doublement exposées au délit
du fait de la superposition de leur capacité d’autodéfense limitée et de l’érosion
des effets préventifs de la peine en raison de sa faible sévérité voire de son
application manquée52.
Tout ceci contraste avec la tendance en place dans plusieurs pays à renforcer la
protection des femmes et des mineurs à travers l’introduction d’incriminations
pénales spéciales particulièrement sévères (un exemple à ce sujet est offert par
les normes en matière de féminicide introduites récemment dans le système
pénal de nombreux pays, spécifiquement de langue espagnole53, et récemment
même en Italie54, et aussi par les normes visant à sanctionner soit la traite et
l’exploitation sexuelle des femmes et des mineurs soit la pornographie infantile,
récemment adoptées ou modifiées dans plusieurs pays à la suite d’importantes
initiatives en la matière venant de l’Union européenne55, du Conseil de
l’Europe56 et des Nations Unies57). Face à cette tendance considérable à
l’accroissement des instruments pénaux à l’égard des victimes vulnérables,
le traitement punitif souvent établi pour les auteurs d’infractions culturelles
implique aussi une considérable érosion des effets préventifs ante delictum de la
peine (effet d’intimidation collective et effet d’orientation culturelle) et des effets
préventifs post delictum (effet de neutralisation de l’auteur, effet d’intimidation

Roma, 2003, p. 151 et suiv.; L. MIAZZI, « Immigrazione, regole familiari e criteri di giudizio »,
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in Questione giustizia, 2005, p. 762, avec d’autres références bibliographiques S. BENHABIB,
La rivendicazione dell’identità culturale. Eguaglianza e diversità nell’era globale, Bologna, 2005,
p. 124. L’auteur souligne que “la tentative par les tribunaux libéraux de rendre justice au pluralisme
culturel et à la variété des expériences culturelles des immigrants a conduit à une grande vulnérabilité
des membres plus faibles de ces groupes – c’est-à-dire des femmes et des mineurs” (p. 125).
51
Plus généralement, on peut affirmer que les infractions ayant une empreinte multiculturaliste
tendent à avoir comme victimes des entités particulièrement vulnérables : ainsi non seulement les
femmes et les enfants mais aussi les animaux : A. BERNARDI, Il “fattore culturale” nel sistema
penale, cit., p. 10, p. 42.
52
Cf., par rapport aux femmes et aux mineurs, A. BERNARDI, Il “fattore culturale” nel sistema
penale, cit., p. 98 et suiv.; par rapport aux animaux cf. P. CASAL, « Is multiculturalism Bad for
Animals? », in Journal of Political Philosophy, vol. 11, n. 1, 2003, p. 1 et suiv.
53
E. CORN, « “Femminicidio” come reato. Spunti per un dibattito italiano alla luce dell'esperienza
cilena », in Diritto penale contemporaneo, 14 settembre 2013.
54
Cf. Loi du 15 octobre 2013, n. 119. “Conversione in legge del d.l. 14 agosto 2013, n. 93, recante
disposizioni urgenti in materia di sicurezza e per il contrasto della violenza di genere, nonchè in tema di
protezione civile e di commissariamento delle province”. Sur cette loi, Cf. L. PISTORELLI, « Prime note
sulla legge di conversione, con modificazioni, del d.l. n. 93 del 2013, in materia tra l’altro di «violenza
di genere» e di reati che coinvolgano minori », in Diritto penale contemporaneo, 18 Ottobre 2013.
55
Cf., en particulier, la décision-cadre 2004/68/GAI du Conseil du 22 décembre 2003 relative à la
lutte contre l’exploitation sexuelle des enfants et la pornographie infantile.
56
Cf., par exemple et récemment, la Convention d’Istanbul du Conseil de l’Europe sur la prévention
et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, ouverte à la signature à
Istanbul le 11 mai 2011.
57
Cf. la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination de la femme (CEDAW)
adoptée en 1979 par l'Assemblée générale des Nations unies et entrée in vigueur le 3 septembre 1981.

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POLITIQUE CRIMINELLE COMPARÉE

de ce dernier, effet de rééducation par la soumission du coupable à un traitement


rééducatif et de resocialisation à durée raisonnable).
On voit alors clairement ce nœud gordien dont j’ai parlé au début de ce travail :
reconnaître au « facteur culturel » des sujets appartenant à des groupes
minoritaires des effets justificatifs ou atténuants est, à mon avis, entièrement
légitime à la lumière du caractère rétributif de la sanction pénale, mais contre-
indiqué à la lumière de la fonction préventive de cette sanction, spécialement
lorsque de la spécificité des victimes découle la nécessité de prévoir à leur
bénéfice des formes renforcées de protection. De ce fait, donner une grande
place in bonam partem aux mobiles culturels de l’auteur peut se révéler contraire
aux instruments internationaux conçus dans une perspective de « lutte » contre
certaines formes graves de criminalité ou visant à éliminer toutes les formes
d’inégalité basées sur l’appartenance à une catégorie particulière de sujets.
À cet égard, un exemple emblématique est donné par la Convention des Nations
Unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des
femmes (CEDAW) déjà évoquée58. En effet, la première partie de son article 5
dispose que «Les Etats parties prennent toutes les mesures appropriées pour :
a) Modifier les schémas et modèles de comportement socioculturel de l’homme
et de la femme en vue de parvenir à l’élimination des préjugés et des pratiques
coutumières, ou de tout autre type, qui sont fondés sur l’idée de l’infériorité ou
de la supériorité de l’un ou l’autre sexe ou d'un rôle stéréotypé des hommes et
des femmes ». Il est en effet évident que le fait de prévoir dans le système pénal
national des mécanismes visant à atténuer la responsabilité pénale des sujets
lesquels, même en raison de leur vision particulière du monde, ont des
comportements niant les droits et la dignité des femmes n’est certainement pas
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le mode le meilleur pour parvenir à l’élimination des préjugés sur les rôles
stéréotypés des personnes appartenant au sexe dit faible.
Enfin, il est toutefois intéressant de noter que, paradoxalement, les délits
culturels peuvent parfois produire des effets défavorables à l’égard même des
femmes, dans les cas où les infractions en question sont punies de peines
particulièrement sévères pour des raisons préventives. Un exemple dans ce sens
est donné par la récente loi française qui a institué l’interdiction de porter le voile
intégral59. Cette loi, que certaines forces politiques italiennes voudraient voir
également introduite en Italie, expose les femmes musulmanes qui s’obstinent
éventuellement à porter la burqa ou le niqab à une forme de victimisation légale
destinée à s’ajouter à celle, d’origine culturelle, qui les amène à cacher leur
visage (il est vrai pourtant que la loi française met tout en œuvre pour éviter que
cela n’arrive, soumettant à des sanctions bien plus graves, parfois même
privatives de liberté, les hommes qui obligent les femmes à se voiler). Un autre
exemple dans ce sens est fourni par la loi italienne sur les mutilations génitales,
étant donné que les peines très sévères qu’elle introduit risquent de s’appliquer

58
Cf., supra, sub note 57. Cette Convention a été ratifiée par l’Italie en 1985.
59
Votée le 11 octobre 2010, la loi interdisant le port du niqab en France est entrée en application le
11 avril 2011.

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POLITIQUE CRIMINELLE COMPARÉE

surtout à l’égard de sujets de sexe féminin. En effet, dans la plupart des cas,
ce sont les mères qui font mutiler leurs filles ou ce sont surtout des femmes qui
sont appelées à faire ces interventions chirurgicales. À cet égard, un auteur a
remarqué que, comme une sorte de « piège psychologique, les victimes
deviennent des bourreaux pour fuir la marginalisation sociale »60.
J’estime personnellement que le choix entre « punir faiblement en raison de la
culpabilité diminuée de l’auteur pour des raisons culturelles », emportant ainsi
une protection moindre des victimes faibles des infractions culturelles, ou au
contraire « punir au-delà de la culpabilité de l’auteur » pour protéger ces
victimes constitue l’un de ces « choix tragiques » bien connus des adeptes de la
science pénale61. « Choix tragiques » qui constituent en même temps un motif
d’angoisse et de fascination pour ceux qui se consacrent à l’étude de cette chose
terrible qu’est le droit criminel.
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60
A. ZURZOLO, « Iraq, parlarne agli uomini è tabù. Nonne che praticano le mutilazioni genitali », in
http://osservatorioiraq.it/rapporti/iraq-parlarne-agli-uomini-tab%C3%B9-nonne-che-praticano-le
61
Cf., en particulier, G. CALABRESI, P. BOBBITT, Tragic Choices, New York, 1978.

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