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Responsabilité Pénale Et Société Multiculturelle.
Responsabilité Pénale Et Société Multiculturelle.
L'expérience italienne
Alessandro Bernardi
Dans Archives de politique criminelle 2014/1 (n° 36), pages 181 à 198
Éditions Éditions Pédone
ISSN 0242-5637
ISBN 9782233007261
DOI 10.3917/apc.036.0179
© Éditions Pédone | Téléchargé le 30/04/2023 sur www.cairn.info (IP: 82.76.150.106)
par
ALESSANDRO BERNARDI
Professeur de droit pénal à l’Université de Ferrare
Directeur de l’Ecole doctorale en « Diritto dell’Unione Europea e ordinamenti nazionali »
de l’Université de Ferrare
I. INTRODUCTION
(*)
Traduit de l’italien par Hajer Rouidi, docteur en droit à l’Université de Poitiers.
1
Cf. E. GROSSO, « Multiculturalismo e diritti fondamentali nella Costituzione italiana »,
A. BERNARDI, in Multiculturalismo, diritti umani, pena, Milano, 2004, p. 116 et suiv.
2
A. BERNARDI, Modelli penali e società multiculturale, Torino, 2006, p. 62 et suiv.
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selon leur appartenance ou non à des ethnies minoritaires ou selon les origines
culturelles particulières de leur acte. Même après les premières vagues migratoires,
la science juridico-pénale a, à dire vrai, évité pendant un certain temps de débattre
sur le thème des rapports entre multiculturalisme et droit pénal, se montrant
largement insensible à des questions qui faisaient ailleurs par exemple aux États-
Unis d’Amérique, dans le continent sud-américain, dans plusieurs pays du
Commonwealth – depuis longtemps l’objet d’une très grande attention3.
Et pourtant, en quelques années, tout a changé sous l’effet d’exodes à dimensions
bibliques et d’une révolution sociale conséquente qui ne pouvait pas ne pas avoir
d’impact sur le domaine juridique. C’est ainsi qu’on assiste, y compris en Italie, à
une floraison de lois4, décisions judiciaires5, publications scientifiques6, colloques
portant sur la même question, à savoir : comment l’« origine culturelle » de
l’auteur peut-elle agir sur la qualification pénale de certains faits par lui commis,
sa responsabilité pénale et les peines qui lui sont applicables ?
Ce travail vise justement à illustrer quel est le rôle assumé, sur le plan pénal, par
le « facteur culturel » particulier de l’auteur. Il se divise parfaitement en deux
parties. La première tend à expliquer ce que sont les « infractions culturelles »,
à déterminer les principales catégories de leurs auteurs, à illustrer succinctement
les diverses typologies des infractions en question, à résumer la matière
législative et jurisprudentielle qui s’y rapporte. La seconde partie s’intéresse,
d’une part, à souligner la tendance des infractions culturelles à choisir les
femmes et les mineurs comme victimes privilégiées et, d’autre part, à mettre en
lumière le fait que cette même législation − qui vise à lutter contre de telles
infractions − peut être préjudiciable aux droits des femmes et des mineurs.
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Venons donc, tout d’abord, au concept d’« infractions culturelles ». Par cette
expression, on fait habituellement référence aux faits qui sont considérés comme
infractions par la loi de l’État où ils ont été commis, mais qui sont, selon les cas,
imposés, approuvés, acceptés, tolérés ou du moins justifiés en vertu de normes
juridiques et/ou de traditions en vigueur au sein du groupe d’appartenance de
l’auteur. Il s’agit donc d’infractions qui sont fortement influencées par le « facteur
culturel » particulier de l’auteur, facteur différent de celui de la majorité des
citoyens et qui induit à faire ce qui est (du moins en principe) interdit par la loi.
On pense, par exemple, aux personnes provenant des pays d’Afrique centrale qui,
conformément à leurs propres traditions, ont des rapports sexuels avec leurs
compatriotes mineurs selon la loi du lieu de l’infraction ; aux natifs de l’Asie
orientale du sud lesquels, selon les modèles existant dans leur milieu d’origine,
destinent des adolescents aux travaux qui leur sont interdits à raison de l’âge dans
le pays de résidence ; aux personnes qui, au regard de la conception de la vie
familiale et des pouvoirs du chef de famille existant dans leur pays d’origine, ont
des comportements relevant, selon le droit de l’État dans lequel elles vivent, de
l’infraction de maltraitance familiale ; à ceux qui appartiennent à des minorités
culturelles, raciales, religieuses qui, pour des raisons diverses, soumettent des
hommes et des femmes d’un âge assez variable à des mutilations ou déformations
rituelles d’importance variée (circoncision, cicatrices ornementales, allongement
du cou ou des lèvres, contraction des pieds, infibulation, etc.) ou bien à des formes
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7
Cf., pour tous, T. SELLIN, Culture Conflict and Crime, New York, 1938; et, plus récemment et pour
tous, RENTELN, The Cultural Defense¸ New York, 2004 ; J. Van BROECK, « Cultural Defense and
Culturally Motivated Crimes (Cultural Offences) », cit. ; L. MONTICELLI, « Le “Cultural Defences”
(esimenti culturali) e i reati “culturalmente orientati”. Possibili divergenze tra pluralismo culturale e
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sistema penale », in Indice pen., 2003, p. 540 ; A. PHILLIPS, « When Culture Means Gender: Issues of
Cultural Defence in the British Courts », in Modern Law Review, 2003, n. 66, p. 510 et suiv.
8
Cfr., per tutti, A. BERNARDI, Modelli penali e società multiculturale, cit., p. 81 et suiv. ;
L. HINCKER, Etrangers et justice pénale », in www.cfait.org/immigration/analyse/15.html
9
À propos duquel cfr., parmi une très vaste bibliographie, A. CERRI, « Libertà, eguaglianza, pluralismo
nella prospettiva della garanzia delle minoranze », in Riv. trim. dir. pubbl., 1993, p. 289 et suiv. ;
F. LATTANZI, Autodeterminazione dei popoli », in Dig. Disc. pubbl., II, Torino, 1987, p. 4 et suiv. ;
G. PALMISANO, Nazioni Unite e autodeterminazione interna. Il principio alla luce degli strumenti
rilevanti dell’ONU, Milano, 1987
10
Cf. A. BERNARDI, « Le droit pénal, bouclier ou épée des différences culturelles », in Les droits de
l'homme, bouclier ou épée du droit pénal ?, Y. CARTUYVELS, H. DUMONT, F. OST, M. VAN DE
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Il est dès lors évident que, dans la plupart des États qui connaissent des minorités
autochtones, la législation pénale prévue pour les infractions culturelles
commises par des auteurs appartenant à ces minorités est imprégnée, dans les
limites du possible, du respect de leur spécificité. Il suffit de penser que, dans de
nombreux cas, il est prévu des tribunaux spéciaux et des procédures spéciales de
sanction relevant du droit indigène coutumier (souvent centrées sur le pardon et
la réconciliation entre l’auteur et la victime), afin justement de sauvegarder les
coutumes, traditions et valeurs des minorités indigènes12. Concernant
particulièrement le droit pénal substantiel, les membres des groupes natifs
peuvent parfois, en vertu de lois spécifiques, avoir des comportements qui
peuvent autrement être considérés comme infraction pénale : par exemple,
chasser des espèces animales sévèrement protégées de toute autre forme
d’agression13, ou contracter un mariage consanguin ou en deçà de l’âge légal
prévu pour le reste de la population14.
Dans la catégorie des immigrants « culturellement différents », on trouve plutôt
tous ceux qui sont issus de lieux dans lesquels le fait commis revêt des
significations « autres » que celles qui lui sont attribuées dans l’État de
commission. Toutefois, généralement, la tolérance affichée par les ordres pénaux
nationaux pour les «actes illicites culturels » commis par des sujets appartenant à
des minorités immigrantes est inférieure à celle réservée aux actes illicites
analogues commis par ceux qui appartiennent à des minorités natives, étant
donné que les premiers ne peuvent invoquer ni le droit à l’autodétermination, ni
les droits ancestraux légitimant leur acte15. En outre, on considère – à tort ou à
raison – que les immigrants doivent témoigner une moindre résistance à
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16
A. BERNARDI, « Le droit pénal, bouclier ou épée des différences culturelles », cit., p. 533.
17
Cf. A. BERNARDI, Modelli penali e società multiculturale, cit., p. 74 et suiv.
18
A. BERNARDI, « Le droit pénal, bouclier ou épée des différences culturelles », cit., p. 499 et suiv ;
ID., « Europe sans frontières et droit pénal », in Rev. sc. crim., 2002, p. 1 et suiv.
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en question que le fils des gendarmes ; il est par rapport à ce dernier moins muni
d’« anticorps culturels » pouvant le détourner de la commission de délits contre
le patrimoine.
Les interdits pénaux culturellement fondés (par exemple, les infractions de coups
et de maltraitance en famille commises par des auteurs provenant de pays dans
lesquels de telles maltraitances font partie du ius corrigendo du chef de famille,
l’infraction de polygamie commise par l’immigré né dans un pays où il est possible
d’avoir plusieurs épouses) présentent un degré de gravité objective égal à celui que
peuvent avoir ces mêmes faits illicites lorsqu’ils ne sont pas appuyés par
les traditions du groupe d’appartenance. Dans les exemples ci-dessus, la gravité
subjective est toutefois différente selon que l’auteur a ou non réalisé l’infraction
sur la base d’un « facteur culturel prédisposant » ; par exemple, demander
l’aumône en étant accompagné d’un mineur lui imposant ainsi de ne pas fréquenter
l’école obligatoire est un comportement subjectivement moins grave si l’auteur est
un Rom (en ce qu’il est « culturellement proche » de tels comportements) ; ces
mêmes comportements sont plus graves s’ils sont commis par un citoyen commun.
Dans ce sens, on peut affirmer que toutes les infractions sont subjectivement moins
graves si elles sont appuyées par un motif culturel au sens susmentionné.
On vient d’expliquer pourquoi les faits illicites, lorsqu’ils sont culturellement
fondés, tendent, sur le plan rétributif, à être punis moins sévèrement, voire, dans
certains cas, à être tolérés par le législateur.
Un exemple de fait illicite permis par le droit italien seulement s’il est
culturellement fondé nous est offert par la législation sur l’abattage. Si un
boucher italien ordinaire tue un animal par exsanguination et sans
étourdissement préalable, il sera pénalement sanctionné pour maltraitance envers
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Cf. art. 2, al.1, lett. h) et art. 5, al. 2, D.Lgs. 1er septembre 1998, n. 333 «Attuazione della Direttiva
93/119/CE relativa alla protezione degli animali durante la macellazione o l’abbattimento».
21
Cf. art. 16 par. 2 du Road Traffic Act de 1988.
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Il est vrai, toutefois, que les cas dans lesquels une infraction cesse d’apparaître
telle lorsqu’elle est commise par un immigré « culturellement légitimé » ne sont
jamais très nombreux. Plus fréquentes sont, en revanche, les hypothèses dans
lesquelles c’est le juge qui tient compte de la culpabilité atténuée de l’auteur
culturellement différent. Ainsi, le juge peut admettre au bénéfice de cet auteur la
présence de circonstances atténuantes, lesquelles ne pourraient être accordées aux
autres auteurs des mêmes faits. Prenons l’exemple de la circonstance atténuante du
fait d’« avoir agi pour des motifs de particulière valeur morale ou sociale », motifs
qui pourraient être retenus à la lumière des conceptions morales et sociales
particulières du groupe d’appartenance22. Mais, surtout, le juge peut prendre en
considération les « particularités culturelles » de l’auteur lors de la modulation
discrétionnaire de la peine. En Italie, les articles 132 et 133 du code pénal
concernent le pouvoir discrétionnaire du juge grâce auquel ce dernier peut
appliquer, pour chaque infraction commise, entre le maximum et le minimum de la
peine abstraitement prévue par la loi. Dans cette opération, le juge peut tenir
compte de multiples facteurs dont certains sont particulièrement aptes à être
réinterprétés en termes « culturels ». Il suffit de penser généralement au facteur
relatif aux « modalités de l’action » prévu par l’article 133 alinéa 1 n°1 du code
pénal, ou à celui sur les « conditions de vie individuelle, familiale et sociale de
l’auteur » prévu par l’alinéa 2 n°4 du même article. Il s’agit en réalité de facteurs
pouvant tous être interprétés (de manière plus ou moins forcée) en termes
rétributifs, et sont donc susceptibles de graduer la responsabilité pénale de l’auteur.
Dans un sens large, le pouvoir discrétionnaire du juge peut aussi se manifester
dans les cas où il restreint par voie interprétative le champ d’application de
certaines infractions lorsqu’elles sont commises pour des raisons culturelles23 ;
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D’autre part, il est vrai que, actuellement, l’orientation majoritaire de la jurisprudence est celle
« qui utilise, pour apprécier le motif comme particulièrement pertinent, la référence aux
comportements etico-sociaux dominants » : cf. L. VERGINE, « Commento all’art. 62 », in Codice
penale commentato. Parte generale, a cura di E. Dolcini e G. Marinucci, Milano, 1999, p. 655, avec
les références jurisprudentielles et doctrinales citées.
23
Cf. A. BERNARDI, Il “fattore culturale” nel sistema penale, cit., p. 98 et suiv.
24
Cf. A. BERNARDI, Il “fattore culturale” nel sistema penale, cit., p. 102 et suiv.
25
Cf. la loi du 9 janvier 2006 relative aux “Disposizioni concernenti la prevenzione e il divieto delle
pratiche di mutilazione genitale femminile” laquelle a introduit dans le code pénal l’art. 583-bis.
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Si elle est justifiée sur le plan préventif d’intimidation, la règle punitive prévue
pour les mutilations génitales apparait toutefois, comme on l’a déjà dit, trop
sévère sur le plan rétributif. En effet, les parents qui pratiquent la mutilation
sexuelle sur leur propre fille sont, pour les raisons déjà rappelées, sans doute
moins coupables, donc méritant d’être moins sanctionnés pénalement, que les
parents qui occasionnent intentionnellement à leurs enfants des lésions gravissimes
(telles que leur faire perdre la vue ou leur amputer les bras). Ceci s’explique par
le fait que la mutilation sexuelle trouve son explication, même perverse, dans les
traditions du groupe auquel les parents appartiennent, alors que l’aveuglement et
l’amputation ne peuvent être invoqués pour des raisons culturelles. Pourtant,
ces mêmes parents « culturellement conditionnés », et comme tels moins
coupables, encourent une peine prévue par le législateur plus sévère que celle
applicable aux parents qui volontairement rendent aveugle ou amputent leur
enfant. Il est évident que le législateur estime que peu de pères et mères ont les
comportements évoqués ci-dessus, et qu’il n’y a donc pas besoin de menacer d’une
peine particulièrement sévère pour prévenir la réalisation fréquente des faits de ce
type. Il suppose, en revanche, qu’avec l’augmentation progressive du phénomène
migratoire, de nombreux parents immigrés voudraient faire mutiler les organes
génitaux de leurs propres filles, de sorte qu’il est nécessaire d’opposer à ces auteurs
potentiels des peines fortement dissuasives.
Si, en tant que pénaliste, on reconnait l’importance de la fonction générale-
préventive d’intimidation, on ne peut toutefois admettre qu’elle puisse
absolument prévaloir sur la fonction rétributive. Mieux encore, on peut
concevoir que le législateur, à la lumière de certaines exigences préventives
modérées, décide de prévoir une peine moins grave que celle susceptible d’être
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31
Cf. T. PADOVANI, « Teoria della colpevolezza e scopi della pena », in Riv. it. dir. proc. e pen.,
1987, p. 832 et suiv.
32
Cf., en particulier, E. DOLCINI, La commisurazione della pena. La pena detentiva, Padova, 1979;
G. FIANDACA, E. MUSCO, Diritto penale.Parte generale, Bologna, 2011, p. 319 et suiv., p. 753 et suiv.
33
Cf., pour tous, A. BERNARDI, Il “fattore culturale” nel sistema penale, cit., p. 91 et suiv. ;
C. GRANDI, « Fattore culturale e responsabilità penale », cit., p. 125.
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unanimement critiques à l’égard de la loi italienne34 qui s’appuie sur des peines
draconiennes pour prévenir de telles mutilations35.
Mutatis mutandis, le même discours peut être reproduit à l’égard soit de la
fonction générale-préventive d’orientation culturelle36, soit de la fonction
générale-préventive d’intégration sociale, ou même à l’égard de la fonction
spéciale-préventive de neutralisation. Il ne serait alors pas permis au législateur
de prévoir une peine plus sévère que celle requise en vertu de la gravité de
l’infraction pour encourager le sentiment hypothétique de réprobation collective
à l’égard de l’infraction en question. Il serait encore plus inadmissible que
le législateur altère in malam partem le rapport de proportionnalité entre
l’infraction et la peine dans l’objectif de renforcer le consensus des citoyens
autour de la loi37. Enfin, en ce qui concerne les sanctions pénales concrètement
prononcées par le juge, les pénalistes admettent généralement que ce dernier –
pour que la peine puisse remplir sa fonction de rééducation ou en raison de la
faible dangerosité de l’auteur – puisse en l’espèce appliquer une peine moins
grave que celle susceptible d’être appliquée au délinquant sur la base de son
degré de culpabilité. Par contre, on estime intolérable que le juge – pour des
raisons particulières de rééducation du condamné induisant le recours à un
traitement progressif en détention qui se prolonge dans le temps ou bien en
raison de son niveau assez élevé de dangerosité suggérant l’application d’une
incapacitation extrêmement longue – puisse décider de frapper l’auteur de
l’infraction d’une peine plus sévère que celle proportionnée à sa culpabilité38.
Tout ce qui vient d’être dit a des effets immédiats sur la matière punitive prévue
par le législateur relativement aux infractions culturelles, ainsi que sur les choix
des sanctions adoptés par le juge, lorsque certaines infractions (par exemple,
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34
Cf., supra, sub nt. 25.
35
Cf. notamment R. BARTOLI, « Il pluralismo religioso tra coercizione e libertà », in Religione e
religioni: prospettive di tutela, tutela della libertà, a cura di G. De Francesco, C. Piemontese,
E. Venafro, Torino, 2007, p. 90 ; F. BASILE, « La nuova incriminazione delle pratiche di mutilazione
degli organi genitali femminili − Il commento », in Dir. pen. proc., 2006, p. 690 et suiv. ;
G. FORNASARI, « Mutilazioni genitali femminili e “reati culturali” », in Legalità penale e crisi del
diritto, oggi, a cura di A. Bernardi, C. Pastore, A. Pugiotto, Milano, 2008, p. 188 et suiv. ;
A. GUAZZAROTTI, Giudici e Islam. La soluzione giurisprudenziale dei “conflitti culturali », in
Studium iuris, 2002, p. 876 ; T. PITCH, « Il trattamento giuridico delle mutilazioni genitali
femminili », in Questione giustizia, 2001, p. 510 et suiv.
36
En effet, selon la doctrine la plus influente, appliquer une peine plus sévère que celle qui devrait
être appliquée conformément à la gravité de l’infraction favorise, au sein de la collectivité des
citoyens, le surgissement d’un sentiment de révolte à l’égard de la norme d’incrimination. N’étant
pas considérée juste, cette norme ne pourrait recueillir le consensus de la collectivité ; elle ne pourrait
donc réaliser un effet positif d’orientation culturelle. En ce sens, comme on l’a déjà dit, l’effet de
prévention générale positive n’est pas associé au niveau absolu de la sanction, mais au niveau
considéré juste par la société au sein de laquelle la sanction va être appliquée : cf. déjà A. PAGLIARO,
« Le indagini empiriche sulla prevenzione generale: una interpretazione dei risultati », cit.
37
Cf. F. PALAZZO, Corso di diritto penale. Parte generale, cit., p. 18 et suiv., p. 38.
38
Cf., supra, sub nt. 32.
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d’asservissement de la femme, des mineurs et, en général, des sujets faibles qui
ne sont plus admises en Italie et dans le reste du monde occidental43.
Des exemples dans ce sens concernent – comme je l’ai déjà rappelé – aussi bien
l’usage persistant des coups et des maltraitances comme ius corrigendi de
l’homme sur son épouse, ses enfants, parfois même sur ses subordonnés, que
l’acceptation persistante des mutilations génitales. D’autres exemples analogues
et bien connus concernent l’acceptation de la pratique consistant à imposer à la
femme un mariage même par la violence, ou encore la tolérance et parfois même
la légitimation du viol lorsqu’il est commis par le mari sur son épouse (il faut
cependant rappeler, à vrai dire, que jusqu’à il ya peu d’années ou décennies, dans
certains États occidentaux – par exemple, au Royaume-Uni – le viol n’était pas
considéré comme tel s’il était commis par le mari)44. Pour compléter le cadre ici
seulement esquissé, il faut également mettre en évidence que souvent dans
les pays de provenance des immigrés les infractions de sang pour violation de
l’honneur conjugal ou familial sont punies par des peines très douces, privant
ainsi les femmes d’une protection légale adéquate (même dans ce cas, il faut
néanmoins rappeler qu’une législation pénale analogue est restée en vigueur en
Italie jusqu’à 1981, date à laquelle les fameuses infractions d’homicide et de
lésions pour cause d’honneur45 ont été abrogées).
En tous les cas, étant donné que − comme on l’a déjà dit − dans la plupart des
cas les infractions culturelles frappent plutôt les femmes et les mineurs, il est
évident que les diverses réponses adoptées par les différents systèmes pénaux
nationaux peuvent se révéler différemment satisfaisantes en ce qui concerne
l’exigence de protéger de manière renforcée les catégories des sujets dotés d’une
défense faible. Passons ainsi au second point du thème relatif aux rapports entre
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surcroît, en tenant justement compte du fait que les infractions culturelles ont
comme victimes préférentielles les femmes et les mineurs51, on court le risque de
voir paradoxalement ces catégories de victimes, non pas bien protégées en raison
de leur particulière vulnérabilité, mais au contraire doublement exposées au délit
du fait de la superposition de leur capacité d’autodéfense limitée et de l’érosion
des effets préventifs de la peine en raison de sa faible sévérité voire de son
application manquée52.
Tout ceci contraste avec la tendance en place dans plusieurs pays à renforcer la
protection des femmes et des mineurs à travers l’introduction d’incriminations
pénales spéciales particulièrement sévères (un exemple à ce sujet est offert par
les normes en matière de féminicide introduites récemment dans le système
pénal de nombreux pays, spécifiquement de langue espagnole53, et récemment
même en Italie54, et aussi par les normes visant à sanctionner soit la traite et
l’exploitation sexuelle des femmes et des mineurs soit la pornographie infantile,
récemment adoptées ou modifiées dans plusieurs pays à la suite d’importantes
initiatives en la matière venant de l’Union européenne55, du Conseil de
l’Europe56 et des Nations Unies57). Face à cette tendance considérable à
l’accroissement des instruments pénaux à l’égard des victimes vulnérables,
le traitement punitif souvent établi pour les auteurs d’infractions culturelles
implique aussi une considérable érosion des effets préventifs ante delictum de la
peine (effet d’intimidation collective et effet d’orientation culturelle) et des effets
préventifs post delictum (effet de neutralisation de l’auteur, effet d’intimidation
Roma, 2003, p. 151 et suiv.; L. MIAZZI, « Immigrazione, regole familiari e criteri di giudizio »,
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58
Cf., supra, sub note 57. Cette Convention a été ratifiée par l’Italie en 1985.
59
Votée le 11 octobre 2010, la loi interdisant le port du niqab en France est entrée en application le
11 avril 2011.
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surtout à l’égard de sujets de sexe féminin. En effet, dans la plupart des cas,
ce sont les mères qui font mutiler leurs filles ou ce sont surtout des femmes qui
sont appelées à faire ces interventions chirurgicales. À cet égard, un auteur a
remarqué que, comme une sorte de « piège psychologique, les victimes
deviennent des bourreaux pour fuir la marginalisation sociale »60.
J’estime personnellement que le choix entre « punir faiblement en raison de la
culpabilité diminuée de l’auteur pour des raisons culturelles », emportant ainsi
une protection moindre des victimes faibles des infractions culturelles, ou au
contraire « punir au-delà de la culpabilité de l’auteur » pour protéger ces
victimes constitue l’un de ces « choix tragiques » bien connus des adeptes de la
science pénale61. « Choix tragiques » qui constituent en même temps un motif
d’angoisse et de fascination pour ceux qui se consacrent à l’étude de cette chose
terrible qu’est le droit criminel.
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60
A. ZURZOLO, « Iraq, parlarne agli uomini è tabù. Nonne che praticano le mutilazioni genitali », in
http://osservatorioiraq.it/rapporti/iraq-parlarne-agli-uomini-tab%C3%B9-nonne-che-praticano-le
61
Cf., en particulier, G. CALABRESI, P. BOBBITT, Tragic Choices, New York, 1978.
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