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2016 - Verdier - Innovations Agronomiques
2016 - Verdier - Innovations Agronomiques
Hasparren
6 INRA, UR 545, Fromagères, 20 côte de Reyne, 15000 Aurillac
Correspondance : francoise.monsallier@cantal.chambagri.fr
Résumé
Les filières fromagères AOP ont conscience de la nécessité de changer de stratégie au niveau des
élevages pour préserver les microorganismes favorables à la transformation fromagère, et ainsi
maintenir la richesse des fromages au lait cru. Pour répondre à leurs interrogations, un programme de
Recherche et Développement sur l’accompagnement des producteurs de laits a été mis en place, afin
de fournir des outils aux techniciens accompagnant les producteurs. Dans ce cadre, une démarche
d’accompagnement a été testée dans dix entreprises de collecte et de transformation fromagère au lait
cru représentant six filières fromagères AOP. Sur la base d’une analyse sociologique et technique des
démarches tests, des échanges de savoir-faire entre les acteurs impliqués, des outils innovants ont été
conçus (démarche d’accompagnement au changement, méthodes d’analyses de la composition
microbiologique des laits, diagnostic des pratiques d’élevage, module de formation) pour sensibiliser les
acteurs des filières et faire évoluer à la fois les comportements et les pratiques en élevage. De
nouvelles connaissances ont été acquises sur les réservoirs de microorganismes susceptibles
d’ensemencer le lait et sur l’influence des pratiques d’élevage notamment sur l’hygiène post-traite au
travers d’une expérimentation en milieu contrôlé.
Mots-clés : filières fromagères AOP, lait cru, équilibres microbiens, pratiques d’élevage,
accompagnement, formation
Abstract: Assist dairy producers to guide the microbial balance of milk in favour of the quality
of raw milk cheeses
PDO cheeses network has become aware that a change of strategy in animal husbandry is needed to
preserve the microbial flora of interest in cheese-making and so to maintain the specificity of raw milk
cheeses. To answer to their question, a program of research and development was set up, to supply the
useful tools to the technicians who advice milk producers. In this context, an advisory method was
tested in ten small dairies using raw milk representing six French PDO cheeses. On the basis of a
sociological and technical analysis of the advisory methods tested, the involved actors exchanged about
their own “know-how”, innovative tools have been designed (advisory method to a change of attitudes,
analytical methods of the milk microbiota, diagnostic tool of breeding practices, applied training course)
to make PDO cheeses actors aware and induce change in behaviour and breeding practices. New
knowledge has been obtained on microorganisms potential reservoirs that can be sources of milk
inoculation and on the influence of farming practices in particular through an experiment on post-milking
hygiene in a controlled environment.
Keywords: PDO cheeses network, raw milk, microbial balance, farming practices, support service,
training
Introduction
Les filières fromagères sous Appellation d’Origine Protégée sont des éléments importants du tissu
économique et social des régions et s’inscrivent dans une dynamique de développement rural et
d’aménagement du territoire. L’originalité des fromages au lait cru repose en grande partie sur les
communautés microbiennes originelles du lait. Celles-ci leur confèrent diversité sensorielle et intensité
de goût mais aussi un lien au terroir, base de leur spécificité, et un argument pour leur protection et
pour l’apport d’une plus-value pour le territoire. Depuis plusieurs années, les opérateurs des filières
fromagères (producteurs, transformateurs…) constatent une dégradation de la qualité microbiologique
des laits appauvris en communautés microbiennes d’intérêt technologique et par conséquent de moins
en moins fromageables. En effet, la mise en place des normes (nécessaire il y a 30 ans), a entraîné
une diminution du niveau des microorganismes dans le lait bien au-delà des niveaux exigés. Les
opérateurs des filières fromagères AOP ont conscience qu’un changement de stratégie est nécessaire
au niveau des élevages pour préserver les microorganismes favorables à la transformation fromagère,
source de diversité sensorielle, tout en continuant à éliminer les pathogènes et ainsi maintenir la
richesse des fromages au lait cru. Pour répondre aux interrogations des filières fromagères, un
programme de Recherche et Développement FlorAcQ1 a été mis en œuvre par les partenaires2 du
groupe « Gestion des écosystèmes microbiens » du Réseau Fromages de Terroirs.
Les objectifs de ce programme étaient de :
- construire une démarche d’accompagnement des producteurs de laits pour favoriser, dès la
production du lait, les groupes microbiens d’intérêt et ainsi obtenir un lait adapté à la production
de fromages au lait cru,
- sensibiliser les acteurs des filières pour faire évoluer à la fois les comportements et les
pratiques.
La valorisation des communautés microbiennes naturelles des laits de ferme dans les fromages doit se
construire par une meilleure connaissance des écosystèmes microbiens en jeu, un changement de
stratégie et une évolution des pratiques en élevage et en fromagerie.
1 Programme CASDAR n°10019 : Accompagner les producteurs de lait engagés dans des filières sous signe de qualité et
d’origine pour gérer les communautés microbiennes des laits crus (janv 2011 à juin 2014).
2Chambres d’agriculture du Cantal et de l’Aveyron, INRA Clermont-Ferrand – Theix (URF et UEMA), Pôle fromager AOP
Massif Central, SUACI Alpes du Nord (devenu Ceraq), Centre Technique des Fromages Comtois, Comité Interprofessionnel
de Gestion du Comté, Languedoc-Roussillon Elevage, Institut de l’élevage, ISARA-Lyon, EI Purpan, Centre de Formation
des Apprentis Agricoles 64.
L’enjeu était de fournir aux filières fromagères et aux organismes du développement les outils
nécessaires à l’accompagnement des producteurs de laits pour orienter les équilibres microbiens des
laits en faveur de la qualité des fromages au lait cru.
Pour répondre à cet objectif, il était nécessaire de caractériser i) les actions sur le terrain : « qu’est ce
qui a été fait ? », ii) les comportements des acteurs : « qu’est-ce qu’en disent les acteurs ? », iii) les
impacts de ces actions : « en quoi les acteurs ont-ils évolué ? ». Au total, 40 entretiens semi-directifs
ont été conduits auprès de différents acteurs des six zones (référents, techniciens, responsables
production ou qualité et producteurs) en s’appuyant sur la méthode de Kling-Eveillard et al (2012).
1.2.2 Former les acteurs pour partager une culture et un vocabulaire communs
Les témoignages des producteurs ont montré qu’ils étaient demandeurs de connaissances de base sur
les microorganismes du lait (d’où viennent-ils ?, à quoi servent-ils en fromagerie ?, …). L’analyse a
montré que plus le transfert de connaissances incluait des échanges, (et non seulement un cours
magistral), plus l’acquisition de connaissances par les producteurs était importante. De plus, l’effet
groupe favorisait l’adhésion des producteurs à la démarche.
Coordinateur
Expert Coordinateur
Fromager Expert Coordinateur Technicien
Expert
Technicien
Autres Fromager
Responsable
qualité Producteur
Producteur
Mise en place d’un groupe de travail constitué de tous Le coordinateur de la démarche ou Le travail est réparti entre le coordinateur et un
les acteurs et animé par l’expert/référent ou le l’expert/référent est le pivot : responsable technique qui prend en charge les actions
coordinateur -réalise aussi les actions auprès des auprès des producteurs.
Principe
Toutes les décisions sont prises collectivement producteurs Les deux travaillent séparément, chacun prend seul les
Tous les membres du groupe participent à la -communique les avancées du projet et les décisions dans son domaine de compétences
coordination et à la mise en œuvre actions à venir aux autres acteurs Ils se rencontrent ponctuellement pour échanger sur
l’avancée du projet et les actions à venir
- Dynamique de groupe - Vision d’ensemble des actions par le - Efficacité et autonomie : chacun dans son domaine de
- Répartition des tâches sur un plus grand nombre coordinateur/pivot compétences
Atouts
d’acteurs
- Peut aussi servir à construire un groupe de travail sur
un temps long.
- Effort et temps de coordination (beaucoup de - Implication plus difficile des autres acteurs - Implication plus difficile des autres acteurs
Limites
réunions) - Besoin d’un soutien fort (légitimité) du pivot par - Circulation de l’information plus difficile entre acteurs,
- Nécessite que les acteurs partagent les mêmes le responsable de filière ou de l’atelier de - Disposer d’un responsable technique expérimenté
convictions et aspirent aux mêmes objectifs. transformation fromagère.
Tableau 2 : Description des trois types d’organisation observés dans le projet
Figure 2 : Familles bactériennes (genres) identifiées par séquençage de l’ADNr 16S de 467 colonies isolées sur
le milieu CRBM à partir de 21 laits de vache, 6 laits de brebis et 4 laits de chèvre.
3 Les scores affectés à chaque « situation » ont été établis à « dire d’experts » par les techniciens des entreprises.
Les genres Aerococcus et Lactococcus (bactéries lactiques) identifiés sur ce milieu à partir des laits de
vache se distinguaient des bactéries d’affinage par leur morphotype.
• Mesure de l’équilibre entre les principaux groupes microbiens des laits
Pour évaluer l’équilibre microbien global des laits crus, la proportion de cinq groupes microbiens,
quantifiés sur quatre milieux de culture, a été calculée et représentée graphiquement (Figure 3). Cette
méthode, testée sur 629 laits, s’est avérée être un outil de comparaison des laits de différentes
exploitations et de suivi de la qualité microbienne des laits d’une exploitation au cours du temps
permettant de mettre en évidence des modifications majeures en lien avec des changements de
pratiques (ex : mise au pâturage). Cependant, pour certains laits, ces quatre milieux de culture ne
quantifiaient pas l’ensemble des microorganismes cultivables sur un milieu non sélectif (PCA lait)
probablement du fait de leur trop grande sélectivité.
bactériennes non cultivables sur ces milieux. L’adaptation de cette méthode d’hybridation à une
quantification par cytométrie de flux pourrait fournir une méthode rapide et automatisée pour quantifier
les principaux groupes bactériens des laits crus.
Tableau 4 : Valeur moyenne (± écart-type) des groupes microbiens (log ufc/cm2) dénombrés sur la paille et les
caillebotis des ovins.
Support de couchage Paille Caillebotis Paille vs
(n=42) (n=24) caillebotis
A la surface des trayons, le niveau de flore totale était de 6,6 log ufc/2 trayons pour les vaches et 4,7
log ufc/trayon pour les brebis avec une dominance des bactéries d’affinage (95% des groupes
microbiens dénombrés). Chez les vaches, les bactéries lactiques (4,4 log ufc/2 trayons) et les bactéries
à Gram négatif (3,8 log ufc/2 trayons) étaient à un niveau inférieur. Les niveaux des levures et des
moisissures étaient inférieurs à 3 log ufc/2 trayons. Chez les brebis, les niveaux des bactéries lactiques,
bactéries à Gram négatif, levures et moisissures étaient inférieurs à 3 log ufc/trayon.
Les niveaux microbiens à la surface des trayons des vaches différaient selon la saison. Les niveaux des
bactéries d’affinage et des bactéries lactiques étaient 0,7 à 1 log ufc/2 trayons plus haut en hiver
(logement en étables) qu'en été (pâturage des vaches). Le confinement des vaches en étable durant
l’hiver pourrait expliquer ce résultat. Le type de litière (davantage marqué en ovins) et le bâtiment
influençaient également les niveaux microbiens à la surface des trayons. Par exemple, les niveaux des
groupes microbiens étaient globalement plus faibles quand les brebis étaient sur caillebotis que sur
litières végétales (paille, fougère) (Feutry, 2012). L’ensemble des corrélations entre les niveaux des
groupes microbiens des surfaces de couchage et ceux des trayons suggéraient l’existence d’un lien
sans qu’il soit encore possible d’établir sa nature. D’autre part, les niveaux des bactéries d’affinage, des
bactéries lactiques, des bactéries à Gram négative, des levures et des moisissures à la surface des
trayons des vaches étaient plus élevés lorsque les pratiques d’hygiène du trayon étaient peu ou
moyennement intensives confirmant ainsi les résultats de Bouton et al (2012) et Monsallier et al (2012).
3.1.2 Liens entre les niveaux microbiens des litières, des trayons et du lait
Dans le lait, le niveau de flore totale était de 3,6 log ufc/ml pour les vaches et 4,3 log ufc/ml pour les
brebis avec une dominance des bactéries d’affinage (2,9 log ufc/ml pour les vaches et 3,5 log ufc/ml
pour les brebis) et des bactéries lactiques (2,3 log ufc/ml pour les vaches et 2,6 log ufc/ml pour les
brebis). Les bactéries à Gram négatif (2 log ufc/ml pour les vaches et 2,4 log ufc/ml pour les brebis), les
levures (en moyenne 2 log ufc/ml) et les moisissures (<1 log ufc/ml) avaient des niveaux inférieurs.
La saison, le type de bâtiment et la nature de la litière avait un effet peu marqué sur les niveaux des
groupes microbiens des laits de vaches. Les niveaux des groupes microbiens à la surface des trayons
des vaches (avant préparation) et les niveaux des groupes microbiens des laits n’étaient pas corrélés.
L’hypothèse d’un point de rupture du lait de la sortie du trayon jusqu’au lait de tank doit être
approfondie. En revanche, en ovin, les niveaux des bactéries d’affinage et lactiques de la peau des
trayons étaient positivement corrélés à ceux du lait.
Les pratiques intensives d’hygiène du trayon et de nettoyage du matériel de traite entraînaient
généralement une baisse des niveaux des groupes microbiens du lait. Les pratiques d’hygiène autour
des trayons (pas de nettoyage des trayons en ovins) pourraient impacter le transfert des micro-
organismes du trayon au lait. Ces résultats confortent l’hypothèse que des pratiques intensives
d’hygiène du trayon et de nettoyage de la machine à traire diminueraient les niveaux microbiens des
laits. De plus, des analyses complémentaires en ovins ont montré le rôle non négligeable de la machine
à traire comme réservoir potentiel de microorganismes d’intérêt laitier et la corrélation entre la quantité
de certains groupes microbiens retrouvés dans ce réservoir et dans le lait.
Conclusion
La complémentarité des compétences, les échanges de savoir-faire entre les partenaires du projet,
l’implication forte des entreprises et des producteurs de lait ont permis de co-construire des outils
innovants à destination des filières fromagères ou ateliers de transformation fromagère soucieux
d’améliorer la spécificité de leurs fromages. Ceux-ci se déclinent en : 1/ une démarche
d’accompagnement « FlorAcQ », 2/ des méthodes d’analyses de la composition microbiologique des
laits, 3/ un diagnostic des pratiques d’élevage « FlorAcQ », 4/ un module de formation.
Grâce au programme FlorAcQ, des connaissances ont été acquises sur les réservoirs de
microorganismes susceptibles d’ensemencer le lait et l’influence des pratiques d’élevage. Elles ont été
partiellement diffusées lors de colloques scientifiques mais aussi de formations à destination des
techniciens d’élevage. Des perspectives de transfert des savoirs et outils du programme FlorAcQ se
dessinent. Ainsi, un programme visant à adapter la méthode FISH à une quantification des
microorganismes par cytométrie de flux impliquant l’INRA, le Pôle fromager AOP Massif central, le
Laboratoire interprofessionnel d’analyses laitières du Massif central et VetAgroSup est en cours. La
démarche FlorAcQ sera transférée aux filières dans le cadre du groupe transfert du RMT Réseau
fromages de terroirs au travers d’une offre d’accompagnement à la mise en œuvre de la démarche
FlorAcQ, de formations pour les techniciens et les laboratoires d’analyses laitières.
Ce programme conforte la nécessité de nouvelles stratégies pour la prise en compte des communautés
microbiennes naturelles des laits de ferme. Il milite pour une stratégie basée sur des pratiques
d’hygiène garantissant l’élimination des pathogènes mais aussi respectueuses de la biodiversité
microbienne et sur un accompagnement personnalisé des producteurs de lait qui s’inscrit dans la durée.
Pour consolider cette stratégie, il devrait se poursuivre par i) une description plus fine des
communautés microbiennes et par une meilleure connaissance des transferts de souches microbiennes
des environnements aux fromages, ii) une validation de la démarche à plus grande échelle et iii) une
mesure de l’impact des changements de stratégie au niveau de la production du lait sur la qualité finale
des fromages.
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