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Bulletin de psychologie

Utilisation diagnostique du Rorschach pour des


symptomatologies majeures d'allure phobique chez l'enfant
Olivier Douville, Irit Ventura Abrahamson

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Douville Olivier, Ventura Abrahamson Irit. Utilisation diagnostique du Rorschach pour des symptomatologies majeures
d'allure phobique chez l'enfant. In: Bulletin de psychologie, tome 45 n°406, 1992. Les méthodes projectives et leurs
applications pratiques. pp. 531-544;

doi : https://doi.org/10.3406/bupsy.1992.14171;

https://www.persee.fr/doc/bupsy_0007-4403_1992_num_45_406_14171;

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BULLETIN DE PSYCHOLOGIE
Tome XLV - N ° 406

Utilisation diagnostique
du Rorschach
pour des symptomatologies majeures
d’allure phobique chez l’enfant
Oliver DOU VILLE (*),

Irit VENTURA ABRAMSON (* *)

1. Avant-propos circuiter la possibilité même d’une recherche et


d’une critique épistémologique de l’épreuve du
Qu’apporte le Rorschach à la recherche en
Rorschach, d’escamoter, en cette précipitation,
psychopathologie ?
l’étude de son espace clinique et expérimental
Nous avons l’ambition d’appliquer cette ques¬ propre.
tion à l’examen d’un point clinique important : — l’autre principe découle des réserves que
la distinction entre les phobies précoces et les nous venons de faire porter sur la méthode.
prépsychoses de l’enfant. Il n’est pas exagéré de
penser qu’une telle optique de travail se doit D’ordre épistémologique (Douville 1988, 1989
d’articuler deux principes d’utilisation de cette et Villerbu 1990), et trop souvent considéré
épreuve projective, sans en méconnaître, pour comme un appendice du précédent, il est, au con¬
autant, leur hétérogénéité : traire des plus utiles à maintenir et à travailler,
dans le sens où il permet de repenser à la lumière
— le premier de ces deux principes est de type de situations cliniques extrêmes (dans le cas des
« diagnostic ». Il est lié à des contraintes, par ail¬ phobies : d’envahissement de l’objet sur l’image
leurs bien réelles, de traitement et de projet de du corps), comment fonctionne l’espace psychi¬
parcours des enfants dans les institutions ou d’une que dont le test de Rorschach provoque la mise
institution à une autre ; d’indications thérapeuti¬ en place. En cela, portons l’interrogation sur les
ques, enfin. Dans ces cas où il y a des décisions façons qu’à un sujet de réagir et de dire lorsqu’il
institutionnelles à prendre, l’interprétation que est en prise avec l’impératif drastique de la consi¬
nous pouvons extraire d’un protocole de Rors¬ gne qui commande d’arrêter de voir pour parler,
chach, le plus souvent avec l’idée de nourrir des et à l’aspect erratique de l’énigme corporelle et
échanges de travail avec les collègues médecins, spatiale que rend présente l’épreuve Rorschach.
illustre tout un ensemble de connaissances
Comment cette épreuve nous informe-t-elle pré¬
psychopathologiques qui se sont forgées et
cisément sur certaines particularités du matériel
confirmées ailleurs (pédopsychiatrie, psycha¬
et de la situation proposés ?
nalyse de l’enfant...), et dont nous entreprenons
la vérification instrumentalisée. Cette épreuve
(*) Psychanalyste, psychologue clinicien, 22, rue de la
projective serait alors validée en fonction de sa Tour d’Auvergne 75009 Paris, Maître de conférences
commodité ou de son efficacité à aider l’exercice
en Psychopathologie à l’Université de Haute-Bretagne,
des diagnostics différentiels. et membre du Laboratoire de Clinique Psychologiques.
Rennes II, 6, avenue Gaston Berger. 35043 Rennes
Se contenter de ce dernier apport pour établir
Cedex. Psychothérapeute au CNS Ville Evrard (Service
la place du Rorschach dans la démarche clinique de Mr. le Dr. Lacassin).
et la recherche en psychopathologie c’est retrou¬ (**) Psychothérapeute, psychologue clinicienne, Insti¬
ver les contours d’une attitude épidémiologique. tut Médico-psychologique « Les Papillons bleus » à
Sans être négligeable, se plier au primat d’une Conflans St-Honorine 92 ; 30, avenue de Chavage,
telle attitude nous fait courir le risque de court 78124 Mareil-sur-mauldre.
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Pour la présente recherche nous retiendrons l’enfant refoule sa haine et se voue à l’affect
tout particulièrement la dimension spatiale de la opposé l’amour. Ce qui réveille l’angoisse de
:

massivité des stimulus des planches dites « com¬ montrer et de dire l’amour pour le père.
pactes ». Ce second principe est subordonné au L’angoisse est alors projetée sur un élément du
souci d’une investigation psychopathologique monde extérieur devenu l’objet menaçant que le
rigoureuse à serrer au plus près la «Situation phobique devra fuir. La peur étant plus tolérable
expérimentale Rorschach » en elle même. que l’angoisse de castration.

2. La problématique clinique et nosologique 2°) En 1926, avec Inhibition, symptôme et


:
quelles phobies ?
angoisse Freud franchit un cap des plus impor¬
tants quant à la théorie de l’université du com¬
Nombre de psychologues cliniciens rencon¬ plexe de castration, lequel complexe règle le désir
trent, dans la pratique courante en institution de chez la fille comme chez le garçon, en détermi¬
soin pour enfants, un grand nombre de sujets nant, pour celle-là, son entrée dans l’œdipe et
pour lesquels en dépit du tour caractéristique, pour celui-ci, sa sortie. S’expliquer sur des mani¬
mais sans doute trop caractéristique, de leur festations phobiques à partir de l’objet revient à
symptomatologie d’allure phobique, la nécessité s’expliquer à partir de ce qui est au premier plan
d’établir un diagnostic amène et force de copieu¬ des signaux déclenchants la peur et des condui¬
ses hésitations. Plus précisément, les cliniciens qui tes d’évitement corrélatives. Le conflit d’ambiva¬
œuvrent dans des services d’urgence connaissent lence est évité grâce à la phobie et, de même,
ce genre de difficultés. Ils peuvent être alors ame¬ le développement de l’angoisse est freiné car il
nés à apporter la contribution, qu’ils espèrent judi¬ suffit d’éviter l’animal ou la situation élective pour
cieuse sinon tranchante, de la méthode Rors¬ en être débarassé. Freud envisage la notion de
chach à des discussions diagnostiques et pronos¬ rétorsion consécutive aux souhaits incestueux :

tiques à propos de ces manifestations phobiques. être mordu (par le cheval, le chien...) plutôt
Qu’entendre ici par phobie ? Ces enfants pré¬ qu’être castré. L’objet phobique, être fantasma¬
sentent des réactions de phobie plutôt massives tique, est désigné comme le fauteur des troubles,
et peu structurées. comme le responsable de l’angoisse. Il entretient,
le plus souvent, un rapport de téléscopage entre
Comment les qualifier ? Les envahissements par la castration imaginaire : il châtre, tel le cheval
les affects de frayeur dominent le tableau. Peut qui mord dans le cas de Hang (cf. Freud 1909)
on déjà parler d’angoisse en face de réactions ou du chien qui effraie la petite Sandy (cf. Schnur
comportementales et émotionnelles si vives ? En mann 1949), et les angoisses de dévoration ou de
tous les cas, si angoisse il y a, nous sommes bien démembrement, angoisses qu’il figure après-coup.
loin de la névrose phobique « classique », puisque,
pour ces enfants qui retiennent notre attention, Jacques Lacan dans son Séminaire 4, retravaille
leurs peurs ne se rejoignent pas sous l’électif bla¬ la dimension de l’objet phobique. Il faut voir dans
son de l’objet construit à coup d’emblèmes et de la phobie une des « solutions imaginaires » à la
symbolisation. « béance » causée par l’apparition du phallus
« comme ce qui manque à la mère, à la mère et
A contrario, et afin de mieux faire ressortir l’ori¬
à l’enfant, entre la mère et l’enfant ». L’objet chez
ginalité des symptomatologies que nous allons le phobique étaye la fonction paternelle et sou¬
étudier avec le Rorschach, nous pourrions résu¬ tient la métaphore. L’objet phobique évoque le
mer, tout à fait schématiquement, la chronologie père.
de la mise en place des phobies, névrotiquement
constituées et structurées comme telles. Deux Nous voudrions donc montrer qu’il y a des pho¬
théories « de base » se rencontrent dans la des¬ bies qui semblent plus précoces. Elles attirent
cription des cas exemplaires de phobies de notre attention en ceci qu’il est souvent des plus
l’enfant à partir des difficultés de franchissement difficiles de supposer qu’il y aurait un fantasme,
de l’épreuve de castration. La première découle ou même un champ d’invocation au père pour
des premiers moments où Freud évoque la pho¬ les constituer. Les objets phobiques ne semblent
bie, la seconde reprendrait les points impliquées pas alors former série, tant ils sont plus manifes¬
dans le maillon mère-enfant de la triangulation tement reliés aux registres de l’intrusion qu’au
œdipienne comme cause de la genèse d’une registre de la menace que revêtent toutes le for¬
symptomatologie phobique :
mes les plus crues et les plus cruelles de l’angoisse
de castration : mutilation, éviration.
1°) Avec le petit Hans, Freud découvre le méca¬
nisme de la phobie. Il le retrouvera dans son Au plan de l’analyse d’une mise en place des
analyse de l ’Homme aux loups. Dans les motions jeux symboliques chez l’enfant, l’on ne sait plus
pulsionnelles qui s’adresent au père, la haine très bien, non plus, si les alternances entre des
contre le père professant l’interdit œdipien, sus¬ accalmies et des paniques sont leur « fort-da » à
cite l’angoisse de la punition. Pour y remédier eux, ou bien des équivalents de moments de
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dilution de l’image inconsciente du corps. Le sujet psychopathologie qui ne soient pas uniquement
comble-t-il une faille dans l’autre, où se vaporise la simple projection de nos états d’âme (et l’on
t-il dès que s’effondre les barrières tout à la fois sait à quel point ce genre d’enfants sous frayeur
dérisoires et rigides de ses pare-excitation ? provoque de l’émotion et de l’inquiétude), nous
nous donnons comme méthode de comprendre
Car c’est bien davantage la sphère des pulsions
l’affect par rapport à la mise en place de la struc¬
partielles, et plus particulièrement le regard et la
ture.
voix, pulsions découpées ou recoupées d’oralité,
qui semble porteuse des éléments susceptibles Nous pourrions, en ces conditions, tenter une
d’amener l’effet d’exacerbation de l’intrusion, hypothèse apte à relier ces situations phobiques
lequel va de l’inquiétude à la frayeur. L’enfant à des points d’angoisse sur le corps. Cette hypo¬
réagit sur un mode très vif à un signal inopiné thèse reste homogène à celle proposée par Nina
qui surgit dans l’environnement au sein duquel Rausch de Traubenberg dans sa modélisation de
il est plongé. Tant qu’il y a de l’indifférencié, de la situation Rorschach, pour laquelle cette
l’uniformité, tant qu’il y a du silence, tant qu’il épreuve projective teste la présence d’une image
n’y a pas de contraste signifiant et bien, il n’y a du corps intégrée (de Traubenberg 1977. Suivre
pas d’agitation. En revanche, l’on sait que quel¬ cet auteur sur ce terrain de perspectives et clini¬
ques éclats bien particuliers de la présence de ques et phénoménologiques (aussi sinon plus que
l’autre (élévation de la voix, gestes spécifiques à psychanalytique) nous même à considérer
chaque cas du ou des bras...), ou que quelques l’espace du Rorschach en tant qu’il est un espace
situations dont l’épaisseur signifiante n’est pas mobilisant et appelant le tissus des représenta¬
relayée par un dispositif de mise en commun de tions qui nouent le corps au mot. L’évocation à
la symbolique (enfants qui ont peur de certains cette occasion, s’impose de l’heureuse et subtile
modes d’animation de l’objet : fleurs bercées dans trouvaille de Vinnicott d’espace transitionnel.
le vent, animal qui saute...) déclenchent, imman¬
quablement une bouffée de phobie, analogue à Dans des cas de phobie, l’espace est le lieu d’où
une attaque de panique. La rencontre, l’appro¬ surgit la menace. Fourmillant de contrastes où le
che de ces situations qui s’apparentent plus à corps se perd et se fige, troué par des points de
l’effet d’intrusion d’un signal, qu’à la connexion catastrophes des fonctions de contenants, perclus
avec un objet emblématique et dont la symboli¬ par des objets qui inquiètent parce qu’ils figent
que serait déposée dans le « grand catalogue ou qu’ils fusent, l’espace recèle dans sa constitu¬
symbolique des objets phobogènes » déchaîne tion imaginaire, tous les points où l’angoisse sur
chez ces enfants une symptomatologie éruptive l’intégrité du corps vient à se projeter au décours
et bruyante qui rend manifeste la perte d’iden¬ de la rencontre du sujet avec l’angoisse de cas¬
tité et de l’unité corporelle et témoigne de la dis¬ tration. C’est en ce sens que l’on peut entendre
parition de tout imaginaire spéculaire. Il n’y aurait avec Freud que la phobie consacre si elle se fixe
plus de lieu possible d’imaginarisation de l’image en névrose, la victoire des forces opposées à la
sexualité.
du semblable, alors.

Autrement, de tels enfants sont notés comme Certains objets phobiques ont donc la vocation
très calmes dans des conditions de restriction et de pallier à l’absence de l’objet. Corrélativement,
d’aplanissement de toute stimulation exogène. la peur face à la menace de surgissement de
Dans ce cas là, le Réel n’est pas très éprouvant, l’objet phobique vient comme un rempart à
puisque c’est précisément, à l’inverse, tout ce qui l’angoisse de l’absence de l’objet. L’on peut alors
le redouble : les voix qui nomment ou ordonnent, comprendre que le fantasme phobique, si il n’est
les images de l’autre lorsque celui-ci est sur le pas sans angoisse, pallie et remédie à l’angoisse
point d’effectuer un geste, bref tout ce qui sur¬ d’être laissé en plan, c’est-à-dire d’être laissé
prend sous le primat de l’intentionalité de la pré¬ comme un pur réel du corps, sans son habillage
sence de l’autre qui devient effrayant. phallique et narcissique, jeté comme un paquet.
L’angoisse de castration en recouvre une autre,
Dans de telles conditions, il nous faut élargir celle de la non-assignation (l’Hilflôsigkeit freu¬
notre compréhension classique de la phobie,
dien), qu’elle ne reélabore pas.
laquelle faisait de celle-ci un des destins de
névrose particulièrement structuré des enjeux Il est alors possible de repérer en quoi le
œdipiens. Ces frayeurs corporellement subies et symptôme phobique est tout à la fois tissé d’anti¬
agies (il peut y avoir fuite ou stupeur) évoquent cipation : il en appelé à du symbolique, et de
très aisément la psychose, dès lors que l’on fonde rétroaction ou fixation : il reprend à son compte
ses repérages ou ces recentrages cliniques et dia¬ les impasses parentales de la symbolisation du
gnostiques sous l’égide de ce qui ne manque pas vivant sexué (donc du mortel castré). A ce titre,
de nous impressionner : l’expression motrice l’extrême diversité des degrés d’édification des
d’affects forts. Soucieux, cependant, de rester fidè¬ phobies nous frappe, dans la mesure où le
les à des compréhensions de la clinique et de la symptôme phobique est des plus susceptibles de
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recouvrir un vaste champ qui va de l’élection d’un cheurs et auteurs de cet article, et en tant que
d’objet à la noyade du sujet dans une situation cliniciens.
de menace par effraction sur le corps propre.
Dans ses phases supérieures de structuration de 3. Phobies précoces et/ou psychoses ? Un
la mise en rébus d’un appel au père symbolisé embarras sémiologique.
par le choix électif de l’objet l’on parle de pho¬ Résumons. En face de tels enfants, le clinicien
bie, mais l’on parlera aussi de phobie dans ces
voit en lui fourmiller et les perplexités et les hypo¬
moments où c’est la construction de l’image thèses. Et comment ignorer nos doutes, ne s’en
inconsciente du corps et du narcissisme premier
point trouver submergé ? Les premiers regards
qui supporte cette évocation et cette commémo¬
que nous jetons sur ces phobies les aperçoivent
ration traumatique d’une identification du sujet
dans leur apparence la plus régressive. Faisons
à des « chocs » ou des « traumas » qui se seraient de nos doutes oeuvre utile. La bifurcation
produits au hasard des accidents affectant les
théorico-explicative qui est la nôtre se fait jour
parents à la génération précédente.
lorsque, confrontés à des enfants sujets à des ter¬
Posons ceci : la situation phobique vient à la reurs précoces, nous ne pouvons décréter si il
place d’une mémoire oubliée mais susceptible, s’agit d’une entrée dans la psychose ou de la mise
toutefois, de se métaphoriser. (A Papageorgiou en avant d’un point de phobie qui serait une cris¬
Legendre 1990). tallisation symptomatique, se jouant dans la struc¬
ture de l’image du corps, produit de convergen¬
Quelles situations interactionnelles entre les
ces fantasmatiques ouvrant et figeant le sujet sur
désirs précoces de l’enfant et les réponses de
l’axe de la filiation. De plus, reconnaître que l’acti¬
l’autre, entre le corps de l’enfant et des segments
vité mentale des cliniciens est, à cette occasion,
inconscients du roman familial, sont impliquées
le siège de telles bifurcations d’hypothèses, peut
dans ces états de peur ? Il est possible de référer
devenir un atout contre-transférentiel d’impor¬
ces points d’angoisse à la perspective du montage
tance, car selon des analystes d’enfants, dont
imaginaire et généalogique (ou transgénération¬
encore Françoise Dolto, certaines psychoses vont
nel pour suivre l’expression en vogue). Ces
prendre leur essort à partir de phobies précoces
enfants sont dans une impasse qui réduit leur per¬
si ces opérations de dénouage et de métaphori¬
sonne à une position intra-familiale. Interroger
sation n’ont pas lieu à temps. D’où la nécessité
cette impasse revient à dire, d’un point de vue
de diagnostiquer pour prévenir et pronostiquer.
métapsychologique que la pulsion orale exerce
sur eux la tyrannie de son montage en soulevant Le trait commun entre phobies précoces et
la question de la relation à l’autre, lorsque le point psychose tiendrait au lien fondamental unissant
d’angoisse est au niveau d’une relation très les expériences et images archaïques du corps et
ancienne avec le corps de l’autre, avec les entre¬ le narcissisme. Françoise Dolto a su montrer que
croisements signifiants sur le corps de l’autre des l’image du corps est la vivante synthèse des expé¬
captures imaginaire de la construction du corps riences signifiantes et émotionnelles. Comprenons
propre. bien qu’il serait des plus abusifs de faire se coïn¬
cider la notion d’image, telle que Françoise Dolto
En d’autres termes, comme nous le savons tout
en a bouleversée la compréhension, avec ce
particulièrement grâce aux travaux de Françoise
qu’une psychologie génétique articule depuis
Dolto (cf. bibliographie 1984 et 1987), de telles
Wallon, puis Zazzo, autour du reflet et de la con¬
situations phobogènes où toute une frayeur cor¬
quête du reflet comme possible représentation de
porelle est en jeu, pour impressionnantes qu’elles
soi. Pour Françoise Dolto, l’image du corps est
paraissent, n’en sont pas moins aussi dans leur
inconsciente, elle se définirait, à vrai dire, plus
agencement signifiant des écrans de représenta¬
comme un lieu d’hospitalité des intrications de
tions inconscientes partagées sous le mode d’une
désir et des généalogies mutiques des romans
contamination mettant en jeu le roman familial
familiaux du corps, lieu qui intervient de façon
du sujet et de ses parents.
signifiante dans notre rapport aux images. En ce
Pourtant, comme il est peu de difficultés dia¬ sens, tout contact avec autrui est sous-tendu par
gnostiques aussi aigües que celles où nous nous l’image inconsciente du corps, support du narcis¬
devons de distinguer entre des psychoses et des sisme.

phobies précoces !
Toute atteinte de l’image du corps devient
On conçoit que ce genre de diagnostic différen¬ atteinte du narcissisme : lors d’un traumatisme
tiel si il peut être porté patiemment et assorti symbolique, dans l’effet d’après-coup qui vient le
d’une grande prudence dans le temps du dérou¬ fonder comme cause, l’angoisse qui s’y rapporte,
lement d’une cure, n’en revêt pas moins un carac¬ liée à des zones et des fentes érogènes investies,
tère drastique et urgent dans d’autres types de n’a parfois, pas pu être élaborée et devenir
consultation et de prise en charge. C’est là un des symbolisante. Cela aura comme conséquence le
paradoxes de notre travail et en tant que cher¬ surgissement d’une discontinuité entre le narcis
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sisme et l’image du corps inconsciente dont l’inté¬ rogés sur la pertinence de l’utilisation de l’outil
grité est atteinte. Si il survient des états phobi¬ Rorschach dans ces cas particuliers de phobie.
ques, ils seront des moyens de défense opérant
Quelles seraient les variables suffisamment per¬
contre la menace sur l’intégrité de l’image du
tinentes et précises pour permettre l’appréhen¬
corps.
sion et l’appréciation des capacités de défenses
Ce modèle primaire (au sens où sont mobilisés de l’enfant ? Cette question, cet enjeu, se renfor¬
des processus primaires de rejection) de la pho¬ cent dans notre étude, parce qu’au-delà de
bie est de type « projectif ». De là, découle le rap¬ l’importance d’une construction diagnostique,
port de la phobie à la hantise lorsque ce sont, non nous trouvons un intérêt tout particulier à éva¬
des situations où le travail de refoulement a luer les capacités de tenir compte de la réalité.
donné sa marque symbolisante aux rébus des Nous ne visons pas simplement à tester, chez
questions et des identifications œdipiennes, mais l’enfant et le pré-adolescent, l’existence et l’effi¬
des signes de la présence et de la puissance de cacité de conduites spéculatives marquées par
l’autre qui déclenchent la frayeur. Par la voie et leur réalisme. Pour notre recherche, l’impact du
le regard s’instaurent toute l’intentionalité dési¬ Rorschach rend lisible la signification de la réa¬
rante de l’autre. Ces deux objets de pulsion outre¬ lité pour un sujet, c’est-à-dire que la réalité vaut
passant l’identification du sujet à l’altérité présen¬ pour lui mais aussi pour les autres, à ce titre elle
tent de façon énigmatique la gamme des inten est douée d’une intentionalité partageable, inves¬
tionalités désirantes de l’autre. Ils sont support de tie mais non ineffable. Il est largement question
ce qui ne se subjective plus lorsque les bornes de d’évaluer ce rapport à la signification de la réa¬
la constitution du fantasme ne sont pas suffisam¬ lité pour les jeunes atteignant la limite d’âge des
ment en place pour corréler de façon spécifique établissements spécialisé.
le sujet à ses objets et à sa question œdipienne
Nous pensons que grâce à la situation projec¬
spécifique.
tive il est permis de repérer comment les mutila¬
Ce lieu de rejet reste illocalisé, l’ensemble des tions partielles de l’image du corps, substrat de
sollicitations externes peut être investi de cette la construction de la réalité, entravent ses assi¬
puissance terrifiante du retour sur l’image du ses narcissiques primaires. Autrement dit, la situa¬
corps de ce qui a été rejeté. Cette constitution tion projective permet d’évaluer la qualité des
d’une défense phobique dans la relation du sujet moyens mis en œuvre pour figurer verbalement
à son image inconsciente de corps, détermine les ce que l’enfant se représente de son intégrité cor¬
peurs qui l’assiègent, le débordent parfois, voire porelle dans des registres d’une triple
le pétrifient. confrontation :

Mais si la phobie a pu être le résultat d’une — à l’altérité des partenaires


défense précoce, elle peut devenir persécutive, — au référent symbolique
invalidant l’enfant au lieu même de son corps et — à l’hétérogénéité de l’objet pulsionnel.
de son identité. Cela amène Françoise Dolto à S’y indique dans quelle mesure ces moyens
énoncer que la plupart des psychoses d’enfant l’insèrent dans une rationalisation et une prise de
sont enracinées dans des phobies précocissimes. distance vis-à-vis de l’objet. L’analyse des capa¬
Etant donné la pertinence de ces propos pour cités de « récupération » de l’enfant, dans la part
notre analyse, nous retiendrons tout particuliè¬ verbale que sollicite l’épreuve du Rorschach va
rement le lien qui unit l’image du corps et les états nous fournir de précieuses indications sur les pos¬
phobiques et les états psychotiques. sibilités d’accès à une organisation plus souples
et plus variée des mécanismes de la défense.
4. Des phobies précoces à l’épreuve du Rors¬ C’est dire, ici, que notre regard de cliniciens sur
chach.
cette épreuve projective ira chercher la possibi¬
Attachons-nous, maintenant, aux registres de lité qu’ont ces jeunes enfants d’utiliser et d’investir
la projection de l’image du corps qui, telle que le langage non pas tant pour sa capacité de com¬
la suscite l’épreuve projective, devient le reflet muniquer quelque chose à quelqu’un, que dans
d’un mode de fonctionnement névrotique ou la latitude qu’il leur offre de mettre en œuvre des
psychotique. opérations de figuration, conditions de la figura
bilité métaphorique de l’image inconsciente du
Nina Rausch de Traubenberg (cf. bibliographie
corps.
1977, 1984 et 1986) a travaillé sur les dimensions
du narcissisme et de la représentation du corps. Il semble que l’analyse des processus psychi¬
Elle en a largement démontré les émergences au ques ouvrant le sujet à une capacité de réinves¬
Rorschach, et la richesse de ses recherches a tissement de la réalité soit davantage pertinente
permis une avance dans l’évaluation clinique des lorsqu’elle repose sur cet appel au corps comme
différenciations névroses/psychoses. C’est à partir représentation et comme figuration. Nous pou¬
de ses recherches que nous nous sommes inter¬ vons analyser les modes de constitution de l’assise
536 BULLETIN DE PSYCHOLOGIE

narcissique de l’édification de la réalité pour ces matériel. La fonction Rorschach se révèle être
protocoles de Rorschach en terme de réinvestis¬ davantage encore que de provoquer le sujet à
sement narcissique, de réaffirmation de soi. l’expression de ces moments de passage là où
Cependant, chez les enfants à problématique l’identité peut lui être demandée en dehors de la
phobique, la situation projective en elle-même et zone protège maternante (d’une identification à

par elle-même, implique la promesse ou le risque une autre, d’un registre d’investissement du corps
d’une relation à l’autre, en l’occurence personni¬ à un autre) : l’épreuve du Rorschach oblige aux
fié par le psychologue. Un tei risque est d’autant franchissements d’imaginaire et de ses signifian¬
plus massif que les planches réveillent dans leur ces corporelles. En ce sens, la valeur de cette
dynamisme, les heurts de l’intégration de l’image épreuve, donc son espace phénoménologique et
inconsciente du corps dans la relation à autrui. clinique possible, réside dans ses inlassables invi¬
tes et relances faites au sujet à donner puis fran¬
Nous centrerons l’actuel point de départ de chir des seuils d’expression de la potentialité
notre recherche sur les réactions de ces enfants
spéculaire des identifications corporelles vivan¬
aux planches dites « compactes ». Notre visée est tes et sexuées.
d’évaluer l’effet de ces planches lorsqu’elles dis¬
D’où notre choix de faire une investigation des
criminent des réactions phobiques au regard de
réactions psychotiques. Les éventuelles réactions lignes de forces structurelles du matériel qui
de chocs sont-elles des équivalences de chocs face opposent le compact au diffus, pour mener
à l’utilisation de conduites mentales visant à déta¬ l’analyse de la réactivité de nos jeunes sujets.
Dans les successions brutales du diffus au com¬
cher une forme sur un fond ? Sont-elles, en ces
cas, révélatrices des chocs que provoquerait la pact, il serait possible de faire apparaître l’alter¬
nécessité d’un identification à une image du corps nance de ce qui pour les corps de ces sujets est
pleine ? Est-il là, question des difficultés d’assu¬ tenu par le discours et de ce qui ne l’est pas.
mer une forme totale et signifiante du corps, en Nous voulons signaler ceci : l’espace de la phé¬
raison de l’emboîtement des angoisses de castra¬ noménologie projective au Rorschach, dans la
tion et des angoisses de non-assignation, ou sont mesure où ce test provoque au franchissement
elles davantage le signe d’une carence de l’image et à un plus d’intégration de cette image incons¬
du corps ? En ce dernier cas, le choc serait plus ciente du corps, suscite immanquablement, une
à relier à une problématique psychotique, d’enva¬ imaginarisaiton spatiale de l’étendue corporelle.
hissement par une image de corps sans bord et Les montages de l’image nécessitent effective¬
sans trouage signifiant. ment une similarité, pour qu’une image
Les planches compactes offrent cet intérêt s’engrenne sur une autre, la remplace, constitue
d’appeler avant tout à la représentation projetée l’enchaînement des défilés des réponses et tente
de l’image du corps. Elles permettent, en outre, de recréer une archéologie du corporel au sein
de cerner l’existence et le style de capacités d’un espace. Ces passages relient des points dis¬
psychiques de lien et de réunification, eu égard joints qui tiennent car ils ne sont ni déniés, ni
aux mécanismes défensifs qui sont mis en jeu. Des démentis, ils ont aussi la fonction d’apprivoiser
tentatives de restauration semblent ainsi pouvoir le regard car ils lui otent sa potentialité canniba
émerger. Dans les planches compactes, l’appel lique. (cf. Douville 1989).
pour le sujet à une référence à une imago mater¬ Nous avançons sur les deux plans de la recher¬
nelle est moins dominant qu’aux planches écla¬ che : clinique et épistémique, exposés au début de
tées puisque ces dernières, par leur configuration l’article en supposant un effet d’homologie entre
spéculaire, provoquent davantage la fragilité des des caractéristiques de la phobie et des succes¬
assises narcissiques du sujet. sions de sollicitations que le Rorschach impose.
Ouvrons, alors une perspective épistémique, Il s’agit, pour la phobie des traits cliniques
conforme au souci de contribuer à dégager une suivants :

lecture psychopathologie intrinsèque à l’épreuve — non-imaginarisation subjective de segments


projective choisie ici (cf. Villerbu 1990). Le savoir de ces segments de corps pris dans les trames des
que le Rorschach permet d’édifier sur les patho¬ traumas parentaux ;

logies est aussi un savoir construit sur les façons — découpage précis de la réalité en trois
qu’ont les conduites psychiques et les construc¬ champs : l’indifférencié à maintenir comme tel,
tions d’images de reporter leurs traces sur la situa¬ le point d’engouffrement phobique, l’éventuel
tion projective proposée. Ce report de traces dési¬ rempart contraphobique,
gne au coeur même du Rorschach un autre foyer — les artifices, enfin, qui donnent accès à la
de savoir sur les processus psychiques : les méca¬ relation imaginaire n’existent plus. Il subsiste
nismes mentaux solidaires des défenses phobi¬ néanmoins, l’ombre de la loi en son aspect exclu¬
ques, parce qu’impliquées dans l’édification de ce sif, premier quand elle est figurée par le retour
moment névrotique de seuil, sont normalement impérieux d’une imago primordiale, totémique,
sollicités par certains aspects structuraux du faite pour en imposer et porteuse de menace sur
BULLETIN DE PSYCHOLOGIE 537

la totalité de l’image du corps au sujet. La loi sur¬ comme une Gestàlt prégnante sous un mode glo¬
git au lieu de la menace. bal et immédiat. La défaite de cette unité percep¬
— la possibilité que dans des phobies peu struc¬ tive et projective se produit sous l’emprise d’un
turées, le versant objectai de l’objet phobique (si conflit dans le cas d’inhibition névrotiques gra¬
il est externalisé) ou de la situation phobogène ves. Son maniement parcellaire est un indice
(si elle est constituée), soit bien plus accentué que d’une mise en cause de la formation du moi, d’une
leur versant signifiant. Cela explique que, lorsque stase de non choix entre le moi et les pulsions.
se brise le fragile montagne d’un compagnonage Planche VI : Le stimulus est très centré sur l’axe
spéculaire, la frayeur d’être de nouveau laissé en médian qui lui confère toute sa stature, en se pro¬
plan, bref objectalisé dans cette chute fasse longeant par une efflorescence à connotation
irruption. d’emblématique phallique qui triomphe hors de
Au Rorschach, la composition des planches la masse, elle, fortement estompée.
compactes offre aussi l’avantage de circonscrire
avec acuité la signification et la portée des pro¬ 5. Présentation de notre recherche
cessus du fonctionnement mental qu’elles contre De lourdes chappes d’inhibition sidèrent les pro¬
réactivent. Ces derniers ne sont pas sans évoquer tocoles de ces jeunes phobiques, dont la mise en
les conduites phobiques : capacité de détour, place de la structure à venir semble si peu aisé¬
insistance sur le parcellaire, vigilance portée sur ment repérable.
l’image du corps et ses socles prégénitaux...
Au Rorschach, des études très approfondies
Si l’on se réfère, une fois de plus, à l’œuvre de furent élaborées sur l’inhibition propre aux méca¬
Nina Rausch de Traubenberg (1977, 1981) et aux nismes des « séries » névrotiques et psychotiques
travaux de Catherine Chabert (1983) afin de pré¬ et leur expression (cf. Nina Rausch de Trauben¬
senter les aspects structuraux du test Rorschach, berg et Catherine Chabert).
l’on peut reconnaître que l’une et l’autre nous ont
Lors d’une évaluation entre phobies à évolu¬
fourni de fortes indications sur le repérage de la
tion névrotique et prodrome de psychose à
projection des schèmes élémentaires de la « repré¬
expression phobique, la confusion ou la difficulté
sentation de soi » sur les aspects formels et
à trancher entre ces deux hypothèses diagnosti¬
contrastés des dix planches proposées.
ques peut tenir à la pression de l’angoisse qui
Nous retiendrons, comme utile, pour la pré¬ pousse à l’usage de procédés de la défense de
sente recherche, l’analyse de la structure de plan¬ type archaïque.
ches compactes au regard de ce qu’elles sollici¬
En ce qui concerne la méthodologie de notre
tent et induisent dans l’expression de cette assise travail, nous avons fait le choix de contribuer à
de la représentation de soi qu’est l’unité corpo¬
relle.
la recherche sur le diagnostic différentiel en
recensant les indices qui présentent une simila¬
Soit les planches I, IV, V et VI. rité dans la situation projective entre des produc¬
Planche I : L’édification de l’image de corps tions dues à une quinzaine de sujets diagnosti¬
intégrée n’est pas en première place, ici. L’allure qués, sans toujours grande certitude du côté de
étalée et fermée de la planche en même temps la possible récupération névrotisante ou des
que sa composition tri-partie évoquent souvent symptômes précoces de la psychose. L’expression
des images ou des impressions mouvementées de de l’inhibition tient une grande place dans ces
indices de similarité.
force de puissance, d’autorité. Sa composition où
un corps central est entouré de deux formes aisé¬ En un second temps, ces indices mis au regard
ment « anthropomorphisables » pèse beaucoup de ceux observés dans l’expression particulière
dans l’expression d’un danger subi par le person¬ du sujet face aux planches compactes pourront
nage central et la menace est exercée par les témoigner :
deux personnages latéraux. La dynanique poten¬ — soit d’une capacité d’exploration et de nar
tiellement conflictuelle est déniée ou évitée par cissation secondaire de l’image du corps, capa¬
tous les mécanismes de refoulement et ceux qui cité pour le moment empêchée mais possible.
y suppléent : déni, idéalisation... — soit d’une dilution de cette image du corps
Planche IV : elle donne lieu, de par son carac¬ qui, chez le psychotique (cf. Douville 1986, 1988),
tère unitaire, à une articulation en fonction d’une est trouée et sans profondeur, tel un sac qui
opération de détachement du grand détail s’engouffre et disparaît avalé par un de ses
médian. trouages.

Planche V: la reconnaissance du caractère Notre recherche est exploratoire


compact et unitaire, global, de cette planche tient On se rendra compte de son aspect prépara¬
lieu d’épreuve de réalité de soi et teste l’existence toire, dans la mesure où, pour le moment, elle
d’une image corporelle unifiée. Peu ordonnée part de l’analyse d’une quinzaine de protocoles
autour d’un étalement vertical, elle est abordée d’enfants ou de préadolescents des deux sexes.
538 BULLETIN DE PSYCHOLOGIE

Ils sont âgés de huit à quatorze ans avec un pic fait médiocre, c’est, du moins, ce qui se fait jour
à dix/onze ans. à travers le grand nombre de réponse de clair
obscur (Clob) et de réponses « Chocs » témoignant
5a : les indices de similitude
de l’inefficacité d’un refoulement possible.
Nous les exposerons, avec la préoccupation de
— Cette prééminence des contenus menaçants
cerner ce en quoi, lorsqu’ils sont liés les uns aux sur fond d’absence de représentation de l’altérité,
autres, les articulations d’ensemble peuvent peut donner à penser que la hantise produite par
toutefois, montrer une logique qui serait celle de l’objet phobique vient faire pendant, par mas¬
la projection de la phobie enfantine au Rorschach.
quage, à la peur devant la dérobade de l’objet (cf.
Dressons en la liste : supra).
Construction formelle : Une inhibition massive Alors nous comprenons mieux aussi l’extrême
fige le jeune dans une inertie par rapport aux sti¬ sensibilité que la plupart de ces enfants et pré¬
mulations et excitations apportées par l’exté¬ adolescents manifestent devant le Blanc. Les Dbl
rieur : le nombre de réponses est faible. Les sai¬ fonctionnent comme voile de couleur chromati¬
sies globales sont primaires, elles expédient des que mais aussi comme appel du vide. De même
contenus courants. La saisie en réponse détail se la fréquence de tournures épileptoïdes évoquent
fait par juxtaposition, énumération sans investis¬ une anxiété d’être laissé en plan, laquelle suscite
sement de recherche exploratoire. Corrélative¬ en un inquiet recours, le contrôle formel de la
ment, l’expression du détour par la représenta¬ réalité et de son insignifiance nécessaire.
tion de soi dans une activité motrice volontaire, (extrême banalité des contenus, contrôle formel
est, dès qu’elle apporterait la menace d’une effec¬ médiocre).
tuation possible, contenue avec beaucoup de
Processus de pensée : Des émergences de tout
répression (lorsqu’il existe des kinesthésies elles un travail contre la liaison se manifestent par une
sont reprimées ou dévitalisées). La rigidité per¬
expression obstinée d’un monde inerte, parfois
ceptive et la rétraction du moi, présents le plus
disloqué, dont les limites restent floues et dans
souvent tout le long des passations, évoquent une
lequel aussi, les images vivantes se raréfient
« paralysie fantasmatique ».
jusqu’à disparaître.
— La qualité formelle est médiocre, à l’excep¬ Dans cette lutte défensive contre l’excès de ten¬
tion des banalités, investies comme support
sion, la projection du schéma corporel tend à se
impersonnel. A ce titre, elles peuvent anesthésier
dévitaliser. Les processus de liaison sont défail¬
tout un protocole, banal à son tour à force d’être lants. L’immobilité et l’aconflictualisation sont
uniforme et sans relief. Le monde extérieur est
alors, si il s’agit ici plus de logiques phobiques que
sans intentionalité.
d’émergences en processus primaires, des stra¬
Représentation de l’identité et lien à l’objet : tégies défensives contre le danger menaçant la
Une altération foncière de l’altérité et une peur spécularisation.
devant l’objet. L’autre humain est quasi-absent.
Deux questions restent alors posées devant ce
Si des imagos parentales sont là, elles demeurent tableau sombre :
confondues, mal différenciées ou incluses dans un
registre para-humain ouvrant sur un univers — la première est de savoir si l’organisation du
omnipotent où les recours à la toute puissance sujet peut se jouer et advenir au-delà d’un seuil
et à la projection dominent. Mais, le plus souvent, où les traumatismes et les carences précoces
peu de liens existent entre les personnages. auraient pu opérer des failles psychotiques.
Domine plutôt la survivance d’un lien étroit avec
De quoi s’agit-il lorsque nous employons ce
une image maternelle archaïque toute puissance terme un brin « fourre-tout » mais si peu com¬
et dangereuse dans une confusion sujet/ objet. La mode, au fond, de traumatisme ? Théoriquement
tendance à l’indifférenciation dans la position
il convient d’opérer une démarcation entre deux
« agresseur /agressé » signe l’absence d’élabora¬
types de traumatisme. Un premier sens fait du
tion des conflits primaires. On n’observe pas de
trauma un événement irruptif souvent en rapport
relations triangulaires (PI I) alors que les autres avec une résonnance sexuelle dont la valeur
contenus renvoient souvent à un bestiaire dan¬
pathogénique tient dans les représentations qui
gereux.
lui sont liées, et dans la réactivation des éléments
L’objet phobique, dont l’apparition est sans œdipiens qu’il contient ou entraîne. Une second
doute anticipée-ici, il serait cliniquement en acception fait du trauma l’effet déstructurant de
gestation alors que déjà il projeterait son ombre la rencontre entre un enfant fusionné avec un
au Rorschach, — se révèle, être un moyen de autre primordial et une instance tierce s’interpo¬
garantir une sécurité délimitant le cloisonnement sant entre le moi et les objets. Cette intrusion n’est
d’un territoire. Ayant la fonction d’un support nar¬ pas susceptible de remaniements posthumes, et
cissique, son efficience, cependant, reste tout à plonge le sujet dans le chaos d’un ordre signifiant
BULLETIN DE PSYCHOLOGIE 539

auquel il ne peut s’accrocher. Ce qui est consi¬ anxiogènes sont ainsi resserrées à l’écart. Ces
déré comme un traumatisme à cause d’une réponses de type « écran » surviennent réguliè¬
carence pourrait circonscrire ces seconds aspects rement après un Clob peu ou mal tempéréee par
de traumatismes qui adviennent dans la rupture une saisie formelle (réponse « choc » au clair
catastrophique d’une relation narcissique pre¬ obscur) ou un sentiment d’incapacité. L’inhibition
mière et primaire entre l’enfant et l’autre primor¬ a, ici, un rôle de protection contre la contrainte
dial (la mère). d’un choix identitaire, choix extrêmement diffi¬
— la seconde vise à plus finement dégager,
cile et périlleux. Les représentations humaines
dans ces protocoles les accès possibles à une sont déréelle. Le Moi, lui-même surface de pro¬
névrotisation de l’angoisse. jection, se rétracte et se présente sous cette forme
inhibée à l’adulte testeur.
Etant donné l’aspect prioritaire des stratégies
Exemple :
défensives dans ces protocoles, l’expression de la
(Protocole d’Odile)
menace et les possibilités de dégagement qui en
PL II : « C’est quoi ça... c’est une bestiole... un
dérivent seront notre principal axe d’étude.
papillon, enfin ça ressemble »
Nous les classifierons comme suit, en portant PL III : « c’est une abeille... ouais,... ou une
donc plus particulièrement notre investigation sur guêpe... ou une abeille... ou, je ne sais pas... ou
les réactions aux planches compactes : c’est une bête... ou c’est une araignée, il y a des
1. la rétraction de l’instance du moi, pattes, des mains. »
2. l’inversion des schèmes descriptifs et explo¬ PL IV : « C’est quoi ça ? Ah, je ne sais pas... c’est
ratoires, et le recours au D et Dd et au Dbl, une bête... il y a deux têtes... c’est une bête non ? »
3. la capacité d’investissement de la liaison et Protocoles « psychotiques »
de reconstruction à partir de fragments, La rétraction du moi provient ici d’une inhibi¬
4. la perception de la menace ; et les capacités tion protectrice face aux modifications de la réa¬
de franchir l’angoisse au Clob, lité externe, mais surtout face au vécu interne.
5. les modes de participation du corps du sujet Il s’agit là d’une atteinte massive du sentiment de
dans la passation,
la continuité d’exister, conduisant à un vide idéa
6. les possibilités de dégagement du moi.
tif. Sont mises en jeu des défenses contre le péril
Regroupons, à partir de ces pistes de travail et que représente la perte du lien entre l’image et
de cette « grille », de façon contrastée, les proto¬ le corps, entre le corps et l’objet, entre le corps
coles. Les enfants qui les ont donnés posent tous et l’autre, enfin. Ce système de défense est d’autant
les difficultés de diagnostics que nous avons plus précaire qu’il est massif. Un indice de la plon¬
explorées ci-dessus. Si certains sont considérés gée de l’enfant dans ce monde de chaos est que
comme névrotisés et d’autres, pour lesquels, la le stimulus proposé est investi comme un réel et
dissociation semble avoir déjà apposé sa marque, non comme une source de réactivité imaginaire.
comme des pré-psychotiques, la justesse discri¬ Exemple :
minative de ces diagnostics connaît sa part de flou (Protocole le Sylvie)
et son lot de doutes.
PL I : « un loup, un rond, un rectangle, un carré,
Nous avons l’ambition de tenter un repérage après il vole le loup, il vole le papillon »
sémiologique et psychopathologique à partir de PL II : « une tête des bras, il vole le loup »
l’examen des dynamiques formelles de l’épreuve PL IV : « pluie, puis l’orage »
projective. PL V : « il vole... le loup »
PL VI : « papillon, les moustaches »
A fin de clarifier la présentation, et tout en
reconnaissant l’aspect un peu réducteur du mode Inversion des descriptions ; recours aux
d’exposition de nos résultats, le lecteur trouvera petits détails ; importance de la réactivité au
indiqué pour ces sept catégories, des considéra¬ Blanc.

tions cliniques qui rassemblent, d’une part, des Protocoles « phobiques »


traits d’organisation phobique virtuellement L’inversion de la succession tout autant que
névrotisables, et, d’autre part, des éléments de
celle des descriptions proviennent d’une pru¬
« phobie » dans des protocoles où dominent des
dence anxieuse et se poursuivent, en général, sur
indices de psychose :
le même mode pour toutes les planches compac¬
5b. Les comparaisons tes. Cette inversion, quasi systématisée, signe un
La rétraction du moi
évitement et témoigne donc d’une capacité de
détour. C’est l’indice d’un refoulement probable.
Protocoles « phobiques »
Exemple :
L’uniformité des réponses tient lieu de barrage (Protocole de Thérèse)
contre les excitations motrices et les représenta¬ PL I : « là, je sais pas... ah oui, c’est les pattes,
tions internes. Les représentations inconscientes les mains (Dd) c’est tout.
540 BULLETIN DE PSYCHOLOGIE

un oiseau (g) Si Muriel évoque un vécu terrifiant lié à la noir¬


là, un petit os (Dbl central) ceur de l’encre, Sylvie, quant à elle, utilise le
ça doit être un corbeau Blanc comme équivalent direct du vide, appel de
une grenouille... le ventre... des ailes (Dd) ce dernier. A la planche I, elle dira : « un loup (G)...
un oiseau : les ailes (G) un rond (Dbl supérieur)... un rectangle (Dbl gau¬
che)... un rond (Dbl droit)... après il vole le loup...
Le recours aux détails blancs sur lequel l’image
il vole papillon (elle mime le vol).
se détache évoque souvent un sentiment d’impo¬
tence après une tentative de rassemblement, bien De façon plus générale, pour ces derniers types
exprimée par l’usage de globalisations. Alors se de protocoles, la fascination pour le détail blanc
produit une autre tentative de donner bord et (Dbl), les réponses chromatiques, signent l’expres¬
consistance à la tâche d’encre : l’énumération de sion d’un trouage non métaphorisé. Ne s’y ratta¬
détails, anatomiques le plus souvent. Ceci peut chent, chez Sylvie, que des désignations abstrai¬
s’expliquer en partie par le sentiment de sidéra¬ tes géométriques. Celles-ci annulent l’échange
tion provoqué par l’unité imposante de ce stimu¬ vivant donnant corps aux mots. L’interne et
lus compact. Ce sentiment est mentionné à l’inter¬ l’externe sont confondus. Le registre d’une certi¬
locuteur qui devient alors le témoin mais aussi tude portant sur la qualité identique et désincar¬
le garant d’un espace pourtant dangereux, et sup¬ née des formes est projetté loin des échanges qui
port relationnel d’un moi régressé. Dans ce para¬ nouant le moi aux mots donnent consistance ima¬

doxe transférentiel, il y a un dégagement. Cela ginaire à la corporéité. Ces mots ne prennent pas
permet de comprendre l’utilisation d’un blanc corps et ne peuvent prendre valeur signifiante
construit et exploité comme peut l’être un man¬ (c’est-à-dire s’arrimer à d’autres signifiants dans
que à combler, une fêlure à colmater afin de la une énonciation transférée à l’écoute d’un autre).
réparer. Surgirait sinon, le péril d’une remise en cause du
rapport narcissique « autistique » du sujet aux objets.
Exemples :
C’est ce que cette même Thérèse fait à En général, peu de réponses peuvent succéder
à ces Ddl traités en chromatisme. Le recours au
l’enquête de la PL. I : « Des petits morceaux (frag¬
ments extérieurs) pour accrocher les blancs (Dbl) ; formel, ici, n’est pas le témoignage de l’expres¬
ou Lucien à la planche I : « là c’est un os (Dbl cen¬ sion d’une représentation d’objets internes. Il est
tral)... ses bras (il ouvre à ce moment ses bras dans constitué de simples duplications des procédures
le mouvement d’envelopper quelque chose)... un qui enkystent la construction de l’extérieur par
monstre (G) avec les yeux, le nez, les oreilles, les un clivage qui oppose sans les conjuguer la dérive
joues, les deux dents, le palais, la mâchoire,,, en métonymique, à perte de vue et à perte de corps,
haut, c’est les cheveux... (retourne la planche) et à la tyrannie de la fixité sur des formes abstrai¬
derrière, c’est la nuque ». tes enchâssant le réel sous le primat de la répéti¬
tion de l’identique.
Protocoles « psychotiques »
La capacité d’investissement de la liaison
On observe ici un bouleversement du cours des et la reconstruction à partir de fragments et
opérations logiques et une incohérence des pro¬ de petits détails
cédés descriptifs, plutôt que des inversions. Inco¬
Protocoles « phobiques »
hérence manifeste plus que détour qui témoigne
de l’attaque contre le lien. C’est déjà ce qu’il était La tendance à repérer les fragments, le parcel¬
possible de repérer dans l’extrait ci-dessus pro¬ laire (cf. Thérèse), est la marque de l’exercice
posé du protocole de Sylvie. d’une préoccupation anxieuse qui met en oeuvre
des mécanismes réparateurs. Le registre et la
Le caractère discordant des expressions menace liée gravitent autour de la perte de l’objet
d’affect, aussi fortement désorganisateur, dénote ce qui suppose une différenciation s’effectuant
aussi l’absence de la fonction de liaison. entre l’interne et l’externe.

Quant au Blanc il est gouffre, il vide la planche L’effort fait pour regrouper les petits détails
et ne creuse pas le manque que la masquage d’un rend compte d’un processus lié aux défenses pho¬
objet ou le dépôt d’une amorce de fantaisie vien¬ biques. Il consiste à une mobilisation des capaci¬
draient obturer ou dynamiser. tés cognitives dans le sens de, sans cesse, surveil¬
ler la maintenance de l’image du corps étant
Exemple :
donné la fragilité des étayages entre narcissisme
(Protocole de Muriel)
PI. I : « chauve-souris...
tiens, ça me rappelle et image inconsciente du corps. II s’agit, là encore,
l’encre de chine... on dirait qu’elle va se poser sur d’une inquiétude face à l’identité.
quelque chose pour mieux respirer, et pour Exemples :
mieux attaquer... ou bien qu’elle va attaquer quel¬ (Protocole de Thérèse)
que chose... qu’elle essaye aussi de défendre son PI. I : « des petits morceaux, (fragments exté¬
territoire... rieurs) pour accrocher les blancs (à l’enquête)
BULLETIN DE PSYCHOLOGIE 541

PI. VI : « c’est un os qui doit être coupé (Dd Exemple (protocole de Muriel)
médian) pour que la partie moustache soit accro¬ PL. III : je vois un papillon, ici, (Dd central)...
chée au reste (Dd supérieur) ça, ça me rappelé quelque chose (Dd extérieur),
un écho, deux échos... un écho, c’est quand
ou (protocole de Lucien)
quelqu’un te crie au secours, l’écho répond au
PI. V : « la mère (Dd gauche), le père (Dd droit), secours.

en bas Laêtitia, Estelle, en haut Sandrine et moi,


La perception de la menace et les capaci¬
là c’est Black (Dd), là c’est Sibelle, Gertrude ma tés de dégagement suite à un Clob.
tortue (fragment), là, Clémentine, mon poisson
(fragment), la tête (Dd) c’est Mimine, mon chat » Protocoles « phobiques »

(réponse donnée à l’enquête, elle fait de cette Le danger que représente le fait d’imaginer cer¬
planche l’heureux rassemblement des personna¬ tains animaux ou quelques monstres conduit le
ges et animaux familiers). sujet à circonscrire sa peur par la décomposition
Les références multiples et soigneusement jux¬ de ces formes. Il met en œuvre, à cet effet, l’inhi¬
taposées, reflètent, dans cet exemple, comme bition propre à l’emploi de détails Do. L’on peut
dans bien d’autres cas, le conflit dû à des expé¬ rapprocher ceci du découpage signifiant qu’ont
riences précoces ayant rompues la relation de exercées sur le corps les greffes de phobies pré¬
continuité du sujet avec l’un des parents. Si les coces à partir des zones érogènes. L’intrication
représentations peuvent avoir un caractère col¬ fréquente du règne animal (très anthropomorphi¬
lectionné et/ou fractionné c’est qu’elles renvoient que, cependant) et du règne humain indique un
à une interrogation subjective, à un questionne¬ mécanisme inconscient de la névrose phobique
où l’identification à l’humain animalisé tient lieu
ment sur l’absence comme matrice première de
la différence. Il s’agit là d’un mode de communi¬ de support narcissique. Cette identification ne
cation où l’énumération indifférente, voire l’iner¬ peut prendre sens que lorsqu’elle va déboucher
tie, signent un évitement de l’angoisse. sur une humanisation plus explicite en étroite
relation avec le corps vécu. C’est, peut-être, pour
Protocoles « psychotiques » cette raison que les réponses animales survien¬
Ici, les fragments ne seront pas traités comme nent volontiers au début de la passation, dans un
des éléments pouvant se prêter à des recomposi¬ processus de régression dynamique ou de refou¬
lement.
tions. Ils ne regroupent pas des objets externes
pour pallier à l’anxiété que suscite une image de La réaction à la menace peut donc être déga¬
soi défaite. Ils demeurent erratiques et préoccu¬ geante, lorsque l’enfant donne des détails
pants, ce qui mobilisera dans les meilleurs cas les humains et, les regroupant, se préserve de
défenses maniaques marquées de déni et d’agres¬ l’angoisse qu’ils suscitent. Il est possible d’éviter
sivité, ou suscitera alors, sur un mode moins sou¬ le danger et de le contourner.
cieux de trouver un point d’adresse vers le
À la suite d’une réponse Ciob, i’aggressivité
dehors, des globalisations compulsives, superfi¬
peut percer sous la forme de remarques ironiques
cielles et de piètre qualité formelle.
ou de questions renvoyant la difficulté au testeur.
Les détails humains renvoient à l’angoisse de Mais, le plus souvent, l’agressivité se retourne
morcellement. Ici, les parties disjointes ne parti¬ contre l’enfant qui exprime son dénuement.
cipent pas aux recompositions dynamique de Enfin, les réponses qui surviennent après un Clob
l’image du corps, et tendent à se partielliser dans marquent presque toujours un besoin de réassu¬
des éclatements d’une surface sans bord. Dans ces rance. Ce dernier s’exprime par des stéréotypies
protocoles, les pulsions, ni actives ni passives sont ou des ritualisation efficaces à donner les mêmes
aliénées dans la catastrophe de la désintrication contenus comme parade, de sorte que, prenant
des pulsions de vie et des pulsions de mort. (Ceci congé d’un Clob, toujours de la même façon,
s’observe dans nombre de protocoles « psychoti¬ l’enfant n’en soit plus menacé par la grâce de
ques » d’enfants ou d’adulte (cf. Chabert 1987, cette conjuration après-coup. Derrière ces
Douville 1988 et 1989). « réponses clichés » se déroule une réaction affec¬

tive sur laquelle nous alertent, à ces moments,


Les réponses ne sont pas représentatives d’une
des remarques et des questions exprimant l’inca¬
amorce de relation érotique à l’autre, laquelle se
pacité. Le psychologue en est le témoin et, plus
trouverait bordée dans la mise en place du fan¬
encore, le support d’une adresse. Il est investi
tasme. Les contenus de réponse ne laissent sur¬
comme tel.
gir qu’un débordement pulsionnel. Ceci s’expli¬
querait, du fait que les perceptions, décharnées C’est tout le contact à l’examinateur, qui nous
par le Rorschach, comme par toute provocation a également très intrigué et sollicité, avec ces jeu¬
au spéculaire, sont dites devant l’autre par des nes sujets. La référence lorsque le Clob a été
mots qui n’ont pas connu de métabolisation dans donné à l’incapacité ou à l’impotence, référence
une image de corps relationnelle. suivie de réponses Hd centrées autour du visage,
542 BULLETIN DE PSYCHOLOGIE

indique une capacité, chez ces sujets, de faire part Exemples :

de leur peur fantasmatique. (Protocole de Muriel)


PI. IV « ça, c’est vraiment la forme d’un mons¬
Exemple (Protocole de Thomas) :

tre, le corps, les jambes, sa tête (G) et ça, ça me


PI. III : « le cœur (D)... les oreilles... de quelqu’un
rappelé une fusée... on dirait que la fusée va com¬
qui est mort d’une crise cardiaque »
PI. IV là c’est tout noir... là c’est l’estomac battre le monstre (Détail inférieur)... cette forme
: «
on dirait qu’elle va s’écraser... les jambes va (sic)
(G) voilà, c’est tout. »
s’écrouler. »
PI. V : « (avec un enthousiasme agressif) là c’est
une chauve-souris (G) les ailes, les pattes, la (Protocole de Paul)
!

petite tête, les deux oreilles ». PI. IV : « ça ressemble à une fleur (petit détail
de mauvaise forme, déterminé par l’estompage
Protocoles « psychotiques » dans la partie inférieure)... un ventre... un géant
L’évocation de monstres et d’objets menaçants avec sa tête écrasée et sa grosse tête en bas ».
laisse le sujet tout à fait démuni. Ces objets anxio¬ Les modes de participation du corps du
gènes, ne sont pas construits comme des conden¬ sujet dans la passation.
sations, ne parlent pas à l’enfant tant ils sont les
Protocoles « phobiques »
échos de forclusions annihilant les représentants
Nous avons fait le constat de l’existence d’une
pulsionnels et contaminant les représentations
d’objets et de soi. Le danger n’est pas comme association entre affects et représentations dans
l’était la menace phobogène, déplacé, condensé les manifestations de l’agressivité. Cela donne à
et délimité sur des détails menaçants. Ici, le dan¬ penser que le Moi est capable d’amorcer un
ger envahit, ce dont témoigne le fréquent échec champ transitionnel. Alors nous nous sommes
du contrôle défensif. penchés sur la participation émotionnelle et
expressive du corps dans les passations. Il parti¬
L’expression de ce type de menace est entre¬ cipe à la situation. Il est aussi mis à l’épreuve et
coupée de façon impressionnante par des répon¬ par elle, touché. Les contacts avec la planche, ses
ses de détails elles, tout à fait conformistes. Si ces maniements, intéressent la motricité et le réglage
autres réponses viennent comme une tentative moteur de la distance que le sujet entretient avec
de réassurance, elles sont aussi le fait de l’irrup¬ le matériel. Le ton est ludique ou anxieux, par¬
tion de représentations partielles et de l’interrup¬ fois théâtral, jamais discordant.
tion par des phénomènes de barrages du cours
L’investissement de la motricité et de la tona¬
de la pensée. Altérant le sens de la réponse glo¬
bale, autant qu’elles témoignent des fractures de lité permettent de vivre des relais entre une émo¬
tion corporelle et sa représentation. Ils tiennent
l’image du corps, elles signent l’absence de lien
entre les représentations.
lieu de support pour la construction de l’identité
d’un sujet qui signe, ainsi, corporellement et ver¬
Suite à un Clob, apparaissent des réponses évo¬ balement qu’il est bien l’auteur de ses transition¬
quant la vulnérabilité et l’inconsistance de l’image nelles productions.
corporelle. Les Clob suscitent non des amorces
Protocoles « psychotiques »
d’étayage, mais des réponses réfléchissant la faille
profonde de la représentation de soi. Le clivage Les sujets sont figés. Ils semblent indifférents
n’ouvre d’autre accès que celui de l’identification face au matériel. Le corps sera immobile, inex¬
projective. pressif et mutique, pour des sujets qui présentent
par ailleurs de grande symptomatologie phobi¬
Tout cela se manifeste par un envahissement
que. Le corps est donc rigidifié comme si il fal¬
univoque des préoccupations concernant l’iden¬ lait, à ces enfants, lui donner cette carapace de
tique. Cet envahissement prend le tour d’une rétension tonique lorsqu’ils confrontés aux
indifférenciation dedans/dehors, et d’une inter¬
aspects soit trop envahissants soit trop éclatés des
férence entre des déterminants, montrant l’impos¬
dix planches Rorschach. Le corps se rajoute
sibilité de régler le moi sur une forme globale comme une pièce manquante mais ne trouvant
stable.
pas les coordonnées de son insertion dans un
Lorsqu’une réponse globale de corps est proje¬ puzzle défait aux pièces mal biseautées. L’incom¬
tée elle est alors immédiatement contaminée par plétude de l’image du corps est de l’ordre de la
une réponse qui la déchire ou l’anéantit. Les dissociation, non de la castration, et cette quasi
réponses compulsives, ne visent pas à faire tenir catatonie expérimentale que suscite l’épreuve du
à tout prix, un bon objet qui « tiendrait le coup ». Rorschach ne nous l’indique que trop bien.
Elles sont très directement l’expression d’une lutte Les possibilités de mobilisation du Moi
contre une angoisse destructrice et contre un
démantèlement du vécu corporel. Tout ceci n’est Protocoles « phobiques »

pas sans évoquer une « mise à mort du sujet », A cette présence corporelle que nous évoquions
pathognomonique de la psychose. juste auparavant, s’ajoute une mobilisation de
BULLETIN DE PSYCHOLOGIE 543

l’instance moïque, rendue manifeste dans la 6. CONCLUSIONS


recherche de réassurance narcissique. Un telle Si la question de la projection de l’image du
conduite psychique apparaît aussi bien dans corps est transversale à toutes les cliniques obser¬
l’exploration visuelle du stimulus. Les nombreux vées et théorisées à partir du narcissisme, la déli¬
raccrochages à l’axe médian donnent à l’ensem¬ mitation de la représentation inconsciente du
ble d’une production son point d’appui. Y est sou¬ corps comme prise ou non dans le langage est
vent réaffirmée la prégnance et l’axe, ligne de centrale à la compréhension des psychoses.
force de la position corporelle qui centre, diffé¬
Nous partîmes d’un embarras diagnostique, puis
rencie et verticalisé le sujet dans ses rapports aux
nous avons voulu montrer que le tableau donné
gestes et aux objets.
par les projectifs infléchissait et soulignait des logi¬
Dans l’utilisation du langage, les conduites ques donc des aspects de structures lors que les
verbales sont remarquablement subjectivées de modes de comportements des sujets testés pou¬
par l’emploi de pronoms personnels, plus abon¬ vaient donner lieu à des confusions tant diagnos¬
dants encore lorsque l’éprouvé des planches tiques que pronostiques.
compactes ébranle l’éprouvé de la continuité de
Nous avons donc tenté d’établir que la situation
soi.
projective Rorschach peut être un outil détermi¬
Lorsque, dans ces protocoles, et surtout aux nant en ce qui concerne la lecture des construc¬
planches compactes, la mobilisation de l’instance tions de la phobie. Deux orientations différente
du Moi va inscrire un référent où corps, tempo¬ dans leurs logiques se dessinent. Nous rencon¬
ralité et localisation trouvent à s’articuler en une trons soit le profil d’une évolution vers une névro
unité signifiante ; l’utilisation de ce nouage indi¬ tisation ou une inhibition majeure — cette der¬
que la possibilité de la construction d’un passage nière étant par ailleurs des plus préoccupantes,
de l’identification à l’identité, construction jusque soit le dépistage des éléments phobiques les mon¬
là suspendue ou bousculée. tre sous l’aspect de prodrome ou comme masque
d’un possible devenir psychotique.
Protocoles « psychotiques »
En effet, la situation Rorschach déclenche iné¬
L’angoisse liée à l’image inconsciente du corps vitablement l’implication du visuel et l’invite faite
et qui s’extériorise sous des allures de phobies à la liaison des mots aux spécularisations des
massives, déclenche un effet des plus contrasté : corps.
— soit, un investissement extrême des limites Le champ scopique, si important dans la cons¬
dedans/dehors, tel une ultime ressource pour ne titution de l’image du corps, est directement relié
pas sombrer dans le chaos à l’aspect formel tel qu’il peut être exprimé à cette
— soit un télescopage par imposition d’un iden¬ épreuve. C’est la possibilité d’investir une forme
tique entre l’externe et l’interne. de représentation inconsciente de corps entier,
vivant et sexué, qui sera déterminante pour éta¬
Dans le premier cas, ces limites, frontières fuga
blir si la rencontre avec le corps parlé de l’autre,
cement des plus investies, ne sont pas intégrées
faisant partie de la mémoire inconsciente, a
à l’axe médian. Celui-ci ne suscite pas de condui¬
tes de rassemblement des éléments visuels mais
donné à l’enfant des possibilités de se structurer
et de s’aimer, sous la représentation d’un être
renvoie le sujet au réel d’une symétrie sans dia
détaché et entier, indépendant.
lectisation possible des rapports de gauche et de
droite, des dimensions de premier et de second Que certaines phobies soit le noyau de la
plan. Cette carence de la spatialisation de la moin¬ psychose et il devient primordial de déterminer
dre catégorie de la représentation va être repé¬ le point de désancrage à partir duquel l’image
rable à travers les fréquents télescopages du inconsciente du corps n’est plus la médiatrice
représentant et du représenté, ou, encore, dans entre soi et autrui, n’est plus alertée par le signi¬
le surgissement d’émois violents lorsqu’il tente de fiant et le désir, et ne peut, pour ces raisons, se
se référer à une représentation appartenant au rattacher qu’à une surface psychique sans profon¬
monde des objets et des significations communes. deur et morcellée.

La figuration de l’image du corps est impossible Si l’analyse délicate de ce nouage « corps-lieu


à totaliser et à signifier comme représentation du temps » rend compte des moments cruciaux de
Moi à partir de l’expérience de la surface du corps mise en place de destins contrastés vers les névro
au contact du monde extérieur, comme nous tisations ou le devenir psychotique, on doit au
l’apprend Nina Rausch de Traubenberg (1977), qui Rorschach de livrer les contours d’une situation
se montre ici bien proche des idées de Françoise expérimentale où ce nouage est tout à fait
Dolto. sollicité.

Dans le second cas, l’enkystement psychotique En ce sens l’analyse de la phobie précoce à ce


renvoie le narcissisme à un modèle davantage test permet aussi de faire un pas de plus dans
autistique qu’omnipotent. l’investigation des conduites et des processus
544 BULLETIN DE PSYCHOLOGIE

psychiques que mobilise le Rorschach dans son nature. Cette présente étude sur la phobie porte
appel à la figurabilité à la condensation et au aussi les prémisses d’une investigation psychopa¬
déplacement des images de corps. thologique compte tenu de certains éléments-clefs
du matériel et de la consigne Rorschach. Un effet
Alors, ce qui était du domaine d’une applica¬ de retour en peut-être attendu sur la construction
tion sur le mode d’une vérification où l’ outil d’une théorisation de la psychopathologie à ce
Rorschach » confirmerait des savoirs sur la test, non liée à des réquisits d’une démarche édu¬
psychopathologie établis ailleurs, change de cative ou à des urgences de soins.

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