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Inno 026 0095
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INTRODUCTION
La petite entreprise est devenue une partie indissociable de l’économie des
pays développés. Elle remplit un certain nombre de fonctions socio-écono-
miques telles que : création d’emploi, soutien de l’innovation, amélioration
de la concurrence et diminution de l’inégalité sociale entre autres. On peut
dire que le small business en Russie est né grâce aux réformes. Sa naissance
date du 18 juillet 1991, jour de la parution de l’arrêté N406 du gouverne-
ment de la Fédération de Russie. « Sur le soutien et le développement des
petites entreprises dans la Fédération de Russie » qui a défini les critères des
PE ainsi que les conditions générales de leur fonctionnement.
De nos jours les questions liées au développement du petit entrepreneu-
riat russe sont au cœur de nombreuses études, même si l’analyse statistique de
ce secteur présente plusieurs difficultés (données officielles peu probantes,
manque d’informations sur les entrepreneurs individuels sans personnalité
morale, etc.). En outre, les données statistiques sur les petites entreprises
sont très contrastées et varient sensiblement d’une source à l’autre en raison
notamment de l’utilisation de pratiques statistiques différentes. Quoi qu’il en
soit, on s’accorde généralement sur le fait que le secteur des petites entrepri-
ses et des entreprises individuelles sans personnalité morale s’est accru con-
sidérablement et assez rapidement au début des années 1990. Dans la deuxième
moitié de la décennie 1990, le secteur a stagné, voire accusé un léger recul. Le
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duels, le monde rural, qui représente un milieu à part, et pour cette raison a
été volontairement exclu du présent travail. L’objectif du document n’étant
pas de donner une liste exhaustive des maux dont souffre le petit entrepre-
neur russe, seuls les principaux obstacles (qui sont cités par les deux tiers de
l’échantillon) sont examinés plus loin.
Malgré les programmes d’aide aux petits entrepreneurs, élaborés par le gou-
vernement russe depuis 1995, à l’heure actuelle tous les problèmes auxquels
est confrontée la petite entreprise n’ont pas été résolus. Nous pensons que les
principaux obstacles, qui entravent le développement de la petite entreprise
en Russie, peuvent être divisés en trois groupes : ceux qui résultent des rela-
tions entre entrepreneurs et État, ceux qui touchent aux finances de l’entreprise
et ceux qui concernent le personnel. En fait, les problèmes des entrepreneurs
russes sont similaires à ceux que connaissent les petites entreprises des autres
pays. Pourtant ils peuvent revêtir une importance particulière en Russie.
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tés pour trouver un avocat, car personne n’osait encore s’attaquer au pouvoir,
il a gagné ce procès. (19) Nous analyserons ci-dessous les principales raisons
qui expliquent l’émergence des obstacles administratifs.
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simplifié sur le revenu et d’un impôt unique sur le revenu imputé, qui l’ont
rendu plus transparent et plus efficace. Les entrepreneurs qui en bénéficient
avouent échapper à la complexité habituelle d’obligations comptables et
d’impôts multiples.
Or, selon certains entrepreneurs enregistrer une entreprise de produc-
tions dotées de la personnalité morale et créée ex-nihilo demeure une procé-
dure très complexe. Une femme-entrepreneur que nous avons interviewée,
se plaint de la difficulté et du coût exorbitant pour l’obtention de licences.
Afin d’obtenir une licence pour l’utilisation de l’eau, elle a dû d’abord aller
chercher des rapports d’expertise dans deux organismes, ce service n’étant
pas gratuit, et dû payer ensuite pour la licence proprement dite. Cette femme
conclut que beaucoup d’organismes vivent tout simplement aux dépens du
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Les principaux obstacles au développement...
Manque d’informations
Outre la législation compliquée et changeante, beaucoup d’entrepreneurs
déplorent le manque crucial d’informations sur leur droits et obligations sur-
tout en matière de taxation. L’insuffisance d’informations sur les impôts, la
façon dont ils sont calculés et la documentation à présenter aux fonctionnai-
res du fisc représente un problème majeur pour plusieurs entrepreneurs de
notre échantillon. Ainsi, une entrepreneure de Nižnij Novgorod, Elena L., qui
gère un magasin de cadeaux, a-t-elle raconté son embarras avec l’impôt uni-
que sur le revenu imputé. Dans son cas il est calculé sur la base de la surface
de vente du magasin. Ce volume est multiplié par le coefficient de la rue
dans laquelle se trouve l’entreprise. Or, elle n’arrive pas à savoir si la surface
sous la caisse et celle des couloirs sont considérés comme faisant partie de la
surface de vente. Cette femme conclut que même si les entrepreneurs sont
aujourd’hui prêts à respecter les normes, ils ne les connaissent souvent pas.
(10) Un autre exemple concerne un salon de coiffure voisin du magasin
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voit deux catégories. Or, personne, même les professeurs d’une Académie
d’architecture, auxquels il a posé la question, n’a pu lui apporter une réponse
claire et nette. (19)
pense qu’il est normal que je remercie celui qui a fait quelque chose pour moi.
Et ce n’est pas humiliant pour moi. » (21) On remarque bien que l’entrepre-
neur russe n’a pas une conscience claire qu’un fonctionnaire est avant tout un
serviteur d’État et qu’il lui doit, de par sa profession, certains services qu’il
essaie parfois de lui vendre.
Compte tenu de ce qui a été dit, on comprend mieux pourquoi les entre-
preneurs russes adoptent, dans leur majorité, une attitude négative ou, pour
le moins, méfiante vis-à-vis de l’État. Voici quelques citations d’entrepre-
neurs à propos de ce dernier :
« Je n’attends absolument rien de l’État et ne me fais aucune illusion. […]
La principale fonction de l’État russe est d’empêcher les gens de travailler. »
(12)
« Lorsque l’État dit qu’il facilitera tel ou tel côté de la vie des PME, il faut
s’attendre au contraire à un durcissement. » (16)
« Les fonctionnaires russes… tout développement les rend jaloux. Mon
attitude envers l’État est négative. Je devrais respecter le pouvoir, mais je ne
Pratiquement dans tous les pays les petites entreprises, dotées d’un capital
relativement faible et souvent dépourvues de réputation commerciale éta-
blie, se heurtent à des contraintes de liquidité pour compléter leurs fonds
d’investissement et de roulement ou encore, dans le cas d’entreprises nais-
santes, pour constituer leur capital de départ. Dans la plupart des pays dévelop-
pés ces difficultés sont résolues par le biais de crédits à faible taux d’intérêts
accordé aux petits entrepreneurs par des banques et des fonds, créés spécia-
lement pour le développement du petits entrepreneuriat, aussi bien que par
d’autres structures financières. Or, en Russie des années 1990 le système ban-
caire était en crise et les banques russes négligeaient la délivrance de crédits aux
petites entreprises. Les quelques rares banques étrangères, comme la Banque
Mondiale ou la Banque Européenne pour la reconstruction et le développe-
ment, qui travaillaient avec les petits entrepreneurs, n’arrivaient pas à satis-
faire la demande de crédits de la part de ces derniers. Ainsi, souvent les
entrepreneurs débutants demandaient-ils des prêts privés au lieu de crédits
commerciaux, afin de constituer le capital de démarrage. Plusieurs personnes
de notre échantillon ont été financièrement aidées par leurs amis et entre-
preneurs au tout début de leur activité. Plus tard, ces entrepreneurs une fois
leur position dans les affaires consolidée, à leur tour accordaient des prêts
aux autres. Cette entraide entrepreneuriale (des prêts entre entrepreneurs
qui se connaissent et se font confiance) jouait et joue toujours un rôle impor-
tant en Russie.
En même temps depuis quelques années, les banques russes ont com-
mencé à « bouger », et le crédit commercial pour une petite entreprise a cessé
d’être quelque chose d’exotique. Or, ceux qui ont pu en profiter remarquent
son taux d’intérêt élevé et la complexité des démarches pour l’obtenir. Les
intérêts annuels varient entre 19 et 34 %, ce qui reste encore très cher pour
la plupart des entrepreneurs. Sauf peut-être les commerçants, qui ne sont pas
dissuadés par ce taux, car le commerce est une activité à forte rentabilité en
Russie. Un vendeur de vêtements ou de chaussures peut réaliser de 50 à 100 %
de bénéfices sur le capital investi par mois. (19)
En même temps, le taux d’intérêt élevé est le résultat de la politique des
pouvoirs locaux et de la procédure compliquée d’octroi du crédit. Voici ce
que raconte à ce sujet un entrepreneur de la ville de Šuâ : « La Banque Cen-
trale de la Russie est sur la bonne voie, puisqu’elle diminue constamment le
taux bancaire. Disons qu’aujourd’hui c’est 13 %, la banque, qui donne l’argent,
accorde ce crédit à 16 %. […] Enfin, par exemple, un petit entrepreneur
PROBLÈMES LIÉS
AUX RESSOURCES HUMAINES
il vaut mieux ne pas travailler du tout, plutôt que de travailler pour un salaire
fixe qu’ils jugent petit. Cette situation peut se comprendre puisqu’au cours
des années des réformes beaucoup de gens, y compris parmi les parents de ces
jeunes, ont perdu leur travail et sont restés au chômage pendant une période
prolongée. Ils se sont habitués à toucher une petite allocation et à gagner
ponctuellement un peu d’argent au noir. Le principal réflexe est devenu non
pas de chercher un moyen de sortir de cette situation, mais de limiter les
dépenses. En plus, entre 1991-1997 ils ne désiraient même pas de retrouver
un emploi, puisque les salaires de ceux qui travaillaient étaient souvent ver-
sés avec un retard de plusieurs mois, sinon années. En outre, l’abondance
d’offres d’emplois dans certains métiers (vendeur, caissière) fait que les gens
n’ont pas peur de perdre leur travail. Ils sont persuadés qu’au moment où ils
tion d’un garage son opérateur de grue a renversé l’engin devant lui. Après
quoi l’ouvrier a fait remarquer d’un ton parfaitement tranquille et sérieux
que ce n’était rien, parce qu’il avait vu des choses plus graves encore. (14)
Plusieurs entrepreneurs se plaignent du manque crucial de managers quali-
fiés, capables de gérer une filiale d’entreprise. Ils se disent prêts à investir
dans l’extension géographique ou/et dans la diversification de leurs affaires,
mais sont limités dans leur développement. Souvent les managers qui tra-
vaillent pour eux présentent des ambitions démesurées par rapport à leurs
savoir-faire.
Le vol financier demeure assez fréquent dans les entreprises russes. Les entre-
preneurs remarquent que le personnel à qui ils peuvent faire entièrement
confiance est très rare. Le plus souvent le problème du vol financier con-
cerne ceux qui travaillent avec de l’argent liquide. Dans les commerces, ce
sont les caissières, dans les entreprises de transports urbains ce sont les ven-
deurs de tickets dans les bus et dans d’autres entreprises – les comptables.
Ainsi, certains entrepreneurs russes préfèrent-ils se séparer de l’ancien chef
comptable en cas de reprise d’entreprises. (18) Il existe d’autres formes de
vol. Par exemple, les directeurs des entreprises industrielles surveillent de
près leurs ouvriers, qui peuvent utiliser l’outillage et l’équipement de l’entre-
prise pour réaliser pendant la journée de travail des commandes acceptées à
titre privé.
L’alcoolisme est un deuxième fléau qui sévit parmi le personnel non qua-
lifié. Une entrepreneure affirme qu’environ deux tiers de son personnel non
qualifié travaillent au noir. Tout simplement ce contingent spécifique alterne
deux jours de travail et trois jours d’ivrognerie. Et ceux qui peuvent les rem-
placer ne sont guère meilleurs. (18) Certains entrepreneurs, afin d’éviter les
accidents de travail, dus à l’alcoolisme, sont contraints d’accorder à leurs
ouvriers de « petites vacances » en période de fêtes importantes, telles que le
Nouvel An ou Pâques. Ils estiment qu’il vaut mieux laisser les ouvriers boire
et dessoûler après, plutôt que les laisser venir au travail en état d’ébriété. (12)
d’accorder une confiance illimitée à autrui pour des raisons liées à la psycho-
logie humaine. Selon les entrepreneurs, la principale cause de l’échec d’une
affaire à plusieurs est la suivante : avec le temps l’un des associés commence
à penser que l’autre travaille moins, mais gagne plus. Comme démontre
l’expérience, même une entreprise familiale n’est pas à l’abri de ce genre de
problèmes. Pourtant, en Russie en absence de crédits bancaires, les entrepre-
neurs sont souvent obligés d’associer leurs capitaux et compétences. En plus,
étant donnée un faible niveau de la culture des affaires dans ce pays, à cela
s’ajoute la difficulté de trouver un associé honnête et digne de confiance.
Selon certains, en Russie les capitaux extérieurs apportés par des gens peu
connus sont à craindre. Il existe un risque non négligeable de tomber sur un
criminel en quête de blanchiment d’argent. L’entrepreneur peut par la suite
être expulsé de son entreprise. (16)
D’autres estiment que même si cette situation reste un cas particulier, le
risque de tomber sur un associé malhonnête demeure élevé. Au mieux, ce
dernier pourra exploiter les capitaux d’autrui en sa faveur. Un entrepreneur
de notre échantillon veut se séparer de ses compagnons, car il pense être
trompé par eux. Il ne participe pas à la gestion quotidienne du projet, et ses
associés affichent depuis peu de temps des dépenses importantes et « peu
objectives » en aménagement des locaux, ce qui est un signe indirect de
fraude. (22) Une autre entrepreneure s’est séparée de son ancien associé, puis-
que ce dernier cherchait à utiliser son capital, dont il avait besoin, et limitait
sa participation à la gestion de l’entreprise. Sa stratégie était de dire « oui »
aux projets qu’elle avançait et de retarder par la suite leur réalisation sous
divers prétextes. (15)
Enfin, dans le pire des cas, l’associé peut voler l’entrepreneur, comme c’est
arrivé à un homme d’affaires de Nižnij Novgorod. Il faisait confiance à son
associé, qui s’occupait de la comptabilité jusqu’au jour où ce dernier a falsifié
sa signature et a disparu avec une grande partie des finances de l’entreprise.
Le stress vécu par l’entrepreneur en question, qui est resté seul face aux obli-
gations vis-à-vis des clients et du personnel, lui a valu une crise cardiaque.
On peut comprendre pourquoi dès lors il a juré de ne plus s’associer avec qui
que ce soit, son but étant de garder une maîtrise totale de son affaire. (23)
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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INTERVIEWS
Interview avec Elena L., propriétaire-directrice du magasin de cadeaux « Salon », réalisée
en juillet 2005 à Nižnij Novgorod.
Interview avec Anatolij P., directeur de l’entreprise d’alimentation « Kušat’ podano », réa-
lisée en juin 2004 à Šuâ.
Interview avec rij T, co-directeur de l’entreprise de transport urbain, réalisée en juillet
2004 à Šuâ.
Interview avec Olga M., ancienne co-directrice de l’entreprise de production de meubles,
réalisée en août 2004 à Nižnij Novgorod.
Interview avec Nikolaj K., co-directeur d’une entreprise de fabrication de pièces détachées,
réalisée à Āroslavl’ en août 2004.
Interview avec Vladimir., directeur de l’entreprise «Šuâ – konsul’tant », réalisée en juillet
2004 à Šuâ.
Interview avec Marina Z., directrice d’une entreprise de production de conserve, réalisée
en août 2004 à Šuâ
Interview avec Vladimir K., directeur d’une entreprise de BTP, réalisée en juin 2005 à Šuâ.
Interview avec Vâčeslav B., directeur de l’entreprise « Bogger », réalisée en juin 2005 à
Nižnij Novgorod.
Interview avec Vadim P., directeur de l’entreprise « Taxi- Šuâ», réalisée en juillet 2005 à Šuâ.
Interview avec Pavel D., directeur de l’entreprise « Sotovaâ svâz’ – Bee Line », réalisée en
juin 2005 à Šuâ.
Interview avec Alexandre P., directeur d’une entreprise de vente d’équipement médical,
réalisée en juin 2004 à Nižnij Novgorod.
Interview avec Larisa P., commerçant de fourrure, réalisée en juin 2003 à Šuâ.
Interview avec Viktor S., commerçant de viande, réalisé en juillet 2003 à Vâzniki.
Interview avec Andrej L., co-directeur de l’entreprise « Ul’tra », réalisée en juillet 2005 à
Nižnij Novgorod.
Interview avec Galina T., directrice de la chaîne de pharmacies « èhinaceâ », réalisée en
juillet 2005 à Šuâ.