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Armand Colin

La doctrine de la déification dans l'Église grecque jusqu'au XI e siècle: II (Suite)


Author(s): M. Lot-Borodine
Source: Revue de l'histoire des religions, Vol. 106 (1932), pp. 525-574
Published by: Armand Colin
Stable URL: http://www.jstor.org/stable/23664841
Accessed: 27-11-2015 05:50 UTC

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La doctrine de la déification
r
dans l'Eglise grecque jusqu'au XIe siècle'
( Suite)

II

LES VOIES DE LA CONTEMPLATION-UNION ET LA Θέωσίζ1

Se perdre, revivifiés par l'Esprit Consolateur, dans l'abîme


du Christ ; se retrouver avec lui en la Lumière trine. — Voilà
le tracé et la fin de l'Itinerarium mentis des Spirituels grecs.
Tous, en commençant par les anachorètes du désert, premiers
fervents de Γήσυχία, ont parcouru les étapes ascendantes de
la « voie royale », sans en brûler aucune. Ils l'ont suivie, pas à

pas, avec une lenteur voulue,


sagement calculée, à travers la

mortification, la pénitence et la prière, jusqu'à l'illumination

charismatique totale de l'âme ; jusqu'à ce que, unifiée par


la grâce plénière, cette âme retrouve et reproduise parfaite

]) Voir la première partie de la présente étude dans le numéro Janvier


Février 1932 de la Revue de l'Histoire des religions. Ici encore l'auteur reste fidèle
au principe énoncé : considérer et traiter la doctrine analysée comme un tout orga
nique. Ce travail n'est pas d'érudition pure, mais de psychologie, d'introspection
et de Einfùhlung. Comme la deificalio se retrouve, implicitement, et dans le prag
matisme de l'ascèse, et dans l'expérience mystique propre, il a fallu se résigner à
d'inévitables redites. La méthode adoptée sera donc la méthode « concentrique »,
qui n'est pas sans inconvénients sans doute. Mais, d'autre part, la pensée-maîtresse
sera ainsi mieux dégagée, serrée de plus près, mise à jour enfin. — Vu la difficulté
de la tâche entreprise, il nous a paru impossible de procéder autrement.
[Celui qui, âme rie cette Revue, nous en a ouvert spontanément les portes, sans
ignorer le caractère de nos recherches, n'est plus là pour défendre la témérité d'un tel
essai, encouragé par sa bienveillante et haute impartialité. Qu'il nous soit permis
d'apporter à sa mémoire l'hommage ému d'une gratitude toujours vivante, en
dédiant ces pages au Maître très cher et infiniment regretté.]

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526 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS

ment en elle l'image divine, qui en est le modèle ou archétype


éternel. — Purification, contemplation, union transformatrice
et déificationparticipée ou θέωσις. Le cycle achevé se referme.
Dès la vision — — échoit aux
ici-bas, jamais ontologique
« cœurs purs », selon la promesse solennelle des Écritures, dont
rien ne saurait affaiblir la portée1. Or voir Dieu, c'est le
connaître par une intellection suprarationnelle « au-dessus de
toute connaissance », c'est pénétrer en lui par intuition
d'amour : contemplation-possession qui fait participer l'esprit
créé — non pas à l'incommunicable essence divine, mais aux

Énergies, procédant d'elle et la manifestant. Et pour vivre


cette participation, il faut avoir purifié l'être tout entier,
dont « le cœur intelligent » reste le centre.
Toutse tient ici, tels les chaînons d'une seule chaîne d'or
reliant la terre au ciel, tels les degrés d'une échelle aérienne
montant au paradis de la contemplation. L'expérience
pneumatique, loin de rompre ou biaiser avec la théologie qui
la soutient, projette sur celle-ci un faisceau de rayons, venus
du fond de l'être renouvelé. Ainsi le dogme, saisi, vécu par

l'esprit qui enfin se l'assimile, devient pour ce dernier une


véritable révélation intime, la révélation même de l'amour.
Le chemin de perfection reste toujours
l'Imitation, la Vita
in Christo, symboliquement interprétée en ses diverses par
ties. — A la βίος πράκτικα — vie « active » dans un sens très
particulier du mot — succède la βίος θεωρητικός, purement
contemplative, subdivisée elle-même en φυσική θεωρία et en
θεολογία μύστικα, qui en est le faîte1. Les deux vies placées
sous le même signe, à la fois se juxtaposent et se compénètrent,
la première n'étant qu'une longue et laborieuse préparation

I ) Lo R. P. Yiller, dont l'étude récente sur la Spiritualité de S. Maxime et ses


sources (fi. <TAscii. et de Mysl., 1930), nous aura été infiniment précieuse,
précise encore la terminologie de la vie contemplative, ou γνωστική, champ des
— —
θεωρήματα, p. 164. Ces trois étapes la vertu, la science et la théologie allégori
quement interprétées par S. Maxime {Cap. theol. et œcon, II, 16), ce sont les trois
tentes que les apôtres voulaient dresser, à la Transfiguration, pour Elie, Moïse et
Jésus. Autour de cette triade tout s'organise dans la vie du moine qui se pré
pare à être πνευματικός. Et dans la connaissance spirituelle elle-même, le nombre
trois domine toujours.

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à l'épanouissement de la seconde. L'ordre hiérarchique des


réalisations reste immuable ; seul leur rythme peut être, soit
ralenti par les défaillances de la volonté, soit accéléré par
l'intervention imprévisible et triomphante de la grâce. Nous
sommes ici dans l'école de la sainteté extatique symbolisée par
la Scala perfedionis, l'échelle
paradisiaque de Jacob où les

anges montent et descendent1, inlassablement. A sa base,


telle la racine au pied de l'arbre, qui se dresse en pleine
— la mortification
lumière, pénitente.
L'ascèse, nerf vivant de toute la πράξις, est, nul ne l'ignore,
la maîtresse-pièce du système, lui-même intégré dans l'anthro

pologie patristique. La doctrine nous en est bien connue.


— né pour la béatitude de l'adoption
L'homme, divine, per
due, puis recouvrée et renforcée par l'Incarnation, le chrétien,

pour être parfait selon l'ordre du Maître, doit charger sa


Croix et le suivre, afin de réaliser sur la terre du péché et du

pardon son destin naturellement surnaturel.


La catharsis, d'origine pré-chrétienne et déjà familière aux

Pythagoriciens, se retrouve, sous une forme rationnelle et


morale, dans tout le Stoïcisme
syncrétiste. Chez Philon
d'Alexandrie, les
disciplines cathartiques sont entièrement
subordonnées à l'idéal de la Θεωρία, qui en est le couronne
ment. Ce ne sont pourtant que des anticipations. L'élan ver
tigineux de l'âme dans son « voyage au ciel » retombe vite2.
Vol qui effleure à peine l'insondable mystère, puisque
Dieu, avoue Philon, « devance toujours l'homme dans sa
course et reste toujours à une distance infinie... ». Et son Logos

demiurge n'est encore que l'intermédiaire entre deux mondes,

1) Κλίμαξ (P. G. t. LXXXVIII), tel est le titre du célèbre traité de piété orien
tale, dû à la plume du moine Sinaïte Jean, surnommé le Climaque d'après son
œuvre maîtresse. 11 représente l'école de Palestine qui se développe parallèlement
à celle d'Égypte. 11 semble bien que toutes les saintes échelles du Moyen âge
dérivent de ce manuel de la vie contemplât ive qui exerça, par ailleurs, une influence
décisive sur les destinées de la spiritualité byzantine. L'Église grecque a cano
nisé le Climaque, comme elle l'a fait de tous ses grands ascètes-abbés, à l'excep
tion de l'origéniste Évagre, condamné par Ve Concile œcuménique.
~) Voir sur les origines et le développement de ce thème ésotérique dans l'anti
quité l'étude de W. Bousset, Die Himmelsreise der Seele, Archiv f. Religionswis
senschaft, t. III, 1900.

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que seul le Verbe incarné des Chrétiens


saura rapprocher, sans

jamais les confondre. le Mais


précurseur alexandrin, prophète
isolé, a orienté la pensée mystique du christianisme naissant,
en lui montrant la clef d'or qui ouvre les portes secrètes : l'espoir
de la visio Dei.

L APATHEIA ET LA THEORIE DES PASSIONS

DANS LA PENSÉE DE L'ORIENT CHRÉTIEN

Le premier théoricien de la méthode


dans l'Église nouvelle

grecque, a été Clément « gnostique


d'Alexandrie. », ou Son

parfait, άνήρ τέλειος, sera Dieu dans l'avenir et, dans le présent,
il s'assimile à Dieu, dans la mesure du possible. — Mais, avant

tout, c'est un ascète appliquant à lui-même la règle de l'austé


rité la plus haute. Il veut non pas se diminuer, mais s'accroître
en éliminant tout ce qui, en l'homme, n'est pas intemporel.
La divinisation promise est à ce prix. Clément le dit avec
fermeté : « C'est
un sacrifice de bonne odeur pour Dieu que
de nous séparer sans retour du corps et de toutes les affections
charnelles. » Du corps d'abord, en tant qu'élément pertur
bateur de l'âme, de sa quiétude première.
Non pas que notre philosophe soit ennemi de toute chair,
la condamne en soi. Loin de là. On connaît sa vigoureuse polé
mique contre les hétérodoxes, docètes manichéisants de toutes
nuances. Tout ce que Dieu a créé est au contraire bon pour
l'auteur des Slromates, comme pour tous les Grecs. Mais, par
le péché, la matière, sans se corrompre, s'est alourdie à tel

point qu'elle écrase désormais et qu'elle déforme l'esprit qui


l'habite. La passion, réaction trop violente au choc des choses,
désir immodéré du sensible, ce πάθος morbide inconnu à
l'étatd'innocence, éloigne l'homme de la Divinité impassible,
dont il devrait refléter l'image. Et le trouble où la passion le

précipite lui barre le chemin naturel de la τέλεια.1. C'est par

1} Clément a insisté le premier sur la nécessité, non pas de modérer, mais d'extir
per les passions (Slrom. VII, 10, II). Son rêve secret est de vi\re en esprit pur à

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l'exercice de ses plus nobles facultés, par la culture intensive


de la vertu et de l'intelligence, que le sage de Clément arrive
à dégager le noyau lumineux de l'être sous son écorce opaque.
Par des dépouillements successifs et par la purification

progressive, il atteint à Γαπλωσις, simplification déjà pratiquée


des néo-platoniciens et qui semble annoncer Γ « homme
intérieur », le homo plasmatus, non fadus », des mystiques
médiévaux. Seul immortel, seul reflet de la gloire incréée, il

n'apparaît que lorsque s'est éclipsée entièrement la créature


adamite déchue. Il y a entre les deux incompatibilité et
antinomie fondamentale : afin que l'un vive, l'autre doit
mourir. D'où nécessité des disciplines cathartiques, négatives
et positives.
L'initiation, toujours sous la conduite du Logos sperma
— d'abord et Pédagogue,
tikos, Convertisseur puis Maître
et Docteur, — dans l'ascèse, illuminée
s'accomplit toujours
par le rayon de la Foi1. Car la πίσθις conditionne la vertu,
comme elle mûritla gnose, son fruit le plus beau. Dans ce
« didascalée », il y a trois classes de disciples : les commençants,
les progressants et les parfaits. — Division courante dans le
monde païen des Mystères et qui a sa place dans tous les éso
térismes. Retrempée aux sources chrétiennes du Deus caritas

est, cettesélection, annoncée déjà par S. Paul avec ses

pneumatiques et ses psychiques, devient une épreuve véri


table d'amour, prend un sens tout intérieur. Seule elle jus
tifie l'œuvre d'amoureuse obéissance et témoigne ainsi de
l'abîme qui sépare la gnose alexandrine chrétienne de celle,

toujours orgueilleuse, et vaticinante, prenant le ciel d'assaut,


des Basilide et des Valentín. Clément distingue entre les

l'imitation de Dieu, car l'impassibilité divine est pour cet une Hellène certitude.
Les héritiers de sa pensée, tantôt l'atténueront, tantôt, au contraire, la renforceront,
cela en rapport avec leur confiance plus au moins grande en l'humaine nature.
1 ) L'idée du Logos-éducateur, en germe dans le stoïcisme, a été développée déjà
par Philon. V. Bréhier, Philon d'Alexandrie, pp. 101 ss. Pour Clément ν. E. de Fave,
Clément d'Alexandrie, Paris, 1898. Le regretté historien y insiste par trop, à notre
avis, sur le peu d'originalité de la pensée de Clément. Son Logos est pourtant
autrement complet, vivant et fécondant que chez le précurseur juif. (V. surtout
Strom. VII, 5.) Et en mystique spéculative il a été le premier des maîtres.

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esclaves, mus par la crainte, commencement de la sagesse,

d'après les Écritures ; les mercenaires, comptant sur la


récompense ou espérant en elle, les enfants, ou amis de Dieu
enfin, chez lesquels est aboli tout désir autre, que celui d'aimer
Dieu, de l'aimer pour lui seul1. — Perfection du pur amour, sur
laquelle 011 a éperdûment discuté et glosé durant des siècles.
Connaissance profonde des secrets du cœur chrétien qui ne
pourra entendre les verba ineffabilia qu'en se perdant dans
l'infini de l'Amour. Les épîtres pauliniennes, où le Christ
fait chair rayonne, sont imbues de cette dilection-là. Le germe,
d'une fécondité inépuisable, se trouve dans le dernier entretien
du Christ joannique avec les apôtres, après qu'il leur eût donné
le « commandement nouveau » : « Non dicam vos vos
servos,
aulem dixi ami sos » (J. XV, 15). Et c'est toujours par l'étroite
association des disciples au Maître, des branches au cep, sans

lequel elles ne peuvent porter de fruit, que la loi d'amour


adoption, promulguée à la Cène, est rendue vivifiante et
opérante. « Caritas est gralia Testamenti novi » (S. Augus

tin). De cette loi, le Verbe incarné propler noslram salutem


reste l'annonciateur parce que Victime de l'infini Amour.
Devenir fils de Dieu
par le Christ, voilà le dernier mot de
la gnose chrétienne, qui refond l'enseignement traditionnel et
populaire avec les éléments d'une science sacrée, inaccessible
aux masses. Et cela non par un aristocratisme orgueilleux,
dont Clément ne s'est jamais rendu coupable, mais parce que,
en fait, seule une élite consent à ce sacrifice suprême : à
la métamorphose spirituelle complète dans le renoncement

1) On sait que S. Bernard a bàii tout son Uiligeitdti Dca sur cette distinction
creusée en profondeur. Son αηιυ quia amu donne toute la mesure de cette théorie
du « pur amour » qui soulèvera plus tard, autour du quiélisnie, tant de discussions
ardentes. Elle restera toujours opposée à la conception hédoniste augustinienne
de Vtimur Dei « qui veut Dieu comme sa béatitude ». Quant à la division tripar
tite des chrétiens, celle-ci a été reprise, à l'intérieur d'une élite, chez tous les
spirituels byzantins, en commençant par Écagre du Pont et Diadoque de
Photikè. Maxime la mentionne et dans sa Mystagogia et dans les Ouest, ad
Thalas. (cap. quinq. I). (l'est d'après ce schéma qu'est construite l'échelle même
des vertus pragmatiques, théoriques et mystiques dans les Ambigua : la πρακτική,
θεωρία et θεολογία ou purification, illumination, et union d'après Denys. Partout
le nombre irais s'impose, en l'honneur de la Trinité, principe sacré.

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volontaire1. Pour le maître d'Origène, ainsi que pour ce


dernier, les chrétiens, tous perfectibles la grâce aidant, ne
veulent que trop rarement l'être vraiment : aspirer à devenir
parfaits comme l'est le Père, donné en inégalable modèle par
le Fils lui-même. Au monachisme pneumatique de l'âge à venir,
Clément, par sa théorie de la vertu et de la connaissance
connexes, par son idéal de sainte impassibilité, de Ι'άπάθεια vécue
a frayé la voie. Il a fait converger la cognition, qui déifie en
parachevant l'œuvre naturelle et surnaturelle, avec le rétablis
sement de l'image divine effacée par le
peccatum originis
dans l'esprit : l'image du Théos Anthropos, exemplaire de
l'espèce humaine, du Monogène « lui-même empreinte vivante
de la gloire du Père ». Et c'est encore le Logos pré-éternel
qui, par l'effusion
du πνεύμα άγων, son messager, remplit de
grâce déifiante l'âme du gnostique. A cette altitude, le Sage,
impassible, aux écoutes de Dieu seul, ne fait qu'attendre dans
le silence mystique que Dieu « le revête de la forme divine ».
L'idéal alexandrin, embrassé avec ferveur par l'Orient
orthodoxe tout entier, d'abord s'exprime dans Γ απάθεια.
Celle-ci, d'origine pré-chrétienne elle aussi, avait pris déjà,
on le sait, une importance très grande chez les stoïciens
du temps de Philon. Lui-même en fut pénétré. Nul ne
conteste plus l'influence que le grand penseur juif exerça sur
l'ami des philosophes, Clément1. Chez tous deux, il s'agit ici
d'une conception essentiellement religieuse. Or dans la doc
trine du Portique, l'impassibilité est un pragmatisme moral

1) 1] faut toujours distinguer chez Clément le « conseil » du « précepte ». Cela


explique les contradictions apparentes des Stromates mêmes où, tantôt l'auteur
parle en moraliste, soucieux de sauvegarder la doctrine du salut universel
chrétien ; tantôt n'a plus en vue qu'une élite entre les élites. Tendance qui s'accen
tue de plus en plus, vers la fin de son œuvre. Le R. P. Lebreton, dans deux articles
delà Revue d'Hist. ecclés., le premier surtout (1923, XIX), y cherche une infiltration
d'influences hétérodoxes. Nous ne pouvons l'admettre : la gnose de Clément
nous paraît pure de tout alliage suspect. 11 semble bien que ce soit l'avis de la
majorité des critiques. F. Cayré, Précis de Palrologie, I, pp. 177, 78 fait des
réserves, non sur le principe de cette gnose, reconnu juste, mais sur ses applica
tions. Le reproche viserait davantage Origène que Clément. Le vrai aristocrate c'est
lui, bien plus intellectualiste que moraliste, et qui établit une véritable barrière
entre les simpliciores et « les vraies brebis de la maison d'Israël » : aux uns les
miettes, aux autres le pain. V. E. de Faye, Origène, t. III. chap. XV I.

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532 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS

qui, la lame ayant usé le fourreau, s'achève dans l'atharaxie.


D'abord raidissement conscient de la volonté se refusant
à la souffrance et triomphant de la crainte, comme de la
convoitise ; puis résignation, extinction de tout désir par
refoulement. Conquête négative plutôt, parfois inhumaine, si
chèrement payée qu'elle semble une défaite, car toute sensi
bilité finit par mourir d'inanition dans la solitude glaciale de
l'indifférence acquise. Mais parfois aussi victoire réelle. En
face de l'inexorable, une soumission noble et sereine au

Destin, entendu comme Loi du monde, divinité immanente de


la Stoa panthéiste. Il est clair cependant qu'il ne peut y avoir
là aucun devenir, aucun dynamisme de l'élan vital. C'est une
fin en soi ; suicide du vouloir-vivre individuel, proche du

nirvana, sacrifice de la partie au Tout qui, en l'absorbant, la


détruit.
Au contraire, Γ απάθεια des Alexandrins, telle qu'elle fut

conçue par Philon, retravaillée et achevée par Clément, Origène


et leurs descendants spirituels, apparaît comme un puissant
mode d'action. Ce n'est là qu'une étape sur le chemin qui mène
au Dieu vivant : une sollicitation pressante à dépasser l'humain
dans de l'incorruptible
la poursuite divin. Or le divin ne lui
est pas hétérogène, grâce à Γομοίωσις, ou « similitude » de
l'âme créée avec son τύπος incréé. Le désir d'être parfait
« comme le Père est parfait », ancré dans le bien comme l'im
muable Dieu l'est toujours, est un stimulant qui lance
l'homme en avant, l'obligeant à la conversion totale de ses

puissances pathétiques. Celles-ci ne sont nullement anéan

ties, mais seulement détournées, dirigées vers d'autres fins.


Et l'énergie créatrice se retrouve entière. Psychologique
ment parlant, il y a ici sublimation. Rien n'est donc sacrifié
de la personne vivante, créature unique, irremplaçable, pas
simple moment dans la durée, mais individualité indestruc

tible, parce que idée de Dieu, parce que une de ses images,

projetées et reflétées dans le créé.


Pour bien comprendre la valeur intrinsèque de Γάπάθεια,
dont les racines plongent dans la pensée du « divin Platon »,

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DOCTRINE DE LA DÉIFICATION DANS L'ÉGLISE GRECQUE 533

il faudrait retracer à nouveau


les grandes lignes de l'anthro

pologie chrétiennegrecque. Se rappeler au moins ce qu'il y


avait d'idéalisme dans sa conception de l'homme, héritée
de l'antique, mais toujours refondue au creuset chrétien, — de
sévèrement ordonné autour d'un centre qui reste l'esprit pur,
réfractaire par sa nature préternaturelle au débordement des
passions. Toute la conception de l'âme antique l'y prédis
posait, celle même de la psyché inférieure, de l'humanité encore
nnimale, soumise
au νους supra-sensible : et cette psychologie

platonicienne et aristotélicienne, dont nous verrons, par la suite,


les transformations et les applications dans l'ascèse mystique

grecque, forme déjà chez Clément d'Alexandrie le nœud de


toute sa doctrine de la perfection et de la connaissance. Moins

pessimiste que ne le sera son génial disciple Origène, parce que


plus proche de l'authentique tradition de l'Église, Clément
n'a jamais enseigné la chute des âmes dans les corps, infligée
comme châtiment du péché originel. A ses yeux, l'homme
sorti des mains du Créateur et animé —
par son souffle
πνεΰμα —·, était organisé pleinement en vue de la déification
latente1. — Un devenir, aux possibilités infinies, où la matière
encore ductile obéissait, sans trahir, à l'esprit conducteur.
L'idée maîtresse de Clément, que partage également
S. Irénée, est celle d'une évolution spirituelle ascendante,
interrompue avant de commencer, et qui doit être reprise
sur un autre mode. Le péché premier enchaîne l'âme à la
matière et prive l'esprit de sa sève naturelle divine2. Grégoire

1) Voir surtout les Stromales II et IV, cette dernière traitant, en particulier,


-de la pleine réalisation de nos virtualités spirituelles.
2) Sur le concept du péché originel, consulter Th. Ruther, Die Lehre von der
Erb Sünde bei Clemens v. Alexandria, Fribourg, 1922. Après un exposé excellent
de la doctrine, l'auteur tourne court et conclut au rejet du peccatum originis par
Clément ; cela parce que Ruther substitue, comme tous les historiens modernes
du dogme, à la conception ancienne classique, celle de la pensée occidentale depuis
S. Augustin. Nous retrouvons le même anachronisme dans les meilleurs travaux
sur le dogme patristique tels que ceux de Landerer, Wagemann. Tixeront, Riv ière,
Oxenham, même chez Regnon, Études sur la Τrinilé. Or la pensée des Pères grecs sur
ce point précis est conforme à toute leur anthropologie. S. Maxime développera
la théorie de la corruption originelle qui se transmet par la concupiscence (Ambi
gua et surtout Quest. ad Thalas.), mais il est certain que le péché actuel chez les
Grecs ne dépend pas entièrement de la transmission de la faute des ancêtres
Mans l'acte générateur, d'où une autre conception de la grâce et de la liberté.

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534 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS

de Nysse parlera aussi de notre intelligence angélicjue tombée


au pouvoir des forces animales et végétatives, ce qui fait de
l'âme un désordre organisé, un agencement à faux de toutes
les [parties du composé humain. Et la marque visible et dou
loureuse du triomphe de la psyché, siège de la sensibilité, sur
l'esprit déiforme, ce sont les πάθη. les passions paraphysiques.
L'auteur des Stromates, d'accord avec le philonisme, a été
le premier à définir le πάθος comme « un mouvement de l'âme
contre la nature » (Strom. II, 13). ·— Définition, implicitement
reconnue par Athanase et les Cappadociens, explicitée et
approfondie par les maîtres de la spiritualité byzantine.
Elle sera le point de départ de toute la thérapeutique de
l'âme dans l'Orient chrétien. Par l'ascendant qu'y a exercé
la haute personnalité, l'autorité intellectuelle de S. Maxime
le Confesseur, ce concept de la passion s'implanta dans
l'Église grecque, à tout jamais. Mais le terrain avait déjà été
ensemencé, de longue
date, par les Alexandrins et leurs dis
ciples immédiats, qui ont vécu l'ascèse avant l'extase.
Le premier d'entre eux, en tant que spéculatif, futEvagrius
Ponticus ou Évagre du Pont (f ν. 399)1. En même temps, il

1) Les premières mentions, pleines d'admiration, pour l'illustre ascète de Scété,


se trouvent dans les écrits de Rufin et de Pallade. Sa vita a été insérée dans l'Hisl
Lansiaca, dont l'auteur avait été un de ses disciples. Même après la condamna:
tion d'Ëvagre, ses œuvres sont restées une source de spiritualité. Λ consulter .
ZOckler, Evagrius Pontikus, Munich, 1893 (déjà vieilli) ; \Y. Frankenberg, tra
duction du s\ risque en grec des Evagriana, avec commentaire allemand, dans
les Abhandlungcn der Kgl. Gesellschaft ζιι Gôllingen, XIII, 1912; surtout Bousset.
Evagrius sludien (3e v. posthume des Apophtegmala patrum, Tûbingen, 1923) ;
enfin le récent article, très important, du P. M. Viller, S. Aux sources, de la
spiritualité de S. Maxime : les œuvres d'Êvagre le Politique (Revue. d'Ascétique et
de Mystique, XI, 1930), et aussi J. Hausherr, S. J.; dans Orientalia christiana,
XXII, 2, 1931. La bibliographie des œuvres conservées d'Évagre (textes syria
ques et arméniens, traduits en grec et, partiellement, en latin) comprend
1'Anlirrheticus magnus, son Gnoslique, le Prácticos (P. G. t. XL) et sept Centuries
(premier spécimen du genre que le P. Viller rapproche de la forme « gnomique »
des anciens) ; ensuite quelques lettres, dont la plus importante est celle à Anatolios ;
enfin le Miroir des Moines et celui des Moniales (recueil des sentences translatées en
latin par Rufin, publiées et traduites en grec par Hago Gressmann ds. Texte u.
Untersuchungen, t. XXXIV, Leipzig, 1913. V. aussi Dom Wilmart, R. bénédic
tine, 1911, Baunistark, dans son Histoire de la litt. syriaque, Bonn, 1922, a montré
l'empreinte laissée par Évagre en Syrie, son œuvre ne s'étant conservée que dans
cette langue. Consulter encore O. Bardenhewer, liist. de la littérature chrél. et
l'article précité du P. Viller auquel nous devons tant ; d'après ce dernier, dont
le jugement est corroboré par d'autres critiques, toute la spiritualité byzantine a

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DOCTRINE DE LA DÉIFICATION DANS L'ÉGLISE GRECQUE 535

relève comme ascète cette « école du désert », dont le


de
S. Antoine d'Athanase est le chef de file, et qui compte, parmi
ses plus illustres représentants, Macarius Magnus ou Macaire
l'Égyptien (f en 390,) fondateur de l'ermitage de Scété, ainsi

que le grand moine palestinien, S. Nil (f ν. 430)1. Leur ascèse

contemplative, que l'on est en droit de qualifier déjà ά'ήσυχί*2,


est entièrement commandée par l'idéal d'impassibilité ou apa
thieia, lui-même spéculativement fondé sur la théorie des pas
sions « qui lient l'âme à la matière ». C'est S. Maxime qui l'a

exposée, avec le plus de cohésion et de netteté, particulière

subi l'influence d'Évagre. Ne pas oublier que ce n'est pas seulement la gnose
alexandrine qui revit chez cet « origéniste impie », mais aussi la pensée cappado
cienne, puisqu'il a débuté dans la vie ecclésiastique à l'ombre des grandes
figures de S. Basile et de S. Grégoire, de Nazianze, sans parler des Grégoire de
Nysse, le grand spéculatif de toute l'école, chez qui nos Spirituels ont beaucoup
puisé. La doctrine c'est fixée d'assez bonne heure, ralliant tous les suffrages et
formant bloc. Chez Maxime déjà elle se cristallise.
1) Nous réservons, faute de compétence, tout jugement sur la Vita Anlonii
(P. G. t. LXXIII). Encore plus, sur le problème noué récemment autour de Macaire
et de Nil. On trouvera, pour le premier, tous les éléments d'une information dans
la controverse Villecourt-Stigmair à laquelle nous renvoyons. Il est certain
que Gennade (De viris illustr., 10, P.G., 68) ne cite comme appartenant au
Grand Macaire qu'une œuvre appelée Ep. ad Filios, bien que ce ne soit pas pré
cisément une lettre. Pour Nil le Sinaïte, consulter : P. Degenhart, Der ht. Nilus,
Milnster, 1915 et Neue Beilràge zur Nilusforschung, 1918: K. Mensi Das Nilus
problem, 1921. Quels que soient les résultats des discussions engagées, une chose
reste acquise : les affinités certaines entre Évagre, Nil et en partie Macaire. En
ce qui concerne la Vie du patriarche de la Thébaïde, l'énorme majorité des critiques
se rallie à l'authenticité de l'œuvre attribuée à S. Athanase, ami du grand ana
chórete. Reitzenstein, dans son étude, Des Athanasius Werk über das Leben des

Anlonius, 1914, ne s'occupe que des sources gnostiques populaires, d'après lui—
de cette Vita. Pour la discussion, voir Schiwitz, Das Morgenlandische Mônchlum.
L'auteur y cite, à l'appui de la thèse traditionnelle, Hase, Hilgenfeld, Keim,
J. Meyer et Eichhorn. Parmi les contemporains, tous les historiens catholiques se
rangent du même avis. Or la perfection pour Antoine, créateur de l'érémitisme
chrétien, c'est le retour à l'état préternaturel ; c'est par là que son enseignement,
où l'humilité tempère les excès de l'ascétisme et de la gnose révélée, se rattache
à la préoccupation dominante de toute la patristique. Et le nom d'Athanase,
qui brillait d'un tel éclat au iv® siècle, rehausse encore la valeur de l'exemple,
consacre définitivement l'orientation nouvelle des esprits. Ce n'est pas à l'acquisi
tion de tel ou tel charisme qu'il faut tendre (v. Vita, nc 38), mais à l'infusion
du Saint-Esprit dans l'âme, à son union plénière — par grâce — avec Dieu.
2) Clément d'Alex., qui a célébré déjà cet état de quiétude, l'appelait άνάπαυσις.
Mais les premières mentions d'adeptes de 1'ήσυχια sont anciennes. Nil dans ses
Lettres parle du grand hésychaste Rufin (P. G. T. 79, lib. IV, ep. 17) : les Acta SS.
au t. III mentionnent Jean de Scythopolis (dont nous avons des Apophtegmes),
lui-même hagiographe de Jean l'Hésychaste. V. J. Bois, Échos d'Orient, 1901.
Les pré-hésychastes sont, bien avant les disciples de Grégoire le Sinaïte, des contem
platifs ou mieux contemplants, non soumis cependant à l'exercice d'une méthode
unique. Le but reste le même toujours : la paix parfaite en Dieu par l'oraison.

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536 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS

ment dans ses Centuries sur la Charité, si justement réputées à


Byzance. Marchant sur les traces de tous ses devanciers, le saint
Confesseur se rattache étroitement à la pensée d'Évagre,
bien qu'il n'ait jamais partagé certaines opinions hétérodoxes
de ce fervent origéniste1. Mais toute la tradition mystique
byzantine repose sur une même vue globale de Dieu, du monde
et de l'homme, indissolublement unis dans la volonté créa
trice de la Cause première, telle qu'elle se reflète, au dehors
dans le Cosmos, en dedans, dans l'esprit illuminé.
Voici un rapide aperçu de la théorie de Maxime sur les

πάθη. L'origine ancienne de cette théorie,


déjà esquissée par
Clément, est évidente. En même temps elle reste inséparable
de toute l'anthropologie patristique, si foncièrement grecque
elle aussi, et du néo-platonisme dyonisien qui l'achève.
Le mal ne se trouve pas dans les choses2 ; celles-ci ne

1) Le P. Viller a établi et mis en lumière dans son étude précitée de la


R. d'Ascét. el de myst., les rapports d'idées existant entre S. Maxime et Évagre,
son aîné de plus de deux siècles. Est-ce à dire que l'illustre confesseur, considéré
par Krumbacher comme le créateur de la mystique spéculative byzantine n'ait
été en réalité « qu un compilateur sans originalité ? » (J. Lebreton, Bull, de litl.
ecclés., 1906, voir aussi l'opinion analogue du même P. Viller dans sa Spiritualité des
premiers siècles, p. 137). Nous ne le croyons pas. La forte et haute pensée de Maxime
se révèle tout entière dans sa christologie diophysite, marquée d'un sceau très per
sonnel et d'une portée incalculable pour l'avenir de l'orthodoxie (v. dans Bach,
.Dogmengeschichte des Mittelalters, le grand chapitre sur Maxime. Toute la théorie des
logoï, platonicienne d'origine, est personnelle au Confesseur byzantin qui s'y révèle
comme philosophe. Sa spiritualité n'a été influencée par Évagre — comme par le

ps. Denys que parce qu'il y retrouvait la tradition alexandrine. Tous deux se
rattachent, par ailleurs, à l'école des Cnppadociens. On sait en effet, ce que Maxime
doit, non seulement à Grégoire de Nysse, mais encore à Grégoire de Naziance,
surnommé le Théologien à cause de sa parfaite orthodoxie, et dont il s'est fait
le commentateur fervent. Nous laissons ouverte pour le moment la question, posée
depuis peu dans la critique occidentale, de l'authenticité de certaines œuvres des
plus réputées de Maxime le Confesseur. Nous en dirons un mot plus tard. Mais sa
pensée nous paraît parfaitement nette et toujours fidèle à la tradition. Encore une
fois, tout se tient ici et dans le courant unique se perdent les quelques déviations doc
trinales, dues à l'influence d'Origène sur Évagre. L'orthodoxie de Maxime, elle, ne
peut être mise en doute, le P. Viller le dit, expressément, à la fin de son article
(p. 262 et en note). Notre critique y confirme l'appréciation de Falkenberg parlant
<i' Évagre : « Die griechische Kirche hat seinen Namen, aber nicht sein Wirkenaus
» (Préface, à ce propos que l'Église
gestrichen p. 15). Remarquons grecque a tou
jours tenu à séparer, dans une doctrine, le bon grain de l'ivraie. Entraînée ici à
la condamnation d'un homme, présumé hérétique sur certains points du dogme,
elle a gardé, en fait, toute sa spiritualité vraiment traditionnelle.
2) Tel est l'axiome connu du néo-platonisisme qui nie l'origine ontologique
du mal. S. Augustin, une fois délivré du tragique dualisme manichéen, adopta
l'idée plotinienne du mal-néant et, par lui, elle a passé dans toute la théologie

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DOCTRINE DE LA DÉIFICATION DANS L'ÉGLISE GRECQUE 537

deviennent mauvaises que par l'excès du désir ajouté à l'usage


que l'homme en fait. C'est donc le plaisir qui apparaît comme
indice d'un état anormal, pervers, où l'homme n'agit plus
« selon la nature ». La
qui implique nécessairement
passion, le
désir, se présente donc toujours comme un mouvement violent
de la sensibilité, contraire à la raison. — Un abus, voire un
désordre inconnu in status naiurae integrae, car la nature
créée reste bonne, tant règne l'ordre prescrit, tant que
que
l'échelle des valeurs n'est pas renversée1. Adam était apathos,

ayant pour modèle l'impassible divinité. Pour S. Maxime,


comme pour tous les Spirituels avant et après lui, cela veut
dire que l'âme d'Adam au paradis n'était jamais troublée

par la
concupiscence, ni ébranlée par aucune contrariété.

L'apalheia est « un état de calme mental », une stabilité

parfaite de l'esprit qui n'aspire plus au changement2. A cet

catholique. De son côté, Denys l'a prise dans Proclus et renchérit sur ce thème
(v. De divin, nomin., XXVI et XXVII). 11 y aurait lieu de rechercher, si c'est
vraiment à l'ancienne idée gnostique — contre toute la patristique a
laquelle
—·
réagi que doivent se rattacher certaines tendances qui mettent plus rigoureuse
ment l'accent sur la réalité du mal : Macaire ou le pseudo Macaire par ex. On
pourrait déjà les découvrir dans l'Évangile, ces tendances. Le monachisme, dont
la lutte contre l'Ennemi fut si ardente, n'a pu que développer cette tendance à faire
du mal une force réelle, cela en dehors de tout contact avec les hétérodoxes propres.
1 ) Se rappeler ce que dit et enseigne sur la vertu et la nature le saint Antoine de
la Vita athanasienne : Siquidem cum anima natura sua υίηι intelligendi habunl, hic
virlus consistit : Secundum naturam autem se habet anima cum ialis manel qualis est
facita véro est et bona et ad modam recta (20, col. 874).
2) Sur la théorie de ï'apatheia chez S. Maxime, v. l'article de E. Montmasson
(un peu sommaire), dans Échos d'Orient, 1911, et celui du P. Viller dans la H. d'Ascét.,
étude mainte fois citée de nous et où l'on trouve une notice bibliographique sur le
Confesseur. A ajouter : Straubinger, Die Christologie des ht. Maximus, Bonn, 1906
et S. Epiphanovitz (en russe), Saint Maxime et la théologie byzantine, Kief, 1915.
On sait combien le fougueux S. .Jérôme s'est montré hostile au concept même
de l'impassibilité qui voulait « faire de l'homme une pierre ÍF.pist. 133 ad Ltesiph.) »
Le P. Viller remarque (dans l'art, cité, p. 178 en note) que ce reproche adressé,
très injustement à Évagre, atteindrait davantage Maxime. En effet, ce dernier
a poussé jusqu'à la pointe son idéal d'indifférence humaine, de même que le
fera Isaac de Ninive et, bien plus tard encore, le disciple de S. Syméon, Nicethas
Stéthatos, visiblement influencé par Maxime. La base de cet idéal reste toujours
alexandrine, niais la notion de ï'apatheia est assez élastique. S. Grégoire de
le maître préféré de M., désignera de son côté, la loi naturelle —
Nazianze,
— comme la conformité même de la nature avec la vie morale (Oral.
φυσικός νόμος
14, n. 14, 27). Et M., après lui, dire que la vertu est le fonctionnement normal
des forces-facultés humaines (De Char. Il, 83, PS). Dans les Cap. oecon. et
theol., 5, 51), sont énumérés quatre degrés d'apatheia dont le 4e est le dénuement
complet de l'esprit dans la contemplation. Nous y reviendrons encore dans la
seconde partie de la présente étude.

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538 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS

« état pacifique », qu'il s'agit de réatteindre dès ici-bas,

s'oppose l'« état trouble » où l'homme vit depuis sa chute.

L'équilibre étant rompu entre les diverses puissances de

l'âme, le concupiscible et l'irascible ont pris le dessus : ils


ont soumis à leur tyrannie le λόγικος, qui dirigeait « la force
vitale » de la psyché, l'ordonnant à la vertu, d'où inclination

spontanée au vice, aux tendances peccamineuses. Mais, comme


— erreur
l'origine du mal est, en dernier ressort, intellectuelle,
de jugement (Grégoire de Nysse) — il faut en chercher la cause
dans le désordre initial de la partie raisonnable. Orienté par
sa nature même vers la connaissance divine, le νους avait
cessé d'être le régulateur parfait de toutes les forces et facultés
de l'être, parce qu'il n'était plus « le pur et brillant miroir de
Dieu » (S. Maxime). Et l'illustre Confesseur, logicien impec
cable comme psychologue averti, décrit dans ses
Capita de
Caritate (I, III et IV) le processus même, la marche suivie par
la corruption qui gagne toutes les parties vulnérables de
l'âme. D'abord la mémoire, une et indivisible,
jadis centre et
accumulateur de tous les
λόγοι, Idées, lui venant par illu
mination directe de Dieu, est devenue dispersée, multiple
et distraite3. Ainsi accueille-t-elle toutes les pensées pas
sionnées, où Évagre déjà l'origine des maux pour
dénonçait
le moine. L'esprit, n'exerçant plus son attentive surveillance,
laisse pénétrer en lui une suggestion impure. Une fois entrée,
celle-ci devient libido ou suggestion-désir (προσβολή) et s'y
fixe. Or ce désir, qui est toujours attachement à un faux bien,
εξις, porte déjà en lui le consentement au péché1. L'âme, inféodée
secrètement à la passion naissante, glisse alors sur la pente.
Par un dernier fléchissement du vouloir, relâché lui aussi,
elle permet au péché encore virtuel de s'accomplir, puis de

1) Sur cette inclination au péché, qui en est comme l'avant-goùt, voir Évagre
Pracl. 3, 46 ; Dorothée, Doctrine XI, 4, Hesychius, Cap. temperantia, II, 19 (121);
enfin pour les Pères, Grég. de Nazianze (Oral. 32, n. 28) et Gr. de Nysse, Vita
Moilsi, chez Migne, t. XL IV, 2353 A. C'est dire combien ces idées, dirigeantes pour
l'ascèse pratique, étaient enracinées. Le Spirituel qui les a le mieux développées
en une théorie liée, est Marc l'Ermite (Praecepla saliilaris et De lege spirituali, P. G.
t. LXV). Maxime, toujours éclectique, s'en est, très probablement, inspiré dans
sa doctrine de l'ascèse, en lui donnant un fondement théologique solide.

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DOCTRINE DE LA DÉIFICATION DANS L'ÉGLISE GRECQUE 539

prendre racine
et de pousser rapidement, telles les ronces du
terrain ingrat dont parle Jésus. Les scolastiques diraient

que, ayant passé de la puissance à l'acte, le péché s'établit


comme Ce péché actuel est appelé énergie par Maxime.
habitus.
Afin de remédier à cet état d'inquiétude permanente, à
cette afiluencede désirs provocateurs et de pensées charnelles,
afin de se rapprocher, en un mot, de l'affranchissement, tout
au moins partiel, l'ascète chrétien devra se soumettre à la

discipline la plus complète. La méthode générale, préconisée


et par Évagre et par Maxime, est d'une part l'abstinence

volontaire, de l'autre, l'« usage des choses indifférentes qui

purifie ». Quant à cette purification même, sur laquelle porte


toujours l'accent, elle est triple, selon les trois catégories

déjà établies par Platon et Philon, acceptées de


psychiques
tous nos Spirituels, depuis Clément : les passions du concupis
cible, de Yirascibile et celles enfin, très subtiles et complexes,
du rationabile. Les
premiers deux
groupes, résumant l'en
semble de la psyché, telle que l'ont déjà dépeinte les Anciens,
forment bloc et ne sauraient être dissociés. Il n'y aurait donc,
à parler, que deux sortes d'impuretés dont
proprement
l'âme humaine est entachée : celles du inséparable
corps,
de l'âme animale, instincts appétits et
passions affectives

coupables ou relâchées ; et celles de l'esprit. Ces dernières, à


leur tour, se subdivisent en connaissances erronées, γνώθιν ψυχή,

ignorance, soit αγνοία, et raisonnements, inspirés par la passion


de l'esprit même, séduit par les pensées désordonnées. A ce

schéma comme exacte contre-partie, toute une


correspond,
savante et minutieuse de la vie mortifiée.
réglementation
Car la théorie jamais ne se séparera de la pratique.
Vie pleinement vécue, règle intégralement appliquée, aussi

bien dans Y idiorythmie ou anachorétisme pur, que dans l'exis


tence moins isolée des diverses laures pakhomiennes, ainsi que

dans les khenobia des futurs moines basiliens. La lutte s'engage,

dès le milieu du ine siècle, sur l'arène brûlante du désert, non

pas en marge, mais au cœur même du monde chrétien, fuyant


la tentation, la Joie perdurable... Mais il convient
quêtant

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540 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS

d'abord de fourbir les armes du grand combat, auquel se


livrent les « athlètes du Christ ». L'ascèse est ici l'émouvant

prélude et restera jusqu'au bout l'accompagnement discret,


mais perceptible, des plus hautes manifestations pneu
matiques1. A témoins, les œuvres telles que YHisloria
monachorum de Rufin, YHisloria Lausiaca de Pallade, le
recueil anonyme des Apophtegmata patrum, les Collationes et
Institutiones de Cassien, si goûtées en Occident ; plus encore
peut-être les innombrables traités ascético-mystiques d'origine
sinaïte et autre2. Toutes ces œuvres foisonnantes, qui s'éche
lonnent du ive au vme siècle et au delà, attestent, avec une
force saisissante, la vitalité de la pensée créatrice et la persé
vérante tradition d'une société
religieuse unique : d'une élite
d'âmes aspirant à atteindre, encore in via, avec 1'άπάθεια et

1'άναμαρτησία ou impeccabilité incorruptible des saints, la

plénitude des grâces gratis datae. Car à la τέλεια acquise, elle


même soutenue par l'incessant influx spirituel venant de la
χάρις, se superpose, en la couronnant, la science infuse de la

contemplation : la connaissance de Γάγάπη.

I ) A ce signe, on reconnaît infailliblement, l'orthodoxie ries Spirituels. Seules les


hérésies d'origine gnostique, — pas toutes, bien entendu — au Moyen âge, comme
plus tard dans la Russie moderne (telle par ex. la secte des Khlysty), après avoir
prêché l'ascétisme le plus rigoureux, s'en affranchiront rapidement pour verser
dans le libertinage, sous le pretexte que tout est permis aux purs. Entre ce relâ
chement, subrepticement amené, puis justifié, et une certaine tempérance dans
l'ascèse déjà consommée, conseillée par nombre de « directeurs de conscience »,
au désert, la différence est immense, cela va sans dire. Le principe ascétique reste
intangible partout et toujours pour les vrais chrétiens.
2) En plus des travaux classiques sur le monachisme de Zôckler et Schiwitz,
signalons les ouvrages plus nouveaux ou spéciaux de : Dom Besse, Les moines
d'Orient, 1900 et de Dom Butler, The Lausiac hislori/ 0/ Palladius, 1904 et Le
Monachisme bénédictin (trad. française de 1924) ; enfin le récent essai, encore
qu'incomplet et très discuté, du P. Resch, La doctrine ascétique des pr. moines
égyptiens, 1931 (assez sévèrement critiqué dans les Echos d'Orient, oct.-déc. 1929)
et Holl Enlhusiasmus u. Bussgewalt in dem gr. Mônchlum. Parmi les œuvres de
haute vulgarisation, citons, avec le petit manuel du P. Viller paru dans la Bibl.
cathol. des sciences religieuses, l'Anthologie des Pères du Désert par les frères
Bremond dans la Collection des moralistes chr., 1927. Aujourd'hui, les textes les plus
importants étant publiés, souvent traduits et commentés, on se trouve en pré
sence d'un Corpus considérable, mais d'autant plus difficile à embrasser d'un
regard. Ce qui complique les choses, c'est l'attribution incertaine d'œuvres
comme celles de Nil et de Macaire. Néanmoins, à quelques nuances près, toutes
relèvent d'un même fonds de doctrine spirituelle : l'aspiration à l'union déifiante
dans la « vision mentale ».

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DOCTRINE DE LA DÉIFICATION DANS L'ÉGLISE GRECQUE 541

LA NATURE ET LA GRACE; LE CONCEPT DE LA LIRERTE HUMAINE

ET LE SYNERGISME DES PÈRES, VÉCU PAR LES MOINES

Ce qui frappe, de prime abord, dans le monachisme d'Orient,


tel qu'il se présente à nos yeux sous sa forme primitive et tel

qu'il s'est maintenu jusqu'à la déchéance première, c'est sa


confiance inébranlable dans les forces naturelles du chrétien.
Confiance qui ne sera ni dénoncée, ni démentie après la
renaissance hésychaste du xive s. Et cela, malgré l'obsession
du démon, des innombrables esprits mauvais en qui les
monachi incarnèrent avec un réalisme intransigeant, parfois
naïf et cru, parfois profond et poignant, toutes les tentations
subies par l'homme ici-bas. La volonté, redressée fortement

par les exercices


ascétiques et à laquelle l'aide divine n'esl

jamais refusée, triomphe, peut et doit triompher, selon eux,

toujours. Voilà le credo des Pères du désert qui ont vécu, avec
une foi et une ardeur intactes, l'idéal de leur âge héroïque. Ce
robuste optimisme, où la liberté s'épanouit féconde, est à l'anti
pode du fatalisme stérilisant des gnostiques hétérodoxes. Mais
il s'oppose aussi à l'angoissante détresse de S. Augustin, qui a
marqué de son empreinte indélébile toute l'Europe chrétienne.
Devant une telle croyance, vraiment inconcevable à la
chrétienté augustinienne, on n'a pas hésité à parler de « semi

pélagianisme ». Des réserves expresses ont été faites du côté

catholique moderne sur cette tendance, déjà manifeste dans


les écrits de Jean Cassien (mort vers 435), trait d'union vivant
entre l'Orient des Pères du désert et l'Occident latin1. Ce qu'on

1) Voici un tableau chronologique (très succinct) des traités les plus repré
sentatifs, depuis la Vita Anlonii d'Athanase, et sans compter les grands recueils
de Rufin et de Pallade. Au ive siècle : les cinquante Homélies spirituelles attri
buées à Macaire l'Egyptien, sur la foi d'une longue tradition; l'œuvre, conservée en
grande partie, d'Ëvagre le Pontique, considéré comme le disciple du patriarche
de Scéthé, et qui perpétue la pensée alexandrine au désert. Les Lettres et opuscules
de S. Nil le Sinaïte ou ps. Nil, en particulier son De Oratione, manuel de la
prière spirituelle. Au ve s. : Jean Cassien (v. p. 435), Conférences et Institutions.
Marc l'Ermite, « difficile à situer dans l'espace », ainsi que le remarque le P. Viller :
Sentences, Dialogues, Avertissements ; œuvre ascético-mystique très intéressante
parce que ayant une physionomie à elle, et suivie de près par S. Maxime, dans

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542 REVUE DE l'histoire DES RELIGIONS

a reproché à Cassien, entièrement dépendant de ces sources,


c'est d'avoir méconnu la nécessité sine qua non de la grâce
antécédente dans l'œuvre du salut1. L'influence stoïcienne,
invoquée à tort ici, est certaine en ce qui concerne l'hérésie

pélagienne, irrecevablepour un esprit chrétien, parce que


ne tenant aucun compte des déficiences de la nature humaine
déchue. L'orthodoxie grecque, autrement sur ses gardes, a su
se préserver d'une telle erreur. A ses yeux, non seulement cette
nature fut originellement blessée (Pélage en principe, l'admet

aussi), mais elle restait toujours vulnérable, malgré l'«antidote»


apporté par le Christ incarné ; et cela d'autant plus que
l'humanité, en voie de déification participée, devait, d'après
la doctrine grecque, se dépasser magnifiquement elle-même.
Le pouvait-elle sans une action charismatique perpétuelle ?
Non, assurément. Mais cette motion divine, toujours sous
jacente, laissait une initiative première à la volonté, dirigée

ses Capila iheol. et oecon; Diadoque de Photike (Épire) : Centurie surta perfection
spirituelle dont les courts chapitres conçus, à la mode du temps, sous forme de pen
sées, portent des titres suggestifs chez leur traducteur latin (P. G. t. LXV).
Au vie siècle, Jean Glimaque, la Scala sancta, (traduite sous le nom A'Échelle du
paradis par Arnaut d'Andilly) ; les curieuses Lettres de Barsanuphe et Jean,
moines au couvent de Seridos (éditées par Nicodème l'Hagiorite, au xvme siècle).
Au vne, sans parler du célèbre Pré spirituel de Jean Mosch, qui n'a pas pour nous
grand intérêt, l'œuvre magistrale, bien que contestée en partie, de S. Maxime le
Confesseur (P. G. t. XIC) ; puis les quatre Centuries de son ami, Thalassios, abbé
de Libye ; les catéchèses d'Isaac de Ninive dont la spiritualité est évagrienne, elle
aussi, mais ne manque pas d'accent personnel. A partir de ce moment, la litté
rature byzantine — ■— commence à décliner, tout le niveau des
postjustinienne
études subissant une baisse continue. Seule l'école sinaïte garde encore une cer
taine fécondité (Hesychius de Batos et Philothée). Au ixe siècle, avec le grand
moraliste-prédicateur Théodore le Studite, la sainteté ascétique domine la mys
tique pure. Au xe et xie siècles, un véritable prodige : 1'αγραματος, S. Syméùn
(949-1023), avec ses extraordinaires Hymnes de l'amour divin et ses « Discours »
(λόγοι), incomplètement traduits par Allatius (P. G., t. CXX) ; enfin l'hagio
graphe et disciple de Syméon, Nicétas Stéthas, un théologien spirituel de l'école de
S. Maxime, plus connu dans l'Histoire comme un des artisans de la séparation
des Eglises.
1) V. les critiques de Dom Pichery dans le commentaire de sa traduction des
Conférences de Cassien (t. II, p. 156 ss. et Vie spirituelle, 1921 ; celles, encore,
plus discrètes, de F. Cayré, dans son Précis de Patrologie, II, chap. XV.
L'étroite dépendance de Cassien d'Ëvagre, à qui il a fait maint emprunt,
a été indiquée par Reitzenstein, dans son Jlisl. Monachor. (v. p. 25, η. 1 du
présent art.). Ce moine scythe (?) du ve siècle, fondateur de l'abbaye de Saint
Victor en Provence, n'a été que l'écho fidèle, mais affaibli, des Pères d'Orient,
et fut, à son tour, suivi de l'Occident bénédictin, qui, discrètement, le corrigea.

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DOCTRINE DE LA DÉIFICATION DANS L'ÉGLISE GRECQUE 543

et soutenue, non déclanchée par elle. Aucun dogme n'en a


précisé, avant le vme siècle (Jean Damascène), les limites
exactes pour l'Orient chrétien, les Conciles œcuméniques ne
s'étant jamais occupés d'anthropologie, mais uniquement de
théologie trinitaire ou christologique.
Face à l'écrasante majesté du Pantocrator, les Byzantins,
éminemment faits pour la révérence, pour le sens du sacré,
ont maintenu, quand même, une certaine
autonomie de la
créature humaine, autonomie qu'ils trouvaient à la fois dans
l'Ancien Testament où l'homme conserve toujours la liberté

première de l'option, et dans toute la prédication évangélique,


qui n'est qu'appel vibrant aux âmes d'accepter librement le
doux fardeau du Maître. L'apôtre des Gentils lui-même, qui,
bien qu'il inaugure une ère nouvelle avec sa doctrine de la
rédemption par la grâce du Crucifié, n'a fait en réalité que
mettre à nu le pathétique conflit des deux vouloirs ; car il
affirme que l'on peut désirer le bien, tout en faisant le mal, ce

qui implique la faiblesse de notre vouloir, non sa carence.


La pensée patristique, elle, affirme la liberté native, en la
sanctifiant par la grâce. Elle est exprimée tout entière dans le
fameux adage, tant discuté depuis : Faciendi quod in se est,
Deus non denegat gratiam suam. Doctrine à la fois d'effort
conscient et d'humble abandon, que l'expérience ascétique a
mise au point encore en exaltant, tour à tour, notre force

première et notre
déficience dernière. D'après les Pères, les
funestes de la chute -—- niée
conséquences jamais par eux,
—■ne
quoi qu'on ait dit peuvent qu'effacer, non détruire sur le
visage humain le sceau divin. La liberté, amoindrie parce
qu'intérieurement divisée
(S. Paul), la volonté n'est pas
complètement lite. Même avant la Rédemption, le désir du
bien subsiste, l'octroi même de la loi mosaïque et son main
tien dans une élite, suffisent à le prouver1. Le libre arbitre

1) Déjà Athanase le Grand (Contra Gentes) enseignait que la liberté d'option


n'avait pas été entièrement retirée à l'homme, afin de ne pas lui enlever la possi
biblité même de se relever. Même concept chez Gr. de Nysse (De morluis) et dans
les Orationes de l'autre Grégoire. L'essence même de la nature humaine vulnérée ne
pouvait être détruite, d'après ces Pères. Et l'on connaît le synergisme convaincu des

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544 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS

mb lege reste vivant dans le peuple élu, que soutient et guide


la main du Très-Haut. Et le chrétien, lui, recouvre, plus
pleinement encore, son bien le plus précieux, une fois régénéré
par le sang du Christ et par les eaux lustrales du baptême,
double source d'énergie immortelle. Mais c'est en tant qu'enfant
de Dieu, adopté par lui, que l'homme est reconnu apte à
vouloir efficacement son salut, et non en vertu d'un impres

criptible droit « naturel », ainsi que l'entendaient les philo


sophes du paganisme. De même, sans le Verbe fait chair, qui
a montré la voie et ouvert toutes grandes les portes du
royaume de la grâce, tout effort tourne court, retombe
impuissant.
Clément et Origène défendent déjà, chacun à sa manière,
la liberté intangible de l'homme, se déployant sous la conduite
suprême du Logos-éducateur. Idée qui traverse en fil rouge
la « trilogie » de Clément d'Alexandrie ; idée qu'Origène
reprend à son compte, mais dont il ne montrera, en dialecticien
admirablement outillé pour sa tâche, qu'une seule face :
l'intégrité du libre arbitre. La contre-partie, qui est la doc
trine propre de la grâce, est laissée par lui dans l'ombre1.

Spirituels byzantins. Marc l'Ermite dans son De baptismo, en réaction contre le fata
lisme pessimiste des Messaliens, prétendait même que la mort seule avait passé aux
descendants d'Ève, suite du péché d'origine, non le péché lui-même. Ce n'était là
qu'une exagération de polémiste. Seuls quelques représentants de l'école d'Antioche
(Théodore de Mopueste par ex.), ont incliné vers le pélagianisme. V. Kpiphanovitcz
S. Maxime ei la théologie byzantine (en russe) pp. 65-6 en note.
Le P. Boulgakof voit l'affirmation de cette liberté bonne dans le refus même
de son Église à reconnaître le dogme de l'Immaculée Conception. Pour le
révérend auteur, Marie incarne le libre élan vers Dieu de l'humanité, non-rédemp
tée encore. L'exemption du peccalum originis diminuerait, selon lui, le mérite per
sonnel de la Vierge-Mère, pure de tout péché actuel, car ainsi « elle ne serait qu'un
instrument passif entre les mains de Dieu ». Or, d'après le P. Boulgakof, la
Theolokos est le modèle idéal du genre humain, créé sous l'aspect «
sophial », celui
de la Sagesse divine identifiée avec le Saint-Esprit. On voit ici jusqu'à quelle
profondeur peut aller une divergence qui ne semble pas, de prime abord, intéres
ser la théologie dogmatique propre. V. La doctrine orthodoxe sur la dévotion à la
Mère de Dieu (en russe) Ymca-Press, Paris, 1926 et aussi Orthodoxie (Alean, 1932)
ch. VIII. Sur la conception orthodoxe de la grâce, moins précise qu'en Occident, il
n'existe, à notre connaissance, qu'un travail (en russe) de A.Katanskv, La grâce divine
dans l'œuvre des Pères. Kief, 1902, recueil d'articles sans
grande valeur théologique.
1) V. E. de Paye, Origène, t. III, chap. XIII, p. 178 : « Le libre arbitre est la
pierre angulaire du système tout entier d'Origène. » Ce qui est évident, c'est le
désir des grands Alexandrins de s'opposer au fatalisme annihilant
gnostique
toute liberté humaine, au profit de forces occultes et Il semble qu
irresponsables.

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DOCTRINE DE LA DÉIFICATION DANS L'ÉGLISE GRECQUE 545

Les théologiens qui l'ont suivi corrigent cette tendance


dangereuse à trop accorder à l'homme seul. Ce qu'ils lui
concéderont toujours, avec une sage circonspection, c'est
le premier mouvement non-contraint de la volonté, en termes

théologiques, Yinilium fidei. Cadeau royal refusé par le tra


gique non posse non peccarc de S. Augustin, qui supprime,
en fait, le dualisme paulinien lui-même. L'évêque d'Hippone,
grand repenti du manichéisme, a le premier voulu définir
les rapports précis entre la nature et la grâce. En pleine
lutte contre l'orgueilleux moine breton, pour casser les reins
à la
superbe humaine, odieuse au pécheur
rénové par la
grâce du Christ, S. Augustin a forcé la note, en inclinant ou

plutôt en renversant presque la balance de l'autre côté1.

L'Église grecque, fidèle à la pensée traditionnelle, ne voulait


ni ne pouvait le suivre aussi loin, sans se désavouer elle-même.
Les deux doctrines, enracinées dans leurs anthropologies res

pectives, restent irréductibles


l'une à l'autre. Inutile de le
nier, mais il faut voir de plus près pourquoi il en est ainsi.

le correctif, apporté par les Pères à la doctrine trop rationaliste sur ce point
d'Origène, tienne en grande partie à l'élaboration d'une théologie pneumatique
plus complète. Car la grâce est l'œuvre mystérieuse immédiate du Saint-Esprit,
par qui l'Église vit éternellement. Et cette notion précise du rôle ministériel de
la troisième hypostase manque encore au subordinisme d'Origène.
1) S. Thomas, moins pessimiste en ce qui touche à la corruption originelle
de notre nature, adoptera cependant la même thèse augustinienne, en dernière
Il reconnaît — même le —
instance. que l'homme païen peut, par son propre
vouloir accomplir des actions moralement bonnes ; seulement ces actions ne sont
pas salutaires, ne pourront, autrement dit, assurer notre salut. Ainsi d'une main
on retire ce qui a été donné de l'autre. Dans toute cette doctrine de la grâce où
la christologie n'intervient guère, nulle différence réelle ne semble faite entre la
pre-rédemption et la posf-rédemption. Le fait que le chrétien, en sortant des fonts
baptismaux, est déjà participant à l'énergie divine, n'entre pas en considération ici.
Fait primordial pour l'Orient orthodoxe. D'après Diadoque, ce sacrement renouvelle
en nous Yimage divine ternie par le péché, en attendant que le libre assentiment
de la volonté permette à la grâce de recréer la similitude latente. (Comparaison
avec le portrait fait par un peintre, cap. LXXXIX.) Pensée, confirmée et amplifiée
par S. Jean Damascène. Nouvelle application du principe synergiste qui n'a rien
de rationnel. La pensée des Byzantins n'a pas varié là encore : la grâce n'est
certes pas un dû, mais un don ; seulement ce don doit être sollicité par les âmes
ferventes, auxquelles jamais il ne sera refusé. S. Nil insiste sur la nécessité de
demander inlassablement, de mériter par la foi et les œuvres spirituelles la
connaissance — Violenli coelum rapiunl. Quant à l'importance que la
parfaite.
Rédemption a eue pour la pleine libération de la volonté, celui qui l'a le mieux
analysée est S. Maxime dans son étude sur les deux natures dans le Verbe.. Toute
sa christologie tourne autour de ce pivot, entraînant l'homme l'immergeant dans
la divine liberté, comme dans son élément naturel car il est l'image du verbè.

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546 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS

Pour la grâce de l'adoption


l'une, divine est indigène,

incorporée à l'homme, tel un germe, dès sa naissance dans le


— Germe enfoui dans la
temps. fange par le péché d'Adam
merveilleusement retrouvé, fécondé à nouveau par l'Incarna
tion qui l'a rendu, avec le Christ, cohéritier de sa gloire. En
son état empirique présent, le chrétien est un convalescent
affaibli, mais pas un infirme : il connaît et le mal qui le

ronge et le remède
tout-puissant, unique, contre ce mal. La
guérison, la vie éternelle ou athanasie, est à la portée de sa
main. Elle débute avec la nostalgie de cette vie, puis le désir de
vaincre cette mort, coûte que coûte, désir déjà opérant. Enfin,
bien au-dessus des ressources humaines propres, voici l'iné
puisable réservoir de la grâce sanctifiante : tantôt rituelle
dans les sacrements, viatiques de
l'incorruptibilité, tantôt

purement individuelle, intime, abreuvant chaque âme à son

gré, arrosant sa germination lente, sa croissance secrète. La


démarche personnelle de cette âme, libre parce que créée telle,
consiste en son vouloir foncier : en l'option, toujours pos
sible, l'essor initial, tige frêle qui réclame le soutien d'un
tuteur invisible pour ne pas fléchir ou se briser. Car, en vertu
d'une loi mystérieuse, à mesure que l'âme monte, elle est comme

alourdie par l'abondance de sa moisson, impuissante à l'engran

ger, désireuse toujours de l'accroître. Ainsi reste-t-elle sus

pendue entre la terre d'exil et la patrie du ciel, à la merci de la

grâce qui la délivre d'un coup d'aile ultime. Mais son destin
surnaturellement naturel, c'est bien l'âme, encore une fois, qui
l'a demandé, initiée par le baptême. Et selon son désir il lui
sera fait, ce désir de la créature étant le vœu profond du
Créateur lui-même.
Ce qu'a voulu le Dieu vivant de la Genèse, c'est, en

frappant l'homme à son effigie, avoir devant soi un être

pleinement responsable et libre ; là-dessus, tout le christia


nisme sera d'accord. Et cette empreinte divine — ici com

mencent les divergences — restera indélébile. La liberté dont


la créature intelligente a mésusé, sans toutefois la perdre
tout à fait, puisque celle-ci fait partie de sa substance méta

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DOCTRINE DE LA DÉIFICATION DANS L'ÉGLISE GRECQUE 547

physique, cette liberté lui a été restituée dans l'acte d'infini


Amour1. La
justification n'y est pas simplement imputée,
mais réellement rendue possible. Car le sacrifice offert par le

Rédempteur doit être suffisant que l'espèce humaine


pour
toute entière puisse se mettre en route, en route vers son salut.
Il y a plus. La rémission même des péchés n'est qu'une par
celle infime de l'œuvre rédemptrice, achevée non pas sur le
Calvaire, mais au Sépulcre d'Arimathie ; œuvre qui fut une
restauration (la recapitulatio), et davantage encore. Répétons
le : l'homme y fut réconcilié avec Dieu, afin de reprendre son
ascension interrompue vers la déification. Reconquise par
l'Incarnation, qui brise tous les fers de l'ancien captif, la liberté
sera ici-bas le bâton de route du pèlerin, non une béquille pour

l'estropié, à jamais mutilé. Tel est le thème grec.


Dans le système augustinien, que le protestantisme avec
son servum arbitrium pousserajusqu'au paroxysme, cette
liberté, sauvegardée aussi pleinement que possible par tous
les Pères Grecs, est très fortement ébranlée. D'ailleurs, la part
humaine dans la
justification-glorification s'y trouve déjà
minimalisée, dès
l'état préternaturel. S. Augustin, adopté et
renforcé sur ce point par toute la théologie catholique,
considère, nous le savons, la justicia originalis comme un don,

surajouté à la nature innocente. Une fois retiré, par le fait de


la le donum — est une sur
chute, superadditum qui grâce

naturelle, dès l'origine —, la ressemblance mystique avec Dieu

1) Rappelons que la source du mal pour les Grecs est l'erreur, le faux juge
ment, par obnubilation de l'esprit ; la volonté n'y est atteinte qu'en second. L'Incar
nation, où Dieu devient homme pour que l'homme soit Dieu, rétablit virtuellement
l'état préternaturel : le chrétien éclairé, illuminé, reconnaît l'erreur avec le péché ;
il puise dans le Christ, se communicant à lui par la grâce de l'Esprit sanctifiant,
la force qui manque à l'efficacité de son désir du bien. On voit comment la chris
tologie, pour ainsi dire expérimentale, est à la base de toute la doctrine du salut
grecque. Le reproche qu'elle adresse communément à l'augustinisme est de n'avoir
considéré dans le Verbe incarné que l'Immolé volontaire, ayant seulement réparé
la faute de l'homme. Le sacrifice du Christ y est toujours le « secours surnaturel »,
sans plus. V. Ét. Gilson l'Introduction à S. Augustin, p. 200. Ni dans son Liber de
perf. jusl. hominis, ni dans le De libero arbitrio, Augustin ne met en rapport immé
diat l'Incarnation-Rédemption avec le rétablissement de notre libre arbitre,
confondu lui-même avec la liberté (Gilson, l. c., p. 198). Le rôle de J.-Christ ne
cesse jamais d'être celui du médiateur, insuffisant aux yeux de la patristique grecque,
■qui réclame une réparation plus éclatante de l'humaine espèce vraiment rénovée.

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548 REVUE DE l'histoire DES RELIGIONS

s'obscurcit et disparaît : plus de communication directe avec


le Créateur, ce qui n'était que l'effet de cette privi nature

légiée1. Chose étrange : de cet état d'apostasie où aurait sombré


notre volonté du bien, la Rédemption même ne paraît pas
avoir tiré l'homme augustinien. Elle l'a délivré de la malé
diction de la faute désormais réparée, mais non du rcalus

premier de cette faute, c'est-à-dire de la lésion du libre


arbitre, jadis intègre. La liberté gît blessée, et pour tout dire,
frappée à mort. Seule la miséricorde divine peut, se substituant
à elle chaque fois (grâce actuelle) conférer à la créature dés
héritée et le vouloir et le pouvoir. Ainsi, même rédimée, la
race d'Adam se trouve acculée, au seuil de sa vie nouvelle, à
l'auxilium quasine non, la grâce sanctifiante infusée à tout
chrétien à son
baptême n'étant efficace que de nom1. Dieu

opère tout dans ce système clos, non seulement le faire mais


aussi le vouloir ab inilio, puisque le commencement de la
bonne volonté n'appartient —
plus à l'homme. Celui-ci ne fait
que coopérer à son propre salut, par la contrition et le non
refus à la grâce. C'est ce que les scolastiques appelleront plus
tard le mérite de congruo dont il ne faut pas assurément dimi
nuer l'importance au point de vue pratique.
Une telle« coopération » où l'homme peut à peine être
nommé un associé est très différente, on le voit, de la colla
boration divino-humaine, réelle, effective, enseignée depuis tou
jours par l'Église grecque2. Véritable harmonie préétablie entre

1 ) V. notre première étude : Fondements théologiques de la doctrine, dans le


numéro de janvier-février de la Revue, pp. 29-30.
2) Contre cette théorie de deux activités conjuguées S. Thomas s'est élevé dans
son opuscule : Contre tes erreurs des Grecs. Sa forte critique porte sur l'identification,
sous-entendue ici, de la causalité divine avec la causalité —
humaine, comparaison
classique de deux personnes tirant ensemble le même bateau. Or, ces causalités
ne doivent jamais être placées sur le même plan, d'après lui, car « Dieu agit comme
cause transcendante et comme cause première », c'est-à-dire qu'il subordonne à lui
toute notre activité, t.'homme arrive donc toujours second, sans que soit aliénée
pour cela sa liberté propre. Pour l'Ange de l'École, ce sont là « deux causes totales,
s'exerçant chacune librement sur son plan particulier » ; (chap. XXII) ainsi il
ne peut exister entre elles ni conflit, ni coopération véritable. Toute cette dialec
tique, d'une précision impeccable, a pour point de départ le concept augustinien
de la créature raisonnable, élevée, par décret spécial de Dieu, à la vie surnaturelle.
Entre cette créature et son Créateur il y a distinction irréductible de deux
natures,
sans participation immédiate, comme chez tes Grecs, des effets créés à la cause créatrice.

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DOCTRINE DE LA DÉIFICATION DANS L'ÉGLISE GRECQUE 549

la liberté, consubstantielle à la nature créée, et la grâce incréée.


Cette très ancienne théorie, connue sous le nom de syner
comme de
gisme, reste à la base de toute la vita practica,
toute la theologici mystica des Byzantins. Mais elle a été rejetée
comme suspecte d'erreur pélagienne par Rome, qui a défini
tivement cristallisé la doctrine contraire, augustino-thomiste,
au Concile de Trente.
Surle plan providentiel de l'économie morale, la grâce,
aux yeux des Grecs, est le corollaire de la volonté salvifique de

Dieu. — Volonté antécédente universelle, ainsi que le déclare


l'auteur de la Somme
orthodoxe, S. Jean Damascène, car le

Christ est mort per omnium. La pensée byzantine n'a pas

varié sur ce point; elle n'a jamais admis la condamnation ante


mérita au détriment de la justice et en
praevisa qui viole,
offensant la charité, le mystère de la prescience divine. La

terrible assertion de S. Augustin, à savoir que Dieu ne serait


si aucun des descendants d'Adam n'avait
point injuste,
à la condamnation, paraîtrait blasphématoire à cette
échappé
même, dans les profondeurs de sa cons
Église qui penchait
cience, vers l'autre extrême : vers l'apocatastase origéniste1.

Car Γ « analogie » dans S. Thomas n'est qu'une simple « relation de la créature à


Dieu » (v. Lossky, La notion des Analogies chez Dem/s, Archives doctrinales du
t. V, 1930, article analysé dans notre première étude, pp. 16-17). Pour
Moyen âge,
les grecs, cette part icipation effective a été confirmée par le Verbe, assumant et rédi
mant la nature humaine. Or, la liberté est la substance même de cette nature.
de Dieu qui, par l'acte créateur, s'est dessaisi
Ergo, en vertu du vouloir même
de son pouvoir unique, l'homme peut être appelé volonté autonome, et non seulement
« activité seconde ». Le synergisme des Grecs est surtout mis en relief, à la lumière
de sa doctrine diophysite, chez S. Maxime, et, au ive siècle, dans l'œuvre de Nicolas
Cabasilas, où la volonté joue un rôle primordial (V. Gass, t. c.).
orthodoxe a maintenu officiellement le dogme de l'enfer, sans
1) L'Église
même l'atténuer la catholique au purgatoire, qu'elle n'a pu admettre,
par croyance
ne reconnaissant pas le jugement immédiat des âmes après la mort. Peut-être
d'en
est-ce parce que les peines sont pour eux éternelles que les Grecs essayèrent
la nature. Même S. Ambroise de Milan inclinait vers le salut de
transformer
tous les chrétiens par la foi (V. Cayré, Manuel de Patrologie). Grégoire de Nysse
acceptait à demi la restauration dernière d'Origène : S. Maxime, qui ne transige
en matière inflige aux réprouvés un châtiment métaphysique
pas dogmatique,
en quelque sorte négatif : celui de ne pouvoir être déifiés. Ils seront, selon lui, égaux
aux élus en connaissance, mais celle-ci, loin d'être béatifiante, sera au contraire

pour eux un tourment immense, par impossibilité, pour ainsi dire organique,
de s'unir à Dieu : une connaissance exempte de grâce, privative, παράχάριν,
le mal lui-même ad 82, LIX, LXIII, Ambigua, P. G. t. XCI,
comme (Ouaest.
1252 B, 1392, Ep. 1). Sur l'apocatastase dans Maxime, v. l'article de E. Michaud

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δδΟ REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS

L'angoissant problème de la par


prédestination, noué
S. Augustin sur les brisées
de S. Paul, aiguisé par Luther,
exarcerbé enfin par Calvin et les Jansénistes, semble avoir été

négligé délibérément par les Byzantins. A aucun moment, cet

angoissant tourment n'a altéré la sérénité d'une pensée, orien


tée cependant, comme d'instinct, vers l'eschatologie. Mais la
vision cosmique de l'Apocalypse, tant scrutée par la pensée
orientale orthodoxe, ne dépasse-t-elle pas, de toute la hauteur
d'un rêve-prophétie des fins dernières, les tristes calculs où
s'est perdue
l'Europe réformée sur la masse ou les vases
de perdition ? Toujours est-il, que l'Orient chrétien, dédai
gneux d'une telle misère, y a cherché toute autre chose : dans
la Parousie du Fils de l'homme, de l'A gnus Dei, il a vu, en

l'anticipant, la transfiguration des élus, du Cosmos entier,


bien plus que l'inexorable Jugement de l'humanité pécheresse.
Un autre rêve a hanté, dès le début de l'ère chrétienne,
cet Orient, tendu vers les joies de la contemplation : le rêve de
vivre l'espérance charismatique intégralement. Toute cette
doctrine de la liberté et de la grâce, impossible à discuter dans
l'abstrait, à situer dans le vide, a subi, comme l'acier la
trempe du feu, l'épreuve de l'expérience ascétique et mystique,

de la haute aventure où l'être s'est engagé à fond,


humain
sans espoir de retour, corps et âme. Et là, l'équilibre entre les
deux pôles s'est rétabli de lui-même dans la dure réalité des
luttes séculaires entre l'homme spirituel et l'homme charnel.
Les admirables « directeurs de conscience », maîtres dans
l'ars artium, que furent les Pères des déserts de Scété et de
Nitrie, en défrichant le sol vierge des âmes, ont su discerner
et harmoniser, avec un rare bonheur, les forces constructives
de leur idéal : d'une part la foi tonifiante en la liberté humaine ;
de l'autre, le besoin de l'étayer fortement sur la toute-puis
sance divine. Abandonné à lui-même, jouet des esprits malé

fiques et en proie à l'orgueil qui guette les plus forts, le « soldat

dans la Β. intern. de Théologie, 1902 (Berne) et Epiphanovitcz, N. Maxime et la


Théol. byzantine. Consulter aussi sur toute la doctrine dés fins dernières, Orthodoxie
du P. Boulgakof. (Ymea Press, 1932, pp. 253-261.)

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DOCTRINE DE LA DÉIFICATION DANS L'ÉGLISE GRECQUE 551

du Christ » n'est certainement pour eux, qu'un fétu de paille.


Le chrétien militant doit toujours sentir que Dieu veille sur
lui ; pour avancer dans la voie étroite, il ne peut se passer

d'invoquer, sans relâche, l'aide divine. Jean Cassien, dans


un de ses récits, d'une fraîcheur si reposante, d'un tact

psychologique si fin {Coll. X, 10), nous rappelle comment le


vénérable abbé Moïse recommandait à tous les frères, jeunes
et vieux, de lancer, tel un appel dans la nuit, la supplique
Deus in adjulorium meum intende. — Demande qui n'est
autre que celle du don de persévérance, sans lequel aucun

progrès spirituel n'est possible. Acte d'humilité consciente,


déjouant la ruse de l'Ennemiqui rôde autour des âmes,
comme attiré par le parfum de la sainteté en bouton. Mais

pour que l'appel soit entendu et la grâce accordée, il faut que


ces âmes se recréent d'abord elles-mêmes par le désir de la
perfection, qu'elles affirment hautement leur volonté de lutte.

Toujours thème humain, au rythme alterné : « Sei


le même
»
gneur, je crois ! et puis aussitôt : «Aidez mon incroyance! »■
De ces contrastes pathétiques est tissée la vie du solitaire qui
n'est seul
qu'en apparence : activités vivifiantes, passivités
profondes où la grâce, énergie opérante de l'attraction divine,
intervient par touches de plus en plus fréquentes, de plus
en plus prolongées. Lorsque S. Maxime, synergiste convaincu,
déclare : « L'homme a deux ailes pour atteindre le ciel, la

liberté, et avec elle, la grâce », il faut savoir interpréter


cette parole hardie. ¡Lui-même l'a nuancée, en précisant

qu'à chaque effort nouveau de la volonté répond une grâce,

proportionnée à cet effort et qui le porte. Loin de suppri


mer le libre arbitre, la grâce le présuppose donc, et inver
sement. Ainsi seulement il y a dialogue, échange possible
entre Dieu et l'homme libre, qui apporte, prénaturellement,
au Créateur ce peu immense : son acquiescement toujours
volontaire, renouvelé sans cesse, et cela en reconnaissant
humblement toute la fragilité de son présent. Et Dieu veut,
et Dieu fait, que ce grain de sénevé pousse au grand jour,

que la grâce soit multipliée dans la joyeuse plénitude de la

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552 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS

nature, à la fois créala et creans. Car, sans cette possibilité


latente, la liberté n'est qu'un leurre et l'homme cesse aussitôt
d'être une véritable effigie divine.

LES METHODES ET LE CARACTERE DE L ASCESE ORIENTALE.

« GARDE DU CORPS » ET PURIFICATION PAR LES VERTUS1

La vie austère,qui fixe tout d'abord le regard de l'observa

teur, n'est, chez les moines d'Orient, que l'enveloppe, mieux : la


dure matière avec laquelle se façonnait leur sainteté. Pas une

simple pierre d'attente, jalons posés sur la route qui monte,


mais le corps même d'une âme en quête de la perfection.
L'« agonie » héroïque des volontés n'est que la tension de l'arc
bandé d'où part la flèche qui vole. Dans le lancement de cette
flèche, ne compte vraiment que le but à atteindre, la cible

1) Un mot sur le principe même du monachisme, que nous n'avons pas la


prétention d'étudier en détail ici, paraît nécessaire. 11 est certain que les divers
modes de vie solitaire, de même que l'ascèse qui l'accompagne, se retrouvent bien
¿avant l'ère chrétienne : ce ne sont là pourtant que des phénomènes isolés et
énués de valeur sociale réelle, dans le meilleur cas une lointaine préparation...
Zôckler lui-même l'avoue dans son travail d'ensemble Askese und Mônchlum,
p. 3-4, et Schhvitz, prenant résolument parti contre Weingarten, Gass, Stil
genfeld, allirme : « Les motifs d'où est sorti le vrai monachisme chrétien ne sont
nullement identiques à ceux de l'ascèse païenne », Das morgenlànd. Mônchlum, I,
p. 7. Cela dit, et le germe idéal de cette institution découvert dans l'Évangile
même (Ml. 10, 1(1-21, Luc, 13-18-23, Marc, 10, 17-22), il faut constater que le
désir profond d'abandonner le monde et ses vanités, semble inhérent à l'humaine
nature. Et cela, indépendamment des conditions historiques du milieu, qui ne
font qu'intensifier ou généraliser parfois ce besoin. Besoin que tous les peuples
ont connu et cultivé. Si l'on se refuse à reconnaître ces Urphcinomene, on risque
de ne rien comprendre à la vie religieuse intime des peuples, comme des indi
vidus. C'est à la lumière de cette idée que nous devons interpréter tous les
rapprochements, souvent très suggestifs, faits par l'école de Bousset-Reitzens
tein (supérieure au point de vue psychologique à celle du grand rationaliste
Harnack) : entre l'Orient des Mystères et de la sagesse hermétique et l'Orient
mystique des premiers siècles chrétiens. Lire à ce propos les pénétrantes remarques
de l'abbé Bremond dans son Introduction aux Pères du Désert (Les Moralistes chr.,
textes et commentaires). Pour revenir au monachisme des Pères, il va de soi
que nous ne pouvons approfondir le problème qu'il pose ; ce qui nous intéresse,
c'est l'application qu'il a faite de la doctrine patristique, prouvant la vita
lité de celle-ci. S'il y a un mot qui revient à chaque instant sous la plume.de nos
contemplatifs, c'est bien — avec celui de pneumatique — le mot
d'expérience.. Voir
ce qu'en dit le P. Yiller au sujet de Diadoque (/. c. p. 126). 11 s'agit, avant tout,
de vivre l'union avec Dieu, sans pour cela s'écarter de la tradition
ecclésiastique
propre. Voilà la gageure. Nous ne ferons que noter et suiv re le triple mouvement
ascendant, à l'intérieur de la vie une in Chrislo.

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DOCTRINE DE LA DÉIFICATION DANS L'ÉGLISE GRECQUE 553

toujours visée. Mais sans l'arc la flèche ne partirait pas.


L'ascèse est un principe, non une fin. Si la majorité des appelés
à la joie surnaturelle de la contemplation-union n'atteignait
à la cime — et le savoir au — si
pas qui pourrait juste ?
s'arrêtaient à bout de souffle, à mi-chemin, —
beaucoup
qu'importe ! Chacun, dans les sables arides de la morti

fication, soupirait après le « lieu de rafraîchissement », oasis de


la Paix ; chacun tournait ses regards nostalgiques au loin,

guettant à l'horizon la terre promise de la Consolation. C'est


bien la caravane humaine en marche dans le désert.

L'esprit charismatique rayonne à travers les œuvres de


cette étonnante littérature : depuis la prodigieuse Vita
Antonii, véritable modèle, sous forme hagiographique, du genre

spirituel nouveau, jusqu'aux derniers écritspresque hermé

tiques de l'école sinaïte. Imprégnant de ses effluves toute

l'atmosphère environnante, cet esprit des amants de la

Contemplation, au monoïdéisme visionnaire préhesychaste, se


révèle riche à l'infini en sublimations, en dons
inépuisables.
Tout est fondé sur ce principe, aiguisé en pointe et déjà
relevé de nous : la soumission totale de l'être sensible à l'âme

intelligente, intuitive et purifiée. Nous verrons plus loin de

près quelle sera la purification triple que cette soumission exige.


Un coup d'œil sur l'ensemble suffit pour le moment. Ascèse néga
tive et positive, renoncement et lutte, peines sensibles et aube

de la joie surnaturelle : tout y compose un saisissant tableau


où l'humanité apparaît, dressée sur un rocher nu, baignant
dans une lumière éblouissante... L'itinéraire du moine tient,
en raccourci, dans les trois renoncements, « selon la tradition
des Pères et l'autorité des Écritures ». Ces trois renonce
ments ou perfections, sont rapportés, dans leur ordre ascen

dant, par Jean Cassien1. Les voici : « Prima est qua corpo

1) Déjà Reitzenstein, dans son Hisl. monach. u, Hist. Laus., avait signalé,
parmi les emprunts faits par Cassien à Évagre, les fameux « trois renoncements ».
lit le P. Yiller rappelle qu' « au moment ou Pallade et Cassien parcouraient les
principaux centres du monachisme en Basse-Égypte, Évagre en était la personnalité
la plus marquante » (art. cité, p. 264). A son, tour le révérend auteur nous apprend
que cette doctrine des « perfections » avait passé dans la règle de S. Colomban

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554 REV Γ υ de l'histoire des religions

raliler universas divilias mundi jacullatesque coniemnimus ;


secunde, qua mores ac vilia
affeclusque prislinos animi comis
que respecimus ; lertia, qua menlem noslram de praesentibus
universis ac visibilibus evocantes futura lanlam modo conlem
plamur et ea quae sunt invisibilia
concupiscamus. » (Coll.
HT, 6.) Et, réminiscence lointaine
de l'exégèse allégorique
alexandrine, voici la glose, présentée par le même Cassien,.
du commandement de l'Éternel à Abraham : « Exi de terra
tua, et da cognalione tua el da domo palris tua » (Gen. XII, 1)1
Ce serait là le renoncement triple : aux vanités du siècle, à la
vie pétrie d'habitudes naturelles et égocentriques, enfin à tout
souvenir sensible du monde présent... Et notre auteur, en
sym
pathie profonde avec l'idéal mystique de son époque, rappelle
et insiste sur cette idée que cet oubli — ou mort des
passions
dans le Christ —- nous conduit « à contempler les choses invi

sibles, seules éternelles, d'après l'apôtre ». A cette fin tout


est subordonné.
Laprogression ne peut être que lente. D'abord le déta
chement du cœur, encore charnel, des choses qui lui sont
extérieures ; détachement ardent qui débute avec le conlemp
las mundi, signe premier, mais encore incertain, de l'élection.
C'est le fuge avertisseur, précédant le tace et le quia, qui les
complètent, dans la vita légendaire de S. Arsène. ·— Fuite
loin du monde, dont le Maître a dit
qu'il n'est ni le sien ni
celui des siens. Mépris raisonné de tout ce que ce monde tient
en estime et adule, mais qui se
dissipe en fumée pour celui
qui sait voir. Les religions de tous les temps l'ont prêché, et
par l'exemple et par la parole. Mais la tradition
monastique
chrétienne a inscrit le contemptus mundi en lettres de feu au
fond des consciences désappropriées.
Le monachos est un solitaire par définition, un homme qui
« naturellement » n'a besoin de rien ni de personne1. Arraché

par l'intermédiaire du même Cassien ; et aussi, chose curieuse, qu'un chapitre


du Practicas (sur les moyens ascétiques d'arrêter les passions) avait pénétré, par
les Viiae Palrum, dans le Livre d'Angèle de Foligno, éd. Doncoeur, p. l'¿3.
1 ) S. Jérôme a donné le premier cette tout indiquée, de l'élymo
interprétation,
logie de monachos dans son Pp. 14 à Iléliodore : quid fueis inlurbe tu qui soius

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DOCTRINE DE LA DÉIFICATION DANS L'ÉGLISE GRECQUE 555

à lui-même et plongé dans cette ambiance nouvelle, qui est


comme l'aura du baptême spirituel, il vit à une altitude où
l'air est raréfié. Et de là monte encore un sentier escarpé se

perdant dans les nues. Au pied même de cette montagne


solitaire, la montagne de Sion, la Croix est plantée. C'est

l'acceptation de la douleur, par l'aveu gémissant du péché, et


c'est la réparation plénière de ce péché, par lequel la mort est
entrée dans le monde de l'innocence radieuse. —La mort du

corps, avec la mort de l'âme, prisonnière de ce corps. Sur le fond


uni de la pénitence grise un voile noir est tendu : la recordatio
mortis1. Tous les contemplatifs chrétiens ont fait du memento
mori leur silencieuse compagne : non pas, comme jadis les

païens, le spectre des festins de la chair, mais l'amie vraie du


dénuement total, des mortifications de cette chair condamnée
à périr, avant de renaître en gloire. Mais, par ce trou dans les
ténèbres la lumière refluait soudain dans la sombre retraite.
Mourir, pour revivre transfiguré... L'effroi de la nature char
nelle une fois exorcisé, la méditation ne faisait que creuser
des plans nouveaux dans l'esprit solitaire. Si la pensée

antique avait proclamé, par la bouche du Socrate de Platon,


que la philosophie n'est qu'une « méditation sur la mort », cela
reste autrement vrai pour la philosophie chrétienne, intensé
ment vécue dans le monachisme des premiers siècles, et bien
au delà. Une telle méditation devait laisser une marque pro

fonde sur les sensibilités sublimées, d'où cette « sainte tristesse »


qui est le climat naturel des âmes cloîtrées. Elle n'a rien de
commun avec la mélancolie deprímante dont les Anciens

est ? S. Augustin, par contre, l'entend dans le sens d'unité, monas, à la lumière
du psaume 132: Esse quam bonum... est habitare fratres in unam. Mais l'évêque
d'IIippone ne pouvait appliquer une telle glose qu'aux cénobites et non aux ermites,
ainsi que l'observa justement Schiwitz. Or l'idée même du monachisme, à sa
naissance, est une idée de la solitude comme sola béatitude. Enfin pour Cassien,
il s'agirait là d'abstinence du mariage (Coll. 135), ce qui ne paraît guère probable.
L'ancien nom, qui rappelle l'hermétisme pythagoricien, était, on le sait, thérapeute
et l'Aréopagite s'en sert encore dans ses écrits.
veut, à tout prix, découvrir « das neu
1) Dans la Vita Antonii où Reitzenstein
pythagoreische Idealbild » (1. c., p. 1), cette hantise de la mort imminente apparaît
le solitaire
déjà en pleine lumière : la pensce de la brièveté même de la vie y incite
à rechercher le seul bien impérissable, car « la terre est minuscule en comparaison
du ciel immense »...

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556 REVUE DE l'histoire DES RELIGIONS

ont fait un péché grave, Yacedia. La tristesse naturelle naît


de la non-satisfaction des désirs charnels et a un goût de
cendre. L'autre, qui vient de la non-satisfaction des besoins

spirituels, reste apaisée et comme éclairée intérieurement par


cette douce et forte croyance : un Dieu est mort pour triom

pher de la mort, sa résurrection glorieuse, gage de la nôtre,


arracha à tout jamais l'aiguillon maudit. Car la mort, ne
l'oublions pas, est ici en fonction du péché qui la fit naître.
La tristesse du vrai chrétien s'alimente encore et encore
à cette source.
L'Échelle Sainte de Jean Climaque, dont on
connaît le prestige et l'influence dans l'Orient byzantin, reste
tout imbue de la pensée de notre fin terrestre. Et celle-ci
— dont il faut à vaincre la crainte instinctive — ne
apprendre
se sépare pas de la pénitence : pénitence — qui est « le rétablis
sement de notre baptême » et la condition première du salut,
du salut par le renoncement et la souffrance. C'est la cendre

jetée sur le brasier des passions pour les éteindre. Climaque


J appelle « une affliction de 1 esprit le vil sentiment, la
par par
cuisante douleur de notreindignité ». Alors l'âme pécheresse
transpercée par le regret-repentir de ses péchés, se prosterne
et frappe en pleurant sa coulpe. De cette conscience brûlante

de l'impureté, de la bassesse
humaine, Spirituels ont nos
fait une vertu, fertile en dons bénis : la componction. C'est « une
douleur intime, en même temps qu'un doux rafraîchissement

par la confession intérieure que nous en faisons de Dieu »,


dira Climaque dans sa Scala, dont nous gravissons avec lui
les premiers degrés. Faisant chorus avec toute la chrétienté

antique, le moine sinaïte du vme siècle s'étend longuement


sur les bienfaits de cette disposition pénitente. Il l'appelle,
cette contrition, un « aiguillon d'or » (de pungere, piquer),

qui s'enfonce dans le cœur contrit au souvenir de toutes ses


iniquités. Souvenir
sensible, irrigué par pleurs des qui amol
lissent le sol dur, le préparant aux moissons futures.
Ces pleurs sont la plus pure grâce du cœur, altéré de pardon,
où la douleur sans jamais s'énerver. — D'abord
s'épanche,
larmes de tristesses, amères et rares, puis de plus en plus

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DOCTRINE DE LA DÉIFICATION DANS L'ÉGLISE GRECQUE 557

abondantes, de plus en plus suaves, véritable rosée céleste,


se transforment — ô miracle — en larmes de
joie, de dilec
tion... Alors on les désire, on les implore, non seulement comme
un soulagement, une délivrance, mais comme le signe même
de l'accomplissement, ardemment attendu. Car, à un degré
élevé de la vie sanctifiée, cette « illumination des larmes » sera
un don charismatique du Saint-Esprit : le donum lacrymarum,

appelé par tous les vœux en Orient et plus tard dans l'Occi
dent bénédictin1. Mais on n'arrive à la joie plénière que par la
voie étroite de la souffrance pénitente, de la souffrance-épreuve
volontairement subie,
joyeusement acceptée.
La
pénitence est le grand mât où toutes les voiles s'atta
chent sur ce vaisseau qui vogue, vaisseau de l'âme solitaire
dont les amarres avec la terre ferme ont été coupées. Et la brise

qui le porte au large s'appellera la bienheureuse obéissance2.


Vertu nécessaire entre toutes, car elle en est la condition

même, vertu exaltée dans tous les ordres monastiques. Car


son vivant modèle fut Celui « qui s'est
fait esclave et qui a
obéi jusqu'à la mort », ainsi que le dit l'apôtre des Gentils.
En son style orné de métaphores et d'images de rhéto

rique, Jean Climaque désigne l'obéissance comme étant «l'une


des deux ailes d'or, la seconde étant la retraite du monde,
par lesquelles l'âme sainte s'élève au Ciel ». Autre définition

frappante de justesse : « Une vie exempte de


plus précise,
toute curiosité », ou encore : « Un mouvement simple par

1) Il y aurait toute une élude à faire sur les divers aspects des larmes, sur la
définition même de ce « don », que la critique moderne interprète arbitrairement,
en l'appliquant toujours au Moyen âge franciscain. Or, il faut distinguer les larmes
d'attendrissement, versées par les cœurs sensibles sur la Passion rédemptrice,
de celles qui seules comptaient pour l'antiquité chrétienne et qui étaient des larmes
« spirituelles ». Le P. Hausherr remarque avec justesse (dans sa Vita de S. Syméon,
ont connu une véritable « théologie des
Introduction, p. xxxi) que les Byzantins
larmes ». Ajoutons que celle-ci était l'expression la plus haute de toute cette pneu
matisation des sens dont nous venons de toucher un mot. Celui qui a le mieux
senti, vécu, interprété le donum lacrymarum en Orient c'est, avec Isaac de Ninive,
S. Syméon, le « Nouveau théologien », instruit par son pater pneumáticos et homo
nyme, Syméon le Studite. Le premier qui en parle est, semble-t-il, Diadogue.
2) D'après Climaque, l'obéissance précède la pénitence (grad. IV), la première
étant l'épreuve décisive « des victimes qui se sont sacrifiées elles-mêmes en holo
causte ». Nous citons toujours d'après la savoureuse traduction de 1698.

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558 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS

lequel nous
agissons sans discernement ». Et par ces fines
observations, le Sinaïte, enraciné dans la tradition ascétique
de son époque, montre combien cette tradition est psychologi

quement fondée. Par expérience, ses tenants savent que, pour


être agissante, une vertu morale doit devenir irraisonnée de

volontaire, instinctive, habituelle, nous dirions subconsciente.


L'obéissance ici sera double : celle envers
les supérieurs, qui
sont parfois de véritables maîtres des novices, n'est le plus
souvent qu'un travail d'approche, pour atteindre à l'obédience
parfaite où s'accomplit la fusion de la volonté humaine, chan

geante de nature, avec l'immuable vouloir divin.


Le chrétien
toujours pénitent et qui « vivra au monde
comme s'il n'y était pas », ayant accepté librement la pauvreté
et le travail, ayant fait vœu d'obéissance, ce chrétien-là est
mûr pour l'ascèse positive. — Il ne fait que commencer l'ascen
sion à la vie dite angélique. Ascension par paliers successifs,
qui sont autant de dépouillements, d'éliminations du sensible,
et aussi autant d'illuminations à travers la fuite des appa
rences évanouies, de l'unique réalité du Spirituel : le Royaume

jalousement gardé par le glaive enflammé du Chérubin. Dans


ce sens est orientée toute la voie purgative de l'Orient chrétien.
C'est une perspective infinie avec, au premier plan, l'amphi
théâtre d'une lutte à la fois physique, morale et spirituelle,
dont l'enjeu est la béatitude. Et le stade premier de cette
lutte s'appelera « la justice corporelle » ou « garde du corps ».

L'ascétique propre du désert a un caractère très parti


culier qui le distingue nettement du Moyen âge occidental,
surtout en sa seconde moitié post-bénédictine. C'est une ascèse

privative, et celaen rapport étroit avec le but poursuivi : la


catharsis, qui d'elle-même tend à l'impassibilité. Le corps doit
apprendre à obéir à son maître, en étant purifié par la morti
fication totale. Les épreuves de toutes sortes imposées aux
monachi —- ou qu'eux-mêmes volontairement s'imposent —,
substance même de la vie pénitente et sacrifiée, sont essentiel
lement des privations : suppression de tous les désirs dits
naturels, interdiction des moindres jouissances normales, non

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DOCTRINE DE LA DÉIFICATION DANS L'ÉGLISE GRECQUE 559

satisfaction même des besoins les plus légitimes, tels que la faim,
la soif, le repos et le sommeil. Les Pères étaient persuadés que
le corps vit aux dépens de l'âme qui languit, impuissante, dans
la léthargie de ses forces les plus hautes, parce que asservie à
la chair de concupiscence. En la mortifiant, on redonne de la

vigueur à cette âme


; réveillée en sursaut, puis lentement
renaissante, celle-ci refleurit enfin et attire peu à peu toute
vie, toute sève à elle.
Mais c'est avant tout pour l'être inférieur lui-même que la
circoncision des sens sera salutaire. Par les épreuves réitérées
et savamment dosées, qui conduisent à l'apatheia corporelle,
se repétrit une matière nouvelle, moins pesante et moins

opaque. Voilà le sens caché aux profanes de la mortification


'chrétienne, qui aspire à être un gain réel, un accroissement, au
lieu d'une déficience, seulement apparente. Faire souffrir la
chair, récalcitrante et quand même obéissante ; l'alléger, la
libérer d'elle-même, cela s'accomplit
toujours dans l'espoir,
à peine avoué, d'une transfiguration prochaine, d'une rupture
avec le lourd passé de la condamnation antique1. Car, comment
verser du vin nouveau en de vieilles outres ? Assouplie comme
un muscle, la volonté se dresse pour mater l'esclave rebelle,
en attendant que s'achève la victoire dernière.
L'instinct, de même que la passion, ne sont que les stig
mates du péché, c'est-à-dire d'un état qui ne doit pas être.
C'est un plis mauvais, une faiblesse, inhérente uniquement à la

1) Tous les miracles qui abondent dans les premiers recueils des Pères sont
conçus dans cet esprit, dès la Vita Antonii où les prodiges se multiplient. Le rêve
de la chair transfigurée y parait en pleine lumière. (V. 14, col. 866.) L'idéal n'est
pas de tuer, ni même simplement de mortifier le corps, mais d'en faire l'ins
trument docile de l'âme, elle même « cithare de Dieu ». Nous avons déjà
indiqué, en passant, cette spiritualisation de toute chair, à la fin de notre premier
article. Reitzenstein parlera, à propos de l'ascèse hermétique, de véritable méta
morphose de l'être, tendant à devenir angélique. Mais ici intervient chez les ascètes
orthodoxes la grâce vivante des sacrements, inexistante dans les hérésies mys
tiques (par ex. chez les messaliens). Les charismes, ou dons gratuits de l'Esprit,
ne sont pas nécessairement requis pour atteindre la perfection, Antoine l'affirmait
déjà. Pour bien situer la pensée des « Spirituels » sur la justice corporelle, il faut
se rappeler cette parole profonde de Grégoire de Nysse : « L'âme est au corps ce
que Dieu est à l'âme. » Consulter, mais avec prudence, sur l'état angélique anticipé
chez les ascètes, Reitzenstein, dans la conclusion du chap. X (p. 210) intitulé :
Gnosliker u. Pneumaliker, de son Hist. monach. u. Hist. Laus.

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560 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS

nature déchue.
Aux impérieuses sollicitations de cette nature
déformée et dépravée, il faut opposer un refus catégorique,
aussi complet que possible. Jeûnes et abstinences, coucher
sur la terre dure, veilles, de nuit et fatigues de toutes
travail

sortes, sans parler des incommodités courantes, brûlure du


morsures d'insectes, etc. —■ Tout cela est
soleil, intempéries,
poussé systématiquement jusqu'aux limites extrêmes de l'endu
rance. Une discipline, au vrai sens du mot, et qui se détache
en relief sur la pauvreté apostolique. En elle-même indiffé

rente, cette pauvreté apparaît salutaire, comme négation de


toutes les fausses valeurs, adoréespar le monde gisant dans
les ténèbres. — « Suivre nu le Christ nu », parce qu'il est
le modèle parfait dont on ne détache pas le regard, parce qu'il
a donné l'exemple et porté la Croix, parce qu'il appelle à lui
ses élus pour les rendre à la vie pardurable.
Une telle « imitation
», jamais arrêtée à la figure humaine
du Rédempteur, ne connaîtra guère l'exaltation tendre du

Moyen âge bernardin et franciscain, qui a créé le culte du


Christ de
chair. De même, la pauvreté-délivrance n'a pas
l'attrait affectif de l'a épouse-sœur », tant chérie par le séra
phique François. Rien ici d'une volupté spirituelle quelconque,
traquée et sévèrement réprimée partout où elle se réfugie...
Et c'est bien là ce qui confère à l'ascèse orientale — byzantine
surtout ·—· ce je ne sais quoi d'abstrait et, à première vue,
de surhumain, où toute
musique terrestre expire, d'où tout
sourire semble banni. Cela
est vrai plus encore du monachisme
tardif, byzantin propre, à de rares, mais éclatantes, exceptions
près. Ajoutons que c'est dans l'ancienne Russie que l'on trouve
fréquemment un type plus humain, si l'on veut, plus évangé

lique, de la sainteté : un S. Serge de Radonèje, un S. Séraphin


de Sarof, en sont de lumineux exemples, sans parler de tant
d'autres1... Une sainteté comme désincarnée, peu de piété affec
tive et nulle soif de réparation : ni plaies d'amour, ni coiurs mira

1 ) V. le beau livre, non traduit encore, de G. Fédntof : les Saints île Vancienne
Bussie, Paris (Ymca Press), 1931, particulièrement le dernier chapitre.

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DOCTRINE DE LA DÉIFICATION DANS L'ÉGLISE GRECQUE 561

culeusement transverbérés, mais un martyre volontaire, âpre,

rugueux et constant, au service de la Joie la plus haute.


L'Orient grec a toujours ignoré le culte de la douleur
pour la douleur, ce « dolorisme » dont les excès ont fini par
laisser s'infiltrer un élément trouble dans la spiritualité médié
vale, à son déclin. Ici, aucun goût pour les flagellations et le

sang, aucune pratique, non plus, des souffrances dites répa


ratrices1, nulle idée des œuvres surérogatoires. Et aucune dévo
tion sensible à la Passion -— sauf à la Croix nue —- ainsi qu'à

l'agonie du Calvaire, objet d'austères méditations plutôt que


d'adoration éperdue. Pour le vrai
ασκητικός, revivant en lui
même les différentes phases de la Vita Christi, tout y a un sens
pneumatique. L'humanité souffrante du Maître ne peut être

séparée de sa divinité triomphante, car en cette humanité

déjà transparaît la gloire. Pareillement, la purification de


l'humain par l'ascèse ne doit jamais faier perdre de vue sa

glorification future dans l'union avec le divin.


La « garde du
corps », par laquelle débute le « joug du

Seigneur », a, nous l'avons vu, une base doctrinale, elle aussi.

Évagre et Maxime l'ont assez répété : le mal réside dans l'usage


déraisonnable et abusif des choses, il est avant tout le consen
tement au plaisir. Donc, refus de se laisser prendre à l'appât,
à la glu des sens. Puis, ablation de tous les désirs non dirigés
vers Dieu. D'un mot : « crucifiement du vieil Adam ». Le fer

rouge est porté à la plaie, pour exterminer toute la vermine

qui grouille dans les bas-fonds, infectant l'âme haute.


L'antiquité chrétienne, tributaire du De Anima d'Aristote,
et de son Éthique à Nicomaque, a posé les fondements d'une
morale et d'une culture spirituelle sui generis : un pragma

de 1' « agonie perpétuelle ·


1) L'état d'esprit qui a creé la pensée pascalienne
d'une part, et de l'autre, la doctrine de la souffrance réparatrice, inspirée par S. Paul
et aboutissant au dogme de la réversibilité des mérites, tout ce « complexe-là »,
est resté étranger à l'Église grecque, immobilisée dans sa tradition pneumatique. Et
n'oublions pas, par ailleurs, que déjà Origène exigeait du vrai Spirituel, qu'il
dépassât le Christ de chair, pour s'élever à la divinité du Verbe. Quoi de plus
différent, comme orientation, que tout l'enseignement de S. Augustin, surtout
que l'amour « charnel » de S. Bernard et des médiévaux venant après lui pour
l'Homme des douleurs ? V. notre premier article, pp. 40-41.

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562 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS

tisme dont l'action dépend d'une conscience intellectuelle

parfaitement lucide.
Acquiescement de la volonté, puissance
appétitive, cette morale strictement religieuse est commandée

par une conception idéale des fins humaines. Le christianisme

patristique a hérité, dans une large mesure, de cette morale


idéaliste ancienne, tout en lui apposant son sceau à lui, unique
et indélébile. Nous l'avons vu dans la théorie des passions de
Maxime qui, elle-même, n'est qu'une mise au point de concep
tions alexandrines et cappadociennes. Ne l'oublions pas :
derrière nos Byzantins spirituels se profilent toujours Clément
d'Alexandrie, parfois Origène, les deux Grégoire et, encore
plus tard, le pseudo-Denys. Toute cette théorie a été élaborée
sous leurs auspices, transposée dans la vie active, dès la
fin du ive siècle
: par le créateur de l'éthique des moines,

Évagre du Pont, suivi de près par S. Nil, dit le Sinaïte et

par d'autres Spirituels de l'époque.


La classificationdes huit péchés capitaux d'Évagre est la

pierre angulaire de tout l'édifice1. Établie dans l'Antirrhéticos


— connu surtout le Prácticos — le schéma des oclis
par latin,
vitiis a passé, par l'intermédiaire de Cassien, dans l'Occident

médiéval, qui s'est assimilé cette classification en la retou


chant2. Evagre, bien qu'origéniste, représente sur ce point

1) Les critiques discutent encore sur la provenance du schéma d'Évagre,


imité et par Nil et par Cassien. V. Zôckler, Das Lehrslück von den 8 Hauptilndcii,
et du même, Evagrius Pontikus, Mûnich, 1893, puis Schiwitz, /. c., ν. I, p. 265
et surtout ν. II, pp. 72 s. (contre l'hvpothèse Zielinsky-Marie Gothein, qui cher
chent l'origine du schéma dans l'astrologie, et contre Reitzenstein dans Poimandrcs,
également). Ce débat sans issue ne nous intéresse qu'à un point de vue, toujours le
même : les modifications profondes apportées, en tout état de cause, par le moine de
Scété à la tradition antique. Autre observation : Évagre personnifie les huit péchés
en faisant dépendre chacun d'un démon spécial. C'est ainsi qu'il faut entendre chez
lui le mot λογισμοί qui peut prêtera confusion. Ce sont, effectivement, des esprits
mauvais, préposés, chacun, à un vice déterminé. Nil intitule son traité (traduit par
Schiwitz (/. c., ν. 11, pp. 58 ss.) περί των οκτώ πνευμάτων τής πονηρίας. La peinture
des vices y est des plus vivantes, concrète et imagée chez tous les deux, bien plus,
naturellement, que ne peut être celle des vertus. Le P. Viller avoue que la description
de Vacedía chez Évagre est un « chef-d'œuvre en quelques lignes ». Le Ve livre des
Institutions de Cassien, est également consacré à la lutte contre les principaux vices,
lutte préconisée déjà dans la Conférence de l'abbé Serapion (Coll. 5, 1, 18).
2) Par S. Grégoire le Grand, puis, définitivement, par S. Thomas d'Aquin : le
premier n'a fait qu'un seul vice de la tristesse et de l'acedia ; le second a fondu
ensemble vanité et orgueil, h'invidia, omise par les Grecs, ayant été ajoutée à

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DOCTRINE DE LA DÉIFICATION DANS L'ÉGLISE GRECQUE 563

la conception traditionnelle dans l'Église grecque1. Il divise


d'abord l'ensemble des vices, ou λογισμοί, en péchés d'intenlion
et péchés d'action. Les premiers sont la porte d'entrée des
seconds. Tous se trouvent
répartis ensuite, avec une précision
et un sens psychologique qui ne laissent rien à désirer, d'après
les trois principales fonctions de l'âme -— de tripartito anitnae
modo (Cassien), —
1'έπιθυμία, le θυμ,ός et le λογιστικόν. Véri
tables déviations des forces psychiques naturelles, en elles
mêmes indifférentes, ces vices sont rangés en trois groupes,

qui s'opposent aux quatre vertus cardinales, tempérance,


courage, sagesse et justice. Déjà Clément avait placé ces der
nières à l'autre pôle des πάθη, dont le nombre était égale
ment emprunté par lui aux Stoïciens et qui sont : désir, convoi
tise, crainte et douleur. La classification antinomique d'Évagre
est autrement complète, sinon exhaustive. Seul un grand
connaisseur de la nature humaine, scrutée dans ses tares les

plus secrètes, pouvait découvrir, « inventer


», au vrai sens
du mot, ce tableau gradué des : gula, luxuria,
ocla vitia
— A
avaritia, tristitia, ira, acedia, vaniias, superbia2. quelques
variantes près, tels seront les cercles mêmes, de plus en plus
profonds, de Γ Inferno dantesque et, plus clairement désignées
encore, les expiations ascendantes au mont de son Purgatoire.
Le premier groupe embrasse, avec les appétits les plus
— luxure et avarice ou —
grossiers gourmandise, cupidité
tout le concupiscible.C'est la bête qu'il faut dompter, sans plus.
Le second groupe, qui offre une résistance autrement opi

niâtre, comprend la tristesse etl'acedia cette dernière repré
sentée comme paresse spirituelle, comme une espèce d'atonie —
et enfin la colère, la plus redoutable et récalcitrante parmi

l'ensemble, le nombre désormais fixe des péchés capitaux s'est trouvé porté à
sept. L'ordre en est le suivant : superlia, avaritia, luxuria, invidia, gala, ira, acedía.
Tout le Moyen Age s'en est pénétré, Dante last not least.
1) Pour la définition du péché comme contraire à la nature, voir aussi la Vila
Anlonii : contra vero cam declinavit, ai que a natura deflexit, — id dicilur animi
vilium (20, col. 874).
2) En réunissant les initiales, cela forme le mot gtatiavs, ou bien glaitavs —,
en suivant Nil et Cassien, qui intervertissent l'ordre des péchés de l'irascible
(ira, tristitia, acedía). Pour les Latins, le vocable des abréviations sera : saligia,

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564 REVUE DE l'histoire DES RELIGIONS

les forces du θύμος. Ce sont là, à proprement parler, les vraies


passions ou défaillances de l'âme, encore liée à la nature ani
male et par elle domestiquée. —■ Indices irrécusables de notre
chute ou éloignement de Dieu1. S. Maxime dira des premières

qu'elles sont caractérisées par un manque (de vertu), les


secondes par un excès qu'il appelle υπερβολή. De même, bien
avant lui S. Nil, l'épistolier
(ad Elogiam), si proche d'Evagre.
La vanité et la superbe,
centrées au cœur même de l'âme,
relèvent déjà d'un autre domaine; elles sont l'égarement, non
des sens ou du tempérament -—- sensualité et sensibilité
faussées -— mais bien de ce que les Grecs considéraient comme
l'homme véritable : de son esprit. Dans ces perversions, les
plus dangereuses, tel l'orgueil, le fond même de l'âme est

engagé et son essence corrodée. Or toutes les


passions spi
rituelles sont engendrées par l'ignorance du vrai bien, donc
accusent une origine intellectuelle2.

S'inspirant de l'idéal contemplatif de son temps et de son


état, Évagre préconise les remèdes efficaces contre tous ces
dérèglements divers. Ils sont : le travail, le jeûne et la soli
tude d'une part, la patience et les bonnes œuvres de l'autre.
Bien au-dessus, pour rééduquer le rationabile, se placent la

méditation et la prière. La
stratégie meilleure
pour vaincre,
c'est, encore et toujours,
de prendre l'offensive. Non pas extir
per les vices péniblement ou en se défendant contre eux, pied
à pied. — Cela est insuffisant et prouvé inopérant, car il s'agit
d'abattre non des entités, mais des puissances vivantes,
dynamiques, les démons des vices, λογισμοί δαιμονίου II faut
donc exorciser le mal en vivant le bien. Et voici pourquoi
l'auteur de VAnlirrhelicos
déroule, face à son octave maudite,
là guirlande fleurie des vertus. Vertus purement chrétiennes,
ou christianisées à tel point qu'elles ont pris figure nouvelle2.

1 ) D'après Maxime, si ia nature humaine a été « guérie », une fois pour toutes,
par le Christ, la volonté doit se sauver individuellement par l'exercice des vertus
actives.
2) Déjà Antoine plaçait, au-dessus des quatre vertus cardinales et de l'intel
ligenliam-charilalem, pauperum amorem, fidem in Chrislum, mansaeludinem et hos
pilalilalum. Mais aucune hiérarchie, à l'inverse de Clément, n'est indiquée dans sa
Vita, à peu près contemporaine des premières Euagrianes.

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DOCTRINE DE LA DÉIFICATION DANS L'ÉGLISE GRECQUE 565

En même temps, jamais n'est mis en oubli le sage principe


du Stagirite : « La vertu se crée par l'exercice », principe que
toute l'antiquité pensante a essayé d'appliquer de son mieux.
L'enchaînement des vertus, qui se tiennent comme les

doigts d'une main aux très souples articulations, est cepen


dant moins rigoureuse que celui des vices, ce dernier à peine
modifié par Nil et par Cassien qui, dans leurs traités, repro
duisent le tableau d'Évagre, en l'explicitant seulement. Quant
aux άρεθαί, les différents auteurs les classent avec plus de

liberté, mais toujours selon la même méthode classique1.


Chaque vertu a son visage, bien à elle, et surtout chacune
est comme doublée à l'intérieur
par une vertu surnaturelle
qui la grandit et l'exhausse. Là aussi il semble que se vérifie
nos —
pleinement le synergisme de Spirituels : à chaque effort
conquête humaine— s'ajoute, en le renforçant et en le suréle

vant, une
grâce correspondante. Il en résulte parfois une
apparence de confusion. Ainsi chez Évagre, et plus encore chez
Maxime ou même Climaque, on parlera tantôt de la πίστις
et de Γάγάπη, comme de vertus naturelles ; tantôt on les iso
lera à part, les auréolant d'un même nimbe de lumière. Car,
ainsi que le déclare l'auteur du κλίμαξ, la foi et la charité
ne sont, avec l'espérance, « qu'une même splendeur et une
même clarté » (XXX, Grod.). Cela est vrai même de cette vic
toire « pratique » définitive, l'impassibilité,
qu'est puisqu'il y a

l'apatheia acquise et l'apatheia infuse, perfection inacces
sible à nos puissances naturelles. Mais tout ce qui est acquis
ne le sera qu'en vue de ce qui est infus. L'assise même
des vertus qui forment, elles aussi,
premières une échelle,
l'échelle du
paradis, c'est la foi, vraie base de toute vie
sainte. En effet, bien que trônant avec ses deux sœurs dans la
constellation des vertus théologales, la foi occupe sa place
d'initiatrice, sans doute pour bien marquer l'origine mystique
de toute la lignée qui en descend. C'est l'invisible racine de
la plante visible, aux mille fleurs épanouies. Les Alexan
drins déjà appelaient la πίστις, « mère des vertus », et
l'on sait l'exceptionnelle importance qu'elle a dans le système

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566 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS

de Clément où la γνώσις n'éclot qu'en sortant de la πίστις.


Le moraliste-mystagogue, pour qui la science est divine,
fait naître sous nos yeux de cette foi, toujours pénitente chez
le chrétien, la crainte salutaire, « commencement de toute

sagesse », ainsi que l'affirme l'Écriture. Et de la crainte


découlent pour lui l'espérance, la continence et la patience qui,
en se développant, nous conduisent droit à la charité1. Évagre,

qui suit la grande ligne alexandrine, introduit encore, comme


vertu ultime, .dérivée des autres et les achevant,
l'impassibi
lité, ou apolheia celle-ci d'ailleurs
toujours sous-entendue chez
Clément. La « sainte indifférence » sera le but de l'ascétique

positive. Idée remise en pleine lumière par Maxime, fidèle


à la spiritualité d'Évagre. Pour ce dernier, la charité
même procède de Γάσκήικον. Quant au saint Confesseur, il
trace ainsi l'itinéraire du πρακτικός entré dans la voie de la

perfection : « Celui qui craint le Seigneur, craint le châti


ment ; celui qui craint le châtiment domine ses passions ; celui

qui domine ses passions supporte les afflictions ; celui qui sup

porte les afflictions aura espoir en Dieu ; cet espoir le déta


chera de toute affection terrestre ; détaché, l'esprit acquerra
la charité pour Dieu2. » Là toute crainte expire. Diadoque de
Photikè indique aussi ce même chemin de la perfection dans
sa grande Centurie (ch. 16, § 117).
La charité ou άγάπη, couronnement de la vie pragmatique
et de la vie théorique, se trouve précédée de la φρόνησις et
de Γ εγκράτεια. Difficile à définir, cette dernière représentait
pour les Stoïciens la parfaite maîtrise de soi (emprunt au
Stagirite) vertu tant appréciée par les sages de l'Antiquité.
Philon lui aussi la connaît et la pratique. Clément d'Alexandrie

l'adoptera en la baptisant. Chez lui, comme chez Origène,

Γέγκράτεια est continence-chasteté, qui a pour objet la « fuite


des plaisirs ». En même temps, cette vertu sera le fondement de
la gnose d'Évagre, son panégyriste déclaré. Il ne sépare pas

1) Slrom., III, 28.


2) De charil., I, 3. Voir sur cette question le chap. 4 de l'étude si précieuse
du P. Viller.

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DOCTRINE DE LA DÉIFICATION DANS L'ÉGLISE GRECQUE 567

Γέγκράτεια de 1'άγάπη, car sans la charité, dit-il, « la continence


ne serait qu'une des vierges folles, exclues de la chambre nup
tiale parce que l'huile aura manqué à sa lampe ». S. Maxime
la prisait très haut également et l'entendait toujours comme

Évagre, c'est-à-dire intimement liée à la charité. Pour Climaque,


continence et pureté sont une seule et même chose, car le

«temple de l'âme » ne saurait être édifié que sur les ruines de la


« maison de chair ». En ce qui concerne la φρόνησις, son rôle est
de forcer les puissances de l'âme à agir raisonnablement ; en
ce sens, vertu de la vie pratique ou active, elle préparait la
« route à la sagesse » ou σοφία qui « unit à Dieu », d'après
le Confesseur. Nous y reviendrons encore.
La douceur, elle aussi, est inséparable de la charité, douceur

qui sert de frein à toute violence et qui, à son tour, engendre


la sagesse, selon Évagre. Pour Climaque, cette domptrice de
l'irascible, est la « porte de la charité ». Elle consiste à « sup
porter avec une sainte indifférence les troubles que nous
cause notre prochain et à prier pour lui ». Ainsi, la douceur se

rapproche à la fois de l'impassibilité et, de plus près encore,


de la patience, sa fidèle suivante. Toutes deux sont assimilées

parfois aux palmes des martyrs. Le noble cortège se déroule


toujours, en une harmonie de plus en plus parfaite.
Le même Glimaque, dans son langage toujours fleuri, déclare:
« Comme l'aurore précède la lumière du soleil, ainsi la douceur

précède la très sublime humilité. » Et c'est à l'humilité encore

qu'il applique l'épithète la plus pour lui et les siens,


haute
celle « d'exterminatrice de les passions ». Par l'humilité,
toutes
en effet, est abattue la plus grande et la plus terrible passion,
chevillée à l'âme tout entière et qui, irrémédiablement, la
vicie : l'orgueil. Il serait au fond plusjuste de mettre à la
racine de toutes les vertus pragmatiques, à côté de la foi, et
découlant d'elle, nourrie par elle, cette beauté-là, à la fois maî
tresse et servante. Car seule l'humilité est chrétienne à l'état

natif, chrétienne et uniquement,


purement étrangère et irré
ductible à l'esprit païen, qui ne se prosterne jamais pour
prier. Avec le scandale de la Croix, l'humilité restera l'énigme

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568 REVUE DE l'histoire DES RELIGIONS

impatiemment subie par les Gentils. —N'est-ce pas la perle la


plus pure des Évangiles ? Le christianisme de l'histoire l'a
incarné en un symbole de maternité surhumaine unique : en
exaltant Marie, en faisant de l'Ancilla Dei, image vivante de
cette vertu vierge, la reine glorifiée de tous les saints, planant
au-dessus des milices par les chœurs
célestes, exaltée
des

Séraphins et des Chérubins. Tout a été dit depuis longtemps


sur l'humilitas, son rôle dans la réalité et dans la poésie chré
tienne. Nos Spirituels lui adjoignent encore, comme corollaire,
la souffrance purificatrice et l'humiliation volontaire, celle-ci

parfois outrée dans son


expression, parfois C'est sublime.
là que la piété, moins expansive et suave, de l'Orient pren
dra sa revanche. Car, ne l'oublions pas, c'est lui qui recréa
la légende de S. Alexis, légende aux sources lointaines, aux
ramifications diverses ; et c'est lui encore qui lança à travers
le móndela tourbe des simples d'esprit, «fous «volontaires. Peut
être faudrait-il distinguer ici, comme on est obligé toujours
de le faire en iconographie, entre Byzance la hiératique, d'une
part, et de l'autre, l'Orient propre, à l'âme pathétique plus
tourmentée, accessible à toutes les saintes démences...
Il semble bien que, pour les Grecs, en tant que race spi

rituelle, l'humilité a été moins le sentiment écrasant ou


exaltant du néant
de l'homme, que celui de l'abîme qui sépare
le désir de Dieu,de Lui-même ; et, simultanément, la conscience
aiguë, quasi intolérable en son vertige, d'être, quand même,
vase d'élection. Sentiment—contrepoint qui, dans les tempé
raments et lyriques,
ardents tel un Macaire l'Égyptien ou,
plus près de nous, Syméon le Nouveau Théologien, provoque
momentanément des lésions profondes, mais qui en revanche

prête à l'humilité orientale des accents non-ouïs encore,


altérés de douloureuse contrition ou vibrants de gratitude
éperdue. Le cœur mystique y déverse ses aromes les plus pré
cieux, jamais évaporés, ceux mêmes que Madeleine versa
sur les pieds du Bien-Aimé, en une heure unique dont il fut
parlé dans le monde entier.
Humilité toujours lustrée par les larmes, humilité, lavant

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DOCTRINE DE LA DÉIFICATION DANS L'ÉGLISE GRECQUE 569

l'âme des
passions qui la souillent. Évagre et Maxime, tous
deux, l'affirment : l'humilité est une libératrice parce qu'elle
est cathartique, essentiellement. Or nous savons que la purifi
cation simplifiant l'être (le « Soyez comme les enfants » de
Jésus sera toujours ainsi compris par nos mystiques) c'est
d'abord le détachement parfait du cœur converti à Dieu.
Ainsi entendues,la pureté et l'humilité sont déjà les

prémisses la desagesse-discrétion. Climaque, qui loue hau


tement cette vertu, intellectuelle autant que morale, la déclare
fille de l'humilité, qu'il compare à la « mère de toutes les
fontaines » La discrétion par lui tout en haut de son
est placée
échelle sainte, au XXVe
degré (sur les XXX que celle-ci
compte). Pour lui, comme pour les autres Spirituels, c'est

déjà une grâce : l'infusion première du Saint-Esprit, « une


lumière éclairant l'âme, dès que sont dissipés les nuages des
passions », car elle permet de reconnaître avec certitude la
volonté de Dieu. — Don de discernement esprits, vue des
intuitive des autres âmes, sens de délicat
mesure dans la

l'austérité, de la vérité au milieu des erreurs et des chimères, —


voilà ce qu'est la discrétion. De cette vertu déjà surnaturelle
ne sont gratifiés que ceux qui la reçoivent en toute humilité ;
ceux qui n'en mésuseront jamais et qui n'en tireront aucune
vaine gloire. Car ici ce n'est plus l'homme qui juge et qui
décide, mais à travers lui, Dieu seul. Ce sera donc un des plus
hauts présents du Saint-Esprit à l'âme, le plus beau fleuron
— la charité — dans la couronne
exceptée qui ceint le front
de l'athlète du Christ. De même pour Cassien qui vient pre
mier ici. Dans l'exorde de la IIe conférence des Pères du
désert (ch. II), l'abbé Moïse donne à la discrétion place la

d'honneur, sans hésiter. Illustrant son éloge de maint para

digme, de maint exemple, à l'intention du pieux auditoire,


le vieillard vénérable rappelle que S. Antoine comparait la

discrétion à l'œil, « lampe du corps », dont parlait Notre

Seigneur. Et la discrétion charismatique devient ici une sorte

d'eurythmie harmonisant tout l'ensemble des vertus.


Chez les grands dialecticiens, c'est la φρόνησις qui est la
37

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570 REVUE DE l'histoire DES RELIGIONS

vertu connaissante par excellence. Elle affleure déjà à la

γνώσις τοϋ Θεοϋ. Ce sera pour Maxime, dit le P. Viller dans


son étude, l'intelligence pratique frayant la voie à l'intelligence
théorique1. Nous dirions qu'elle marque le passage de la

πρακτική à la θύσικη θεωρία, qui est déjà la purification de

l'esprit. L'insistance avec laquelle Evagre rapproche la

φρόνησις de la σοφία paraît très significative : l'une « contemple,


sans parole, les saintes puissances intellectuelles » et l'autre
« les manifeste » (Gnosl.
par les paroles 146).
Ici la φρόνησις, préparant la route à la sagesse, est presque

l'équivalent de la γνώσις ; d'une part la connaissance non

exprimée (les Latins diraient en puissance), de l'autre l'inter

prétation explicitée ou aciualisalion. la pensée Si des deux


auteurs ne s'accorde pas absolument
sur ce point (v. Viller,
p. 171, n. 69), cela importe peu à nos yeux, car il ne s'agit que
de nuances individuelles, : — La
pas davantage ligne spirituelle
générale reste la même : elle monte de la vie active à la vie

contemplative ou cognitive, toute ascèse se trouvant ordonnée


à la mystique dogmatique qui s'achève dans l'expérience. La

φρονησις y apparaît comme un poteau-frontière appartenant


aux deux voies qui, par elle, se rejoignent. Car toute fron
tière ici reste mobile. La nature, réformée par la culture

ascétique, est la
surnature,
déjà informée par l'Esprit qui
sanctifie. Tout
entière, la βίος πρακτικός se trouve enclose dans

l'espace idéal allant de la πίστις à Γ απάθεια culminant elle


même dans Γάγάπη, — espace limité où se meuvent les âmes
des progressants, ces parfaits de demain.
Dans l'ordre mystique, Γάγάπη, vertu déificatrice déjà
chez Clément et Denys, est Y amor Dei : toute bonté, toute
beauté, toute dilection. Nous n'en parlerons qu'arrivés au
sommet de la perfection avec le τέλειος. Mais Γάγάπη est une
source surabondante. D'elle jaillit cet amour du prochain

qui a pris aujourd'hui pour lui seul le nom de charité, et qui se


penche, en la miséricorde fraternelle, sur la détresse des cœurs
et des corps ; pour panser, pour relever, pour consoler. Dans
la réalité quotidienne, il précède, doit précéder l'épanouisse

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DOCTRINE DE LA DÉIFICATION DANS L'ÉGLISE GRECQUE 571

ment de l'autre —- — bien


toujours charismatique que le
supposant et dérivant de lui. Le commandement second
« pareil au premier », inclus dans le premier, n'est pas le
sacrifice, mais le don d'une personne vivante à une autre. Les
Pères l'ont-ils conçu et souhaité tel? Maint récit, tiré de Rufin
et de Pallade, comme des Apophlegmala anonymes, mainte

hagiographie, semble l'attester1, et tous nos Spirituels, sans

exception, s'évertuent à l'inculquer aux âmes. Néanmoins,


vu la nature et l'orientation de cette vie, même cénobitique
(sans parler de l'érémitisme
intransigeant) qui sectionne tout
lien affectif, qui interdit toute sympathie personnelle, la cha
rité restait un devoir distant, presque abstrait. s'exerçait Elle

principalement dans la prière et dans


quelques œuvres pies :
soin des malades et hospitalité. L'émotion, la pitié du cœur,
encore moins l'abandon, n'y paraissent guère, toute impulsion
un peu vive étant refrénée par principe. Un amour comme
émacié, sans tendresse par ce que défiant des séductions de
sensible : un amour spirituel, le moine s'efforçant d'être esprit
plus que cœur2·. Voilà pourquoi la charité portera ses fruits
les plus mûrs et les plus abondants dans la prière d'inter
cession. En attendant, l'amour fraternel ressemble davantage
à une pâle fleur de serre qu'aux lys odorants des champs de

Galilée, renaissant dans la vallée bleue d'Ombrie, sous le ciel

1 ) Voir dans l'anthologie des frères Bremond le joli florilège au chap. intitulé
Charité, ainsi que dans Viller, Spiritualité des premiers siècles chrétiens.
2) S. Maxime a dit : <t Heureux celui qui aime également tous les hommes. »
(De Charil., I, 17.) Et ce vœu, il le formule mainte fois dans ses œuvres. Sa parole
la plus forte sur ce thème sera : « Aimer tous les hommes, c'est n'aimer rien
d'humain. » {De Char., III, 37.) Et l'on connaît la profonde méfiance, et de lui
— — considérée comme une des plus
et d'Évagre, pour l'amitié humaine φιλαντία
dangereuses perversions. (V. Viller, t. c., p. 241.) Cela se comprend à la lumière de
toute cette psychologie apathétique, puisque là oii il y a préférence, désir, l'impul
sion passionnelle intervient. Or, il ne faut désirer vraiment que Dieu, tout en sou
haitant et faisant le bien à tous, en particulier à ceux qui vous ont fait du mal.
Diadoque, Marc l'Ermite, Isaac de Ninive, l'affirment également, car telle est
la loi évangélique. Mais on aime son prochain comme frère en Dieu, donc d'une
manière très différente de celle que le monde entend : ce qu'on lui souhaite,
avant tout, c'est d'être sauvé. Ici, on pourrait distinguer entre deux tendances
au sein de la même charité monastique : celle des premiers siècles, — du désert si
l'on veut — et celle de l'âge suivant, à Byzance même. Il nous paraît que la cha
rité des Pères l'emporte, humainement parlant, sur l'autre. Mais on n'ose conclure,
car tout ici est en nuances parfois extrêmement subtiles.

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572 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS

de S. François. Le premier amour, Γ Amor Dei, semble absor


ber, en son unique splendeur, toutes les forces vitales, toutes
les virtualités et volitions de l'être humain.
Faites pour la sanctification solitaire, ces vertus, plus
angéliques qu'apostoliques, restent socialement
parlant, peu
fécondes : passives et statiques, non actives, rayonnantes, ou

plutôt d'un rayonnement tout intérieur. La spiritualité orien


tale, répétons-le, sera ordonnée à la contemplation. Transfor
mées en macarismes, ou béatitudes évangéliques mystiquement
·— comme le Pater l'était au — ces ver
interprétées Moyen-âge
tus, qui nous paraissaient des plantes stérilisées, changent subi
tement d'aspect1. Soudain elles s'animent, elles brillent d'un
éclat tamisé, en reprenant toute la couleur, toute la chaleur

qui leur manquaient, auparavant. Et la vie secrète de l'âme


nouvelle sourd de toutes parts. — Pauvreté spirituelle, patience
dans l'affliction, contrition baignée de larmes,
rappel de avec
l'exil
terrestre, soif insatiable d'une
justice qui n'est pas de ce
monde, résistance du cœur, humblement héroïque, dans la per
sécution, amour de la vérité seule... Et, à l'horizon, une fois tous
les désirs apaisés, pointe la consolation ultime des joies séra
phiques. Chapelet lentement égrené, dont se détache le grain
le plus précieux, la perle de grand prix du Royaume : la visio
Dei : Beali mundo corde quoniam Deus videbuni2.
Dans cette nostalgie du cœur immaculé qui seul voit Dieu,
seul s'unit à lui, est condensé tout le pathos d'une spiritualité,

1) Cette interprétation anagogique est courante dans les œuvres de l'antiquité


chrétienne d'où elle a passé au Moyen âge occidental. Les premières mentions
se trouvent dans : Épiphane, Apophtegm. Patrum, n. 13 et. Ant. Hel. monach.,
lib. II, ep. 3 (Bibl. pair., t. V). Pour l'Occident, citons Bonaventure, De Reatitu
dinibus evangelicis, et Hughes de S. Victor, De quinqué septenos (ν. pour les réfé
rences Gass, Die Mgslik des Nicolaus Cabasilas, Leipzig, 1899). Le nombre des
macarismes est variable, mais cela n'a aucune importance, leurs sens restant
le même : ces béatitudes sont toujours des vertus contemplatives, bien que dési
gnées parfois comme pragmatiques, —· nous savons déjà ce que ce mot veut dire
chez nos spirituels. Déjà Grégoire de Naz. avait les
transposé mystiquement
vertus cardinales antiques. — V. Hisl. monach., p. 137, η. I. On
Reitzenstein,
trouve chez le Sinaïte Hesychius le nouveau de Jésus-Christ à
décalogue ajouté
l'ancien : Hausherr, Méthode hésgchasle, p. 142.
2) Ne pas oublier que cette « vision », d'après les Spirituels grecs, est toujours
de ce monde ! S. Syméon y a insisté tout dans ses catéchèses.
particulièrement

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DOCTRINE DE LA DÉIFICATION DANS L'ÉGLISE GRECQUE 573

comme désincarnée à nos yeux. Et c'est ici que nous saisissons


sur le vif comment, au terme de la lutte si dure, s'effectue la
sublimation de toute la sensibilité. Car sublimation il y a,
c'est-à-dire transfert des énergies sur un plan supérieur. — Des

énergies émotives quintessentiées, réduites à un pur extrait.


Nos spirituels eux-mêmes les considéraient comme la pneu
matisation des sens, des sens nouveaux, devenus de véritables
antennes pour se saisir des invisibilia. Le donum lacrymarum
en est la plus émouvante révélation. Une compensation au sens

propre du mot, dans la refonte totale de tout le sensible par


le désir — vers le divin seul. C'est bien
aimant, aiguillé
l'annonce de la transfiguration du charnel dans l'âme : charnel

qui devra un jour, lui aussi, se muer en spirituel pur. Ce qui


doit être sauvé du naufrage de la passion condamnée, des

impulsions passionnelles mêmes, le sera ainsi. Nombre de

mystiques d'Orient l'ont expérimenté sur eux-mêmes ; tels


surtout Macaire l'Égyptien — ou
pseudo Macaire, peu importe
ici — S. Isaac de Ninive, appelé par les Grecs le Syrien, plus
tard Siméon le Jeune ou le nouveau Théologien, ce génie de
l'oraison incliné aux pieds du Christ de gloire, les baignant de
ses saintes larmes. Et S. Maxime ramassera en une formule brève
très heureuse cette » de la psyché dont il dira :
« conversion
« L'âme parfaite est celle dont la παθητική δύναμις s'est
tournée vers Dieu » [De charil., III, 93). — Miracle de la

volonté, fécondée par la grâce. Voilà donc réhabilitées, remises


à l'honneur, ces puissances dynamiques que sont les πάθη !
— en tant contraires à la « rai
Mauvaises, que mouvements
son », ces forces naturelles de la psyché rentrent dans l'ordre,

quand elles « restent impassibles sous le choc des choses et des


il faut
pensées des choses ». Pour éprouver la sainte ivresse,
donc être apathos. Tout maintenant se trouve ordonné, sou
mis à la elle-même
raison-maîtresse, suprarationnelle. Le
est régi par la continence parfaite, l'irascible
concupiscible
attaché à l'unique désir du Bien suprême. Voilà le terme

idéal de toute la vie active : le πρακτικός est devenu θεωρητικός,


car en lui les vertus du corps se sont subordonnées aux « vertus

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574 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS

de l'âme » (S. Nil). Le haut plateau de l'apatheia est donc


atteint avec l'absorption de tout l'inférieur par le supérieur.
Alors s'accomplit la conversion dernière, au seuil de la Iheoria :
le cœur de chair purifié, mort à toute volupté et à tout tour
ment, sourd aux appels trompeurs du moi, s'ouvre, tel un

calice, et s'offre entièrement à Dieu : au Dieu qui vit, invi


sible aux aveugles, aux sourds, dans le tabernacle
inaudible
de notre est le repos, car Dieu est la Paix, Γήσυχία,
esprit. Là
comme le répétera, à tous les échos, l'Orient contemplatif.
Né pour aimer et connaître, né pour vivre éternellement,
le chrétien, qui monte à la perfection surpassant toute« jus
tice corporelle », le vainqueur des passions terrestres, s'aban
donne à la catharsis dernière qui, en purifiant, l'illumine : à
l'oraison, de plus en plus pure elle-même, et qui élève au
ciel de la « vision mentale ». Par la prière, ce « chorège dans le
chœur des vertus »(Macaire),par elle seulement, l'esprit connaît,
aime et voit, c'est-à-dire devient lui-même, se retrouve et se
réalise pleinement, comme le Dieu participé de l'économie
divine, co-héritier de la gloire du Fils.

(A suivre.)
M. Lot-Borodine.

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