Professional Documents
Culture Documents
Neurosciences
Neurosciences
LE
D E L’ U N E S CO janvier-mars 2022
http://fr.unesco.org/courier/subscribe
2022 • n° 1 • Publié depuis 1948 Production et promotion : Le Courrier de l’UNESCO est publié grâce au
Le Courrier de l’UNESCO est un trimestriel publié par Ian Denison, chef de l’unité soutien de la République populaire de Chine.
l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, des publications
la science et la culture. Il promeut les idéaux de Eric Frogé, assistant principal Renseignements et droits de reproduction :
l’Organisation, en diffusant des échanges d’idées sur des de production courier@unesco.org
thèmes de portée internationale en lien avec son mandat. Production numérique : 7, place de Fontenoy, 75352 Paris 07 SP, France
Directeur : Matthieu Guével Denis Pitzalis, architecte Web/développeur © UNESCO 2022
ISSN 2220-2269 • e-ISSN 2220-2277
Rédactrice en chef : Agnès Bardon Chargée de communication :
Secrétaire de rédaction : Katerina Markelova Laetitia Kaci
Rédactrice : Chen Xiaorong Traduction :
Consultante éditoriale : Jenny Dare Françoise Arnaud-Demir, Jean-Marc Périodique publié en libre accès sous la licence
Delugeau et Jean-Baptiste Godon Attribution-ShareAlike 3.0 IGO (CC-BY-SA 3.0 IGO)
ÉDITIONS (http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/igo/).
Maquette : Jacqueline Gensollen-Bloch Les utilisateurs du contenu de la présente publication
Anglais : Shiraz Sidhva
Arabe : Fathi Ben Haj Yahia Illustration de la couverture : acceptent les termes d’utilisation de l’Archive ouverte
Chinois : Sun Min / China Translation & Publishing House © Falcó de libre accès UNESCO (https://fr.unesco.org/open-access/
terms-use-ccbysa-fr). La présente licence s’applique
Espagnol : Laura Berdejo Impression : UNESCO exclusivement aux textes. L’utilisation d’images devra
Français : Christine Herme, correctrice faire l’objet d’une demande préalable d’autorisation.
Russe : Marina Yartseva Stagiaires : Zhu Manqing,
Li Yihong (Chine) Les désignations employées dans cette publication et
Rédaction numérique :
COÉDITIONS la présentation des données qui y figurent n’impliquent
Mila Ibrahimova et Linda Klaassen de la part de l’UNESCO aucune prise de position quant
Iconographie : Danica Bijeljac Catalan : Jean-Michel Armengol au statut juridique des pays, territoires, villes ou zones,
Coréen : Soon Mi Kim ou de leurs autorités, ni quant au tracé de leurs frontières
Coordination traductions et maquettes : Esperanto : Chen Ji ou limites. Les idées et les opinions exprimées dans cette
Marie-Thérèse Vidiani Portugais : Ivan Sousa Rocha publication sont celles des auteurs ; elles ne reflètent
Assistance administrative et éditoriale : pas nécessairement les points de vue de l’UNESCO
Carolina Rollán Ortega et n’engagent en aucune façon l’Organisation.
Courrier
LE
D E L’ U N E S C O
Sommaire Édito
Dans le domaine des neurosciences, la réalité
dépasse déjà la fiction.
4 GRAND ANGLE
24 ZOOM
Sebastião Salgado : l’Amazonie mise à nu. . . .. .. .. .. .. .. .. .. 24
Or, s’il existe bien des lois destinées à protéger
la vie privée et le droit des consommateurs, cer-
taines menaces spécifiques liées aux neuros-
ciences n’ont pas été prévues par la législation.
Quant aux conventions et traités protégeant
36
les droits humains, ils ne couvrent pas des
IDÉES
domaines spécifiques comme la protection du
La mode éthique : figure de style ou lame de fond ?... .. . 36 libre arbitre ou de l’intimité mentale. À l’excep-
Olivia Pinnock tion de certains pays, comme le Chili ou d’autres,
rares sont ceux qui ont commencé à renforcer
leur arsenal juridique pour protéger les « neuro-
40
droits » des citoyens.
NOTRE INVITÉ Il y a donc urgence à mettre en place des garde-
« La fonte du permafrost menace fous pour combler ces lacunes et garantir une
protection effective des citoyens contre une pos-
directement le climat ».. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. .. .. .. .. .. .. .. 40 sible utilisation de leurs données cérébrales.
Entretien avec Sergueï Zimov
C’est ce que préconise le Comité international
de bioéthique de l’UNESCO dans son dernier
rapport. C’est tout le sens du débat mené par
46 DÉCRYPTAGE
Le cinéma africain : une industrie en plein essor. .. .. .. .. . 46
l’UNESCO au sein du système des Nations Unies
pour élaborer un cadre mondial pour la gouver-
nance des neurotechnologies.
Agnès Bardon
GRAND ANGLE
D
es traces de trépanation cicatrisée attestent que, dès Déchiffrer le code du cerveau
la préhistoire, nos ancêtres savaient notre cerveau
essentiel à notre survie. Dans de nombreux pays, la Les neurotechnologies peuvent être utilisées pour identifier
mort est aujourd’hui déterminée par la cessation irré- les propriétés de l’activité du système nerveux, comprendre le
versible des activités cérébrales. L’activité cérébrale est la base fonctionnement du cerveau, diagnostiquer des maladies, se
de nos états cognitifs et est propre à chaque individu mais ses substituer à un circuit neuronal défaillant ou contrôler l’activité
principes sont communs. Analyser l’activité cérébrale permet cérébrale. Aujourd’hui, il est possible, grâce à des implants, d’in-
ainsi de recueillir des informations inhérentes à tous, par-delà teragir avec le système nerveux pour modifier son activité, par
les différences de sexe, de nationalité, de langue ou de religion. exemple pour restaurer l’audition. Autre avancée : la stimulation
L’activité cérébrale occupe une place centrale dans les notions cérébrale profonde peut permettre de soigner certaines formes
d’identité humaine, de liberté de pensée, d’autonomie, de vie de maladie de Parkinson.
privée et d’épanouissement de l’être humain. En conséquence, Mais les développements les plus spectaculaires concernent
l’enregistrement (« lecture ») et/ou la modulation (« écriture ») les interfaces cerveau-machine (ICM), destinées à enregistrer
de cette activité au moyen des neurotechnologies revêtent une les signaux du cerveau et à les « traduire » en commandes de
dimension éthique, juridique et sociétale. contrôle technique. Ainsi, un homme incapable de parler après
La naissance d’une technologie capable d’enregistrer l’ac- un accident vasculaire cérébral survenu dix ans plus tôt a pu
tivité cérébrale date de 1929, quand le neurologue allemand produire des phrases grâce à un système qui lit les signaux élec-
Hans Berger a montré qu’il était possible d’enregistrer les chan- triques des zones de production de la parole de son cerveau. Ce
gements de potentiel électrique du cerveau humain à l’aide type de dispositif associe des éléments physiques (électrodes) et
d’un appareil d’électroencéphalographie (EEG). Cela a conduit des algorithmes d’intelligence artificielle.
à des avancées importantes telles que le diagnostic précis et L’investissement dans la recherche sur le cerveau s’est intensi-
le traitement de nombreuses formes d’épilepsie. À partir des fié au cours des dernières années. En 2013, les États-Unis ont lancé
années 1950, ces techniques se sont développées et ont permis la Brain Initiative tandis que l’Union européenne développait le
le recueil de l’activité électrique de régions précises du cerveau Human Brain Project. L’Australie, le Canada, la Chine, la Corée
et leur stimulation. et le Japon ont également mis au point de vastes programmes
sur « déchiffrer le code du cerveau ». Il s’agit à la fois de mieux
comprendre la structure du cerveau et les processus mentaux,
© Alfred Anwander & Robin Heidemann / Max Planck Institute, Leipzig, Germany
certaines pathologies et compenser des formes de handicap.
Un marché prometteur
L’enjeu est majeur. Les maladies du système nerveux, neurolo-
giques et mentales, représentent une part importante de nos
dépenses de santé. Les besoins, estimés en 2014 à plus de 800 mil-
liards d’euros chaque année à l’échelle de l’Union européenne, sont
immenses. On estime que le coût mondial annuel de la seule mala-
die d’Alzheimer atteindra 2 000 milliards en 2030. La sclérose en
plaques est la première cause de handicap chez les jeunes et 13 %
de la population est affectée par la migraine. Quant aux accidents
vasculaires cérébraux, ils sont en passe de devenir la première
cause de mortalité. Or, les neurotechnologies sont en mesure d’ap-
porter certaines solutions pour traiter ces pathologies.
Mais un tel marché ouvre des appétits, et pas seulement dans
le champ médical. Récemment, plus d’un milliard de dollars ont L’imagerie par résonance magnétique (IRM) permet d’effectuer
été investis dans l’entreprise Neuralink d’Elon Musk pour déve- des mesures cérébrales non invasives d’une haute précision.
L’exploitation
extramédicale des
données cérébrales
pose un défi pour
les droits humains
un fantasme plus
Brain, sur les ondes cérébrales,
l’interface cerveau-ordinateur
et la stimulation du cerveau.
qu’une réalité
Si les neurosciences ont connu des progrès spectaculaires
au cours des dernières décennies, les possibilités ouvertes
par le développement d’interfaces cerveau-machine ne sont
pas pour autant infinies. Mécanique extrêmement complexe,
le cerveau est encore loin d’avoir livré tous ses secrets.
E
n 2016, le Département d’État Perspective orwellienne riques et pratiques de la stimulation
américain annonçait que le électrique du cerveau », estimait déjà
personnel de l’ambassade des L’essor des neurosciences au cours des en 1969 le neurophysiologiste José M.
États-Unis à La Havane (Cuba) dernières années ravive aujourd’hui la R. Delgado dans son célèbre ouvrage
avait subi une attaque ayant entraîné des crainte d’une manipulation de nos pen- Physical Control of the Mind. Toward a
lésions cérébrales traumatiques de son sées. Il est vrai que certains progrès sont Psychocivilized Society. Ce constat est
personnel. spectaculaires. Des outils comme l’élec- toujours d’actualité.
Des enquêtes furent menées, sans troencéphalogramme (EEG) ou l’imagerie Au cours des dernières décennies, les
apporter aucune preuve de l’existence d’un cérébrale fonctionnelle peuvent en effet scientifiques se sont en effet heurtés à
quelconque type d’arme à énergie dirigée. être utilisés pour révéler les pensées, les l’extrême complexité du cerveau humain.
Ces diverses formes de lésions cérébrales émotions et les intentions d’une per- Aujourd’hui encore, les spécialistes ne
continuent pourtant d’être désignées sonne. Les interfaces cerveau-machine comprennent pas comment les informa-
comme le « syndrome de La Havane ». permettent de contrôler des prothèses tions sont codées et traitées dans les cir-
L’idée que l’on puisse contrôler l’es- à partir d’une lecture du cerveau. Il est cuits neuronaux. Il est donc impossible,
prit humain au moyen d’électrodes désormais possible, grâce à des électro- contrairement à certains fantasmes, de
implantées dans le cerveau ou de rayons des, de transmettre au cerveau des sen- « lire » dans le cerveau et plus impensable
électromagnétiques, soniques ou laser sations, des émotions, voire de redonner encore d’y implanter des données.
infiltrant la boîte crânienne ne date pas aux aveugles une vision rudimentaire.
d’hier. Dans les années 1950 et 1960, les Récemment, on a même réussi à faire Des circuits
progrès de l’électronique ont permis aux jouer deux personnes à des jeux vidéo par très complexes
neuroscientifiques d’insérer des électro- « télépathie », leurs pensées étant inter-
des pour stimuler le cerveau de cobayes ceptées et leurs réponses commandées Certes, les interfaces cerveau-machine
animaux et humains afin de tenter d’éclai- par des ordinateurs capables de détecter, peuvent reconnaître les schémas d’im-
rer la manière dont il dicte les comporte- transmettre et générer l’activité électrique pulsion neuronale accompagnant des
ments. D’éminents neuroscientifiques ont cérébrale. fonctions spécifiques, à l’image des algo-
même préconisé l’utilisation de la stimu- Ces expériences sont bien réelles. rithmes d’Amazon qui peuvent prédire
lation cérébrale pour corriger les com- Pour autant, la manipulation de l’esprit nos goûts en matière de lecture ou de
portements déviants. Pendant la guerre par stimulation électrique est encore lar- cinéma grâce au traitement d’un énorme
froide, des chercheurs en psychologie et gement hors de portée des scientifiques. volume de données. Mais cette analyse
psychopharmacologie ont travaillé sur « Un dictateur sans scrupule pourrait-il des informations neuronales, obtenues
des méthodes visant à priver les individus se poster devant un émetteur radio et par le biais d’électrodes implantées, de
de leur libre arbitre. La peur de cette pra- stimuler le tréfonds du cerveau d’une l’EEG ou de l’IRM fonctionnelle, exigent
tique de « lavage de cerveau » s’est dissi- masse de sujets désespérément asser- du participant d’innombrables répéti-
pée dès qu’on a compris que cette prise vis ? Cette perspective orwellienne ferait tions et une forte coopération pour que
de contrôle du cerveau relevait en réalité une bonne intrigue de roman, mais elle soit identifié le type d’influx nerveux
du fantasme. est heureusement hors des limites théo- associé, par exemple, à l’intention de
Rafael Yuste :
« Il faut agir avant
qu’il ne soit trop tard »
On sait aujourd’hui provoquer des hallucinations chez les souris
en manipulant leur cortex cérébral. Ce qui est possible aujourd’hui
chez la souris le sera demain chez l’homme. Il y a donc urgence, alerte
le neurobiologiste Rafael Yuste, à mettre en place des lois encadrant
l’exploitation de notre activité mentale. Président de la Fondation
NeuroRights et professeur à l’Université de Columbia, aux États-Unis,
il milite en faveur d’une protection de nos « neurodroits ».
© Boris Séméniako
| 11
Rafael Yuste : « Il faut agir avant qu’il ne soit trop tard »
GRAND ANGLE
dans le monde entier, pour le bénéfice de rodroits – et nous travaillons avec les pays Pensez-vous que les
nombreux patients, mais de nombreuses et les Nations Unies pour examiner cette neurotechnologies et l’IA peuvent
sociétés technologiques et de neuro- question. Dans Notre Programme commun améliorer nos sociétés ?
technologies exploitent aujourd’hui ces sont abordés les défis à relever au regard
méthodes afin de capter l’activité du cer- de la Déclaration universelle des droits de Oui, absolument. Je suis résolument opti-
veau et la lier directement à un ordinateur. l’homme, et le Secrétaire général, António miste. Je pense que les neurotechnologies
L’iPhone du futur, au lieu de se trouver dans Guterres, mentionne spécifiquement vont conduire à une nouvelle renaissance
votre poche, se portera sur votre tête, ou les neurotechnologies comme l’une des historique. Nous devons aller de l’avant
sera peut-être une puce implantée dans questions majeures des six prochaines pour ces patients qui attendent beaucoup
votre cerveau. Les données collectées par années. Nous coopérons également avec de nous. Nous devons le faire avec intelli-
ces interfaces cerveau-machine appartien- certains pays. Le Chili en est peut-être le gence, avec quelques garde-fous. Les tech-
dront alors à l’entreprise parce qu’il n’existe meilleur exemple car le Sénat a soutenu nologies sont toujours neutres, mais elles
aucune régulation. un amendement constitutionnel qui fait peuvent être utilisées à bon ou à mauvais
de l’intégrité cérébrale un droit humain escient. Il nous incombe de veiller à ce que
Comment pouvons-nous faire en fondamental. Ainsi, dès que le président de les technologies soient au service de l’hu-
sorte que soient mis en place les cadres la République aura ratifié cet amendement, manité et ne nuisent pas à notre progrès.
juridiques pour protéger les neurodroits la Constitution chilienne protégera les cer-
et la vie privée mentale, à l’image des veaux des citoyens contre les intrusions Quel message essentiel devrions-
lois de protection des droits humains ? non autorisées par la loi. Cela pourrait ser- nous retenir ?
vir de modèle à d’autres pays pour définir
L’objectif de la Fondation NeuroRights est des principes éthiques applicables aux Ce n’est pas de la science-fiction. Il faut
de promouvoir l’établissement des neu- neurotechnologies. agir avant qu’il ne soit trop tard.
Le Chili, pionnier
dans la protection
des « neurodroits »
Le pays pourrait devenir le premier à légiférer sur les neurotechnologies
et à inscrire les « droits du cerveau » dans sa Constitution.
E
n 2021, le Sénat chilien a adopté
© Illustration : S.R. Garcia pour Le Courrier de l’UNESCO
| 13
Le Chili, pionnier dans la protection des « neurodroits »
GRAND ANGLE
désespérément
à comprendre le processus
de dégénérescence dans
la maladie d’Alzheimer.
L
a révolution des neurosciences
© Rapport de l’UNESCO sur la science : une course contre la montre pour un développement plus intelligent
qui a lieu aujourd’hui s’opère à Parts des publications scientifiques exprimées
l’écart des laboratoires africains. en pourcentage dans le monde, 2015 et 2019
C’est d’autant plus regrettable que
l’Afrique est bien placée pour participer 1,8
3,6 0,2
à la recherche neurologique mondiale : 3,7 3,1 Asie de l’Est
elle présente la plus grande diversité
19
et du Sud-Est
7,3
20
Détection du virus Lassa dans des échantillons de sang à l’aide de CRISPR, un outil de
modification du génome, au Nigéria. Des outils comme celui-ci pourraient enrichir la recherche
neurologique en Afrique.
L’Égypte et
l’Afrique du Sud dans les neurosciences en Afrique passent elegans pourrait renforcer encore le pay-
donc aussi par une modernisation des sage africain des neurosciences.
enregistrent le outils de recherche.
plus grand nombre Autre spécificité : l’étude des plantes Financement et coopération
médicinales endémiques tient une place
de publications importante dans les publications neuro En 2006, l’Union africaine a recommandé
scientifiques africaines. Nombre de ces à ses États membres d’investir 1 % de
en neurosciences plantes sont utilisées depuis des siècles leur PIB dans la recherche, un seuil qu’au-
sur le continent pour traiter les maladies, mais elles ont cun pays africain n’a atteint jusqu’ici. À
récemment fait l’objet de critiques en raison l’exception de l’Afrique australe, tous les
des fausses promesses de certains prati- pays du continent dépendent largement
ciens, quand elles ne se révèlent pas carré- de financements provenant de sources
Les efforts pour stimuler les neuro ment nocives. Les chercheurs africains, en internationales, principalement d’Europe
sciences africaines doivent donc encou- particulier ceux d’Afrique de l’Ouest, inves- et d’Amérique du Nord. De fait, l’Égypte et
rager les collaborations intra-africaines et tissent massivement dans cette branche l’Afrique du Sud, qui enregistrent le plus
le partage des ressources. Dans le même des neurosciences pour explorer un poten- grand nombre de publications en neuros-
temps, les collaborations avec les pays du tiel thérapeutique généralement ignoré par ciences sur le continent, sont aussi les deux
Nord doivent garantir une forme d’équité, les pays du Nord, représentés dans notre seuls pays à investir à un niveau proche de
afin que les partenaires africains ne soient étude par l’Australie, le Royaume-Uni, les la recommandation de l’Union africaine.
pas relégués au second plan et puissent États-Unis et le Japon. L’Afrique a donc des atouts pour
mener des projets. Par ailleurs, notre analyse révèle l’ab- prendre le tournant des neurosciences.
sence quasi totale de modèles d’orga- Notre étude souligne l’essor du nombre
Technologies de pointe nismes génétiquement modifiés dans de scientifiques, des contributions scien-
et plantes médicinales les neurosciences africaines. Grâce à la tifiques et de l’impact des neurosciences
proximité du patrimoine génétique entre en Afrique. Le continent compte de nom-
Les technologies de pointe jouent un rôle les animaux et l’homme, ces modèles breux philanthropes et des organisations
clé dans le domaine des neurosciences. permettent pourtant de modéliser facile- caritatives qui peuvent contribuer à
Il n’est donc pas surprenant que les pays ment les maladies humaines. La diversité financer la recherche scientifique. Il peut
qui, jusqu’à présent, sont à l’origine de des modèles animaux dans l’écosystème s’appuyer sur la recherche sur les plantes
grandes réalisations scientifiques soient africain est par conséquent un atout pour médicinales et, surtout, sa diversité géné-
ceux qui ont accès à ces technologies. les neurosciences africaines, car ceux-ci tique. Encore faut-il que les bailleurs de
Or, moins de 30 % des publications peuvent offrir de nouvelles perspectives fonds locaux augmentent leurs investis-
africaines en neurosciences, à l’exception aux neurosciences animales et humaines. sements en complément des finance-
de la Gambie, utilisaient des équipements La promotion de systèmes modèles peu ments internationaux, pour dynamiser les
tels que la microscopie à fluorescence et coûteux et génétiquement malléables infrastructures de recherche scientifique
électronique, la biologie moléculaire et comme ceux de la mouche à fruits, du et accélérer l’innovation.
la culture cellulaire. Les investissements poisson-zèbre ou du ver Caenorhabditis
A
u début des années 1990, des Les médecins ont rapidement localisé Wilcoxson, psychologue judiciaire à l’Uni-
médecins du centre hospitalier l’origine des troubles : une tumeur exerçait versité du Queensland central, en Australie.
universitaire de Strasbourg, une pression sur l’amygdale du cerveau, Aucun signe distinctif n’apparaît dans
en France, ont rapporté le cas qui régule les émotions telles que la peur. le corps ou le cerveau quand une per-
étrange d’un homme de 51 ans victime Les chercheurs pensent que c’est la peur sonne ment, explique Rebecca Wilcoxson.
de crises d’épilepsie. Environ un tiers des qu’il a ressentie en mentant, plutôt que le Au cours des deux dernières décennies,
crises de cet homme, semble-t-il, se pro- mensonge lui-même, qui a déclenché les les neuroscientifiques ont pourtant cher-
duisaient lorsqu’il mentait pour des rai- crises. On peut supposer que des émotions ché à savoir si l’observation de l’activité
sons professionnelles. similaires déclenchaient le même flux élec- cérébrale pouvait permettre de détermi-
trique dans son cerveau, explique Rebecca ner si une personne disait la vérité.
© Illustration : François le Loup pour Le Courrier de l’UNESCO
| 17
Criminalité : la preuve par l’imagerie cérébrale ?
GRAND ANGLE
Des techniques contestées qui se produit environ 300 millisecondes la détection des mensonges fondée sur
après qu’une personne a ressenti un sti- l’observation du cerveau a été admise
Ils se sont essentiellement concentrés sur mulus – par exemple à l’aide d’un mot ou comme preuve dans quelques affaires cri-
deux technologies. La première, appelée d’une image sur un écran. Le signal P300 minelles il y a une dizaine d’années. Mais
imagerie par résonance magnétique fonc- n’est pas une détection du mensonge en elle a été contestée en appel et jugée non
tionnelle (IRMf), permet de mesurer le flux soi, mais correspond à la reconnaissance conforme à la norme Daubert, qui déter-
sanguin dans le cerveau pour évaluer les du stimulus par le sujet de l’expérience, mine la recevabilité des preuves scienti-
schémas d’activité cérébrale. L’hypothèse explique Robin Palmer, expert en méde- fiques devant les tribunaux.
est que le fait de mentir demande une cine légale à l’Université de Canterbury, Ces techniques sont toujours consi-
charge cognitive plus importante et que en Nouvelle-Zélande. Ainsi, des enquê- dérées comme irrecevables dans la plu-
cette différence serait détectable par teurs pourraient demander à une per- part des pays du monde. Les forces de
l’imagerie cérébrale. Les chercheurs affir- sonne si elle reconnaît les éléments d’une l’ordre indiennes et japonaises ont uti-
ment qu’ils peuvent déterminer si une scène de crime ou l’arme du crime. lisé une technologie de détection des
personne dit vrai en la plaçant dans un Selon certaines études, lorsqu’elles mensonges basée sur l’électroencépha-
scanner IRMf, en lui posant des questions sont utilisées correctement, ces tech- logramme (EEG), puis ont cessé d’y avoir
spécifiques puis en analysant ces images niques peuvent être très précises, bien recours, indique James Giordano, neuro
du scanner. plus que ne peut l’être un test polygra- scientifique et déontologue au centre
La seconde modalité, l’électroen- phique (le fameux « détecteur de médical de l’Université de Georgetown, à
céphalographie (EEG), recherche un pic mensonges »). Mais elles soulèvent de Washington DC.
d’activité électrique dénommé P300, nombreuses questions. Aux États-Unis,
© Illustration : François le Loup pour Le Courrier de l’UNESCO
| 19
Criminalité : la preuve par l’imagerie cérébrale ?
GRAND ANGLE Florian Bayer
Journaliste indépendant
basé à Vienne (Autriche)
Les neurosciences
à l’école : entre mirage
et miracle
Dans les années 2000, certains ont vu en elles un outil capable de
révolutionner l’école. Vingt ans après, si les neurosciences éducatives n’ont
pas tenu toutes leurs promesses, elles restent un outil pertinent pour
apporter une validation scientifique à certaines pratiques pédagogiques.
T
out enfant est a priori avide
En Chine, l’espoir
renaît pour les
« enfants des étoiles »
Les progrès des neurosciences, associés aux pouvoirs
neurochimiques de l’acupuncture, offrent de nouvelles
pistes thérapeutiques pour les enfants autistes.
C
tisme, afin d’attirer davantage l’attention du public sur l’autisme.
e que nous connaissons aujourd’hui sous le nom Il est vrai qu’un nombre croissant d’enfants à travers le monde
d’autisme faisait déjà l’objet d’écrits en Chine dès le se voient diagnostiquer un trouble du spectre autistique (TSA),
VIIe siècle. Sous la dynastie Sui (581-618 de notre ère), cette pathologie du développement à apparition précoce à l’ori-
Chao Yuanfang, un médecin impérial, dans son ouvrage gine de problèmes persistants de communication et d’interaction
Zhubing Yuanhou Lun (De l’étiologie des maladies), a décrit le phé- sociale et de comportements répétitifs stéréotypés. Selon l’Orga-
notype dit hun se (tête embrouillée), yu chi (retard de langage), en nisation mondiale de la santé, elle toucherait près d’un enfant
disant qu’il « se manifestait cliniquement par l’absence de parole sur 160.
et le retard neuro-développemental de l’enfant ». Comme dans la plupart des pays du monde, les familles
chinoises sont touchées par l’autisme. Elles se retrouvent bien
souvent dans une situation difficile sur le plan financier et émo-
© Tian Tian
Prise de conscience
Depuis 1982, date à laquelle le concept fait son apparition pour
la première fois dans la littérature médicale sous la plume de Tao
Guotai, psychiatre à l’Hôpital du cerveau de Nanjing, la sensibili-
sation à cette pathologie s’est considérablement accrue en Chine.
Le diagnostic a lui aussi évolué. Le soutien gouvernemental
a permis aux familles concernées d’être mieux prises en charge.
Parallèlement, la recherche a fait d’importants progrès. Des
experts dans les domaines de la pédopsychiatrie, de la rééduca-
tion, de la génétique, de la psychologie cognitive et des neuro
Pêcher en fleurs, peint par le jeune autiste chinois Tian Tian (18 ans).
| 23
En Chine, l’espoir renaît pour les « enfants des étoiles »
ZOOM
Sebastião Salgado :
l’Amazonie mise à nu
D
Photos : Sebastião Salgado es ciels bourrelés de nuages d’encre, des
habitants de la forêt saisis dans l’intimité
Texte : Katerina Markelova,
de leur quotidien, des montagnes émer-
UNESCO
geant de la végétation : l’Amazonie que
nous donne à voir Sebastião Salgado n’est pas celle
des clichés, toute en luxuriance et en couleurs vives,
déclinaisons de verts éclatants, de terres pourpres et
de fleuves irriguant la forêt. Les images de Salgado
décrivent au contraire un monde en clair-obscur,
grandiose, complexe. Fragile aussi.
Pages 24-25 : Situé dans l’État
Car l’Amazonie, qui abrite 370 000 Indiens et sert
du Mato Grosso, le Territoire
indigène du Xingu est habité de puits de carbone en absorbant près de 10 % du CO2
par 6 000 individus issus mondial, est menacée. Selon l’estimation publiée en
de seize communautés différentes, novembre 2021 par l’Institut national de recherche
Brésil, 2005.
spatiale (INPE) du Brésil, la déforestation, en grande
partie illégale, a augmenté de près de 22 % en un an
Ci-dessus : Chaîne de montagnes
du Marauiá, municipalité avec plus de 13 000 nouveaux kilomètres carrés de
de São Gabriel da Cachoeira. forêt abattus.
Territoire indigène yanomami, Avec son livre Amazônia, paru en 2021, le photo-
État d’Amazonas, Brésil, 2018.
graphe franco-brésilien rend hommage à la beauté de
Écosystème parmi les plus
diversifiés de la planète, l’Amazonie la forêt amazonienne qu’il est encore temps de sau-
abrite 16 000 essences d’arbres. ver. « Je souhaite, de tout mon cœur, de toute mon
| 27
Sebastião Salgado : l’Amazonie mise à nu
ZOOM
| 35
Sebastião Salgado : l’Amazonie mise à nu
IDÉES
La mode éthique :
© Katie Aird
Collection de la photographe Katie Aird, réalisée en collaboration avec la styliste Mabel Tallulah, qui travaille avec des tissus recyclés.
À travers cette série, les deux artistes britanniques attirent l’attention sur la pollution générée par la mode à bas prix.
Olivia Pinnock
Journaliste de mode
basée à Londres
figure de style
ou lame de fond ?
Portée par la sensibilisation d’un nombre croissant de
consommateurs, l’industrie de la mode tente, avec plus ou
moins de sincérité, de se montrer plus vertueuse et plus durable.
Mais malgré les initiatives visant à améliorer le recyclage,
promouvoir les échanges ou développer la location, les progrès
de ce secteur très polluant restent modestes.
T
outes les boutiques de vête- de 2,1 % et la part des vêtements dans les pas notre rapport au vêtement, loin de
ments proposent aujourd’hui déchets ménagers de seulement 4 %. là. Notre désir d’appartenance se mani-
des articles arborant les men- Pourtant, les consommateurs sont feste en effet par un habillement similaire
tions « bio », « végan » ou « recy- de plus en plus sensibles à l’argument à celui de nos pairs ; notre estime de soi
clé ». Mais derrière la volonté affichée de éthique, surtout depuis la survenue de et notre confiance sont intrinsèquement
rendre la mode plus écoresponsable, les la pandémie liée au Covid-19. Le temps liées à des vêtements qui nous font nous
actions restent d’une portée limitée. passé à réfléchir à la nature interconnec- sentir bien. Nous pouvons même tenter
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. tée du monde, à nos valeurs et à la d’obtenir le respect des autres grâce aux
Selon un rapport publié en août 2020 par manière dont nous pouvons construire un marques que nous portons. Le fait de
Global Fashion Agenda, une organisation avenir meilleur, n’a fait que renforcer cette s’habiller peut également être une forme
du secteur spécialisée dans le dévelop- tendance. D’après une enquête mondiale d’expression personnelle et de créativité.
pement durable, et par le cabinet de menée auprès des lecteurs du magazine Or, ce sont ces besoins que l’industrie de
conseil McKinsey, si le secteur poursuit Vogue, le nombre de personnes déclarant la mode a manipulés pour vendre tou-
ses efforts de décarbonation, les émis- prendre en compte l’impact environne- jours plus et faire exploser la production
sions seront plafonnées à 2,1 milliards de mental dans l’achat d’un article de mode au cours des dernières décennies.
tonnes par an d’ici 2030, soit un niveau est passé de 65 % en octobre 2020 à 69 %
identique à celui de 2018, ce qui repré- en mai 2021.
senterait 4 % des émissions totales dans Si les marques de mode prennent
le monde. des mesures pour assainir leur activité et
Certains pays commencent à prendre qu’une majorité des acheteurs sont prêts
des initiatives pour réduire l’impact envi- à les soutenir, on peut se demander pour- La production de
ronnemental de cette industrie, avec un quoi la mode ne parvient pas à se défaire
succès relatif. Ainsi, au Royaume-Uni, le de sa réputation d’industrie parmi les plus vêtements a doublé
plus grand consommateur de mode en polluantes au monde. La réponse est que entre 2000 et 2014
Europe, un plan d’action pour des vête- la façon dont nous fabriquons, consom-
ments durables (Sustainable Clothing mons et mettons au rebut les articles de
Action Plan) a été lancé en 2012. Il a ras- mode est fondamentalement aberrante.
semblé 90 marques britanniques qui Les changements du paysage géo-
représentent près de 50 % des ventes Désir d’appartenance politique et de la technologie ont éga-
de vêtements dans le pays. Ces marques et estime de soi lement soutenu cette croissance. Dans
s’étaient fixé pour objectif de réduire les années 1980 et 1990, les marques de
de 3,5 % leur empreinte en matière de Se vêtir répond à un besoin humain mode occidentales ont progressivement
déchets et de 15 % la part de vêtements essentiel : il n’est donc pas étonnant que commencé à délocaliser leur production
dans les déchets ménagers d’ici 2020. Or, la consommation ait augmenté au même vers l’Asie, où le coût de la main-d’œuvre
selon un rapport final, elles n’ont réduit rythme que la croissance démogra- était moins élevé. Avec des vêtements
l’empreinte en matière de déchets que phique. Mais cette nécessité ne résume meilleur marché, les consommateurs ont
| 37
La mode éthique : figure de style ou lame de fond ?
IDÉES
| 39
La mode éthique : figure de style ou lame de fond ?
NOTRE INVITÉ
Sergueï Zimov :
« La fonte du permafrost
menace directement
le climat »
© Sergueï Zimov
Pourquoi le permafrost supérieure à ce qu’elle était il y a plusieurs Quels sont les dangers associés
a-t-il commencé à fondre ? décennies. Avec le réchauffement cli- à la fonte du permafrost ?
matique, une quantité plus importante
Les rejets de gaz à effet de serre dans d’eau s’évapore de l’océan et les nuages Le permafrost occupe onze millions de
l’atmosphère réchauffent la planète. À ce produisent plus de neige qu’auparavant. kilomètres carrés du territoire russe. Ce
jour, sa température a gagné plus de Résultat, la température du sol s’est élevée sont des sols riches qui regorgent de
1 °C. Dans l’hémisphère Nord, en Russie de 5 à 7 °C en Russie. matière organique et de bactéries dor-
par exemple, le réchauffement constaté Avant, la température du permafrost mantes. Quand les sols dégèlent, les
dépasse même 3 °C. Cela est dû au fait oscillait entre − 6 et − 8 °C au nord de la anciens micro-organismes se réveillent
que la terre se réchauffe plus vite que Sibérie et entre − 2 et − 3 °C au sud. La et attaquent ce qu’ils n’avaient pas eu le
l’océan. Et la superficie des terres est plus fonte du permafrost concerne désormais temps de consommer, libérant à cette
grande dans l’hémisphère Nord. près de la moitié de la Sibérie : le sud de la occasion du dioxyde de carbone quand
Mais la température du perma région, mais également la basse Kolyma, les sols sont secs, du méthane quand ils
frost n’est pas dictée uniquement par la une zone de permafrost continu au bord sont saturés d’eau.
température de l’air, elle dépend aussi de de l’océan Arctique. À côté de chez moi, Il y a deux fois plus de matière orga-
l’épaisseur du manteau neigeux. Quand le permafrost a, par endroits, dégelé sur nique dans notre permafrost que dans
la neige est abondante, le sol et le per- plus de quatre mètres. Dans les grandes l’ensemble de la flore de la planète. La
mafrost se refroidissent peu en hiver. Or, la plaines côtières de la Kolyma, ce phéno- majeure partie, qui équivaut à un millier de
couverture neigeuse est une fois et demie mène a débuté il y a trois ans. gigatonnes, est concentrée dans les trois
premiers mètres. Or trois mètres dégèlent
très vite, il suffit de trois à cinq ans. C’est
Le géophysicien et écologue russe Sergueï Zimov a fondé la raison pour laquelle la fonte du per-
la station scientifique du Nord-Est, de Tcherski, en Sibérie mafrost menace directement le climat
septentrionale. Elle sert aujourd’hui de laboratoire à ciel mondial. Elle produit des gaz à effet de
ouvert. Il est aussi l’un des directeurs de recherche de l’Institut serre, et le réchauffement climatique qui
de géographie du Pacifique du département Extrême-Orient en résulte accélère à son tour le dégel du
de l’Académie des sciences de Russie. À l’origine des premières permafrost. Il est très difficile d’interrompre
expériences d’introduction d’animaux dans le bassin du ce processus.
fleuve Kolyma en 1988, il a créé en 1996 le parc du Pléistocène, Dans ces conditions, les objectifs de
dont la mission est de reconstituer un écosystème comparable l’Accord de Paris adopté en 2015, qui
à celui de la steppe à mammouths qui dominait en Eurasie consistent à passer à une économie à
à la fin du Pléistocène (entre 2,58 millions d’années et 11 700 ans faible émission de carbone à l’échelle de la
avant le présent). planète, perdent tout leur sens : la réduc-
tion des émissions de gaz à effet de serre
qui pourrait être obtenue grâce à l’Accord
© Chris Linden
sente qu’une petite partie des émissions
du permafrost.
© Sergueï Zimov
Dans l’écosystème des prairies, tout
ce qui a poussé pendant l’été doit être
consommé durant l’hiver. Or la seule
manière d’accéder à l’herbe pendant la
saison froide est de creuser la neige. Nos
animaux fouillent la neige tout l’hiver.
Cela contribue fortement au refroidisse-
ment des sols.
Les expériences menées au parc du Pléistocène montrent qu’il est possible de reconstruire partout en Sibérie un écosystème comparable à celui
de la steppe à mammouths qui dominait en Eurasie à la fin du Pléistocène.
avons réussi malgré tout. Si une famille de l’automne est souvent froid, les rivières et pas que le permafrost qui menace le cli-
scientifiques a pu le faire, les grands États les lacs gèlent avant les premières neiges. mat, toutes les terres du Nord, riches en
pourraient aisément s’acquitter de cette À cette période, les bêtes risquent de matières organiques, le font également.
tâche dans le cadre d’une coopération mourir de soif. Les mammouths pouvaient La vitesse de décomposition de la matière
internationale. briser n’importe quelle glace, boire et per- organique du sol dépend principalement
mettre aux autres animaux de s’abreuver. de sa température. Le seul moyen de
À l’Université américaine de Harvard, Dans notre cas, on pourrait imaginer un contraindre le sol à retenir le carbone est
une équipe de scientifiques menée par éléphant d’Asie dont les poils auraient de le refroidir.
le généticien George Church s’intéresse été allongés et les réserves de graisse Il faudrait dès aujourd’hui créer des
à la reproduction du mammouth. Quels augmentées. C’est ce à quoi travaillent parcs dans de nombreuses régions de
liens entretiennent-ils avec le parc du les scientifiques de Harvard. J’envisage Sibérie : agrandir le nôtre, en ouvrir un
Pléistocène ? pour ma part d’expérimenter cette année dans le bassin du fleuve Indiguirka, en
l’adaptation des éléphants d’Asie à notre Yakoutie centrale, au sud de la péninsule
Les écosystèmes des prairies ont tous eu climat. de Taïmyr, dans le nord de l’Oural, et, dans
des éléphants : éléphant d’Afrique, élé- ces parcs, introduire des animaux. Il faudra
phant d’Asie, mastodonte, mammouth Quelles régions de la planète ensuite agrandir ces parcs et introduire les
des steppes ou mammouth en général. devraient être occupées par des animaux habitués au climat et les uns aux
Je crois que la principale fonction de l’élé- écosystèmes de steppes à mammouths autres dans de nouveaux territoires.
phant dans la steppe à mammouths était pour enrayer la fonte du permafrost ? Les incendies de forêt en Sibérie et la
de fournir des points d’eau. Les ruisseaux fonte du permafrost détruisent les éco-
et les rivières se tarissent souvent en été Toute l’étendue du permafrost. Grâce systèmes. Il y a, chaque année, de plus en
et les bêtes doivent chercher de l’eau à aux animaux, on pourrait refroidir le plus d’endroits où l’herbe peut pousser.
plusieurs dizaines de kilomètres. Or les permafrost de 4 °C. Cela donnerait une Ce sont autant de prairies prêtes à l’em-
éléphants et les mammouths peuvent chance à l’humanité de s’adapter au ploi. Si l’on créait des foyers sauvages
creuser des trous pour collecter de l’eau réchauffement climatique. Ces écosys- dans ces zones, la nature continuerait de
dans les fossés. Quand ils ont bu, les tèmes doivent être reconstitués non seu- se développer seule. Les animaux pour-
autres animaux en profitent à leur tour. lement là où il y a du permafrost, mais raient alors, sans intervention humaine,
En hiver, les animaux mangent la neige plus généralement partout en Russie contribuer à réguler le changement cli-
et n’ont pas besoin d’eau. Mais, en Sibérie, où le territoire n’est pas exploité. Il n’y a matique.
Le cinéma africain :
une industrie en plein essor
L
a généralisation des nouvelles distribution a vu le jour, générant son Des défis persistent également dans
technologies, le coût abordable propre modèle économique. Mais c’est des domaines comme l’égalité des sexes
des équipements numériques et la révolution numérique, entamée il y a et la liberté d’expression. Selon l’étude de
la montée en puissance des plate- une vingtaine d’années et accélérée par l’UNESCO, 87 % évoquent des contraintes
formes en ligne permettent aujourd’hui à la pandémie de Covid-19, qui a vraiment explicites ou une autocensure sur ce qui
une nouvelle génération de cinéastes afri- changé la donne. peut être montré ou abordé à l’écran.
cains d’émerger. Paru le 5 octobre 2021, le Pourtant, le potentiel économique
rapport de l’UNESCO intitulé L’industrie du des secteurs du cinéma et de l’audio-
film en Afrique : tendances, défis et oppor- visuel reste largement inexploité sur
tunités de croissance, reflète la vitalité du la quasi-totalité du continent. Cette
cinéma africain grâce aux technologies industrie reste en effet structurelle-
numériques. ment sous-financée, sous-développée
Avec ses quelque 2 500 films par an, et sous-évaluée. Selon la Fédération
« Nollywood » – surnom donné à l’indus- panafricaine des cinéastes (FEPACI), elle
trie cinématographique nigériane – est ne génère que 5 milliards de dollars de Source : L’industrie du film en Afrique :
emblématique de cette croissance. Une recettes annuelles, sur un chiffre d’af- tendances, défis et opportunités de croissance,
industrie locale de production et de faires potentiel estimé à 20 milliards. UNESCO, 2021
L’INDUSTRIE DU CINÉMA
ET DE L’AUDIOVISUEL
contribue au PIB de l’Afrique à hauteur
de 5 MILLIARDS DE DOLLARS
et emploie environ
5 MILLIONS DE PERSONNES.
Selon les estimations, les industries
culturelles et créatives (ICC)
génèrent au niveau mondial environ En Afrique, cette industrie pourrait
2 250 milliards de dollars créer PLUS DE 20 MILLIONS
(soit 3 % du PIB mondial) et emploient D’EMPLOIS et générer
30 millions de personnes 20 MILLIARDS DE DOLLARS
dans le monde. DE REVENUS PAR AN.
209,1 Afrique
Burundi, Cameroun, Congo, Gabon, Guinée équatoriale,
République centrafricaine, République démocratique du Congo,
24
MILLIONS centrale Sao Tomé-et-Principe, Tchad
écrans
228,1 Afrique Afrique du Sud, Angola, Botswana, Eswatini, Lesotho, Malawi, 803
MILLIONS australe Mozambique, Namibie, Zambie, Zimbabwe écrans
501,7 Afrique
Bénin, Burkina Faso, Cap-Vert, Côte d’Ivoire, Gambie,
Ghana, Guinée, Guinée-Bissau, Libéria, Mali, Niger, Nigéria,
292
MILLIONS de l’Ouest Sénégal, Sierra Leone, Togo
écrans
16,7 % 30 % 50 % 50 % 98 %
INDIQUENT INDIQUENT INDIQUENT INDIQUENT INDIQUENT
0-10 % 0-10 % 0-10 % 0-10 % 0-10 %
2020 28,2 %
2025
46,4 %
110
96,7 % ,7 % 31 %
93,2 % 24,3 %
71,4 % 23 ,8 %
66 , 4 % 19, 1 %
60 % 50 % 47 % 14 % 0%
Note : Un questionnaire quantitatif détaillé en ligne a été diffusé auprès des gouvernements et des parties prenantes
de 54 États africains. Des réponses ont été reçues pour 43 pays, dont 36 réponses officielles de gouvernements.
En l’absence de données officielles, les parties prenantes ont été encouragées à fournir leurs meilleures estimations.
Dernières parutions
publishing.promotion@unesco.org
Plusieurs voix, un seul monde
Le Courrier de l’UNESCO est publié dans les six langues officielles
de l’Organisation, ainsi qu’en catalan, coréen, espéranto et portugais.
联合国教科
文组织
信 使 202 1年第 1期
Correio
O
DA U N E S CO outubro-dezembro 2020
Correo El
DE LA UNES
CO julio-septiembre
de 2020
mundo di
Un
海洋:
f
er
¿
!
e nt
扭转局面, P
? e
正当其时 O
• 加纳:收复被
夺走的土地
海洋
ST
• 被传统拯救的
塔希提潟湖
• 拉丁美洲
向塑料宣战 50 ANOS de LUTA
• 绿海龟重归 contra o tráfico ilícito Las mujeres
塞舌尔群岛
de bens culturais tienen la palab
• Las mujeres,
ra
heroínas igno
radas de esta
• Grécia, o percurso de uma estela roubada: Christos Tsirogiannis • Por un nuev crisis, entrevista
o pacto socia a Phumzile Mlam
l en América bo-Ngcuka
• Redes sociais, o novo El Dorado dos traficantes: Tom Mashberg • La crisis sanita Latina por Karin
ria, un terreno a Batthyány
• Nos Países Baixos, os museus confrontam por Diomma abonado para
Dramé la desinform
o passado colonial: Catherine Hickley ación,
联合国教育、
• Los museos,
• Argentina, na vanguarda das restituições: Irene Hartmann protagonistas
中国出版传媒股份有限
公司
科学及文化组织 de la resistencia
中译出版
社有限公
司 • Una ocasión por Sally Tallan
• China, um museu digital reúne para reinventar t
driz
la escuela por
Ma bronzes de todo o mundo: Tang Jigen Poornima Luthr Organización
de las Naciones
Juan a Unidas
para la Educación
la Ciencia y la ,
Cultura
Courier Курьер
T H E U N E S CO
2021 года
октябрь-декабрь
July-September 2021
Разные лица
• Нигерия: к мечте,
ических
• Перу: страна климат
мигрантов
МИГ РАЦИИ
ция:
• Китайская эмигра я
вековая истори
Reviving
LIFE
:زمن اجلائحة
ّ هل
سن العشرين أجمل األعمار؟
أفكار الشباب ومحنة األزمة الصحية:الهند
الشباب اإلفريقي في شباك المؤثّرين • Mountain gorillas make
a comeback in Africa
الفكر التّآمري الحيوات المتعدّ دة،في الصين • Islands: Fragile showcas
es of biodiversity
OUR GUEST
ИДЕИ НАШ ГОСТЬ
http://fr.unesco.org/courier/subscribe
https://en.unesco.org/courier • https://fr.unesco.org/courier
https://es.unesco.org/courier • https://ru.unesco.org/courier • https://ar.unesco.org/courier • https://zh.unesco.org/courier
Vient de paraître
Anthologie du Courrier de l´UNESCO
https://en.dl-servi.com/product/transforming-ideas:-complete-set-2-volumes