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Section 2 - La régionalisation des reconnaissances

Section 2

La régionalisation des reconnaissances


111. La démarche d’internationalisation et de mondialisation des droits de l’homme et des libertés fondamentales n’est pas
seulement un processus des Nations unies, elle se retrouve dans de nombreuses parties du monde. On évoque le terme de
régionalisation des droits de l’homme pour qualifier un phénomène qui concerne soit un continent, soit une zone du monde.
Nous prenons ici trois exemples, l’Amérique, l’Afrique et le monde arabo- musulman.

§ 1. La Convention américaine relative aux droits de l’homme


112. L’ensemble des États américains dispose d’une organisation spécifique depuis la Charte dite de Bogota du
30 avril 1948 amendée par le protocole de Buenos Aires en 1967, avec l’Organisation des États Américains (OEA). Cette
organisation représente une solidarité de bon voisinage entre l’ensemble des États du continent américain. Elle se préoccupe
aussi de la question des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour l’ensemble de ce continent.

De manière comparable à la démarche des Nations unies, l’OEA a adopté en 1948 une Déclaration américaine des droits et
des devoirs de l’homme dont la valeur juridique va progressivement s’imposer au travers du travail de la Commission
interaméricaine des droits de l’homme sur les pétitions, les dénonciations ou les violations des droits reconnus. Cette
importante déclaration est justifiée de la manière suivante dans son préambule : « Que les peuples américains ont élevé à
l’état de dignité la personne humaine et qu’il est reconnu dans leurs constitutions nationales que les institutions juridiques et
politiques qui régissent la vie en société, ont comme but principal la protection des droits essentiels de l’homme et la création
de conditions permettant son progrès spirituel et matériel et la réalisation de son bonheur... Que la consécration américaine
des droits essentiels de l’homme, alliés aux garanties offertes par le régime intérieur des États, constitue le système initial de
protection considéré par les États américains comme approprié aux conditions juridiques et sociales actuelles, compte tenu de
la nécessité de la renforcer toujours davantage dans le domaine international, à mesure que les circonstances seront plus
propices... ». Elle définit un ensemble de droits et de devoirs pour les Américains en général.

Par la suite, les États membres de l’OEA adoptent, le 22 novembre 1969, une Convention américaine relative aux droits de
l’homme. Cette Convention est entrée en vigueur à compter de 1978. Elle est ratifiée par 25 États membres de l’OEA au 26
décembre 2022. Elle n’est pas ratifiée par les États-Unis en vertu de l’idée que seules des institutions ou des juridictions de ce
pays peuvent s’occuper d’affaires les concernant. Elle ne l’est pas non plus par le Canada.

Cette Convention est très inspirée de la démarche européenne (Convention EDH). Les droits fondamentaux ne découlent pas
d’une appartenance à un État, mais constituent les attributs des personnes vivant sur le continent américain. Il existe
évidemment un lien très étroit entre le régime de liberté reconnue et la nature démocratique des régimes politiques. Les droits
proclamés dans cette convention comprennent aussi bien les droits civils et politiques que les droits économiques et sociaux.

Le préambule de la Convention est très éclairant sur cette démarche de reconnaissance des droits de l’homme : «
Reconnaissant que les droits fondamentaux de l’homme ne découlent pas de son appartenance à un État donné, mais reposent
sur les attributs de la personne humaine, ce qui leur justifie une protection internationale, d’ordre conventionnel, secondant
ou complétant celle que procure le droit interne des États américains ; Considérant que ces principes ont été consacrés dans la
Charte de l’Organisation des États américains, dans la Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme, et dans la
Déclaration universelle des droits de l’homme, et qu’ils ont été réaffirmés et développés par d’autres instruments
internationaux, de portée tant universelle que régionale ; Réitérant que, aux termes de la Déclaration universelle des droits de
l’homme, l’idéal de l’homme libre, à l’abri de la peur et de la misère, ne peut se réaliser que grâce à la création de conditions
qui permettent à chaque personne de jouir de ses droits économiques, sociaux et culturels aussi bien que de ses droits civils et
politiques... ».

La Convention prévoit un mécanisme de protection, là encore inspiré par la Convention EDH, qui comprend, d’une part une
Commission interaméricaine des droits de l’homme, d’autre part une Cour interaméricaine des droits de l’homme. Le recours
étatique comme le recours individuel sont possibles avec des différences entre la Commission et la Cour. Le recours
individuel devant la Commission est possible : « Toute personne ou tout groupe de personnes, toute entité non
gouvernementale et légalement reconnue dans un ou plusieurs États membres de l’Organisation peuvent soumettre à la
Commission des pétitions contenant des dénonciations ou plaintes relatives à une violation de la présente Convention par un
État partie » (art. 44 de la Convention). Le recours étatique n’est possible que devant la Cour : « 1. Seuls les États parties à la
présente Convention et la Commission ont qualité pour saisir la Cour. 2. La Cour ne connaît d’une espèce quelconque
qu’après l’épuisement de la procédure prévue aux articles 48 à 50 » (art. 61 de la Convention). En plus, la compétence de la
Cour doit être reconnue par les États membres. La Cour est installée à San José au Costa Rica. Elle a rendu son premier arrêt
le 22 juillet 1988 dans l’affaire Velasquez Rodriguez contre le Honduras 364, portant sur une dénonciation de disparition
forcée. Depuis cette période, la Cour a rendu régulièrement des arrêts et des avis consultatifs 365, même si elle semble
parfois susciter des réticences de la part de certains États 366.

« Les cas soumis à la Cour ont presque exclusivement concerné de type d’allégations, lorsque ce n’était pas des exécutions
extrajudiciaires, des massacres de villageois soupçonnés d’atteinte à la sécurité de l’État. Seuls quelques droits de la
Convention ont ainsi fait l’objet d’une interprétation juridictionnelle qui prend d’ailleurs très largement sa source dans la
pratique de la Cour européenne tandis que d’autres ne sont pratiquement jamais invoqués (liberté de conscience et de
religion, droit à la vie familiale...) » 367.

Depuis 1978, deux protocoles additionnels ont été adoptés : un protocole le 17 novembre 1988 entré en vigueur le 16
novembre 1999, sur les droits économiques, sociaux et culturels avec des aspects très intéressants (droit à un environnement
salubre, droits spécifiques pour les personnes âgées ou pour les handicapés...) ; un protocole sur l’abolition de la peine de
mort du 8 juin 1990, entré en vigueur le 28 août 1991.

Il est important de signaler d’autres textes adoptés dans le cadre de l’OUA : la Convention interaméricaine pour la prévention
et la répression de la torture adoptée à Cartagena de Indias en Colombie, en 1985 ; la Convention interaméricaine sur la
disparition forcée des personnes adoptée à Belém do Pará, au Brésil, en 1994 ; la Convention interaméricaine sur la
prévention, la sanction et l’élimination de la violence contre la femme adoptée à Belém do Pará, au Brésil, en 1994 ;
Convention interaméricaine pour l’élimination de toutes les formes de discrimination contre les personnes handicapées
adoptée à Ciudad Guatemala, au Guatemala, en 1999.

§ 2. La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples


113. Après la décolonisation et l’indépendance des États africains, une Charte dite d’Addis-Abeba, a été adoptée, le 25 mai
1963, pour organiser l’unité africaine. À l’occasion de cette Charte, les nouveaux États africains posent un certain nombre de
principes jugés essentiels : l’affirmation de l’indépendance des États et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ; le rejet
du colonialisme et donc des violations des droits de l’homme ; la garantie et l’intangibilité des frontières ; l’égalité souveraine
des États ; la non-ingérence dans les affaires intérieures des États. La question du respect des droits de l’homme n’est donc
pas en soi une démarche primordiale.

À partir de 1981, en Afrique, les droits de l’homme deviennent plus déterminants à reconnaître et à protéger. La Charte
africaine des droits de l’homme et des peuples adoptée lors de la conférence de Nairobi le 27 juin 1981 est un instrument
régional des droits de l’homme 368. Lors de son discours d’ouverture de la conférence d’experts chargés d’élaborer le texte
de cette Charte, Léopold Sedar Senghor en avait précisé le cadre général : « Il ne s’agira pas, pour nous Africains, ni de
copier, ni de rechercher l’originalité pour l’originalité... Vous devez avoir à l’esprit nos valeurs de civilisation et les besoins
réels de l’Afrique ». De nombreux éléments de son préambule sont éclairants sur la conception spécifique de cette Charte : «
Tenant compte des vertus de leurs traditions historiques et des valeurs de civilisation africaine qui doivent inspirer et
caractériser leurs réflexions sur la conception des droits de l’homme et des peuples ; Reconnaissant que d’une part, les droits
fondamentaux de l’être humain sont fondés sur les attributs de la personne humaine, ce qui justifie leur protection
internationale et que d’autre part, la réalité et le respect des droits du peuple doivent nécessairement garantir les droits de
l’homme ; Considérant que la jouissance des droits et libertés implique l’accomplissement des devoirs de

chacun ; Convaincus qu’il est essentiel d’accorder désormais une attention particulière au droit au développement ; que les
droits civils et politiques sont indissociables des droits économiques, sociaux et culturels, tant dans leur conception que dans
leur universalité, et que la satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels garantit la jouissance des droits civils et
politiques ; Conscients de leur devoir de libérer totalement l’Afrique dont les peuples continuent à lutter pour leur
indépendance véritable et leur dignité
et s’engageant à éliminer le colonialisme, le néocolonialisme, l’apartheid, le sionisme, les bases militaires étrangères
d’agression et toutes formes de discrimination, notamment celles fondées sur la race, l’ethnie, la couleur, le sexe, la langue, la
religion ou l’opinion politique... ».

« L’originalité se mesure à plus d’un titre : premièrement en raison de l’insertion de valeurs morales africaines, telle la
protection de la famille (art. 18), comme corollaire de la protection des droits individuels ; deuxièmement, par la
proclamation de l’indivisibilité des droits de l’homme, la Charte incorporant des droits des trois générations » 369.

Ce texte, entré en vigueur le 21 octobre 1986, est une synthèse entre plusieurs approches de la problématique des droits de
l’homme. On peut mieux mesurer le concept de régionalisation. Il s’agit des droits de l’homme et des peuples avec le souci
du droit des peuples et celui de l’intangibilité des frontières sûres et reconnues. Cela découle des effets de la période
coloniale. Par ailleurs, l’individualisme laisse une place au groupe. Il n’y a pas de séparation complète entre l’individu et le
groupe auquel il appartient, compte tenu des traditions africaines de la vie en société. La Charte tient compte des traditions
historiques et des valeurs de la civilisation africaine 370. La Charte fait aussi une liaison dialectique entre les droits et les
devoirs de l’homme, ce qui montre à l’évidence l’idée très forte d’une solidarité sociale inhérente à l’approche africaine des
droits de l’homme. Les Cours constitutionnelles des États d’Afrique font référence à cette Charte dans leurs jurisprudences.

À l’origine de la Charte, le mécanisme de protection est modeste, car il n’est pas ouvert directement aux plaintes
individuelles. La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples exerce un rôle de filtrage des plaintes. La
Commission a développé une jurisprudence intéressante pour améliorer la protection des droits individuels. Néanmoins, le
règlement des litiges sur les droits de l’homme repose sur un dispositif interétatique qui laisse une place très forte aux
considérations politiques.

Un protocole à la Charte adopté à Ouagadougou le 9 juin 1998 a créé une Cour africaine des droits de l’homme et des
peuples. Il est entré en application le 25 janvier 2004. Au 26 décembre 2022, 33 États ont ratifié ce protocole. Cette Cour a
son siège permanent à Arusha en Tanzanie depuis 2007. Elle peut être saisie par les individus et les ONG, évidemment si les
États acceptent sa compétence, pour l’instant seulement huit États l’ont accepté. Les arrêts de la Cour, revêtus de l’autorité
relative de la chose jugée, sont définitifs. La surveillance de l’exécution des arrêts est confiée au Comité des ministres de
l’Union Africaine qui a succédé à l’OUA en 2003. La juridictionnalisation des droits de l’homme sur le continent africain
s’est mise en place, même si cela prend du temps. En effet, peu d’États semblent disposés à faire la déclaration facultative
pour permettre la compétence de la Cour saisie par des individus ou des ONG. Mais surtout, de nouvelles perspectives se
présentent. En effet, un protocole adopté, par les États membres de l’Union africaine le 1 er juillet 2008, non encore en
vigueur, prévoit de fusionner la Cour avec la Cour de justice de l’Union africaine pour donner naissance à la Cour africaine
de justice, des droits de l’homme et des peuples pour l’Union africaine 371.

On ne peut être que frappé par l’influence de la démarche européenne avec la Cour européenne des droits de l’homme qui
incite d’autres parties du monde à suivre cet exemple. « Un système régional ne peut fonctionner que s’il comporte un relais
sur le plan national ; là réside l’échec majeur du système africain, ce qui ne doit pourtant pas ternir les efforts et quelques
réussites majeures de la Commission africaine des droits de
l’homme » 372. La Cour africaine (actuelle) des droits de l’homme a rendu, le 15 décembre 2009, son premier arrêt dans
l’affaire Michelot Yogogombaye contre République du Sénégal (requête n° 001/2008). Elle a rendu sa première décision au
fond en 2013, dans une affaire contre la Tanzanie, qui est l’un des rares états à avoir souscrit le protocole de Ouagadougou
(requête n° 009/2011 et 011/2011) 373.

Il faut aussi signaler d’autres textes importants adoptés dans le cadre de l’OUA sur les droits de l’homme : la Charte africaine
des droits et du bien-être de l’enfant adoptée en 1990 et entrée en vigueur le 29 novembre 1999 ; le protocole relatif aux
droits des femmes en Afrique adopté le 11 juillet 2003 qui est un texte essentiel pour promouvoir et assurer le respect des
droits des femmes africaines 374. La Cour africaine des droits de l’homme a rendu un premier arrêt sur la violation des droits
des femmes : arrêt du 11 mai 2018 dans l’affaire Association pour le progrès et la défense des droits des femmes maliennes
(APDF) et Institute for Human Rights and Developpment in Africa (IHRDA) contre l’État du Mali (requête n° 46/2016).

« Depuis sa création en 2006, la Cour a reçu au total trois cent vingt-cinq (325) requêtes en matière contentieuse et quinze
(15) demandes d'avis consultatif. Elle a rendu cent dix-sept (117) arrêts et décisions, et finalisé quinze (15) demandes d'avis
consultatif. Un total de deux cent huit requêtes sont pendantes devant elle » 375. La Cour africaine a rendu un arrêt le 28
mars 2021 dans l’affaire Sébastien Germain Marie Aïkoue Ajavon contre République du Benin (requête n° 065/2019).
L’arrêt a été lu par le président de la Cour grâce à son site sur Youtube, via Zoom 376. L’écoute de cette lecture de l’arrêt
permet de constater l’influence de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme sur ce jugement. La justice
en ligne semble ici une nouvelle modalité à souligner. On assiste aussi en Afrique à une réelle ouverture médiatique de la
justice 377.

§ 3. La Charte arabe des droits de l’homme


114. La Charte arabe des droits de l’homme 378 est le résultat d’une autre démarche à l’égard de ces droits, fortement
marquée par une approche de relativisme religieux du fait de l’importance de la religion musulmane. On n’est plus dans une
simple logique géographique ou continentale, mais dans une philosophie de nature religieuse 379. C’est le Conseil de la
Ligue des États arabes qui a adopté au Caire, le 15 septembre 1994, cette première Charte. Comme elle n’est pas encore
entrée en vigueur compte tenu d’un manque de ratification suffisante du texte. Une nouvelle Charte, issue de la précédente, a
été adoptée, en 2004, lors du 16 e sommet de la Ligue des États arabes à Tunis. Ce nouveau texte est entré en vigueur le 15
mars 2008.

Les droits proclamés sont des droits relativement classiques, comme on les trouve déjà dans de nombreux textes
internationaux, par exemple les droits civils et politiques, mais aussi les droits économiques sociaux et culturels. Le
mécanisme de contrôle mis en place est relativement faible, de ce point de vue assez comparable à celui des Nations unies. Il
est exercé par un Comité arabe des droits de l’homme.
Le préambule de la Charte de 2004 révèle très bien sa philosophie générale dans laquelle la place de la référence à Dieu est
essentielle :

« Procédant de la foi de la Nation arabe dans la dignité de l’homme que Dieu a honoré depuis la création du monde et dans le
fait que la patrie arabe est le berceau des religions et des civilisations dont les nobles valeurs ont consacré le droit de
l’homme à une vie digne fondée sur la liberté, la justice et l’égalité,

Afin de concrétiser les principes éternels de fraternité, d’égalité et de tolérance entre les êtres humains consacrés par l’islam
et les autres religions révélées,

Fiers des valeurs et des principes humanitaires que la Nation arabe a établis au cours de sa longue histoire, lesquels ont
contribué, dans une large mesure, à la diffusion de la science entre l’Orient et l’Occident, faisant de la région le point de mire
du monde entier et la destination privilégiée des personnes en quête de savoir et de sagesse,

Ayant foi dans l’unité de la patrie arabe, qui lutte pour sa liberté et défend le droit des nations à disposer d’elles- mêmes, à
préserver leurs richesses et à se développer ; ayant foi également dans la primauté du droit et dans sa contribution à la
protection des droits de l’homme envisagés dans leur universalité et leur complémentarité et convaincue que la jouissance par
l’être humain de la liberté, de la justice et de l’égalité des chances est l’aune à laquelle se mesure la valeur de toute société,

Rejetant toutes les formes de racisme et le sionisme qui constituent une violation des droits de l’homme et une menace pour
la paix et la sécurité internationales, consciente du lien étroit existant entre les droits de l’homme et la paix et la sécurité
internationales, réaffirmant les principes de la Charte des Nations unies, de la Déclaration universelle des droits de l’homme
et les dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et du Pacte international relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels et tenant compte de la Déclaration
du Caire sur les droits de l’homme en islam... ».

Lors de l’entrée en vigueur de cette Charte, le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Louise Arbour, a
indiqué à Genève le 30 janvier 2008 que ce texte était pour elle incompatible avec les normes internationales au moins sur
deux points : les droits des femmes et l’assimilation du sionisme au racisme.

L’ancrage religieux très marqué de cette Charte la distingue aussi des autres textes similaires. En effet, elle fait expressément
référence à la religion musulmane qui est dominante dans les États arabes. Son préambule évoque les principes éternels
définis par le droit musulman ou la liaison des droits de l’homme et de l’islam. Tous les droits de la Charte doivent donc être
interprétés dans ce cadre général. Ainsi, toute personne a le droit d’exprimer ses pensées et ses convictions dans la mesure où
elle reste dans les limites prescrites par la loi, au sens religieux du terme, c’est-à-dire la loi divine. De même, la liberté
religieuse est restreinte, soit par la loi religieuse en pays musulman, soit par la loi de l’État dont la religion musulmane est la
religion d’État, même les personnes appartenant à des minorités peuvent pratiquer les préceptes de leur religion (art. 25 de la
Charte).

À côté de cette Charte, mais ayant une influence sur elle, il faut signaler d’autres textes, émanant surtout d’autorités morales
ou religieuses, comme : la Déclaration du Caire sur les droits de l’homme en islam du 5 août 1990 380 ; la Déclaration
islamique universelle des droits de l’homme proclamée, le 19 septembre 1981, à Paris, dans les locaux de l’Unesco à
l’initiative du Conseil islamique pour l’Europe. Cette dernière Déclaration indique :
« Les droits de l’homme dans l’islam sont fortement enracinés dans la conviction que Dieu et Dieu seul est l’auteur de la loi
et la source de tous les droits de l’homme ». Ces déclarations s’adressent aux musulmans, c’est-à-dire à des individus, et non
pas à des États. Il est donc, à ce niveau, important de distinguer les textes religieux de textes laïcs. Mais les seconds doivent
être lus à la lumière des premiers pour les croyants musulmans.

L’approche religieuse, ou dogmatique, des droits de l’homme en terre d’islam, induit une relative incompatibilité avec les
instruments internationaux de proclamation qui ont été fabriqués dans un esprit souvent laïc, ou au moins non religieux. Cela
explique que beaucoup d’États arabo-musulmans, soit n’ont pas ratifié ces textes, soit ont émis de grandes réserves avant de
procéder à une ratification. Les contradictions ou les incompatibilités apparaissent notamment sur certains sujets, comme la
question du rejet des traitements cruels, inhumains ou dégradants ou celle de l’égalité entre les hommes et les femmes. En
effet, le droit pénal de certains États arabo- musulmans prévoit des peines considérées ailleurs comme cruelles inhumaines ou
dégradantes et normales en pays d’islam, car il s’agit simplement de respecter la Charia (la loi religieuse), comme
l’amputation, la lapidation ou la flagellation pour le vol, l’adultère ou la consommation d’alcool. Cela est effectivement
appliqué en Arabie Saoudite, au Pakistan, au Soudan et à nouveau en Afghanistan. Ainsi, il peut y avoir une profonde
incompatibilité entre une vision universelle et une vision religieuse des droits de l’homme. Cette importance de la référence à
une conception religieuse de la société explique les difficultés rencontrées lors des révolutions de 2010 en Tunisie, Libye ou
Égypte pour l’élaboration des nouvelles constitutions et surtout les contradictions soulevées avec l’universalisme des droits
de l’homme.

La Tunisie semble avoir réussi un compromis historique, d’abord avec sa Constitution de 2014 et maintenant celle de 2022,
sur cette question, si l’on en juge par les articles suivants : « Art. 5 – La Tunisie constitue une partie de la nation islamique.
Seul l’État doit œuvrer, dans un régime démocratique, à la réalisation des vocations de l’Islam authentique qui consistent à
préserver la vie, l’honneur, les biens, la religion et la liberté. Art. 27 – L’État garantit la liberté de croyance et de conscience.
Art. 28 – L’État protège le libre exercice des cultes tant qu’il ne porte atteinte à la sécurité publique ».

Sur ces questions, la Cour européenne des droits de l’homme a affirmé, avec précision, l’incompatibilité de la loi islamique
avec la Convention européenne des droits de l’homme, dans des arrêts décisifs : « La Cour reconnaît que la Charia, reflétant
fidèlement les dogmes et les règles divines édictées par la religion, présente un caractère stable et invariable. Lui sont
étrangers des principes tels que le pluralisme dans la participation politique ou l’évolution incessante des libertés publiques.
La Cour relève que, lues conjointement, les déclarations en
question, qui contiennent des références explicites à l’instauration de la Charia, sont difficilement compatibles avec les
principes fondamentaux de la démocratie, tels qu’ils résultent de la Convention, comprise comme un tout. Il est difficile à la
fois de soutenir un régime fondé sur la Charia, qui se démarque nettement des valeurs de la Convention, notamment eu égard
à ses règles de droit pénal et de procédure pénale, à la place qu’il réserve aux femmes dans l’ordre juridique et à son
intervention dans tous les domaines de la vie privée et publique conformément aux normes religieuses... » 381. La Cour
clarifie cette complexe problématique des relations entre droits de l’homme et loi religieuse.

NOTES DE BAS DE PAGE

364 Série C, n° 7 G. Cohen-Jonathan,RGDIP 1990, p. 455.

-
365 Laurence Burgorgue-Larsen et Amaya Úbeda de Torres, Les grandes décisions de la Cour interaméricaine d- es droits de l’homme,
Bruylant, 2008 ; Yelena Cenard, Mathilde Martiny et Inès Rodriguez, « Chronique des décisions de la Cour interaméricaine des droits de
l’homme », juill. 2014-juill. 2015, revdh.revues.org/1427,
oct. 2015 ; Alejandro Ronderos, Débora Rodrigues, Emma-Luna Sánchez, Marine Gauchy, Orane Lamas et Sandro Gorski, « Chronique des
décisions de la Cour interaméricaine des droits de l’homme », sept. 2018 (https://journals.openedition.org/revdh/4706).

366 Juana María Ibáñez Rivas, « De nouvelles menaces sur le processus de renforcement du système i-nteraméricain des droits de l’homme
», Cour interaméricaine des droits de l’homme (CIADH), revdh.revues.org/977, nov. 2014.

367 Hélène Tigroudja, « Convention interaméricaine des droits de l’homme », in Dictionnaire des Droits de l-’Homme, PUF, 2008, p. 213 ;
Hélène Tigroudja et Ionnis K. Panoussis, « La Cour interaméricaine des droits de l’homme, Analyse de la jurisprudence consultative et
contentieuse », Droit et justice, n° 41, Bruylant, 2003.

368 F. Ouguergouz, La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, PUF, 1993.
-
369 Élisabeth Lambert-Abdelgawad, « Charte africaine des droits de l’homme et des peuples », in Dictionnaire

d- es Droits de l’Homme, PUF, 2008, p. 121.

e
370 K. M’Baye, Les droits de l’homme en Afrique, éd. A. Pedone, 2 éd., 2002 ; A. Ba, B. Koffi, F. Sahli,L’OUA, de l-a Charte d’Addis-
Abeba à la Convention des droits de l’homme et des peuples, Silex, 1984 ; voir aussi Abdoulaye Soma, Les grands textes des droits de
l’homme en Afrique, Presses académiques francophones, 2014.

371 Mamadou Falilou Diop, « Plaidoyer pour l’accès direct des individus à la Cour africaine des droits de l -’Homme et des peuples et à la
future Cour africaine de justice, des droits de l’Homme et des peuples »,

RDP 2016, p. 653.

372 Élisabeth Lambert-Abdelgawad, op. cit., p. 124 ; Jean-François Flauss et Élisabeth Lambert-Abdelgawad (-dir.), « L’application
nationale de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples », Droit et justice n° 54, Bruylant, 2004.

373 Alain Didier Olinga, la première décision au fond de la Cour africaine des droits de l’homme et des -peuples (arrêt du 14 juin 2013
Tangayika law Society et The Lega land Human Rights Centre c/Tanzanieet Révérend Christopher R. Mtikila c/Tanzanie), Revue des droits
de l’homme 2014, revdh.revues.org.

374 Ce protocole est ratifié aujourd’hui par 42 États africains. -

er
375 Rapport d’activité de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, 1 janv.-31 déc. 2021,

-https://www.african-court.org/wpafc/rapport-dactivite-de-la-cour-africaine-des-droits-de-lhomme-et-des- peuples-cadhp-1-janvier-31-
decembre-2021/?lang=fr
376 https://www.youtube.com/watch?v=nO3Pd1RddIo. -

377 Firmin Lambert Mvogo Bidznaga, « L’essor de la justice constitutionnelle à l’épreuve de la diffusion -audiovisuelle du droit en Afrique
noire francophone », RDP 2022, p. 611.

378 Ahmed Mahiou, « Charte arabe des droits de l’homme », in Dictionnaire des Droits de l’Homme, PUF, -2008, p. 124.

379 Mohamed Charfi, Islam et libertés, le malentendu historique, Albin Michel, 1998.

-
380 La Déclaration du Caire sur les droits de l’homme en Islam, adoptée en 1990, par la conférence des -ministres des Affaires étrangères
de l’Organisation de la conférence islamique succède à la déclaration islamique des droits de l’homme de 1979.

381 CEDH, Grand Chambre, 13 févr. 2003, Refah Partisi et al. c/Turquie, GACEDH, 2011, n° 57, p. 622, RFDC 2004, -207, note Michel
Levinet.

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