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Ruffo de Forli
Ruffo de Forli
Américanistes
Bataillon Marcel. Les premiers Mexicains envoyés en Espagne par Cortès. In: Journal de la Société des Américanistes. Tome
48, 1959. pp. 135-140;
doi : https://doi.org/10.3406/jsa.1959.1190
https://www.persee.fr/doc/jsa_0037-9174_1959_num_48_1_1190
La pièce que nous publions ici, et qui complète notre documentation sur
un fait mémorable, a été découverte à l'Archivio di Stato di Mantova par
Fernand Braudel qui nous en a obligeamment communiqué une photocopie.
Nous devons aussi aux bons offices de M. le Directeur des Archives de Man-
toue des précisions sur le destinataire de la lettre. Celle-ci n'est pas adressée
au Marquis Frédéric de Gonzague ou à un de ses conseillers, mais bien « Al
Reuerendo y Noble Seňor Messer Franscico Clericato prothonotario Aposto-
lico etc.. Rome». Le destinataire est donc Francesco Chieregati, un des
appuis d'Erasme en cour de Rome, qui devait bientôt jouer un rôle
important comme nonce d'Adrien VI à la diète de Nuremberg. Léon X l'avait
précédemment envoyé en Espagne, dès 15 18-19, e^ nous savons par Pierre
Martyr d'Anghiera 1 que « ce savant jeune homme » s'était assez intéressé aux
objets venus du Nouveau Monde pour rapporter à Rome un masque d'or ou
recouvert d'or. Il avait, en regagnant l'Italie, prié son collègue l'archevêque
de Cosenza de le tenir au courant des nouveautés concernant les Indes. Et
c'est pourquoi lui fut adressée à Rome cette petite gazette de la présentation
à Valladolid des Indiens et des objets envoyés par Cortés. Son correspondant
d'Espagne l'invitait à communiquer cette relation à qui il voudrait. Rien
1. Décade IV (dédiée à Léon X en 1521) : « ...et laruis utuntur, tum ligneis deau-
ratis, tum aureis perpulchre ornatis. Opifices sunt ubique argutissimi. Ex laruis
unam secum attulit Franciscus Chieregattus : ex ea colligere licebit qualipolleant.
ingenio » (Cp. De Orbe novo de Pierre Martyr Anghiera, Les huit Décades trad...
par Paul Gaffarel, Paris, 1907, p. 368). Sur la mission de Chieregati en Espagne, voir
P. M. Anghiera, Opus Epistolarum, Ep. 633. Nous avons consulté l'éd. latine
d'Amsterdam, 1670. Nous renvoyons à la trad, esp., plus accessible, de José López de Toro,
Pedro Martir de Angleria, Epistolario, Madrid, 1955-1957, 4 vol., t. III, p. 348. La
lettre est du 12 janv. 1519. — Voir aussi, sur Chieregati, Opus Epistolarum Erasmi,
éd. Allen, t. III, p. 61. Je n'ai pu voir la notice de ce personnage publiée en
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1873 par B. MoRSOLiN dans Atti dell' Accademia di Vicenza (III, 121-237).
I36 SOCIÉTÉ DES AMÊRICAKISTES
d'étonnant à ce qu'il l'ait envoyée ou apportée à la cour des Gonzague, avec
laquelle ses rapports sont bien établis.
Le signataire de la lettre conservée à Mantoue est, bien plus que le
destinataire, connu des américanistes qui utilisent l'œuvre du Milanais
chroniqueur de la découverte du Nouveau Monde. C'est un des principaux
destinataires des lettres latines recueillies par Pierre Martyr dans son Opus Episto-
larum. Giovanni Ruffo de Forli, évêque de Bertinoro, puis archevêque de
Cosenza, séjourna longtemps en Espagne. Il y était venu dès 1493 chercher
à Cuenca la tranquillité loin de l'Italie en guerre. Il y revint lors des
funérailles de Philippe le Beau (fin 1506) et resta alors, semble-t-il, de façon
permanente pendant une quinzaine d'années comme nonce auprès de Ferdinand
le Catholique, puis de Charles-Quint. Il eut à s'occuper en 1509 de l'affaire de
la Beata de Piedrahita, cette mystique prophétesse de Г evangelisation des
Indes 1. Quand, en 1521, il eut regagné Rome, Pierre Martyr le tint au courant
des événements qui obligeaient à donner une suite aux trois premières
Décades : ce fut le De nuper sub D. Car oh repartis insults offert à Léon X (5
janvier 1521, Bâle, Adam Pétri). Et quand le chroniqueur offrit sa VIe Décade
à Clément VII, en 1524, c'est l'archevêque de Cosenza qui fut chargé de la
commission.
Il est curieux que notre gazette de 1520, adressée par un Italien à un Italien,
soit en espagnol. Le fait semble prouver que ces diplomates pratiquaient par
plaisir le castillan, — Ruffo surtout, que son long séjour dans la péninsule
avait pu hispaniser. Ces pages, du reste, abondent en italianismes. Le scribe
auquel l'archevêque dicta la lettre devait être italien lui-même, et c'est à
lui qu'on est tenté d'attribuer des barbarismes comme afitar pour afeitar,
cieran pour cierran, descupierta pour descubierta, pano pour pano, dextera et
sinistra pour diestra et siniestra, labro et labrio pour labio, pelexo pour pellejo.
Mais c'est au nonce que l'on doit imputer de francs italianismes de
vocabulaire comme niculo au sens d'« onyx » (it. niccoló), per fil et perfllado au sens
d'« ornement » et d'« orné » (it. proffilare), avoltor pour «vautour» (it. avvoltore,
cast, buitre) ou même disimile pour « différent » (it. dissimilc), pastoral au sens
de « crosse ď évêque » (it. pastorale).
Sur les premiers objets reçus de Moctezuma ou réunis autrement par Cor-
tés, et que celui-ci envoya à Charles-Quint avec quatre Indiens et deux
Indiennes, les témoignages abondent : ceux de Pierre Martyr d'Anghiera, de
Gómara et de Bernai Diaz del Castillo 2, font allusion peu ou prou aux Indiens.
Pourtant, sur ces gens « de l'île de Yucatan », — Ruffo a vu deux femmes et
1. Epistolario, t. II, Ep. 428 et 431, et Libro de la Oracvm de Sor Maria de Santo
Domingo, con un estudio de José Manuel Blecua, Madrid, 1948 (voir fol. di).
2. P. M. d'Anghiera, De Orbe novo (Dec. IV, Gaffarel, p. 381-390) ; (voir aussi
Epistolario, t. IV, Ep. 665, Valladolid, 14 mars 1520 ; Francisco López de Gómara,
Conquista de Mexico, cap. XXXIX ; Bernai Diaz del Castillo, Descubr. y Conq.
de la Nueva Espana, cáp. LIV).
PREMIERS MEXICAINS ENVOYES EN ESPAGNE PAR CORTES 1 37
trois hommes, — qui furent présentés au corps diplomatique de Valladolid
■
en mars 1520, les données retenues par les historiens sont bien plus maigres
que celles de notre chroniqueur improvisé. Le nonce ne se borne pas à noter
comme Pierre Martyr la laideur des lèvres perforées par le labret ou la
couleur foncée — presque éthiopienne, dit-il — ■ du teint des femmes. Nous
•
savons aussi, grâce à lui, que le plus jeune des trois Indiens, et le plus petit de
taille, rendait quelques services d'interprète, ayant appris un peu de
castillan ; que ces hommes avaient des cheveux longs et portaient la barbe (n'ayant
pas, sans doute, à leur disposition, de rasoirs de pierre) ; que leurs corps étaient
tatoués au feu (todos estigmatizados de fuego). L'archevêque semble avoir
vu ces Mexicains revêtus des vêtements de leur pays ou du moins s'être
représenté avec précision comment les manteaux d'étoffe peinte ornée de plumes,
portés à la façon d'un «peignoir», pouvaient couvrir tout le corps, sauf
les jambes sans doute ; car il note que les femmes comme les hommes
vont jambes nues. Mais il semble avoir vu aussi ces gens affublés de
costumes espagnols de couleurs diverses et de bonnets de velours, grâce à
la libéralité de Charles-Quint. La question du baptême se posa pour eux, et
le nonce se laissa dire que l'empereur les avait fait baptisera Tordesillas. —
Avec cette curieuse coloration d'Islam que les Espagnols projettent alors
sur les peuples du nouveau continent, on expliqua aux Mexicains que
l'archevêque était « alfaqui et ambassadeur du grand alfaqui des chrétiens ».
Voulaient-ils être chrétiens eux-mêmes ? Le nonce le leur fit demander, et
ils répondirent qu'ils trouvaient bon d'être chrétiens. L'archevêque eut le
sentiment qu'ils ne savaient trop ce qu'ils demandaient. Un baptême
immédiat, justifiable peut-être, risquait fort d'être « eau perdue » s'ils retournaient
dans leur pays. Le nonce, auquel Pierre Martyr rappellera, deux ans plus
tard (Ep. 763) l'intelligence qu'il avait appréciée en ces hommes, hésite à les
appeler des « ambassadeurs » ; pourtant il semble qu'on les lui ait présentés
comme des envoyés d'un cacique qui désire amitié et paix avec les chrétiens
(allusion, sans doute, à Moctezuma). On sait que, d'après Gómara, c'étaient des
captifs soustraits au sacrifice malgré la protestation du cacique de Cempoal.
D'après Pierre Martyr, les hommes étaient « quatre nobles (primarii) qui, de
leur propre mouvement (sponte sua), venaient voir nos contrées et un roi
assez puissant pour que sa domination soit aussi illimitée » ; les deux femmes
étaient destinées au service des Espagnols venus en « procuradores » de Vera
Cruz 4
Quant aux objets mexicains présentés à Valladolid en même temps que les
Indiens, la description de l'archevêque de Cosenza n'en révèle aucun qui ne fût
déjà mentionné dans l'inventaire descriptif annexé à la première С arta de
relation 2 ou dans celui que donne Gómara, sans doute d'après les archives de Cortés.
1958, p. 78-84. L'édition la plus répandue des Carias de relation (dans Historiadores
primitivos de Indias, t. I, B. A. E., t. XXII, 1852, p. 11) omet cet appendice de la
Carta primera.
1. Cf. note 3 et Gonzalo Fernandez de Oviedo, Hist. Nat. y Gen. de las Indias
L. XXXIII, c. 1 ; Las Casas, Hist, de las Indias, L. III, с i2i.
2. Fr. Bernardino de Sahagún, Hist. gen. de las cosas de la Nueva Espaua,
L. XIII, с. 4.
3. Hans Dietschy, La coiffure de plumes mexicaine du Musée de Vienne.
Critique iconographique et notes ethnopsychologiques (Actes du XXVIIIe Congrès
international des Américanistes, Paris, 1948, p. 381-392). Photographie reproduite
(PL XI, 2) dans l'édit. française, par G. Stresser-Péan, de G. C. Vaillant, Les
Aztèques du Mexique, Paris, 1951.
4. Sans toucher aux italianismes nous respectons l'orthographe ancienne (sauf \'i
initial en forme de y et Vrr initial en forme de R). Nous résolvons les abréviations
(les lettres suppléées sont en italiques). Nous accentuons et ponctuons pour faciliter
la lecture.
PREMIERS MEXICAINS ENVOYÉS EN ESPAGNE PAR CORTES 1 39
Cesárea Magestad a esta villa de Vailadolid adonde halló los que eraw venidos
de las Indias \ que no se si los llame enbaxadores. Eran très honbres y dos
mugeres, la color délias poco menos de etiopia. Dos nombres de buena esta-
tura, otro mancebo pequeňo, y este ha aprendido algo de la lengua castellana ;
las mugeres pequefias y de feo gesto, los cuerpos de los hombres todos exti-
matizados de fuego y el labro vajo horadado adonde se junta con la barba, y
traen alli en forma de sello de pedrecicas juntas y arrimadas a un poco de
maděra о piedra que pareçe un camafeo о niculo y sácanlo y pdnenlo quawdo
quieren limpiar aquel agugero, y -porque la puedan tener en la boca sacan
pnmero los dientes delanteros y a quien sube mas el labro de vaxo dizen que
pareçe mejor. Traen los Cabellos largos y la barba, y dizen que quando se an-
tan que es con una piedra. Andan vestidos en su ti-'erra con un райо de lienço
pintado con perfiles de plumas de papagayo y de avoltor que pareçen arminos
y traen en los hombros como peynador. Y es tan ancho que çieraw con él
quando quieren todo el cuerpo. Delante sus verguenças un pano perfilado de
la misma manera. La cabeça descupierta y las piernas desnudas asi los hombres
como las mugeres. Son de la Isla de Yucatan que agora la nombran Carolina,
más setentrional que no la Isla de Cuba que dias ha que se halló. Son enbia-
dos de un cacique que quiere dezir seňor el quai desea amistad y paz con
christianos. Truxeron ha esta Cesárm Magestad dos ruedas de diámetro de
ocho palmos, la una de oro la otra de plata, y medio délias esta esculpido
una silla como de barbero y sentado en ella una figura con una cara seme-
jante a la que pintaw a los diablos con la boca abierta e los carrillos muy in-
chados, los oj os abiertos y grandes, en la mano dextera tiene un cetro a forma
de pastoral de obî'spo asi torçido ençima, en la sinistra un ventalle. En la
horla de la rueda esta como unas fojas y toda la rueda cucharada. Dixerow
que la de oro varia quawtia de çinco mill castellanos, la de plata era más
delgada y no podía valer mucho Dezian que delante esta figura haziaw sus
oraciones. Truxeron un çetro pequeňo compuesto de piedras cornerinas y de
jaspes Truxeron un collar de divisas piedras que pareçiaw destos vidrios de
Мигам, quasi todos tiravaw a la color de turquesa. Truxeron très cabeças de
animales con su pelexo de pantera, de lobo y de çiervo tan bien hechos los
dientes y los oj os de piedras que pareciaw vibos. Truxerow un penacho hecho
en forma de poderse poner en la cabeça con una delawtera de pedrezicas
compuestas y lo otro era todo de plumas de papagayo que me pareçe que
nunca vi más linda ni hermosa cosa. Y muchos otros despus 2 de otras mane-
ras mas no tan grandes ni tan ricos, y asimismo una adarga, no disimile de
las quo, se acostunbras 3 en Espaňa sino más pequeňa, de algodón, cubierta