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YA 772EV IS Yt7e @ CYoaf ALEJO CARPENTIER ESSAIS LITTERAIRES Traduit de Vspagnol (Cuba) ar Sege Mestre Priface de Carmen Vasque uf GALLIMARD 186 Promitre partie pour que les vaincus en soient réduits & demander la harité au vainqueur est un bien maigre résultat!... Qu’attend done le Fithre2... La collaboration des vaincus? I ne aura jamais! Les attentats qui se mul- tiplient sur le territoire francais en sont la preuvel. Que son peuple puisse vivre avec le butin de la vic toire?... C'est une solution absurde!... Que les peuples acceptent tout naturellement le mythe de la supériorité germanique?... Ce n'est méme pas la peine d’aborder le sujet! ‘Alors?... Quelle que soit la facon dont elle finira par arriver, la paix est 'ennemie d’Hitler. Attendons encore ‘quelques années... Et nous reparlerons de ’Ordre «Cartles», La Havane, 21 décembre 1941 André Breton La publication de I'excellente Histoire du suréalisme de Maurice Nadeau (dans laquelle il me désigne, bien entendu a tort, comme Tun des écrivains appelés & donner un improbable dernier éclat ce mouvement) a fait resurgir en moi tout un monde de souvenirs. Des souvenirs de lentredeux-guerres, oft certaines 6coles littéraires et artistiques avaient beaucoup plus promis qu’elles n'ont en réalité apporté; mais avec malgré tout le mérite d’avoir poussé homme a s'en- thousiasmer, & avoir foi en lutméme, a vivre un désir de renowveau ct de pureté, que nous rechercherions en vain aujourd'hui chez ceux qui ont l'ige que nous avions a I'époque. En Amérique surtout, toutes ces productions qui ont naivement éé baptisées d'avantgarde (oti l'on trouvait des choses aussi diffé rentes que le cubisine, la musique atonale, 'esprit des Valor’ plastci, ow le surréalisme poétique) ont réussi a alimenter un vrai mysticisme. Un mysticisme qui a eu de vrais et de réels martyrs, car de nombreux artistes qui ont commencé a publier dans des revues, la typo- graphic plutot anarchique, forcément intitulées Spirale, Vertige, Hétice, Prowe, etc., ont été emprisonnés 188 Promitre partie ous asain, loguils sont pasés de Vavantgarde Iyrigue A une ate avantgarde politique, reprmee dans Te sang par les tyrans de notre continent (Gerardo Machado, par exemple, pena, sans autre forme de procés, que dans tout artiste «moderne tommeille un élément subverif et donc ennemt da gouvernement) Test assez intéresant d observer que Certains diigeants poliiques Amérique, parm les plus connus, ont commence leur eari¢re comme tes davantgarde, Ceci ext un sujet typiquement Eércain et tout a fat digne de sedi anjourd ha tn denosromanciers; un romancierquise serait det thé de cette aupide litrature au content soca, qul tonsise & nous décrte le sempiternel paysan, spole parle sempiternel patton, quia vole la sempiternell fovur du paysan, et dont la sempitemelle hacienda est incendige, au demier chapitre par la sempiterncle victim, Mais revenons 2 nos moutons. Jusqu’a présent, les différentes tentatives d’écrire des histoires du surréa- lisme — je pense a celle de Georges Hugnet qui pré- sente le «Fantastic Art» du musée d'Art moderne de ‘New York — avaient un grave défaut, car elles défor- maient les faits, pour coller & certaines consignes non, écrites, qui sont finalement devenues d’éphémeres régles au sein du groupe : comme passer sous silence Yénorme rOle qu’a joué Robert Desnos dans la créa- tion du mouvement, sous-estimer importance théo- rique de Traité du style d’Aragon, exagérer Vimpor- tance des nouvelles recrues, etc: Le livre de Nadeau est le premier texte sérieux, complet et dépassionné (quoique pas tout a fait subjectif) écrit sur le sujet. André Breton 189 Crest ainsi qu’ayant été moi-néme témoin de presque tous les faits que l'on rapporte dans ce livre, je ne sat sais jamais suffisamment conseiller sa lecture & tous ceux qui s‘intéressent a Phistoire duu mouvement artis- tique et littéraire le plus tenace et le plus important du début du siécle — pas seulement par sa portée et par sa diffusion, mais aussi parce qu'il a su attirer des hommes de provenances et de nationalités trés diffé- rentes, se différenciant en cela d'autres mouvement plus circonscrits et plus limités, en un mot : plus pari- siens. Eta présent, en complément au livre de Nadeau, je vais tenter d'extraire de ma mémoire quelques souve- personnels concernant les animateurs du surréa- isme. Etje vais, bien entendu, commencer par parler de Breton, Par un singulier concours de circonstances, qu'il avait absolument pas provoqué, André Breton vivait A Montmartre, au-dessus des cabarets Le Ciel et LTEn- fer, dont les facades superposées ressemblaient beat coup aux bimbeloteries surréalistes, & V'architecture catalane et aux comestibles a la Dali, avec des stucs, des étoiles dorées, de naifs accessoires plut6t blasphé- ‘matoires. On atteignaitson immense atelier en suivant un long dédale d'escaliers et de couloirs qui débu- ent au quarante-deux de la rue Fontaine — tout prés de l'entrée dle La Cabana cubana. Presque tous les tableaux qui sont reproduits dans Le Sunalisme et la peintureétaient accrochés dans atelier du poste. Pour he citer que les plus célebres, il y avait Le Corveau de Venfant, de Giorgio De Chirico, et les splendides Max 190 Premitre partie Ennst de l’époque des bois : La Horde, Deux personnages traversant une rividre et un trosiéme pidtinant son pire, ete, qui annongaient deja les fabuleuses aventures de l'oi- seau Loplop. On pouvait voir, sur plusieurs tables basses, des sculptures océaniennes et africaines en tres grande quantité — car Breton, qui considérait le tra- vail salarié comme une épouvantable démission de Vhomme, ne dédaignait pas de faire des bénéfices grice au troc et au trafic de fétiches et d’aeuvres d'art. La piéce capitale de sa collection était un masque rituel des Nouvelles-Hébrides, en fibre peinte, qui fai- saitune grimace extrémement féroce, et qui a été sou- vent reproduit dans les revues surréalistes. N'ignorant pas la valeur des contrastes, Breton état parfaitement enclin ase montrer d'une extréme cout- toisie — une courtoisie trés viille France — avec les gens auxquels i n’avait rien reprocher. Capable d'in- terrompre une représentation théatrale ou tune conte rence de Mme Aurel avec des réflexions trées d' Ubu r0i crite publiquement a Joseph Deltel «vous étes lun pore... ou vous étes un c...?», Breton avait une att tude d'une courtoisie presque affectée lorsqu'll ren- contrait, par exemple, LéonPaul Fargue ou Lise Deharme— égérie de la poésie francaise. Il cherchait, a travers ces civiltés et ces sourires, A acquérir un ‘extraordinaire pouvoir de séduction, qui a fait éerire a Roger Vitrac : «Votre amitié est une grice.» Ses Jeunes disciples sefforcaient de lui étre agréables, ils Eiaient dune sollictude qui frisait la plus basse adu- lation, Comme le dsait Jacques Prévert apres avoir vio- Iemment réagi contre «I'inspecteur du palais des rmirages et grand inquisiteur des réves», Breton était André Breton 191 une espace de «Don Juan pour hommes». Surtout pour hommes sans caractére, car tout en évitant d’es- sayer son art sur Aragon, Eluard ou Desnos, il exercait une véritable dictature spirituelle sur de pales adoles- cents qui frappaient, tout tremblants, a la porte du Pape. Il s'immiscait dans leur vie, leur interdisait cect ou cela, choisissait leurs amis, les poussait A rompre, y compris avec certaines femmes «indésirables», pour organiser des unions avec d’autres femmes plus ‘«dignes» de connaitre les secrets des dieux du Café Gyrano. Breton adorait les injonctions. Un jour, se tournant vers les derniéres recrues qui occupaient timidement un coin de table, il leur lanca cette som- mation — Vous avez six mois pour compléter votre éduca- tion marxiste!... Malgré sa grande culture, son esprit singuliérement équilibré, son extraordinaire talent d’écrivain (qui acquit, & mon avis, son expression la plus aboutie dans un texte a propos du Teide, écrit pendant un voyage aux iles Canaries), André Breton possédait comme tout un chacun des lacunes intellectuelles et illcommettait parfois de grosses erreurs. Bien que lEs- pagne lui ait fait connaitre deux valeurs aussi impo- santes que Pablo Picasso et Joan Miré, l'auteur de ‘Nadja s'est trés longtemps montré d'une grave igno- rance envers le domaine ibérique. En 1928, lorsque je Vai rencontré pour la premiere fois, Breton ne ‘connaissait pas du tout le genre de peinture qui se fai sait deja audela des Pyrénées, il ne connaissait pas Dali, Bores ou Ucelai. Je me souviens de son étonne- ‘ment lorsque, pendant son séjour 4 Cuba, je Iui ai

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